la traduction des romans africains francophones: de la dichotomie à la triade

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Natalia Naydenova, Maître de Conférences - Université Russe de l'Amitié des Peuples (Moscou, Russie) [email protected] Aujourd’hui, la littérature francophone d’Afrique noire prend un essor fulgurant : les livres des écrivains africains sont publiés par les maisons d’édition françaises de renom, telles que Gallimard, Mercure de France, Seuil, Albin Michel, non seulement dans les collections spécialisées, mais au même titre que les auteurs français. Leurs romans se sont vu décerner des prix littéraires prestigieux. Les romanciers ressortissants de l’Afrique noire dont plusieurs sont passionnés de l’idée de la littérature-monde deviennent les porte-parole de l’imaginaire multilingue. Cependant, le continent natal reste au centre de l’oeuvre de ces écrivains dont la majorité réside actuellement en Europe ou aux Etats-Unis. Ils aspirent à faire connaître à leurs lecteurs internationaux la culture, la mentalité et les valeurs africaines. On ne peut mieux exprimer cette idée que l’écrivain congolais Henri Lopes ne le fait dans son livre Ma grand-mère bantoue et mes ancêtres les gaulois : J’écris parce que je suis un Africain ; un homme vieux de plusieurs millions d’années dont la mémoire et l’imaginaire ne tiennent qu’au fil tenu et fragile d’une tradition orale brumeuse ; un homme dont la bibliothèque date de moins d’un siècle. J’écris pour introduire dans l’imaginaire du monde des êtres, des paysages, des saisons, des couleurs, des odeurs, des saveurs et des rythmes qui en sont absents ; pour dire au monde des quatre saisons celui des saisons sèches et des pluies ; pour dire au ciel de la Grande Ourse celui de la Croix du Sud (LOPES, 2003, 111). C’est dans cette optique que se pose comme un vrai défi le problème de la traduction des oeuvres écrites en français, où l’interférence des langues africaines s’affiche nettement à tous les niveaux langagiers vers une troisième langue telle que, par exemple, le russe. Ici le traducteur est obligé de rompre la dichotomie traditionnelle « langue source » – « langue cible » pour y inclure encore une langue véhiculant les concepts spécifiques de la culture source et un imaginaire propres aux locuteurs de cette langue. Dans notre cas, les éléments constitutifs de cette triade sont le français comme langue source, le russe comme langue cible et la culture africaine comme culture source. La majorité écrasante des oeuvres des écrivains africains francophones a été traduite en russe à l’époque soviétique. Cela s’explique, primo, par l’attention particulière réservée dans la politique étrangère de l’URSS aux pays en voie de développement, et, secundo, par l’épanouissement des études africaines, y compris littéraires, qui date de cette période. Les années 1970-1990 ont vu la publication en russe des romans d’Ou. Sembène, F. Bebey, W. Sassine, M . Beti, L. Camara etc. Par contre, la traduction de la littérature africaine du XXIe siècle se limite par les fragments du roman d’A. Kourouma Allah n’est pas obligé. Le but primordial d’analyse comparative des textes français et russe est d’examiner les particularités de la traduction des unités lexicales désignant les références culturelles africaines et l’expression de la spécificité culturelle locale. La tâche qui se dresse devant le traducteur s’avère extrêmement difficile car la culture source et la culture cible ont une origine tout à fait différente. Elle est encore plus compliquée à cause de la connaissance restreinte de l’Afrique noire, sa culture, ses moeurs, sa nature etc. observée chez la plupart des lecteurs russes. La recherche se base sur les oeuvres suivantes des écrivains africains francophones traduits en russe : Le coiffeur de Kouta de M. Diabaté, La nouvelle romance d’H. Lopes, Ô Pays, mon beau peuple !, Les bouts d# bois de Dieu d’Ou. Sembène et Allah n’est pas obligé d’A. Traduction des romans africains francophones : de la dichotomie à la triade La main de Thôt n°2 - 08/07/2014 1

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L’article est consacré à l’analyse de la traduction des romans des écrivains africains francophones du français vers le russe, tâche dont le défi principal est la nécessité de véhiculer l’imaginaire propre à la culture source qui est différente de celle des langues source et cible.

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  • Natalia Naydenova, Matre de Confrences - Universit Russe de l'Amiti des Peuples (Moscou, Russie)[email protected]

    Aujourdhui, la littrature francophone dAfrique noire prend un essor fulgurant : les livres descrivains africains sont publis par les maisons ddition franaises de renom, telles queGallimard, Mercure de France, Seuil, Albin Michel, non seulement dans les collectionsspcialises, mais au mme titre que les auteurs franais. Leurs romans se sont vu dcerner desprix littraires prestigieux. Les romanciers ressortissants de lAfrique noire dont plusieurs sontpassionns de lide de la littrature-monde deviennent les porte-parole de limaginairemultilingue. Cependant, le continent natal reste au centre de luvre de ces crivains dont lamajorit rside actuellement en Europe ou aux Etats-Unis. Ils aspirent faire connatre leurslecteurs internationaux la culture, la mentalit et les valeurs africaines. On ne peut mieuxexprimer cette ide que lcrivain congolais Henri Lopes ne le fait dans son livre Magrand-mre bantoue et mes anctres les gaulois :

    Jcris parce que je suis un Africain ; un homme vieux de plusieurs millions dannes dont lammoire et limaginaire ne tiennent quau fil tenu et fragile dune tradition orale brumeuse ;un homme dont la bibliothque date de moins dun sicle. Jcris pour introduire danslimaginaire du monde des tres, des paysages, des saisons, des couleurs, des odeurs, dessaveurs et des rythmes qui en sont absents ; pour dire au monde des quatre saisons celuides saisons sches et des pluies ; pour dire au ciel de la Grande Ourse celui de la Croix duSud (LOPES, 2003, 111).

    Cest dans cette optique que se pose comme un vrai dfi le problme de la traduction desuvres crites en franais, o linterfrence des langues africaines saffiche nettement tousles niveaux langagiers vers une troisime langue telle que, par exemple, le russe. Ici letraducteur est oblig de rompre la dichotomie traditionnelle langue source languecible pour y inclure encore une langue vhiculant les concepts spcifiques de la culturesource et un imaginaire propres aux locuteurs de cette langue. Dans notre cas, les lmentsconstitutifs de cette triade sont le franais comme langue source, le russe comme langue cibleet la culture africaine comme culture source.

    La majorit crasante des uvres des crivains africains francophones a t traduite en russe lpoque sovitique. Cela sexplique, primo, par lattention particulire rserve dans lapolitique trangre de lURSS aux pays en voie de dveloppement, et, secundo, parlpanouissement des tudes africaines, y compris littraires, qui date de cette priode. Lesannes 1970-1990 ont vu la publication en russe des romans dOu. Sembne, F. Bebey,W. Sassine, M . Beti, L. Camara etc. Par contre, la traduction de la littrature africaine du XXIesicle se limite par les fragments du roman dA. Kourouma Allah nest pas oblig.

    Le but primordial danalyse comparative des textes franais et russe est dexaminer lesparticularits de la traduction des units lexicales dsignant les rfrences culturelles africaineset lexpression de la spcificit culturelle locale. La tche qui se dresse devant le traducteursavre extrmement difficile car la culture source et la culture cible ont une origine tout faitdiffrente. Elle est encore plus complique cause de la connaissance restreinte de lAfriquenoire, sa culture, ses murs, sa nature etc. observe chez la plupart des lecteurs russes.

    La recherche se base sur les uvres suivantes des crivains africains francophones traduits enrusse : Le coiffeur de Kouta de M. Diabat, La nouvelle romance dH. Lopes, Pays, monbeau peuple !, Les bouts d# bois de Dieu dOu. Sembne et Allah nest pas oblig dA.

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  • Kourouma.

    Le coiffeur de Kouta de M. Diabat (DIABAT, 1980), traduit en russe par I. Volvitch en1989, fait partie dune trilogie consacre aux habitants dun village fictionnel appel Kouta. Lanouvelle senracine profondment dans la tradition orale, notamment la culture comiquepopulaire. Comme la trilogie entire, elle ressemble une pice de thtre il nest pointfortuit que la narration soit prcde par la liste de personnages, et le sujet qui gravite autour dela discorde entre deux coiffeurs, entranant la scission du village en deux camps adverses,rappelle un acte de thtre. Luvre contient aussi des lments satiriques et fustige les conflitssociaux de lpoque coloniale, labsurdit des actions des nouvelles autorits aprslindpendance et la mise en relief grotesque de laspect magico-religieux de la viequotidienne.

    Avant de procder lanalyse, il faut signaler la haute qualit de la traduction des points de vuelexical et pragmatique. Lun des composants importants de ce dernier est constitu par desnotes explicatives. Le texte original contient 16 notes en bas de page tandis quen russe leurnombre slve 39 dont 15 ne portent pas sur les ralits africaines et expliquent des notionstelles que le 14 juillet, la belote, le ramadan, le wahhabite, le hadji. On y trouve aussi lesexplications du profil biblique (le jour des vaches maigres), topographique (Montpellier, This)et biographique (Joseph Galieni). Linsertion de ces notes sexplique par la moindrecomptence culturelle non seulement en ce qui concerne lAfrique mais aussi la France et lemonde arabo-musulman chez le lecteur sovitique. Il est noter qu lpoque actuelle de lamondialisation, le niveau de cette comptence serait plus haut et quelques notes auraientperdue leur rlvance (le ramadan, le wahhabite). Si lcrivain compte videmment sur le faitque le lecteur francophone connat des termes tels que mandingue (peuple africain), balafon(xylophone africain) ou fonio (mil africain), le traducteur russe ne lespre pas, ce qui expliqueun nombre beaucoup plus lev des notes explicatives.

    La plupart des notes donnes dans le texte russe tant claires et la porte de tout le monde,certaines dentre elles se trouvent insuffisantes pour saisir toutes les nuances significativesdun terme. Par exemple, la page 236 du texte traduit contient lexplication suivante concernantle lexme cola : Les noix de cola qui contiennent de la cafine et de la thobromine sontconsommes par les africains par mastication pour leurs proprits stimulantes et lgrementstupfiantes1 . Il ny a aucune mention que les noix de cola constituent aussi un don trsapprci qui symbolise le respect, la bienvenue, l'amiti. Cest pourquoi larrire-plan culturelde la scne o le marabout donne lordre de distribuer cent noix de cola pour mriter lesbndictions (DIABAT, 1980, 34 ; DIABAT, 1989, 232) reste mconnu pour le lecteur.

    7 des 16 notes explicatives qui appartiennent lauteur et concernent principalement lesemprunts aux langues africaines ont t exclues de la traduction. Le traducteur les a remplacespar leurs quivalents russes sans faire recours aux emprunts :

    - qui date de Fitiriba (note: expression mandingue pour dire que lvnement nest pasdat ) (DIABAT, 1980, 108) traduction : fait depuis les temps immmoriaux (DIABAT, 1989, 305) ;

    - ceeh rehm (note: seulement le riz (DIABAT, 1980, 113)) traduction : du riz, rien quedu riz (DIABAT, 1989, 309) ;

    - toute sa vigueur est descendue dans les jambes. Ndeissane ! (note: exprimelattendrissement et ladmiration (DIABAT, 1980, 144) traduction : oh, comment ilfonce, mes potes ! (DIABAT, 1989, 330) ;

    - aucune bouche humaine ne saurait abadan ! (note: jamais ) en dire toute la volupt,

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  • tout le charme (DIABAT, 1980, 157) traduction : aucune bouche humaine ne sauraitjamais vous entendez ? jamais en dire toute la volupt, tout le charme (DIABAT, 1989,339).

    Parfois, le traducteur vite lutilisation demprunts en intgrant lexplication dans le corps dutexte. Ainsi, le plat traditionnel snegalais tieb dien devient tout simplement du riz avec dupoisson (DIABAT, 1989, 310). La bire de mil locale tyapalo est remplace parlhyperonyme bire (DIABAT, 1989, 317). Le thtre traditionnel mandingue kotba esttraduit comme thtre forain .

    Certaines units lexicales ont chang de connotation dans la traduction. Ainsi, lexpression grand boubou initialement tait dote dune connotation mliorative en Afrique, un grandboubou richement brod tmoigne de la richesse et dun haut statut social. Dans le texte russe,elle se neutralise la phrase je porte un grand boubou conjugue par les lves africainspour pratiquer le verbe porter se transforme en je porte mon boubou . Par consquent, lesurnom Komp porte grand boubou perd son caractre mlioratif (DIABAT, 1989, 248).

    Le lexme charlatan est traduit littralement: Gurisseurs, charlatans et marchandsparlrent alors denvotement (DIABAT, 1980, 20 ; DIABAT, 1989, 243). Porteur duneconnotation nettement pjorative en russe et en franais de France, en Afrique sub-Saharienne charlatan veut dire personne capable de dompter les esprits, denvoter ou de desenvoterles hommes ; devin, gurisseur, sorcier (INVENTAIRE, 1988, 74) et est entour duneaurole positive cause de la vnration des gurisseurs et sorciers par les africains. Dans cecas-l, le texte traduit voit non seulement la neutralisation de la connotation dun lexme, maislacquisition dune connotation oppose.

    Quelques comparaisons images propres limaginaire africaine ont t aussi effaces dans latraduction. Ainsi, la comparaison un margouillat ( se balancer de haut en bas comme la ttede margouillat (DIABAT, 1980, 19)) a t remplace par la tte oscillante dun chevalierqui sest endormi dans la selle (DIABAT, 1989, 243). La comparaison casser comme unevieille termitire (DIABAT, 1980, 92) a t traduite comme rduire en poudre (DIABAT, 1989, 299).

    Le traducteur a eu recours la priphrase pour dsigner certains ralia africains qui ont tdpourvus de leur sens terminologique au profit des mots connus par le lecteur russe. Lestermes socit dge 2 et cousin plaisanterie 3 en sont des exemples. Le premier a ttransform en personnes du mme ge (DIABAT, 1989, 248), et le dernier en parentpar alliance (DIABAT, 1989, 305). Cette dmarche se prsente comme tout faitraisonnable, car labondance des notes ou la traduction descriptive trop dtaille rompraientlharmonie de la narration ralise sous forme dune nouvelle humoristique.

    A contrario, les noms de quelques objets ou phnomnes ont t soumis au procddtoffement dans la traduction. Par exemple, calcdrat devient larbre calcdrat , carle nom per se ne dit presque rien au lecteur qui ne connat pas la faune africaine.

    Il est indispensable de noter que de telles divergences sont invitables au cours de la traductiondun texte lorsque celui-ci est imprgn de la spcificit culturelle trs loigne de celle de lalangue cible. Pourtant, elles sont largement compenses par la slection mticuleuse des unitslexicales qui servent souligner le lien entre le narratif fictionnel et la tradition orale. Celajustifie labaissement de registre dans la traduction : ainsi, boire est traduit comme cluser , manger comme bouffer , les yeux comme mirettes . A linverse, latraduction des chansons qui deviennent rimes contrairement au texte original se fait avec des

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  • lexmes appartenant au registre plus soutenu. Cette coloration contribue crer uneatmosphre dun chant pique (DIABAT, 1980, 33 ; DIABAT, 1989, 251).

    La nouvelle romance dH. Lopes (LOPES, 1976), traduit en russe par E. Factor en 1985soulve toute une gamme de sujets polmiques : la position de la femme dans la socitafricaine, la transition des modes de vie traditionnelle la modernit, le tribalisme et lacorruption, lurbanisation qui entrane la libert morale chez ceux qui ne sont pas prts laborder, ceux qui toute leur vie taient guids par les traditions ancestrales qui excluent toutealternative. Le problme linguistique, toujours au cur des romans dH. Lopes, n'est pasloigne de ces sujets. Cest cette problmatique qui se trouve assourdie sinon efface dans latraduction. Le texte original permet dtablir une corrlation apparente entre le niveau dematrise de la langue franaise et le statut social de lindividu. La note de lauteur en est uneillustration parfaite : en lisant une lettre de la protagoniste qui a reu lducation en France, sonamie a du mal comprendre le mot exalter . La scne est accompagne du commentairesuivant: Elise sarrta. Elle ne comprenait pas ce mot. Il faudrait bien quelle sachte undictionnaire. Depuis le temps quelle en parlait... Mais quel besoin avait cette Wali-ldemployer des mots aussi savants ? (LOPES, 1976, 192).

    Ce commentaire laisse comprendre quen dmontrant la matrise parfaite de la normelinguistique franaise, Wali met en relief son insu le prcipice qui souvre entre les deuxamies cause du niveau de lducation et du milieu qui les entoure. En mettant dans la bouchedElise la construction syntaxique nourrie par le substrat autochtone ( cette Wali-l ),lauteur insinue que son statut social plus bas nimplique pas la connaissance du modlenormatif franais. Pourtant, lomission de cette note explicative dans la traduction empche lelecteur de percevoir tout lventail des sujets abords par lcrivain dans son roman. Il ne restenon plus aucune trace des cas de code-switching et code-mixing dans la traduction (voir, parexemple, pages 83 et 97 du texte original et pages 105 et 121 de la traduction, respectivement).

    Le discours pittoresque des personnages et labondance des africanismes tous les niveauxlangagiers sont des traits typiques de toute luvre de lcrivain. La Nouvelle Romance nestpas une exception la narration se caractrise par, inter alia, la frquence de l , mme et quoi employs dans les modles syntaxiques afro-franais ainsi que des interjectionsempruntes aux langues africaines. En ce qui concerne la traduction russe, cette spcificitafricaine est largement efface : par exemple, linterjection Oye (LOPES, 1976, 10-11), dontles congolais se servent pour exprimer toute une gamme d'motions, se transforme en vive ou gloire (LOPES, 1985, 20-21) propres plutt au discours littraire. Si cette lvation duregistre tait justifie dans la traduction du Coiffeur de Kouta, ici elle ne le parat pas. Leregistre de la phrase Vous aussi avec votre franais l (LOPES, 1976, 66) devient aussiplus lev dans la traduction: Tu te mles toujours avec ton franais (LOPES, 1985, 84).

    Certaines rfrences culturelles africaines ont t perdues dans la traduction, ce qui, dun ct,appauvrit le texte, mais, dautre ct, est invitable car la traduction mot mot paratrait un peuvague pour le lecteur tandis que la description dtaille pourrait rompre lquilibre du narratifromanesque. Par exemple, la comparaison tu es aussi chic quun camlon devient tu eshabill comme un gros bonnet (LOPES, 1985, 33). Les phnomnes suivants propres la vieafricaine nont pas t inclus dans la traduction :

    -la chanteuse sud-africaine Myriam Makeba : Et le pagne Myriam Makeba que je viens de tefaire? (LOPES, 1976, 77) traduction : Et le pagne que je tai fait, a ne va pas ? (LOPES, 1985, 98);

    -Mamadou et Bineta, le manuel scolaire jadis trs populaire en Afrique noire : Elle se dit, eneffet, quelle tait comme ce jeune ignorant du Mamadou et Bineta du temps de lcole

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  • primaire... (LOPES, 1976, 118) traduction : Elle sest rappele une image difiante dunmanuel de lcole primaire (LOPES, 1985, 143);

    -gombo (sorte dhibiscus comestible) : Elle [] courut au march pour des ignames, desgombos, du poisson, du manioc... (LOPES, 1976, 187) traduction : Elle [...] courut aumarch pour remplir son panier des ignames, du poisson, du manioc... (LOPES, 1985, 232).

    La traduction du titre du livre suscite, elle aussi, une polmique. Comme il est not dans lepostface, le mot romance nest pas employ dans le sens habituel (LOPES, 1985, 253-254).En russe, ce mot veut dire, tout dabord, une chanson aux paroles lyriques. Sa signification roman damour nest connue que par des critiques littraires. Cest pour cette raison que latraduction littrale du titre ne parat pas compltement justifi.

    En ce qui concerne les notes, il ny en a pas dans le texte original, et la traduction en compte11, dont 6 portent sur les ralia africaines (calebasse, pagne, lingala, franc CFA).

    En gnral, sans amoindrir les efforts du traducteur et des rdacteurs, on peut conclure que lelecteur russe se trouve priv de la possibilit de se familiariser avec certains aspects de la viequotidienne en Afrique quon aurait pu prserver dans le texte ainsi quavec certaines idesvoques par lauteur.

    Lun des crivains africains les plus connus en URSS pendant les annes 1960-1970 estSembne Ousmane. Cela est d la thmatique qui traverse toute son uvre (la potisation dutravail, la lutte des classes, loptimisme historique) et son attachement au ralisme inspir parles romans dE. Zola et M . Gorky.

    Les livres dOu. Sembne traduits en russe comprennent Les bouts de bois de dieu (Lesroseaux de dieu) et pays, mon beau peuple! (Le fils du Sngal). Il est noter que chacun desdeux romans a encore une variante alternative de la traduction. Lesbouts de bois de dieu esttraduit littralement par les critiques russes, tandis que le roman a paru en russe sous le titreLes roseaux de dieu. Selon lexplication de lauteur, une superstition veut que l'on comptedes bouts de bois la place des tres vivants pour ne pas abrger le cours de leur vie (SEMBNE, 1960, 72). Cette explication suggre quil serait raisonnable de se pencher enfaveur de la traduction non-officielle . Quant la traduction littrale du titre du deuximeroman pays, mon beau peuple!, elle constitue une phrase prononce par le hros principalOumar Faye, un leader charismatique, cultivateur lesprit progressiste et novateur, enadmirant sa terre natale. Dpourvue de son contexte, cette phrase dit vraiment peu au lecteur demasse qui sadresse videmment ce livre dont le tirage slve 90 000 exemplaires. Comptetenu du caractre du protagoniste, un sngalais audacieux et nergique, un vrai fils de sonpeuple pour lequel il est prt sacrifier sa vie, la traduction originale se prsente commecompltement justifie.

    Les bouts de bois de dieu (SEMBNE, 1960), traduit par L. Galinskaa et O. Graevskaa en1962, appel Germinal africain par J. Chevrier (CHEVRIER, 2006), dcrit les vnementsde la grve des cheminots. Le conflit senracine dans les revendications ouvrires pour assurerle paiement des allocations aux familles polygames. Le roman contient plusieurs descriptionsralistes des vnements tragiques. Les images des personnages sont peintes dune maniremonumentale et symbolique. Cest pourquoi lomission des quelques fragments du texteoriginal dans la traduction non seulement prive les personnages de certains traits prvus parlcrivain, mais produit une distorsion du sens de la narration. Il faut dire que tous les romansanalyss au cours de cette recherche ont subi des coupures pour des raisons diffrentes, maisces modifications nont pas apport des changements radicaux la conception de lauteur.Cependant, ce nest pas le cas de luvre en question. Tout dabord, limage du protagoniste

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  • Ibrahima Bakayoko savre trop idalis. Par exemple, on a enlev toutes les mentions de sesinfidlits, ou bien le fragment o ses souvenirs de la jeune fille prie au combat se mlent auxpenses quotidiennes qui semblent au premier regard dplacs :

    Bakayoko, tendu sous son arbre, se sentit seul. Limage de Penda lui apparut. Il aurait puprendre Penda comme deuxime pouse. Il se demandait quelle tait exactement la naturedes liens qui lavaient uni cette femme. Peut-tre avait-elle tait, comme lui, unevoyageuse qui allait de gare en gare ? [...] Si je ne fume pas, je vais crever ! dit-il encore(SEMBNE, 1960, 351352).

    Cela veut dire que lauteur navait pas lintention de canoniser son hros et de le priver detoutes ses faiblesses humaines. Sans doute, ce fait sexplique par la censure sovitiquerigoureuse qui cherchait montrer une image idale dun rvolutionnaire il nest pas fortuitque Bakayoko soit compar Pavel Vlassov de La Mre de M. Gorky. Cest apparemmentpour la mme raison que Ramatoulaye, une femme analphabte, qui ne parle que le petit ngre,acquiert une parfaite matrise de la norme littraire dans la traduction de son dialogue avec lesfonctionnaires de ladministration coloniale :

    Mant, pas mant ? moi connatre pas [...] Vendredi pas pti... lui manzer riz, moicouper cou ! Enfants beaucoup faim, Vendredi manzer riz enfants. Moi venir avec toi,Vendredi pas venir, Vendredi pour manzer (SEMBNE, 1960, 121). Mchant ou pas mchant ! Nimporte [] Personne na gard Vendredi... Il a mang le riz,je lui ai coup la gorge ! Les enfants ont trs faim, Vendredi a bouff leur riz. Jirai avec toi,mais pas Vendredi, on va le manger (SEMBNE, 1962, 81).

    Pourtant, lattnuation de limage dAdjibidji, une fillette de neuf ans, intelligente,dbrouillarde, avide de savoir, et en mme temps au caractre dur et ambitieux, qui symbolisele futur de lAfrique dans le roman, va lencontre des ides de lauteur. Au dbut du roman,la fille demande aux adultes ce qui lave leau (SEMBNE, 1960, 170). Ils ne trouvent pasde rponse et se fchent contre elle. Pourtant, la fin du roman elle trouve la rponseelle-mme: jai trouv ce qui lave leau. Cest lesprit, car leau est claire, mais lesprit estplus limpide encore (SEMBNE, 1960, 369). Pourtant, cet extrait est omis dans la traduction.

    La traduction ne contient non plus la mention d une sorte de plaisir sadique (SEMBNE,1960, 154), avec laquelle lenfant coute du commencement la fin le procs contre un vieuxcheminot qui ose travailler pendant la grve. Le fait qu Adjibidji ne pleuraitjamaisd'habitude (SEMBNE, 1960, 171) reste aussi inconnu par le lecteur russe. Toutefois,la phrase mtaphorique dcrivant lAfrique qui est si gnr#use quelle narrte pas dedonner et si gourmande quelle narrte pas de dvorer (SEMBNE, 1960, 264265) a tconserve dans la traduction. Dans le texte original, elle correspond lincarnation du futur ducontinent noir perspicace, capable de distinguer entre les siens et les autres , gnreux l'endroit des amis, mais impitoyable envers les adversaires. Alors, cette citation tablit unecorrlation entre limage de la fille et le futur de lAfrique. Pourtant, limage bnigne de lafillette, dont les questions ne dpassent pas labcdaire cre dans la traduction, dforme laconception initiale.

    Finalement, la transformation la plus pernicieuse de lide initiale de lauteur apparat ladernire page du roman o on dcrit la scne de lassassinat de la femme blanche qui mprisaitles africains. Le dialogue suivant se droule entre les tmoins:

    Quest-ce qui se passe ? demanda une voix de femme. Cest un toubab ou une toubabesse qui a t tu, dit Aby la rieuse. La pauvre ! dit une voix (SEMBNE, 1960, 380).

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  • Quest-ce qui se passe ? demanda une voix de femme. On a tu quelquun, dit Aby. Oh mon Dieu ! (SEMBNE, 1962, 238).

    Le discours des femmes dans le texte original est imprgn de la compassion l'gard de cellequi les hassait. En terminant ainsi son roman, lauteur nous montre lun des traits de lamentalit africaine traditionnelle la capacit dprouver de bons sentiments envers celui quita fait du mal. Dans la traduction, on ne voit quune foule inerte, mise en dsarroi par le seulfait dassassinat, sans savoir mme de qui il sagit.

    La version originale du roman contient 78 notes places en bas de pages et intgres dans letexte, tandis que la traduction en compte 54. 34 des 78 notes originales concident avec cellescontenues dans le texte russe. Plusieurs delles sont devenues plus dtailles pour fournir plusdexplications au lecteur russe. Pourtant, mme dans le cas de la concidence complte, toutesles notes, lexception dune (SEMBNE, 1962, 272, 172), sont marques comme notes dutraducteur .

    La traduction de lautre roman dOu. Sembne pays, mon beau peuple! (SEMBNE, 1957),traduit par I.S. Volk en 1958, laisse une impression totalement diffrente. Cette traductionserait la plus prcise des celles que nous avons examines du point de vue de lexpression deslments de la culture africaine. Tous les emprunts aux langues africaines sont reprsents dansla graphie russe. Quelques uns ont subi ladaptation aux exigences des paramtres phontiquesrusses. Contrairement aux autres uvres, le traducteur a gard les phrases en langues africainesen les translittrant. Le traducteur a eu recours aux moyens phontico-graphiques pourconserver le discours des personnages en petit ngre. La traduction des comparaisons images,qui est en mme temps littrale et idiomatique, mrite aussi d'tre mentionne.

    Le texte russe contient les commentaires dtaills constitus par la traduction des notes faitespar lauteur (marques respectivement comme notes de lauteur ) ainsi que les notes dutraducteur et des rdacteurs. Le seul commentaire qui manque de prcision notre avis estconsacr au terme griot :

    Les griots taient des bouffons auprs des cours des rois africains. Ils taient descomdiens qui se produisaient pendant les ftes et aux foires. Il ny a pas longtemps,appeler quelquun griot tait considr comme une insulte. Pourtant, pendant la derniredcennie, le caractre des performances des griots a subi des changements sensibles :maintenant ils parlent des vnements historiques et chantent la gloire des hros africains(SEMBNE, 1958, 19).

    Ce commentaire amoindrit considrablement le rle des griots, surtout dans le pass. Alpoque des empires africains, chaque roi traditionnel avait son propre griot qui tait gardiendes traditions ancestrales et chantait ses exploits. Les griots sont des troubadours africains qui transmettent les chroniques historiques, la gnalogie et les lgendes de gnration engnration et maintiennent ainsi la mmoire collective.

    Le nombre total des notes dans le texte original slve 32, y compris celles qui sontintgres dans le texte. Dans la traduction russe, elles sont 57 dont 27 concident avec laversion franaise.

    Comme on a dj mentionn, le roman dAhmadou Kourouma Allah n'est pas oblig(KOUROUMA, 2000), traduit par N. Koulich en 2002, est la seule uvre africaine de languefranaise crite au XXIe sicle dont les fragments ont t traduits en russe. Le roman sedistingue par son syncrtisme on y trouve des lments de la littrature picaresque et de lalittrature de tmoignage, cette dernire tant extrmement populaire auprs des crivains

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  • contemporains ressortissants dAfrique noire. Le roman dcrit les pripties de la vie deBirahima, lenfant sans peur ni reproche (KOUROUMA, 2000, 13). Par les vicissitudes dudestin, cet orphelin devient enfant-soldat en Librie. Birahima ne peut pas se vanter dun hautniveau dducation selon lui-mme, il a coup cours lmentaire deux . Cest pourquoi,pour dcrire ses prgrinations, il se sert de quatre dictionnaires (Larousse, Le Petit Rob#rt,Harraps et LInventaire des particularits lexicales du franais en Afrique noire), chacunaccomplissant sa mission : laide de Larousse et Le Petit Rob#rt, Birahima donne lesdfinitions des mots franais, cest-a-dire les mots savants franais de franais toubab coloncolonialiste et raciste (KOUROUMA, 2000, 12). Il tire les explications des africanismes delInventaire des particularits lexicales du franais en Afrique noire pour que les franaiscomprennent son rcit. Ces explications constituent des digressions lyriques contenant lesdonnes prcieuses sur la civilisation africaine. Elles sont intgres dans la narration il ny aaucune note en bas de page ou la fin du livre.

    Selon lauteur lui-mme, il a pens ce livre en malinke et la crit en franais en cassant lefranais pour trouver et resituer le rythme africain (GAUVIN, 2004, 318). A. Kourouma taitle premier utiliser cette approche linguistique novatrice dans la littrature africainedexpression franaise, ce qui fait la tche du traducteur particulirement dlicate. Auparavant,les crivains africains nintroduisaient que quelques mots ou phrases pour exprimer laspcificit culturelle locale ou souligner lorigine populaire dun personnage. Comme on amontr plus tt, dans la majorit de ces cas-l, les traducteurs utilisaient soit la priphrase, soitlintgration des notes explicatives. Pourtant, ici nous sommes face au roman dont chacune des237 pages est bariole dafricanismes tous les niveaux langagiers. Lobjectif du traducteur estde maintenir le style narratif de lauteur en le mettant en mme temps la porte du lecteurrusse. Les difficults surgissent ds la premire phrase du roman :

    Mappelle Birahima. Suis p'tit ngre. Pasparce que suis black et gosse. Non ! Mais suis p'titngre parce que je parle mal le franais. C' comme a. Mme si on est grand, mmevieux, mme arabe, chinois, blanc, russe, mme amricain ; si on parle mal le franais, ondit on parle p'tit ngre, on est p'tit ngre quand mme. a, c'est la loi du franais de tous lesjours qui veut a.... Et deux... Mon cole n'est pas arrive trs loin, j'ai coup cours lmentaire deux. J'aiquitt le banc parce que tout le monde a dit que l'cole ne vaut plus rien... (KOUROUMA,2000, 9).

    Cet extrait contient le compendium des particularits lexico-smantiques et syntaxiques dufranais africain. Les quatre premires phrases manquent du sujet, la cinquime phrase illustreles traits phontiques du franais local (le son ouvert est remplac par ferm). Plus loin, onobserve un calque dune langue africaine (couper l'cole) et un archasme (quitter le banc)actualis dans le discours cause de la ralit de la vie africaine (les lves lcole sont assissur les bancs). Mais le dfi le plus grand rside dans la traduction du jeu des mots (suis p'titngre parce que je parle mal le franais).

    Le traducteur a essay de garder les particularits syntaxiques laide de linversion. Lesdivergences phontiques et le calque nont pas trouv de place dans le texte russe. Quant au jeudes mots autour du terme p#tit ngre dans la version traduite, le petit ngre cesse dtre unterme linguistique et devient une personne un petit africain qui parle mal le franais et dontlimage devient leffigie de tous ceux qui baragouinent les mots franais. Cette dmarche dutraducteur, parat-il, serait la plus convenable sous les circonstances, mais reste un peu flouepour le lecteur russe. Dans ce cas, il serait opportun de donner des commentaires la fin dulivre. Cela permettrait un lecteur curieux de comprendre mieux lide de lauteur sans romprelquilibre de la narration.

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  • Il en va de mme pour le fragment suivant qui est traduit en russe mot mot: Un enfant policoute, ne garde pas la palabre... Il ne cause pas comme un oiseau gendarme dans les branchesde figuier (KOUROUMA, 2000, 11). Loiseau gendarme est un reprsentant commun de lafaune africaine. Il suffit de se rappeler la fameuse phrase de G. Manessy qui dit que beaucoupd'tudiants africains sont surpris d'apprendre leur arrive en France que canari dsigneautre chose qu'un pot, qu'un gendarme n'est pas un petit oiseau (MANESSY, 1978, 94).Pourtant, pour un lecteur russe, le nom de cet oiseau est tellement inhabituel quil le prend pourune allgorie au sens vague. On peut liminer cette controverse en accompagnant le texte dunenote.

    Un autre fragment suscitant un vif intrt du point de vue de la traduction est prsent continuation :

    J'tais un enfant de la rue. Avant d'tre un enfant de la rue, j'tais l'cole. Avant a, j'taisun bilakoro au village de Togobala. (Bilakoro signifie, d'aprs l'Inventaire des particularitslexicales, garon non circoncis.) Je courais dans les rigoles, j'allais aux champs, je chassaisles souris et les oiseaux dans la brousse. Un vrai enfant ngre noir africain broussard.Avant tout a, j'tais un gosse dans la case avec maman. Le gosse, il courait entre la casede maman et la case de grand-mre (KOUROUMA, 2000, 13).

    Dans la traduction, lemprunt au manden bilakoro est translittr et broussard (un motdriv de la brousse, la savanne ouest-africaine) est priphras comme lenfant de la jungle ,ce qui nous parat un bon choix. Ce qui mrite une attention particulire, cest la dernirephrase de cet alina. Le narrateur parle de son pass la troisime personne. Celasexpliquerait videmment par le fait que le passage une classe dge suivante en Afriquesubsaharienne se ralise par la mort rituelle. Lhomme cesse dexister en quelque sorte pourrenatre la nouvelle vie, parfois avec un nouveau nom. Voil pourquoi, pour Birahima, legosse quil tait auparavant nest pas tout simplement une tape passe de sa vie, mais unepersonne trangre qui nexiste plus. Toutefois, le passage brusque la troisime personnedans la traduction laisse le lecteur perplexe. Cest pourquoi ici il serait convenable de garder lercit la premire personne ou ajouter une explication.

    Les rfrences culturelles africaines abondent dans le texte tel point qu'elles peuvent fatiguerle lecteur qui nest pas prt les aborder de plain-pied. Leur substitution par des quivalentsrusses nest donc pas exclue condition que cela ne distorde pas la conception de lauteur. Parexemple, le nom de larbre karit est remplac par larbre gnreux Il faut toujoursremercier l'arbre karit (traduction : larbre gnreux ) sous lequel on a ramass beaucoupde bons fruits pendant la bonne saison (KOUROUMA, 2000, 17).

    Ainsi, on voit donc que tous les romans, lexception du dernier, ont t en quelque sorteabrgs non seulement cause de la censure, mais aussi pour ne pas alourdir la traduction pardes explications excessives.

    Il faut aussi mentionner les divergences du genre des substantifs qui surgissent au cours de latraduction, par exemple, manioc et boubou sont employs au masculin et au fminin. Il y aaussi les divergences dans lorthographe. Le choix entre le terme plus prcis mais peu connu etson quivalent caractre descriptif dpend aussi de la frquence de lunit lexicale dans lalangue source et la langue cible. Par exemple, en ce qui concerne le mot brousse , certainstraducteurs se penchent vers lemprunt tandis que dautres prfrent fort .

    Pour conclure, il convient de souligner que, comme l'explique G. Steiner, les crivainscontemporains sont pousss d'une langue vers une autre (STEINER, 2002, 25). Leurextraterritorialit cre des points de rencontre entre les cultures dorigine diamtralement

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  • oppose et, par consquence, des lexmes qui les verbalisent. Il sagit de la mtatranslation de la reprsentation de la vise africaine, la traduction intriorise de la smantique dont lesafricains dotent les lexmes franais. Ainsi la traduction des uvres des auteurs africainscrites en langue franaise vers une autre langue qui exprime une vision du monde absolumentdiffrente, telle que le russe, constitue un vrai dfi pour le traducteur. La tche de ce dernierconsiste faire connatre aux lecteurs la culture africaine sans les dcourager en sadonnantaux priphrases explicatives, mais en conservant la lgret et la clart propres aux textes enlangue source.

    Notes1 - Ci-aprs, nous donnons notre traduction littrale du russe vers le franais.2 - L'ensemble des individus d'une population dtermine dont l'ge est compris entre des limitesdonnes, le groupe d'ge informel ne se confond pas avec la classe d'ge proprement dite. Celle-ci porteun nom, possde certains biens (blasons, rituels, chants), se dsigne un chef, qui est charg d'appliquer lesdcisions prises en commun.3 - Un cousinage patronymique ou symbolique entre personnes dethnies ou de classes socialesdiffrentes qui autorise lusage de lhumour entre cousins . Il permet aux cousins plaisanteries dese lancer des boutades et de se dire des vrits parfois amres. Bien plus quun divertissement, il sert defacteur de paix entre familles et entre populations selon des rgles et des rituels prcis.

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