la sous-traitance d’activitÉs militaires par l’État ...€¦ · travailler pour la justice...

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ANNE-MARIE BURNS LA SOUS-TRAITANCE D’ACTIVITÉS MILITAIRES PAR L’ÉTAT AU SECTEUR PRIVÉ : UNE ENTORSE AUX RÈGLES DU DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE? Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en droit pour l’obtention du grade de Maître en droit (L.L.M.) FACULTÉ DE DROIT UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC 2011 © Anne-Marie Burns, 2011

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Page 1: LA SOUS-TRAITANCE D’ACTIVITÉS MILITAIRES PAR L’ÉTAT ...€¦ · travailler pour la justice pénale internationale est devenu réalité. Ce travail de recherche a bénéficié

ANNE-MARIE BURNS

LA SOUS-TRAITANCE D’ACTIVITÉS MILITAIRES PAR L’ÉTAT AU SECTEUR PRIVÉ : UNE ENTORSE AUX

RÈGLES DU DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE?

Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval

dans le cadre du programme de maîtrise en droit pour l’obtention du grade de Maître en droit (L.L.M.)

FACULTÉ DE DROIT UNIVERSITÉ LAVAL

QUÉBEC

2011 © Anne-Marie Burns, 2011

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i

Résumé

Depuis la fin des années 1990, les États confient à des entreprises privées des

activités militaires autrefois exercées par l’armée, amenant ces dernières à

intervenir dans des conflits armés. Les règles du droit international humanitaire

régissant les conflits armés internationaux n’ayant pas été conçues pour ce type

d’intervenants, leur application n’est pas sans poser certains problèmes,

notamment lorsqu’il s’agit de déterminer quel est le statut des employés

d’entreprises militaires privées au regard des Conventions de Genève. Eu égard à

la confusion que l’implication d’acteurs au statut incertain ou difficilement

déterminable engendre sur l’application du droit international humanitaire, ce

travail de recherche vise à déterminer si les États respectent l’ensemble de leurs

obligations lorsqu’ils sous-traitent des activités militaires à des entreprises privées.

En d’autres termes, il s’agit de déterminer si le respect du principe de distinction

entre combattants et personnes civiles ne poserait pas certaines limites à une telle

pratique.

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ii

Abstract

Since the 1990’s, States outsource military activities once performed by their army

to private companies, leading the latter to intervene in armed conflicts. The rules of

Humanitarian Law applicable in international armed conflicts were not conceived

for these non-state actors, making them difficult to apply in this context, notably

when it comes to determining the status of the employees of private military

companies under the Geneva Conventions. Considering that the involvement of

these actors whose status is uncertain or hard to determine causes confusion on

the application of Humanitarian Law, this research project aims at determining

whether States fulfil all their obligations when they outsource military activities to

private companies. In other words, it inquires whether the obligation to respect the

principle of distinction between combatants and civilians entails limitation to this

practice.

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iii

Merci à Olivier Delas, qui m’a guidée et

encadrée dans la réalisation de ce projet.

Merci à Pierre Rainville pour son support et

ses encouragements, ainsi qu’à Marjolaine

Caron pour sa constante collaboration.

Merci aussi à André, Jérémy, Jacqueline et

Robert pour leur soutien inébranlable et leur

patience de tous les jours.

« Travailler c’est œuvrer à réaliser une

parcelle du rêve qui vous fût attribué quand

naquit ce rêve, le plus ancien de la terre. »

Khalil Gibran, Le prophète

Grâce à ces études de maîtrise, mon rêve de

travailler pour la justice pénale internationale

est devenu réalité.

Ce travail de recherche a bénéficié du

soutien financier du Conseil de recherches

en sciences humaines du Canada (CRSH) et

du Fonds québécois de la recherche sur la

société et la culture (FQRSC).

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iv

Table des matières

LISTE DES ABRÉVIATIONS ...................................................................................................... vii

LISTE DES IMAGES ........................................................................................................................ x

INTRODUCTION ............................................................................................................................. 1

Partie 1 : La confusion entourant le régime juridique applicable aux employés d’entreprises militaires privées en droit international humanitaire ................................... 15

Chapitre I. L’entente entre les Hautes Parties contractantes aux Conventions : le principe de distinction entre combattants et personnes civiles .................................................................................... 15

1. La nécessité de distinguer les combattants des civils .......................................................................... 15

2. Les statuts de combattants et de personnes civiles et les privilèges y associés ....................... 18

2.1 Les combattants ............................................................................................................................................... 18

2.2 Les personnes civiles ..................................................................................................................................... 22

Chapitre II. La difficulté à considérer les employés d’entreprises militaires privées comme des combattants privilégiés ........................................................................................................................................... 25

1. Le statut de combattant de jure : l’intégration aux forces armées régulières d’une Partie au conflit ............................................................................................................................................................................. 26

1.1 L’hypothèse de l’adhésion individuelle des employés d’entreprises militaires privées aux forces armées d’une Partie au conflit ...................................................................................................... 27

1.2 L’hypothèse de l’incorporation des entreprises militaires privées aux forces armées d’une Partie au conflit ..................................................................................................................................... 29

2. Le statut de combattant de facto : l’appartenance à un groupe armé satisfaisant aux conditions énoncées aux Conventions ............................................................................................................ 31

2.1 Les conditions d’obtention du statut de combattant de facto ...................................................... 31

2.2 La faculté pour les États d’avoir recours à des combattants de facto ....................................... 32

2.2 L’examen du respect des conditions d’obtention du statut de combattant de facto par les employés d’entreprises militaires privées ............................................................................................ 35

2.2.1 Les conditions applicables au groupe ........................................................................................... 35 i) Un mandat pouvant impliquer une participation directe aux hostilités ....................... 35 ii) Agir au nom d’une Partie au conflit ................................................................................................ 37 iii) Être soumis à un commandement responsable mis en force par un régime de discipline .......................................................................................................................................................... 40 iv) Respecter les lois et coutumes de la guerre ............................................................................... 55

2.2.2 Les conditions applicables aux individus .................................................................................... 56 i) Porter un uniforme ou un signe distinctif ................................................................................... 56 ii) Porter ouvertement les armes.......................................................................................................... 60

2.3 Conclusion sur la possibilité d’obtenir le statut de combattant de facto ................................. 62

2.4 La perte du statut de combattant : le cas du mercenaire ................................................................ 63

2.4.1 Les facteurs d’inclusion ................................................................................................................... 65 2.4.2 Les facteurs d’exclusion ................................................................................................................... 67

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Chapitre III. La difficulté à considérer les employés d’entreprises militaires privées comme des civils protégés ..................................................................................................................................................... 69

1. Les personnes civiles .......................................................................................................................................... 69

2. Le cas particulier du civil qui accompagne les forces armées .......................................................... 70

2.1 Les critères d’obtention du statut de civil qui accompagne les forces armées ..................... 71

2.1.1 Dispenser des services aux troupes militaires .......................................................................... 71 2.1.2 L’autorisation d’accompagner les forces armées ..................................................................... 73

Conclusion de la partie 1 : Une distinction fondée essentiellement sur la participation aux hostilités ........................................................................................................................................................................ 75

Partie 2 : L’impact de la sous-traitance d’activités militaires à des entreprises militaires privées sur le respect des Conventions ............................................................................................ 77

Chapitre I. Le civil qui participe aux hostilités .............................................................................................. 83

1. L’ambiguïté entourant la notion de participation directe aux hostilités ..................................... 83

1.1 La difficulté à identifier les activités visées .......................................................................................... 85

1.1.1 Un acte hostile ......................................................................................................................................... 86 1.1.2 Un lien de causalité ................................................................................................................................ 87 1.1.3 Un acte commis au bénéfice d’une Partie au conflit et au détriment d’une autre ..... 90

1.2 L’incertitude quant à la durée de la participation aux hostilités ................................................. 92

1.3 L’absence d’un consensus quant à la perte et au recouvrement de l’immunité ................... 92

1.3.1 La théorie du combattant illégal .................................................................................................. 94 1.3.2 La théorie du civil non protégé .................................................................................................... 94 1.3.3 La théorie du membre des forces armées ............................................................................... 95

2. La difficulté à faire la distinction en pratique .......................................................................................... 98

3. La participation aux hostilités : un critère de distinction inapproprié ...................................... 104

Chapitre II. Le respect du principe de distinction comme condition de la mise en œuvre des Conventions ............................................................................................................................................................... 108

1. L’intention des Parties : la lutte armée par l’intermédiaire des forces armées ..................... 108

2. L’absence de participation de civils aux hostilités comme condition du respect des obligations découlant des Conventions ............................................................................................................. 110

2.1 L’obligation de protéger la population civile .................................................................................... 110

2.1.1 L’obligation de protection envers les employés d’entreprises militaires privées . 111 2.1.2 L’obligation de protection envers la population civile en général ................................ 114

2.2 L’obligation de respecter la population civile ................................................................................... 115

2.3 Le contrôle de l’État sur les forces armées et la mise en œuvre de sa responsabilité .... 117

2.3.1 Les exigences posées par les Conventions ............................................................................... 117 i) Le contrôle .............................................................................................................................................. 118 ii) La responsabilité ................................................................................................................................. 120

2.3.2 Le respect de ces exigences lorsque des entreprises militaires privées sont impliquées .......................................................................................................................................................... 121

i) Le manque de contrôle sur les entreprises militaires privées ........................................ 121 ii) La mise en œuvre de la responsabilité de l’État pour les violations du DIH commises par des entreprises militaires privées ............................................................................................. 128

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3. L’obligation de prévenir les violations du DIH et l’application de bonne foi des Conventions 131

Conclusion de la partie 2 : Les mesures à prendre lors de l’embauche des entreprises militaires privées pour assurer une application de bonne foi des Conventions ........................... 134

1. L’intégration aux forces armées lorsque les activités confiées peuvent conduire à la participation directe aux hostilités ............................................................................................................ 134

2. L’identification des employés d’entreprises militaires privées .................................................... 141

3. Les restrictions quant au port d’armement ........................................................................................... 142

4. La définition des règles d’engagement ..................................................................................................... 143

5. L’information des employés d’entreprises militaires privées quant à leurs droits et obligations ............................................................................................................................................................ 143

CONCLUSION.............................................................................................................................. 145

BIBLIOGRAPHIE ....................................................................................................................... 150

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Abréviations

Adel. L.R. Adelaide Law Review AG Assemblée générale A.F.L. Rev. Air Force Law Review B.C. Int’l & Comp. L. Rev. Boston College International & Comparative Law

Review B.C.L. Rev. British Columbia Law Review Cal. W. Int’l L.J. California Western International Law Journal CICR Comité international de la Croix-Rouge Chic. J. Int’l L. Chicago Journal of International Law CIA Central Intelligence Agency C.I.J. Cour internationale de Justice C.I.J. Rec. Cour internationale de Justice: Recueil des arrêts, avis

consultatifs et ordonnances Cir. Circuit Court of Appeals (federal) C.P. Conseil Privé Colum. J. Transnat’l L. Columbia Journal of Transnational Law Comm. Interam. D.H. Commission interaméricaine des Droits de l’Homme Convention III Convention de Genève relative au traitement des

prisonniers de guerre du 12 août 1949 Convention IV Convention de Genève relative à la protection des

personnes civiles en temps de guerre du 12 août 1949 CRS Congressional Research Service D.C. District of Columbia DIH Droit international humanitaire

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viii

EMP Entreprise militaire privée EMSP Entreprise militaire et de sécurité privée F.3d Federal Reporter, Third Series F.Supp.2d Federal Supplement, Second Series GAO Government Accountability Office Hasting Int’l & Comp. L. Rev. Hasting International and Comparative Law Review HCJ High Court of Justice IPOA International Peace Operations Association Isr. L.R. Israel Law Review Int’l & Comp. L.Q. International and Comparative Law Review J.L. Soc’y Journal of Law and Society J.I.C.J. Journal of International Criminal Justice KBR Kellog, Brown and Root LOGCAP Logistics Civil Augmentation Program Melb. J. Int’l L. Melbourne Journal of International Law Mil. L. R. Military Law Review Non-State Act. & Int’l Law Non-State Actors and International Law OEA Organisation des États américains ONG Organisation non gouvernementale ONU Organisation des Nations Unies OUA Organisation de l’unité africaine PMC Private Military Company PPS Personal Protective Services

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ix

PSC Private Security Company Protocole I Protocole additionnel aux Conventions de Genève du

12 août 1949 relatif à protection des victimes des conflits armés internationaux

Protocole II Protocole additionnel aux Conventions de Genève du

12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux

Pub. Cont. L.J. Public Contract Law Journal Règlement de La Haye Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre

sur terre, Annexe à la Convention (IV) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre du 18 octobre 1907

R.I.C.R. Revue internationale de la Croix-Rouge R.T.N.U. Recueil de traités des Nations Unies Stan J. Int’l L. Stanford Journal of International Law TPIY Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie TPIR Tribunal pénal pour le Rwanda NU Nations Unies UCMJ Uniform Code of Military Justice Yale Hum. Rts & Dev. L.J. Yale Human Rights and Development Law Journal

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x

LISTE DES IMAGES

Image 1 Un employé du secteur privé tel que vu par un irakien…………….. 59

Image 2 Des membres de Blackwater patrouillent le ciel de Bagdad, début 2007……………………………………………………………………….

59

Image 3 Des employés de Blackwater à Bagdad…………………….............. 60

Image 4 Des membres de la société américaine Blackwater échangent des tirs avec des partisans de Moqtada al-Sadr qui s'approchent d'un bâtiment défendu par des soldats américains et espagnols, à Najaf, en 2004……………………………………………………………

60

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INTRODUCTION

Le conflit actuel iraquien a permis de mettre au jour que les conflits armés ne sont

plus l’unique apanage des États mais que des acteurs privés – sous la forme

d’entreprises militaires privées (ci après, « EMP ») – y sont désormais

massivement impliqués. Quoi que les EMP opéraient bien avant l’éclatement de ce

conflit, c’est en Irak qu’elles ont attiré l’attention de la presse sur leurs activités et,

par voie de conséquence, celle du public en général. L’Irak accueille depuis

l’invasion américaine le plus grand marché militaire privé de l’histoire moderne,

lequel fait également office de laboratoire où sont testées les limites de la sous-

traitance d’activités militaires par les États.

Au 31 décembre 2009, plus de 100 035 employés du secteur privé étaient

déployés sur le sol iraquien par le Département de la défense américain, dont

11 095 assuraient des services dits « de sécurité »1. Représentant le deuxième

contingent en importance après l’armée américaine, les employés du secteur privé

se sont vus confier une grande variété de tâches par les forces de la Coalition :

support logistique, entretien et opération de systèmes d’armement, services de

renseignements, interrogatoires de prisonniers de guerre, protection de personnes

et d’installations et, dans certains cas, assistance au combat2. Évidemment, le rôle

majeur qu’ont joué les EMP dans le conflit iraquien n’est pas étranger à l’attention

1 É.-U., Department of Defence, Contractors Support of U.S. Operations in USCENTROM AOR, Iraq, and

Afghanistan, février 2010, aux pp. 1 et 2, en ligne:

<http://www.google.com/search?client=safari&rls=en&q=http://www.acq.osd.mil/log/PS/p_vault/5A_Februa

ry2010.doc&ie=UTF-8&oe=UTF-8> [Contractors Support of U.S. Operations]. Pour des statisques de 2006,

voir É.-U., Government Accountability Office, Rebuilding Iraq: Actions Still Needed to Improve Use of

Private Security Providers, Témoignage devant le Subcommittee on National Security, Emerging Threats,

and International Relations, Committee on Government Reform, 13 juin 2006, GAO-06-865T, à la p. 2, en

ligne : <http://www.gao.gov/new.items/d06865t.pdf>. Selon Scott Horton, professeur à l‟Université

Columbia, 100 000 employés du secteur privé étaient déployés en Irak à l‟automne 2007: Alissa J. Rubin et

Paul Von Zielbauer, « Blackwater Case Highlights Legal Uncertainties »

The New York Times (11 octobre 2007) A1, en ligne :

<http://www.nytimes.com/2007/10/11/world/middleeast/11legal.html> [Rubin et Von Zielbauer].

2 Michael N. Schmitt « Humanitarian Law and Direct Participation in Hostilities by Private Contractors or

Civilian Employees » (2005) 5 Chic. J. Int‟l L. 511 aux pp. 512-514 [Schmitt, « Direct Participation in

Hostilities »].

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2

qui leur a été portée depuis quelques années, mais ce sont surtout les incidents

auxquels elles ont été mêlées qui leur ont valu de faire les manchettes.

En avril 2003, des employés de Blackwater se sont livrés à une intense bataille

contre des insurgés qui avaient pris d’assaut le quartier général de l’Autorité

provisoire de la coalition à Najaf3. En avril 2004, quatre employés américains de

Blackwater ont été brutalement mutilés et exécutés à Falloujah4. Des employés de

la compagnie CACI Internationale ont été impliqués dans le scandale du mauvais

traitement des prisonniers iraquiens à la prison d’Abou Grahib5. Le 30 mai 2007,

quatre employés britanniques de la compagnie montréalaise GardaWorld ont été

enlevés dans les bureaux du ministère de l’Intérieur à Bagdad6.

En septembre 2007, des employés de Blackwater qui protégeaient un convoi de

diplomates à Bagdad ont ouvert le feu sur la population civile, enlevant la vie à

17 civils iraquiens non armés et faisant 24 blessés. Selon l’enquête réalisée par le

FBI, les tirs contre 14 de ces civils étaient injustifiés7. Cette tragédie est à l’origine

de certains changements concrets que plusieurs réclamaient depuis longtemps. À

la suite de ces événements, le gouvernement iraquien a révoqué la licence

permettant à Blackwater d’exercer ses activités en Irak8, la secrétaire d’État

américaine a commandé une étude revoyant la pratique du Département d’État

3 Robert Y. Pelton, Licensed to Kill, New York, Crown Publishers, 2006 aux pp. 149-150 [Pelton].

4 Sami Makki, « Sociétés militaires privées dans le chaos irakien » Le Monde diplomatique (novembre 2004)

22 [Makki].

5 Lindsay Cameron, « Private military companies : their status under international humanitarian law and its

impact on their regulation » (2006) 88 R.I.C.R. 573 à la p. 574 [Cameron].

6 Audrey Gillan et Jilian Borger, « Elaborate operation inside ministry stirs fears of new tactics »

The Guardian (30 mai 2007).

7 James Glanz et Alissa J. Rubin, « From Errand to Fatal Shot to Hail of Fire to 17 Deaths »

The New York Times (3 octobre 2007), en ligne: <http://www.nytimes.com/2007/10/03/world/middleeast/03fi

refight.html> ; Sabrina Tavernise, « U.S. Contractors banned by Iraq after shooting » The New York Times

(18 septembre 2007), en ligne : <http://www.nytimes.com/2007/09/18/world/middleeast/18iraq.html?fta=y>

[Glanz et Rubin]; David Johnston et John M. Broder, « F.B.I. Says Guards Killed 14 Iraqis Without Cause »

The New York Times (14 novembre 2007), en ligne : <http://www.nytimes.com/2007/11/14/world/middleeast/

14blackwater.html?ex=1352696400&en=4d3e7a7a4fbc5721&ei=5088&partner=rssnyt&emc=rss>

[Johnston].

8 Joshua Partlow et Walter Pincus, « Iraq Bans Security Contractors » The Washington Post

(18 septembre 2007) A1.

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3

américain en matière de sécurité en Irak et un amendement à la législation

américaine a été adopté pour soumettre les employés du secteur privé au Uniform

Code of Military Justice (ci-après, le « Code de justice militaire américain »). Cet

incident semble aussi être à l’origine de la demande du gouvernement iraquien à

l’effet que son entente avec le gouvernement américain sur le retrait des troupes

américaines d’Irak prévoit que les entrepreneurs privés mandatés par les États-

Unis seront désormais soumis aux lois iraquiennes9.

Bien qu’il ne semble pas y avoir de données officielles sur le nombre de morts et

de blessés parmi les employés du secteur privé opérant en Irak, certaines sources

indiquent que le Département du travail américain aurait reçu 1 292 réclamations

pour des décès d’entrepreneurs privés en Irak et en Afghanistan et 9 610 pour des

blessures, incluant des entrepreneurs locaux10. Suivant d’autres sources, plus de

900 employés du secteur de la sécurité privée avaient, à la fin 2007, trouvé la mort

en Irak11.

Ces événements laissent perplexes considérant que, suivant une conception

moderne du droit international public, l’on s’attend, à tort ou à raison, à ce que les

États livrent bataille au moyen de leurs forces armées. Le conflit iraquien a ainsi

amené le juriste à s’intéresser aux EMP qui, jusqu’alors, avaient davantage retenu

l’attention des politologues dont certains considèrent que l’implication des EMP a

un effet positif sur le respect des droits humains dans les conflits armés alors que

d’autres, s’appuyant sur les bévues qui ont été commises, souhaiteraient voir leurs

activités davantage encadrées. Cet intérêt du juriste s’explique non seulement par

l’ampleur qu’a pris le phénomène de la privatisation des conflits en Irak, mais aussi

par le fait qu’il s’agit du premier conflit armé international dans lequel des EMP,

telles que nous les connaissons aujourd’hui, sont impliquées. Dans la mesure où

9 Steven L. Mayer et Sam Dagher, « Agreement With Iraq Over Troops Is at Risk » The New York Times

(19 septembre 2008) A6, en ligne: <http://www.nytimes.com/2008/09/19/world/middleeast/19diplo.html?ref=

world>.

10 Michael N. Schmitt, « The Interpretative Guidance on the Notion of Direct Participation in Hostilities: A

Critical Analysis » 1 Harvard National Security Journal 5 à la p. 9 [Schmitt, « The Interpretative Guidance »].

11 David Pallister, « A multibillion dollar industry built on the most dangerous jobs in the world »

The Guardian (30 mai 2007), en ligne: <http://www.guardian.co.uk/world/2007/may/30/iraq.davidpallister>.

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4

les EMP interviennent dans des conflits qui sont régis par des règles juridiques – le

droit international humanitaire (ci-après, le « DIH ») – il revient au juriste de se

questionner sur la façon dont ce système normatif réagit à l’arrivée de ce nouvel

acteur dans les conflits armés.

L’industrie militaire privée

Les EMP, telles que nous les connaissons aujourd’hui, ont fait leur entrée sur le

marché de la guerre au début des années 1990, en s’impliquant d’abord dans les

conflits internes africains, notamment en Angola, au Sierra Leone et en République

démocratique du Congo. Connaissant un certain succès, elles ont par la suite été

mandatées pour intervenir dans différents types de conflits, notamment pour

entraîner la police et les militaires dans les Balkans et fournir un soutien logistique

aux forces de l’OTAN, pour prêter main forte aux États-Unis dans leur lutte contre

le trafic de la drogue en Colombie et pour appuyer les forces de la coalition dans

leurs activités en Afghanistan.

Contrairement au mythe longtemps véhiculé par la presse, les autorités publiques

et les EMP elles-mêmes, ces sociétés ne sont pas que des entreprises de sécurité

dont les services se limiteraient à la protection des personnes ou des lieux à

caractère civil; certaines d’entre elles offrent des services relevant du domaine

militaire, soit des services traditionnellement assurés par des armées nationales,

encore que les services varient énormément d’une société à l’autre12. Les activités

des EMP étaient autrefois concentrées autour du soutien logistique comme les

services de transport, les télécommunications, les services alimentaires et de

buanderie et d’autres services administratifs, ainsi que l’installation de bases

militaires temporaires13, des tâches qui traditionnellement avait été confiées au

secteur privé par les États. Ces entreprises participent cependant de plus en plus à

12

Peter W. Singer, Corporate Warriors : The Rise of the Privatized Military Industry, Ithaca, Cornell

University Press, 2003 aux pp. 73 et 88 [Singer, « Corporate Warriors »].

13 Deborah D. Avant, The Market for Force – The Consequences of Privatizing Security, Cambridge,

Cambridge University Press, 2005 à la p. 20 [Avant].

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5

« des activités qui les placent au centre même des opérations militaires »14. Selon

le Comité international de la Croix-Rouge (ci-après, le « CICR »), « ces activités

comprennent notamment la protection du personnel et des ressources militaires, la

formation des forces armées et les services-conseil, la maintenance des systèmes

d'armement, l'interrogatoire des détenus et, parfois même, par la participation aux

combats ».15 À cela, s’ajoutent également des services de renseignements, des

services de conseils militaires stratégiques et tactiques, de même que des services

relatifs aux choix, à l’approvisionnement, à l’entretien, au transport, à

l’entraînement et à l’opération de systèmes d’armement16.

Aussi, certaines EMP offrent-elles des services opérationnels pour répondre à

différentes situations de crises comme des insurrections et des actes terroristes.

Ces entreprises promettent ainsi de répondre à ce type de situations par des actes

offensifs, lesquels sont perpétrés par du personnel armé17. Les services « de

sécurité » en zone de conflit, que certaines compagnies se targuent d’offrir, se

situent souvent aux confins du maintien de l’ordre, normalement assuré par les

forces de police, et du rôle de combat des forces armées. Ainsi, les entreprises

soi-disant embauchées pour fournir un support opérationnel ou assurer la sécurité

intérieure sur le territoire iraquien ont joué un rôle majeur dans la lutte contre les

insurgés iraquiens, celles-ci intervenant parfois avec de lourds armements18.

Certaines de ces activités, bien qu’elles n’impliquent pas nécessairement une

participation au combat, sont néanmoins susceptibles d’être considérées comme

une participation directe aux hostilités ou de constituer le premier pas qui y

conduit. Le gardiennage de prisons militaires en est un bon exemple.

14

CICR, Le droit international humanitaire et les défis posés par les conflits armés contemporains, XXXe

Conférence de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, Genève, octobre 2007, 30IC/07/8.4 à la p. 28 [CICR,

« XXXe Conférence »]; Emanuela-Chiara Gillard, « Business goes to war : private military/security

companies and international humanitarian law » (2006) 88 R.I.C.R. 525 à la p. 526 [Gillard].

15CICR, « XXX

e Conférence », supra note 14 à la p. 28.

16 Avant, supra note 13 aux pp. 16-19.

17 Ibid. à la p. 21.

18 Ibid. aux pp. 21-22.

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6

De par la grande variété de services qu’elles offrent, les EMP s’attirent une

clientèle variée. Différents opérateurs privés, tels des multinationales, des ONG,

voire le CICR, les mandatent pour leur fournir des services essentiellement reliés à

la protection de personnes, de biens ou de lieux. Évidemment, les principaux

donneurs d’ouvrage des EMP demeurent les États, notamment les grandes

puissances occidentales, qui leur sous-traitent des fonctions de plus en plus près

du cœur des activités militaires. Il convient également de noter que l’Organisation

des Nations Unies (ci-après, « ONU ») leur confie des opérations de déminage qui,

traditionnellement, étaient effectuées par des armées régulières19.

Il n’existe, à ce jour, aucune définition légale de ce qu’est une entreprise militaire

privée, non plus que de consensus parmi les auteurs sur le sens exact que revêt

cette expression. De fait, l’industrie des services liés à la guerre est si vaste et

diversifiée qu’elle pose un véritable défi à ceux qui tentent de la définir ou de la

catégoriser. Les sociétés offrant des services militaires se distinguent les unes des

autres à plusieurs égards, notamment par le type de services qu’elles offrent, leur

degré de spécialisation, le marché qu’elles visent, leur structure corporative, leur

capitalisation boursière, leurs liens d’affaires, leurs lieux d’opérations et

d’incorporation ainsi que le nombre, la qualification et l’expérience de leurs

employés20.

Afin de mieux comprendre l’industrie et d’élaborer des théories à son endroit,

certains auteurs proposent de classer les EMP suivant les catégories de services

qu’elles offrent. L’analyse la plus souvent citée est celle du professeur Peter

Warren Singer qui propose de classer les EMP en trois catégories, lesquelles se

distinguent en fonction de la proximité des activités exercées par rapport à la ligne

de front : Military Provider Firms, Military Consultant Firms et Military Support

19

Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 à la p. 82.

20 Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 à la p. 88; Fred Schreier et Marina Caparini, Privatizing

Security : Law, Practice and Governance of Private Military and Security Companies, Genève, Geneva

Centre for the Democratic Control of the Armed Forces (DCAF), Occasional paper no.6, mars 2005, à la p. 33

[Schreier et Caparini].

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7

Firms21. Les Military Provider Firms agissent dans le cadre de l’environnement

tactique et prennent part aux combats, en intégrant une unité de combat ou en en

assurant la commande et le contrôle22. Les Military Consulting Firms dispensent

pour leur part des services-conseil et d’entraînement constituant une partie

intégrante des opérations militaires et ayant notamment pour objectif la

restructuration des forces armées de leurs clients23. Enfin, les Military Support

Firms se concentrent sur les services accessoires tels l’assistance à caractère non

offensif, les services de renseignements, le support technique ainsi que les

services d’approvisionnement et de transport24.

Il existe également une tendance selon laquelle les sociétés militaires privées sont

distinguées des sociétés de sécurité privées, mais, encore là, la nature de la

distinction varie suivant les auteurs. Alors que certains définissent les sociétés de

sécurité privées comme des organisations offrant des services liés à la sécurité

intérieure et à la protection25, d’autres estiment qu’elles se caractérisent par le fait

qu’elles offrent des services dits de « sécurité passive » dans un environnement à

haut risque26. Quoi qu’il en soit, plusieurs s’accordent à dire que la ligne de

démarcation entre société militaire privée et société de sécurité privée est loin

d’être étanche et que la distinction perd son sens en contexte de conflit armé27. En

effet, non seulement plusieurs sociétés privées offrent-elles à la fois des services

de nature militaire et des services de protection privée, mais il importe également

de mentionner que le rôle d’assurer la sécurité dans une zone de conflit armé est

21

Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 aux pp. 14-15. Deborah D. Avant reprend l‟analyse de Singer

mais propose de s‟attarder au contrat réalisé plutôt qu‟à l‟entreprise elle-même : Avant, supra note 13 aux pp.

16-17. Voir également les autres études recensées par Schreier et Caparini : Schreier et Caparini, supra note

20.

22 Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 à la p. 92.

23 Ibid., à la p. 95.

24 Ibid., à la p. 97.

25 Schreier et Caparini, supra note 20 à la p. 26.

26 Doug Brooks, « Messiahs or Mercenaries? The Future of International Private Military Services » (2000) 7

International Peacekeeping 129.

27 Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 aux pp. 89-90; Schreier et Caparini, supra note 20 à la p. 30;

Alexandre Faite, « Involvement of Private Contractors in Armed Conflict : Implications under International

Humanitarian Law » (2004) 4 Defence Studies 166 aux pp.168-169 [Faite].

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8

bien différent de celui de garder un centre commercial local qui relève,

traditionnellement, du domaine public.

Lorsqu’il s’agit d’appliquer le DIH, ce sont les activités exercées sur le terrain par

les individus qui importent et non le qualificatif que l’on peut donner à la société qui

les emploie. Dans ce contexte, il nous serait peu utile de tenter de classifier les

EMP en catégories ou même de s’attarder à la distinction entre compagnie militaire

privée et compagnie de sécurité privée. Pour les fins de la présente étude, nous

emploierons la définition donnée dans le « Document de Montreux sur les

obligations juridiques pertinentes et les bonnes pratiques pour les États en ce qui

concerne les opérations des entreprises militaires et de sécurité privées opérant

pendant les conflits armés » (ci-après, le « Document de Montreux ») qui

mentionne que « [q]uelle que soit la façon dont elles se décrivent, les

« EMSP [entreprises militaires et de sécurité privées] » sont des entités

commerciales privées qui fournissent des services militaires et/ou de sécurité »28.

Le guerrier privé dans l’histoire

Alors que l’implication des EMP dans les conflits armés semble bouleverser l’ordre

actuel des choses et suscite de multiples réactions, il convient de rappeler que

l’intervention d’acteurs privés dans les conflits a, à l’origine, été la norme plutôt que

l’exception. Les puissances publiques ont, pendant des millénaires, mené leur lutte

au moyen de guerriers privés. Ainsi, certains diront que le fait d’engager des

étrangers pour livrer bataille en son nom est aussi vieux que la guerre elle-

même29. Que l’on pense à la Compagnie catalane, aux condottieri ou à la

Compagnie des Indes orientales, l’histoire regorge d’exemples où des entités

privées ont pris part à des conflits auxquels elles étaient étrangères pour servir

28

Document de Montreux sur les obligations juridiques pertinentes et les bonnes pratiques pour les États en

ce qui concerne les opérations des entreprises militaires et de sécurité privées opérant pendant les conflits

armés, Doc off. AG NU, 63e sess., Annexe, point 76, Doc. NU A/63/467 (2008) à la p. 7

[Document de Montreux].

29 Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 à la p. 19.

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9

leurs propres intérêts financiers. Le mercenariat n’a d’ailleurs pas toujours eu la

mauvaise presse qu’on lui attribue aujourd’hui.

Avec les Traités de Westphalie au milieu du 17e siècle, le droit international public

contemporain a opéré un renversement en concentrant la puissance entre les

mains des États. Au moment où les États se sont tranquillement emparés du

monopole de l’emploi de la force30, ont été constituées, en Europe, les premières

armées officielles, loyales à la nation31. Ainsi, à la fin du 18e siècle, le modèle de

l’armée étatique formée de citoyens a remplacé celui des armées composées

d’étrangers louées par les plus offrants32.

Le droit international a donc été conçu avec cette idée que la guerre est l’apanage

de l’État, qui la livre au moyen de son armée – qu’elle soit royale, impériale ou

nationale – formée de citoyens, volontairement enrôlés ou conscrits. Toutefois,

bien que les États se constituent des armées professionnelles, auxquelles ils

adjoignent, lorsque nécessaire, des citoyens conscrits, ils continuent d’utiliser des

acteurs privés pour accomplir des missions considérées comme étant moins

nobles, auxquelles ils ne souhaitent pas mêler leur propre armée. Dès lors, les

opérateurs privés ne sont utilisés que discrètement, en marge de l’armée régulière,

ce qui les rend d’autant plus utiles. Il est également pratique courante que des

États recourent à des acteurs privés pour accomplir des tâches secondaires visant

à assurer un support aux troupes, comme le support logistique, afin de permettre

aux troupes de se concentrer sur leur mission : combattre.

Pendant la période de décolonisation, les puissances coloniales ont eu

massivement recours à des mercenaires pour lutter contre les mouvements de

libération nationale. Le manque de professionnalisme de ces mercenaires, le peu

de respect qu’ils ont démontré envers les droits humains, de même que les

dérapages auxquels leurs activités ont donné lieu, allaient sonner le glas des

30

Ibid.

31 Ibid. à la p. 29.

32 Ibid. aux pp. 29-30.

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10

mercenaires33. Surnommés « Les Affreux », les mercenaires seront, à partir de ce

moment, considérés comme une menace pour le droit à l’autodétermination des

peuples et s’attireront la réprobation de la communauté internationale, laquelle

condamnera progressivement leurs activités à compter des années 1970.

Lorsqu’à la fin de la Guerre froide, des soldats démobilisés souhaiteront offrir leurs

services sur le marché privé à des États aux prises avec des conflits internes et

dépourvus face au désengagement des grandes puissances militaires, ils auront

tout naturellement le souci de se distinguer des mercenaires. Ainsi, la structure

corporative des EMP, le fait qu’elles soient détenues par de grandes entreprises

multinationales, leur professionnalisme ainsi que les liens étroits que la plupart

d’entre elles entretiennent ouvertement avec des gouvernements légitimes leur

permettront de se distinguer des « Affreux » et de gagner en respectabilité.

L’avènement de technologies de plus en plus sophistiquées pour mener la guerre

a notamment contribué à rendre les EMP indispensables à plusieurs États qui

aspirent à privatiser leurs opérations.

La prise en compte des acteurs privés par le DIH

Au cours des deux siècles derniers, les États ont fait l’effort d’encadrer la conduite

des hostilités pour tenter de réduire les maux causés par la guerre. Ils ont, de

concert, élaboré les règles du jeu applicables aux conflits armés dans l’objectif

d’éviter que la population civile ne paie le prix de leurs différends. Les États ont

convenu d’un principe fondamental : pour protéger la population civile, il fallait à

tout prix distinguer les civils des combattants. Le DIH établit donc un régime

juridique basé sur une distinction entre ces deux groupes, qui régit la conduite des

hostilités lors de conflits armés internationaux. D’un côté, les combattants se voient

conférer le droit de participer légalement aux hostilités, dans le respect de

certaines règles propres à assurer notamment la protection de la population civile

ainsi qu’une lutte loyale entre les forces opposées et, en contrepartie, ils peuvent

33

Philippe Chapleau, Sociétés militaires privées – Enquête sur les soldats sans armées, Monaco, Éditions du

Rocher, 2005 aux pp. 31-33 [Chapleau].

Page 22: LA SOUS-TRAITANCE D’ACTIVITÉS MILITAIRES PAR L’ÉTAT ...€¦ · travailler pour la justice pénale internationale est devenu réalité. Ce travail de recherche a bénéficié

11

être légalement pris pour cibles. De l’autre côté, les civils, qui bénéficient d’une

protection contre les attaques, ne peuvent légalement prendre part aux hostilités.

S’ils le font, puisqu’ils ne bénéficient pas du statut de prisonnier de guerre, les

actes qu’ils commettent sont passibles de poursuites pénales.

Sur la base d’une conception westphalienne, l’on considérait au moment d’élaborer

les règles du DIH que les États mèneraient normalement la guerre au moyen de

leur armée, de telle sorte que le statut de combattant a d’abord été réservé aux

membres réguliers des forces armées des Parties au conflit, incluant les entités

civiles qui y sont rattachées comme les milices et les corps de volontaires. Avec le

temps, cette notion a évolué pour prendre en compte de nouvelles réalités et

permettre à des groupes qui aspiraient à devenir un État, en prendre le contrôle ou

à lutter contre l’occupation étrangère de prendre légalement part aux conflits. Ainsi,

le statut de combattant a été élargi pour inclure, dans un premier temps, les

résistants et, ensuite, les guérilleros.

Il n’a pas été envisagé, du moins officiellement, lors de la rédaction des

Conventions de Genève et de leurs Protocoles additionnels (ci-après, les

« Conventions ») que des individus mandatés par des personnes morales

étrangères au conflit accomplissent, à la demande d’États, des tâches

traditionnellement dévolues aux militaires nationaux à qui le statut de combattant a

été accordé. Dès lors, il relève d’un véritable tour de force d’appliquer aux

employés d’EMP le régime juridique actuel du DIH régissant les conflits

internationaux. Il semble en effet que, dans une majorité de cas, les employés

d’EMP ne s’insèrent convenablement dans aucune des deux catégories prévues,

ce qui est susceptible de causer une grande confusion sur le champ de bataille et

de remettre en cause le principe fondamental de discrimination entre civils et

combattants.

Or, les États qui ont ratifié les Conventions se sont non seulement engagés à les

appliquer de bonne foi, mais également à les faire respecter par leurs propres

citoyens, voire par d’autres États. Lorsqu’ils font intervenir dans les conflits armés

internationaux un acteur qu’il est difficile de classer dans l’une ou l’autre des deux

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catégories prévues par les Conventions, il y a lieu de se demander si les États ne

remettent pas en cause le principe cardinal de la distinction entre civils et

combattants et, ce faisant, si une telle pratique constitue une application de bonne

foi des Conventions. La question faisant l’objet de la présente étude est donc la

suivante : En mandatant des EMP pour intervenir dans des conflits armés

internationaux, les États, à titre de Hautes Parties contractantes des Conventions

de Genève et de leurs Protocoles additionnels, se conforment-ils à l’ensemble de

leurs obligations?

La question qui nous préoccupe met en cause l’application de la Convention de

Genève relative au traitement des prisonniers de guerre du 12 août 1949 (ci-après,

la « Convention III »)34, de la Convention de Genève relative à la protection des

personnes civiles en temps de guerre du 12 août 194935 (ci-après, la

« Convention IV ») et du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du

12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux

(ci-après, le « Protocole I »)36. Nous avons choisi de limiter notre étude aux conflits

armés internationaux puisque la problématique de l’implication d’EMP dans les

conflits armés non internationaux requiert une toute autre analyse. Ces conflits

opposant, par essence, une force étatique à des groupes armés ou des groupes

armés entre eux, les règles les régissant, telles que codifiées par le Protocole

additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des

victimes des conflits armés non internationaux (ci-après, le « Protocole II »)37,

n’établissent pas formellement de distinction entre les personnes civils et les

combattants38. Ces règles, beaucoup moins développées que celles applicables

34

Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre du 12 août 1949, 75 R.T.N.U. 135.

[Convention III].

35 Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre du 12 août 1949,

75 R.T.N.U. 287 [Convention IV].

36 Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des

conflits armés internationaux (Protocole I), 1125 R.T.N.U. 3 [Protocole I].

37 Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des

conflits armés non internationaux (Protocole II), 1125 R.T.N.U. 609 [Protocole II].

38 Notons cependant qu‟en vertu du droit coutumier, plusieurs règles énoncées dans la Convention III et le

Protocole I, dont le principe de distinction entre les personnes civiles et les combattants, pourraient trouver

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13

dans le cadre des conflits armés internationaux, ont pour objectif d’offrir une

protection minimale aux personnes qui ne participent pas ou plus aux hostilités. Le

statut de prisonnier de guerre n’existe pas de sorte que les individus qui

commettent, dans le cadre du conflit, des actes jugés criminels en regard du droit

interne ne jouissent d’aucune immunité.

Plan du mémoire

Dans la première partie, nous analyserons le statut juridique des employés d’EMP

qui prennent part à des conflits armés internationaux au regard de la

Convention III et du Protocole I, afin de déterminer le régime juridique qui leur est

applicable. Nous verrons d’abord comment les États se sont entendus pour établir

un régime juridique suivant lequel les combattants et les civils sont assujettis à des

droits et obligations particuliers (Chapitre I). Nous passerons ensuite en revue les

différentes possibilités qu’ils obtiennent, soit de jure ou de facto, le statut de

combattant privilégié (Chapitre II). Ceci nous amènera à étudier chacune des

conditions d’obtention du statut de combattant et à vérifier si, à la lumière de la

littérature, les employés d’EMP sont actuellement susceptibles de remplir ces

conditions. Nous nous demanderons, en outre, si les employés d’EMP peuvent

être considérés comme des mercenaires, ce qui aurait eu pour effet de leur faire

perdre le droit de revendiquer le statut de combattant privilégié, à supposer qu’ils

l’aient préalablement obtenu. Puisqu’il n’y a pas de vide en DIH, nous verrons que

les employés d’EMP qui ne satisfont pas aux conditions nécessaires à l’obtention

du statut de combattant seront considérés comme des civils ou des civils

accompagnant les forces armées (Chapitre III). Or, il semble que plusieurs d’entre

eux ne correspondent pas au type de civils que les Hautes Parties contractantes

entendaient protéger par l’adoption des Conventions. Certains pourraient être

considérés comme des civils participant directement aux hostilités, ce qui fait en

application dans le cadre de conflits armés non internationaux. Puisque le statut de combattant n‟existe pas et

qu‟il est, dans le contexte de conflits armés non internationaux, impossible d‟appliquer les définitions

applicables en cas de conflits armés internationaux, la distinction est alors fondée sur la participation aux

hostilités. Voir Jean-Marie Henckaerts et al, Customary International Humanitarian Law, Cambridge,

Cambridge University Press, 2005, vol. 1 aux pp. 5-8, 12 et 13 [Henckaerts].

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14

sorte que leurs protections ne varieraient plus uniquement en fonction de leur

statut mais serait aussi influencé par les activités qu’ils exercent.

Dans la seconde partie, nous étudierons les effets concrets qu’entraîne la

détermination des droits et obligations des employés d’EMP en fonction de leur

participation aux hostilités plutôt qu’en fonction de leur statut sur l’application du

DIH. Nous verrons d’abord que la notion de participation directe aux hostilités n’a

pas vocation à servir de critère de distinction et que son utilisation à cette fin

entraîne une grande confusion et une perte de protection des personnes civiles

(Chapitre I). Ceci nous amènera à nous demander si une application de bonne foi

des Conventions n’exigerait pas, implicitement, que les États s’abstiennent de faire

intervenir des personnes civiles dans le cœur des opérations militaires (Chapitre

II). Cette démarche nous amènera à identifier des limites au droit des États

d’embaucher des EMP pour intervenir dans des conflits armés internationaux et à

proposer des mesures à prendre par ceux-ci pour assurer le respect de leur

obligation d’appliquer les Conventions de bonne foi.

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Partie 1 : La confusion entourant le régime juridique applicable aux employés d’entreprises militaires privées en droit international humanitaire

Chapitre I. L’entente entre les Hautes Parties contractantes aux Conventions : le principe de distinction entre combattants et personnes civiles

1. La nécessité de distinguer les combattants des civils

Le DIH qui a pour principal objectif d’épargner la population civile des maux de la

guerre prescrit un ensemble de règles visant à s’assurer que, dans la mesure du

possible, les conflits armés internationaux se déroulent exclusivement entre les

combattants appartenant aux Parties au conflit39. Comme le rappelait récemment

la Cour suprême d’Israël, le DIH constitue un délicat compromis entre les

nécessités militaires et les exigences d’humanité40. Il impose des limites suivant

lesquelles les nécessités militaires cèdent le pas aux exigences d’humanité41. En

d’autres mots, le but du DIH est de limiter les effets de la guerre sur la population

civile à ce qui est nécessaire au niveau militaire, en protégeant la population civile

autant que faire se peut pour laisser aux États le droit de faire la guerre42. Le

principe de distinction entre civils et combattants, qui vise à déterminer qui peut

légalement participer aux hostilités et qui doit en être épargné, constitue la pierre

angulaire de ce régime juridique. Il sert à établir la ligne de démarcation nécessaire

à la protection de la population civile en temps de conflit armé.

39

Yoran Dinstein, The Conduct of Hostilities under the Law of International Armed Conflict, Cambridge,

Cambridge University Press, 2004 à la p. 37 [Dinstein].

40 HCJ 769/02, Public Committee against Torture in Israel c. Government of Israel, (2007) 40 Isr. L.R. 213

(Israel, H.C.J.) au para. 22 [Targeted Killings].

41 Emily Camins, « The past as prologue : the development of the „direct participation‟ exception to civilian

immunity » (2008) 90 R.I.C.R. 853 à la p. 854 [Camins].

42 Knut Ipsen, « Combatants and Non-Combatants » dans Dieter Fleck, The Handbook of Humanitarian Law

in Armed Conflicts, Oxford, Oxford University Press, 1999, 65 à la p. 118 [Ipsen]; Dinstein, supra note 39 à

la p. 82.

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16

Le principe de distinction trouve ses origines dans les écrits de Grotius qui disait

déjà, en 1625, qu’il n’était pas « correct » ou « honorable » lors de conflits armés

de causer la mort, même par accident, de personnes « innocentes », bien qu’à

cette époque cela n’était pas formellement interdit puisque les sujets d’un État

étaient perçus par l’adversaire comme des ennemis43. L’idée de distinguer

formellement les États de leurs sujets et d’éviter que les citoyens non combattants

deviennent les objets de la guerre s’est développée avec Rousseau qui écrivait

que « la guerre n'est donc point une relation d'homme à homme, mais une relation

d'État à État [...]. » À cette époque du XVIIIe siècle où la guerre était l’affaire

d’armées professionnelles, l’idée d’une immunité pour le non-combattant a été

lancée44. Elle allait cependant souffrir un recul avec la transformation des guerres

dynastiques en conflits où la population est mobilisée pour supporter l’effort de

guerre et aux cours desquelles la réponse envers ceux qui participent au conflit

sans porter l’uniforme a été féroce. S’en sont suivis un besoin et une volonté des

États d’encadrer leurs rapports lors de conflits armés, notamment de clarifier les

effets qu’entraînait la participation aux hostilités par ceux qui ne font pas partie des

forces armées45.

C’est dans ce contexte que Lieber a été mis à l’effort pour discuter du sort des

membres de la guérilla et qu’il a produit un code de conduite militaire basé

essentiellement sur l’idée de la lutte armée ouverte. Ce code de conduite prévoit,

en son article 22, l’immunité des civils, sujette aux exigences de la guerre46. Ses

travaux allaient ensuite servir de base à l’élaboration des Conventions de La Haye

de 1907 où allait être adoptée la définition du combattant, qui comporte des

conditions visant à assurer une lutte ouverte et à éviter les méthodes de guerre

perfides47.

43

Camins, supra note 41 aux pp. 855-856.

44 Ibid. à la p. 858.

45 Ibid. aux pp. 860-861.

46 Ibid. aux pp. 862-863.

47Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre annexé à la Convention concernant les lois

et coutumes de la guerre sur terre, 18 octobre 1907, reproduit dans Adam Roberts et Richard Guelff,

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17

Cependant, l’absence dans les Conventions d’une immunité claire en faveur des

non-combattants a, dans le contexte des conflits du XXe siècle où la population a

été appelée à participer à l’effort de guerre, rendu une partie de cette population

civile vulnérable en tant que cible légitime, dont l’attaque était justifiée par des

motifs de nécessités militaires. La population civile travaillant dans les usines de

fabrication d’armement a été particulièrement touchée pendant les deux guerres

mondiales, plaçant la question de la protection de ceux qui participent à l’effort de

guerre au centre des préoccupations du CICR dans son projet d’améliorer la

protection des civils après la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Celui-ci adopta,

en 1965, une résolution à l’effet « [q]u'il faut en tout temps faire la distinction entre

les personnes qui prennent part aux hostilités et les membres de la population

civile, afin que ces derniers soient épargnés dans toute la mesure possible »48,

laquelle a été endossée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 196849.

Les efforts du CICR aboutissent finalement à l’adoption des articles 48 et 51 du

Protocole I en 1977 où le principe de distinction – déjà à l’époque considéré

comme partie du droit coutumier50 – est enfin codifié, de concert avec l’adoption

d’une définition du civil et l’enchâssement du principe de son immunité. Ainsi,

l’article 48 du Protocole I prévoit désormais :

Article 48 – Règle fondamentale

En vue d’assurer le respect et la protection de la population civile et des biens de caractère civil, les Parties au conflit doivent en tout temps faire la distinction entre la population civile et les combattants ainsi qu’entre les biens de caractère civil et les objectifs militaires et, par conséquent, ne diriger leurs opérations que contre les objectifs militaires.

Documents on the Law of War, 2

e éd., Oxford, Clarendon Press, 1989 à la p. 48, art. 1

[Règlement de La Haye].

48 Résolution XXVIII de la XX

e Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge, Vienne,

1965.

49 Respect des droits de l’homme en période de conflit armé, Rés. AG 244, Doc. Off. AG NU, 23

e sess.,

supp. 18, Doc. NU A/7518 (1969) au para. 1(c); Principes fondamentaux touchant la protection des

populations civiles en période de conflit armé, Rés. AG 2675, 25e sess. au para. 2.

50 Yves Sandoz et al., Commentaires des Protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève

du 12 août 1949, Genève, Martinus Nijhoff Publishers, 1986 aux para. 1863-1871 [Sandoz].

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18

La Cour internationale de Justice a rappelé le caractère fondamental du principe

de distinction dans son avis consultatif sur la Licéité de la menace ou de l'emploi

d'armes nucléaires :

Les principes cardinaux contenus dans les textes formant le tissu du droit humanitaire sont les suivants. Le premier principe est destiné à protéger la population civile et les biens de caractère civil, et établit la distinction entre combattants et non-combattants; les États ne doivent jamais prendre pour cibles des civils, ni en conséquence utiliser des armes qui sont dans l'incapacité de distinguer entre cibles civiles et cibles militaires51.

Comme l’a affirmé la Cour internationale de Justice, « ces règles fondamentales

s’imposent d’ailleurs à tous les États, qu’ils aient ou non ratifié les instruments

conventionnels qui les expriment, parce qu’elles constituent des principes

intransgressibles du droit international coutumier »52.

2. Les statuts de combattants et de personnes civiles et les privilèges y associés

En application du principe de distinction, les Conventions distinguent explicitement

deux catégories d’intervenants dans les conflits armés internationaux les

combattants et les civils , auxquels sont rattachés, en principe, des privilèges

particuliers.

2.1 Les combattants

Les combattants qui répondent aux critères d’obtention de ce statut, tels que

définis par les Conventions, bénéficient du droit de participer aux hostilités tout en

étant à l’abri de poursuites pénales pour les actes qu’ils commettent dans le

respect du droit des conflits armés (ci après, les « combattants privilégiés »).

Depuis 1907, le Règlement de La Haye concernant les lois et coutumes de la

guerre sur terre (ci-après, le « Règlement de La Haye ») reconnaît à l’armée, aux

51

Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, Avis consultatif, [1996] C.I.J. Rec. 226 à la p. 257

[Avis sur les armes nucléaires].

52 Ibid. au para. 79.

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19

milices et aux corps de volontaires la capacité d’exercer « les droits et devoirs de

la guerre »53. Le deuxième paragraphe de l’article 43(2) du Protocole I reprend ce

principe en édictant explicitement que « [l]es membres des forces armées d’une

Partie à un conflit (…) sont des combattants, c’est-à-dire ont le droit de participer

directement aux hostilités ». L’article 44 mentionne également que « [t]out

combattant, au sens de l’article 43, qui tombe au pouvoir d’une partie adverse est

prisonnier de guerre ». Il bénéficie par conséquent des protections offertes par la

Convention III, incluant la protection contre les poursuites pénales pour les actes

commis dans le respect du droit des conflits armés. Il est cependant passible d’être

détenu jusqu’à la fin des hostilités54. Ainsi, la notion de combattant est-elle

intimement liée, dans le texte des Conventions, au statut de prisonnier de guerre,

quoi que ces deux notions ne soient pas parfaitement équivalentes puisque les

prisonniers de guerre, tels que définis à l’article 4 de la Convention III, ne sont pas

tous des combattants, comme c’est le cas notamment du civil qui accompagne les

forces armées55.

La notion de combattant s’est développée sur la base de cette idée qu’elle doit

permettre la mise en oeuvre du principe de distinction, en s’assurant que les

combattants sont clairement identifiés et qu’ils seront tenus responsables des

violations du DIH qu’ils commettent, dont les règles visent essentiellement le

respect des personnes protégées. Le texte du Règlement de La Haye et de la

Convention III établissaient initialement, pour les fins de l’octroi du statut de

prisonnier de guerre et, par conséquent, de combattant, une distinction entre les

forces armées régulières et les « autres milices et corps de volontaires »,

prévoyant que ces derniers devaient respecter certaines conditions pour se voir

octroyer le droit de combattre. Ainsi, ces textes distinguaient les combattants

de facto, par opposition aux membres des forces armées régulières, considérés

53

Règlement de La Haye, supra note 47, art. 1.

54 Convention IV, supra note 35, art. 42 et 43.

55 Le premier paragraphe de l‟article 50 du Protocole I mentionne que les catégories de personnes énumérées

aux paragraphes 1, 2, 3 et 6 de l‟article 4(A) de la Convention III sont des civils, ce qui signifie, a contrario,

que les autres sont des combattants.

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20

comme combattants de jure. Les paragraphes 1 et 2 de l’article 4(A)(2) de la

Convention III, qui reprennent les termes de l’article 1 du Règlement de la Haye

prévoient :

A. Sont prisonniers de guerre, au sens de la présente Convention, les personnes qui, appartenant à l'une des catégories suivantes, sont tombées au pouvoir de l'ennemi :

1) les membres des forces armées d’une Partie au conflit, de même que les membres des milices et des corps de volontaires faisant partie de ces forces armées;

2) les membres des autres milices et les membres des autres corps de volontaires, y compris ceux des mouvements de résistance organisés, appartenant à une Partie au conflit et agissant en dehors ou à l’intérieur de leur propre territoire, même si ce territoire est occupé, pourvu que ces milices ou corps de volontaires, y compris ces mouvements de résistance organisés, remplissent les conditions suivantes :

a) d’avoir à leur tête une personne responsable pour ses subordonnés;

b) d’avoir un signe distinctif fixe et reconnaissable à distance;

c) de porter ouvertement les armes;

d) de se conformer, dans leurs opérations, aux lois et coutumes de la guerre.

Les conditions définissant le statut de combattant de facto, énoncées à

l’article 4(A)(2), sont l’expression des règles qui, traditionnellement, ont gouverné

les armées étatiques56. Il y a tout lieu de croire qu’elles s’appliquent également aux

armées régulières sans qu’il n’ait été nécessaire de le mentionner dans le texte

des Conventions57. C’est d’ailleurs la position qu’ont adoptée le Conseil privé

56

Ibid. à la p. 526; Henckaerts, supra note 38 à la p. 15; Dinstein, supra note 39 à la p. 36; Ingrid Detter, The

Law of War, 2e éd., Cambridge, Cambridge University Press, 2000 à la p. 136 [Detter].

57 Michael Bothe et al, New Rules for Victims of Armed Conflicts, Boston, Martinus Mijhoff, 1982 à la p. 234

[Bothe]. Voir l‟opinion à l‟effet contraire exprimée par le CICR : Nils Melzer, Interpretative Guidance on the

Notion of Direct Participation in Hostilities under International Humanitarian Law, Genève, CICR, 2009 à

la p. 22, en ligne: CICR<http://www.icrc.org/Web/eng/siteeng0.nsf/htmlall/p0990/$File/ICRC_002_0990.PD

F>. [Nils Melzer, « Guide interprétatif »]. La traduction française du Guide interprétatif, bien qu‟annoncée,

n‟était pas disponible au moment d‟écrire les présentes.

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21

britannique et la Cour suprême des États-Unis58. Plusieurs dispositions du

Protocole I laissent penser que les Hautes Parties contractantes présumaient que

les armées régulières satisfont d’office aux conditions énoncées à l’article 4(A)(2)

de la Convention III59. Celles-ci ont d’ailleurs été substantiellement reprises,

quoique sous une forme légèrement assouplie, par les articles 43 et 44 du

Protocole I qui définissent la notion de forces armées d’une Partie au conflit de

façon à inclure à la fois l’armée régulière et les groupes armés.

La notion de combattant a évolué au fil des guerres, non pas tant par une remise

en question des critères ayant pour fonction d’assurer le respect du principe de

distinction, mais en raison du fait que la notion de « forces armées d’une Partie au

conflit » à laquelle réfère l’article 43(2) du Protocole I a dû être adaptée pour tenir

compte de la transformation des forces en présence dans les conflits modernes,

dont l’avènement des guérilleros. Pour répondre aux exigences des nouveaux

conflits et aux problèmes que pouvaient poser le respect des conditions formulées

à l’article 4(A)(2) pour le guérilleros, le Protocole I a supprimé cette distinction

entre combattants de jure et de facto en édictant, à son article 43 :

Les forces armées d’une Partie au conflit se composent de toutes les forces, tous les groupes et toutes les unités armés et organisés qui sont placés sous un commandement responsable de la conduite de ses subordonnés devant cette Partie (…). Ces forces armées doivent être soumises à un régime de discipline interne qui assure, notamment, le respect des règles du droit international applicable dans les conflits armés.

Ainsi, les forces armées d’une Partie au conflit englobent-elles, suivant le

Protocole I, non seulement les forces armées régulières mais également les

groupes armés qui, de facto, appartiennent à une Partie au conflit. L’obtention du

statut de combattant demeure quant à elle soumise à l’exigence du respect de

certaines conditions énoncées aux articles 43 et 44 du Protocole I qui, bien que

formulées de façon différente, expriment essentiellement la même idée que la

58

Ali c. Prosecutor, [1969] A.C. 430 (R.-U., C.P.) et Ex parte Quirin, 317 U.S. 1 (1942), cités dans Dinstein,

supra note 39 à la p. 36.

59 Voir Protocole I, supra note 36, art. 43(1), 44(2), (3) et (7), 86(2) et 87.

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Convention III 60, tout en assouplissant légèrement les règles notamment quant à

l’obligation de se distinguer de la population civile et de porter ouvertement les

armes.

2.2 Les personnes civiles

Les personnes civiles sont pour leur part définies par la négative, le paragraphe

premier de l’article 50 du Protocole I mentionnant qu’« [e]st considérée comme

civile toute personne n’appartenant pas à l’une des catégories visées aux

paragraphes 1, 2, 3 et 6 de l’article 4(A) de la Convention III et à l’article 43 du

présent Protocole », donc tous ceux qui ne sont pas des combattants. Suivant le

texte des Conventions, il n’y aurait pas de vide : par défaut, un individu qui n’est

pas un combattant serait considéré comme un civil. L’article 51, qui codifie une

règle de droit coutumier61, protège la population civile et les personnes civiles

contre « les dangers résultant d’opérations militaires », sauf « si elles participent

directement aux hostilités et pendant la durée que dure cette participation ». L’idée

est fort simple, et pour cause : les individus qui ne sont pas des combattants sont

en principe protégés des attaques ennemies; ils ne perdront leur protection que

s’ils participent aux hostilités, pendant la durée de cette participation.

Le texte des Conventions laisse ainsi penser qu’un individu est soit un combattant

privilégié, c’est-à-dire qu’il a le droit de prendre part aux hostilités, soit une

personne civile protégée contre les effets de la guerre tant et aussi longtemps

qu’elle ne participe pas directement aux hostilités. Les Conventions semblent

envisager uniquement une participation sporadique, voire spontanée ou

accidentelle aux hostilités par le civil, laquelle aurait pour effet de lui faire perdre

momentanément le bénéfice de la protection normalement accordée aux

personnes civiles. Ceci s’inscrit dans une logique suivant laquelle les États ont, à

notre avis, implicitement convenu de livrer bataille au moyen de leurs forces

armées, comme nous le verrons en deuxième partie du mémoire. S’il a sans doute

60

Henckaerts, supra note 38 à la p. 15; Detter, supra note 56 à la p. 137.

61 Targeted Killings, supra note 40 au para. 26.

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23

été envisagé que des individus participeraient de façon plus soutenue aux

hostilités sans pour autant respecter les conditions d’obtention du statut de

combattant, les Conventions sont restées muettes sur cette situation. De deux

choses l’une : ou les États n’ont pas pu s’entendre sur la façon de traiter ces

individus ou ils ont cru bon ne pas créer une brèche dans le régime visant à

assurer la protection des civils. À tout événement, l’entente à laquelle en sont

arrivés les États semble clairement exprimée dans le texte des Conventions : les

individus qui respectent les conditions d’obtention du statut de combattant seront

considérés comme tels et pourront participer aux hostilités. Les autres seront des

civils qui bénéficient, en principe, d’une protection contre les effets de la guerre, à

moins qu’ils ne participent eux-mêmes aux hostilités, auquel cas ils perdront le

bénéfice de la protection pendant le temps de leur participation aux hostilités.

Nous verrons en deuxième partie que de nouvelles théories sur la distinction entre

combattants et personnes civiles, remettant en question à certains égards les

principes énoncés ci-haut, ont récemment été avancées afin de répondre à la

réalité des conflits modernes, plus particulièrement, à la place grandissante de

deux acteurs privés dans les conflits – les terroristes et les employés du secteur

privé62. Ces thèses visent en fait à réinterpréter le texte des Conventions pour

tenter de remédier à une situation où des individus exercent des fonctions

combattantes de façon soutenue sans pour autant respecter les conditions

d’obtention du statut de combattant, en les empêchant de bénéficier de la

protection accordée aux personnes civiles. Il est en effet difficile de concevoir qu’ils

puissent se trouver protégés contre les attaques ennemies en dehors des

intervalles où ils prennent directement part aux hostilités et ainsi bénéficier du

meilleur des deux mondes. C’est la situation du civil le jour et guerrier la nuit. Il ne

s’agit plus ici de retirer momentanément sa protection à un civil qui prend

spontanément et de façon isolée part aux hostilités, mais plutôt de protéger un

individu qui y prend part sur une base continue, tout en faisant défaut de respecter

les conditions d’obtention du statut de combattant.

62

Voir infra Partie 2, Chapitre I, section 1.3.

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24

Dans le cadre de notre analyse, qui vise à déterminer si les États respectent

l’ensemble de leurs obligations aux termes des Conventions lorsqu’ils mandatent

des EMP pour accomplir des tâches traditionnellement dévolues aux forces

armées, il nous semble approprié d’analyser le statut des employés d’EMP à la

lumière du texte des Conventions, qui se veut un reflet de l’intention des Hautes

Parties contractantes. Par ailleurs, les nouvelles théories seront plutôt étudiées en

deuxième partie du mémoire, afin de démontrer les difficultés qu’engendre

l’implication d’acteurs privés dans les conflits armés quant à l’application du régime

mis en place par les Conventions.

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25

Chapitre II. La difficulté à considérer les employés d’entreprises militaires privées comme des combattants privilégiés

Tel que discuté au chapitre précédent, les Conventions prévoient deux façons

distinctes pour un individu d’obtenir le statut de combattant : en adhérant

formellement aux forces armées régulières d’une Partie au conflit, il se voit

conférer de jure le statut de combattant63, tandis que son appartenance à un

groupe armé satisfaisant aux conditions énoncées aux Conventions64 ou à un

mouvement de levée en masse65 peut lui permettre d’obtenir de facto ce statut.

D’emblée, la possibilité que des employés d’EMP agissant à la demande d’un État

puissent acquérir le statut de combattant en participant à une levée en masse au

sens de l’article 4(A)(6) de la Convention III doit être exclue. Cette disposition vise

exclusivement la population d’un territoire non occupé qui, à l’approche de

l’ennemi, prend spontanément les armes pour le combattre, sans avoir eu le temps

de se constituer en forces armées régulières. Il va sans dire qu’une EMP n’a rien

d’un mouvement de citoyens créé de façon informelle dans le but spécifique de

repousser un ennemi qui tente d’envahir leur pays. Par ailleurs, le fait que l’EMP

préexiste à l’arrivée de l’ennemi et qu’elle ait pris le temps de négocier un contrat

avec un État ou avec un tiers, lui-même lié par contrat à l’État, s’oppose à toute

notion de spontanéité. Aussi, l’article 4(A)(6) exige que la population n’ait pas eu le

temps de s’organiser afin d’avoir à sa tête une personne responsable pour ses

subordonnés et un signe distinctif reconnaissable à distance, ce qui permet au

mouvement de levée en masse d’être relevé de l’obligation de respecter ces deux

conditions normalement imposées aux groupes armés pour obtenir de facto le

statut de combattant66. Le recours à une entreprise déjà organisée et structurée

63

Convention III, art. 4(A)(1) et Protocole I, art. 43(1) et (3).

64 Convention III, art. 4(A)(2) et Protocole I, art. 43(1).

65 Convention III, art. 4(A)(6).

66 Jean de Preux, Commentaire de la Convention de Genève du 12 août 1949 relative au traitement des

prisonniers de guerre, éd. par Jean Pictet, Genève, CICR, 1958 aux pp. 76-77.

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avant l’arrivée de l’ennemi fait échec au respect de cette condition67. Qui plus est, il

importe de souligner que le champ d’application de l’article 4(A)(6) est

extrêmement restreint quant à sa portée et sa durée : il ne vise que le cas

particulier de la lutte d’une population contre un envahisseur étranger et cesse de

trouver application dès que l’occupation est établie68.

1. Le statut de combattant de jure : l’intégration aux forces armées régulières d’une Partie au conflit

L’article 4(A)(1) de la Convention III confère le statut de combattant aux membres

réguliers des forces armées des Parties au conflit, soit tous les militaires69 faisant

organiquement partie des forces armées70, incluant les milices et les corps de

volontaires qui, dans certains pays, se distinguent de l’armée proprement dite, bien

qu’ils fassent partie des forces armées71. Sont visés non seulement les membres

des forces armées qui ont des fonctions combattantes, mais également ceux qui

accomplissent des tâches administratives72. L’article 43(3) du Protocole I offre par

ailleurs aux Parties au conflit la possibilité d’intégrer dans leurs forces armées

« une organisation paramilitaire ou un service armé chargé de faire respecter

l’ordre », pour autant qu’elles le notifient aux autres Parties au conflit. Afin que les

employés d’une EMP acquièrent de jure le statut de combattant, il faudrait donc,

soit qu’ils deviennent individuellement membres des forces armées d’une Partie au

conflit, soit que l’EMP qui les emploie y soit elle-même intégrée.

67

Ipsen, supra note 42 à la p. 79.

68 Éric David, Principes de droit des conflits armés, 3

e éd., Bruxelles, Bruylant, 2002 à la p. 422. (Si la

population veut continuer sa lutte une fois l‟occupation établie, elle doit respecter les conditions applicables

aux mouvements de résistance ou être incorporée dans les forces armées de l‟autorité dont elle dépend ou se

réclame) [David].

69 De Preux, supra note 66 à la p. 58.

70 David, supra note 68 à la p. 419.

71 De Preux, supra note 66 à la p. 58.

72 David, supra note 68 à la p. 421.

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1.1 L’hypothèse de l’adhésion individuelle des employés d’entreprises militaires privées aux forces armées d’une Partie au conflit

Les Conventions laissent une grande marge de manœuvre aux États qui,

souverains en regard de leurs affaires internes, décident de l’organisation de leurs

forces armées et des conditions à satisfaire pour en devenir membres73. Elles ne

donnent pas d’indications claires permettant de déterminer qui peut être considéré

comme membres des forces armées régulières d’un État. Il faut donc se référer en

la matière au droit interne et au système politique de chaque Partie au conflit74. La

plupart des États ont élaboré des procédures d’enrôlement et de conscription qui

permettent ou imposent à des individus de joindre les rangs de leur armée et de

les soumettre à son commandement. Certains États sont cependant beaucoup

moins formels, quelques-uns acceptant même qu’un individu soit membre de ses

forces armées dès qu’il prend part au combat75. En l’absence de dispositions dans

le droit national sur le sujet, il n’y a pas de critères fixes qui permettent d’établir, à

coup sûr, qu’un individu fait partie des forces armées d’une Partie au conflit au

sens de l’article 4(A)(1) de la Convention III. Toutefois, quelques indices peuvent,

sans être probants en soi, être révélateurs d’une telle appartenance comme le port

de l’uniforme, la soumission à la chaîne de commandement militaire,

l’assujettissement au code de discipline et au code pénal militaire et la possession

d’une carte d’identité prévue par la Convention III76.

La démarche consiste donc à vérifier si l’État qui sous-traite des tâches militaires à

une EMP a accompli les formalités nécessaires, en vertu de son droit interne, pour

intégrer les employés de cette compagnie au sein de ses forces armées.

Rappelons à cet égard qu’il n’existe, à la base, aucun lien direct entre la Partie au

conflit et les employés du secteur privé, qui sont plutôt liés par contrat à une

73

Nicki Boldt, « Outsourcing War – Private Military Companies and International Humanitarian Law »

(2004) 47 German Yearbook of International Law 502 à la p. 515 [Boldt].

74 Ibid. à la p. 515; Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 524.

75 Schmitt, ibid (Schmitt cite l‟exemple de l‟armée des Talibans en Afghanistan).

76 Gillard, supra note 14 à la p. 533.

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28

corporation77. Le simple fait que des employés d’EMP exercent des tâches

militaires au profit d’une Partie au conflit ne suffisant généralement pas en vertu du

droit national à en faire des membres de ses forces armées78, les employés d’EMP

ne pourront être considérés comme des membres des forces armées d’un État

sans que celui-ci ne pose un geste positif en ce sens. Si cette intégration apparaît

techniquement possible79, il en va de la volonté des États de la mettre en œuvre. À

ce jour, cette solution n’a été retenue que de façon exceptionnelle; il n’est toutefois

pas exclu qu’elle soit davantage utilisée dans l’avenir. Notons à cet égard, que les

États occidentaux semblent envisager les choses différemment de ceux dont la

puissance militaire est moins développée.

L’un des principaux objectifs poursuivis par les États occidentaux qui sous-traitent

des tâches militaires à des EMP est de réduire la taille de leurs forces armées en

privatisant une partie de leurs opérations, ce qui s’oppose, à première vue, à ce

qu’ils intègrent des employés du secteur privé au sein de leurs forces armées

régulières. Ainsi, la tendance actuelle parmi les États occidentaux est de ne faire

aucune démarche pour intégrer les employés d’EMP dans leurs forces armées et

de les considérer comme des civils80, à l’exception du Royaume-Uni qui, avant-

gardiste en la matière, a élaboré une solution novatrice en permettant à l’armée de

sous-traiter certaines activités à des EMP pourvu qu’une proportion de leurs

employés servent dans la « Sponsored Reserve »81 et puissent donc être déployés

77

Avril McDonald, « The Legal Status of Military and Security Subcontractors » dans Roberta Arnold et

Pierre-Antoine Hildbrand, dir., International Humanitarian Law and the 21st Century’s Conflicts, Genève,

Édis, 2005, 215 aux pp. 226-227 [McDonald].

78 Voir en ce sens Gillard, supra note 14 à la p. 533; Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note

2 à la p. 525.

79 Voir notamment Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 524; Boldt, supra note

73 aux pp. 515-516; Michael E. Guillory, « Civilianizing the Force : Is the United States Crossing the

Rubicon? » (2001) 51 A.F.L. Rev. 111 à la p. 141 [Guillory]; Rebecca R.Vernon, « Battlefield Contractors :

Facing the Tough Issues » 33 Pub. Cont. L.J. 369 à la p. 421 [Vernon]; Cameron, supra note 5 à la p. 583.

Voir cependant McDonald, supra note 77 aux pp. 226-227.

80 Cameron, supra note 5 à la p. 584; Boldt, supra note 73 à la p. 513.

81 Reserve Forces Act 1996 (R.-U.), 1996, c. 14.

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comme des membres des forces armées au besoin82. Ainsi, ces employés d’EMP

membres de la « Sponsored Reserve » travaillent comme civils pour l’EMP et,

lorsque nécessaire, servent pour les forces armées à titre de réservistes.

À l’inverse des grandes puissances militaires, certains États qui disposent de

capacités militaires plus limitées et qui cherchaient ainsi à combler un manque de

ressources et d’expertise faisant défaut au sein de leurs propres forces armées ont

vu un avantage particulier à intégrer les employés du secteur privé au sein de leurs

forces armées83. Ce fut notamment le cas d’un certain nombre de pays africains

aux prises avec des conflits internes depuis les années 1990. Ainsi, le

gouvernement de la Papouasie Nouvelle-Guinée a-t-il intégré les employés de

Sandline à ses forces armées en leur accordant le statut de « Special

Constables »84. Certains auteurs affirment également que des employés

d’Executive Outcomes auraient été intégrés aux forces armées de la

Sierra Leone85.

1.2 L’hypothèse de l’incorporation des entreprises militaires privées aux forces armées d’une Partie au conflit

Puisque ce n’est qu’exceptionnellement que des employés d’EMP soient

individuellement intégrés aux forces armées d’une Partie au conflit, il y a lieu de se

demander si l’EMP ne pourrait pas, en tant qu’entité, être considérée comme une

milice, un corps de volontaires86, un groupe ou une unité87 qui fait de jure partie

des forces armées. Là encore, les Conventions cèdent le pas au droit national

82

The British Army, The Reserve Forces Act 1996 – Mobilisation and call out issues, en ligne :

<http://www.armedforces.co.uk/army/listings/l0135.html>.

83 Boldt, supra note 73 à la p. 516.

84 Voir le contrat entre Sandline et le gouvernement de la Papouasie Nouvelle-Guinée daté du 31 janvier

1997, reproduit par Peter W. Singer : Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 à la p. 249; Foreign and

Commonwealth Office, Private Military Companies : Options for Regulation, London, Stationery Office,

2002 à la p. 7, en ligne : <www.fco.gov.uk/Files/kfile/mercenaries,0.pdf>.

85 Juan Carlos Zarate, « The Emergence of a New Dog of War : Private International Security Companies,

International Law, and the New World Disorder » [1998] Stan. J. Int‟l L. 75 à la p. 124 [Zarate].

86 Convention III, art. 4(A)(1).

87 Protocole I, art. 43(1).

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puisqu’elles ne donnent aucun détail sur les conditions que doivent satisfaire ces

groupes pour faire partie des forces armées d’une Partie au conflit. Il semble

toutefois qu’une affiliation formelle aux forces armées soit nécessaire88. En effet, il

ressort des commentaires relatifs à l’article 4(A)(1) de la Convention III que les

milices et corps de volontaires, bien que distincts de l’armée proprement dite, font

partie des « forces armées »89 et sont donc intégrés à sa structure organique90.

Par ailleurs, l’article 43(3) du Protocole I prévoit que les États qui souhaitent

intégrer au sein de leurs forces armées des organisations paramilitaires ou

services armés chargés de faire respecter l’ordre doivent le notifier aux autres

Parties au conflit, ce qui suppose l’existence d’un acte formel d’incorporation91.

Comme le disait le professeur Michael N. Schmitt, il serait pour le moins incongru

qu’un État soit tenu d’incorporer formellement à son armée ces groupes, qui sont

des entités gouvernementales par essence, et qu’il n’ait pas à le faire pour des

compagnies privées92.

Le simple fait qu’une EMP se voit confier, par contrat, des tâches de nature

militaire ou qu’elle assiste les forces armées dans leur travail apparaît donc

insuffisant pour qu’elle fasse partie de celles-ci et que ses employés se voient

octroyer, de jure, le statut de combattant93. Cette incorporation pourrait, suivant les

exigences du droit national, devoir se faire au moyen d’une loi nationale qui

soumettrait l’EMP à la chaîne de commandement militaire94. Aussi, une notification

88

Henckaerts, supra note 38 à la p. 17.

89 De Preux, supra note 66 à la p. 58; Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 525;

Gillard, supra note 14 à la p. 532; Boldt, supra note 73 aux pp. 523-524.

90 David, supra note 68 à la p. 419.

91 Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 525; Cameron, supra note 5 à la p. 583;

Centre universitaire de droit international humanitaire, Expert meeting on private military contractors : Status

and state responsibility for their actions, Genève, 29-30 août 2005 à la p. 12, en ligne :

<http://www.ucihl.org/communication/private_military_contractors_report.pdf> [Centre universitaire de droit

international humanitaire].

92Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 525. Voir au même effet Centre

universitaire de droit international humanitaire, ibid.

93 Schmitt, ibid; Cameron, supra note 5 à la p. 584.

94 Voir également Henckaerts, supra note 38 à la p. 17 (l‟intégration aux forces armées se fait normalement

par un acte formel d‟incorporation, tel un acte du parlement).

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31

au sens de l’article 43(3) du Protocole I serait requise afin que l’ennemi puisse

savoir qui fait partie des forces armées, qui lui sont opposés95.

Nous n’avons recensé aucun cas précis où des EMP, en tant qu’entités, auraient

été formellement intégrées aux forces armées d’une Partie à un conflit96.

Évidemment, une telle incorporation apparaît, au même titre que l’intégration

individuelle des employés, contraire aux objectifs qui sous-tendent la privatisation

par les États occidentaux, à moins qu’elle ne puisse se faire sur une base très

temporaire, ce qui est loin d’être certain. Il est en outre assez difficile d’imaginer

comment une entreprise privée pourrait être intégrée à la structure militaire d’un

État à moins qu’elle ne soit nationalisée.

2. Le statut de combattant de facto : l’appartenance à un groupe armé satisfaisant aux conditions énoncées aux Conventions

2.1 Les conditions d’obtention du statut de combattant de facto

L’article 4(A)(2) de la Convention III et les articles 43 et 44 du Protocole I énoncent

plusieurs conditions qu’un groupe, en tant qu’organisation, et ses membres,

individuellement, doivent satisfaire afin que ces derniers obtiennent le statut de

combattant sans pour autant être formellement intégrés aux forces armées.

Puisque les règles régissant l’octroi du statut de combattant formulées dans la

Convention III et le Protocole I expriment essentiellement la même idée97, nous

analyserons simultanément le statut des employés d’EMP au regard de ces deux

instruments, tout en soulignant, lorsqu’il y a lieu, les différences possibles. Il

importe de préciser que nous avons divisé, pour les fins de notre analyse, les

exigences des conventions en un certain nombre de conditions. Cette division

95

Cameron, supra note 5 à la p. 583.

96 Certains auteurs mentionnent que des EMP sont régulièrement assimilées aux forces armées, sans toutefois

donner d‟exemples ou de références. Notons cependant qu‟ils font cette affirmation dans le cadre de leur

questionnement à savoir si leurs employés sont des mercenaires; ils n‟affirment pas que ces derniers auraient

le statut de combattant. Voir notamment Zarate, supra note 85, à la note 124 dont les propos sont repris par

Nathaniel Stinnett, « Regulating the Privatization of War : How to stop Private Military Firms from

committing Human Rights Abuses » (2005) 28 B.C. Int‟l & Comp. L. Rev. 212 à la p. 216.

97 Henckaerts, supra note 38 à la p. 15; Detter, supra note 56 à la p. 137.

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32

n’est cependant pas étanche et les conditions doivent s’analyser les unes par

rapport aux autres, chacune d’entre elles ayant une influence l’une sur l’autre.

Le statut de combattant, bien qu’il bénéficie ultimement à des individus, s’évalue

d’abord sur une base collective, en fonction d’un groupe98. Ainsi, pour déterminer

si un individu bénéficie du statut de combattant, il faut, dans un premier temps,

vérifier si le groupe dont il fait partie satisfait aux critères énoncés aux

Conventions. Si tel est le cas, il sera, a priori, considéré comme combattant et

exclu de la catégorie des personnes civiles. Par contre, si cet individu fait défaut de

respecter les conditions individuelles requises pour l’octroi du statut de combattant,

il perdra alors son droit à bénéficier des privilèges associés à ce statut. Ainsi, nous

proposons d’énoncer les conditions d’obtention du statut de combattant de facto de

la façon suivante.

Les conditions applicables au groupe :

i) Remplir un mandat pouvant impliquer une participation directe aux hostilités;

ii) Agir au nom d’une Partie au conflit;

iii) Être soumis à un commandement responsable mis en force par un régime

de discipline et

iv) Respecter les lois et coutumes de la guerre.

Les conditions applicables à l’individu :

i) Porter un uniforme ou un signe distinctif et

ii) Porter ouvertement les armes.

2.2 La faculté pour les États d’avoir recours à des combattants de facto

Avant de se livrer à l’examen du respect ou non des conditions d’obtention du

statut de combattant de facto par les employés d’EMP, il convient de s’interroger

sur la possibilité que des employés d’entreprises privées mandatées par un État

puissent potentiellement revendiquer l’application des critères d’octroi propres au

98

Centre universitaire de droit international humanitaire, supra note 91 à la p. 11.

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33

statut de combattant de facto plutôt que ceux réservés aux forces armées

régulières. Si tel était le cas, ceci pourrait permettre aux États de remplacer une

partie de leurs forces armées régulières (ou, dans certains cas, en augmenter les

effectifs) par des combattants de facto sous contrat avec des entreprises privées

qui, bien que mandatées par une Partie au conflit, opèreraient, dans une certaine

mesure, en marge de ses forces armées régulières. A priori, une telle pratique

apparaît s’opposer à la tradition westphalienne suivant laquelle il est généralement

acquis que les États, dès lors qu’ils disposent de forces armées régulières, livrent

bataille par l’intermédiaire de celles-ci. Le statut de combattant de facto s’est ainsi

développé pour couvrir des groupes d’individus qui opèrent en marge de la

structure étatique.

Le statut de combattant de facto (membres des forces armées irrégulières) prévu

par la Convention III, laquelle reprend les principes du Règlement de La Haye, a

été initialement conçu pour couvrir les membres des mouvements de résistance99.

Plus précisément, le paragraphe 4(A)(2) de la Convention III confère le statut de

prisonnier de guerre aux « membres des autres milices et (…) membres des

autres corps de volontaires, y compris ceux des mouvements de résistance

organisés, appartenant à une Partie au conflit [nos italiques] ». Ce paragraphe

étant placé immédiatement après celui qui octroie le statut de prisonnier de guerre

aux forces armées régulières, les combattants de facto sont souvent définis

comme des membres de milices ou corps de volontaires qui sont indépendants de

ces forces armées bien qu’ils appartiennent à une Partie au conflit100.

Quant à savoir ce que signifie concrètement cette indépendance, les opinions

divergent. Selon le professeur Schmitt, l’indépendance se mesure par le degré

d’autonomie avec lequel le groupe opère puisqu’en l’absence d’autonomie, le

groupe ne saurait se distinguer des forces régulières et tomberait donc sous le

99

David, supra note 68 à la p. 422.

100 Bothe, supra note 57 à la p. 233.

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34

coup de l’article 4(A)(1) de la Convention III101. À son avis, plus les entrepreneurs

privés seront soumis au contrôle des forces armées régulières, moins ils en seront

indépendants. À l’inverse, plus une EMP aura le contrôle de ses opérations, moins

elle appartiendra à une Partie au conflit. Dans cette perspective, le critère

d’indépendance s’opposerait à ce qu’un État remplace son armée régulière par

des combattants de facto102.

D’autres estiment plutôt que si les groupes armés devaient nécessairement être

indépendants des forces armées régulières, au niveau de leur organisation, il leur

serait vraisemblablement impossible d’appartenir à une Partie au conflit et, par

conséquent, le statut de combattant de facto perdrait tout effet utile103. Une simple

indépendance de jure serait suffisante, celle-ci étant acquise dès lors que la milice

ou le corps de volontaires n’est pas formellement intégré aux forces armées

régulières104. Cette interprétation nous apparaît davantage conforme à l’esprit de la

Convention et à l’interprétation donnée par le CICR105. Elle trouve également appui

dans l’affaire Le Procureur c. Tadić du Tribunal pénal international pour l’ex-

Yougoslavie (ci-après, « TPIY ») où la Chambre d’appel a mentionné que les États

ont accepté, en pratique, que les belligérants aient recours à des unités

paramilitaires et des forces irrégulières dans la mesure où ils sont disposés à

assumer toute responsabilité pour les violations du droit humanitaire que

pourraient commettre ces forces106.

101

Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 aux pp. 528-529; Cameron, supra note 5 à la

p. 585. Voir également Michael Bothe qui fait référence à la condition d‟indépendance, dans un contexte plus

large : Bothe, supra note 57 aux pp. 233-234.

102 Voir également Cameron, supra note 5 (« It could in fact be argued that when states make a conscious

choice to engage non-military personnel from the private sector to perform certain tasks, then to qualify those

persons somehow as a kind of paramilitary force for the purposes of Article 4(A)(2) flies in the face of

logic. » à la p. 585).

103 Boldt, supra note 73 à la p. 526.

104 Ibid.

105 Bothe, supra note 57 aux pp. 232-234; Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57. Emanuela-

Chiara Gillard adopte une position différente: Gillard, supra note 14 à la p. 534).

106 Le Procureur c. Tadić, IT-94-1, Arrêt (15 juillet 1999) au para. 94 (TPIY, Chambre d‟appel) [Tadić].

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35

À tout événement, cette question de l’indépendance des combattants de facto ne

saurait poser problème sous le régime du Protocole I, celui-ci ayant éliminé la

distinction entre les membres des forces armées régulières et ceux des forces

irrégulières en les regroupant sous un vocable commun – celui de membres des

forces armées. À la lumière de ce qui précède, il ne nous semble pas exclu,

a priori, que des États puissent choisir de remplacer une partie de leurs forces

armées régulières par des combattants de facto, dans la mesure évidemment où

les critères mentionnés à l’article 4(A)(2) de la Convention III ou aux articles 43 et

44 du Protocole I, selon le cas, sont satisfaits.

2.2 L’examen du respect des conditions d’obtention du statut de combattant de facto par les employés d’entreprises militaires privées

2.2.1 Les conditions applicables au groupe

Nous examinerons, dans un premier temps, si les employés d’EMP, en tant que

groupe, i) accomplissent un mandat pouvant impliquer une participation directe aux

hostilités; ii) agissent au nom d’une Partie au conflit; iii) sont soumis à un

commandement responsable mis en force par un régime de discipline et iv)

respectent les lois et coutumes de la guerre.

i) Un mandat pouvant impliquer une participation directe aux hostilités

Bien qu’il ne s’agisse pas de l’une des conditions posées en termes exprès, le

libellé des articles 4(A)(2) de la Convention III107 et de l’article 43 du Protocole I 108

suggère que le statut de combattant est destiné à s’appliquer à des groupes

« armés ». Ceci suppose, selon les différents auteurs, que le groupe doit se livrer à

des actes hostiles envers l’ennemi109, participer aux combats110, exercer des

107

L‟article 4(A)(2) de la Convention III réfère « aux milices et corps de volontaires » qui sont, par définition,

des groupes armés, et pose la condition de porter ouvertement les armes.

108 L‟article 43 du Protocole I définit les forces armées d‟une Partie au conflit comme étant « toutes les forces,

tous les groupes et toutes les unités armés (…) ».

109 Henckaerts, supra note 38 à la p. 15.

110 Centre universitaire de droit international humanitaire, supra note 91 à la p. 11.

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activités proches du cœur des opérations militaires111, conduire les hostilités pour

une Partie au conflit112 ou encore participer directement aux hostilités113.

Peu importe la terminologie employée, il nous semble logique de penser que le

statut de combattant est intrinsèquement lié à la participation aux hostilités,

considérant que l’intérêt de distinguer les combattants des civils repose justement

sur la nécessité d’identifier ceux qui peuvent légalement prendre part aux hostilités

et ceux qui doivent en être épargnés. C’est d’ailleurs ce qui distingue les

combattants des civils qui accompagnent les forces armées, visés au paragraphe

4(A)(4) de la Convention III114. Ainsi, sommes-nous d’avis qu’un groupe d’individus

oeuvrant pour une EMP et affecté à une mission particulière constituera un groupe

armé dans la mesure où il s’est vu confier des tâches suffisamment proches du

cœur des activités militaires pour être exposé à prendre part directement aux

hostilités. Il n’apparaît pas nécessaire que les termes du mandat octroyé ou les

directives émises ultérieurement impliquent d’emblée une participation aux

hostilités, mais les tâches confiées devraient, de par leur nature, être susceptibles

d’entraîner une telle participation.

Selon Emanuela-Chiara Gillard, conseillère juridique au CICR, cette exigence

d’être mandaté pour exercer des activités près du cœur des opérations militaires

aurait pour effet d’exclure une large majorité d’entrepreneurs privés du statut de

combattant puisqu’il existerait un consensus parmi les États à l’effet que ces

activités ne devraient pas être confiées au secteur privé115. S’il est vrai que les

États semblent, dans leur discours officiel ou leur législation116, réticents à confier

111

Gillard, supra note 14 aux pp. 534-535.

112 Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 à la p. 33.

113 Boldt, supra note 73 aux pp. 517-523.

114 Centre universitaire de droit international humanitaire, supra note 91 à la p. 11; Boldt, supra note 73 aux

pp. 516-517.

115 Gillard, supra note 14 à la p. 535.

116 É.-U., Department of Defence, Contractor Personnel Authorized to Accompany the U.S. Armed Forces,

Instruction no 3020.41, 3 octobre 2005 au para. 6.1.5, en ligne:

<http://www.dtic.mil/whs/directives/corres/pdf/302041p.pdf> [Directive no 3020.41]; É.-U., Department of

Defence, Policy and Procedure for determining workforce mix, Instruction no 1100.22, 7 septembre 2006

[Directive no 1100.22].

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d’emblée des contrats liés aux combats à des EMP, il n’en demeure pas moins

que la littérature révèle plusieurs exemples où des EMP ont réalisé des missions

impliquant clairement une participation directe aux hostilités, tel qu’il sera discuté

en partie 2 du mémoire117. Là encore, ce sont les activités exercées dans les faits

et non les termes du contrat ou d’une législation qui doivent prévaloir. Ainsi, le

contexte dans lequel les EMP sont appelées à intervenir et la nature des missions

qui leur sont confiées pourraient, dans certains cas, en faire des groupes armés.

Cette question de la participation d’EMP aux hostilités, vu sa complexité et son

importance pour notre propos, sera plus amplement abordée dans une section

distincte du présent mémoire118.

ii) Agir au nom d’une Partie au conflit

L’article (4)(A)(2) de la Convention III exige que le groupe « appartienne » à une

Partie au conflit119. Il ne fait désormais aucun doute qu’une simple liaison de fait,

incluant un accord tacite, soit suffisante120. Ce qui importe, c’est que le caractère

des opérations exercées par le groupe en question permette d’identifier la Partie

au conflit pour laquelle il agit121. L’article 43 du Protocole I, qui pose la définition

des « forces armées d’une Partie au conflit » [nos italiques], ne semble avoir

apporté aucun changement à cette condition, les Hautes Parties contractantes

demeurant soucieuses d’éviter qu’un groupe quelconque ne soit admis à faire une

« guerre privée »122.

Suivant la jurisprudence du TPIY, un groupe appartiendra à une Partie au conflit

au sens de l’article 4(A)(2) de la Convention III s’il est dépendant de cette Partie

117

Voir infra, Partie 2, Chapitre I.

118 Voir infra Partie 2, Chapitre I.

119 De Preux, supra note 66 aux pp. 64-65.

120 De Preux, supra note 66 aux pp. 64-65. Voir également David, supra note 68 aux pp. 422-423.

121 De Preux, ibid. à la p. 64. Voir également Gillard, supra note 14 à la p. 534 et Schmitt, « Direct

Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 527.

122 Bothe, supra note 57 à la p. 519; Sandoz, supra note 50 au para. 1672; Henckaerts, supra note 38 à la

p. 15.

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ou, en d’autres termes, soumis à son contrôle123. En l’absence de règle issue du

DIH sur cette question, la Chambre d’appel du TPIY s’est référée aux règles

relatives à la responsabilité des États. Elle estime qu’il s’agit concrètement de

déterminer si le groupe peut être considéré, de droit ou de fait, comme un organe

de cette Partie au conflit124. Lorsqu’il s’agit d’un groupe organisé, comme ce serait

le cas d’une EMP, la Chambre estime qu’un contrôle global est suffisant pour

considérer que le groupe agit au nom de l’État, rejetant le test plus étroit formulé

par la Cour internationale de Justice dans l’Affaire des activités militaires et para-

militaires au Nicaragua et contre celui-ci125. Ce contrôle doit aller au-delà d’une

simple assistance financière, de la fourniture d’équipement militaire ou de

l’entraînement, sans qu’il ne soit toutefois requis que l’État n’émette des ordres

spécifiques ou ne dirige chacune des opérations126. Suivant la Chambre d’appel,

« [l]e degré de contrôle requis en droit international peut être considéré comme

avéré lorsqu’un État (ou, dans le contexte d’un conflit armé, une Partie au conflit)

joue un rôle dans l’organisation, la coordination ou la planification des actions

militaires du groupe militaire, en plus de le financer, l’entraîner, l’équiper ou lui

apporter son soutien opérationnel »127. Notons toutefois que cette interprétation

élargie de la notion de contrôle qui sert à déterminer l’appartenance à une partie

au conflit a vocation à s’appliquer uniquement en droit pénal international; la Cour

internationale de Justice a réitéré dans l’Affaire relative à l’application de la

Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide qu’un

123

Tadić, supra note 106 aux para. 94-95. Il convient de noter que l‟analyse de la Cour s‟inscrit dans le

contexte où celle-ci devait statuer sur l‟existence d‟un conflit armé international et donc se demandait si les

forces des Serbes de Bosnie pouvaient être considérées comme des organes de fait de la République fédérale

de Yougoslavie.

124 Ibid. aux para. 91-96.

125 Affaire des activités militaires et para-militaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-

Unis), [1986] C.I.J. Rec. 14.

126 Tadić, supra note 106 au para. 137.

127 Ibid. au para. 137.

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contrôle plus étroit était nécessaire pour engager la responsabilité de l’État au

niveau international128.

Il fait peu de doute qu’une EMP agira au nom d’une Partie au conflit lorsqu’elle

conclut un contrat directement avec une Partie au conflit, ce contrat constituant un

mandat exprès de l’État d’entreprendre certaines opérations en son nom,

lesquelles seront, de façon plus ou moins détaillées, définies dans le contrat.

L’octroi d’un contrat implique inévitablement un financement des activités exercées

par l’EMP et, dans une mesure susceptible de varier suivant les circonstances, un

rôle dans l’organisation, la coordination ou la planification des actions militaires du

groupe. À cet égard, il est intéressant de souligner que les employés d’EMP sous

contrat avec le Département de la Défense américain se voient émettre une carte

attestant de ce fait129, témoignant ainsi de la reconnaissance expresse du lien qui

les uni à l’État américain.

La situation peut cependant s’avérer plus délicate lorsqu’une EMP se voit octroyer

un contrat en sous-traitance par une autre EMP qui a elle-même été mandatée par

un État, une pratique notamment répandue en Irak. À titre d’exemple, les États-

Unis avaient accordé un contrat à Kellogg, Brown and Root (ci-après, « KBR »)

pour gérer, sur une base globale, les services de support aux troupes américaines,

incluant la tâche d’assurer la sécurité des individus et des biens impliqués, désigné

sous le vocable Logistics Civil Augmentation Program (ci-après, « LOGCAP »).

KBR a eu recours à un important réseau de sous-traitants pour exécuter les

différentes facettes du contrat, qui ont, à leur tour, eu recours à des sous-traitants

et ainsi de suite. Il n’est pas rare qu’un sous-traitant soit le quatrième

intermédiaire130. La condition d’appartenance à une Partie au conflit pourrait être

satisfaite même en cas de sous-traitance, dans la mesure où l’EMP exécute des

128

Affaire relative à l’application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide

(Bosnie-Herzegovine c. Serbie-et-Monténégro), [2007] C.I.J. Rec. au para. 403 [Affaire relative à la

Convention sur le génocide].

129 Louise Doswald-Beck, « Private military companies under international humanitarian law » dans

Simon Chesterman et Chia Lehnardt, From Mercenaries to Market – The Rise and regulation of private

military companies, Oxford, Oxford University Press, 2007, 115 à la p. 119 [Doswald-Beck].

130 Pelton, supra note 3 aux pp. 119-120.

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activités inhérentes au contrat octroyé par l’État131. Dans ce cas, l’EMP agissant

comme sous-traitante poursuit non seulement un objectif d’une Partie au conflit

mais exécute, de fait, un mandat en son nom. Ses actes sont inévitablement la

résultante d’une certaine planification de cet État et sont financés par celui-ci,

constituant, à tout le moins, une approbation tacite de sa part à agir en son nom.

iii) Être soumis à un commandement responsable mis en force par un régime de discipline

Afin que le DIH ne demeure pas lettre morte et qu’il soit effectivement respecté sur

le terrain, les Hautes Parties contractantes ont prévu que les troupes devraient

opérer à l’intérieur d’un cadre hiérarchique imposant un lien de subordination entre

ceux qui ont pour mission de diriger les opérations et ceux qui les exécutent, le

respect de ce cadre hiérarchique devant être assuré par un régime de discipline.

Ainsi, l’article 4(A)(2)(a) de la Convention III impose-t-il aux membres des autres

milices et corps de volontaires « d’avoir à leur tête une personne responsable pour

ses subordonnés ». Cette exigence, bien que formulée en termes différents, a été

reprise par l’article 43 du Protocole I, lequel exige des forces armées d’une Partie

au conflit qu’elles soient « placées sous un commandement responsable de la

conduite de ses subordonnés devant cette Partie » et qu’elles soient « soumises à

un régime de discipline interne qui assure, notamment, le respect des règles du

droit international applicable dans les conflits armés ».

Traditionnellement, les États assujettissent leurs forces armées régulières à la

chaîne de commandement militaire, laquelle établit d’étroits rapports de

subordination entre chacun des membres des forces armées et définit de façon

précise les responsabilités qui leur incombent. Le respect de cette chaîne de

commandement est assuré par la mise en place d’un régime de discipline militaire

assorti de sanctions pénales. Ainsi, chaque membre des forces armées est

légalement tenu d’obéir aux ordres que lui donne le commandant de qui il relève.

Le commandant est pour sa part chargé de veiller à ce que ses subordonnés

131

Voir également en ce sens Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 528; Boldt,

supra note 73 à la p. 525.

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respectent ses ordres et le code de discipline. En cas de désobéissance, il est

habilité à imposer des sanctions.

Si les exigences d’un commandement responsable et d’un régime de discipline ne

semblent soulever aucune difficulté dans le contexte militaire traditionnel, leur

portée s’avère beaucoup plus difficile à circonscrire lorsque des entités privées

entrent en jeu. Gouvernées pour la plupart par d’anciens militaires, plusieurs EMP

sont organisées suivant le modèle militaire et donc régies par un cadre

hiérarchique relativement strict132. Un régime disciplinaire est aussi généralement

mis en place au sein de ces compagnies133. Aussi, plusieurs EMP ont adhéré au

Code de conduite adopté par l’International Peace Operations Association (ci-

après, « IPA ») par lequel elles s’engagent notamment à respecter le DIH134. Par

contre, les employés d’EMP étaient, jusqu’à récemment, généralement tenus à

l’écart de la chaîne de commandement militaire et des lois pénales militaires135.

Cette situation pourrait bien être en train de changer pour les 100 000

entrepreneurs qui travaillent actuellement sous contrat avec les États-Unis. Depuis

janvier 2007, les entrepreneurs privés qui accompagnent les forces armées

américaines sur le terrain sont, suivant toute vraisemblance, soumis au Code de

justice militaire américain, soit au même régime juridique que les membres des

forces armées. Ils tomberaient donc désormais sous le coup de la juridiction de la

Cour martiale et seraient soumis à la chaîne de commandement militaire. Au

moyen d’un très bref article noyé dans l’immense Loi sur le budget de 2007, les

États-Unis ont subtilement amendé l’article 2(a)(10) du Code de justice militaire

américain pour y soumettre les personnes qui accompagnent les forces armées

sur le terrain non plus seulement en temps de guerre déclarée, comme c’était le

132

Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 529.

133 Ibid.

134 International Peace Operations Association, IPOA Code of conduct, version 10, adopté le 31 mars 2005, en

ligne : <http://www.ipoaonline.org/en/standards/code.htm>.

135 Doswald-Beck, supra note 129 aux pp. 120-121. Jennifer K. Elsea et al, Private Security Contractors in

Iraq: Background, Legal Status, and Other Issues, CRS Report for Congress, 25 août 2008, à la p. 21, en

ligne: <http://www.fas.org/sgp/crs/natsec/RL32419.pdf> [Elsea].

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cas avant l’amendement, mais également lors d’opérations de contingence. Avant

cet amendement, les entrepreneurs privés n’étaient pas soumis au Code de justice

militaire puisque le Congrès n’avait pas fait de déclaration de guerre au cours des

65 dernières années.

La légalité et la réelle portée de cet amendement demeurent toutefois incertaines.

Notons que certains avocats mettent déjà en doute la constitutionalité de cet

amendement136. Le professeur Singer suggère pour sa part que différentes

interprétations relativement aux personnes et aux actes qui seraient visés sont

susceptibles d’être retenues par les tribunaux. Il est notamment envisageable

selon lui que seuls les employés sous contrat avec le Département de la Défense

américain soient visés et que l’ensemble du droit militaire ne soit pas applicable137,

de telle sorte que certains demeureraient à l’abri de toute poursuite pénale138. Il

n’en demeure pas moins qu’il s’agit certainement du plus important développement

législatif visant à résoudre les problèmes juridiques qui rendaient difficile, dans

certains cas, impossible, de poursuivre en justice les entrepreneurs privés, une

problématique décriée depuis plusieurs années139. Il est pour le moins ironique que

cet amendement se soit fait si subtilement qu’il soit presque passé inaperçu.

Dans la mesure où des employés d’EMP sont soumis à un code de justice militaire

ou, de façon générale, à la chaîne de commandement militaire et aux lois pénales

militaires, ils respectent certainement les exigences d’être soumis à un

« commandement responsable » et à un « régime de discipline ». L’amendement

au Code de justice militaire américain pourrait donc régler cette question à l’égard

de plusieurs milliers d’entrepreneurs. Par contre, tous ne travaillent pas sous

136

Voir les propos rapportés par Peter W. Singer, qui ne partage toutefois pas cet avis : Peter W.

Singer, Frequently Asked Questions on the UCMJ Change and its Applicability to Private Military

Contractors, The Brookings Institution, 12 janvier 2007, en ligne:

<http://www.brookings.edu/opinions/2007/0112defenseindustry_singer.aspx> [Singer, « Frequently Asked

Questions on the UCMJ »]; Elsea, supra note 135 aux pp. 21, 25-30.

137 Singer, ibid. Voir également Rubin et Von Zielbauer, supra note 1.

138 Elsea, supra note 135 à la p. 21.

139 É.-U., Report of the Secretary of State’s Panel on Personal Protective Services in Irak (octobre 2007) à la

p. 4, en ligne: <http://www.state.gov/documents/organization/94122.pdf> [Report of the Secretary of State’s

Panel].

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43

contrat avec les États-Unis et nous n’avons identifié aucun autre État qui aurait, à

l’heure actuelle, emprunté cette voie140. Il convient donc de se demander s’il est

possible pour des employés d’EMP de remplir l’exigence d’être soumis à un

commandement responsable et à un régime de discipline sans pour autant être

soumis à la chaîne de commandement militaire et assujettis aux lois militaires.

Sur cette question, la doctrine est fondamentalement divisée. Certains auteurs

sont d’avis que l’assujettissement à la chaîne de commandement et aux lois

militaires est nécessaire pour que les employés du secteur privé puissent être

considérés comme des combattants141. D’autres ont une vision différente et

estiment qu’il est suffisant que l’EMP agisse sur les instructions, les directives ou le

contrôle d’une Partie au conflit, au sens de l’article 8 du Projet d’articles sur la

responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite (ci-après, le « Projet

d’articles sur la responsabilité de l’État »)142, et que l’EMP, en tant qu’entité

corporative, soit responsable des actes de ses employés envers cet État aux

termes d’un contrat143. Certains auteurs estiment même qu’il serait suffisant que

l’EMP exécute en sous-traitance une partie d’un contrat octroyé par un État à une

autre EMP et engage ainsi la responsabilité de cet État au sens de l’article 8 du

Projet d’articles sur la responsabilité de l’État144. Quelques auteurs considèrent

pour leur part que l’existence d’un cadre hiérarchique et d’un régime de discipline,

au sein même de la compagnie, serait suffisante, en autant par ailleurs que l’EMP

« appartienne à une Partie au conflit »145. Enfin, selon d’autres, le fait que l’EMP

140

Notons toutefois le cas du Royaume-Uni qui prévoit, tel que discuté précédemment, l‟intégration d‟un

certain nombre d‟employés d‟EMP aux forces armées, avec comme corollaire leur assujettissement aux lois

militaires.

141 Centre universitaire de droit international humanitaire, supra note 91 à la p. 11; McDonald, supra note 77

aux pp. 226-227, 229.

142 Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, Rapport de la

Commission du droit international sur les travaux de sa 53e session, Doc. off. AG NU, 56

e sess., supp. n

o 10,

Doc. NU A56/10 (2001) 388.

143 Boldt, supra note 73 aux pp. 526-528; Centre universitaire de droit international humanitaire, supra note

91 à la p. 11.

144 Voir Boldt, supra note 73.

145 Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2, aux pp. 529-530; Gillard, supra note 14 à la p.

535.

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44

soit soumise à la juridiction criminelle ou civile (au terme d’un contrat) de l’État qui

la mandate serait suffisant146.

S’il est clair qu’un cadre hiérarchique dont le respect est assuré par un régime de

discipline soit requis, la divergence d’opinions parmi les auteurs nous semble

résulter du fait que ceux-ci envisagent différemment le fondement de l’exigence

d’un « commandement responsable ». Alors que certains lient l’exigence d’un

commandement responsable à la mise en œuvre de la responsabilité de l’État,

d’autres l’envisagent plutôt dans le contexte où elle aurait pour but d’assurer la

mise en œuvre de la responsabilité des supérieurs. L’exégèse des articles 4(A)(2)

de la Convention III et 43 du Protocole I nous porte à favoriser cette seconde

interprétation, la mise en œuvre de la responsabilité de l’État étant d’ailleurs déjà

couverte par l’exigence précédente d’appartenir à une Partie au conflit. Nous

analyserons, dans un premier temps, l’exigence du commandement responsable,

et, ensuite, celui du régime de discipline.

- Le commandement responsable

En faisant expressément référence à une relation de commandant et subordonné,

la Convention III et le Protocole I renvoient directement à la notion de

responsabilité des supérieurs développée par la jurisprudence issue de la

Deuxième Guerre mondiale et désormais considérée comme faisant partie du droit

coutumier147. En font notamment foi les Commentaires relatifs à l’article 4(A)(2)(a)

de la Convention III, qui énoncent :

La responsabilité du chef s'entend des actes qu'il a ordonnés comme de ceux qu'il n'a pu empêcher. Sa compétence doit être appréciée d'une manière analogue à celle d'un chef militaire. Au surplus, le respect de cette règle est une garantie en elle-même de la discipline qui doit régner dans les corps de volontaires, et qui doit ainsi donner

146

Doswald-Beck, supra note 129 à la p. 121.

147 Antonio Cassese, International Criminal Law, Oxford, Oxford University Press, 2003, aux pp. 203-205

[Cassese].

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45

des assurances raisonnables que les autres conditions ci-dessous seront observées148.

Le Protocole I poursuit sur la même lancée en liant étroitement les conditions de

commandement responsable et de régime de discipline au devoir qui incombe aux

Parties au conflit de veiller à ce que leurs commandants imposent le respect du

DIH à leurs subordonnés149. Plus précisément, les Parties au conflit doivent exiger

de leurs commandants qu’ils instruisent les troupes placées sous leurs ordres

quant aux obligations que leur impose le DIH, qu’ils en empêchent les violations et

qu’ils répriment ou dénoncent toute violation aux autorités compétentes150. Pour

s’assurer que les commandants s’acquitteront de leur tâche, l’article 86 du

Protocole I prévoit qu’ils doivent être passibles de sanctions pour les violations du

DIH commises par leurs subordonnés.

Un groupe sera ainsi soumis à un « commandement responsable » si les membres

des échelons supérieurs sont, en vertu d’un cadre hiérarchique et d’un régime de

discipline, en charge de superviser la conduite de leurs subordonnés sur le

terrain151. Ces deux éléments confèrent aux commandants l’autorité nécessaire

pour permettre de les rendre personnellement responsables des violations du DIH

commises par les troupes placées sous leur commandement. À cet effet, il est

désormais acquis que les supérieurs engageront leur responsabilité pour les

violations du DIH commises par leurs subordonnés dès lors i) qu’ils ont le pouvoir

de contrôler leurs actions, ii) qu’ils ont connaissance de l’infraction ou aptitude à la

connaître et iii) qu’ils ont le pouvoir de la prévenir ou de la réprimer152. Il n’est par

ailleurs pas requis que la personne en autorité soit militaire153 ni qu’elle réponde de

148

De Preux, supra note 66 aux pp. 66-67; Bothe, supra note 57 au para. 2.3.1.1.

149 Henkaerts, supra note 38 à la p. 16.

150 Protocole I, art. 87.

151 Dinstein, supra note 39 à la p. 39.

152 David, supra note 68 à la p. 664; Cassese, supra note 147 aux pp. 208-209.

153 De Preux, supra note 66 à la p. 67; Statut de Rome de la Cour pénale internationale, 17 juillet 1998, 2187

R.T.N.U. 38544, art. 28 b) [Statut de Rome]; Le Procureur c. Bagilishema, ICTR-95-1A-A, Arrêt (3 juillet

2002) au para. 52 (TPIR, Chambre d‟appel).

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ses actes devant une Partie au conflit154. Bien qu’une relation hiérarchique formelle

ne soit pas requise155, il doit à tout le moins exister, de facto, un rapport d’autorité

impliquant le pouvoir de donner des ordres et l’obligation d’y obéir semblable au

degré de contrôle qu’exercent les commandants militaires. Il s’agit plus

particulièrement d’appliquer le test du contrôle effectif « c’est-à-dire la capacité

matérielle d’empêcher ou de punir un comportement criminel, quelle que soit la

manière dont elle s’exerce »156.

Si plusieurs EMP semblent suffisamment organisées à l’interne pour assurer que

les employés placés en position de commande soient responsables des actes

commis par ceux qui leur sont subordonnés, la situation se complique dès lors que

des employés d’EMP interagissent avec des membres des forces armées sans

pour autant être soumis à la chaîne de commandement militaire. La nature des

mandats qui leur sont confiés appelle, dans bien des cas, les employés d’EMP à

agir en collaboration ou coordination avec les forces armées de l’État mandataire.

À titre d’illustration du type de relations que peuvent entretenir les États avec les

EMP, Peter Singer identifie deux types de contrats généralement offerts par les

EMP : le premier est un contrat clé en main (« overall unit packages ») alors que

le second vise à renforcir les forces armées en place par l’addition de forces

spécialisées (« specialized force multipliers »)157.

Dans le premier cas, l’EMP offre une unité militaire vouée à opérer de façon

autonome, pour remplir une mission particulière. Il y a dès lors très peu

d’interactions entre les militaires et les employés du secteur privé. Le meilleur

exemple est sans doute le mandat réalisé par Executive Outcomes au

Sierra Leone où l’entreprise a déployé sur le terrain une unité d’hommes de la taille

d’un bataillon, supportée par un lourd arsenal militaire, qui opérait

154

Voir notamment de Preux, supra note 66 à la p. 66; Gillard, supra note 14 à la p. 535.

155 Il est suffisant que le supérieur soit de facto en position d‟exercer un certain contrôle ou une autorité à

l‟égard de ses « subordonnés » : Cassese, supra note 147 à la p. 208 (référant à la jurisprudence du TPIY).

156 Le Procureur c. Delalic, IT-96-21-A, Arrêt (20 février 2001) au para. 256 (TPIY, Chambre d‟appel).

157 Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 aux pp. 93-94. Voir également Boldt, supra note 73 à la

p. 527.

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indépendamment des forces armées étatiques, voire en remplacement de celles-

ci158.

Dans le second cas, le plus fréquent selon Singer, les employés du secteur privé

se joignent aux forces militaires pour réaliser certaines tâches précises comme,

par exemple, l’opération de systèmes d’armement complexes ou le pilotage de jets

sophistiqués, agissant alors de concert avec les forces armées étatiques,

normalement sous leurs instructions159. Les employés d’EMP sont également

parfois répartis au sein des forces armées pour agir à titre de « mini généraux »

afin qu’un plus grand nombre d’unités puissent bénéficier de leur leadership et

expérience, ce qui les amène alors à agir en commande160.

Évidemment, il s’agit-là d’un exercice de catégorisation et la ligne de démarcation

entre ces deux cas typiques est loin d’être étanche. Le caractère imprévisible des

événements en contexte de conflit armé fait en sorte que la relation entre l’État

donneur d’ouvrage et l’EMP est en constante mouvance et sujette à changement.

L’attaque du siège de l’Autorité provisoire de la Coalition à Najaf, en Irak, en est un

bon exemple. Alors que des insurgés avaient pris les lieux d’assaut, les huit

employés de Blackwater qui étaient en charge de la sécurité de l’immeuble sont

montés sur le toit de celui-ci pour répliquer aux coups de feu. Un militaire

américain qui se trouvait fortuitement dans l’immeuble s’est joint à eux dans leurs

efforts à défendre les lieux. Fort de son entraînement militaire, il a demandé

l’autorisation d’ouvrir le feu sur un insurgé qu’il avait ciblé. Puisqu’il était seul avec

huit (8) employés de Blackwater, cette autorisation lui a été accordée par l’un

d’entre eux161. Ainsi, un employé du secteur privé s’est trouvé de facto à donner

des ordres à un militaire sans avoir nécessairement l’autorité pour le faire. Cette

situation apparaît aussi s’être produite dans le cas de l’interrogatoire de prisonniers

158

Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 aux pp. 93-94.

159 Ibid.

160 Ibid. aux pp. 94-95.

161 Pelton, supra note 3 aux pp. 149-150.

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à la prison d’Abu Grahib, où les employés de la Titan Corporation auraient

supervisé les militaires américains162.

À notre avis, il n’est théoriquement pas exclu que des commandants militaires

puissent, en certaines occasions, se retrouver de facto à donner des instructions,

voire des ordres, à des employés d’EMP, ou vice-versa. Par contre, en l’absence

de soumission à la chaîne de commandement ou, à tout le moins, de

l’établissement d’un rapport de subordination au sein du contrat, la relation

commandant/subordonné fera vraisemblablement défaut puisque les individus en

cause relèveront de régimes d’autorité distincts, sans avoir de rapport de

subordination entre eux. La pratique révèle d’ailleurs à la fois un flagrant manque

de coordination entre les forces armées et les EMP163 et un pouvoir limité des

commandants militaires à exercer un contrôle sur les actes des employés

d’EMP164. La relation entre l’État et l’EMP est normalement sous l’emprise de

l’officier contractant qui est loin du champ de bataille, de sorte que les employés

d’EMP échappent au contrôle du commandant militaire sur le terrain165. Le

sénateur Patrick Kennedy mentionnait en octobre 2007 dans son rapport intitulé

Report of the Secretary of State’s Panel on Personal Protective Services in Irak :

U.S. government personal security detail (PSD) contractors in Iraq, including those of the Department of State, operate in an overall environment that is chaotic, unsupervised, deficient in oversight and accountability, and poorly coordinated166.

162

Chia Lehnardt, « Private Military Companies and State Responsibility » dans Simon Chesterman et

Chia Lehnardt, From mercenaries to market – The rise and regulation of private military companies, Oxford,

Oxford Universtiy Press, 2007, 139 à la p.150 [Lehnardt].

163 Report of the Secretary of State’s Panel, supra note 139 à la p. 4; É.-U., Government Accountability

Office, Military Operations – Contractors Provide Vital Services to Deployed Forces but Are Not Adequatly

addressed in DOD Plans, GAO-03-695, juin 2003, en ligne: <http://www.gao.govnew.items/d03695.pdf>.

Voir au même effet Pelton, supra note 3 à la p. 107.

164 Singer, “Corporate Warriors”, supra note 12 à la p. 152. Voir aussi Gillard, supra note 14

(« Consequently, it is unlikely that state representatives will have the necessary control over the actions of

PMC/PSC employees for superior responsibility to arise », à la p. 556).

165 Vernon, supra note 79 aux pp. 382-384, 388-389.

166 Report of the Secretary of State’s Panel, supra note 139 à la p. 4.

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L’aptitude d’un commandant militaire à prévenir ou réprimer les violations

commises par les employés d’EMP, qui ne sont pas soumis à la chaîne de

commandement militaire, est encore plus incertaine. Ses recours semblent se

limiter à faire un rapport aux autorités civiles compétentes, si tant est qu’il y en ait,

à révoquer la carte de sécurité de l’employé délinquant, à exiger son

congédiement ou l’imposition d’une mesure disciplinaire par l’EMP167 ou encore, à

imposer une pénalité monétaire à l’EMP. Le commandant militaire n’a aucun

recours direct contre l’employé d’une EMP168. La mise en œuvre de la

responsabilité des supérieurs nous apparaît extrêmement difficile, voire

impossible, dans ces circonstances.

Dès lors, nous sommes d’avis que lorsque les employés du secteur privé opèrent

de concert avec les forces armées, l’exigence d’un commandement responsable

ne sera généralement pas remplie si les employés du secteur privé ne sont pas

soumis à la chaîne de commandement militaire. Par contre, si elles opèrent de

façon autonome, sans avoir à se coordonner avec les forces armées, les EMP qui

ont mis en place une structure hiérarchique interne pourraient possiblement

satisfaire à cette condition.

- Le régime de discipline

Dans le contexte militaire traditionnel, l’expression « régime de discipline » couvre

les domaines du droit disciplinaire militaire et du droit pénal militaire169. Par contre,

si tel était le sens strict que devait revêtir cette exigence, les partisans et membres

de la guérilla se verraient d’emblée dénier le statut de combattant. Ainsi, cette

condition doit-elle être interprétée de façon à permettre aux groupes armés qui ne

disposent pas de l’appareil étatique, lequel est nécessaire pour assurer le respect

de certaines obligations, de se qualifier comme combattants170. Il apparaît donc

167

Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 aux pp. 159-160.

168 Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 516.

169 Sandoz, supra note 50 au para. 1675.

170 Ibid. au para. 1678; Gillard, supra note 14 à la p. 535.

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50

suffisant que le groupe soit régi par une organisation de type militaire qui assure le

respect des règles du droit international applicables lors de conflits armés171.

Selon les Commentaires au Protocole I, les violations graves du DIH doivent

pouvoir être réprimées par des sanctions pénales, alors qu’il est acceptable que

les autres violations ne soient passibles que de sanctions disciplinaires172. En ce

qui concerne les mesures disciplinaires, il n’apparaît pas nécessaire qu’elles

relèvent d’une Partie au Protocole; il est admis qu’elles puissent être du ressort de

l’autorité dont dépend l’auteur de l’infraction173. Évidemment, les sanctions pénales

relèvent, pour leur part, nécessairement de l’État ou de la justice internationale.

Il nous apparaît donc que le critère du régime de discipline soit satisfait dans la

mesure où, premièrement, l’EMP dispose d’un régime de discipline interne et,

deuxièmement, les employés sont passibles de sanctions pénales pour les

violations graves du DIH qu’ils commettent174.

Sans qu’il ne s’agisse d’une règle générale, la littérature révèle que plusieurs EMP

disposent de régimes de discipline relativement stricts, comparables, à certains

égards, à ceux dont disposent les forces armées régulières175. Quant aux

sanctions pénales, notons, qu’en principe, les violations graves des Conventions

constituent des infractions criminelles dans la plupart des systèmes de droit

nationaux de même que suivant le droit pénal international. A priori, les individus

qui commettent des infractions graves aux Conventions devraient donc être

passibles de poursuites pénales devant les juridictions nationales et/ou

internationales176. Le problème demeure d’exercer, en pratique, cette juridiction

dès lors que l’infraction a eu lieu hors du territoire de l’État mandataire et/ou dans

171

Sandoz, ibid. aux para. 1672, 1675, 1681; De Preux, supra note 66 aux pp. 65-67.

172 Sandoz, ibid. au para. 3542.

173 Ibid. au para. 3539.

174 Voir notamment Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 aux pp. 529-530.

175 Ibid. à la p. 529.

176 Statut de Rome, art. 5 et 8.

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51

le cas où les auteurs ne sont pas ressortissants de cet État177. Des immunités de

poursuites sont également susceptibles de faire échec aux poursuites.

Ainsi, des immunités de poursuites sont parfois octroyées dans le cadre d’accords

entre États et ont, en certaines occasions, pour effet, de soustraire les employés

d’EMP à toute juridiction178. Même si la légalité de ces immunités est douteuse

compte tenu de l’obligation qui incombe aux États de poursuivre les auteurs de

violations graves du DIH179, elles sont révélatrices d’une intention de ne pas

poursuivre et favorisent l’impunité. Cette problématique s’est notamment posée en

Irak où la très controversée Ordonnance 17 délivrée par Paul Bremer accordait

aux employés d’EMP une immunité de poursuite devant les tribunaux iraquiens :

Contractors shall be immune from Iraqi legal process with respect to acts performed by them pursuant to the terms and conditions of a Contract or any sub-contract thereto. Nothing in this provision shall prohibit [Multinational Force] Personnel from preventing acts of serious misconduct by Contractors, or otherwise temporarily detaining any Contractors who pose a risk of injury to themselves or others, pending expeditious turnover to the appropriate authorities of the Sending State. In all such circumstances, the appropriate senior representative of the Contractor’s Sending State in Iraq shall be notified 180.

Considérant que ni les États-Unis ni l’Irak n’ont ratifié le Statut de Rome de la Cour

pénale internationale (ci-après, le « Statut de Rome »), les tribunaux américains se

retrouvent, dans bien des cas, seuls compétents pour juger des crimes commis par

les Américains oeuvrant pour les EMP en Irak. Sans entrer dans les détails du droit

américain, notons que plusieurs auteurs ont dénoncé les difficultés juridiques et

177

Doswald-Beck, supra note 129 à la p. 121.

178 Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 aux pp. 516-517.

179 Convention III, art. 129; Protocole I, art. 86; Katja Weigelt et Frank Marker, « Who is Responsible? The

Use of PMCs in Armed Conflict and International Law » dans Thomas Jager et Gerhard Kummel, dir.,

Private Military and Security Companies – Chances, Problems, Pitfalls and Prospects, Wiesbaden, VS

Verlag, 2007, 377 aux pp. 384-385.

180 Coalition Provisional Authority, Statute of the CPA, MNF-Iraq, Certain Missions and Personnel in Iraq

(Rev.), Order 17, 27 juin 2004, section 4(3), en ligne:

<http://www.iraqcoalition.org/regulations/20040627_CPAORD_17_Status_of_Coalition_Rev_with

Annex_A.pdf>.

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52

pratiques à poursuivre les employés d’EMP qui opèrent en Irak pour les violations

du DIH, une situation à laquelle l’amendement au Code de justice militaire

américain vise à remédier181.

Le journaliste Robert Pelton rapporte que les conversations qu’il a eues avec un

certain nombre d’employés d’EMP en Irak révèlent que plusieurs civils ont été tués

ou blessés par des employés d’EMP chargés d’ « assurer la sécurité », sans

qu’aucun d’entre eux n’aient pourtant fait l’objet de poursuites182. Déjà, en

novembre 2004, le professeur Singer questionnait le fait que plus d’un an et demi

après le début de leur implication en Irak, aucun employé d’EMP n’avait subi de

conséquences légales pour les dommages collatéraux causés en Irak, alors qu’il

est pourtant bien connu que la conduite d’activités militaires est un environnement

propice à la commission d’infractions183. Les suites données aux mauvais

traitements des prisonniers à la prison d’Abou Grahib sont également révélatrices

du régime d’impunité dont ont bénéficié les employés d’EMP en Irak : alors que les

militaires américains impliqués dans les mauvais traitements ont été condamnés

en cour martiale, les employés d’EMP n’ont fait l’objet d’aucune poursuite

pénale184. C’est seulement à l’initiative des victimes que ces derniers ont fait l’objet

de poursuites civiles en vertu du Tort Act américain185. Encore à ce jour, nous

181

Anthony E. Giardino, « Using extraterritorial jurisdiction to prosecute violations of the law of war :

Looking beyond the War Crimes Act » 48 B.C.L. Rev. 699.

182 Pelton, supra note 3 aux pp. 114-115.

183 Peter W. Singer, The Private Military Industry and Iraq : What have we learned and where to next?,

Geneva Center for the Democratic Control of Armed Forces, Policy Paper (novembre 2004) à la p. 12, en

ligne: DCAF <http://www.dcaf.ch/_docs/pp04_private-military.pdf> [Singer, « Policy Paper »]. Voir

également Peter W. Singer, The Law Catches Up to Private Militaries, Embeds, The Brookings Institution,

4 janvier 2007, en ligne: <http://www.brookings.edu/articles/2007/0104defenseindustry_singer.aspx> .

184 Lehnardt, supra note 162 aux pp. 141-142.

185 Saleh v. Titan Corporation, 580 F.3d 1 (D.C. Cir. 2009); Human Rights Watch, By the Numbers –

Findings of the Detainee Abuse and Accountability Project, avril 2006, en ligne:

<http://www.hrw.org/reports/2006/ct0406/3.htm>; Centre universitaire de droit international humanitaire,

supra note 91 à la p. 54.

Page 64: LA SOUS-TRAITANCE D’ACTIVITÉS MILITAIRES PAR L’ÉTAT ...€¦ · travailler pour la justice pénale internationale est devenu réalité. Ce travail de recherche a bénéficié

53

n’avons recensé aucun cas de condamnation criminelle d’un employé d’une

EMP186.

Les tragiques événements survenus le 16 septembre 2007 à Bagdad, où les

employés de Blackwater auraient ouvert le feu sur la foule187, ont forcé le

gouvernement américain à réagir pour remédier au problème de l’impunité dont

bénéficient les EMP en Irak. Face à la pression du gouvernement iraquien et de

l’opinion publique dans le monde entier, la Secrétaire d’État américaine,

Condoleezza Rice, a commandé un rapport sur les pratiques du

Département d’État en matière de sécurité en Irak. Les conclusions du sénateur

Patrick Kennedy sont éloquentes : « The legal framework for providing proper

oversight of Personal Protective Services (PPS) contractors is inadequate, in that

the Panel is unaware of any basis for holding non-Department of Defence

contractors accountable under US laws »188. S’il a d’abord semblé qu’aucune

poursuite ne serait intentée contre les employés de Blackwater, les juridictions

pénales américaines ont finalement intenté des poursuites criminelles pour

meurtres et usage illégal d’armes à feu contre cinq d’entre eux189 en vertu du

Military Extraterritorial Jurisdiction Act of 2000190. Les charges d’abord ont été

rejetées par un juge fédéral en décembre 2009 au motif que le dossier du

Procureur était essentiellement fondé sur des déclarations des prévenus,

inadmissibles en preuves puisque obtenues en violation de leur protection contre

l’auto-incrimination191. Le Procureur a toutefois soumis un nouvel acte

d’accusation, que la Cour a refusé de rejeter sur requête des défendeurs et qui

186

Notons toutefois qu‟un consultant de la CIA, donc directement sous contrat avec la CIA, a été condamné à

huit ans de prison en vertu du Patriot Act après avoir été reconnu coupable d‟abus commis lors

d‟interrogatoires réalisés en Afghanistan : Josh White et Danza Linzer, « Ex Contractor Guilty of Assaulting

Detainee » Washington Post (18 août 2006) A8.

187 Glanz et Rubin, supra note 7.

188 Report of the Secretary of State’s Panel, supra note 139 à la p. 4.

189 United States v. Slough, 669 F.Supp.2d 51 (D.C. 2009) (Grand Jury Indictment).

190 Military Extraterritorial Jurisdiction Act of 2000, 18 U.S.C. §§ 3261-3267.

191 United States v. Slough, 677 F.Supp.2d 112 (D.C. 2009).

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54

sera donc soumis au grand jury pour confirmation192. En réaction à la première

décision rendue rejetant le premier acte d’accusation, le gouvernement iraquien a

ordonné l’expulsion de tous les employés ou ex-employés de Blackwater,

désormais connue sous le nom de Xe193.

Si les immunités de poursuites accordées en certaines circonstances aux

employés d’une EMP devaient leur permettre, légalement ou dans les faits,

d’échapper à toute poursuite pénale pour les violations graves du DIH qu’ils sont

susceptibles de commettre, les employés d’une EMP ne pourraient, à notre avis,

remplir l’exigence d’être assujettis à un régime de discipline au sens de

l’article 4(A)(2) de la Convention III et 43 du Protocole I.

Notre analyse nous amène à conclure qu’à moins d’être soumis à la chaîne de

commandement et aux lois pénales militaires, ce qui semble exceptionnel pour le

moment, les employés d’EMP ne satisferont généralement pas aux exigences de

« commandement responsable » et de « régime de discipline » requises par la

Convention III et le Protocole I pour bénéficier du statut de combattant.

L’amendement au Code de justice militaire américain, dont la portée demeure

cependant à être circonscrite, pourrait toutefois provoquer une nouvelle tendance

et permettre aux employés du secteur privé qui travaillent pour les États-Unis de

remplir ces exigences. Dans les rares cas où l’EMP réalise un mandat de façon

autonome, sans que ses employés ne reçoivent des ordres venant des forces

armées et sans qu’ils n’aient eux-mêmes à en prodiguer, il serait également

envisageable que les conditions de commandement responsable et de régime de

discipline puissent être respectées sans que les employés ne soient soumis aux

lois militaires, dans la mesure où l’EMP a mis en place une structure de

commandement et un régime de discipline efficaces et où il n’y a pas d’immunité

de poursuites.

192

United States v. Slough, 679 F.Supp.2d 55 (D.C. 2010).

193CNN, Iraq orders ex-Blackwater employees out, 10 février 2010, en ligne :

<http://www.cnn.com/2010/WORLD/meast/02/10/blackwater.iraq/index.html>.

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55

iv) Respecter les lois et coutumes de la guerre

La Convention III exige des groupes armés qui aspirent au statut de combattant

« de se conformer, dans leurs opérations, aux lois et coutumes de la guerre »194.

Pour les conflits régis par la Convention III, ceci implique que l’EMP devra

respecter, en tant qu’organisation, les lois et coutumes de la guerre, dont font

partie les Conventions, pour que ses employés obtiennent le statut de

combattant195. L’exigence vise le respect des règles du DIH dans un sens large et

n’est pas limitée aux infractions qui constituent des crimes de guerre196. Des

violations du DIH commises isolément par quelques employés d’une EMP ne

seraient toutefois pas suffisantes pour faire perdre à l’ensemble des employés de

cette entreprise le statut de combattant puisque l’exigence s’applique au groupe

dans son ensemble197. L’idéologie qui sous-tend cette règle est fort simple : ce

n’est que dans la mesure où un groupe est disposé à respecter lui-même les

règles du DIH qu’il pourra en bénéficier198. Cette exigence, jugée discriminatoire à

l’égard des mouvements de résistance et membres de la guérilla, a été

abandonnée par le Protocole I, lequel impose plutôt à toutes les forces armées

d’être soumises à un régime de discipline qui assure le respect du DIH199, tel que

discuté ci-dessus.

Des violations du DIH par des employés du secteur privé ont été rapportées dans

différents contextes : attaques indiscriminées contre des civils, mauvais

traitements infligés à des détenus, emploi de techniques d’interrogatoires illégales

et crimes à caractère sexuel200. Plusieurs auteurs considèrent toutefois qu’en dépit

du fait que des actes contraires au DIH aient été commis à l’occasion par des

194

Convention III, art. 4(A)(2)(4).

195 Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 531; Gillard, supra note 14 à la p. 535.

Voir cependant les propos du professeur Dinstein, qui suggère que le comportement de l‟individu en cause

doit d‟abord être pris en considération : Dinstein, supra note 39 aux p. 43-44.

196 Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 531; Dinstein, ibid. à la p. 39.

197 Schmitt, ibid. à la p. 531.

198 Dinstein, supra note 39 à la p. 39.

199 David, supra note 68 aux pp. 424-426.

200 Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 à la p. 222.

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employés de certaines EMP, la pratique ne révèle pas une violation systématique

des lois de la guerre201. Au contraire, les employés d’EMP seraient généralement

plus enclins à respecter le DIH que les soldats nationaux puisqu’ils ont une

certaine distance par rapport au conflit202. Cette exigence, propre à la

Convention III, sera donc généralement respectée.

2.2.2 Les conditions applicables aux individus

Ayant procédé à l’analyse du respect des conditions applicables au groupe, nous

examinerons maintenant si le non-respect des conditions applicables aux individus

pourraient faire perdre aux employés d’EMP le droit au statut de combattant, à

supposé qu’ils l’aient obtenus en ce que le groupe dont ils font parties

respecteraient les conditions énoncées ci-haut. Ainsi, les employés d’EMP

pourraient perdre le droit au statut de combattant s’ils ne portent pas un uniforme

ou signe distinctif et s’ils ne portent pas ouvertement les armes.

i) Porter un uniforme ou un signe distinctif

Suivant les exigences de la Convention III, les employés d’une EMP devraient,

pour bénéficier du statut de combattant, « avoir un signe distinctif fixe et

reconnaissable à distance »203. Ceci signifie qu’ils doivent porter un uniforme ou, à

tout le moins, un signe permettant d’identifier leur appartenance à une Partie au

conflit et de les distinguer de la population civile. Le signe doit être distinctif, en ce

qu’il doit permettre d’identifier la force qui l’utilise et, fixe, en ce qu’il ne soit pas

appelé à changer204. Si l’uniforme est évidemment le signe distinctif par

excellence, il n’est toutefois pas requis. Il suffira aux forces dites « irrégulières » de

porter un emblème distinctif : elles peuvent s’identifier par une partie de leur

habillement, comme une chemise ou une coiffure ou, encore, au moyen d’un

201

Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 531; Gillard, supra note 14 à la p. 535;

Boldt, supra note 73 à la p. 529.

202 Singer, « Corporate Warrriors », supra note 12 à la p. 217.

203 Convention III, art. 4(A)(2)(b).

204 Dinstein, supra note 39 à la p. 37.

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insigne particulier205. Ce signe distinctif doit être porté lors de toute mission

militaire au cours de laquelle les combattants sont susceptibles d’entrer en contact

avec l’ennemi206. L’obligation consiste à être identifiable, et non pas

nécessairement à se rendre visible, le tout afin d’éviter de tromper l’ennemi.

L’article 44 du Protocole I assouplit les règles régissant le port de l’uniforme pour

tenir compte de la situation particulière de la guérilla. En fait, le Protocole I ne fait

techniquement plus de l’obligation de se distinguer de la population civile une

condition à l’octroi du statut de combattant. Il prévoit cependant la perte de ce

statut dans le cas où le combattant fait défaut de se distinguer de la population

civile lors d’actes hostiles envers l’ennemi, sauf en certaines occasions qui

demeurent à ce jour difficiles à définir. Sans entrer dans les détails de cette règle

très complexe207, il suffit de noter, pour les fins de notre analyse, que le maintien

du statut de combattant exige généralement du combattant qu’il se distingue de la

population civile de la façon mentionnée précédemment.

La littérature révèle que la pratique concernant le port d’un uniforme et d’un signe

distinctif par les employés d’une EMP varie suivant les politiques de la compagnie,

celles de l’État pour lequel elle œuvre et les tâches exécutées. Selon le

major Guillory, certaines EMP empêcheraient leurs employés de porter tout

habillement susceptible de les confondre avec des militaires, le tout pour éviter

qu’ils ne soient pris pour cibles208. Les images qui nous proviennent d’Irak

regorgent d’entrepreneurs privés revêtant toutes sortes de tenues qui ne

ressemblent en rien à un uniforme militaire. À titre d’illustration, Robert Pelton

décrit ainsi la tenue d’un employé de Blackwater lors de l’escorte de nouveaux

collègues arrivés à l’aéroport de Bagdad :

T-Boy stands off by himself « zoning », as he calls it, staying focused on the dangerous return trip to the Green Zone. T-Boy looks like he

205

Ibid.

206 Ibid.

207 Pour une discussion détaillée, voir David, supra note 68 aux pp. 426-439.

208 Guillory, supra note 79 à la p. 129.

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has adopted a style of generic death – black helmet, black shirt, black mask, black goggles, with a large skull and crossbornes chalked on the back of his armor vest and another drawn on his Kevlar helmet. All the gear covers the skull tattoos. T-Boy mans the lead PKM light machine gun and has to stay tight since the insurgents have started a new tactic of pulling ahead and then slowing down to detonate in front of a convoy. 209

Il mentionne également que les employés de l’EMP sont identifiés par les insurgés

au moyen de leurs lunettes fumées, leurs cheveux courts, leurs vêtements de style

safari et de leurs armes210. Quant aux employés affectés à la sécurité du

président Karzai, il rapporte :

Contractors on the Karzai detail carry M-4s and Glock 19s and are each issued a personal Motorola radio for communication while on duty. Those operating the PRS [primary ring security] have to wear collared shirts or a suit and tie over their body armor, since they’re likely to be in the background during media photos, but the rest can wear whatever they want. The style of the detail still echoes the look Craige Maxim created. Some dress OGA-style with distinctive safari vests and outdoor runners, while others sport a casual look that almost says fishing or weekend hunting. They have relaxed grooming standards, and members can wear beard, goatees, and long hair. 211

À l’inverse, dans d’autres cas, les employés d’une EMP peuvent à peine être

distingués des membres des forces régulières, revêtant notamment l’habit de

combat et certains dispositifs protecteurs212. Selon la réglementation américaine,

les entrepreneurs privés ne sont en principe pas admis à porter l’uniforme militaire

américain, mais cette interdiction n’est pas absolue213. Ils sont notamment admis à

porter certains équipements de protection et, en certaines occasions, l’habit de

camouflage. Ils doivent toutefois, dans ces cas, porter un symbole identifiant leur

209

Pelton, supra note 3 à la p. 8.

210 Ibid. aux pp. 129-130.

211 Ibid. aux pp. 78-79.

212 Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 530; Chapleau, supra note 33 à la p. 16;

Boldt, supra note 73 à la p. 531.

213 Guillory, supra note 79 aux pp. 128-129.

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statut de civil214. Selon Emanuela-Chiara Gillard, l’une des principales

récriminations à l’égard de l’implication d’EMP dans les conflits iraquiens et

afghans est la difficulté à identifier leurs employés : revêtant parfois l’uniforme de

camouflage et portant des armes, ils peuvent être confondus avec les membres

des forces armées, alors que, lorsqu’ils sont habillés en civils, ils ne peuvent être

distingués des autres acteurs non militaires215.

Image 1 – Un employé du secteur privé tel que vu par un irakien. Photo de Robert Pelton

216.

Image 2 - Des membres de Blackwater patrouillent le ciel de Bagdad, début 2007. Photo de l’Agence France-Presse

217.

214

É.-U., Joints Chiefs of Staff, Doctrine for Logistic Support of Joint Operations, Joint Pub. 4-0, 2000

[Doctrine for Logistic Support].

215 Gillard, supra note 14 à la p. 535.

216 Pelton, supra note 3.

217 « Attentat contre la CIA: deux des victimes travaillaient pour Blackwater », Agence France-Presse, en

ligne : <http://www.cyberpresse.ca/international/moyen-orient/201001/06/01-936735-attentat-contre-la-cia-

deux-des-victimes-travaillaient-pour-blackwater.php>.

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Image 3 - Des employés de Blackwater à Bagdad. Photo d’Ahmad al-Rubaye/Agence France-Presse

218

Image 4 - Des membres de la société américaine Blackwater échangent des tirs avec des partisans de Moqtada al-Sadr qui s'approchent d'un bâtiment défendu par des soldats américains et espagnols, à Najaf, en 2004. Photo d’Associated Press

219.

Suivant la pratique actuelle, il nous apparaît que les employés d’EMP ne rempliront

l’exigence de porter un signe distinctif que dans les rares cas où ils portent un

habit de combat et qu’il est possible d’identifier pour quelle Partie au conflit ils

luttent. Dans les autres cas, même si leur apparence peut soulever des doutes

quant au fait qu’ils participent aux hostilités, ils ne satisferont pas à l’exigence

d’identification à titre de combattant d’une Partie au conflit posée par les

Conventions220. L’identification comme combattant requérant un geste positif en ce

sens, il n’est pas surprenant de conclure que les employés d’EMP ne respectent

généralement pas cette exigence puisque la tendance parmi les EMP est de

considérer leurs employés comme étant des civils.

ii) Porter ouvertement les armes

L’article 4(A)(2)(c) de la Convention III impose aux groupes armés de « porter

ouvertement les armes » pour se voir octroyer le statut de combattant. Selon les

Commentaires, cette exigence ne signifie pas que les combattants doivent

218

« Blackwater Worldwide » The New York Times (29 juillet 2010), en ligne :

<http://topics.nytimes.com/top/news/business/companies/blackwater_usa/index.html>

219Nicolas Bérubé, « La face obscure de Blackwater » La Presse (13 août 2009), en ligne :

<http://www.cyberpresse.ca/international/etats-unis/200908/13/01-892448-la-face-obscure-de-

blackwater.php>.

220 Gillard, supra note 14 à la p. 535; Schreier et Caparini, supra note 20 à la p. 57; Schmitt, « Direct

Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 530; Cameron, supra note 5 aux pp. 585-586.

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nécessairement rendre leurs armes visibles, l’élément de surprise propre aux

opérations militaires demeurant admis. L’idée est plutôt que le combattant ne doit

pas tromper l’ennemi en laissant faussement croire qu’il est civil pour, ensuite,

sortir et utiliser sournoisement son arme. Sous l’empire du Protocole I, ce n’est

que dans les cas où ils sont exemptés de l’obligation de se distinguer de la

population civile que les combattants doivent, pour conserver leur statut, porter

ouvertement les armes221. Il est utile de rappeler qu’il n’est pas nécessaire de

porter des armes pour être considéré comme combattant, mais plutôt de le faire

ouvertement.

La réglementation américaine prévoit que les entrepreneurs accompagnant les

forces armées ne recevront une autorisation de porter des armes que pour assurer

leur propre défense, et ce, seulement lorsque la protection par les forces armées

ou les autorités civiles est jugée inadéquate222. Or, il n’est pas rare de voir des

images d’employés d’EMP arborant des armes. Il semble pratique courante en Irak

pour plusieurs employés d’EMP d’être armés, parfois même lourdement223. Suivant

les données du Département de la Défense américain, 9 431 des 11 095 individus

assurant des servies de « sécurité » en Irak à la fin de l’année 2009 étaient

armés224. Des employés de Blackwater chargés d’assurer la sécurité de convois

en Irak disposeraient non seulement d’armes à feu, mais aussi « de grenades et

de projectiles ». Un convoi typique pourrait être en mesure de diriger contre

l’attaquant pas moins de 7 000 projectiles225. La tendance ne semble toutefois pas

à la dissimulation, bien au contraire. Dès lors, cette exigence, liée davantage à la

221

Marco Sassòli et Antoine Bouvier, Un droit dans la guerre, vol. 1, Genève, CICR, 2003 à la p.155 [Sassòli

et Bouvier].

222 Directive n

o 3020.41, supra note 116 aux sections 6.2.7.8 et 6.3.4. Voir aussi Guillory, supra note 79 aux

pp. 129-130 et Vernon, supra note 79 aux pp. 408-409.

223 Pelton, supra note 3 à la p. 210.

224 Contractors Support of U.S. Operations, supra note 1 à la p. 2.

225 Pelton, supra note 3 à la p. 202 [traduction libre].

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62

Convention III, ne ferait pas obstacle à l’octroi du statut de combattant aux

employés de l’EMP226.

2.3 Conclusion sur la possibilité d’obtenir le statut de combattant de facto

À la lumière de ce qui précède, il nous semble peu probable, en l’état actuel des

choses, que les employés d’EMP satisfassent à chacune des conditions

nécessaires à l’obtention du statut de combattant de facto, malgré le fait qu’ils

puissent en présenter certaines caractéristiques et donner ainsi à penser à

l’ennemi qu’ils sont des combattants, notamment lorsqu’ils revêtent des habits de

camouflage ou portent des armes lourdes. La pratique à ce jour révèle que les

exigences d’un commandement responsable et du port d’un signe distinctif ne sont

généralement pas respectées. Cette conclusion n’est certes pas surprenante

compte tenu du fait que les EMP et les États qui les emploient tendent à

considérer les employés du secteur privé comme étant des civils.

Notre analyse nous amène cependant à penser que si telle était la volonté des

États et des EMP, les employés de ces dernières pourraient éventuellement se

voir octroyer le statut de combattant. Cette possibilité est d’autant plus grande

sous le régime du Protocole I qui a éliminé la distinction entre les forces régulières

et irrégulières et qui a assoupli les conditions d’obtention du statut de

combattant227. Ainsi, les employés d’une EMP qui i) seraient mandatés directement

ou indirectement par un État afin d’exercer des tâches proches du cœur des

activités militaires, ii) seraient assujettis à la chaîne de commandement et aux lois

pénales militaires ou, si elles opèrent de façon autonome, seraient assujettis à un

cadre hiérarchique et un régime de discipline interne, iii) se distingueraient de la

population civile par le port d’un uniforme ou d’une insigne et iv) porteraient

ouvertement les armes, pourraient aspirer au statut de combattant. Il s’agit, à notre

avis, plus d’une question de volonté que de possibilité. L’amendement au Code de

justice militaire américain pourrait théoriquement ouvrir la voie en ce sens;

226

Voir en ce sens Gillard, supra note 14 à la p. 535; Boldt, supra note 73 à la p. 532.

227 Centre universitaire de droit international humanitaire, supra note 91 aux pp. 10-11; Detter, supra note 56

à la p. 173.

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63

cependant, il n’apparaît pas pour autant refléter une intention de l’Administration

américaine de considérer les employés du secteur privé comme des combattants,

puisqu’il ne vise que les civils qui accompagnent les forces armées donc, par

essence, des individus qui ne sont pas des combattants.

2.4 La perte du statut de combattant : le cas du mercenaire

Lorsque les EMP sont apparues sur le marché de la guerre au début des

années 1990, le réflexe de plusieurs a été de se demander si leurs employés

n’étaient pas des mercenaires. De fait, certains d’entre eux, qui reçoivent des

salaires de 500 $ par jour228 voire, dans certains cas, jusqu’à 1000 $ par jour229,

pour participer à un conflit auquel ils sont étrangers, répondent assez bien à la

définition courante du mercenaire. La notion juridique revêt cependant, elle, un

sens bien précis et il semble faire peu de doute aujourd’hui que les EMP soient

suffisamment avisées pour s’assurer que leurs employés échappent à cette

qualification.

D’entrée de jeu, il importe de souligner que le DIH n’a pas pour objectif de

criminaliser le mercenaire; il vise simplement à définir son statut en cas de

capture230. Ainsi, le premier paragraphe de l’article 47 du Protocole I prévoit-il

qu’« [u]n mercenaire n'a pas droit au statut de combattant ou de prisonnier de

guerre ». En d’autres termes, ceci signifie que la Puissance détentrice n’est pas

tenue d’accorder à celui qui répond aux critères de la définition de mercenaire le

statut de combattant auquel il aurait autrement eu droit. Notre analyse consistera

donc à déterminer si les employés d’EMP qui se qualifieraient a priori comme

combattants, s’il en est, sont susceptibles de se voir dénier ce statut au motif qu’ils

seraient des mercenaires.

228

Pelton, supra note 3 aux pp. 37, 90, 94.

229 Makki, supra note 4; Pelton, supra note 3 à la p. 58.

230 Puisque notre objectif vise, à ce stade, à déterminer le statut des employés d‟EMP au regard de la

Convention III et du Protocole I, l‟analyse des conventions spécialisées sur le mercenariat serait hors du cadre

de notre propos.

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La définition du « mercenaire » comporte six conditions cumulatives, énoncées au

deuxième paragraphe de l’article 47 du Protocole I :

Le terme « mercenaire » s'entend de toute personne :

a) qui est spécialement recrutée dans le pays ou à l'étranger pour combattre dans un conflit armé;

b) qui en fait prend une part directe aux hostilités;

c) qui prend part aux hostilités essentiellement en vue d'obtenir un avantage personnel et à laquelle est effectivement promise, par une Partie au conflit ou en son nom, une rémunération matérielle nettement supérieure à celle qui est promise ou payée à des combattants ayant un rang et une fonction analogues dans les forces armées de cette Partie;

d) qui n'est ni ressortissante d'une Partie au conflit, ni résidente du territoire contrôlé par une Partie au conflit;

e) qui n'est pas membre des forces armées d'une Partie au conflit; et

f) qui n'a pas été envoyée par un État autre qu'une Partie au conflit en mission officielle en tant que membre des forces armées dudit État.

S’il est théoriquement envisageable qu’en certaines circonstances des employés

d’EMP répondent aux six critères cumulatifs de la définition, les chances qu’ils

soient, en pratique, qualifiés de mercenaires sont assez minces231. Ils ne sont

toutefois pas seuls dans cette situation : cette définition était tout aussi difficile à

appliquer aux mercenaires de l’époque de décolonisation auxquels elle était

pourtant destinée à s’appliquer. Presque unanimement considérée comme étant

impossible à appliquer232, cette définition n’a cessé de s’attirer la critique. Alors

que certaines conditions sont en pratique impossibles à prouver, d’autres sont

beaucoup trop faciles à contourner. L’idée d’axer la définition du mercenaire sur la

motivation d’un individu, qui requiert donc la preuve d’un élément purement

subjectif, est particulièrement contestée. Il y a certes de bonnes raisons de croire

231

CICR, « XXXe Conférence », supra note 14 à la p. 30.

232 David, supra note 68 à la p. 412.

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65

que celui qui prend part à un conflit auquel il est étranger et qui reçoit une

rémunération nettement supérieure à celle versée aux membres des forces

armées de la Partie pour laquelle il œuvre le fasse pour « retirer un avantage

personnel », mais encore faut-il en faire la preuve. Celui-ci pourra toujours

argumenter qu’il prend part au conflit pour des motifs idéologiques, pour utiliser

ses compétences militaires233 ou tout simplement pour satisfaire son goût

d’aventure234. À elle seule, cette condition rend, pour plusieurs, la définition du

mercenaire impossible d’application235. Restrictive à la base de par ses

nombreuses conditions, cette définition appelle de surcroît une interprétation qui

soit, elle aussi, restrictive puisque la qualification d’un individu comme mercenaire

peut entraîner des conséquences des plus graves, incluant sa réclusion à

perpétuité ou même la peine de mort.

2.4.1 Les facteurs d’inclusion

Afin qu’un employé d’EMP puisse potentiellement être considéré comme un

mercenaire, il faudra démontrer que celui-ci a été spécialement recruté pour

« combattre » dans un conflit armé spécifique236 (paragraphe a), qu’il a

effectivement pris part aux hostilités (paragraphe b), qu’il reçoit une rémunération

nettement supérieure à celle que reçoivent les membres des forces armées et qu’il

est motivé par un pur esprit de lucre (paragraphe c).

Outre la difficulté à démontrer la motivation personnelle de l’individu à prendre part

au conflit, il semble peu fréquent que des employés du secteur privé soient

embauchés spécifiquement pour combattre, ce qui s’explique notamment par le

233

Boldt, supra note 73 à la p. 534.

234 Peter W. Singer, « War, Profits, and the Vacuum of Law : Privatized Military Firms and International

Law » (2003-2004) 42 Colum. J. Transnat‟l L. 521 à la p. 529.

235 Éric David mentionne qu‟il s‟agit « d‟un procès d‟intention » : David, supra note 68 à la p. 412. Voir

aussi The Report of the Committee of Privy Consellors Appointed to Inquire into the Recruitment of

Mercenaries, 1976, cité dans Edward Kwarka, « The Current Status of Mercenaries in the Law of Armed

Conflict » (1990-1991) 14 Hastings Int‟l & Comp. L. Rev. 67 à la p. 72 [Kwarka]; Katherine Fallah,

« Corporate actors : the legal status of mercenaries in armed conflict » (2006) 88 R.I.C.R. 599 aux pp. 605-

606 [Fallah]; Faite, supra note 27 aux pp. 169-170; Detter, supra note 56 aux pp. 145-146.

236 Boldt, supra note 73 à la p. 533; Faite, supra note 27 à la p. 170; Kwarka, supra note 235 à la p. 70.

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66

fait que les États rejettent officiellement cette possibilité. La participation des

employés aux hostilités, s’il en est, découle généralement plus d’un changement

de circonstances que d’un mandat exprès à cet effet237. Aussi, faut-il préciser que

la notion de « combattre » est plus restrictive que celle de participation aux

hostilités et semble impliquer une participation physique aux combats238,

possiblement même la participation à des activités offensives239.

Quant à savoir si les employés d’EMP sont engagés pour prendre part à un conflit

armé spécifique, Peter W. Singer rapporte que la plupart de ces entreprises

embauchent très peu d’employés sur une base permanente, mais fonctionnent

plutôt avec une banque de personnes qu’elles contactent après avoir décroché un

contrat particulier240. Il serait donc théoriquement envisageable que cette condition

soit satisfaite et que des employés d’une EMP soient spécialement recrutés pour

intervenir dans un conflit spécifique. Il est cependant aisé pour les EMP d’éviter

cette situation en préparant des contrats en fonction d’une durée précise plutôt

que d’un conflit en particulier. Aussi, il arrive que des EMP recrutent des employés

sur une base plus permanente et les affectent à différents conflits, empêchant

ainsi le respect de la condition posée au paragraphe a)241. Tel aurait notamment

été le cas des employés d’Executive Outcomes qui, après leur mission en Angola,

furent apparemment redéployés au Sierra Leone242.

237

Gillard, supra note 14 à la p. 569; Boldt, supra note 73 à la p. 533. Certains auteurs mentionnent que les

employés du secteur privé ne prennent généralement pas part aux hostilités: McDonald, supra note 77 à la

p. 228, Zarate, supra note 85 à la p. 124.

238 Suivant les Commentaires relatifs à l‟article 47 du Protocole I, les techniciens et conseillers militaires

seraient exclus : Sandoz, supra note 50 au para. 1806.

239 Boldt, supra note 73 à la p. 533; Zarate, supra note 85 à la p. 124. Voir cependant Cameron, supra note 5

à la p. 581.

240 Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 à la p. 75.

241 Boldt, supra note 73 à la p. 533; Faite, supra note 27 à la p. 170.

242 Boldt, ibid.

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67

2.4.2 Les facteurs d’exclusion

Du simple fait de leur nationalité, certains individus, pour peu qu’ils soient

ressortissants d’une Partie au conflit, échappent automatiquement à la définition

de mercenaire. C’est notamment le cas des citoyens américains, britanniques et

iraquiens qui travaillent en Irak.

Seront également exclus, les employés d’EMP qui seraient formellement intégrés

aux forces armées d’une Partie au conflit243, dans les circonstances discutées

antérieurement. Suivant un certain courant doctrinal, même les employés d’EMP

qui, sans être intégrés aux forces armées, sont considérés comme des

combattants de facto se trouvent exclus de la définition244. En fait, pour ces

auteurs, l’article 47 n’a aucune utilité pratique puisqu’en excluant les membres des

forces armées, dont font partie les combattants de facto, il empêche à des

individus de bénéficier d’un statut qu’ils n’avaient de toute façon pas au départ. Ce

raisonnement est contesté par d’autres auteurs qui affirment que le paragraphe e)

de l’article 47 ne vise que les membres des forces armées régulières245, position à

laquelle nous adhérons.

Enfin, les employés d’EMP pourraient théoriquement se trouver exclus de la

définition du mercenaire dans l’hypothèse où ils seraient envoyés en mission

officielle en tant que membres des forces armées d’un État qui n’est pas Partie au

conflit, ce qui semble toutefois peu probable246.

Ainsi, s’il n’est pas théoriquement exclu qu’en de rares occasions, les employés

d’EMP qui répondraient aux conditions d’obtention du statut de combattant

de facto, s’il en est, puissent théoriquement répondre aux critères cumulatifs de la

243

Faite, supra note 27 à la p. 170; Zarate, supra note 85 à la p. 124.

244 Gillard, supra note 14 aux pp. 561-562; Fallah, supra note 235 à la p. 606.

245 Boldt, supra note 73 à la p. 534, référant à Antonio Cassese, « Mercenaries : Lawful Combatants or War

Criminals », (1980) 40 Zeitschrift für ausländisches Öffentlliches Recht und Völkerrecht 1 à la p. 24.

246 Voir cependant Boldt, supra note 73 (l‟auteur réfère, entre autres, à l‟intervention de DynCorp en

Colombie, où celle-ci a été mandatée par le Département d‟État américain pour opérer des hélicoptères armés

dans le cadre de la campagne de lutte contre la drogue, aux pp. 531 et 535).

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68

définition de mercenaire247, plusieurs voies leur sont offertes pour éviter qu’une

Puissance détentrice soit en mesure de faire la preuve du respect de ses

six conditions cumulatives248. Comme le résumait avec humour

Geoffrey Best : « any mercenary who cannot exclude himself from this definition

deserves to be shot – and his lawyer with him! 249. Dès lors, à supposer que

certains employés d’EMP puissent être considérés comme des combattants, le

risque de perdre ce statut au motif qu’ils seraient des mercenaires peut aisément

être occulté.

247

Voir les exemples cités par le Rapporteur spécial sur la question des mercenaires et Lindsay Cameron:

Enrique Bernales Ballesteros, Rapport sur la question de l’utilisation de mercenaires comme moyen de violer

les droits de l’homme et d’empêcher l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, Doc. off. CES

NU, 53e sess., Doc. NU E/CN.4/1997/24 (1997) au para. 105; Cameron, supra note 5 à la p. 578.

248 Voir notamment Commission des droits de l‟homme, Rapport de la réunion d’experts sur les formes

traditionnelles et nouvelles de l’emploi de mercenaires comme moyen de violer les droits de l’homme et

d’empêcher l’exercice du droit des peuples à l’autodétermination, Doc. off. CES NU, 57e sess., Doc. NU

E/CN.4/2001/18 (2001) aux pp. 6-7; CICR, « XXXe Conférence », supra note 14 à la p. 30.

249 Cité dans David, supra note 68 à la p. 451.

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Chapitre III. La difficulté à considérer les employés d’entreprises militaires privées comme des civils protégés

1. Les personnes civiles

Tel que mentionné précédemment, il appert du texte des Conventions que les

employés d’EMP qui ne remplissent pas chacune des conditions d’octroi du statut

de combattant, donc qui n’appartiennent pas à l’une des catégories visées aux

paragraphes 1, 2, 3 et 6 de l'article 4(A) de la Convention III et à l'article 43 du

Protocole I, sont, par défaut, des personnes civiles. À cet effet, il importe de noter

que l’article 50(1) du Protocole I énonce qu’en cas de doute sur son statut, un

individu doit être considéré comme une personne civile. La personne qui est

capturée par l’ennemi alors qu’elle prenait part aux hostilités est toutefois

présumée être prisonnière de guerre et se trouve protégée par la Convention III

jusqu’à ce que son statut soit déterminé par un tribunal compétent250.

La plupart des employés d’EMP seront donc initialement considérés, au regard des

Conventions, comme des personnes civiles. En principe, ils devraient être

considérés comme des personnes « protégées » et jouir d’ « une protection

générale contre les dangers résultant d’opérations militaires »251. Or, lorsqu’ils

portent des armes ou revêtent l’habit de combat, ils ne correspondent pas

nécessairement à l’image du civil que les Hautes Parties contractantes entendaient

protéger. Aussi, les activités qu’ils exercent sont susceptibles de leur faire perdre

la protection que devrait normalement leur conférer leur statut de personne civile

s’ils « participent directement aux hostilités et pendant la durée que dure cette

participation »252. La protection dont ils bénéficient ne dépend donc pas

uniquement de leur statut, mais est également tributaire de leur participation, ou

non, aux hostilités. Nous verrons, en deuxième partie, que les circonstances dans

lesquelles les employés d’EMP sont susceptibles de perdre leur protection et la

250

Protocole I, art. 45 et Convention III, art. 5.

251 Protocole I, art. 51(1).

252 Protocole I, art. 51(3).

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70

durée de la perte de protection sont loin d’être claires, ce qui occasionne des

problèmes majeurs sur l’application du régime mis en place par les Conventions.

Ce qui est toutefois certain c’est que la plupart des employés d’EMP, puisqu’ils ne

sont pas des combattants au sens des Conventions, ne bénéficient pas du

privilège associé à ce statut et ne sont donc pas à l’abri de poursuites pénales

pour les actes qu’ils commettent dans le cadre d’un conflit armé. Ils peuvent être

poursuivis pour les actes qu’ils ont commis en prenant part aux hostilités si ceux-ci

contreviennent au droit interne de l’État sur le territoire duquel ils ont été commis

ou à celui de l’État duquel ils sont ressortissants. Ils sont également susceptibles

d’être détenus « [s]i, sur le territoire d'une Partie au conflit, celle-ci a de sérieuses

raisons de considérer [qu’ils] font individuellement l'objet d'une suspicion légitime

de se livrer à une activité préjudiciable à la sécurité de l'État ou s'il est établi

qu’ [ils] se livre[nt] en fait à cette activité »253. Ils ne bénéficient pas non plus des

protections accordées aux prisonniers de guerre par la Convention III, à moins

d’être considérés comme des civils accompagnant les forces armées.

2. Le cas particulier du civil qui accompagne les forces armées

Suivant les termes de l’article 4(A)(4) de la Convention III, « les personnes qui

suivent les forces armées sans en faire directement partie » bénéficient du statut

de prisonnier de guerre si elles tombent au pouvoir de l’ennemi « à condition

qu’elles aient reçu l’autorisation des forces armées qu’elles accompagnent ». En

tant que personnes civiles254, elles ne peuvent légalement participer aux hostilités,

mais elles bénéficient du traitement réservé aux prisonniers de guerre en cas de

capture. Suivant la position majoritaire, la participation aux hostilités entraîne la

perte de ce privilège et, par conséquent, les actes commis dans le cadre des

hostilités sont passibles de poursuites pénales255. Notons toutefois que cette

253

Convention IV, art. 5, lu en conjonction avec l‟art. 79.

254 Protocole I, art. 50(1).

255 Centre universitaire de droit international humanitaire, supra note 91 à la p. 14; Gillard, supra note 14 à la

p. 538; Cameron, supra note 5 à la p. 593; M.J. Davidson, « Ruck Up: An Introduction to the Legal Issues

Associated with Civilian Contractors on the Battlefield » 29 Pub. Cont. L.J. 233 à la p. 245 [Davidson], cité

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71

position est contestée par l’Administration américaine qui considère que les

personnes visées par l’article 4(A)(4) conservent leur statut de prisonnier de guerre

si elles participent aux hostilités mais constituent des cibles légitimes pendant le

moment que dure leur participation256. Advenant qu’ils soient capturés, les civils

qui accompagnent les forces armées sont, en tant que prisonniers de guerre,

susceptibles d’être détenus jusqu’à la fin des hostilités257.

Il n’est certes pas surprenant que cette disposition s’applique plus aisément aux

employés d’EMP que les précédentes puisqu’elle vise justement les entrepreneurs

privés qui, suivant une pratique reconnue depuis fort longtemps, accompagnent les

forces armées. L’étendue des tâches confiées en sous-traitance est, par contre,

sans précédent, ce qui n’est pas sans poser certaines difficultés dans l’application

de cette disposition. Suivant les exigences posées par l’article 4(A)(4) de la

Convention III, un individu bénéficiera du statut de prisonnier de guerre s’il

dispense des services aux forces armées sans toutefois participer aux hostilités et

s’il a reçu l’autorisation requise de l’État en question258.

2.1 Les critères d’obtention du statut de civil qui accompagne les forces armées

2.1.1 Dispenser des services aux troupes militaires

L’article 4(A)(4) de la Convention III énumère, à titre indicatif, des catégories de

personnes qui ont historiquement accompagné des forces armées, soit « les

membres civils d’équipages d’avions militaires, correspondants de guerre,

fournisseurs, membres d’unités de travail ou de services chargés du bien-être des

forces armées ». Cette énumération n’est toutefois pas exhaustive : « le texte peut

donc viser d’autres catégories de personnes ou de services qui pourraient être

admis, dans des conditions analogues, à suivre les forces armées au cours d’un

dans Adam Sherman, « Forward unto the Digital Breach : Exploring the Legal Status of Tomorrow‟s High-

Tech Warriors » (2004-2005) 5 Chig.J.Int‟l.L. 335 à la p. 338 [Sherman].

256 Gillard, supra note 14 aux pp. 538-539; Centre universitaire de droit international humanitaire, supra note

91 aux pp. 14-15.

257 Convention III, art. 21.

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72

conflit futur »259. S’il n’est pas aisé de déterminer quelles personnes et quels

services pourraient, par analogie, être visés par cette disposition, une chose est

certaine : les civils qui accompagnent les forces armées ne peuvent occuper des

fonctions susceptibles de les amener à participer aux hostilités. En effet, les

fonctions énumérées à l’article 4(A)(4), à l’exception des membres civils de

l’aviation, supposent que ceux qui les occupent ne participent pas aux hostilités260,

ce qui est logique puisqu’ils ne sont pas des combattants.

Le type de service importe peu, pour autant qu’il soit rendu au bénéfice des forces

armées et ne soit pas susceptible de conduire celui qui le rend à participer aux

hostilités261. Bien qu’il ne soit pas nécessaire que les employés d’EMP travaillent

physiquement aux côtés des membres des forces armées, le simple fait qu’une

compagnie exécute un contrat pour un État ne permettrait pas à ses employés de

bénéficier du statut de prisonnier de guerre262. Pour respecter les exigences de

l’article 4(A)(4), ils doivent agir en support aux forces armées et non de façon

indépendante263.

Les nombreux employés d’EMP qui fournissent des services alimentaires, qui

construisent et entretiennent des bases militaires264, qui assurent des services de

transport265, voire ceux qui entretiennent des systèmes d’armement266, seront

couverts par l’article 4(A)(4). À l’inverse, les employés d’EMP qui occupent des

258

Gillard, supra note 14 à la p. 539.

259 De Preux, supra note 66 à la p. 72.

260 Sherman, supra note 255 à la p. 338; Centre universitaire de droit international humanitaire, supra note 91

aux pp. 14-15; Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 532; Davidson, supra note

255 à la p. 245.

261 Centre universitaire de droit international humanitaire, supra note 91 à la p. 15; Gillard, supra note 14 à la

p. 537. Voir cependant Sherman, supra note 255 (qui suggère que le texte limite l‟implication des civils à des

fonctions de second ordre destinées à faciliter le travail des troupes sur le terrain, à la p. 336).

262 Centre universitaire pour le droit international humanitaire, ibid.; Gillard, ibid.

263 CICR, « XXX

e Conférence », supra note 14 à la p. 30.

264 Cameron, supra note 5 à la p. 593.

265 Sherman, supra note 255 à la p. 336. Notons cependant que le transport de munitions pourrait, en zone de

conflit, constituer une participation aux hostilités.

266 Guillory, supra note 79 à la p. 121, note 62.

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fonctions liées de près au cœur des opérations militaires267 ou ceux qui exécutent

un mandat en marge des opérations des forces armées seront exclus. De même,

les employés d’EMP qui revêtent l’uniforme de combat et portent des armes ou de

l’équipement militaire pourraient bien ne pas répondre aux exigences de l’article

4(A)(4)268, du moins aux yeux de leurs opposants269. Notons que, suivant les

directives américaines, il n’est pas exclu qu’un entrepreneur civil accompagnant

les forces armées puisse porter un uniforme militaire ou encore des armes et de

l’équipement militaire270. Or, un tel attirail semble peu compatible avec le fait que

celui qui le porte ne remplisse pas des tâches susceptibles de l’amener à participer

aux hostilités. Le simple fait pour un civil de porter une arme légère pour assurer

sa propre défense ne compromettrait toutefois pas son statut271.

2.1.2 L’autorisation d’accompagner les forces armées

L’octroi d’un contrat par un État à une EMP, afin que cette dernière rende des

services à ses forces armées, constituera certainement une autorisation suffisante

au regard du DIH. Certains États prévoient cependant dans leur droit national des

exigences plus rigoureuses, lesquelles devront alors être respectées pour attester

de l’autorisation de l’État. La législation américaine, par exemple, prévoit que les

sous-traitants du Département de la défense doivent recevoir une approbation

écrite pour accompagner les forces armées américaines272.

Une carte d’identité devrait normalement être délivrée par l’État mandataire à

chaque employé d’une EMP qu’il autorise à accompagner ses forces armées, pour

confirmer son statut. Cette carte permettra à l’individu visé de faire la preuve de

son statut de prisonnier de guerre en cas de capture; elle ne constitue toutefois

267

Gillard, supra note 14 à la p. 539.

268 Davidson, supra note 255 à la p. 245.

269 Guillory, supra note 79 à la p. 122.

270 Directive n

o 3020.41, supra note 116.

271 Dinstein, supra note 39 à la p. 43.

272 Directive n

o 3020.41, supra note 116 à la section 6.2.7.4.

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74

pas un préalable à l’acquisition de ce statut273. Suivant les directives américaines,

les employés des entreprises sous contrat avec le Département de la défense

américain se voient accorder des cartes d’identité conformes aux exigences de la

Convention III274.

L’exigence d’être « autorisés à accompagner les forces armées » ne devrait poser

aucun problème pour les employés des entreprises qui sont directement mandatés

par un État. Par contre, la question est plus délicate lorsqu’une EMP mandatée par

un État sous-traite à son tour une partie de ses opérations à un tiers. L’approbation

du sous-contrat par l’État ou la reconnaissance du sous-traitant, soit par le biais

d’une autorisation à accompagner les forces armées, soit par l’émission de cartes

d’identité aux employés, pourrait alors s’avérer nécessaire.

À la lumière de ce qui précède, il appert que, dans bien des cas, les employés

d’EMP seront considérés comme des civils accompagnant les forces armées275.

En effet, plusieurs EMP se voient octroyer par des États, directement ou par

l’entremise d’une tierce compagnie, des contrats pour dispenser des services aux

troupes militaires lesquels ne sont pas susceptibles de conduire à une participation

aux hostilités, comme les services alimentaires et de logement. Le ministère de la

Défense britannique, qui déclare n’embaucher des EMP que pour accomplir des

tâches logistiques ou de soutien, considère d’ailleurs les employés de ces

compagnies comme des civils qui accompagnent ses forces armées tombant sous

le coup de l’article 4(A)(4)276. La position du Département de la défense américain

va dans le même sens277.

273

De Preux, supra note 66 aux pp. 72-73; Gillard, supra note 14 à la p. 537.

274 É.-U., Department of Defence, Identity Cards Required by the Geneva Conventions, Instruction n

o 1000.1,

30 janvier 1974, amendée le 5 juin 1991. Voir également Directive no 3020.41, supra note 116.

275 Gillard, supra note 14 à la p. 539.

276 Ibid., à la note 56.

277 Doctrine for Logistic Support, supra note 214 au chapitre V, section 12 a). La législation américaine

restreint la possibilité de sous-traiter aux services qui ne sont pas gouvernementaux par nature (« inherently

governmental »). Est également prohibée, la sous-traitance de services logistiques essentiels (« core logistics

capabilities »), lesquels sont définis comme suit : « those capabilities that are necessary to maintain and repair

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75

Conclusion de la partie 1 : Une distinction fondée essentiellement sur la participation aux hostilités

Tel que le rappelait le CICR lors de sa XXXe Conférence, les employés d’EMP

n’échappent pas aux règles du DIH actuellement en vigueur et il est inexact de dire

qu’elles opèrent dans un vide juridique278. Cependant, et le CICR le reconnaît, ces

règles, formulées de façon générale, posent certains problèmes d’ordre pratique

lorsque l’on tente de les appliquer à des employés du secteur privé279. Il s’avère

impossible de tirer une conclusion générale sur leur statut et une analyse au cas

par cas s’impose. Cette analyse nécessitera la prise en compte de certains

éléments factuels plus ou moins aisément identifiables par l’ennemi comme la

façon dont l’individu est vêtu, le fait qu’il porte des armes et les activités qu’il

exerce. Cependant, d’autres conditions plus difficilement observables doivent être

prises en compte. Ainsi faut-il également étudier la relation qui unit l’EMP à l’État

qui l’a embauchée ainsi que la structure de commandement et le régime de

discipline auxquels sont assujettis ses employés. Par conséquent, il sera souvent

impossible de déterminer avec certitude le statut d’un employé d’une EMP sur le

champ de bataille, au moment où ce statut revêt toute son importance.

Si, dans l’état actuel des choses, la plupart des employés d’EMP ne satisferont pas

à l’ensemble des conditions pour être juridiquement considérés comme des

combattants et seront donc ultimement considérés comme des civils, l’étendue de

la protection qui leur est accordée n’en est pas pour autant certaine. De par les

activités qu’ils exercent, ainsi que du fait qu’ils sont parfois armés et habillés

comme des combattants, certains employés d’EMP sont susceptibles de perdre

leur protection contre les attaques, ou encore de donner à croire aux forces

ennemies qu’ils sont des combattants. La démarche traditionnelle est inversée : la

participation aux hostilités devient le critère central pour déterminer les protections

the weapon systems and other military equipment ». Voir à cet effet Vernon, supra note 79 à la p. 407;

Directive no 3020.41, supra note 116.

278 CICR, « XXX

e Conférence », supra note 14 aux pp. 28-29.

279 Ibid.

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76

dont bénéficie un individu, faisant perdre au statut juridique de combattant ou civil

une grande partie de son importance. Il convient dès lors de se demander si les

États peuvent, dans ces circonstances, mandater des EMP pour intervenir dans

des conflits armés internationaux.

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77

Partie 2 : L’impact de la sous-traitance d’activités militaires à des entreprises militaires privées sur le respect des Conventions

Comme nous l’avons vu précédemment, le DIH envisage que les États puissent

intégrer des étrangers ou des entités privées, telles des EMP, à leurs forces

armées. Dans ces circonstances, les employés d’EMP peuvent légalement prendre

part aux hostilités et sont clairement à l’abri du risque de se voir considérés

comme des mercenaires. Le cas des employés d’EMP qui ne sont pas

formellement intégrés aux forces armées est cependant beaucoup plus

problématique. Il soulève la question de savoir si les États sont admis à mandater

des civils – ou des acteurs privés – pour participer aux hostilités ou à les placer en

situation susceptible de les y conduire.

Emanuela-Chiara Gillard, conseillère juridique auprès du CICR, rappelait dans un

article que le DIH ne s’intéresse pas à la légalité ou à la légitimité du recours par

les États à des EMP, mais uniquement au comportement des employés de ces

compagnies lorsqu’elles opèrent en contexte de conflit armé280. Cette affirmation

découle du principe suivant lequel le DIH ne se préoccupe pas de la légalité du

recours à la force (jus ad bellum), mais uniquement de la façon dont sont

conduites les hostilités (jus in bello) :

It should be noted at the outset that international humanitarian law is not concerned with the lawfulness or legitimacy of PMCs/PSCs per se, nor of the hiring of them by states to perform particular activities. Rather, it regulates the behavior of such companies if they are operating in situations of armed conflict. This is consistent with the approach adopted by international humanitarian law more generally. It does not address the lawfulness of resorting to armed force but instead regulates how hostilities are conducted. It does not address

280

Gillard, supra note 14 à la p. 529.

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78

the legitimacy of organized armed groups but regulates how they must fight281.

En l’absence de règles au sein des Conventions traitant spécifiquement du droit

des États d’embaucher des EMP pour intervenir dans des conflits armés, certains

auteurs se sont interrogés quant à savoir si des règles d’ordre plus général du droit

international n’avaient pas pour effet d’interdire une telle pratique. S’intéressant

principalement aux règles régissant le droit des États de recourir à la force armée,

notamment aux règles régissant le mercenariat, leur analyse les a conduits sur le

terrain du jus ad bellum.

En particulier, Juan Carlos Zarate s’est demandé si les règles relatives au

mercenariat énoncées dans la Convention internationale contre le recrutement,

l'utilisation, le financement et l'instruction des mercenaires282 et la

Convention de l'OUA sur l'élimination du mercenariat en Afrique283, qu’il considère

comme une expression du droit coutumier, n’auraient pas pour effet d’empêcher

les États d’avoir recours à des EMP. Il en est arrivé à la conclusion que les règles

régissant l’emploi de mercenaires étaient limitées quant à leur portée et visaient

uniquement à empêcher que ceux-ci ne soient utilisés pour attaquer des États

souverains, réprimer des mouvements de libération nationale ou entraver le droit

des peuples à l’autodétermination. Ces règles n’empêcheraient pas, de façon

absolue, les États d’avoir recours à des mercenaires. De ce constat, il tire la

conclusion qu’il n’est pas interdit aux États légitimes284 d’avoir recours à des EMP.

281

Gillard, ibid. Voir dans le même sens CICR, Second Expert Meeting – Direct Participation in Hostilities

under International Humanitarian Law, La Haye, 25-26 octobre 2004, aux pp. 13-14, en ligne:

http://www.icrc.org/Web/eng/siteeng0.nsf/htmlall/direct-participation-article-020709/$File/2004-07-report-

dph-2004-icrc.pdf [CICR, « Second Expert Meeting »]

282 Convention internationale contre le recrutement, l'utilisation, le financement et l'instruction des

mercenaires, 4 décembre 1989, 2163 R.T.N.U. 75.

283 Convention de l'OUA sur l'élimination du mercenariat en Afrique, 3 juillet 1977, OUA Doc.

CM/433/Rev.1 Annexe 1.

284 Notons que la notion d‟État légitime est contestable en droit international et qu‟il y aurait plutôt lieu de

parler de gouvernements. Il importe également de souligner que les règles du DIH ont vocation à s‟appliquer

à tous les intervenants au conflit, peu importe leur statut au regard du droit international.

Page 90: LA SOUS-TRAITANCE D’ACTIVITÉS MILITAIRES PAR L’ÉTAT ...€¦ · travailler pour la justice pénale internationale est devenu réalité. Ce travail de recherche a bénéficié

79

Ses propos laissent toutefois entrevoir que ce droit pourrait comporter certaines

limites :

In general, a total ban on the use of mercenaries is inconsistent with superseding norms of international law. Recognized states may hire mercenaries or SCs to defend themselves from external attacks or to restore order internally. As long as these regimes do not violate other norms in the employment of foreign military expertise, they are justified under international law to avail themselves of the military aid they require [nos italiques]285.

James Cockayne explique, pour sa part, comment les États, dans la poursuite de

leurs propres intérêts, ont soigneusement évité de prohiber de façon absolue toute

possibilité de recourir à des acteurs privés telles des EMP. Son analyse révèle que

les États ont plutôt négocié un ensemble de règles dont l’effet est de leur assurer

un contrôle sur les acteurs privés et de les protéger contre toute menace qu’ils

pourraient potentiellement poser envers l’État :

States have used international law to limit, control and co-opt – but not eradicate – military entrepreneuralism, subordinating it to and aligning it with the state system. The international legal system has traditionally left the means of organizing violence within the state largely to states to decide for themselves, permitting them to purchase military power from commercial entrepreneurs. However, over time, rules have developed, often in response to social and technological change, attributing liability to states in certain cases for the acts of private groups with which they are associated, to ensure that private actors cannot destabilize or even unravel the state system. As technology has changed, allowing private agents to project violence with increased ease from a state’s territory, states have agreed more restrictive interstate liability rules (moving from a weaker position on attribution of responsibility to more intrusive due diligence and effective control requirements). Yet states have never chosen to outlaw commercial military activity per se as they have chosen to outlaw some other types of privately organized violence (such as piracy and certain types of terrorism). Instead, they have bargained to a complex set of voluntary norms ensuring that military

285

Zarate, supra note 85 à la p. 75.

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80

entrepreneurs do not escape control by the state system as a whole286.

Là ne s’arrête toutefois pas le débat qui nous intéresse. Dire que le mercenariat

n’est pas formellement interdit en droit international n’implique pas nécessairement

que des États peuvent avoir recours à des civils pour livrer bataille. Tel que discuté

précédemment, l’article 47 du Protocole I a pour effet de retirer à certaines

catégories de personnes le droit de revendiquer les protections associées au statut

de combattant alors qu’elles répondent aux conditions d’obtention de ce statut

(dont celles nécessaires au respect du principe de distinction), au motif qu’elles

sont étrangères au conflit et y prennent part pour des considérations financières287.

Le droit de recourir à des mercenaires signifie donc uniquement, à notre avis, que

les États ne sont pas empêchés d’engager une certaine catégorie de combattants

qui, étrangers au conflit, y prennent part pour des considérations financières. La

question de savoir si les États peuvent embaucher, pour prendre part aux

hostilités, des civils ou des personnes dont le statut juridique est incertain,

demeure donc entière.

Sans remettre en doute cette conclusion à l’effet que le droit international n’interdit

pas formellement aux États d’avoir recours à des acteurs privés dans le cadre de

conflits armés288, l’ampleur que le phénomène de la privatisation des conflits a pris

286

James Cockayne, « The global reorganization of legitimate violence : military entrepreneurs and the

private face of international humanitarian law » (2006) 88 R.I.C.R. 459 aux pp. 472-473.

287 Même si la thèse suivant laquelle l‟article 47 du Protole I s‟applique à des personnes qui n‟ont pas le statut

de combattant devait être retenue, le respect du principe de discrimination pourrait néanmoins limiter le droit

des États de recourir à des individus qui ne bénéficient pas clairement du statut de combattant. L‟article 47

vise, pour des motifs idéologiques, à dissuader certains individus étrangers à un conflit d‟y participer pour des

considérations financières; il n‟a pas pour objectif d‟assurer le principe de discrimination entre civils et

combattants.

288 Ce constat est également partagé par le CICR : Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 à la

p. 39. Voir également Maurice D. Voyame, « The Notion of Direct Participation in Hostilities and its

Implications on the Use of Private Contractors under International Humanitarian Law » dans Thomas Jager et

Gerhard Kummel, dir., Private Military and Security Companies – Chances, Problems, Pitfalls and

Prospects, Wiesbaden, VS Verlag, 2007, 361 à la p. 362 [Voyame]. Selon Louise Doswald-Beck, le fait de

faire participer des civils aux hostilités ne constituerait pas une violation du DIH par l‟État : Doswald-Beck,

supra note 129 à la p. 125.

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81

nous amène à nous questionner quant à savoir si les États ne sont pas en train

d’aller trop loin et de remettre en cause le principe de distinction, un principe

cardinal du DIH. Ne peut-on pas penser que le fait pour un État signataire des

Conventions d’impliquer dans les hostilités, directement ou indirectement, des

acteurs n’ayant pas le statut de combattant puisse toucher la façon dont ils

conduisent les hostilités et, donc, le jus in bello? L’embauche des EMP n’est peut-

être pas illégale en soi, mais il ne nous semble pas exclu que le DIH puisse poser

certaines limites à une telle pratique. La littérature révèle d’ailleurs un malaise à

voir des employés du secteur privé qui ne sont pas intégrés aux forces armées

participer aux hostilités. À cet égard, il est intéressant de souligner que des auteurs

mentionnent, d’un côté, qu’il n’est pas interdit pour les États d’avoir recours à des

acteurs privés pour livrer la guerre et, de l’autre, disent que les employés d’EMP

ne devraient pas prendre part aux hostilités à moins d’être intégrés aux forces

armées. Témoignant de ce malaise, le Rapport de la deuxième réunion d’experts

sur la participation directe aux hostilités en DIH organisé par le CICR souligne :

Another expert pointed out that, apart from an old prohibition of privatering in the 1856 Paris Declaration, there was no other written prohibition of making use of civilians in armed conflict. Therefore, while the use of contractors exposed them to certain risks, it certainly did not violate the law of armed conflict. The clearest solution would be for governments to subject civilian contractors to military discipline and integrate them into the armed forces as soon as an international armed conflict has begun. This would of course only be possible for contractors hired by governments. One expert nevertheless contended that the extent to which military activities could be contracted out legitimately remained an important issue to clarify289.

Alors que les études précédentes se sont davantage intéressées à la légalité du

recours à des EMP en abordant la question sous l’angle du jus ad bellum, nous

nous proposons de les compléter en étudiant la question sous l’angle du

jus in bello, plus particulièrement en regard de l’impact que crée l’implication

d’acteurs privés dans les conflits sur l’application et le respect du DIH. Nous nous

demanderons si les États peuvent consentir, explicitement ou implicitement, à ce

289

CICR, « Second Expert Meeting », supra note 281 aux pp. 13-14.

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82

que des individus participent aux hostilités en leur nom sans mettre en œuvre ce

qu’il faut pour s’assurer que leur statut soit clair en regard du DIH et qu’ils agissent

dans les limites des droits et obligations qui découlent de ce statut.

Évidemment, il n’est pas nouveau que des États sous-traitent certaines tâches à

des entrepreneurs privés, une situation d’ailleurs envisagée par l’article 4(A)(4) de

la Convention III. Ce qui a changé, cependant, c’est l’étendue des tâches confiées

au secteur privé, qui a évolué avec l’ère de la privatisation et la sophistication des

méthodes de guerre. Les tâches confiées en sous-traitance touchent de plus en

plus près au cœur des activités militaires. Bien que la notion de participation aux

hostilités ait toujours été difficile à circonscrire et soit en constante mouvance,

l’implication grandissante d’entrepreneurs privés dans les conflits contribue à

exacerber le problème. Les États semblent actuellement profiter de l’incertitude

entourant cette notion pour sous-traiter des tâches qui impliquent potentiellement

une participation aux hostilités. Est-ce là une application de bonne foi des

Conventions?

Nous verrons dans un premier temps comment il s’avère, d’une part, difficile de

définir les droits et obligations des intervenants dans un conflit armé en fonction de

leur participation directe aux hostilités et, d’autre part, comment l’intervention

d’acteurs privés dans les conflits armés entraîne peu à peu une interprétation de la

notion de participation directe aux hostilités qui diminue la protection des

personnes civiles. Nous verrons ensuite que certaines obligations que les

Conventions imposent aux États peuvent difficilement être respectées si les États

font intervenir dans les conflits armés des individus dont les droits et obligations

sont incertains, ce qui nous amènera à dégager certaines mesures que les États

devraient prendre pour assurer une application de bonne foi des Conventions

lorsqu’ils mandatent des EMP.

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Chapitre I. Le civil qui participe aux hostilités

Tel qu’il ressort de la première partie de notre mémoire, la question centrale qui

entoure l’implication des employés d’EMP dans les conflits armés est de savoir

s’ils participent ou non aux hostilités, afin de déterminer ultimement s’ils sont des

civils protégés au sens des Conventions et donc si leur implication dans les conflits

armés est susceptible de porter atteinte à la mise en œuvre du principe de

distinction. Il convient dès lors d’examiner si les activités qu’ils exercent constituent

une participation directe aux hostilités eu égard aux critères applicables. Cette

analyse nous amènera également à étudier l’impact qu’engendre la détermination

des protections dont bénéficie le civil sur la base des fonctions qu’il exerce plutôt

qu’en fonction de son statut tel que défini par le DIH.

1. L’ambiguïté entourant la notion de participation directe aux hostilités

La notion de participation directe aux hostilités apparaît pour la première fois à

l’article 3 commun aux quatre Conventions, dans le contexte où l’on cherchait à

renforcer la protection de la population civile contre les effets des hostilités. Cet

article énonce des garanties fondamentales minimales dont doivent bénéficier les

personnes civiles dans les conflits armés non internationaux « sauf si elles

participent directement aux hostilités ». La notion de participation directe aux

hostilités se retrouvera plus tard à l’article 51(3) du Protocole I qui, tel que

mentionné précédemment, a introduit formellement dans le texte des Conventions

le principe de l’immunité des personnes civiles : « [l]es personnes civiles jouissent

de la protection accordée par la présente Section, sauf si elles participent

directement aux hostilités et pendant la durée de cette participation. » Cet article

est perçu comme constituant une avancée majeure pour la protection des

personnes civiles, et ce, pour trois raisons : i) le Protocole I adopte une définition

large de la notion de personne civile, en la définissant par opposition au

combattant ; ii) seulement ceux qui participent « directement » aux hostilités

perdent leur protection ; et iii) ils perdent leur protection seulement pendant le

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84

temps que dure leur participation aux hostilités290. Ce faisant, certains diront que

l’article 51(3) a opéré une transformation dans les rapports entre les nécessités

militaires et les exigences d’humanité, faisant désormais pencher la balance en

faveur des secondes291.

En dépit de son importance capitale en DIH, la notion de participation aux hostilités

n’est pas définie dans le texte des Conventions, laissant une grande marge

d’appréciation aux Parties. Du texte de l’article 51(3) se dégagent cependant trois

composantes : (i) l’existence d’hostilités, (ii) une participation « directe » ou

« active »292 et (iii) une durée (« pendant le temps que dure leur participation »).

Chacune de ces trois composantes, lorsqu’elles sont analysées concrètement,

soulève son lot de questions : Quelles sont les activités visées? Quelles sont les

conditions précises auxquelles les civils participant directement aux hostilités

perdent et retrouvent la protection dont ils jouissent contre les attaques? Quelle est

la durée de la perte de protection? Quelles sont les mesures de précautions que

doit prendre l’ennemi et les présomptions qui prévalent? Quelles sont les limites

imposées par le DIH à l’usage de la force contre les objectifs légaux et les

conséquences qu’entraîne la restauration de la protection des civils?293

Pas plus que les Conventions, la pratique ne révèle l’existence d’un consensus

quant à l’interprétation que doit recevoir la notion de participation aux hostilités294

au point où le CICR a, lors de sa XXXe Conférence, réaffirmé le besoin de clarifier

cette notion. Suivant le CICR, ces problèmes d’interprétation sont exacerbés en

outre par un déplacement des conflits vers des zones à forte concentration civile,

une utilisation de technologies sophistiquées opérées à distance et une

augmentation significative de la sous-traitance de fonctions militaires à des acteurs

290

Camins, supra note 41 à la p. 878.

291 Camins, supra note 41 à la p. 879.

292 Selon les Chambres d‟appel du TPIR et du TPIY, ces deux expressions sont synonymes : Le Procureur

c. Akayesu, ICTR-96-4-T, Jugement (1er

juin 2001) au para. 629 (TPIR, Chambre d‟appel); Le Procureur c.

Strugar, IT-01-42-A, Arrêt (17 juillet 2008) au para. 173 (TPIY, Chambre d‟appel) [Strugar].

293 CICR, « XXX

e Conférence », supra note 14 à la p. 18.

294 Targeted Killings, supra note 40 au para. 39; Henckaerts, supra note 38 aux pp. 22-23.

Page 96: LA SOUS-TRAITANCE D’ACTIVITÉS MILITAIRES PAR L’ÉTAT ...€¦ · travailler pour la justice pénale internationale est devenu réalité. Ce travail de recherche a bénéficié

85

privés295. Dès 2003, le CICR a initié un processus de recherche et de réflexion,

avec l’Institut TMC Asser, au cours duquel une cinquantaine d’experts du DIH ont,

sur une période de six (6) ans, identifié plusieurs zones grises entourant la notion

de participation directe aux hostilités et proposé des principes d’interprétation.

Dans le cadre de leurs travaux, les experts ont abondamment discuté des

problèmes qu’engendre l’implication grandissante d’acteurs privés dans les conflits

armés. Ce processus a mené, en mai 2009, à l’adoption d’un Guide interprétatif

sur la notion de participation directe aux hostilités en DIH (ci-après, le

« Guide interprétatif »)296. Ce document, bien que non contraignant, propose une

interprétation destinée à clarifier les incertitudes relatives à la notion de

participation directe aux hostilités à la lumière des conflits modernes. Le

Guide interprétatif, et les rapports qui l’ont précédé, compte tenu de l’influence

qu’ils sont susceptibles d’avoir sur l’application du DIH dans les années à venir,

guideront largement notre analyse dans cette partie du mémoire où seront

discutées chacune des composantes de la notion de participation directe aux

hostilités. Nous étudierons tour à tour la difficulté à identifier les activités visées,

l’incertitude quant à la durée de la participation aux hostilités et l’absence de

consensus quant à la perte et au recouvrement de l’immunité.

1.1 La difficulté à identifier les activités visées

Toute conduite empreinte d’un degré plus ou moins élevé de violence en contexte

de conflit armé n’entraîne pas nécessairement une participation directe aux

hostilités. Non seulement n’existe-t-il pas de liste des activités qui constitueraient

une participation directe aux hostilités, mais il n’y a pas, pour l’heure, de

consensus quant aux critères précis qui servent à la déterminer. Le CICR regroupe

les différents éléments dégagés par la jurisprudence et la doctrine en suggérant

qu’il doit s’agir d’un acte hostile qui a un lien de causalité avec les coups portés à

l’ennemi et qui est commis pour le bénéfice d’une Partie au conflit et au détriment

d’une autre.

295

Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 aux pp. 11-12.

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86

1.1.1 Un acte hostile

Il est généralement reconnu que « [p]ar actes d'hostilité, il faut entendre les actes

qui, de par leur nature et leur but, sont destinés à frapper concrètement le

personnel et le matériel des forces armées. »297 Suivant la jurisprudence du TPIY,

de la Cour suprême d’Israël et du CICR, cela doit également inclure les hostilités à

l’encontre de personnes protégées298. Dans son Guide interprétatif, le CICR

suggère que « a specific act must be likely to adversely affect the military

operations or military capacity of a party to an armed conflict, or, alternatively, to

inflict death, injury, or destruction on persons or objects protected against direct

attack »299. Il n’est pas nécessaire que les dommages se matérialisent, mais

seulement qu’ils soient raisonnablement prévisibles dans les circonstances300. Les

actes de défense, comme par exemple la protection d’objectifs militaires, sont

également considérés comme des actes hostiles301. La participation aux hostilités

inclut bien évidemment la participation armée à des combats, une activité exercée

de façon exceptionnelle par les EMP302, mais elle n’y est toutefois pas limitée et

inclut même la commission d’actes hostiles sans l’usage d’une arme303.

Certaines activités confiées aux EMP sont susceptibles de constituer un acte

hostile comme par exemple le fait d’empêcher l’ennemi d’utiliser certains objets,

296

Ibid. Notons cependant que des experts ayant pris part aux discussions ont refusé d‟entériner le document

final, avec lequel ils sont en désaccord : Schmitt, « The Interpretative Guidance », supra note 10 à la p. 6.

297 Sandoz, supra note 50 au para. 1679; Strugar, supra note 292 au para. 173; Comm. Interam. D.H., Third

Report on the Situation of Human Rights in Colombia, O.É.A./Ser.L/V/II.102 doc. 9 rev.1 (26 février 1999)

au para. 53 [Third Report on the Situation of Human Rights in Colombia], Targeted Killings, supra note 40 au

para. 33.

298 Le Procureur c. Galic, IT-98-29-T, Jugement (5 décembre 2003) au para. 27 (TPIY, Chambre de première

instance); Le Procureur c. Srugar, IT-01-42-T, Jugement (31 janvier 2005) aux para. 282 et 289 (TPIY,

Chambre de première instance); Targeted Killings, supra note 40 au para. 33.

299 Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 à la p. 47.

300 Ibid.

301 L‟article 49(1) du Protocole I définit le terme « attaques » comme « des actes de violence contre

l'adversaire, que ces actes soient offensifs ou défensifs ».

302 Boldt, supra note 73 à la p. 508; Schmitt, « Interpretative Guidance », supra note 10 (qui relate que des

employés de Blackwater auraient notamment participé à des opérations visant à capturer ou à éliminer des

insurgés en Irak et en Afghanistan, à la p. 10).

303 Strugar, supra note 292 aux para. 175-176.

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équipements et territoires à des fins militaires, de garder du personnel militaire

pour éviter qu’ils ne soient libérés par la force, d’effectuer des opérations de

déminage, de mettre sous écoute le commandement adverse et de transmettre

des informations permettant de localiser les forces adverses aux fins d’une attaque

éventuelle304.

1.1.2 Un lien de causalité

Les Commentaires relatifs aux Conventions énoncent que « la participation directe

aux hostilités implique un lien direct de cause à effet entre l'activité exercée et les

coups qui sont portés à l'ennemi, au moment où cette activité s'exerce et là où elle

s'exerce. »305 Entre la simple participation à l’effort de guerre, insuffisante pour

constituer une participation directe aux hostilités, et l’implication directe dans les

combats, s’étale tout un spectre d’activités souvent difficiles à qualifier. Il y a, en

fait, place à une certaine marge d’appréciation306, ce qui est à la fois nécessaire

pour permettre de s’adapter aux situations particulières et éviter une application

trop rigide du DIH, mais également source d’ambiguïté et d’incertitude. Le

problème est d’autant plus complexe que l’utilisation de technologies de plus en

plus sophistiquées a pour effet de déplacer le terrain de bataille dans des centres

de commandements placés à des kilomètres du conflit. Par exemple, la personne

qui analyse, à partir de Washington, la position de troupes ennemies en Irak au

moyen de l’analyse d’images satellites, participe-t-elle directement aux hostilités?

La nature exacte du lien causal, qui est au centre de la notion de participation aux

hostilités et qui sert en large partie à définir sa portée, ne fait pas consensus307.

Certains auteurs estiment que l’acte doit être indispensable à la création du

dommage308, une approche jugée trop étroite par le CICR. Le CICR propose

304

Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 à la p. 48.

305 Sandoz, supra note 50 au para. 1679.

306 Ibid.

307 Targeted Killings, supra note 40 au para. 33; Henckaerts, supra note 38 aux pp. 22-23.

308 Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 533; Voyame, supra note 288 à la

p. 369.

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l’approche suivante : « there must be a direct causation link between a specific act

and the harm likely to result either from that act, or from a coordinated military

operation of which that act constitutes an integral part. »309 Toujours suivant le

CICR, « [t]he harm in question must be brought about in one causal step. »310 Un

acte spécifique qui ne crée pas à lui seul le niveau de dommage requis, mais

s’inscrit dans le cadre d’une opération tactique particulière, laquelle cause ce

dommage, satisferait à l’exigence de causalité311. Ce serait notamment le cas

d’attaques perpétrées par des véhicules aériens téléguidés, auxquelles prennent

part plusieurs intervenants dont les spécialistes en informatique qui contrôlent le

véhicule à distance, ceux qui identifient la cible, collectent les renseignements

nécessaires et contrôlent le lancement de missiles, les opérateurs radio qui

transmettent les ordres et le commandant de l’opération. La Cour suprême d’Israël,

sans donner de définition du lien de causalité qui doit exister, suggère pour sa part

une interprétation plus large, en ne requérant pas que certaines activités soient

reliées à des opérations militaires spécifiques. Elle inclut notamment dans la notion

de participation aux hostilités toute collecte de renseignements relatifs à l’armée,

qu’ils soient ou non liés à la conduite des hostilités312, de même que l’entretien et

la supervision de l’utilisation de systèmes d’armement de façon générale313. Le

débat sur cette question demeure donc à être tranché.

Peu importe l’interprétation retenue, il semble faire peu de doute que certains

services de renseignements assurés par des EMP sont susceptibles de constituer

une participation directe aux hostilités lorsqu’ils permettent l’identification de cibles

ou l’analyse et la transmission d’informations tactiques menant à des attaques

contre les forces ennemies. L’interrogatoire de prisonniers de guerre, une activité à

laquelle des employés d’EMP ont notamment pris part en Irak, tomberait

309

Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 à la p. 51.

310 Ibid. à la p. 53.

311 Ibid. aux pp. 54-55.

312 Targeted Killings, supra note 40 au para. 35. Voir également Henckaerts, supra note 38 à la p. 22 (qui cite

les manuels militaires des États-Unis, de l‟Équateur et des Philippines en ce sens); Faite, supra note 27 à la

p. 173.

313 Targeted Killings, supra note 40 au para. 35.

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également sous le coup de la participation directe aux hostilités lorsqu’il vise à

obtenir des renseignements permettant de planifier des opérations militaires314. Il

en va de même pour les instructions et l’assistance données aux troupes pour

l’exécution d’opérations militaires spécifiques315. Ainsi, de façon générale, il

apparaît raisonnable de conclure que les activités suivantes exercées par les EMP

constitueront vraisemblablement une participation directe aux hostilités si elles

sont exécutées dans le cadre d’une opération militaire spécifique : (i) la production,

l’entretien, le transport et l’assistance à l’utilisation de systèmes d’armement ; (ii) le

recrutement et l’entraînement de personnel militaire ; iii) les services de

renseignements et (iii) la planification et les services-conseil316. Certaines de ces

activités pourraient éventuellement être considérées comme une participation

directe aux hostilités même si elles ne sont pas reliées à une opération militaire

particulière.

La difficulté demeure de déterminer dans quelle mesure une action donnée

contribue à une opération militaire particulière. Les activités militaires sont

généralement divisées en trois niveaux d’opérations : (i) le niveau stratégique, qui

implique l’établissement de politiques de sécurité et militaires et l’allocation de

ressources; (ii) le niveau opérationnel, qui implique la prise de décision quant à la

conduite de campagnes et opérations militaires ; et (iii) le niveau tactique, qui

réfère à la planification et l’exécution de batailles particulières317. Les activités

mentionnées ci-haut constitueront généralement, au niveau tactique, une

participation aux hostilités, alors qu’elles n’en constitueront pas au niveau

stratégique. La zone grise se situe surtout au niveau opérationnel puisque c’est à

314

Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 544.

315 Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 aux pp. 54-55; Strugar, supra note 292 au para. 177;

Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 534; Voyame, supra note 288 à la p. 376.

316 Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 aux pp. 53-54; Schmitt, « Direct Participation in

Hostilities», supra note 2 aux pp. 542-545. Suivant la Cour suprême d‟Israël, le transport de troupes et de

munition sur les champs de bataille constitue une participation aux hostilités : Targeted Killings, supra note

40 au para. 35.

317 É.-U., Department of Defence, Dictionary of Military and Associated Terms, Joint Pub. 1-02, adopté le

12 avril 2001, tel qu‟amendé en avril 2010, en ligne: <http://www.dtic.mil/doctrine/new_pubs/jp1_02.pdf>.

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ce niveau que se fait le lien entre la planification stratégique et sa mise en œuvre

sur le terrain318.

Une panoplie d’activités exercées par les EMP à titre de soutien logistique, qui se

limitent à la fourniture de biens et services à une Partie au conflit (électricité,

essence, matériaux de construction, services financiers319, construction et

entretien de bases militaires) ne sont pas suffisamment liées aux dommages

causés à l’ennemi pour constituer une participation directe aux hostilités. À cet

effet, il était d’ailleurs envisagé par la Convention III que les « fournisseurs,

membres d'unités de travail ou de services chargés du bien-être des forces

armées » accompagneraient les forces armées sans pour autant être des

combattants320.

1.1.3 Un acte commis au bénéfice d’une Partie au conflit et au détriment d’une autre

Il s’agit ici de déterminer, de façon objective, le but dans lequel l’acte hostile est

commis, celui-ci devant viser à apporter un support à une Partie au conflit, au

détriment d’une autre321. Sont donc laissés à l’écart les actes violents commis

pendant un conflit, mais sans lien direct avec celui-ci. Seraient également exclus,

suivant le CICR, les actes liés à l’exercice du contrôle ou de l’autorité de la

puissance occupante sur les personnes ou un territoire qui sont passés sous son

pouvoir322. Cette position nous apparaît discutable considérant qu’un conflit armé

entre une puissance occupante et des insurgés sur un territoire occupé constitue

un conflit armé international323. La difficulté est de déterminer si un conflit armé à

318

Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 aux pp. 542-543.

319 Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 aux pp. 53-54; Targeted Killings, supra note 40 aux

para. 34-35; Third Report on the Situation of Human Rights in Colombia, supra note 297 aux para. 53-56.

320 Convention III, art. 4(A)(4); Christian Schaller, « Private Security and Military Companies under the

International Law of Armed Conflict » dans Thomas Jager et Gerhard Kummel, dir., Private Military and

Security Companies – Chances, Problems, Pitfalls and Prospects, Wiesbaden, VS Verlag, 2007, 345 à la

p. 353 [Schaller].

321 Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 aux pp. 58-59.

322 Règlement de La Haye, supra note 47 art. 43.

323 Antonio Cassese, International Law, 2

e éd., Oxford, Oxford University Press, 2005 à la p. 420.

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91

caractère international est toujours en cours et si les actes en question y sont

reliés.324

La défense d’un objectif militaire pendant le conflit constituera généralement une

participation directe aux hostilités325. Par contre, les actes de légitime défense ou

de défense d’autrui contre des actes de violence prohibés par le DIH (donc à

l’encontre de biens ou personnes civiles) seraient exclus dans la mesure où

l’emploi de la force en défense est nécessaire et proportionnée326. Aussi

l’utilisation de la force armée par les autorités civiles de la puissance occupante

pour mettre fin à des émeutes ou autres formes de désordre public ou maintenir

l’ordre et la loi en situation de conflit ne constituera généralement pas une

participation aux hostilités suivant le CICR327. À cet égard, il nous semble toutefois

qu’il faille distinguer l’intervention des forces de sécurité de la puissance occupante

pour neutraliser des insurgés. Dans la mesure où la lutte contre des insurgés dans

un territoire occupé est considérée comme un conflit international, il en résulte, à

notre avis que les actes visant à les neutraliser peuvent être considérés comme

des actes commis au bénéfice d’une Partie au conflit.

Cette exigence a une incidence particulière sur les services dits de « sécurité » ou

de protection des personnes, des lieux ou des biens. Suivant l’interprétation

donnée ci-haut, les services de « sécurité » dispensés par les EMP engendreraient

une participation directe aux hostilités seulement dans la mesure où ils sont

exercés avant que ne prenne fin le conflit armé international et s’ils visent i) la

protection d’un objectif militaire ou ii) la protection de personnes, lieux ou biens à

caractère civil mais dans ce cas uniquement si l’emploi de la force va au-delà de

ce qui est nécessaire et proportionné pour assurer la légitime défense ou la

défense d’autrui. Là encore, il n’est pas aisé de déterminer ce qui constitue un

324

La question pourrait également se poser dans le cadre d‟un conflit armé non international mais, tel

qu‟annoncé en introduction, la présente étude est consacrée uniquement aux conflits armés internationaux.

325 Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 538.

326 Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 à la p. 61; Schmitt, « Direct Participation in

Hostilities », supra note 2 aux pp. 538-539.

327 Nils Melzer, ibid., aux pp. 61-62.

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92

objectif militaire et si la force employée excède la légitime défense. Dans ce

dernier cas, l’évaluation devra nécessairement se faire ex post facto.

1.2 L’incertitude quant à la durée de la participation aux hostilités

Il est généralement reconnu que les mesures préparatoires à l’exécution d’un acte

hostile spécifique, de même que le déploiement et le retour de l’endroit où cet acte

est exécuté, constituent une partie intégrante de la participation aux hostilités328.

Les mesures préparatoires doivent cependant être suffisamment liées à l’acte

devant être exécuté pour constituer une partie intégrante de celui-ci. Encore une

fois, l’acte doit être lié à une opération spécifique et non seulement à une

préparation générale pour d’éventuelles opérations non encore définies. Dans

cette optique, l’équipement, l’entraînement et le transport de personnel, la collecte

de renseignements, la préparation, le transport et le positionnement d’armement et

d’équipements constitueront généralement des actes préparatoires tombant sous

le coup de la participation aux hostilités dans la mesure où ils sont reliés à une

opération militaire spécifique329.

1.3 L’absence d’un consensus quant à la perte et au recouvrement de l’immunité

Suivant le texte de l’article 51(3) du Protocole I, qui fait désormais partie du droit

coutumier330, les personnes civiles perdent la protection dont elles bénéficient

contre les attaques pendant la durée de leur participation aux hostilités. Les civils

ne cessent pas de faire partie de la population civile, mais leur protection est

temporairement suspendue pendant le temps de leur engagement dans des actes

hostiles spécifiques, incluant la préparation et le retour de l’opération en cause. Ils

perdent et regagnent leur protection en fonction de ces intervalles où ils constituent

une menace pour l’ennemi. La Chambre d’appel du TPIY, dans l’affaire Strugar,

exprime ce principe de la façon suivante:

328

Ibid. à la p. 65; Fleck, supra note 42 à la p. 232, cité par la Cour suprême d‟Israël : Targeted Killings,

supra note 40 au para. 35.

329 Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 à la p. 66; Strugar, supra note 292 au para. 177 (sur la

question du transport d‟armement à proximité des opérations de combats).

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93

As the temporal scope of an individual’s participation in hostilities can be intermittent and discontinuous, whether a victim was actively participating in the hostilities at the time of the offence depends on the nexus between the victim’s activities at the time of the offence and any acts of war which by their nature or purpose are intended to cause actual harm to the personnel or equipment of the adverse party331.

Ce principe du « revolving door », adopté par l’article 51(3), vise à éviter que des

civils ne soient pris pour cibles en dehors de ces moments précis où ils constituent

une menace militaire pour l’ennemi. Ce principe semble prendre pour acquis que la

participation du civil aux hostilités est spontanée, non organisée et sporadique332.

Dans ce contexte, il nous apparaît acceptable.

L’implication d’employés d’une EMP qui font partie d’un groupe organisé et qui,

pour certains, assument des tâches traditionnellement confiées à l’armée, semble

s’inscrire dans un contexte différent de celui envisagé par le texte des

Conventions. De là, la question controversée de savoir si l’individu qui ne répond

pas aux conditions d’obtention du statut de combattant, mais qui prend néanmoins

part aux hostilités de façon soutenue, peut toujours être considéré comme un civil

et bénéficier de la protection contre les attaques en dehors des moments

spécifiques où il prend directement part aux hostilités. En d’autres mots, peut-il

bénéficier du « revolving door »? L’idée qu’un civil puisse agir comme un

combattant sans pour autant respecter les conditions de ce statut et se trouver

protégé en dehors des instants spécifiques où il commet des actes directement liés

aux hostilités apparaît contraire au bon sens. Pour éviter cette situation, différentes

théories ont été avancées pour régir le cas des individus qui exercent des

fonctions combattantes de façon continue, lesquelles visent à redéfinir soit le statut

des intervenants dans les conflits armés, soit la notion de participation aux

hostilités en tant que telle.

330

Targeted Killings, supra note 40 au para. 30.

331 Strugar, supra note 292 au para. 178.

332 Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 aux pp. 70-71.

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94

1.3.1 La théorie du combattant illégal

Dans la foulée des arrestations et mises en détention qui ont suivi les événements

du 11 septembre, incluant celles des « combattants ennemis » à la prison de

Guantanamo, l’Administration américaine a adopté une position suivant laquelle

ces individus n’étaient ni des civils, ni des combattants au sens des Conventions.

Les qualifiant tantôt de « combattants ennemis », tantôt de « combattants

illégaux » ou encore de « combattants non privilégiés », l’Administration

américaine considéraient qu’ils étaient exclus du champ d’application de l’une et

l’autre des Conventions et que le DIH ne leur offrait donc aucune protection333. En

pratique, l’Administration américaine soutenait l’existence d’une troisième

catégorie d’intervenants dans les conflits armés, lesquels, par leur comportement,

étaient laissés à l’écart du DIH. Cette approche, qui a soulevé la controverse, a été

en partie rejetée par les tribunaux américains qui ont reconnu certains droits à ces

individus, dont notamment la protection offerte par l’article 3 commun aux

Conventions334.

1.3.2 La théorie du civil non protégé

Dans son jugement sur les Targeted Killings rendu en 2006, la Cour suprême

d’Israël rejette catégoriquement l’idée qu’il existerait une troisième catégorie

d’intervenants dans les conflits armés – les combattants illégaux – sur la base du

fait que ni le texte des Conventions ni le droit coutumier ne supportent l’existence

d’une telle troisième catégorie335. Elle considère que les personnes qui ne

répondent pas aux conditions d’octroi du statut de combattant, mais prennent

néanmoins part aux hostilités, même s’ils le font d’une façon soutenue, ne sont pas

333

James G. Stewart, « Rethinking Guantanamo – Unlawful Confinement as Applied in International

Criminal Law » (2006) 4 J.I.C.J. 12.

334 Hamdan v. Rumsfeld, 548 U.S. 1 (2006). Ce principe a également été reconnu par le Président Obama dans

son ordonnance du 22 janvier 2009 : É.-U., Président, Review and Disposition of Individuals Detained at the

Guantanamo Bay Naval Base and Closure of the Detention Facilities, Executive Order, 22 janvier 2009, en

ligne : <http://www.whitehouse.gov/the_press_office/closureofguantanamodetentionfacilities/>.

335 Targeted Killings, supra note 40, opinion du président Barak aux para. 27-28, 44 et opinion concurrente du

vice-président Rivlin, au para. 2.

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des combattants, mais plutôt des civils. Le président de la Cour parle de

« [TRADUCTION LIBRE] civils qui sont des combattants illégaux », alors que le

vice-président Rivlin emploie, pour référer au même concept, l’expression

« [TRADUCTION LIBRE] civils non civilisés ».

Se fondant sur le droit international coutumier, la Cour conclut que ces civils qui

participent de façon soutenue aux hostilités ne bénéficient pas de la même

protection que ceux qui n’y participent pas336. Tant et aussi longtemps qu’ils

exercent des fonctions de combattants, ils perdent le bénéfice de la protection

associée à leur statut de civil et sont donc sujets aux risques qu’entraîne leur

participation aux hostilités337. La Cour établit une distinction entre, d’une part, le

civil qui prend part aux hostilités à une seule reprise ou sporadiquement et cesse

ensuite ces activités et, d’autre part, celui qui se joint à un groupe terroriste et qui

s’engage dans une série d’actes hostiles envers l’ennemi. Dans ce dernier cas,

elle estime que le principe du « revolving door », qui permettrait à un individu de

participer aux hostilités sans pour autant respecter les exigences du statut de

combattant et de retrouver sa protection entre les différents actes qu’il commet,

doit être évité. La Cour estime donc que tant et aussi longtemps qu’un civil assure

une fonction de combattant, il perd la protection associée à son statut.

1.3.3 La théorie du membre des forces armées

Le CICR envisage pour sa part les choses sous un angle différent. Dans son

Guide interprétatif, il propose une interprétation des Conventions suivant laquelle

le civil perd sa protection contre les attaques soit en participant aux hostilités, soit

en devenant membre d’un groupe armé appartenant à une Partie au conflit. Ainsi

lorsque la participation d’un individu aux hostilités va au-delà d’une participation

spontanée, non organisée et sporadique et qu’il se joint à un groupe armé organisé

appartenant à une Partie au conflit, la « revolving door » de la protection

commence à opérer sur la base de l’appartenance à ce groupe. L’appartenance à

336

Ibid., au para. 26.

337 Ibid. au para. 31.

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96

un groupe armé prend naissance au moment où un civil commence de facto à

assurer une fonction de combat au sein du groupe et prend fin au moment où il

cesse d’occuper cette fonction338. Les fonctions de combat incluent la préparation,

l’exécution et la commande d’actes ou opérations résultant en une participation

directe aux hostilités339. Le simple fait d’exercer des activités traditionnellement

assurées par du personnel militaire n’est pas suffisant; il doit s’agir d’activités qui

impliquent une participation directe aux hostilités telles que définies plus haut340.

Pour assurer la cohérence de cette interprétation et éviter la création d’une

troisième catégorie d’intervenants dans les conflits armés, le CICR propose de

distinguer les civils par rapport aux membres des forces armées plutôt que par

rapport aux combattants. Suivant le CICR, la notion de forces armées est plus

large que celle de combattants et regroupe tous les groupes armés qui présentent

un degré suffisant d’organisation militaire et appartiennent à une Partie au conflit,

et ce, même s’ils ne répondent pas aux exigences de l’article 4(A)(2) de la

Convention III. Il s’agit, en fait, des individus qui exercent des fonctions

combattantes au sein d’un groupe qui participe aux hostilités pour et avec le

consentement d’une Partie au conflit341. Dans ce cas, ils sont, pour les fins du

principe de distinction, exclus de la catégorie des civils protégés, faisant en sorte

qu’ils constitueraient donc des cibles légitimes342 sans pour autant avoir le droit de

prendre légalement part aux hostilités343.

Appliquant concrètement ce principe aux employés du secteur privé, le CICR

établit une distinction entre, d’une part, ceux qui se voient confier des fonctions

338

Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 à la p. 72.

339 Ibid. à la p. 34.

340 Ibid. à la p. 39.

341 Ibid. à la p. 23.

342 Ibid. aux pp. 22 et 72-73.

343 Suivant le CICR, ces individus bénéficieraient toutefois des garanties fondamentales enchâssées à

l‟article 75 du Protocole I et, pour autant qu‟ils répondent aux exigences de nationalité, seraient considérés

comme des « personnes protégées » au sens de la Convention IV : Ibid. à la p. 22. Voir

également Knut Dörmann, « The legal situation of „unlawful/unprivileged combatants‟ » (2003) 85 R.I.C.R.

45 aux pp. 49-50.

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traditionnellement assurées par des militaires sans toutefois impliquer une

participation directe aux hostilités et, d’autre part, ceux qui ont été incorporés aux

forces armées d’une Partie. Cette incorporation peut être formelle – c’est-à-dire

effectuée suivant la procédure particulière prévue par le droit national – ou implicite

– lorsque des individus se voient confier par une Partie au conflit des fonctions de

combat (« continuous combat function »). Alors que les premiers demeurent des

civils, les seconds seront considérés comme des membres des forces armées

pour les fins du principe de distinction344. L’emphase est mise sur l’autorisation

donnée par l’État, ou non, de participer aux hostilités. Suivant le CICR, la plupart

des employés d’EMP ne sont pas intégrés formellement aux forces armées et

n’exercent pas de fonctions combattantes continues345. Ainsi, leur perte de

protection contre les attaques, s’il en est, se fera généralement sur une base

sporadique.

Bien que différentes, les approches développées par la Cour suprême d’Israël et le

CICR se recoupent et produisent des effets similaires à l’égard de la mise en

œuvre du principe de distinction. Alors que la Cour suprême d’Israël retire à ceux

qui participent aux hostilités sur une base continue leur protection contre les

attaques, le CICR estime que ceux-ci, en raison des fonctions de combattants

qu’ils exercent, ne bénéficient pas de cette protection. Ainsi, se dessine-t-il une

nouvelle tendance en DIH à l’effet que ces individus qui n’ont pas le statut de

combattant privilégié et qui exercent sur une base continue des fonctions

impliquant une participation directe aux hostilités, qu’ils soient considérés comme

membres des forces armées ou civils non protégés, se trouveraient dépourvus de

la protection contre les attaques ennemies. Si ce principe semble en théorie

acceptable, il pose des difficultés d’application majeures.

344

Ibid. à la p. 39.

345 Ibid. à la p. 38.

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98

2. La difficulté à faire la distinction en pratique

Suivant l’article 57(2)(a)(i) du Protocole I, avant et pendant une attaque, ceux qui

préparent ou décident une attaque doivent « faire tout ce qui est pratiquement

possible pour vérifier que les objectifs à attaquer ne sont [pas] des personnes

civiles (…), mais qu'ils sont des objectifs militaires au sens du paragraphe 2 de

l'article 52 », notamment s’ils participent aux hostilités. Cette détermination doit se

faire de bonne foi, sur la base de toutes les informations raisonnablement

disponibles dans les circonstances, en tenant compte notamment des

renseignements accessibles au décideur, de l’urgence de la situation et du

dommage susceptible de découler d’une décision erronée346. Il s’agit d’une

analyse au cas par cas, qui doit tenir compte des circonstances particulières de

l’individu en question au moment où l’attaque est perpétrée347. Il faut notamment

tenir compte du fait que l’individu ait cessé tout acte de combat, peu importe la

situation du groupe auquel il est associé348. Suivant le CICR, « [i]n practice, the

decisive question should be whether the conduct of a civilian, in conjunction with

the circumstances prevailing at the relevant time and place, can reasonably be

perceived as an act designed to support one party to the conflict by directly

causing the required threshold of harm to another party. »349 En cas de doute

quant à savoir si un individu participe ou non aux hostilités, il doit être présumé

qu’il bénéficie de la protection généralement offerte aux civils. Cette présomption

s’applique a fortiori s’il s’agit de déterminer si l’individu appartient à un groupe

armé350.

346

Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 à la p. 76. La Cour suprême d‟Israël exige davantage en

requérant que la décision d‟attaquer un civil repose sur des informations fiables et vérifiées quant à l‟identité

d‟un individu et ses activités. Si cette exigence apparaît raisonnable dans le cadre d‟une attaque planifiée

contre des civils, qui faisait l‟objet de cette affaire, elle apparaît excessive lorsqu‟il s‟agit de prendre position

sur le champ de bataille : Targeted Killings, supra note 40 à la p. 49.

347 Strugar, supra note 292 au para. 178; Henckaerts, supra note 38 (il faut déterminer, dans un contexte

donné, s‟il y a suffisamment d‟indications pour justifier une attaque, p. 24).

348 Strugar, ibid. au para. 178.

349 Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 à la p. 64.

350 Ibid. à la p. 76.

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99

Le port d’une arme apparaît constituer un facteur particulièrement important dans

la détermination de la participation directe aux hostilités, que ce soit sur une base

continue ou sporadique. La Chambre d’appel du TPIY considère même que le fait

de porter une arme constitue, en soi, une participation directe aux hostilités351.

Cette conclusion nous apparaît discutable compte tenu de l’ensemble des critères

à satisfaire pour qu’une conduite soit considérée comme une participation aux

hostilités352. Il nous semble toutefois que le port d’une arme aura une grande

influence lorsqu’il s’agit de déterminer si un individu a commis un crime de guerre

en attaquant une personne civile, surtout s’il s’agit d’une attaque non planifiée,

puisqu’il s’agit du seul élément objectivement et facilement vérifiable. Les tribunaux

seront certes réticents à conclure que l’attaque portée contre un civil qui porte une

arme dans le cadre d’un conflit armé constitue un crime de guerre, tel qu’en

témoigne notamment la position exprimée par la Chambre d’appel du TPIY.

D’ailleurs, ceci pourrait donner ouverture à une défense fondée sur l’erreur de faits,

laquelle est notamment prévue à l’article 32 du Statut de Rome.

L’analyse des différentes composantes de la notion de participation aux hostilités

ci-dessus révèle dans quelle mesure il peut s’avérer difficile de déterminer, dans

les circonstances de chaque cas particulier, si un individu participe ou non

directement aux hostilités. Cette détermination devra prendre en compte différents

éléments souvent non accessibles aux forces adverses ou difficiles à évaluer par

celles-ci comme le dommage qui est raisonnablement susceptible de découler de

l’acte, le rôle que joue exactement un individu dans une opération militaire et le lien

entre l’acte et le conflit armé. Tous ces facteurs sont encore plus difficiles à

déterminer en pratique qu’en théorie, surtout si l’évaluation se fait avant la

perpétration de l’acte en question (par exemple, lors de la phase préparatoire de

l’attaque). Lors d’actions concertées qui impliquent plusieurs intervenants,

notamment lorsqu’il s’agit d’opérations conduites au moyen d’armes de

351

Strugar, supra note 292 au para. 177. Voir également Targeted Killings, supra note 40 (la Cour suprême

d‟Israël fait pour sa part référence au port d‟une arme alors que l‟individu se rend sur les lieux où il entend

l‟utiliser contre l‟ennemi, p. 34).

352 Voir en ce sens Faite, supra note 27 (le port d‟une arme, bien qu‟un indicateur important de la

participation aux hostilités, ne serait pas déterminant, p. 173).

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100

technologie de pointe opérées à distance, auxquelles des EMP participent de

façon plus ou moins étendue353, il est particulièrement difficile pour l’ennemi

d’identifier le rôle de chacun et ainsi de déterminer si un individu donné participe

ou non aux hostilités. Aussi, comment un individu peut-il déterminer si une livraison

d’armement, un entraînement ou une collecte de renseignements vise une

opération particulière ou s’inscrit dans un cadre routinier plus général? Il ne s’agit

pas là d’éléments qui se vérifient objectivement, à l’œil nu, mais plutôt de facteurs

qui nécessitent une analyse, en grande partie juridique, qui ne pourront

généralement être évalués que sur la base d’informations obtenues via des

services de renseignements sophistiqués.

La même problématique se pose lorsqu’il s’agit de déterminer si un individu exerce

des fonctions combattantes sur une base continue. À moins que l’individu ne

s’identifie par le port d’un uniforme ou d’un signe distinctif, ou encore qu’il porte

certaines armes témoignant d’activités allant au-delà de la légitime défense, il

faudra déterminer s’il a pris part aux hostilités de façon répétitive, au nom d’un

groupe armé, dans des circonstances indiquant que sa conduite est continue et

non sporadique354. Notons que le contrat entre une EMP et un État ne sera

vraisemblablement d’aucun secours ; d’une part, ces contrats sont généralement

inaccessibles au public et, d’autre part, ils sont apparemment rédigés en des

termes ambigus et vagues, laissant aux deux parties une large marge

d’appréciation. Combinée à un manque de supervision et de respect pour les

politiques internes, cette imprécision peut notamment amener les missions à se

transformer au fil des événements355. Notons à titre d’exemple que des employés

de DynCorp, qui avaient été engagés pour prêter assistance aux forces de l’ordre

iraquiennes, se sont retrouvés à participer à des raids exécutés par la police

iraquienne356.

353

Schaller, supra note 320 à la p. 352.

354 Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 à la p. 35.

355 Lehnardt, supra note 162 à la p. 147.

356 Renae Merle, « DynCorp took part in Chalabi raid » Washington Post (4 juin 2004) A17.

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101

L’environnement particulièrement volatile dans lequel les EMP réalisent certains

des mandats qui leur sont confiés revêt une importance toute particulière. Les

conflits modernes dans lesquels les EMP sont récemment intervenues ont peu en

commun avec les conflits traditionnels où des forces opposées s’affrontent

ouvertement sur un champ de bataille plus ou moins circonscrit dans l’espace.

Dans des contextes comme l’Irak, la Colombie et l’Afghanistan, ils sont plutôt

caractérisés par des attaques perpétrées par des acteurs non étatiques qui ne se

soucient guerre de la distinction entre objectifs militaires et civils. Ainsi, les

employés d’EMP sont-ils susceptibles de prendre part aux hostilités malgré le fait

que cela ne faisait pas partie de leur mandat initial ou de donner des motifs

raisonnables de croire qu’ils y participent. En l’absence d’une ligne de front claire,

la protection de personnes, d’édifices ou de biens est susceptible de glisser vers la

participation aux hostilités357, surtout si le lieu où l’objet protégé se trouve à

proximité de la zone de combat ou si sa destruction procure un avantage

militaire358. Il ne s’agit pas simplement de protéger des personnes ou des biens

contre des criminels de droit commun mais, dans certains cas, de mater l’ennemi

qui poursuit sa lutte armée contre une puissance occupante et qui, de par les

attaques qu’il mène, se procure un avantage militaire359. Par exemple, la menace

est telle en Irak que la tâche d’assurer la protection du Président Karzai confiée

aux employés du secteur privé avait peu en commun avec celle des services

secrets usuels. Ces employés du secteur privé étaient entraînés pour anticiper et

répondre à une variété illimitée d’attaques. Différentes composantes d’une

opération de type militaire étaient mises en place, comme les tireurs d’élite, les

chiens renifleurs, des postes de contrôle fortifiés, créant une petite armée

357

Lehnardt, supra note 162 à la p. 148.

358 Schaller, supra note 320 à la p. 353.

359 Ibid. Par exemple, le fait d‟ouvrir le feu contre des insurgés qui attaquent le siège de l‟Autorité provisoire

de la Coalition, un lieu ne constituant pas a priori un objectif militaire, implique-t-il une participation aux

hostilités dans le contexte où ce genre d‟endroit fait systématiquement l‟objet d‟attaques de la part d‟insurgés

dans le cadre de leur campagne militaire ? : Anthony Dworkin, Security Contractors in Iraq : Armed Guards

or Private Soldiers?, Crimes of War Poject, 20 avril 2004, en ligne :

<http://www.crimesofwar.org/onnews/news-security.html>, consulté le 20 février 2007 [Dworkin].

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comparable à la Garde suisse chargée d’assurer la protection du Pape360. Tel que

le confirme le CICR, la ligne entre la défense d’objectifs militaires contre des

attaques ennemies, qui constitue une participation directe aux hostilités, et la

protection de ceux-ci contre des actes de violence non reliés aux hostilités, qui

tombent plutôt sous le coup du maintien de l’ordre ou de la légitime défense, est

mince361.

La proximité physique des entrepreneurs privés avec les forces armées sera

également prise en considération pour déterminer s’ils participent aux hostilités362,

bien que cet élément ne soit toutefois pas déterminant363. Des entrepreneurs

privés qui escortent des convois à travers des territoires hostiles sont en plein

cœur du champ de bataille, au même titre que les troupes militaires ; s’ils sont

armés et qu’ils revêtent un habit de combat ou encore travaillent à proximité des

troupes, il n’est certes pas exclu qu’ils donnent à penser qu’ils participent aux

hostilités, même s’ils n’y participent peut-être pas directement dans les faits.

De plus, lorsque plusieurs EMP, aux fonctions variées, se côtoient sur le terrain

sans qu’il ne soit véritablement possible de les distinguer entre elles, le risque de

confusion s’en trouve accru. Comment peut-on raisonnablement exiger de l’ennemi

qu’il fasse la différence entre ceux qui participent aux hostilités de ceux qui n’y

participent pas? Dès lors que certaines entreprises participent aux hostilités, ce

sont toutes les autres qui sont mises en danger.

D’ailleurs, des employés d’EMP ont à plus d’une reprise été pris directement pour

cibles, faisant l’objet d’attaques délibérées de la part d’insurgés. Ce fut notamment

le cas des quatre employés de Blackwater qui ont été attirés dans une embuscade

alors qu’ils protégeaient un convoi de nourriture lors d’un passage en zone hostile.

Selon Robert Pelton, il s’agirait d’une revanche des insurgés en réponse aux

360

Pelton, supra note 3 à la p. 74.

361 Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 à la p. 38. Voir également Doswald-Beck, supra note

129 à la p. 129.

362 É.-U., Naval Handbook au para. 830, cité dans Henckaerts, supra note 38 à la p. 24.

363 Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 à la p. 55.

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combats à Falloujah peu de temps avant, où au moins 500 iraquiens auraient

perdu la vie et où la présence d’entrepreneurs privés avait attiré l’attention364. Alors

que des employés du secteur privé assuraient la protection de Paul Bremer, des

insurgés auraient offert 30 000 $ pour la vie de quelques employés affectés à cette

tâche365. Sachant qu’ils sont désormais susceptibles d’être pris pour cibles et, dans

une certaine mesure, perçus comme des forces ennemies, les employés d’EMP

sont en perpétuel état d’alerte et semblent de plus en plus prêts, non pas

seulement à défendre des biens ou des personnes à caractère civil, mais

véritablement à participer à la lutte contre l’ennemi. Les événements de

septembre 2007 à Bagdad en sont un exemple. Un rapport présenté à

l’Administration américaine dénonce le recours de Blackwater à la force comme

étant « frequent and extensive resulting in significant casualties and property

damage »366. Ce rapport mentionne qu’entre le 1er janvier 2005 et le

12 septembre 2007, des employés de Blackwater ont été impliqués dans

195 incidents impliquant l’usage d’armes. Dans 32 cas, Blackwater aurait ouvert le

feu en réponse à une attaque alors que, dans 163 cas, ses employés auraient tiré

en premier367.

À la lumière de ce qui précède, il ressort que bien que la plupart des EMP se

targuent de limiter leur intervention à des services qu’elles qualifient de « services

de sécurité » ou de support aux troupes, il n’en demeure pas moins que certaines

d’entre elles se voient confier des mandats qui impliquent, du moins partiellement,

une participation aux hostilités ou encore exercent des activités susceptibles de les

y conduire. Ainsi, plusieurs EMP se spécialisent dans la protection de personnes et

de lieux – militaires ou civils –, qui sont la cible des forces ennemies. Les

employés de certaines EMP ont pour leur part été directement impliqués dans des

combats contre des forces ennemies368, alors que d’autres sont affectés au

364

Pelton, supra note 3 aux pp. 118-130.

365 Ibid. à la p. 110.

366 Elsea, supra note 135 à la p. 12.

367 Ibid.

368 Boldt, supra note 73 à la p. 508; Dworkin, supra note 359 à la p. 1; Avant, supra note 13 aux pp. 21-22.

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104

transport des munitions ou, encore, prodiguent des conseils stratégiques sur la

façon de mener les combats en cours ou collecte des renseignements à cette

fin369. S’ils ne participent pas directement aux hostilités, les employés d’EMP sont

susceptibles de donner à croire qu’ils le font, notamment lorsqu’ils portent des

armes, qu’ils revêtent l’habit de combat ou qu’ils se trouvent à proximité des forces

armées ou d’objectifs militaires.

3. La participation aux hostilités : un critère de distinction inapproprié

Les Hautes Parties contractantes aux Conventions ont prévu la perte temporaire

de la protection du civil contre les attaques ennemies basée sur la participation

momentanée d’un individu aux hostilités afin de favoriser une plus grande

protection de la population civile. Pour résoudre la difficulté créée par l’implication

grandissante dans les conflits d’acteurs non étatiques, dont certains exercent des

fonctions combattantes sur une base continue, il est désormais suggéré, non plus

seulement de distinguer les civils des combattants, mais également les civils qui

participent aux hostilités sur une base spontanée et sporadique de ceux qui y

prennent part sur une base continue. On réinterprète les Conventions pour prévoir

la perte de protection sur la base des fonctions exercées. Suivant le CICR, le statut

pourrait même, dans le cas des membres des groupes armés qui exercent des

fonctions combattantes continues, varier en fonction de la participation aux

hostilités. Ainsi, il pourrait y avoir des membres des forces armées non privilégiés

ou des civils non protégés, un scénario que la lettre des Conventions ne semblait

pas envisager. En fait, jusqu’à tout récemment, il semblait plutôt que tous ceux qui

n’étaient pas des combattants au sens des Conventions devaient être considérés

comme des civils370. À ce propos, la Chambre d’appel du TPIY cite avec

approbation les Commentaires relatifs au Protocole I:

Tous les membres des forces armées sont des combattants et seuls les membres des forces armées sont des combattants. Ainsi devrait aussi disparaître une certaine notion de « quasi combattants » que

369

Avant, supra note 13 aux pp. 16-17.

370 Voyame, supra note 288 aux pp. 366-367; Doswald-Beck, supra note 129 à la p. 124.

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105

l’on a parfois tenté d’accréditer sur la base d’activités en relation plus ou moins directe avec l’effort de guerre. Ainsi également disparaît toute notion de statut à temps partiel, mi-civil mi-militaire, guerrier de nuit et paisible citoyen de jour. Un civil qui est incorporé dans une organisation armée du paragraphe précédent devient un militaire et un combattant pour toute la durée des hostilités (en tout cas jusqu’à ce qu’il soit définitivement démobilisé par le commandement responsable prévu au paragraphe 1), qu’il soit au combat ou non, momentanément armé ou non; s’il est blessé, malade ou naufragé, il a droit à la protection des I

re et IIe Conventions (article 44,

paragraphe 8) et, s’il est capturé, à la protection de la IIIe Convention (article 44, paragraphe 1)371.

Dans le cas des forces armées régulières d’un État, l’appartenance est régie par le

droit interne et exprimée à travers l’intégration à des unités permanentes, qui se

distinguent par le port de l’uniforme, d’un insigne et d’équipement spécifique. Il est,

à l’œil nu, relativement aisé de les identifier, de telle sorte que les individus qui

participent aux hostilités peuvent distinguer, sur le champ, ceux qui peuvent faire

l’objet d’attaques de ceux qui doivent en être épargnés. Tel est également le cas

pour les membres des forces armées de facto, qui obtiennent le statut de

combattant en respectant certaines conditions propres à assurer leur identification

comme combattants. Lorsqu’il s’agit de déterminer si un individu prend part aux

hostilités sans pour autant être un combattant privilégié (donc qui s’affiche, en

principe, comme tel), la distinction repose sur un critère fonctionnel, qui nécessite

une analyse en grande partie juridique et qui requiert l’obtention d’informations

précises sur l’identité d’un individu et les fonctions qu’il exerce soit généralement,

soit à un moment précis. Il va sans dire que le risque d’erreur est élevé. La

participation aux hostilités, qui est excessivement difficile à déterminer et qui ne

repose pas, comme le statut, sur des critères visibles, n’apparaît donc pas être un

critère de distinction approprié.

La présence de civils armés dans une zone de conflit, même s’ils ne participent

pas aux hostilités est, en soi, problématique. Plus il y en a, plus il est difficile pour

371

Sandoz, supra note 50 au para. 1677, cité dans Le Procureur c. Kordic, IT-95-14/2-A, Arrêt (17 décembre

2004) au para. 51 (TPIY, Chambre d‟appel) [Kordic].

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106

les combattants de distinguer les civils qui participent aux hostilités de ceux qui

sont armés à des fins purement défensives. Comme l’écrivait le CICR, « one of the

main practical problems caused by various degrees of civilian participation in

hostilities is that of doubt as to the identity of the adversary »372. Des soldats seront

davantage enclins à employer la force contre des civils qu’ils pensent poser une

menace; à l’inverse, des combattants pourraient être réticents à employer la force

lorsque celle-ci est appropriée, de peur de commettre un crime de guerre,

assumant ainsi des risques accrus.

En semant un doute sur les protections dont bénéficie un individu en raison du fait

qu’il exerce possiblement des fonctions combattantes, une brèche est créée dans

le principe de distinction, pourtant acquis au prix de lourds sacrifices et des suites

d’un compromis difficile à atteindre. Il est bien connu que le fait de retirer à certains

civils la protection contre les attaques entraîne des effets néfastes sur la protection

qui doit bénéficier à l’ensemble de la population civile, ce pourquoi les auteurs

favorisent généralement une interprétation restrictive de la notion de participation

aux hostilités et de la perte de protection373. Par contre, l’intervention d’acteurs

privés dans les conflits armés incite à favoriser une interprétation plus large, afin

d’éviter que ceux-ci ne conservent leur protection contre les attaques tout en

participant directement aux hostilités374. Dans ce contexte, certains estiment

qu’une interprétation libérale de la notion de participation aux hostilités inciterait les

civils à se tenir loin des hostilités afin d’éviter d’être pris pour cibles ou d’engager

leur responsabilité pénale375. Tel est l’enjeu auquel faisaient face le CICR et la

Cour suprême d’Israël et qui les a incités à réinterpréter les Conventions en

élargissant, d’une certaine façon, la notion de participation aux hostilités. L’objectif

et leurs efforts sont certes louables, mais il reste que la distinction demeure difficile

à faire en pratique. S’il peut s’avérer nécessaire d’adopter une telle interprétation

372

Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 à la p. 74.

373 Targeted Killings, supra note 40 (référant à l‟opinion du professeur Cassese, para. 7); Doswald-Beck,

supra note 129 à la p. 129.

374 Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 534.

375 Ibid. à la p. 535.

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107

du DIH pour faire face à l’implication dans les conflits armés d’acteurs non

étatiques sur lesquels il est pratiquement impossible d’exercer un contrôle, tels les

groupes terroristes, la question se pose de savoir si la situation ne devrait pas être

évitée en ce qui concerne les entrepreneurs privés mandatés par des États,

lesquels disposent de moyens alternatifs pour livrer leur lutte armée et ont, en

outre, l’obligation de protéger les civils.

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Chapitre II. Le respect du principe de distinction comme condition de la mise en œuvre des Conventions

Considérant les difficultés qu’engendre la détermination des protections dont

bénéficient les employés d’EMP sur la base de leur participation aux hostilités et

l’impact que peut avoir un élargissement de la notion de participation aux hostilités

sur la protection de la population civile en général, il convient maintenant de se

demander si les Conventions s’opposent à ce que des États mandatent des civils

pour participer aux hostilités ou qu’ils les placent dans une situation susceptible de

les y conduire. L’étude de cette question nécessite de s’attarder d’abord à

l’intention des Parties aux Conventions, pour ensuite voir comment l’exigence pour

les États de mener la lutte au moyen de leurs forces armées peut s’avérer

nécessaire au respect d’autres obligations des Conventions et, ultimement, à

l’effectivité du DIH.

1. L’intention des Parties : la lutte armée par l’intermédiaire des forces armées

L’objectif des Conventions étant de protéger les personnes qui ne participent pas

ou plus aux hostilités, elles ne criminalisent pas, en soi, la participation aux

hostilités, laissant plutôt aux États le soin de punir les responsables pour les actes

qui constituent des crimes en droit national. Il est d’ailleurs généralement admis

que le fait pour un civil de participer aux hostilités ne constitue pas, en soi, un

crime de guerre qui engagerait la responsabilité pénale de son auteur au sens des

Conventions 376.

376

CICR, XXVIIIe Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge, Le droit international

humanitaire et les défis posés par les conflits armés contemporains – Rapport préparé par le Comité

international de la Croix-Rouge, Genève, septembre 2003, en ligne :

<http://www.icrc.org/Web/fre/sitefre0.nsf/htmlall/5XRHA5/$File/IHLcontemp_armedconflicts_FINAL_FRA

.pdf>; Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 aux pp. 520-521; Dinstein, supra note 39

aux pp. 30-31; McDonald, supra note 77 à la p. 246. Si certains auteurs sont d‟avis contraire et estiment

qu‟un civil qui participe aux hostilités commet un crime de guerre et peut être jugé en tant que combattant

illégal, cette tendance demeure marginale et vivement critiquée : Boldt, supra note 73 à la p. 513. Cette

tendance ne trouve d‟ailleurs aucun fondement dans le texte des Conventions et repose en large partie sur des

obiter dictum exprimés dans quelques jugements émanant de tribunaux nationaux, datant de plusieurs

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109

Le CICR rappelle cependant, dans son Guide interprétatif, que les civils, incluant

les personnes autorisées à accompagner les forces armées, n’ont jamais été

destinés à prendre part aux hostilités au nom d’une Partie au conflit377. Cette idée

est exprimée dès 1880 dans l’Oxford Manual, qui avait pour but de codifier les

principes de l’époque : « The state of war does not admit of acts of violence, save

between the armed forces of belligerent States. Persons not forming part of a

belligerent armed force should abstain from such acts. »378 Suivant l’article 7 de ce

manuel, « [t]he contest (is) carried on by ‘armed forces’ only. »

Ainsi les États ont, par l’entremise des Conventions, inextricablement lié le droit

des individus de prendre part aux hostilités à leur statut, en permettant seulement

aux combattants d’échapper aux poursuites pénales pour les actes qu’ils

commettent lors de leur participation aux hostilités, lesquels seraient autrement

criminels. Éric David rappelle à ce propos que l’un des principes essentiels qui se

dégage du droit de Genève est à l’effet que « tout le monde ne peut pas massacrer

tout le monde »379 et que « le droit des conflits armés réserve ce délicat privilège

aux combattants reconnus comme tels »380. Ainsi, l’article 43(2) du Protocole I

procure-t-il le droit de participer aux hostilités aux seuls membres des forces

armées d’une Partie au conflit tels que définis au paragraphe 1 du même article,

auquel nous avons abondamment fait référence dans la première partie de notre

mémoire.

Force est donc de constater que c’est au moyen de leurs forces armées –

régulières ou irrégulières – que les États se sont engagés, du moins officiellement,

à livrer bataille. En tant qu’organes de l’État, les membres des forces armées sont

admis à bénéficier de ce statut qui leur confère une immunité contre les poursuites

décennies. Aucun cas où un civil aurait été reconnu coupable de violation du DIH sur la seule base de sa

participation aux hostilités n‟a d‟ailleurs été recensé.

377 Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 à la p. 38.

378 Institute of International Law, The Laws of War on Land, 9 octobre 1880, art. 1. Voir également

Targeted Killings, supra note 40 au para. 31.

379 David, supra note 68 à la p. 380.

380 Ibid.

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110

pour les actes qu’ils commettent en livrant bataille au nom d’une Partie au conflit,

un principe qui découle des relations traditionnelles entre États381. Le régime des

Conventions repose ainsi sur cette prémisse, laquelle se manifeste à deux

niveaux : i) le respect des obligations découlant des Conventions commande que

les civils ne participent pas aux hostilités et ii) les États doivent assurer un contrôle

sur leurs forces armées et assumer la responsabilité de leurs actes.

2. L’absence de participation de civils aux hostilités comme condition du respect des obligations découlant des Conventions

L’article 48 du Protocole I, qualifié de « règle fondamentale »382, impose aux

Parties l’obligation i) de respecter et ii) d’assurer la protection de la population

civile. Il impose des obligations aux deux antagonistes dans le cadre du conflit : à

l’attaquant, il impose l’obligation d’épargner la population civile de l’adversaire; au

défendeur, il impose l’obligation de protéger sa propre population ou la population

sous son contrôle. L’article 48, qui pose la règle du principe de distinction en

termes généraux, est complété par d’autres dispositions qui, elles, imposent aux

États des obligations plus spécifiques. Ces règles additionnelles sont perçues

comme étant nécessaires au respect du principe de distinction383. Cette distinction

doit être opérée en tout temps et il ne peut être dérogé à ce principe, même pour

des raisons de nécessité militaires384.

2.1 L’obligation de protéger la population civile

L’article 58 du Protocole I énonce trois obligations spécifiques qu’une Partie au

conflit doit respecter « dans toute la mesure de ce qui est pratiquement possible »

afin d’assurer la protection de la population civile sous son autorité : i) éloigner les

personnes civiles des objectifs militaires, ii) éviter de placer des objectifs militaires

à l’intérieur ou à proximité de zones fortement peuplées et iii) prendre les autres

381

Doswald-Beck, supra note 129 à la p. 116.

382 Kordic, supra note 371 au para. 54.

383 Henckaerts, supra note 38 aux pp. 51-76.

384 Kordic, supra note 371 au para 54.

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111

précautions nécessaires pour protéger les personnes civiles contre les dangers

résultant des opérations militaires. De ces règles se dégage une obligation positive

qui incombe aux Parties au conflit de prendre toutes les mesures de précautions

raisonnables pour protéger la population civile sous leur contrôle contre les effets

découlant des attaques, en la tenant à l’écart des hostilités.

Cette obligation se traduit de deux façons dans le contexte de l’implication des

EMP dans les conflits armés : i) une obligation de protection des États à l’égard

des civils qu’ils mandatent pour accomplir diverses fonctions dans le cadre de

conflits armés et ii) une obligation de ne pas mettre en péril la population civile en

intégrant des objectifs militaires en son sein.

2.1.1 L’obligation de protection envers les employés d’entreprises militaires privées

S’ils participent aux hostilités, les employés d’EMP deviennent des cibles militaires

légitimes. Ils peuvent légalement faire l’objet d’attaques et n’ont pas à être pris en

compte dans le principe de proportionnalité385. Ils peuvent être attaqués au

moment où ils commettent des actes spécifiques qui constituent une participation

aux hostilités incluant des actes préparatoires, le déploiement et le retour ou,

suivant l’approche mise de l’avant par le CICR, dès lors et tant et aussi longtemps

qu’ils exercent des fonctions combattantes386.

Leur position est d’autant plus précaire que s’ils sont capturés alors qu’ils

participaient aux hostilités, ils ne pourront revendiquer le statut de prisonnier de

guerre puisqu’ils ne seront vraisemblablement pas considérés comme des

combattants ou qu’ils auront perdu leur droit de revendiquer ce statut dans le cas

où ils étaient au départ considérés comme des personnes civiles accompagnant

les forces armées. Ils ne bénéficieront donc pas des privilèges et protections

énoncés à la Convention III. Seule une protection minimale d’être traités avec

humanité s’ils se retrouvent au pouvoir d’une Partie au conflit leur sera accordée

385

Targeted Killings, supra note 40 au para. 46.

386 Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 à la p. 70.

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112

par l’article 75 du Protocole I387, qui codifie le droit coutumier388. Ils seront alors

passibles d’être jugés par la Partie qui les détiendra pour les infractions qu’ils

auraient pu commettre pendant leur participation aux hostilités et pourront même

faire face à la peine de mort si celle-ci n’a pas été abolie dans l’État où ils sont

jugés389. S’ils se trouvaient à l’intérieur d’objectifs militaires ou à proximité de ceux-

ci, lesquels constituent des cibles légitimes, les employés d’EMP ne pourraient

invoquer la légitime défense pour justifier leurs actes390. Leur comportement lors

de la participation aux hostilités peut également constituer un crime de guerre s’il

constitue une violation de certaines règles du DIH érigées en violations graves des

Conventions391, notamment s’ils ont tiré sur des personnes civiles innocentes,

comme cela pourrait avoir été le cas de Blackwater en Irak.

Compte tenu de l’ambiguïté dont souffre la notion de participation aux hostilités et

de la tendance actuelle à son élargissement, les risques qu’encourent certains

employés d’EMP sont accrus. Dans le contexte actuel, certains employés d’EMP

qui portent des armes, qui travaillent à proximité ou de concert avec les forces

armées et qui exercent des tâches susceptibles de constituer une participation aux

hostilités peuvent donner à penser qu’ils constituent une menace pour l’ennemi et

donc engendrer une riposte de la part de celui-ci. La pratique révèle qu’il ne s’agit

pas que d’une hypothèse théorique, puisque des employés d’EMP ont, à diverses

reprises, été directement pris pour cibles. Ces risques sont difficilement calculables

pour les employés d’EMP en raison du fait que leur mission est appelée à changer

rapidement et que les circonstances sont susceptibles de les entraîner sur cette

voie malgré eux. Aussi, la position généralement adoptée par les États et les EMP

elles-mêmes suivant laquelle ils sont des civils peut leur procurer un faux

sentiment de sécurité. Certains des employés d’EMP ne s’attendent pas à faire

387

Protocole I, art. 45(3).

388 Doswald-Beck, supra note 129 à la p. 125.

389 Ibid. à la p. 126.

390 Schaller, supra note 320 à la p. 355.

391 Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 aux pp. 84-85 (où il est fait référence à la jurisprudence

du TPIY et du TPIR).

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113

l’objet d’attaques et n’y sont donc pas forcément préparés. Dès lors, leurs

mécanismes de protection et de réaction peuvent s’avérer déficients, au détriment

de leur sécurité.

Même s’ils ne participent pas forcément aux hostilités, les employés d’EMP

courent le risque d’être blessés, voire tués, lorsque des attaques sont perpétrées

contre des objectifs militaires à proximité desquels ils se trouvent, devenant ainsi

des dommages collatéraux392. Bien que la définition de ce que constitue un objectif

militaire ne soit pas des plus limpides et qu’elle puisse s’avérer difficile à mettre en

œuvre en pratique393, notons que les employés d’EMP seront notamment exposés

à des risques accrus lorsqu’ils fournissent un support logistique aux unités de

combat, escortent des convois militaires394, travaillent dans des centres de

commandement militaires, travaillent dans des endroits où sont fabriquées,

réparées ou entreposées des armes395. Même s’ils seront en principe pris en

compte dans le principe de proportionnalité, le risque pour leur sécurité est élevé.

En Irak, des EMP ont subi de lourdes pertes lors d’attaques par des insurgés. Les

trois fournisseurs de services de sécurité au Département d’État américain en

vertu de contrats obtenus sous le programme « Worldwide Personal Protective

Services » ont subi des pertes de vies et blessures chez leurs employés alors

qu’ils prodiguaient des services de sécurité396. Blackwater aurait perdu

32 employés en Irak, entre mars 2004 et juillet 2008, et 46 auraient été blessés397.

La protection de convois apparaît responsable d’un grand nombre de pertes de

vies chez les employés du secteur privé. D’ailleurs, il était estimé, vers la fin 2006,

392

Henckaerts, supra note 38 à la p. 23; Schaller, supra note 320 à la p. 349.

393 Schaller, ibid. aux pp. 354-355.

394 Ibid. à la p. 349.

395 Henckaerts, supra note 38 à la p. 23.

396 Elsea, supra note 135 à la p. 5.

397 Ibid.

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114

que 20 % des convois faisaient l’objet d’attaques. Ce nombre serait passé à 1.5 %

en 2008398.

L’idée qu’une Partie aux Conventions puisse placer des civils dans une telle

situation semble incompatible avec son obligation de les protéger. Ainsi, certains

diront que le fait d’impliquer un individu dans les combats ou de l’exposer aux

effets de ceux-ci sans lui accorder le statut de combattant ne fait pas que porter

atteinte au principe de distinction, mais place aussi délibérément ces individus

dans une situation particulièrement dangereuse399. Il y a tout lieu de penser que si

les Parties aux Conventions se sont imposées l’obligation d’assurer la protection

des personnes, il allait de soi qu’elles n’allaient pas délibérément les placer à

proximité d’objectifs militaires et, pis encore, en faire des cibles militaires.

2.1.2 L’obligation de protection envers la population civile en général

Comme le rappelle le professeur Sassòli, il est bien connu que « [l]es civils ne

peuvent être, et ne seront respectés que si les combattants ennemis peuvent

raisonnablement s’attendre à ce que celles et ceux qui semblent être des civils ne

les attaqueront pas »400. La prohibition de la participation des civils aux hostilités

est perçue comme une précaution élémentaire qu’une Partie au conflit doit prendre

pour assurer la protection de sa population civile401. Si une Partie fait défaut de

prendre les mesures de précaution nécessaires, l’adversaire n’est pas empêché

d’attaquer l’objectif militaire dans lequel ou à proximité duquel se trouvent des

civils402.

Même si l’attaque demeure soumise au principe de proportionnalité, la population

civile risque d’être touchée lors d’attaques perpétrées contre des employés d’EMP.

En plaçant au sein de la population civile des employés des EMP, qui constituent

398

Ibid. à la p. 6.

399 Schaller, supra note 320 à la p. 349.

400 Sassòli et Bouvier, supra note 221 à la p. 149.

401 Fleck, supra note 42 à la p. 210.

402 Henckaerts, supra note 38 à la p. 71.

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115

possiblement, en certaines circonstances, des cibles militaires, les États

augmentent les risques auxquels fait face la population civile, ce qui semble peu

compatible avec son obligation d’en assurer la protection.

De plus, l’implication grandissante d’acteurs privés, telles les EMP, semble

actuellement favoriser un élargissement de la notion de participation directe aux

hostilités et une diminution des protections dont bénéficient les personnes civiles,

tel que discuté précédemment403. En contribuant, par leurs actions, à la diminution

de l’immunité conférée aux personnes civiles, acquise si difficilement et après tant

d’efforts, le comportement des États est discutable eu égard à leur obligation de

protéger la population civile. Certes, l’obligation de protection des États n’est pas

absolue et est limitée aux précautions qui sont possibles dans les circonstances,

prenant en considération les exigences militaires et d’humanité404. Cependant, au

moment où l’on tente de réduire l’impact des conflits armés sur les personnes

civiles, la question se pose de savoir si l’implication d’acteurs privés dans les

conflits armés, compte tenu des conséquences qu’elle engendre sur l’immunité

accordée aux personnes civiles, répond à des exigences militaires qui devraient

l’emporter sur les exigences d’humanité.

2.2 L’obligation de respecter la population civile

L’objectif ultime du principe de distinction et, dans une large mesure, du DIH, est

d’éviter que les attaques soient dirigées contre la population civile ou que

l’attaquant néglige d’en tenir compte dans la planification et l’exécution de ses

opérations militaires. À cette fin, les articles 51 et 57 du Protocole I prévoient que

les Parties au conflit doivent i) diriger leurs attaques contre des objectifs

militaires405 (principe de discrimination) et ii) éviter « les attaques dont on peut

attendre qu'elles causent incidemment des pertes en vies humaines dans la

population civile [ou] des blessures aux personnes civiles […] qui seraient

403

Voir infra Partie 2, Chapitre I, section 3 ci-dessus.

404 Henckaerts, supra note 38 à la p. 70.

405 Protocole I, art. 4(a) et 57(2)(a)(i).

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116

excessifs par rapport à l'avantage militaire concret et direct attendu »406 (principe

de proportionnalité). Concrètement, ceux qui préparent ou décident d’une attaque

ont l’obligation de « faire tout ce qui est pratiquement possible pour vérifier que les

objectifs à attaquer ne sont [pas] des personnes civiles […] mais qu'ils sont des

objectifs militaires au sens du paragraphe 2 de l'article 52, et que les dispositions

du présent Protocole n'en interdisent pas l'attaque »407.

Or, nous l’avons vu précédemment, la participation aux conflits par des acteurs

privés rend extrêmement difficile l’identification de ce qui constitue un objectif

militaire408, notamment lorsqu’il s’agit de déterminer si un individu participe ou pas

directement aux hostilités. Cette évaluation requiert, dans plusieurs cas, l’obtention

d’informations souvent difficilement accessibles et une analyse juridique dont les

principes demeurent à être clairement définis.

Alors qu’elle fait elle-même défaut d’identifier clairement ceux qui participent aux

hostilités, notamment par le respect des conditions prévues aux Conventions pour

l’octroi du statut de combattant, une Partie au conflit apparaîtrait mal venue

d’exiger de la Partie adverse qu’elle fasse cette distinction. Même si cette dernière

doit déployer certains efforts pour obtenir l’information nécessaire à déterminer si

un individu est un objectif militaire, sa décision sera fondée et, ultimement évaluée,

sur la base des informations qui lui étaient disponibles à ce moment409. Pour

assurer le respect de la population civile sous son contrôle, une Partie au conflit

doit, il nous semble, rendre accessible à l’adversaire l’information qui lui permette

de l’identifier et éviter de semer la confusion. Dès lors, le contexte dans lequel

opère actuellement une partie des employés d’EMP, empreint d’une immense

confusion est, nous semble-t-il, susceptible d’entraîner un affaiblissement de

l’obligation d’éviter les attaques indiscriminées qui ne répondent pas au critère de

406

Protocole I, art. 51(5)(b) et 57(2)(a)(iii).

407 Protocole I, art. 57(2).

408 Voir infra Partie 2, Chapitre I, section 2, ci-dessus. Voir également Michael N. Schmitt, « The Principle of

Discrimination in 21st Century Warfare » (1999) 2 Yale Hum. Rts & Dev. L. J. 143 à la p. 159

[Schmitt, « The Principle of Discrimination »].

409 Henckaerts, supra note 38 aux pp. 54-55.

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117

proportionnalité, augmentant du coup les risques auxquels fait face l’ensemble de

la population410.

Cette analyse nous amène à conclure que les États peuvent difficilement respecter

leur obligation de protéger la population civile et de mettre en œuvre les conditions

nécessaires au respect, par leur adversaire, de leur obligation de ne pas diriger

d’attaques contre cette population s’ils embauchent des civils pour participer aux

hostilités ou pour accomplir des tâches qui peuvent les amener à y participer ou

donner lieu à penser qu’ils le font. De là, nous dégageons une seconde indication

à l’effet que le texte des Conventions indique que les États ne peuvent engager

des EMP pour exercer des tâches qui placeraient leurs employés au cœur des

opérations militaires sans s’assurer qu’ils obtiennent le statut de combattant et

respectent, de ce fait, le principe de distinction.

2.3 Le contrôle de l’État sur les forces armées et la mise en œuvre de sa responsabilité

En plus des obligations énoncées ci-haut, les Conventions ont entendu assurer

que les États, signataires des Conventions, soient ultimement tenus responsables

des violations du DIH que pourraient commettre leurs forces armées. Il importe

donc de voir si le recours à des EMP est susceptible de porter atteinte à ce

principe. Pour ce faire, nous examinerons dans un premier temps les exigences

posées par les Conventions eu égard au contrôle que doit assurer l’État sur ses

forces armées et à la mise en œuvre de sa responsabilité. Nous verrons ensuite

l’impact que le recours à des EMP peut avoir à cet égard.

2.3.1 Les exigences posées par les Conventions

Les Conventions exigent des États qu’ils gardent le contrôle sur les forces armées

qui livrent bataille en leur nom et, ultimement, assument la responsabilité des actes

410

En ce sens, le professeur Schmitt conclut que la sous-traitance d‟activités militaires à des EMP expose

l‟ensemble de la population à des risques accrus en raison de la difficulté de distinguer les civils qui

participent aux hostilités de ceux qui n‟y participent pas. Il relate que cette préoccupation avait justement

donné lieu à des objections sur le relâchement de l‟obligation des combattants de se distinguer de la

population civile lors de l‟adoption du Protocole I : Schmitt, « The Principle of Discrimination », supra note

408 à la p. 160.

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118

de leurs forces armées. Le contrôle par l’État et la mise en œuvre de sa

responsabilité sont perçus comme étant nécessaires pour assurer le respect du

DIH par les troupes, à qui le délicat privilège de combattre l’ennemi est conféré par

les Conventions. C’est dans cette optique que le régime des Conventions prévoit

que les membres des forces armées doivent être placés sous le commandement

de l’État afin d’avoir le statut de combattant – donc le droit de participer aux

hostilités – et qu’il prévoit des obligations spécifiques requérant à l’État de

contrôler leurs actes dont il assure ultimement la responsabilité.

i) Le contrôle

Suivant l’article 80(2) du Protocole I, les États ont l’obligation de donner des ordres

et instructions propres à assurer le respect des Conventions et de leurs Protocoles

additionnels et d’en surveiller l’exécution411. Cette disposition ne vise pas

uniquement les instructions générales formulées par l’État, mais également les

instructions et ordres émis dans des circonstances données, à des destinataires

précis412. Le respect de ces ordres repose en grande partie sur la mise en place

d’une chaîne de commandement, ce qui explique l’exigence d’un régime de

discipline comme condition d’octroi du statut de combattant.

Les Conventions ont instauré un régime accordant un rôle central aux

commandants, lesquels assurent « le lien indispensable entre la Partie au conflit et

ses troupes sur le terrain » afin d’assurer le respect effectif du DIH sur le champ de

bataille413. Les commentaires relatifs à l’article 87 sont éloquents à ce propos :

Qu'il s'agisse du théâtre des opérations militaires, des territoires occupés ou des lieux d'internement, c'est au niveau de la troupe que les mesures nécessaires à la bonne application des Conventions et du Protocole doivent être prises, si l'on entend éviter qu'il y ait un écart fatal entre les engagements contractés par les Parties au conflit et le comportement des individus. Or, à ce niveau, tout repose sur les commandants et, sans vigilance de leur part, les règles ne sont guère

411

Protocole I, art. 80(2).

412 Sandoz, supra note 50 au para. 3298.

413 Ibid. aux para. 3549-3550.

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119

efficaces. Sans doute le déroulement de la bataille ne permet-il pas à un commandant d'exercer un contrôle permanent sur sa troupe; mais il doit alors exiger d'elle une discipline suffisante (cf. article 43 - « Forces armées », paragraphe 1) pour que les règles des Conventions et du Protocole soient respectées, même lorsque cette troupe échappe à son regard. [citations omises]

Ainsi, l’article 87 impose-t-il aux États de « charger les commandants militaires, en

ce qui concerne les membres des forces armées placées sous leur

commandement et les autres personnes sous leur autorité, d’empêcher que soient

commises des infractions aux Conventions et au présent Protocole et, au besoin,

de les réprimer et de les dénoncer aux autorités compétentes »414. En outre, des

conseillers juridiques doivent être disponibles pour conseiller les commandants

militaires quant à l’application des Conventions et du Protocole I et à

l’enseignement à dispenser415.

Les États ont aussi l’obligation d’entraîner les forces armées et de s’assurer qu’une

formation en DIH leur soit dispensée416. L’entraînement est un élément clé pour

assurer la conduite adéquate sur le terrain; il doit couvrir un entraînement général

et spécifique, en fonction des tâches exercées417. Suivant le professeur Sassòli, il

n’est pas suffisant d’informer les troupes sur les règles très détaillées et souvent

compliquées du DIH; il faut, avant même qu’un conflit n’éclate, « intégrer [les

414

Protocole I, art. 87. Voir également les paragraphes 2 et 3 du même article, qui donnent plus de détails sur

la mise en œuvre de cette obligation. L‟article 1 de la Convention de La Haye prévoyait dans le même sens :

« Les Puissances contractantes donneront à leurs forces armées de terre des instructions qui seront conformes

au Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, annexé à la présente Convention » [nos

italiques] : Convention concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, 18 octobre 1907, reproduit dans

Adam Roberts et Richard Guelff, Documents on the Law of War, 2e éd., Oxford, Clarendon Press, 1989 à la p.

48, art. 1 [Convention de La Haye].

415 Protocole I, art. 82.

416 Convention III, art. 127; Convention IV, art. 144; Protocole I, art. 87 (qui impose aux commandants

militaires des obligations de nature préventive comme l‟entraînement); Doswald-Beck, supra note 129 aux

pp. 132-133.

417 Michael Cottier, « Elements for contracting and regulating private security and military companies »

(2006) 88 R.I.C.R. 637 à la p. 643 [Cottier].

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120

règles du DIH] dans les manœuvres et entraînements classiques et ce afin de

susciter des actes réflexes »418.

ii) La responsabilité

Comme suite logique, l’article 91 du Protocole I prévoit, à l’instar de l’article 3 de la

Convention de La Haye, qu’une Partie contractante encourt responsabilité pour les

actes commis par ses forces armées : « La Partie au conflit qui violerait les

dispositions des Conventions ou du présent Protocole sera tenue à indemnité, s’il y

a lieu. Elle sera responsable de tous actes commis par les personnes faisant partie

de ses forces armées. »419 Évidemment, sous le Protocole I, la notion de forces

armées s’entend des forces régulières et irrégulières, lesquelles sont soumises au

contrôle de la Partie au conflit.

Comme le rappelait la Chambre d’appel du TPIY dans l’arrêt Tadić, il est apparu

essentiel, pour assurer le respect du DIH, que les Parties au conflit soient

ultimement tenues responsables des violations du DIH commises par ceux qui

livrent bataille en leur nom et dont elles doivent par ailleurs assurer le contrôle :

[…] Les dispositions de l'article 4 s'expliquent par le fait qu’au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, tout le monde s’accordait pour admettre que les États doivent être juridiquement responsables du comportement des forces irrégulières qu’ils soutiennent. Comme l’a fait remarquer à juste titre le Tribunal militaire israélien siégeant à Ramallah dans le Jugement Kassem et consorts en date du 13 avril 1969 :

Tirant les leçons des deux guerres mondiales, les nations du monde ont jugé fondamentalement nécessaire d'exiger de surcroît que les États soient entièrement responsables des agissements des corps irréguliers, garantissant ainsi que quelqu'un réponde de leurs violations aux lois ou coutumes de la guerre.

418

Sassòli et Bouvier, supra note 221 à la p. 272.

419 Convention de La Haye, supra note 414, art. 3 (« La Partie belligérante qui violerait les dispositions dudit

Règlement sera tenue à indemnité, s‟il y a lieu. Elle sera responsable de tous actes commis par les personnes

faisant partie de sa force armée » [nos italiques]).

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121

En d’autres termes, les États ont accepté en pratique que les belligérants puissent utiliser des unités paramilitaires et autres éléments irréguliers dans la conduite des hostilités, à condition qu’ils soient prêts à endosser la responsabilité de toute infraction commise par ces forces. Pour que les éléments irréguliers puissent être qualifiés de combattants légitimes, il semble que les règles internationales et la pratique des États exigent qu'une Partie à un conflit armé international exerce un contrôle sur eux et que, de même, ces irréguliers soient dépendants de cette Partie au conflit et lui aient prêté allégeance. Tels sont donc les éléments que l'on peut considérer comme constitutifs de la notion « d’appartenance à une Partie au conflit420.

Cet extrait de l’arrêt Tadić démontre bien comment la notion de contrôle qui sous-

tend l’exigence d’appartenance à une Partie au conflit comme condition d’octroi du

statut de combattant assure, ultimement, la mise en œuvre de la responsabilité de

l’État pour les violations du DIH commises par des individus lors de conflits armés,

considérée comme étant nécessaire au respect du DIH.

2.3.2 Le respect de ces exigences lorsque des entreprises militaires privées sont impliquées

S’il ne fait pas de doute que les États ne peuvent échapper à ces obligations en

mandatant des entités privées, le problème est d’assurer la cohérence du régime

et, ultimement, la mise en œuvre de la responsabilité de l’État lorsqu’une entité

privée s’immisce dans cette relation qui doit exister entre l’État et les troupes sur le

terrain et dont la force tient à la mise en place d’une chaîne de commandement.

i) Le manque de contrôle sur les entreprises militaires privées

L’objectif même du recours à des EMP est, pour l’État, de se libérer de certaines

tâches en les confiant à des tiers, impliquant dès lors cette idée de délégation qui

semble peu compatible avec le contrôle serré sur les troupes qu’exigent les

Conventions. De façon caractéristique, la sous-traitance implique que le mandant

désigne un agent pour agir en son nom. Ces deux acteurs ont des objectifs qui ne

420

Tadić, supra note 106 aux para. 93-94.

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122

sont pas nécessairement les mêmes et, surtout, il est difficile pour chacun d’eux

d’obtenir une information complète, juste et précise des actes du cocontractant421.

La supervision et la communication sont d’autant plus difficiles que les événements

surviennent dans un environnement désorganisé, où la collecte d’informations

pose, en soi, un défi.

Tel que nous l’avons vu précédemment, les États ont, pour l’heure, généralement

peu de contrôle sur la façon dont sont exécutés les contrats qu’ils octroient aux

EMP422. Cette situation semble attribuable au fait que les États ont, du moins

initialement, démontré peu de volonté à contrôler les activités d’EMP qu’ils

mandatent423. L’analyse du professeur Singer révèle que les contrats sont

généralement soumis à peu de supervision et les exigences sont spécifiées en

termes flous424, permettant ainsi, présumément, une plus grande flexibilité dans les

activités à être exécutées et minimisant les coûts inévitablement associés au

contrôle.

L’établissement de règles d’engagement claires et suffisamment détaillées est

également problématique compte tenu du milieu imprévisible dans lequel les EMP

sont appelées à opérer et des tâches qui leur sont confiées425. S’il est

généralement prévu que les employés du secteur privé ne puissent recourir à la

force que pour mettre fin au contact avec l’attaquant (légitime défense)426,

l’application de cette règle n’est pas toujours simple en pratique. Par exemple, bien

que les employés de Blackwater étaient apparemment assujettis à ce type de

règles d’engagement, ils se sont retrouvés à participer, pendant plusieurs heures,

à une attaque dirigée par des centaines d’insurgés contre le siège de l’Autorité de

421

Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 à la p. 151.

422 Voir infra Partie I, Chapitre 2, section 2.2.1 iii) ci-dessus.

423 Lehnardt, supra note 162 à la p. 140.

424 Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 à la p. 153.

425 Pelton, supra note 3 à la p. 149.

426 Directive n

o 3020.41, supra note 116.

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123

la coalition que des employés protégeaient,427 De même, des employés de cette

compagnie ont ouvert le feu sur des civils iraquiens pour protéger un convoi de

diplomates428. De deux choses l’une : ou bien les employés de Blackwater n’ont

pas respecté leurs règles d’engagement, ou bien celles-ci sont inadaptées et

difficilement applicables dans le contexte dans lequel ils ont été appelés à opérer.

À ce manque de contrôle, s’ajoute une coordination inadéquate avec les

opérations de l’armée429. Déjà, lors du conflit des Balkans, l’absence d’un point

focal pour assurer la coordination des activités logistiques confiées en sous-

traitance s’était révélée problématique430. En Irak, où plusieurs EMP étaient

employées par le Département de la Défense américain, le défaut de ce dernier

d’assurer la coordination tant entre les EMP entre elles qu’avec ses forces armées

a fait l’objet de critiques virulentes. Le manque de coordination était tel qu’il s’est

traduit non seulement par des tirs des forces de la Coalition sur des entrepreneurs

qu’ils ont pris pour des insurgés, mais également par des échanges de coups de

feu par des entrepreneurs entre eux431. Face aux critiques dénonçant la situation

particulièrement chaotique en Irak, le Département de la Défense américain a

prévu la création d’un Bureau spécial au sein du Département de la défense pour

assurer la supervision de tous les entrepreneurs sous contrat avec le

Département, incluant les employés de sécurité privée déployés sur le terrain432. Il

restera à voir si ce Bureau reproduira la situation actuelle, où la coordination est

assurée par une autorité administrative peu familière avec les opérations sur le

terrain et, bien évidemment, mal placée pour assurer un commandement de type

militaire.

427

Pelton, supra note 3 à la p. 117.

428 Glanz et Rubin, supra note 7; Johnston, supra note 7.

429 Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 à la p. 153.

430 Ibid.

431 Pelton, supra note 3 à la p. 107.

432 Elsea, supra note 135 à la p. 6.

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124

Les problèmes de coordination structurelle par l’État sont exacerbés par la

difficulté à assurer, sur le plan humain, la cohésion d’individus appartenant à

différentes organisations qui sont appelés, par la force des choses, à travailler

ensemble. L’Irak est certainement le meilleur exemple de cet environnement où

des acteurs privés et étatiques, appliquant des façons de faire et philosophies

différentes, ont été appelés à travailler en étroite collaboration, mais avec un

succès mitigé. Robert Pelton raconte comment les employés du « State

Department’s Diplomatic Security Services » considèrent les entrepreneurs privés

avec qui ils travaillent comme des « overpaid cowboys surpayés » alors que ces

derniers les considèrent comme des « loosers buraucrats ». Ces différences de

culture auraient donné lieu à des escarmouches qui auraient grandement affecté la

cohésion du groupe, pourtant essentielle lors de l’exécution d’opérations dans un

environnement à hauts risques433.

Si les États sont peu enclins à diriger les activités d’EMP, ils semblent encore plus

réticents à assurer un contrôle a posteriori de leur performance434. Cette tâche

s’avère, en pratique, extrêmement difficile à réaliser compte tenu des coûts

associés à une surveillance sur le terrain (typiquement un environnement instable,

dangereux et extrêmement complexe), de la façon dont le mandat est exécuté, du

manque de spécificité des termes du contrat, de la difficulté à établir des

paramètres d’évaluation et du manque d’expertise dans l’évaluation de ce type de

performance des individus affectés à cette tâche435. Tel que discuté dans la

section 2.2.1 iii) qui précède, les États se sont révélés peu enclins à réprimer les

abus commis par les employés d’EMP en engageant des poursuites au niveau

national436. Cette situation ne résulte pas nécessairement d’un manque de volonté

des États mais peut également s’expliquer par le fait que les règles de leur droit

433

Pelton, supra note 3 à la p. 94.

434 Elsea, supra note 135 à la p. 12.

435 Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 à la p. 152.

436 Lehnardt, supra note 162 à la p. 141. Notons qu‟il ne s‟agit pas nécessairement d‟un manque de volonté

des États mais que cette problématique peut également d‟écouler d‟une difficulté à exercer leur juridiction en

raison de lacunes dans leur droit interne. Le Document de Montreux semble démontrer une volonté des États

à résoudre cette problématique : Document de Montreux, supra note 28 aux pp. 8-9.

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125

interne ne leur donne pas forcément juridiction ou que ce type de poursuite peut

s’avérer difficile en pratique, notamment en raison de la difficulté à rassembler et

présenter les preuves. Les États ont par ailleurs tendance à nier tout lien avec

des EMP lorsque leur conduite aurait eu pour effet d’entraîner une violation de

leurs obligations internationales437.

Notons par ailleurs que le contrôle exercé sur les troupes est étroitement lié à

l’entraînement qui leur est dispensé puisque l’entraînement vise entre autres à

développer une relation qui permette la transmission efficace des ordres et à

assurer une réponse appropriée438. Même s’il sous-traite certaines fonctions à des

entités privées, l’État demeure tenu de respecter son obligation d’entraînement439.

La pratique révèle que l’entraînement des employés du secteur privé n’est pas

assuré par l’État, mais est plutôt laissé à la compagnie elle-même, ce qui n’est

certes pas surprenant puisqu’il s’agit précisément d’un service que les EMP offrent

couramment aux États, en entraînant leurs forces propres armées. Les États étant

de plus en plus sensibilisés aux obligations qui leur incombent, même lorsqu’ils

sous-traitent certaines activités, une tendance à prévoir des obligations

d’entraînement au sein des contrats semble généralement se développer440.

Depuis 2005, le Département de la Défense américain exige que les employés

autorisés à accompagner les forces armées valident ou complètent tout

entraînement requis, notamment sur les Conventions de Genève, le droit des

conflits armés, les standards de conduite et l’emploi de la force en défense441.

Reflétant la pratique typique en ce domaine, l’EMP Triple Canopy offre, à titre

d’exemple, une formation de cinq jours aux individus qui aspirent à figurer sur sa

liste de ressources prêtes à être déployées pour assurer des services de

« protection », lesquels possèdent déjà de l’expérience dans le domaine à titre

437

Lehnardt, ibid.

438 Directive n

o 1100.22, supra note 116 au para. E 2.1.2.2.

439 Doswald-Beck, supra note 129 aux pp. 132-133; Centre universitaire de droit international humanitaire,

supra note 91 à la p. 43; Boldt, supra note 73 à la p. 539.

440 Document de Montreux, supra note 28 à la p. 8.

441 Directive n

o 3020.41, supra note 116 au para. 6.2.7.1.

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126

d’ex militaires ou d’employés d’une autre compagnie offrant des services de

sécurité. Ce cours couvre les compétences exigées par le Département d’État en

matière de protection et vise à ce que les hommes puissent travailler en parfaite

cohésion, même si les équipes sont appelées à changer. Sont passés en revue,

l’utilisation d’un GPS, les principes de sécurité, l’inspection des lieux et les

techniques de conduite. Un entraînement sur l’utilisation de différents types

d’armement est également dispensé, commençant par des pistolets M4 et évoluant

vers des armes plus lourdes comme les projecteurs de grenades442. Cet

entraînement prend place dans l’enceinte ultrasophistiquée de Triple Canopy en

Arkansas.

Il n’est pas rare que, pour certains entraînements particuliers, notamment dans le

domaine des mesures antiterroristes, les entrepreneurs privés soient entraînés de

concert avec des membres des forces armées, des agents du FBI ou des services

secrets443. Blackwater offre par exemple une formation particulièrement poussée

en ce domaine à son institution à l’allure d’une base militaire, située en Caroline

du Nord.

En soi, la sous-traitance de l’entraînement au privé ne pose pas de problème dans

la mesure où l’État s’assure de la qualité de l’entraînement dispensé, notamment

en incluant des exigences spécifiques dans le contrat et en s’adressant à des

entreprises dont la réputation est établie en cette matière d’entraînement. Par

contre, l’un des problèmes avec le recours à des EMP, qui fonctionnent

généralement sur la base de listes d’individus ou qui recrutent sur une base

ad hoc, est d’assurer l’esprit de corps et de développer ces « réflexes »

nécessaires à une conduite conforme au DIH en temps de guerre dont parle le

professeur Sassòli. Ce problème est amplifié par le fait que des individus

provenant de différentes entités – gouvernementales et privées – sont

spontanément appelés à travailler ensemble alors que l’entraînement qu’ils ont

442

Pelton, supra note 3 aux pp. 170-183.

443 Pelton, supra note 3 à la p. 183.

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127

reçu, qui doit viser à assurer une cohésion parfaite444, est susceptible de varier

grandement. Aussi, les employés d’EMP recevront généralement une formation

spécifique aux tâches qui leur sont assignées, contrairement aux membres des

forces armées qui reçoivent une formation standard leur permettant plus aisément

de réagir à différentes situations survenant en contexte de conflit armé.

À la lumière de ce qui précède, il appert que la sous-traitance d’activités militaires

à des entreprises privées, surtout si cela est fait massivement, entraîne un milieu

déstructuré où le commandement est inévitablement divisé. Le contrôle n’est pas

assuré purement sur une base verticale mais se trouve, à un certain niveau, réparti

sur une base horizontale. L’État, lorsqu’il sous-traite des activités au secteur privé,

semble incapable, en l’état actuel, de garder le contrôle sur toute la chaîne des

événements se déroulant entre le moment où une décision est prise au niveau

supérieur et celui où elle est mise en œuvre concrètement sur le terrain par le

dernier maillon de la chaîne. À l’inverse, compte tenu que les attaques sont

difficiles à anticiper dans l’environnement qui caractérise les conflits modernes, il

est difficile pour l’individu qui doit réagir rapidement de remonter jusqu’à l’État pour

obtenir des instructions alors que ce type de situation implique pourtant la prise de

décisions discrétionnaires quant à l’emploi de la force. Les règles d’engagement

sont peu susceptibles de résoudre le problème puisqu’elles ne semblent pas

prendre en compte que l’individu se trouvera placé dans une telle situation445.

L’entraînement, dispensé sur une base ad hoc à des équipes distinctes dont la

composition est de surcroît appelée à changer, parvient difficilement à remplir une

partie de sa mission, à savoir assurer la cohésion au sein du groupe et la mise en

œuvre d’une relation qui assurera la bonne exécution des ordres. Il semble dès

lors difficile pour l’État de respecter pleinement ses obligations de contrôle et

d’entraînement lorsqu’il délègue des tâches militaires au privé, alors que le respect

de ces obligations s’avère pourtant essentiel à l’application effective du DIH sur le

terrain.

444

Ibid. aux pp. 172-173.

445 Pelton, supra note 3 à la p. 149.

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128

ii) La mise en œuvre de la responsabilité de l’État pour les violations du DIH commises par des entreprises militaires privées

Il est généralement admis que l’État ne peut se soustraire aux obligations que lui

impose le DIH en sous-traitant des activités au secteur privé et qu’il doit demeurer

responsable des violations du DIH commises par les EMP qu’il mandate. Si ce

principe semble clair, le problème est de mettre concrètement en œuvre cette

responsabilité de l’État dans des circonstances où les violations auraient été

commises par des individus qui ne font pas partie de ses forces armées.

Dans l’hypothèse où les EMP ou leurs employés seraient intégrés aux forces

armées, ils seraient considérés comme des organes de l’État et leurs actes

engageraient automatiquement la responsabilité de l’État au sens de l’article 91 du

Protocole I et de l’article 4 du Projet d’articles sur la responsabilité de l’État. De

même, si les employés d’EMP pouvaient être considérés comme des combattants

de facto, la responsabilité de l’État serait aussi automatiquement engagée en vertu

de l’article 91 du Protocole I, et possiblement, suivant les circonstances, par le

truchement des articles 4 ou 5 du Projet d’articles sur la responsabilité de l’État. En

effet, dans la mesure où une EMP, placée sous le commandement responsable de

l’État, agirait sous la « totale dépendance » de celui-ci, elle pourrait être assimilée

à un organe de l’État446 au sens de l’article 4 du Projet d’articles sur la

responsabilité de l’État. Autrement, les actes de ses employés pourraient

vraisemblablement tomber sous le coup de l’article 5 de ce Projet d’articles

puisque le fait de combattre au nom d’une Partie au conflit – condition nécessaire

à l’obtention du statut de combattant – implique nécessairement l’exercice de

prérogatives de puissance publique au sens de cet article447 et que l’obtention du

statut de combattant suppose, tel qu’énoncé précédemment, un geste positif de

l’État qui autoriserait à agir en son nom.

Par contre, si tel n’est pas le cas, la mise en œuvre de la responsabilité de l’État

n’est pas automatique. Dans la mesure où ils ne sont pas des combattants, les

446

Affaire relative à la Convention sur le génocide, supra note 128 au para. 392.

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129

employés du secteur privé n’engageront la responsabilité de l’État que s’ils

i) exercent des prérogatives de puissances publiques et ont été autorisés par la loi

à ce faire (article 5 du Projet d’articles sur la responsabilité de l’État) ou ii) agissent

en fait sur les instructions de l’État ou sur ses directives ou sous son contrôle

(article 8 du Projet d’articles sur la responsabilité de l’État).

Si le fait de confier des tâches impliquant une participation directe aux hostilités

constitue, a priori, une délégation de prérogatives de puissances publiques448,

l’article 5 exige, pour engager la responsabilité de l’État, que l’entité privée ait reçu

l’autorisation d’exercer des prérogatives de puissance publique449. Bien qu’il ne

soit probablement pas nécessaire qu’une autorisation législative spécifique soit

donnée, il semble requis qu’une autorisation, quelle que soit sa nature, couvre

explicitement les activités exercées par l’entreprise en cause450. Il pourrait s’agir

par exemple d’une loi générale autorisant la délégation d’activités spécifiquement

énumérées au secteur privé et la conclusion d’un contrat par lequel l’autorité

responsable délègue à une entité donnée certaines activités spécifiques451.

Or, les États tendent à afficher une réticence, du moins officiellement, à confier des

tâches impliquant l’exercice de l’autorité gouvernementale au secteur privé. Par

exemple, le Département de la Défense américain prévoit dans ses directives que

des tâches impliquant l’exercice de l’autorité gouvernementale ne doivent pas être

confiées au secteur privé et doivent demeurer du ressort exclusif des forces

armées452. Malgré cela, la pratique révèle plusieurs exemples où des EMP ont

exercé, dans les faits, des activités constituant ou susceptibles de constituer une

participation aux hostilités. Le problème découle en partie du fait que la notion de

« prérogatives de puissances publiques » souffre de la même incertitude que celle

447

Centre universitaire de droit international humanitaire, supra note 91 à la p. 13.

448 Chesterman, supra note 129 à la p. 31; Centre universitaire de droit international humanitaire, supra note

91 à la p. 31.

449 Chesterman, ibid. à la p. 32.

450 Ibid.

451 Centre universitaire de droit international humanitaire, supra note 91 à la p. 18.

452 Directive n

o 1100.22, supra note 116.

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130

de participation directe aux hostilités et que, à nouveau, les États semblent tirer

profit de cette incertitude. Il semble également que les circonstances sur le terrain

appellent parfois les EMP à accomplir des actes qui n’étaient pas nécessairement

envisagés au départ. Si une EMP, en raison des circonstances sur le terrain, en

vient à participer aux hostilités alors que cela ne faisait pas partie de ce que la loi

envisageait, la responsabilité de l’État ne serait vraisemblablement pas engagée

au sens de l’article 5 du Projet d’articles sur la responsabilité de l’État.

Enfin, les violations du DIH commises par des employés d’EMP pourraient

également engager la responsabilité de l’État si celui-ci « a spécifiquement donné

des instructions quant à la conduite de l’acteur privé » ou s’il exerçait « un véritable

contrôle effectif sur la conduite de l’acteur privé » lors des opérations spécifiques

où les violations ont été commises453. Le contrôle global ne suffit pas, suivant la

Cour internationale de Justice, pour engager la responsabilité de l’État pour les

actes d’un acteur privé454. Considérant que le manque de contrôle effectif que

l’État exerce sur les activités menées sur le terrain par les EMP est l’une des

raisons premières pour lesquelles les employés d’EMP peuvent actuellement

difficilement être considérés comme des combattants, il n’est pas certain, suivant

les circonstances en cause, que l’article 8 permettra d’attribuer une violation

commise par un employé du secteur privé à l’État mandataire.

Ainsi, il ressort de ce qui précède que la responsabilité des États sera plus diffuse

et difficile à mettre en œuvre lorsqu’ils opèrent par l’intermédiaire d’acteurs qui ne

font pas partie de leurs forces armées. Même si la délégation de prérogatives de

puissance publique ne doit pas permettre, en principe, à l’État d’échapper à sa

responsabilité, la mise en œuvre de cette responsabilité, en pratique, peut s’avérer

difficile, surtout si l’État adopte une position officielle à l’effet qu’il ne délègue pas

d’activités impliquant l’exercice de l’autorité gouvernementale. Alors que les

Conventions envisageaient un régime de responsabilité d’application quasi

automatique pour la violation des règles du DIH par ceux qui sont autorisés à

453

Affaire relative à la Convention sur le génocide, supra note 128 au para. 400.

454 Ibid. au para. 406.

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131

prendre part aux hostilités – les forces armées –, le recours à des acteurs privés

assujettit la mise en œuvre de cette responsabilité à certaines conditions dont la

satisfaction variera en fonction des circonstances. La victime se trouve dès lors

dans une position nettement plus difficile, où la seule preuve d’une violation du DIH

n’est pas suffisante pour mettre en œuvre la responsabilité de l’État; elle doit, en

plus, démontrer que i) l’auteur de la violation exerçait des prérogatives de

puissances publiques et que l’État avait autorisé la délégation de ces fonctions à

l’entreprise pour qui il oeuvrait; ii) les instructions dans le cadre de l’opération en

cause ont été données par un représentant de l’État (ce qui revient, dans les faits,

non seulement à prouver la responsabilité de l’auteur directe de l’infraction mais

également celle de son supérieur) ou iii) l’opération en cause s’est déroulée sous

le contrôle effectif d’agents de l’État. Donc, il s’agit pour la victime de remonter la

chaîne des événements pour démontrer une implication de l’État, soit par la

délégation de prérogatives de puissance publique, soit par une implication plus

directe sur les opérations.

3. L’obligation de prévenir les violations du DIH et l’application de bonne foi des Conventions

Les problèmes que cause l’implication massive d’acteurs privés dans les conflits

armés, eu égard au respect du principe de distinction, au manque de contrôle par

l’État sur les opérations (incluant la coordination et la cohésion au sein des

différents groupes intervenant conjointement sur le terrain) et, dans une certaine

mesure, à la difficulté de mettre en œuvre la responsabilité de l’État, sont

susceptibles d’entraîner un effet néfaste sur l’application du DIH, déjà difficile à

faire respecter. Or, suivant l’article 1 commun aux Conventions, les Hautes Parties

contractantes se sont engagées à respecter et faire respecter les Conventions et

leurs Protocoles en toutes circonstances. Compte tenu des intérêts qu’elles visent

à protéger, les Conventions ne prévoient pas uniquement l’obligation pour l’État de

donner des ordres et instructions conformes au DIH, en laissant aux autorités

civiles ou militaires le soin de régler les détails de leur exécution; il a également été

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132

prévu que l’État devait surveiller leur exécution455. Suivant la Cour internationale

de Justice, cette obligation est accrue lorsque l’État agit à titre de puissance

occupante. Dans ce cas, il « a le devoir de veiller au respect des règles applicables

du droit international relatif aux droits de l’homme et du droit international

humanitaire, de protéger les habitants du territoire occupé contre les actes de

violence et de ne pas tolérer de tels actes de la part d’une quelconque tierce

partie »456. Il doit donc exercer la vigilance requise pour prévenir des violations du

DIH par des acteurs privés même s’il n’en est pas le mandataire457.

L’État, qui a un contrôle limité sur la façon dont les EMP exécutent le mandat qu’il

leur confie, peut difficilement s’assurer que les employés du secteur privé

respectent le DIH sur le terrain. Il n’est par ailleurs pas satisfaisant en DIH de dire

que l’État sera de toute façon tenu responsable; certaines obligations à caractère

préventif lui incombent (telles les obligations de donner des instructions conformes

au DIH et d’entraîner ses forces armées). Ces obligations sont tellement sensibles

et importantes pour la protection d’individus dont la situation est des plus précaires

(notamment parce qu’elles sont des personnes civiles prises au milieu des

hostilités ou des personnes aux mains de l’ennemi), qu’elles sont considérées

comme étant erga omnes, c’est à dire que « chacun [des membres de la

communauté internationale], vu l'importance des droits en cause, peut être

considéré comme ayant un intérêt juridique à ce que ces droits soient

protégés »458. Le DIH est un système cohérent voué à s’appliquer en situation de

conflit armé et donc, par essence, dans un contexte particulièrement difficile où les

forces en présence doivent, malgré le différend qui les oppose et qui impliqe une

certaine agressivité envers l’ennemi, s’efforcer d’assurer le respect de certaines

catégories de personnes protégées. Chacun doit jouer son rôle pour assurer la

lutte la plus loyale possible. Les règles se veulent donc d’application aussi simple

455

De Preux, supra note 66 à la p. 24; Sandoz, supra note 50 au para. 41.

456 Affaire des activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda),

[2005] C.I.J. Rec. 178 au para. 178 [Affaire des activités armées sur le territoire du Congo].

457 Ibid. au para. 179.

458 Sandoz, supra note 50 au para. 45.

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133

et universelle que possible. C’est à cette seule condition qu’elles seront

concrètement appliquées sur le champ de bataille. Si l’un des adversaires sème la

confusion, c’est tout le système qui s’en trouve affecté.

La pratique actuelle, où l’implication massive d’acteurs privés dans les conflits

armés internationaux rend difficile l’application du principe de distinction, diminue

le contrôle de l’État sur la conduite des opérations militaires sur le terrain et

complique la mise en oeuvre de sa responsabilité pour les violations du DIH,

apparaît donc difficilement compatible avec une application de bonne foi des

Conventions, tel que l’exige l’article 1 commun à ces Conventions et le principe

pacta sunt servanda codifié à l’article 26 de la Convention de Vienne sur le droit

des traités.

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Conclusion de la partie 2 : Les mesures à prendre lors de l’embauche des entreprises militaires privées pour assurer une application de bonne foi des Conventions

Compte tenu des conséquences qu’elle entraîne sur l’application et le respect du

DIH, la sous-traitance d’activités de nature militaire au secteur privé est, à notre

avis, assujettie à certaines limites qui se dégagent implicitement des Conventions

afin d’en assurer une application de bonne foi. Les États doivent prendre, dès le

temps de paix, des mesures pour s’assurer que leur conduite est entièrement

compatible avec les obligations que leur imposent les Conventions. En ce sens, les

Commentaires à l’article 1 de la Convention III édictent : « De plus, s'il veut tenir

son engagement solennel, il doit nécessairement préparer d'avance, c'est-à-dire

dès le temps de paix, les moyens juridiques, matériels ou autres permettant, le

moment venu, d'assurer une application loyale »459.

1. L’intégration aux forces armées lorsque les activités confiées peuvent conduire à la participation directe aux hostilités

Les États devraient s’abstenir de confier au secteur privé des tâches susceptibles

d’être considérées comme constituant une participation aux hostilités ou

susceptibles d’y conduire, à moins d’incorporer les individus ou la compagnie en

cause à leurs forces armées. Il s’agit, bien évidemment, du principe de base. Il

n’exclut pas la possibilité de confier certaines tâches sensibles et susceptibles de

mener à une participation aux hostilités au secteur privé; il pose simplement

l’exigence d’une incorporation formelle aux forces armées pour la sous-traitance

de certaines activités, à l’instar de la solution retenue par le Royaume-Uni, par

exemple.

Tel que mentionné brièvement précédemment460, les Britanniques ont élaboré une

solution novatrice en amendant le Reserve Forces Act 1996461 pour y inclure une

459

Ibid.

460 Voir Partie I, Chapite II, 1.

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135

« Sponsored Reserve ». Cette nouvelle catégorie de réserve militaire permet à

l’armée britannique de sous-traiter certaines tâches militaires à des compagnies

privées, pourvu que celles-ci emploient un nombre suffisant d’individus disposés à

servir dans la « Sponsored Reserve »462. Ainsi, ces employés d’EMP membres de

la « Sponsored Reserve » travaillent comme civils pour l’EMP et, lorsque

nécessaire, servent pour les forces armées à titre de réservistes. La loi prévoit le

remboursement des coûts additionnels encourus par les EMP et leurs employés

lorsque ces derniers sont mobilisés. Ainsi, les individus qui exercent des tâches

liées de près aux opérations militaires peuvent être clairement identifiés comme

des membres des forces armées. Il semblerait que le Canada, les États-Unis et

l’Australie étudient, depuis 2001, la possibilité de suivre cet exemple463, mais rien

n’indiquait, au moment de rédiger les présentes, que cette solution ait été retenue

et qu’elle serait éventuellement mise de l’avant.

Il est évidemment loin d’être acquis que les États emboîtent le pas et retiennent la

solution mise en œuvre par le Royaume-Uni. Si elle permettrait à notre avis

d’assurer un meilleur respect du DIH, une telle solution s’oppose a priori à la

réalisation du principal objectif poursuivi par les États qui sous-traitent des tâches

militaires à des EMP, surtout les États occidentaux, à savoir de réduire la taille de

leurs forces armées en privatisant une partie de leurs opérations. Notons

cependant que l’ampleur que prend la sous-traitance de fonctions militaires semble

inciter certains États à se questionner sur l’opportunité d’envisager des solutions

alternatives à la simple privatisation telle qu’elle se présente aujourd’hui464. Ces

États sont de plus en plus préoccupés par leur capacité à maintenir certains

services essentiels en temps de conflits armés, alors que les employés du secteur

privé ne sont soumis à aucune obligation militaire et pourraient refuser de

461

Reserve Forces Act 1996 (R.-U.), 1996, c. 14.

462 The British Army, The Reserve Forces Act 1996 – Mobilisation and call out issues, en ligne :

<http://www.armedforces.co.uk/army/listings/l0135.html>.

463 Bo Joyner, « The Future Total Force » Citizen Airman (avril 2001) 12 cité dans Guillory, supra note 79

aux pp. 141-142.

464 En plus du Royaume-Uni, ce serait notamment le cas du Canada et des États-Unis (Guillory, supra note 79

aux pp. 141-142).

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136

poursuivre leur travail dans un environnement hostile. Ils commencent également à

entrevoir les problèmes juridiques et les risques associés à la sous-traitance de

tâches se rapprochant de plus en plus de la participation aux hostilités à des

individus qui, à leurs yeux, n’ont pas le statut de combattant et ne sont pas soumis

à la chaîne de commandement. Notons par ailleurs que l’idée d’intégrer des

individus au sein des forces armées, que ce soit sous la forme retenue par le

Royaume-Uni ou une autre, est susceptible de susciter davantage d’intérêt parmi

les États qui disposent de capacités militaires plus limitées et qui cherchent ainsi à

combler un manque de ressources et d’expertise faisant défaut au sein de leurs

propres forces armées465.

L’objectif de la présente étude n’est évidemment pas d’évaluer l’opportunité pour

les États d’intégrer des employés du secteur privé dans leurs forces armées non

plus que de proposer des façons dont ils pourraient s’y prendre puisque ceci relève

essentiellement du droit national. Il nous apparaît néanmoins intéressant de

souligner qu’il est envisageable qu’un certain nombre d’employés du secteur privé

qui exercent des fonctions liées de près à la participation aux hostilités puissent

souscrire à des obligations militaires envers une Partie au conflit, notamment en

servant comme réservistes, ou être déjà assujettis à de telles obligations, s’ils sont

retraités de l’armée par exemple466. Ainsi, sans nécessairement recourir à une

intégration formelle aux forces armées telle que traditionnellement envisagée,

certaines avenues semblent ouvertes pour assurer que les États conservent la

flexibilité qui leur est nécessaire pour parer au caractère imprévisible des conflits

modernes dans un contexte de démobilisation des forces armées régulières, tout

en assurant le respect effectif du principe de distinction. Ce type de solution

présente une avenue intéressante qui pourrait permettre de remédier aux

problèmes qu’occasionne l’implication d’acteurs privés dans les conflits armés.

Évidemment, une telle mesure pourrait nécessiter des modifications au droit

interne de l’État qui souhaite s’en prévaloir, comme ce fut notamment le cas au

465

Boldt, supra note 73 à la p. 516.

466 Guillory, supra note 79 à la p. 141; Vernon, supra note 79 à la p. 421; Boldt, supra note 73 aux pp. 515-

516.

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137

Royaume-Uni. Elle comporte également ses limites. Une telle mesure ne saurait

être envisagée que pour un nombre limité d’individus, qui devraient

vraisemblablement être ressortissants de l’État envers qui ils souscriraient des

obligations militaires puisque plusieurs États attachent une importance particulière

au critère de la citoyenneté comme condition d’appartenance aux forces armées.

Des difficultés pratiques peuvent également découler du fait que certaines EMP

tendent à prendre de l’expansion ou à se fusionner entre elles pour constituer de

gigantesques multinationales et à ainsi dispenser leurs services à plusieurs États.

Aussi, la plupart des EMP font actuellement appel à des listes d’individus qu’elles

contactent au besoin, sans nécessairement les employer sur une base

permanente467. L’idée d’offrir aux États des individus qui pourraient, à demande,

devenir membres des forces armées, pourrait ainsi nécessiter certains

réaménagements dans la façon dont les EMP opèrent actuellement.

Tenant compte des incertitudes qui continuent d’entourer la notion de participation

directe aux hostilités, il nous apparaît qu’une application de bonne foi des

Conventions requiert que les activités suivantes ne soient confiées au secteur

privé que si l’entreprise ou ses employés sont intégrés aux forces armées :

- les opérations destinées à détruire ou affaiblir le personnel ou les objectifs militaires des forces ennemies, incluant les attaques perpétrées par des moyens électroniques ou informatiques contre les systèmes de communication ou de collecte de données militaires des forces ennemies;

- le transport, l’entretien et l’opération de systèmes d’armement pour les fins d’opérations militaires particulières, incluant l’opération de systèmes téléguidés opérés à distance;

- les services de renseignements visant à localiser les forces adverses aux fins d’une attaque éventuelle, de même que l’analyse et la transmission d’informations tactiques menant à des attaques contre les forces ennemies;

- le recrutement de personnel, l’entraînement et les services de conseils réalisés pour exécuter des opérations militaires particulières;

467

Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 à la p. 75.

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138

- les opérations visant à rechercher et libérer du personnel militaire, incluant les prisonniers de guerre;

- les interrogatoires lorsqu’ils visent à obtenir des renseignements de nature militaire;

- le gardiennage de prisonniers de guerre;

- les opérations de déminage alors que le conflit est toujours en cours; et

- la défense d’objectifs militaires.

Les activités suivantes pourraient aussi requérir l’intégration aux forces armées si

elles sont exercées dans une zone non contrôlée ou un environnement qui

présente une menace élevée, afin d’éviter une éventuelle participation aux

hostilités et/ou d’assurer le respect du principe de distinction :

- les services de sécurité dans un contexte susceptible de mener à une confrontation avec les forces ennemies – qu’il s’agisse des forces armées d’un autre État ou d’acteurs non étatiques – notamment lorsque ces forces opèrent de façon imprévisible, par des moyens sophistiqués ou qu’elles constituent une menace importante; et

- les opérations de sécurité exécutées en support direct à des activités de combat, tel le contrôle de la circulation sur le champ de bataille ou le maintien de la sécurité dans la région où se déroulent les combats.

Dans ce cas, il importe de tenir compte de l’évolution du conflit et de la menace en

cours afin de réévaluer, au besoin, la situation.

Plusieurs auteurs ont déjà recommandé que les États devraient envisager de ne

pas sous-traiter des tâches liées au combat468 ou constituant une participation

directe aux hostilités469 à des acteurs privés qui ne sont pas formellement intégrés

468

Voir notamment Cameron, supra note 5 à la p. 596.

469 Gillard, supra note 14 à la p. 571; Cottier, supra note 417 (Cottier envisage la possibilité de bannir

l‟emploi d‟EMP pour les contrats impliquant une partipation directe aux hostilités ou aux combats, à la p.

656); Voyame, supra note 288 aux pp. 375-376. Certains experts du Centre universitaire de droit

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139

à leurs forces armées. Ils en font une recommandation alors qu’il s’agit plutôt, pour

nous, d’une prohibition470. Le Document de Montreux témoigne du fait que ce

principe que nous envisageons pour assurer l’application de bonne foi des

Conventions ne semble pas acquis, en prévoyant ce qui suit :

2. Les États contractants sont tenus de ne pas mandater des EMSP pour exercer des activités que le droit international humanitaire assigne explicitement à un agent ou à une autorité étatiques, comme exercer, conformément aux Conventions de Genève, le pouvoir de l’officier responsable sur le camp de prisonniers de guerre ou sur les lieux d’internement de civils.471

Compte tenu de l’absence de disposition expresse à l’effet que les tâches

impliquant une participation aux hostilités seraient réservées aux agents de l’État,

la portée de cet article est très limitée. Le Document de Montreux se contente de

mentionner qu’il serait de « bonne pratique » pour les États de déterminer les

services qui ne peuvent être confiés au privé, en prenant en compte « des facteurs

tels que le risque qu’un service particulier puisse impliquer la participation directe

des membres du personnel des EMSP aux hostilités », sans en faire une obligation

ni indiquer clairement que ce type de service ne pourrait être confié à des individus

qui ne font pas partie des forces armées472.

La Directive 1100.22 du Département de la Défense américain473, dont l’application

est toutefois limitée aux seules compagnies qui contractent avec cet organe, va

davantage dans le sens de notre recommandation, quoi qu’elle ne couvre pas

toutes les activités mentionnées ci-haut et, dans plusieurs cas, prévoit des critères

vagues ou laissant une large marge d’appréciation à l’officier chargé de déterminer

si, dans des circonstances données, une tâche précise peut être confiée au privé.

international humanitaire discutent aussi cette possibilité: Centre universitaire de droit international

humanitaire, supra note 91 à la p. 62.

470 Voir Dave Whyte qui avance cette thèse sans toutefois la développer : Dave Whyte, « Lethal Regulation :

State-Corporate Crime and the United Kingdom Government‟s New Mercenaries » (2003) 30 J.L. Soc‟y 575.

471 Document de Montreux, supra note 28 art. A(2).

472 Ibid. à la p. 15.

473 Directive n

o 1100.22, supra note 116.

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140

Sans entrer dans tous les détails de cette directive relativement élaborée, notons

que le principe qui la sous-tend est que les tâches impliquant l’exercice de

prérogatives de puissance publique – soit de par leur nature ou en raison des

circonstances dans lesquelles elles sont exercées – ne peuvent être déléguées au

secteur privé. S’agissant d’un pas dans la bonne direction, elle laisse toutefois de

côté plusieurs activités exercées par les EMP, qui sont, à notre avis, susceptibles

de constituer une participation aux hostilités si elles sont associées à une

opération militaire particulière, comme le transport, l’entretien et l’opération de

systèmes d’armement, les services de renseignements, le recrutement de

personnel, l’entraînement et les services-conseil.

Cette directive prévoit également des restrictions importantes en ce qui concerne

la sous-traitance de services de sécurité réalisés dans une zone non contrôlée ou

dans un environnement à haut risque en prohibant la sous-traitance, dans ce

contexte, d’activités dont le succès dépend de la façon dont les opérations sont

menées et où les États-Unis sont susceptibles de se trouver liés par une conduite

donnée alors qu’il existait des actions alternatives. Ces activités incluent, par

exemple, i) la démonstration de force militaire; ii) les services de sécurité à

l’encontre de groupes militaires ou paramilitaires qui disposent de capacités

militaires si sophistiquées que seules les forces armées peuvent fournir une

défense appropriée; iii) les services de sécurité qui impliquent davantage qu’une

simple réponse aux actes hostiles et qui requièrent par conséquent l’exercice d’un

large pouvoir discrétionnaire, tels les services de sécurité dispensés dans les

zones publiques où les risques sont incertains et qui peuvent requérir l’usage de la

force mortelle susceptible d’être initiée par les forces américaines plutôt qu’en

légitime défense.

Évidemment, les règles prévues à cette directive ont pour objectif de protéger les

intérêts américains alors que des activités exercées par des acteurs privés

pourraient engager la responsabilité des États-Unis ou affecter leur politique

étrangère. Quel que puisse être l’objectif poursuivi, ces règles sont, dans une

certaine mesure, susceptibles d’avoir un effet positif sur le respect du DIH en

limitant les possibilités que des civils offrant des services de « sécurité » dans des

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141

zones à risques se trouvent impliqués dans les hostilités ou donnent à penser

qu’ils y participent. La faiblesse de ces dispositions tient cependant au large

pouvoir discrétionnaire qui est accordé au commandant chargé de décider si une

activité peut être sous-traitée au privé, laquelle est motivée par des considérations

d’intérêts nationaux plutôt que pour assurer la protection des personnes civiles. La

situation en Irak où des employés du secteur privé, notamment de Blackwater, ont

été impliqués dans des incidents de violence même après l’adoption de la Directive

à la fin 2006, témoignent de l’adoption d’une interprétation restrictive des

dispositions limitant la sous-traitance d’activités au secteur privé, voire de son non

respect.

2. L’identification des employés d’entreprises militaires privées

S’ils ne sont pas incorporés aux forces armées, les États devraient s’assurer que

les employés du secteur privé ne puissent être confondus avec les membres des

forces armées. De façon générale, il s’agit simplement de voir à ce que les

employés du secteur privé ne portent pas une tenue qui donnerait à penser qu’ils

sont des combattants, tel l’uniforme de combat. Il s’agit d’une mesure de

précaution élémentaire que devraient prendre les États afin d’assurer le respect du

principe de distinction. Dans la mesure où ils ne participent pas aux hostilités, il n’y

a d’ailleurs pas de raison que des employés du secteur privé revêtent des habits

de combat, ou d’une quelconque façon, des habits semblables à ceux que portent

les forces armées. Cette même précaution doit être prise à l’égard des moyens de

transport qu’emploient les entrepreneurs privés, lesquels devraient pouvoir être

aisément distingués de ceux de l’armée.

Les États qui emploient des entrepreneurs privés appelés à opérer à proximité des

forces armées ou d’objectifs militaires – donc dans des circonstances où l’ennemi

pourrait croire qu’ils sont combattants – devraient prendre une précaution

additionnelle et exiger que ces individus affichent clairement leur statut de civil.

Cette identification devrait être visible de loin.

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Le Document de Montreux prévoit en ce sens qu’il serait de bonne pratique pour

les employés du secteur privé de s’identifier et de se distinguer des autorités

publiques de l’État où opère l’EMP mais uniquement « si cela est conforme aux

exigences de protection des troupes et à la sécurité de la mission »474. À notre

avis, cette recommandation, qui vise à protéger les employés du secteur privé, ne

reflète pas pleinement la nécessité pour les États d’assurer le respect du principe

de distinction en permettant à l’ennemi de savoir clairement à qui il fait face.

Minimalement, il nous semble que l’obligation de se distinguer des forces armées

devrait s’appliquer en tout temps.

3. Les restrictions quant au port d’armement

Les États devraient user de circonspection lorsqu’ils autorisent des non-

combattants à porter des armes dans un contexte de conflit armé. Le port d’une

arme étant l’un des éléments pouvant indiquer la participation aux hostilités, celui-

ci devrait être limité au minimum. La possession d’une arme devrait être

expressément autorisée par l’État, qui devrait s’assurer que celle-ci est nécessaire

à l’exécution de la mission confiée et dûment enregistrée. Seules les armes

légères destinées à assurer la légitime défense ou, à la rigueur, la protection

d’autrui, devraient être autorisées. La nécessité d’utiliser des armes ou armement

plus sophistiqués indique, à notre avis, qu’il s’agit vraisemblablement de l’une de

ces tâches qui ne peut être confiée à des non-combattants puisque les risques

d’engagement avec l’ennemi sont trop élevés. Ce principe vise non seulement à

éviter que les employés d’EMP se voient confier des missions susceptibles

d’entraîner une participation aux hostilités, mais également à assurer le respect du

principe de distinction en adoptant une position ferme à l’effet que les

entrepreneurs privés, à moins d’être intégrés aux forces armées, ne constituent

pas une menace pour l’ennemi. Il est regrettable à cet égard que le

Document de Montreux ne prévoit pas expressément de limitation quant aux

armes que les employés d’EMP pourraient être autorisés à porter, se contentant

474

Document de Montreux, supra note 28 aux pp. 18-19.

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143

de mentionner que les États devraient exercer un certain contrôle à cet égard en

tenant un registre475.

4. La définition des règles d’engagement

Afin d’éviter une éventuelle participation aux hostilités par les employés d’EMP, les

États devraient prévoir des règles d’engagement claires à l’effet que les employés

d’EMP ne peuvent utiliser la force que pour assurer leur propre défense ou celle

des tiers qu’ils ont pour mission de protéger. La défense de la population en

général lors d’attaques perpétrées par l’ennemi représente, à notre avis, ce point

où les employés d’EMP risquent de se transformer en soldats et être considérés

comme participant aux hostilités. Dès lors, les règles d’engagement devraient, à

notre avis, prévoir que dans une telle situation, l’employé devrait chercher à se

mettre à l’abri, avec les individus qu’il a mission de protéger, plutôt que de

chercher à mater l’ennemi en engageant un combat avec lui. Ce principe tient pour

acquis, encore une fois, que les employés du secteur privé ne devraient pas être

placés dans une situation où ils sont susceptibles de se trouver en confrontation

avec l’ennemi.

Le Document de Montreux va, en partie, en ce sens en prévoyant qu’il serait de

bonne pratique que les employés du secteur privé ne « [fassent] usage de la force

et des armes à feu uniquement si cela est nécessaire pour se défendre ou pour

défendre des tiers »476. Pour les motifs exposés ci-haut, il nous semble toutefois

que le critère de la « défense de tiers » soit trop large.

5. L’information des employés d’entreprises militaires privées quant à leurs droits et obligations

Les États devraient informer clairement les employés d’EMP de leur statut, ainsi

que des droits et obligations qui en découlent, lorsqu’ils sont appelés à intervenir

dans un conflit armé international. L’obligation des États de faire respecter le DIH

475

Ibid. à la p. 25.

476 Ibid. à la p. 19.

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144

par les entreprises qu’ils mandatent pour agir dans le cadre d’un conflit armé et de

diffusion du DIH exige qu’ils s’assurent que les employés d’EMP connaissent les

limites de leur champ d’intervention afin de ne pas les outrepasser. Ceci requiert,

en amont, que les États adoptent une position claire quant à la notion de

participation directe aux hostilités.

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CONCLUSION

Dans un souci de réduire leurs dépenses militaires et de s’assurer une plus grande

flexibilité pour faire face aux conflits modernes, les États voient un avantage

grandissant à sous-traiter une partie importante de leurs opérations militaires,

modifiant ainsi leur façon de faire la guerre eu égard à ce que prévoyait le texte

des Conventions. Alors que les tâches confiées au privé étaient initialement

limitées aux services de support opérationnel et logistique — une situation

explicitement envisagée par les Conventions — elles se sont progressivement

rapprochées, depuis le début des années 1990, du cœur des activités militaires.

Malgré cela, les États n’intègrent généralement pas les employés du secteur privé

à leurs forces armées régulières. Ils ne posent pas non plus les gestes

nécessaires à ce que les employés d’EMP se voient conférer, de facto, le statut de

combattant privilégié. Au contraire, leur attitude est plutôt de considérer les

employés d’EMP comme des civils. Ce faisant, les États déclarent dans leurs

discours officiels et, même dans leur législation, qu’ils ne sauraient confier des

tâches impliquant l’exercice de l’autorité gouvernementale ou une participation

directe aux hostilités à des EMP. Dès lors, un nombre important d’individus n’ayant

pas le statut de combattant privilégié, oeuvrant pour différentes entreprises privées

et affectés à des tâches variées, se retrouvent déployés sur le territoire d’États où

se déroulent un conflit armé. L’Irak en est certainement le meilleur exemple.

Certains employés d’EMP opèrent à proximité des forces armées, revêtent des

habits semblables à des militaires et sont armés, parfois lourdement, pouvant ainsi

donner à penser qu’ils sont des combattants, alors que ce n’est généralement pas

le cas au niveau juridique. Aussi, la place grandissante que confèrent les États aux

EMP dans les conflits armés amène les employés de certaines d’entre elles à

accomplir des tâches susceptibles d’être considérées comme constituant une

participation directe aux hostilités, entraînant, le cas échéant, la perte de protection

associée au statut de personne civile. Des événements largement médiatisés où

des employés du secteur privé ont pris part à des combats contre des insurgés ont

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146

contribué à accentuer cette perception, particulièrement aux yeux des insurgés qui

n’ont dès lors pas hésité à prendre directement pour cibles des employés du

secteur privé.

Puisque certains employés d’EMP présentent à la fois des caractéristiques

associées aux statuts de combattants et de personnes civiles, les critères servant

normalement à établir le régime juridique auquel sont respectivement assujettis les

combattants et les personnes civiles dans les conflits armés – expressément

définis dans les Conventions –, s’appliquent difficilement aux employés d’EMP.

La confusion quant au régime juridique applicable aux employés d’EMP et la

difficulté à appliquer les critères de distinction prévus par les Conventions

qu’entraîne la pratique actuelle des États provoque une tendance à réinterpréter le

texte des Conventions pour éviter que les employés d’EMP ne bénéficient du

meilleur des deux mondes en étant protégés contre les attaques en dehors des

intervalles où ils participent aux hostilités. L’accent est désormais davantage mis

sur les fonctions exercées plutôt que sur les critères de distinction envisagés par

les Conventions, de façon similaire au régime qui prévaut dans les conflits armés

non internationaux. Ainsi, l’on propose d’exclure les individus qui exercent des

fonctions combattantes de la catégorie des personnes civiles protégées en les

considérant comme des combattants non privilégiés ou comme des personnes

civiles non protégées, des situations non envisagées par le texte des Conventions

dans les conflits armés internationaux. À cet égard, il convient de rappeler que la

perte de protection contre les attaques ne doit pas être envisagée comme une

sanction en réponse à un comportement criminel; elle est plutôt une conséquence

des nécessités militaires dans la conduite des hostilités477.

La confusion qui entoure actuellement le régime juridique applicable aux employés

d’EMP entraîne un effet néfaste sur le respect du DIH dans son ensemble puisqu’il

477

Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 à la p. 62.

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147

devient dès lors difficile pour les États de satisfaire à leur obligation d’assurer le

respect et la protection de la population civile en général et celle des employés du

secteur privé en particulier. L’implication d’acteurs privés rend également difficile le

respect par les États des obligations d’entraînement et de supervision du

comportement des troupes sur le terrain. Ultimement, la responsabilité de l’État

pour les violations du DIH commises par les troupes, qui se voulait d’application

automatique suivant le texte des Conventions, devient diffuse.

La sous-traitance par les États d’activités militaires n’est pas prohibée en soi par le

DIH. D’ailleurs, il convient de souligner que ce n’est pas la participation d’acteurs

privés dans les conflits armés qui pose problème, mais la pratique actuelle des

États, qui font défaut de prendre les mesures nécessaires pour assurer le respect

du principe de distinction et qui mettent ainsi à risque la protection des personnes

civiles. À l’heure où la population civile est particulièrement vulnérable dans les

conflits armés et où le CICR doit sans cesse rappeler aux belligérants leur

obligation de respecter le principe de distinction, une telle pratique par les États est

pour le moins questionnable eu égard à leur obligation d’appliquer de bonne foi les

Conventions. Cette pratique nous semble porter atteinte aux exigences d’humanité

sans pour autant répondre à une nécessité militaire puisqu’elle découle plutôt de

considérations économiques et politiques, du moins en ce qui concerne les États

occidentaux qui disposent de puissances militaires développées.

Notre analyse nous amène à conclure que la dichotomie entre la position officielle

des États et leur pratique est en grande partie responsable de la confusion

qu’entraîne l’implication d’acteurs privés dans les conflits armés. Une application

de bonne foi des Conventions exigerait à notre avis que les États fassent un choix

et agissent en conséquence : soit ils continuent de sous-traiter au privé certaines

tâches proches du cœur des activités militaires et prennent les mesures

nécessaires au respect du principe de distinction, soit ils évitent de confier au privé

certaines activités militaires susceptibles d’être considérées comme une

participation aux hostilités ou d’y conduire. Des mesures peuvent aisément être

mises en œuvre pour répondre aux exigences des États tout en assurant une lutte

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148

ouverte et le respect du DIH.

Ainsi, les États qui souhaitent confier au secteur privé des tâches susceptibles

d’être considérées comme constituant une participation aux hostilités ou

susceptibles d’y conduire devraient incorporer les employés du secteur privé ou

l’EMP elle-même à leurs forces armées, afin que les employés d’EMP obtiennent

le statut de combattant privilégié. Les autres, qui ne souhaitent pas emprunter

cette voie, devraient soigneusement éviter de placer les employés d’EMP en

situation où ils pourraient être appelés à prendre activement part aux hostilités,

tenant notamment en compte les risques particuliers associés au mandat qui leur

est confié. Ils devraient également s’assurer que les employés du secteur privé ne

puissent être confondus avec les membres des forces armées et prévoir des

règles d’engagement claires à l’effet que les employés d’EMP ne peuvent utiliser la

force que pour assurer leur propre défense ou celle des tiers qu’ils ont pour

mission de protéger. Les employés d’EMP devraient être clairement informés de

leur statut, ainsi que des droits et obligations qui en découlent, lorsqu’ils sont

appelés à intervenir dans un conflit armé international.

Il est encourageant de voir qu’une partie de ces mesures ont déjà été proposées

par différents intervenants, qui prennent peu à peu conscience d’une partie des

problèmes que cause l’implication d’EMP dans les conflits armés, et qu’un effort

collectif est mis en œuvre pour tenter de trouver des solutions. À cet égard, le

Document de Montreux recommandant de « bonnes pratiques » est certes un pas

dans la bonne direction. Ce document, qui se veut un compromis entre des

groupes aux intérêts variés dont le CICR, les Nations Unies, les États et les EMP,

nous semble toutefois présenter certaines faiblesses inhérentes au contexte dans

lequel il a été adopté, notamment en ce qu’il fait défaut d’obliger les États à aligner

leur pratique sur leur discours et leur législation et à en prendre en compte

certaines limites qui s’imposent à leur pratique suivant le DIH.

Évidemment, en cette matière où il n’y a pas pour l’heure de règles régissant

explicitement la conduite des États, il est difficile de faire davantage que de les

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inciter à revoir leur pratique eu égard aux effets qu’elle entraîne sur la protection

de la population civile dans les conflits armés et à se demander si le jeu en vaut

vraiment la chandelle, à l’heure où le modus operandi de groupes terroristes et

d’insurgés peu soucieux du respect du principe de distinction suscite la réprobation

internationale et où l’on tente de réduire les maux de la guerre dont souffre la

population civile. Nous faisons nôtre, à cet égard, les propos de Grotius :

When I first set out tho explain this part of the law of nations I bore witness that many things are said to be ‘lawful’ or ‘permissible’ for the reason that they are done with impunity, in part also because coactive tribunals lend to them their authority; things which, nevertheless, either deviate from the rule of right (whether this has its basis in law strictly so called, or in the admonitions of other virtues), or at any rate may be omitted on higher grounds and with greater praise among good men.478

478

Hugo Grotius, De jure belli ac pacis, Livre III, Chapitre X, Section I.1, traduction anglaise de Francis G.

Kelsey, Oxford, 1925.

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Documents onusiens

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151

Bernales Ballesteros, Enrique. Rapport sur la question de l’utilisation de mercenaires comme moyen de violer les droits de l’homme et d’empêcher l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, Doc. off. CES NU, 57e sess., Doc. E/CN.4/2001/19 (2001).

Commission des droits de l’homme, Rapport de la réunion d’experts sur les formes traditionnelles et nouvelles de l’emploi de mercenaires comme moyen de violer les droits de l’homme et d’empêcher l’exercice du droit des peuples à l’autodétermination, Doc. off. CES NU, 57e sess., Doc. NU E/CN.4/2001/18 (2001).

Commission des droits de l’homme, Rapport de la deuxième réunion d’experts sur les formes traditionnelles et nouvelles de l’emploi de mercenaires comme moyen de violer les droits de l’homme et d’empêcher l’exercice du droit des peuples à l’autodétermination, Doc. off. CES NU, 59e sess., Doc. NU E/CN.4/2003/4 (2002).

Commission des droits de l’homme, Rapport de la troisième réunion d’experts sur les formes traditionnelles et nouvelles de l’emploi de mercenaires comme moyen de violer les droits de l’homme et d’empêcher l’exercice du droit des peuples à l’autodétermination, Doc. off. CES NU, 61e sess., Doc. NU E/CN.4/2005/23 (2005).

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Utilisation de mercenaires comme moyen de violer les droits de l’homme et d’empêcher l’exercice du droit des peuples à l’autodétermination, Rés. AG, Doc off. AG NU, 58e sess., Doc. A/RES/58/162 (2004).

Principes fondamentaux touchant la protection des populations civiles en période de conflit armé, Rés. AG 2675, Doc. off. AG NU, 25e sess., Doc. NU A/8028 (1970).

Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa 53e session, Doc. off. AG NU, 56e sess., supp. no 10, Doc. NU A56/10 (2001) 388.

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Documents du CICR

Résolutions

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