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La science politique 1 Christian Visticot La science politique

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La science politique

1

Christian Visticot

La science politique

La science politique

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Table des matières

Première Partie _____________________________________________ 4

L'administration du politique__________________________ 4 Chapitre 1 : La monopolisation étatique des fonctions gouvernementales 4

A- L'organisation étatique ____________________________________________ 4 B-Souveraineté nationale et nouvelles formes d'action publique _____________ 11

Chapitre 2 : __________________________________________________ 15 Le pouvoir bureaucratique _____________________________________ 15

A- le modèle Weberien : ____________________________________________ 15 B- Bureaucratie et domination sociale _________________________________ 17 C- Bureaucratie et domination politique ________________________________ 20

Seconde Partie_____________________________________________ 25

Compétition électorale et science du vote___________ 25 Chapitre 3 : __________________________________________________ 26 La constitution du marché politique______________________________ 26

A- La définition du marché __________________________________________ 26 B- Les conditions étatiques de la constitution du marché politique ___________ 27 C- La différenciation du marché politique ______________________________ 28 D- Le fonctionnement d'un marché politique ____________________________ 35

Chapitre 4 : __________________________________________________ 38 Partis et groupes de pression____________________________________ 38

A- Les partis politiques : un objet d'étude illégitime ? _____________________ 38 B-Le système des partis_____________________________________________ 39 C- Les groupes d'intérêt ____________________________________________ 45

Chapitre 5 : __________________________________________________ 49 Le métier politique ____________________________________________ 49

A- Les filières d'accès : la carrière politique (1870-1990) __________________ 50 Troisième partie____________________________________________ 55

Les institutions politiques ____________________________ 55 Chapitre 6 – La Ve République dans l’Histoire. ____________________ 55

A- Panorama de l’histoire constitutionnelle de la France.___________________ 55 B- Les logiques : la constitutionnalisation des luttes politiques (jusqu'en 1875). _ 84

Quatrième partie ___________________________________________ 88

La Ve République et les démocraties modernes.____ 88 Chapitre 7. La Ve République et la classification des régimes. ________ 88

A- La Ve République et la typologie juridique classique. ___________________ 88 B- La Ve République et la typologie institutionnelle moderne._______________ 91 C- La Ve République et la démocratie. _________________________________ 93

Cinquième partie___________________________________________ 97

La genèse de la Ve République. ______________________ 97 Chapitre 8. La transition politique. ______________________________ 97 Chapitre 9. La transition juridique. _____________________________ 102

La science politique

3

Sixième partie ____________________________________________ 106

L'analyse stratégique de la Ve République. ________ 106 Chapitre 10. Critique des analyses traditionnelles._________________ 106 Chapitre 11. Le modèle stratégique._____________________________ 109

Septième partie ___________________________________________ 112

Les instruments de la Domination Présidentielle. _ 112 A- Le couple Président / Peuple._____________________________________ 112

Chapitre 12. La Constitution instaure un arbitre ambigu. __________ 112 Chapitre 13. La Ve consacre un monarque républicain._____________ 116

Annexe 1 ________________________________________________ 121 Droit Administratif : Les grands textes __________________________ 121

Annexe 2 ________________________________________________ 126 Institutions Publiques : les grands textes _________________________ 126

Annexe 3 ________________________________________________ 131 Introduction aux Institutions Administratives ____________________ 131

Annexe 4 ________________________________________________ 141 Vie Politique Française : les grandes Dates ______________________ 141

Annexe 5 ________________________________________________ 159 Les idées politiques___________________________________________ 159 ___________________________________________________________ 174

___________________________________________________________

La science politique

4

Première Partie L'administration du politique

Chapitre 1 : La monopolisation étatique des fonctions gouvernementales

L'état devient une structure, qui, parce qu'elle est une

autorité reconnue n'a pas besoin de la force en actes pour

être reconnue.

A- L'organisation étatique

1-La monopolisation de la domination politique

1-1 L'expropriation des puissances privées (Norbert Elias)

Loi du monopole :

Monopolisation de la guerre et des moyens de force qui

assurent la domination physique

Concurrence entre les différentes entités féodales qui va

apparaître et favoriser l'émergence d'une unité de

domination (une des parties prenant le dessus).

Naissance de l'Etat :

La science politique

5

L'institution étatique se sépare de la société,

s'institutionnalise avec la fin du patrimonialisme. Forme de

domination traditionnelle orientée par l'exercice d'un droit

personnel, absolu. « La puissance est appropriée »

(Charles Loyseau)

Vassalité :

Les rois s'entourent d'hommes de guerre dans une relation

particulière : le contrat vassalique. D'un côté une

promesse de fidélité (ne rien faire qui pourrait causer du

dommage à son seigneur + services -« auxilium »- et

conseils -« concilium ») et de l'autre une protection. Ce

système se généralise quand en 865, Charles le Chauve va

obliger tout homme libre à se lier à un seigneur. Avec ce

système l'éparpillement de la puissance a pu aller jusqu'à

une centaine d'unités politiques (dans les années 1030-

1050). La puissance royale était très limitée. Le roi n'est

alors qu'un seigneur qui ne prête hommage à personne.

Fief :

Les vassaux vont se voir attribuer la propriété des terrains

qui leurs sont donnés (avant il les avaient en bénéfice

viager). Le capitulaire de Quercy-sur-Oise autorise

l'hérédité du fief.

Au XIIe siècle une révolution s'opère : renaissance de

l'économie, monétarisation des échanges politiques : les

concessions royales deviennent rentables, un surplus se

dégage qui permet de faire des investissements dans le

militaire.

Processus d'unification du territoire :Les maisons princières

sont assujetties à la maison de France. Les puissances

privées sont expropriées au profit de la maison de France.

La science politique

6

A la fin du XIIe siècle il y avait 12 maisons, il n'y en a plus

que 5 au XIVe. La maison de France n'aura bientôt plus de

rivaux.

Cette transformation débouche sur la constitution d'une

structure de domination d'un genre inédit. La puissance

royale va lutter contre les prétentions des empereurs et

des papes.

• La menace de l'empire :

Vers 960 l'empire se reconstitue. Les rois et l'empereur se

livrent une lutte sans merci. Au XVe siècle, les légistes du

roi vont tenter de légitimer son pouvoir en bâtissant une

théorie : « le roi est empereur en son royaume ». Cette

théorie donne à la couronne des droits inaliénables et

exclusifs. C'est le début du mouvement de

patrimonialisation du pouvoir : il se dépersonnalise, le roi

devient royauté, principe supérieur et éternel. C'est la

naissance de la souveraineté comme concept politique : le

roi n'en est plus le propriétaire.

Prétendre être empereur en son royaume c'est affirmer

qu'il n'y a pas d'autorité supérieure à la sienne dans son

royaume.

• La menace de la papauté :

La papauté (Vatican) naît de la querelle entre l'église et

l'empire. Au XIIe siècle, Grégoire III a voulu soustraire

l'église et la nomination du pape à la domination de

l'empire, c'est la « querelle des investitures ».

La papauté prétend dominer la France car « les rois sont

rois par la grâce de dieu ». La réponse des légistes français

est le Gallicanisme, fondé sur les propos du Christ «

rendez à César ce qui est à César et à dieu ce qui est à

dieu ».

La science politique

7

1-2 Le prélèvement étatique

Au moyen-âge plusieurs puissances pouvaient lever

l'impôt. Les ressources étatiques provenaient de butins de

guerre, de razzias. Il n'y avait pas de bases financières à

l'Etat.

1439 : apparition d'un système de prélèvement fiscal

moderne qui assure à l'Etat les moyens de son expansion

territoriale. Ce système a 3 caractéristiques :

régularité du prélèvement (avant les vassaux versaient

une certaine somme quand ils le voulaient et contre

quelque chose - maintenant le roi obtient le

financement de son service armé par des règles écrites)

légitimité nouvelle : l'impôt est finalisé (le roi prétend

protéger ses sujets)

Deux éléments légitiment le prélèvement fiscal : défense

et sécurité du royaume d'une part, développement d'un

état entité abstraite d'autre part.

« La structure de l'Etat apparaît essentiellement comme un

produit secondaire des efforts des gouvernements pour

acquérir les moyens de la guerre » (Charles Tilly) - Les

chiffres illustrent bien ce propos, au XVIIe siècle on

dénombre environ 100 conflits dans lesquels la France est

impliquée, on en dénombre 200 au XIXe siècle.

2- L'institutionnalisation de la domination politique

2-1 La figure de l'Etat

La puissance se métamorphose en une administration,

l'Etat moderne qui se spécialise dans les tâches

gouvernementales. L'Etat moderne est rendu possible par

l'établissement d'institutions permanentes et spécialisées.

L'Etat est le propriétaire d'un être collectif ( : la Nation)

La science politique

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dont le roi s'efforce d'être le serviteur. Le gouvernement

va consister en une technique servant à conduire les

hommes dans leurs rapports, leurs liens avec les choses

que sont les richesses, ressources, subsistances, territoire

dans ses frontières, climat, fertilité et plus largement avec

les manières de penser et d'agir de chacun.

La police :

Ressort essentiel qui favorise le passage d'une

bureaucratie patrimoniale à une bureaucratie de

fonctionnaires.

Ex. : la police des eaux et forêts au XIIIe siècle est la

première administration véritable.

Dans les villes les polices étaient armées par la bourgeoisie

locale. Puis petit à petit une police publique s'est

développée.

1667 : Création du poste de Lieutenant Général de Police,

responsable devant le roi de la sécurité de tous

Dans les campagnes, la maréchaussée (corps militaire) est

placée sous l'autorité de l'intendant du roi.

1829 : Police civile en uniforme

Le développement de la police est indépendant de celui de

la criminalité. Il y a là une logique endogène, une

dynamique de monopolisation de la violence physique

légitime. La légitimité vient du fait que la police veille à

l'application des lois de l'Etat.

Les fonctionnaires :

Fin XVIIIe siècle : la bureaucratie versaillaise compte 670

membres. Sous la révolution française on compte 3000

fonctionnaires. 7000 sous le directoire. 47000

fonctionnaires civils en 1914 et aujourd'hui ils sont près de

2 à 3 millions (et si on ajoute les non civils ils sont près de

5 à 6 millions). Ce tropisme français matérialise le culte de

La science politique

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l'Etat comme représentant de l'intérêt général et

régulateur de la société.

2-2 La socialisation politique

La révolution française fut une révolution pédagogique :

volonté de régénérer l'homme pour faire naître un homme

nouveau, développement de l'école…

Jusqu'à la révolution française, le pouvoir du roi trouve sa

légitimité dans le fait qu'il est chargé de faire sur terre une

société à l'image de la société céleste (ex. : St Crème,

pouvoir thaumaturgique…). La révolution opère une

sécularisation/laïcisation du politique. Le schéma

trifonctionnel de la société de l'ancien régime (les trois

états) cède le pas à une conception du corps politique

comme un agrégat d'égaux réputés êtres de raison.

Un travail de socialisation est fait par le biais de l'école

primaire. Eglise et Etat vont lutter pour avoir le monopole

de l'éducation. C'est l'état qui va l'emporter. L'Etat va

acquérir le monopole de l'éducation légitime.

Le nationalisme et la nation :

Pour Ernest Gellner l'invention du nationalisme va

permettre à l'Etat de donner une tournure culturelle à

cette unité symbolique qu'est l'imaginaire national. C'est le

nationalisme comme mobilisation culturelle et politique qui

crée la nation. L'enjeu du nationalisme est d'homogénéiser

la culture des citoyens d'un Etat-Nation pour clôturer

l'espace de l'identité nationale et circonscrire le territoire

politique sur lequel l'Etat exerce son autorité. Ex. : les «

morts pour la patrie » sont un processus de contrôle de

l'identité nationale, un mécanisme d'exaltation de la patrie.

Le développement d'une conscience nationale autorise une

La science politique

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partition nouvelle entre les nationaux et les étrangers.

Pour enclore il faut exclure.

L'Etat peut être défini comme une entité politique qui

revendique avec succès la contrainte physique et

psychique et qui favorise son développement par un

quadrillage interne de la société en voie de nationalisation.

Cet « imaginaire national » (Bénédicte Anderson) va

disqualifier politiquement les communautés familiales,

professionnelles (cf. loi le Chapellier) ou religieuses qui

servaient de marqueur identitaire à l'âge pré-nationaliste.

Le national prend le relais sous forme d'une allégeance

exclusive. Il s'exprime sous la forme d'un patriotisme

abstrait (dénué de finalités particularistes) qui congédie le

patriotisme communautaire d'antan.

2-3 L'émergence d'un nouvel espace public

La notion d' « espace public » (Jürgen Habermas) désigne

un produit de l'action qui s'oppose à l'absolutisme car elle

fait admettre le principe de pouvoir en discuter public de la

légitimité du pouvoir.

On prend ainsi petit à petit l'habitude de mettre en cause,

de demander des éclaircissements. C'est un processus de

publicité qui est mis en place et qui permet l'émergence

d'une force nouvelle : l’opinion publique.

Pour Hannah Arendt, le terme public a un double sens : ce

qui paraît en public d'une part et le monde lui-même en ce

qu'il nous est commun à tous d'autre part. Pour elle l'Etat

moderne doit se soumettre à cette puissance qu'est

l'opinion publique, être à son service.

La science politique

11

B-Souveraineté nationale et nouvelles formes d'action publique

L'émergence de l'Etat moderne c'est l'avènement de la

théorie d'une souveraineté sans partage. Plénitude d'une

puissance qui n'a ni limites, ni supériorité, qui s'exerce sur

toute personne comme sur toute chose qui relève de sa

juridiction.

3- L'unification territoriale

3-1 La frontière

Jusqu'au XVIIIe siècle, la frontière est vue comme une

démarcation naturelle entre des puissances seigneuriales

ou également comme un territoire tampon entre les

maisons princières. Il existe un flou volontaire autour de la

notion de frontière.

La révolution française impose une conception nouvelle. La

démarcation entre les territoires se veut définitive, précise,

elle se matérialise par des postes de garde qui assurent le

contrôle des flux humains et de marchandises. La frontière

joue ainsi un rôle politique déterminant pour fixer le

principe d'une appartenance exclusive, opposition du «

nous » national au « eux ».

3-2 L'homogénéisation culturelle d'un territoire

Fin XIXe, les géographes imposent l'image d'un hexagone.

Un territoire dominé par une capitale, capitale qui devient

La science politique

12

le réceptacle des imaginaires provinciaux. Cette

représentation passe sous silence les résistances des

périphéries à ce centralisme culturel (ex. : au XVIIe siècle

le Parlement de Dôle refuse l'allégeance à la capitale)… ce

qui souligne bien le travail de coercition de l'Etat. La

constitution de la France a été un travail lent qui s'est

confronté à trois processus (cf. Albert Hirschman):

• la « loyauté politique » (les périphéries ont fait

allégeance)

• la « prise de parole » (contestation des périphéries

mais pas de remise en cause frontale de la

centralisation)

• « exit » (la défection - refus de l'emprise

bureaucratique)

4- Le loyalisme politique

4-1 La mobilisation nationale

Le mouvement d'unification national a été facilité par le

loyalisme politique. La mise en place d'un système de

Sécurité sociale a permis une homogénéisation de la

population. L'Etat gagne en légitimité à répondre aux

revendications des classes sociales meurtries par la

modernisation en se transformant en une structure

redistributrice, protectrice. L'Etat-providence arrive

tardivement en France (si on compare au Royaume Uni, à

l'Allemagne, l'Autriche, la Suède ou la Norvège).La

première loi sociale date d'avril 1898 et porte sur les

accidents du travail.

1938 : création des ASSEDIC contre les milieux patronaux,

syndicaux et caritatifs traditionnels.

La science politique

13

4-2 Mourir pour une croix : le loyalisme honorifique

La République reprend à l'Ancien Régime les vieilles

recettes qui permettent de produire de l'allégeance. Parmi

celles-ci, l'émulation honorifique. La France moderne

compte plus de 2 millions de décorés officiels vivants. Il

existe 60 types de décorations différents contre 4 sous la

monarchie. C'est une société de l'honneur. Les médailles

sont une véritable monnaie symbolique. Les lumières

avaient déjà dénoncé cet assujettissement en soulignant

que la vertu n'a pas besoin de signes. La France

républicaine en 1 siècle a instauré 12 fois plus de

décorations que la France monarchique en 500 ans. La

décoration opère comme un signe de validation du mérite,

elle transforme des comportements ponctuels en dignités

établies.

5- De la souveraineté aux réseaux d'action transnationaux

5-1 Les nouvelles formes du militantisme

Les transformations économiques et sociales ont, depuis le

milieu des années 1970, généré un processus de

mondialisation. Des formes d'intégration régionale

nouvelles (UE, MERCOSUR…) ont mis à mal les schémas

classiques du pilotage de l'action politique.

Fini le temps où les problèmes pouvaient être découpés en

logiques sectorielles spécialisées, où les « solutions »

apparaissaient fiables, standardisées, répétitives, où les

demandes sociales étaient interprétées de façon

souveraine par les fonctionnaires.

Des problèmes horizontaux et non plus verticaux

surgissent : on veut faire de l'interministériel, de la

La science politique

14

coordination, de la transversalité… les solutions sont elles-

mêmes de plus en plus incertaines.

Le secteur public n'agit plus seul : l'Etat coopte des

partenaires privés, publics, associatifs avec lesquels il

développe des formes nouvelles de coopération, de

responsabilité.

Les formes de militantisme se métamorphosent : une

nouvelle classe de litiges et de revendications « post-

matérialistes » voit le jour : environnement, égalité des

sexes, intégrité des corps…

Prendre en charge, mettre en forme la justesse/justice

d'un intérêt défendu suppose tout un travail spécifique,

une stratégie de « scandalisation » du grief. On

spectacularise (car le nombre ne fait plus le succès), on

cherche à obtenir des appuis logistiques, à avoir un porte-

parole. L'art de mettre en scène la protestation se

modernise.

5-2 « Globalisation » et « Gouvernance » : les métamorphoses de l'action

publique

De nouveaux mouvements font leur apparition sur la scène

politique. Des groupements écologistes, féministes… etc

apparaissent et semblent doués d'ubiquité. Ils tissent des

réseaux d'action qui travaillent à substituer aux

allégeances stato-nationales de nouvelles formes de

fidélité. On constate le même processus pour le crime

organisé et l'action terroriste.

La souveraineté, largement discréditée aujourd'hui, ne

laisse pas la place à des échanges individuels de type

commercial mais elle donne aussi un coup de fouet à de

puissants réseaux de domination et de transaction illégale,

une logique de l'intérêt menace les partages les mieux

La science politique

15

établis. C'est un modèle d'organisation qui se disloque,

celui de la domination légale-rationnelle, sous l'action de

réseaux et de puissances privées.

Chapitre 2 :

Le pouvoir bureaucratique

Nous prendrons le terme bureaucratie dans son sens

étymologique, i.e. le « pouvoir des bureaux ».

Les théories de la bureaucratie peuvent être regroupées

autour de trois pôles :

A- le modèle Weberien : Modèle de rationalité administrative qui s'oppose aux

logiques traditionnelles et charismatiques de l'action

collective. C'est une méritocratie (système fondé sur une

compétition ouverte). Une organisation impersonnelle

fondée sur la compétence juridique des agents, un mode

de domination qui renvoie à la figure du fonctionnaire

comme idéal-type de pouvoir.

Le fonctionnaire est caractérisé par les propriétés

suivantes :

• il est personnellement libre (il obéit au devoir de sa

fonction mais il n'est pas lié absolument à un chef)

sa fonction appartient à une hiérarchie solidement

établie.

• il possède des compétences qui justifient sa position

dans la hiérarchie

• il est recruté en vertu d'un contrat fondé sur une

sélection ouverte

La science politique

16

• il est payé par des appointements fixes en espèces

(modèle salarial)

• il exerce son action à titre principal et exclusif

• il voit s'ouvrir à lui une carrière mêlant ancienneté et

mérite

• il ne possède pas les moyens administratifs qu'il utilise

(ils restent la propriété de l'Etat)

Le mot-clef pour qualifier ce modèle est la

rationalité.

Les thèses de la convergence (théoriciens des années

1950) :

Toutes les sociétés industrielles, quels que soient leurs

idéologies, seraient dirigées par une classe de managers

technocrates (cf. John Bernham, La révolution

managériale), des officiers d'Etat dont le pouvoir s'appuie

sur la technique et les ressources administratives. L'avenir

du pouvoir se lit dans la convergence de ces sociétés vers

un mode de commandement appuyé sur expertise,

régulation technicienne et ressources scientifiques.

les critiques formulées par l'école du « public choice »

relayées par l'école des choix rationnels :

• la lecture juridique de l'administration est insuffisante

(elle est notamment transparente au sujet des hommes

politiques)

• l'administration génère son propre pouvoir qui peut se

substituer au législateur (cf. d'ailleurs Weber écrivait

que « dans un Etat moderne, le dirigeant réel est

nécessairement et inévitablement la bureaucratie et ce

pouvoir s'exerce à travers les routines de

l'administration »).

La bureaucratie est un groupe social à part entière. Elle a

un appareil politique qui est le rival du parlement car

La science politique

17

attaché à promouvoir une rationalité pour les intérêts qui

la concernent en vue de maximiser certaines utilités.

Les hauts fonctionnaires sont d'abord motivés par des

intérêts de carrière qui rendent compte de l'expansion de

leurs agences. Le développement de l'Etat répond à une

dynamique interne au gouvernement, la multiplication de

grandes structures facilitant l'hégémonie de cette catégorie

sociale.

B- Bureaucratie et domination sociale

1- La carrière bureaucratique

1-1 Le recrutement

Le principal souci des hommes politiques est de s'assurer

la loyauté de l'administration, de recruter des hommes

fiables et honnêtes.

- Le recrutement dans les classes supérieures :

Pendant longtemps, la seule règle de recrutement était

d'être né dans une classe supérieure qui payait le cens.

Recruter était un pouvoir discrétionnaire.

Sous la monarchie de Juillet, les fonctionnaires étaient

recrutés dans le « pays légal » (10-12000 personnes), i.e.

dans les milieux favorisés grâce aux réseaux de

connaissances. Ces jeunes gens avaient une petite

formation dans des facultés de droit pour maîtriser les

outils juridiques élémentaires.

- La démocratisation du recrutement :

1845 : projet d'une E.N.A. soutenu par Hippolyte Carnot et

Girardin

La science politique

18

1872 : fondation de l'Ecole Libre des Sciences Politiques

(école privée) qui est un succès (mais la formation est

payante)

En 1936, sur 700 hauts fonctionnaires, 643 sortent de

l'ELSP.

Au début du XXe siècle, idée de démocratisation.

1945 : création des IEP de Paris et province.

Cependant aujourd'hui encore le recrutement des IEP est

formellement libre mais socialement inégalitaire.

1-2 L'avancement

Avant le pouvoir des chefs de bureau en cette matière était

discrétionnaire. La jurisprudence du Conseil d'Etat a

progressivement amené l'idée d'un arbitraire des chefs

d'administration. Le concours et les règles vont remplace

le système clientéliste.

1-3 Méritocratie et reproduction sociale

Le système des grandes écoles continue d'être

l'antichambre du pouvoir de l'Etat : c'est là que se recrute

l'élite sociale. Cette élite sociale se recrute toujours dans

une élite scolaire.

A l'ENA, Polytechnique et HEC dans les années 1950 il y

avait 29% de jeunes d'origine populaire. Ils ne sont plus

que 9% aujourd'hui.

Pour un jeune d'origine populaire la chance d'intégrer ces

écoles est 24 fois plus élevée que pour des enfants de

cadres, d'enseignants.

La reproduction sociale est très présente. Dans les années

1950-60, les inspecteurs des finances ont des parents

venant pour 12% de la haute bourgeoise/aristocratie, pour

20% du commerce et de la banque, pour 16% des

La science politique

19

professions libérales et pour 30% de la haute fonction

publique. On peut donc parler d'un système de cooptation

tempéré.

Avec l'URSS, la France présente un cas unique dans le

monde d'une élite formée par et pour l'Etat.

2- La question des élites bureaucratiques

2-1 La stratégie des élites

Intégration des élites aux grands corps dans le cadre de

leur formation. Mise en interdépendance intérêts

individuels et intérêts de corps (un inspecteur des finances

défend aussi l'intérêt de son corps). Certains corps

monopolisent les fonctions de responsabilité dans les

ministères (ex. : les polytechniciens au ministère de la

recherche).

2-2 L'invention d'un esprit de corps : exemple des préséances civiles et

militaires

L'élitisme technocratique est un mouvement né dans

l'entre-deux guerres. C'est l'idée que la véritable onction

du pouvoir d'Etat est le savoir, qui est à l'origine de la

production des élites et qui légitime leur action.

L'élitisme technocratique repose sur l'affirmation de la

supériorité de l'expertise technique sur la légitimité

démocratique. L'intérêt général doit être encadré par le

savoir.

L'esprit de corps doit aussi beaucoup à des règles de

préséance, à un ordre hiérarchique des positions de

pouvoir, i.e. à un protocole.

Au XVIIe siècle, Jean Domat insiste sur l'utilité des

préséances tenant d'abord à la rationalisation d'un principe

La science politique

20

de commandement et d'ordre public : le protocole sert non

seulement à prévenir le désordre dans la marche de l'Etat

mais aussi à arbitrer les ambitions, ménager les appétits et

les susceptibilités : il constitue une technique de

gouvernement à part entière.

Napoléon 1er va lui aussi fabriquer du protocole.

Le protocole est l'étiquette bureaucratique qui définit les

règles de déférence à l'autorité. Les grands corps sont

subordonnés les uns par rapport aux autres. C'est une

véritable chaîne d'exécution qui « va descendre sans

interruption du Ministre à l'administré et transmettre la loi

et les ordres de commandement jusqu'aux dernières

ramifications de l'ordre social avec la rapidité du fluide

électrique » (Chaptal, ministre de l'intérieur sous la

révolution).

Une véritable nomenclature de la déférence voit le jour.

La légitimité bureaucratique est bien installée. Les

français, dans leur ensemble, sont largement convaincus

que les chefs de service et responsables administratifs

doivent leur position d'autorité à la détention d'une

compétence spécifique. En outre, les français sont

convaincus que ces positions d'autorité reviennent à des

individus qui sont nés chefs, qui ont un droit acquis dès la

naissance à exercer ces positions. C'est l' « aristocratie

républicaine ».

C- Bureaucratie et domination politique

L'article 2 de la constitution de 1958 définit

l'administration comme séparée du politique et

subordonnée à lui.

La science politique

21

1- La dépendance politique

1-1 L'asservissement idéologique

Sous la monarchie, les élites étaient partagées entre le

souci de l'efficacité de l'administration et celui d'une

loyauté idéologique absolue. C'est l'idée que certaines

fonctions sont trop importantes pour reposer sur la seule

compétence. Ainsi Napoléon choisit ses préfets parmi les

hommes favorables à sa politique. Il va mettre en place

une technique pour garantir cette loyauté : la « prestation

de serment » : engagement public à être fidèle

politiquement au chef de l'Etat. Sous la monarchie

censitaire la prestation de serment est conservée. Sous la

IIE république, malgré un souci de démocratisation, le

ministre de l'intérieur Ledru-Rollin demande aux

commissaires de la république de montrer l'exemple aux

autres en leur apprenant à « bien voter ». Sous la IVe

république, les préfets deviennent des agents de la lutte

contre le communisme. Sous la Ve république l'importance

politique ne s'est pas atténuée. Il y a toujours des

épurations au sein de l'administration au lendemain des

changements de majorité.

Les dernières grandes épurations datent de Vichy puis de

la Libération. On a souvent dit qu'elles avaient été

massives mais cela n'a été vrai que pour certains corps

(ex. : le corps diplomatique, épuré aux 2/3 mais la cour

des comptes n'a pas changé, le corps préfectoral presque

pas et le Conseil d'Etat a gardé la même composition à

90%). Quand l'épuration a été faite elle a consacré le

La science politique

22

principe de la loyauté idéologique (selon lequel les

fonctionnaires ne doivent pas obéir à une autorité illégale).

1-2 La subordination fonctionnelle

Les fonctionnaires ne se remplacent pas facilement

notamment dans la fonction publique. Dans la fonction

publique un syndicalisme puissant s'est développé qui va

travailler de concert avec les autorités. Il s'agit d'un

syndicalisme intégral qui estime que le service public

devrait être autogéré par les fonctionnaires. Le

syndicalisme va progressivement se laisser envahir par

l'esprit de corps, la puissance hiérarchique, il va épouser

dans son organisation interne les contours de la

stratification administrative. Les syndicats deviennent une

bureaucratie supplétive.

Sur le plan fonctionnel ceci présente de nombreux

avantages :

pour les ministères, c'est une cogestion de

l'administration car les syndicats relaient les

informations.

pour les syndicats l'administration leur apporte des

moyens financiers

2- Le concept de pouvoir politico-administratif

2-1 La prétention à l'indépendance : construction d'un modèle

On peut avoir deux lectures du degré d'autonomie du

personnel politique et des hauts-fonctionnaires :

on peut considérer que ce personnel constitue une

classe homogène, un milieu dirigeant soudé par des

intérêts spécifiques (c'est la thèse moniste, cf. Wright

Mills)

La science politique

23

on peut avoir une lecture polyarchique (cf. Robert Dahl)

: un Etat dirigé par un personnel hétérogène aux

intérêts opposés, servant de porte-parole à des groupes

sociaux différents.

L'autonomie fonctionnelle de l'Etat s'est progressivement

imposée en droit dans toutes les grandes démocraties.

Aux Etats-Unis, le « Pendleton Act » de 1883 impose le

système de recrutement au mérite et offre des garanties

statutaires aux agents fédéraux. La bureaucratie fédérale

tire son autorité de la division dans l'espace des sources du

pouvoir bureaucratique, de la fragmentation des

responsabilités.

La séparation des pouvoirs met la bureaucratie fédérale en

concurrence avec la puissante bureaucratie du congrès.

Les agents fédéraux sont très attachés à l'idée d'une

compétence fondée sur des examens de compétence dont

ils sont d'autant plus jaloux que les responsables politiques

de l'administration relèvent de la connivence (ce sont les

financiers de la campagne électorale qui sont placés aux

plus hauts postes).

2-2 De la fusion à la dissociation des pouvoirs

Sous la monarchie de Juillet il y a fusion des pouvoirs car

la bourgeoisie occupe tous les hauts postes. Puis une

cohabitation s'installe.

2-3 La IVe république ou la dissociation renforcée

Les ministres continuent de se recruter au parlement. La

haute fonction publique renforce son homogénéité (rôle de

l'ENA), sa légitimité en termes de compétence est de plus

en plus associée à l'efficacité en politique. La haute

fonction publique va progressivement déborder de ses

La science politique

24

fonctions parce qu'elle se sert de ses cabinets comme de

tremplins pour une carrière politique. Elle se jette dans

l'arène électorale.

2-4 La république des fonctionnaires

La Ve république prend le contre-pied du régime

d'assemblée en établissant l'incompatibilité entre les

fonctions ministérielles et parlementaires (dissociation du

pouvoir). Il s'en suit une division du personnel politique qui

va perdre de son homogénéité : il faut choisir entre

carrière ministérielle ou parlementaire.

Par ailleurs, on note un attrait croissant du secteur privé

pour les fonctionnaires. Dans les années 1950, moins d'1%

des énarques avaient franchi la ligne jaune. Dans les

années 1970 ils étaient 12% puis 17% dans les années

1990.

37 députés sont d'anciens énarques (les énarques sont de

plus en plus nombreux en politique). C'est la fin d'un

modèle, celui de la république des fonctionnaires à cause

d'une subversion des valeurs du service public par celles

de l'entreprenariat privé et de la compétition électorale.

C'est un pouvoir politico-administratif qui s'est constitué,

un gouvernement des capables, des hommes de savoir.

Marginalisation du parlement, concentration du pouvoir

dans les mains de 2-3 groupes sociaux, accroissement de

l'importance du rôle de la haute fonction publique,

reproduction sociale de cette élite. A côté de cela on note

une remise en cause croissante de ces élites. Ces élites ont

un sentiment de propriété de l'Etat. Le débat oppose deux

positions le primat de l'excellence en termes de

compétence bureaucratique ou le primat de l'onction

démocratique.

La science politique

25

Seconde Partie Compétition électorale et science du vote

Le vote est aujourd'hui considéré comme le seul moyen de

consacrer l'assentiment collectif, de présenter des verdicts

souverains. Le vote comme technique de dévolution du

pouvoir apparaît doté d'une supériorité incomparable.

Vote vient du latin « votum » qui signifie émettre un vœu

dans des circonstances solennelles, faire une promesse

aux dieux, s'engager publiquement pour une cause. A

partir du XVe siècle vote signifie délibération.

Au début du XVIIIe siècle, vote signifie assentiment par le

suffrage. Le vote devient matériel, il devient un bulletin.

En France jusqu'en 1913 c'est une carte de papier rédigée

à la main que l'électeur remet au président de bureau. En

Espagne et au Portugal fin XIXe, le vote se fait dans les

églises après avoir fait une prière. Au Danemark on livre

sa préférence oralement à une assemblée qui écrit le choix

sur un registre. En Angleterre jusqu'en 1872 on vote en se

réunissant, femmes et enfants compris, autour d'une

estrade où les candidats s'affrontent. On est élu à

l'applaudimètre (présence de jurés pour valider le scrutin).

Le vote comme procédé de désignation du pouvoir entre

en concurrence avec d'autres procédés comme le tirage au

sort, la cooptation ou la force. Le vote tient les électeurs,

son verdict est implacable, il se pare de la force du

nombre, se donne à voir comme une force extérieure

fondée sur l'évidence d'un assentiment collectif.

La science politique

26

Chapitre 3 :

La constitution du marché politique

L'élection offre le moyen à la collectivité de s'inventer dans

l'Etat par sa représentation, c'est un acte social qui

légitime des groupes. D'un côté des mandataires (« agents

politiquement actifs » Weber) qui vivent pour et par la

politique, de l'autre des « citoyens électeurs » réputés tout

puissants mais dont l'action consiste d'abord à «

départager des élites en compétition » (Schumpeter), ce

sont des « agents politiquement passifs ».

A- La définition du marché

1- L'approche wéberienne

Dans Economie et société, Weber dit qu' « on doit parler

de marché dès que, ne serait-ce que d'un côté, une

majorité de candidats à l'échange entrent en concurrence

pour des chances d'échange ». Le marché politique est la

lutte concurrentielle pour la conquête de positions de

pouvoir et leur usage, i.e. la légitimité d'en disposer.

2- L'usage du paradigme économique : l'école du « public choice »

La science politique

27

Les acteurs politiques sont des agents qui cherchent à

maximiser les voix en leur faveur et sont lés entre eux par

une relation d'interdépendance. Les électeurs voteront

pour celui/ceux qui leur procurent le plus d'utilité.

Le vote fonde un ordre transitif, i.e. si A,B,C représentent

des forces classées de gauche à droite, si le produit des

préférences fait que A est préféré à B et B à C on tiendra

pour naturel et nécessaire que A soit préféré à C. Le corps

électoral se conduit rationnellement.

Il y a plusieurs limites à cette théorie :

la présupposée rationalité de l'électeur

la politique ne peut être conçue que sur le mode des

seuls intérêts, il y a aussi des logiques émotionnelles

la vie politique ne peut pas être décrite dans le langage

simpliste de la démocratie sociale comme s'il y avait

des entrepreneurs qui ne feraient que répondre à une

demande

B- Les conditions étatiques de la constitution du marché politique

- Marché politique censitaire :

Les électeurs sont du même milieu social que les

candidats. 250000 électeurs inscrits en 1847, 84% des

députés élus avec moins de 400 voix. Les élus fondent leur

popularité sur leur notoriété, ils occupent une fonction

politique en prolongement de leur puissance sociale. Le

scrutin est monopolisé par une classe « naturelle » de

prétendants.

- Marché politique élargi :

En France le décret du 5 mars 1848 permet à des millions

d'électeurs d'exercer leur droit de vote et d'être éligibles à

La science politique

28

toutes les fonctions politiques. Avec l'élargissement du

marché politique, les comités électoraux (partis politiques)

se multiplient, de même pour les journaux et les

déclarations électorales. De nouvelles manières d'élire et

de se faire élire voient le jour. Le nouveau rapport élus-

électeurs est plus idéologique. Des stratégies

mobilisatrices nouvelles sont mises en place : visites à

domicile, presse spécialisée, théâtralisation de

l'affrontement politique. Ces stratégies disqualifient les

pratiques traditionnelles de la politique (ex. : le coup à

boire… les élections deviennent de plus en plus sèches). Le

marché politique élargi consacre le passage d'un vote de

déférence encastré dans les relations sociales à un vote

politisé fondé sur l'opinion. C'est l'idée d'une autonomie du

politique : les hommes qui doivent diriger l'Etat/le village

ne sont pas nécessairement les puissants ni même les

meilleurs car sinon l'Etat se confondrait avec la

domination.

C- La différenciation du marché politique

1- La politisation

La politique traditionnelle est un monde dominé par des

valeurs religieuses, c'est un monde hiérarchique opposant

des puissants « bien nés » à des gens de peu. Le tout

prédomine sur les parties qui le constituent.

La politique moderne est caractérisée par :

sécularisation des valeurs

La science politique

29

généralisation du référent égalitaire (notamment

principe « un homme une voix »)

idéologie (la politique devient affaire de convictions)

individualisme (la politique moderne n'envisage que des

consciences libres - elle devient tabou comme la

sexualité ou les convictions religieuses : secret du vote)

1-1 La question de la chronologie

L'approche de la politisation comme un mouvement

continu de la révolution à nos jours a été répudiée par

l'historiographie des années 1980 qui a établi que la

politisation n'était pas une nécessité mais un phénomène

contingent qui s'est produit d'abord dans les villes puis a

gagné les campagnes de façon différentielle et avec des

retours en arrière. La politisation est passée par le

développement économique, la scolarisation de masse,

l'action propre de structures comme les syndicats ou

l'église qui ont travaillé à éroder les fondements politiques

traditionnels.

1-2 Une politisation inégale : les données sociologiques

Pour les sociologues la politisation c'est la capacité à

comprendre et à traiter politiquement les questions qui

passent pour politiques dans une société donnée.

Les citoyens ne sont pas également compétents pour

exercer leur sens civique. Dans les démocraties existe un

impératif quasiment moral d'avoir des opinions politiques

comme si le civisme était la chose du monde la mieux

partagée : on naîtrait citoyen. Cette lecture spontanéiste

est démentie par l'analyse politique :

peut se disent intéressés

La science politique

30

selon le statut occupé, l'intérêt pour la politique varie

(ex. : la sommation de produire une réponse est plus

forte chez les hommes que chez les femmes)

selon le capital scolaire joue (le taux de non réponse

baisse quand le capital scolaire augmente)

le statut socioprofessionnel joue aussi (plus il est élevé

plus on est conditionné à parler de politique)

la taille des communes joue (dans les villes on est plus

politisé que dans les campagnes)

l'âge joue (plus on est vieux, plus on est habilité à en

parler)

1-3 La division du travail politique

- Citoyenneté et technologies de vote :

L'électeur naît de l'invention du vote. De sujet il devient

citoyen (émancipation). Le corps électoral devient le

véritable pouvoir politique. Le devoir civique se constitue

qui pousse chacun à devoir avoir des convictions, cela pour

appréhender des enjeux politiques et exprimer sa

préférence.

Cette qualification morale du geste de vote est liée aux

propriétés de la technique elle-même.

Léon Marlin (historien) a restitué la variété des techniques

délibératrices de l'Europe médiévale et moderne :

Le « concordie selectione » ou « vote par compromis » :

Pendant longtemps, les assemblées ecclésiales ont

pratiqué le vote plutôt que l'élection pour éviter de rendre

public le désaccord. La communauté se réunit et désigne

un individu en lui donnant le soin de dire qui sera le chef

de la communauté. Le compromissaire recueillait le vœu

de tous les frères puis désignait le chef.

L'approbation avec division des voix (majorité qualifiée) :

La science politique

31

Quand la mainmise est impossible, des techniques de

majorité qualifiée peuvent solenniser l'accord obtenu. C'est

un principe de prépondérance qui fut utilisé en Italie au

XIIe siècle.

Le principe de saniorité (la « sanior pais ») :

On pèse les voix au lieu de les compter. On tient compte

du mérite des votants. C'est le moyen d'assurer à l'autorité

de toujours triompher sur le nombre.

Le principe de majorité (la « major pais ») :

Ce principe est l'inverse de celui de la « sanior pais ». Il a

été inventé par les grecs aux Vie-Ve siècles avant J.C.,

oublié par les romains puis remis au goût du jour dans

l'Angleterre du XVIIIe siècle. Cette règle assure au nombre

d'être souverain. Par ailleurs le principe de vote secret

assure l'absence de représailles. Au sein de l'église ce

principe fut également adopté : lors du concile de Trente

(1545-1563) la majorité fut réputée l'emporter sur la

saniorité.

Alain Garrigou a fait une autre lecture du développement

des procédures de vote. Il distingue trois ensembles :

les expériences informelles de résolution :

Ex. : « palabres » d'Afrique noire. Quand tout le monde est

d'accord, on ne formalise pas la décision.

les procédures sensibles de résolution :

La décision résulte d'un savoir faire de la ratification, cela

passe par l'estimation visuelle du nombre des partisans

prêts à soutenir la résolution proposée.

les expériences formalisées de vote :

Le processus de rationalisation formelle est ici poussé à

son extrême : écriture, secret, sincérité, procédures

standardisées d'expression.

La science politique

32

La loi qui fixe le secret du vote date en France de 1791. Le

vote public a longtemps gardé des partisans. Pour

Montesquieu il permettait de « donner au petit peuple la

possibilité d'être éclairé par les principaux ». Pour Jean-

Paul Sartre l' « isoloir est le lieu de toutes les trahisons

sociales », il sérialise, pousse à abandonner toutes les

solidarités qui vous font membre d'une communauté.

Les techniques électorales affectent autant l'opinion que

son contenu.

Ex. : En 1994, Bernard Attali avait essayé de faire passer

son plan de restructuration d'Air France par les syndicats.

Echec à 80%. Christian Blanc a soumis le même plan au

vote secret : 90% des salariés se sont déclarés favorables

au plan. Le secret individualise le suffrage, il coupe

l'individu de sa communauté d'appartenance. Le secret est

l'instrument et le lieu de fabrication de la citoyenneté.

Aux Etats-Unis, le secret a été utilisé à d'autres fins. Fin

XIXe, l'adoption de cette technique d'expression a écarté

les plus pauvres jusqu'alors très influents au Congrès.

Cette technologie était couplée à des tests

d'alphabétisation et a entraîné une baisse considérable

dans la participation électorale.

En effet voter exige des compétences.

- Le mandat politique :

« Representare » signifie faire advenir, rendre effectif au

vu et au su de tous. Au sens juridique cela signifie être

mandaté pour exercer les droits ou défendre les intérêts

d'une collectivité.

Jusqu'au XVIIe siècle, c'est la représentation liée qui

domine (corporations).

L'idée d'indemnité parlementaire a été introduite par la

révolution française. Aujourd'hui il est à peu près admis

La science politique

33

que l'indépendance des élus nécessite l'octroi de revenus

spécifiques, revenus mais pas salaires (car la politique

n'est pas un métier). On indexe en France cette indemnité

sur le revenu d'un conseiller d'Etat de deuxième classe en

1947.

La prétention à pouvoir vivre de la politique traduit une

logique de professionnalisation qui frappe tous les métiers

d'élus. Une loi de février 1992 établit une retraite pour les

élus, un crédit d'heures de formation et un barème de

rémunérations. L'attribution d'une rémunération vise à

lutter contre la ploutocratie.

- Les échanges inter-marchés (Smelser) : la corruption

politique :

La corruption est une marque de la dissolution d'un régime

politique. Il y a différentes formes d'actes de corruption :

l'abus de confiance : détourner l'usage légitime d'un

bien dont on n'est pas propriétaire

l'escroquerie : utiliser de faux noms soit par

manœuvres frauduleuses, soit pour se faire remettre

des fonds

la concussion : extorquer ou entendre extorquer à

l'administré une somme comme due en vertu des lois

alors qu'elle ne l'était pas réellement

le trafic d'influence : un agent public abuse de son

influence et la monnaye

Il existe ensuite différents types de corruption :

la corruption noire : unanimement condamnée

la corruption grise : suscite des jugements contrastés

(ex. : faire sauter les P.V.)

la corruption blanche : unanimité de tolérance

La science politique

34

La corruption marque une remise en cause de l'autonomie

du fonctionnement politique. Elle est constituée de quatre

éléments essentiels :

violation des règles et normes associées à ce qui est

perçu de façon dominante dans la société comme

l'intérêt général

échange clandestin entre les marchés politiques,

sociaux et économiques. La politique se revendique

autonome mais est prise la main dans le sac.

Conséquence : on donne à des individus/groupes des

ressources d'accès et d'influence dans le processus des

décisions publiques

La traduction matérielle de cet échange : les bénéfices

tangibles

Pour Alain Garrigou, on peut avoir plusieurs lectures de la

corruption :

- une lecture épiphénoménale de la corruption qui assimile

ces transgressions à des faiblesses personnelles.

- une lecture pathologique qui voit dans ces actes un signe

de l'affaiblissement du système politique tout entier

- une lecture tactique qui voit les affaires de corruption

comme des coups politiques (moyens d'éliminer ses

adversaires)

- une lecture stratégique qui propose de rapporter les

formes de corruption à l'univers politique et social qui leur

donne le jour pour comprendre la place qu'ils tiennent

dans la dynamique de professionnalisation des actions

politiques.

La science politique

35

D- Le fonctionnement d'un marché politique

1- La généralisation des échanges

1-1 La constitution du corps électoral

- Le cas de la France :

Pour les libéraux jusqu'en 1848 « mieux vaut moins mais

mieux ». La démocratie ne devait s'ouvrir qu'à ceux qui en

ont les capacités. Pour les démocrates au contraire, le vote

était vu comme un droit inaliénable de la personne.

En 1791 : il fallait payer trois journées de travail d'impôt

pour avoir le droit de vote.

Restauration : le cens devient plus sévère

Monarchie de Juillet : élargissement de la population

pouvant voter (la bourgeoisie pourra accéder au pouvoir)

En comparaison on voit qu'au Royaume Uni en 1847-48 le

corps électoral était trois fois plus nombreux pour une

population deux fois plus réduite.

1945 : suffrage des femmes

1974 : la majorité politique passe à 18 ans

Cet élargissement ne traduit pas l'essence de la république

mais la nécessité à des moments de crise politique de

recourir à des soutiens externes politiques pour modifier

les fondements de l'affrontement politique. Les

républicains vont longtemps différer l'attribution du droit

de vote aux femmes par peur de fournir ainsi des voix à

leur adversaire politique.

Jusqu'à la loi-cadre Deferre de 1956, les populations

indigènes bien que françaises restaient exclues du vote.

On craignait de les reconnaître et d'être balayés par le

nombre.

La science politique

36

Jusqu'en 1975 les indigents n'étaient pas éligibles. Les

domestiques, eux, n'ont gagné une citoyenneté à part

entière qu'à partir de 1930. Les criminels condamnés à des

peines de prison supérieures à un mois avec sursis perdent

leur capacité électorale. C'est la « double peine » : ils sont

condamnés pénalement et électoralement.

- Le cas du Royaume-Uni :

Au Royaume-Uni, la mise en forme du peuple dans sa

figure d'électeur s'est accomplie avec tout autant de

réticence. Avant l'adoption de la loi de 1832, la population

électorale était inférieure à 4% de la population totale. De

profondes inégalités de représentations existaient (« rotten

boroughs »). Avec la loi de 1832 le cens est passé à 10£ et

la population électorale a été multipliée par 2.

Réforme de 1867 : tous les habitants de bourgs payant

l'impôt peuvent voter

1918 : Egalité hommes-femmes devant le suffrage (sauf

que jusqu'en 1928 les femmes ne sont majeures

électoralement qu'à 30 ans - contre 21 ans pour les

hommes).

1-2 L'éligibilité

Pendant longtemps elle était réduite aux plus riches et aux

plus âgés. La domination politique restait ainsi étroitement

liée à la domination sociale.

1-3 La multiplication des opérations de vote

En 1940 Paul Reynaud déclare « le peuple est ici (Chambre

des députés) et pas ailleurs ». Les recours au suffrage

pour fabriquer de la légitimité ont depuis été multipliés.

La science politique

37

2- Les différents types de marchés : des marchés centraux aux marchés périphériques et satellites

2-1 Les marques partisanes

De plus en plus sous la Ve république, un mouvement

d'unification s'opère des différents marchés électoraux, ils

s'imbriquent dans la logique d'un marché central. En 1973,

67% des candidats aux élections cantonales étaient

présentés par des partis politiques nationaux. En 1982 :

84%, aujourd'hui c'est presque la totalité des candidats. Le

système des alliances politiques à l'échelle locale se plie au

schéma national gauche-droite.

La perception par les électeurs de la nature de la

compétition a elle aussi profondément changé : en 1982,

89% des électeurs déclarent se déterminer en fonction de

l'appartenance partisane du candidat. En 1976, ils étaient

seulement 36% à procéder ainsi.

On note une unification des marques partisanes : la

concurrence politique passe par les sigles.

2-2 La notion d'écart distinctif

La première tâche d'un prétendant en politique est de se

distinguer. Sa marque doit être perçue comme meilleure

que les autres.

La science politique

38

Chapitre 4 :

Partis et groupes de pression

A- Les partis politiques : un objet d'étude illégitime ?

La Ve république est le premier régime qui reconnaît leur

existence. Sous la Ve république leur rôle n'a cessé de

croître.

On peut considérer que les partis apparaissent quand leur

nom apparaît et s'impose mais on peut aussi penser que

des structures remplissaient des rôles de partis politiques

avant, sous d'autres noms. On remonterait alors à

l'antiquité (clubs, comités, factions…).

Les partis ont toujours eu mauvaise presse en France (cf.

Tocqueville qui les qualifie de « mal inhérent à un

gouvernement libre »).

Les partis sont des groupements de mobilisation réunis par

la lutte électorale, ils sont fondés sur une certaine

communauté d'idées et d'intérêts.

Pour Max Weber, l'idéal-type de l'organisation partisane

définit le parti comme issu de la différenciation du politique

dans les sociétés modernes, de la production et de

l'échange de biens idéologiques. L'instauration de l'égalité

ne suffit pas à elle seule à l'apprentissage de la politique. Il

faut que les électeurs aient en eux la certitude que les

La science politique

39

distinctions entre les candidats relèvent de différences de

fond. Pour que cette certitude existe il a fallu un énorme

travail de socialisation (l'église, l'école, les clubs et les

partis y ont participé). Ces structures ont rassemblé les

électorats autour de signes qui forment autant de façons

d'agir et de penser.

La présence de ces labels partisans est ce qui autorise le

choix électoral.

Voter c'est être capable de qualifier des candidatures en

présence dans des termes politiquement construits. Les

partis politiques ont rationalisé l'art de capturer les

suffrages (meetings, tracts, campagnes électorales).

Maurice Duverger distingue partis de cadres et partis

de masse. Les différences sont visibles notamment sur la

question des moyens dont disposent les candidats pour

conquérir les moyens de domination politique :

Partis de cadres : payer les services d'experts en conseil pour

préparer les élections, payer des colleurs d'affiches,

commander des sondages…

Partis de masse : créer une organisation de masse regroupant

des militants animés par une cause qui vont gratuitement

apporter leurs services. Ils font le travail d'implantation et

contribuent au financement des campagnes politiques.

B-Le système des partis

1- Partis et divisions sociales

1-1Les relations entre les classes sociales et les entreprises partisanes

La science politique

40

Dans Les partis politiques, Maurice Duverger a bâti un

modèle d'analyse fondé sur un le processus de formation

des partis politiques.

les partis de cadres : nés à l'initiative des élus qui contrôlent

les ressources nécessaires à la conquête des mandats. Ils

sont faiblement structurés et largement décentralisés.

Les partis de masse : ce sont des organisations rigides et

décentralisées. Leur matrice sont les syndicats ouvriers. Ce

sont des organisations destinées à mobiliser le grand

nombre et à former des militants.

Cette typologie a le mérite de rapporter les conditions de

fonctionnement des partis à leur trajectoire sociale.

Martin Shefter (politologue américain) va se demander

sous quelles conditions un parti peut émerger et dominer

la vie politique d'une nation. Stratégie des leaders des

partis qui se lient avec la bureaucratie d'état. Ainsi ils

peuvent utiliser les ressources de l'état. C'est ainsi que

furent créés la plupart des partis centristes et

conservateurs en Europe. Quand les leaders des partis

n'ont aucune place dans la bureaucratie, les partis doivent

mobiliser les masses ( partis socialistes en Europe, partis

nationalistes dans le tiers-monde).

1-2 La logique de l'action partisane

Robert Michels (Les partis politiques) parle de la « loi

d'airain de l'oligarchie », pour lui il ne peut pas y avoir de

démocratie au sein des partis. Ces appareils produisent

toujours des permanents qui vont progressivement

configurer à leur profit les canaux de représentation du

parti.

La science politique

41

2- Partis et divisions politiques

2-1 Le multipartisme français

Le système français à partir de la Ve république se

caractérise par

1° une organisation du fait majoritaire (dès 1962) : d'où

plusieurs répercussions :

éclatement du centre

regroupement des pôles oppositionnels (la gauche va

devoir se réunifier pour espérer l'emporter)

2° un système partisan

Aujourd'hui les partis de gouvernement ne rassemble

plus que la moitié des suffrages contre les partis

protestataires qui continuent à séduire nombre de français.

Ce qui confirme la méfiance à l'égard des partis.

2-2 L'organisation partisane

La machine politique (Robert Michels)

Un parti est une entreprise de mobilisation, une structure

qui s'inspire de l'art militaire et qui a donc plus à voir avec

des formes d'autorité, délégation, subordination qui sont le

propre de l'armée qu'avec le jeu de la délibération, le

pluralisme (que l'on attendrait d'une formation

démocratique). Le parti n'est pas une instance de

délibération, un réservoir d'idées philosophiques, mais une

entreprise de conquête des suffrages et du pouvoir.

Le bossisme américain hier et aujourd'hui

La science politique

42

Michels a été clairvoyant quand il a mis en évidence que

l'existence des chefs est un phénomène inhérent à toutes

les formes de la vie sociale. Or cette existence est sur

plusieurs points incompatible avec le postulat de la

démocratie moderne.

Ce leadership dérive de l'immaturité objective des masses.

On peut dénombrer trois fonctions des partis politiques :

légitimer un système politique : ils contribuent à

pacifier l'expression des combats politiques et sociaux

favoriser l'organisation d'une relève politique : instance

de sélection de l'élite

Aux Etats-Unis entre 1880 et 1940 les partis

représentaient un formidable moyen d'intégrer les

populations immigrées. Ils proposent, à travers des

relations de clientèle, des motifs de s'intéresser à la

politique et d'accomplir son métier de citoyen. Le « boss »

est la figure du leader officieux qui exerce son pouvoir

sans responsabilité pour retirer du gouvernement local des

profits à la fois personnels et collectifs qui viendront

souder une communauté partisane.

Ex. : A New York, George Pulkitt se contentait de prélever

des « pots-de-vin honnêtes » qu'il redistribuait aux

nécessiteux.

Ces « boss » vont donner un soubassement matériel à la

relation électeur-élu. Des « machines politiques »

contrôlant des « banques de voix » sont ainsi créées. On

vote en suivant les injonctions de son chef. On monnaye

les votes contre des intérêts matériels. Ces machines ne

sont pas inattentives aux enjeux idéologiques et véhiculent

des thématiques proprement politiques.

L'Etat fédéral va prendre en charge l'organisation nationale

des votes avec de nouvelles techniques électorales (spots

La science politique

43

télé, sondages…), les partis politiques perdent alors leur

importance sociale : on va passer de campagnes d'une

forme intensive en capital humain à une forme intensive

en capital financier.

Ex. : 1880 Près de 2.5 millions de personnes sont

mobilisées pour les élections mais le coût est très modeste

(Lincoln est élu en engageant 100.000 $). Aujourd'hui,

quelques dizaines de milliers de personnes suffisent mais

les dépenses ne cessent d'augmenter.

3 Ressources collectives et individuelles

3-1 Le financement des campagnes électorales : le cas des Etats-Unis

La possession d'un patrimoine est la 1e condition pour

entrer en campagne. 1/5 des membres du Congrès sont

des millionnaires en $, 95% des candidats ayant emporté

un mandat de parlementaire étaient ceux qui avaient

dépensé le plus d'argent durant la bataille électorale.

Depuis 1976, la Cour Suprême a statué en affirmant la

limite de contribution des sympathisants et des comités

politiques mais en affirmant aussi qu'aucun plafond ne

peut être fixé aux contributions personnelles. C'est la porte

ouverte à l'inflation des dépenses et donc à une filière

ploutocratique d'accès aux mandats.

Le coût moyen d'un siège de sénateur entre 1980 et 1996

a été multiplié par 6 pour atteindre près de 4 millions de

dollars en moyenne, 6 millions pour les sénateurs sortants.

Le coût d'une élection à la chambre est passé de 80.000 $

à 550.000 $. La compétition politique est une compétition

financière aux Etats-Unis. En outre le taux de

monopolisation de la fonction élective s'est accru : 95%

des sortants sont réélus. La part des parlementaires ayant

La science politique

44

remporté plus de dix élections consécutives à la chambre

est passé de 2.3% en 1913 à 22% en 1971.

La compétition électorale est soumise à une

réglementation de type monopolistique. Le coût d'entrée

dans le jeu électoral s'élève, la prime au sortant se

renforce. Ce passage tient pour beaucoup à une

monétarisation croissante de l'exercice du ralliement des

suffrages. Ce n'est pas la compétition qui décline, au

contraire c'est la compétitivité qui, en s'intensifiant, limite

les conditions d'entrée sur le terrain électoral.

La publicité télévisée a fait son entrée en 1952 (campagne

d'Eisenhower). C'est un atout précieux qui permet de

devenir rapidement une figure familière. Les listes

électorales classent les électeurs d'après leur appartenance

à un parti politique, leur âge, sexe, participation électorale,

situation de famille, situation financière. Grâce à ces listes

le travail de démarchage devient plus simple, plus

systématique. Aux Etats-Unis, 2500 entreprises sont

spécialisées dans ce seul commerce (vente de listes

d'électeurs). Les candidats peuvent ainsi exclure tous les

segments non rentables. Depuis une quinzaine d'années on

estime ainsi que 60% du corps électoral inscrit ne reçoit

aucune information des candidats. Si on rapporte ce

nombre à l'ensemble des personnes en âge de voter il est

de 78%.

Autre pratique, le recours massifs aux consultants.

3-2 Le cas français

Jusqu'en 1988, les circuits financiers sont délaissés par le

législateur, il n'existe aucune réglementation en matière

de financement des partis. La loi du 11/03/88 institue un

La science politique

45

plafond pour les dépenses engagées par les candidats et

institue la tenue d'un compte de campagne.

Le financement public s'organise avec des conséquences

profondes : remboursement forfaitaire par l'Etat des

dépenses électorales réalisées par chaque candidat. En

1988, 1 milliard de francs ont été dépensés à ce titre. 10

millions de francs sont prévus pour le remboursement

forfaitaire des candidats n'atteignant pas les 5%.

Des limites ont été apportées au financement privé des

opérations des campagnes :

• plafond des dons des contribuables

• une personne ou une entreprise ne peuvent pas

financer plus de 10% d'un candidat

Puis ce statut a été modifié en janvier 1995 :

• interdiction des dons des entreprises

• dons des personnes privées limités à 30.000 francs.

Les dépenses électorales comprennent : les frais de

fonctionnement (QG de campagne), les réunions publiques

(voire fêtes électorales), les déplacements, les frais

d'édition, l'organisation de sondages. Les limitations

donnent lieu à la mise en place d'un véritable «

management » électoral.

C- Les groupes d'intérêt

1- Groupes et intérêts : la construction des causes

Les partis politiques sont spécialisés dans la production de

représentations générales et transversales aux classes et

La science politique

46

groupes sociaux. Le répertoire d'action des partis et celui

des groupes d'intérêts sont différents.

En France il existe quelques groupes d'intérêt mais c'est

une structure entourée de suspicion, réputée contraire à la

formulation de l'intérêt général. On passe donc sous

silence l'action de ces structures. Ces groupes sont soit des

syndicats, soit des associations de type loi 1901. Les

syndicats peuvent se voir reconnaître la présomption de

représentativité et être associés à l'action administrative.

La composante organisationnelle

Les associations les plus nombreuses sont celles qui

agissent dans le secteur sportif (9.4 millions), puis les

syndicats et associations professionnelles (4.5 millions

environ) ensuite les associations culturelles (3.5 millions).

La PCS la plus représentée est celle des gens aisés et

diplômés (1/3 des adhérents).

2- Réseaux d'intérêt et réseaux de pouvoir

Plusieurs critères sont nécessaires :

l'existence d'intérêts communs partagés par la majorité

d'un groupe et qui sont l'enjeu d'une politique

gouvernementale

les intérêts communs ne doivent pas être abstraits

une organisation structurée, cohérente, alliée à un

leadership

une motivation solidaire et militante au sein d'un

groupe, un sentiment de solidarité

La science politique

47

Aux Etats-Unis les lobbies s'affichent. Sur Washington

street, 50 bureaux sont établis par des groupes d'intérêt.

3-Le lobbying : essai de description analytique

Aujourd'hui 6/10 des américains appartiennent à une

organisation quelle qu'elle soit. Ces organisations

apportent une aide financière aux candidats aux élections.

En 1984 pour les présidentielles, les groupes d'intérêt ont

donné 110 millions de $.

La portée de ce travail peut avoir un plus ou moins grand

impact selon que les profits générés reviennent aux seuls

membres militants de l'organisation ou à tous les

professionnels du secteur concerné.

Il y a différents types de groupes : les « groupes veto »

(qui s'oppose à des réformes lésant leur groupe), les «

groupes de réforme » (qui assurent la promotion d'un

texte de loi).

Ces groupes marquent la renaissance d'un véritable néo-

corporatisme. Non plus le corporatisme classique (qui

voulait se substituer au législateur) mais le corporatisme

propre aux démocraties pluralistes (qui est plus en faveur

d'un partenariat).

Les groupes de pression offrent des capacités

d'encadrement, des aptitudes techniques et une expertise

dont l'administration profite. Ce sont parfois de véritables

communautés de politique publique qui prennent forme en

cogérant un secteur.

Michel Guibal souligne que 40% des textes de loi adoptés

entre 74 et 81 n'ont pas eu de décrets d'application,

notamment à cause de cette cogestion. Les groupes

La science politique

48

d'intérêt parviennent souvent à bloquer le processus

législatif.

Les moyens des lobbyistes varient selon les cas de figure :

• au Royaume Uni un député qui défend des intérêts

catégoriels doit le faire savoir au début d'une législature

par une déclaration publique

• aux Etats-Unis on sait ce que gagnent les lobbyistes

• en France ils n'existent pas, les pouvoirs publics les

ignorent

Pour les groupes d'intérêt il est important de savoir se

donner une force publique valorisée. Parmi les techniques

en expansion on compte l'organisation de colloques,

congrès, salons (1960 : 500 colloques organisés ; 1995 :

50.000).

La démonstration de masse reste une façon de se mettre

en valeur. De même que l'orchestration d'un scandale pour

faire parler d'une cause.

La science politique

49

Chapitre 5 :

Le métier politique

La problématique schumpetérienne part du profit pour

tenter de rendre compte de la cohérence des pratiques.

C'est une problématique qui s'appuie sur un postulat :

quand on proclame que les électeurs élisent leur député,

nous nous exprimons sans aucune précision, la vérité c'est

que ce sont les députés qui se font élire par les électeurs :

il existe des entrepreneurs en politique car l'action de

démarchage électif s'opère au sein d'un marché.

La naissance de l'entrepreneur politique

La « fin des notables » (Daniel Halévy)

Définition du notable

L'entreprise politique vient de la fin des notables. Un

notable c'est un amateur économiquement indépendant,

qui jouit d'une disponibilité, d'une légitimité qui repose sur

La science politique

50

un héritage familial dont la notoriété est liée à la magie

d'un nom. Michel Crozier corrige cette définition en disant

que ce qui fait un notable c'est plus une onction politique

qu'une origine sociale. Pour lui la notabilité est la

transformation d'un élu en un intermédiaire redouté de

l'administration et de la circonscription. Pour Tulesque, le

notable est celui qui consacre une domination

traditionnelle par le moyen de l'élection.

Les hommes nouveaux

Arrivée d'un nouveau personnel politique : la petite et

moyenne bourgeoisie et la classe ouvrière.

Evolution du personnel de la chambre des députés entre

1871 et 1945 :

Noblesse de 34% à 3%

Haute bourgeoisie de 36% à 18%

Moyenne bourgeoisie de 19% à 43%

Petite bourgeoisie de 8% à 19%

Classe ouvrière de 3% à 17%

Cette montée en puissance des classes moyennes a aussi

été constatée dans les ministères.

A- Les filières d'accès : la carrière politique (1870-1990)

1- Le recrutement politique

Il existe plusieurs voies :

La science politique

51

accès par la notabilité (« cursus honorum ») : repose

sur la mise en valeur de liens de clientèle territorialisés

accès par le militantisme : carrière plus lente, capitaux

moins personnels : accumulation de ressources

collectives dont l'intéressé va faire fructifier la valeur à

son profit, va symboliser les combats et les moyens. Le

capital associatif ou partisan permet d'accumuler un

savoir-faire, de faire état de sa capacité à parler,

d'utiliser une logistique.

accès par le centre : filière spécifique à la Ve république.

Des hommes politiques utilisent les ressources du

diplôme et des cabinets ministériels pour entrer en

politique. Rôle déterminant de l'ENA comme instance de

qualification. On ne naît pas politocrate, on le devient,

on doit valoriser son héritage.

2- La notion de ressources politiques

Naissance de savoirs faire spécifiques qui vont modifier les

règles du jeu électoral. On doit se présenter en public.

Ex. : Joseph Caillaux : entre en politique contre le Comte

de la Roche Foucauld en 1898 dans la Sarthe. Le comte ne

fait pas campagne, il est réélu depuis 1871. Caillaux

s'engage dans une campagne : tracts, tournée en voiture,

serre les mains, visite les salons, cafés, clubs sportifs… et

est élu. C'est le premier homme politique moderne.

Ces hommes vont remplacer leur capital primaire plus

faible par du capital collectif, associatif et partisan.

Pour être populaire ils ont recours à différentes pratiques :

- prodiguer des recommandations, appuyer des demandes

auprès de l'administration

La science politique

52

- donner des décorations

- accès privilégié à la manne ministérielle : subventions

- avoir des amis hauts-fonctionnaires, notamment dans la

préfectorale

Pour surmonter l'épreuve du jugement des électeurs et

rebondir plus facilement, les hommes politiques peuvent

détenir plusieurs mandats. Les députés cumulards étaient

63% en 1958, ils étaient 80% en 1967.

Un bon élu se fait reconduire dans ses mandats. 54% des

députés sont réélus deux fois ou plus.

Il y a trois filtres principaux à l'entrée en politique :

l'engagement idéologique (militantisme)

la sélection des candidats

les élections proprement dites

Mais il en existe d'autres :

le sexe (les femmes n'ont pas les mêmes chances

même si le monde politique s'est ouvert aux femmes -

effet inverse : la parité met plus de femmes sur le

devant de la scène)

l'âge (l'accès sera différent en fonction de l'image

socialement construite de l'appartenance à certaines

tranches d'âge - ex. : la tranche des 25-35 ans est 10

fois moins représentée qu'elle ne devrait l'être)

la position sociale (plus on s'élève dans l'échelle sociale

plus il est aisé de faire de la politique)

le diplôme (l'importance du diplôme est considérable

pour la réussite politique - en 1981 : 82% des députés

sont diplômés de l'enseignement supérieur)

Si on fait une radiographie du personnel politique, force est

de constater que des régularités sociales rendent compte

de a réussite électorale comme si « les dirigeants des

La science politique

53

partis se ressemblaient plus entre eux qu'ils ne

ressemblent à leurs militants » (Halévy).

3- Les stratégies électorales

Les règles de la compétition politique

L'élection est la concurrence arbitrée par le suffrage. L'un

de ses enjeux consiste à aménager les modalités du

décompte des voix à son avantage. C'est toute l'histoire

des modes de scrutin.

scrutin proportionnel : passe pour favoriser une

représentation fidèle des courants de pensée, une égalité

arithmétique de chaque voix.

scrutin majoritaire : permet plus facilement l'établissement

d'équipes susceptibles de diriger une communauté, idée de

stabilité. C'est un vote d'efficacité.

Le système de représentation à la proportionnelle n'a

cessé d'augmenter au XXe siècle. Avant 1918, 15% des

scrutins étaient proportionnels, aujourd'hui il y en a 70%.

En France les modes de scrutin ont changé neuf fois entre

1871 et 1986.

Chaque parti essaie d'aménager le scrutin pour en être le

bénéficiaire (ex. : PS impose des urnes transparentes et la

signature des listes d'émargement, le PC milite pour faire

mettre sur le bulletin un signe distinctif pour chaque parti

pour les illettrés).

Le 3e tour du scrutin se passe souvent devant le juge. 1/5

des élections sont annulées par le Conseil d'Etat.

Les élections c'est l'antithèse du recours à la force. Mais la

situation est culturellement paradoxale en France car la

démocratie est fondée par un acte de violence. Acte qui

suscitera des mimétismes (3 glorieuses, 1936, 1968). Le

La science politique

54

nombre de manifestations violentes est passé de 79 pour

mille au XIXe siècle à 105 pour mille au XXe siècle. Mais

c'est une violence qui est :

consacrée dans des lieux spécifiques (lieux de pouvoir)

de plus en plus pacifique (mise en scène)

de moins en moins tournée vers la prise du pouvoir (ex.

: mai 68)

La concurrence en politique devient elle aussi une

concurrence de routine, réglée avec ses échéances

régulières. La lutte devient compétition. Il y a un accord

tacite entre les acteurs politiques pour ne pas dépasser un

certain seuil de violence politique. Sérieux et modération

sont les maîtres mots. On parle du probable et non du

souhaitable (disparition de l'entrepreneur prophétique).

Pour qu'une démocratie soit consolidée il y a plusieurs

conditions :

que les chances de gain soient formellement réparties

par égalité

que les joueurs participent loyalement à ce jeu

(engagement à laisser le vainqueur s'attribuer les gains

du jeu)

qu'une forme d'alternance permette à chaque joueur de

limiter l'appropriation des règles du jeu par l'un des

participants

C'est l'idée que recourir à la violence ne doit pouvoir

procéder que d'une absence de choix : on est violent car

on ne peut faire autrement.

Une loi sociologique se dégage, c'est l'idée que plus

la perspective pour un parti politique paraît éloignée

d'accéder aux positions de pouvoir dans un état donné des

rapports de force au sein du champ politique, plus cette

perspective est constituée en prophéties sociales. Au

La science politique

55

contraire, plus un mouvement va accéder à des gains dans

le jeu électoral, plus il va rationaliser ses stratégies,

pacifier son discours.

Dans son Tableau politique de la France de l'ouest,

André Siegfried parle de l'existence de tempéraments

politiques régionaux qui se transmettraient de génération

en génération

Troisième partie Les institutions politiques

Chapitre 6 – La Ve République dans l’Histoire.

A- Panorama de l’histoire constitutionnelle de la France.

1- 1789-1875

1789 a-t-elle été un vrai départ ? Non : une continuité,

tout avait été préparé auparavant, tout ce qui avait été

généré n'a pas péri (thèse de Furet et Tocqueville).

1-1 Ancien régime et Révolution.

Il n'y avait pas de constitution formelle sous l'ancien

régime. Au sens matériel, cependant, il existait quelques

principes de droit constitutionnel, réunis dans une théorie

La science politique

56

statutaire, implicites ou explicites, davantage produits par

la tradition et les coutumes que par la loi. Exemples :

1. Le roi ne meurt pas en France (il en existe toujours un ;

le sacre n'est qu'un protocole); l'adage “le roi est mort,

vive le roi ” a été prononcé sous François 1er et gardé par

ses successeurs.

2. Le roi est toujours majeur ; s'il y a une régence, elle se

fait au nom du roi, pour éviter tout conflit.

3. La couronne de France est indisponible : le roi est

propriétaire du royaume, mais pas de la couronne, qui est

une charge dont il est titulaire. En conséquence, le roi ne

peut pas abdiquer, il doit assumer sa charge (problème de

Charles VI, qui était fou) ; il n'a pas droit de déshériter le

successeur (principes de primogéniture mâle), ni de

renoncer à sa charge (problème de Henri de Navarre).

4. Le roi n'est pas tenu des obligations de ses

prédécesseurs ; en contrepartie sa parole financière n'a

aucune valeur.

5. Le principe de catholicité du prince existe depuis les

Etats généraux de Blois en 1588. “Jus regio, ejus religio ”

Þ la région a la religion de son prince, disait Luther,

protestant. Ce principe est une des causes de guerre de

religion en France ; il est aussi à l'origine de l'édit de

Nantes. En 1593, Henri de Navarre (IV) a dû abjurer.

La science politique

57

Etats généraux : système de représentation du pays

apparu sous Philippe Le Bel en 1302 avec les trois Etats.

Son objectif était de faire prendre conscience au peuple

des problèmes de la nation et de solliciter son concours

face aux problèmes, notamment en consentant de verser

des impôts. Les Etats généraux ont beaucoup été sollicités

pendant la guerre de 100 ans, c'est-à-dire au XIVe et XVe

siècle. Ils avaient également pour souci de réunir toutes

les classes et toutes les religions. La dernière convocation

avant la révolution française date de 1614. Les états

généraux auraient pu déboucher sur une évolution de type

britannique mais cette évolution n'a pas eu lieu à cause de

la personnalisation du pouvoir. Il n'y a pas eu de

parlementarisation la cause de l'absolutisme du roi, tant en

politique qu'en administration et en économie, malgré le

progressisme des juges qui achetaient leur charge et

défendaient le tiers Etat.

Il y a donc toujours eu une source d'opposition à la

puissance royale, résorbée par acceptation populaire de la

monarchie et respect pour le roi. (Montesquieu avait une

théorie sur le pouvoir, Voltaire avait une théorie contre

l'absolutisme, Rousseau en avait une sur la liberté et la

représentation des citoyens). La Grande-Bretagne, avec

les mêmes composantes, s'en est sortie plus calmement.

Un paradoxe pour Louis 16 est d'avoir soutenu les rebelles

américains pendant la guerre d'indépendance,

s'autodétruisant, provoquant une rupture brutale entre la

monarchie et la République.

L'instabilité du mode de gouvernement du roi et la crise

économique due aux mauvaises récoltes en 1787-88, les

La science politique

58

gouvernements très changeants, et l'idéologie des

lumières ont constitué un explosif. La réunion des états

généraux en 1789 a été le détonateur. Louis 16 a lui-

même mis feu aux poudres de la révolution, avec mise en

cause des privilèges, des impôts, des droits et des libertés.

Il y eut plusieurs cahiers de doléances par ordre et par

circonscription. Les principales revendications portaient sur

une baisse d'impôt.

Un pamphlet de Sieyès disait : “ Qu'est-ce que le tiers Etat

: tout. Qu'est-il aujourd'hui : rien. Qu'aspire-t-il à devenir

: quelque chose. ” Honneur, excitation, crispation,

mécontentement, colère, révolte. Le problème majeur qui

se pose est celui de savoir si le vote doit être fait par ordre

ou par tête. Pour le peuple, la tradition est dépassée,

l'autorité de Louis 16 est contestée, donc Louis 16 renvoie

les Etats généraux. Le tiers Etat quitte la salle du manège

pour celle du jeu de paume, où il fait serment de donner

une constitution à la France le 20 juin 1789.

La souveraineté devient nationale, le roi prenant la place

que la nation lui donne. Très vite, l'Assemblée nationale

devient Assemblée nationale constituante, car la France a

besoin d'une constitution pour proclamer les droits. La

déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août

ne consacre pas les droits, mais en proclame l'existence.

Les privilèges ont été abolis la nuit du 4 août (cf. article

premier de la DDHC). La déclaration aspire à l'universalité,

l'altruisme, mais en pratique ce ne fut pas le cas.

(Quelques noms : Mirabeau, Sieyès, Tallerand).

La science politique

59

L'article 16 de la DDHC définit ce qu'est une constitution,

donc les dictatures n'ont pas de constitution. En

conséquence, à l'époque, du fait qu'il n'y avait pas

d'exemple de constitution dans la tradition française, les

constituants durent créer une constitution ex-nihilo, sur la

base de la séparation des pouvoirs (Montesquieu : “ seul le

pouvoir arrête le pouvoir ”) législatif, exécutif et judiciaire.

Les sources d'inspiration historique : la république

romaine, la démocratie spartiate, les écrits d'Aristote,

Plutarque, Epicure et Solon... mais tout reste flou.

Les sources d'inspiration géographique : l'organisation

équilibrée entre les libertés et le pouvoir en Angleterre,

son système représentatif élu (pas encore au suffrage

universel) et le principe de "checks and balances" ont

séduit les constituants français. Mais l'invention majeure

de l'Angleterre reste celle de la responsabilité politique (la

chambre des représentants a le pouvoir de renverser le

gouvernement ; cf. North). Autre exemple : les Etats-Unis,

société fondée sur la raison, avec sa constitution.

La constitution française a été le choix de produits et

d'exemples successifs, parfois même de non-choix,

d'improvisation dans le choix du monocamérisme ou du

bicamérisme (bicamérisme pour les monarchiens, mais

choix par vote pour le monocamérisme, unité pour

gouverner face au roi).

11 septembre : question du droit de veto :

- aucun ;

La science politique

60

- absolu ;

- relatif avec le renversement par référendum ;

- suspensif (2 législatures).

C'est à cette époque qu'est apparu le clivage droite/gauche

(lors d’un vote désordonné, le président de séance ayant

demandé aux votants de se séparer entre pour et contres).

Résultats : 673 voix (contre 235) font pencher la balances

en faveur du veto suspensif, pour introduire implicitement

un appel au peuple (un substitut de référendum).

En mai 1789, une troisième querelle déchire l'Assemblée :

elle porte sur le statut des ministres. Cette fonction doit-

elle être cumulable avec celle de député ? Les

monarchistes sont en faveur du cumul, prenant pour

exemple la Grande-Bretagne. Les opposants clament que

le principe de séparation des pouvoirs doit être respecté et

donc les fonctions législatives et exécutives ne doivent pas

être cumulables. De plus, une des spécificités de

l'Assemblée constituante est que ses députés ne sont pas

éligibles une seconde fois, d'après une décision de mai

1789. Le veto suspensif est un échec pour Mirabeau,

montre la volonté de subordination de l'exécutif au

législatif, et renforce la crainte du peuple face à l'exécutif,

toujours proche du roi. Le régime parlementaire se forme.

Le 5 octobre 1789, c'est la marche des femmes sur

Versailles. Le roi est ramené de force à Paris. Il n'est plus

respecté, dépend de l'Assemblée nationale et du peuple.

Cette marche est la consécration de la confiscation de la

La science politique

61

souveraineté royale. Un décret du 8 octobre déclare que le

roi de France et de Navarre devient roi des français. La

crise politique s'instaure.

Pour pallier la crise économique, l'Assemblée nationale

décidait d'élaborer, le 12 octobre, la constitution civile du

clergé, car cet ordre est le principal détenteur de la

richesse nationale. Le clergé nationalisé perd ses

richesses. Les prêtres réfractaires sont poursuivis,

martyrisés, tués. La crise devient religieuse (surtout en

Bretagne et en Vendée).

En juin 1791, la loi Le Chapelier contre les corporations

bannit toutes les organisations collectives, donc sociales et

politiques ou éviter toute opposition.

Le 20 juin, le roi part pour rejoindre les régiments

royalistes dans l'est puis sa famille à l'étranger. C'est la

fuite vers Varennes, où il sera rattrapé puis ramené à

Paris. L'idée de patrie n'existe pas encore à cette époque.

Mais pour l'Assemblée nationale, cette fuite est une

trahison et révèle un aveu, montrant que le roi attendait

l'heure pour rétablir la monarchie. Dès lors, il devient

franchement impopulaire.

Après promulgation de la constitution de 3 octobre, le roi

la sanctionne le 13 septembre prête serment le lendemain.

La constituante a fini son travail. La nouvelle Assemblée

est prête depuis le mois de juin : c'est la législative

(septembre 1791 à août 1792).

La science politique

62

La Législative.

Elle est hypothéquée dès ses débuts par un problème de

recrutement, les députés précédents ne pouvant pas être

réélus. L'élection se fait au suffrage censitaire, car

l'Assemblée refusa la souveraineté du peuple pour faire

diriger la nation ; un niveau d'éducation et de

rémunération suffisant sont exigés pour assumer cette

charge de première Assemblée constitutionnelle française.

Quasi omnipotente, elle laisse juste au roi le droit de veto

et celui de choisir ses ministres. À la même époque débute

la fuite les nobles et des réfractaires. À chaque décret

contre cette émigration, le roi exerce son veto. La situation

s'envenime, la menace extérieure approche car les autres

monarques Européens ne veulent pas de la révolution dans

leur pays.

Un décret du 11 juillet 1792 déclare la patrie en danger.

C'est la naissance de la notion de patrie. Le 25 juillet, le

manifeste du prince de Brunswick fait savoir aux français

que Paris brûlera si le roi est atteint. Ceci ne fait

qu’augmenter l'hostilité populaire contre le roi et contre la

Prusse. Le 10 août un, malgré les menaces, 47 des 48

sections de Paris votent la déchéance du roi. Louis 16

cesse d'être le roi ; la France n'est plus une monarchie : la

république va succéder.

Il aura fallu à peine trois ans pour détruire la plus grande

monarchie du monde ; même la monarchie

constitutionnelle choit, la législative perdant son support.

La science politique

63

La convention.

Le 11 août, des assemblées électorales sont convoquées

pour nommer les futurs conventionnels. Un tribunal pénal

est instauré. Au début du mois de septembre ont lieu les

massacres dans les prisons parisiennes, résultats de

pulsions insurrectionnelles inhérentes à la révolution. Le 20

septembre, la France fête de la victoire de Valmy. Le 21, la

royauté est formellement abolie. Seule une constitution

adoptée par le peuple est valable. Le 22 septembre 1792

est fêté l'an 1 de la République ; le calendrier républicain

succède au calendrier Grégorien. La République française

et déclaré une et indivisible pour la première fois le 25

septembre ; c'est la première affirmation péremptoire et

solennelle de l'unité du pays, un début de centralisation.

NB :Août 92 à février 93 : c'est la période girondine. De 93

à 95, c'est la période Jacobine ou montagnarde.

En décembre 1792, Robespierre demande la mort du roi.

Après son procès, Louis 16 sera décapité le 21 janvier

1793. La division est définitive entre révolutionnaires et

traditionalistes. Dès le mois de mars, l'insurrection en

Bretagne et en Vendée commence.

Les girondins sont partisans de la modération et du

développement des pouvoirs locaux. Pour cela, il faut un

nouveau texte constitutionnel. La constitution de l'an un

est promulgué le 15 février. Caractéristiques : le législatif

La science politique

64

plus fort que l'exécutif, le régime est monocamériste et

utilise toujours le suffrage censitaire élargi. L'auteur

principal fut Condorset. Malheureusement, le projet ne

sera jamais appliqué. En effet, le 1er avril, l'inviolabilité

inhérente à la fonction de député est suspendue. Tous

peuvent être poursuivis, arrêtés, voire tués.

Le 6 avril, l'Assemblée crée le comité de salut public, qui

va vite chapeauter tous les pouvoirs. À la fin du mois de

mai ont lieu des manifestations contre les girondins. Début

juin, les girondins sont évincé de l'Assemblée, plusieurs

sont même guillotinés.

La constitution montagnarde l'an II permet le suffrage

universel, l'affirmation des droits, l'abolition de l'esclavage

entre autres ; c'est la plus démocratique de toutes les

constitutions françaises. La souveraineté devient populaire.

Le problème est que l’absolutisme du comité de salut

public mené par Danton et Robespierre transforme la

République en dictature soi-disant provisoire. Cette

période de la terreur et de la vertu : la terreur contre les

ennemis de la révolution, la vertu pour les amis de la

révolution, justifiant l'utilisation de la terreur, puis de la

grande terreur en juin 1794 (décret de Prairial).

Le 8 thermidor An II, Robespierre fait un discours dans

lequel il dit qu'il y a des opposants à la révolution dans la

convention. Mais il ne donne pas de nom, et sème l'émoi

parmi ses compagnons. Le lendemain, 29 juillet 1795,

Robespierre est mis hors-la-loi. Le 30, Robespierre, Couton

et Saint-Just sont guillotinés. C'est la fin de la convention.

La science politique

65

Aucune constitution n'aura été appliquée. En tout cas, la

constitution de 93 restera un modèle démocratique.

1-2 Le bouleversement continu.

Le directoire (la constitution de l'an 3). (modèle pour la

constitution helvétique.)

Les exilés Talleyrand et Sieyès sont de retour. L'innovation

principale réside dans le bicamérisme afin d'empêcher les

erreurs du passé ; les nouveaux députés prônent

davantage la sagesse que la division ; sont créés :

- un conseil des 500

- un conseil des anciens.

La représentation est donc dissociée ; l'initiative des lois

appartient au conseil de 500, les anciens discutent les

projets et les mettent en forme, les 500 votent enfin ou

rejettent le texte. L'exécutif, sous l'autorité des deux

Assemblée, se compose du directoire : cinq membres

nommés par le législatif. Le directoire dispose du pouvoir

réglementaire et de l'aide d'un gouvernement. La réalité

de la souveraineté populaire a disparu ; c'est le retour au

suffrage censitaire. La nouvelle constitution ne met pas fin

au désordre : soulèvement des royaliste, des

conventionnels, propagation de la guerre. Talleyrand,

ministres des relations extérieures, refait surface dans le

gouvernement. En tout cas, le directoire fait de plus en

plus appel à la force armée (développement de la

La science politique

66

conscription) pour réprimer tout mouvement de rébellion.

Les chefs de l'armée ont beaucoup d'occasions de se faire

valoir. Bonaparte, par exemple, s'est illustré en tant

qu'artilleurs lors du massacre à St-Roch (1° arr. de Paris).

Il était considéré comme un général conventionnel au

caractère fort. Le gouvernement faisant trop appel à

l'armée, celle-ci finit par se dire qu'elle ferait le travail

aussi bien et voire mieux que lui, et c'est ce qui introduit le

coup d'État. En 1799, Lucien Bonaparte devient président

du conseil des 500, ce qui facilite la prise de pouvoir de

Napoléon le 18 Brumaire an VIII (9 novembre 1799), coup

d'État réussi avec l'aide de Talleyrand.

Le consulat, l'empire (1799 à 1814).

Dès le 19 Brumaire, Napoléon instaure le consulat,

symbole romain de la République. Le consulat se compose

de trois consuls. Sieyès est désigné par Napoléon pour

citer le premier consul : c'est Napoléon lui-même, alors

que Sieyès aurait voulu cette place. Ce consulat donne

naissance à la constitution de l'an VIII. l'Exécutif

réapparaît. Un régime de quatre Assemblées se met en

place :

le tribunat discute les lois,

le conseil législatif les vote,

le Sénat est gardien de la constitution,

le conseil d'État en contrôle la validité.

La science politique

67

Vu par Talleyrand, les trois consuls sont appelés hic, haec

et hoc (lui pour Napoléon, elle pour Cambacérès le

tendancieux, ça pour l'ineffable Ducaux). La division du

législatif affaiblit les assemblées. Les consuls sont nommés

pour dix ans. Napoléon, premier consul, s'arroge les droits

les plus importants, notamment celui de questionner le

peuple - analphabète et inexpérimenté démocratiquement.

Napoléon crée les lycées, l'école polytechnique, la légion

d'honneur, le conseil d'État, le préfet et organise

l'administration, invente le Code civil. C'est ce texte, plus

que la constitution, qui donne sa physionomie à la France

en régissant le mariage, l'héritage égalitaire... Les classes

révolutionnaires et prolétaires s'opposent au Code civil

jugé bourgeois, car il permet de développer la propriété

mais anéantit les petits héritages.

Le 8 mai 1802, Bonaparte déclare être consul pour encore

dix ans.

Le 10 mai, il se fait consul à vie ; il concentre tous les

pouvoirs.

18 mai 1802 : senatus consulte ; Bonaparte, en créant

l'empire, devient Napoléon premier. L'exécutif a écrasé le

législatif (retour au calendrier grégorien).

Couronnement, concordat, guerres défaites.

Les coalitions européennes profitent de la retraite pour

attaquer ; la France est saignée par les guerres

napoléoniennes. Le 30 mars 1814, Paris capitule.

La science politique

68

2 avril : le Sénat proclame la déchéance de Napoléon. Le

4, le conseil législatif fait de même. Le 6 avril, Napoléon

abdique pour soit disant laisser place à son frère roi de

Rome. Il s’exile sur l'île d'Elbe. Les Bourbon reviennent en

France.

La Restauration.

Le successeur de Louis XVI est son frère, le comte de

Provence, appelé Louis XVIII. Il a le soutien d'une coalition

royaliste intérieure menée par Talleyrand. La royauté

cherche à prendre sa revanche. Louis 18 propose sa charte

le 14 juin 1814 ; elle illustre une synthèse difficile entre

monarchie et principes modifiés depuis 1789. Par exemple,

elle ne remet pas en cause le mariage, confiscation, le

bicamérisme du Parlement. Le Parlement est constitué

d'une Assemblée aristocratique appelée chambre des pairs

et d'une Assemblée élue appelée chambre des députés

(qui durera sous ce nom jusque sous la troisième

république). Les députés sont élus pour sept ans au

suffrage censitaire ; il faut avoir plus de trente ans et

payer plus de 300 francs-or d'impôts par an pour pouvoir

voter. L'exécutif est dans les mains du roi ; il propose,

promulgue et sanctionne la loi. De plus, le roi a le pouvoir

de dissoudre la chambre basse. Ce système s'apparente au

système britannique. Il est très influencé par les

ultraroyalistes.

La science politique

69

100 jours - acte additionnel aux constitutions de l'empire

du 22 avril 1815 (constitution appelée la benjamine, du

nom de son rédacteur Benjamin Constant).

L'acte reprend plusieurs principes de la charte comme le

bicamérisme indépendant de l'exécutif, et réinstaure le

suffrage universel. C'est l'empire selon la charte, une

forme de libéralisation de l'empire. En juin 1815, Napoléon

livre sa dernière bataille à Waterloo. La défaite est

cuisante, c'est la fin des cent jours, Napoléon est exilé sur

l'île Sainte-Hélène, où il finira ses jours.

Restauration (II). Même texte que 1814.

La France subit le contrecoup des cent jours : la terreur

blanche persécute les sympathisants au régime

napoléonien. Mais la création d'un système

gouvernemental pacifique permet d'éviter les exactions

(Villèle, le duc de Richelieu). La première majorité est

composée d'ultraroyalistes. La seconde est faite de

modérés. Chaque fois, le gouvernement dut s'adapter à la

majorité, et quand elle n'était pas d'accord, elle avait

moyen de renverser le gouvernement. À cette occasion est

née la responsabilité politique du gouvernement. Une fois

Louis 18 mort, la couronne revient à Charles dix. Celui-ci

voulu, avec le soutien des ultra, renouer avec l'ancien

régime. Charles dix fut le dernier roi à avoir été sacré à

Reims. En 1827, Charles dissout l'assemblée, fit des pairs,

La science politique

70

vit tomber ses gouvernements et en choisit toujours de

plus réactionnaires (Villèle, puis Martignac, puis Polignac).

En juin 1830, lors d'un renouvellement de la chambre, une

majorité défavorable au roi se forme. Il redissout. Le 25

juillet, il rédige les lois scélérates qui abolissent les

libertés. Une révolte éclate les 27, 28 et 29 juillet (“less

trois glorieuses ”). La monarchie chute jusqu'à l'arrivée de

Louis-Philippe : c'est la monarchie de juillet.

La Monarchie de juillet.

Du fait de la formation de quatre groupes politiques

(républicains, bonapartistes, légitimistes et orléanistes) et

d'une querelle familiale, le trône de Louis-Philippe n'est

pas stable. Droit propose sa charte le 14 août 1830. Par sa

forme, elle ressemble à celle de 1814 (1 roi, deux

assemblées, le suffrage censitaire) mais elle contient des

différences de fonds substantielles : la souveraineté

redevient nationale, introduisant une forme de “monarchie

révolutionnaire ”. En décembre 1830, le roi abolit la pairie

héréditaire. En conséquence, tout les royaliste légitimistes

sont dégagés ; le roi se réserve le droit de nommer les

pairs à vie (donc une majorité d'orléanistes).

Orléanisme: régime parlementaire dualiste dans lequel le

roi n'est qu'un représentant de la nation souveraine, avec

le Parlement. Le gouvernement est responsable devant

l'Assemblée et devant le chef d'État. Le gouvernement a

donc besoin de la confiance de ces deux institutions pour

gouverner. Le dualisme est un bon concept, mais en

La science politique

71

pratique il se révèle instable. La période et donc

modernisatrice, tant sur le plan politique qu'en économie,

du fait de la seconde révolution industrielle (abolition de la

censure, libéralisation économique). Apparaissent alors des

revendications libérales que le roi n'était pas prêt à traiter.

De plus, la naissance d'un prolétariat urbain, le début de

l'exode rural, les conditions de vie et de travail inhumaines

amènent des revendications beaucoup plus violentes des

ouvriers des faubourgs des villes (création de mouvements

politiques et sociaux). À contestation violente, répression

violente.

À la fin de l'année 1847, les républicains organisent des

banquets, symbole du contre-pouvoir, implicitement

condamnés par le souverain. Si bien qu'en janvier 1848, le

gouvernement interdit un banquet dans Paris ; le banquet

a quand même lieu le 22 février et une révolte éclate.

Guizot, chef du gouvernement, démissionne. Plusieurs

manifestants sont fusillés.

Le 24 février 1848, Louis-Philippe doit abdiquer ; il fuit. La

monarchie quitte définitivement la France. Un

gouvernement provisoire est formé et la République est

autoproclamée. La chambre des députés est dissoute ; la

chambre des pairs est interdite de réunion. Tous les

fonctionnaires son déliés de leur serment à Louis 18. Le

suffrage universel est rétabli. Le 4 mai, l'Assemblée

nationale constituante se réunit. Elle présente la nouvelle

constitution le 4 novembre 1848 (promulguée le 12).

La science politique

72

La deuxième république.

Elle innove en instaurant la séparation stricte des pouvoirs

; la dissolution et la motion de censure disparaissent.

L'exécutif est entièrement remis au chef de l'État, le

législatif à une Assemblée unique de 750 membres élus au

suffrage universel direct pour trois ans. Le président de la

République est élu au suffrage universel direct pour quatre

ans (est appelé électeur tout homme de plus de vingt et

un ans jouissant de tous ses droits civiques) ; il est unique

chef de l'exécutif. Parfois, il doit collaborer avec le conseil

d'État, sur lequel il a déjà une bonne emprise.

Le 10 décembre 1848, Louis Napoléon est élu président de

la République (après l'abrogation d'un amendement d'une

loi interdisant aux familles ayant régné sur la France de

prétendre à cette fonction). En janvier 49, conformément à

l'article 70 de la constitution, il nomme un vice-président.

Les premières élections législatives de la deuxième

République ont lieu le 13 mai 1849.

La création d'un président du conseil met dans la balance

le type de régime et l'exercice du pouvoir. C'est pourquoi,

le 31 octobre, Louis Napoléon supprime ce titre. Le régime

est résolument présidentiel, le gouvernement n'a pas

d'existence. Louis Napoléon centralise le pouvoir, réduit les

libertés, réglemente la création des associations, et

restreint le suffrage par plus de conditions. La

consolidation du pouvoir tend alors à autocratie. Mais la

constitution prévoit que le président n'est pas rééligible.

La science politique

73

Louis Napoléon supprime alors la République par un coup

d'État le 2 décembre 1851, sans rencontrer de résistance,

si ce n'est celle d'une élite républicaine parisienne sans

pouvoir. 20 décembre : plébiscite des français qui donnent

leur soutien et légitiment sa prise de pouvoir. (Nouvelle

constitution le 14 janvier 1852). Fin de la deuxième

République (qui aura donc duré 4 ans).

Second empire (proclamé le 2 décembre 1852).

Louis Napoléon devient Napoléon III, empereur. Il crée

trois assemblées : un conseil d'État qui fait la loi, un Sénat

inamovible gardien de la constitution, un corps législatif de

260 députés élus pour 6 ans, qui vote la loi.

Seul objectif : diviser pour régner. L'exécutif est concentré

dans les mains de l'empereur qui nomme les ministres,

propose et promulgue les lois, organise les plébiscites. Ce

type de gouvernement est appelé césarisme à aspiration

démocratique vu le suffrage universel.

1861: début de l'empire libéral, consensus pour ancrer

l'empire pour sa descendance (montée en puissance des

assemblées et montée en autonomie progressive du

gouvernement). 1867, indépendance du Sénat. 1868,

libéralisation de la presse et du droit de réunion.

Dans le même temps, Bismarck fomente la guerre contre

l'empire. À l'automne 1869, les réformes prennent fin ; le

régime parlementaire strict est instauré. En janvier 1870,

La science politique

74

Ollivier, pourtant fervent opposants du second empire,

entre au gouvernement. Tout est en place pour permettre

l'évolution des institutions à la britannique.

Mais, pour la troisième fois de l'histoire, l'édifice s'écroule

pour cause de guerre. Le 19 juillet 1870, la Prusse

(Guillaume I et Bismarck) déclare la guerre à la France. Le

2 septembre, l'armée française est terrassée et capitule à

Sedan. Le 4 septembre on proclame la République (début

officieux de la Troisième République). Le gouvernement

provisoire est mené par le Général Trochu. La France perd

l'Alsace et la Lorraine au traité de Francfort. En janvier

1871, c'est Paris qui capitule ; l’armistice est signé.

Le 8 février 1871, les élections législatives dégagent une

majorité favorable à la paix, composée de 182 légitimistes

(Pro-Bourbon), 294 orléanistes et 230 républicains

(gauche), mais qui ne reflète pas l'opinion publique. Thiers

devient chef de l'exécutif (le 7 février) ; il doit

s'accommoder de la résistance. Mais le 18 mars 1871

éclate la commune de Paris, une guerre civile localisée. Sa

répression et l'une des plus violentes de l'histoire. Paris a

été écrasé. Le calme le revenu, il faut déterminer la forme

de l'État. Les monarchistes sont aussi puissants que les

républicains. Le comte de Chambord, petit-fils de Charles

10, publie un manifeste ultraroyaliste utopique (6 juillet

1871), car il ne voulait pas être roi. Les royalistes

choisissent alors de gagner du temps et par une loi du 31

août (appelée loi ou constitution Rivet), ils donnent à

Thiers le titre de Président de la république. En attendant,

ils fabriquent une constitution facilement adaptable à la

monarchie.

La science politique

75

Le 18 mars 1873, la loi de Broglie instaure le "cérémonial

chinois", une procédure ultracompliquée pour que le

président ne puisse pas se rendre au Parlement (le

président Thiers étant trop influent à cette époque). Cette

mesure est encore valable actuellement, et les messages

sont lus puis débattus le lendemain. Le 24 mai, Thiers

démissionne, remplacé par le maréchal de Mac-Mahon,

très arrangeant et monarchiste.

En septembre, la Prusse se retire de la France. Les

tentatives de putsch s'accumulent pour tenter de restaurer

la monarchie. En novembre 73, la durée de la présidence

est fixée à sept ans, pour donner le temps au comte de

Chambord de se décider à monter sur le trône (ou bien de

mourir).

La Troisième République (début officiel).

En 1875, la nécessité se fait enfin sentir de donner des lois

constitutionnelles à la France, quatre ans après la chute de

l'empire. La constitution a été républicaine par hasard :

le 24 février 1875, une loi sur le Sénat comprend le

mot président ; à une voix de majorité, un

amendement ajoute de la République.

Le 25 février paraît une loi sur l'organisation des

pouvoirs publics.

La science politique

76

Le 16 juillet, une loi fixe les rapports entre les

pouvoirs publics.

Ce n'est donc pas une constitution, mais trois lois

constitutionnelles qui prévoient un régime parlementaire

bicaméral, composé d'une chambre des députés (500 à

600 députés, élus au scrutin uninominal majoritaire à 2

tours, pour 4 ans. Age minimum : 25 ans) et d'un Sénat

(300 sénateurs, ¼ cooptés et ¾ élus au scrutin de liste

indirect départemental pour 9 ans, renouvelable par tiers.

Age minimum : 40 ans). Seule la chambre basse peut-être

dissoute avec l'autorisation du Sénat. Le bicamérisme est

égalitaire. Pour l'exécutif, le président de la République est

élu à la majorité absolue pour sept ans par les deux

chambres réunies en assemblée nationale. Il promulgue

les loi, négocie et ratifie les traités... mais tous ses actes

doivent être contresignés par les ministres ; le Président

est irresponsable. Le gouvernement est responsable

devant le Parlement.

Aux élections de 76, les monarchistes perdent du terrain.

L'acte de naissance de la République est la crise du 16 mai

77 : Mac-Mahon fait des reproches au chef du

gouvernement, disant qu'il a autant besoin du président

que du Parlement. Ce faisant, Mac-Mahon tente

d'introduire un régime dualiste ; le président prétend avoir

autant de pouvoir que le Parlement, dans la perspective

d'une restauration. Mais le président est élu par le

Parlement. En réaction, le Parlement déclare qu'il refusera

tous les chefs de gouvernement que le président

présentera, pour conserver un système moniste. Les

institutions se bloquent.

La science politique

77

Le 25 juin, Mac-Mahon dissout l'assemblée, les électeurs

se prononcent en faveur d'une majorité républicaine

menée par Gambetta. Le même phénomène se renouvelle

en janvier 1879 lors du renouvellement d'un tiers du

Sénat. Mac-Mahon démissionne ; Jules Grévy lui succède.

Grévy déclara le 6 février 1879 qu'il n'entrerait jamais en

conflit avec la volonté nationale, renonçant donc à une

partie de ses pouvoirs (on parle de constitution Grévy). La

troisième République a été le régime le plus durable.

2- 1875-1958

2-1. L'avènement de la République.

La troisième République est restée inégalée, tant par sa

durée que par son importance. Elle est appelée “âge d'or

des libertés ”, surtout pour libertés collectives qu'elle a

développées dans les années 1880 :

29 juin 1881 : libertés de réunion et de

manifestation

29 juillet 1881 : liberté de la presse et de

l'imprimerie

1884: administration des communes, instruction

laïque gratuite et obligatoire (loi Ferry)

1901: liberté d'association

La science politique

78

1905: loi de séparation de l'église et de l'État

La troisième République a permis de recomposer

géographiquement et d'unifier socialement la France

pendant la première guerre mondiale, et ce, malgré une

instabilité parlementaire des gouvernementale certaine.

Il n'y avait donc que deux issues : la dérive ou la réaction

sanctionnée par le renversement mais pas la dissolution,

considérée comme suspecte depuis son utilisation par Mac-

Mahon. Si le Parlement n'avait plus de raison de craindre

la dissolution, il n'avait plus de raisons non plus de

respecter les règlements etc., et même si parfois l'union

était solide (cf. 1905 avec la loi de séparation de l'église de

l'État, derrière Combes; cf. la première guerre mondiale),

l'État a été globalement instable. Le bicamérisme égalitaire

pouvait bloquer les procédures facilement.

De plus le gouvernement était responsable devant la

chambre des députés et le Sénat, par malfaçon des lois de

1875. Le président de la République n'avait aucun pouvoir

stabilisateur.

Dans l'entre-deux-guerres, la France a mis du temps à se

reconstruire, l'Allemagne n'ayant payé les réparations.

Dans les années 30, seuls la Belgique, le Luxembourg et la

Suisse ne présentaient pas de danger ; le moyen de

protection envisagé était obsolète avant même d'être

construit (la ligne Maginot).

La science politique

79

1924-25 : cartel des gauches

1936: front populaire (gouvernement Blum) Þ la même

assemblée votera les pleins pouvoirs le 10 mai 1940 au

maréchal Pétain.

5 septembre 1939 : déclaration de guerre de l'Allemagne

contre la France.

Malgré des moyens militaires pour répondre cette attaque,

le pouvoir est donné au gouvernement de Vichy. À peine

formé, celui-ci demande l'armistice, le 17 juin 1940.

L'appel du général de Gaulle le 18 juin fut peu écouté,

mais la France libre se forme et se renforce à Londres.

Deux régimes coexistent :

- le régime de Vichy : la seule dictature militaire fasciste

que la France ait connue ; l'article unique de la loi du 10

juin 1940 “donne tout pouvoir au gouvernement de la

République sous la signature du maréchal Pétain à l’effet

de promulguer par un ou plusieurs actes une nouvelle

constitution pour la République. La nouvelle constitution

doit garantir les droits du travail, de la famille, de la patrie.

La constitution devra être ratifiée par la nation ”... seuls 80

parlementaires sur 600 votèrent contre la création de l'État

français, douzième régime de la France, collaborateur zélé

de l'occupant. Vichy adopte le statut des juifs et organise

des rafles sans que l'Allemagne le demande. Pétain oublie

La science politique

80

rapidement son pouvoir constituant. Le régime de Vichy

s'éteint en juin 1944.

- La France Libre (Carlton Garden) le gouvernement de

forces françaises libres se constitue avec le soutien de la

Grande-Bretagne. Le général de Gaulle reliera tous les

militaires pour se battre et soutenir les forces françaises de

l'intérieur (serment de Kumphra avec le général Leclerc).

Les F.F.L. et les F.F.I. forment une fédération pour mener

une action commune, avec de Gaulle à sa tête. Lors de la

libération de l'Algérie en 1942, le gouvernement s'y

déplace puisque l'Algérie est territoire français. Il s'y

forment de nouvelles institutions : une Assemblée

constituante pluripartite et un gouvernement provisoire de

la République française.

Quand Leclerc libère Paris, c'est la France entière qui est

libérée, et de Gaulle refuse l'administration provisoire

envisagée par les américains pour la gestion des pays

vaincus, déclarant que la France avait gagné la guerre. La

France redevient une et unique. Le 9 août 1944, de Gaulle

prend des ordonnances pour rétablir la légitimité

républicaine et former un gouvernement provisoire qu'il

dirige (et il ne sera pas contesté) : “ la forme du

gouvernement de la France est et demeure la République.

En droit, celle-ci n’a pas cessé d’exister ”.

Le parti communiste est très puissant (cf. les Francs-

Tireurs Partisans ou F.T.P.) ; la droite est discréditée mais

La science politique

81

les démocrates chrétiens, anciens résistants, font leur

apparition. Il en ressort un gouvernement hétérogène

(P.C. + M.R.P.). De Gaulle proclame le suffrage universel,

l'étendant aux femmes et aux militaires.

Le 21 octobre 1945, de Gaulle organise des élections et

des référendums, demandant notamment si le peuple

voulait que l'assemblée élue soit constituante (sinon on

gardait les lois de 1875) - le OUI l'a remporté à 96%. La

troisième République a donc pris fin ce jour-là. Les

élections législatives donnent 26% au PCF, 23% à la

S.F.I.O., et 24% au M.R.P. (tripartisme). Le 20 janvier

1946, devant l'incapacité de l'Assemblée à s'organiser, de

Gaulle démissionne dans l'espoir d'être rappelé, mais il

n'en fut rien. Ce fut sa "traversé du désert".

Pour la Constituante, son départ fut un soulagement et

permit de reprendre les mauvaises habitudes de la

troisième République. La majorité P.C.F. et S.F.I.O. arriva

en fin à imposer un modèle de constitution, et l'assemblée

rédigea un texte, qui fut massivement rejeté au

référendum du 5 mai 1946 avec 53% de NON, surtout à

cause du monocamérisme à potentiel oppressif et reprise

déplacée de la seconde République. L'Assemblée fut donc

dissoute.

Le 2 juin 1946, les nouvelles élections donnent 25,9% au

P.C.F., plus que 21% à la S.F.I.O. et 28,2% au M.R.P. qui

passe donc en tête. Le 16 juin, de Gaulle prononce le

discours de Bayeux dans lequel il développe ses principales

idées constitutionnelles, c'est-à-dire le renforcement de

l'exécutif, mais il ne fut pas entendu.

La science politique

82

La Quatrième République.

Le 13 octobre, le nouveau projet est adopté par 53,5% des

français (31% d'abstention) ; il est promulgué le 27

octobre 1946 dans l'indifférence générale, ce qui augure

mal pour la suite de la quatrième République...

L'article 13 de la constitution de 1946 établit que le

pouvoir législatif ne peut pas être délégué. Le problème

est que les parlementaires de la quatrième était aussi pour

certains ceux de la troisième République ; ils défendaient

donc toujours une logique de subordination du

gouvernement. En 1946, Ramadier, président du conseil,

est mis en minorité, et sous l'influence des pratiques de la

troisième République, démissionne. Ses successeurs se

sont sentis obligés de suivre cette coutume, et la durée

moyenne des gouvernements de la IVe République a été

de 6 mois.

Tous les défauts de la troisième République ont été repris,

y compris les pouvoirs spéciaux, ex-décret-loi. Les conflits

gouvernementaux entre communistes et gaullistes contre

les faibles institutions en place sont fréquents. De

nombreux groupes parlementaires se forment, qui rendent

l'exécutif faible (Pleven, Mitterrand, Chaban-Delmas...).

C'est pour mettre fin à la guerre que Pierre Mendès France

devient président du conseil en juin 1954, et prévient que

La science politique

83

si en un mois il n'a pas la paix, il démissionnera. Il

remporte le succès aux accords de Genève en un mois et

un jour, mais il reste et devient populaire à l'intérieur du

pays comme à l'extérieur.

Pierre Mendès France est renversé le 6 février 1955 à pour

un désaccord sur la communauté européenne de défense,

à la majorité absolue de l'Assemblée nationale. Edgar

Faure lui succède et poursuit sa politique ; l'assemblée

veut aussi dégager Faure en novembre 1955 mais, malin,

il demande à son parti de voter aussi contre lui, et comme

il y a eu deux crises parlementaires en moins de 18 mois,

il dissout constitutionnellement l'Assemblée. Pierre Mendès

France forme une coalition socialistes, radicaux et

indépendants sous le nom de front républicain, et il est élu

en janvier 56.

Guy Mollet, responsables de la section française de

l'internationale ouvrière (S.F.I.O.), est appelée par René

Coty à la place de Mendès France (par tradition, le chef du

parti le plus important devient président du conseil). À part

les premières négociations sur l'Europe, Mollet n'a pas fait

grand-chose. Il a même fait des erreurs, notamment dans

la gestion du début de la guerre d'Algérie (attentat de la

Toussaint 1956) : un escarmouches a dégénéré sous la

pression de l'armée et des intérêts nationaux. Plusieurs

décrets de mars 1956, en Algérie, donnent les pouvoirs à

l'armée ; ces décrets sont signés par Guy Mollet et

François Mitterrand, à l'époque ministre de la justice. Fin

56, le contingent est envoyé. Aucun gouvernement n'a été

capable de désamorcer la guerre.

La science politique

84

Le 13 mai 1958, le coup d'État des généraux à Alger met

fin à la IVe République. Le premier juin, le général de

Gaulle devient dernier président du conseil, à condition de

pouvoir établir une nouvelle constitution. Le 3 juin, le

Parlement lui donne son accord dans la loi des 5 bases. Le

21 septembre 1958, par référendum, les Français

acceptent la nouvelle constitution. Celle-ci est promulguée

le 4 octobre, paraît au journal officiel le 5 octobre 1958. La

Ve République naît.

B- Les logiques : la constitutionnalisation des luttes politiques (jusqu'en 1875).

1- La révolution française, ou les combats pour un régime légitime.

1-1 L'impossible République.

Échec de la République absolue, de la constitution

montagnarde de 1793.

Échec de la République limitée, aucun titulaire du pouvoir

ne peut en faire un usage abusif à cause du bicamérisme,

qui a plongé le 18 Brumaire...

La science politique

85

1-2 L'impossible monarchie.

Échec de la monarchie absolue en 1789, et de la

monarchie de Charles X en 1830.

Échec de la monarchie constitutionnelle (où le pouvoir

dévolu au monarque n'est pas déterminé par Dieu, mais

par la constitution), malgré les essais de 1814 et 1830.

Maladresse et manque d'attraits l'ont empêché de s'ancrer.

1-3 L'impossible empire.

L'empire absolu, le premier, dans lequel Napoléon

concentra tous les pouvoirs, ne dura que le temps des

armes et des victoires. Sous le second empire, Napoléon

III a lui-même mené son empire à sa perte, en décidant de

le libéraliser.

Empire limité : l'empire selon la charte, les cent jours.

2- La démocratie française, ou la recherche d'un régime efficace.

2-1 Inefficacité du parlementarisme traditionnel.

Échec du dualisme : Mac-Mahon a tenté de reprendre le

régime orléaniste de 1830, instaurant la responsabilité du

gouvernement devant le Parlement et le chef d'État. Mais,

La science politique

86

seul le de Parlement représente le peuple et demeure

légitime.

Échec du monisme : dès que le gouvernement n'a plus

l'aval du Parlement, il est renversé. Ce procédé est très

démocratique, mais peu fonctionnel car trop instable : le

résultat des scrutins est toujours incertain, les partis sont

faibles et indisciplinés. De plus, une suspicion permanente

agit contre l'exécutif, moins légitime que le Parlement.

Un syllogisme dit :

• (majeure) le peuple est souverain ;

• (mineure) le Parlement représente le peuple ;

• (conclusion) le Parlement est souverain.

Ce syllogisme est absurde car il méconnaît la distance

entre le peuple et le Parlement ; la technique de

représentation est approximative.

2-2 Inefficacité de la monocratie unanimiste.

Vichy (40-44) : le Parlement unanimiste dictatorial nie les

divisions.

IVe République (46-58) : monocratie unanimiste de Gaulle.

2-3 Devenir incertain du système actuel.

La science politique

87

La durée du mandat présidentiel (7 ans) ne correspond pas

à la durée d'une législature du Parlement (5 ans). La

cohabitation a longtemps été perçue comme un non-sens,

mais aujourd'hui elle est bien réelle (c'est la troisième). La

concordance politique est théoriquement préférable, mais

la cohabitation prend de plus en plus d'importance, et

l'exception tend à devenir la norme. Le fait majoritaire

devient plus rare.

La Ve République est cependant un régime efficace dans

lequel le pouvoir s'exerce après des élections décisives (on

considère qu'elle a commencé en 1962 pour le Parlement,

et en 1969 pour le président). Les luttes politiques se sont

constitutionnalisées démocratiquement.

La science politique

88

Quatrième partie La Ve République et les démocraties modernes.

Chapitre 7. La Ve République et la classification des régimes.

A- La Ve République et la typologie juridique classique.

1- Régime présidentiel et régime parlementaire.

Le critère du régime parlementaire est la responsabilité du

gouvernement, c'est-à-dire si le Parlement détient

juridiquement ou politiquement le pouvoir d'influencer le

gouvernement (l'origine de la responsabilité est anglaise ;

elle remonte au 18e siècle, avec la démission du ministre

North avant la mise en place d'une procédure pénale

contre lui).

La science politique

89

Dans le régime présidentiel, les pouvoirs son clairement

séparés et irrévocables.

2- Sous classification des régimes parlementaires.

Régime parlementaire dualiste : le gouvernement est

doublement responsable devant le Parlement et le chef de

l'État ; il a besoin d'avoir confiance pour tenir et avancer.

Cela suppose une absence de hiérarchie entre l'exécutif et

le législatif, à cette précision près que c'est le chef d'État

qui nomme les ministres (qui font toujours partie du

Parlement ). Dans la chute du gouvernement, la priorité

passe au Parlement ; le conflit exécutif/législatif qui en

résulte est arbitré par le corps électoral. Problème : le

président de la République est élu par le Parlement, il

prétend avoir autant d'autorité que le législatif. Le

dualisme n'est donc envisageable que si le Parlement et le

président de la République sont élus au suffrage universel

direct.

Régime parlementaire moniste : chapeauté par un

système unitaire complexe Parlement + peuple, ce régime

impose la subordination du gouvernement au Parlement.

Le chef d'État n'est pas indispensable, n'exerçant qu'une

magistrature morale ; il est donc irresponsable. La

dissolution n'est qu'un moyen de vérifier l'union qui existe

entre le Parlement et le peuple.

La science politique

90

3- Inclassable Ve République.

La Ve République est un régime “suigeneris ”, qui se définit

originellement :

L'article 20 de la constitution dispose que le gouvernement

est responsable devant le Parlement. C'est donc un régime

parlementariste.

L'article 6 prévoit l'élection du président de la République

au suffrage universel direct. C'est donc un régime

présidentialiste.

Deux autorités de légitimité égale s'arrache donc l'exercice

du pouvoir.

En temps de concordance des majorités, le gouvernement

est responsable devant le président (même si celui-ci n'a

pas le pouvoir juridique de le limoger) et accessoirement

devant l'Assemblée (qui, si elle en a le pouvoir, ne le

congédie jamais). Un semblant de dualisme, en somme...

En cas de discordances, de cohabitation, le régime devient

moniste. Le gouvernement est seulement responsable

devant l'Assemblée.

Duverger estime qu'il existe une troisième catégorie : les

régimes semi-présidentiels avec l'élection du président au

suffrage universel direct, et la responsabilité du

gouvernement devant le Parlement. On y trouve la

République de Weimar, la Finlande, l'Islande, l'Autriche, le

Portugal, et la France (sous sa forme de Ve République).

La science politique

91

Encore faut-il que cette catégorie ait un minimum

d'homogénéité, ce qui n'est pas le cas, car l'exercice des

pouvoirs présidentiels est très variables selon les pays.

La Ve République est-elle donc tout à fait inclassable ? Non

: c'est un régime parlementaire. L'élection présidentielle

n'attribue pas le pouvoir, mais nomme une personne sans

pouvoir sans le soutien de l'Assemblée. La situation est

trouble par rapport à la définition du parlementarisme,

mais seules les élections législatives attribuent le pouvoir.

B- La Ve République et la typologie institutionnelle moderne.

1- Régime majoritaire, non majoritaire.

1-1 Le parti majoritaire, source du régime majoritaire.

Le mode de scrutin anglais, uninominal majoritaire à un

tour, tend au bipartisme, avec un dégagement de majorité

claire. Le scrutin peut donc dégager le fait majoritaire.

Le même résultat peut être obtenu par des mécanismes

institutionnels comme la motion de censure constructive

par le Bundestag, ce qui évite les crises gouvernementales

(ainsi, Kohl a remplacé Schmidt en 1982). La coalition est

nécessaire pour pouvoir agir, et crée le fait majoritaire.

La science politique

92

1-2 Le gouvernement de législature, effet du régime majoritaire.

Quand le gouvernement a la même durée que l'Assemblée,

les élections législatives acquièrent un caractère

gouvernemental et assurent la stabilité du pouvoir entre

deux élections. Mais il peut y avoir des exceptions :

Thatcher a bien été remplacée par Major, même si le

même parti a toujours eu la majorité (ce fut une

manœuvre électorale gagnante). La majorité donc pas été

remise en cause.

1-3 Tradition non majoritaire du parlementarisme français.

Cause : le multipartisme forme des gouvernements

hétérogènes, le bipartisme et les coalitions forment un

gouvernement homogène, mais qui ne correspond pas

forcément à la volonté des électeurs en cas de coalition.

Pendant quatre-vingts ans, le parlementarisme français n'a

jamais connu un fait majoritaire stable.

2. Avènement d'un régime majoritaire : la Ve République.

La Ve République a commencé par l'obtention du fait

majoritaire avec l'union des gaullistes, des radicaux, des

La science politique

93

socialistes, des giscardiens... mais elle doit cette union à

trois raisons principales :

· la formation de coalition, du fait de l'importance

croissante des petits partis. C'est le scrutin qui fixe la

coalition, et nécessite des négociations et des résignations.

Il a pour effet de bipolariser le Parlement. C'est le système

britannique par équivalence.

· l'élection présidentielle au suffrage universel direct,

d'inspiration américaine, avec deux candidats au second

tour réunit les votants autour de deux pôles, fédérant les

coalitions au moment des élections et même pendant les

législatives, en vue des élections présidentielles à venir.

La rationalisation du parlementarisme, d'origine

allemande, permet au gouvernement de recevoir à coups

sûrs des décisions du Parlement sur n'importe quel sujet.

C- La Ve République et la démocratie.

1- La diversité démocratique.

1-1 Dans le temps.

La science politique

94

La démocratie est une création artificielle de l'homme, un

produit de la civilisation, caractéristique du refus de la

force physique. Elle est l'exercice du pouvoir par le peuple.

Sous le règne de Périclès (Ve siècle av. J.-C) qu'on appelait

aussi “le siècle d'or ”, les citoyens athéniens - tous égaux -

étaient tirés au sort et régulièrement réunis pour exercer

le pouvoir. Seule une minorité d'homme avait ce pouvoir,

et les étrangers, les esclaves, les infirmes n'y avaient pas

le droit, car ils étaient jugés inaptes et indignes d'exercer

ce pouvoir.

Au Moyen âge, l'influence chrétienne met en valeur toute

personne humaine quelle que soit sa condition ; de plus,

elle distingue le pouvoir divin et le pouvoir temporel, le

gouvernement politique.

Des siècles plus tard, Rousseau théorise la démocratie

pure. Pour lui, le souverain est le peuple ; il dispose

d'instruments pour agir : voter directement, ne pas être

représenté. L'objectif de la démocratie est de servir tous

les intérêts. Mais le présupposé d'unité des hommes est

simplet et rapide, il nie les différences. L'interprétation de

Rousseau tend donc au totalitarisme. Mais elle conserve le

mérite de contenir certains concepts d'actualité (comme la

souveraineté).

Une démocratie synthétique se fonde donc sur les droits de

l'homme et la désignation concurrentielle des gouvernants.

1-2 Dans l'espace.

La science politique

95

Une première vague de démocratie naissante s'est brisée

sur la deuxième guerre mondiale; après, les anciens pays

belligérants ont découvert la démocratie : Allemagne,

Italie. La troisième vague de démocratisation a touché la

péninsule ibérique, l'Amérique du sud et les pays touchés

par la chute du mur de Berlin. Aujourd'hui, l'Amérique

latine, l'Afrique et plus récemment l'Asie découvrent la

démocratie.

La démocratie se fonde sur la concurrence des partis,

condition de la performance économique. Elle est

naturellement plus facile à retrouver s'il existe des

antécédents démocratiques. Sinon, l'expérience est difficile

: les nouveaux citoyens doivent s'engager, s'exprimer,

participer financièrement, se "jeter à l'eau" et renoncer à

la violence. Un temps est nécessaire pour l'apprentissage

et l'acquisition des droits de l'homme, la désignation des

gouvernants et l'information des citoyens.

Une constitution adaptée aux pays, à la culture, sert de

tuteur à la démocratie pour donner un pouvoir clair et

stable aux nouvelles institutions.

2- L'unité profonde des démocraties modernes.

La science politique

96

2-1 Les critères de la démocratie moderne.

a) Les gouvernés choisissent les gouvernants

effectivement.

Il ne suffit pas que soient organisées régulièrement des

élections : le mode de scrutin, et les institutions doivent

faire en sorte que les citoyens choisissent directement

leurs représentants et leur gouvernants. Ainsi, ils votent

pour un personnage à travers un parti.

b) Les gouvernants sont effectivement responsables

devant les gouvernés.

Qui doit être responsable, pourquoi, et devant qui ? Les

chefs de gouvernement sont responsables devant le

peuple, mais seulement s'il existe une alternative pour

changer les gouvernants, ce qui suppose l'existence d'un

bipartisme ou d'une bipolarisation (cf. histoire

institutionnelle de l'Italie).

2-2 La Ve, forme originale de la démocratie moderne.

a) Les trois critères sont réunis.

- le pouvoir de choisir les gouvernants est effectif depuis

1962. Il y a eu alternance à toutes les élections législatives

depuis 1981.

La science politique

97

- les institutions donnent aux gouvernements tous les

moyens utiles pour gouverner : la majorité, les outils de

rationalisation du parlementarisme.

- enfin, l'alternance est la preuve de la responsabilité des

gouvernants devant le peuple, qui en change

régulièrement.

Cinquième partie La genèse de la Ve République.

Chapitre 8. La transition politique.

1- L'agonie d'une démocratie archaïque.

1-1 L'absence des conditions de la démocratie moderne...

Les gouvernés votaient, mais le scrutin de liste a

encouragé le multipartisme et a généré l'absence de

coalition et de majorité. Le gouvernement qui en résulte

ne correspond pas aux attentes du corps électoral. Par

exemple, pendant le front républicain (1956), les Français

voulaient voir Pierre Mendès France à la présidence du

conseil, mais c'est Guy Mollet qui a pris cette place pour un

gouvernement de gauche.

La science politique

98

L'administration était le seul pôle de stabilité de la France ;

le gouvernement n'avait plus d'emprise sur l'armée. Il

n'avait pas les moyens de gouverner. Les gouvernants

n'étaient plus responsables devant le peuple à cause du

multipartisme, du manque de transparence dans les

attributions des fonctions et dans l'organisation des partis

(le PCF joue seul, les gaullistes veulent la fin de la IVe

République).

1-2 fait craindre la fin de la démocratie.

La IVe République n'a connu que trois mois de paix (guerre

d'Indochine, guerre froide, guerre d'Algérie). Elle a bien

travaillé pour la décolonisation (PMF à Carthage pour le

Maghreb ; loi-cadre Deferre en 1956, pour l'Afrique noire),

mais le problème algérien occulte cette réussite. La France

n'a pas su défendre correctement ses valeurs en Algérie,

surtout du fait d'une discrimination entre Français et

Algériens de souche, qui ne participaient pas au

gouvernement de leur pays.

La revendication de participation ou d'autonomie s'est

heurtée à la mauvaise foi et l'immobilisme des

gouvernants français. L'escalade des moyens et de la

violence a rendu impossible leur vie commune. Comme

l'Algérie et le Sahara élisaient des députés sans lesquels

aucune majorité n'était possible, leur opposition à toute

manœuvre évolutionniste contraignait le gouvernement a

toujours plus de répression. Le FLN a pris les armes après

l'échec des négociations.

La science politique

99

Autre circonstance aggravante : l'état d'esprit de l'armée

française était médiocre après la deuxième mondiale, la

guerre d'Indochine... il n'était pas question de se faire

écraser en Algérie, de quitter ce territoire. Dans tous les

cas, beaucoup d'étrangers ont voulu garder un lien avec la

France (aussi bien les Vietnamiens que les Algériens) et

l'armée refuse de les laisser tomber, car ils seraient voués

au massacre.

L'armée, les politiques et même les populations locales

refusent que la France quitte leur territoire. Dès mars

1956, l'autorité judiciaire et partiellement déléguée à

l'armée. Le pouvoir civil obéit donc plus à l'armée que

l'armée ne lui obéissait ; elle a pris ses aises, et une

dictature militaire était réalisable.

Le 13 mai 1958, un nouveau gouvernement est formé.

Pflimlin devient président du conseil. Chacun pense qu'il va

amoindrir la répression. Ce forme alors un comité de salut

public en Algérie, dont la compétence et celle d'un

gouvernement : c'est le premier acte d'un coup d'État. Le

général Salan déclare la formation du comité de salut

public et en appelle à l'autorité du général de Gaulle.

Le 14 mai, René Coty s'adresse à l'armée.

Le 15 mai, la politique est élargie pour asseoir le

gouvernement civil ; le même jour, de Gaulle déclare qu'il

se dit prêt à assumer la responsabilité de la République.

La science politique

100

2- La stratégie du coup de force légal.

De Gaulle sait qu'il ne pourra pas s'appuyer sur la rébellion

de l'armée. Il tente donc de légaliser son action.

2-1 La conception gaullienne de la légitimité.

I. Le chef.

De Gaulle est un militaire, il pense que toute structure ne

peut fonctionner que sous l'autorité d'un chef personnalisé.

II. La monarchie jacobine.

De Gaulle veut un État solide, centralisé et

institutionnalisé. L'État doit être interventionniste, de

Gaulle veut être chef d'un État.

III. L'acceptation du peuple.

De Gaulle est militaire et républicain, et de toute façon, la

France ne supporterait pas un système dictatorial.

L'acceptation du peuple renforce la légitimité du chef et lui

donne toute latitude pour gouverner. De Gaulle aspire à

devenir le chef d'un État démocratique.

La science politique

101

2-2 Du pouvoir de fait au pouvoir légal.

I. de Gaulle, espoir des officiers insurgés.

De Gaulle ne condamne pas les militaires, le 15 mai ; il

rappelle son glorieux passé et sa capacité à assumer les

pouvoirs, malgré un silence de dix ans. Les civils de Paris

s'en indignent, les militaires s'en félicitent, même si tout le

monde croit qu'il va violer le pacte républicain de

subordination de l'armée à la République.

II. De Gaulle, espoir contre les officiers insurgés.

Le 19 mai 1958, lors d'une conférence de presse, Charles

de Gaulle déclare pouvoir assurer les libertés républicaines

et ne pas vouloir devenir dictateur à 67 ans. Autorité et

prestige protégeront la République de l'armée,

démocratiquement.

De Gaulle parvient à rallier les voix des deux extrêmes en

moins de quatre jours, leur faisant comprendre qu'il veut

le pouvoir.

Pour cela, il faut qu'il soit placé régulièrement à la tête du

gouvernement, et à condition de pouvoir rédiger une

nouvelle constitution. Le 1er juin, de Gaulle est investi

président du conseil dans la plus stricte légalité.

La science politique

102

Chapitre 9. La transition juridique.

1- Ses modalités.

1-1 La fin de la IVe République.

De Gaulle a été le dernier président du conseil de la IVe

République ; mais il a pris cette place dans des conditions

différentes, sachant bien qu'il n'aurait pas de successeur.

Le 1er juin 1958, de Gaulle est investi à 329 voix contre

224 (les communistes et quelques SFIO comme Mitterrand

ou Mendès-France). Il a pour charge d'équilibrer les forces

politiques, de respecter certains impératifs et de former un

nouveau gouvernement avec les principaux dirigeants des

partis (Pflimlin, Mollet...). Il innove en ne prenant pas de

représentant de l'Algérie française.

Le 3 juin 1958, le Parlement vote la loi des 5 bases.

L'article 90 de la constitution de 1946 qui organise la

La science politique

103

révision constitutionnelle met en place une procédure

longue que de Gaulle n'est pas sûr de pouvoir respecter. Il

utilise donc un projet de révision en cours et en change le

contenu, évitant donc le délai de dépôt (projet déposé par

le gouvernement Gaillard en janvier 1958). La loi du 3 juin

1958 autorise de Gaulle à déroger à l'article 90 et organise

la révision complète de la constitution de 1946, avec

quelques modalités de procédure et certaines conditions :

- le suffrage universel est la source du pouvoir ;

- l'exécutif et le législatif doivent être séparés ;

- le gouvernement doit être responsable devant le

Parlement ;

- l'autorité judiciaire doit demeurer indépendante ;

- la nouvelle constitution doit organiser les rapports avec

les colonies.

Dans les faits, la IVe République est finie.

1-2 Naissance de la Ve République.

I. Le gouvernement prépare le projet.

Plusieurs organismes plus ou moins influents contribuent à

la conception de la constitution, et en premier lieu le

gouvernement investi le 1er juin 58. De Gaulle confie au

La science politique

104

garder des sceaux (Michel Debré) l'organisation des

opérations. Debré s'entoure de conseillers (conseillers

d'État, universitaires...) pour préparer un avant-projet,

régulièrement soumis au comité ministériel. La loi a aussi

prévu la consultation pour avis d'un comité consultatif

constitutionnel (composé de deux tiers de parlementaires

et d'un tiers de personnalités nommées par le

gouvernement). Ce comité n'a pas de droit de veto et il

n'est que consultatif ; en conséquence, le Parlement est

exclu de fait de la procédure de révision. Le comité se

réunit en juillet et août 1958 ; de Gaulle s'y présente le 6

août. Les dispositions de la constitution sont très

différentes des propositions du comité. Le 14 août, le

projet est envoyé devant le conseil d'État.

Le 3 septembre, le conseil des ministres adopte

définitivement le texte à soumettre au référendum.

L'avant-projet devient projet. Le quatre septembre, le

général de Gaulle présente la nouvelle constitution sur la

place de la République.

II. Le peuple accepte.

Quatre cinquièmes des votants votent oui au référendum

du 28 septembre. Dans les colonies, le non signifiant

volonté d'indépendance, la Guinée quitte la communauté

française.

La science politique

105

Le 4 octobre 1958, René Coty et le général de Gaulle

signent l'entrée en vigueur de la nouvelle constitution, qui

paraît au journal officiel le 5.

2- Sa légalité.

2-1 L'illégalité a priori : possible.

La Ve République est née de l'armée, c'est un coup de

force. De plus, l'interdiction de subdélégation a été violée :

le pouvoir constituant originaire se manifeste quand est

élaborée une constitution ; le pouvoir constitutionnel

dérivé élabore un nouveau texte constitutionnel dans le

respect de celui en vigueur.

" Les compétences déléguées ne peuvent être

subdéléguées". Le peuple est détenteur du pouvoir

constituant originaire. En 1946, il a confié ce pouvoir au

Parlement, qui n'a donc pas le droit de le subdéléguer au

gouvernement, ce qu'il a pourtant fait le 3 juin 1958, tout

comme le 10 juillet 1940.

Contre-argumentation: en 1940, le pouvoir était délégué à

un homme ; en 58, à un gouvernement. En 1958, il y a eu

la loi les 5 bases, rien en 1940.

2-2 La validation a posteriori : certaine.

La science politique

106

Raisons juridiques : en plus de la théorie de l'illégalité, il

existe une théorie de la législation de la procédure de

révision de la constitution en révisant l'article 90 de la

constitution de 1946. Cette décision est discrétionnaire et

légale en tout point ; l'interdiction de subdélégation n'est

écrite nulle part : l'argumentation est donc caduque, et la

subdélégation devient une modification de la procédure de

proposition de révision. La révision n'émane que du peuple

; le gouvernement propose et le peuple dispose. Le

pouvoir de décision du peuple est de loin le plus important.

Raisons politiques : le peuple français a massivement

authentifié la délégation légale du pouvoir, vu le

référendum. Tous ceux qui avaient été contre la dissolution

de la IVe République ont été écartés du Parlement dès les

premières législatives. Le suffrage universel a validé

l'intégralité du processus, en toute connaissance de cause.

Sixième partie L'analyse stratégique de la Ve République.

Chapitre 10. Critique des analyses traditionnelles.

1- Les analyses normatives.

La science politique

107

1-1 Les jusnaturalistes.

Le terme de jusnaturalisme découle de l'école du droit

naturel, qui estime qu'il existe des fins supérieures que le

droit doit chercher à respecter et atteindre.

La difficulté réside dans le fait que ce droit n'est écrit nulle

part, donc il peut être interprété de multiples façons. Il fixe

simplement le bien et le mal. Mais son insaisissabilité n'en

fait pas une doctrine inexistante : la matière sert de

référence pour la mise en place des lois, des institutions et

des pouvoirs publics.

Critique : la constitution est faite pour organiser le pouvoir

et sa dévolution ; le destinataire est le suffrage universel,

et non chaque citoyen individuellement.

1-2 L'analyse positiviste.

Ecole juridique plus récente, le positivisme estime que seul

le droit positif existe, droit qui "se voit" et qui est

sanctionné. Il prend pour méthode d'interprétation des

textes l'exégèse, univoque: quel que soit le texte, il

n'existe qu'une seule interprétation.

Par exemple, l'art. 49-1 de la constitution est envisagé

comme un devoir du gouvernement que d'engager sa

responsabilité devant le Parlement. Conséquence de la non

La science politique

108

application : rien. L'interprétation exégétique est donc

insensée.

2- Les analyses partisanes.

2-1 Les conceptions partisanes du droit constitutionnel.

Finalisme: conception par laquelle on considère que la

constitution doit faciliter le fait d'atteindre le but fixé par le

parti.

Instrumentalisme: est considéré comme favorable tout

mécanisme constitutionnel qui profite au parti considéré.

Toujours dans la limite des principes démocratiques. La

doctrine constitutionnelle des partis est normale, même si

elle intègre le finalisme ou l'instrumentalisme. Chaque

parti crée sa doctrine par son histoire, ses objectifs et use

donc du finalisme.

2-2 Détermination par leur distance par rapport au pouvoir.

En fonction de la distance par rapport à l'accès au pouvoir,

la position des partis change, le réformisme change de

bord.

La science politique

109

Ainsi, la gauche, qui avait tant critiqué la Ve République de

1958 à 1981, s'est calmée et ne fait quasiment pas de

réforme.

La droite commence à vouloir des réformes, alors qu'elle

s'écarte du pouvoir. Les analyses partisanes ne sont donc

pas plus opérationnelles que les autres.

Chapitre 11. Le modèle stratégique.

1- Une grille d'analyse.

1-1 Les facteurs endogènes.

Légitimité: toutes les sources sont envisageables, mais

elles ne sont pas toutes aussi valables, même si aussi

légitimes. Par exemple, le député est " plus légitime" que

le sénateur, car il est élu au suffrage universel direct,

tandis que le second est élu au suffrage universel indirect.

La légitimité de chaque pouvoir colore la manière dont ses

prérogatives vont s'exécuter.

La science politique

110

Naissance (ou âge) : la légitimité s'use, varie dans le

temps. Elle expire à la fin du mandat, mais s'altère

indépendamment de toute influence juridique. La

naissance, l'âge ne sont pas sans effet ; on ne peut pas les

ignorer, car ils ont une influence sur l'exercice des

pouvoirs

1-2 Les facteurs exogènes.

Concurrence: toutes les autorités ne sont pas en

concurrence, mais il en existe bien une entre le Président

de la république et l'Assemblée nationale pour leur

représentativité, ou encore entre l'Assemblée et le Sénat

quant au pouvoir législatif, ou encore entre le conseil

constitutionnel et le conseil d'état, référendum et

procédure parlementaire...

Armes: chaque autorité a ses attributions, Parlement

contre Premier Ministre, Président contre Parlement,

Président contre Premier Ministre...

Dissuasion: l'utilisation des armes traduit un échec ; leur

fonction principale est de dissoudre pour équilibrer.

La science politique

111

2- Esquisse d'application.

2-1 Appliquer chaque facteur à chaque élément.

Prenons pour exemple l'article 49 de la Constitution, passé

au crible de l'analyse stratégique. La légitimité du Premier

ministre est un facteur endogène; il a été nommé. Au delà

de sa nomination, il peut avoir intérêt à ce que cette

légitimité soit formulée et renforcée par un vote de la

majorité parlementaire. Mais il ne doit pas toujours

s'abaisser à la demander, ni de la même façon, faire un

usage abusif de l'article 49. En cours de mandat, le

Premier ministre peut juger utile de poser la question à

l'Assemblée Nationale. Cela peut être le résultat d'une

influence issue d'une concurrence entre le Président et le

Premier ministre, d'une pression de la majorité

parlementaire. Armes pour faire face à ces pressions: la

solidarité majoritaire, la maîtrise de la forme, de la date,

de l'objet des lois, la dissuasion (si l'assemblée renverse le

gouvernement, elle peut être dissoute).

La science politique

112

Septième partie Les instruments de la Domination Présidentielle.

A- Le couple Président / Peuple.

Chapitre 12. La Constitution instaure un arbitre ambigu.

1- Synthèse des souverainetés.

1-1 Quant aux principes.

La science politique

113

La souveraineté est l'aptitude à décider librement; ses

seules limites sont géographiques et techniques. En 1789,

la nation est souveraine; en 1793, c'est le peuple. La

nation est une entité métaphysique qui doit être

représentée (peuple, culture, histoire...), mais pas

nécessairement par la voie du suffrage universel. Le

peuple est présent physiquement, et ne nécessite donc pas

d'être représenté (théorie de la démocratie pure de

Rousseau). Nation et peuple sont donc théoriquement

inconciliables.

"La souveraineté nationale appartient au peuple" (art. 3):

les deux notions sont superposées, ce qui permet de

surmonter la difficulté et de laisser aux théoriciens

l'interprétation de ce texte. Le référendum et le principe de

représentation nationale font appel aussi bien au peuple

qu'à la nation. Le peuple français est indivisible; il n'existe

pas de minorité ou de groupe. Seuls les citoyens ont des

pouvoirs. Un projet de révision a été déposé pour

organiser la parité de la représentation.

1-2 Quant aux partis.

Les partis sont reconnus constitutionnellement pour la

première fois en 1958. Mais ils existaient depuis l'antiquité.

Leur fonction est à la fois électorale et partisane. Il doivent

respecter les principes de la souveraineté nationale et de

la démocratie. Peut-on interdire un parti ? Dès juin 1959,

le conseil constitutionnel examine le règlement de

l'assemblée nationale pour la formation des groupes

parlementaires: tant qu'un parti n'a pas de milice et ne

porte pas la violence dans la vie de la République, il ne

La science politique

114

peut pas être dissout (décret-loi de 1935). C'est le principe

de la liberté des partis.

2- Le recours arbitral.

2-1 Une position d'arbitre.

Pour M. Debré, le Président peut solliciter une institution

pour régler un différend. Il a donc le pouvoir de décider qui

décidera. Mais pour G. Mollet, le rôle du Président est

d'apporter ce qui a manqué aux IIIe et IVe Républiques: la

rationalisation du parlementarisme. Pour de Gaulle, enfin,

le Président est l'arbitre en charge de l'essentiel (notion

vague et variable), comme la souveraineté et

l'indépendance. Dans tous les cas, chaque théorie fait état

d'un domaine privilégié.

2-2 Un domaine privilégié.

L'expression "domaine réservé" est due à Chaban-Delmas

(1959); ce domaine incorpore les relations internationales,

la défense, les institutions, le respect de la constitution, la

continuité de l'Etat, la garantie de l'indépendance nationale

et de l'intégrité du territoire. Ces domaines sont

privilégiés, mais aucunement réservés, car le Président

n'est pas le seul à détenir des pouvoirs en la matière

(gouvernement, peuple, parlement, conseil

constitutionnel...).

La science politique

115

3- Une légitimité présidentielle intermédiaire à l'origine.

3-1 Une légitimité plus que parlementaire: comment ?

En 1958, le collège qui élisait le Président est élargi, en

plus des députés et sénateurs, aux maires, conseillers

généraux, et autres représentants de conseils municipaux.

Le 21 décembre 1958, à la première élection

présidentielle, il y a 81764 électeurs inscrits. Le suffrage

universel indirect attribue 62494 voix à de Gaulle. Avant

1958, il y avait tout juste 1000 votants (parlementaires);

en 1958, la légitimité du Président est donc plus que

parlementaire.

3-2 Moins que populaire: pourquoi ?

- interprétation simpliste de la loi du 3 juin 1958;

- tradition républicaine anti-bonapartiste;

- problème de l'union française (des citoyens vont cesser

de l'être);

- division partisane et poids du PCF stalinien.

La science politique

116

Chapitre 13. La Ve consacre un monarque républicain.

1- Dès 1958, le monarque reconnu.

1-1 Le chef plébiscité...

Plébiscité, et non élu au suffrage universel direct;

l'écrasante majorité consacre implicitement la transition et

soutient le référendum pour la constitution. Aux élections

législatives suivantes, de Gaulle a été acclamé et ses

détracteurs expulsés. C'est davantage le soutien à de

Gaulle que l'approbation des institutions qui a été exprimé.

De Gaulle profitera de son aura pour "forcer" le peuple à

voter en faveur des référendums proposés par lui, dont la

fonction première est d'orienter la politique du pays. La

dimension plébiscitaire est critiquable, car malgré la

pression de de Gaulle, le peuple reste de libre de ses choix

(et le prouvera en 1969).

1-2 … taille le costume présidentiel à sa taille.

De Gaulle a choisi l'Elysée plutôt que Matignon, pour être

reconnu de tous tout en ayant un rôle déterminant dans

les intérêts supérieurs de la nation. La façon dont les

institutions débutent fixe un précédent pour longtemps,

c'est pourquoi il occupe une place considérable et prépare

La science politique

117

le terrain pour ses successeurs. Il profite de son image et

de la confiance des français pour créer une fonction

présidentielle prédominante, qui placera tous ses

successeurs au fait des institutions.

2- 1962: Le système institutionnalisé.

2-1 Les causes: "sauver la Ve".

De Gaulle a institué l'élection présidentielle au suffrage

universel direct non pas pour lui, mais pour ses

successeurs, pour qu'ils bénéficient de la même légitimité

que lui et pour qu'ils exercent le même pouvoir que lui.

2-2 Les modalités: éviter le Parlement.

En 1962, la France est enfin en paix, malgré les attentats

de l'O.A.S.. De Gaulle a bien la majorité au Parlement

depuis 1958, mais elle est hétérogène et pas gaulliste à

100%. L'hypothèque algérienne levée, les problèmes

intérieurs refont surface.

En août 1962, lors de l'attentat du Petit Clamart, la voiture

du Général est criblée de balles, mais il en ressort

indemne. C'est le prétexte qui permet alors à de Gaulle de

déclencher une guerre éclair pour l'élection du Président au

suffrage universel direct, car il déclare que s'il était mort,

La science politique

118

les institutions seraient parties avec lui, et ses successeurs

n'auraient pas eu sa légitimité.

Mode d'élaboration et d'acceptation de la réforme: avec

l'article 89, les deux assemblées ont un droit de veto (rejet

ou adoption en termes différents = veto), et il est évident

que le Parlement refusera l'innovation. D'où la procédure

de l'article 11 qui permet de présenter tout projet relatif

aux pouvoirs publics au référendum. Tollé chez les

juristes: l'art. 11 court-circuite l'art.89; l'art. 11 vise les

lois ordinaires ou organiques, mais ce n'est pas explicité,

donc de Gaulle se permet d'utiliser l'art. 11 avec le soutien

de la majorité absolue des français, qui effaceront

l'outrage (au Sénat, Monnerville qualifie son acte de

forfaiture). Le Président n'est pas responsable devant le

Parlement, donc l'assemblée nationale vote une motion de

censure contre de Gaulle en visant le gouvernement

Pompidou (4 octobre 1962); de Gaulle signe le décret de

dissolution le 5 octobre.

Le 28 octobre 1962, le référendum et les élections donnent

un OUI et une majorité absolue à de Gaulle. Le fait

majoritaire vient de naître.

3- Le système pérennisé.

3-1 La primauté présidentielle ...

La science politique

119

La primauté ne résulte pas de la volonté: elle répond à des

éléments objectifs comme la légitimité du pouvoir, de la

fonction.

I. Election prédominante.

Le suffrage universel direct offre une légitimité maximale,

même si elle est identique à la légitimité de l'Assemblée

Nationale du fait de son origine (1 contre 577). Son

élection ouvre au président tous les moyens d'atteindre le

pouvoir, toujours déterminé par le Parlement.

II. Election structurante.

L'élection présidentielle détermine le système et la vie des

partis: elle fixe leur action pour atteindre la présidence. Le

candidat fabrique son parti (UDF 1975, RPR 1979), et une

fois le candidat placé, le parti dégénère. Les partis doivent

nécessairement s'allier au second tour, puisque seuls deux

candidats et deux partis sont représentés. Cela forme

naturellement et mécaniquement une majorité et une

minorité.

En cas de fait majoritaire, le Président concentre les

pouvoirs exécutif et législatif; il a la primauté. Sa situation

est très différente de celle du Premier ministre anglais ou

du chancelier allemand, qui change quand change la

majorité, ce qui n'est pas le cas du Président.

La science politique

120

3-2 proportionné au soutien parlementaire.

Si le soutien parlementaire est inconditionnel, la primauté

est inconditionnelle. S'il est conditionnel, elle l'est aussi;

enfin, si le soutien parlementaire disparaît, la primauté

disparaît aussi. Seules les législatives attribuent le pouvoir.

Problème: ces élections ne sont pas synchronisées avec

l'élection présidentielle qui, si elle est nécessaire, n'est pas

suffisante. Le résultat peut être remis en cause car les

électeurs sont libres de changer d'avis, d'élire une majorité

opposée au Président. Si la majorité, via le gouvernement,

ne donne pas son soutien, la primauté du président n'est

ni complète ni constante. Dans ce cas, le pouvoir

appartient plutôt au Premier ministre, subordonné au

Parlement vu le soutien décisif de ce dernier, preuve que

c'est bien la souveraineté populaire qui dirige les

institutions.

La science politique

121

Annexe 1

Droit Administratif : Les grands textes

Loi des 16-24/08/1790 : distinction fonction judiciaire /

fonction administrative - les juges n'ont pas le droit de

troubler les opération de l'administration

Décret du 16 Fructidor An III : défenses itératives sont

faites aux tribunaux de connaître les actes d'administration

Constitution de l'An VIII : Création du CE

Loi du 28 Pluviôse An VIII : Création des Conseils de

Préfecture

Loi du 24/05/1872 : Le CE statue souverainement en

matière de contentieux administratifs - Création du TC

La science politique

122

Décision TC du 8/02/1873 « Blanco » : critère

d'application du droit administratif est le SP

Arrêt du CE de 1875 « Prince Napoléon » : Le JA

définit les actes de gouvernement : ceux qui relèvent de la

fonction gouvernementale des pouvoirs publics

Loi de 1884 sur la compétence des communes

(devenue Art. 2212-2 CGCT) : au sein de l'ordre public

on peut intégrer le bon ordre, la sûreté publique, la

sécurité publique et la salubrité publique

Arrêt du CE de 1902 « Néris les bains » : Une autorité

locale peut prendre des mesures pour rendre plus sévères

les règles édictées, mais pas pour les alléger.

Arrêt du CE de 1916 « Compagnie du gaz de

Bordeaux » : Théorie de l'imprévision. 3 conditions sont

posées : caractère anormal et imprévisible, fait

indépendant de la volonté des co-contractants,

bouleversement de l'économie du contrat

Arrêt du CE de 1918 « Heyries » : Théorie des

circonstances exceptionnelles (1e guerre mondiale)

Arrêt du CE de 1919 « Labonne » : le chef de l'exécutif

détient le pouvoir réglementaire général

Arrêt du CE de 1921 « Société commerciale de

l'ouest africain » : Naissance de la distinction SPA-SPIC

(les SPIC relèvent de la juridiction judiciaire)

Arrêt du CE de 1932 « Compagnie des Tramways de

Cherbourg » : Après 6 années de déficit pour la

compagnie, l'imprévision se transforme en force majeure.

Arrêt du CE de 1933 « Benjamin » : Les moyens

employés par la police administrative doivent être

proportionnés aux fins poursuivies.

La science politique

123

Arrêt du CE de 1935 « Vézia » : Les services des

assurances sociales constituent des services d'intérêt

public

Arrêt du CE de 1943 « Bouguen » : Les ordres

professionnels exercent une activité de service public

Décision du TC de 1951 « Consorts Baud » : Police

administrative : mission générale préventive. Police

Judiciaire : mission répressive.

1953 : Création des TA

Constitution de 1958 : Art. 11 : Référendum (si des

ordonnances sont prévues par une loi votée sous l'art. 11,

le CE a prévu qu'elles n'ont qu'une valeur réglementaire) -

Art. 34 : définit le domaine législatif (c'est désormais un

domaine limité) - Art. 16 : Pouvoirs spéciaux (les normes

édictées par le président sont législatives ou

réglementaires selon qu'elles relèvent des champs définis

aux Art. 34 & 37) - Art. 37 : définit le domaine

réglementaire (c'est le domaine normatif résiduel) Art. 38

: Ordonnances - Art.47 : Lois de finances - Art. 47-1 : Lois

de financement de la sécurité sociale - Art. 55 : Primauté

des traités sur la loi - Art. 61 : Le CC n'est compétent que

pour contrôler la constitutionnalité des lois - Art. 92 :

Ordonnances d'adaptation des institutions à la nouvelle

constitution

Arrêt du CE de 1959 « Syndicat Général des

Ingénieurs Conseil » : Les PGD s'imposent à tout acte

réglementaire même en l'absence de disposition

législatives

Arrêt du CE de 1959 « Société des films Lutétia » :

Quand une atteinte à la moralité peut engendrer des

conséquences négatives pour l'ordre public, le maire a le

droit d'intervenir

La science politique

124

Arrêt du CE de 1960 « Sté Ecky » : Ordonnances de

l'art. 92C ont valeur législative

Décision du CC de 1962 : Le CC se déclare incompétent

pour contrôler l'expression directe de la souveraineté

nationale. Il ne peut que contrôler les lois (expression

indirecte).

Arrêt du CE de 1962 « Canal et autres » : Les

ordonnances prises en vertu d'une délégation législative

sont contrôlables par le JA avant ratification

Arrêt du CE de 1964 « Société des pétroles Shell » :

Théorie de l'acte clair - pas de renvoi préjudiciel quand la

norme supra-nationale est claire

Arrêt du CE de 1970 « Crédit Foncier de France » : La

pratique des directives est légale à condition qu'elle ne

revête pas un caractère impératif et qu'elle ne dispense

pas l'administration d'un examen individuel des dossiers

Décision du TC de 1970 « Société le Profil » : Pour

trancher entre police administrative et judiciaire il faut

prendre en compte l'activité qui a été essentiellement à

l'origine de l'infraction.

Arrêt de la Cour de Cassation de 1975 « Société des

Cafés Jacques Vabre » : La Cour de Cassation fait

prévaloir une norme supra-nationale sur la loi même si

cette dernière lui est postérieure.

Décision du CC de 1975 « IVG » : Le CC est

incompétent pour contrôler la conventionnalité de la loi

Arrêt du CE de 1978 « Cohn-Bendit » : Une directive

ne peut pas être évoquée par un particulier contre un acte

individuel

Arrêt du CE de 1982 « Association Auto-défense » :

Le décret rendant obligatoire port du casque & ceinture est

La science politique

125

légal car il a pour conséquence de réduire les dégâts des

accidents de la route.

Décision du CC de 1986 : Maintien de la jurisprudence «

IVG » mais le CC considère qu'il appartient aux différents

organes de l'Etat de veiller à l'application des conventions

internationales dans le cadre de leurs compétences

respectives

1987 : Création des CAA

Décision du CC de 1988 : En matière de contrôle de

régularité des élections législatives, le CC contrôle la

conventionnalité de la loi

Arrêt du CE de 1989 « Nicolo » : Le JA fait prévaloir la

norme supra-nationale même si celle-ci est postérieure.

Arrêt du CE de 1990 « Boisdet » : Un règlement

communautaire est supérieur à la loi

Arrêt du CE de 1990 « Gisti » : Le JA abandonne la

nécessité du renvoi préjudiciel en matière d'interprétation

des normes internationales (NB : le renvoi préjudiciel

devant la CJCE continue en ce qui concerne le droit

communautaire)

Arrêt du CE de 1992 « Rothmans » : Les directives

communautaires priment sur la loi

Arrêt du CE de 1992 « Associations amicales des

professeurs titulaires du museum national d'histoire

» : Le CE annule un acte administratif en se fondant sur

un PFRLR reconnu par le CC (indépendances des

enseignants du supérieur)

Arrêt du CE de 1992 « Kherroua » : le JA est

compétent pour contrôler le règlement intérieur d'une

école

La science politique

126

Arrêt du CE de 1995 « Commune de Coudekerq-

Branche » : Le JA est compétent pour contrôler le

règlement intérieur d'un conseil municipal

Arrêt du CE de 1995 « Marie et Hardouin » : Le CE est

compétent pour contrôler la légalité des sanctions

disciplinaires portant sur les 2 personnes (mais nécessité

d'une gravité pour un tel contrôle)

Arrêt du CE de 1995 « Commune de Morsang sur

Orge » : consécration du PFRLR de « dignité de la

personne humaine » (reconnu préalablement par le CC en

1994 dans une décision concernant les lois bio-éthiques)

Arrêt du CE de 1996 « Koné » : Ecran constitutionnel

Arrêt du CE de 1998 « Sarran » : Ecran constitutionnel

Annexe 2

Institutions Publiques : les grands textes

Bloc de constitutionnalité :

Art 13 C : Le président de la république signe les décrets et

les ordonnances délibérés en conseil des ministres. En

1986, F. Mitterrand a interprété cet article comme un

pouvoir discrétionnaire de signer ou de ne pas signer les

ordonnances.

La science politique

127

Art 20 C : l'administration est au service du gouvernement

(l'administratif dépend du politique)

Art 37 C : Domaine réglementaire : le gouvernement peut

faire des règlements pour l'application de la loi mais aussi

de façon résiduelle & autonome dans toutes les matières

qui ne sont pas énumérées à l'art. 34 C.

Art 72 C : les collectivités territoriales s'administrent

librement par des conseils élus.

Art 6 DDHC : Caractère indispensable de l'administration

publique (emplois public et mode de recrutement)

Art 13 DDHC : Caractère indispensable de la force publique

Art 14 DDHC : Les contributions publiques financent

l'administration

Lois :

22/12/1789 : Création des départements

16-24/08/1790 : (toujours en vigueur) « les fonctions

judiciaires sont distinctes et demeureront toujours

séparées des fonctions administratives. Les juges ne

pourront, à peine de forfaiture, troubler de quelque

manière que ce soit les opérations des corps

administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour

raison de leurs fonctions » (loi complétée par le décret du

16 fructidor an III)

28 Pluviôse an VIII (17/02/1800) : « Constitution

administrative française » (Jean-Jacques Chevallier) :

préfet dans le département, sous-préfet dans

l'arrondissement, maires, conseils de préfecture (ancêtres

des tribunaux administratifs) sont institués par Napoléon.

La science politique

128

03/01/1973 : Création du médiateur de la république (mais

il ne portera ce nom qu'à partir d'une loi de 1989)

06/01/1978 : Informatique, fichiers et libertés : «

l'informatique doit être au service de chaque citoyen. Elle

ne doit porter atteinte ni à l'identité humaine, ni aux droits

de l'homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles

ou publiques ».Création de la CNIL pour y veiller

07/01/1978 : Droit d'accès des citoyens aux documents

administratifs.Création de la CADA

11/07/1978 : Communication des documents administratifs

17/07/1979 : Motivation des actes administratifs

02/03/1982 : Loi de décentralisation

Les régions deviennent des collectivités territoriales à part

entière.

« Lorsque son intervention a pour but d'assurer le maintien

des services nécessaires à la satisfaction des besoins de la

population en milieu rural et que l'initiative privée est

défaillante ou absente, la commune peut accorder des

aides directes ou indirectes dans le cadre d'une convention

» (reprise par le législateur du principe énoncé par le CE

dans son arrêt « Chambre syndicale de Nevers » de 1930)

création de chambres régionales des comptes

06/01/1986 : Principe d'inamovibilité des magistrats

administratifs

1987 : Création des CAA

06/02/1992 : Politique de déconcentration (appuyée par le

décret du 01/07/1992) « L'administration territoriale de la

république est assurée par les collectivités territoriales et

par les services déconcentrés de l'Etat. Elle est organisée

dans le respect du principe de libre organisation des

collectivités territoriales, de manière à mettre en œuvre

La science politique

129

l'aménagement du territoire, à garantir la démocratie

locale et à favoriser la modernisation du service public ».

12/04/2000 : Droits des citoyens dans leurs relations avec

les administrations

Code Général des Collectivités Territoriales :

Art L221-29 : « Le conseil municipal règle par ses

délibérations les affaires de la commune »

Art L3211-1 : « Le conseil général règle par ses

délibérations les affaires du département »

Art L4221-1 : « Le conseil régional

Ordonnances :

09/10/1945 : Création des IEP, de l'ENA et de la direction

générale de la fonction publique

Décrets :

16 fructidor an III : « Défenses itératives sont faites aux

tribunaux de connaître des actes d'administration de

quelque espèce qu'ils soient » (complète la loi des 16-24

août 1790)

mise en place d'une justice administrative

14/02/1963 : Création de la Délégation à l'Aménagement

du Territoire et à l'Action Régionale (DATAR)

Jurisprudence du Conseil d'Etat :

La science politique

130

30/05/1930 « Chambre syndicale de Nevers » : les

conseils municipaux peuvent intervenir dans le secteur

privé (création d'entreprise à caractère commercial) en

fonction des circonstances locales spécifiques et face à une

initiative privée défaillante.

19/05/1933 « Blanc » : création de bains douches

municipaux car défaillance de l'initiative privée

07/02/1936 « Jamart » : il appartient au ministre, comme

à tout chef de service, de prendre les mesures nécessaires

au bon fonctionnement de l'administration placée sous leur

autorité.

Jurisprudence du Conseil Constitutionnel :

22/07/1980 : Fonde l'indépendance des juridictions

administratives sur un PFRLR (jurisprudence précisée en

1987)

09/05/1991 : « la mention faite par le législateur du peuple

corse, composante du peuple français est contraire à la

constitution, laquelle ne reconnaît que le peuple français,

composé de tous les citoyens français sans distinction

d'origine, de race ou de religion », cependant le législateur

peut créer une organisation spécifique à la région de

Corse.

La science politique

131

Annexe 3

Introduction aux Institutions Administratives

La notion de service public est pertinente pour

observer une distinction entre le public et le privé, même

si elle est parfois l'objet de vives critiques doctrinales. La

notion d'intérêt général est elle aussi très présente car elle

permet souvent de distinguer une activité publique d'une

La science politique

132

activité privée. En effet une institution publique a la

plupart du temps pour mission la satisfaction d'un besoin

d'intérêt général.

Une institution publique bénéficie souvent de moyens

exorbitants du droit commun. Sa mission ou sa finalité

explique sa soumission - totale ou partielle - aux règles du

droit public : pouvoir normatif unilatéral, pouvoir

contractuel spécifique, deniers publics, agents publics,

usages préférentiels du domaine public ou de biens

publics, caractère insaisissable des biens. A l'inverse, une

institution purement privée ne peut utiliser que des règles

de droit privé en matière de propriété, de contrats ou de

responsabilité. Une liaison étroite existe entre la finalité de

l'institution et son rattachement au secteur public et au

secteur privé.

La distinction entre ces deux catégories institutionnelles

peut s'opérer en référence à l'autorité initiatrice de

l'institution.

Mais le paysage administratif n'est pas toujours aussi

simple. Les institutions publiques sont parfois dotées

d'habits privés (comme par exemple les EPIC :

établissements publics industriels et commerciaux), on

parle alors de gestion privée des services publics. On peut

aussi être en présence d'organismes privés chargés de la

gestion d'un service public comme dans le domaine de la

sécurité sociale.

Le terme d'institution publique fait référence à la fois à

des administrations politiques et administratives. Les

administrations politiques découlent de notre organisation

constitutionnelle et démocratique. Elles permettent aux

autorités légitimes de disposer des moyens de gouverner

ou de légiférer dans le cadre de l'Etat. Elles sont

La science politique

133

premières, puisqu'elles décident et orientent. Les

administrations administratives constituent normalement

des moyens au service du politique pour atteindre les

objectifs qu'il a fixés. Elles sont secondes.

Plusieurs institutions ont parfois à la fois une fonction

politique et administrative (ex. : le président de la

république et le premier ministre). De leur côté, les

autorités administratives ne peuvent mettre en œuvre des

décisions qu'en ayant, aussi, un certain sens politique. Le

droit n'est pas exclusif du politique, même s'il doit exclure

une attitude partisane.

Un réseau d'administrations adapté à une société post-industrielle

L'administration française est très sophistiquée. Cette

complexité peut être perçue de deux manières. Elle peut

être assimilée à de la lourdeur, de l'opacité, de la

bureaucratie, de l'inefficacité. On peut au contraire

considérer qu'elle répond aux exigences multiples d'une

société complexe. Quatre approches permettent de

caractériser globalement l'administration française.

Une approche fonctionnelle de l'administration

Si on se place sur un plan général, on peut dénombrer

plusieurs grandes missions de l'administration :

Veiller à l'ordre public : garantir la paix et la sécurité

publiques pour permettre la réalisation des libertés

individuelles et publiques et faciliter une vie paisible en

La science politique

134

société. La notion d'ordre public est très riche. Elle peut

être conçue de manière strictement juridique, on fait alors

référence à la police administrative et à sa fameuse trilogie

: tranquillité, sécurité et salubrité publique. Mais on peut

aussi la concevoir de manière plus vaste en l'étendant à

l'ensemble des institutions et administrations qui

concourent à l'ordre public et à la sécurité publique comme

l'armée, la justice ou la police, mais aussi les

administrations éducatives ou sociales.

Créer ou gérer les services publics nécessaires à la

collectivité (surtout lorsque l'initiative privée est

défaillante) : cette intervention publique est plus ou moins

importante selon les conceptions du rôle que doit avoir

l'Etat.

Réglementer ou réguler l'ensemble des activités privées :

surveiller l'application du droit dans l'ensemble du pays

On a pu parler à juste titre de l'émiettement administratif

ou d'une administration en miettes. Il existe une véritable

division du travail dans ce réseau d'administration. Chaque

compétence induit une administration spécialisée avec ses

missions, ses logiques, voir aussi sa culturel et ses

traditions. Cette forte spécialisation fonctionnelle est

visible tant au niveau des ministères que des services

déconcentrés de l'Etat.

Une approche organique de l'administration publique

Par cette approche, l'administration se présente comme un

ensemble d'institutions aux statuts ou aux règles de

fonctionnement très variés.

La science politique

135

A côté de l'unité juridique de l'Etat, il existe une

multiplicité de personnes publiques dotées de la

personnalité morale. Ces institutions administratives

peuvent être liées entre elles de manière hiérarchique,

comme c'est le cas pour la plupart des administrations de

l'Etat. Au contraire, elles peuvent bénéficier d'une

autonomie de fonctionnement, comme c'est le cas pour les

collectivités territoriales. L'administration peut donc être

considérée comme un ensemble d'organes spécialisés

reliés entre eux.

Une approche idéologique de l'administration publique

Cette approche s'intéresse à la légitimité de l'action

publique. Quelle doit être la place de l'espace public par

rapport à celle de la société civile ?

La crise de l'Etat-providence, mise en relief par Pierre

Rosanvallon, ne peut que renforcer les interrogations sur la

légitimité et l'efficacité de l'action publique.

L'approche idéologique se penche aussi sur les modes

de l'action publique qui se déclinent en trois possibilités :

faire, faire faire ou réguler les activités privées. Depuis

quelques années, sous l'influence de la pensée libérale, on

assiste dans les pays occidentaux à une forme de reflux de

l'intervention publique. Cette question de l'amplitude de

l'action publique connaît une évolution sous l'influence de

la construction européenne et du développement, depuis le

traité sur l'union européenne, du principe de subsidiarité.

En simplifiant la signification de ce principe, il consiste à

trouver le niveau le mieux adapté à la gestion d'une

activité.

La science politique

136

Une approche concrète de l'administration publique

L'importance du nombre des agents publics, fonctionnaires

ou pas, est révélatrice du poids de l'administration dans

notre société. On peut dénombrer en 2000, 2 177 652

agents de l'Etat auxquels il faut ajouter les 440 000 agents

employés, depuis la réforme de ce secteur par la Poste et

France Telecom.

L'Etat est une seule personne publique qui connaît de

multiples structures, soit en administration centrale, plus

de 450 sous-directions, plus de 2000 bureaux, soit en

administrations déconcentrées, 100 préfectures et 233

sous-préfectures d'arrondissements (sans compter celles

des chef-lieux de départements). Les collectivités

territoriales sont très nombreuses en France : 36 763

communes, 100 départements, 22 régions auxquelles il

faut ajouter les territoires d'outre mer.

Un réseau institutionnel, héritier d'une longue histoire administrative

La continuité administrative est surprenante et contraste

avec la discontinuité politique et constitutionnelle. On a pu

parler et à juste titre d'une constitution administrative de

la France. Notre administration connaît des strates

successives, comme en géologie. Même lorsque des

révolutions sont intervenues, elle n'ont pas nécessairement

fait table rase des principes ou des structures de

La science politique

137

l'administration ancienne. Pour François Burdeau « en

France, l'administration a constitué l'Etat ». L'Etat a

toujours été conçu non seulement comme un instrument

d'ordre mais surtout comme un producteur de sens et de

cohésion. Pour Pierre Rosanvallon, « l'Etat a construit et

produit la Nation ».

La centralisation administrative a permis de parfaire l'unité

du royaume. L'institution des intendants de finances, de

justice et de police affirme l'autorité du pouvoir étatique et

une certaine uniformité de gestion. On comprend alors

facilement qu'elle ait donné par la suite naissance à

l'institution préfectorale. Le principe de grands corps de

l'Etat est posé en 1750 avec la création du service des

ponts et chaussées. A la fin de l'ancien régime, les

éléments essentiels de l'administration sont en place, y

compris le concept de bureaucratie qui apparaît dès 1780.

La Révolution, le premier consulat et l'Empire ont posé les

vases de l'administration moderne par certaines ruptures

avec l'Ancien Régime, tout en assumant aussi une certaine

continuité. La Révolution rationalise et uniformise

l'administration territoriale pour mieux unifier la France au

nom du principe d'égalité. La création du département et

son organisation administrative par la loi du 22 décembre

1789, la consécration et le régime de la commune par la

loi du 14 décembre 1789 fixent la nouvelle organisation de

l'espace national.

Napoléon, souvent considéré comme le père de

l'administration moderne, consolide et poursuit l'œuvre

révolutionnaire par la mise en place de nouvelles

institutions administratives. La loi du 28 pluviôse an VIII

(17 février 1800) établit ce que Jean-Jacques Chevallier

appelle « la constitution administrative française » avec le

La science politique

138

préfet dans le département, le sous-préfet dans

l'arrondissement, les maires, les conseils de préfecture

(ancêtres des tribunaux administratifs), le conseil général,

le conseil municipal. Toute l'organisation administrative du

territoire est ainsi construite. Le Conseil d'Etat devient une

pièce maîtresse du système administratif français. L'œuvre

administrative de Napoléon touche de très nombreux

secteurs de l'action publique, comme par exemple

l'instruction publique avec la loi du 10 mai 1806 créant

l'Université impériale et un appareil administratif complet

avec les lycées, les facultés, les académies, les recteurs ou

les inspecteurs d'académie.

Sous les monarchies constitutionnelles, la IIe

République ou le second Empire on assiste davantage à

des adaptations administratives qu'à des transformations

fondamentales. La Restauration crée l'inspection des

finances et la Caisse des dépôts et consignations. La

monarchie de Juillet donne naissance au service public de

l'instruction, aux concessions de service public ou au

régime juridique de l'armée.

La IIIe République contribue, à son tour largement, à

l'édification de notre système administratif. Elle construit

des bâtiments publics (écoles, lycées, hôpitaux, casernes,

gares…). Elle stabilise et conforte l'administration

décentralisée avec les lois de 1871 et 1884 pour le

département et pour l'administration communale. Elle

donne naissance en 1872 à la justice administrative

déléguée, et donc au Conseil d'Etat moderne et au Tribunal

des Conflits. L'interventionnisme public se poursuit dans de

nouveaux domaines, notamment économiques et sociaux,

soit par la création de nouvelles administrations comme les

ministères du commerce, de l'industrie, de l'agriculture ou

La science politique

139

du travail, soit par des pratiques comme le socialisme

municipal, soit par la nationalisation ou la constitution de

société d'Etat comme la banque de France ou la SNCF

(1937).

Avec la Libération et la IVe République, l'Etat augmente

ses interventions dans les secteurs économiques et sociaux

en fonction des exigences de la reconstruction, mais aussi

sous l'influence d'une conception renouvelée du rôle de

l'Etat. La sécurité sociale est créée. Une rationalisation de

l'action publique est mise en œuvre avec la consolidation

du secrétariat général du gouvernement, la planification

(avec le commissaire au plan), la politique urbaine ou

l'aménagement du territoire. L'ordonnance du 9 octobre

1945 donne naissance aux Instituts d'Etude Politique pour

démocratiser l'accès à la fonction publique et à l'Ecole

Nationale d'Administration pour améliorer et uniformiser la

formation des corps de hauts fonctionnaires. La loi du 19

octobre 1946 organise le premier statut général de la

fonction publique pour en unifier les règles, en

professionnaliser et en démocratiser le fonctionnement.

La Ve République, elle, a pour mission de donner à la

France des institutions politiques permettant à l'Etat

d'avoir de l'autorité.

Un appareil administratif objet d'un procès permanent

La critique de l'administration est une constante du

discours politique français. Cette attitude récurrente à

l'égard de l'administration suppose l'existence d'une forme

de modèle idéal d'administration publique (une

administration qui rend les services qu'on attend d'elle

La science politique

140

avec compétence, efficacité, sans lourdeur excessive, sans

secret inutile, sans arrogance déplacée, en ayant le souci

de sa propre évaluation).

Les critiques majeures portent tour à tour sur : le poids

de l'Etat et de la machine administrative, le pouvoir

administratif, la lenteur des procédures administratives,

l'inertie ou l'impuissance publique, l'inflation normative,

l'insuffisante transparence administrative, l'inadaptation

des structures administratives, l'excessive centralisation et

le corporatisme des fonctionnaires.

Une administration en permanente adaptation

Cinq axes caractérisent les évolutions contemporaines

de l'administration française :

- La gestion des ressources humaines comme de

manière plus générale celle de la gestion publique a été

modernisée. Une meilleure adaptation des personnels aux

emplois et aux métiers a été recherchée. Les techniques

de gestion ont été empruntées au secteur privé. Les

technologies de l'information sont largement utilisées.

- Les relations entre l'administration et les administrés

ont été fortement améliorées par la reconnaissance de

nouveaux droits mais aussi par une meilleure

communication (loi du 6 janvier 1978 sur l'informatique,

les fichiers et les libertés, loi du 11 juillet 1978 sur la

communication des documents administratifs, loi du 17

juillet 1979 sur la motivation des actes administratifs, le

décret du 28 novembre 1983 sur l'amélioration des

relations entre l'administration et les usagers, la loi du 12

La science politique

141

avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs

relations avec l'administration).

- A partir de 1982, un large processus de

décentralisation a été engagé pour renforcer la démocratie

et l'autonomie locales. De son côté, l'Etat s'est engagé

dans une politique de déconcentration de sa propre

administration.

- Le droit et le contentieux administratif on également

évolué : les lois de 1987 et 1995 ont modernisé la justice

administrative. De nouvelles juridictions (Cours

Administratives d'Appel) ainsi que de nouvelles procédures

(injonction, astreinte) ont vu le jour.

- L'Europe influence la philosophie générale de

l'administration française en véhiculant une approche plus

libérale qu'interventionniste.

Annexe 4

Vie Politique Française : les grandes Dates

1940 : Armistice (22 Juin) loi constitutionnelle donnant les

pleins pouvoirs à Pétain (10 Juillet)

1941 : l’Allemagne attaque l’URSS, le PC entre dans la

résistance

1944 : formation du GPRF (2 Juin)

1946 : Discours de Bayeux par CDG

La science politique

142

Démission de CDG (20 Janvier)

Constitution de la IVe République (13 Octobre)

1947 : début de la guerre froide

1948 : début de l’Aide Marshall (qui s’éleva pour la France

à plus de 2.6 milliards de dollars)

1949 : l’URSS a la bombe atomique

1951 : CECA

1954 : « réformette » de la constitution de la IVe

république

défaite de Dien Bien Phu

PMF président du conseil : Accords de Genève

(juillet) Le projet de CED est rejeté par les députés

français (août) Attentats en Algérie : la « toussaint rouge »

1956 : Traités de Rome (CEE, CEEA)

Formation de l’USRAF (regroupant des

parlementaires favorables à une politique de répression

ferme en Algérie)

Guy Mollet obtient les pouvoirs spéciaux (12 mars) et

envoie le contingent en Algérie

Loi-cadre Deferre (juillet) visant à amener les

colonies d’Afrique Noire vers l’autonomie puis

l’indépendance

Crise de Suez (consacre le déclin des empires

Français et Britanniques et la prégnance des deux super-

puissances)

Indépendance du Maroc et de la Tunisie (décembre)

1958 : Bombardement de Sakiet Sidi Youssef en Tunisie

(8 février) => le président tunisien saisit l’ONU

La crise de Mai : à Alger, une manifestation d’hommage à

trois soldats tués du FLN dégénère, le gouvernement

général est occupé par la foule. Un comité de salut public

est créé réunissant civils et militaires, musulmans et

La science politique

143

français avec à sa tête le général Massu. ð retour de

CDG comme président du conseil. Il est investi des

pouvoirs spéciaux en Algérie, des pleins pouvoirs législatifs

pour six mois et du pouvoir d’élaborer un projet de

constitution

Constitution de la Ve République (28 septembre)

Création de l’Union pour la Nouvelle République (1er

octobre)

Elections législatives et présidentielles : CDG président

(Debré PM)

1960 : Création de l’OAS

1961 : Référendum sur l’autodétermination de l’Algérie

(janvier)

Putsch des généraux (22 avril)

« Victoire des transistors » : CDG intervient à la TV

et à la radio (23 avril) ð fin du putsch le 25

1962 : Référendum sur les accords d’Evian (8 avril)

Indépendance de l’Algérie (3 juillet)

Attentat du Petit Clamart (22 août)

Traité d’amitié « franco-allemand » (Adenauer –

CDG)

Crise des missiles de Cuba

Motion de censure du gouvernement Pompidou votée

par l’Assemblée Nationale (5 octobre) => Dissolution de

l’Assemblée (10 octobre) Référendum sur l’élection du

président de la république au S.U.D. (automne)

Elections législatives : Pompidou PM

1963 : Loi interdisant les grèves surprises et tournantes

dans le secteur public (31 juillet)

1964 : Création de l’ORTF

Décret qui donne le même temps de parole à la TV et

à la radio à tous les candidats à l’élection présidentielle

La science politique

144

La France reconnaît l’existence de la Chine Populaire

1965 : Election présidentielle : CDG président (Pompidou

PM)

réélection de CDG

1966 : La France quitte l’OTAN (7 mars)

1967 : Guerre des 6 Jours (CDG condamne l’action

d’Israël)

Création de l’ANPE (13 juillet)

CDG se rend en URSS

Elections législatives : Pompidou PM

1968 : Condamnation d’étudiants ayant lancé des pavés

(5 mai) Nuit des barricades à Paris (nuit du 10 au 11 mai)

Grève générale (13 mai)

La France est paralysée par les grèves durant la fin

du mois de mai

Accords de Grenelle (27 Mai) Manifestation Gaulliste

sur les Champs Elysées (30 mai)

Loi d’orientation de l’Enseignement Supérieur qui

inaugure la réforme universitaire

Elections législatives : Couve de Murville PM

1969 : Référendum sur la seconde chambre et les régions

(27 avril) : 52.4% de « non » => CDG quitte l’Elysée

Election présidentielle : Pompidou président (Chaban-

Delmas PM)

1971 : Congrès d’Epinay : création du Parti Socialiste dont

le président est François Mitterrand

1972 : Démission de Chaban-Delmas (5 juillet) Signature

du Programme Commun (9 juillet)

Référendum sur l’élargissement de la CEE (23 avril)

1973 : « Démission » d’Arthur Conte, PDG de l’ORTF

(Pompidou reprend l’ORTF en main)

Elections législatives : Messmer PM

La science politique

145

1974 : Décès de Georges Pompidou (2 avril)

Premier face à face télévisé des candidats en lice

pour le second tour (10 mai)

Election présidentielle : VGE président

Majorité à 18 ans (5 juillet)

Eclatement de l’ORTF, scindée en 4 sociétés (7 août)

Loi Weil sur l’IVG (17 janvier)

1976 : Démission de Jacques Chirac de son poste de PM

=> Raymond Barre est nommé PM

Jacques Chirac fonde le RPR dont il devient le

président

1978 : Discours de Verdun sur le Doubs de VGE

préconisant le choix de la majorité aux prochaines

élections Opération militaire de Kolwesi (protection de

ressortissants français au Zaïre) Elections législatives :

Barre PM

Vie Politique Française dans la 2e guerre mondiale

L’histoire est toujours en rétro diction : elle est revue et

corrigée selon les enjeux politiques du moment. Il y a

plusieurs visions de Vichy et de la Résistance : - la

vision des vainqueurs : la trahison nationale d’hommes

passés au service de l’Allemagne. - la défense des

vaincus : le double jeu (qui se met en place dès que le sort

de la guerre est scellé) - le verdict des archives : la

thèse de la protection des biens et des personnes ne tient

pas ; face aux traces des échanges confidentiels avec les

La science politique

146

autorités allemandes la thèse du double jeu s’effondre. Par

ailleurs, la version Gaullienne de la France résistante est

nettement corrigée. - l’état du débat : la

requalification criminelle et les révisionnismes à partir des

années 1970

Durant tout ce temps, les archives françaises sont

demeurées largement fermées à la consultation (les

historiens ont utilisé les archives allemandes), cette

ignorance forcée n’est pas étrangère à la consolidation du

mythe « résistancialiste » dans les décennies suivant la

guerre tout comme au crédit relatif conféré à la thèse du

double jeu.

I- Le gouvernement de Vichy

A- La « Révolution Nationale »

A la fois slogan et programme de Vichy, la révolution

nationale est héritée des années 1930 où on a beaucoup

parlé de révolution dans les cercles intellectuels, en

donnant d’ailleurs au terme les significations les plus

diverses. Cette expression, notamment employée par Aron

et Dandieu dans un livre de 1933, évoquait une «

révolution conservatrice ».

1) L’organisation politique de Vichy

sept. 39 – mai 40 : « drôle de guerre »

mai 40 – juin 40 : débâcle militaire

Juin 1940 : le gouvernement est replié à Bordeaux devant

l’avancée allemande. Paul Reynaud, chef du

gouvernement, demande au général Weygand (chef de

l’armée) de signer une capitulation, celui-ci refuse au nom

de l’honneur de l’armée : « le gouvernement a pris la

responsabilité de la guerre, à lui de prendre la

responsabilité de l’Armistice ». Au sein du gouvernement,

la lutte tourne en faveur de l’Armistice. Paul Reynaud

La science politique

147

démissionne et cède la pace au Maréchal Pétain. Malgré la

demande d’Armistice du 18 juin, les Allemands continuent

d’avancer. Le nouveau gouvernement laisse alors partir

quelques parlementaires vers le Maroc.

22 Juin 1940 : l’Armistice est signé par Pétain et Hitler. Les

conditions sont draconiennes, « sévères » selon les

propres termes du Maréchal Pétain. L’Armistice confirme le

pouvoir de Pétain et de ses alliés. Les parlementaires

embarqués sur le Massilia pour Casablanca sont désavoués

(et certains arrêtés).

10 Juillet 1940 : Le gouvernement désormais basé à Vichy

réunit les parlementaires (666 sont présents sur les 852).

Ils votent un projet de loi constitutionnelle par lequel «

l’Assemblée Nationale donne tous pouvoirs au

gouvernement de la République, sous l’autorité et la

signature du Maréchal Pétain, à effet de promulguer par un

ou plusieurs actes une nouvelle constitution de l’Etat

Français. Cette constitution devra garantir les droits du

travail, de la famille et de la patrie. Elle sera ratifiée par la

nation et appliquée par les assemblées qu’elle aura crées.

». Sur 649 votants, 569 sont pour, 80 sont contre et 20

s’abstiennent. 79 des 80 « contre » sont des hommes de

gauche. Ceux-ci vont être inquiétés (certains même

emprisonnés) et d’autres vont rejoindre la résistance.

Sur la base de cette loi constitutionnelle, une série

d’actes constitutionnels sont publiés et une sorte de

régime monarchique est institué (du moins dans les

apparences du pouvoir). La situation qui l’a porté au

pouvoir et son aura de héros de la première guerre font de

Pétain un chef charismatique. Un culte de la personnalité

est mis en place pour célébrer le « beau vieillard »

(chansons, films, tournées populaires, gadgets…) mais

La science politique

148

surtout dans la zone sud (i.e. la zone non- occupée). Dans

le désarroi, une grande partie des français s’en est remise

à ce grand-père rassurant. Jusqu’au bout, celui-ci a réussi

à détourner l’impopularité du gouvernement sur d’autres

que lui. A partir de 1942, avec les exigences allemandes et

le retour de Laval (Pétain l’avait congédié le 13 décembre

1940), Pétain perdit la direction effective des affaires. Le

mode de gouvernement est très personnalisé : tous les

matins un conseil restreint est réuni par Pétain avec des

ministres de son choix. La radio de Londres se moque de

cette « cour ».

La continuité administrative

La machine administrative a rapidement retrouvé son

fonctionnement normal. Les pouvoirs des conseils

généraux et des conseils d’arrondissement ont été confiés

aux préfets et sous-préfets, assistés de commissions

administratives.

Dans l’ensemble, le corps préfectoral s’est fort bien

accommodé du nouveau régime. Diverses épurations ont

aidé à parfaire cette fidélité politique.

L’hétérogénéité du personnel politique de Vichy

Vichy réunit des hommes de tous horizons : monarchistes,

fascistes, politiciens de la IIIe République, hommes de

gauche. Leur dénominateur commun est l’anti-

républicanisme (la République est pour eux « la gueuse »).

Vichy réunit des exclus de la IIIe République : Laval, par

exemple, président du conseil en 1935 avait été l’homme

impopulaire des décrets-lois, il était convaincu que sa

politique avait été bonne et qu’il avait été victime de

l’injustice et du mensonge.

2) Un programme politique de « révolution conservatrice

» Vichy met en avant sa devise « travail, famille, patrie »,

La science politique

149

en opposition avec la devise républicaine « liberté, égalité,

fraternité », république dont l’égalitarisme et

l’individualisme sont stigmatisés comme les causes de sa

décadence depuis l’entre-deux guerres.

La presse (étroitement contrôlée) dénonce les maux que

sont le parlementarisme, la gauche (et surtout le

communisme), les intellectuels, le cosmopolitisme, les

juifs, les francs-maçons, la dégradation des mœurs…

Pétain prône un « redressement moral et intellectuel » et

les vraies valeurs (« la terre, elle, elle ne ment pas »).

Soumise à la contradiction de la collaboration, l’idéologie

nationaliste (« la France aux Français ») se nourrit par

compensation d’anglophobie, d’anti- américanisme, d’anti-

cosmopolitisme puis d’anti-capitalisme… en somme de la

dénonciation de maux souvent associés aux juifs. A la

même époque des déportations avaient lieu.

L’esquisse d’un nouvel ordre politique :

- Suppression de tout ce qui est associé au régime aboli :

les partis politiques, les syndicats…

- Procès de Riom : jugement des hommes considérés

comme responsables de la défaite

- La légion : sorte de parti unique est créé

- Charte du travail : elle institue une organisation

corporative du travail (fin des syndicats), les corporations

sont des organes publics. Volonté de rompre avec

l’affrontement des classes qui est censée avoir mené la

France à sa perte. Volonté de privilégier la solidarité

sociale.

- régénération morale : pour répondre à la faillite des

élites, création de l’Ecole des Cadres d’Uriage

- création d’un secrétariat d’état à la jeunesse

- politique dirigiste dans l’économie

La science politique

150

- politique antisémite : législation antisémite menée à

l’initiative du gouvernement de Vichy sans demande

allemande (statut des juifs du 3 octobre 1940 leur

interdisant l’accès à la fonction élective, à la fonction

publique, à l’armée et introduisant un numerus clausus

dans les universités et les professions libérales), la

participation française aux déportations a été négociée

(mais la police française allait souvent au-delà des

demandes allemandes – et les juifs de nationalité française

ne furent pas épargnés, contrairement aux accords avec

l’Allemagne – sur 300.000 juifs vivant en France, 80.000

ont été déportés).

B- Les formes de la collaboration

Les rapports entre la France et l’Allemagne sont d’abord

inscrits dans les conditions d’Armistice : - occupation

de la zone Nord (sous administration allemande militaire

de Bruxelles) - frais d’occupation exorbitants (58%

du revenu national – de quoi entretenir une armée de 10

millions de soldats)

« Pour moi la collaboration des Français n’a qu’un seul

sens : s’ils fournissent tout, et de bon gré, jusqu’à ce qu’ils

n’en puissent plus, alors je dirai que je collabore »

déclarait Hermann Goering.

Comment les partisans de la collaboration ont-ils pu croire

les promesses de « donnant-donnant » malgré tous les

démentis et toutes les humiliations subies ? Dans les

différentes tentatives pour obtenir des garanties d’Hitler,

lui-même, les dirigeants de Vichy n’ont jamais rien obtenu.

Pourtant l’espoir a toujours été poursuivi.

1) La collaboration économique L’exploitation économique

de la France s’est apparentée à un pillage payé avec

l’argent français. Dans beaucoup de secteurs économiques,

La science politique

151

on a vendu à ceux qui pouvaient acheter et donc aux

Allemands. Louis Renault disait « une seule chose compte :

moi et mon usine. Les autres n’ont qu’à faire pareil. »

2) Le gouvernement de Vichy La thèse du double jeu a

été échafaudée en 1944 et avancée dans les procès par les

responsables de Vichy. Les autorités de Vichy quelles

qu’elles soient ont fait des propositions d’engagement aux

côtés de l’Allemagne qui n’ont pas abouti du fait du

désintérêt d’Hitler. De même, quand a eu lieu le

débarquement en Afrique du Nord, Pétain ordonne de

combattre les Américains alors qu’il se contente de

protester contre l’invasion de la zone sud par l’armée

allemande. Les autorités allemandes ont par ailleurs été

tenues au courant des tractations avec les Américains.

Laval le disait en 1942 : « je souhaite la victoire de

l’Allemagne, car, sans elle, bientôt le communisme

s’installera partout en Europe ».

3) La collaboration au service de l’occupant Elle va de la

simple délation à la fréquentation mondaine des troupes

de l’occupant. La collaboration parisienne (constamment

critique à l’égard de Vichy) était utilisée par les Allemands

pour faire pression sur Vichy. Les hommes engagés dans la

répression (la milice) jouèrent un rôle important dans le

régime.

Episode du 12 novembre 1943 :

Pétain projette de se défaire de Laval en le congédiant

dans un message à la Nation diffusé à la radio. Au jour et

à l’heure annoncés, le message n’est pas diffusé.

L’ambassadeur Abetz somme Pétain de nommer des

hommes sûrs, avec à leur tête Pierre Laval.

Pour certains collaborateurs le retour en arrière n’est

plus possible : les menaces s’intensifient à leur égard

La science politique

152

(lettres anonymes, inscriptions sur les demeures,

dénonciations nominales à la radio de Londres…). Ainsi

s’opère une fuite en avant des collaborateurs.

II- Résistance et Libération

La Résistance comme la Libération ont été conçues comme

un mythe unificateur. La résistance était une action limitée

tant du point de vue de sa puissance que du point de vue

du nombre. A bien des égards elle a été divisée et l’est

restée malgré son unification sous l’égide de CDG.

A- Résistance : dissidences et guerre civile

La résistance était une dissidence d’avec le gouvernement

français qui avait demandé l’armistice.

Le terme générique de résistance ne doit pas faire oublier

les divisions existantes : - intérieur / extérieur -

divisions entre les groupes en raison de différentes

appartenances politiques

1) La résistance à l’étranger :

Le 17 Juin 1940, CDG part à Londres avec le Général

Spears. Il prendra le rôle de chef de la France libre. Ce

statut lui fut cependant longtemps disputé par l’Amiral

Muselier. Certains exilés refusaient de rejoindre l’équipe de

CDG qu’ils voyaient comme sectaire et contre la

démocratie. Un soutien à la France libre vint du

gouverneur d’Afrique Equatoriale Française Felix Eboué et

donna une sorte de base territoriale à la souveraineté

gaulliste. CDG est longtemps apparu comme l’homme des

britanniques. Il a bénéficié du soutien d’un Churchill agacé

et subit la défiance d’un Roosevelt qui le soupçonnait de

visées prétoriennes et qui maintint un ambassadeur à

Vichy jusqu’en 1945. En outre Roosevelt soutint le général

Giraud en 1943 avec le projet de placer la France libérée

sous gouvernement Américain. En mai 1943 la France

La science politique

153

Libre s’installa à Alger. Pendant un an CDG et le général

Giraud se disputèrent sa direction. CDG finit par évincer

Giraud. Le gouvernement de la France libre se livrait à une

activité législative par ordonnances et proclamait la nullité

des « actes soi-disant lois du gouvernement de Vichy ». Le

2 juin 1944, dans la perspective de la libération, le GPRF

fut créé.

2) La résistance intérieure :

Elle s’était d’abord manifestée symboliquement le 11

novembre 1940 (manifestations près des monuments aux

morts), puis l’attaque de l’URSS par l’Allemagne en 1941

lança le PC dans la résistance. La formation d’une

résistance militaire fut encore encouragée par la création

du STO : pour lui échapper, les jeunes gens rejoignirent la

résistance à partir de 1943. Les contraintes de la

clandestinité imposaient le cloisonnement de la résistance.

Le rôle fédérateur de la résistance extérieure en était

d’autant facilitée : ainsi Jean Moulin (émissaire de CDG)

réussit à unifier la résistance, quoique de façon imparfaite

(les communistes gardèrent beaucoup d’autonomie).

B- La Libération

Prendre sa place dans le conflit avait été une des

préoccupations principales de CDG : maintenir « le rang »

de la France, reprendre sa place dans le camp des

vainqueurs. Mais les espoirs de CDG furent en partie déçus

: la France ne fut pas conviée aux grandes conférences de

Téhéran, Yalta et Potsdam.

1) Le contrôle de la nouvelle autorité politique

Le GPRF était confronté à la difficile tâche d’affirmer son

autorité devant : - les alliés (et le projet d’Amgot) -

Vichy (négociations multiples avec Laval qui a

cherché un compromis en 1944) - L’ Administration

La science politique

154

(qui avait servi Vichy) - Les différents courants de la

résistance intérieure

Dans l’esprit de CDG la libération était une restauration de

l’autorité politique légitime. Après quelques ultimes

tentatives irréalistes, les principaux responsables de Vichy

furent emmenés en Allemagne par les troupes allemandes

en retraite. A leur retour ils furent sévèrement punis :

Pétain condamné à perpétuité, Laval exécuté… et les

collaborateurs furent victimes de l’épuration (environ

10.000 exécutions)

2) Un temps de réformes

Paradoxalement, on peut noter une convergence entre les

secteurs modernistes de Vichy et certains secteurs de la

résistance sur la modernisation, le dirigisme, la paix

sociale… En effet, les contraintes de la reconstruction

étaient elles aussi celles d’une économie de pénurie.

Réformes :

- suffrage des femmes

- nationalisations-sanctions

- création de la sécurité sociale

- création du commissariat général au plan

La IVe République

- « un tiers des français s’y étaient résignés, un tiers

l’avait repoussée, un tiers l’avait ignorée » (CDG)

- 17 gouvernements en 12 ans (le plus long – celui de Guy

Mollet – dura 16 mois)

La science politique

155

- augmentation des portefeuilles (ces « trophées »

permettent de réussir à coaliser)

- forte rotation des ministres mais grande stabilité du

personnel politique – ces jeux politiques sont ressentis par

les français comme une confiscation de la souveraineté

- politique keynésienne non avouée

- décolonisation :

Indochine (Dien Bien Phu – Accords de Genève)

Algérie (crise de mai 58)

A l’actif de la IVe République :

- reconstruction

- bases de la croissance économique (aide Marshall et

planification) - construction européenne (CECA , CEE,

CEEA)

Au passif de la IVe République :

- déficit chronique du budget

- vagues d’inflation dramatiques

- décolonisation douloureuse (répression des

soulèvements au Maroc et à Madagascar, conflit

indochinois, obstination à vouloir conserver l’Algérie)

Phase Algérienne de la République Gaullienne

Le Gouvernement Debré

1958 – 1962

- « coup d’état » du 13 mai 1958

- la constitution de 1958 :

- renforcement de l’exécutif

- parlementarisme rationalisé

Référendum constitutionnel :

La science politique

156

Les partisans du non :

- PC

- Union des Forces Démocratiques (syndicats)

Les partisans du oui :

- SFIO

- Radicaux

- Républicains sociaux

- MRP

La question Algérienne :

1959 discours sur l’autodétermination prononcé par CDG :

il proposait qu’après un cessez-le-feu préalables et

quelques années de pacification, les populations

algériennes puissent choisir entre :

- la sécession

- la francisation (intégration)

- le gouvernement des Algériens par les Algériens

appuyé sur l’aide de la France

1961 : référendum sur l’autodétermination : 75% de « oui

»

Politique gouvernementale :

- dirigisme économique (avec Antoine Pinay aux

finances) : impôts nouveaux, mise en place du nouveau

franc ð cette politique fut un succès : équilibre

budgétaire, petite hausse des salaires et des prix,

expansion économique et excédents dans la balance des

paiements

- politique de défense : 1960 : bombe atomique

française

- émancipation des colonies : la constitution de 1958

prévoyait pour les colonies le choix entre la communauté

et l’indépendance

- amitié franco-allemande

La science politique

157

- refus de laisser entrer le RU dans la CEE

Les nouvelles règles du jeu politique : - «

magistrature du verbe » (nouvel usage des média – 2

conférences de presse par an) - prééminence

présidentielle dans les nouveaux équilibres institutionnels

(art. 49 al.3)

Le septennat inachevé de Georges Pompidou

Le Gouvernement Chaban-Delmas – Les

Gouvernements Messmer

1969 – 1974

L’Ouverture :

Pompidou souhaite « développer entre l’exécutif et le

Parlement tout entier des relations confiantes et

constantes ». Il propose une ouverture à l’égard du Sénat.

La Nouvelle Société de Jacques Chaban-Delmas :

- Politique de concertation

- contacts réguliers de l’Etat avec les organisations

syndicales

- contrats de programmes avec les entreprises

nationalisées

- création du SMIC

- lois sur la formation professionnelle

- libéralisation de l’information : restructuration de

l’ORTF en unités autonomes

La politique de Pompidou :

Monopole de la politique étrangère.

Relance de la politique européenne (notamment levée du

veto français à l’entrée du RU dans la CEE).

L’unité de la gauche :

La science politique

158

Union des trois partis socialistes (UGCS + SFIO + CIR)

pour former le PS. En 1972 PS et PC signent le programme

commun auquel se ralliera le MRG en vue des élections

législatives de 1973. Face à une gauche unie, la droite est

divisée : tensions entre Chaban-Delmas et l’UDR,

divergences quant au soutien de Pompidou parmi les RI.

Pompidou va tenter de briser cette dynamique en

annonçant un référendum sur l’élargissement de la

communauté européenne en avril 1972. Il mettait ainsi la

gauche face à ses contradictions (PS pro-européen et PC

anti-européen). La parade de la gauche va être

l’abstention. Pompidou obtiendra 68% de « oui », mais il y

aura presque 40% d’abstentions.

Les législatives de 1973 :

Le 11 mars 1973 (2e tour), la droite perd une centaine de

sièges mais elle conserve, avec ses 275 sièges, la

majorité. S’en suit une réelle volonté de reprise en main

des choses par l’Elysée. « Démission » du PDG de l’ORTF

(Pompidou déclare que la télévision est la voix de la

France… c’est la raison pour laquelle il doit la contrôler). Le

2 avril, le décès de Pompidou est annoncé.

La science politique

159

Annexe 5

Les idées politiques

A- Erasme

(Desiderus Erasmus)

1469 - 1536

Humaniste hollandais. Il entre au couvent augustin de

Steyn (près de Gouda) où il prononça ses vœux (dont il

sera dispensé par Jules II) et fût ordonné prêtre. Il

poursuivit ses études au collège Montaigu de Paris. Devenu

précepteur, il se rendit en Angleterre où il rencontra John

Colet dont il suivit les cours de théologie et se lia d'amitié

avec Thomas More. L'histoire de sa vie n'est ensuite que

celle de ses voyages et de ses œuvres. Entre 1500 et

1506, il écrivit les Adages et le Manuel du Chevalier

Chrétien. Lors de son séjour en Italie (1506-1509), il

fréquenta Manuce et apprit le grec, qu'il enseigna ensuite à

Cambridge. C'est à cette époque qu'il compose l'Eloge de

La science politique

160

la folie (dédié à Thomas More). Aux Pays-Bas où il fût un

temps conseiller du futur Charles Quint, il écrivit pour lui

l'Institution du Prince Chrétien et publia également son

Novum Testamentum et la première édition des colloques.

En 1521 il s'établit à Bâle où, dans la période de conflit

religieux entre les catholiques et les protestants il écrivit

son traité du libre arbitre (De Libro Arbitrio) où il prit

position contre la doctrine de la prédestination (auquel

Luther répondra par son traité sur le « serf-arbirtre » : De

Servo Arbitrio). Il écrira aussi à cette époque son

Sarcienda Ecclesia Concordia. Cet humaniste dont la

pensée est faite de mesure, de prudence et de tolérance

chercha à concilier l'étude des Anciens (en particulier les

penseurs de l'antiquité) et l'Evangile.

Erasme prône la paix et se demande quels pourraient

être les moyens d'éviter la guerre. Pour Erasme le prince

doit gouverner d'une manière pacifique, en conformité

avec la parole du Christ (Erasme écrit à l'intention des

princes de la chrétienté). Il doit éviter d'avoir une politique

extérieure qui serait une politique de conquête de

territoires. Par conséquent la « politique matrimoniale » du

prince doit être dénuée de toute intention de conquête : le

prince ne doit pas se marier par intérêt.

Cependant, l'époque où Erasme écrit est aussi celle de

la guerre avec les turcs. Et sur ce sujet Erasme n'est pas

pacifiste. Après la conquête de Constantinople en 1453, les

musulmans n'ont cessé d'avancer et la crainte d'une

Europe islamisée était très présente dans les esprits.

Erasme considérait que la guerre contre les turcs ne devait

pas être une croisade mais qu'il fallait cependant prendre

en compte le danger que la poussée islamique représentait

La science politique

161

pour le christianisme et agir en conséquence : en d'autres

termes il prônait une guerre défensive (à la même époque,

Martin Luther pensait, lui, que cette poussée islamique

était une punition infligée par Dieu et qu'il ne fallait rien

faire). Pour justifier cette position en contradiction avec

son apologie du pacifisme, Erasme se réfère aux propos de

Saint Paul : « le glaive peut être utilisé pour défendre les

bons » (en effet le pacifisme d'Erasme se nourrit de la

parole du Christ, à l'intérieur de laquelle il a tout son sens,

mais quand c'est de la survie de la chrétienté qu'il s'agit

alors l'usage du glaive serait acceptable).

Erasme prône une guerre défensive mais il songe

cependant aussi à la conversion. En effet, la terre des

turcs fût auparavant une terre chrétienne, la terre des

apôtres, la terre du christianisme byzantin (qui même s'il

est séparé de Rome n'en reste pas moins une branche du

christianisme). Il y a donc chez Erasme ces deux idées au

sujet de la question turque : la guerre défensive et

l'éventuelle conversion.

Toujours dans son souci d'exhorter les chrétiens à la

paix, Erasme raisonna sur la manière de favoriser le bon

comportement du prince. Il réfléchit à l'éducation

princière.

Selon lui cette éducation doit être combinée de telle

façon qu'elle s'adresse presque dès le berceau à celui qui

est censé gouverner (cependant, celui qui va gouverner

n'est pas toujours celui qui y était destiné… et n'a donc pas

toujours été dûment préparé --- ex. : Louis XVI qui vint

sur le trône suite à la mort de son frère le Dauphin).

Pour Erasme, l'éducation du Prince repose sur deux

éléments : la connaissance de la nature et la connaissance

de l'histoire. En outre il va de soit que le prince doit lire et

La science politique

162

méditer l'évangile (car pour Erasme un bon prince doit

suivre les enseignements du Christ). Il lui est également

conseillé de lire les Moralia (récits moraux) de Plutarque,

les écrits de Platon, ceux d'Aristote et de Cicéron (Erasme

était aussi helléniste). En ce qui concerne les historiens,

Erasme récuse Hérodote et Xénophon. La bible est

également un objet de méfiance pour lui car il estime que

tous les exemples qu'on y trouve ne sont pas bons et

pense notamment que « les batailles des hébreux et leurs

carnages ne doivent être compris qu'au sens allégorique ».

A cette éducation théorique du prince est couplée une

éducation pratique : le prince doit conquérir l'affection de

ses sujets. Erasme pense qu'une des meilleures façons d'y

parvenir est de résider parmi eux et ne pas faire trop de

voyages lointains. En outre il doit agir pour le bien de la

société : réformer les lois corrompues, poursuivre les

malfaisants, maintenir la paix publique, embellir la cité,

assainir la cité, améliorer l'agriculture… en outre, en ce qui

concerne l'éducation dispensée aux enfants, Erasme prône

une éducation qui favoriserait l'éducation de l'esprit et du

corps.

Erasme s'est toujours voulu étranger à la réforme et n'a

pas changé d'attitude malgré les sollicitations de Luther. Il

existait entre les deux hommes des désaccords

théologiques. Luther était essentiellement un lecteur de St

Augustin. Erasme, lui, préférait St Jérôme et était aussi et

surtout un fervent lecteur des penseurs de l'antiquité.

Luther était un théologien pur alors qu'Erasme était autant

helléniste que théologien.

En Janvier 1519, par l'intermédiaire de Mélangton,

Luther essaie d'obtenir le soutien d'Erasme dans son conflit

La science politique

163

contre la papauté. Erasme était un ami du pape Léon X,

mais Erasme n'aimait pas énormément les institutions (ce

qui aurait pu l'incliner à soutenir Luther). Erasme explique

à Luther qu'il ferait mieux d'être plus prudent (et lui dit

que pour sa part, il s'intéresse bien plus aux lettres

classiques qu'aux polémiques avec Rome).

Erasme affirmera au pape qu'il n'est pas Luthérien mais

désapprouvera la violence avec laquelle on s'en prendra à

Luther. Erasme prônait la méthode douce.

Erasme écrivit un traité du libre arbitre (De Libro

Arbitrio) dans lequel il expliqua que le chrétien a dans sa

vie une liberté (un libre arbitre) qui fait qu'il peut

contribuer à son salut : pour être sauvé le chrétien doit

donc bien se comporter.

Luther écrivit un traité intitulé Du Serf-Arbitre (De

Servo Arbitrio) en réponse à celui d'Erasme : pour Luther

la volonté humaine est sous la dépendance totale de la

volonté de Dieu et quels que soient les efforts que

l'Homme peut faire dans sa vie, ces efforts ne pourront pas

le sauver.

Pour Erasme, Luther est responsable de la guerre entre les

paysans en Allemagne, même si Luther a toujours

vivement critiqué cette guerre.

La science politique

164

B/ Machiavel

Nicollo Machiavelli ( 1469-1527)

Contexte :

Né à Florence en 1469. Sous les Médicis, plusieurs

complots éclatèrent. En 1494, la révolte populaire obligea

le duc Pierre à s’enfuir et la république fut proclamée. Le

moine Savonarole établit un gouvernement théocratique

qui s’exprima par une dictature et la répression contre les

vices, le règne de l’argent et le pouvoir des puissants jugés

corrompus. La population florentine se lasse de ces excès

et condamna Savonarole qui fut brûlé sur le bûcher en

1498. Machiavel mène une vie retirée jusqu’à la fin de la

dictature de Savonarole. Il est admis par concours aux

fonctions de secrétaire de la seconde chancellerie de la

république florentine (sorte de ministère chargé des

relations extérieures). Dans ce cadre, il effectue plusieurs

missions diplomatiques à l’étranger. La chute de la

République et le retour au pouvoir des Médicis perturbe sa

carrière : il est jugé trop lié au régime déchu. Il prend une

La science politique

165

retraite forcée à la campagne pendant laquelle il écrira

plusieurs ouvrages dont le Prince (dédié à Laurent de

Médicis – Machiavel espérait entrer dans ses grâces).

Le Prince :

1) La Religion

L’adoption d’une manière d’agir en accord avec les grands

principes religieux (acceptation de la souffrance, mépris

des choses de ce monde, pardon des offenses…) conduit

certainement à l’échec politique. Pour conquérir et

conserver une principauté, il faut avoir et exercer la force,

ce qui est le contraire de la douceur évangélique.

Machiavel n’est pas pour autant antireligieux ou désireux

de détruire l’église. Il pense même que la religion peut

favoriser le bon fonctionnement de l’Etat, à condition que

le Prince utilise la religion et non pas qu’il soit contrôlé par

elle.

2) L’Unité de l’Italie

Machiavel souhaite le renforcement et l’unification de

l’Italie (c’est d’ailleurs sur ce thème que s’achève le Prince)

autour d’une personne capable de la réaliser. Il songea

d’abord au pape Julien II puis à Laurent de Médicis. Cette

unification est la finalité ultime du Prince, elle amènerait la

paix et la prospérité à toute l’Italie. Tous les moyens

doivent être employés pour y parvenir.

3) La Notion d’Etat

Machiavel est le premier auteur à avoir employé le mot

Etat dans son sens moderne : l’Etat est un cadre dans

La science politique

166

lequel diverses formes de pouvoir son exercées. Machiavel

distingue deux sortes de gouvernement : les républiques

et les principautés. Dans le Prince, il attache son attention

aux principautés.

4) Les Principautés

Machiavel distingue deux sortes de principautés : les

principautés héréditaires et les principautés nouvelles.

C’est aux principautés nouvelles qu’il va s’intéresser. En

effet, les principautés héréditaires sont faciles à acquérir et

faciles à conserver à condition « de ne pas outrepasser

l’ordre et les mesures établies par ses prédécesseurs et de

céder à propos aux évènements…».

Les principautés nouvelles présentent un danger

d’instabilité, car le peuple peut espérer qu’un nouveau

prince sera supérieur au prédécesseur. Elles peuvent être

acquises :

- par la force (elles seront alors faciles à conserver car la

force se fait respecter)

- par la virtù (moyen noble mais qui ne donne pas de

garanties de pérennité)

- par la scélératesse (il faudra alors que le Prince utilise la

force pour se maintenir)

- par le vote du peuple (pour rester en place, le Prince

devra jouer de la rivalité entre les puissants et de l’inimitié

entre les puissants et le peuple)

Quelle que soit le type de principauté, « on ne doit jamais

laisser subsister un désordre pour éviter une guerre ».

Les qualités que le prince doit avoir :

La science politique

167

1) L’art militaire

Les Princes doivent « faire de l’art de la guerre leur unique

étude et leur seule occupation ; c’est là proprement la

science de ceux qui gouvernent ». Le pouvoir est toujours

le fruit de l’emploi efficace de la force. L’armée de

mercenaires présente des inconvénients (coût, fidélité

fragile) c’est pour cette raison qu’elle ne devrait constituer

qu’une force d’appoint à une armée nationale (fidèle car

elle se bat pour elle-même, moins coûteuse car il suffit

d’assurer son entretien).

2) La Ruse

Les qualités qui font louer ou blâmer les hommes ne sont

pas celles qu’ils ont réellement mais celles qu’ils paraissent

avoir. Il n’est donc pas nécessaire d’être mais seulement

de paraître. La vertu n’est pas un bien en soi, il est même

parfois dangereux de la pratiquer dans un milieu qui ne la

reconnaît pas. Il vaut mieux ne pas pratiquer la vertu

plutôt que de risquer de perdre le pouvoir.

Machiavel constate que la pauvreté est un mal, en rupture

avec le modèle traditionnel valorisant la générosité, il écrit

qu’ « un prince, pour ne pas devenir trop pauvre, pour

pouvoir défendre ses états s’ils sont attaqués, pour ne pas

surcharger ses sujets de nouveaux impôts, doit peu

craindre d’être taxé d’avarice puisque ce prétendu vice fait

la stabilité et la prospérité de son gouvernement ».

« Un prince doit évidemment désirer la réputation de

clémence, mais il doit prendre garde à l’usage qu’il en

fait », d’une manière générale, il vaut mieux qu’il soit

craint qu’aimé. Cependant, il « doit se faire craindre de

telle sorte que s’il n’est pas aimé, du moins il ne soit pas

haï ».

La science politique

168

Enfin, si certes « il est très louable pour un Prince d’être

fidèle à ses engagements », il ne faut pas risquer de

perdre le pouvoir par un excès de vertu. Il faut donc

essayer d’être honnête, mais si besoin est déroger à cette

honnêteté.

3) La Propagande

Machiavel fait la théorie du gouvernement d’opinion. Le

Prince doit donner une image de lui-même qui lui assure le

soutien de la population. Il n’est pas nécessaire à un Prince

d’avoir toutes les qualités « mais il lui est indispensable de

paraître les avoir ». Les vertus que l’on aime chez les

hommes ordinaires sont peu appréciées chez les princes et

peuvent même être dangereuses. Le Prince « doit

persévérer dans le bien lorsqu’il n’y trouve aucun

inconvénient et s’en détourner lorsque les circonstances

l’exigent ».

Les grands traits de la conception Machiavélique :

Une vision pragmatique de la politique : naissance du

concept de la raison d’état. La politique a une fin (le bien

général) et cette fin justifie les moyens qui vont être

employés pour l’atteindre. Machiavel prône un

gouvernement pragmatique, détaché de la morale et de la

religion, ayant parfois recours au mensonge ou à la force

dans le but d’apporter, à terme, le bien général. Cette

attitude diffère profondément de la pensée médiévale

contemporaine à Machiavel.

La science politique

169

Les lectures de Machiavel :

Le machiavélisme est souvent présenté comme

moralement condamnable. Edward Meyer a recensé 395

références à Machiavel dans la littérature élisabéthaine et

pour tous ces auteurs le machiavélisme est l’incarnation du

mal.

Pour Spinoza « il est certain que cet homme si sagace

aimait la liberté et qu’il a formulé de très bons conseils

pour la sauvegarder ».

Hegel, lui, fit l’apologie de Machiavel.

Antonio Gramshi, marxiste, fit, au XXe siècle, l’apologie de

Machiavel, mettant en parallèle son œuvre et celle de

Marx. Pour Gramshi le Prince moderne est le parti

communiste.

C/ Bossuet

Bossuet, Jacques Bénigne (1627-1704).

La science politique

170

Biographie en résumé

Orateur français et évêque de Meaux (1627-1704)

«Dans l'ordre des écrivains, je ne vois personne au-dessus

de Bossuet; nul plus sûr de ses mots, plus fort de ses

verbes, plus énergique et plus délié dans tous les actes du

discours, plus hardi et plus heureux dans la syntaxe, et, en

somme, plus maître du langage, c'est-à-dire de soi-même.

Cette pleine et singulière possession qui s'étend de la

familiarité à la suprême magnificence, et depuis la parfaite

netteté articulée jusqu'aux effets les plus puissants et

retentissants de l'art, implique une conscience ou une

présence extraordinaire de l'esprit en regard de tous les

moyens et de toutes les fonctions de la parole.

Bossuet dit ce qu'il veut. Il est essentiellement volontaire,

comme le sont tous ceux que l'on nomme classiques. Il

procède par constructions, tandis que nous procédons par

accidents; il spécule sur l'attente qu'il crée tandis que les

modernes spéculent sur la surprise. Il part puissamment

du silence, anime peu à peu, enfle, élève, organise sa

phrase, qui parfois s'édifie en voûte, se soutient de

propositions latérales distribuées à merveille autour de

l'instant, se déclare et repousse ses incidentes qu'elle

surmonte pour toucher enfin à sa clé, et redescendre après

des prodiges de subordination et d'équilibre jusqu'au

terme certain et à la résolution complète de ses forces.»

Vie et œuvre

«On ne voit Bossuet que dans sa majesté souveraine, et

tel qu'il apparaît sur la toile de Rigaud. Si c'est une

banalité que de rappeler ce portrait somptueux, elle

s'excuse parce qu'elle est pour ainsi dire nécessaire: son

style, sa pompe, son éclat, ont pour toujours rempli nos

La science politique

171

yeux. Ou bien nous imaginons l'orateur en train de

prononcer quelque discours funèbre: dès les premiers

accords, nous nous sentons emportés dans les régions du

sublime; le crescendo, tout chargé de sanglots et de

plaintes, éveille dans notre âme des résonances si

profondes qu'elles en deviennent douloureuses; et quand

cette musique sacrée s'achève dans un hymne à l'au-delà,

nous croyons avoir entendu quelque prophète de Dieu, qui

n'a jamais vécu que dans le surhumain.

Ce Bossuet-là n'est pas faux; mais il suppose un éclairage

spécial; le temps a filtré ce qui n'était pas noblesse,

majesté, triomphe. Il y a eu un autre Bossuet: humilié,

douloureux.

Non pas que nous voulions changer quoi que ce soit à la

forte, à l'admirable simplicité de sa conviction profonde.

Une fois pour toutes, il a parié sur l'éternel, sur l'universel:

quod ubique, quod semper... «La vérité venue de Dieu a

d'abord sa perfection»: dans cette maxime tient son

inflexible croyance; il existe une vérité, que Dieu a révélée

aux hommes, qui est inscrite dans l'Évangile, qui est

garantie par les miracles, et qui, étant parfaite puisqu'elle

est divine, est immuable. Si elle variait, c'est qu'elle ne

serait pas la vérité. Le rôle de l'Église est d'être sa

gardienne: «l'Église de Jésus-Christ, soigneuse gardienne

des dogmes qui lui ont été donnés en dépôt, n'y change

jamais rien; elle ne diminue point; elle n'ajoute rien; elle

ne retranche point les choses nécessaires; elle n'ajoute

point les superflues. Tout son travail est de polir les choses

qui lui ont été anciennement données, de confirmer celles

qui ont été suffisamment expliquées, de garder celles qui

ont été confirmées et définies 1...» À cette vérité unique et

La science politique

172

immuable, l'individu doit se conformer: car si chacun

s'avisait d'avoir sa vérité particulière, on aboutirait au

chaos, à l'illogisme, étant évident que sur un même sujet,

il ne peut y avoir des millions de vérités, ou mille, ou cent,

ou dix, ou deux vérités, mais une seule. Par là s'entend

clairement la vraie origine de catholique et d'hérétique.

L'hérétique est celui qui a une opinion: et c'est ce que le

mot même signifie.»

PAUL HAZARD,La crise de la conscience européenne 1680-

1715, Éditions Boivin, 1935, p. 164. Paul Hazard fut

historien (1878-1944), membre de l'Académie française.

D/ Hobbes

Thomas Hobbes (1588-1679)

Une politique rationaliste :

Hobbes était fasciné par les sciences (géométrie,

physique,…), et va adhérer à des philosophies

matérialistes (il croit ainsi au mécanisme et au

positivisme).

La science politique

173

Le mécanisme, c'est penser que l'Homme et le monde

fonctionnent comme une machine, de façon mécanique et

déterminisme. C'est donc une philosophie qui s'efforce

d'expliquer le monde, les phénomènes, par les seules lois

de causes à effets. Le positivisme se dirige également dans

le même domaine, et la politique va dans le même sens et

comme toute science, elle a ses lois.

Hobbes refuse donc le recours au surnaturel, et il s'est

fait taxer d'athéisme politique. Mais il est avant tout

scientifique. Il veut libérer l'Homme de la peur et de ses

fantasmes. Il va se tenir à des explications scientifiques et

mécaniques.

La philosophie du pouvoir :

Il va réfléchir au sens de l'autorité et à son pourquoi. Il est

fidèle au pouvoir, y croit, et va d'ailleurs écrire "le

Léviathan". Le Léviathan est un monstre marin qui

représente une multitude d'individus en une seule

personne. C'est le nom que Hobbes donne à l'Etat rationnel

dont il rêve. Il va défendre le pouvoir absolu, au nom des

intérêts de l'individu, mais aussi pour conserver la paix

et donc pour l'utilité de celui-ci.

Hobbes va donner de ses convictions une justification

purement rationnelle et utilitaire. Il réfléchit à la situation

de l'Homme sur terre et il constate :

L'Homme se trouve dans un état de nature qui se

caractérise par un état anarchique. Pourquoi ? Parce que

les Hommes sont égaux, donc, se font la guerre les uns

La science politique

174

contre les autres, sans frein. "L'Homme est un loup pour

l'Homme".

L'Homme a organisé la société civile, en s'imposant

des restrictions à la liberté. Si l'Homme a consenti des

restrictions à sa liberté, c'est pour se préserver de l'état de

guerre, de l'anarchie, de l'abus de pouvoirs.

Hobbes par de l'idée que l'Homme a le droit de se

protéger (instinct de conservation), de protéger sa vie, sa

sécurité, ses biens. Il y a, pour lui, des lois naturelles qui

fait qu'on a le droit de chercher la paix, la sécurité et la

protection de sa vie.

E/ Locke

John Locke (1632 - 1704)

Théorie de la connaissance et du droit naturel.

Locke fait reposer sa théorie sur la connaissance telle

qu’elle a été définie par Hobbes. La science ne porte que

sur des choses qui ont des causes et dont nous sommes

nous-mêmes des causes. La politique et la morale (le juste

et l’éthique) se trouvent affectés d’une certitude qui est

La science politique

175

refusée aux sciences de la nature. Pour Locke, il y a

prééminence de la science morale et politique sur les

sciences de la nature ; les idées morales et politiques

peuvent donc s’enchaîner dans des démonstrations

rigoureuses.

La conception lockienne de la science politique repose sur

trois aspects :

• la science politique sera normative : les normes de

l'action future peuvent être rigoureusement définies

puisque l'idée est productrice de son objet ;

• la science de l'action appelle une méthode de

découverte rationnelle et un ordre d'exposition

démonstratif.

• l'importance de la conception subjective des droits

qui donne les prémices aux droits de l'homme.

De l’Etat de nature au gouvernement civil

Les fonctions du gouvernement civil sont déduites des

conditions de sa formation, c’est-à-dire de la structure de

l’Etat de nature et des raisons qui conduisent les hommes

à se constituer en corps politique.

Locke rejette toute idée de subordination, et avec elle le

lien qu’elle maintient entre les relations entre les hommes

et les relations entre les hommes et les créatures

inférieures. Une coupure entre les deux catégories, est

établie, institutionnalisée. Quant aux hommes, il n’y a pas

entre eux de différence inhérente, pas de hiérarchie : ils

sont tous libres et égaux aux yeux de Dieu. La

problématique de Locke est antihiérarchique : la liberté

naturelle suppose à la fois l’indépendance et l’égalité ; elle

La science politique

176

subordonne l’autorité politique au consentement. Il défend

l’idée que les hommes sont originellement libres et égaux

et que l’origine des gouvernements réside dans une libre

association. Il s’oppose donc à la théorie de la monarchie

de droit divin.

On trouve chez Locke une apologie de la tradition anglaise

de la Common law contre la « maladie française de

l’absolutisme ». Dans le deuxième traité, Locke reprend la

doctrine du contrat social.

L’état de nature est présenté comme une période heureuse

de communisme primitif, comme un état de liberté, mais

non de licence pour s’achever sur une théorie de l’origine

du gouvernement civil, proche de celle de Hobbes, même

si elle fonde une conception plus libérale de l’autorité

politique. Pour Locke, comme pour Hobbes, l’origine du

gouvernement et de la société civile réside dans la

nécessité de sortir de l’incessant conflit qui naît de la loi de

nature elle-même, c’est-à-dire du droit de chacun à faire

ce qui lui semble convenable pour assurer sa conservation.

Limites que les conditions du contrat social imposent à la

souveraineté.

Pour Hobbes, la science politique est normative : elle

détermine les raisons que nous pouvons avoir d’agir et de

décider. « Le jour où les hommes ont quitté l’état de

nature pour entrer en société, ils avaient convenu que tous

seraient soumis à la contrainte des lois, sauf un seul qui

garderait intacte la liberté de l’état de nature, en y

ajoutant la force du pouvoir et la licence de l’impunité »

(Locke). L’Etat absolutiste représente un état de guerre

La science politique

177

entre les princes et le peuple ; le peuple peut donc exercer

un droit légitime de résistance à l’oppression.

«Le peuple est le juge suprême de la façon dont les

gouvernants remplissent leur mission puisqu’il est « la

personne qui leur a donné le pouvoir et qui garde à ce

titre, la faculté de les révoquer » (Locke). Le contrat est

spécifique : « Bien qu’ils soient liés entre eux par une

relation contractuelle, les membres du peuple n’ont pas

d’obligation contractuelle envers le gouvernement, et les

gouvernants bénéficient du gouvernement seulement

comme membre du corps politique » (Locke) Ils ne sont

donc que des représentants, des députés du peuple.

Le problème des sources du droit.

De Hobbes à Locke, on perçoit un changement dans la

conception du rapport entre le droit et l’Etat. Pour Locke, il

semble qu’il y ait l’idée d’un ordre spontané dont les

pouvoirs publics ont à garantir la non-perturbation : « ce

n’est pas toute convention qui met fin à l’état de nature

entre les hommes, mais exclusivement celle par laquelle

tous s’obligent ensemble et mutuellement à former une

société unique et à constituer un seul corps politique ». Il y

a donc une formation spontanée du droit antérieur à

l’apparition de l’Etat dont la fonction est plus de garantir

que de créer le droit. L’Etat a pour mission de préserver

les acquis, sans pouvoir y attenter, et les hommes ne se

dessaisiront que du minimum : le droit de punir. Le gain

qu’apporte la société politique, c’est de permettre aux

hommes de sauvegarder leur propriété ; la préservation

apparaît comme étant la finalité du contrat social.

La science politique

178

Propriété et subjectivité.

Pour Locke, la propriété concerne « la vie, la liberté et les

biens », c’est-à-dire tout ce qui appartient en propre à un

individu et qu’on ne saurait lui ôter sans son

consentement. Dans chaque propriété existe un noyau

inaliénable qui ne dépend que de la loi naturelle instituée

par Dieu. Les richesses naturelles ont été données à tous

les hommes et non aux seuls descendants mâles d’Adam.

Locke a joué un rôle important dans la pensée politique de

son époque ; il aborde la notion des droits de l’homme et

du contrat social. Sa conception de la monarchie libérale et

du Contrat social influeront Rousseau et les théoriciens de

la révolution américaine.

Hobbes et Locke ont des pensées communes à propos

de la paix et de la sécurité des gens, mais proposent des

moyens différents pour y parvenir. Pour Hobbes, le seul

moyen est d'établir un contrat, et de transférer à l'Etat

des droits qui, s'ils étaient conservés individuellement

seraient préjudiciables à la paix et à l'humanité.

Donc, il pense différemment d'Aristote. Pour lui, la

société politique est un calcul, produit par la volonté

humaine, guidée par le calcul et l'intérêt. Cela ne résulte

pas d'une sociabilité instinctive de l'homme, comme le

pensait Aristote. La souveraineté est fondée sur un

contrat, non pas entre le souverain et les sujets, mais

entre les sujets seuls, qui décident de confier des

pouvoirs à un souverain. Le contrat ne limite pas la

souveraineté, mais la fonde.

La science politique

179

La puissance de l'Etat :

L'Etat apparaît comme un géant, une personne qui

s'élève au-dessus des villes et campagnes. Le Léviathan

est la somme des intérêts particuliers. C'est l'autorité sans

limites, car le citoyen a abandonné ses droits pour être

protégé. L'Etat fonde la propriété et il est ecclésiastique et

civil. Ex : aucune autorité spirituelle ne peut s'opposer à

l'Etat. Le souverain est donc le défenseur de l'Etat et

aussi de l'Eglise. Dans un Etat de cette forme, il n'y a pas

de place pour des groupes, des parties intermédiaires.

Cette souveraineté sans limite a quand même quelques

freins, comme la conscience professionnelle et la raison du

souverain. Cependant, il n'existe pas pour Hobbes de

limites extérieures au pouvoir politique.

Conclusion :

Individualisme et utilitarisme :

L'absolutisme de Hobbes est fondé sur des

considérations utilitaires. Il ne doit rien à la foi Chrétienne

(Cfr. Bossuet). Il ne doit rien à la fidélité envers le

monarque. Il ne tient pas à maintenir des institutions

ou à préserver un régime.

Son absolutisme est utilitaire, car il pense qu'il est utile

pour l'Homme. Cet absolutisme se justifie par le droit de

l'individu à sa propre sauvegarde et conservation. C'est

La science politique

180

une sorte "d'égoïsme éclairé". Il pense que l'absolutisme

correspond à l'intérêt, au bonheur.

Hobbes s'est peu occupé d'aspects économiques, mais

par ses conceptions, il est dans l'esprit de la bourgeoisie.

Hobbes a choisit une solution assez intermédiaire : il

veut la paix pour ses sujets, mais elle est assurée par des

moyens terrifiants, "c'est l'équilibre de la terreur". Il avait

peur du libéralisme, de la liberté, car il n'avait pas vu

que la liberté s'organise aussi.

Extrait de La crise de l'Etat-providence de Pierre

Rosanvallon.

L'interrogation sur les limites renvoie toujours aux

origines. C'est aux fondements de l'Etat-providence qu'il

faut retourner pour comprendre la nature du doute qui

rend son avenir incertain. Comment les localiser?

Mon hypothèse est qu'il est impossible de comprendre la

dynamique de cet

Etat-providence lorsqu'on en fait une lecture historique

trop "courte". Par lecture courte, j'entends le fait de situer

son développement par rapport aux mouvements du

capitalisme et du socialisme au XIXe et au XXe siècle. Lire

l'Etat-providence comme un ersatz de socialisme, un mi-

chemin entre le capitalisme et le socialisme qui définirait le

lieu de la tentative social-démocrate, ou comme un

mouvement compensateur destiné à corriger les

La science politique

181

déséquilibres économiques et sociaux du capitalisme, n'est

finalement pas très éclairant. On ne fait en effet dans les

deux cas que renvoyer la dynamique de l'Etat-providence à

celle du capitalisme. La question est seulement déplacée.

L'énigme ne fait que changer d'objet, et cet objet est aussi

insaisissable que le premier. C'est la raison pour laquelle

les théories libérale et marxiste échouent également à

saisir le mouvement de l'Etat-providence, échec clairement

signifié par la nature de leur discours sur ses limites,

comme je l'ai précédemment montré.

Ce n'est pas le capitalisme, avec ses contradictions et sa

"logique", avec la lutte des classes qui l'accompagne, qui

donne la clef du ressort de l'Etat-providence.

C'est ailleurs qu'il faut chercher dans le mouvement même

de l'Etat-nation moderne. Je précise cette hypothèse en

formulant deux propositions :

1.L'Etat-providence du XXe siècle est un

approfondissement et une extension de l'Etat-protecteur

"classique".

2.L'Etat-protecteur définit l'Etat moderne comme forme

politique spécifique.

Ce sont ces deux propositions qu'il faut maintenant

examiner. L'Etat moderne, tel qu'il est pensé et forgé du

XIVe au XVIIIe siècle, se définit comme Etat-protecteur.

C'est ce qui le distingue de toutes les formes politiques

antérieures de souveraineté.

La science politique

182

Prenons deux exemples de formulation de cette modernité,

le Léviathan de Hobbes et le Deuxième traité de

gouvernement civil de Locke. L'Etat nouveau dont ils

élaborent l'architecture intellectuelle est fondé sur la

réalisation d'une double tâche : la production de la

sécurité et la réduction de l'incertitude. Penser l'Etat et

reconnaître le droit des individus à la protection, c'est pour

eux la même chose. Ce sont les deux moments d'une

affirmation unique. "Le but de la République est la sécurité

des particuliers", dira Hobbes. La naissance de l'individu et

celle de l'Etat moderne participent ainsi du même

mouvement. L'un ne saurait exister sans l'autre. C'est

l'Etat qui fait exister l'individu comme sujet, et donc avec

des droits, parce qu'il se donne pour objet de protéger

ceux-ci : pas d'Etat-protecteur sans individu porteur de

droits, pas d'individu réalisant ces droits sans Etat-

protecteur.

C'est le contrat social qui assure la commutation entre ces

deux moments en instituant "un pouvoir commun, apte à

défendre les gens de l'attaque des étrangers et des torts

qu'ils pourraient se faire les uns aux autres" (le Léviathan).

Le premier droit de l'individu reconnu comme sujet central

du politique, c'est ainsi le droit à la vie. Il échange sa

soumission, ou sa participation selon les diverses formes

de ce contrat social, contre cette garantie fondamentale :

être protégé dans son intégrité physique contre toutes les

menaces de violence intérieure. Le passage de l'état de

nature à l'état civil réalisé par l'Etat consiste à produire la

paix civile.

La science politique

183

Mais cette sûreté des individus implique également la

reconnaissance et la garantie d'un autre droit, celui de

propriété. "En effet, écrit Hobbes, là où il n'est point de

République, il existe, comme on l'a précédemment montré,

une guerre perpétuelle de chaque homme contre son

prochain : toute chose y appartient donc à celui qui

l'obtient et la garde de force ce qui n'est ni propriété, ni

communauté, mais incertitude (le Léviathan)". La propriété

est le prolongement, l'attribut indissociable de l'individu.

Elle le définit et le protége en même temps. Parce qu'elle

consiste" dans la détermination du mien, du tien et du

sien", elle limite la violence sociale. Le droit de propriété

est réducteur d'incertitude et producteur de sécurité.

Individu, propriété, Etat-protecteur sont indissociables. "La

fin capitale et principale, en vue de laquelle les hommes

s'associent dans des républiques et se soumettent à des

gouvernements, c'est la conservation de leur propriété",

dira ainsi Locke (Deuxième traité). C'est à ce socle

intellectuel qu'il faut se référer pour comprendre le ressort

de l'Etat-protecteur, producteur de sécurité et réducteur

d'incertitudes : l'Etat moderne, au sens que nous avons

donné à cette expression ne peut se penser que comme

Etat-protecteur (proposition 1).

Mais comment s'est opéré le passage de cette conception

protectrice à la conception providentielle de l'Etat? L'Etat-

providence est en effet beaucoup plus complexe que l'Etat-

protecteur : il n'a pas seulement pour fonction de protéger

des acquis (la vie ou la propriété); il vise également des

actions positives (de redistribution de revenus, de

réglementation des rapports sociaux, de prise en charge

de certains services collectifs, etc.).

La science politique

184

Souveraineté de droit divin

En toute logique, la tradition biblique apporte une

réponse: " Il n'est de pouvoir que Dieu " (St Paul, Romains

XIII, 1)

L'autorité de l'Etat vient alors de Dieu. Remarquons que le

choix de ceux qui exerceront le pouvoir de l'Etat vient des

hommes. De même que dans l'église catholique les

évêques sont choisis par des hommes, les souverains sont

aussi désignés par les hommes. Mais le pouvoir exercé est

cédé par Dieu.

Il ne faut donc pas confondre la théorie de la souveraineté

de droit divin avec la monarchie de droit divin. Cette

théorie, dans sa généralité, ne désigne aucun système

politique particulier, mais seulement la source de toute

souveraineté légitime. La théorie du droit divin est

compatible avec la démocratie, mais à condition d'exclure

l'idée que le peuple soit la source de l'autorité souveraine.

Il n'en est que l'instrument choisi par les hommes.

La conséquence de cette doctrine est le rejet de toute

opposition: on ne résiste pas à l'autorité divine. " Ainsi

celui qui s'oppose au pouvoir résiste à l'ordre voulu par

Dieu, et ceux qui résistent s'attireront la condamnation. "

(St Paul, Romains XIII, 2)

Ainsi le bon chrétien devra se soumettre aux abus du

souverain, comme l'écrit un grand défenseur du droit divin,

La science politique

185

Bossuet (1627-1704), précepteur de Louis XIV: " Les

sujets n'ont à opposer à la violence des princes, que des

remontrances respectueuses, sans mutinerie et sans

murmures et des prières pour leur conversion. " (Politique

tirée de l'écriture sainte, livre VI, article II).

C'est ce dernier point qui a motivé un abandon du

fondement théologique par la pensée politique. N'opposer

que " des prières " aux abus du pouvoir est apparu

suffisamment inacceptable pour repenser totalement le

fondement de la souveraineté.

Si la souveraineté ne vient pas de Dieu, elle viendra de

l'homme.

Souveraineté de droit naturel

La théorie de droit divin affirme que l'homme n'a par lui-

même aucun pouvoir légitime, c'est à dire aucun droit, ni à

la vie, ni à la mort, ni à quoi que ce soit. En réaction, il va

donc falloir fonder l'idée que l'homme possède par lui-

même un pouvoir légitime.

C'est pourquoi la sécularisation de la pensée politique va

passer par l'examen de l'homme et de sa nature

immanente. N'y aurait-il pas un " droit naturel " des

hommes à substituer au" droit divin "? L'homme n'est-il

pas immédiatement, par sa nature, détenteur de pouvoir

ou de droits?

Ce point théorique est central: c'est lui qui distingue une

doctrine laïque de l'Etat, d'une doctrine religieuse. Ainsi,

La science politique

186

l'Iran, Etat religieux, est fondé sur l'idée que la

souveraineté ne peut pas émaner de l'homme. L'homme

n'est fondamentalement qu'un instrument d'un pouvoir

qu'il n'a pas.

Toute autre est le fondement des Etats laïcs, qui naissent

de ce débat ouvert au

17e siècle sur la souveraineté: l'homme est par nature _

par lui-même _ détenteur d'un pouvoir légitime, de droits

(d'où naît l'idée de " droits de l'homme " aberrante pour la

doctrine de droit divin). Comment la justifier?

Il n'y a pas de justification absolue de cette idée, selon

laquelle l'homme est par lui-même possesseur de pouvoir

légitime et de droits, c'est à dire que le désir immanent de

l'homme définit son droit. La seule justification vient du

rejet que provoque la doctrine d'une soumission absolue,

conséquence de la théorie de droit divin. Mais ce rejet lui-

même exprime la protestation de nos désirs immanents

auxquels on confère donc d'emblée un droit.

Pour illustrer cette idée, le XVIIe siècle s'est référé à

l'examen d'un cas imaginaire: l'homme naturel, c'est à dire

l'homme avant toute inclusion dans un Etat.

Qu'est-il? Or il n'est pas absurde de décrire cet homme

comme doté du droit de se gouverner comme il le veut,

selon son désir. Il ressemble en cela à l'animal, à ceci près

qu'il est capable de raisonner, et là se situe toute la

différence avec l'animal, et non en ce qu'il serait

l'instrument du pouvoir de Dieu.

La science politique

187

Locke prend donc ce point de départ: " Pour comprendre

correctement le pouvoir politique et tracer le cheminement

de sa première institution, il nous faut examiner la

condition naturelle des hommes15, c'est à dire un état où

ils sont parfaitement libres d'ordonner leur action, de

disposer de leurs biens et de leurs personnes comme ils

l'entendent. " (Deuxième traité du gouvernement civil,

chapitre II, §4)

Cette capacité de raisonnement va permettre à l'homme

de comprendre que l'étatisation de la vie sociale est

désirable. C'est donc par un choix volontaire que les

hommes vont décider de soumettre la société à un pouvoir

externe, parce que cela permet de réaliser un désir. Les

hommes vont donc se soumettre par contrat à un

souverain, c'est à dire par leur propre volonté, pouvoirs et

droits. " Les hommes sont tous, par nature, libres, égaux

et indépendants comme on l'a dit et nul ne peut être

dépossédé de ses biens, ni soumis au pouvoir politique

d'un autre, s'il n'y a lui même consenti. Le seul procédé

qui permette à quiconque de se dévêtir de sa liberté

naturelle et d'endosser les liens de la société civile, c'est

de passer une convention avec d'autres hommes. " (Locke,

idem, chapitre VIII, §95)

Ce concept de contrat social, né au XVIIe siècle, est le

concept clef de la pensée politique moderne. Il fonde la

souveraineté sur l'homme et non sur Dieu.

De plus, comme tout contrat, il vise une fin au nom de

laquelle l'Etat est institué. Le droit d'opposition est donc

inclus dans le processus même d'instauration de la

La science politique

188

souveraineté de l'Etat, puisque cette souveraineté ne vaut

que pour réaliser la finalité objet du contrat.

En cas contraire, le contrat est rompu.

Locke bien sur, plus tard Rousseau (" Du contrat social "

1762), mais aussi Hobbes fondent la souveraineté sur le

droit naturel.

Hobbes défend l'absolutisme, mais pas par adoration du

pouvoir en tant que manifestation de Dieu, simplement par

souci d'efficacité. Néanmoins, il reconnaît un droit ultime

d'opposition au pouvoir de l'Etat, lorsque le contrat est

rompu: " L'obligation qu'ont les sujets envers le souverain

est réputée durer aussi longtemps, et pas plus, que le

pouvoir par lequel celui-ci est apte à les protéger. "

(Léviathan, chapitre XXI, "

Dans quels cas les sujets sont quittes de la soumission due

au souverain ").

F/ Diderot

Denis Diderot

(1713-1784)

La science politique

189

Célèbre pour l’Encyclopédie qu’il a mise au point avec

d’Alembert. Cette encyclopédie se voulait un

« dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des

métiers ». Rousseau et Voltaire notamment y ont participé.

La pensée politique de Diderot :

Dans son article sur l’autorité, il écrit qu’« aucun homme

n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres ».

A l’exception de l’autorité paternelle (qui trouve son

origine dans la nature selon lui et qui est limitée dans le

temps – elle cesse une fois que les enfants sont capables

de se prendre en main), les autres formes d’autorité

résultent soit de la force soit du consentement.

« La vraie et légitime puissance » ne saurait être sans

limites (Diderot condamne la philosophie hobbienne). Il

affirme que le prince tenant son autorité de ses sujets ne

peut remettre en question le contrat d’où elle provient.

L’Etat n’est pas fait pour les Princes, mais les Princes pour

l’Etat. Le Prince ne peut pas disposer de son pouvoir et de

ses sujets sans le consentement de la nation et

indépendamment du choix marqué dans le contrat de

soumission. « En un mot, la Couronne, le gouvernement et

l’autorité publique sont des biens dont les corps de la

nation sont propriétaires et dont les princes sont les

usufruitiers, les ministres et les dépositaires. Quoique les

chefs de l’Etat, ils n’en sont pas moins membres, à la

vérité les premiers, les plus vénérables et les plus

puissants, pouvant tout pour gouverner, mais ne pouvant

La science politique

190

rien légitimement pour changer le gouvernement établi, ni

pour mettre un autre chef à leur place.»

Diderot fait l’éloge de la monarchie henricienne, cite

abondamment le discours prononcé par Henri IV lors de

l’assemblée des notables en 1596 où le roi fait figure de

père attentif aux doléances de ses enfants. Il reconnaît aux

princes le droit de faire parfois preuve d’autorité à

condition qu’ils ne perdent pas de vue le caractère

synallagmatique du contrat social : ils doivent veiller à ce

que la nature du gouvernement reste conforme à ce qui a

été convenu dans le contrat. La vision du rapport de force

politique de Diderot est assez proche de celle des

réformés : « si jamais il leur (les sujets) arrivait d’avoir un

roi injuste, ambitieux et violent », il conviendrait de

n’opposer au malheur d’une telle situation que la

soumission et les prières, parce qu’il s’agit du seul remède

conforme au contrat de soumission juré au prince.

Cependant, il est possible que cette plate apologie de la

monarchie lui ait été dictée par la prudence (en effet il

avait déjà été incarcéré au donjon de Vincennes).

Diderot était fasciné par Catherine II, tzarine de Russie,

animée d’un vif intérêt pour la philosophie (« Comme elle a

bien coupé les lacets de mon âme ! »). En 1774 il gagna la

Russie avec enthousiasme, enthousiasme qui se dissipa

assez rapidement au vu de la politique de l’impératrice : il

espérait qu’elle donne à son pays des institutions libres et

elle se contentera de masquer son despotisme éclairé

derrière un changement institutionnel uniquement

terminologique. Les peuples placés sous son autorité qui

étaient appelés « esclaves », deviennent ses « sujets »,

mais rien dans le condition ne change. Une commission

composée de représentants des notables propriétaires est

La science politique

191

créée mais elle n’a pas son mot à dire sur la guerre, la

politique et les finances. Et l’impératrice de se justifier

devant Diderot : « Vous, vous ne travaillez que sur le

papier qui souffre tout,… tandis que moi, pauvre

impératrice, je travaille sur la peau humaine qui est bien

autrement irritable et chatouilleuse ».

Le véritable intérêt politique de Diderot tient à une vision

corrosive de la société : dénonciation de la toute-puissance

de l’argent, athéisme, rejet des pratiques de la religion

sous leur forme conventuelle, en faveur de l’enseignement

élémentaire gratuit pour tous.

G/ Voltaire

Voltaire ( 1694-1778)

On cherchera en vain chez Voltaire une théorie

politique achevée. : « Demandez la solution aux riches, ils

aiment tous mieux l’aristocratie, interrogez le peuple, il

veut la démocratie ». Voltaire ne s’est exprimé à ce sujet

qu’indirectement ou partiellement, à travers ses romans et

sa correspondance.

La science politique

192

Sur la démocratie

Dans l’article « démocratie » du Dictionnaire

Philosophique, Voltaire semble bien disposé à l’égard de

cette forme de régime, cependant il est loin de le

considérer comme un idéal. Pour lui la démocratie ne

convient qu’à un petit pays, à condition qu’il soit de

surcroît bien situé.

Sur l’aristocratie

Pour ce qui est de l’aristocratie, elle présente le risque de

multiplier les tyrans : « un despote a toujours quelques

bons moments, une assemblée de despotes n’en a

jamais ».

Sur la monarchie

Il admire le régime politique anglais dans lequel les droits

du roi, des nobles et du peuple sont clairement établis.

Mais il y a d’autres raisons pour lesquelles Voltaire aime la

monarchie :

- Selon Voltaire, seul un gouvernement monarchique

convient aux grands espaces (idée courante au XVIIIe

siècle).

- le gouvernement monarchique peut être considéré

comme un moteur du progrès matériel : la supériorité

d’une nation tient non seulement à ses armes mais aussi à

sa richesse (progrès économique lié au perfectionnement

de l’Etat comme instrument d’action : interventionnisme

économique de l’Etat)

- la monarchie apporte la paix religieuse (dans La

Henriade, Voltaire loue Henri IV d’avoir fait « fleurir le

royaume » en mettant fin aux guerres de la ligue)

La science politique

193

Sur le despotisme éclairé

A l’époque, les grandes capitales d’Europe (Berlin,

Lisbonne, Saint Petersbourg) font l’expérience du

despotisme éclairé. Dans toutes ces villes, le roi ou

ministre s’efforcent de moderniser l’appareil de l’Etat. Le

despotisme éclairé a le mérite de réduire l’influence de

l’église dans l’état aux yeux de Voltaire. En effet, si l’on

met à part les affaires de foi et de discipline ecclésiastique,

il n’y a rien en ce qui concerne l’église, qui ne tombe sous

la coupe de l’autorité temporelle. Le prêtre devient une

sorte de « fonctionnaire chargé de la morale publique » : il

s’agit donc pour l’Etat de mettre l’église en tutelle comme

Hobbes l’avait préconisé.

Voltaire admirait Pierre le Grand (Russie), et, tout en

admettant ses faiblesses, le louait. Il a aussi été l’ami de

Frédéric II (Prusse), bien que cette amitié ait été fort

tourmentée.

Ce dont Voltaire était partisan

Il encouragea l’expérience de Turgot consistant en la

modernisation de l’activité économique au moyen du

libéralisme. Il était partisan d’un système politique

permettant de favoriser le progrès de l’économie et de

débarrasser le pays de toutes ses formes d’obscurantisme

religieux. « Une patrie est composée de plusieurs familles ;

et comme on soutient communément sa famille par

amour-propre, lorsqu’on n’a pas intérêt contraire, on

soutient par le même amour-propre sa ville ou son village,

qu’on appelle sa patrie […] celui qui brûle de la passion

d’être édile, tribun, consul, dictateur, il n’aime que lui-

même […] Chacun veut être sûr de sa fortune et de sa vie.

La science politique

194

Tous formant ainsi les mêmes souhaits, il se trouve que

l’intérêt particulier devient l’intérêt général. »

Sur l’Esprit des lois de Montesquieu

« je cherchais un guide dans un chemin difficile ; j’ai

trouvé un compagnon de voyage qui n’était guère mieux

instruit que moi ; j’ai trouvé l’esprit de l’auteur, qui en a

beaucoup, et rarement l’esprit des lois ; il sautille plus qu’il

ne marche, il brille plus qu’il n’éclaire ». Malgré cette

critique Voltaire apprécie la sincérité et le contenu parfois

admirable (notamment sur l’exaltation de la liberté).

Voltaire reproche à Montesquieu d’avoir une vision faussée

de la tyrannie, car la tyrannie pure, sans lois, n’existe

pas : les turcs obéissent aux lois du Coran et la Chine

possède un système judiciaire très complexe (pour Voltaire

le pape est plus despotique que l’empereur de Chine car il

se déclare infaillible).

G/ Montesquieu

Charles-Louis de Secondat, baron de Montesquieu

(1689 – 1755)

La science politique

195

L’objectif de l’Esprit des Lois :

Embrasser toutes les institutions reçues parmi les

hommes ; se pencher sur toutes les lois et coutumes

diverses de tous les peuples de la terre , pour en rendre

raison, pour en déceler l’esprit. Montesquieu ne voulait pas

montrer le corps des lois mais leur « âme », il ne voulait

pas faire un traité de jurisprudence : il voulait élaborer

« une espèce de méthode » pour étudier la jurisprudence.

Qu’est-ce que la loi ?

Les lois sont « les rapports nécessaires qui dérivent de la

nature des choses ». Montesquieu soutient (avec les

Stoïciens) qu’il y a une raison primitive et que les lois sont

les rapports qui se trouvent entre elle et les différents

êtres. Ainsi (et ici Montesquieu contredit Hobbes) avant

qu’il y eût des lois faites, il y avait une justice possible.

La théorie des gouvernements

Montesquieu distingue trois sortes de gouvernement : le

républicain, le monarchique et le despotique.

républicain : « celui où le peuple, ou seulement

une partie du peuple a la souveraine puissance »

(cette catégorie comprend donc aristocratie et

démocratie)

monarchique : « celui où un seul gouverne, mais

selon des lois fixes et établies »

despotique : celui « sans loi et sans règle » dans

où celui qui gouverne « entraîne tout par sa

volonté et ses caprices »

La science politique

196

Le principe de chaque gouvernement dérive naturellement

de cette nature ou structure particulière :

le principe de la démocratie ou de l’Etat

populaire est la vertu (chez chaque citoyen,

un esprit de constant renoncement à soi-

même au profit du bien public, par amour

de la patrie et de ses lois, un esprit d’égalité

excluant tout privilège).

le principe du gouvernement aristocratique

est la modération (là où les fortunes sont

inégales il est rare qu’il y ait un esprit de

vertu, c’est pourquoi il faut que les lois

tendent à donner un esprit de modération)

le principe du gouvernement monarchique

c’est l’honneur (chacun pris en particulier,

chaque catégorie sociale se préfère aux

autres, réclame des privilèges, mais cette

mêlée d’ambitions a des conséquences

positives : chacun travaille au bien commun

en croyant ne travailler que pour soi).

le principe du gouvernement despotique

c’est la crainte (le despote est tenu d’avoir

toujours le bras levé pour frapper ou au

moins pour menacer ; il ravale ses sujets au

rang de bêtes obéissantes, dressées à filer

doux par peur des coups).

Montesquieu explique ensuite que la corruption des

gouvernements commence presque toujours par celle de

leurs principes : si ceux-ci sont sains, alors les mauvaises

lois ont l’effet de bonnes, mais une fois qu’ils sont

corrompus, les meilleures lois deviennent mauvaises : « le

principe emporte tout ».

La science politique

197

Montesquieu établit un rapport entre la dimension

territoriale d’un Etat et sa forme politique : selon lui, la

propriété naturelle des petits Etats est d’être gouvernés en

république, celle des « médiocres » d’être gouvernés en

monarchie et celles des grands empire d’être dominés par

un despote ; donc « pour conserver les principes du

gouvernement établi il faut maintenir l’Etat dans la

grandeur qu’il avait déjà ».

Les causes physiques et les causes morales

Montesquieu pense que les lois doivent être relatives au

physique du pays (son climat, son terrain, sa superficie) et

à la morale des habitants (leur religion, leurs inclinations,

leurs mœurs…). Il est important de noter que la « théorie

des climats » n’est qu’une des composantes de l’analyse

de Montesquieu.

Le législateur modéré

Montesquieu prône la modération du législateur : « l’esprit

de modération doit être celui du législateur ; le bien

politique comme le bien moral se trouve toujours entre

deux limites ».

Le gouvernement modéré

Montesquieu s’inscrit dans la droite ligne du libéralisme

noble dont la bête noire n’était pas l’absolutisme en soi,

mais son mode d’exercice louis-quatorzien arbitraire et

despotique.

Monarchie et despotisme

Pour Aristote, la tyrannie n’était qu’une variante de la

monarchie. Pour Montesquieu c’est un type distinct de

gouvernement, différent à la fois dans sa nature et dans

La science politique

198

son principe. Mais comment faire en sorte que la

monarchie, gouvernement modéré, ne vire pas au

despotisme ? Ce sont sa nature et son principe qui lui

permettent de rester un gouvernement modéré. Cette

nature postule des corps intermédiaires, « subordonnés

et dépendants », « des canaux moyens par où coule la

puissance ». Ces corps font office de contre-pouvoirs

car il est de leur essence même de résister

opiniâtrement aux incursions indues du souverain au

nom de cet honneur de corps qui a ses règles fixes. Les

autres contre-forces sont le clergé, les parlements (qui

ont le dépôt des lois fondamentales), les villes (avec

leurs privilèges) et les justices seigneuriales. Le

système monarchique est présenté par Montesquieu

comme un frein à tous les excès.

Monarchie et corruption

Pourtant la monarchie n’échappe pas plus que les

autres gouvernements à la corruption et Montesquieu le

reconnaît : « la monarchie se perd, lorsqu’un prince

croit qu’il montre plus sa puissance en changeant

l’ordre des choses qu’en le suivant, lorsqu’il ôte les

fonctions naturelles des uns pour les donner à d’autres,

et lorsqu’il est plus amoureux de ses fantaisies que de

ses volontés ».

Montesquieu explique également pourquoi les hommes

ne se soulèvent pas contre le fléau qu’est le

despotisme : un gouvernement modéré est « un chef

d’œuvre de législation » dont la constitution est

complexe et nécessite des compromis ; « un

gouvernement despotique, au contraire […] est

uniforme partout : comme il ne faut que des passions

pour l’établir, tout le monde est bon pour cela ».

La science politique

199

La liberté politique

Montesquieu souligne d’abord qu’au fil de l’histoire

« chacun a appelé liberté le gouvernement qui était

conforme à ses coutumes ou à ses inclinations ». On a

souvent vu la liberté en république où « les lois paraissent

y parler plus et les exécuteurs de la loi moins », en

démocratie où « le peuple paraît à peu près faire ce qu’il

veut »… mais une telle approche, explique Montesquieu,

reviendrait à confondre « le pouvoir du peuple avec la

liberté du peuple ». En effet, « la liberté ne peut consister

qu’à pouvoir faire ce que l’on doit vouloir, et à n’être point

contraint de faire ce qu’on ne doit pas vouloir ». La liberté

c’est le pouvoir de faire tout ce que les lois permettent

mais pas plus (sinon il n’y aurait plus de liberté pour tous

les citoyens). Cette liberté politique « ne se trouve que

dans les gouvernements modérés », « mais elle n’est pas

toujours dans les Etats modérés ; elle n’y est que lorsqu’on

n’abuse pas du pouvoir ; mais c’est une expérience

éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en

abuser (cf. Loi de Thucydide) […] la vertu même a besoin

de limites. » L’existence de la liberté politique est donc

subordonnée à une certaine disposition des choses (« pour

qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la

disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir »).

Montesquieu distingue trois sortes de pouvoirs présents

dans chaque Etat : « la puissance législative, la puissance

exécutrice des choses qui dépendent du droit des gens, et

la puissance exécutrice de celles qui dépendent du droit

civil ». Et pour que la liberté politique soit garantie il faut

que ses trois pouvoirs soient exercés par des personnes

différentes : « Tout serait perdu si le même homme, ou le

La science politique

200

même groupe de principaux, ou des nobles, ou du peuple,

exerçaient ces trois pouvoirs ».

Pour commenter la répartition des pouvoirs, Montesquieu

prend l’exemple de la constitution d’Angleterre. Le peuple

en corps devrait légiférer (dans un Etat libre, tout homme

qui est censé avoir une âme libre doit être gouverné par

lui-même), mais c’est impossible dans les grands Etats et

plein d’inconvénients dans les petits : on aura donc

recours à des représentants. Les représentants du peuple

partagent le législatif avec les représentants des nobles,

lesquels sont représentés à part (dans une autre chambre)

sinon ils n’auraient aucun intérêt à défendre car la plupart

des décisions seraient prises contre eux. Chacune des

parties de ce législatif enchaîne l’autre par une faculté

réciproque d’empêcher. De même, ces deux chambres

sont liées par l’exécutif (le monarque) comme il est lié par

elles ; ainsi, « toutes les parties, si opposées qu’elles nous

paraissent, concourent au bien général de la société ;

comme des dissonances, dans la musique, concourent à

l’accord total ».

Cependant, comme l’a justement remarqué Jean-Jacques

Chevallier, sans doute Montesquieu n’était-il pas un

interprète entièrement fidèle du système anglais car « il

semble bien que lui avait échappé le rôle, naissant mais

capital, du Cabinet et de son leader le ministre principal ;

c’est par lui et par son chef, lien personnel entre le roi et la

majorité parlementaire, qu’étaient forcées d’aller de

concert les parties mutuellement enchaînées à l’attelage

gouvernemental ».

La science politique

201

Conclusion

Sans oser croire possible en France un aussi beau système

qu’en Angleterre, Montesquieu a souhaité pour sa patrie un

minimum de distribution des puissances : une noblesse

héréditaire, un monarque par elle balancé et équilibré, à la

fois soutenu et contenu par elle, une monarchie réglée par

des lois fixes (donc indépendantes de la volonté

éventuellement capricieuse du souverain), un

gouvernement modéré (qui ne risquerait pas de verser

dans une des deux extrémités tant redoutées par

Montesquieu : l’Etat despotique et l’Etat populaire).

N.B. : le système de séparation des pouvoirs prôné par

Montesquieu tient plus des « checks and balances », de la

fusion des pouvoirs que d’une séparation totale : pour

preuve l’ébauche de constitution élaborée par Montesquieu

dans laquelle le roi dispose d’un droit de veto en matière

législative et le législatif dispose d’un droit d’ingérence en

matière judiciaire.

La science politique

202

H/ Rousseau

Jean-Jacques Rousseau ( 1712-1778)

Le Contrat Social

Le Contrat social ne se propose pas de rendre « les

grands Etats à leur première simplicité, mais seulement

d’arrêter, s’il était possible, le progrès de ceux dont la

petitesse et la situation les ont préservés d’une marche

aussi rapide vers la perfection de la société et vers la

détérioration de l’espèce ».

1) Liberté et aliénation dans le pacte social

La nature fait l’homme libre. « La force a fait les

premiers esclaves, leur lâcheté les a perpétués ». Il est

impossible de fonder sur la force la légitimité de

l’obéissance ou le droit : en effet la force est une puissance

physique, de surcroît instable, dont aucun effet moral ne

peut être tiré.

a) « Pactum subjectionis »

La science politique

203

Pour qu’un schéma de domination soit légitime, il

faut le faire reposer sur une convention. Mais quel type de

convention ? En effet, Rousseau écarte le « pactum

subjectionis », type de contrat selon lequel chacun aliène

sa liberté pour la remettre entre les mains d’un souverain,

en échange de la sécurité garantie par celui-ci. « On vit

aussi tranquille dans les cachots ». Renoncer à sa liberté,

c’est renoncer à sa qualité d’homme doué de raison, or un

homme ne se donne pas gratuitement. Rousseau résume

ce type de contrat de la façon suivante : « je fais avec toi

une convention toute à ta charge et toute à mon profit,

que j’observerai tant qu’il me plaira, et que tu observeras

tant qu’il me plaira ».

b) « Pactum societatis »

Selon Rousseau, un jour les hommes prirent

conscience des inconvénients de l’état de nature et

formèrent la société civile. Mais ils refusèrent d’aliéner leur

liberté. Le problème consista donc à « trouver une forme

d’association qui défende et protège toute la force

commune de la personne et les biens de chaque associé,

et par laquelle, chacun s’unissant à tous, n’obéisse

pourtant à personne qu’à lui-même et reste aussi libre

qu’auparavant. » Ce pactum societatis ne sera pas conclu

entre les individus (ce qui est le cas chez Hobbes), mais

entre eux et le corps politique (corps qui va naître en

même temps que le pacte). Que faire si l’autorité politique

ne respecte pas le contrat ? Peut-on s’en débarrasser ?

L’admettre revient à favoriser l’insécurité (et donc à

manquer l’objectif recherché). C’est pour cette raison que

Rousseau rend l’autorité politique consubstantielle aux

contractants en créant « un corps moral et collectif

composé d’autant de membres que l’assemblée a de

La science politique

204

voix ». Il y a aliénation totale « de la liberté de chaque

associé avec tous ses droits à toute la communauté ».

Sans doute, chacun se trouve soumis à l’autorité du corps

politique, c’est-à-dire du souverain, mais en lui obéissant

comme sujet il n’obéit en fait qu’à lui-même puisque

comme citoyen il en est l’un des membres. Les individus

sont à la fois citoyens et sujets : citoyens quand ils votent

la loi, sujets quand elle s’applique à eux.

Cependant, chacun peut, à un moment ou un autre

prétendre « jouir des droits du citoyen sans vouloir remplir

les devoirs du sujet ; injustice dont le progrès causerait la

ruine du corps politique. » De telle sorte que si l’on veut

conserver son sens au pacte social, il est indispensable de

contraindre les intérêts particuliers à se plier à la volonté

générale, ce qui revient à forcer d’être libre ceux qui

tentent de s’en affranchir.

2) Les caractères de la souveraineté

a) l’inaliénabilité

Impossibilité pour la souveraineté de faire l’objet d’une

délégation Abandonner sa volonté à un autre revient à

perdre sa liberté et donc à nier l’objet du pacte social.

Rousseau rejette le régime représentatif : « s’il n’est pas

impossible qu’une volonté particulière s’accorde sur

quelque point avec la volonté générale, il est impossible au

moins que cet accord soit durable et constant ; car la

volonté particulière tend par sa nature aux préférences et

la volonté générale à l’égalité ».

b) l’indivisibilité

La volonté du souverain est générale ou n’existe pas, elle

ne peut pas être que la volonté d’une partie du peuple. La

séparation des pouvoirs est une absurdité selon lui

La science politique

205

consistant à démembrer le corps social pour ensuite

rassembler les pièces « on ne sait comment ». Pour

Rousseau, il peut y avoir plusieurs émanations du pouvoir

souverain unique, mais celles-ci en dépendent étroitement.

Rousseau établira à ce sujet une dépendance étroite de

l’exécutif à l’égard du législateur.

c) l’infaillibilité

Le souverain n’est infaillible que dans la formulation de la

volonté générale qui correspond au bien commun et non

pas à l’amalgame des diverses volontés particulières. La

volonté générale ne regarde qu’à l’intérêt commun, ce

n’est pas l’amalgame des diverses volontés particulières.

Mais, si la volonté générale est toujours « droite et tend

toujours à l’utilité publique », le peuple peut être trompé.

Rousseau est hostile aux partis, ces « brigues »

susceptibles d’entraver par l’expression de leurs volontés

propres la recherche de la volonté générale. Une fois

débarrassés des partis, la volonté générale se formera à

partir des consciences individuelles, naturellement tendues

vers la recherche du bien commun. Il y aura sans doute

des divergences individuelles, mais la somme de ces

différences sera nulle et la loi traduira la volonté générale.

3) Les Lois

C’est grâce à la loi que les hommes échappent à l’arbitraire

et qu’ils ne sont soumis à aucun maître puisqu’en s’y

conformant ils n’obéissent qu’à eux-mêmes. Mais

Rousseau n’envisage pas une législation en perpétuelle

mutation, au contraire, Rousseau estime que l’initiative de

la loi accordée à chaque citoyen a causé la perte d’Athènes

et que c’est la « grande antiquité des lois qui les rend

saintes et vénérables». Pour être bien gouverné, l’Etat n’a

La science politique

206

besoin selon lui que d’un système législatif rudimentaire.

Rousseau estime aussi que « le public veut le bien et il ne

le voit pas ». C’est pourquoi Rousseau place le législateur

comme point de départ de la société : il invente les lois (il

est d’une intelligence supérieure et n’écoute pas ses

passions) mais à la différence du philosophe-roi

platonicien, il n’est chargé que « de monter la machine et

de la faire fonctionner ». Le Législateur, si génial soit-il

n’est qu’un homme, il « n’a donc ou ne doit avoir aucun

droit législatif ». Il commande aux lois, non aux hommes

et ne peut substituer sa volonté à la volonté générale.