la république dominicaine, la guadeloupe et la caraïbe

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LA RÉPUBLIQUE DOMINICAINE,

LA GUADELOUPE et

LA CARAÏBE

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L A R É P U B L I Q U E

D O M I N I C A I N E ,

L A G U A D E L O U P E

e t

L A C A R A Ï B E

sous la direction de

Michel L. MARTIN, François VELLAS et Alain YACOU

Centre d'Etudes et de Recherches Caraïbéennes

ECONOMICA

49, rue Héricart, 75015 Paris

Page 5: La République Dominicaine, la Guadeloupe et la Caraïbe

(0 Ed. EqQNOMICA, 1992

Tous droits de reproduction, de traduction, d'adaptation et d'exécution réservés pour tous les pays.

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SOMMAIRE

Avant -p ropos 7

Introduct ion : Michel L. Martin, François Vellas et Alain Yacou 9

P R E M I È R E P A R T I E :

Histoire, identité et cultures dominicaines 15

Chapitre I : L ' incorporat ion de l'île de Saint-Domingue à la Couronne de Castille, par Alain Yacou 17

Chapitre I I : La genèse de l ' identité dominicaine au XVIe siècle, par Hugo Tolentino 59

Chapitre I I I : Le Noir dans la culture et la poésie domini- caine, par Andrés Bansart 77

D E U X I È M E P A R T I E :

Société, politique et institutions 93

Chapitre I : La longue marche de l ' indépendance domini- caine, par Rober to Cassa 95

Chapitre I I : Le projet national dominicain, par Rubén Silié . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107

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Chapitre I I I : Les institutions politiques dominicaines : la Constitution de 1966, par Michel L. Martin 125

T R O I S I È M E P A R T I E :

La République dominicaine et la Guadeloupe 141

Chapitre I : Le tourisme international dans les pays insulaires de la Caraïbe et la stratégie de développement touristique de la République dominicaine, par François Vellas 143

Chapitre I I : Le commerce régional dominicain avec les Antilles et la Guyane, par Charbel Macdissi 159

Chapitre I I I : A propos de l 'émigration guadeloupéenne en République dominicaine à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, par Marie-Denise Nicolas 175

Chapitre Iv : Les enfants de Saint-Domingue à Saint- Martin, par Antoine Abou 187

Conclusion : La coopération culturelle entre la République dominicaine et la Guadeloupe : réalités et perspectives, par Pedro Urena . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 207

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AVANT-PROPOS

Avec Cuba et les Antilles (1988), De la Révolution française aux révolutions créoles et nègres (1989), Des Sans-culottes noirs au Libertador : Bolivar et les peuples de Nuestra América (1990), Etudes caraïbéennes : société et politique (1991) et Mourir pour les Antilles plus récemment, cette nouvelle livraison du Centre d'Etudes et de Recherches Caraïbéennes poursuit l'œuvre de coopération commencée avec des universitaires caraïbéens dans le cadre du programme « Intégration de la Guadeloupe dans la Caraïbe », partie prenante de la Convention de Recherche entre l 'Université des Antilles et de la Guyane et la Région Guadeloupe.

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INTRODUCTION

Le titre du présent ouvrage ne doit pas induire en erreur. Autant le dire d'entrée de jeu, en dépit de la solidarité de destin que leur assigne leur commune appartenance à la Caraïbe, il n'est point visé ici, comme on pourrait le croire, une comparaison étroite entre la République dominicaine et la Guadeloupe. Eût- elle été possible qu'elle aurait nui à l'économie du projet ou en aurait altéré l'esprit. Au reste, la recherche patiente des points de convergence ne saurait en aucun cas occulter l'étendue des diver- gences que nous rappelle en tout premier lieu la géographie.

De fait, même amputée à l'ouest - où se trouve Haïti - d'un bon tiers de son territoire, l'île de Saint-Domingue est restée de langue espagnole, pour ne pas dire plus, sur quelque 48 000 km2, ce qui est beaucoup à côté de la plus grande des Petites Antilles, la Guadeloupe, même augmentée de ses dépendances qui s'étendent jusqu'à Saint-Martin, comme on sait.

Plus encore, à consulter les Chroniques, il n'est point de commune mesure sous le regard des découvreurs d'abord entre l'île principale des Cannibales bientôt réputée « inutile », encore que reconnue comme étape obligée pour l'aiguade de retour des galions de Sa Majesté Catholique chargés d'or et l'hospitalière « Bohio » ou Ayti qui, à l'insu de ses habitants, fut tout simplement baptisée Espagnole - l'Hispaniola - objet des soins jaloux de l'Amiral et premier siège du gouvernement des Indes occidentales.

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Primauté oblige, nous nous sommes attachés dans la première partie de cet ouvrage à faire ressortir les traits significatifs, contrastés voire antagonistes, de la personnalité dominicaine.

Première île à être incorporée à la Castille triomphante, l'Espagnole fut nécessairement le laboratoire de la conquête du Nouveau Monde où l'on vit se prolonger sans gloire l'œuvre légi- time de la Reconquête de la Péninsule sur les Maures. A la veille du Ve Centenaire de la Découverte, on ne s'étonnera pas du questionnement qui se fait jour sous la plume des intellectuels dominicains autour du lancinant concept d'identité nationale. A cet égard, est-il injuste de penser que malgré le voisinage encore senti comme inquiétant de l'Etat haïtien né de la ruine de l'opu- lente colonie française, la République dominicaine puisse aujourd'hui revendiquer un tant soit peu sa négritude, même si cette négritude-là, hier répudiée, ne peut être que mulâtresse pour reprendre l'expression autorisée du regretté poète cubain Nicolas Guillén ? En tout cas, au-delà de singulières résurgences, on voit s'accomplir, semble-t-il, les premiers pas vers cette fusion des «trois légendes de couleur» - l'indien, le blanc, le no i r - qu'un autre poète, le dominicain Pedro Mir appelait de ses vœux dans son Contre-chant à Walt Whitman qui est un hymne à l'Antillanité.

L'histoire politique elle-même de l'Etat dominicain abordée au début de la deuxième partie de cet ouvrage n'est pas, à sa genèse, autre chose au demeurant que le long cheminement d'un métissage balloté entre les deux pôles extrêmes que sont l'Africa- nité et l'Hispanité. Il est tout d'abord particulièrement significatif que la ci-devant partie espagnole de Saint-Domingue qui, on le sait, avait été cédée à la France en 1795, ait préféré retourner à sa métropole originelle en 1809, lorsque toutes les Espagnes s'étaient soulevées contre l'Intrus, plutôt que de suivre la route tracée par les révolutionnaires haïtiens. Il est encore plus révéla- teur que le premier Père de la Patrie, l'avocat Nunez de Càceres, qui avait proclamé l'indépendance en famille, suivant le mot de Schœlcher, ait hissé tout bonnement en 1821, mais en pure perte, le drapeau colombien, celui de Bolivar, pour prémunir son pays des « hordes » venues de l'ouest. Partant, ce n'est pas sans y laisser des meurtrissures profondes que sous l'empire du dogme louverturien de l'indivisibilité de l'île de Saint-Domingue, le Président Boyer occupera en 1822 et pour vingt-deux ans la partie orientale que ses libérateurs d'un jour avait appelée juste- ment « Haïti espagnol » pour parer, croyaient-ils, la manœuvre attendue de leurs voisins. Et c'est encore pour échapper aux mêmes « barbares » qu'en 1861 et pour quatre ans, les domi-

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nicains indépendants depuis 1844 n'eurent qu'un recours, celui que leur offrit le giron de la Mère Patrie !

Cette longue marche de la libération dominicaine qui illustre bien, s'il en était besoin, les difficultés de la cohabitation dans la Caraïbe, montre au surplus le degré d'aliénation auquel conduit une indépendance sans décolonisation : Saint-Domingue qui fut espagnol n'avait pas échappé à la fatalité des révolutions latino- américaines où le projet national s'était caractérisé par l'exclu- sion. Dans ces conditions, l'autoritarisme n'eut aucune peine à se saisir de cette réalité informe qu'était l'Etat national dominicain. Ainsi, après avoir été une des terres de prédilection de l'ingé- rence nord-américaine, la République dominicaine aura égale- ment le douteux privilège d'offrir à la science politique et, pour trente ans, l'un des meilleurs modèles de dictateur créole, Trujillo. Est-il étonnant que par la suite et moins de cinq ans après la mort du Benefactor, qui les avait tenus un peu à l'écart de ses affaires, les Etats-Unis aient opéré, en 1965, une interven- tion des plus énergiques pour imposer leur paix dans un pays en proie à une véritable guerre civile, laquelle n'était pas sans rappeler l'événement survenu dans la grande île toute proche de Cuba...

Pourtant, un quart de siècle plus tard, cet Etat dominicain qui présentait de manière quasi pédagogique tous les traits d'un régime en situation dictatoriale, peut être aujourd'hui considéré comme un des premiers exemples réussis de transition démo- cratique dans la zone latino-américaine. Certes, d'aucuns ne manquent de stigmatiser les réflexes patrimonialistes du lea- dership et les séductions qu'ils suscitent encore, la maladminis- tration et ses conséquences corruptrices, ou encore la crise du service public. Sur fond d'instabilité économique et financière, ces symptômes prennent effectivement plus de relief (c'est particulièrement évident en ce début de la nouvelle décennie). Mais, ils sont dans une large, mesure résiduels d'une culture politique en transformation et ils ne doivent pas masquer d'autres éléments, émergents peut-être, de consolidation institutionnelle et politique. L'emprise du constitutionnalisme, la normalisation des modes de succession au pouvoir, concrétisée par la possibilité d'une alternance politique, et l'affirmation du sens des responsa- bilités civiques et démocratiques chez le citoyen dominicain, constituent les marques indéniables de ce développement. La dernière consultation électorale de mai 1990, aussi problèmatique apparaisse-t-elle, l'a prouvé.

Force nous est d'admettre toutefois que ce n'est ni par le procès historique ni par la culture politique que peuvent s'établir

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des correspondances entre la -République dominicaine et la Guadeloupe. Cette dimension relationnelle approchée dans la troisième partie de cet ouvrage renvoie en tout premier lieu au domaine économique, celui des échanges.

Partie intégrante de l'ensemble économique caraïbéen, la République dominicaine a continué de développer les liens éco- nomiques privilégiés à la fois avec les pays d'Amérique latine et les Etats-Unis. Cette position de carrefour économique, commer- cial et touristique dans le nord de la région caraïbe, constitue pour les partenaires antillais, guadeloupéens en particulier, de la République dominicaine une chance supplémentaire dans la conquête de nouveaux débouchés pour l'exportation de biens et de services. C'est ainsi que, comme le démontrent les potentia- lités d'échanges croisés commerciaux et touristiques, la Guadeloupe et Saint-Domingue sont aujourd'hui à l'initiative d'actions régionales de coopération sud-sud, qui peuvent per- mettre de compléter activement les échanges traditionnels nord- sud et créer les conditions d'une réelle alternative à la division internationale du travail.

Au reste, le développement des trois départements français d'outre-mer, la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane, passe nécessairement par une intensification de leurs échanges régio- naux nord-sud avec les Etats-Unis et le Canada et sud-sud avec le bassin caraïbéen et l'Amérique latine. Il est proposé à cet égard une analyse de leurs interactions avec la République dominicaine, laquelle aura permis de dégager les déterminants explicatifs de ces échanges et d'étudier leurs perspectives en se fondant à la fois sur les constats chiffrés et les concepts théoriques et en particulier celui de l'avantage comparatif régional.

Au-delà de ces relations, l'accent a été mis sur les contacts de civilisation entre la République dominicaine et la Guadeloupe, générés par les flux migratoires d'hier et d'aujourd'hui, tant il est vrai que les relations entre les pays de la Caraïbe se manifestent incontestablement par des déplacements significatifs de popu- lation.

Dès la fin du XIXe siècle et au début du XXe, en effet, la pré- sence guadeloupéenne en République dominicaine est bien réelle. Il s'agit de travailleurs agricoles qui, fuyant la crise sociale et économique qui sévissait dans leur pays, contribuèrent au déve- loppement de l'industrie sucrière dominicaine. Mais le fait marquant sous l'angle socio-culturel est la permanence en République dominicaine d'une authentique communauté guade- loupéenne, issue de cette émigration laborieuse, qui constitue à

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n'en point douter un facteur opérationnel de l'intégration de la Guadeloupe dans la Caraïbe.

Il est d'ailleurs particulièrement significatif que par un renversement surprenant de la conjoncture de l'offre, c'est au phénomène contraire que nous assistons aujourd'hui. Mais le cas de la migration de Saint-Domingue en Guadeloupe présente quelques singularités mémorables et d'abord le fait qu'elle soit essentiellement féminine. A cela s'ajouterait que si l'on excepte un flux limité de personnes installées en Guadeloupe proprement dite, cette migration ne concerne pratiquement que l'île de Saint- Martin (« dépendance » de la Guadeloupe, qui constitue un territoire géographiquement « intermédiaire », - plus proche d'ailleurs de Saint-Domingue que de la Guadeloupe «continen- tale » -, et encore dépourvu de barrières douanières). La place occupée par les enfants de migrants est révélatrice de la manière dont la migration se vit tant du point de vue dominicain que guadeloupéen.

De fait, la présence d'enfants dont la légalité du pays d'accueil veut qu'ils aillent à l'école pose, en termes particuliers, la ques- tion de l'intégration et des rapports entre les communautés composites de Saint-Martin. A travers l'enfant qui s'exprime et les propos tenus sur l'enfance par les institutions qui s'en occupent, ce sont des représentations multiples des deux pays qui se dessinent et, au-delà, une certaine idée de l'avenir.

Michel L. MARTIN

François VELLAS Alain YACOU

Centre d'Etudes et de Recherches Caraïbéennes,

Université des Antilles et de la Guyane

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PREMIÈRE PARTIE

H I S T O I R E , I D E N T I T É

E T C U L T U R E S

D O M I N I C A I N E S

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Chapitre 1

L'INCORPORATION DE L'ÎLE DE SAINT-DOMINGUE À LA COURONNE DE CASTILLE

Alain YACOU Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

Directeur du Centre d'Etudes et de Recherches Caraïbéennes

C'est le mercredi 5 décembre 1492 que, parti de l'île de Cuba baptisée Juana en l'honneur de l'Infant, l'Amiral de la mer Océane aperçoit, pour la première fois, au sud-est, celle qu'il appelle île de Bohio et dont on lui avait dit force merveilles. Avec d'infinies précautions - celles de marins en quête d'un port s ü r - Colomb et les siens approchent de la grande île à la tombée de la nuit.

I. LA DÉCOUVERTE

C'est ainsi qu'au matin du 6 décembre, se trouvant à quatre lieues d'un port admirable entrevu la veille, l'Amiral le nomme provisoirement Port Santa Maria. Plus tard, il voit apparaître au levant une île aux dimensions modestes qu'il baptise île de la Tortue, tandis que s'étale devant lui la côte septentrionale de Bohio dont les terres ensemencées ressemblaient - écrit-il - aux champs de blé dans la campagne de Cordoue au mois de mai. A l'heure des vêpres, il entre enfin dans ledit port qu'il nomme, de façon définitive, Port de Saint-Nicolas, en l'honneur du Saint dont c'était le jour.

Le 7 décembre, à la fin du quart de l'aube, l'Amiral met à la voile sous vent sud-ouest. Déjà frappé par l'existence de certaines essences qui présentaient des ressemblances avec celles que l'on trouvait dans la meseta ibérique, Colomb note que cette terre est

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très élevée et qu'elle ressemble à la terre de Castille. Le 9 décem- bre, tout à la contemplation de plaines magnifiques et de hauts plateaux, il prend soudain la décision, peut-être sous l'empire de la plus pure des nostalgies, de donner à l'île de Bohio le nom de Isla Espanola : l'adhésion de Colomb au messianisme hispanique ne pouvait être plus manifeste.

Pendant plus d'un mois - jusqu'au 16 janvier 1493 -, et comme il l'avait fait pour Cuba, l'Amiral qui reconnaît presque toute la côte nord de l 'Espagnole, jusqu'à la baie de Samana tout au moins, ne tarit pas d'éloges devant le merveilleux spectacle de la Nature qui se déroule sous ses yeux. Mais au-delà de l'énoncé dithyrambique s'ébauche déjà l'inventaire méticuleux de la faune et de la flore. Toutefois, comme l'écrit excellemment après Menéndez Pidal, Francisco Morales Padrôn, captant l'inconnu à travers le connu, Colomb ne tarde pas à appréhender la réalité américaine et à la nommer comme s'il s'agissait d'un simple pro- longement du monde européen.

Le 12 décembre, pour la première fois, les découvreurs peuvent, en se saisissant d'une « très jeune et très belle femme », prendre langue avec les Indiens qui jusqu'alors s'enfuyaient à leur approche. Enfin, persuadés que ces gens venus d'ailleurs n'étaient pas des habitants de Caniba qu'ils savaient peuplée d'anthropo- phages, les Indiens s'accordent à admettre qu'ils étaient venus du ciel ! En contrepoint de cette première ébauche de la vision de vaincus s'élabore également ce qu'il faut bien appeler, en sacri- fiant à une terminologie en vogue, le discours sur l'Autre, autant dire déjà le discours du groupe dominant. « Saint-Domingue, écrit Pierre Chaunu avec infiniment de raison, est le microcosme de toute l'histoire américaine ». Nous sommes ici en tout cas à la genèse du trauma et de la destructuration de l'aborigène.

Des études savantes l'ont montré à l'envi : la perception de l'Indien par Colomb est empreinte de condescendance et d'égo- centricité. On connaît à cet égard la formule définitive de T. Todorov : « Colon (sic) a découvert l'Amérique mais non les Américains ». De fait, la vision qu'il nous en donne reste suc- cincte, superficielle, globalisante et équivoque, prisonnier qu'il est de ses référents comme le souligne F. Moulin. Ainsi, l'Indien est nu, et Colomb en parfait civilisé le répète jusqu'à satiété. Il n'est ni blanc ni noir et, bien vite, le 16 décembre, il lui apparaît pres- que blanc et donc beau ! Il est d'instinct hospitalier et candide, il n'a aucune dextérité dans le métier des armes et d'ailleurs il n'a pas d'armes. En un mot et pour l'heure, c'est du bon Indien qu'il s'agit, bien de sa personne, innocent, généreux et lâche. De ces assurances, Colomb tire à la hâte des conclusions pratiques à

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l'adresse des souverains qui sont ses associés dans l'entreprise et à qui il se risque à dicter un programme de conquête spirituelle, d'assimilation culturelle, d'assujettissement politique et même d'asservissement de l'Indien.

De la sorte, avant même son entrevue avec le Cacique Guaca- nagari, souverain de la région où il se trouvait, Colomb avait choisi le 12 décembre d'ériger une grande croix sur une éminence bien en vue, en signe, écrivit-il, « que cette terre est à vos Altesses et principalement sous le signe de Jésus-Christ, notre Sei- gneur... ». Mais il est juste de souligner que l'occupation effective d'une partie du territoire insulaire sous la forme d'un établisse- ment tout à fait symbolique, le fort de Navidad (Nativité) est due, on le sait, à des circonstances fortuites puisque ce semblant de citadelle fut édifié avec les restes de la nef Santa Maria qui s'était échouée dans la nuit de Noël, incident que l'Amiral s'empressa d'interpréter comme un effet de la volonté de Dieu. On n'ignore pas le sort sans gloire réservé aux trente-neuf hommes que Colomb laissa derrière lui dans Navidad, garnison dérisoire en vérité du premier poste avancé de la plus colossale des entre- prises de colonisation des peuples d'outre-mer.

Toutefois, l'or qui fut l'un des motifs de l'expédition se fit assez rare durant les deux premières semaines du séjour des découvreurs dans l'Espagnole. Colomb en déduira que l'or y était simplement apporté de la fabuleuse île de Babeque qui, selon les indications qu'il avait recueillies, pouvait être à quatre lieues du point où il était. Mais devant le délire de l'or, comme dit Hugo Tolentino, si manifeste chez Colomb, les langues finirent par se délier : entre autres terres de l' Espagnole où se trouvait en abon- dance le métal convoité, on lui désigna le Cibao. L'information sera confirmée, présents à l'appui, par le cacique Guacanagari lui- même lorsqu'il vint consoler l'Amiral de la perte de la Santa Maria. Colomb ne se rendit pas pour autant dans les montagnes du Cibao, à l'intérieur des terres. Mais il est probable que Alonso Pinzon, commandant de la Pinta le fit, qui s'était éloigné des deux autres navires à la hauteur de la côte nord-est de l'île de Cuba le 21 novembre et avait pris la direction de la fameuse île de Babeque, vers l'est. Lors des retrouvailles quelque peu tendues, le 6 janvier, entre l'Amiral et le quasi-déserteur, Colomb qui n'ignore pas la provenance des pépites d'or que Pinzon avait ramenées avec lui se borne à écrire que, n'ayant pas trouvé d'or dans l'île de Babeque, « Pinzon vint à la côte de l'Espagnole sur les indications d'autres Indiens qui lui dirent qu'il y en avait dans cette île qu'ils appellent Bohio, en grande quantité et en beau- coup de mines. » De l'abondance de l'or dans l' Espagnole ,

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Colomb eut encore, le 13 janvier, un ultime témoignage lorsque, sur le chemin du retour, les deux navires de l'expédition mouil- lent dans la baie de Samana.

C'est aussi dans cette baie que Colomb découvre pour la première fois le mauvais Indien. Des marins descendus à terre rencontrèrent - fait nouveau - des hommes armés d'arcs et de flèches. L'un d'eux prié de venir jusqu'à la caravelle se présenta devant Colomb : « il était, écrit-il, d'affreuse physionomie (...) son visage était tout noirci de charbon (...) il portait tous les che- veux très longs, ramenés, attachés en une sorte de résille de plu- mes de perroquets ». Point de doute dans l'esprit de l'Amiral, ces Indiens-là étaient des « Caraïbes qui mangent les hommes ». En réalité, il s'agissait d'Indiens Ciguayos. Il n'empêche, « si ce ne sont pas des Caraïbes, écrit Colomb en se ravisant, au moins sont- ils leurs voisins, de mêmes coutumes et comme eux, gens sans peur, tous différents de ceux des autres îles qui sont couards et sont désarmés hors de raison ». On n'oublie pas que « les habi- tants malfaisants » de cette région pour parler comme l'Amiral, revenus de leur surprise s'étaient enhardis à affronter les armes à la main les sept hommes qu'il avait mandés à terre. Ainsi, c'est dans cette même île Espagnole et au cours du premier voyage, on ne l'a pas assez souligné, que se produit, avant même la décou- verte de la Guadeloupe, terre par excellence des Caraïbes, une altération considérable dans le code colombien de représentation de l'Indien.

Lorsque l'Amiral quitte le 16 janvier les rivages de l'Espa- gnole sans pouvoir se rendre à Carib où se trouvait ce peuple dont « toutes ces îles et terres avaient tant de crainte » ni même à Matinino, l'île des femmes qui le renvoyait à l' Imago Mundi de Pierre d'Ailly, il est persuadé - on le sait - que tout le système insulaire - l'archipel des Antilles et des « Lucayes » - constituait l'extrême pointe des Indes. L'Amiral laisse même entendre qu'il avait atteint les rivages du Cathay et de Cipango, suivant la logique de ses calculs parfaitement erronés et la preuve fragile que lui fournissaient les noms indiens de Caniba ou Cibao qui présentaient des ressemblances phonétiques avec Grand Khan (Can) ou Cipango. Comme l'écrit André Saint-Lu et comme l'explique savamment Beatriz Pastor, l'impact de la réalité ne modifie guère chez Colomb, si ce n'est à grand peine et lente- ment, les convictions fondées sur la culture acquise.

Quoi qu'il en soit, l'Amiral de la mer Océane dont la mission suprême était de contourner l'Islam, avait à son insu procuré aux Rois catholiques un Nouveau Monde - comme le dira plus tard Amerigo Vespucci - dont l'Ile Espagnole n'allait pas tarder à abriter la première capitale.

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Lettres au terme de la convention sus-indiquée. Il est vrai aussi que, du côté de nos partenaires, les initiatives n'ont pas manqué depuis, au moins, les cinq dernières années. Par l'intermédiaire de son Doyen et de plusieurs autres missionnaires, la Faculté des Lettres a multiplié les contacts avec les universités de Saint- Domingue, directement ou à travers la Maison de France. En sciences, de très actifs enseignants, en particulier les géologues, ont mené des actions concertées de recherche avec leurs homolo- gues dominicains. Il appartenait bien évidemment au département d'études ibériques de mettre plusieurs questions et auteurs dominicains à son programme d'étude des sociétés, littératures et civilisations de la Caraïbe hispanique. De même, il est à remar- quer l'action déterminante de la Bibliothèque universitaire dans le cadre de l 'ACURIL (Association des Bibliothèques d'Univer- sité, de Recherches et d'Institutions de la Caraïbe) créée en 1969 pour promouvoir la coopération et contribuer au développement culturel et scientifique de la région Caraïbe : les ouvrages domini- cains constituent l'un des meilleurs pourcentages du fonds caraï- béen de cette bibliothèque.

Aujourd'hui plusieurs centres de recherches reconnus par l'Etat et agréés par le Conseil scientifique de l'Université des Antilles-Guyane se sont réellement consacrés à la coopération culturelle et technique. Ainsi le Groupe d'Etudes et de Recher- ches en Espace Créole (GEREC) dont la spécialisation évidente en linguistique créole n'a pas empêché d'être avec l'appoint d'organismes privés ou mixtes le siège de stages saisonniers de français pour des professeurs d'enseignement supérieur de la Ca- raïbe et des Amériques ou des étudiants de deuxième ou de troi- sième cycle : des ressortissants de la République dominicaine en ont bénéficié ; ils devraient à court terme s'inscrire à des forma- tions qui couvriraient toute l'année universitaire et cela aussi bien en Martinique qu'en Guadeloupe dès lors que l'Institut déjà évo- qué verra le jour. A cela s'ajoute, en Guadeloupe, l'œuvre déjà ancienne réalisée par un laboratoire de sociologie économique, agrégé à la Faculté des Sciences, dans le cadre d'un diplôme, aujourd'hui magistère, dont il est le support, le DAC (diplôme agricole Caraïbe). Non content d'accueillir des étudiants de toute la Caraïbe, ce laboratoire est présent sur le terrain, notamment en République dominicaine, dans le cadre d'actions de coopération officielles.

Enfin, dans ce même ordre d'idées, il appartenait au Centre d'Etudes et de Recherches Caraïbéennes (CERC) de développer en Guadeloupe, dans le cadre du diplôme de troisième cycle, le DEA Caraïbe/Amérique latine dont il est le support, un enseigne-

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ment sur la République dominicaine, en droit, en histoire, en littérature, voire en sciences économiques. A cette enseigne et en toute réciprocité, trois professeurs de l'Université de Santo Domingo sont invités chaque année à y dispenser un enseigne- ment. Il est par ailleurs réconfortant de constater que deux des huit lauréats de la première promotion ont en décembre 1986 soutenu des dossiers de recherche sur des thèmes dominicains : « l'avènement de la démocratie et son institutionnalisation » et « l'industrialisation de la République dominicaine et son intégra- tion dans la Caraïbe ». Nous retrouvons, au demeurant, cette même constance dans les travaux - dossiers de DEA ou thèses de doctorats - préparés au CERC. On voit également la part consi- dérable que prend la réalité dominicaine dans un des programmes pluridisciplinaires de ce centre intitulé « Intégration de la Guade- loupe dans la Caraïbe ».

Ce programme a donné lieu à des congrès et colloques inter- nationaux ou à des publications intercaraïbéennes où des cher- cheurs dominicains ont apporté leur contribution. Le présent ouvrage en est l'illustration, même si les impératifs de calendrier et les contraintes de l'édition n'ont pas permis une plus large collaboration dominicaine - laquelle est acquise pour la suite...

Nous voudrions conclure sur cette note d'espoir sans que les lignes qui vont suivre aient pour autant valeur de recommanda- tions.

Si l'on veut provoquer des mouvements d'empathie entre nos peuples, il faudrait en premier lieu agir sur les méthodes d'ensei- gnement du français et de l'espagnol. Quoique les circonstances matérielles du fait pédagogique ne soient pas similaires dans les deux pays - les élèves dominicains ne possédant pas, dans une large majorité des livres ou dans leurs écoles, les outils pédago- giques appropriés -, il faudrait établir une coopération entre nos institutions pour qu'un matériel pédagogique représentatif de nos cultures respectives soit élaboré et distribué, au moins aux ensei- gnants d'espagnol et de français, langues étrangères, dans les deux pays.

D'autre part, dans le cadre de l'accord culturel entre le gou- vernement dominicain et le gouvernement français, un protocole spécial pourrait veiller à l'intensification des échanges entre les deux entités caraïbéennes. A cet égard, des associations non gou- vernementales, à but culturel, précisons-le, pourraient aussi jouer un rôle déterminant pour stimuler les échanges. Dans cette optique, un programme de bourses, en toute réciprocité, et des stages pour les enseignants des deux pays seraient à prévoir.