la responsabilite de proteger

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  • 7/28/2019 La Responsabilite de Proteger

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    La responsabilitde protger :

    une perspective

    francophone

    Andr Cabanis | Jean-Marie Crouzatier

    Ruxandra Ivan

    Ciprian Mihali | Ernest-Marie Mbonda

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    C o n t b u t o n s f n c o p h o n s

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    Agence universitaire de la Francophonie

    Tous droits de traduction, de reproduction et dadaptation r-servs pour tous pays. Toute reproduction ou reprsentationintgrale ou partielle, par quelque procd que ce soit (lectro-nique, mcanique, photocopie, enregistrement, quelque sys-tme de stockage et de rcupration dinformation) des pages

    publies dans le prsent ouvrage faite sans autorisation critedes ayants droit est interdite.

    Les textes publis dans ce volume nengagent que la responsabi-lit de leurs auteurs. Pour faciliter la lecture, la mise en page a tharmonise, mais la spcicit de chacun, dans le systme destitres, le choix des transcriptions et des abrviations, lemploi desmajuscules, la prsentation des rfrences bibliographiques, etc. at le plus souvent conserve.

    Responsable de collection :Ciprian Mihali

    Rdacteurs de louvrage :Andr Cabanis

    Jean-Marie CrouzatierCiprian Mihali

    Couverture :Carolina Banc

    Correction :Ciprian Jeler

    Technordaction :Ferenc St

    Impression :Idea Design & Print, ClujStr. Dorobanilor nr. 12RO 400117 Cluj-Napocawww.idea.ro

    ISBN 978-973-7913-96-8

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    L sponsblt d potg :un pspctv fncophon

    Idea Design & PrintEditur, Cluj

    2010

    Andr CabanisJean-Marie CrouzatierRuxandra Ivan

    Ernest-Marie MbondaCiprian Mihali

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    Contribution du collectif Francophonie, tats francophones et francophonie

    de lAgence universitaire de la Francophonie

    la prparation du Sommet de Montreux,octobre 2010

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    Prface

    Ces dernires annes les textes internationaux

    relatifs la responsabilit de protger se sont

    multiplis. Certes, on peut regretter que ce concept se

    limite quatre domaines circonscrits puisquil sagit,pour les Etats et pour la communaut humaine toute

    entire de protger les populations du gnocide, des

    crimes de guerre, des crimes contre lhumanit et

    du nettoyage ethnique. Il nen reste pas moins que

    labondance de ces textes est une bonne chose.

    Nanmoins, les problmes demeurent et

    notamment celui dun retard patent du fait sur le

    droit. En dpit des dclarations solennelles des

    Nations Unies, par exemple le Document nal du

    sommet mondial adopt le 15 septembre 2005 ; en

    dpit des interventions fortes de la Francophonie,

    par exemple la Dclaration de Saint-Boniface (2006), la

    responsabilit de protger nest pas toujours assume.

    Tant sen faut !

    Plus grave, lincohrence dun systme global dans

    lequel le maintien des situations acquises coexiste

    avec des principes qui, par nature, en exigeraient la

    disparition. Toute lhistoire des droits de lhomme est

    ainsi faite dombres et de lumires, de contrastes entreun discours universaliste et des pratiques gostes.

    Lanalyse de la responsabilit de protger envisage

    dans son dveloppement historique est dun grand

    intrt. Au sein du Comit de coordination et de suivi

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    ii

    du Programme thmatique Etat de droit, dmocratie et

    socit en Francophonie, lAgence universitaire de la

    Francophonie dispose dune quipe pluridisciplinaire

    parfaitement mme dassumer cette tche.

    Ce Comit, en effet, regroupe des philosophes,

    des juristes des historiens et des spcialistes des

    sciences politiques qui se rencontrent rgulirement.

    Le prsent ouvrage est une preuve quils ont russi

    envisager simultanment lexgse juridique des

    textes, lanalyse des motifs politiques et des pratiques

    diplomatiques ainsi quune rexion philosophique

    et thique sur le principe et ses implications.

    Lhypothse de dpart, selon laquelle en matire de

    la responsabilit de protger existerait une spcicit

    de la dmarche francophone, peut paratre dautant

    plus trange quil sagit de principes universels. Etsi spcicit il y a, quelle plus-value cette dmarche

    peut-elle apporter la rexion et laction de la

    communaut internationale ?

    Les auteurs montrent que la spcicit est

    dabord lie aux objectifs : beaucoup plus quaux

    Nations-Unies, laccent est mis sur la prventionet laccompagnement. Par ailleurs, les acteurs

    privilgis de la Francophonie sont outre les Etats

    et les OIG ceux de la socit civile. A mes yeux, ces

    deux lments sont troitement lis. On ne peut pas

    rellement mener une politique prventive si on na

    pas dimpact sur la base de la socit.Quant la plus-value, selon les auteurs, elle est

    triple. Les textes de rfrence de la Francophonie

    paraissent plus prcis et plus dtaills que ceux

    des Nations-Unies. Ils tmoignent, en outre, dune

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    certaine rexion sur la souverainet et la culture

    dmocratique. Enn, ils se fondent sur une solide

    expertise dans le domaine de la formation la culture

    politique et juridique.

    Malgr les insufsances et les checs repris dans

    la Dclaration de Bamako (rcurrence de conits,

    interruptions de processus dmocratiques, gnocides

    et massacres, violations graves des droits de

    lHomme, ) qui, rdige six ans plus tt, prgure

    la Dclaration de Saint-Boniface ; malgr le manque de

    volont politique ragir alors que la responsabilit

    de protger devrait tre assume par la communaut

    internationale, louvrage se veut rsolument optimiste.

    Il est vrai que nous allons dans le sens dune plus

    grande conscientisation universelle. Peut-on dire,

    linstar de Teilhard de Chardin, que lhumanit estsur la voie d'une re d'harmonisation des consciences

    fonde sur le principe de la coalescence des centres

    , chaque centre, ou conscience individuelle, tant

    amen entrer en collaboration toujours plus troite

    avec les consciences avec lesquelles il communique ?

    Le prsent ouvrage sadresse prioritairementaux dcideurs politiques ainsi quaux chercheurs en

    droit et en relations internationales. Il sinscrit dans

    le prolongement de louvrage de Mthodologie de la

    recherche en droit international, gopolitique et relations

    internationales. Nanmoins, il ne manquera pas dtre

    utile des chercheurs dautres disciplines. Je pensenotamment aux philosophes, aux anthropologues,

    aux historiens et aux sociologues.

    LAgence universitaire de la Francophonie

    considre que le soutien aux chercheurs surtout aux

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    tudiants de matrise, doctorants et post-doctorants

    est une priorit. Si dores et dj elle accorde

    certains dentre eux une bourse de mobilit, elle a la

    ferme volont de les aider tous dans leur dmarche

    scientique.

    Cest le sens de lensemble des ouvrages

    tous dune rigueur scientique et dune clart

    mthodologique remarquables qui sont publis

    par le Collectif Francophonie, Etats francophones

    et francophonie sous la direction de Jean-Marie

    Crouzatier, Universit Toulouse 1 Capitole (France).

    Manfred Peters

    Prsident de lUniversit de Paix

    Membre du Conseil scientique de lAgenceuniversitaire de la Francophonie

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    AvAnt-propos

    Entrepris linitiative du Comit de coordinationet de suivi du Programme thmatique tat de droit, d-mocratie et socit en Francophonie de lAgence univer-

    sitaire de la Francophonie, ce rapport est issu de deuxsminaires de recherche runissant des politistes, desjuristes et des philosophes, qui se sont tenus Cluj(Roumanie) et Paris (France) en mars et juin 2010.

    Ont particip ces sminaires et la rdactionde ce rapport : Andr Cabanis, professeur dhistoire

    du droit lUniversit Toulouse 1 Capitole (France) ;Jean-Marie Crouzatier, professeur de droit public lUniversit Toulouse 1 Capitole (France) ; RuxandraIvan, professeur de sciences politiques lUniver-sit de Bucarest (Roumanie) ; Ernest-Marie Mbonda,professeur de philosophie lUniversit catholiquedAfrique centrale, Centre dtudes et de recherchessur la justice sociale et politique, Yaound (Came-roun) ; Ciprian Mihali, professeur de philosophie la Facult dhistoire et de philosophie de lUniversitBabe-Bolyai, Cluj (Roumanie).

    Bogdan Drago, doctorant lUniversit Babe-Bolyai, Cluj (Roumanie), a effectu les recherches do-

    cumentaires.Claude-Emmanuel Leroy, directeur adjoint du

    Programme tat de droit, dmocratie et socit en Franco-phonie de lAgence universitaire de la Francophonie, asupervis ces rencontres et llaboration du rapport.

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    Andr Cabanis, Jean-Marie Crouzatier et CiprianMihali ont relu, corrig, harmonis et reli les diff-

    rentes contributions.

    Cette tude est le rsultat dune laboration collec-tive, interdisciplinaire et internationale francophone,soutenue par lAgence universitaire de la Francopho-nie. En effet, une des tches que sest donne lAgence

    universitaire de la Francophonie est de permettre la communaut universitaire de mieux apprhendercertaines missions de la Francophonie, dont celle decontribuer la promotion de la paix et au respect desdroits de lHomme. Il sagit de favoriser une rexionsur cette mission travers une approche universitaire

    diffrente et complmentaire de lapproche gouver-nementale et intergouvernementale.Les opinions exprimes nengagent que leurs

    auteurs.

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    ListedesAbrviAtions, desAcronymesetdessigLesutiLiss

    A.C.C.T. Agence de coopration culturelle et technique

    A.C.P. tats dAfrique, des Carabes et du PaciqueA.E.F. Afrique quatoriale franaise

    A.G. Assemble gnrale des Nations unies

    A.I.F. Agence intergouvernementale de la Francophonie

    A.L.E.C.S.O. Organisation de la ligue arabe pour la culture,

    lducation et la science

    A.L.E.N.A. Association de libre change dAmrique du NordA.N.Z.U.S. Trait dassistance mutuelle Australie Nouvelle-

    Zlande tats-Unis

    A.O.F. Afrique occidentale franaise

    A.P.D. Aide publique au dveloppement

    A.P.E.C. Asia-Pacic economic cooperation

    A.S.E.A.N. Association des nations dAsie du Sud-Est

    A.U.F. Agence universitaire de la Francophonie

    B.I.T. Bureau international du travail

    C.E.D.E.A.O. Communaut conomique des tats de lAfrique

    de lOuest

    C.I.J. Cour internationale de justice

    C.S. Conseil de scurit des Nations unies

    F.A.D. Force arabe de dissuasionF.I.N.U.L. Force intrimaire des Nations unies au Liban

    F.M.I. Fonds montaire international

    Mercosur Communaut conomique des pays dAmrique

    du Sud

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    O.E.A. Organisation des tats amricains

    O.I.F. Organisation internationale de la Francophonie

    O.I.G. Organisation intergouvernementaleO.I.N.G. Organisation internationale non gouvernementale

    O.L.P. Organisation de libration de la Palestine

    O.M.C. Organisation mondiale du commerce

    O.M.S. Organisation mondiale de la sant

    O.N.G. Organisation non gouvernementale

    O.N.U. Organisation des Nations uniesO.T.A.N. Organisation du Trait de lAtlantique Nord

    O.U.A. Organisation de lunit africaine

    P.M.A. Pays les moins avancs

    P.M.E. Petites et moyennes entreprises

    S.A.L.T. Strategic arms limitation talks

    U.A. Union africaineU.E. Union europenne

    U.N.E.S.C.O Organisation des Nations unies pour lducation,

    la science et la culture

    U.R.S.S. Union des rpubliques socialistes sovitiques

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    introduction

    Depuis la n des annes 1990, nombre de textesinternationaux consacrent la scurit des populationscomme un droit de lHomme et afrment que la pro-

    tection de ces dernires incombe non seulement auxtats dont elles relvent, mais aussi la communautinternationale. Avec solennit, le Document nal duSommet mondial des Nations unies (adopt le 15 sep-tembre 2005) afrme la responsabilit de chaque tatde protger sa population du gnocide, des crimes de

    guerre et des crimes contre lhumanit. Faisant repo-ser la responsabilit de protger sur le principe de la souverainet comme responsabilit , il nonce quela communaut internationale est rsolue aider lestats protger leur population.

    Lun des mrites du concept de responsabilitde protger est en effet de dpasser lopposition quia domin les annes 1990, entre les tats attachs une stricte application du principe de souverainet etceux qui dfendent les interventions militaires desns humanitaires : lmergence du concept part delide que la scurit internationale doit tre pense,non plus uniquement en fonction de la scurit des

    tats dans le cadre dun conit intertatique, maisgalement en fonction de la scurit des populationsciviles victimes dun conit arm, surtout interne.

    Cest pourquoi le document prvoit une actioncollective de la communaut internationale au cas o

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    les moyens paciques seraient insufsants et o lesautorits nationales savreraient incapables dagir ou

    se refuseraient le faire. Cet engagement contractpar les tats membres de lONU laisse cependant ensuspens nombre de questions quant aux incidences dela responsabilit de protger et notamment aux cri-tres dune intervention. Cest la raison pour laquellele principe ne fait pas lunanimit dans les enceintes

    internationales. Certains craignent que trop de rservessoient prvues qui rendraient ce principe pratique-ment inoprant ; dautres redoutent quil serve deprtexte pour promouvoir des objectifs politiques (ilne faudrait pas que la responsabilit de protger soitune illusion supplmentaire, cest--dire que lon as-

    siste un supplment de violence internationale aunom de la scurit pour les populations). Le Secr-taire gnral des Nations unies lui-mme reconnat lancessit de dnir plus clairement la porte et lap-plicabilit du principe : en dautres termes dengagerun processus de normativisation qui permettraitla substitution dune logique juridique une logiquepolitique. Comment le principe peut-il tre conciliavec des concepts traditionnels tels que celui de sou-verainet de ltat ? Comment ce principe doit-il tremis en uvre et comment garantir quil nen sera pasfait un usage contraire aux rgles des Nations unies ?LOrganisation des Nations unies a-t-elle les moyens

    de rendre ce principe oprationnel ? Lenjeu est de d-nir les conditions de mise en uvre de la responsa-bilit de protger, sachant que ce concept nest dnini dans la charte, ni dans les rsolutions du Conseil descurit ou de lAssemble gnrale.

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    La Francophonie a apport sa contribution au d-bat en cours, principalement en adoptant en 2006 la

    Dclaration de Saint-Boniface qui reprend et prcisela notion de responsabilit de protger. Ceci na riendtonnant pour deux raisons : dabord, la Franco-phonie sinscrit clairement dans le cadre des Nationsunies et aucune des rexions engages au sein delOrganisation mondiale ne lui est trangre ; ensuite,

    la Francophonie accorde la premire place aux droitsde lHomme et la dignit de la personne humaine.Cest ce titre quelle a jou un rle pionnier dans lareconnaissance du principe de la responsabilit deprotger puisque ce dernier gure dj explicitementdans la dclaration adopte par la Xe confrence des

    chefs dtat et de gouvernement ayant le franais enpartage, Ouagadougou, le 27 novembre 2004 (par.80) : Nous rafrmons que les tats sont responsa-bles de la protection des populations sur leurs terri-toires. Nous reconnaissons cependant que lorsquuntat nest pas en mesure ou nest pas dispos exercercette responsabilit, ou quil est lui-mme responsa-ble de violations massives des droits de lHomme etdu droit international humanitaire ou de la scurit,la communaut internationale a la responsabilit deragir pour protger les populations qui en sont vic-times, en conformit avec les normes du droit interna-tional, selon un mandat prcis et explicite du Conseil

    de scurit des Nations unies et sous son gide . Ilest intressant que la Francophonie sapproprie cettenotion de responsabilit de protger ; il est rvla-teur quelle en subordonne lapplication aux dcisionsdun organe des Nations unies.

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    La rexion du collectif Francophonie, tats fran-cophones et francophonie porte sur la plus-value

    que peut apporter lOrganisation en sassociant cettepromotion du concept de responsabilit de protger :plus-value en matire de rexion sur le concept ;plus-value quant son oprationnalit ; la rexiondu collectif sattache galement valuer lefcacitpolitique de cette initiative de la Francophonie.

    Tts d fnc

    Charte des Nations unies, notamment les chapitres VI et VII Assemble gnrale des Nations unies. Rsolution

    377 (V) : Union pour le maintien de la paix Assemble gnrale des Nations unies. Rsolution63/308 (14 septembre 2009) : Responsabilit deprotger

    Conseil de scurit. Rsolutions 1265 (1999), 1296 (2000),1325 (2000), 1460 (2003), 1612 (2005), 1674 (2006),1738 (2006), 1820 (2008), 1882 (2009), 1888 (2009),1889 (2009), 1894 (2009)

    Note du Secrtaire gnral de lONU, Suite donneraux textes issus du Sommet du millnaire, New York,ONU, 2004, A/59/565

    Rapport du Secrtaire gnral de lONU, Dans une li-bert plus grande : dveloppement, scurit et respect des

    droits de lHomme pour tous, New York, ONU, 2005,A/59/2005

    Rapport du Secrtaire gnral de lONU, La protec-tion des civils dans les conits arms, New York, ONU,2007, S/2007/643

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    Rapport du Secrtaire gnral de lONU, La miseen uvre de la responsabilit de protger, New York,

    ONU, 2009, A/63/677

    Rapport Brahimi, Les oprations de maintien de la paix,New York, ONU, 2000, A/55/305

    Rapport de la Commission internationale de linter-vention et de la souverainet des tats (CIISE), La

    responsabilit de protger, dcembre 2001 Rapport du Groupe de personnalits de haut niveausur les menaces, les ds et le changement, Un monde

    plus sr, notre affaire tous, New York, ONU, 2004,A/59/565

    Charte de la Francophonie, 23 novembre 2005 OIF, Dclaration de Bamako, 3 novembre 2000 OIF, Dclaration de Ouagadougou, 27 novembre 2004 OIF, Dclaration de Saint-Boniface, 14 mai 2006

    Dclaration du Sommet du Groupe des 77 runi laHavane, 10-14 avril 2000.

    Quston cntl

    Dans quelle mesure la mise en uvre des lmentsconstitutifs de la responsabilit de protger tels que

    dnis par lONU peut-elle sarticuler avec la dmarchefrancophone, compte tenu de sa spcicit ?

    En dautres termes : existe-t-il une dmarche fran-cophone spcique relative la responsabilit de pro-tger ? Quels sont les instruments et les pratiques qui

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    permettent didentier et de dnir cette dmarchespcique ? Par rapport la dmarche onusienne,

    peut-on parler dune plus-value francophone ? Com-ment se fait larticulation entre la dmarche onusienneet celle de lOIF ? Comment assurer la mise en uvredes instruments francophones de la responsabilit deprotger ? Comment afner, dans une perspectivefrancophone, les grilles danalyse des diffrentes si-

    tuations dans lesquelles le droit dtre protg nestplus assur ? quel niveau du processus de la res-ponsabilit de protger sarticulent les lments onu-siens et la dmarche francophone : celui de la pr-vention ? De lassistance ? De la raction ? Quen est-ilde lapplicabilit des diffrents instruments ?

    Hypoths

    La perspective francophone de la responsabilitde protger, tout en sinscrivant dans lapproche onu-sienne, prsente une spcicit qui pourrait enrichir laconception actuellement en vigueur lONU. Toute-fois labsence de prcisions quant aux modalits dac-tion de lOIF et dvaluation de ses propres missionslimite considrablement son efcacit. Cette efcacitncessite llaboration dun certain nombre doutils op-rationnels prcis, fonds sur des indicateurs qui per-

    mettent didentier des situations difciles, pour quela responsabilit de protger, dun principe juridiqueou dclaratoire, devienne un instrument oprationnel.

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    Un ppoch pludscpln

    La composition pluridisciplinaire du collectif Francophonie, tats francophones et francophonie permet darticuler divers champs disciplinaires (droit,science politique, histoire, philosophie) pour menerune tude combinant lexgse juridique des textes,lanalyse des motifs politiques et des pratiques diplo-

    matiques, et une rexion philosophique et thiquesur le principe et ses implications.Cette pluralit disciplinaire est particulirement

    souhaitable pour lanalyse de la responsabilit deprotger, car le principe est la fois porte juridiqueet connotation morale. Dans lordre international,

    cette dualit est la meilleure invitation lambigut.Que faut-il en effet privilgier : un principe qui, par laporte universelle de son nonciation et par sa conso-nance thique, semble relever de lordre de la morale,ou un concept juridique, celui de la protection huma-nitaire, qui est dans la pratique une politique de la g-nrosit autant quune stratgie des intrts ?

    Il faut souligner que le principe fait dsormais par-tie du droit positif : on sinterroge moins sur sa lgi-timit que sur son efcacit ; on lenvisage dsormaismoins comme une forme de raction exceptionnelleque comme un processus permanent.

    Modl dnlys

    Le point de dpart de lanalyse est le Documentnal du Sommet mondial de 2005 qui fait directement

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    rfrence la responsabilit de la communaut inter-nationale daider protger les populations du g-

    nocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethniqueet des crimes contre lhumanit lorsque les moyenspaciques se rvlent inadquats et que les autoritsnationales nassurent manifestement pas la protectionde leurs populations .

    Ce paragraphe 139 est en effet repris par le Conseil

    de scurit, qui fait la premire rfrence la respon-sabilit de protger dans sa rsolution 1674/2006 ; ilest rappel plusieurs reprises par lAssemble gn-rale qui dcide de continuer dexaminer la questionde la responsabilit de protger (A/63/308). Il sertde rfrence la Dclaration de Saint-Boniface adop-

    te par les membres de lOIF quelques mois plus tard,ainsi quau rapport du Secrtaire gnral de lONUdu 12 janvier 2009 sur La mise en uvre de la responsa-bilit de protger.

    Les dispositions du paragraphe 139 du Documentnal du sommet indiquent clairement que la respon-sabilit de protger repose sur trois piliers : la pro-tection assure par ltat, quil sagisse ou non de sesressortissants, qui est la seule stratgie de prventionefcace ; lassistance internationale, puisque lacom-munaut internationale sengage aider les tats sacquitter de leurs obligations en prenant appui surla coopration des tats voisins, des accords rgio-

    naux et sous-rgionaux, de la socit civile et du sec-teur priv ; la raction, si ncessaire, en temps voulu,lorsquun tat manque manifestement son obliga-tion de protection.

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    Dans ce contexte, une comparaison entre lONUet lOIF fait apparatre des diffrences et des conver-

    gences ; elle permet de prciser la spcicit de ladmarche francophone et la plus-value quelle peutapporter la rexion et laction de la communautinternationale.

    Les diffrences tiennent dabord aux objectifs : la

    Francophonie fait de la dmocratie et du dvelop-pement les conditions de la paix ; sa vision est doncplus large que celle de lONU qui est centre sur lemaintien de la paix. Ensuite, du point de vue de la d-marche, laccent mis par la Francophonie sur la pr-vention et laccompagnement la distingue de lONU

    qui sans ngliger ces deux aspects envisage laraction. Dailleurs, les outils dont dispose la Franco-phonie sont diplomatiques et vous la recherche duconsensus ; les outils des Nations unies sont, de plus,oprationnels.

    Enn, les acteurs privilgis par la Francophoniesont outre les tats et les OIG ceux de la socitcivile ; alors que laction des NU dpend essentiel-lement du Conseil de scurit. Le sisme de janvier2010 en Hati a notamment dmontr labsolue n-cessit dune meilleure coordination entre les tats,lONU et les organisations non gouvernementales.De ce point de vue, la force de la Francophonie est

    dassocier le gouvernemental et le non gouverne-mental, lintergouvernemental et linfra-tatique, lestats, les socits civiles, les ONG trans-tatiques etinfra-tatiques.

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    Les convergences sont videntes puisque lactionde lOIF sinscrit dans un cadre dni par lOrganisa-

    tion des Nations unies, laquelle chacune de ses d-clarations fait rgulirement rfrence.

    De plus, les moyens de prvention et dassistancedes deux organisations sont trs comparables et per-mettent denvisager une authentique complmenta-rit dans leur action.

    Parce quelle est une communaut culturelle maisaussi politique, la Francophonie peut apporter uneplus-value : les textes de rfrence de la Francophonieparaissent plus prcis et plus dtaills que ceux desNations unies ; ils tmoignent dune certaine rexion

    sur la souverainet, la culture dmocratique, les droitsde lHomme, plutt que dun consensus minimalcomme ceux de lONU.

    Quant aux capacits, la Francophonie disposedune expertise dans le domaine de la formation laculture politique et juridique : formation, prvention,alerte prcoce, gouvernance quotidienne, lections.

    En revanche, il ne faut pas se dissimuler quelOIF ne dispose pas et nentend pas se doter desmoyens nanciers, humains et militaires que lONUpeut dployer. Cette moindre capacit dinterventionest certes un handicap, mais elle permet lOIF de sus-citer moins de raction de dance en cas de prise de

    position puisquon ne peut la souponner de prparerune intervention arme dans les affaires intrieuresdun tat.

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    PreMire ParTie

    L sponsblt d potg du concpt l ms n uv

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    En janvier 2009, le Secrtaire gnral de lONUprsente lAssemble gnrale le rapport sur Lamise en uvre de la responsabilit de protger , do-cument cens donner une dimension oprationnelle

    la responsabilit de protger 1

    .Ce document vient sajouter un nombre impor-tant de textes rdigs et prsents par les organismesinternationaux et les groupes dexperts, depuis 1990,autour des questions lies la scurit des popula-tions et au respect des droits de lHomme en situation

    de conit et de post-conit.Le lancement du concept de scurit humaine en 1994 a t suivi par une large rexion autour decette expression aussi intuitive (dans une certainetradition de pense, mais aussi suite lvolution po-litique du monde dans les annes 1990) que probl-matique (par ses implications la fois thoriques etpratiques), au sein des institutions et des organismesinternationaux, parmi les chercheurs, les hommes po-litiques et les experts. Une deuxime tape majeuredans lhistoire rcente de cette rexion est marquepar le rapport Evans-Sahnoun sur La responsabilitde protger , en 2001, prsent par la Commission

    internationale de lintervention et de la souverainetdes tats. Cette expression, son tour, a suscit denombreux discussions et textes dans le monde entier

    1 Document n A/63/677 du 12 janvier 2009.

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    et en Francophonie, en donnant lieu des documentsofciels, pour aboutir au rapport du Secrtaire gn-

    ral de lONU de 2009 sur La mise en uvre de laresponsabilit de protger .

    Une rexion approfondie sur ce parcours a tmene ces dernires annes par les chercheurs fran-cophones et par les institutions de la Francophonie2.Le moment semble tre venu de continuer et dlargir

    cette rexion, en tenant compte des dernires vo-lutions du dbat international, et pour apporter unecontribution francophone solide, argumente et visi-ble au dialogue sur le principe de la responsabilit deprotger.

    Dans cette premire partie, et titre dintroduc-

    tion notre travail, nous allons limiter notre in-tervention deux aspects de nature thorique : unaspect plutt philosophique, visant suivre le par-cours de la responsabilit de protger, ne commeexpression en 2001 et conceptualise en 2006, pouracqurir rcemment une dimension oprationnelleavec le rapport du Secrtaire gnral de lONU en2009. Ensuite, un aspect plus appliqu cens mettreen vidence la perspective francophone sur la res-ponsabilit de protger, avec ses avances du point

    2 Voir par exemple les publications ralises dans le cadre du Pro-gramme thmatique tat de droit, dmocratie et socitde lAgenceuniversitaire de la Francophonie : La responsabilit de prot-ger , n 2, 2008 de la revue ASPECTS, Paris, d. des archivescontemporaines ; Scurit humaine et responsabilit de protger.Lordre humanitaire international en question, Paris, d. des archivescontemporaines, 2009 ; Francophonie et relations internationales,Paris, d. des archives contemporaines, 2009.

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    de vue de la rexion mais aussi avec des proposi-tions de nouvelles pistes pour mener plus loin cette

    rexion et pour assurer une prsence plus active dela Francophonie dans ce dbat.

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    CHaPiTre i.L sponsblt d potg :

    concpt, pncp, dmch

    optonnll

    Dans louvrage Scurit humaine et responsabilit deprotger1, les auteurs mentionnent ds lintroductionque lmergence des deux notions est relativement si-multane et sexplique par la conjonction dvnements

    considrs aujourdhui comme insupportables .Cette mergence rcente (moins de dix ans, quoique unpeu plus pour la notion de scurit humaine , pr-sente dans les documents politiques internationaux etscientiques depuis 1994) a donn lieu de vifs dbatsdans le monde politique et acadmique, mais na pasencore abouti une laboration juridique consistante etcohrente dans le cadre du droit international.

    Outre cette carence juridique qui affecte le caractreoprationnel de la responsabilit de protger, deuxautres difcults surgissent avec la naissance de cettenotion :

    a) une difcult de nature thorique : la notion vient

    sinterposer, en quelque sorte, entre deux autresnotions qui partagent une longue histoire dansla pense et la pratique politico-juridiques des

    1 d. des archives contemporaines, Paris, 2009.

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    tats modernes : la souverainetet la scurit; plusencore, elle remobilise dans un sens nouveau les

    thories des droits de lHomme, dont la concep-tualisation na pas pu trouver un quivalent lahauteur de cette rexion dans laction politiqueet juridique des institutions et des pouvoirs na-tionaux et internationaux. Ainsi, le concept-clde la thorie politique moderne de ltat, la sou-

    verainet, subit une mutation profonde dans sadnition, ce qui est loin dtre accept par bonnombre dtats, des plus puissants aux plusfaibles, une mutation qui touche ses attributsde monopole tatique et de non-partage. SelonMireille Delmas-Marty, cest tout lordre sou-

    verainiste qui est aujourdhui mis en cause etdbord par les nouveaux ds de la scuritinternationale : Dbord au sens littral, car laglobalisation dploie ses dangers dans lespaceplantaire (cybercriminalit, terrorisme global,crises sanitaires mondiales), entranant parfoisaussi une sorte de dilatation des effets dans letemps (changement climatique, terrorisme nu-claire, etc.). Et dbord aussi au sens gur caril faut adapter les rponses la globalisation, cequi requiert des moyens considrables et peutexpliquer une sorte drosion du monopole ta-tique mesure que ltat sous-traite lusage de

    la force publique, prenant le risque de se trouverconcurrenc par lessor des acteurs privs 2. La

    2 Mireille Delmas-Marty, Libert et sret dans un monde dangereux,Paris, Seuil, 2010, p. 198.

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    deuxime notion le glissement dun droit lasret vers un droit la scurit recouvre ce

    quon appelle aujourdhui les drives scuri-taires, sous la pression tant relle que (surtout)idologique de la menace terroriste plantari-se ; elle met en cause la fois lide dune pro-tection contre tout danger (et, en arrire-plan,lide que cest ltat que revient la tche de

    garantir la scurit de ses citoyens) et la lgiti-mit de toute intervention au nom mme de laprotection de cette libert fondamentale, de cedroit des droits que serait la scurit3. Les droitsde lHomme, enn, ont connu une transforma-tion dans le sens dune concrtisation : ayant

    t jugs comme trop abstraits et indtermins,leur transformation prend la forme dune sur-dtermination scuritaire, aussi dangereusedans son application brutale que lirrespecteffectif de ces droits et liberts fondamentaux.Une telle surdtermination provient, commenous lavons montr ailleurs4, de la ractivationdu noyau vital et de la nature humaine invoqus rcemment par les thoriciens de lascurit humaine, comme le support concretsur lequel peuvent saccrocher aujourdhui lesdroits de lHomme. Cest pourquoi, mme dans

    3 Voir ce sens lexcellente tude dtienne Balibar, la sretet la rsistance loppression , in Droit de cit, Paris, PUF, 1998,pp. 27-42.

    4 Scurit humaine et droits de lhomme , in Scurit humaine etresponsabilit de protger. Lordre humanitaire international en ques-tion, d. cit., pp. 33-41.

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    la tentative juridique de r-hirarchisation desdroits de lHomme en vue de les rendre plus

    oprationnels, ceux qui concernent la dignit dela vie humaine passent en haut dune pyramideprenant en compte leur ordre de protection.

    b) une difcult de nature pratique, en fait unecomplication de nature tragique issue des v-nements gnraux et spciques qui, sous le

    coup de la globalisation acclre, ont dunepart provoqu laugmentation de linscuritdes populations et des personnes et dautre partmontr lincapacit de la socit internationaleen tant que socit intertatique de prvenir desconits, des crises, des crimes et autres, ou de

    ragir en temps voulu.Compte tenu de cet chafaudage gnreux mais

    incomplet et problmatique, plusieurs propositionset documents ont t formuls qui essaient darticulerla notion de scurit humaine au principe de la res-ponsabilit de protger. Nous ne cherchons pas ici distinguer entre la dimension notionnelle et celle prin-cipielle des deux expressions, ni de suivre la gnalo-gie rcente de cette distinction ; elle a t faite dunemanire argumente et explicite par Michel Blangerdans louvrage cit plus haut5. Ce qui nous intressedans cette introduction est, dans un premier moment,

    la manire dont le rapport du Secrtaire gnral de

    5 Notamment dans le sous-chapitre Naissance dune notion, ge-nse dun principe , in Scurit humaine et responsabilit de prot-

    ger. Lordre humanitaire international en question, d. cit., pp. 6-13.

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    lONU de 2009 tente de rsoudre les tensions et lesdifcults de cette articulation et, dans un deuxime

    moment, davancer quelques propositions dana-lyse issues du travail acadmique ralis au sein delAgence universitaire de la Francophonie.

    L ms n uv d l sponsblt d

    potg ou qust-c quun souvntsponsbl ?

    Le rapport du Secrtaire gnral invoque dans sonpremier chapitre les trois paragraphes du Documentnal du Sommet mondial de 2005 (138, 139 et 140)

    qui constituent loccasion et la justication de ce rap-port. Ainsi, larticle 138 prvoit de manire expliciteque cest chaque tat quil incombe de protgerses populations du gnocide, des crimes de guerre, dunettoyage ethnique et des crimes contre lhumanit .Aprs avoir mis en vidence ce rle de protection parltat des populations comme lune de ses prrogativessouverainistes, le texte se poursuit dans le mme articleet dans larticle suivant avec la mention du devoir de lacommunaut internationale dencourager et daider lestats protger les populations contre ces crimes pourmarquer ensuite ce qui fait le point fort du rapport, savoir lengagement de lAssembl gnrale pour-

    suivre lexamen de la responsabilit de protger .Articule autour des trois piliers la responsabi-

    lit de ltat en matire de protection , lassistanceinternationale et le renforcement des capacits et la raction rsolue en temps voulu , la concep-

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    tion de la responsabilit de protger propose par leSecrtaire gnral de lONU a pour ambition de ne

    pas rester au niveau thorique, mais de participer leffort de la communaut internationale pour donnerune existence concrte, doctrinale, politique et insti-tutionnelle 6 la responsabilit de protger. Pour cefaire, le rapport dlimite sur le plan mthodologiqueds le dbut le primtre plus troit des vnements

    tragiques (crimes et violations) autour duquel lestats peuvent parvenir un consensus qui permet-trait de rendre oprationnelle la responsabilit de pro-tger. Il sagit, tout au long du rapport, du gnocide, descrimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimescontre lhumanit. Tout autre vnement ou situation

    exceptionnelle sont laisss de ct an dtablir ce mi-nimum dentente entre les tats et de pouvoir doncrendre plus oprationnelle en pratique la nouvelledoctrine de la responsabilit de protger.

    Au niveau de la doctrine, le texte du Secrtaire g-nral apporte deux lments majeurs de nouveaut.Si le premier est plutt une conrmation et une expli-citation dune ide plus ancienne concernant la rela-tion entre souverainet et responsabilit de protger,la deuxime qui renforce et prolonge cette ide seveut encore plus radicale et riche de consquences entermes pratiques, par la transposition de la prise encompte de la protection des populations en tant que

    prrogative exceptionnelle ou du moins discontinuevers un devoir permanent des tats et de la commu-naut internationale. Ainsi, ce nest pas un hasard si

    6 Art. 2, pp. 3-4 du rapport.

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    limportance la plus grande est reconnue dans ce rap-port aux deux premiers piliers, alors que la raction

    rsolue en temps voulu est envisage plutt commeun geste de dernier recours pour les situations oles actions qui constituent les deux premiers pilierschouent ou savrent insufsantes.

    Le premier lment de nouveaut concerne donc larelation entre souverainet et responsabilit de prot-

    ger. Si nous parlons ici dune nouveaut, elle ne lestpas dans le sens dune innovation conceptuelle ou delimposition dun nouveau langage politique et juri-dique en droit international ou dans le domaine desrelations internationales. Il sagit plutt dun recadragede la relation entre souverainet et responsabilit de

    protger qui ne fait que prparer la dimension opra-tionnelle et processuelle de celle-ci. Le paragraphe 5 dupremier chapitre, Le mandat et son contexte fait djtat du soupon qui doit peser sur le modle classiquede la souverainet comme paravent derrire lequel iltait possible diniger en toute impunit des violencesmassives aux populations . Certes, ceci nest pas unedescription dle de la souverainet et encore moinsune dnition, mais elle renvoie la thorie et la pra-tique propres ltat-nation moderne pour lequel lundes attributs de la souverainet serait le monopole dela violence lgitime. Par ailleurs, lide nest mme pasde revenir, dans ce rapport, des thories classiques ou

    des numrations des prrogatives de ltat ou desautres acteurs au sein de la socit internationale ; letexte sattache la description des situations rcentesqui ont permis de considrer que de telles exactionsont pu tre iniges des populations civiles, au nom

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    mme de la souverainet tatique et sans que la com-munaut internationale soit capable de ragir en temps

    voulu et utile. Le Secrtaire gnral de lONU sefforcede dire que, si nous restons cette conception westpha-lienne (mme si remanie aprs la Deuxime Guerremondiale) de la souverainet, comme prrogative dis-crtionnaire dun tat, nous risquons de tomber, entant que communaut internationale confronte des

    crimes et violences, dans une fausse alternative : soit at-tendre que les vnements tragiques prennent n (uneattitude qui prouve plus ou moins directement le res-pect de la souverainet de ltat o ces vnements seproduisent), soit intervenir avec des forces militaires defaon coercitive pour dfendre les populations en dan-

    ger et les victimes (une attitude condamnable alors, dupoint de vue de ltat en cause et de sa souverainet).An dviter ce genre dalternatives, le Rapport

    de la commission propose par le gouvernement ca-nadien et dirige par Gareth Evans et MohamedSahnoun, La responsabilit de protger , insiste ds2001 sur la compatibilit possible et ncessaire entresouverainet et protection en y insrant un lmentqui tait absent ou nglig auparavant, savoir lespopulations et les individus, dont la protection doitprvaloir sur les intrts ou les priorits des tats etdes relations intertatiques. Cette compatibilit se tra-duit par une obligation durable des tats souverains

    envers leurs populations et par une responsabilit entrois moments, fruit dune collaboration troite entreles tats respectifs, la communaut internationale etses institutions : la responsabilit de prvenir, de ra-gir et de reconstruire.

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    Du contbutons concptulls mjus :l postvt d l souvnt t l

    pmnnc d l potcton

    Presque dix ans aprs le Rapport de la CIISE, le Se-crtaire gnral de lONU rappelle le dispositif mis enplace auparavant, conrme ses prsuppositions prin-cipales et renforce lide de lalliance incontournable

    entre la responsabilit de protger et la souverainet,une alliance fonde sur un concept positif et afr-matif de cette dernire et sur la permanence de laprotection. Ces deux lments nous semblent tre, auniveau conceptuel, une contribution majeure du rap-port la rexion et la mise en uvre dune stratgie

    long terme de la responsabilit de protger. Car ilspermettent en mme temps, et de manire explicite,non seulement dvoquer, mais aussi et surtout de ren-forcer un volet qui tait nglig ou moins trait dansles documents prcdents manant des diffrentes ins-titutions internationales, savoir le volet politique decette responsabilit. An de comprendre ce tournantthorique, commenons par poser quelques questionsrelatives au nouveau concept de souverainet.

    Quest-ce que peut donc assurer le caractre lafois positif et afrmatif de la souverainet ? Commentune obligation nouvelle, prvue par ce document et pardautres documents internationaux auxquels les tats

    ont adhr, peut-elle donner un contenu supplmentaire la souverainet ou mme la renforcer ? La rponse ces questions se trouve dans un changement doptiquesur la relation qui doit stablir entre les tats et la com-munaut internationale et entre les tats eux-mmes.

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    Ainsi, au lieu que les nations soient considres commedes entits libres, dont la souverainet serait la mesure

    de leur propre force individuelle, elles seront traites deplus en plus comme des membres dune communautplus large qui nest pas une superpuissance qui limite-rait leur souverainet par des interventions coercitives,mais un garant de celle-ci, condition bien sr quellesrespectent les normes tablies de concert par les mem-

    bres de cette communaut. Il ne sagit pas l dune sou-verainet conditionne ou partage et encore moins dela cration dune structure supranationale qui rcupre-rait des prrogatives souveraines des tats, en affaiblis-sant ceux-ci, mais de ce quon pourrait appeler une mu-tualisation des souverainets, une co-responsabilisation

    des tats. Elle devient possible ds lors que le primtrede la responsabilit est dlimit par les quatre crimesindiqus dans le rapport (gnocide, crimes de guerre,nettoyage ethnique et crimes contre lhumanit), ce quiconfre du coup une positivit (au sens dune concr-tude) supplmentaire au contenu de la souverainet,qui sajoute et renforce ainsi son caractre afrmatifentant que dplacement de sa signication dun privilge,comme droit de recours la violence lgitime exerceexceptionnellement, vers une obligation politico-mora-le permanente, une responsabilit continue. La dcisionde dlimiter lespace de la responsabilit de protger eny incluant les quatre crimes est sans doute une dcision

    fonde sur une stratgie politique qui vise, dune part, obtenir une adhsion de la part dun plus grand nom-bre dtats et, dautre part, prserver une dimensionoprationnelle de la souverainet comme responsabi-lit de protger. Car solliciter le concept au-del

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    de sa reconnaissance , pour des calamits climatiques,sanitaires ou alimentaires (et qui peuvent produire

    leur tour des catastrophes humanitaires majeures, sansdoute la diffrence nest pas ici dordre quantitatif oustatistique) ne veut pas dire que les tats seraient absousde leur obligation intervenir pour protger les popu-lations en danger, ni que ces mmes tats ne seraientplus responsables envers les populations ou envers la

    communaut internationale. Invoquer ce concept pourdautres situations que celles prvues expressment parle rapport risquerait dempcher la prise de dcision auniveau des institutions internationales dont les tatsrespectifs sont membres (une prise de dcision qui estsouvent le rsultat de compromis, de calculs cyniques

    ou dopportunits politiques) et de diminuer ainsi la ca-pacit oprationnelle de toute stratgie adopte en com-mun par les tats ou par ces institutions mmes. Dautrepart, de tels vnements se produisent le plus souventde manire ponctuelle, ayant des causes extrieures (parexemple naturelles) ou antrieures (par exemple le co-lonialisme, les dictatures, etc.) au pouvoir en place, quine peut pas ainsi tre rendu responsable de ltat actueldes choses. Autrement dit, il est difcile, sinon impossi-ble de remonter le l politique de lvolution de la soci-t pour trouver en amont des dcisions politiques, descalculs ou des choix dlibrs qui auraient provoqudes fractures sociales ou seulement prot des carences

    lgislatives ou des disfonctionnements institutionnelsprcdents.

    Cest pourquoi, par la dlimitation du territoire de laresponsabilit de protger, la souverainet acquiert unedimension nouvelle, celle de son exercice permanent en

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    tant quobligation de protection. Certes, cette dimensiontrouve sa justication lgale dans les documents inter-

    nationaux signs par les tats et dans les engagementsque ceux-ci ont pris les uns envers les autres et devantla communaut internationale. Mais elle a une prsup-position politique encore plus forte qui procde de lamanire denvisager les quatre crimes retenus par lerapport. Cette prsupposition forte est prsente dans le

    paragraphe 21 (p. 13 du rapport) et est formule ainsi :

    Le gnocide et les autres crimes relevant de laresponsabilit de protger ne se produisent paspar hasard. Ils rsultent le plus souvent dunchoix politique dlibr et calcul, et de dcisions

    et dactions de dirigeants politiques prompts tirer prot des fractures sociales et des carencesinstitutionnelles existantes .

    Le texte se poursuit, aprs quelques exemples, avecune vision encore plus explicite sur les conditions desurvenance des situations tragiques :

    Mme des socits relativement stables, dvelop-pes et progressistes doivent se demander si ellessont exposes de tels vnements, si les germesdintolrance, du fanatisme et de lexclusion pour-raient sy enraciner et rpandre lhorreur et lautodes-

    truction, et si leur systmes sociaux, conomiques etpolitiques disposent de mcanismes dautocorrectionpour dissuader et enrayer de telles pulsions Nouscourrons tous un risque si nous croyons que cela nepourrait pas nous arriver .

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    La responsabilit de protger :ses acteurs, ses variables

    NIVEAU SUPRA-TATIQUE ET TRANS-TATIQUE

    NIVEAU INFRA-TATIQUE

    TAT

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    Trois ides majeures se dgagent de ce paragraphecrucial pour la comprhension de la nouvelle inter-

    prtation de la responsabilit de protger.Dabord, sur un vecteur temporel, il faut consid-

    rer que les crimes retenus par le rapport font partiedes stratgies qui stablissent long terme et ont descauses qui remontent une volution antrieure de la so-cit considre en termes de responsabilit de pro-

    tger , il y a une progression (ou plus exactementune rgression) dans lexercice quotidien du pouvoirsouverain, qui tient soit lincapacit, soit labsencede volont de ltat ou de ses institutions protgersa population, une minorit, un groupe, etc. Plus en-core, cette volution elle-mme nest pas une succession

    daccidents ou de dcisions alatoires : une rationalitla prside et en guide les tapes, une rationalit quinest ni individuelle, ni impersonnelle. Autrement dit,il est question de dcisions politiques, mme si lori-gine les contextes empiriques ou les raisonnements quiamnent prendre de telles dcisions peuvent toutaussi bien tre de nature sociale, conomique, militaire,culturelle ou religieuse ; ce qui est nalement dcisifdans la prise des dcisions, cest le fait quune certaineconguration complexe et complique de la socit(avec ses discours, ses structures, ses hirarchies, sesinteractions) acquirent avant et pendant la perptrationde ces crimes une dimension minemment politique,

    travers une implication des institutions de ltat et unemodication (au sens de simplication et polarisation)des rapports des forces dans la socit, mais galement travers une oscillation qui devient sensible par-tir dun certain seuil des gures de lautorit, des

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    mcanismes de la lgitimit et de la lgalit. Tout celapermet au Secrtaire gnral dinsister, plus que ne

    le faisaient les documents antrieurs, sur la dimen-sion politique de la prparation dun crime de telleenvergure. Certes, il peut y avoir, dans ce processus,une certaine composante qui soit prminente et vi-sible (une socit qui connat des tensions ethniques,des conits religieux, des disputes linguistiques),

    mais tant que cette composante nest pas rcuprepolitiquement et intgre dans un rapport politiquede forces, un rapport antagoniste et conictuel total,dans un type didologie et dans un type de discourspublic dominant, nous ne sommes pas encore dansle primtre de la responsabilit de protger tel quil

    est dlimit par les quatre crimes retenus par le rap-port. Et donc nous ne parlons pas encore dune res-ponsabilit de ltat engage devant la communautinternationale dont ltat respectif fait ventuelle-ment partie en tant que signataire de documents ettraits internationaux.

    Ensuite, sur un vecteur spatial, lclatement des conitssociaux, ethniques ou religieux nest pas un privi-lge des socits moins dveloppes ou moins sta-bles. Lide de permanence de la responsabilit deprotger se fait ce point encore plus explicite, carelle renvoie cette fois un processus dinstitutionna-lisation du pouvoir et des rapports de force dans une

    socit. Un certain dveloppement conomique, quipeut par ailleurs crer des dcalages trs importantsau niveau international, ne garantit pas par lui-mmele fonctionnement des mcanismes de protection (dela lgislation et des discours publiques jusquaux

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    institutions gouvernementales et non gouvernemen-tales). Les fractures sociales peuvent tre sans doute

    rduites grce laccs plus large aux biens matrielset/ou linformation, mais le bien-tre conomiqueindividuel et collectif conditionne seulement la stabi-lit, la tolrance, lquilibre entre les diverses forcessociales, sans pouvoir les prenniser. An de compl-ter cette neutralit ou prtendue supriorit de type

    libral de lconomique (vue parfois comme une so-lution miraculeuse des crises profondes, que ce soitdans des rgions dveloppes ou moins dveloppesdu monde), la prsence dune stratgie politique estncessaire, avec des institutions, des programmes,des hommes et des femmes engags, avec une sphre

    publique solide pour faire entendre la pluralit desopinions, avec un dialogue rpt et institutionnalisentre les diffrentes cultures juridiques, les pratiqueset les reprsentations sociales. Le revirement de lex-trme droite en Europe depuis quelques annes, avecses messages dintolrance, de haine ethnique, raciale,de xnophobie, sur fond de crise conomique ou deproblmes sociopolitiques spciques certains pays,conrme cette ide du rapport selon laquelle le d-veloppement conomique dun tat ou dune com-munaut dtats nempche pas automatiquementle possible clatement dune tragdie. Le rapport neparle pas de la probabilit de tels vnements, mais

    de lexistence ou de lmergence des conditions quipeuvent les favoriser. Do la ncessit de crer desmcanismes institutionnels de veille et dalerte mmedans des socits dites avances, capables de signalerlorsquun seuil critique aura t dpass.

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    Enn, sur un vecteur structurel-rgulateur, lexistencedes mcanismes dautocorrection dans une socit

    confre la prvention un contenu concret et durable.Le premier mcanisme de ce type et le plus facile identier (mme sil subsiste une difcult particu-lire quant son fonctionnement effectif et correct)est de nature juridique. Le fait que les tats deviennent parties aux instruments internationaux pertinents

    des droits de lHomme, du droit international huma-nitaire, et du droit des rfugis, ainsi quau Statut deRome de la Cour pnale internationale (par. 17 durapport du Secrtaire gnral) est la condition nces-saire, mais pas encore sufsante, pour sinscrire dansla logique de la prvention juridique des conits et

    des crimes : il faut que ces normes internationalessoient intgres dans la lgislation interne et que dessanctions claires et rapides puissent tre prvues encas de violations massives des droits de lHomme oudincitation commettre de telles violations. Larti-culation fonctionnelle entre le droit international etle droit interne devient vidente lorsque les institu-tions juridiques dun tat prvoient de manire expli-cite non seulement la protection des minorits ou descatgories sociales vulnrables sur la base dun accslibre et gal la justice, mais galement des schmas

    judiciaires pour dcourager limpunit, qui donnent,nalement, toute la mesure de leffectivit du systme

    juridique. Signer des documents pour ladhsion auxtraits internationaux est une chose, mais sappro-prier de faon concrte les normes internationales etles faire communiquer avec le droit national (formelet coutumier) en est une autre. La responsabilit de

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    protger dun tat peut donc tre value selon sacapacit mener jusquau bout des actions en justice

    contre ceux (individus ou groupes) qui se rendentcoupables de violences ou dincitations la violencetelles que dcrites par le rapport.

    Mais la dimension juridique elle seule ne peutpas assurer une consistance durable au niveau in-terne de la prvention et de la protection. Elle reste

    supercielle et fragile (ou, au contraire, autoritaire,mais toujours formelle) si elle nest pas accompa-gne par une dissmination dans la socit, dans sesstructures institutionnelles et civiles (civiques) despratiques et des attitudes relevant de la responsabi-lit de protger. Comment une socit, comment une

    culture peut-elle intgrer les normes et les valeursde la responsabilit de protger ? Ou, en dautrestermes, quy a-t-il de naturel ou dvident danscette opration en sorte quelle puisse tre assimileet assume non seulement par quelques institutionsde ltat et titre exceptionnel, mais par les membresdune socit dans leurs pratiques quotidiennes ? Lapremire rponse qui simpose delle-mme est quela conception de la responsabilit de protger inclutdes valeurs fondamentales et universelles comme lerespect de la vie, une vie digne, linterdit de tuer, etc.Mais si fondamentales et universelles quelles soient,ces valeurs (rcupres dans les diffrentes dclara-

    tions et doctrines des droits de lHomme) narriventpas empcher les crimes, les violences, les conits. Ilfaut quelles puissent tre intgres dans un tissu demcanismes politiques, juridiques, sociaux, civiques,ducationnels, religieux, dont laction concerte et

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    diffrencie selon lge, la catgorie sociale, la cat-gorie professionnelle, la croyance, etc. dcourage ou

    empche mme lclatement des vnements tragiques.Le rapport cite quelques-uns de ces mcanismes, sansavoir la prtention et les moyens den puiser la liste.Ainsi, dune part, lintrieur de la socit, on peutvoquer : une socit civile dynamique, une presseindpendante et libre, des structures de recherche ca-

    pables danalyser les causes du dclenchement desviolences, des programmes de formation, dappren-tissage et dducation, etc. Dautre part, il faut noteraussi que la communaut internationale peut sontour participer de cet effort de rendre permanentes et ef-fectives la prvention des conits et la protection des

    populations travers des leviers qui lui sont propres,et qui peuvent aller des pressions morales et diplo-matiques condentielles jusquaux discours expliciteset directs, qui vont activer la rhtorique de la persua-sion et de la dissuasion, des avantages et des incon-vnients quauraient les tats gagner ou perdre(en termes mme de gains et de pertes conomiques)en commettant ou linverse en sinterdisant de com-mettre des crimes relevant de la responsabilit deprotger. Enn, toutes ces actions et efforts risquentde rester ponctuels et sans consquences long termesi elles/ils ne sont pas intgrs dans un processus derenforcement des capacits propres des tats et des

    socits diminuer le risque de crimes et de violences.An que ce processus puisse continuer dans le temps,il doit tre cumulatif et comprendre un certain nom-bre de capacits transversales que le rapport numredans la partie consacre au deuxime pilier de la res-

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    ponsabilit de protger, Assistance internationale etrenforcement des capacits . Parmi les cinq capacits

    voques par le rapport, insistons un moment sur ladernire, qui trouve par ailleurs son inspiration dansla pense dAmartya Sen, prix Nobel dconomie etauteur dune riche rexion sur la scurit humainedans les annes 2000. Lconomiste indien parle dansses ouvrages de capabilits et ce terme repris de

    langlais traduit en fait ce que le rapport appelle lacapacit de reproduire des capacits , autrement ditlabsorption et lenracinement dans la socit de cer-taines valeurs, de certains comportements et comp-tences qui garantissent par eux-mmes la possibilitde se reproduire dans lespace et dans le temps. Dans

    cet exercice, un rle majeur est jou par les institutionsde formation et de recherche, dont limportance a tsouvent nglige par les institutions de ltat ou parles hommes politiques.

    La Francophonie a la chance davoir dveloppdepuis presque cinq dcennies un rseau universitaire,acadmique et de recherche qui a impuls dans sesdiffrentes rgions des rexions, des programmes deformation et des actions de recherche autour de cettethmatique de la scurit humaine et plus rcemmentde la responsabilit de protger.

    titre dexemple, nous allons illustrer dans les

    pages qui suivent cette rexion avec une synthse ra-lise en 2009 et 2010 par le collectif thmatique Figu-res de ltat et institutionnalisation du pouvoir dansle cadre de lAgence universitaire de la Francophonie.Cette synthse na dautre ambition que doffrir aux

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    institutions et aux dcideurs de la Francophonie et dela communaut internationale un outil conceptuel,

    un point de vue sur les stratgies susceptibles dtreadoptes par les organisations internationales en vuede construire leurs actions prospectives autour de laresponsabilit de protger.

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    CHaPiTre ii.Contbuton du collctf

    thmtqu Fgus d ltt t

    nsttutonnlston du pouvo

    u dbt su l sponsblt

    d potg

    1

    Quston cntl :

    Dans quelle mesure est-il possible didentier des pro-

    jets et des processus politiques pouvant conduire des criseshumanitaires graves (gnocide, crimes de guerre, nettoyageethnique, crime contre lhumanit) et susceptibles dtrediagnostiqus assez tt pour permettre une stratgie de pr-vention efcace en temps voulu ?

    1 Auteurs : Andr Cabanis, Patrice Canivez, Ghania Graba, Ernest-Marie Mbonda, Ciprian Mihali.

    Pouvoir

    (gouvernance etrapports des forces)

    Autorit(lgalit etlgitimit)

    tat(institutions et

    sphre publique)

    Socit-

    communauts(pratiques, valeurs et

    reprsentations)

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    agumnt :

    Le rapport du Secrtaire gnral des Nations unies,portant sur La mise en uvre de la responsabilit deprotger du 12 janvier 2009, invite les chercheurs dumonde entier tudier les causes internes et externesqui font que des socits sombrent dans une violencequi dclenche trs souvent des crises humanitaires. Un

    tel phnomne qui se produit sur un fond de ce quele rapport appelle fractures sociales et carencesinstitutionnelles ne permet dafrmer ni le caractrespontan ni la survenance par hasard des proces-sus dclenchants. Des projets politiques, des processussociaux, conomiques ou autres dont il conviendrait

    dinterroger la rationalit dlibrative et les signes avant-coureurs sont luvre sur le long terme. Ils relventtrs souvent, la fois des formes dinstitutionnalisationdu pouvoir, des ruptures dans les rapports sociaux desforces, des mcanismes de la lgalit et de la lgitimit,de lapparition de nouvelles gures de lautorit poli-tique et non-politique (sociale, religieuse, conomique,etc.) avec des discours et des pratiques spciques.

    Le collectif Figures de ltat et institutionnalisa-tion du pouvoir se propose de rchir sur les critresqui permettent de dceler les choix politiques ou non-politiques qui peuvent provoquer des crises humani-taires graves, travers une grille danalyse qui tient

    compte de plusieurs indicateurs, dont : le rle de ltatet des pouvoirs dans une socit ; les discontinuits quise produisent dans le fonctionnement des institutions,les tensions dans les pratiques sociales ; les dsquili-bres dans les rapports de forces en socit, etc.

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    Qustons tt :

    1. Quels sont les critres qui permettent de pr-sumer quun choix dlibr de gnocide, crime de

    guerre, nettoyage ethnique, crime contre lhuma-nit a t fait et a commenc tre mis en uvresous forme de prparatifs ?

    La rponse cette question devrait faire apparatreune convergence dindicateurs tels que : le dveloppement dune propagande agressive,

    notamment dans les mdias de grande diffu-sion (chanes de tlvision, radios) lencontrede certaines communauts ethniques, linguis-

    tiques ou religieuses ; lexistence et la diffusion de doctrines justiantces pratiques, la reprise de ces doctrines par cer-tains responsables politiques ;

    la pratique darrestations arbitraires, la mise enplace de milices directement ou indirectementcontrles par les gouvernements ou par cer-tains partis politiques, le soutien de larme (oude la police) ces milices, les exactions (expul-sions de territoires, expropriations, violencesaux personnes) lencontre des populationscibles, la participation directe de ladministra-tion, de la police ou de larme ces violences

    ou leur organisation ( leur logistique).Cest la convergence de tels facteurs qui laisse pr-

    sumer quun projet dlibr a t dcid ou est en trainde prendre forme. Cette convergence, ainsi que la si-multanit de lapparition de ces facteurs, ou encore

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    leur mise en uvre selon une succession ordonne,cre un faisceau de prsomptions. Toutefois, le pro-

    jet peut prendre forme de manire progressive, alorsque les violences ou les exactions ont dj commenc.Dans ce cas, la cristallisation du projet est encouragepar la radicalisation des antagonismes, par labsencedopposition interne, par la faiblesse ou limpuissancede cette opposition si elle existe, par labsence ou lin-

    sufsance des ractions au sein de la communautinternationale.

    a. Quels sont les critres qui permettent didentier unprojet politique comme pouvant donner lieu une crise

    humanitaire grave ?Ces critres sont de trois ordres : 1) lois ou pro-

    jets de lois visant soit sparer les populations (apar-theid, puration ethnique ou linguistique, etc.), soit les discriminer en rservant laccs certains ser-vices (par exemple lducation ou les tablissementsde sant) ou certaines fonctions ; et dune maniregnrale : lois ou projets de lois instaurant ou aggra-vant les ingalits ; 2) pratiques administratives, poli-cires ou judiciaires instaurant des discriminations ouingalits de ce type, en dehors de tout cadre lgal ouen contradiction avec les lois en vigueur, liquidation

    dopposants politiques, de journalistes, de militantssyndicaux ou dorganisations de dfense des droitsciviques, etc. ; 3) discours publics visant lgitimerces mesures : discours identitaires (racistes, etc.), dis-cours fondamentalistes, discours de ressentiment ou

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    de victimisation prsentant certains groupes ou com-munauts comme victimes dinjustices ou de perscu-

    tions historiques de la part dautres groupes ou com-munauts, lencontre desquels les premiers doiventse dfendre ou prendre leur revanche, discours debouc missaire rendant certains groupes ou commu-nauts responsables de crises conomiques, sociales,identitaires, etc.

    b. Quels sont les processus de nature non-politique (so-ciaux, conomiques, communautaires, religieux) qui

    peuvent conduire ce type de crise ?

    Ingalits persistantes face la loi et dans laccsaux services publics (ducation, sant, etc.) ; arbitraireadministratif ; impossibilit, pour les victimes dexac-tions ou de dnis de droit dobtenir justice des tribu-naux ; antagonismes ethniques, religieux, linguistiquesnon mdiatiss ou soustraits la ngociation,cest--dire qui ne donnent pas lieu des procduresdarbitrage ou des politiques de re-mdiation (n-gociation) ou de compensation (mesures lgislativespour protger les droits de certaines communauts,politiques sociales et culturelles visant rduire lesingalits, etc.) ; crises conomiques qui intensientces tensions, soit quelles frappent prfrentiellement

    certaines catgories sociales ou communauts, soitquelles favorisent le discours et la stratgie du boucmissaire ; dveloppement de pratiques et discoursdmagogiques de la part de certains partis politiques(notamment quand les chefs de parti, pour des raisons

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    lectorales, creusent les clivages ou attisent les ten-sions au lieu de les attnuer) ; restrictions ou sup-

    pression de la libert de la presse (notamment dop-position).

    2.Commentidentierlesseuilsdediscontinuits

    qui font basculer une situation de stabilit rela-

    tive (allant du fonctionnement normal des pou-voirs publics et de la cohsion sociale jusqu desformes de tension ou de conits plus ou moins

    matriss) dans une situation de crise violente ?

    La stabilit relative peut tre caractrise par lab-

    sence de violences visibles. Une crise violente estcaractrise par des violences physiques perptres grande chelle. partir de l, on peut dire que lesseuils de discontinuit qui mnent de lune lautresont dnis par lapparition de formes de violencesintermdiaires, qui sont gradues qualitativement etquantitativement, cest--dire selon des critres din-tensit et dchelle. titre desquisse, on peut identi-er des seuils correspondant lapparition :

    de violences sociales : privation ou restriction delaccs certaines ressources : sant, ducation ;restriction dans laccs lemploi ; restrictiondans lusage de certaines infrastructures (trans-

    ports, communications), de lalimentation eneau, lectricit, etc. ;

    de violences aux biens : destructions de propri-ts, de rcoltes, dinfrastructures, etc. ;

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    de violences aux personnes : intimidations,exactions, expropriations, arrestations et em-

    prisonnements arbitraires, emprisonnement ouassassinat dopposants politiques, de journa-listes, de militants dorganisations de dfensedes droits de lHomme ou de mouvements dedroits civiques, etc. ;

    de violences du mme type que dans lalina

    prcdent, mais perptres lencontre de com-munauts ou de groupes cibls en tant que tels, plus ou moins grande chelle, par des milicesorganises ;

    soutien direct ou indirect de larme et/ou de lapolice ces violences.

    3. Quels sont les indicateurs signalant la ncessitde mise en place dune stratgie de prvention soit

    par un dispositif daide aux tats, soit en se subs-tituant eux pour le faire ? Si la prvention se fait

    par phase, quels sont les indicateurs qui signalentla ncessit de passer dune phase lautre ?

    Les indicateurs sentendent ici comme des signesannonant, de manire relativement prcise, lim-minence dune situation grave. Dans le cas qui nousconcerne, il sagit des signes quon peut considrer

    soit comme des dterminants, soit simplement commedes rvlateurs dvnements de grande ampleurcomme le gnocide, les crimes de guerre, le nettoyageethnique et les crimes contre lhumanit.

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    Dune manire gnrale, les processus qui con-duisent certaines socits des crises humanitaires

    graves sont assez longs et se dveloppent de maniregraduelle. Les indicateurs ne se prsentent pas sousla mme forme toutes les tapes du processus. Demme, les indicateurs qui annoncent un gnocide ouun nettoyage ethnique ne sont pas identiques ceuxqui laissent prsager des crimes de guerre (ceux-ci

    ntant possibles que quand une guerre est en cours)ou des crimes contre lhumanit.On peut globalement distinguer (pour simplier),

    deux grandes phases dans tout processus conduisantvers une crise humanitaire grave. Il y a une phasede relative confusion o certains facteurs sociaux et

    politiques apparaissent sans quil soit possible dendduire des prdictions certaines. Il y a une secondephase, celle qui prcde immdiatement les crises, oces facteurs deviennent des indicateurs beaucoup plusprcis qui ne laissent aucun doute sur limminence dela crise.

    Par rapport la premire phase, le facteur princi-pal est la manire dont les institutions publiques or-ganisent la rpartition des biens sociaux et politiquesentre les diffrents groupes ethniques qui consti-tuent la socit. Si lon dnit ce facteur en termesdindicateurs, on peut mentionner:

    la faible reprsentativit de certains groupes ethniques dans les institutions publiques(administratives et politiques) et la sur-repr-sentation du groupe ethnique dont est issu lechef de ltat ;

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    une discrimination manifeste dans les allocationsdes diffrentes ressources publiques (routes,

    coles, hpitaux, eau, lectricit), les rgionsfavorables ou proches du chef de ltat tantbeaucoup mieux loties ;

    diffrenciations sociales visibles dans les grandesagglomrations (bidonville monstrueux et quar-tiers luxueux ferms).

    Si ce facteur engendre des frustrations au sein desgroupes les plus dfavoriss ou les plus discrimins,ce sont ces frustrations qui terme nourrissent destensions particulirement vives. Une stratgie de pr-vention peut ds lors tre envisage, qui consisterait aider ltat se doter de procdures administratives

    et politiques quitables de rpartition des biens so-ciaux et politiques et doter les rgions dfavorisesdes infrastructures dont elles taient prives.

    Par rapport la seconde phase (celle qui prcdeimmdiatement les crises), on peut citer comme indi-cateurs :

    les manifestations de xnophobie travers destracts ou des mdias privs ;

    lapparition, dans le langage ordinaire, des m-taphores guerrires ou belliqueuses ;

    la dsignation des personnes appartenant dautres groupes en termes dennemis ;

    lappel la mobilisation contre les autres (in-dexs comme ennemis) ;

    lampleur des rcriminations de certains groupesethniques en direction du pouvoir central, et endirection des groupes proches de ce pouvoir.

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    De tels indicateurs font appel une autre formede prvention. Ils exigent notamment le passage dun

    simple soutien la rforme des institutions une mo-bilisation plus politique (lection avec obligation dequotas de reprsentation des minorits, dcentrali-sation, etc.), voire militaire : incitation des autoritspolitiques en place prendre des mesures immdiatesen vue de dsamorcer les tensions sociales ; renforce-

    ment des dispositifs de scurit publique ; mise enplace de dispositifs dintervention rapide.

    4. Quels sont les mcanismes dautovaluation(faisant intervenir les institutions, les comits

    dexperts, les mdias, le monde associatif, les ONG,lopinion publique) que peuvent mettre en place lestats en matire de prvention de crise humani-taire grave pour mieux assumer leur responsabilitde protger ?

    Rapports dexperts indpendants faisant lobjet depublications ; autovaluation rgulire des adminis-trations conditionnant lattribution et le renouvelle-ment des crdits ; enqutes ministrielles publiques ;partenariat avec les mouvements associatifs. Dunemanire gnrale : garantie de la libert de la presseet de la libert de communication qui, dune part,

    permettent le dveloppement de la pense critiquespontane, et dautre part, assurent la publicit et ladiffusion des dbats, contribuant ainsi la formationet la vigilance de lopinion publique.

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    5. Dans quelle mesure la Dclaration de Bamakosinscrit-elledanslalogiquedelaprventionef-

    cace en temps voulu ?

    Le plan adopt par les auteurs de la Dclarationde Bamako tmoigne de ce que leur objectif taitmoins de prvenir les crises humanitaires gravesque de dnir les grands principes auxquels la Fran-

    cophonie institutionnelle est attache, en matire dedmocratie et de droits de lHomme. Le ton gnralest celui dun texte prescripteur de bonnes pratiquesplus que de dtermination de seuils partir desquelsdclencher des systmes dalerte, sauf interprterchaque engagement et chaque prescription comme

    permettant de reprer en quelque sorte en creux ou par un raisonnement a contrario, les violations sus-ceptibles de justier des ractions collectives de lapart de la communaut francophone. Pour autant, lecinquime point, celui qui organise laction conjointedu Secrtaire gnral, du Conseil permanent de laFrancophonie (CPF), du prsident de la Confrenceministrielle de la Francophonie et de la Dlgation la Dmocratie et aux Droits de lHomme, impliquela dtermination de critres clairs pour xer les seuils partir desquels les institutions de la Francophonieseront fondes se mettre en branle. Ce sont quatreniveaux dintervention que prvoit la Dclaration de

    Bamako.Le premier peut tre prsent comme un dispositif

    de veille. Il impose au Secrtaire gnral de se tenir in-form en permanence de la situation de la dmocratieet des droits et liberts dans lespace francophone. Le

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    deuxime niveau dintervention relve du Secrtairegnral et se dclenche en cas de crise de la dmocratie

    ou de violations graves des droits de lHomme. Il se tra-duit par deux types de mesures possibles : dune partenvoi dun facilitateur, dautre part envoi dobserva-teurs judiciaires. Le troisime niveau dintervention,qui nous intresse plus particulirement ici, permetau CPF de prendre position sil lui apparat quil y a

    rupture de la dmocratie et violations massives des droitsde lHomme. Il va donc condamner publiquement cettesituation et exiger le rtablissement de lordre consti-tutionnel ou larrt immdiat des violations des droitsde lHomme. Le Secrtaire gnral, par ailleurs, peutenvoyer une mission dinformation et de contacts

    dans le pays. Enn, compte tenu du rapport et descommentaires, le CPF peut prendre toute une sriede mesures qui ne sont pas qualies de sanctions mais qui sy apparentent.

    Il reste alors dterminer, parmi les principes fon-damentaux afrms par la Dclaration de Bamako,parmi les conditions rassembler pour leur mise enuvre et parmi les engagements concrets souscrits parles ministres et chefs de dlgation, ceux qui peuventsinscrire dans un processus de prvention. Cette re-cherche suppose de distinguer, dune part, ce qui faitgure de conseils donns aux gouvernements pouraccompagner la dmocratie et les droits et liberts,

    ce qui ne peut tre interprt que comme des profes-sions de foi auxquelles on souhaite adhrer sans tretoujours pleinement convaincus de leur ralisme et cequi apparat comme relevant dune conception maxi-maliste de la dmocratie, dun niveau jusqu prsent

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    jamais atteint nulle part, et dautre part, ce qui consti-tue des exigences impratives.

    Finalement, dans cette Dclaration de Bamako, cequi frappe le lecteur, cest la rptition des rfrences lorganisation dlections libres et au respect de ltatde droit. Mme si le grand nombre dallusions cesdeux exigences prsentes comme indissociables dela dmocratie, des droits et des liberts constitue un

    critre insufsamment convaincant, il nen reste pasmoins que les efforts mobiliss pour numrer tout cequi peut en garantir le respect ne peut relever du seulhasard. Ainsi en va-t-il des lections avec des prescrip-tions concernant le multipartisme, le statut de loppo-sition, lgalit des candidats, la libert des campagnes

    lectorales, la rgularit du scrutin et notamment desoprations de dpouillement et jusqu la promessede nancements publics. Ainsi en va-t-il galement deltat de droit avec des exhortations la scurit juri-dique, lindpendance de la magistrature, la libertdu barreau, au contrle de tous les tablissements pu-blics ou privs maniant des fonds publics et jusqula ratication des principaux instruments internatio-naux et rgionaux relatifs aux droits de lHomme. Ensomme, si lon souhaite rechercher dans la proclama-tion de Bamako des lments aptes favoriser une lo-gique de prvention en allant au-del de la formule,un peu trop gnrale pour tre facilement exploitable,

    sur latteinte plus ou moins importante la dmocra-tie et aux droits de lHomme, cest sans doute en seconcentrant sur ce double aspect, celui des lectionset de ltat de droit, que lon peut trouver quelqueslments de rexion.

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    DeUxiMe ParTie

    Un sttg d pvnton

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    Depuis la n de la guerre froide, la scne interna-tionale a enregistr de nombreux conits, qui se dis-tinguent des conits traditionnels par leur caractredavantage civil quinternational, leur intensit, la

    nature des victimes et des acteurs qui y participent,sans que la communaut internationale (lONU,lOIF, les organisations rgionales, etc.) parviennetoujours y faire face de manire efcace. Il est main-tenant bien connu que certaines crises humanitairestragiques, comme celle du Rwanda en 1994, auraient

    pu tre dsamorces si tout le dispositif de prven-tion et de raction prvu par lONU et par certainesautres institutions avait t mis en place. En cons-quence, en tirant les leons des checs du pass, leconcept de prvention semble simposer aujourdhuicomme lune des notions centrales du discours poli-tique international, dans un monde toujours traverspar de multiples menaces (conits intertatiques,conits intra-tatiques, terrorismes, gnocides, in-scurit humaine, crises humanitaires, etc.). Si, pen-dant longtemps, ce sont les notions de raction ou de gestion qui semblaient dnir la posturepolitique et analytique la plus approprie en ma-

    tire de crises politiques et humanitaires, il est de-venu aujourdhui plus commode de se rfrer la notion de prvention et de lui accorder uneimportance primordiale.

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    Dun point de vue normatif/moral, la prventionpermet dviter aux humains ce que Kant, proccup

    par la ralisation de la paix perptuelle , dcrivaiten termes dhorreurs causes par la guerre. Cest cetobjectif de la paix que poursuit lONU depuis sa cra-tion ainsi que lindique sa charte constitutive : pr-server les gnrations futures du au de la guerrequi deux fois en lespace dune vie humaine a inig

    lhumanit dindicibles souffrances . Et dun pointde vue utilitariste (politique et conomique), il estmaintenant tabli que la simple gestion des crises hu-manitaires comporte un cot considrablement pluslev que la prvention de ces crises. Il existe donc debonnes raisons daccorder la prvention une impor-

    tance prioritaire dans la prise en charge des conits etdes menaces qui psent nalement sur tous les tats,les plus puissants ne pouvant gure prtendre en trepargns (comme on la vu avec les attentats du 11septembre 2001 aux tats-Unis).

    La prvention renvoie un certain nombre de me-sures prendre et mettre en uvre pour empcherquune menace virtuelle se ralise. Si la signicationconceptuelle de la prvention ne soulve aucune dif-cult, sa signication politique ne va pas de soi. Lesorganisations internationales charges de garantir lapaix dans le monde ne la conoivent pas de la mmemanire. Le texte ci-dessous se propose de faire une

    analyse compare de la politique onusienne et de lapolitique francophone de la prvention. Il seraquestion de voir si lOIF, tout en souscrivant auxprincipes gnraux et aux diffrentes initiatives rete-nus au niveau de lONU, prsente une particularit

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    qui laisserait apparatre une sorte de plus-value francophone. On rappellera dabord la politique et

    les mcanismes onusiens de prvention avant desituer la dmarche de lOIF par rapport celle delONU.

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    CHaPiTre i.L poltqu onusnn

    d l pvnton : d l

    dplomt pvntv

    l sponsblt d potg

    La prvention apparat comme le concept centralde la problmatique de la paix et de la scurit dans

    lordre international, comme on peut le voir ds lepremier article de la Charte de lONU. Certes, lONUsengage autant prvenir et carter les me-naces la paix , qu rprimer tout acte dagressionou autre rupture de la paix (cf. chapitre VII de lacharte). Mais en mme temps, elle accorde sa prf-rence aux mesures de prvention et, le cas chant, la rsolution pacique des diffrends entre sesmembres. Les rapports produits par les diffrents se-crtaires gnraux qui se sont succd lONU sontlargement revenus sur cette question de la prventionen dplorant que son principe soit rest relativementlettre morte et en plaidant pour que sopre une sorte

    de rupture avec la culture de la raction au protdune culture de la prvention . Ces diffrents textesfont apparatre un certain nombre de notions et deprincipes sur lesquels repose cette option prioritairepour la prvention.

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    section 1. L dplomt pvntv

    Si dans les normes onusiennes, la prvention oc-cupe une place importante, la pratique de la gestiondes crises qui ont maill lordre international depuisla n de la Seconde Guerre mondiale, en particulierdepuis la n de la guerre froide, a sembl privilgier

    la culture de la raction . Cest dans le but de re-donner la prvention toute son importance que leConseil de scurit de lONU, dans un contexte mar-qu par lapparition de nouveaux types de menaces(guerres civiles, rsurgences des antagonismes identi-taires lis lappartenance ethnique ou religieuse, ter-

    rorisme, aggravation de linscurit lie la pauvret, la maladie et la famine, discriminations socio-co-nomiques, oppression des minorits, faiblesse desinstitutions sociopolitiques, mauvaise gouvernance,ux migratoires, etc.) demanda au Secrtaire gnral,Boutros Boutros-Ghali, d laborer une tude et desrecommandations sur le moyen de renforcer la ca-pacit (de lONU) dans les domaines de la diplomatie

    prventive [cest nous qui soulignons], du maintien etdu rtablissement de la paix et sur la faon daccro-tre son efcacit, dans le cadre des dispositions dela Charte. Ce rapport, appel Lagenda pour la paix(1992) constitue cet gard une authentique charte de

    la dmocratie prventive.Dans ce document, la diplomatie prventive est

    prsente comme le premier lment dun ensemblede quatre oprations, avec le maintien, le rtablisse-ment et la consolidation de la paix. Elle consiste en

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    quatre activits : la collecte des informations, lalerteprcoce, le dploiement prventif et la dmilitarisa-

    tion de certaines zones. La collecte des informationspermet de disposer de donnes ables sur les situa-tions socio-conomiques et politiques susceptiblesde gnrer des crises. Ces informations peuventprovenir aussi bien de sources ofcielles (rapportsdes tats) que des sources non ofcielles (ONG), et

    aussi des organisations intergouvernementales ou decertaines structures onusiennes telles le Conseil co-nomique et social (conformment larticle 65 de lacharte). Lanalyse de ces informations peut conduirele cas chant une alerte prcoce , cest--dire un appel la vigilance face une situation suscepti-

    ble de dgnrer en une crise grave. Lalerte prcoceconsiste envisager des stratgies daction mettre enuvre ds le moment o un certain seuil a t franchidans la manifestation des indicateurs de risques deconits. Il appartient au Secrtaire gnral de lONU,conformment larticle 99 de la charte, d attirerlattention du Conseil de scurit sur toute affairequi, son avis, pourrait mettre en danger le maintiende la paix et de la scurit internationales . Lalerteprcoce peut donc dboucher sur ce que LAgenda

    pour la paix appelle un dploiement prventif quiintervient dans trois types de situations possibles :tensions internes, diffrends intertatiques, et peur

    de la part dun tat dune possible agression par unautre tat.

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