la realite de l ‘ independance des juges : reflexions sur un partage du pouvoir

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  • 8/4/2019 LA REALITE DE L INDEPENDANCE DES JUGES : REFLEXIONS SUR UN PARTAGE DU POUVOIR

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    LA REALITE DE L INDEPENDANCE DES JUGES :

    REFLEXIONS SUR UN PARTAGE DU POUVOIR

    Roger Errera

    Conseiller dEtat honoraire

    Ancien membre du Conseil

    suprieur de la magistrature.

    Sinterroger sur la ralit de lindpendance des juges, cest aussi poser la question : Qui a

    aujourdhui le pouvoir sur les juges ? . On peut rpondre, de faon certes partielle (dautres

    aspects sont traits par M.Alain Girardet dans son rapport), quil existe aujourdhui un

    partage de ce pouvoir entre le pouvoir excutif, le corps judiciaire et le Conseil suprieur de

    la magistrature. Il rsulte du statut des magistrats, modifi en dernier par la loi organique du 5

    mars 2007, des textes concernant le Conseil suprieur de la magistrature et de la pratique des

    institutions. Le prsent rapport contient une rflexion sur la nature de ce pouvoir partag et

    la faon dont il est exerc.

    I

    Les pouvoirs de lexcutif sur les juges

    Il sagit respectivement du Prsident de la Rpublique et du Premier ministre.

    1) Le Prsident de la Rpublique.

    Il est, selon la Constitution (1) le garant de lindpendance de lautorit judiciaire .Je

    reviendrai plus loin sur le sens de cette expression. Il prside le Conseil suprieur de la

    magistrature (2) .Il ny sige pas lorsque le Conseil se runit en formation disciplinaire, mais

    lordre du jour des sances lui est communiqu (3) .Il nomme un de ses membres ( 4) .Il arrte

    lordre du jour de ses sances (5). Il signe le tableau davancement (6) et les dcrets relatifs

    la nomination et l avancement de tous les juges.

    Un membre du cabinet du Prsident de la Rpublique charg de la justice participe aux

    runions prparatoires du CSM prcdant ltablissement des avis et des propositions de ce

    dernier.

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    2) Le ministre de la justice.

    Il prpare et excute le budget des services relevant de son ministre. Il prpare et

    prsente au Parlement les projets de loi relatifs au statut des juges, ainsi que les dcrets. Ilest le vice-prsident du CSM et le prside en l absence du Prsident de la Rpublique

    (7).Comme lui, il ne sige pas quand cet organisme statue en matire disciplinaire.

    En matire de nomination et davancement, il prsente au CSM les projets concernant tous

    les juges, sauf les prsidents de tribunaux de grande instance, les premiers prsidents de

    cours dappel , le Premier prsident de la Cour de cassation et les juges de celle-ci (Cf. le

    rapport de M.McKee, Le recrutement et lavancement des juges franais ). Un membre

    de son cabinet assiste aux runions prparatoires du CSM dj mentionnes .Il contresigne

    tous les dcrets du Prsident de la Rpublique concernant les juges.

    Il a le pouvoir dengager des poursuites disciplinaires contre un juge devant le Conseilsuprieur de la magistrature. Depuis 2001 les premiers prsidents de cour dappel ont

    galement ce pouvoir. Le ministre peut aussi demander au CSM, en cas durgence,

    dinterdire provisoirement un juge dexercer ses fonctions dans lattente dune action

    disciplinaire. Si celle-ci nest pas engage dans un dlai de deux mois, la mesure disparat

    automatiquement (8). Lorsque ltat de sant dun juge apparat incompatible avec

    lexercice de ses fonctions et en attendant lavis du comit mdical saisi par le ministre,

    celui-ci peut suspendre le magistrat, aprs avis conforme du CSM (9).

    Linspection gnrale des services judiciaires dpend directement du ministre de la

    justice.

    II

    Le corps judiciaire

    Selon larticle 1

    er

    du statut de la magistrature le corps judiciaire comprend les magistrats dusige et ceux du parquet. Un dbat existe sur le maintien de cette unit. Les dveloppements

    qui suivent concernent exclusivement les juges.

    En sen tenant aux seules institutions, le fait notable ici est le suivant : des membres du corps

    judiciaire lus par leurs pairs sont en majorit au sein de deux organismes qui jouent un rle

    important dans le droulement de la carrire des juges : la commission davancement et le

    Conseil suprieur de la magistrature.

    La commission davancement, prvue par le statut de la magistrature et prside par le

    premier prsident de la Cour de cassation, est charge darrter le tableau davancement et les

    listes daptitude aux fonctions (10). Elle statue galement sur les rclamations formes par les

    juges au sujet de leur valuation. Son rapport annuel est rendu public. Le corps judiciaire lit14 (sept juges et sept membres du parquet) de ses 18 membres. Cette commission a un

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    pouvoir considrable en matire dintgration directe dans la magistrature : toute intgration

    est subordonne son avis conforme.

    Quant au Conseil suprieur de la magistrature 12 de ses 16 membres - non compris le

    prsident de la Rpublique et le ministre de la justice - sont des juges et des membres du

    parquet lus par leurs pairs. Les quatre autres membres, extrieurs au corps judiciaire sontdsigns discrtionnairement par le prsident de la Rpublique, le prsident du Snat et celui

    de l Assemble nationale. Un membre du Conseil dEtat est lu par celui-ci.

    III

    Le Conseil suprieur de la magistrature .

    Jexaminerai dabord ltendue de ses pouvoirs, puis leur exercice.

    - Le CSM assiste , selon la Constitution, le Prsident de la Rpublique, garant de

    lindpendance de la magistrature .Ses pouvoirs ont t dcrits par M.McKee dans son

    rapport. Ils sont considrables en ce qui concerne la nomination et lavancement des

    juges. Les prsidents des tribunaux de grande instance , les premiers prsidents de

    cour dappel, le premier prsident de la Cour de cassation et les juges de celle-ci, soit

    environ 330 postes, sont nomms sur sa proposition. Les autres juges ne peuvent

    ltre que sur avis conforme du CSM concernant la prsentation faite par le ministre

    de la justice. En matire disciplinaire, le CSM, alors prsid par le premier prsident

    de la Cour de cassation, est une vritable juridiction. Le Conseil peut aussi adresser

    des avis au Prsident de la Rpublique et au ministre de la justice sur tout sujet se

    rapportant lindpendance des juges. Son rapport annuel est publi.

    Le CSM na aucun pouvoir sur les concours de recrutement, lintgration directe

    dans la magistrature, le programme des tudes lEcole nationale de la magistrature,

    le classement des auditeurs de justice lissue de la scolarit et la nomination du

    directeur de lEcole. Il en va de mme de lvaluation des juges, de leur affectation

    au sein dune juridiction, et de lvaluation du fonctionnement des juridictions. Il n a

    pas non plus comptence pour recevoir ou instruire les plaintes ou les rclamationsconcernant le fonctionnement de linstitution judiciaire. Le ministre de la justice nest

    pas tenu de le consulter sur les textes lgislatifs ou rglementaires ayant une incidence

    sur lindpendance des juges ou relatifs, de faon gnrale, la justice, alors que le

    Conseil suprieur des tribunaux administratifs et des cours administratives dappel

    connat de toute question relative au statut du corps des tribunaux administratifs et

    des cours administratives dappel ( Art.L.232-1 du Code de justice administrative).

    - Quen est-il au juste de lexercice de ces pouvoirs, en tant qulment du partage du

    pouvoir dj cit ? Il convient, pour en apprcier exactement la porte relle, de tenir

    de plusieurs lments :

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    * Le rapport mathmatique, au sein de la formation du CSM comptente pour les

    juges, entre ceux-ci et les personnalits extrieures est de six et quatre.

    * Lexprience montre quaucune de ces deux catgories ne constitue un bloc

    homogne, notamment lors du vote.

    * Les sances au cours desquelles la formation arrte sa position ont lieu en dehors de

    la prsence du ministre de la justice ou du Prsident de la Rpublique.* Le fonctionnement du Conseil et lexercice de ses pouvoirs par lui a ncessairement

    t influence par la combinaison de plusieurs lments :

    . llection des juges qui en font partie par leurs pairs

    . lexistence de syndicats de juges, dont lun est nettement majoritaire

    . le fait quils prsentent des candidats ces lections

    . la circonstance que, jusqu une date rcente, dans deux des quatre collges

    lectoraux, seuls les candidats prsents par ce syndicat aient t lus, dont danciens

    responsables .

    Cest pourquoi la composition actuelle du Conseil suprieur de la magistrature nest plus

    ni dfendue ni dfendable. Une telle proccupation nest pas nouvelle. En 1993 un

    rapport relatif la rvision de la Constitution (11), en 1997 le rapport dune autrecommission (12) ont propos que le CSM soit compos dune majorit de non magistrats.

    Tel tait le sens dun avant-projet de loi organique prpar en 1998 par le ministre de la

    justice.

    IV

    Questions sur un partage

    La gestion dun corps de plus de 5500 juges implique ncessairement des choix,

    notamment quant leur affectation et leur avancement, et des garanties quant la

    procdure employe, aux critres utiliss et lautorit charge de les effectuer. Le degrdindpendance rel est le rsultat, entre autres, de ces choix et du respect de ces

    garanties.

    Le partage du pouvoir analys ici ne peut, pas plus quaucun autre systme, liminer

    compltement le poids de lexcutif ou celui dun certain corporatisme. Ltude du

    fonctionnement, dans les faits, du systme franais, conduit enfin poser un certain

    nombre de questions :

    Quest-ce, au juste, qutre garant de lindpendance de la magistrature ?

    Peut-on tre en mme temps garant et gestionnaire ou associ la gestion ?

    Lindpendance des juges a-t-elle besoin dun garant ?

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    1) Face lindpendance des juges, principe constitutionnel, et au partage du pouvoir

    dcrit ici, quel peut tre le sens de lexpression garant de lindpendance de la

    magistrature ? Cette notion peut recevoir plus dune interprtation :

    Elle peut renvoyer un pouvoir( de faire ou de ne pas faire), un arbitrage final, par

    exemple en matire de nomination ou de discipline.

    Elle peut aussi renvoyer des formes daction symboliques (Dclarations parexemple).

    Elle peut aussi voquer la dcision dune instance juridictionnelle suprme statuant sur

    une affaire mettant en cause lindpendance des juges.

    Elle peut enfin dsigner une magistrature d influence exerce par un juge appartenant

    au sommet de la hirarchie judiciaire.

    2) Peut-on tre en mme temps garant et gestionnaire ou associ la gestion ? La

    rponse nest pas immdiate. A premire vue, la notion de garant , si elle a quelque

    consistance, voque un pouvoir extrieur et suprieur celui de lautorit de gestion.

    3) Face ces interrogations, le systme franais sous sa forme actuelle prsente des

    particularits qui mritent dtre releves :

    Le rle de garant de lindpendance des juges est attribu par la Constitution au

    Prsident de la Rpublique, qui est lun des deux titulaires actifs du pouvoir excutif et

    qui dispose des pouvoirs dj dcrits.

    Le Conseil suprieur de la magistrature, qui l assiste dans cette mission, est en

    quelque sorte le co-garant. Il est en mme temps troitement associ la gestion du

    corps des juges.

    Le premier prsident de la Cour de cassation, M.Canivet, a jou, jusqu sa rcente

    nomination au Conseil constitutionnel en mars 2007, un rle pouvant sapparenter celui de garant en raison de ses prises de position publiques qui ont eu un grand

    retentissement , en particulier lorsque lindpendance des juges a t mise en cause par

    des membres du gouvernement. Tel fut le cas en juin 2006, lorsquil demanda et obtint

    immdiatement une audience du Prsident de la Rpublique aprs une violente mise

    en cause de juges du tribunal de grande instance de Bobigny par le ministre de

    lintrieur, ainsi qu loccasion des allocutions prononces par lui lors des sances de

    rentre solennelle de la Cour de cassation (13) .

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    NOTES

    1) Art. 64 de la Constitution.

    2) Id, art.65.

    3) Art. 41 du dcret du 9 mars 1994.

    4) Art. 65 de la Constitution.

    5) Art. 35 du dcret du 9 mars 1994 .

    6) Art.34 du statut de la magistrature.

    7) Art. 65 de la Constitution.

    8) Art. 50 du statut de la magistrature.9) Id, art.69.

    10) Id, art 34.

    11) Comit consultatif pour la rvision de la Constitution, Propositions pour une rvision

    de la Constitution ,La Documentation franaise, 1993.

    12) Rapport de la commission de rflexion sur la justice, id, 1997.

    13) Cf. aussi lentretien publi dansLes Echos du 26 juin 2006, Il est urgent de restaurer

    la crdibilit de la justice , et la confrence prononce le 13 novembre 2006

    lAcadmie des sciences morales et politiques,Les Annonces de la Seine, 14 dcembre

    2006.Un litige, aujourdhui tranch pat le Tribunal des conflits en faveur de la

    juridiction judiciaire, sur la juridiction comptente pour apprcier la compatibilit dun

    nouveau type de contrat de travail avec une convention de lOrganisation

    internationale du travail, a t qualifi par lui de conflit depouvoir( soulign par

    moi) entre le gouvernement et lautorit judiciaire .