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UNIVERSITÉ LYON 2 Institut d'Études Politiques de Lyon La protection du patrimoine culturel en cas de conflit armé : enjeux et limites du cadre international Pascale COISSARD Mémoire de fin d’Études Séminaire droit international Sous la direction de M. Filali OSMAN (Mémoire soutenu en juin 2007) M. Filali OSMAN, Maître de conférences en droit M. Lahouari ADDI, Professeur titulaire en sociologie

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UNIVERSITÉ LYON 2Institut d'Études Politiques de Lyon

La protection du patrimoine culturel encas de conflit armé : enjeux et limites ducadre international

Pascale COISSARDMémoire de fin d’Études

Séminaire droit internationalSous la direction de M. Filali OSMAN

(Mémoire soutenu en juin 2007)

M. Filali OSMAN, Maître de conférences en droit M. Lahouari ADDI, Professeur titulaire en sociologie

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Table des matièresRemerciements . . 6Introductions . . 7

Définition du bien culturel : sens commun, sens juridique . . 7Patrimoine culturel, patrimoine naturel . . 8Patrimoine matériel, patrimoine immatériel . . 8Patrimonialisation et conflictualisation des biens culturels . . 9

Le dommage collatéral . . 9Le pillage . . 9L’épuration culturelle . . 10

Comment protéger le patrimoine culturel ? . . 11Partie 1 : Patrimoine culturel, bien culturel et identité : décrire l’Histoire et marquer lamémoire. . . 13

1.1 Patrimoine et identité : une relation tumultueuse . . 131.1.1 La vague de patrimonialisation du XXe siècle. . . 131.1.2 Le patrimoine est potentiellement tout . . 13

1.2 Le patrimoine mondial : figer une mouvance de mondialisation. . . 141.2.1 Le patrimoine culturel : une valeur universelle ? . . 141.2.2 L’universalité… mais surtout en Europe . . 151.2.3 Les acteurs de la protection internationale des biens culturels . . 161.2.4 Patrimoine culturel ou bien culturel ? . . 181.2.5 Biens nationaux ou patrimoine de l’humanité ? Le paradoxe de la notion de« patrimoine mondial » . . 181.2.6 Quand l’art devient support d’identité . . 181.2.7 Patrimoine et identité nationale : l’utilisation d’un patrimoine au service del’État. . . 19

Partie 2 : Les mécanismes de protection du patrimoine culturel durant les conflits armés :quelle efficacité ? . . 21

2.1 Genèse du droit international sur les biens culturels : . . 21

2.1.1 De l’Antiquité au XXe siècle . . 222.1.2 Les évolutions du droit international relatif aux biens culturels au XXe siècle.. . 222.1.3 La Seconde Guerre Mondiale : . . 24

2.2 La Convention de La Haye de 1954 sur la protection des biens culturels en cas deconflit armé et les nouveaux instruments de droit international pour les biens culturels. . . 24

2.2.1 La Convention de La Haye sur la protection des biens culturels en cas deconflit armé : . . 252.2.2 Le premier protocole additionnel . . 262.2.3 Le deuxième protocole additionnel de 1999 . . 262.2.4 La convention sur patrimoine mondial de 1972 . . 262.2.5 Le Statut de la Cour Pénale Internationale de 1998 . . 27

2.3 Les conventions sur la lutte contre le trafic de biens culturels: la convention del’Unesco de 1970 et la convention Unidroit. . . 28

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2.3.1 La Convention de l’Unesco relative aux mesures à prendre pour interdire etempêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriétés illicites de biensculturels . . 282.3.2 Limites de l’application de cette convention . . 282.3.3 La convention Unidroit de 1995 sur les biens culturels volés ou illicitementexportés . . 29

2.4 Limites de ces conventions de droit international . . 292.4.1 La notion de nécessité militaire : . . 292.4.2 Le nombre réduit d’adhérents : . . 302.4.3 Les insuffisances de collaboration entre les États parties et l’Unesco :l’exemple du rapport d’activités du Monde Arabe, 2000-2003 . . 312.4.4 Des situations encore non régulées : l’exemple des fouilles en territoireoccupé. . . 32

Partie 3 : Situations conflictuelles d’aujourd’hui : y a-t-il une amélioration ? . . 343.1 Le patrimoine culturel des territoires palestiniens menacé par l’occupation? . . 34

3.1.1 Les territoires palestiniens de 1949 à nos jours. . . 343.1.2 Jérusalem et les lieux saints : utilisation politique de l’archéologie . . 353.1.3 Situations de conflit depuis le déclenchement de l’Intifada Al-Aqsa, septembre2000 : . . 373.1.4 Peut-on parler de tentative d’ « épuration culturelle » ? . . 383.1.5 Quelle compatibilité avec le droit international ? . . 393.1.6 Quelle action de la part de la communauté internationale ? . . 41

3.2 Le pillage pendant la guerre d’Irak : un « irrespect monumental »66 . . 413.2.1 L’Irak et sa relation à l’Histoire . . 423.2.2 L’invasion américaine de 2003 . . 42

3.3 Dommages collatéraux : la guerre du Liban de Juillet 2006 . . 433.3.1 Contexte politique de la guerre au Liban de juillet 2006 . . 433.3.2 Les « fleurons du patrimoine libanais épargnés » . . 443.3.3 La « nécessité militaire » dans le conflit israélo-libanais . . 44

3.4 Un point de comparaison : la Croatie, 1991-1995 . . 45Conclusion : Redéfinir le rôle du patrimoine culturel ? . . 48

Pour une redéfinition du rôle du patrimoine culturel . . 48Pour une éducation globale au patrimoine culturel . . 49

Bibliographie . . 51OUVRAGES : . . 51

Support papier . . 51Support électronique . . 51

REVUES ET PERIODIQUES : . . 51ARTICLES . . 51

Support papier . . 52Support électronique . . 52

CONVENTIONS ET RESOLUTION . . 52RAPPORTS : . . 53SITES INTERNET : . . 53

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Annexes . . 54Annexe 1 : Appel Moyen Orient des ONG pour la protection du patrimoine culturel. . . 54Annexe 2 : Extraits de la Convention pour la Protection des biens culturels en cas deconflit armé, La Haye 1954 . . 54

Chapitre premier. Dispositions générales concernant la protection . . 54Chapitre II. De la protection spéciale . . 56Chapitre V. Du signe distinctif . . 57Chapitre VI. Du champ d'application de la Convention . . 58Chapitre VII. De l'exécution de la Convention . . 59

Annexe 3 : Extraits du deuxième Protocole à la Convention de la Haye, 1999. . . 60Chapitre 2 : Dispositions générales concernant la protection . . 60Chapitre 3 : Protection renforcée . . 62Chapitre 4 : Responsabilité pénale et compétence . . 64Chapitre 5 : Protection des biens culturels en cas de conflit armé ne présentant pasun caractère international . . 66Chapitre 6 : Questions institutionnelles . . 67Chapitre 7 : Diffusion de l'information et assistance internationale . . 67Chapitre 8 : Exécution du Protocole . . 68

Annexe 4 : Jérusalem et Hébron . . 69Annexe 5 : Antiquités sumériennes, Irak. . . 70Annexe 6 : Sites du patrimoine mondial libanais. . . 71Table des sigles . . 72

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La protection du patrimoine culturel en cas de conflit armé : enjeux et limites du cadreinternational

6 Coissard Pascale - 2007

Remerciements

Je remercie M. OSMAN pour avoir accepté d’encadrer mon travail alors que j’étais àl’étranger.

Je remercie également M. ADDI pour avoir aimablement accepté d’être membre dujury de soutenance.

Enfin, je remercie les bibliothèques universitaires d’Édimbourg, d’Avignon et de Lyonpour les nombreuses sources qu’elles m’ont fournies.

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Introductions

Coissard Pascale - 2007 7

Introductions

«Rien ne peut résister devant l’argument de la nécessité militaire », disait le généralEisenhower à ses troupes le 29 décembre 1943, alors qu’il allait engager la campagne enItalie intérieure.

«Aujourd’hui nous nous battons dans un pays qui a largement contribué à notrepatrimoine culturel, un pays riche en monuments[...] ; mais si nous devonschoisir entre détruire un monument célèbre et sacrifier nos propres hommes,alors la vie de nos hommes compte infiniment plus et les édifices doivent êtredétruits»1.

Tel est le problème du patrimoine culturel en temps de guerre : il est secondaire, la viehumaine étant bien sûr mise en premier plan. Pourtant le patrimoine, du latin « héritage dupère », est un élément-clef de la structuration de nos sociétés modernes. Dans cette partieintroductive, nous commencerons par donner quelques définitions du patrimoine culturel,puis nous définirons la problématique globale du devenir du patrimoine lors des conflitsarmés, enfin, nous présenterons la structure globale de ce travail.

Définition du bien culturel : sens commun, sensjuridique

Le patrimoine culturel est, en fait,« Un ensemble de valeurs dont il faudrait assurer la transmission aux générationsfutures. Toutes sortes de choses, de lieux, d’objets sont porteurs de ces valeurs.Ainsi le patrimoine n’est pas seulement dans les choses tangibles, il est aussidans les coutumes, les savoir-faire, la langue, etc. » 2

Le patrimoine culturel peut être considéré comme l’héritage des générations passées,matériel ou immatériel. L’expression « cultural héritage » utilisée en anglais semble, àce titre, plus explicite. En guise d’exemple, on peut considérer la définition du patrimoineculturel européen par le Conseil de l’Europe :

Dans ce vaste ensemble, un certain nombre d’aspects échappent à l’emprise du droit,notamment au droit des biens culturels. En effet, certaines activités ou pratiques commeles coutumes, traditions et multiples savoir-faire n’avaient, jusqu’à aujourd’hui, pas toujoursbesoin d’un encadrement juridique pour s’épanouir. Il faut cependant dissocier la notion depatrimoine culturel au sens large et la notion de patrimoine culturel comme le droit l’identifie.Selon Marie Cornu, directrice de recherches au CNRS pour le droit des biens culturels,

1 BRODIE, (N) (Éd.), Discours d’Eisenhower du 29 décembre 1946, in « Cultural Property in times of conflict », Illicit

Antiquities, Routledge 2002, p.682 CORNU (M), Droit des biens culturels et des archives-CECOJI 2003.p.3

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8 Coissard Pascale - 2007

« Au sens du droit public, la notion de patrimoine recouvre l'ensemble desbiens mobiliers ou immobiliers -dont la propriété peut être publique ou privée -et qui bénéficie d'une protection en vertu de l'intérêt culturel qu'ils renfermentdont il choisit d’assurer la protection au nom d’un intérêt historique et/ouartistique. » (Ibid. p.3)

On comprend de ce fait la différence entre patrimoine culturel au sens commun et au sensjuridique. Rappelons maintenant la différence entre patrimoine culturel et patrimoine naturel.

Patrimoine culturel, patrimoine naturelBien souvent, l’imaginaire populaire du patrimoine représente celui-ci comme un monument,un lieu de culte ou un tableau. Pourtant, le patrimoine, en droit interne comme en droitinternational, peut être culturel ou naturel. D’ailleurs, le patrimoine naturel est l’un desplus touchés lorsqu’un conflit armé se déclare. La guerre du Vietnam a laissé des terresincultivables pour des siècles et la guerre du Liban entre 1975 et 1990 a provoqué unepollution de la Mer Morte totalement irréparable. Néanmoins, nous nous concentreronssur le patrimoine culturel, car il provoque aujourd’hui beaucoup plus de passions que lepatrimoine naturel : la destruction des Bouddhas de Bamiyan en Afghanistan en mars 2001et le bombardement du centre historique de Dubrovnik entre 1992 et 1993 en sont desexemples frappants. Par conséquent, l’un de nos objets d’investigation sera de comprendrepourquoi ces passions se déclarent le plus souvent autour du patrimoine culturel.

Patrimoine matériel, patrimoine immatérielJusqu’alors, le droit semblait se concentrer sur une approche restrictive du patrimoineculturel, à savoir la protection des éléments matériels du patrimoine. Le patrimoineimmatériel était donc occulté. Il faut cependant souligner qu’une convention internationalepour la protection du patrimoine immatériel, conduite sous l’égide de l’UNESCO, a étéadoptée. Dans cet outil, le patrimoine immatériel se définit notamment comme

« l’ensemble des pratiques, représentations et expressions, les connaissances etsavoir-faire qui procurent aux communautés, groupes et individus un sentimentd’identité et de continuité »3.

Les instruments, objets, « artefact » et espaces culturels associés à ces pratiques fontpartie intégrante de ce patrimoine. Néanmoins, dans le cadre de ce travail, nous nousintéresserons au patrimoine culturel matériel, et le plus souvent au patrimoine matérielimmeuble, car il est l’élément le plus touché dans les conflits armés4. Une légende, un hymneou une technique ancestrale est reproductible à l’infini tant qu’il y aura des hommes ayantle savoir ou le savoir-faire, ce qui n’est pas le cas des monuments et des autres œuvresmatérielles : il est donc impératif de les protéger afin de pouvoir le transmettre.

3 Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, «article 2 : définitions», 20034 les éléments « immeubles » du patrimoine sont les biens culturels qui ne peuvent être déplacés, contrairement aux éléments« meubles », comme les tableaux,les statuettes, les livres, etc.

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Introductions

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Récapitulatif des définitions :

Patrimoine culturel : Ensemble de valeurs dont il faudraitassurer la transmission aux générations futures. (CORNU M.,2003)

Patrimoinenaturel : Toutes lesrichessesenvironnementalesqui constituentle paysage etl’écosystèmed’un secteurdonné. (UnescoCentre duPatrimoineMondial 2007)

Patrimoine immatériel : pratiques,représentations, expressions, connaissanceset savoir-faire - ainsi que les instruments,objets, artefacts et espaces culturels quileur sont associés - que les communautés,les groupes et, le cas échéant, les individusreconnaissent comme faisant partie de leurpatrimoine culturel. (Convention pour lasauvegarde du patrimoine culturel immatérielde l’Unesco, 2003)

Patrimoinematériel :biensculturelstangibles,palpables quiprovoquentun sentimentd’identité et decontinuité.

Patrimonialisation et conflictualisation des biensculturels

Pourquoi les monuments sont-ils visés en temps de guerre ? Dans le cadre des conflitsarmés, ce qui est mis en danger est principalement le patrimoine matériel, pour plusieursraisons. Mon propos dans ce qui suit est de définir trois dangers principaux pour le bienculturel en période de guerre : les dommages collatéraux, le pillage et l’épuration culturelle.

Le dommage collatéralLe dommage collatéral est une expression, née pendant la guerre du Viêt-Nam pour définircyniquement les morts provoqués par les tirs « amis » de l’armée américaine. Elle est, endroit de la guerre, remplaçable par l’expression « dommage indirect ». Celle de « dommagecollatéral » est désormais passée dans le langage courant, et désigne, dans le sens militaire,tout ce qui a été détruit ou endommagé par des tirs qui étaient destinés à détruire autrechose. C’est le cas, par exemple du musée national du Liban, qui subit de nombreusesdégradations entre1975 et 19915, et une nouvelle fois dans la deuxième guerre du Libande juillet 2006.

Le pillageLe pillage est une pratique répandue sur les lieux de fouille, de concentration d’artefactstels que les musées, en temps de paix comme en temps de guerre. Mais la confusionque déclenche une guerre est une aubaine supplémentaire pour les pilleurs : les lieux deconcentration d’antiquités sont désertés, ou tout au moins, leur protection diminuée, rendantl’accès aux artefacts plus faciles. Le vol d’antiquités est une source de revenus importante ;en effet, il existe un grand réseau de commerces d’antiquités, qui s’effectue entre « pays

5 PHARÈS (J), Le musée national du Liban, Muséum International, décembre 2003 n° 219-220, p 37

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La protection du patrimoine culturel en cas de conflit armé : enjeux et limites du cadreinternational

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sources » (la Grèce, l’Irak, les pays d’Amérique Latine) et « pays receveurs » (en particulierla France, les États-Unis, la Grande-Bretagne). Ce commerce est alimenté par la volontéde collectionneurs particuliers de posséder une partie du patrimoine mondial, de l’héritageculturel de l’humanité. Seulement, ce désir n’est souvent réalisé qu’à la suite de traficsd’antiquités, au détriment d’un pays qui n’a pas eu son mot dans l’histoire. On trouve uneillustration récente de cette conséquence des conflits lorsque le musée de Bagdad futentièrement pillé entre le 12 et le 15 avril 2003 pendant la deuxième guerre d’Irak.

L’épuration culturelleGabriel Leturcq, chercheur au Centre d’études et de documentation économiques etjuridiques (CEDEJ) du Caire, rappelle que de tout temps, les signes et les monuments del’ennemi ont fait l’objet de dégradations volontaires. Il s’agissait d’actes de vandalisme, quel’on peut définir comme « attitude de celui qui détruit ou mutile gratuitement des œuvresd’art, des édifices publics, etc. »6 Ces actes de vandalisme ont toujours existé, et ne sontpas, comme le laisse entendre cette définition, le fruit d’une idéologie. Il s’agit d’un acte« gratuit ».

Mais, selon Gabriel Leturcq, un phénomène nouveau s’est développé dans lesvingt dernières années : « le patrimoine est atteint en tant que patrimoine, en tantqu’héritage du passé de l’Autre, que l’on cherche à dégrader voire à nier ».7 Il ne s’agitdonc plus de vandalisme, mais de destruction consciente du patrimoine, parce qu’il aune valeur identitaire pour l’autre. Cette destruction systématique du patrimoine dansles conflits armés des dernières années, et plus particulièrement dans les conflits noninternationaux (Afghanistan, Iraq, Ex-Yougoslavie…) est à relier avec le développement de

la patrimonialisation tout au long du XXe siècle. La patrimonialisation est le processus parlequel un objet – matériel ou immatériel- est promu au rang de patrimoine méritant le droitd’être préservé. Cet engouement pour la patrimonialisation est certainement concomitant àla formation des États Nations et à la fragmentation de certaines parties du monde : l’EmpireOttoman, les États de l’Europe de l’Est, etc. Chacun de ces États devant se créer uneidentité, le patrimoine, et spécialement le patrimoine matériel, a été mis en avant commeappartenant à une histoire ancienne, qui justifiait la création de cet État. C’est le cas parexemple en Irak, pays fragmenté et créé par une puissance coloniale. Alors que le paysest divisé selon des lignes ethniques (par exemple avec les Kurdes) et religieuses (Shiites-Sunnites principalement), le vivre ensemble était maintenu par la référence à l’ancêtrecommun, datant d’avant l’islamisation de l’Irak. Ainsi le vase d’Uruk (voir annexe 8), symbolede l’existence d’un peuple irakien uni avant l’Islam et volé en Avril 2003 durant le pillagedu musée de Bagdad, était une icône de l’unité nationale8 (cf. annexe 6). Le patrimoine

matériel peut être visible et exposé : au cours du XXe siècle, il est en conséquence devenula marque ostensible d’une spécificité identitaire.

Cette exacerbation du rôle du patrimoine a donc un effet pervers, celui d’augmenterses chances de destruction9. En effet, les biens culturels placés comme symbole d’une

6 LAROUSSE. Article « vandalisme », édition Larousse 1994, p 4527 LETURCQ (J-G), les Guerres du patrimoine, CEDEJ Le Caire, 2006, p 18 Il fut restitué, un peu abîmé, en juin 20039 A ce sujet, cf. CLEERE (H), The uneasy bedfellows : universality and cultural heritage. In LAYTON ( R.), Destruction and

conservation of cultural property,. Routledge 2001, p22_29

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Introductions

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ethnie ou d’une nation sont mis en danger lorsque l’on veut nier son existence ou prouver safaiblesse. Conséquemment le patrimoine se trouve en première ligne des destructions del’ennemi ; cette forme d’épuration culturelle par l’opposant est une forme de déni d’existencede l’autre. Un des exemples les plus marquants à nos yeux européens, de par sa proximitégéographique et culturelle, est celui de la guerre en Ex-Yougoslavie : l’armée Serbe adélibérément détruit le centre-ville de Dubrovnik et de nombreuses cathédrales du pays pournier l’existence d’un pays et d’une identité. On a parlé dans ce cas d’épuration culturelle.

La prise de conscience de l’importance du patrimoine culturel dans la constructionidentitaire en a fait, par conséquent, une cible privilégiée. Nous allons donc nous intéresseraux instruments de protection disponibles.

Comment protéger le patrimoine culturel ?D’autres dangers menacent le patrimoine culturel : l’érosion, la pollution, le tourisme àoutrance…Mais il semble qu’encore aujourd’hui, le danger le plus foudroyant et destructeurpour les biens culturels matériels soit le conflit armé. Les outils de droit internationalapparaissent, dans ce cas de figure, privilégiés. Que peut être en meilleure mesure deprotéger le patrimoine culturel que le droit international en cas de conflit entre deux États ?

Donc les deux définitions auxquelles nous nous référerons dans le cadre de cetravail seront celles du bien culturel et du patrimoine mondial telles qu’inscrites dans lesconventions internationales : la convention de La Haye pour la protection du patrimoineculturel en cas de conflit armé de 1954 pour le patrimoine culturel et le bien culturel ; laConvention de 1972 sur le Patrimoine Mondial pour la définition du patrimoine mondial.Ainsi, la Convention de La Haye stipule que

«Sont considérés comme biens culturels, quels que soient leur origine ouleur propriétaire : Les biens, meubles ou immeubles, qui présentent unegrande importance pour le patrimoine culturel des peuples, tels que lesmonuments d'architecture, d'art ou d'histoire, religieux ou laïques, les sitesarchéologiques, les ensembles de constructions qui, en tant que tels, présententun intérêt historique ou artistique, les oeuvres d'art, les manuscrits, livres etautres objets d'intérêt artistique, historique ou archéologique, ainsi que lescollections scientifiques et les collections importantes de livres, d'archives oude reproductions des biens définis ci-dessus; b. Les édifices dont la destinationprincipale et effective est de conserver ou d'exposer les biens culturels meublesdéfinis à l'alinéa a, comme les musées, les grandes bibliothèques, les dépôtsd'archives, ainsi que les refuges destinés à abriter, en cas de conflit armé, lesbiens culturels meubles définis à l'alinéa a; c. Les centres comprenant un nombre-considérable de biens culturels qui sont définis aux alinéas a et b, dits "centresmonumentaux "».10

La Convention de 1972 sur le patrimoine mondial définit quant à elle le patrimoine culturelmondial comme :

10 Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, article premier « définition des biens

culturels » 1954 : cf .annexe 2

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La protection du patrimoine culturel en cas de conflit armé : enjeux et limites du cadreinternational

12 Coissard Pascale - 2007

« Les monuments: œuvres architecturales, de sculpture ou de peinturemonumentales, éléments ou structures de caractère archéologique, inscriptions,grottes et groupes d'éléments, qui ont une valeur universelle exceptionnelledu point de vue de l'histoire, de l'art ou de la science, Les ensembles : groupesde constructions isolées ou réunies, qui, en raison de leur architecture, deleur unité, ou de leur intégration dans le paysage, ont une valeur universelleexceptionnelle du point de vue de l'histoire, de l'art ou de la science, lessites: œuvres de l'homme ou œuvres conjuguées de l'homme et de la nature,ainsi que les zones y compris les sites archéologiques qui ont une valeuruniverselle exceptionnelle du point de vue historique, esthétique, ethnologiqueou anthropologique. »11

Dans ces définitions, on voit que la notion d’identité devient centrale. Le patrimoine seconfond presque avec l’identité. Il y a une forme d’exacerbation de l’identité dans lamuséification : celle-ci n’est-elle pas catalyseuse de conflits ?. Notre travail aura donc pourobjet d’observer la relation entre patrimoine, identité et conflits. Nous choisirons la plupart denos exemples dans le Monde Arabe, pour trois raisons essentielles : nombre d’archéologueset historiens le considèrent comme le berceau de l’humanité ; il est en proie à de nombreuxconflits, principalement identitaires ; et enfin, mon intérêt universitaire et personnel me mèneà me concentrer sur cette région.

Nous présenterons tout d’abord la relation entre patrimoine et identité nationale : nousnous attarderons sur la construction nationale autour de ce patrimoine commun et la passionidentitaire pour le patrimoine, celle qui débouche sur sa mutilation face au déni d’identité. Lapertinence de la notion de « patrimoine mondial », inventée par l’Unesco, sera égalementabordée.

Puis nous essaierons de comprendre les mécanismes de protection du patrimoineculturel dans le droit international, son efficacité et ses limites. Quels sont les conventions etautres outils internationaux permettant de protéger le patrimoine culturel des trois dangersprécédemment définis ?

Ayant donc cerné les principaux problèmes rencontrés par le patrimoine culturelmatériel en temps de conflit armé, nous tenterons de l’illustrer par trois conflits récents : lasituation dans les territoires Palestiniens depuis l’année 2000 (début de l’Intifada Al-Aqsa,recrudescence des interventions militaires dans la bande de Gaza et en Cisjordanie) servirad’illustration à la « passion identitaire » que peut engendrer un bien culturel, mais ausside la difficulté de qualifier juridiquement un acte d’épuration culturelle. La guerre d’Irakqui débuta en 2003 reste tristement célèbre pour la disparition de nombreux objets d’art,d’antiquités, mais aussi de collections de livres, de rapports datant de la période ottomane ;nous utiliserons cet aspect du conflit pour comprendre les conséquences du pillage entemps de guerre.

Enfin, la guerre du Liban de juillet 2006 nous permettra d’illustrer ce que sont lesdommages collatéraux, en quoi sont-ils évitables ou inévitables, et approfondir la notion de« nécessité militaire ».

11 Convention pour la protection de patrimoine mondial, 1972, article premier « définition des biens culturels ».

Consultable en ligne: www.unesco.org/culture/laws/hague/html_fr/page1.shtml

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Partie 1 : Patrimoine culturel, bien culturel et identité : décrire l’Histoire et marquer la mémoire.

Coissard Pascale - 2007 13

Partie 1 : Patrimoine culturel, bienculturel et identité : décrire l’Histoire etmarquer la mémoire.

Dans ce chapitre, nous évoquerons la relation entre le peuple et son patrimoine culturel.Nous montrerons en quoi la vague de patrimonialisation de la fin du XXe siècle traduit,selon nous, un repli identitaire des peuples. La problématique sera donc de savoir s’il fautou non se féliciter de l’extension de la qualification de « patrimoine culturel ». Tout d’abord,voyons ce que recouvre le patrimoine. Ensuite, nous nous attarderons sur le sens de lapatrimonialisation aujourd’hui : la démarche universaliste et multi culturaliste de l’Unescoest-elle bénéfique ou favorise-t-elle, paradoxalement, le communautarisme et le repli de soisur des valeurs propres ?

1.1 Patrimoine et identité : une relation tumultueuse

1.1.1 La vague de patrimonialisation du XXe siècle.Selon Jean-Gabriel Leturcq, chercheur au CEDEJ, il y a une « inflation du discours surle patrimoine »12 depuis vingt ans. Traumatisés par les pertes de la Deuxième GuerreMondiale, les États occidentaux décident d’une protection du patrimoine en temps de guerrecomme en temps de paix. Car, comme l’Unesco affirme, « Le patrimoine est l'héritage dupassé, dont nous profitons aujourd'hui et que nous transmettons aux générations à venir »13.Il faut pouvoir transmettre ce passé. La compréhension du rôle que le patrimoine pouvaitjouer semble avoir favorisé la multiplication des institutions autour du patrimoine, à tous lesniveaux.

Au plan mondial, c’est l’Unesco qui se charge, depuis sa création en 1945, de mettre envaleur le patrimoine. La diversité culturelle est la preuve Pourtant, la définition du patrimoinedépend du sens que l’on donne à cet héritage du passé. Il existe aujourd’hui un courant depatrimonialisation qui vise à considérer comme patrimoine potentiellement tout.

Nous commencerons cette analyse en rappelant que « le patrimoine est un regard.Naturellement, ce n’est pas n’importe quel regard. C’est un regard orienté »14.

1.1.2 Le patrimoine est potentiellement tout

12 Jean-Gabriel Leturcq, Les guerres du patrimoine, CEDEJ, p.113 présentation du patrimoine par l’Unesco, in http://whc.unesco.org/ .

14 SCHIELE (B), Patrimoines et identités, colloques de l’UCAM éditions Muséo, Québec 2001, p215

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La protection du patrimoine culturel en cas de conflit armé : enjeux et limites du cadreinternational

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La culture embrasse tout ce qui constitue l’environnement de l’homme. Avec la création dela notion de « patrimoine immatériel » de l’Unesco, cette idée devient réelle : le patrimoinedevient potentiellement tout. Il est aujourd’hui vu dans tout et partout. Quel est le pointcommun entre une chanson traditionnelle malienne, un monument aux morts japonais et unpaysage désertique ? Ils font tous trois potentiellement partie du patrimoine mondial. Si l’onsuit les catégories de l’Unesco, le patrimoine se divise en deux catégories : le patrimoineculturel et le patrimoine naturel.

Néanmoins, l’on peut affirmer que le patrimoine naturel est un symbole identitaire moinsfort que le patrimoine culturel. Peu de peuples, en effet, s’unissent simplement autour dela singularité d’une montagne ou d’un désert. L’union se fait plutôt au niveau de l’utilisationculturelle de ce paysage ; ainsi, le volcan Kilauea sur l’île d’Hawaii a donné naissance à denombreuses légendes, dont l’existence d’une déesse, Madame Pélé, qui jetterait la lave àcoup de talons pour calmer sa colère lorsque le volcan est en éruption. C’est pourquoi nousnous concentrerons sur le patrimoine culturel. De plus, le patrimoine culturel est en nettemajorité par rapport au patrimoine culturel sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.Cette année, par exemple, l’Unesco va examiner l’entrée au patrimoine mondial de 45 sites,dont 32 naturels, 2 mixtes, et 11 sites naturels.

Figure 1: Inégalité de répartition entre patrimoine culturel et naturel : leschiffres de l’Unesco 2007. Figure 1: répartition du patrimoine mondial-2007Le patrimoine culturel se subdivise entre le patrimoine culturel immatériel et le

patrimoine immatériel. Le patrimoine immatériel, que nous avons défini en introduction, n’estpas atteint dans les conflits armés et se trouve donc hors du champ de notre réflexion.

1.2 Le patrimoine mondial : figer une mouvance demondialisation.

1.2.1 Le patrimoine culturel : une valeur universelle ?La notion de « valeur universelle exceptionnelle » telle que présentée par l’Unesco dansle préambule de la Convention sur le Patrimoine Mondial de 1972 est difficile à définir.

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Partie 1 : Patrimoine culturel, bien culturel et identité : décrire l’Histoire et marquer la mémoire.

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N’étant pas définie dans la convention, ce fut au comité du patrimoine mondial, composéde 21 des Etats Parties à la Convention, de se charger de le définir ; cela permettra àl’ICOMOS (conseil international des monuments et des sites) de pouvoir sélectionner lesmonuments qui ont valeur « universelle exceptionnelle ».

1.2.2 L’universalité… mais surtout en EuropeSeulement, cette notion d’universalité semble poser quelques problèmes. Il semble, eneffet, que l’Unesco fasse une assomption implicite du fait qu’il y aurait des valeursuniverselles, qui transcendent les distinctions régionales et chronologiques. Mais cetteassomption est, selon Henry Cleere, « enracinée dans la tradition culturelle européenne,et combine des paramètres historiques et esthétiques qui dérivent de la philosophieclassique »15. Or l’anthropologie, l’archéologie et tous les courants universalistes y comprisles « mondialistes », reconnaissent l’universalité par la diversité des réussites humaines.Il semble que la convention sur le Patrimoine Mondial oublie cet aspect. Le traversd’eurocentrisme se retrouve dans toutes les branches du droit international. Cependant, ilest exacerbé dans le domaine du droit des biens culturels. (Cf. figure 2, page suivante).

15 CLEERE (H), « universality and cultural heritage », in Destruction and conservation of cultural property, One World Archeology,2001 Routledge, p24

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La protection du patrimoine culturel en cas de conflit armé : enjeux et limites du cadreinternational

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Figure 2: répartition du patrimoine mondial selon l'Unesco16

Comme l’indique cette figure, la liste du patrimoine mondial, en 2000, comptait 630sites et monuments sous le critère culturel que le comité du patrimoine mondial a mis enplace. Sur ces 630 sites, 55% sont situés dans les pays européens. Le Monde Arabe telque le présente l’Unesco représente 11% de ce patrimoine mondial, l’Afrique seulement4% et l’Océanie seulement 1%, les deux dernières étant pourtant terres de diversité et decomplexité culturelle par excellence. L’Italie est le pays qui compte le plus de monumentsclassés, avec 32 sites. En effet, le comité du patrimoine mondial favorise clairement lesmonuments datant des époques romaines et grecques, puis ceux de la RenaissanceEuropéenne, et enfin, l’art et la culture de le Chine Impériale et du sous-continent Indien.Bien que les listes sud-américaines de monuments classés au Patrimoine Mondial soientassez bien fournies, nombreuses sont les villes coloniales, d’influence européenne qui ysont représentées. L’Afrique est, quant à elle, totalement sous représentée, puisque seuls 8pays d’Afrique sub-saharienne sont représentés sur la liste du patrimoine mondial. De plus,nombre de ces sites sont des créations coloniales, comme en Amérique du Sud. On peutciter, par exemple, l’Ile de Gorée du Sénégal, un ancien centre de commerce d’esclaves.

Que pouvons-nous en conclure ? Il est clair que le processus de mise en liste dupatrimoine mondial a été beaucoup plus euro centré que ce que laissait penser la définitiondonnée dans la Convention. Les « monuments », style européen par excellence, ont étépréférés aux autres genres, comme les paysages stylisés. Les efforts sont concentrés surles lieux de culte, les centres historiques et les immeubles monumentaux, alors que lesvillages traditionnels et les paysages citadins sont quasiment ignorés.

Le droit international a été créé par les pays Européens, pour l’Europe. Le droit dupatrimoine culturel n’échappe pas à la règle : la notion de patrimoine mondial est en partiebiaisée par une vision occidentale du bien culturel, qui met l’accent sur les constructionsimmeubles et sur les critères esthétiques. Cela conduit à avantager une certaine partie dumonde en matière de protection contre les dommages au patrimoine. Or, l’Europe n’est pasla partie du monde la plus sujette aux conflits armés de nos jours ; la protection apportéepar a Convention de 1972 n’est donc pas encore très efficace.

Y a-t-il une amélioration en vue ? Il semble que depuis quelques années, l’Unescocherche à équilibrer la répartition du patrimoine mondial. Car, si l’universalité est richede diversité, cette diversité doit être affirmée. L’Unesco a donc entrepris de privilégierdes éléments du patrimoine de régions lésées : l’Afrique, l’Océanie et l’Amérique du Sudseraient à l’honneur depuis quelques années. Pourtant, en 2006, l’ONU a fait rentrer surla liste des biens culturels du patrimoine mondial un site de l’île Maurice, un du Malawi,un du Sénégal-Gambie , un en Éthiopie, un en Tanzanie pour l’Afrique, soit cinq sites pourl’Afrique. L’Europe compte huit nouvelles inscriptions. Cela vient en partie du fait que peu ded’associations locales se mobilisent pour faire concourir les biens au patrimoine mondial.C’est pourquoi il existe, mis à part l’Unesco, d’autres acteurs de la protection internationaledes biens culturels, qui agissent dans une perspective mondiale.

1.2.3 Les acteurs de la protection internationale des biens culturels

a) Les Organisations internationales : L’Unesco

16 Image extraite du rapport Unesco pour la protection des biens culturels dela Palestine, 2001. Consultable en ligne : whc.unesco.org/fr/archive/rapbur01.htm

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L’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, mieux connuesous son sigle anglais Unesco, est créée en 1946 comme agence spécialisée de l’ONU. Laculture entre alors dans le champ de compétence des Nations Unies. Ce ne fut pourtantpas une idée unanimement approuvée, et dès le départ, les actions communes semblentdifficiles à mener. L’Unesco possède un « comité de protection des biens culturels » quiest en charge de classer le patrimoine culturel et de rapporter les non-respects des loisinternationales. La mise en cause de l’Unesco par l’Internationale situationniste : selonl’Internationale situationniste, la création de l’Unesco est une « bureaucratisation de laculture ».

b) Le poids des ONG : ICOMOS, ICOM.ICOMOS, Conseil International des Monuments et des Sites, est une associationinternationale qui se spécialise dans la conservation et la protection des monuments, desensembles et des sites du patrimoine culturel. Elle a également pour mission d’enseignerles techniques de protection et de conservation. Elle est unique en son genre, et regroupeplus de 7000 professionnels, parmi eux historiens, géographes, architectes, archéologues,etc. Elle spécifie dans son statut qu’elle entretient une collaboration étroite avec l’Unesco17 :dans l’article 5.f de ses statuts, elle précise que l’ICOMOS

« Établit et maintient une collaboration étroite avec l'UNESCO, le CentreInternational des Études pour la Conservation et la Restauration des BiensCulturels à Rome, les centres régionaux de conservation patronnés parl'UNESCO et les autres institutions et organisations internationales et régionalesqui poursuivent des objectifs analogues. »(Ibid.)

L’ICOMOS propose en effet de nombreux rapports à l’Unesco, notamment sur la liste dupatrimoine mondial ; elle tente de combler les lacunes de la liste actuelle en la rendant pluséquilibrée, représentative et crédible.

c) ICOML’ICOM, Conseil International des Musées, est également une ONG qui se concentre sur lapréservation et la communication de la valeur des musées. Elle entretient également unerelation formelle avec l’Unesco ; dans le cadre de la protection du patrimoine culturel en casde crise, elle se concentre sur

« La solidarité entre les professionnels de musée ; Mieux répondre aux besoinsurgents exprimés par les professionnels devant faire face à des situationsde conflits armés ou de catastrophes naturelles ; Appuyer et encourager laparticipation nationale aux conventions de protection culturelle internationales etautres instruments internationaux ainsi que leur respect; Améliorer l'informationgénérale et l'assistance quant à la vulnérabilité extrême du patrimoine naturelmondial ; Lutter contre le trafic illicite des biens culturels. »18

A ces deux ONG majeures dans la protection en cas de conflit armé, on peut ajouterle Conseil International des Archives (ICA), la Fédération International des Associationsde Bibliothécaires et de Bibliothèques (IFLA), et le Co-ordinating Council of AudiovisualArchives Association (CAAA).

17 Statuts de l’ICOMOS, article 5, paragraphe 6, in http://www.international.icomos.org/statuts_fra.htm18 Activités et Statuts de l’ICOM , article 8. in: http://icom.museum/programme.html

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La protection du patrimoine culturel en cas de conflit armé : enjeux et limites du cadreinternational

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Dans le cadre spécifique de la protection des biens culturels en cas de conflit armé,toutes ces associations se sont regroupées sous le nom de Fédération Internationale duBouclier Bleu, un regroupement d’ONG pour la protection des biens culturels en cas deconflit armé, qui se décrit comme « La Croix-Rouge pour le domaine culturel »; ils sedonnent pour tâche d’appeler au respect du patrimoine culturel et vérifier l’état de celui-cipendant et après les conflits. L’on peut constater alors que le lien entre ONG et organisationsinternationales est bien coordonné dans le domaine du patrimoine culturel, bien que leBouclier Bleu n’ait pas reçu une publicité notable.

1.2.4 Patrimoine culturel ou bien culturel ?En anglais, la notion de bien culturel telle que dans la convention pour la protection desbiens culturels en cas de conflit armé de La Haye (cf. annexe1) se traduit par « culturalproperty ». Il s’agit donc de propriété culturelle, et donc la question porte sur la notion mêmede propriété, et non sur le fait qu’il s’agisse d’un bien culturel. Alors, doit-on protéger lesbiens culturels parce qu’ils sont culturels ou parce qu’il s’agit de « propriétés » ? La versionanglaise et la version française de la convention de La Haye de 1954 ne semblent pasporter sur le même aspect du sujet. Jean-Gabriel Leturcq voit dans la conservation desbiens culturels un devoir universel qui appartient à l’ensemble des membres de l’humanité,alors que « la propriété culturelle en revanche apparaît comme plus proprement nationalevoire nationaliste ». 19

1.2.5 Biens nationaux ou patrimoine de l’humanité ? Le paradoxe dela notion de « patrimoine mondial »

Cette notion de propriété culturelle pose un problème dans le cadre du patrimoine mondial ;en effet, la notion de « propriété culturelle » est-elle en accord avec l’idée d’un patrimoinemondial, universel ? S’il y a propriété, le bien peut-il être en même temps universel ? Deplus, les « internationalistes » prônent la libre circulation des objets d’art. Cette idée est encontradiction avec ceux qui défendent ces objets comme patrimoine national.

1.2.6 Quand l’art devient support d’identitéDans les pays en situation de conflit armé, une crispation identitaire est automatique. Or,c’est à partir de l’art qu’est édifié le patrimoine des nations, et donc à partir de l’art quel’identité de l’autre est détruite. Ainsi, on peut dire que les objets d’art ne jouent qu’un rôlesecondaire : ils ne sont pas touchés en tant qu’art, mais en tant que support de l’identité del’autre. Il y a, particulièrement dans les périodes de repli identitaires comme les périodesde guerre, « une connexion symbolique entre l’œuvre et l’identité » (Ibid.) : « Le « c’est ànous » ou « c’est à moi » est entièrement imaginaire, mais cette connexion s’opère bel etbien : le patrimoine devient identité.» (Ibid.) Les biens culturels ne sont pas attaqués en tantque culture, mais en tant que représentation de l’autre. La destruction de la mosquée Al-Askariyya à Samarra en Irak, lieu saint pour les Shiites car à quelques mètres du templedu douzième Imam où les croyants viennent en pèlerinage, est un exemple frappant decette question d’identité : bombardée le 22 février 2006, la destruction de cette mosquéesymbolise la division entre Shiites et Sunnites en Irak.

19 LETURCQ (JG), Patrimoines en temps de guerre, CEDEJ 2006, p3

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Dans l’idée de patrimoine mondial, on retrouve l’écueil du multiculturalisme, qui estd’être condamné à osciller entre valeurs universelles et valeurs particulières.

« Telle est donc l’ambivalence des passions identitaires, à la fois dévastatriceslorsqu’elles alimentent les replis sur soi et créatrices lorsqu’elles enracinent dans l’amourdu vivre ensemble »20. Le patrimoine culturel peut donc servir des intérêts particuliers,notamment celui de l’État.

1.2.7 Patrimoine et identité nationale : l’utilisation d’un patrimoine auservice de l’État.

Au moment où l’identité nationale est une valeur en vogue au sein de l’opinion et estconcrétisée par un ministère éponyme en France, il est important de rappeler le rôle dupatrimoine culturel dans ce cadre. Si les thèmes des musées créent aujourd’hui de plusen plus de polémique, c’est qu’ils sont liés à la notion d’identité nationale : l’exempledu musée du Quai Branly est édifiant. Les Canadiens se sont offusqués du fait que lespremières nations du Québec ne soient réduites qu’à deux ceintures tissées, et les Inuitsdu grand Nord à un peigne. Nombreux commentateurs étrangers y voient l’incarnation dela condescendance de la France envers les autres peuples. 21 Les musées peuvent donccristalliser les affirmations identitaires de certains États. Les régimes autoritaires ont, biensouvent, saisi le pouvoir du patrimoine culturel sur l’identité nationale : « Moi, SaddamHussein, j’ai reconstruit Babylone, relevé les murs du palais de Nabuchodonosor, pourrendre au peuple irakien son glorieux passé »22.

L’ancien président irakien avait lui aussi bien compris que le patrimoine culturelpouvait être utilisé au profit de la glorification nationale. Il a dépensé des sommesimpressionnantes pour une reconstitution grandiose de Babylone, construit un palace audessus de ceux des rois de l’Antiquité sumérienne, s’est fait représenter en portrait officielcomme Nabuchodonosor le conquérant.23 La Mésopotamie, l’Irak et Saddam Hussein seretrouvent associés en une même valeur, celle du peuple irakien.

Dans la question du rôle du patrimoine culturel, on retrouve l’écueil du multiculturalisme,qui est d’être condamné à osciller entre valeurs universelles et valeurs particulières. L’État,l’identité nationale et le patrimoine restent très fortement liés. Dans les pays où l’État estfaible ou peu présent, le patrimoine retrouve une appartenance plus restreinte : c’est le casde l’Irak d’aujourd’hui, où la division se fait selon des lignes ethniques ou religieuses.

La patrimonialisation au XXe siècle traduit besoin de concrétiser le sens de l’identiténationale : l’inquiétude grandissante devant la menace de la mondialisation qui engendreraitune certaine uniformisation de la culture, les conflits identitaires autour de la formationdes nations, les crispations autour des questions ethniques et religieuses ont engendréun renouvellement de l’intérêt pour le patrimoine culturel. « Telle est donc l’ambivalencedes passions identitaires, à la fois dévastatrices lorsqu’elles alimentent les replis sur soi etcréatrices lorsqu’elles enracinent dans l’amour du vivre ensemble »24. Le droit vient essayer

20 LE GOFF (J). Patrimoine et passions identitaires, Editions du Patrimoine, Fayard 1998, p 2421 NOCE (V)., Le musée Branly étrillé par la presse étrangère. Libération, 23 juin 200622 BOTTERO (J), Il était une fois la Mésopotamie, Découvertes Archéologies 1993, p141

23 CRAWFORD (H), The crumbling of an Ivory tower. The Art Journal ,vol.62 2003, p1924 LE GOFF (J). Patrimoine et passions identitaires, Éditions du Patrimoine, Fayard 1998, p 24

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de pallier à la dévastation que peut provoquer la passion identitaire. Nous verrons donc,dans une deuxième partie, les mécanismes de protection juridique des biens culturels dansles conflits armés : dans quelle mesure le droit international couvre-t-il les biens culturelsdans le conflit armé ?

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Partie 2 : Les mécanismes de protection du patrimoine culturel durant les conflits armés : quelleefficacité ?

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Partie 2 : Les mécanismes de protectiondu patrimoine culturel durant lesconflits armés : quelle efficacité ?

Nous avons donc compris combien les biens culturels pouvaient représenter l’appartenanceà un peuple. Or, le patrimoine culturel est exposé à de nombreux dangers lorsqu’un conflitarmé se déclare : Les biens culturels font partie des « dommages collatéraux », au mêmetitre que les civils, même s’ils n’ont évidemment pas la même valeur que la vie humaine.

Ils sont également exposés aux pillages, particulièrement lorsqu’il s’agit de payspauvres : le pillage y est une source de revenus non négligeable, même si les objets sontrevendus jusqu’au centuple du prix donné par les pillards. Le musée de Bagdad, mais aussiles fouilles archéologiques d’Isin, Umma, Adab et Nippur furent pillés, et pour le seul muséede Bagdad, 10073 pièces étaient manquantes au 10 septembre 2003. 25 Il est très probableque la misère pousse les pillards à cette action. Dans le cas du musée de Bagdad, il sembleque les pillards connaissaient les lieux, puisqu’ils sont allés chercher les pièces les plusprécieuses, sans fracturer toutes les portes au passage ; ils savaient où ils allaient.

Enfin, l’identité nationale, ethnique et/ou religieuse est, nous l’avons vu, très liée aupatrimoine culturel. Sa destruction est donc un symbole du déni d’existence d’une minorité.

Le regain de nationalisme et autres « ismes » observé dans la deuxième moitié du XXe

siècle n’est donc pas en faveur du patrimoine culturel de l’Autre : c’est ainsi que furentanéantis les Bouddhas d’Afghanistan, le centre-ville de Dubrovnik et dernièrement, le templede Samarra en Irak.

Que peut-on contre ces destructions du patrimoine de l’Autre ? Le droit internationalsemble la voie : La protection en temps de conflit armé est déjà très développée. Nous allonstenter de présenter les différentes conventions relatives à la protection des biens culturelsdans la première section. De la genèse de la protection des biens culturels jusqu’au secondprotocole à la convention de La Haye de 1999, nous présenterons les points forts des loisinternationales en vigueur. Puis nous verrons les limites de ces conventions et protocoles :de nombreux points d’ombre subsistent. En effet, les conflits d’aujourd’hui ne sont passemblables à la seconde guerre mondiale sur laquelle les institutions internationales se sontbasées pour légiférer. Aujourd’hui, les guérillas et les conflits internes sont omniprésents, etle droit s’y adapte doucement, notamment au travers du second protocole à la Conventionde La Haye.

2.1 Genèse du droit international sur les biensculturels :

25 BAHRANI (Z), « Iraq’s cultural heritage : Monuments, History and Loss », The Art Journal, vol.62 2003 p17

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2.1.1 De l’Antiquité au XXe siècleLes temps de conflits dans l’Antiquité et au Moyen-âge n’étaient pas très favorables auxbiens culturels. Le pillage était une habitude de guerre, et n’était régi par aucune loi. Seulesdes personnalités isolées, Cicéron en tête, prônèrent la modération dans la destruction etle pillage des lieux sacrés. 26

Ce fut à la renaissance que l’on se soucia vraiment pour la première fois du sort desœuvres d’art en droit. Les premières références à ce sujet apparaissent chez les auteursde droit international ; Emer de Vattel écrit, par exemple, que « pour quelque sujet que l’onravage un pays, les édifices doivent être épargnés s’ils font honneur à l’humanité » 27.

Cette approche n’est pas spécifique à l’Occident. En effet, d’autres civilisations sesont intéressées à la protection des biens culturels ; les lois islamiques en sont la preuve.C’est dans ce point de vue que le juriste égyptien Hamed Sultan rappelle que dans leslois islamiques « la distinction entre biens de caractère civil et objectifs militaires est uneobligation impérative »28, en s’appuyant sur les dires du premier calife Abu Bakr. Il affirmeque « dans la conception islamique, il y a une présomption que tout bien est de caractèrecivil, faute de preuve contraire ».

Les suites de la Révolution Française eurent un effet contraire à celui escompté : aulieu de respecter les œuvres d’art dans leur contexte, la supposée supériorité intellectuellede la France permit aux Français de ramener dans leur pays des œuvres venues de toutepart, contrairement à ce qui avait été coutume au cours des siècles précédents.

Le vent tourne à partir du XIXe siècle, et le revirement commence aux États-Unisrécemment créés. The Lieber Code, du nom du général qui introduisit ses règles pour lesarmées en campagne en 1863, eut une grande influence sur le développement du droitmilitaire d’autres pays. L’article 35 précise clairement que

« les œuvres d’art, les bibliothèques, les collections scientifiques, ou lesinstruments de grand prix, comme les télescopes astronomiques, etc., doiventêtre préservés, #…# de tout dommage qui n’est pas évitable, même quandils sont compris dans les places fortifiées qui subissent un siège ou unbombardement »29.

Ainsi, par ces exemples divers, on comprend que la protection des biens culturels n’est pasle fruit d’une seule civilisation, mais qu’au contraire, elle fut un souci universel. Cependant ledroit international du XIXe siècle et du XXe siècle fut développé dans les pays occidentaux,pour les pays occidentaux. Saura-t-il s’adapter à des situations hors de son contexte dedéveloppement ?

2.1.2 Les évolutions du droit international relatif aux biens culturelsau XXe siècle.

26 TOMAN (J), la protection des biens culturels en cas de conflit armé, Editions Unesco, 1994, p 1927 De VATTEL (E), le droit des gens ou principes de loi naturelle appliquées à la conduite et aux affaires des Nations et des

Souverains, livre III, chapitre 9, in Toman, 1994 p 2028 SULTAN (H), in les Dimension internationales du droit humanitaire, Unesco, 1986 in Toman, 1994 p 22

29 BLUNTSCHI (JG), Le droit international codifié, 5ème éd., Paris, 1895, p.362, in Toman

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Partie 2 : Les mécanismes de protection du patrimoine culturel durant les conflits armés : quelleefficacité ?

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À la veille du XXe siècle, l’idée d’une poursuite judiciaire des responsables de destructiondu patrimoine par une puissance occupante fait son apparition. La déclaration de Bruxelles,qui ne fut jamais ratifiée mais qui fut un pas dans la création de règles concernant lepatrimoine, en est la preuve. En effet, dans cette déclaration, « toute saisie ou destructionintentionnelle de semblables établissements, des monuments, des œuvres d’art ou desmusées scientifiques, doit être poursuivie par l’autorité compétente »30 si ces établissementsne sont pas utilisés à des fins militaires, bien sûr. Elle assigne également des devoirs auxoccupés, tel que « désigner ces édifices par des signes visibles spéciaux à indiquer d’avancepar l’assiégé »31.

La conférence internationale de la paix de 1907 donna naissance aux conventions de laHaye qui précisent et élargissent les règles concernant les biens culturels. Les conventionsIV et IX rappellent que toutes les mesures doivent être prises, « autant que possible », pour« épargner les édifices consacrés aux cultes, aux arts, aux sciences et à la bienfaisance,les monuments historiques »32. L’idée d’un emblème à apposer sur les lieux protégésen cas de bombardement naval vient aussi de la convention de La Haye de 1907 : leshabitants doivent signaler les lieux protégés (hôpitaux, édifices de culte, monuments..) parun rectangle séparé par une diagonale, noir en haut et blanc en bas. Les bases du droitinternational existant aujourd’hui sont posées : épargner le patrimoine « autant qu’il estpossible », poursuivre en justice les dégradations et saisies intentionnelles, faire participerla population à la protection desdits biens.

Ainsi, ce qui se dégage de ces différents textes de loi est la nécessité de protéger lepatrimoine culturel, dans la mesure où il n’est pas utilisé à des fins militaires. Malgré degrandes avancées par rapport aux siècles précédents, ces réglementations se révélèrentinsuffisantes : elles n’assurèrent pas une protection suffisante aux biens culturels durant lapremière guerre mondiale. Les armes se firent plus puissantes, la visée du tir étant doncmoins contrôlable. Il était donc difficile de garantir la protection d’un édifice. De plus, unedéfinition bien précise du patrimoine manquait. L’idée d’une « Croix d’Or », sorte de Croix-Rouge pour la protection des biens culturels, émergea mais n’aboutit point.

Paradoxalement, l’idée de la distinction entre protection générale te protection spécialene fut pas formulée dans une convention portant sur les biens culturels, mais par unecommission de juristes appelés à formuler des règles sur le contrôle de la radiotélégraphieen temps de guerre. Les règles de La Haye concernant le contrôle de la radiotélégraphieen temps en guerre et la guerre aérienne (1922) font alors les premières mentions de laprotection spéciale.

Enfin, le dernier traité d’importance avant la seconde guerre mondiale fut le PacteRoerich, toujours en vigueur : conclu par onze États de l’hémisphère occidental, il estimportant de noter qu’il s’applique en temps de guerre comme en temps de paix, et surtoutqu’il ne fait aucune concession quant à la « nécessité militaire » : en effet Toman signaleque, dans ce pacte, « aucune condition n’est mentionnée, même pas la condition de lanécessité militaire ».(Ibid. p.33)

Il est à noter le peu d’efficacité dont fit preuve la Société des Nations sur la questiondes biens culturels : en effet, un projet de convention élaboré par l’Office international des

30 Actes de la conférence de Bruxelles (1874), Bruxelles, p 8-2031 Ibid.

32 Article 27 du règlement de la Haye, annexé à la convention IV de la Haye, 1907. (cf. .Annexe 2)

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musées fut soumis à l’Assemblée générale de la SDN à l’automne 1938 ; ce projet n’aboutitjamais puisque la guerre éclata en 1939, avant que la convention ne prît forme.

2.1.3 La Seconde Guerre Mondiale :Durant la Seconde Guerre Mondiale, seules les dispositions des conventions de la Hayede 1907 étaient applicables, « même si elles ne le furent guère » (Ibid. p.37). Malgrécela, certains appareils furent mis en place pour protéger le patrimoine. Les États-Uniscréèrent, par exemple, l’American Comission for the protection and salvation of Artistic andHistoric Monuments in war Areas. Le général Eisenhower donna également des instructionsprécises quant à la sauvegarde des biens culturels. Comme il l’a été mentionné, dessaisies d’œuvres d’art massives ont eu lieu pendant la Seconde Guerre Mondiale, et c’estdans l’esprit des conventions précédant la Seconde Guerre Mondiale que le tribunal deNuremberg a condamné la prise d’objets d’art. La Convention de La Haye de 1954 sera,avec deux guerres mondiales de retard, l’instrument le plus complet pour lutter contre lesconflits à armes classiques.

La convention de La Haye sur la protection des biens culturels en cas de conflit armé,1954

La résolution 6.42 de 1949 prise à la IVe session de la Conférence générale del’Unesco, attirant l’attention sur la défense des biens de valeur culturelle, fut le départ d’uneprofonde étude des biens culturels en cas de conflit. Après plusieurs rapports et projetsde convention soumis aux États membres, une conférence intergouvernementale tint placeà La Haye, afin d’adopter une convention internationale sur les biens culturels en cas deconflit armé.

La convention adoptée lors de cette conférence « constitue l’un des instruments les plusimportants pour la protection des biens culturels en droit international contemporain » (Ibid.p.37) ; cette affirmation est encore valable aujourd’hui, comme nous le verrons dans lessections suivantes. Elle est, selon Toman, « un véritable code des biens culturels » (Ibid.)Cette convention mérite donc que l’on s’y attarde. Elle est en effet la première conventioninternationale consacrée entièrement aux biens culturels. Y a-t-il une contradictionentre biens culturels, c’est-à-dire provenant d’une culture spécifique, et une conférenceinternationale, c’est-à-dire qui engage toutes les parties dans les mêmes termes, sansdistinction ? Dans l’esprit de cette convention, cette dichotomie n’existe pas. La conventionse base sur l’idée que si l’État sur lequel est situé le bien culturel en est responsable, il fautnéanmoins lui assurer une protection internationale car il représente une grande importancepour tous les peuples du monde. Citation ici

Cette approche internationaliste du patrimoine, héritière des conventions de La Hayede 1907 et du concept avorté de Croix d’Or, est certes née à la suite des grandes spoliationsde la Seconde Guerre Mondiale. Mais elle est aussi à mettre en parallèle avec le renouveaud’un intérêt pour le passé de certains pays et le développement du tourisme culturel demasse quelques années plus tard.

2.2 La Convention de La Haye de 1954 sur laprotection des biens culturels en cas de conflit armé

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et les nouveaux instruments de droit internationalpour les biens culturels.

2.2.1 La Convention de La Haye sur la protection des biens culturelsen cas de conflit armé :

Nous verrons ici les caractères originaux de cette Convention. Sans en faire un commentairepoint par point comme l’a fait Toman, nous relèverons les points d’importance capitale.Décrite comme « une charte pour l’internationalisme culturel », cette Convention a aujour d’aujourd’hui 116 États parties ; sachant qu'il y a 192 États sont membres de l’ONUet que195 États sont reconnus dans le monde, ce nombre est assez considérable. -Ladéfinition qui figure dans cet article est « sans doute la plus large qui existe dans toutesles conventions concernant les biens culturels », écrit Jiri Toman en 1994. En effet, laConvention concernant la protection du patrimoine mondial de l’UNESCO ne concerne queles biens immeubles. Ainsi jusqu’au deuxième Protocole de 1999, cette définition était laplus large, et donc la plus protectrice. (Cf. INTRODUCTION, § 4).

La Convention englobe les biens « meubles ou immeubles », y compris les parchemins,bibliothèques et autres collections.

- Elle engage les deux parties au conflit : la responsabilité des biens culturels estimposée aux deux parties, alors que dans la plupart des instruments précédents, seull’attaquant avait des obligations.

- Elle maintient la notion de nécessité militaire ; le paragraphe 2 de l’article 4 stipule que :« Il ne peut être dérogé aux obligations définies au paragraphe premier du présent

article que dans les cas où une nécessité militaire exige, d'une manière impérative, unetelle dérogation. »33

- Elle met en premier plan l’obligation de sauvegarder et respecter les biens culturels,y compris en tant de paix (cf. annexe : article 1, 2 et 7).

- Elle spécifie le fait qu’une puissance occupante doit aider l’occupé à préserver lesbiens culturels :

« Les Hautes Parties contractantes occupant totalement ou partiellementle territoire d'une autre Haute Partie contractante doivent, dans la mesuredu possible, soutenir les efforts des autorités nationales compétentes duterritoire occupé à l'effet d'assurer la sauvegarde et la conservation de ses biensculturels. »34

Par contre, la Convention ne précise rien quant aux fouilles archéologiques dans lesterritoires occupés.

- Elle met en œuvre une protection spéciale un certain nombre de refuges pour lesbiens culturels, qui sont référencés dans un Registre international des biens culturels sousprotection spéciale : chaque Etat peut demander à obtenir la protection spéciale pour un

33 Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé de la Haye, 1954 : article 4, paragraphe 234 Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé de la Haye, 1954 : article 5, paragraphe 1

(annexe 2)

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bâtiment qui abriterait des biens culturels qui lui semblent dignes d’êtres mieux préservésque les autres.

2.2.2 Le premier protocole additionnelL’interdiction d’attaquer des biens culturels et des lieux de culte est plus absolue dans lepremier protocole additionnel que dans la convention de 1954 : en effet, la conventionprévoit qu’une « nécessité militaire impérative » puisse justifier une dérogation à l’interdictiond’attaquer. Le premier protocole, lui, ne prévoit aucune exception.

2.2.3 Le deuxième protocole additionnel de 1999Le deuxième protocole additionnel à la Convention de La Haye de 1954 est l’instrumentde lutte pour la protection du patrimoine culturel le plus récent. Sa création répond à deuxexigences : adapter la convention de La Haye aux réalités des conflits contemporains,y compris les conflits non internationaux ; à harmoniser la convention de La Haye avecles nouveaux instruments, du droit international, comme le Statut de la Cour PénaleInternationale de 1998. Le deuxième protocole remédie également aux omissions faitesdans la Convention de La Haye : il fournit un panel de mesures à appliquer en temps de paixcomme « l’établissement d’inventaires, la planification des mesures d’urgence pour assurerla protection des biens contre les risques d’incendie ou d’écroulement de bâtiments, lapréparation de l’enlèvement des biens culturels meubles ou la fourniture d’une protection insitu desdits biens, et la désignation d’autorités compétentes responsables de la sauvegardedes biens culturels » (cf. annexe 3, article 5). Cette protection pourrait s’avérer efficacepour éviter le pillage d’objets d’art (cf. ). Jan Hladik affirme que le nouveau régime de« protection renforcée » (cf. annexe 3, chapitre III) est plus facile à obtenir que celui de« protection spéciale » défini dans la Convention : le Comité pour la protection des Biensculturels qui attribue cette protection peut l’octroyer à la majorité des quatre cinquièmes deses membres, contre l’unanimité exigée par la Convention. 35 Enfin, la grande nouveautédu second protocole est qu’il englobe les conflits armés non internationaux (cf. annexe 3,article 22). À ce jour, le protocole n’a été signé que par 44 États.

2.2.4 La convention sur patrimoine mondial de 1972Le critère de valeur exceptionnelle est au centre de la convention de l’Unesco sur le

patrimoine mondial. La convention a été adoptée le 16 novembre 1972 à Paris, à la 17e

session (cf. annexe 4). La Convention ne spécifie pas qu’elle s’applique en cas de conflitarmé, mais rien ne s’oppose à son application telle qu’elle est formulée.

Le patrimoine culturel y est regroupé sous trois catégories :36

1) Les monuments :Œuvres architecturales, de sculpture ou de peintures monumentales, éléments ou

structures de caractère archéologique, inscriptions, grottes et groupes d’éléments, qui ontune valeur universelle exceptionnelle du point de vue de l’histoire de l’art ou de la science.

35 Hladik (J), Le deuxième protocole à la convention de la Haye de 1954 et les progrès de la législation humanitaire internationale,Museum International, vol. 55 n° 3-4, 2003

36 Destruction and conservation of cultural property, Robert Layton, Peter G. Stone, Julian Thomas, Routledge 2001, p 22

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2) Les ensembles :Groupes de constructions isolées ou réunies, qui, en raison de leur architecture, de leur

unité, ou de leur intégration dans le paysage, ont une valeur universelle exceptionnelle dupoint de vue de l’histoire, de l’art ou de la science.

3) Les sites :Œuvres de l’homme ou œuvres conjuguées de l’homme et de la nature, ainsi que les

zones y compris les sites archéologiques qui ont une valeur universelle exceptionnelle dupoint de vue historique, esthétique, ethnologique ou anthropologique.37

Ces définitions sont assez larges, et évitent l’emploi de mots tels que ‘villages’,‘temples’, ou ‘églises’. En conséquence, elles peuvent s’appliquer à toute forme de créationhumaine non-meuble.

Quant au terme ‘valeur exceptionnelle universelle’, il n’est pas défini dans la convention.Le comité pour le patrimoine mondial, composé de 21 des États parties à la convention,a eu pour tâche d’élaborer des critères détaillés afin de pouvoir choisir quels monumentssont éligibles au statut de ‘patrimoine mondial’. Six critères sont avancés par le comité dupatrimoine mondial ; en effet, la propriété culturelle doit :

∙ représenter un chef d’œuvre du génie humain, ou∙ présenter un important échange de valeurs humaines, ou∙ apporter un témoignage unique ou au moins à une civilisation ou à une tradition

culturelle vivante ou disparue, ou∙ être un exemple exceptionnel d’un type de construction ou d’ensemble architectural

ou de paysage qui illustre une période représentative de l’humanité, ou∙ être un exemple exceptionnel d’habitat humain ou d’usage du terrain représentatif

d’une culture (ou de cultures), en particulier lorsqu’elle est devenue vulnérable, ou∙ être directement associé avec des événements ou des traditions vivantes, des idées,

des croyances, des travaux littéraires ou artistiques d’ importance exceptionnelle etuniverselle.(Layton et al. 2001, p.24)

Il est important de noter, à l’instar d’Henry Cleere (Ibid.), que la présentation de nouveauxéléments du patrimoine à la liste du patrimoine mondial ne s’adresse pas qu’aux États :régions, gouvernements locaux et même ONG peuvent présenter un objet qu’ils pensentdigne d’être élevés au rang de patrimoine mondial.

2.2.5 Le Statut de la Cour Pénale Internationale de 1998L’article 8 du Statut de la CPI qualifie de crimes de guerres dans un contexte de conflitarmé international : « le fait de diriger intentionnellement des attaques contre des bâtimentsconsacrés à la religion, l’enseignement, l’art, la science ou les actions caritatives, desmonuments historiques, des hôpitaux, et des lieux où des malades ou des blessés sontrassemblés, à condition qu’ils ne soient pas des objectifs militaires »38

37 Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, titre I, article 1.Consultable en ligne : http://whc.unesco.org/fr/conventiontexte38 Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale, article 8 b. ix, 17 juillet 1998. Téléchargeable en ligne : http://www.icc-cpi.int/about.html

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2.3 Les conventions sur la lutte contre le trafic debiens culturels: la convention de l’Unesco de 1970 etla convention Unidroit.

Deux conventions codifient la lutte contre le trafic d’ « antiquités illicites ».39 : la Conventionde l’Unesco de 1970 et la Convention Unidroit de 1995.

2.3.1 La Convention de l’Unesco relative aux mesures à prendre pourinterdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert depropriétés illicites de biens culturels

Entrée en vigueur en 1972 pour lutter contre le trafic de biens culturels, elle ne s’adresse qu’àun certain type de biens : les biens meubles. Les États s’engagent, dans cette convention,sur quatre mesures essentielles, comprises dans les articles 6 et 7 (cf. annexe 3); lapremière est d’instaurer un contrôle sur l’exportation des œuvres, et la possibilité d’interdiretoute exportation d’un bien précis. Ils prennent également l’engagement d’empêcherl’acquisition d’œuvres exportées illicitement par les musées et institutions semblables. Ilsdécident d’interdire l’importation sur leurs territoires de biens culturels volés dans un muséeou institution similaire ; enfin, ils doivent prendre toute mesure pour saisir et restituer lebien culturel volé et importé dans leur pays, sous réserve que l’Etat requérant paye uneindemnité équitable.

Cette convention a été signée par tous les États principalement victimes du pillage,comme la Grèce, les États d’Amérique du Sud, ou l’Irak. Mais les grands États dits« receveurs », comme la Grande-Bretagne, ne l’ont pas signé.

2.3.2 Limites de l’application de cette conventionLe champ d’application est restreint : seuls les biens volés dans les musées peuventêtre restitués. De plus, aucune mesure n’est prise pour déterminer les responsabilités descollectionneurs et des vendeurs : le délit ne vient-il pas du fait qu’il existe un marché desantiquités ? Neil Brodie, spécialiste du sujet des antiquités illicites, soutient que la situationest devenue incontrôlable depuis les années 198040. En effet, les moyens de destructionsont devenus plus puissants, et la technologie moderne a permis d’explorer des zonesauparavant inaccessibles. De plus, une antiquité illicite peut changer d’acquéreur plusieursfois avant d’être acquise par un collectionneur privé ou institutionnel, et donc les originesillicites de son acquisition sont effacées. Enfin, dans la convention, rien n’indique qu’unepièce sera traitée comme volée si le pays requérant ne peut prouver qu’elle a été exportéeaprès la date d’application de la loi nationale. Neil Brodie donne l’exemple de la statueromaine Héraclès au repos : La partie supérieure de la statue apparaît aux États-Unisdans les années 1980, mais la partie inférieure de la statue a été découverte à Antalya, enTurquie, en même temps. Mais les propriétaires américains soutiennent que rien ne prouveque la partie supérieure a été volée après 1906, date de la loi sur le patrimoine de Turquie.La Turquie ne peut donc pas engager de poursuites.

39 Ce terme a été inventé par des archéologues pour mettre en évidence le fait que le patrimoine archéologique avait une spécificitémercantile : il était blanchi facilement, et prouver qu’il a été volé se révèle très difficile.40 BRODIE (N), L’Histoire volée : le pillage et le trafic illicite, vol.55, n°3-4 2003, p14

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2.3.3 La convention Unidroit de 1995 sur les biens culturels volés ouillicitement exportés

La Convention Unidroit sur les biens culturels volés ou illicitement exportés du 24 mars 1995(Cf. annexe 4) est beaucoup plus claire que le premier protocole à la convention de La Hayede 1954 et que la convention de l’Unesco que nous venons d’étudier. Si le bien a été volé, ildoit être restitué. Si le bien a été illicitement exporté, il peut être ordonné d’être rapatrié parun tribunal du pays d’accueil ; si l’exportation illicite ne cause pas un « réel dommage aupatrimoine de l’État demandeur », le retour n’est pas obligatoire. Cette attitude est réaliste,car les exportations illicites sont encore une pratique généralisée et leur régulation se faitpas à pas. Mais le désavantage majeur de cette convention est le nombre d’États-parties :seulement 28 États, dont la plupart sont des États victimes du trafic de biens culturels,l’ont signée, et ni les États-Unis, ni la Grande-Bretagne, les plus grands pays receveursd’antiquités exportées illicitement, ne l’ont signée.

2.4 Limites de ces conventions de droit international

2.4.1 La notion de nécessité militaire :La notion de nécessité militaire est définie dans le Code Lieber de 1863 comme

« ces mesures qui sont indispensables afin de sécuriser les fins de la guerre, et quisont légales vis-à-vis du droit commun et des coutumes de guerre »41. Il ne faut pas utiliserdavantage de violence que celle qui est absolument nécessaire.

Cette notion est souvent controversée en droit humanitaire, bien que ce ne soit pas undes sujets les plus épineux. Il est, en effet, généralement accepté que le terme « nécessitémilitaire » ne donne en aucun cas le pouvoir absolu aux forces attaquantes ou défendantes.

Mais, comme le signale Patrick Boylan, il y a un danger de tautologie : les actes interditspeuvent finalement être faits si le commandant déclare que c’est une question de nécessitémilitaire. Si un bien culturel (musée, site archéologique…) est utilisé par l’ennemi commebase militaire, alors il s’agit d’une nécessité militaire.

Toute la question est d’équilibrer l’avantage militaire avec les dommages collatéraux. Ilest parfois préférable de renoncer à la « nécessité militaire » lorsque le patrimoine culturelvisé est trop précieux, selon Patrick Boylan. C’est ce que les forces américaines ont soutenuavoir fait lors de l’Opération Tempête du Désert en Irak : selon les États-Unis, deux avionsMig 21 étaient positionnés à l’entrée de l’ancienne ville d’Ur. Même si les lois permettaientcette attaque, ils ont préféré choisir ne pas lancer d’opération militaire de peur de dommagescollatéraux sur le monument.(Ibid. p. 67) La nécessité se réfère donc à l’usage de facto debiens culturels dans une tactique d’attaque ou de défense.

Néanmoins, après la Seconde Guerre Mondiale, l’opinion s’est mobilisée pour fairevaloir le fait qu’il y avait des absolus dans la guerre dont même la « nécessité militairela plus pressante et la plus urgente ne peut surpasser » (Ibid. p. 72). Or, la nécessitémilitaire impérative est invoquée dans la Convention de La Haye de 1954. La bataille entreles délégués des armées et les États du bloc socialiste ainsi que la France, la Grèce, et

41 BOYLAN (P-J), Cultural protection in times of conflict, Illicit Antiquities, p67 London: Routledge 2002.

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l’Espagne fit rage ; au final, l’adhésion des États-Unis semblant indispensable, il fut consentiqu’une clause de nécessité militaire soit incluse. Mais alors que le Premier Protocole àcette Convention n’offre aucune dérogation à l’interdiction d’attaquer les biens culturels.Cependant, selon Eric David, l’article 53 du protocole est « sans préjudice » de la conventionde 1954, cela signifie que « cette dérogation reste invocable pour les États parties aux deuxinstruments, mais non pour ceux parties uniquement au Protocole additionnel »42. Or tousles pays qui ont adhéré au protocole additionnel ont également adhéré à la convention de LaHaye (Cf. annexe). Donc ils peuvent tous se référer à la Convention de La Haye de 1954 !Par conséquent, tous les États peuvent se ranger derrière la nécessité militaire.

Selon Toman, la nécessité militaire est indispensable au droit humanitaire. En effet, ilaffirme :

« L’histoire du droit et de la codification des règles humanitaires, y compris laprotection des biens culturels, montre que le droit humanitaire est le résultatd’un compromis entre la nécessité militaire et les principes de chevalerie etd’humanité. Le développement de ce droit va vers une plus grande humanisationde la conduite des opérations militaires, mais il ne doit pas restreindre lesopérations militaires au point de devenir impossibles. Si l’on dépassait cettelimite, ce serait néfaste pour le droit humanitaire lui-même, car cela conduirait àla violation de ces règles »43…

Par contre, Patrick J. Boylan semble prendre ses distances avec l’inclusion du concept denécessité militaire dans la Convention : pour lui, les Conventions de Genève de 1949 ontplacé

« des limites absolues sur le droit de représailles ou de contre-attaques, même pourles crimes les plus haineux »44.

On sent donc bien la différence de position entre un juriste de droit de la guerre (JiriToman) et un spécialiste du patrimoine culturel mondial (Patrick J. Boylan). Cette dichotomiede pensée se retrouve dans tous les débats autour de la protection des biens culturels encas de conflit.

2.4.2 Le nombre réduit d’adhérents :Le nombre d’États parties est, à l’heure actuelle, de 116 pour la Convention de La Hayede 1954, de 93 pour le premier Protocole additionnel, et de 44 pour le deuxième Protocoleadditionnel45. Pour la doctrine, ce nombre reste encore insuffisant.

De plus, Patrick J. Boylan signale que, malgré les déficiences des instruments légaux,l’obstacle majeur reste la négligence, ou le refus des Etats parties de respecter les règlesauxquels ils ont souscrit. La négligence peut les desservir : il est fait peu usage de laprotection spéciale, définie précédemment. Or elle serait très utile à la conservation desbiens pendant la guerre, et permettrait également d’éviter le pillage, notamment en Irak. Eneffet, si les biens précieux, tel le vase d’Uruk, avaient été gardés dans un lieu sous protection

42 Principes de droit des conflits armés, Eric David Bruylant 1994, p.24643 La protection des biens culturels en cas de conflit armé, Jiri Toman, « Convention : article 4 » p93

44 Patrick J. Boylan, « cultural protection in times of conflict », Illicit Antiquities, p70 London: Routledge 200245 Site internet de l’Unesco : Consultable en ligne : http://portal.unesco.org/culture/fr/ev.php-URL_ID=8450&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html

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spéciale, aurait-il disparu, puis été retrouvé en mauvais état ? Il est de mon avis que cettedisposition pourrait être beaucoup plus utilisée.

2.4.3 Les insuffisances de collaboration entre les États partieset l’Unesco : l’exemple du rapport d’activités du Monde Arabe,2000-2003

Son but est de rapporter l’état de la mise en œuvre de la convention de 1972 sur la protectiondu patrimoine mondial. C’était le premier rapport du genre ; les autres régions ont suivi peuaprès. Le nouveau rapport pour les États Arabes devrait être publié courant 2007.

Le rapport fait état d’un bilan plutôt négatif : selon les auteurs, la Convention est dansl’ensemble mal comprise par les États arabes. Certains points sont totalement éludés parces États, et d’autres sont mal mis en place. Voici un résumé de ces points :

Le bilan dressé par les auteurs du rapport est donc plutôt négatif, en particulier dans ledomaine de la coopération entre les niveaux locaux, nationaux et internationaux, ainsi quedans l’éducation et la formation à la protection du patrimoine culturel et naturel.

Le rapport lui-même présente, à mon avis, quelques problèmes :Jérusalem n’est pas incluse dans le rapport, alors que la vieille ville fait partie du

patrimoine en péril depuis 1981. Son inclusion au patrimoine mondial ayant été proposée parla Jordanie, et n’étant pas considéré comme faisant partie d’Israël46, Jérusalem ne peut pasêtre exclue d’un rapport d’activités sur le patrimoine du Monde Arabe. De plus, Jérusalemest située au cœur du conflit israélo-palestinien, en étant le centre des disputes de partagede territoires ;à ce titre, la ville subit de fortes pressions, et une menace permanented’endommagements due aux différentes attaques. (La position de Jérusalem sera détailléeau titre 3). Il est certes difficile de produire un rapport d’activités alors que la ville n’appartientà personne pour le moment. Néanmoins, son inclusion ayant été proposée par la Jordanie,ce rapport aurait pu être conduit par celle-ci, ou par un consortium d’experts de la région.L’absence de mention de Jérusalem dans le rapport fait vraiment défaut et n’a pas été traitéedans d’autres rapports jusqu’à 2007.

Un autre point à noter est le fait que le rapport ne fasse aucune mention du risque deconflits élevé dans la région. En effet, aucun des questionnaires retenus par l’Unesco nefait mention d’un risque de conflits pouvant porter atteinte au patrimoine. Pourtant, le titre IIde la Convention, ’Protection nationale et protection internationale du patrimoine culturel etnaturel’, il est demandé aux États Parties de ‘ prendre les mesures juridiques, scientifiques,techniques, administratives et financières adéquates pour l’identification, la protection, laconservation, la mise en valeur et la réanimation du patrimoine’47. La convention ne précisepas contre quoi le patrimoine doit être protégé ; il doit donc être entendu qu’il sera protégécontre toute menace à son intégrité. Le rapport fait mention des activités humaines commeune possible source de dégradation du patrimoine, mais ne présente que des questionssur la pollution aux alentours du site, les activités industrielles ou les constructions urbainesprès de la zone à protéger. Or le conflit armé est une activité humaine, mais il n’est enaucun cas mentionné. Pourtant, au moment du début du rapport d’activités, le Liban etl’Algérie sortaient d’une guerre civile, et la guerre du Golfe avait pris fin seulement neuf ans

46 L’État d’Israël fait partie du bloc «Europe et Amérique du Nord » dans la classification de l’Unesco.47 Convention pour la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, adoptée le 16 novembre 1972, titre II article 5 d).

Consultable en ligne : whc.unesco.org/fr/conventiontexte

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auparavant. Il est regrettable qu’un paragraphe consacré à la protection en cas de conflitarmé n’ait pas été intégré. En effet, cela aurait pu être utile en cas de futurs conflits dans lemonde Arabe (comme celui d’Irak en 2003, ou celui du Liban en juillet 2006).

Mais le problème vient-il du rapport ou de la convention elle-même ? Cette convention,en effet, ne fait pas mention de la protection dans les cas de conflit. Elle ne met pasde système répressif en place. Elle ne mentionne l’éducation au patrimoine que pour lapopulation locale. Or il faudrait aussi éduquer les attaquants (les soldats américains, parexemple, dans le cas de l’Irak) et les occupants. Le respect du bien culturel ne doit pasêtre circonscrit

2.4.4 Des situations encore non régulées : l’exemple des fouilles enterritoire occupé.

Le cas des fouilles en territoire occupé prouve qu’il y a encore des lacunes dans la protectiondu patrimoine culturel. Jusqu’à 1999, cette question n’était mentionnée que dans unerecommandation de l’Unesco « Définissant les Principes Internationaux à Appliquer enMatière de Fouilles Archéologiques » du 5 décembre 1956.48 Elle indique au paragraphe32 « Fouilles en territoire occupé » qu’en cas de conflit armé,

« Tout État membre qui occuperait le territoire d'un autre Etat devrait s'abstenirde procéder à des fouilles archéologiques dans le territoire occupé. En casde trouvailles fortuites, faites notamment au cours de travaux militaires, lapuissance occupante devrait prendre toutes les mesures possibles pour protégerces trouvailles, qu'elle devrait remettre à la fin des hostilités, de même quetoute documentation y relative qu'elle détiendrait, aux autorités compétentes duterritoire précédemment occupé. »49

Mais cette recommandation n’est qu’une suggestion de comportement. Le deuxièmeprotocole à la Convention de La Haye de 1954 reprend ces termes pour réguler les fouillesen territoires occupés. Le Protocole interdit les fouilles en territoire occupé sauf en cas dedanger majeur pour le patrimoine :

« Toute Partie occupant totalement ou partiellement le territoire d’une autre Partieinterdit et empêche, en ce qui concerne le territoire occupé : a. toute exportation,autre déplacement ou transfert de propriété illicites de biens culturels ; b. toutefouille archéologique, à moins qu’elle ne soit absolument indispensable auxfins de sauvegarde, d’enregistrement ou de conservation de biens culturels ;c. toute transformation, ou changement d’utilisation, de biens culturels visantà dissimuler ou à détruire des éléments de témoignage de caractère culturel,historique ou scientifique. 2. Toute fouille archéologique ou transformation ouchangement d’utilisation de biens culturels d’un territoire occupé doit s’effectuer,

48 Recommandation de l’Unesco Définissant les Principes Internationaux à Appliquer en Matière de Fouilles Archéologiques du 5décembre 1956. Consultable en ligne : <http://www.icomos.org/unesco/56recf.html>49 ibid.

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Partie 2 : Les mécanismes de protection du patrimoine culturel durant les conflits armés : quelleefficacité ?

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à moins que les circonstances ne le permettent pas, en étroite coopération avecles autorités nationales compétentes dudit territoire. »50

La définition de l’interdiction est ici assez claire ; seulement, ce protocole n’a pas étératifié par les puissances occupantes d’aujourd’hui : ni Israël (occupant des territoirespalestiniens), ni la Turquie (occupant des territoires chypriotes), ni les États-Unis (en Irak)n’ont ratifié ce protocole. Sa faiblesse réside évidemment dans son caractère facultatif. Iln’y a donc à ce jour aucun instrument légal international interdisant les fouilles en territoireoccupé pour de nombreux pays.Pour illustrer notre propos, voyons dans une troisième partiequelques conflits contemporains, dont le conflit israélo-palestinien, impliquant des fouillesen territoire occupé.

50 Deuxième protocole relatif à la Convention de La Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit

armé 1999, (cf. annexe 3)

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34 Coissard Pascale - 2007

Partie 3 : Situations conflictuellesd’aujourd’hui : y a-t-il uneamélioration ?

3.1 Le patrimoine culturel des territoirespalestiniens menacé par l’occupation?

Notre propos est ici de montrer tout d’abord, à quel point le droit international peut serévéler insuffisant dans certains cas; et à quel point le patrimoine peut en souffrir. Ensuite,nous essaierons d’affirmer ou d’infirmer l’hypothèse selon laquelle le patrimoine culturelpalestinien subit une « épuration », telle que subie par le patrimoine bosniaque et croatedans le conflit d’Ex-Yougoslavie. La Palestine représente-t-elle le « paradoxe patrimonial »qui caractérise la fin du XX è siècle ? La surenchère patrimoniale a-t-elle provoqué sadestruction ?

3.1.1 Les territoires palestiniens de 1949 à nos jours.Nous présenterons d’abord un bref historique de la région de Palestine, puis des territoirespalestiniens actuels.

La Palestine, selon l’Encyclopaedia Universalis, n’est« que la partie méridionale de la région syro-palestinienne – qui constitueelle-même, la corne occidentale du « Croissant fertile »-, voie de passageprivilégiée entre l’Asie et l’Afrique d’une part, et d’autre part, façade de l’Asie surla Méditerranée, fond asiatique du bassin oriental de cette mer ». 51

Cette voie de passage privilégiée pour les hommes et les marchandises fut doncpeuplée très tôt ; Une succession d’infiltrations sera la caractéristique de son histoire.Les incessantes invasions des grands empires voisins l’Égypte amenèrent les habitantsà se replier sur eux-mêmes et à créer « une idéologie socioreligieuse singulièrementpeu ouverte ». Le peuple de Judée, cherchant à conserver son identité et sa région,particulièrement Jérusalem, fonde la religion juive. Jérusalem est la capitale économiqueet spirituelle de la région, mais les villages sont d’une grande importance. Les Hébreuxseront maîtres de la région jusqu’en 64 av. JC, lorsque Rome soumet la région. La régiondevient alors Terre Sainte pour les Chrétiens. Au VIIe siècle, les premières conquêtesarabes se dirigent sur la Palestine et l’Égypte. Ils arabiseront et islamiseront la région ;les trois religions monothéistes cohabitèrent dans cette région à partir de cette période. Lapériode des Croisades fut caractérisée par la fondation du Royaume latin de Jérusalem en1099, qui fut définitivement éradiqué par les Mamelouks à la fin du XIII è siècle. Celui-ci se

51 Encyclopaedia Universalis, article « Palestine » Encyclopaedia Universalis Online, Consultable en ligne sur :

www.univ-lyon2.fr ( accès réservé)

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fit lui-même balayer par la force des conquêtes de l’Empire Ottoman, qui assit sa dominationsur la Palestine pour quatre siècles.

L’Histoire contemporaine de la Palestine commence lorsque le mouvement sionistecommence à encourager l’immigration des Juifs d’Europe en Palestine, car victimes depogroms, particulièrement en Russie. La révolte Arabe de 1916, encouragée par La Grande-Bretagne, donne un espoir de grand État Arabe dans lequel serait englobée la Palestine ;mais dans le même temps, les Britanniques se prononcent favorables à la création d’un« foyer national juif » dans la région. Ils se retrouvent également responsables d’un mandatsur la Palestine, qui dure jusqu’à 1947. Dès les années 1920, des troubles sanglantsopposent les Palestiniens aux immigrants juifs. Les violences dans les décennies suivantesamènent l’ONU à décider d’une partition de Palestine en 1947 : un État Juif et un État Arabeseraient quant à lui, n’a toujours pas vu le jour. Les États Arabes n’acceptent pas la créationde l’État d’Israël et, dans le sillage de cette création, la première guerre israélo-arabe éclate.Ce ne sera pas la dernière puisque le demi-siècle qui suit peut être considéré comme unconflit sans interruption. L’expression « Territoires Palestiniens » est, à partir de ce moment,utilisée pour désigner les territoires qui n’ont pas été annexés par l’État d’Israël et qui fontpartie de la Palestine historique. Ces territoires se réduisent aujourd’hui à la Cisjordanie,la partie Est de la ville de Jérusalem, et la bande de Gaza. Suite à la guerre des six Joursde 1967, Israël occupe ces territoires, mais est tenu de les restituer, selon la résolution 242du Conseil de Sécurité de l’ONU. Les territoires Palestiniens reçoivent ainsi une autonomieplus ou moins complète par les Accords d’Oslo de 1993, Et l’État d’Israël est reconnu parl’Autorité Palestinienne.

Le tracé d’un nouvel État a provoqué la séparation d’une partie de la populationpalestinienne de l’autre partie, mais aussi de nombreux lieux de culte. Le Mont du Temple(ou Haram Al Sharif), lieu sacré pour les trois grandes religions monothéistes, est en effetplacé sous autorité israélienne, comme le reste de la vieille ville de Jérusalem. Quelssont les effets de l’occupation israélienne de facto sur le patrimoine culturel des territoirespalestiniens, à Jérusalem et dans les Territoires Palestiniens ?

3.1.2 Jérusalem et les lieux saints : utilisation politique del’archéologie

Sur une proposition de la Jordanie, la vieille ville de Jérusalem a été inscrite au PatrimoineMondial de l’UNESCO en 1981, et a rejoint la liste du patrimoine mondial en péril en 1982.Il n’existe pas d’accord politique général sur le statut de la ville, et en pratique, la vieilleville de Jérusalem est sous contrôle israélien. Cependant, les Palestiniens, comprenant uneforte majorité musulmane, disposent d’une route pour accéder à la mosquée Al-Aqsa, laplus grande mosquée de Jérusalem, construite sur le Mont du Temple. Jérusalem stigmatiseles revendications religieuses de chaque communauté. Il faut ajouter à cela que le roi deJordanie Abdallah est le gardien des lieux saints musulmans de la ville.

Palestiniens et Israéliens s’accusent mutuellement de vouloir faire disparaître lesmonuments de l’autre. Les fouilles archéologiques sont la principale pomme de discorde :elles fragiliseraient certaines parties des monuments, dans le dessein de détruire oufragiliser les lieux saints de l’Autre. Mais les lieux saint sont si proches les uns des autresqu’il semble difficile d’endommager l’un sans nuire à l’autre. En effet, « Musulmans et juifs separtagent –ou plutôt font valoir leurs droits pour un même emplacement- le Mont du Temple,le Harram Al Sharif, emplacement du temple de Salomon et d’Hérode, place de l’ascensionde Mohammed au ciel. Les racines bibliques, notamment Abrahamiques, sont communes

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aux trois religions. »52 Le mur des Lamentations, lieu saint des Juifs et symbole nationalpour Israël, est à quelques mètres de l’Esplanade des Mosquées. Le schéma suivant rendclair la position des lieux saints :

Figure 3: lieux saints de Jérusalem 53

Les communautés palestiniennes et israéliennes s’accusent mutuellement à propos dece quartier de Jérusalem.

- Griefs Israéliens auprès des Palestiniens :Le grand Mufti de Jérusalem, première figure des Musulmans d’Israël et des Territoires

Palestiniens, aurait déclaré que « le mur des Lamentations n’avait aucune connexion avec le

52 Patrimoines et passions identitaires, sous la direction de Jacques Le Goff, Fayard 1998 p 37753 Droits d’image pour 7/7 Belgique Consultable en ligne : http://

www.7sur7.be/hlns/cache/fr/det/art_374009.html?wt.bron=hlnMatrix

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judaïsme »54. De plus, ils reprochent aux archéologues palestiniens, qui ont le droit d’exercerdepuis 1994, de vouloir détruire les preuves de l’existence du Premier Temple qui seraitsous l’Esplanade des Mosquées.

- Griefs des Palestiniens aux Israéliens :Les Palestiniens reprochent aux Antiquités Israéliennes de commencer la rénovation

d’une rampe et des fouilles à une distance trop proche de l’Esplanade des Mosquées, cequi mettrait en danger les fondations de la mosquée Al-Aqsa, et du dôme du Rocher.

Cette lutte sans fin n’a pas produit de conflit majeur pour le moment, mais continue dedonner lieu à des manifestations, comme celle du 9 février 2007 : proclamée « journée decolère » par des responsables religieux musulmans, des manifestants palestiniens contreles fouilles aux abords de la mosquée s’étaient heurtés à la police israélienne. 55

Dans tous les cas, ces fouilles archéologiques ne peuvent pas être considérées commepartie d’un conflit armé ; l’UNESCO elle-même n’a pas considéré la menace de conflit armécomme une raison pour inscrire Jérusalem sur la liste du patrimoine en péril56. Mais lesmanifestations partisanes autour de ces fouilles sont le symbole de la tension entre lescommunautés, et permettent de situer les revendications religieuses de chacun : En effet,la visite Voyons maintenant les situations de conflit dans les territoires palestiniens et leursimplications pour les biens culturels.

3.1.3 Situations de conflit depuis le déclenchement de l’Intifada Al-Aqsa, septembre 2000 :

Représailles armées : l’exemple de NaplouseAprès une trêve relative à la fin des années 1990, le conflit israélo-palestinien resurgit

avec le début d’une nouvelle Intifada (soulèvement de la population palestinienne) enseptembre 2000. L’élément déclencheur de ce soulèvement est la visite d’Ariel Sharon àl’esplanade des Mosquées. Ce soulèvement gagne rapidement les territoires palestiniens.Entre 2000 et 2004, l’armée israélienne fait des incursions répétées dans les TerritoiresPalestiniens, notamment à Naplouse, Jénine, Hébron et Gaza. Prenons l’exemple de la villede Naplouse : entre le 3 et le 21 avril 2002, les forces militaires israéliennes ont effectuéle bombardement aérien et terrestre de la ville pendant dix-huit jours, principalement surla vieille ville. 57 Pendant les opérations militaires, des bâtiments de toutes sortes ont étédétruits, dont des sites religieux et historiques : selon le 29è rapport périodique du comitédu Patrimoine Mondial de l’Unesco, 64 de ces bâtiments ont été gravement endommagés,dont 17 considérés comme ayant une valeur patrimoniale particulière par l’Université deGraz. 58 Une autre opération militaire, du 15 décembre au 4 janvier 2003, ont causé denouveaux dégâts.

Conséquences de guerre :le mur de séparation et la « route pour colons » d’Hébron.54 HAMMER, Reuven , Jewish Connection to the Temple Mount , Jerusalem Post 28 février 200155 « Violents affrontements sur l’Esplanade des Mosquées », 9 février 2007 Le Monde.fr

56 www.unesco.org , article la liste du patrimoine mondial : la ville de Jérusalem et ses remparts , paragraphe 2

57 Amnesty International, Shielded from scrutiny : IDF violations in Jenin and Nablus, Novembre 2002 p30. Consultable enligne: http://web.amnesty.org/library/index/ENGMDE151432002

58 Rapport d’avancement sur la protection du patrimoine culturel et naturel palestinien, 29è session, UNESCO chap IVparagraphe 14, p 4. Consultable en ligne : whc.unesco.org/archive/2005/whc05-29com-03B.Revf.doc

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Si l’on peut considérer que dès 2004, la situation est devenue plus stable, d’autresfacteurs, que l’on peut considérer comme des conséquences de la guerre, se sontmanifestés.

L’État d’Israël, voulant se protéger des attaques terroristes perpétrées par des sujetsPalestiniens, a décidé de construire un mur de séparation entre les Territoires Palestinienset l’État d’Israël lui-même. Bien que sa construction ait été suspendue et considérée illégalepar la Cour Internationale de Justice (CIJ),59 ce mur sépare des centaines de sites dupatrimoine archéologique et culturel de leur élément initial. Selon l’exposé écrit déposé parla Palestine pour l’avis consultatif de la CIJ, les dangers pour le patrimoine culturel sontnombreux :

« Le patrimoine culturel est un élément de l’identité culturelle de la communautépalestinienne et fait partie intégrante du patrimoine humain. Le mur sépare lescollectivités dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est,de centaines de sites du patrimoine archéologique et culturel. De plus, peud’opérations de sauvetage ont été menées pendant la construction du mur, ce quiindique qu’aucune évaluation adéquate des dommages à l’environnement et auxsites archéologiques n’a été réalisée avant le début des travaux »60.

Selon le même rapport, plus de 230 sites archéologiques importants ont été isolés dansla zone fermée, sans compter les sites de « moindre importance », que le rapport chiffrea 1750 (cimetières, sanctuaires tours, etc.). Ainsi, dans la zone de Ramallah, plus de 500sites se trouveront à l’ouest du mur, c’est-à-dire en territoire israélien. De plus, certains sitessont carrément détruits par la construction du mur, comme le site archéologique byzantinde Khirbet Salah, à Jérusalem.

En ce qui concerne la ville d’Hébron, d’autres conséquences indirectes du conflit ontprovoqué la destruction d’éléments du patrimoine culturel palestinien. La décision, par lecommandement militaire israélien, de la construction d’une « route pour colons », unevoie automobile réservée aux Israéliens non-arabes et interdites aux Palestiniens, a été audétriment de bâtiments historiques de la ville d’Hébron. De ce fait, le rapport sur la Palestinepublié par le Conseil international des Monuments et des Sites (ICOMOS) a établi que troisdes maisons de l’ère mamelouk avaient été rasées par des bulldozers israéliens pour faireplace à la nouvelle route.61La plupart de ces destructions sont des conséquences indirectesd’une guerre latente, qui se joue au quotidien et qui a pour but d’imposer sa force. Dans lescas mentionnés précédemment, peut-on parler, de destruction intentionnelle ?

3.1.4 Peut-on parler de tentative d’ « épuration culturelle » ?Comme mentionné dans la seconde partie de ce travail, une puissance occupante sedoit, selon la Convention de La Haye de 1957, de s’abstenir de toute hostilité dirigéecontre des biens culturels, ou de leur utilisation pour des buts militaires. Ces bâtimentstombent sous le coup de la Convention car ils correspondent à la définition du bien culturel

59 Procédure consultative de la CIJ, conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé ,juillet 2004. Consultable en ligne : www.icj-cij.org60 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, exposé écrit déposé par la

Palestine, 30 janvier 2004. Ibid.61 Rapport d’avancement sur la protection du patrimoine culturel et naturel palestinien, 29è session, UNESCO chap IV

paragraphe 14, p 4

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qu’utilise la Convention de La Haye : «les ensembles de constructions qui, en tant que tels,présentent un intérêt historique ou artistique »62. Si l’on peut remettre l’intérêt artistique deces immeubles, ils sont d’un intérêt historique indéniable ; elle marque la présence de ladynastie Mamelouk, maître de l’Égypte avant tout, en Palestine. De plus, Israël a ratifié laConvention le 3 octobre 1957.

Quel est l’agenda de l’État d’Israël derrière ces destructions et annexions de site?Certains Palestiniens le perçoivent comme une tentative de les priver de leur passé, et

de judaïser le territoire. Certains Israéliens y voient un retour d’un passé qui leur appartient ;en effet, la Cisjordanie est considérée comme le lieu historique sur lequel se sont installéesles tribus israélites 1000 ans avant Jésus-Christ. Le mur construit par l’État d’Israël ne faitqu’aggraver les choses : les territoires palestiniens, encore plus isolés, perdent encore unpeu de leur potentiel de tourisme religieux. Cette « guerre du patrimoine » a pour but delégitimer la présence d’Israël en minimisant le passé musulman de la région, et en mettanten valeur le passé judaïque. Cette position n’est pas tenable si l’on veut aboutir à unepaix entre les deux parties : la région du Proche-Orient est sacrée pour les trois grandesreligions monothéistes, mais aussi pour d’autres (Baha’is, Samaritains par exemple). Elleest aussi historiquement riche, puisqu’elle a vu se succéder des nombreuses civilisationsqu’il serait malheureux de nier, qu’elles soient juives, musulmanes ou chrétiennes. Le faitque de nombreux monuments religieux aient changé de fonction au fil des siècles, telle quela mosquée de Salah à Naplouse (auparavant une église byzantine), ou même la mosquéedu Dôme du Rocher à Jérusalem, est la preuve d’un multiculturalisme de la région qu’ilserait dangereux de nier.

3.1.5 Quelle compatibilité avec le droit international ?La valeur symbolique de ces monuments a disparu à jamais, et compromet la future industriedu tourisme palestinien. De plus, nombreux de ces bâtiments abritaient des commerces, cequi affecte l’économie des territoires palestiniens sur le long terme. Ces destructions sontpourtant contraires au droit international ; les conventions qui peuvent s’appliquer sont lessuivantes :

-Quatrième convention de Genève de 1949 :Article 53 : « il est interdit à la puissance occupante de détruire des biensmobiliers ou immobiliers, appartenant individuellement ou collectivement à despersonnes privées, à l’État ou des collectivités publiques, à des organisationssociales ou coopératives, sauf dans les cas où ces destructions seraient renduesabsolument nécessaires pour des opérations militaires.»63 Article 147 : «Lesinfractions graves visées à l'article précédent sont celles qui comportent l'unou l'autre des actes suivants, s'ils sont commis contre des personnes ou desbiens protégés par la Convention : l'homicide intentionnel, la torture ou lestraitements inhumains, y compris les expériences biologiques, le fait de causerintentionnellement de grandes souffrances ou de porter des atteintes gravesà l'intégrité physique ou à la santé, la déportation ou le transfert illégaux, la62 Convention de La Haye pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, art.1, a (annexe 2)63 Quatrième Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, 12 août 1949, titre

III, Statut et traitement des personnes protégées, section III « territoires occupés », article 53 . Consultable en ligne : http://

www.icrc.org/dih.nsf/FULL/380?OpenDocument

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détention illégale, le fait de contraindre une personne protégée à servir dans lesforces armées de la Puissance ennemie, ou celui de la priver de son droit d'êtrejugée régulièrement et impartialement selon les prescriptions de la présenteConvention, la prise d'otages, la destruction et l'appropriation de biens nonjustifiées par des nécessités militaires et exécutées sur une grande échelle defaçon illicite et arbitraire.»

-Convention de La Haye sur la Protection des biens culturels en cas de conflit armé de 1954:Article 5, Occupation :

« Les Hautes Parties contractantes occupant totalement ou partiellementle territoire d'une autre Haute Partie contractante doivent, dans la mesuredu possible, soutenir les efforts des autorités nationales compétentes duterritoire occupé à l'effet d'assurer la sauvegarde et la conservation de ses biensculturels. »

Le Protocole à la convention de La Haye de 1999 renforce la protection des biens culturels,et complète la Convention.

Article 7, Précautions dans l’attaque« Sans préjudice des autres précautions prescrites par le droit internationalhumanitaire dans la conduite des opérations militaires, chaque Partie au conflitdoit : #…# d’annuler ou interrompre une attaque lorsqu’il apparaît que : i.l’objectif est un bien culturel protégé en vertu de l’article 4 de la Convention ; ii. l’on peut attendre qu’elle cause incidemment aux biens culturels protégés envertu de l’article 4 de la Convention, des dommages qui seraient excessifs parrapport à l’avantage militaire concret et direct attendu. »

Le protocole précise donc que l’avantage militaire doit être bien supérieur aux pertesculturelles, ce qui n’était pas présent dans la Convention. Or la plupart du temps, une perted’un bien culturel est irréparable, ce qui renforce nettement l’impossibilité de conduire desactions militaires à l’encontre des biens culturels.

Article 9 Protection des biens culturels en territoire occupé :« 1. Sans préjudice des dispositions des articles 4 et 5 de la Convention, toutePartie occupant totalement ou partiellement le territoire d’une autre Partie interditet empêche, en ce qui concerne le territoire occupé : #…# c. toute transformation,ou changement d’utilisation, de biens culturels visant à dissimuler ou à détruiredes éléments de témoignage de caractère culturel, historique ou scientifique. »

Dans le cas du conflit israélo-palestinien, le protocole est rendu inutile par le fait qu’Israëln’y est pas partie contractante.

Cependant, il faut également penser aux obligations qu’ont les autres parties, i.e. lapartie occupée. En effet, selon l’article 5 de la Convention de La Haye,

« Toute Haute Partie contractante dont le gouvernement est considéré par lesmembres d'un mouvement de résistance comme leur gouvernement légitime,attirera si possible l'attention de ces membres sur l'obligation d'observer cellesdes dispositions de la Convention qui ont trait au respect des biens culturels. »

Le gouvernement palestinien est considéré comme un mouvement de résistance, mais iln’est pas reconnu comme État. Il ne peut donc être partie aux conventions, et n’a droit qu’à

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un statut d’observateur à l’ONU et à l’UNESCO. Cet état de fait mène à une impasse quantà une protection efficace des biens culturels en territoires palestiniens.

3.1.6 Quelle action de la part de la communauté internationale ?Le principal problème des biens culturels palestiniens est certainement le fait qu’aucun n’estinscrit sur la liste du patrimoine mondial. La vieille ville de Jérusalem fait partie du patrimoinemondial depuis 1981, mais a été proposée par la Jordanie et est aujourd’hui administréeconjointement par les autorités palestiniennes et israéliennes.

Pour l’instant, aucune des biens culturels et naturels palestiniens n’a été classé,alors qu’ils sont situés dans une des régions les plus représentatives des migrationsméditerranéennes et de la mixité religieuse.

Suite aux destructions provoquées par les incursions israéliennes, le Comité duPatrimoine Mondial a décidé, dans sa 26e session, d’un projet de liste indicative dupatrimoine culturel et naturel du patrimoine palestinien, ainsi que d’un cours de formation àla Convention du patrimoine Mondial pour les professionnels palestiniens du patrimoine àRome64. Ce cours a été annulé, suite au début des hostilités en Irak. À ce jour, cinq ans aprèsla mission du comité en Palestine, aucun des biens culturels palestiniens n’a été inscrit auPatrimoine mondial, ni même sur liste indicative.

Peut-on pour autant placer les destructions israéliennes à Naplouse et Hébron enparticulier, sur un pied d’égalité avec le conflit serbo-croate, où une véritable épurationculturelle a eu lieu ?

« Musulmans et juifs se partagent –ou plutôt font valoir leurs droits pour unmême emplacement- le Mont du Temple, le Harram Al Sharif, emplacement dutemple de Salomon et d’Hérode, place de l’ascension de Mohammed au ciel.Les racines bibliques, notamment Abrahamiques, sont communes aux troisreligions. »65

Pourquoi ne pas inscrire les biens Palestiniens sur la liste du patrimoine en péril d’urgence,comme cela a été fait pour la vieille ville de Dubrovnik en 1991 ? Même si les territoiresPalestiniens ne sont pas membres des organisations internationales, leurs biens peuventy être introduits par un autre État, comme cela a été fait par la Jordanie pour la vieille villede Jérusalem.

L’occupation n’est pas le seul danger qu’encoure le patrimoine culturel en situation deconflit : le pillage est également un fléau. L’exemple récent de la guerre d’Irak l’a montrésans équivoque.

3.2 Le pillage pendant la guerre d’Irak : un « irrespectmonumental »66

64 Rapport sur la mise en œuvre des décisions de la 26 ème session du comité du patrimoine mondial concernant la protectiondu patrimoine culturel dans les territoires palestiniens, 23 juin 200365 LE GOFF (J). Patrimoines et passions identitaires, Éditions du Patrimoine. 1998 Fayard, p 37766 Titre original de l’article de Sinan Antoon: Monumental disrespect, Middle East Report, Automne 2003 n° 228, p28-30

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L’Irak est l’actuel emplacement de la Mésopotamie, berceau de nombreuses civilisations.Selon Hirad Abtahi, juriste auprès des chambres du tribunal pénal international pour l’Ex-Yougoslavie, il semble que les forces armées américaines ayant intervenu en Irak auprintemps 2003 ont respecté les règles de conduite des hostilités quant au patrimoineculturel. Mais malheureusement, « ledit respect a été réduit à néant par le fait qu’onn’ait pas vigoureusement empêché les immenses pillages et destructions des institutionsculturelles ».67

3.2.1 L’Irak et sa relation à l’HistoireSelon Zainab Bahrani, professeur d’Histoire de l’Art du Proche-Orient à l’Université deColumbia, l’Irak compte deux moments historiques qui ont une signification mondiale : lepremier est le phénomène d’Uruk, 4000 ans av. J.C. C’est, selon elle, la première révolutionculturelle, qui comprend le développement de villes, la première architecture monumentale,et l’invention de l’écriture68. Le deuxième événement d’impact mondial qui se produisit en

Irak est la période du règne de la dynastie Abbaside, entre le VIIIème et le Xème siècleaprès J.C. Ce moment est aussi appelé « l’Age d’or de Bagdad », car la ville était un centreculturel sans pareil dans le monde ; elle était le centre de développement des arts et dessciences, l’endroit où l’on préservait les traductions des textes grecs de l’Antiquité classique.Ces moments de l’Histoire sont des tournants que l’on peut comparer à la RenaissanceItalienne ou aux Lumières.

Néanmoins, il ne faut pas oublier le fait que les monuments et le patrimoine culturel, bienqu’ils puissent avoir une signification au niveau mondial, sont aussi une source puissanted’identités et d’histoires locales.

3.2.2 L’invasion américaine de 2003À la fin de la période d’invasion par les troupes Américaine et leurs alliés, en avril 2003,l’armée et la police irakiennes furent immédiatement dissoutes ; le temps que les troupesAméricaines tentent de sécuriser les villes, il y eut un moment vide dans le maintien del’ordre et le respect de la loi. Selon Nicholas Wood, journaliste britannique et auteur del’essai War crimes or just war ? a case for indictment sur la guerre en Irak, tous lesprisonniers ont été libérés à ce moment, même si certains étaient de vrais criminels69.Le résultat ne se fit pas attendre : plusieurs musées et sites archéologiques furent pillés,afin de vendre les objets volés sur le marché international des Antiquités. Les troupesaméricaines ont aussi reconnu avoir détruit les archives nationales de Bagdad, ainsi queplusieurs bibliothèques coraniques.70 Mais nous nous attarderons ici sur le pillage plus quesur les autres dommages causés au patrimoine. Au départ, l’armée Américaine ne s’étaitpas préoccupée du pillage qui avait lieu dans les musées, les sites archéologiques ou lespropriétés des hauts fonctionnaires du parti Ba’ath. Quand les instructions de la Maison-

67 ABTAHI Hirad, “le patrimoine culturel iraquien à l’épreuve de l’intervention militaire du printemps 2003”, Actualités et droitinternational, Consultable en ligne : http://www.ridi.org/adi , mai 200368 Zainab Bahrani, « Iraq’s cultural heritage : Monuments, History, and loss », The Art Journal june 2003, p1469 Nicholas Wood, War crimes or just war ? a case for indictment, chapter 7 : « case studies : despoliation of museums, librariesand archaelogical sites », p 11770 Ibid., p 117

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Blanche arrivèrent, il était déjà un peu tard : l’anarchie s’était déjà installée, et même leshôpitaux et les maisons étaient pillés. 71

Nicholas Wood établit une liste des musées et autres édifices qui ont été pillés. On ycompte, ne serait-ce qu’à Bagdad :

∙ -Le musée national de l’Irak∙ -La bibliothèque et les archives nationales de Bagdad∙ -La bibliothèque des Corans et du Waqf∙ -Le musée de l’archéologie de Bagdad

C’est sans compter les sites archéologiques tels que Nimrud, Ninevah Hatra qui datent del’époque sumérienne et sont considérés par les archéologues comme les sites du berceaude la civilisation.

Zainab Bahrani, dont le lectorat est majoritairement Américain, construit un parallèleintéressant entre la perte du World Trade Center et celle du patrimoine culturelmésopotamien : bien que la destruction du World Trade Center soit un événement d’unesignification mondiale, les New-Yorkais l’ont ressenti d’une manière différente, car celafaisait partie de leur horizon quotidien. Il en est de même pour les Mésopotamiens qui ontvu disparaître leur patrimoine culturel, par le pillage ou par les dommages de guerre. 72

L’éducation au patrimoine et la prise de conscience de son importance semblent être desdomaines à approfondir pour les États, sans toutefois en faire une utilisation propagandiste.Néanmoins, il faut rappeler que même si le pillage n’existait pas, le patrimoine culturel seraitde toute façon en danger : les dommages collatéraux ne l’épargnent pas toujours. Prenonsl’exemple de la guerre israélo-libanaise de juillet 2006 pour illustrer notre propos.

3.3 Dommages collatéraux : la guerre du Liban deJuillet 2006

3.3.1 Contexte politique de la guerre au Liban de juillet 2006Le conflit israélo-libanais débute le 12 juillet 2006, après un accrochage entre les soldatsdu Hezbollah, parti politique libanais, et l’armée israélienne à la frontière. La capture dedeux soldats israéliens par le Hezbollah, en vue de les échanger, provoque une opérationratée de Tsahal, entraînant la mort de plus de soldats israéliens. L’opération « changementde direction » est lancée par Israël contre tout le Liban (sauf le Chouf) dans le butd’éradiquer toutes les implantations du Hezbollah73. Le bilan humain est lourd : 1000civils du côté libanais, 150 du côté israélien. Le bilan des destructions des infrastructuresciviles est également sévère, surtout dans le Sud Liban: un rapport d’Amnesty Internationalen témoigne. Ce rapport, intitulé Israël-Liban : Destructions délibérées ou »dommagescollatéraux » ? Les attaques israéliennes contre les infrastructures civiles, dénonce lesdestructions massives dues aux bombardements aériens et terrestres.

71 Ibid., p 11872 BAHRANI (Z.), « Iraq’s cultural heritage : Monuments, History, and loss », The Art Journal june 2003, p14

73 FRANCOIS (D.), Tsahal dresse un bilan mitigé de sa guerre contre le Hezbollah. Libération, 5 août 2006 : http://www.liberation.fr/actualite/monde/197231.FR.php

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La protection du patrimoine culturel en cas de conflit armé : enjeux et limites du cadreinternational

44 Coissard Pascale - 2007

« Les délégués d'Amnesty International qui se sont rendus dans le sud duLiban ont fait les mêmes constatations village après village : les rues, et surtoutles rues principales, sont éventrées sur toute leur longueur par des cratèrescreusés par les tirs d'artillerie. Dans certains cas, des impacts de bombes àsous-munitions sont visibles. Des maisons qui avaient été la cible de missiles àguidage de précision ont été détruites en totalité ou en partie. Les commerces– supermarchés, épiceries, garages ou stations-service – ont été visés, le plussouvent par des projectiles d'artillerie et des munitions à guidage de précisionqui ont déclenché des incendies et détruit le matériel et les stocks. La destructiondes supermarchés et des stations-service, s'ajoutant aux coupures d'électricitéet au fait que les produits alimentaires, entre autres, n'étaient plus livrés dans lesvillages, a joué un rôle déterminant dans le départ des habitants. »74

Les délégués d’Amnesty mettent donc l’accent sur la destruction des villages et des bienscivils, dont les biens culturels font partie si aucune des lois spécifiques aux biens culturelsne s’applique. Ce n’est pas le cas, le Liban et Israël sont États-Parties à la convention deLa Haye de 1954, mais pas au deuxième protocole. Dressons un bilan des dommages aupatrimoine culturel durant cette guerre.

3.3.2 Les « fleurons du patrimoine libanais épargnés »Envoyée le 10 septembre au Liban pour faire un état des lieux du patrimoine culturelaprès la guerre, la mission internationale de l’Unesco fait un état des lieux plutôt positif :« Les dégâts les plus sérieux concernent le site du patrimoine mondial de Byblos, touchépar une marée noire provenant des citernes de la centrale électrique de Jiyyeh, ce quireprésente un problème écologique pour une large zone de la Méditerranée orientale »75.Des fissures se sont également aggravées sur le site du patrimoine mondial de Baalbeksuite aux vibrations des bombardements. La mission ne s’en est pas tenu aux sites dupatrimoine mondial, mais n’annonce aucune destruction, à part l’endommagement dequelques maisons dans le centre historique de Baalbek ainsi que le souk de la ville. Lasous-directrice de l’Unesco, Mme Françoise Rivière, a rappelé l’importance capitale dupatrimoine culturel, « indispensable pour assurer la cohésion sociale au Liban » et l’aconsidéré comme le « symbole de la diversité et de la tolérance de ce pays »76. En effet,dans un pays où les divisions sociales, ethniques et religieuses sont aussi prégnantes qu’auLiban, le patrimoine culturel commun peut jouer un rôle de catalyseur de l’identité nationale.On ne peut donc que se féliciter de leur dégradation minime, et reconnaître que l’action del’Unesco a un impact certain sur le respect des biens culturels.

3.3.3 La « nécessité militaire » dans le conflit israélo-libanais

74 Israël-Liban : Destructions délibérées ou »dommages collatéraux » ? Les attaques israéliennes contre les

infrastructures civiles. Amnesty International, Août 2006. Consultable en ligne : http://web.amnesty.org/library/Index/

fraMDE18007200675 LE FOURNIS (I) La mission de l’UNESCO fait le point sur les dommages occasionnés par la guerre au patrimoine culturel duLiban, 19 sept. 2006. Consultable en ligne : http://whc.unesco.org/fr/actualites/28376 EDELMANN, (F.). Les Fleurons du patrimoine épargnés par la guerre, Le Monde, 22 septembre 2006.

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Partie 3 : Situations conflictuelles d’aujourd’hui : y a-t-il une amélioration ?

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« Israël a lancé des attaques délibérées et de grande ampleur contre desinfrastructures civiles publiques, parmi lesquelles des centrales électriques, desponts, de grands axes routiers, des ports maritimes et l'aéroport internationalde Beyrouth. Selon toute apparence, il s'agit là d'équipements civils. Desresponsables israéliens ont déclaré aux délégués de l'organisation quel'utilisation militaire potentielle de certains biens, comme l'électricité ou lecarburant, en faisait des cibles militaires légitimes. Même s'il est possible desoutenir que certains de ces biens sont des objectifs militaires (parce qu'ils ontun double usage), Israël est tenu de vérifier que le principe de proportionnalitén'est pas remis en cause par les attaques lancées contre ces objectifs. Parexemple, une route qui peut être empruntéepar des véhicules militaires conserveun caractère essentiellement civil. »77

Le principe de « nécessité militaire » est donc invoqué par Israël puisque des biens civilssont transformés en cible militaire par leur possible utilisation à des fins d’attaques. Était-ildonc de nécessité militaire que de détruire ponts, routes et autres infrastructures civiles ?Là encore, la notion de nécessité militaire est trop vaste pour pouvoir le déterminer, et ilfaut s’en remettre à la bonne foi de l’attaquant. Malgré cela, il faut reconnaître le respectqu’Israël a voué aux biens du patrimoine culturel libanais. Il existe une claire différenceentre la façon dont le passé libanais et le passé palestinien sont traités par Israël : on peutavancer que c’est parce qu’Israël n’a pas d’objectif d’expansion sur le territoire libanais,contrairement à ce qui se produit dans les territoires occupés. Là encore, on retrouve laquestion de l’identité : Israël ne se sent pas menacée par le patrimoine libanais donc il estrespecté. Le passé palestinien peut quant à lui être plus gênant pour sa légitimité.

3.4 Un point de comparaison : la Croatie, 1991-1995La situation initiale avant le conflit en Croatie et avant ceux du Moyen-Orient estcomparable : en effet, la Croatie était un pays multiethnique, pluri-religieux, au carrefour descultures européennes, ayant subi de nombreuses influences historiques au fil des siècles.La Croatie est, comme le Liban, l’Irak ou la Palestine, riche de monuments religieux dediverses confessions. C’est un carrefour culturel, caractérisé par la diversité culturelle ethistorique ainsi que la richesse du patrimoine culturel.

Pays de l’Europe de l’Est partie de l’ex-Yougoslavie, la Croatie a connu un conflitinterethnique violent, de 1991 à 1995. En de nombreux points, ce conflit se rapprochede celui de l’Irak, du Liban et des territoires palestiniens (puissance occupante, rivalitésethniques et religieuses…), et notamment dans les dégâts que le patrimoine culturel a subis.Nous essaierons ici de montrer

∙ comment le patrimoine a été transformé en cible dans les conflits du Moyen-Orient etdans le conflit d’ex-Yougoslavie

∙ que la protection que semble garantir l’inscription au patrimoine mondial semble d’uneefficacité limitée

77 Israël-Liban : Destructions délibérées ou »dommages collatéraux » ? Les attaques israéliennes contre les

infrastructures civiles. Amnesty International, Août 2006. Consultable en ligne : http://web.amnesty.org/library/Index/

fraMDE180072006

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46 Coissard Pascale - 2007

∙ que la prévention et la reconstruction semble avoir été mieux organisée en Croatiequ’en Irak.

∙ que l’exemple du traitement du patrimoine croate devrait être un modèle pour lesconflits au Moyen Orient.

De nombreuses opérations militaires menées contre la Croatie l’ont été par l’arméePopulaire (JNA), l’armée fédérale et la République de Serbie. La destruction du patrimoinereligieux, comme la cathédrale de Šibenik, les églises de Zadar, ou encore l’église gothiquedu village de Zandar semble avoir fait partie des objectifs militaires, selon Branka Sulc,spécialiste du patrimoine croate ; le but étant de voir les valeurs que portaient ces objetsculturels disparaître.78

En effet, la Croatie a subi de nombreux dommages dans le domaine culturel,notamment dans le nord du pays et dans la ville de Dubrovnik. Le centre historique, classéau patrimoine mondial, a été détruit par l’armée de libération serbe. Pourtant, il semblequ’une forte mobilisation de la communauté internationale et des habitants ait réussi à limiterles dégâts causés par les incursions serbes.

La guerre ayant été une surprise pour les Croates, la mobilisation pour sauver lepatrimoine culturel a dû être rapide et soudaine. En conséquence, une grande partiedu patrimoine meuble a pu être déplacée, enfouie ou envoyée en Hongrie voisine pouréchapper à la destruction. 79 Selon B. Sulc, « toutes les mesures possibles ont été prises parles institutions locales et le contact avec l’Unesco a été permanent dès le commencementde la guerre ».80 Les experts du patrimoine croate se sont retrouvés dès le début de l’année1991, date du début du conflit, à Zagreb, pour définir les différents types de dommagede guerre qui pourraient advenir aux musées et galeries Croates. Dès le premier moisde l’entrée en conflit, les travaux de rédaction d’une liste de toutes les pièces culturellesexistantes en Croatie ont été commencés, au cas où la Croatie devrait faire appel à l’Unescoou à Interpol pour retrouver les pièces disparues. Enfin, après la fin du conflit, un projet deretour des propriétés culturelles de la Croatie a été mis en place par ICOM, avec le soutiende l’Unesco.

De l’exemple croate, l’on peut tirer trois choses : Premièrement, il est certains casoù le label patrimoine mondial n’est pas efficace contre les bombes. Deuxièmement, lesCroates, ainsi que la communauté internationale telle que représentée par l’Unesco, s’estmobilisée dès le début du conflit pour sauvegarder le plus d’objets d’arts possibles ; cettedémarche aurait pu créer un précédent, et être mise en place dès le début du conflit irakiende 2003. Pourtant le musée de Bagdad a été saccagé et pillé. Enfin, le conflit croate étaitpeu prévisible ; celui d’Irak l’était, et était annoncé. Comment se fait-il que la protection enCroatie ait été plus efficace qu’en Irak ?

Une des raisons est certainement le manque de moyens irakiens. L’Irak n’avait pas lesoutien du Conseil de l’Europe, n’avait pas les mêmes moyens associatifs que la Croatie. Ilétait donc plus difficile d’éviter les pillages. La deuxième raison est certainement la confianceplacée en l’armée Américaine quant à la destruction de monuments. Il est vrai que peude monuments ont été directement touchés par les bombes ou les tirs américains. Mais lepillage, rendu plus facile par la panique régnant dans un moment de guerre, était prévisible,

78 « The protection of Croatia’s cultural heritage during war 1991-1995 », Branka Sulc, in Destruction and conservation of culturalProperty, One World Archaeology,. London: Routledge 2001, p 158

79 Ibid.80 Ibid.

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Partie 3 : Situations conflictuelles d’aujourd’hui : y a-t-il une amélioration ?

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et une protection aurait du être mise en place comme en Irak. Pourquoi ne pas avoir placéle vase d’Uruq, l’une des plus belles pièces du musée de Bagdad, en sûreté dans un paysfrontalier ou dans une pièce souterraine.

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Conclusion : Redéfinir le rôle dupatrimoine culturel ?

Pour une redéfinition du rôle du patrimoine culturel« Si l’engouement pour le patrimoine a conforté de bonnes orientations de l’État, descollectivités et des individus en faveur du patrimoine, nous avons vu aussi commentles perversions identitaires ont pris le patrimoine de l’Autre comme enjeu politique etmilitaire. »81’ Jacques Le Goff rejoint notre pensée : la patrimonialisation est, comme nousl’avons vu, à indexer sur une phase de repli identitaire des peuples. Son rôle d’expositionde l’altérité en fait un catalyseur des tensions, comme en Irak ou en territoires Palestiniens.Par conséquent, il nous semble aujourd’hui important d’examiner la valeur symbolique dupatrimoine culturel dans son contexte national, voire régional, plutôt que d’évaluer sa valeuruniverselle. Il faudrait donc peut-être privilégier une approche locale, centrée sur la miseen œuvre d’une zone tampon autour du bien culturel plutôt qu’une approche globalisantecomme la liste du patrimoine mondial. Aujourd’hui, on peut s’interroger sur la réalité del’intention culturelle des États derrière la nomination de leurs biens patrimoine mondial :l’utilisent-ils comme label touristique ou comme garantie de sécurité pour le bien ? Nevoyons pas cette liste comme un tout négatif : même si les États n’en font pas leur butpremier, elle permet une protection renforcée de certains lieux qui subissent des pressions,qu’elles proviennent de la pollution, d’un conflit armé ou d’une surcharge touristique.

Ainsi, deux situations se dégagent : l’une, en temps de paix, où il faudrait éviter depatrimonialiser à outrance, car cela réveille les passions identitaires des peuples. L’autre,où il faudrait voler au secours du patrimoine culturel lorsqu’un conflit vient ou est sur lepoint d’éclater. L’action de protection du patrimoine doit donc être rapide, en temps de paixcomme en temps de guerre.

Comment ces conclusions influeraient sur la liste du patrimoine mondial ? Faudrait-ilchoisir les sites du patrimoine mondial en fonction de leur situation conflictuelle ? Faudrait-il privilégier les sites en zone conflictuelle ? Dans ce cas, cette liste ne serait plus celledu patrimoine à vocation mondiale, mais du patrimoine culturel international en péril. Cepourrait être une solution envisageable si la tendance au repli identitaire se poursuivait.

Il reste néanmoins le problème exemplifié dans ce travail par les TerritoiresPalestiniens : quid des territoires qui ne sont pas sous souveraineté d’un État, et qui nesont donc membres d’aucune convention ? Même si l’Unesco octroie des fonds pour laréhabilitation du patrimoine culturel palestinien82, il ne lui est pas permis d’adhérer auxinstruments internationaux. Dans ces situations, les États concernés devraient pouvoir

81 LE GOFF (J), Patrimoines et passions identitaires, Éditions du Patrimoine. Fayard 1998, p 1382 Décision 26.COM.6.1- Protection du patrimoine culturel dans les territoires palestiniens du Comité du Patrimoine Mondial.

Consultable en ligne : http://whc.unesco.org/fr/decisions/798/

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Conclusion : Redéfinir le rôle du patrimoine culturel ?

Coissard Pascale - 2007 49

bénéficier d’un statut spécial leur permettant de rejoindre les conventions internationales.C’est ce que propose Fabio Maniscalco, directeur de l’Observatoire International pour laProtection du Patrimoine culturel83 :

« Je, soussigné, le prof. Dott Fabio Maniscalco Considérant que - La Palestinen’est pas reconnue en tant qu’État, aussi elle ne peut pas ratifier des traités;- Bien qu'Israël ait signé la Convention de La Haye en 1957, il n'est pas obligéde respecter ses dispositions parce que l'Autorité Palestinienne ne l'a pasratifiée #…# Prie l'Autorité Palestinienne#…# - de promulguer des lois nationalesconcernant la sauvegarde, la conservation et la restauration du patrimoineculturel, plus adéquates aux impératifs accrus de la Palestine - de présenterune pétition à l'UNESCO pour obtenir l'"autorisation" de ratifier la conventionde La Haye de 1954 et ses protocoles additionnels de 1954 et de 1999 Prie leGouvernement d’Israël - de sensibiliser l'opinion publique au respect de leuridentité culturelle et historique et celle des autres et d’adopter toute mesureutile pour observer les dispositions de Convention de La Haye de 1954 sur sonterritoire et dans les Territoires Palestiniens; - de soutenir la possible demandede l'Autorité Palestinienne auprès de l'UNESCO pour ratifier la Convention de LaHaye de 1954. Prie l’Unesco et tous les Etats Hautes Parties contractantes de laConvention pour la Protection des Biens Culturels en Cas de Conflit Armé (LaHaye, 14 Mai 1954) - Au cas où l'Autorité Palestinienne présenterait une pétitionà l'UNESCO pour ratifier la Convention de La Haye de 1954, de l’accepter et defavoriser sa mise en oeuvre dans les Territoires Palestiniens. #…# »

La solution ici ne semble pas résider dans l’adoption d’autres instruments juridiques,mais plutôt dans la résolution politique d’une crise qui empêche la création d’un État.Fabio Maniscalco propose un compromis en laissant l’autorité palestinienne adhérer auxconventions alors qu’elle n’est pas encore État. Cette proposition n’a pas eu de suite ; carl’État est encore la base juridique première, et l’universalisme n’est pas encore d’actualitédans tous les domaines, notamment juridique.

Pour une éducation globale au patrimoine culturelComme il l’a été dit, l’utilisation du patrimoine culturel n’est pas toujours inoffensive.Remplacer la patrimonialisation institutionnelle par une éducation au patrimoine et à sasignification pourrait être une solution partielle. En effet, la connaissance de ce quereprésente le patrimoine culturel mènerait à moins de vandalisme et à un respect desbiens culturels de l’Autre. En cas de conflit, une éducation aux valeurs du patrimoineculturel des soldats ne pourrait être que bénéfique : si les armées avaient conscience del’importance culturelle de certains objets ou immeubles, alors les « dommages collatéraux »seraient réduits. Cette initiative a déjà été prise par l’Institut Archéologique d’Amérique :en août 2005, des archéologues de ce centre ont proposé de donner des cours d’histoire,d’archéologie et de patrimoine culturel du Moyen-Orient aux troupes partant en Afghanistan

83 MANISCALCO (F.) Appel pour la protection du Patrimoine Culturel en Palestine, Observatoire pour laProtection du Patrimoine culturel., 21 février 2005. Consultable en ligne : http://www.ism-france.org/news/article.php?id=2470&type=communique&lesujet=Monuments%20historiques

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La protection du patrimoine culturel en cas de conflit armé : enjeux et limites du cadreinternational

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ou en Irak. Cette initiative a été très bien reçue par l’Armée. 84 L’Unesco et ICOMOSproposent de nombreuses campagnes d’information sur les biens culturels, qui peuvents’ouvrir aux combattants, qu’ils soient impliqués dans un conflit armé international ou noninternational. L’éducation étant un autre champ de bataille de l’Unesco, il semble tout à faitapproprié lui en assigner le rôle.

84 Archaeologists Teach U.S. Troops Iraq and Afghan Heritage, AIA News 10 août 2005 . Consultable en ligne : http://www.archaeological.org/webinfo.php?page=10319

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Bibliographie

Coissard Pascale - 2007 51

Bibliographie

OUVRAGES :

Support papier

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Archaelogia. London : Routledge 2001, 352 p.LEGOFF, Jacques. (Éd.) Patrimoine et passions identitaires, Éditions du Patrimoine :

Fayard 1998. 445 p.SCHIELE, Bernard. (Éd.) Patrimoines et identités, colloques de l’UCAM éditions

Muséo : Québec, 2001. 230p.TOMAN, Jiri. La protection des biens culturels en cas de conflit armé, Éditions Unesco,

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REVUES ET PERIODIQUES :Museum International, vol. 55 : « Face à l’Histoire ». n° 3-4 Éditions Unesco : Décembre

2003, 144 p.

ARTICLES

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52 Coissard Pascale - 2007

Support papier

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CRAWFORD Harriet. The crumbling of an Ivory tower. The Art Journal, vol.62Décembre 2003, p19-21

BAHRANI Zainab. Iraq’s cultural heritage : Monuments, History and Loss , The ArtJournal,vol. 62 Décembre 2003 p17-19

Support électronique

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www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3218,36-865542@51-803567,0.html

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CONVENTIONS ET RESOLUTION

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Convention pour la protection de patrimoine mondial, 1972, Paris. Unesco. Consultableen ligne : www.unesco.org/culture/laws/hague/html_fr/page1.shtml

Statuts de Rome de la Cour Pénale Internationale, Cour Pénale Internationale,Rome :1998. Consultable en ligne : http://www.icc-cpi.int/about.html

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Bibliographie

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RAPPORTS :

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Procédure consultative de la CIJ, conséquences juridiques de l’édification d’un murdans le territoire palestinien occupé , juillet 2004. Consultable en ligne : www.icj-cij.org

Israël-Liban : Destructions délibérées ou »dommages collatéraux » ? Les attaquesisraéliennes contre les infrastructures civiles. Amnesty International, Août 2006.Consultable en ligne : http://web.amnesty.org/library/Index/fraMDE180072006

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ICOM, consultable sur Internet ; http://icom.museum/programme.html

Comité du Patrimoine Mondial, consultable sur internet : whc.unesco.org/fr/comite

UNESCO : www.unesco.org/fr

International Solidarity Movement : http://www.ism-France.org

Hebron Rehabilitation comittee : http://www.hebronrc.org

Archaeological Institute of America : www.archaeological.org

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La protection du patrimoine culturel en cas de conflit armé : enjeux et limites du cadreinternational

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Annexes

Annexe 1 : Appel Moyen Orient des ONG pour laprotection du patrimoine culturel.

(à consulter sur place au centre de documentation de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon)

Annexe 2 : Extraits de la Convention pour laProtection des biens culturels en cas de conflit armé,La Haye 1954

Les Hautes Parties contractantes,Constatant que les biens culturels ont subi de graves dommages au cours des derniers

conflits et qu'ils sont, par suite du développement de la technique de la guerre, de plus enplus menacés de destruction ;

Convaincues que les atteintes portées aux biens culturels, à quelque peuple qu'ilsappartiennent, constituent des atteintes au patrimoine culturel de l'humanité entière, étantdonné que chaque peuple apporte sa contribution à la culture mondiale ;

Considérant que la conservation du patrimoine culturel présente une grande importancepour tous les peuples du monde et qu'il importe d'assurer à ce patrimoine une protectioninternationale ;

Guidées par les principes concernant la protection des biens culturels en cas de conflitarmé établis dans les Conventions de La Haye de 1899 et de 1907 et dans le Pacte deWashington du 15 avril 1935 ;

Considérant que, pour être efficace, la protection de ces biens doit être organisée dèsle temps de paix par des mesures tant nationales qu’internationales ;

Résolues à prendre toutes les dispositions possibles pour protéger les biens culturels ;Sont convenues des dispositions qui suivent :

Chapitre premier. Dispositions générales concernant la protectionArticle premier. Définition des biens culturels

Aux fins de la présente Convention, sont considérés comme biens culturels, quel quesoient leur origine ou leur propriétaire :

a. Les biens, meubles ou immeubles, qui présentent une grande importance pour lepatrimoine culturel des peuples, tels que les monuments d'architecture, d'art ou d'histoire,religieux ou laïques, les sites archéologiques, les ensembles de constructions qui, en tant

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Annexes

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que tels, présentent un intérêt historique ou artistique, les œuvres d'art, les manuscrits, livreset autres objets d'intérêt artistique, historique ou archéologique, ainsi que les collectionsscientifiques et les collections importantes de livres, d'archives ou de reproductions desbiens définis ci-dessus;

b. Les édifices dont la destination principale et effective est de conserver ou d'exposerles biens culturels meubles définis à l'alinéa a, tels que les musées, les grandesbibliothèques, les dépôts d'archives, ainsi que les refuges destinés à abriter, en cas de conflitarmé, les biens culturels meubles définis à l'alinéa a;

c. Les centres comprenant un nombre -considérable de biens culturels qui sont définisaux alinéas a et b, dits « centres monumentaux ».

Article 2. Protection des biens culturelsAux fins de la présente Convention, la protection des biens culturels comporte la

sauvegarde et le respect de ces biens.Article 3. Sauvegarde des biens culturelsLes Hautes Parties contractantes s'engagent à préparer, dès le temps de paix, la

sauvegarde des biens culturels situés sur leur propre territoire contre les effets prévisiblesd'un conflit armé, en prenant les mesures qu'elles estiment appropriées.

Article 4. Respect des biens culturels1. Les Hautes Parties contractantes s'engagent à respecter les biens culturels situés

tant sur leur propre territoire que sur celui des autres Hautes Parties contractantes ens'interdisant l'utilisation de ces biens, celle de leurs dispositifs de protection et celle de leursabords immédiats à des fins qui pourraient exposer ces biens à une destruction ou à unedétérioration en cas de conflit armé, et en s'abstenant de tout acte d'hostilité à leur égard.

2. Il ne peut être dérogé aux obligations définies au paragraphe premier du présentarticle que dans les cas où une nécessité militaire exige, d'une manière impérative, unetelle dérogation.

3. Les Hautes Parties contractantes s'engagent en outre à interdire, à prévenir et, aubesoin, à faire cesser tout acte de vol, de pillage ou de détournement de biens culturels,pratiqué sous quelque forme que ce soit, ainsi que tout acte de vandalisme à l'égard desditsbiens. Elles s'interdisent de réquisitionner les biens culturels meubles situés sur le territoired'une autre Haute Partie contractante.

4. Elles s'interdisent toute mesure de représailles à l'encontre des biens culturels.5. Une Haute Partie contractante ne peut se dégager des obligations stipulées au

présent article, à l'égard d'une autre Haute Partie contractante, en se fondant sur le motifque cette dernière n'a pas appliqué les mesures de sauvegarde prescrites à l'article 3.

Article 5. Occupation1. Les Hautes Parties contractantes occupant totalement ou partiellement le territoire

d'une autre Haute Partie contractante doivent, dans la mesure du possible, soutenir lesefforts des autorités nationales compétentes du territoire occupé à l'effet d'assurer lasauvegarde et la conservation de ses biens culturels.

2. Si une intervention urgente est nécessaire pour la conservation des biens culturelssitués en territoire occupé et endommagés par des opérations militaires, et si les autoritésnationales compétentes ne peuvent pas s'en charger, la Puissance occupante prend, autant

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La protection du patrimoine culturel en cas de conflit armé : enjeux et limites du cadreinternational

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que possible, les mesures conservatoires les plus nécessaires en étroite collaboration avecces autorités.

3. Toute Haute Partie contractante dont le gouvernement est considéré par lesmembres d'un mouvement de résistance comme leur gouvernement légitime, attirera sipossible l'attention de ces membres sur l'obligation d'observer celles des dispositions de laConvention qui ont trait au respect des biens culturels.

Article 6. Signalisation des biens culturelsConformément aux dispositions de l'article 16, les biens culturels peuvent être munis

d'un signe distinctif de nature à faciliter leur identification.Article 7. Mesures d'ordre militaire1. Les Hautes Parties contractantes s'engagent à introduire dès le temps de paix dans

les règlements ou instructions à l'usage de leurs troupes des dispositions propres à assurerl'observation de la présente Convention, et à inculquer dès le temps de paix au personnelde leurs forces armées un esprit de respect à l'égard des cultures et des biens culturelsde tous les peuples.

2. Elles s'engagent à préparer ou à établir, dès le temps de paix, au sein de leurs forcesarmées, des services ou un personnel spécialisé dont la mission sera de veiller au respectdes biens culturels et de collaborer avec les autorités civiles chargées de la sauvegardede ces biens.

Chapitre II. De la protection spécialeArticle 8. Octroi de la protection spéciale

1. Peuvent être placés sous protection spéciale un nombre restreint de refuges destinésà abriter des biens culturels meubles en cas de conflit armé, de centres monumentaux etd'autres biens culturels immeubles de très haute importance, à condition:

a. Qu'ils se trouvent à une distance suffisante d'un grand centre industriel ou de toutobjectif militaire important constituant un point sensible, tel par exemple qu'un aérodrome,une station de radiodiffusion, un établissement travaillant pour la défense nationale, unport ou une gare de chemin de fer d'une certaine importance ou une grande voie decommunication;

b. Qu'ils ne soient pas utilisés à des fins militaires.2. Un refuge pour biens culturels meubles peut également être placé sous protection

spéciale, quel que soit son emplacement, s'il est construit de telle façon que, selon touteprobabilité, les bombardements ne pourront pas lui porter atteinte.

3. Un centre monumental est considéré comme utilisé à des fins militaires lorsqu'il estemployé pour des déplacements de personnel ou de matériel militaire, même en transit. Il enest de même lorsque s'y déroulent des activités ayant un rapport direct avec les opérationsmilitaires, le cantonnement du personnel militaire ou la production de matériel de guerre.

4. N'est pas considérée comme utilisation à des fins militaires la surveillance d'un desbiens culturels énumérés au paragraphe premier, par des gardiens armés spécialementhabilités à cet effet, ou la présence auprès de ce bien culturel de forces de policenormalement chargées d'assurer l'ordre public.

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Annexes

Coissard Pascale - 2007 57

5. Si l'un des biens culturels énumérés au premier paragraphe du présent article estsitué près d'un objectif militaire important au sens de ce paragraphe, il peut néanmoins êtremis sous protection spéciale si la Haute Partie contractante qui en présente la demandes'engage à ne faire, en cas de conflit armé, aucun usage de l'objectif en cause, etnotamment, s'il s'agit d'un port, d'une gare ou d'un aérodrome, à en détourner tout trafic.Dans ce cas, le détournement doit être organisé dès le temps de paix.

6. La protection spéciale est accordée aux biens culturels parleur inscription au «Registre international des biens culturels sous protection spéciale ». Cette inscription nepeut être effectuée que conformément aux dispositions de la présente Convention et dansles conditions prévues au Règlement d'exécution.

Article 9. Immunité des biens culturels sous protection spécialeLes Hautes Parties contractantes s'engagent à assurer l'immunité des biens culturels

sous protection spéciale en s'interdisant, dès l'inscription au Registre international, tout acted'hostilité à leur égard et, sauf dans les cas prévus au paragraphe 5 de l'article 8, touteutilisation de ces biens ou de leurs abords à des fins militaires.

Article 10. Signalisation et contrôleAu cours d'un conflit armé, les biens culturels sous protection spéciale doivent être

munis du signe distinctif défini à l'article 16 et être ouverts à un contrôle de caractèreinternational, ainsi qu'il est prévu au Règlement d'exécution.

Article 11. Levée de l'immunité1. Si l'une des Hautes Parties contractantes commet relativement à un bien culturel

sous protection spéciale une violation des engagements pris en vertu de l'article 9, laPartie adverse est, aussi longtemps que cette violation subsiste, dégagée de son obligationd'assurer l'immunité du bien considéré. Cependant, chaque fois qu'Elle le peut, Elle faitpréalablement la sommation de mettre fin à cette violation dans un délai raisonnable.

2. En n dehors du cas prévu au premier paragraphe du présent article, l'immunité d'unbien culturel sous protection spéciale ne peut être levée qu'en des cas exceptionnels denécessité militaire inéluctable, et seulement aussi longtemps que cette nécessité subsiste.Celle-ci ne peut être constatée que par le chef d'une formation égale ou supérieure enimportance à une division. Dans tous les cas où les circonstances le permettent, la décisionde lever l'immunité est notifiée suffisamment à l'avance à la Partie adverse.

3. La Partie qui lève l'immunité doit en informer dans le plus bref délai possible, parécrit et avec indication de ses motifs, le Commissaire général aux biens culturels prévu auRèglement d'exécution.

Chapitre V. Du signe distinctifArticle 16. Signe de la Convention

1. Le signe distinctif de la Convention consiste en un écu, pointu en bas, écartelé ensautoir de bleu-roi et de blanc (un écusson formé d'un carré bleu-roi dont un des angless'inscrit dans la pointe de l'écusson, et d'un triangle bleu-roi au-dessus du carré, les deuxdélimitant un triangle blanc de chaque côté).

2. Le signe est employé isolé ou répété trois fois en formation triangulaire (un signe enbas), dans les conditions prévues à l'article 17.

Article 17. Usage du signe

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La protection du patrimoine culturel en cas de conflit armé : enjeux et limites du cadreinternational

58 Coissard Pascale - 2007

1. Le signe distinctif répété trois fois ne peut être employé que pour:a. Les biens culturels immeubles sous protection spéciale;b. Les. transports de biens culturels, dans les conditions prévues aux articles 12 et 13;c. Les refuges improvisés, dans les conditions prévues au Règlement d'exécution.2. Le signe distinctif ne peut être employé isolé que pour:a. Des biens culturels qui ne sont pas sous protection spéciale;b. Les personnes chargées de fonctions de contrôle conformément au Règlement

d'exécution;c. Le personnel affecté à la protection des biens culturels;d. Les cartes d'identité prévues au Règlement d'exécution.3. Lors d'un conflit armé, il est interdit d'employer le signe, distinctif dans des cas autres

que ceux mentionnés aux paragraphes précédents du présent article ou d'employer à unusage quelconque un signe ressemblant au signe distinctif.

4. Le signe distinctif ne peut être placé sur un bien culturel immeuble sans que soitapposée en même temps une autorisation dûment datée et signée par l'autorité compétentede la Haute Partie contractante.

Chapitre VI. Du champ d'application de la ConventionArticle 18. Application de la Convention

1. En dehors des dispositions qui doivent entrer en vigueur dès le temps de paix, laprésente Convention s'appliquera en cas de guerre déclarée ou de tout autre conflit armésurgissant entre deux ou plusieurs des Hautes Parties contractantes, même si l'état deguerre n'est pas reconnu par une ou plusieurs d'entre Elles.

2. La Convention s'appliquera également dans tous les cas d'occupation de tout oupartie du territoire d'une Haute Partie contractante, même si cette occupation ne rencontreaucune résistance militaire.

3. Si l'une des Puissances en conflit n'est pas partie à la présente Convention,les Puissances parties à celle-ci resteront néanmoins liées par elle dans leurs rapportsréciproques. Elles seront liées en outre par la Convention envers ladite Puissance, si celle-ci a déclaré en accepter les dispositions et tant qu'elle les applique.

Article 19. Conflits de caractère non international1. En cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international et surgissant

sur le territoire de l'une des Hautes Parties contractantes, chacune des parties au conflitsera tenue d'appliquer au moins les dispositions de la présente Convention qui ont trait aurespect des biens culturels.

2. Les parties au conflit s'efforceront de mettre en vigueur par voie d'accords spéciauxtout ou partie des autres dispositions de la présente Convention.

3. L'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture peut offrirses services aux parties au conflit.

4. L'application des dispositions qui précèdent n'aura pas d'effet sur le statut juridiquedes parties au conflit.

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Annexes

Coissard Pascale - 2007 59

Chapitre VII. De l'exécution de la ConventionArticle 20. Règlement d'exécution

Les modalités d'application de la présente Convention sont déterminées dans leRèglement d'exécution qui en est partie intégrante.

Article 21. Puissances protectricesLa présente Convention et son Règlement d'exécution sont appliqués avec le concours

des Puissances protectrices chargées de sauvegarder les intérêts des Parties au conflit.Article 22. Procédure de conciliation1. Les Puissances protectrices prêtent leurs bons offices dans tous les cas où elles le

jugent utile dans l'intérêt des biens culturels, notamment s'il y a désaccord entre les Partiesau conflit sur l'application ou l'interprétation des dispositions de la présente Convention oude son Règlement d'exécution.

2. A cet effet, chacune des Puissances protectrices peut, sur l'invitation d'une Partie,du Directeur général de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la scienceet la culture, ou spontanément, proposer aux Parties au conflit une réunion de leursreprésentants et, en particulier, des autorités chargées de la protection des biens culturels,éventuellement sur un territoire neutre convenablement choisi. Les Parties au conflit sonttenues de donner suite aux propositions de réunion qui leur sont faites. Les Puissancesprotectrices proposent à l'agrément des Parties au conflit une personnalité appartenant àune Puissance neutre, ou présentée par le Directeur général de l'Organisation des NationsUnies pour l'éducation, la science et la culture, qui est appelée à participer à cette réunionen qualité de président.

Article 23. Concours de l'Unesco1. Les Hautes Parties contractantes peuvent faire appel au concours technique de

l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture en vue del'organisation de la protection de leurs biens culturels, ou à propos de tout autre problèmedérivant de l'application de la présente Convention et de son Règlement d'exécution.L'Organisation accorde ce concours dans les limites de son programme et de sespossibilités.

2. L'Organisation est habilitée à faire de sa propre initiative des propositions à ce sujetaux Hautes Parties contractantes.

Article 24. Accords spéciaux1. Les Hautes Parties contractantes peuvent conclure des accords spéciaux sur toute

question qu'il leur paraît opportun de régler séparément.2. Il ne peut être conclu aucun accord spécial diminuant la protection assurée par la

présente Convention aux biens culturels et au personnel qui leur est affecté.Article 25. Diffusion de la ConventionLes Hautes Parties contractantes s'engagent à diffuser le plus largement possible,

en temps de paix et en temps de conflit armé, le texte de la présente Convention et deson Règlement d'exécution dans leurs pays respectifs. Elles s'engagent notamment à enincorporer l'étude dans les programmes d'instruction militaire et, si possible, civile, de tellemanière que les principes en puissent être connus de l'ensemble de la population, enparticulier des forces armées et du personnel affecté à la protection des biens culturels.

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La protection du patrimoine culturel en cas de conflit armé : enjeux et limites du cadreinternational

60 Coissard Pascale - 2007

Article 28. SanctionsLes Hautes Parties contractantes s'engagent à prendre, dans le cadre de leur système

de droit pénal, toutes mesures nécessaires pour que soient recherchées et frappées desanctions pénales ou disciplinaires les personnes, quelle que soit leur nationalité, qui ontcommis ou donné l'ordre de commettre une infraction à la présente Convention.

Annexe 3 : Extraits du deuxième Protocole à laConvention de la Haye, 1999.

Les Parties,Sont convenues de ce qui suit :Article 3 Champ d’application1. Outre les dispositions qui s’appliquent en temps de paix, le présent Protocole est

appliqué dans les situations visées à l’article 18 paragraphes 1 et 2 de la Convention et àl’article 22, paragraphe 1.

2. Si l’une des parties à un conflit armé n’est pas liée par le présent Protocole, lesParties au présent Protocole resteront liées par celui-ci dans leurs rapports réciproques.Elles seront liées en outre par le présent Protocole dans leurs relations avec un Etat partiequi n’est pas lié par le Protocole, s’il en accepte les dispositions et aussi longtemps qu’illes applique.

Article 4 Relations entre le chapitre 3 et d’autres dispositions de la Convention et duprésent Protocole

L’application des dispositions du chapitre 3 du présent Protocole ne porte pas atteinte à :a. l’application des dispositions du chapitre I de la Convention et du chapitre 2 du

présent Protocole ;b. l’application du chapitre II de la Convention aussi bien entre les Parties au présent

Protocole qu’entre une Partie et un Etat qui accepte et applique le présent Protocoleconformément à l’article 3 paragraphe 2, étant entendu que si un bien culturel est placé àla fois sous la protection spéciale et sous la protection renforcée, seules s’appliqueront lesdispositions relatives à la protection renforcée.

Chapitre 2 : Dispositions générales concernant la protectionArticle 5 Sauvegarde des biens culturels

Les mesures préparatoires prises en temps de paix pour la sauvegarde des biensculturels contre les effets prévisibles d’un conflit armé conformément à l’article 3 de laConvention comprennent, le cas échéant, l’établissement d’inventaires, la planification demesures d’urgence pour assurer la protection des biens contre les risques d’incendie oud’écroulement des bâtiments, la préparation de l’enlèvement des biens culturels meublesou la fourniture d’une protection in situ adéquate desdits biens, et la désignation d’autoritéscompétentes responsables de la sauvegarde des biens culturels.

Article 6 Respect des biens culturels

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Annexes

Coissard Pascale - 2007 61

Dans le but de garantir le respect des biens culturels conformément à l’article 4 de laConvention :

a. une dérogation sur le fondement d’une nécessité militaire impérative au sens duparagraphe 2 de l’article 4 de la Convention ne peut être invoquée pour diriger un acted’hostilité contre un bien culturel que lorsque et aussi longtemps que :

i. ce bien culturel, par sa fonction, a été transformé en objectif militaire, etii. il n’existe pas d’autre solution pratiquement possible pour obtenir un avantage

militaire équivalant à celui qui est offert par le fait de diriger un acte d’hostilité contre cetobjectif ;

b. une dérogation sur le fondement d’une nécessité militaire impérative au sens duparagraphe 2 de l’article 4 de la Convention ne peut être invoquée pour utiliser des biensculturels à des fins qui sont susceptibles de les exposer à la destruction ou à la détériorationque lorsque et aussi longtemps qu’aucun choix n’est possible entre une telle utilisationdes biens culturels et une autre méthode pratiquement possible pour obtenir un avantagemilitaire équivalent ;

c. la décision d’invoquer une nécessité militaire impérative n’est prise que par le chefd’une formation égale ou supérieure en importance à un bataillon, ou par une formation detaille plus petite, lorsque les circonstances ne permettent pas de procéder autrement ;

d. en cas d’attaque fondée sur une décision prise conformément à l’alinéa a), unavertissement doit être donné en temps utile et par des moyens efficaces, lorsque lescirconstances le permettent.

Article 7 Précautions dans l’attaqueSans préjudice des autres précautions prescrites par le droit international humanitaire

dans la conduite des opérations militaires, chaque Partie au conflit doit :a. faire tout ce qui est pratiquement possible pour vérifier que les objectifs à attaquer

ne sont pas des biens culturels protégés par l’article 4 de la Convention ;b. prendre toutes les précautions pratiquement possibles quant au choix des moyens

et méthodes d’attaque en vue d’éviter et, en tout cas, de réduire au minimum les dommagesqui pourraient être causés incidemment aux biens culturels protégés en vertu de l’article 4de la Convention;

c. s’abstenir de lancer une attaque dont on peut attendre qu’elle cause incidemmentaux biens culturels protégés par l’article 4 de la Convention des dommages qui seraientexcessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu ;

d. annuler ou interrompre une attaque lorsqu’il apparaît que :i. l’objectif est un bien culturel protégé en vertu de l’article 4 de la Convention ;ii. l’on peut attendre qu’elle cause incidemment aux biens culturels protégés en vertu de

l’article 4 de la Convention, des dommages qui seraient excessifs par rapport à l’avantagemilitaire concret et direct attendu.

Article 8 Précautions contre les effets des attaquesDans toute la mesure de ce qui est pratiquement possible, les Parties au conflit doivent:a. éloigner les biens culturels meubles du voisinage des objectifs militaires ou fournir

une protection in situ adéquate ;b. éviter de placer des objectifs militaires à proximité de biens culturels.

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La protection du patrimoine culturel en cas de conflit armé : enjeux et limites du cadreinternational

62 Coissard Pascale - 2007

Article 9 Protection des biens culturels en territoire occupé1. Sans préjudice des dispositions des articles 4 et 5 de la Convention, toute Partie

occupant totalement ou partiellement le territoire d’une autre Partie interdit et empêche, ence qui concerne le territoire occupé :

a. toute exportation, autre déplacement ou transfert de propriété illicite de biensculturels ;

b. toute fouille archéologique, à moins qu’elle ne soit absolument indispensable auxfins de sauvegarde, d’enregistrement ou de conservation de biens culturels ;

c. toute transformation, ou changement d’utilisation, de biens culturels visant àdissimuler ou à détruire des éléments de témoignage de caractère culturel, historique ouscientifique.

2. Toute fouille archéologique ou transformation ou changement d’utilisation de biensculturels d’un territoire occupé doit s’effectuer, à moins que les circonstances ne lepermettent pas, en étroite coopération avec les autorités nationales compétentes duditterritoire.

Chapitre 3 : Protection renforcéeArticle 10 Protection renforcée

Un bien culturel peut être placé sous protection renforcée s’il satisfait aux troisconditions suivantes :

a. il s'agit d'un patrimoine culturel qui revêt la plus haute importance pour l'humanité ;b. il est protégé par des mesures internes, juridiques et administratives, adéquates, qui

reconnaissent sa valeur culturelle et historique exceptionnelle et qui garantissent le plushaut niveau de protection ;

c. il n'est pas utilisé à des fins militaires ou pour protéger des sites militaires, et la Partiesous le contrôle duquel il se trouve a confirmé dans une déclaration qu'il ne sera pas ainsiutilisé.

Article 11 Octroi de la protection renforcée1. Chaque Partie devrait soumettre au Comité une liste des biens culturels pour lesquels

elle a l'intention de demander l'octroi de la protection renforcée.2. La Partie qui a la juridiction ou le contrôle sur un bien culturel peut demander

l'inscription de ce bien sur la Liste qui sera établie en vertu de l’article 27, paragraphe1, alinéa (b). Cette demande comporte toutes les informations nécessaires relatives auxcritères mentionnés à l'article 10. Le Comité peut inviter une Partie à demander l'inscriptionde ce bien culturel sur la Liste.

3. D’autres Parties, le Comité international du Bouclier bleu et d’autres organisationsnon gouvernementales ayant une expertise appropriée, peuvent recommander un bienculturel particulier au Comité. Dans de tels cas, le Comité peut décider d'inviter une Partieà demander l'inscription de ce bien culturel sur la Liste.

4. Ni la demande d’inscription d’un bien culturel se trouvant sur un territoire, sous unesouveraineté ou une juridiction revendiqué par plus d’un État, ni l'inscription d'un tel bien,ne portent en aucune manière préjudice aux droits des parties au différend.

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Annexes

Coissard Pascale - 2007 63

5. Lorsque le Comité a reçu une demande d'inscription sur la Liste, il en informetoutes les Parties. Les Parties peuvent soumettre au Comité, dans un délai de soixantejours, leurs représentations relatives a une telle demande. Ces représentations serontfondées seulement sur les critères mentionnés à l’article 10. Elles doivent être spécifiqueset porter sur les faits. Le Comité examine ces représentations en fournissant à la Partiequi demande l'inscription l'occasion de répondre avant de prendre sa décision. Lorsque detelles représentations ont été soumises au Comité, la décision quant à l'inscription sur laListe est prise, nonobstant l'article 26, à la majorité des quatre cinquièmes des membresdu Comité présents et votant.

6. En statuant sur une demande, le Comité devrait demander l'avis d'organisationsgouvernementales et non gouvernementales, ainsi que d'experts individuels.

7. La décision d'octroyer ou de refuser la protection renforcée peut seulement êtrefondée sur les critères mentionnés à l'article 10.

8. Dans des cas exceptionnels, lorsque le Comité est arrivé à la conclusion que la Partiequi demande l'inscription d'un bien culturel sur la Liste ne peut pas satisfaire au critère del'article 10, alinéa b), il peut décider d'octroyer la protection renforcée, pour autant que laPartie requérante soumette une demande d'assistance internationale en vertu de l'article 32.

9. Dès le commencement des hostilités, une Partie au conflit peut demander, enraison d’une situation d’urgence, la protection renforcée de biens culturels placés sous sajuridiction ou son contrôle, en soumettant sa demande au Comité. Le Comité transmetcette demande immédiatement à toutes les Parties au conflit. Dans ce cas, le Comitéexamine d'urgence les représentations des Parties concernées. La décision d'octroyer laprotection renforcée à titre provisoire sera prise le plus rapidement possible et, nonobstantles dispositions de l'article 26, à la majorité des quatre cinquièmes des membres du Comité.Le Comité peut octroyer la protection renforcée à titre provisoire, en attendant l’issue de laprocédure normale d’octroi de cette protection, à condition que les critères retenus dans lesalinéas a) et c) de l’article 10 soient satisfaits.

10. La protection renforcée est octroyée par le Comité à un bien culturel à partir dumoment de son inscription sur la Liste.

11. Le Directeur général notifie sans délai au Secrétaire général des Nations Unies età toutes les Parties toute décision du Comité d’inscrire un bien culturel sur la Liste.

Article 12 Immunité des biens culturels sous protection renforcéeLes Parties à un conflit assurent l'immunité des biens culturels placés sous protection

renforcée en s'interdisant d'en faire l'objet d'attaque ou d'utiliser ces biens ou leurs abordsimmédiats à l'appui d'une action militaire.

Article 13 Perte de la protection renforcée1. Un bien culturel sous protection renforcée ne perd cette protection que si :a. cette protection est suspendue ou annulée conformément à l'article 14 ; oub. si et aussi longtemps que le bien, par son utilisation, est devenu un objectif militaire.2. Dans les circonstances visées au paragraphe 1 alinéa b), un tel bien ne peut être

l'objet d'une attaque que si :a. cette attaque est le seul moyen pratiquement possible de mettre fin à l'utilisation de

ce bien envisagée au paragraphe 1 alinéa b) ;

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64 Coissard Pascale - 2007

b. toutes les précautions pratiquement possibles ont été prises quant au choix desmoyens et des méthodes d'attaque en vue de mettre un terme à cette utilisation et d'éviterou, en tout cas, de réduire au minimum les dommages causés à ce bien culturel ;

c. à moins que les circonstances ne le permettent pas, en raison des exigences de lalégitime défense immédiate :

(i) l'ordre d'attaquer est donné au niveau le plus élevé du commandement opérationnel ;(ii) un avertissement a été donné aux forces adverses, par des moyens efficaces, leur

enjoignant de mettre fin à l'utilisation visée au paragraphe 1, alinéa b) ; et(iii) un délai raisonnable est accordé aux forces adverses pour redresser la situation.Article 14 Suspension et annulation de la protection renforcée1. Lorsqu'un bien culturel ne satisfait plus à l'un des critères énoncés à l'article 10 du

présent Protocole, le Comité peut suspendre ou annuler la protection renforcée dudit bienculturel en le retirant de la Liste.

2. En cas de violations graves de l'article 12 du fait de l'utilisation, à l'appui d'uneaction militaire, d'un bien culturel sous protection renforcée, le Comité peut suspendrela protection renforcée dudit bien. Quand ces violations sont continues, le Comité peutexceptionnellement annuler la protection dudit bien en le retirant de la Liste.

3. Le Directeur général notifie sans délai au Secrétaire général des Nations Unies et àtoutes les Parties au présent Protocole toute décision du Comité de suspendre ou d'annulerla protection renforcée d'un bien culturel.

4. Avant de prendre une telle décision, le Comité offre aux Parties l'occasion de faireconnaître leurs vues.

Chapitre 4 : Responsabilité pénale et compétenceArticle 15 Violations graves du présent Protocole

1. Commet une infraction au sens du présent Protocole toute personne qui,intentionnellement et en violation de la Convention ou du présent Protocole, accomplit l’undes actes ci-après :

a. faire d’un bien culturel sous protection renforcée l’objet d’une attaque ;b. utiliser un bien culturel sous protection renforcée ou ses abords immédiats à l’appui

d’une action militaire ;c. détruire ou s’approprier sur une grande échelle des biens culturels protégés par la

Convention et le présent Protocole;d. faire d’un bien culturel couvert par la Convention et le présent Protocole l’objet d’une

attaque ;e. le vol, le pillage ou le détournement de biens culturels protégés par la Convention,

et les actes de vandalisme dirigés contre des biens culturels protégés par la Convention.2. Chaque Partie adopte les mesures qui pourraient être nécessaires pour incriminer

dans son droit interne les infractions visées au présent article et réprimer de telles infractionspar des peines appropriées. Ce faisant, les Parties se conforment aux principes générauxdu droit et au droit international, notamment aux règles qui étendent la responsabilité pénaleindividuelle à des personnes autres que les auteurs directs de l’acte.

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Annexes

Coissard Pascale - 2007 65

Article 16 Compétence1. Sans préjudice des dispositions du paragraphe 2, chaque Partie adopte les mesures

législatives nécessaires pour établir sa compétence à l’égard des infractions visées à l’article15, dans les cas suivants:

a. lorsqu’une telle infraction a été commise sur le territoire de cet État ;b. lorsque l’auteur présumé est un ressortissant de cet État ;c. s’agissant des infractions visées aux alinéas a) à c) du paragraphe premier de l’article

15, lorsque l’auteur présumé est présent sur le territoire de cet État.2. En ce qui concerne l’exercice de la compétence et sans préjudice de l’article 28 de

la Convention :a. le présent Protocole ne préjuge ni de l’engagement de la responsabilité pénale

individuelle ni de l’exercice de la compétence en vertu du droit interne et internationalapplicable ni n’affecte l’exercice de la compétence en vertu du droit international coutumier ;

b. à l’exception du cas où un État qui n’est pas Partie au présent Protocole pourrait enaccepter et en appliquer les dispositions, conformément au paragraphe 2 de l’article 3, lesmembres des forces armées et les ressortissants d’un État qui n’est pas Partie au présentProtocole, hormis ceux de ses ressortissants qui servent dans les forces armées d’un Étatqui est Partie au présent Protocole, n’encourent pas de responsabilité pénale individuelleen vertu du présent Protocole, lequel ne fait nullement obligation d’établir sa compétenceà l’égard de ces personnes ni de les extrader.

Article 17 Poursuites1. La Partie sur le territoire de laquelle est constatée la présence de l’auteur présumé

d’une infraction énoncée aux alinéas a) à c) de l’article 15, si elle ne l’extrade pas, saisit sansexception aucune et sans délai excessif, les autorités compétentes aux fins de poursuites,selon une procédure conforme à son droit interne ou, le cas échéant, aux règles pertinentesdu droit international.

2. Sans préjudice, le cas échéant, des règles pertinentes du droit international, toutepersonne à l’égard de laquelle une procédure est engagée en vertu de la Convention oudu présent Protocole bénéficie de la garantie d’un traitement et d’un procès équitables, àtoutes les phases de la procédure, conformément au droit interne et au droit international, eten aucun cas ne bénéficie de garanties moins favorables que celles qui lui sont reconnuespar le droit international.

Article 18 Extradition1. Les infractions prévues aux alinéas a) à c) du paragraphe premier de l’article 15

sont réputées incluses comme infractions pouvant donner lieu à extradition dans touttraité d’extradition conclu entre Parties avant l’entrée en vigueur du présent Protocole. LesParties s’engagent à inclure de telles infractions dans tout traité d’extradition qui pourraitultérieurement être conclu entre elles.

2. Lorsqu’une Partie qui subordonne l’extradition à l’existence d’un traité est saisied’une demande d’extradition par une autre Partie avec laquelle elle n’est pas liée par untraité d’extradition, la Partie requise a la latitude de considérer le présent Protocole commeconstituant la base juridique de l’extradition en ce qui concerne les infractions prévues auxalinéas a) à c) du paragraphe premier de l’article 15

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La protection du patrimoine culturel en cas de conflit armé : enjeux et limites du cadreinternational

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3. Les Parties qui ne subordonnent pas l’extradition à l’existence d’un traitéreconnaissent les infractions prévues aux alinéas a) à c) du paragraphe premier de l’article15 comme cas d’extradition entre elles dans les conditions prévues par la législation de laPartie requise.

4. Si nécessaire, les infractions prévues aux alinéas a) à c) du paragraphe premierde l’article 15 sont considérées aux fins d’extradition entre Parties, comme ayant étécommises tant sur le lieu de leur survenance que sur le territoire des Parties ayant établileur compétence conformément au paragraphe premier de l’article 16.

Article 19 Entraide judiciaire1. Les Parties s’accordent l’entraide judiciaire la plus large possible pour les

investigations ou les procédures pénales ou d’extradition relatives aux infractions visées àl’article 15, y compris l’entraide en vue de l’obtention d’éléments de preuve dont ils disposentet qui sont nécessaires aux fins de la procédure.

2. Les Parties s’acquittent des obligations qui leur incombent en vertu du paragraphepremier en conformité avec tous traités ou accords d’entraide judiciaire qui peuvent existerentre elles. En l’absence de tels traités ou accords, les Parties s’accordent cette entraideconformément à leur droit interne.

Article 21 Mesures concernant les autres infractionsSans préjudice de l’article 28 de la Convention, chaque Partie adopte les mesures

législatives, administratives ou disciplinaires qui pourraient être nécessaires pour fairecesser les actes suivants dès lors qu’ils sont accomplis intentionnellement :

a. toute utilisation de biens culturels en violation de la Convention ou du présentProtocole ;

b. toute exportation, autre déplacement ou transfert de propriété illicites de biensculturels depuis un territoire occupé, en violation de la Convention ou du présent Protocole.

Chapitre 5 : Protection des biens culturels en cas de conflit armé neprésentant pas un caractère international

Article 22 Conflits armés de caractère non international1. Le présent Protocole est applicable en cas de conflit armé ne présentant pas un

caractère international et surgissant sur le territoire de l'une des Parties.2. Le présent Protocole ne s'applique pas aux situations de tensions internes, de

troubles intérieurs, comme les émeutes, les actes isolés et sporadiques de violence et autresactes analogues.

3. Aucune disposition du présent Protocole ne sera invoquée en vue de porter atteinteà la souveraineté d'un État ou à la responsabilité d’un gouvernement de maintenir ou derétablir l'ordre public dans l'État ou de défendre l'unité nationale et l'intégrité territoriale del'État par tous les moyens légitimes.

4. Aucune disposition du présent Protocole ne porte atteinte à la priorité de juridictiond’une Partie sur le territoire de laquelle se produit un conflit armé ne présentant pas uncaractère international en ce qui concerne les violations visées à l’article 15.

5. Aucune disposition du présent Protocole ne sera invoquée comme une justificationd'une intervention directe ou indirecte, pour quelque raison que ce soit, dans le conflit armé

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ou dans les affaires intérieures ou extérieures de la Partie sur le territoire de laquelle ceconflit se produit.

6. L’application du présent Protocole à la situation mentionnée au paragraphe 1 n’aurapas d’effet sur le statut juridique des parties au conflit.

7. L’UNESCO peut offrir ses services aux parties au conflit.

Chapitre 6 : Questions institutionnellesArticle 24 Comité pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé

1. Il est institué un Comité pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé.Le Comité est composé de douze Parties qui sont élues par la Réunion des Parties.

2. Le Comité se réunit une fois spar an en session ordinaire et chaque fois qu’il le jugenécessaire en session extraordinaire.

3. En déterminant la composition du Comité, les Parties veillent à assurer unereprésentation équitable des différentes régions et cultures du monde.

4. Les Parties membres du Comité choisissent pour les représenter des personnesqualifiées dans les domaines du patrimoine culturel, de la défense ou du droit international,et s’efforcent, en concertation, de veiller à ce que le Comité dans son ensemble réunisseles compétences adéquates dans tous ces domaines.

Chapitre 7 : Diffusion de l'information et assistance internationaleArticle 30 Diffusion

1. Les Parties s'efforcent par des moyens appropriés, en particulier des programmesd’éducation et d'information, de faire mieux apprécier et respecter les biens culturels parl'ensemble de leur population.

2. Les Parties diffusent le présent Protocole aussi largement que possible, en tempsde paix comme en temps de conflit armé.

3. Les autorités militaires ou civiles qui, en période de conflit armé, assumentdes responsabilités touchant à l'application du présent Protocole, doivent en connaîtreparfaitement le texte. A cette fin, les Parties, selon le cas :

a. incorporent dans leurs règlements militaires des orientations et des consignes surla protection des biens culturels ;

b. élaborent et mettent en œuvre, en coopération avec l'UNESCO et les organisationsgouvernementales et non gouvernementales compétentes, des programmes d'instructionet d'éducation en temps de paix ;

c. se communiquent mutuellement, par l'intermédiaire du Directeur général, desinformations concernant les lois, les dispositions administratives et les mesures prises pourdonner effet aux alinéas a) et b) ;

d. se communiquent le plus rapidement possible, par l'intermédiaire du Directeurgénéral, les lois et les dispositions administratives qu'elles viennent à adopter pour assurerl'application du présent Protocole.

Article 31 Coopération internationale

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Dans les cas de violations graves du présent Protocole, les Parties s'engagent à agir,tant conjointement, par l'intermédiaire du Comité, que séparément, en coopération avecl'UNESCO et l'Organisation des Nations Unies et en conformité avec la Charte des NationsUnies.

Article 32 Assistance internationale1. Une Partie peut demander au Comité une assistance internationale en faveur de

biens culturels sous protection renforcée ainsi qu'une assistance pour l'élaboration, la miseau point ou l'application des lois, dispositions administratives et mesures visées à l'article 10.

2. Une partie au conflit qui n'est pas Partie au présent Protocole mais qui accepte etapplique ses dispositions, comme prévu au paragraphe 2 de l'article 3, peut demander auComité une assistance internationale appropriée.

3. Le Comité adopte des dispositions régissant la présentation des demandesd'assistance internationale et définit les formes que peut prendre cette assistance.

4. Les Parties sont encouragées à fournir toutes formes d’assistance technique, parl'intermédiaire du Comité, aux Parties ou parties au conflit qui en font la demande.

Article 33 Concours de l'UNESCO1. Une Partie peut faire appel au concours technique de l'UNESCO en vue de

l'organisation de la protection de ses biens culturels, notamment en ce qui concerneles mesures préparatoires à prendre pour assurer la sauvegarde des biens culturels,les mesures de prévention et d’organisation concernant les situations d’urgence etl’établissement d’inventaires nationaux des biens culturels, ou à propos de tout autreproblème dérivant de l'application du présent Protocole. L'UNESCO accorde ce concoursdans les limites de son programme et de ses possibilités.

2. Les Parties sont encouragées à fournir une assistance technique, tant bilatérale quemultilatérale.

3. L'UNESCO est habilitée à faire de sa propre initiative des propositions aux Partiesdans ces domaines.

Chapitre 8 : Exécution du ProtocoleArticle 34 Puissances protectrices

Le présent Protocole est appliqué avec le concours des Puissances protectriceschargées de sauvegarder les intérêts des Parties au conflit.

Article 35 Procédure de conciliation1. Les Puissances protectrices prêtent leurs bons offices dans tous les cas où elles le

jugent utile dans l'intérêt des biens culturels, notamment s'il y a désaccord entre les Partiesau conflit sur l'application ou l'interprétation des dispositions du présent Protocole.

2. A cet effet, chacune des Puissances protectrices peut, sur l'invitation d'une Partie oudu Directeur général ou spontanément, proposer aux Parties au conflit une réunion de leursreprésentants, et en particulier des autorités chargées de la protection des biens culturels,éventuellement sur le territoire d’un État non partie au conflit. Les Parties au conflit sonttenues de donner suite aux propositions de réunion qui leur sont faites. Les Puissancesprotectrices proposent à l'agrément des Parties au conflit une personnalité appartenant à un

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Etat non partie au conflit ou présentée par le Directeur général, qui est appelée à participerà cette réunion en qualité de président.

Annexe 4 : Jérusalem et Hébron

Figure 4: L'esplanade des Mosquées, droits hcip.ifrance.com

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Figure 5: Vieille ville d' Hébron et colonies, droits friendlyplanet.com

Annexe 5 : Antiquités sumériennes, Irak.

Figure 6: Vase d'Urukdroits Robert Gagghero

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Figure 7: Tablette d'écriture cunéiformedroits herodote.net

Annexe 6 : Sites du patrimoine mondial libanais.

Figure 8: Byblosdroits: Lemonde.fr, 22 septembre 2006

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Figure 9: Le temple de Bacchus de BaalbeckMarcopolo45.comLe site de Baalbeck a subi quelques fissurations dues aux bombardements.La protection du patrimoine culturel en cas de conflit armé : enjeux et limites du cadre

internationalLe sentiment d’appartenance d’un peuple se traduit par l’exposition d’un patrimoine

culturel commun. Dans les périodes de conflit armé, le repli identitaire des peuples estpresque un automatisme. Les biens culturels qui composent le patrimoine sont alors encoreplus symboliques de l’appartenance : ils deviennent une cible privilégiée pour l’opposant.Il s’agit donc de protéger le bien culturel efficacement sans raviver les tensions. Le cadreuniversaliste, incarné par la notion de « patrimoine mondial » de l’Unesco semble unesolution. Mais n’y a-t-il pas un paradoxe entre l’idée d’un patrimoine mondial, et le rôleidentitaire particulier que joue le patrimoine culturel pour un peuple ? Dans quelle mesurele droit international fournit-il un outil efficace à la protection des biens culturels dans lesconflits ? Nous évoquerons ces questions à la lumière de trois exemples de conflits récentsdu Proche-Orient.

Table des sigles

∙ ALECSO : Organisation Arabe pour l’Éducation, la Culture et les Sciences(organisation de la Ligue Arabe)

∙ CCAAA : Coordinating Council of Audiovisual Archives Association.

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∙ CEDEJ : centre d’Études et de Documentation Économiques, Juridiques et Socialesdu Caire (Égypte)

∙ CNRS : Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS)∙ CPI : Cour Pénale Internationale∙ ICA : Comité des Archives Internationales∙ ICOM : Conseil International des Musées∙ ICOMOS : Conseil International des Monuments et des Sites∙ IFLA : Fédération internationale des associations de bibliothécaires et d'institutions∙ JNA : Jugoslavenska Narodna Armija, Armée Populaire Yougoslave∙ ONG : Organisations Non Gouvernementales∙ ONU : Organisation des Nations Unies∙ SDN : Société des Nations∙ UNESCO : Organisation des Nations Unies pour la Science, l’Éducation et la Culture∙ UNIDROIT : Institut International pour l’Unification du Droit Privé