la protection de l’environnement, composante de … meilleur memoire... · année universitaire...

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Université Paris Sud Faculté Jean Monnet - Droit, Économie, Gestion Année universitaire 2014-2015 La protection de l’environnement, composante de l’intérêt général Étude du traitement jurisprudentiel de la notion par la Cour européenne des droits de l’Homme Par Vadim JEANNE Sous la direction de Monsieur le Professeur Laurent FONBAUSTIER Mémoire de Master 2 Mention Droit de l’environnement - Parcours Recherche

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  • Universit Paris Sud

    Facult Jean Monnet - Droit, conomie, Gestion

    Anne universitaire 2014-2015

    La protection de lenvironnement,

    composante de lintrt gnral

    tude du traitement jurisprudentiel de la notion par la

    Cour europenne des droits de lHomme

    Par Vadim JEANNE

    Sous la direction de Monsieur le Professeur Laurent FONBAUSTIER

    Mmoire de Master 2

    Mention Droit de lenvironnement - Parcours Recherche

  • Luniversit Paris Sud nentend donner aucune approbation ni improbation

    aux opinions mises dans les mmoires. Ces opinions doivent tre considres

    comme propres leur auteur.

  • TABLE DES ABRVIATIONS

    Agenda 21 : Agenda 21 de la dclaration de Rio sur lenvironnement et le

    dveloppement de 1992

    AJDA : Actualit Juridique de Droit Administratif

    BDEI : Bulletin du Droit de lEnvironnement Industriel

    BVerfG : Bundesverfassungsgerichts (Cour constitutionnelle fdrale

    allemande)

    CAA : Cour Administrative dAppel

    Cass. (Italie) : Cour de cassation (Italie)

    CC : Conseil Constitutionnel

    CCC : Cahiers du Conseil Constitutionnel

    CE : Conseil dtat (France)

    CEDH : Cour europenne des droits de lHomme

    CIJ : Cour Internationale de Justice

    CJUE : Cour de Justice de lUnion Europenne

    Constit. Bel. : Constitution du Royaume de Belgique du 7 fvrier 1831

    Constit. Esp. : Constitution Espagnole de 1978

    Constit. Ital. : Constitution de la Ire Rpublique Italienne du 27 dcembre

    1947

    Conv. EDH : Convention europenne de sauvegarde des Droits de lHomme

    et des liberts fondamentales

    Com. EDH : Commission Europenne des Droits de lHomme

    Cour Bel. : Cour constitutionnelle belge (anciennement Cour dArbitrage

    belge)

    Cour Ital. : Cour constitutionnelle italienne

    D. : Recueil Dalloz Sirey

    DDHC : Dclaration des Droits de lHomme et du Citoyen de 1789

    Dr. adm. : Revue Droit administratif

    Dr. env. : Revue Droit de lenvironnement

    Dr. pen. : Revue Droit pnal

    Environnement : Revue Environnement et Dveloppement durable (LexisNexis)

    GG : Grundgesetz (Loi fondamentale allemande du 23 mai 1949)

    Gr. Ch. : Grande Chambre (CEDH)

    HRLJ : Human Rights Law Journal

    JTDE : Journal des Tribunaux Droit Europen

    LPA : Les Petites Affiches

    TC : Tribunal constitutionnel espagnol

    RDI : Revue de Droit Immobilier

    RDP : Revue du Droit Public

    REDE : Revue Europenne de Droit de lEnvironnement

    RFDA : Revue Franaise de Droit Administratif

  • RFDC : Revue Franaise de Droit Constitutionnel

    RIDC : Revue Internationale de Droit Compar

    RJE : Revue Juridique de lEnvironnement

    RTDH : Revue Trimestrielle des Droits de lHomme

    RUDH : Revue Universelle des Droits de lHomme

  • REMERCIEMENTS

    Je tiens remercier mon directeur de mmoire, le Professeur Laurent Fonbaustier,

    pour son aide et le temps (prcieux) quil a pu maccorder lors de llaboration de cette

    tude. Par ses conseils, il a su mpauler dans lapprofondissement de cet objet

    dtude, dveloppant ainsi mon intrt pour la recherche environnementale.

    Je tiens remercier aussi le personnel de la bibliothque universitaire de la Facult

    Jean Monnet, pour leur aide dans mes recherches bibliographiques.

    Je tiens enfin remercier mes correcteurs pour leur soutien dans la finalisation de ce

    mmoire.

  • SOMMAIRE

    INTRODUCTION .................................................................................................................... 1

    CHAPITRE 1 : LES DROITS DE LHOMME ET LEUR MISE EN COMPATIBILIT AVEC LINTRT

    GNRAL ATTACH LA PROTECTION DE LENVIRONNEMENT ................................................. 9

    Section 1 : Ltude du traitement constitutionnel europen en matire de

    protection de lenvironnement ............................................................................................10

    Section 2 : Lintrt gnral attach la protection de lenvironnement et les

    droits de lHomme, un traitement variable dans la jurisprudence de la CEDH

    .............................................................................................................................................................28

    CHAPITRE 2 : LINTRET GNRAL ATTACH LA PROTECTION DE LENVIRONNEMENT

    COMME STANDARD DE CONTRLE DES ACTIONS TATIQUES ................................................. 48

    Section 1 : Le contrle des actions tatiques par la CEDH dans le domaine de

    la protection de lenvironnement ........................................................................................49

    Section 2 : Le contrle des actions tatiques travers la dmarche

    sensibilisatrice de la jurisprudence environnementale de la CEDH ...................69

    CONCLUSION ...................................................................................................................... 87

    LMENTS DE BIBLIOGRAPHIE ................................................................................... 89

  • 1

    Introduction

    Lintrt gnral, concept parfois un peu abstrait, est souvent dfini comme tant

    distinct de la simple somme des intrts particuliers. Peut-on trouver un meilleur exemple

    que celui de la dfense, non seulement des intrts des habitants actuels de la plante mais

    aussi ceux des gnrations futures ? 1.

    Par cette formule, extraite des conclusions de Yann Aguila sous la dcision Commune

    dAnnecy rendue par le Conseil dtat le 3 octobre 2008, la protection de lenvironnement

    saffirme comme lexpression la plus adquate de lintrt gnral par sa capacit agir pour

    lintrt du plus grand nombre dindividus. Loin de nous lide de porter un jugement de

    valeur ou deffectuer un classement des diffrentes composantes de lintrt gnral mais

    cette phrase nous invite constater limportance prise par la protection de lenvironnement en

    tant quintrt gnral au sein du contentieux ici administratif. Malgr cette phrase

    introductive, lobjet de notre tude concerne bien le traitement jurisprudentiel de la notion par

    la CEDH mais il est intressant de relever un certain paralllisme dans limportance prise par

    celle-ci au sein des deux contentieux.

    1. Dfinition et dlimitation du sujet

    Pour aussi renomme quelle soit, la notion dintrt gnral conserve toutefois une

    grande part de mystre. Celle-ci tient particulirement la difficile dfinition de ses contours

    et de son contenu, le doyen Georges Vedel la qualifiait dailleurs comme tant

    indfinissable 2. Ainsi, dfaut den saisir parfaitement la teneur, les auteurs saccordent

    sur lobjectif poursuivi par la notion savoir la ralisation de lintrt du plus grand nombre,

    [] la meilleure satisfaction collective de valeurs partages 3 ou encore ce qui est pour

    le bien public, lavantage de tous. 4. Cette difficult explique notre volont de ne pas

    rechercher une dfinition de lintrt gnral mais plutt, en nous inspirant du raisonnement

    1 Y. AGUILA, Conclusions sur CE, 3 octobre 2008, Commune dAnnecy, n 297931.

    2 Cit par D. ALLAND et S. RIALS (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, LAMY-PUF, coll. Quadrige,

    2me

    dition, 2007, p. 839. 3 Ibid., p. 840.

    4 G. CORNU, Vocabulaire juridique, PUF, coll. Quadrige, 10

    me dition, 2014, p. 563.

  • 2

    suivi par Didier Truchet dans sa thse5, de nous concentrer sur les fonctions que recouvre

    cette notion travers une de ses composantes, la protection de lenvironnement. De mme,

    nous nvoquerons pas les notions voisines, voire identiques pour certains auteurs6, de

    lintrt gnral que sont celles de lutilit publique, du bien commun, de lintrt commun,

    de lintrt public ou encore de lintrt national. Cette conception sexplique au regard du

    peu de cas que la CEDH fait des diffrences entre les notions en matire de protection de

    lenvironnement, faisant rfrence indiffremment lutilit publique ou lintrt gnral7.

    Toutefois, en dpit de la difficult dfinir la notion, la CEDH utilise bien la notion

    dintrt gnral dans les litiges ly incitant8. Comme le souligne Frdric Sudre, cette

    utilisation de lintrt gnral dans le cas du contrle des ingrences tatiques des droits se

    conoit comme un standard9. Cette notion, dont la dfinition reste incertaine

    10, semble

    nanmoins tre adapte lutilisation de lintrt gnral quen fait la Cour de Strasbourg en

    matire de protection de lenvironnement. En effet, par sa fonction idologique , le

    standard permettrait dassurer [] la lgitimation de solutions juridiques retenues 11

    ,

    fonction recouvrant ainsi parfaitement les deux fonctions revtues par lintrt gnral attach

    la protection de lenvironnement au sein de la jurisprudence de la CEDH comme nous le

    dvelopperons plus tard.

    La protection de lenvironnement demeure l aussi particulirement difficile saisir par le

    droit. Lenvironnement peut tre dfini de manire un peu imprcise comme tant [] le

    milieu naturel, urbain, industriel (parfois aussi conomique, social et politique) au sein

    duquel vivent les hommes. 12

    . De manire un peu moins anthropocentre, lenvironnement

    peut tre conu comme tant [] ce qui environne les tres vivants et dtermine les

    5 Cette notion, relativement floue, est au cur de notre tude ; elle nen est pas lobjet. Ce sont surtout les

    fonctions que le juge lui assigne, qui nous importent. , D. TRUCHET, Les fonctions de lintrt gnral dans la

    jurisprudence du Conseil dtat, Paris, LGDJ, coll. Bibliothque de droit public, 1977, p. 22. 6 Ibid. ; D. SIMON, Lintrt gnral vu par les droits europens , in B. MATHIEU et M. VERPEAUX (dir.),

    Lintrt gnral, norme constitutionnelle, Dalloz, coll. Thmes et commentaires, 2007, p. 48. 7 CEDH, 29 mars 2010, Depalle c. France, 87.

    8 D. ALLAND et S. RIALS (dir.), op. cit., p. 842.

    9 F. SUDRE, La protection du droit de proprit par la Cour europenne des droits de lHomme , D., 1988, p.

    73. 10

    S. RIALS, Le juge administratif franais et la technique du standard, LGDJ, coll. Bibliothque de droit

    public, 1980, p. 107 ; cit par G. MERLAND, Lintrt gnral dans la jurisprudence du conseil constitutionnel,

    Paris, LGDJ, coll. Bibliothque constitutionnelle et de science politique, 2004, p. 18. 11

    D. ALLAND et S. RIALS (dir.), op. cit., p. 1440. 12

    S. GUINCHARD et T. DEBARD (dir.), Lexique des termes juridiques, Dalloz, 22me

    dition, 2014, p. 425.

  • 3

    conditions de leur dveloppement. 13

    . Il ressort nanmoins de ces deux dfinitions que

    lenvironnement doit avant tout tre apprhend dans un ensemble constitu de multiples

    interactions. Cette conception explique que lenvironnement recouvre une notion

    extrmement protiforme en droit dont les diffrents aspects se retrouvent au sein de la

    jurisprudence de la CEDH. Ainsi, cette tude sintressera lensemble des thmatiques

    environnementales quelles aient trait la lutte contre les nuisances sonores14

    ou olfactives15

    ,

    la protection des animaux contre la chasse16

    , le dveloppement des nergies renouvelables17

    ou

    la protection de la fort18

    et du domaine public maritime19

    . Dans la mme optique, nous

    pourrons aussi tre amens voquer certaines problmatiques extrieures la protection de

    lenvironnement mais ayant nanmoins des effets son gard, telles que lamnagement du

    territoire20

    . Toutefois, malgr le champ extrmement large recouvert par la protection de

    lenvironnement, cette tude ne se livrera pas un recensement exhaustif des jurisprudences

    de la Cour ayant trait des problmatiques environnementales mais plutt den relever les

    lments les plus pertinents.

    Cette volont dapprhender au mieux lensemble des thmatiques environnementales

    nous conduit ainsi ncessairement aborder la notion de droit un environnement sain. Bien

    que lobjet de notre tude concerne lenvironnement en tant que valeur dintrt gnral et

    non pas en tant que droit fondamental, tel quil est apprhend par la Cour, lanalyse des

    jurisprudences sur ce dernier demeure indispensable. Au-del de lopposition classique entre

    les droits fondamentaux et lintrt gnral21

    , il est ainsi particulirement intressant de

    relever la connexit trs forte entre lintrt gnral et les droits de lHomme en matire de

    protection de lenvironnement puisque que comme nous le dvelopperons dans notre tude,

    les deux notions peuvent participer mutuellement leur ralisation. Il nest en effet pas rare

    que, par lexercice du droit un environnement sain, la protection de lenvironnement puisse

    tre ralise.

    13

    F. BIORET, R. ESTVE et A. STURBOIS, Dictionnaire de la protection de la nature, Presses universitaires

    de Rennes, coll. Espaces et territoires, 2009, pp. 174-175. 14

    CEDH, 21 fvrier 1990, Powell et Rayner c. Royaume-Uni. 15

    CEDH, 9 dcembre 1994, Lopez Ostra c. Espagne. 16

    CEDH, 29 avril 1999, Chassagnou et autres c. France. 17

    CEDH, 26 fvrier 2008, Fgerskild c. Sude (recevabilit). 18

    CEDH, 27 novembre 2007, Hamer c. Belgique. 19

    CEDH, 29 mars 2010, Depalle c. France, prc. 20

    CEDH, Gr. Ch., 18 janvier 2001, Chapman c. Royaume-Uni ; CEDH, 22 mai 2003, Kyrtatos c. Grce. 21

    Par exemple, V. SAINT-JAMES, La conciliation des droits de lhomme et des liberts en droit public

    franais, Limoges, PUF, coll. Publications de la Facult de droit et des sciences conomiques de lUniversit de

    Limoges, 1995, pp. 395-406.

  • 4

    2. Lvolution de la jurisprudence environnementale de la CEDH

    Afin de mieux saisir la place occupe par lintrt gnral attach la protection de

    lenvironnement, il est ainsi ncessaire deffectuer un bref rappel historique de lvolution de

    la CEDH layant conduite laborer progressivement une jurisprudence environnementale.

    La Cour europenne des droits de lHomme est une juridiction internationale institue par

    larticle 19 de la convention europenne de sauvegarde des droits de lHomme et des liberts

    fondamentales signe Rome le 4 novembre 1950. La fonction principale de la Cour consiste

    en lexercice dun contrle supranational de lapplication de la conv. EDH par les tats

    contractants. Lanciennet de la conv. EDH explique directement labsence de toute rfrence

    aux thmatiques environnementales, apparues principalement au niveau international au dbut

    des annes 7022

    . Ainsi, la mme priode, nous pouvons constater linvocation de celles-ci

    dans certaines requtes soumises la com. EDH. Cette dernire, fort logiquement, concluait

    systmatiquement leur irrecevabilit au motif [qu] aucun droit la protection de la

    nature ne figure, comme tel, au nombre des droits et liberts garantis par la Convention

    []. 23

    .

    Toutefois, au dbut des annes 80 et en dpit de ces premiers rejets, la com. EDH

    jugea bientt recevables certaines requtes dans lesquelles les plaignants invoquaient des

    dgradations de leur environnement immdiat, dgradations pouvant tre conues comme des

    ingrences dans les droits prvus la conv. EDH. Dans laffaire Arrondelle la commission a

    ainsi dclar la requte recevable et considr que le Royaume-Uni tait responsable selon la

    Convention [] en raison du bruit excessif caus par les moteurs [qui] gne la requrante

    qui habite dans le voisinage immdiat. 24

    . Les premires apparitions de lintrt gnral

    attach la protection de lenvironnement peuvent aussi tre observes au sein des dcisions

    de recevabilit de la com. EDH partir de 198725

    .

    La dualit recouverte par les thmatiques environnementales, lintrt gnral et les

    droits fondamentaux26

    , se retrouvera aussi au sein des arrts de la CEDH partir des annes

    22

    Dclaration de Stockholm la confrence des Nations Unies sur lenvironnement en 1972. 23

    Com. EDH, 13 mai 1976, X et Y c. Rpublique fdrale dAllemagne, requte n 715/60. 24

    Com. EDH, 15 juillet 1980, Arrondelle c. Royaume-Uni. 25

    Com. EDH, 15 juillet 1987, Hakansson et Sturesson c. Sude ; Com. EDH, 14 dcembre 1987, Fredin c.

    Sude. 26

    M. DJEANT-PONS, Linsertion du droit de lHomme lenvironnement dans les systmes rgionaux de

    protection des droits de lHomme , RUDH, 1991, vol. 3, n 1, pp. 462-463.

  • 5

    90. Lintrt gnral attach la protection de lenvironnement fut ainsi expressment

    reconnu par deux arrts de 199127

    tandis que le droit un environnement sain bnficia dune

    reconnaissance en deux temps par larrt Powell et Rayner en 199028

    puis par larrt Lopez

    Ostra en 199429

    . La protection de ce droit fut ainsi mise en place, dfaut de dispositions

    textuelles, de manire indirecte, par ricochet . Cette formule souligne le fait que ce droit est

    protg par lintermdiaire dun autre droit prvu la convention, larticle 8 dans les deux

    prcdentes affaires, en tant que le bon exercice de ce dernier doit passer ncessairement par

    la prservation dun environnement de qualit.

    Par le dveloppement de ces diffrentes jurisprudences, les juridictions europennes

    tmoignrent ainsi dun vritable attachement aux problmatiques environnementales et dune

    volont dadapter la conv. EDH aux problmatiques contemporaines en dpit de toute

    rfrence textuelle. Prenant appui sur limportance prise par les thmatiques

    environnementales dans le dbat public, la jurisprudence environnementale a dgag

    progressivement diffrents mcanismes, afin dassurer au mieux la protection effective du

    droit un environnement sain tels que les obligations positives30

    ou lmergence de droits

    environnementaux procduraux31

    comme nous ltudierons plus tard.

    Le mouvement suivi par la CEDH indique ainsi la place essentielle prise par les

    thmatiques environnementales au sein de sa jurisprudence, influence par limportance que

    revt la protection de lenvironnement dans la sphre publique aujourdhui. Lintrt gnral

    attach la protection de lenvironnement est au cur de cette influence puisquil bnficie

    de cet essor et revt une certaine prdominance sur les autres composantes de lintrt gnral

    telles que des impratifs conomiques comme en tmoigne la formule utilise dans laffaire

    Hamer32

    .

    27

    CEDH, 18 fvrier 1991, Fredin c. Sude (n 1) ; CEDH, 29 novembre 1991, Pine Valley Developments Ltd c.

    Irlande. 28

    CEDH, 21 fvrier 1990, Powell et Rayner c. Royaume-Uni, prc. 29

    CEDH, 9 dcembre 1994, Lopez Ostra c. Espagne, prc. 30

    CEDH, 18 juin 2002, neryildiz c. Turquie ; CEDH, 20 mars 2008, Boudaeva et autres c. Russie. 31

    CEDH, 16 fvrier 1998, Guerra et autres c. Italie ; CEDH, 9 juin 1998, L.C.B. c. Royaume-Uni. 32

    Lenvironnement constitue une valeur dont la dfense suscite dans lopinion publique, et par consquent

    auprs des pouvoirs publics, un intrt constant et soutenu. Des impratifs conomiques et mme certains droits

    fondamentaux, comme le droit de proprit, ne devraient pas se voir accorder la primaut face des

    considrations relatives la protection de lenvironnement [] , CEDH, 27 novembre 2007, Hamer c.

    Belgique, prc., 79.

  • 6

    3. Lintrt de notre tude

    Cette approche historique nous permet de dmontrer limportance prise par la notion de

    protection de lenvironnement comme composante de lintrt gnral au sein de la

    jurisprudence de la CEDH et ainsi dillustrer au mieux notre propos sur lintrt de ltude de

    cette dernire. La protection de lenvironnement est encore, lheure dcriture de cette tude,

    une thmatique extrmement prsente et actuelle au sein de la jurisprudence de la CEDH33

    .

    Ltude du standard quest lintrt gnral attach la protection de lenvironnement nous

    est apparue comme la dmarche nous permettant de saisir au mieux lvolution continue dans

    laquelle sinscrivait la jurisprudence environnementale de la CEDH.

    Comme nous avons pu lvoquer plus haut, au-del de la confrontation classique entre

    lintrt gnral et les droits de lHomme, notions extrmement prsentes au sein de la

    jurisprudence de la Cour de Strasbourg, lobjet de notre tude invite repenser cette relation.

    En effet, en dveloppant des alternatives la simple opposition frontale entre les deux

    notions, lintrt gnral attach la protection de lenvironnement opre un renouvellement

    des concepts plus classiques au sein de la jurisprudence de la CEDH. La protection de

    lenvironnement, par sa spcificit, ncessite du juge le dveloppement de mcanismes et de

    solutions spcialement adaptes.

    Afin de mieux apprhender ce renouvellement, une tude pousse des diffrentes fonctions du

    standard quest lintrt gnral attach la protection de lenvironnement sera ncessaire.

    Notre tude visera donc analyser les fonctions revtues par lintrt gnral attach la

    protection de lenvironnement au sein de la jurisprudence de la CEDH mais aussi tudier le

    renouvellement que ce standard apporte la jurisprudence environnementale de la Cour en

    gnral.

    Cette tude se concevra donc en deux parties, chacune relative lune des fonctions

    identifies du standard. Ainsi, le premier chapitre portera sur la mise en compatibilit des

    droits fondamentaux avec lintrt gnral attach la protection de lenvironnement,

    illustratrice de la fonction dencadrement du standard. Ce chapitre sera loccasion daborder le

    33

    CEDH, 24 mars 2015, Viviani et autres c. Italie (recevabilit) ; CEDH, 24 mars 2015, Smaltini c. Italie

    (recevabilit).

  • 7

    traitement constitutionnel europen de la notion avant de se pencher plus en dtail sur le cas

    de la CEDH dans lequel les principaux points de renouvellement pourront tre relevs.

    Le second chapitre, encore plus spcifique au cas de la Cour de Strasbourg,

    dveloppera la fonction de contrle des actions tatiques de lintrt gnral attach la

    protection de lenvironnement. En effet, par sa position supranationale, la CEDH opre ainsi

    une vrification du bien-fond des actions de ltat ralises au nom de lintrt gnral. Au-

    del de ce contrle, la CEDH opre aussi en creux, une dmarche de sensibilisation

    lenvironnement auprs des tats.

  • 8

  • 9

    Chapitre 1 : Les droits de lHomme et leur mise en compatibilit

    avec lintrt gnral attach la protection de lenvironnement

    Au sein de ce chapitre, sera ainsi tudie la protection de lenvironnement en tant

    quintrt gnral et sa relation avec les droits de lHomme, tels quentendus par la Cour

    europenne des droits de lHomme.

    Afin de parvenir une tude optimale de la relation entre ces deux notions, il nous a

    sembl pertinent de nous intresser, en premier lieu, au traitement constitutionnel europen de

    la protection de lenvironnement. Cette tude des Cours constitutionnelles permet de

    comprendre le cadre constitutionnel europen dans lequel sinsre la jurisprudence de la

    CEDH en matire denvironnement. La premire section se divisera ainsi en deux parties,

    lune sur les jurisprudences de plusieurs Cours constitutionnelles de pays europens membres

    du Conseil de lEurope comme la France, lEspagne ou encore lItalie. La seconde partie

    portera ensuite sur ltude de la jurisprudence de la Cour europenne des droits de lHomme

    et le traitement quelle effectue de lintrt gnral attach la protection de lenvironnement

    (Section 1).

    La seconde section sattardera ensuite sur la fonction dencadrement des droits

    fondamentaux par le standard dintrt gnral attach la protection de lenvironnement. Il

    sera ensuite intressant dvoquer sa capacit renouveler les oppositions traditionnellement

    entendues entre intrt gnral et droits fondamentaux (Section 2).

  • 10

    Section 1 : Ltude du traitement constitutionnel europen en matire de

    protection de lenvironnement

    Le traitement constitutionnel est ici entendu dans un sens large puisquil englobe les

    jurisprudences de diffrentes Cours constitutionnelles europennes mais aussi celle de la

    CEDH. Il nous parat judicieux de rassembler ces juridictions sous le vocable de Cour

    constitutionnelle 34

    dans la mesure o la CEDH a eu loccasion de saffirmer comme tant

    linterprte de la convention conue comme tant [l] instrument constitutionnel de lordre

    public europen 35

    . Ainsi, cette premire section tudiera, en premier lieu, les diffrentes

    conceptions constitutionnelles europennes de la protection de lenvironnement ( 1) avant

    danalyser plus spcifiquement la jurisprudence de la CEDH en la matire (2).

    1 Les conceptions constitutionnelles europennes en matire de protection de

    lenvironnement

    Ce premier paragraphe ne visera pas une analyse exhaustive de lensemble des

    jurisprudences des Cours constitutionnelles europennes en matire de protection de

    lenvironnement mais relvera plutt certaines dcisions pertinentes permettant davoir une

    approche globale de la conception interne. La premire sous-partie de ce paragraphe tudiera

    les jurisprudences des Cours constitutionnelles belges, italiennes, espagnoles et allemandes

    (A) puis de manire plus spcifique, la jurisprudence du conseil constitutionnel franais (B).

    A- Les diverses conceptions constitutionnelles europennes en matire de protection

    de lenvironnement

    Cette sous-partie vise donc trs logiquement dmontrer les spcificits constitutionnelles

    des diffrents pays prcits. Ainsi permettra-t-elle de mieux saisir les approches adoptes en

    matire de protection denvironnement par la Belgique, lItalie et lAllemagne (1) et de

    comprendre linfluence de la Cour europenne en matire denvironnement sur la juridiction

    constitutionnelle espagnole (2).

    34

    Le terme cour constitutionnelle sera ici utilis pour dsigner les diffrentes juridictions constitutionnelles

    tudies, indiffremment de leur nature institutionnelle. 35

    CEDH, Gr. Ch., 23 mars 1995, Loizidou c. Turquie (exceptions prliminaires), 75.

  • 11

    1. Les conceptions des Cours constitutionnelles europennes en matire de protection de

    lenvironnement, lexemple de la Belgique, de lItalie et de lAllemagne

    Comme voqu plus haut, lapproche des conceptions des Cours constitutionnelles

    europennes en matire denvironnement, demeure parfaitement en lien avec le sujet de notre

    tude, puisque celle-ci nous permet ainsi de replacer les diffrents dveloppements de la

    CEDH dans un contexte plus large que celui de sa jurisprudence.

    Lanalyse de la conception constitutionnelle de la juridiction suprme belge se focalisera

    principalement sur un arrt, reprsentatif de lapprhension belge de la matire

    environnementale. Il sagit de larrt rendu par la Cour constitutionnelle belge (anciennement

    Cour dArbitrage) le 14 septembre 2006 dans laffaire dit du standstill environnemental36

    . Le

    standstill environnemental se conoit dans cet arrt comme une obligation faite au lgislateur

    de ne pas rduire sensiblement le niveau de protection offert par la lgislation applicable

    sans quexistent pour ce faire des motifs lis lintrt gnral . Dans le cadre de cet arrt,

    le juge constitutionnel belge applique ce mcanisme la protection de lenvironnement et

    lrige donc au rang de valeur dont la rgression ne peut tre balance que par des

    considrations lies lintrt gnral. Leffet de standstill est leffet direct principal pouvant

    tre tir de larticle 23, alina 3 4 de la constitution belge37

    , qui, bien que prvoyant le droit

    de chacun la protection dun environnement sain, ncessitait laction du lgislateur pour tre

    invoqu38

    .

    Par cette dcision, nous pouvons ainsi mieux saisir la conception belge des

    problmatiques environnementales tendant rapprocher la protection de lenvironnement

    dune composante de lintrt gnral ne pouvant tre limite dans le cadre de

    dveloppements lgislatifs dfavorables que sous rserve de linvocation de motifs imprieux.

    36

    Cour Bel., 14 septembre 2006, arrt n 137/2006 ; P. BON et D. MAUS (dir.), Les grandes dcisions des

    cours constitutionnelles europennes, Dalloz-Sirey, coll. Grands arrts, 2008, fiche n 78, pp. 344-346 ; C.-H.

    BORN et F. HAUMONT Le principe de non-rgression en droit de lenvironnement - la situation en Belgique

    , in M. PRIEUR et G. SOZZO (dir.), La non-rgression en droit de lenvironnement, Bruylant, 2012, pp. 285-

    306. 37

    F. HAUMONT, Le droit constitutionnel belge la protection dun environnement sain. tat de la

    jurisprudence , RJE, 2005, n spcial, pp. 41-52. 38

    Constit. Bel., Article 23 : Chacun a le droit de mener une vie conforme la dignit humaine.

    cette fin, la loi, le dcret ou la rgle vise larticle 134 garantissent, en tenant compte des obligations

    correspondantes, les droits conomiques, sociaux et culturels, et dterminent les conditions de leur exercice.

    Ces droits comprennent notamment : []

    4 le droit la protection dun environnement sain [].

  • 12

    Il est donc intressant de relever que la juridiction suprme attribue la mme valeur la

    protection de lenvironnement que la Cour europenne des droits de lHomme.

    Dans le cas de lItalie, les dispositions constitutionnelles en lien avec la protection de

    lenvironnement se retrouvent uniquement larticle 117 qui tablit le partage des

    comptences par rapport celles de la rgion. Ainsi cet article prvoit-il que la protection de

    lenvironnement relve de la comptence de ltat qui peut donc lgifrer sur le sujet39

    . Cette

    unique disposition implique que la constitution italienne soit dpourvue de toute rfrence

    lexistence dun droit subjectif lenvironnement. Pour pallier ce manque, la Cour de

    cassation italienne, de son ct, a dgag une protection plus indirecte des droits lis

    lenvironnement en les rattachant dautres droits fondamentaux40

    . Cest le cas notamment du

    droit la sant interprt par la Cour constitutionnelle italienne comme un droit un

    environnement sain dans une dcision de 197941

    . Ce mcanisme de protection par ricochet

    nest pas sans rappeler celui mis en place par la CEDH dans sa jurisprudence relative

    lenvironnement.

    Au-del de cette protection indirecte des droits fondamentaux, la Cour constitutionnelle

    italienne a eu loccasion de prciser la valeur laquelle elle rige la protection de

    lenvironnement. Dans une dcision de 2002, la juridiction constitutionnelle italienne a

    considr que la protection de lenvironnement correspondait bien des fins dintrt

    gnral42

    . Cette valeur dintrt gnral permet ainsi la protection de lenvironnement de

    saffirmer comme moyen de limitation lexercice de certains droits comme le droit de

    proprit43

    . Cet exemple dencadrement du droit de proprit par la protection de

    lenvironnement est trs intressant sagissant dune opposition rcurrente au sein de la

    jurisprudence de la Cour europenne des droits de lHomme.

    La constitution allemande, linstar de la constitution italienne ou belge, effectue une

    rfrence la protection de lenvironnement en tant que charge devant tre excute par

    39

    Constit. Ital., Article 117 : Ltat a le pouvoir exclusif de lgifrer dans les matires suivantes : []

    s) protection de lenvironnement, de lcosystme et du patrimoine culturel. . 40

    D. AMIRANTE, Le principe de non-rgression de lenvironnement en droit italien , in M. PRIEUR et G.

    SOZZO (dir.), op. cit., p. 333. 41

    Cass. (Italie), 6 octobre 1979, arrt n 5172 ; G. PECCOLO, Le droit lenvironnement dans la constitution

    italienne , RJE, 1994, n 4, p. 335. 42

    Cour Ital., 20 novembre 2002, arrt n 478, considrant en droit n 5 ; M.-P. ELIE, Lenvironnement dans la

    jurisprudence de la cour constitutionnelle italienne, Toulon, 2003, pp. 359-360. 43

    Cour Ital., 26 octobre 1994, arrt n 379, considrant en droit n 6 ; M.-P. ELIE, op. cit., pp. 349-353.

  • 13

    ltat44

    . Cette disposition permet ainsi driger la protection de lenvironnement en tant que

    valeur permettant de limiter lexercice des droits fondamentaux45

    . Toutefois, il faut noter que

    la constitution allemande est dpourvue de toute rfrence lexistence dun droit subjectif

    un environnement sain. Larticle 20a nest pas considr comme faisant partie des droits

    fondamentaux de la constitution allemande et, de ce fait, ne peut pas faire lobjet dun recours

    individuel devant la Cour constitutionnelle allemande46

    .

    Cette limitation textuelle a donc pouss la jurisprudence constitutionnelle allemande

    dvelopper dautres mcanismes permettant de porter les atteintes lenvironnement en tant

    que droit subjectif devant les juridictions constitutionnelles. Le juge constitutionnel allemand

    a ainsi dvelopp un systme de protection indirecte du droit un environnement sain en le

    rattachant un droit fondamental, susceptible de recours individuel devant les juridictions

    constitutionnelles. De plus, la Cour constitutionnelle fdrale na pas attendu la rvision

    constitutionnelle de 1987, introduisant larticle 20a, pour effectuer ce rattachement. En effet,

    par une dcision de 1978, la juridiction allemande a reconnu quune atteinte

    lenvironnement pouvait tre considre comme une atteinte la sant47

    .

    Les conceptions des Cours constitutionnelles belges, italiennes et allemandes permettent

    desquisser le cadre dans lequel le dveloppement de la jurisprudence de la CEDH en matire

    denvironnement se dveloppe. Il est intressant de voir que ces Cours, linstar de la CEDH,

    rigent bien la protection de lenvironnement au rang dintrt gnral permettant doprer un

    encadrement des droits fondamentaux. Toutefois, mme si certaines similitudes apparaissent

    par rapport au mcanisme de protection des droits environnementaux par ricochet , il est

    cependant difficile dtablir avec certitude lexistence dune influence de la jurisprudence de

    la CEDH en matire denvironnement sur les jurisprudences constitutionnelles belges,

    italiennes et allemandes. Ce lien est en revanche beaucoup plus apparent dans le cas du

    tribunal constitutionnel espagnol.

    44

    GG, Article 20a : Assumant ainsi galement sa responsabilit pour les gnrations futures, ltat protge les

    fondements naturels de la vie par lexercice du pouvoir lgislatif, dans le cadre de lordre constitutionnel, et des

    pouvoirs excutif et judiciaire, dans les conditions fixes par la loi et le droit. . 45

    BVerfG, 24 novembre 2010, 1 BvF 2/05 n 137, 270 ; M. BOTHE, Le droit lenvironnement dans la

    constitution allemande , RJE, 2005, n spcial, p. 37 ; G. WINTER, Non-regression principle in German law

    , in M. PRIEUR et G. SOZZO (dir.), op. cit., p. 368. 46

    GG, Article 93 : La cour constitutionnelle fdrale statue : []

    4a. Sur les recours constitutionnels qui peuvent tre forms par quiconque estime avoir t ls par la puissance

    publique dans lun de ses droits fondamentaux ou dans lun de ses droits garantis par les articles 20, al. 4, 33,

    38, 101, 103 et 104 ; [] . 47

    BVerfG, 8 aot 1978, Dcision concernant le super-phnix de Kalkar ; M. BOTHE, op. cit., p. 35.

  • 14

    2. Linfluence de la CEDH sur les jurisprudences constitutionnelles europennes en

    matire denvironnement, lexemple de lEspagne

    La constitution espagnole contient plus de rfrences lenvironnement que la

    constitution allemande, en prvoyant notamment la comptence de ltat et des Communauts

    autonomes en la matire48

    . Cette constitution prvoit aussi une disposition divise en trois

    paragraphes, renvoyant plusieurs cas poss par les problmatiques environnementales, dont

    le premier permet dtablir un droit de jouissance un environnement sain49

    . Toutefois,

    linstar du systme allemand, ce droit ne permet pas dexercer un recours individuel devant le

    tribunal constitutionnel espagnol, ce recours tant rserv aux seuls droits fondamentaux et

    liberts publiques50

    . La juridiction a ainsi eu loccasion de le rappeler dans une sentence de

    1995 o elle considrait lenvironnement comme un simple principe simposant aux pouvoirs

    publics mais ne crant pas de droit susceptible damparo51

    .

    Cette omission a pouss le juge constitutionnel espagnol, linstar du juge allemand,

    rattacher le droit un environnement sain un droit fondamental. Il est nanmoins intressant

    de souligner que ce rattachement a t effectu en grande partie, grce linfluence de la

    jurisprudence de la CEDH en la matire52

    . Suite laffaire Lopez Ostra, le juge

    constitutionnel a considr que les nuisances environnementales, ici sonores, pouvaient tre

    concernes par la protection du droit la vie prive53

    . Dans ce jugement, bien quoprant le

    rattachement des nuisances sonores la protection de la vie prive, le juge constitutionnel

    espagnol conclut cependant la non-violation de ce droit. Cette dcision a donn lieu au

    clbre arrt Moreno Gomez rendu en 2004 par la CEDH54

    . Toutefois, comme le relve

    Laurence Burgorgue-Larsen, si la dcision du tribunal constitutionnel de 2001 tait loccasion

    pour lEspagne de se conformer la jurisprudence environnementale de la CEDH, il convient

    de noter que lEspagne a t condamne devant la Cour qui reconnaissait, en revanche, la

    violation de larticle 8 de la conv. EDH.

    48

    Constit. Esp., Article 148 9 et 149 23. 49

    Constit. Esp., Article 45 : 1. Tous ont le droit de jouir dun environnement appropri pour dvelopper leur

    personnalit et le devoir de le conserver [] . 50

    Constit. Esp., Article 53 : [] 2. Tout citoyen pourra demander la protection des liberts et des droits

    reconnus larticle 14 et la section premire du chapitre deux [], le cas chant par le recours individuel de

    amparo devant le Tribunal Constitutionnel. [] . 51

    TC, 26 juin 1995, n 102/1995 ; TC, 3 dcembre 1996, n 199/1996. 52

    L. BURGORGUE-LARSEN, Lapprhension constitutionnelle de la vie prive. Analyse comparative des

    systmes allemand, franais et espagnol , in F. SUDRE (dir.), Le droit la vie prive au sens de la Convention

    europenne des droits de lHomme, Bruylant, 2005, p. 92-95. 53

    TC, 24 mai 2001, n 119/2001, 6. 54

    CEDH, 16 novembre 2004, Moreno Gomez c. Espagne.

  • 15

    Le cas espagnol est donc particulirement intressant dans la mesure o linfluence de la

    Cour europenne des droits de lHomme est trs prgnante en matire de rattachement du

    droit un environnement sain la protection de la vie prive. Comme le relve trs justement

    Fernando Lpez Ramn, laffaire Lopez Ostra trouvant ses origines en Espagne, on ne doit

    pas stonner que les tudes et lapplication de cette doctrine y aient prolifr. 55

    .

    La jurisprudence environnementale de la CEDH semble sintgrer parfaitement dans le

    cadre des Cours constitutionnelles europennes, en ce quelle se base sur les mmes

    mcanismes juridiques, par le biais du standard dintrt gnral ou par la protection par

    ricochet . Toujours dans loptique de dresser le cadre europen dans lequel la jurisprudence

    environnementale de la CEDH sinsre, il nous semble opportun de nous intresser au cas du

    conseil constitutionnel franais.

    B- La jurisprudence du conseil constitutionnel franais et la protection de

    lenvironnement

    Cette sous-partie se concentrera donc spcifiquement sur lapproche constitutionnelle

    franaise en matire denvironnement par ltude de certaines dcisions du conseil

    constitutionnel (1). La deuxime division de cette sous-partie se penchera sur la relation entre

    le conseil constitutionnel et la CEDH dans un premier temps puis plus spcifiquement au

    regard de la protection de lenvironnement (2).

    1. La conception constitutionnelle franaise de la protection de lenvironnement en tant

    quintrt gnral

    Les problmatiques environnementales se sont retrouves pour la premire fois devant le

    conseil constitutionnel franais en 197056

    . Cette premire apparition est conscutive du

    contrle par le conseil dune loi sur la protection du domaine public maritime, domaine reli

    la protection de lenvironnement57

    .

    55

    F. LPEZ RAMN, Lenvironnement dans la constitution espagnole , RJE, 2005, n spcial, p. 60. 56

    CC, n 70-65 L, 17 dcembre 1970, Nature juridique de certaines dispositions des articles 2 et 3, premier

    alina de la loi du 28 novembre 1963 relative au domaine public maritime. 57

    CEDH, 29 mars 2010, Depalle c. France, prc.

  • 16

    Au-del de cette premire rfrence, le juge constitutionnel franais, linstar des

    conceptions tudies prcdemment conoit, lui aussi, la protection de lenvironnement

    comme une composante de lintrt gnral. Cette conception apparat pour la premire fois

    en 1985. Dans cette dcision, le conseil constitutionnel prcise que ladministration doit

    fonder ses dcisions [] sur des motifs se rfrant des fins dintrt gnral 58

    , lintrt

    gnral ici voqu renvoyait la protection du caractre naturel des espaces, la qualit des

    paysages ou le maintien des quilibres biologiques. Suite cette premire dcision, plusieurs

    rfrences la protection de lenvironnement au sein de la jurisprudence du conseil

    constitutionnel franais pourront tre trouves par la suite, par le biais dune assimilation

    rpte de lenvironnement un but dintrt gnral de manire plus59

    ou moins60

    explicite.

    Ces rfrences se trouvent aussi dans des dcisions constitutionnelles prcisant les contours

    de lintrt gnral attach la protection de lenvironnement comme la lutte contre leffet de

    serre61

    et ainsi le rchauffement climatique62

    .

    Il est intressant de relever que le conseil constitutionnel apprhende la protection de

    lenvironnement comme composante de lintrt gnral sous ses diffrentes formes que ce

    soit la lutte contre le rchauffement climatique, la protection des milieux naturels ou encore la

    limitation de ltalement urbain63

    . Ce travail de dfinition se retrouve aussi par une certaine

    exigence du conseil constitutionnel lencontre de linvocation de lintrt gnral attach

    la protection de lenvironnement. Ainsi, dans une dcision de 2013, le juge constitutionnel

    franais refuse ce caractre dintrt gnral une disposition du code de lenvironnement

    imposant une quantit minimale de matriaux en bois dans les constructions nouvelles ne lui

    semblant pas en lien direct avec lobjectif poursuivi64

    .

    Le conseil constitutionnel, au-del de ces diffrentes rfrences, fait de la protection de

    lenvironnement en tant quintrt gnral, un objectif dune relle effectivit au sein de sa

    jurisprudence. En effet, le juge constitutionnel franais a affirm, plusieurs reprises, la

    58

    CC, n 85-189 DC, 17 juillet 1985, Loi relative la dfinition et la mise en uvre des principes

    damnagement, considrant 10. 59

    CC, n 2002-464 DC, 27 dcembre 2002, Loi de finances pour 2003, considrant 57 ; CC, n 2003-488 DC, 29

    dcembre 2003, Loi de finances rectificative pour 2003, considrant 8. 60

    CC, n 90-276 DC, 5 juillet 1990, Rsolution compltant larticle 86 du rglement de lAssemble nationale,

    considrant 1 (unique) ; L. FONBAUSTIER, Le conseil constitutionnel et la protection de lenvironnement ,

    in Confrence en formation continue lcole nationale de la magistrature, 13 dcembre 2011, p. 6. 61

    CC, n 2000-441 DC, 28 dcembre 2000, Loi de finances rectificative pour 2000, considrant 35. 62

    CC, n 2009-599 DC, 29 dcembre 2009, Loi de finances pour 2010, considrant 82. 63

    G. MERLAND, op. cit., pp. 251-252. 64

    CC, n 2013-317 QPC, 24 mai 2013, Syndicat franais de lindustrie cimentire et autre, considrant 10.

  • 17

    capacit de ce standard limiter lexercice de certains droits fondamentaux ou tre balanc

    par dautres considrations dintrt gnral. Ce balancement apparat de manire assez claire

    dans la dcision du 29 dcembre 2009 puisque le juge rappelle la possibilit dtablir un

    traitement diffrenci devant les charges publiques au nom de lintrt gnral. Le juge

    constitutionnel reconnat ici lexistence de lintrt gnral attach la sauvegarde de la

    comptitivit de secteurs conomiques exposs la concurrence internationale 65

    nanmoins, lexemption fiscale mise en place au nom de cet intrt gnral contrevient

    totalement lobjectif de lutte contre le rchauffement climatique.

    Leffectivit attribue la protection de lenvironnement comme composante de lintrt

    gnral au sein de la jurisprudence constitutionnelle franaise peut tre releve au regard de sa

    capacit encadrer lexercice de certains droits fondamentaux. Ainsi, le juge relve dans une

    dcision de 2000, que la restriction aux conditions dexercice du droit de proprit peut se

    voir justifie par des considrations dintrt gnral lies notamment la sauvegarde des

    espaces naturels. Lintrt gnral attach la protection de lenvironnement a aussi t

    utilis par le conseil constitutionnel pour justifier une drogation au principe dgalit devant

    la loi. En effet, dans une dcision rcente de 2015, le juge relve que lincitation des locataires

    recourir des nergies de rseaux seffectue dans un but de protection de

    lenvironnement 66

    . ce titre, la diffrence de traitement des locataires se voit donc justifie

    par lobjectif dintrt gnral que le lgislateur sest assign 67

    .

    Lapprhension de la protection de lenvironnement comme composante de lintrt

    gnral par le conseil constitutionnel sinscrit bien dans le mme cadre que celui des autres

    juges europens voqus plus haut. Le juge franais, par le biais de diffrentes dcisions, a pu

    affirmer la valeur revtue par la protection de lenvironnement et lapplication qui pouvait en

    tre faite. Cette analyse interne effectue, il convient de se pencher plus en dtail sur la

    relation entre le conseil constitutionnel et la CEDH au regard des problmatiques

    environnementales.

    65

    CC, n 2009-599 DC, 29 dcembre 2009, Loi de finances pour 2010, considrant 82 ; V. BERNAUD et L.

    GAY, Droit constitutionnel. Janvier 2009 - Dcembre 2009 , D., 2010, pp. 1508-1518. 66

    CC, n 2015-441/442/443 QPC, 23 janvier 2015, Mme Michle C. et autres, considrant 8. 67

    Ibid.

  • 18

    2. La relation entre le conseil constitutionnel et la CEDH en matire de protection de

    lenvironnement

    La relation entre le conseil constitutionnel et la Cour europenne des droits de lHomme

    en matire de protection de lenvironnement demeure complexe dfinir dans la mesure o

    les rfrences lune ou lautre juridiction dans leurs dcisions respectives sont, notre

    connaissance, quasi inexistantes. De plus, comme lindique le rapport franais la IXme

    confrence des Cours constitutionnelles europennes, [] le Conseil constitutionnel peut

    dcider de sinspirer de la jurisprudence des organes internationaux chargs dassurer

    lapplication de la CEDH [] 68

    . Cette libert affirme, il demeure toutefois intressant de

    relever certains points de convergence, en dehors des thmatiques environnementales, entre

    les deux juridictions au niveau du contentieux des droits fondamentaux69

    .

    En effet, lune des similitudes pouvant tre releve entre les juridictions est celle de

    lutilisation de lintrt gnral pour justifier les atteintes du lgislateur au droit de proprit.

    Selon Guillaume Merland, cette similitude provient dun rapprochement que le conseil

    constitutionnel aurait opr en sinspirant de la jurisprudence de la CEDH en la matire70

    .

    Au-del de cette inspiration, il est aussi intressant de relever des divergences entre les

    deux juridictions. La Cour europenne a rejet linvocation de lintrt gnral attach un

    risque financier pour justifier la violation de larticle 6 de la convention71

    . La divergence

    apparat dautant plus svre quelle faisait suite une dcision du conseil constitutionnel

    ayant statu sur la conformit de la disposition litigieuse par rapport la constitution72

    . Ces

    dcisions rvlent ainsi les diffrences de conceptions existantes sur le standard dintrt

    gnral.

    Au regard des problmatiques environnementales, il est donc plus difficile dtablir avec

    certitude lexistence dune influence de la jurisprudence de la CEDH sur celle du conseil

    constitutionnel. En effet, si, selon la dlgation franaise la XVIme

    confrence des Cours

    68

    Protection constitutionnelle et protection internationale des droits de lHomme : concurrence ou

    complmentarit ? , Rapport prsent par la dlgation franaise la IXme

    Confrence des Cours

    constitutionnelles europennes (Paris, 10-13 mai 1993), RFDA, 1993, n 5, p. 862. 69

    Ibid., pp. 855-857. 70

    G. MERLAND, op. cit., pp. 88 et 90-91. 71

    CEDH, Gr. Ch., 28 octobre 1999, Zielinski et Pradal et Gonzalez et autres c. France, 57 et 59. 72

    CC, n 93-332 DC, 13 janvier 1994, Loi relative la sant publique et la protection sociale.

  • 19

    constitutionnelles europennes, la jurisprudence de la CEDH a contribu lmergence du

    droit au respect de la vie prive73

    , le conseil constitutionnel ne semble pourtant pas

    apprhender le droit un environnement sain de la mme manire que la Cour de Strasbourg.

    Selon Laurence Burgorgue-Larsen, la conception constitutionnelle franaise du droit un

    environnement sain est rattacher au droit la sant plutt quau droit la vie prive74

    . Bien

    que la CEDH effectue dornavant le mme rattachement75

    , le conseil constitutionnel a pu

    dmontrer par une jurisprudence antrieure laffaire neryildiz, quil concevait une faible

    exposition des nuisances sonores comme ne mconnaissant pas le droit de chacun la

    protection de la sant garanti par la Constitution76

    . Ce rattachement du droit un

    environnement sain au droit la sant ayant dailleurs t entrin par lentre en vigueur de

    la charte de lenvironnement en 200577

    .

    Au regard de ce constat, il apparat donc difficile de conclure une influence dterminante

    de la CEDH sur la jurisprudence du conseil constitutionnel en matire denvironnement que

    ce soit sur le volet de la protection de lenvironnement en tant quintrt gnral ou sur le

    droit un environnement sain. Ce premier paragraphe ayant permis de dresser le cadre

    europen dans lequel la jurisprudence environnementale de la Cour de Strasbourg, il convient

    de sattarder plus particulirement, dans un deuxime paragraphe, sur lutilisation de lintrt

    gnral attach la protection de lenvironnement par la Cour.

    2 La CEDH et le recours lintrt gnral attach la protection de

    lenvironnement

    Aprs avoir dress le cadre constitutionnel europen dans lequel sinscrivent les

    dcisions environnementales de la CEDH, le deuxime paragraphe de cette premire section

    se concentrera plus spcifiquement sur le cas de la Cour de Strasbourg. Ce second paragraphe

    sera donc loccasion dtudier au cas par cas le traitement par la CEDH de la notion dintrt

    gnral puis de celle de la protection de lenvironnement. Il est intressant dvoquer un un

    ces deux objets puisque le recours lintrt gnral entrane certains gards une certaine

    73

    La coopration entre les Cours constitutionnelles en Europe - Situation actuelle et perspectives , Rapport

    prsent par la dlgation franaise la XVIme

    Confrence des Cours constitutionnelles europennes (Vienne,

    12-14 mai 2014), p. 9. 74

    L. BURGORGUE-LARSEN, op. cit., pp. 89-90. 75

    CEDH, 18 juin 2002, neryildiz c. Turquie, prc., 64. 76

    CC, n 2000-436, 7 dcembre 2000, Loi relative la solidarit et au renouvellement urbains, considrant 29. 77

    Charte de lenvironnement de 2004, Article 1er

    : Chacun a le droit de vivre dans un environnement quilibr

    et respectueux de la sant .

  • 20

    interrogation sur lorigine et la lgitimit dun tel recours (A). De mme, dans le cas de la

    protection de lenvironnement, lutilisation de cette notion ne va pas sans entraner une leve

    de boucliers poussant quelque fois la Cour revoir certaines de ses positions (B).

    A- Une Cour lgitime recourir au standard dintrt gnral

    Le titre de cette sous-partie se comprend la lumire de la phrase introduisant la thse de

    Didier Truchet, lopinion publique considre volontiers la dfinition et la poursuite de

    lintrt gnral comme un monopole de ltat, et comme le premier de ses devoirs. 78

    . Au

    regard de cette conception, certes dpasse, comme le dmontre ensuite Didier Truchet, nous

    pouvons comprendre que le maniement de la notion dintrt gnral par une juridiction

    sans tat 79

    comme la CEDH, peut paratre dlicat. Toutefois, la Cour se voit parfaitement

    lgitime manier le standard dintrt gnral par la lettre mme de la convention (1). Par sa

    jurisprudence, elle a ensuite opr un rapprochement entre son fonctionnement et celle dune

    Cour constitutionnelle (2). Enfin, en dgageant la notion dordre public europen drive de

    celle dintrt gnral80

    , elle a entrin cette lgitimation (3).

    1. Une lgitimation textuelle

    Au regard du rle confi la CEDH par la conv. EDH, il parat relativement logique

    que celle-ci doive contrler et manier le standard dintrt gnral lors de lencadrement de

    droits fondamentaux. Ainsi, au regard de la convention, cette fonction dencadrement apparat

    de manire plus ou moins explicite. Dans le texte originel de 1950, il ny aucune rfrence

    lintrt gnral. Toutefois, lorsque larticle 8 nonce les diffrentes ingrences possibles dans

    lexercice du droit au respect de la vie prive et familiale que sont la scurit nationale, le

    bien-tre conomique du pays ou encore la protection de la sant ou de la morale, ce sont des

    composantes de lintrt gnral qui apparaissent ici81

    .

    La rfrence lintrt gnral est, en revanche, beaucoup plus explicite dans le

    protocole additionnel n 1 la convention en son article 1 qui prvoit la possibilit de

    rglementer lusage des biens conformment lintrt gnral. Cette base textuelle rend la

    78

    D. TRUCHET, op. cit., p. 19. 79

    D. SIMON, op. cit., p. 49. 80

    Ibid., p. 48. 81

    D. ALLAND et S. RIALS (dir.), op. cit., p. 842.

  • 21

    CEDH parfaitement comptente manier le standard dintrt gnral ainsi que les diffrents

    lments le composant comme la protection de lenvironnement. Toute rfrence

    lenvironnement tant absente de la convention, lassimilation de cette valeur lintrt

    gnral ouvre la voie la limitation par la Cour lexercice du droit de proprit au nom de la

    protection de lenvironnement notamment82

    .

    Au-del de la rfrence textuelle lintrt gnral, la Cour sest empare de la notion

    et la mise profit afin daffirmer encore plus sa lgitimit.

    2. Une lgitimation jurisprudentielle

    La mise en uvre de lintrt gnral dans un but dencadrement des droits

    fondamentaux, relve gnralement, comme voqu plus haut, dune juridiction

    constitutionnelle charge, le cas chant, de vrifier la conformit de la loi expression de la

    volont gnrale 83

    et de ses ingrences dans lexercice des droits fondamentaux. La CEDH,

    en revanche, nest pas charge dun tel contrle84

    mais possde effectivement un

    catalogue de droits fondamentaux linstar de plusieurs constitutions europennes. ce

    titre, la Cour a considr la convention de sauvegarde des droits de lHomme et des liberts

    fondamentales en tant [qu] instrument constitutionnel de lordre public europen 85

    ,

    saffirmant ainsi, en sa qualit dinterprte, en tant que Cour constitutionnelle. Par ce

    rapprochement, la CEDH affirme sa comptence encadrer lexercice des droits

    fondamentaux au nom de lintrt gnral et se lgitime donc en tant que Cour

    constitutionnelle. Cette lgitimation nous parat logique dans la mesure o, par ses dcisions,

    la Cour se comporte plusieurs reprises comme une Cour constitutionnelle. En effet,

    plusieurs reprises, la Cour [] se livre, par ricochet et voire mme directement, un

    contrle de conventionnalit des normes et pratiques constitutionnelles nationales 86

    .

    Au-del de cette affirmation en tant que Cour constitutionnelle, la CEDH, par son arrt

    Loizidou, affirme lexistence dun ordre public europen dont elle serait la dpositaire. Cette

    82

    CEDH, 18 fvrier 1991, Fredin c. Sude (n 1), prc. 83

    DDHC, Article 6. 84

    J.-F. FLAUSS, La cour europenne des droits de lHomme est-elle une Cour constitutionnelle ? , RFDC,

    1998, n 36, p. 723. 85

    CEDH, Gr. Ch., 23 mars 1995, Loizidou c. Turquie (exceptions prliminaires), prc., 75. 86

    J.-F. FLAUSS, op. cit., p. 711 ; CEDH, 29 octobre 1992, Open Door et Dublin well woman c. Irlande.

  • 22

    notion est ainsi directement en lien avec la lgitimation de la Cour manier le standard

    dintrt gnral.

    3. Le recours au standard dintrt gnral par le prisme de lordre public europen

    Comme voqu plus haut, bien que les dfinitions de ces deux notions soient floues, le

    lien entre intrt gnral et ordre public a t affirm plusieurs fois par la doctrine87

    . Ce lien

    est aussi affirm par la CEDH, dans son arrt Krner c. Autriche, indiquant que lun des

    objets fondamentaux de la convention est de [] trancher dans lintrt gnral, des

    questions qui relvent de lordre public, en levant les normes de protection des droits de

    lHomme et en tendant la jurisprudence dans ce domaine lensemble de la communaut

    des tats parties la Convention. 88

    . Cette dcision est particulirement intressante car, en

    plus de rappeler le lien existant entre intrt gnral et ordre public, la Cour rappelle ici

    lobjectif quelle poursuit, savoir lamlioration de la protection des droits de lHomme et

    lextension de cette protection lensemble des tats parties. Cette dcision fait ainsi

    apparatre en filigrane lordre public europen conduisant une harmonisation de la

    protection des droits fondamentaux entre les tats parties. La notion dordre public europen

    permet la CEDH de confrer une autorit suprieure sa jurisprudence qui [] dborde

    largement la simple autorit relative de la chose juge 89

    puisque celle-ci produit des effets

    lencontre de tous les tats membres et non pas seulement des parties au litige90

    .

    Par le prisme de la notion dordre public europen, la CEDH saffirme comptente

    pour recourir au standard dintrt gnral mais aussi encadrer lusage de ce dernier par les

    tats parties. En effet, comme nous lavons abord plus haut propos de lintrt gnral

    attach la protection de lenvironnement, la plupart des Cours constitutionnelles

    europennes utilise ce standard. Toutefois, le maniement dune notion aussi protiforme que

    87

    Par exemple, S. LETURCQ, Standards et droits fondamentaux devant le conseil constitutionnel franais et la

    cour europenne des droits de lHomme, Paris, LGDJ, 2005, pp. 91-95 ; D. SIMON, op. cit., p. 48. 88

    CEDH, 24 juillet 2003, Krner c. Autriche, 26. 89

    F. SUDRE, Existe-t-il un ordre public europen ? , in P. TAVERNIER (dir.), Quelle Europe pour les droits

    de lHomme ? : La cour de Strasbourg et la ralisation dune union plus troite, Bruylant Bruxelles, coll.

    Organisation internationale et relations internationales, 1996, p. 65. 90

    CEDH, 18 janvier 1978, Irlande c. Royaume-Uni, 154 ; E. LAMBERT, Les effets des arrts de la cour

    europenne des droits de lHomme, contribution une approche pluraliste du droit europen des droits de

    lHomme, Strasbourg, Bruylant Bruxelles, 1999, p. 296.

  • 23

    lintrt gnral entrane certaines diffrences dinterprtation puisque lintrt gnral retenu

    par la CEDH peut ne pas toujours concider avec celui retenu sur le plan interne91

    .

    Afin de limiter ces divergences, la Cour opre donc un encadrement de lintrt

    gnral national par le biais du mcanisme de la marge dapprciation 92

    que nous

    dvelopperons dans le second chapitre. La CEDH retient ainsi la comptence premire des

    autorits nationales pour apprcier les particularits locales amenant retenir telle ou telle

    conception de lintrt gnral. Nanmoins, il y a bien encadrement dans la mesure o la Cour

    statuant en dernier ressort de jugement, cest--dire sans quune juridiction extrieure

    apprcie sa dcision93

    , retiendra ou non la conception dintrt gnral interne.

    Toutefois, il est intressant de souligner que si cet encadrement facilite la mise en place

    de lordre public europen et sa fonction harmonisatrice, certaines rticences peuvent

    apparatre cet gard sur le plan interne. De manire gnrale, ces rticences remettent

    directement en cause lactivisme jurisprudentiel dont peut faire preuve la CEDH, activisme

    galement prsent en matire de protection de lenvironnement.

    B- Une volont de limiter la jurisprudence environnementale de la CEDH

    La CEDH dveloppe une jurisprudence extrmement cratrice en matire de protection de

    lenvironnement malgr labsence de dispositions environnementales au sein de la conv.

    EDH. Cependant, cette jurisprudence entrane certaines protestations doctrinales estimant que

    la Cour outrepasse ses fonctions (1). Prenant acte de ces oppositions, la Cour procde delle-

    mme un encadrement de sa jurisprudence environnementale (2).

    1. La remise en cause de lactivisme de la CEDH

    La Cour a reconnu, par sa seule jurisprudence, la protection de lenvironnement en tant

    que composante de lintrt gnral. Cette reconnaissance a ainsi t effectue en dehors de

    toute disposition normative la prvoyant. En effet, la protection de lenvironnement ne figure

    pas dans les buts lgitimes autorisant une ingrence dans lexercice des droits prvus la

    91

    CEDH, Gr. Ch., 28 octobre 1999, Zielinski et Pradal et Gonzalez et autres c. France, prc., 57 et 59. 92

    D. SIMON, op. cit., p. 53. 93

    J.-F. FLAUSS, op. cit, p. 726.

  • 24

    convention ni mme dans la rfrence lintrt gnral dans larticle 1 du protocole

    additionnel n 1.

    Cette absence de base lgale a pouss une partie de la doctrine slever contre cet

    activisme de la CEDH qui irait bien au-del de son objet initial. Ainsi, comme le relve

    Philippe Malaurie, certains auteurs, comme Grard Cornu94

    par exemple, condamnaient avec

    force la tendance la cration jurisprudentielle de la CEDH. Dans son article, Philipe

    Malaurie ne cache pas non plus sa dfiance lgard de la Cour, en estimant certains arrts

    comme tant [] intrinsquement mauvais lorsque [la Cour] mne une politique normative,

    modifiant de sa propre autorit les fondements essentiels de notre socit, mconnaissant la

    sparation des pouvoirs et dpassant ses limites et sa comptence. 95

    . Ces critiques, mises

    de manire gnrale contre lactivisme de la Cour, peuvent tre aussi bien diriges contre sa

    jurisprudence environnementale. En effet, pour ses premires dcisions reconnaissant la

    protection de lenvironnement en tant que composante de lintrt gnral, la jurisprudence

    sest montre aussi particulirement cratrice puisquelle a puis les motifs de cette

    reconnaissance dans les attentes de la socit et non pas dans le texte de la conv. EDH96

    .

    La jurisprudence environnementale est symptomatique de lexcs dactivisme dont peut

    faire preuve la CEDH. propos des affaires Lopez Ostra et Moreno Gomez, Fransciso Rubio

    Llorente estime que, bien quil soit ncessaire de [] protger lindividu contre les

    dommages causs par lactivit industrielle [], aucun tribunal, quil soit national ou

    international, ne doit accomplir cette tche en incluant de nouveaux contenus dans lune ou

    lautre des vieilles liberts, tendant ainsi sa juridiction au-del des limites que les normes

    constitutionnelles ou conventionnelles lui imposent. 97

    .

    Toutes ces critiques renvoient, en creux, la comptence tatique pour rgler lapparition

    de tels litiges. En effet, pour les auteurs prcits, la CEDH ne devrait pas dpasser le cadre de

    la conv. EDH et crer de nouveaux droits puisque cette reconnaissance appartient aux tats.

    94

    [] une jurisprudence incontrlable [qui] prospre au mpris du gnie du droit franais [] un pont aux

    nes qui dbouche sur un terrain vague. , G. CORNU, Droit civil, Introduction au droit, Montchrestien, coll.

    Domat droit priv, 13me

    dition, 2007, p. 150, cit par P. MALAURIE, Grands arrts, petits arrts et mauvais

    arrts de la cour europenne des droits de lHomme , LPA, 2006, n 166, p. 4. 95

    P. MALAURIE, op. cit., p. 6. 96

    CEDH, 18 fvrier 1991, Fredin c. Sude (n 1), prc., 48. 97

    F. RUBIO LLORENTE La relation entre les juridictions espagnoles et les juridictions europennes in

    Renouveau du droit constitutionnel, Mlanges en lhonneur de Louis FAVOREU, Dalloz, 2007, pp. 1408-1409.

  • 25

    De plus, la jurisprudence de la CEDH, simposant tous les tats membres, risque de ne pas

    tenir assez compte de la particularit de certains droits nationaux98

    .

    Comme la dcrit Paul Mahoney, cet activisme de la CEDH va toutefois de pair avec une

    retenue judiciaire (self-restraint99

    ), puisque la Cour alterne entre les deux comportements,

    parfaitement complmentaires, lorsquil lest ncessaire. Lauteur relve un cas de retenue

    judiciaire lorsque les juges sont pris dviter dtablir une disposition lgale ne figurant pas

    dans le corpus de loi prexistant100

    . La jurisprudence environnementale de la CEDH se prte

    parfaitement ltude de ce mcanisme puisque plusieurs exemples de cette retenue peuvent y

    tre trouvs.

    2. Labsence de protection gnrale de lenvironnement au sein de la jurisprudence de la

    CEDH

    Consciente des critiques pouvant tre mises son gard, la CEDH prend parfois des

    prcautions au niveau de sa jurisprudence, afin dviter une confrontation violente avec les

    tats membres. Ce cas de figure sest trouv ralis dans le cas de la protection de

    lenvironnement. Faisant suite aux diffrents dveloppements jurisprudentiels en matire

    denvironnement survenus avec les affaires Lopez Ostra c. Espagne ou encore Guerra c.

    Italie, la CEDH a souhait amorcer une nouvelle tape dans laffaire Hatton c. Royaume-Uni

    de 2001. En effet, dans cet arrt, les requrants invoquaient une violation de larticle 8 cause

    par les nuisances sonores mises par des aronefs qui troublaient leur sommeil. Ces nuisances

    sonores ntant pas du fait direct de ltat mais dune personne prive, il jouissait dune

    marge dapprciation plus importante pour la mise en uvre des obligations positives lui

    incombant en vertu de larticle 8101

    .

    Malgr cette affirmation, la CEDH tablit ici, que [] dans le domaine particulirement

    sensible de la protection de lenvironnement, la simple rfrence au bien-tre conomique du

    pays nest pas suffisante pour faire passer les droits dautrui au second plan. 102

    . La

    protection de lenvironnement implique donc une obligation renforce de ltat de limiter les

    98

    E. LAMBERT, op. cit., p. 300. 99

    P. MAHONEY, Judicial activism and judicial self-restraint in European Court of Human Rights: two sides

    of the same coin , HRLJ, 1990, vol. 11, n 1-2, p. 59. 100

    Ibid., p. 58. 101

    CEDH, 2 octobre 2001, Hatton et autres c. Royaume-Uni, 86. 102

    Ibid., 97.

  • 26

    atteintes au droit de lenvironnement. Il faut aussi noter que le bien-tre conomique tant un

    des cas dingrence dans lexercice du droit au respect de la vie prive et familiale, la

    protection de lenvironnement simpose, aux yeux de la CEDH, comme une valeur suprieure

    celui-ci.

    Toutefois, une telle affirmation, pour profitable quelle soit aux dfenseurs de

    lenvironnement, est difficilement acceptable pour le gouvernement britannique qui obtient le

    renvoi de laffaire devant une Grande Chambre103

    . Par un arrt de 2003, la Grande Chambre

    limite ces volutions et rejette la violation de larticle 8. Elle considre ainsi que la protection

    de lenvironnement ne conduit pas ladoption dune [] dmarche particulire tenant

    un statut spcial qui serait accord aux droits environnementaux de lHomme. 104

    . Par cet

    arrt, la Cour rejette lhypothse, mise par la chambre en 2001, attribuant un statut particulier

    la protection de lenvironnement et qui en ferait une valeur suprieure au bien-tre

    conomique du pays.

    Deux mois avant cette dcision et dans un raisonnement similaire celle-ci, la Cour avait

    rendu larrt Kyrtatos c. Grce. Dans cette affaire, les requrants se plaignaient dune

    violation de leur droit au respect de la vie prive, cause par un amnagement urbain illgal

    dans une rserve naturelle. La CEDH rejette lhypothse dune violation et rappelle les

    fondements de la protection du droit un environnement sain105

    . Ce faisant, elle affirme

    linexistence dune protection gnrale de lenvironnement en tant que tel 106

    garantie par

    la convention. La Cour carte donc la possibilit quun individu puisse participer la

    ralisation de lintrt gnral attach la protection de lenvironnement, reprsent dans

    cette affaire par la lutte contre la destruction dune rserve naturelle.

    Cet arrt est donc rapprocher de la dcision Hatton de 2003 puisque la CEDH renonce

    dvelopper sa jurisprudence environnementale bien au-del des textes en donnant une valeur

    103

    Conv. EDH, Article 43 : 1. Dans un dlai de trois mois compter de la date de larrt dune chambre, toute

    partie laffaire peut, dans des cas exceptionnels, demander le renvoi de laffaire devant la Grande Chambre.

    [] . 104

    CEDH, Gr. Ch., 8 juillet 2003, Hatton et autres c. Royaume-Uni, 122 ; F. SUDRE, J.-P. MARGUNAUD,

    J. ANDRIANTSIMBAZOVINA, A. GOUTTENOIRE et M. LEVINET avec la collaboration de G.

    GONZALEZ, Les grands arrts de la Cour europenne des droits de lHomme, PUF, coll. Thmis Droit, 6me

    dition, 2011, p. 506. 105

    [], llment crucial qui permet de dterminer si, [], des atteintes lenvironnement ont emport

    violation de lun des droits sauvegards par le paragraphe 1 de larticle 8 est lexistence dun effet nfaste sur la

    sphre prive ou familiale dune personne [] , CEDH, 22 mai 2003, Kyrtatos c. Grce, prc., 52. 106

    Ibid.

  • 27

    particulire la protection de lenvironnement et dont la prservation intrinsque serait

    prvue par la conv. EDH. Sans sattarder sur les consquences politiques, il faut cependant

    noter limpact quaurait une telle reconnaissance puisque la Cour se serait auto-habilite

    dpasser le cadre de la conv. EDH pour protger directement lenvironnement et aurait ainsi

    pu autoriser nimporte quel individu prsenter une requte pour atteinte lenvironnement

    du fait dun tat. Par ce mcanisme, tous les individus auraient pu contribuer, dune certaine

    manire, la ralisation de lintrt gnral attach la protection de lenvironnement.

    Au sein du cadre constitutionnel europen incluant la CEDH et les Cours

    constitutionnelles, la protection de lenvironnement est bien assimile en tant quintrt

    gnral. Cette assimilation sest effectue au sein de la CEDH par la prise en compte des

    atteintes socitales en matire denvironnement et indpendamment de toute disposition

    textuelle le prvoyant. Ce constat pousse la Cour manier avec prudence la protection de

    lenvironnement afin de ne pas outrepasser ses limites et rejeter ainsi lhypothse dune

    protection gnrale de lenvironnement. Toutefois, lintrt gnral attach la protection de

    lenvironnement ne saurait tre rduit une simple fonction dencadrement des droits

    fondamentaux comme toute autre fin dintrt gnral apprhende par la convention. En

    effet, il est intressant de noter que la CEDH opre un traitement variable de la notion vis--

    vis des droits protgs par la conv. EDH qui nous pousse renouveler notre conception de

    lencadrement des droits fondamentaux par lintrt gnral.

  • 28

    Section 2 : Lintrt gnral attach la protection de lenvironnement et

    les droits de lHomme, un traitement variable dans la jurisprudence de la

    CEDH

    Afin de rgler les ventuels conflits pouvant survenir entre les normes, la CEDH

    effectue une analyse diffrencie au cas par cas. Ce cas de figure se retrouve dans les

    diffrentes formes que peut revtir lintrt gnral mais il est intressant de voir que la

    protection de lenvironnement peut comporter, pour certains auteurs, des caractristiques

    liberticides 107

    et pour dautres, permettre la ralisation de certains de ces droits108

    .

    Dans cette seconde sous-partie du premier chapitre, nous nous focaliserons plus sur le

    traitement rserv la protection de lenvironnement en tant que composante de lintrt

    gnral par la Cour. Ce traitement est ainsi qualifi de variable dans le titre de la section dans

    la mesure o ce standard participe dun encadrement des droits de lHomme (1) mais

    entrane aussi une approche renouvele des droits fondamentaux en tant que tels (2).

    1 La protection de lenvironnement et les droits prvus par la convention

    europenne

    En tant que composante de lintrt gnral, la protection de lenvironnement permet donc

    de limiter certains droits prvus par la convention (A) notamment le droit de proprit (B) au

    sein de la jurisprudence de la CEDH.

    A- La protection de lenvironnement et les divers droits de la convention europenne

    Lenvironnement est donc peru comme une valeur dintrt gnral dont la socit se

    soucie sans cesse de prserver davantage 109

    . ce titre, il parat lgitime quau nom de sa

    protection, la Cour puisse limiter lexercice de certains droits prvus par la conv. EDH

    comme le droit des minorits (1), la libert de religion (2) ou encore le droit la libert et la

    sret (3). Il ne sagit pas ici de dresser une liste exhaustive des diffrentes dcisions en lien

    107

    S. MALJEAN-DUBOIS, Quel droit pour lenvironnement ?, Hachette suprieur, coll. Les fondamentaux,

    2008, pp. 35-37 ; M. GROS, Lenvironnement contre les droits de lHomme , RDP, 2004, n 6, pp. 1583-

    1592. 108

    L. FONBAUSTIER, Brves rflexions sur les splendeurs et misres dun vieux couple : protection de

    lenvironnement et droits fondamentaux in Mlanges Franois JULIEN-LAFERRIRE, Bruylant Bruxelles,

    2011, pp. 231-249. 109

    CEDH, 18 fvrier 1991, Fredin (n 1) c. Sude, prc., 48.

  • 29

    avec lenvironnement, mais plutt de relever certains arrts pertinents dans notre

    dmonstration.

    1. La protection de lenvironnement et le droit des minorits

    Pour Jean-Pierre Margunaud, si ce statut dintrt gnral peut savrer utile pour que la

    protection de lenvironnement soit valorise face au dveloppement de lindustrie, un tel

    statut peut savrer prjudiciable lorsquil touche aux droits des minorits110

    .

    En effet, comme voqu plus haut, la Cour a donc consacr la valeur dintrt gnral la

    protection de lenvironnement dans les affaires Fredin c. Sude et Pine Valley Developments

    c. Irlande o taient en jeu un dveloppement de diffrentes industries, respectivement une

    carrire et entrept industriel111

    . Dans ces affaires, lintrt gnral soppose des atteintes

    potentielles lenvironnement ou lgitime le dveloppement despaces naturels.

    Toutefois, comme M. Margunaud le signale, et cest l toute la dualit de la notion

    dintrt gnral, cette notion a permis aussi de limiter les droits de certaines minorits par

    exemple. Dans laffaire Buckley c. Royaume-Uni, il sagissait dune femme tsigane de

    nationalit britannique souhaitant installer ses caravanes sur un terrain dont elle tait

    propritaire112

    . Cela lui a t refus au motif dune atteinte qui serait porte au caractre rural

    et dgag du paysage dont le plan local damnagement cherchait assurer la protection.

    Devant la CEDH, la requrante invoque donc une violation de larticle 14 au titre dune

    discrimination et de larticle 8. cartant la violation de larticle 14, la Cour sest

    essentiellement concentre sur la violation de larticle 8 et a considr que la protection du

    caractre rural et dgag du paysage participe bien lobjectif lgitime de bien-tre

    conomique et de protection de lenvironnement113

    .

    Par un parallle avec la dcision de la com. EDH sur les Lapons de Norvge114

    , Jean-

    Pierre Margunaud estime que, par cet arrt de 1996, [] pour avoir plac trop haut les

    110

    J.-P. MARGUNAUD, Lincidence de la CESDH sur le droit de lenvironnement , JTDE, 1998, n 54, pp.

    218-219. 111

    CEDH, 18 fvrier 1991, Fredin c. Sude (n 1), prc. ; CEDH, 29 novembre 1991, Pine Valley Developments

    Ltd c. Irlande, prc. 112

    CEDH, 25 septembre 1996, Buckley c. Royaume-Uni. 113

    Ibid., 62-63. 114

    Com. EDH, 3 octobre 1983, G. et E. c. Norvge.

  • 30

    exigences de la protection du paysage, la Cour europenne des droits de lHomme a donc

    manqu loccasion de donner enfin aux populations minoritaires un signe clairement

    perceptible dune volution en profondeur 115

    .

    Cela est dautant plus dommageable que comme J.-P. Margunaud le relve, il sagit dun

    droit revendiqu au chapitre 26 de lagenda 21116

    . De plus, comme le dmontre une

    jurisprudence postrieure dont les faits taient similaires ceux de laffaire Buckley, la

    protection de lenvironnement comme composante de lintrt gnral a servi de nouveau de

    but lgitime une ingrence dans lexercice de larticle 8 et de larticle 14 de la conv.

    EDH117

    .

    2. La protection de lenvironnement et la libert de religion

    Dans un cas assez particulier, il est intressant de souligner une affaire dans laquelle sest

    manifeste une apparente limitation de la libert de religion par lintrt public

    damnagement rationnel du territoire118

    . Toutefois, la Cour a prfr retenir le fait que

    lingrence de ltat portait, non pas sur la libert de religion, mais plutt sur la volont du

    requrant driger une maison de prire et son non-respect des documents durbanisme. Pour

    anecdotique quil parat, cet arrt illustre une nouvelle fois la fonction dencadrement des

    droits fondamentaux par lintrt gnral attach la protection de lenvironnement.

    3. La protection de lenvironnement et le droit la libert et la sret

    Dans le cadre de la jurisprudence de la CEDH, larticle 5 peut aussi faire lobjet dun

    encadrement par lintrt gnral attach la protection de lenvironnement. En effet, cet

    article tablissant le droit la libert et la sret a ainsi t confront la matire

    environnementale dans laffaire Mangouras c. Espagne119

    . Dans cette affaire, il sagissait du

    capitaine du navire Le Prestige, qui, en novembre 2002, libra 70 000 tonnes de fioul dans

    locan Atlantique cause dune ouverture dans la coque du bateau. Suite cette catastrophe,

    une instruction pnale fut ouverte et le capitaine fut donc mis en dtention avec une caution

    115

    J.-P. MARGUNAUD, op. cit., p. 219. 116

    Agenda 21, chapitre 26 : Reconnaissance et renforcement du rle des populations autochtones et de leurs

    communauts. 117

    CEDH, Gr. Ch., 18 janvier 2001, Chapman c. Royaume-Uni, prc., 82 et 129. 118

    CEDH, 24 juin 2004, Vergos c. Grce, 40-42. 119

    CEDH, Gr. Ch., 28 septembre 2010, Mangouras c. Espagne.

  • 31

    fixe trois millions deuros. Le capitaine fut dtenu pendant 83 jours avant dtre libr

    puisque sa caution fut paye par les assureurs du propritaire du navire. Le requrant a

    invoqu la violation de larticle 5 devant la Cour notamment cause du montant

    excessivement lev de la caution fixe sans prendre en considration sa situation personnelle.

    Les juges europens ont cependant conclu la non-violation de larticle 5 3 dans la mesure

    o ils ont estim que les tribunaux espagnols avaient bien pris en compte les caractristiques

    tenant la situation du requrant.

    De plus, la Cour relve que [] le niveau dexigence croissant en matire de protection

    des droits de lHomme et des liberts fondamentales implique, paralllement et

    inluctablement, une plus grande fermet dans lapprciation des atteintes aux valeurs

    fondamentales des socits dmocratiques 120

    . Il est donc intressant de noter que lintrt

    gnral reprsent par la protection de lenvironnement a servi dargument pour imposer une

    telle amende au capitaine et ainsi encadrer son droit la libert et la sret.

    Loin de vouloir porter un jugement de valeur sur le bien-fond de linvocation de la

    protection de lenvironnement en tant quintrt gnral, lnumration de ces diffrents

    exemples nous permet plutt de relever la capacit dornavant revtue par ce standard

    encadrer les droits fondamentaux de chaque individu. Ce constat tmoigne lui seul de

    limportance prise par la problmatique environnementale au sein du raisonnement de la

    CEDH. En effet, ces diffrentes jurisprudences indiquent ainsi leffectivit prise par ce

    standard qui trouve une relle application pratique. Certes, selon les auteurs, cette application

    nest pas toujours bienvenue mais il faut au moins relever quelle permet la protection de

    lenvironnement de slever au mme niveau que les autres lments caractrisant lintrt

    gnral au sens de la Cour de Strasbourg121

    .

    La jurisprudence de la CEDH prend donc pleinement en considration la protection de

    lenvironnement en tant que composante de lintrt gnral et sa capacit dencadrement des

    droits fondamentaux prvus par la conv. EDH. Toutefois, ct de ces diffrents droits, le

    droit de proprit consacr larticle 1 du protocole n 1 renvoie un traitement particulier

    quil est intressant dtudier de manire spcifique.

    120

    Ibid., 87. 121

    On pense ici aux ingrences prvues par la convention comme la scurit nationale, la sret publique, la

    protection de la sant

  • 32

    B- Lexemple particulier du droit de proprit

    Bien que le droit de proprit soit prvu expressment larticle 1 du protocole

    additionnel n 1, cette sous-partie voquera aussi les rfrences ce droit en dehors du seul

    protocole additionnel. Cette approche est ncessaire dans la mesure o ce dernier se retrouve

    plusieurs titres notamment larticle 6 1 mais aussi larticle 8. Il est intressant dtudier la

    relation entre droit de proprit et la protection de lenvironnement comme composante de

    lintrt gnral puisquau-del dune opposition quon pourrait qualifier de classique (1), ce

    standard peut aussi aider la ralisation de ce droit (2).

    1. Lopposition classique entre proprit prive et protection de lenvironnement

    La proprit prive et la protection de lenvironnement en tant quintrt gnral font

    preuve dune opposition quil faudrait qualifier de classique dans la mesure o il sagit

    gnralement de la plus frquente. De plus, cet encadrement du droit de proprit semble tre

    une condition indispensable pour la ralisation dune protection effective de lenvironnement.

    Pour Jehan de Malafosse, les limitations sont apportes au droit de proprit dans le

    double but de protger la nature et de reconnatre aux autres des droits spcifiques

    lutilisation du milieu naturel 122

    . Depuis laffaire Sporrong et Lnnroth c. Sude, la Cour a

    rappel la possibilit que le droit de proprit soit limite par les exigences de lintrt

    gnral123

    . Il parat donc logique que la protection de lenvironnement puisse sopposer au

    droit de proprit.

    La CEDH a ainsi dvelopp une jurisprudence lgitimant de plus en plus la protection de

    lenvironnement comme composante de lintrt gnral et comme un moyen de limitation du

    droit de proprit. Parmi ces diffrentes jurisprudences se trouve par exemple, larrt Fredin

    (n 1) c. Sude, Pine Valley Developments Ltd et autres c. Irlande, Depalle c. France ou

    encore Hamer c. Belgique124

    .

    122

    J. DE MALAFOSSE, Le droit des autres la nature in Religion, socit et politique, Mlanges en

    hommage Jacques ELLUL, PUF, 1983, p. 516. 123

    CEDH, 23 septembre 1982, Sporrong et Lnnroth c. Sude, 69. 124

    CEDH, 18 fvrier 1991, Fredin c. Sude (n1), prc., 48 ; CEDH, 29 novembre 1991, Pine Valley

    Developments Ltd c. Irlande, prc., 57 ; CEDH, 29 mars 2010, Depalle c. France, prc., 84 ; CEDH, 27

    novembre 2007, Hamer c. Belgique, prc., 79.

  • 33

    Ces diffrentes jurisprudences ont en commun le rejet dune violation de larticle 1 du

    protocole n 1 de la conv. EDH au motif que lingrence poursuivait bien un but lgitime, ici

    la protection de lenvironnement. La CEDH fait mme de la protection de lenv