la pomme de terre : histoire et développement économique

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© 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Cahiers de nutrition et diététique (2010) 45, S5-S16 Correspondance / Correspondence [email protected] La pomme de terre : histoire et développement économique The potato: its history and economic development Résumé L’Année Internationale de la Pomme de Terre (AIPT) en 2008 a sensibilisé le monde à son rôle crucial dans la résolution de problèmes d’ampleur planétaire, et notamment la faim, la pauvreté et les menaces qui pèsent sur l’environnement. Partie intégrante du système alimentaire mondial, la pomme de terre cultivée aujourd'hui puise ses origines dans les variétés locales andines et chiliennes développées par les cultivateurs précolombiens. Rapportée en Europe par les conquistadors espagnols, elle a d’abord suscité quelques hésitations avant d’être finalement largement adoptée par les agriculteurs. Au XVIII e et au XIX e siècle, le colonialisme européen et l’émigration ont propagé la culture de la pomme de terre aux quatre coins du monde. Depuis les années 1990, la production s’est considérablement développée en Afrique, en Asie et en Amérique latine, passant de 80 millions de tonnes en 1990 au record historique de 180 millions de tonnes en 2009. L’AIPT a contribué à faire reconnaître les qualités nutritionnelles de ce tubercule et son rôle fondamental pour contrecarrer les effets KEYWORDS Andean heritage, cash crop and raw material, food crisis and cereal price inflation, global and nutritions food, international trade and food market, International Year of Potato, Irish famine, Parmentier and potato cultivation, potato history, poverty alleviation, Solanum tuberosum, United Nations MOTS CLÉS Année Internationale de la Pomme de Terre, crise alimentaire et inflation du prix des céréales, échanges internationaux et marché de l’alimentation, Grande Famine Irlandaise, héritage andin, histoire de la pomme de terre, mondialisation et nutrition, Parmentier et la culture de la pomme de terre, réduction de pauvreté, récolte et matière première, Solanum tuberosum Summary The International Year of the Potato (IYP) in 2008 raised awareness of the importance of the potato in addressing issues of global concern, including hunger, poverty and threats to the environment. An integral part of the global food system, the cultivated potato traces its origin to Andean and Chilean landraces developed by pre-Colombian cultivators. Taken to Europe by the Spanish, the potato was widely adopted, after initial hesitation, by farmers. During the 18 th and 19 th centuries, European colonialism and emigration took the potato to all corners of the globe. Since the 1990s, potato production has expanded dramatically in Africa, Asia and Latin America, from less than 80 million tons in 1990 to a record of 180 million tons in 2009. International Year has contributed to growing recognition of the tuber’s nutritional benefits and its role in countering the effects of cereal price inflation. It serves increasingly as a source of cash for low-income farm households and as a raw material for value-added NeBambi Lutaladio, Adam Prakash Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), Viale delle Terme di Caracalla, 00153 Rome, Italie

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Page 1: La pomme de terre : histoire et développement économique

© 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Cahiers de nutrition et diététique (2010) 45, S5-S16

Correspondance / Correspondence [email protected]

La pomme de terre : histoire et développement économique

The potato: its history and economic development

RésuméL’Année Internationale de la Pomme de Terre (AIPT) en 2008 a sensibilisé le monde à son rôle crucial dans la résolution de problèmes d’ampleur planétaire, et notamment la faim, la pauvreté et les menaces qui pèsent sur l’environnement. Partie intégrante du système alimentaire mondial, la pomme de terre cultivée aujourd'hui puise ses origines dans les variétés locales andines et chiliennes développées par les cultivateurs précolombiens. Rapportée en Europe par les conquistadors espagnols, elle a d’abord suscité quelques hésitations avant d’être fi nalement largement adoptée par les agriculteurs. Au XVIIIe et au XIXe siècle, le colonialisme européen et l’émigration ont propagé la culture de la pomme de terre aux quatre coins du monde. Depuis les années 1990, la production s’est considérablement développée en Afrique, en Asie et en Amérique latine, passant de 80 millions de tonnes en 1990 au record historique de 180 millions de tonnes en 2009. L’AIPT a contribué à faire reconnaître les qualités nutritionnelles de ce tubercule et son rôle fondamental pour contrecarrer les effets

KEYWORDSAndean heritage, cash crop and raw material, food crisis and cereal price infl ation, global and nutritions food, international trade and food market, International Year of Potato, Irish famine, Parmentier and potato cultivation, potato history, poverty alleviation, Solanum tuberosum, United Nations

MOTS CLÉSAnnée Internationale de la Pomme de Terre, crise alimentaire et infl ation du prix des céréales, échanges internationaux et marché de l’alimentation, Grande Famine Irlandaise, héritage andin, histoire de la pomme de terre, mondialisation et nutrition, Parmentier et la culture de la pomme de terre, réduction de pauvreté, récolte et matière première, Solanum tuberosum

SummaryThe International Year of the Potato (IYP) in 2008 raised awareness of the importance of the potato in addressing issues of global concern, including hunger, poverty and threats to the environment. An integral part of the global food system, the cultivated potato traces its origin to Andean and Chilean landraces developed by pre-Colombian cultivators. Taken to Europe by the Spanish, the potato was widely adopted, after initial hesitation, by farmers. During the 18th and 19th centuries, European colonialism and emigration took the potato to all corners of the globe. Since the 1990s, potato production has expanded dramatically in Africa, Asia and Latin America, from less than 80 million tons in 1990 to a record of 180 million tons in 2009. International Year has contributed to growing recognition of the tuber’s nutritional benefi ts and its role in countering the effects of cereal price infl ation. It serves increasingly as a source of cash for low-income farm households and as a raw material for value-added

NeBambi Lutaladio, Adam Prakash

Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), Viale delle Terme di Caracalla, 00153 Rome, Italie

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pervers de l’infl ation des prix des céréales. La pomme de terre représente une source croissante de revenus pour les ménages agricoles à faible pouvoir d'achat, et constitue une matière première prisée pour la fabrication de produits transformés à valeur ajoutée. Néanmoins, les pays en développement n’ont à ce jour guère bénéfi cié de cet essor du commerce international de la pomme de terre. En effet, ils apparaissent comme principaux importateurs nets de la denrée.© 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Introduction

La pomme de terre cultivée, Solanum tuberosum, joue un rôle clé dans le système alimentaire mondial. Ce légume, le plus productif au monde, est une source importante de revenus et l’une des denrées de base de nombreux pays. La pomme de terre est cultivée dans plus de 125 pays et consom-mée quotidiennement par plus d’un milliard de personnes. La vie de centaines de millions d’habitants repose sur la pomme de terre dans les pays en développement [1].

Consciente de l’importance de la pomme de terre et de son rôle d’aliment de base de l’humanité, l’Assemblée géné-rale des Nations Unies a décidé en 2005 de déclarer l’année 2008 « Année Internationale de la Pomme de Terre » [2]. Par cette démarche, elle reconnaît la nécessité de sensibiliser le monde au rôle que la pomme de terre peut jouer dans la sécurité alimentaire et l’éradication de la pauvreté, et ainsi contribuer à la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement. L’AIPT a attiré l’attention sur le rôle crucial joué par la pomme de terre, et plus généralement par l’agriculture, dans la résolution de problèmes d’ampleur planétaire, et notamment la faim, la pauvreté et les menaces qui pèsent sur l’environnement.

Originaire d’Amérique du Sud, et plus précisément de la cordillère des Andes, la pomme de terre a conquis, en un peu moins de cinq siècles, toutes les régions montagneuses des zones tempérées de tous les continents du globe, à l’exception de l’Antarctique. Au cours du siècle dernier, sa production a particulièrement augmenté dans les plaines chaudes, humides et tropicales d’Afrique et d’Asie à la saison sèche [3].

Cet article offre un condensé de l’histoire, paradoxale à certains égards, de la pomme de terre dans les systèmes alimentaires humains. Il met en évidence le rôle fondamental qu’aura à jouer la pomme de terre à l’avenir, en particulier dans la protection des populations face aux turbulences qui frappent les marchés internationaux des céréales. Il résume de quelle manière la pomme de terre peut apporter sa contri-bution aux systèmes alimentaires des pays en développement et à l’économie alimentaire mondiale.

La pomme de terre dans l’histoire : origines, diffusion et expansion

La culture de la pomme de terre est un héritage qui nous vient des Andes. Bien qu’elles se déclinent en plusieurs milliers de variétés, présentant des divergences importantes notam-ment en termes de taille, de forme, de couleur et de qualité culinaire, elles appartiennent toutes à une seule espèce botanique, Solanum tuberosum. Leurs origines remontent aux variétés développées par les cultivateurs précolombiens. Ces variétés locales andines présentent une extraordinaire diversité morphologique et génétique, et sont réparties dans

processed products. However, developing countries have not been benefi ciaries of expanding international trade in potato. As a group, they have emerged as leading net importers of the commodity.© 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction

The cultivated potato, Solanum tuberosum, is an integral part of the global food system. It is the world’s most productive vegetable and is a major source of both income and human nutrition to many countries. The potato is grown in more than 125 countries and consumed almost daily by more than a billion people. Hundreds of millions of people in developing countries depend on potatoes for their survival [1].

Noting the importance of the potato as one of the world’s key staple foods, the United Nations General Assembly decided in 2005 to declare 2008 as the International Year of the Potato [2]. In doing so, it recognized the need to focus global attention on the role that the potato can play in providing food security and eradicating poverty, and sup-porting achievement of the Millennium Development Goals. The International Year of the Potato raised awareness of the importance of the potato - and of agriculture in general - in addressing issues of global concern, including hunger, poverty and threats to the environment.

From its original South American heartland in the high Andes, the potato has spread – in little more than fi ve centuries - to all highland zones in temperate regions of every continent except Antarctica. Over the past cen-tury, its production increased most rapidly in the warm, humid, tropical lowlands of Africa and Asia during the dry season [3].

This paper provides a brief synopsis of the sometimes paradoxical history of the potato in human food systems. It highlights the fundamental importance of the potato as food for the future, especially in slowing down turbulence in global cereal markets. It summarizes how potato can contribute towards developing country food systems and the global food economy.

The potato in history: Origins, diffusion and expansion

Cultivated potatoes are an Andean heritage. Although they come in thousands of varieties that with wide differences in size, shape, colour, cooking quality and other characteris-tics, all potatoes belong to one botanical species, Solanum tuberosum. They ultimately trace their origin to Andean and Chilean landraces developed by pre-Colombian cultivators. These Andean landraces exhibit tremendous morphological and genetic diversity, and are distributed throughout the Andes, from western Venezuela to northern Argentina, and in southern Chile [4]. Although the wild species progenitors of these landraces have long been in dispute, all hypotheses centre on a group of about 20 morphologically very similar tuber-bearing (Solanum section Petota) wild taxa referred to as the S. brevicaule complex, distributed from central Peru to northern Argentina [4].

In trying to fi nd answers to the complex taxonomic and biological questions posed by the potato, Spooner’s recent

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l’ensemble de la cordillère des Andes, de l’ouest du Venezuela au nord de l’Argentine, ainsi qu’au sud du Chili [4]. En dépit des longs débats dont ont fait l’objet les ancêtres sauvages de ces variétés locales, toutes les hypothèses convergent vers un groupe d’environ 20 taxons sauvages tubéreux (Solanum section Petota) très similaires sur le plan morphologique, désignés sous le terme de « complexe S. brevicaule », répartis du centre du Pérou au nord de l’Argentine [4].

En tentant de trouver des réponses aux questions taxono-miques et biologiques complexes soulevées par la pomme de terre, David Sponner et le groupe de scientifi ques du Scottish Crop Research Institute ont contribué à réécrire les origines et l’évolution historique de la pomme de terre cultivée. Ils ont démontré qu'elle ne puisait ses origines que d’une seule région du Pérou. Ils ont mis en évidence que les cultivars anciens étaient issus d’une seule et même lignée primitive de la composante « nordique » du complexe S. brevicaule, présente dans le centre et le sud du Pérou [5]. L’une de leurs autres découvertes porte sur les « espèces » membres de la composante nordique du complexe S. brevicaule : des études plus approfondies pourraient montrer qu’il s’agit d’une seule et même espèce.

Dans sa région d’origine, la pomme de terre s’est très intimement liée à la culture et la religion andines, et apparaît dans des mythes et légendes décrivant les offrandes faites à Pachamama (la Terre-Mère) [6]. Les pommes de terre indigènes continuent de jouer différents rôles dans la vie quotidienne des peuples andins et dans leur médecine traditionnelle.

Les origines péruviennes de la pomme de terre et les premières traces de consommation humaine

L’histoire de la pomme de terre, racontée par de nombreux auteurs, parmi lesquels Salaman [7], et résumée à l’occasion de l’AIPT en 2008 [8], débute il y a environ 8 000 ans en Amérique du Sud près du lac Titicaca, à 3 800 m au-dessus du niveau de la mer, dans la cordillère des Andes, à la frontière entre la Bolivie et le Pérou. Des recherches ont révélé que des communautés de chasseurs et de cueilleurs arrivés dans le sud du continent américain depuis au moins 7 000 ans avaient commencé à domestiquer des espèces sauvages de pommes de terre qui poussaient en abondance autour du lac.

Quelques 200 espèces sauvages de pommes de terre ont été répertoriées sur le continent américain. C’est dans la cordillère centrale que les agriculteurs sont parvenus à sélectionner et à améliorer les premiers spécimens de ce qui allait donner, au fi l des millénaires, une diversité inouïe de tubercules. La pomme de terre que nous connaissons, l’espèce Solanum tuberosum, ne contient en réalité qu’une infi me partie de la diversité génétique contenue dans les espèces reconnues et dans les 5 000 variétés de pommes de terre encore cultivées de nos jours dans les Andes. Les agriculteurs des Andes s'occupaient de nombreuses cultures vivrières, notamment des tomates, des haricots et du maïs, et leurs variétés de pommes de terre se sont particulière-ment bien adaptées à la région de la « vallée quechua », à 3 100-3 500 mètres d’altitude, sur les fl ancs de la Cordillère centrale (les peuples andins considéraient la région quechua comme la « région civilisée »). Ils ont aussi mis au point des variétés résistantes au gel qui survivent sur la steppe d’altitude (puna), à 4 300 mètres d’altitude.

La sécurité alimentaire assurée par le maïs et la pomme de terre, renforcée par le développement de l’irrigation et de la culture en terrasses, a permis l’émergence de l’empire Huari,

discoveries, together with a group of scientists from the Scottish Crop Research Institute, have helped re-write much of what was known about the origin and the evolutionary history of the cultivated potato. They have demonstrated that the cultivated potato has a single place of origin, in Peru; with data indicating that the early cultivars originated from a single ancestral line in the “northern” component of the S. brevicaule complex in central or southern Peru [5]. Another fi nding was that what were considered member “species” of the S. brevicaule northern group were poorly defi ned, and that further studies might reduce them to a single species.

In its birthplace, however, the potato became intimately connected with Andean culture and religion and was refl ected in myths and legends describing the bounties of Pachamama, or Earth Mother [6]. Indigenous potatoes still play multiple roles in the daily life of Andean people and in their traditional medicine.

Peruvian origin of the potato and early traces of human consumption

The potato’s story, as narrated by many authors including Salaman [7] and summarized by IYP 2008 [8], among others, begins about 8,000 years ago near Lake Titicaca, at 3,800 meters above sea level in the Andes mountain range of South America, on the border between Bolivia and Peru. There, research indicates, communities of hunters and gatherers who had fi rst entered the South American continent at least 7,000 years before began domesticating wild potato plants that grew in abundance around the lake.

Some 200 species of wild potatoes are found in the Americas. But it was in the Central Andes that farmers succeeded in selecting and improving the fi rst of what was to become, over the following millennia, a staggering range of tuber crops. In fact, what we know as “the potato” - Solanum species tuberosum - contains just a fragment of the genetic diversity found in the recognized potato species and nearly 5,000 potato varieties still grown in the Andes. Although Andean farmers cultivated many food crops - including tomatoes, beans and maize - their potato varieties proved particularly suited to the quechua or “valley” zone, which extends at altitudes of from 3,100 to 3,500 meters along the slopes of the Central Andes - among Andean peoples, the quechua was known as the zone of “civilization”. But farmers also developed a frost-resistant potato species that survives on the alpine tundra of the puna zone at 4,300 meters.

The food security provided by maize and potato - consolidated by the development of irrigation and terra-cing - allowed the emergence around 500 AD of the Huari civilization in the highland Ayacucho basin. Around the same time, the city state of Tiahuanacu rose near Lake Titicaca, thanks largely to its sophisticated “raised fi eld” techno-logy - elevated soil beds lined with water canals - which produced potato yields estimated at 10 tonnes per hectare. At its height, around 800 AD, Tiahuanacu and neighbouring valleys are believed to have sustained a population of 500,000 or more.

The collapse of Huari and Tiahuanacu between 1000 and 1200 led to a period of turmoil that ended with the meteoric rise of the Incas in the Cusco valley around 1400. In less than 100 years, they created the largest state in pre-Columbian America, extending from present-day Argentina to Colombia.

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autour du Ve siècle, dans le bassin d’Ayacucho. À peu près à la même époque, la cité-État de Tiahuanaco fut érigée près du lac Titicaca. Un système de cultures en terrasses sophistiqué, levées de terre bordées de canaux, permettait de produire 10 tonnes/hectare. À l’apogée de cette civilisation, vers l’an 800 de notre ère, 500 000 personnes ou plus vivaient à Tiahuanaco et dans les vallées environnantes.

À la chute de l’empire Huari et de Tiahuanaco, entre 1000 et 1200, succéda une période d’agitation à laquelle mit fi n l’émergence fulgurante de l’empire inca dans la vallée de Cuzco, autour de 1400. En moins d’un siècle, les Incas créè-rent l’empire le plus vaste de l’Amérique précolombienne, qui s’étendait de l’Argentine à la Colombie actuelles.

Les Incas adoptèrent et améliorèrent les techniques agrico-les des civilisations andines, accordant la primauté à la culture du maïs. La pomme de terre était pourtant fondamentale pour la sécurité alimentaire de l’empire : elle occupait une place de choix dans le vaste réseau d’entrepôts des Incas (en particulier le chuño, tubercule déshydraté par exposition au gel et au soleil) et permettait non seulement de nourrir fonctionnaires, soldats et esclaves mais servait également de réserve en cas de mauvaise récolte. L’invasion par les conquistadors en 1532 a précipité la chute de l’empire inca, mais la pomme de terre a résisté. Tout au long de l’histoire des civilisations andines, elle est restée, sous toutes ses formes, la denrée du peuple et tenait une place centrale dans leur paradigme (par exemple, on mesurait le temps au temps nécessaire pour cuire des pommes de terre). Dans certaines régions des Andes, les agriculteurs mesurent encore les terres en topo, superfi cie nécessaire à une famille pour couvrir ses besoins en pommes de terre. Le topo est plus étendu en altitude, car la période de jachère des parcelles est plus longue. Les agriculteurs classent les pommes de terre par espèces et par variétés, mais aussi par niches écologiques qui donnent les tubercules les plus gros, et il est courant de voir sur une même petite parcelle quatre ou cinq espèces cultivées.

La culture des tubercules est encore de nos jours une des principales activités de la saison agricole près du lac Titicaca, où la pomme de terre est dénommée Mama Jatha, ou Mère de la Croissance. La pomme de terre demeure la semence emblématique de la société andine.

Diffusion du tubercule en Europe

L’histoire de l’arrivée et de la diffusion en Europe du tuber-cule de pomme de terre a été relayée par de nombreuses sour-ces, parmi lesquelles Rios [9] et la FAO à l’occasion de l’AIPT. La diffusion de la culture de la pomme de terre, originaire des Andes, dans le reste du monde est une magnifi que aventure. Mais comme beaucoup d’aventures, elle a commencé par une tragédie. La conquête du Pérou par les conquistadors espagnols, de 1532 à 1572, a détruit la civilisation inca et provoqué la mort (à cause de la guerre, des épidémies et du désespoir) d’au moins la moitié de la population.

Les conquistadors étaient venus chercher de l’or, mais le véritable trésor qu’ils rapportèrent en Europe c’est Solanum tuberosum. La première trace de culture du tubercule en Europe date de 1565, dans les îles Canaries, sous domination espagnole. En 1573, sa culture est attestée en Espagne. Peu de temps après, les tubercules voyagèrent à travers l’Europe sous forme de présents exotiques : le roi d’Espagne en envoya au Pape à Rome, qui en offrit à l’ambassadeur du Saint-Siège à Mons, et ce dernier à un botaniste à Vienne. Les pommes de terre, qui étaient déjà cultivées à Londres en 1597, gagnèrent la France et les Pays-Bas peu de temps après.

The Incas adopted and improved the agricultural advan-ces of previous highland cultures, and gave special impor-tance to maize production. But the potato was fundamental to their empire’s food security: in the Incas’vast network of state storehouses, potato - especially a freeze-dried potato product called chuño - was one of the main food items, used to feed offi cials, soldiers and corvée laborers and as an emergency stock after crop failures. The Spanish invasion, in 1532, spelt the end of the Incas - but not of the potato. For, throughout Andean history, the potato - in all its forms - was profoundly a “people’s food”, playing a central role the Andean vision of the world (time, for example, was measured by how long it took to cook a pot of potatoes). Farmers in some parts of the high Andes still measure land in topo, the area a family needs to grow their potato supply - a topo is larger at higher altitudes, where plots need to lie fallow for longer. They classify potatoes not only by species and variety, but by the ecological niche where the tubers grow best, and it is not unusual to fi nd four or fi ve species cultivated on a single, small plot of land.

Planting tubers remains the most important activity of the farming year near Lake Titicaca, where the potato is known as Mama Jatha, or Mother of Growth. The potato remains the seed of Andean society.

Diffusion of the tuber in Europe

The story of the potato tuber arrival and diffusion in Europe has been reported by many sources including Rios [9] and IYP, 2008 [8], among others. The diffusion of the potato from the Andes to the rest of the globe reads like an adventure story, but it began with a tragedy. The Spanish conquest of Peru between 1532 and 1572 destroyed the Inca civilization and caused the deaths - from war, disease and despair - of at least half the population.

The conquistadores came in search of gold, but the real treasure they took back to Europe was Solanum tuberosum. The fi rst evidence of potato growing in Europe dates from 1565, on Spain’s Canary Islands. By 1573, potato was culti-vated on the Spanish mainland. Soon, tubers were being sent around Europe as exotic gifts - from the Spanish court to the Pope in Rome, from Rome to the papal ambassador in Mons, and from there to a botanist in Vienna. Potatoes were grown in London in 1597 and reached France and the Netherlands soon after.

But once the plant had been added to botanical gardens and herbalists’ encyclopedias, interest waned. European aristocracy admired its flowers, but the tubers were considered fi t only for pigs and the destitute. Superstitious peasants believed the potato was poisonous. At the same time, however, Europe’s “Age of Discovery” had begun, and among the fi rst to appreciate potatoes as food were sailors who took tubers to consume on ocean voyages. That is how the potato reached India, China and Japan early in the 17th century.

The potato also received an unusually warm welcome in Ireland, where it proved suited to the cool air and moist soils. Irish immigrants took the tuber - and the name, “Irish potato” - to North America in the early 1700s. The widespread adoption of the potato as a food crop in the northern hemisphere was delayed not only by entrenched eating habits, but by the challenge of adapting a plant grown for millennia in the Andes to the north’s temperate climate. Only limited sample of the rich potato

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Mais une fois que la plante intégrée dans les jardins botaniques et les encyclopédies des herboristes, elle suscita moins d’intérêt. Si l’aristocratie européenne trouvait ses fl eurs admirables, elle jugeait les tubercules tout justes bons pour les cochons et les indigents. Les paysans superstitieux les tenaient pour vénéneux. Mais l’« ère des grandes décou-vertes » avait commencé en Europe, et les marins furent parmi les premiers à apprécier la pomme de terre, qu’ils emportèrent pour se nourrir lors de leurs longs périples en mer. C’est ainsi qu’elle parvint en Inde, en Chine et au Japon au début du XVIIe siècle.

La pomme de terre fut particulièrement bien accueillie en Irlande, la fraîcheur du climat et les sols humides se révélant propices à sa culture. Lorsqu’ils émigrèrent aux États-Unis au début du XVIIIe siècle, les Irlandais l’emportèrent avec eux, ce qui lui valut le nom de « pomme de terre irlandaise ». Son accession au rang de culture vivrière dans l’hémisphère nord fut retardée par le poids des habitudes alimentaires, mais également parce que sa culture relevait du défi : comment une plante cultivée depuis des millénaires sous les latitudes andines pouvait-elle s’adapter à un climat tempéré ? Une infi me partie seulement de son riche réservoir génétique avait quitté l’Amérique du Sud et il fallut attendre 150 ans pour qu’apparaissent des variétés adaptées aux longues jour-nées d’été. Ces variétés fi rent leur apparition à un moment critique. Dans les années 1770, la majeure partie de l’Europe continentale étant dévastée par la famine, l’importance de la pomme de terre pour la sécurité alimentaire devint une évidence. Le roi de Prusse, Frédéric le Grand, ordonna à ses sujets de la cultiver pour compenser les mauvaises récoltes de céréales, tandis que le scientifi que français Parmentier

gene pool had left South America, and it took 150 years before varieties suited to long summer days began to appear. Those varieties arrived at a crucial time. In the 1770s, much of continental Europe was devastated by famines, and the potato’s value as a food security crop was suddenly recognized. Prussia’s Frederick the Great ordered his subjects to grow potatoes as insurance against cereal crop failure, while the French scientist Parmentier succeeded in having the potato declared “edible” (see Box 1) - around the same time, on the other side of the Atlantic, US President Thomas Jefferson served French fries to White House guests.

After initial hesitation, European farmers - even those in Russia, where the potato was called the “devil’s apple” - began growing potatoes on a large scale. Potato became Europe’s food reserve during the Napoleonic wars, and by 1815 it had become a staple crop across northern Europe. By then, the Industrial Revolution was transforming agrarian society in the United Kingdom, displacing millions of rural people into crowded cities. In the new urban environment, the potato became the fi rst modern “convenience food” - energy-rich, nutritious, and easy to grow on small plots, cheap to purchase, and ready to cook without expensive processing.

Increased potato consumption during the 19th century is credited with helping to reduce the scourge of diseases such as scurvy and measles, contributing to higher birth rates and the population explosion in Europe, the US and across the British Empire.

Encadré 1. Parmentier et la culture de la pomme de terre

Antoine Parmentier, un scientifi que français offi cier durant la guerre de Sept Ans, rédigea une thèse en 1773 consacrée aux vertus de la pomme de terre, capable de juguler les famines. Prisonnier de guerre en Prusse, Parmentier avait goûté à ce tubercule, et était convaincu que s’il parvenait à persuader la cour du roi de France des qualités de la pomme de terre, la société française toute entière l’imiterait. Contre toute attente, le roi de France, Louis XVI, apprécia le tubercule, mais également la reine Marie-Antoinette, qui utilisa ses fl eurs pour décorer ses robes. La pomme de terre est ensuite devenue très en vogue dans la cuisine française, qui l’a notamment déclinée sous la forme d’un « Potage Parmentier ».

Dès le début du XIXe siècle, la pomme de terre fi gurait parmi les aliments de base de la société française. Parmentier a également joué un rôle clé dans sa diffusion en créant les frites, ou « French Fries », servie lors d’un dîner organisé en l’honneur de Benjamin Franklin. Thomas Jefferson ne tarda pas à leur faire franchir les portes de la Maison Blanche, après quoi l’Amérique ne fut plus jamais la même. Parmentier en fi t également planter de vastes champs aux environs de Paris. Ils acquirent une telle popularité qu’ils durent être entourés de fossés et surveillés par des gardes, pour éviter que les populations locales ne volent les tubercules la nuit pour les planter dans leurs propres jardins. La Révolution française n’altéra en rien sa popularité, tant et si bien qu’en 1793, le jardin des Tuileries fut transformé en champs de pommes de terre.

Box 1. Parmentier and potato cultivation

Antoine Parmentier, a French scientist and army offi cer during the Seven Years War, wrote a thesis in 1773 praising the virtues of the potato, particularly as a “famine food”. Parmentier had eaten potatoes as a prisoner of war in Prussia and thought that, if the French court could be persuaded to value the potato, all of France would do the same. Surprisingly, he not only persuaded the French King, Louis XVI, to accept this tuber, but also the queen Marie Antoinette, who wore potato fl owers to decorate her dresses. The potato then became very fashionable in French cuisine, notably in the potato soup now known as Potage Parmentier.

By the early 19th century, the potato became a staple in France. Parmentier was also instrumental in creating “French Fries”, which were served at a dinner honouring Benjamin Franklin. Later Thomas Jefferson introduced them to the White House, and America has never been the same since. To popularize the potato, Parmentier also established large potato cultivated areas near Paris. They became so popular, in fact, that the fi elds had to be surrounded by ditches and patrolled by guards to prevent local people stealing the tubers at night and planting them in their own gardens. Even the French Revolution did not dim the popularity of the potato - in 1793, the Royal Tuileries Gardens were turned into fi elds of potatoes.

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prouvait qu’elle était « comestible » (Encadré 1). À peu près à la même époque, de l’autre côté de l’Atlantique, le président des États-Unis Thomas Jefferson servait des frites (« French fries ») à ses invités à la Maison-Blanche.

Après quelque hésitation les agriculteurs d’Europe, y compris en Russie où la pomme de terre était affublée du nom de « pomme du diable », commencèrent à la cultiver à grande échelle. Après avoir constitué la réserve alimentaire de l’Europe durant les guerres napoléoniennes, en 1815 la pomme de terre était devenue une culture de base dans le nord de l’Europe. À la même époque, au Royaume-Uni, la révolution industrielle transformait la société agraire, poussant des millions de paysans vers les villes. Dans ce nouvel environnement urbain, la pomme de terre devint le premier aliment moderne facile à utiliser : énergétique, nourrissante, facile à cultiver sur de petites parcelles, bon marché et facile à cuisiner à peu de frais.

L’augmentation de la consommation de pommes de terre au XIXe siècle aurait contribué au recul du scorbut et de la rougeole, à l’accroissement des taux de natalité et à l’explosion démographique en Europe, aux États-Unis et dans l’Empire britannique.

La pomme de terre et la Grande famine en Irlande

Plusieurs auteurs sont revenus sur l’histoire de la pomme de terre en Irlande (notamment Woodham-Smith, 1962 [10] ; Bourke, 1993 [11] et Kinealy, 1995 [12]). Suite à son introduction aux alentours de 1590, les agriculteurs irlandais n’ont pas tardé à découvrir que leurs sols humides et frais étaient particulièrement propices à la culture de ce tubercule, qui nécessitait peu de travail. Un hectare de champ fertilisé pouvait produire jusqu’à 26 tonnes de pommes de terre, soit suffi samment pour nourrir une famille de six personnes pendant un an, les restes étant distribués aux animaux. Au tournant du XIXe siècle, la pomme de terre était devenue l’aliment de base des habitants des régions les plus pauvres d’Irlande. Plus de trois millions de paysans irlandais survivaient grâce à elle.

Mais le succès de la pomme de terre en Irlande et dans d’autres régions d’Europe s’avéra à double tranchant. En effet, les clones de tubercules cultivés sur l’ensemble du continent appartenaient à un petit nombre de variétés similai-res du point de vue génétique. Cette particularité les rendait particulièrement vulnérables : si un ravageur ou une maladie s’attaquait à une plante, il pouvait se propager rapidement aux autres. Le premier signe annonçant l’imminence d’un désastre apparut en 1844-1845, quand une maladie due à une moisissure, le mildiou de la pomme de terre (Phytophthora infestans), dévasta les champs de pommes de terre d’Europe continentale, de la Belgique à la Russie. Mais le pays le plus affecté fut l’Irlande, où la pomme de terre assurait plus de 80 % des apports énergétiques. Entre 1845 et 1848, le mildiou ravagea trois récoltes successives. Les populations rurales pauvres ne disposant alors d’aucun aliment de substitution, ce fl éau provoqua des famines qui causèrent la mort de plus d’un million de personnes et poussèrent une partie de la population à l’exode.

Cette catastrophe aboutit à des efforts concertés pour mettre au point des variétés plus productives et résistan-tes aux maladies. À partir d’un nouveau germoplasme en provenance du Chili, les sélectionneurs européens et nord-américains ont développé bon nombre de variétés modernes qui ont permis la production massive de pommes de terre

Potato in the Great Irish Famine

The history of the potato in Ireland has been summarized by a number of authors (Woodham-Smith, 1962 [10]; Bourke, 1993 [11] and Kinealy, 1995 [12] among others). Following the potato’s introduction around 1590, Irish farmers quickly discovered that potatoes would thrive in their country’s cool moist soil and required very little labour. A hectare of fertilized potato fi eld could yield up to 26 tons of potatoes, enough to feed a family of six for a year, with leftovers going to the household animals. By the 1800s, the potato had become the staple crop in Ireland’s poorest regions. More than three million Irish peasants subsisted solely on the potato.

However, the potato’s success in Ireland, and in other parts of Europe, proved a double-edged sword. For the tubers that were being cloned and cultivated across the continent belonged to a few, genetically similar varieties. That meant they were highly vulnerable: a pest or disease that struck one plant could spread quickly to the rest. The fi rst sign of impending disaster came in 1844-45, when a mould disease, late blight (Phytophthora infestans) rava-ged potato fi elds across from Belgium to Russia. But the worst came in Ireland, where potato supplied 80 percent of calorie intake. Between 1845 and 1848, late blight destroyed three successive potato crops. Since the poor farming population had no alternative foods to fall back on, the result was a series of famines that caused the deaths of more than one million people and forced as many to emigrate.

The Irish catastrophe led to concerted efforts to develop more productive and disease-resistant potato varieties. Drawing on new potato germplasm from Chile, breeders in Europe and North America produced many of today’s modern varieties, which laid the foundation for massive potato production in both regions for most of the 20th century. Awareness of the impact of the famine has continued to infl uence policy makers into the 21st century; the lessons of this episode – the need for a population to avoid over-dependence on a single staple crop and a limited number of varieties of that species - are just as valid today for agricultural research and for agriculture and rural development public authorities. This is applied to potato, cassava, rice or any number of other staple food crops.

Potato’s emergence as a “truly global food”

During the 18th and 19th centuries, European colonialism and emigration were taking the potato to all corners of the globe. Europeans were directly responsible for the intro-duction of potatoes into North America, where they were well established by the late 1700s. In addition, potatoes accompanied colonists to India, to French Indochina [13], to China [14], and to New Zealand where, in the 19th century, the Maoris added them to their fi elds of traditional tuber crops [15]. Colonial governors, missionaries and settlers introduced potato growing to the fl oodplains of Bengal and Egypt’s Nile delta, the Atlas Mountains of Morocco, and the Jos plateau in Nigeria. Emigrant farmers took the potato to Australia and even to South America, establishing the potato in Argentina and Brazil. Potatoes also entered Africa with Belgian, British, French, and German colonists, who often consumed them as a vegetable rather than as

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de part et d’autre de l’Atlantique au XXe siècle. La prise de conscience de l’impact de cette famine a continué à infl uencer les responsables politiques jusqu’au XXIe siècle. Les leçons tirées de cet épisode tragique (la nécessité pour toute population de ne pas dépendre exclusivement d’une seule culture de base et d’un nombre limité de variétés de cette espèce) conservent toute leur validité aux yeux de la recherche agronomique et des autorités publiques en charge de l’agriculture et du développement rural. Elles s’appliquent aussi bien à la pomme de terre, qu’au manioc, au riz ou à bien d’autres cultures vivrières de base.

L’émergence de la pomme de terre comme « produit alimentaire mondial par excellence »

Au XVIIIe et au XIXe siècle, le colonialisme européen et l’émigration ont contribué à propager la culture de la pomme de terre aux quatre coins du monde. Les Européens sont directement responsables de son introduction en Amérique du Nord, où ils sont durablement installés à la fi n du XVIIIe siècle. Les pommes de terre ont également accompagné les colons jusqu’en Inde, en Indochine [13], en Chine [14], et en Nouvelle-Zélande, où les Maoris les ont ajoutées à leurs champs de tubercules traditionnels dès le XIXe siècle [15]. Gouverneurs des colonies, missionnaires et colons l’introduisirent dans les plaines alluviales du Bengale, du delta du Nil, en Égypte, dans le massif de l’Atlas, au Maroc, et sur le plateau de Jos, au Nigeria. Les agriculteurs émigrés l’ont apportée en Australie et même en Amérique du Sud, introduisant sa culture en Argentine et au Brésil. Elle débarqua en Afrique en même temps que les colons belges, britanniques, français et allemands, qui les consommaient volontiers comme des légumes plutôt que comme des féculents. La culture de la pomme de terre a connu son expansion la plus importante dans les anciennes colonies des puissances européennes, où la population la considérait au XIXe siècle comme une culture maraîchère de grande valeur auréolée du prestige européen. Depuis, peut-être dans le sillage de la fi n du colonialisme, elles ont fi ni par y voir un aliment structurant du repas (base ou accompagnement), voire même un « snack » [16]. Sur le continent asiatique, la pomme de terre a emprunté d’anciennes routes, passant du Caucase au plateau d’Anatolie, en Turquie, puis de la Russie à la Chine occidentale, gagnant enfi n la péninsule coréenne. Dans les vallées du Tadjikistan, certaines variétés sont cultivées depuis si longtemps qu’elles sont considérées comme d’« anciennes variétés locales ».

Au cours du XXe siècle, la pomme de terre est devenue le produit alimentaire mondial par excellence. La production annuelle de l’Union soviétique atteignait les 100 millions de tonnes. Pendant les années de l’après-guerre, l’Allemagne et la Grande-Bretagne lui consacrèrent de vastes superfi -cies, et la Biélorussie et la Pologne produisaient plus de pommes de terre que de céréales (c’est d’ailleurs encore le cas aujourd’hui). La pomme de terre est devenue la reine des repas rapides. L’invention, en 1920, d’une machine à éplucher a contribué à faire des chips le snack le plus vendu aux États-Unis. Une chaîne de restaurants fondée par les frères McDonald aux États-Unis en 1957 a dépensé des millions de dollars pour « perfectionner la frite ». Quant à la société canadienne McCain®, qui a lancé les frites surgelées en 1957, après avoir créé 55 sites de production aux quatre coins du globe, elle produit aujourd’hui un tiers des frites consommées dans le monde.

a staple starch. The largest recent expansion of potato cultivation has been in former European colonies, where people in the nineteenth century regarded the tuber as a high-value garden crop and prestigious European vege-table. Since then - perhaps in conjunction with the end of colonialism - they have come to view it as a staple or co-staple garnish and snack [16]. In the Asian heartland, the tuber moved along more ancient routes, fi nding its way from the Caucasus to Turkey’s Anatolian plateau, from Russia to western China, and from China to the Korean Peninsula. In the mountain valleys of Tajikistan, some potato types have been grown long enough to be considered “old local varieties”.

The 20th century saw the potato fi nally emerge as a truly global food. The Soviet Union’s annual potato har-vest reached 100 million tons. In the years following the Second World War, huge areas of arable land in Germany and Britain were dedicated to potato, and countries like Belarus and Poland produced - and still do - more potatoes than cereals. The potato came into its own as a snack food. The invention in the 1920s of the mechanical potato peeler helped make potato crisps America’s top-selling snack. A restaurant chain founded by the McDonald brothers in the US in 1957 spent millions of dollars to “perfect the French fry”. A Canadian fi rm, McCain® that began making frozen French fries in 1957, expanded to open 55 production facilities on six continents and now supplies one third of all French fried potatoes produced internationally.

Potato production shifts to the developing world

Until recently, most potatoes were grown and consumed in Europe, North America and the former Soviet Union. Since the 1990s, production has expanded dramatically in Africa, Asia and Latin America – from less than 80 million tons in 1990 to a record of 180 million tons in 2009. Today, more than 40 percent of the world’s potatoes are grown in China, the Russian Federation and India. In India and China alone, total production rose from 16 million tons in 1960 to more than 100 million in 2009. In Bangladesh, potato has become a valuable winter cash crop, while potato farmers in Southeast Asia have tapped into exploding demand from food industries. In Sub-Saharan Africa, potato is a preferred food in many urban areas, and an important crop in the highlands of Cameroon, Kenya, Malawi and Rwanda.

The potato has an extraordinarily rich past, and a bright future. While production in Europe - the potato’s “second home” for four centuries - is declining, the potato has ample room for expansion in the developing world, where its consumption is less than quarter that of developed countries. Today in mountainous Lesotho, many farmers are shifting from maize to potato, assisted by an FAO project for production of virus-free seed tubers. In China, agriculture experts have proposed that potato become the major food crop on 60 percent of the country’s arable land, and say a staggering 30 percent increase in potato yields is within reach [1].

And in the Andes, where it all began, the Government of Peru created in July 2008 a national register of Peruvian native potato varieties, to help conserve the country’s rich potato heritage. That genetic diversity, the building blocks of new varieties adapted to the world’s evolving needs, will help write future chapters in the story of Solanum tuberosum.

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La production de pommes de terre gagne les pays en développement

Il y a encore peu de temps, l’essentiel des pommes de terre étaient cultivées et consommées en Europe, en Amérique du Nord et dans l’ex-URSS. Depuis les années 1990, la production s’est considérablement développée en Afrique, en Asie et en Amérique latine, passant de 80 millions de tonnes en 1990 au record historique de 180 millions de tonnes en 2009. À ce jour, plus de 40 % de la production mondiale provient de Chine, de Russie et d’Inde. L’Inde et la Chine ont vu à elles seules leur production passer de 16 millions de tonnes en 1960 à plus de 100 millions en 2009. Au Bangladesh, la pomme de terre est devenue une culture de rente hivernale précieuse, alors que les cultivateurs d’Asie du Sud-Est exploitent l’explosion de la demande provenant de l’industrie agroalimentaire. En Afrique sub-saharienne, la pomme de terre constitue un aliment de prédilection dans de nombreuses zones urbaines, et une culture essentielle pour les populations des régions montagneuses du Cameroun, du Kenya, du Malawi et du Rwanda.

Forte d’une histoire incroyablement riche, la pomme de terre est promise à un avenir radieux. Alors que la production diminue en Europe, son continent d’adoption depuis quatre siècles, elle bénéfi cie d’une immense marge de croissance dans les pays en développement, où sa consommation représente moins du quart de la consommation des pays développés. Aujourd’hui, les agriculteurs des régions montagneuses du Lesotho sont de plus en plus nombreux à remplacer la culture du maïs par celle de la pomme de terre, et bénéfi cient du soutien de la FAO pour obtenir une production exempts de virus. En Chine, les agronomes ont proposé d’en faire la principale culture vivrière en étendant sa production à 60 % des terres arables du pays, et prédisent une augmentation de 30 % de la production [1].

Dans les Andes, là où tout a commencé, le gouvernement péruvien a créé en juillet 2008 un registre national des variétés de pommes de terre originaires du Pérou, dans le souci de conserver ce formidable héritage. Cette remarquable diversité génétique, sources de nouvelles variétés adaptées aux besoins mondiaux en constante évolution, contribueront à écrire les prochains chapitres de l’histoire de Solanum tuberosum.

Le rôle de la pomme de terre dans la lutte contre la faim dans le monde

Face aux bouleversements qu’ont connus les marchés alimentaires internationaux en 2007 et 2008 (Encadré 2), l’AIPT arrive à point nommé. Cette année a encouragé les responsables politiques à réévaluer la pomme de terre et à reconnaître son rôle dans la sécurité alimentaire pendant les périodes de crise. De nombreux pays disposant d’un régime alimentaire peu varié, fortement tributaires des importations céréalières, ont compris l’intérêt de développer cette culture. L’AIPT a ainsi contribué à modifi er considérablement l’image de la pomme de terre, qui n’est plus perçue comme un simple aliment de base destiné aux populations pauvres, mais comme un tubercule aux grandes qualités nutritionnelles, amené à jouer un rôle fondamental pour contrecarrer les effets pervers de l’infl ation des prix des céréales [17-19].

L’AIPT a également participé au développement de systè-mes durables fondés sur la pomme de terre, contribuant au bien-être des producteurs et des consommateurs, et mettant en évidence le formidable potentiel de ce tubercule, amené à assumer pleinement son rôle d’« aliment du futur » [1, 21]. Au

Role of the potato in the fi ght against global hunger

With the upheaval in international food markets throu-ghout much of 2007 and 2008 (see Box 2), the International Year of the Potato could not have been more timely. The Year encouraged policy-makers to re-evaluate the potato and recognize its role as a food security crop during food supply crises. As a result, many countries with low levels of dietary diversity and a high level of dependency on cereal imports realize the benefi ts of expanding their potato cultivation. Thus, the International Year has contributed to an important shift in perception of the potato, from that of a staple food of the poor to one that recognizes the tuber’s solid nutritional benefi ts and its role in countering the effects of cereal price infl ation [17-19].

The Year also served to promote development of sus-tainable potato-based systems that enhance the wellbeing of producers and consumers and help realize the potato’s full potential as a “food of the future” [1, 21]. Over the next three decades, the world’s population is expected to grow on average by more than 100 million people a year. More than 95 percent of that increase will occur in the developing countries, where pressure on land and water is already intense. To meet the food needs of the population in 2050, production will have to expand by more than 70 percent compared to what it was in 2000. It is expected that 90 per cent of the expansion will be through production intensifi cation and 10 percent will be from area expansion mainly in Sub-Saharan Africa and Latin America [22].

A key challenge facing the international community is, therefore, to ensure food security for present and future generations, while protecting the natural resource base on which we all depend. The potato will be an important part of the efforts to meet those challenges, for the following reasons:

Potatoes are a truly global food

Today potatoes are grown on more than 200 000 sq km of farmland, from China’s Yunnan plateau and the subtropical lowlands of India, to Uganda’s equatorial highlands and the steppes of the Ukraine.

Potatoes feed the hungry

The potato should be a major component in strategies aimed at providing nutritious food for the poor and hungry. The potato produces more nutritious food more quickly, on less land, and in harsher climates than any other major croP – up to 85 percent of the plant is edible human food, compared to around 50 percent in cereals.

Potatoes are nutritious

Potatoes are rich in carbohydrates, making them a good source of energy. They have the highest protein content in the family of root and tuber crops, and protein of a fairly high quality.

The new estimate of the number of people who will suffer chronic hunger this year is 925 million - 98 million down from 1.023 billion in 2009, the majority of them live in developing countries go hungry every day [23, 24]. In many countries, poor and undernourished farm households depend on potatoes as a primary or secondary source of food and

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cours des trente prochaines années, la population mondiale devrait croître de plus de 100 millions d’habitants par an, dont plus de 95 % dans les pays en développement, où la pression sur la terre et l’eau est déjà très forte. Pour répondre aux besoins alimentaires de la population mondiale en 2050, la production devra être supérieure de 70 % à son niveau de 2000. Quatre-vingt-dix pour cent de cette expansion devraient passer par l’intensifi cation de la production, et 10 % par l’accroissement des surfaces cultivées, pour l’essentiel en Afrique sub-saharienne et en Amérique latine [22].

La communauté internationale est aujourd’hui confron-tée à un défi majeur : garantir la sécurité alimentaire des générations présentes et futures, tout en préservant les ressources naturelles dont nous dépendons tous. La pomme de terre jouera un rôle clé dans les efforts déployés pour relever ces défi s, et cela pour différentes raisons :

La pomme de terre est le produit alimentaire mondial par excellence

Aujourd’hui, les pommes de terre sont cultivées sur plus de 200 000 km² de terres, du plateau du Yunnan, en Chine, aux plaines subtropicales de l’Inde, des régions montagneuses équatoriales de l’Uganda aux steppes de l’Ukraine.

La pomme de terre nourrit ceux qui ont faim

La pomme de terre devrait faire partie intégrante des stratégies visant à fournir une alimentation nutritive aux populations pauvres et affamées. La pomme de terre produit

nutrition. These households value potato because it produces large quantities of dietary energy and stable yields under conditions in which other crops might fail. The nutrient-rich potato is well positioned, therefore, to contribute to improved diets, thus reducing mortality rates caused by malnutrition. It can also improve food security and health, especially among women and children. The International Year highlighted the contribution that the potato is already making to development and food security in Africa, Asia and Latin America, where potatoes have become an important staple food and cash crop. The year also focused global attention on the need to reach vulnerable with solutions that reduce constraints, create opportunities, improve productivity and reduce risks in their farming systems.

Further progress requires, fi rst, increases in the pro-ductivity, profi tability and sustainability of potato-based farming systems. It will also depend on stronger commit-ment and a renewed sense of responsibility on the part of the international community for agricultural and rural development in order to guarantee world food security and to drive economic development in countries dependent on agriculture.

The potato in economic development and poverty alleviation

Global potato market analysis has been summarized in the FAO Food Outlook (2008) [20] and by A. Prakash [19], among others. Findings underscore the potato’s great economic potential as more and more of the tubers enter processing to meet rising demand from the fast food, snack and convenience food industries. The stimulus behind this development includes the growth of urban populations, rising incomes, the diversifi cation of diets and ease of consumption.

Encadré 2. La pomme de terre : une culture peu exposée à l’infl ation

Suite à l’envolée des prix des denrées alimentaires sur les marchés internationaux en 2007 et 2008, la FAO a mené une enquête dans les 70 plus vulnérables au monde. Elle a constaté que l’infl ation des prix des pommes de terre et autres racines et tubercules était nettement plus faible que celle des céréales.

Contrairement aux céréales, la pomme de terre ne fait pas l’objet d’échanges mondiaux. Seule une infime partie de la production totale est exportée, et ses prix dépendent généralement de l’offre et de la demande locales, et ne sont pas soumis aux fl uctuations des marchés internationaux. En outre, elle ne risque pas non plus de subir les effets pervers de la spéculation, contrairement aux céréales. Cette caractéristique en fait une culture vivement recommandée pour assurer la sécurité alimentaire, susceptible d’aider les consommateurs à faible revenu à surmonter la crise qui agite actuellement les marchés alimentaires internationaux.

La FAO a également découvert que plusieurs pays interdisaient l’exportation de riz, afi n de mettre leur population à l’abri des éventuelles pénuries, et de protéger leur économie en évitant l’infl ation des prix des denrées alimentaires sur le marché national. Toutefois, de telles initiatives n’ont eu pour effet que d’attiser l’infl ation des cours internationaux du riz. Si les consommateurs avaient diversifi é leurs denrées de base, en y ajoutant la pomme de terre par exemple, de telles contraintes auraient sans doute été superfl ues [20].

Box 2. For the potato, lower price infl ation

In the wake of global food price hikes in 2007/2008, FAO surveyed more than 70 of the world’s most vulnerable countries. It found that infl ation of cereal prices was overwhelmingly higher than for potato and other root crops.

Unlike major cereals, potato is not a globally traded commodity. Only a fraction of total production enters foreign trade, and its prices are determined usually by local demand and supply conditions, not the vagaries of international markets. Moreover, since the potato is absent from the major commodity exchanges, it is virtually immune to speculative activity, unlike cereal commodities. It is, therefore, a highly recommended food security crop that can help low-income consumers ride out any repeat of the current turmoil in world food supply and demand.

FAO also found that several countries imposed export bans on rice in order to protect against shortages and to shield their economies from domestic food price infl ation. However, such actions only served to push global rice prices higher. If consumers had relied on a broader base of staples – such as the potato - in their food basket, such restraints may not have been necessary [20].

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davantage d’aliments nutritifs sur moins de terres et dans des climats plus rudes que toute autre grande culture. Jusqu’à 85 % de la plante est comestible pour l’homme, contre environ 50 % pour les céréales.

La pomme de terre est nourrissante

Les pommes de terre sont riches en glucides, ce qui en fait une bonne source d’énergie. Elles ont la plus haute teneur en protéines de toute la famille des racines et tubercules, et de surcroît, de qualité relativement élevée.

Selon les dernières estimations, le nombre de per-sonnes souffrant chroniquement de la faim cette année s’élève à 925 millions, soit 98 millions de moins qu’en 2009 (1,023 milliard). La majorité d’entre elles vivent dans les pays en développement et sont confrontées chaque jour à la faim [23,24]. Dans de nombreux pays, les ménages agricoles les plus pauvres et sous-alimentés dépendent de la pomme de terre comme source principale ou secondaire de nourriture. La pomme de terre leur est précieuse, car elle procure de bons apports énergétiques et assure des rendements relativement stables contrairement à d’autres denrées. Riche en éléments nutritifs, la pomme de terre constitue une excellente solution pour améliorer la qualité des régimes alimentaires et réduire les taux de mortalité dus à la malnutrition. Elle peut également avoir un impact positif sur la sécurité alimentaire et l’état de santé des femmes et des enfants. L’AIPT a mis en évidence sa contribution au développement et à la sécurité alimentaire en Afrique, en Asie et en Amérique latine, où les pommes de terre sont devenues une denrée alimentaire de base et une culture de rente de premier plan. Cette année a attiré l’attention du monde sur la nécessité d’offrir aux populations vulnérables des solutions réduisant les obstacles, créant des opportuni-tés, améliorant la productivité et réduisant les risques au sein des systèmes de production agricole.

Pour continuer à progresser, il est indispensable d’améliorer la productivité, la rentabilité et la durabilité des systèmes d’exploitation de la pomme de terre. Pour cela, il est nécessaire que la communauté internationale assume ses responsabilités et s’investisse davantage dans le développement agricole et rural, afi n de garantir la sécurité alimentaire dans le monde, et de favoriser le développement économique des pays dépendant de l’agriculture.

Le rôle de la pomme de terre dans le développement économique et la réduction de la pauvreté

Les Perspectives de l’Alimentation (2008) [20], publication semestrielle de la FAO, et A. Prakash [19] offrent notamment une analyse du marché international de la pomme de terre. Leurs conclusions mettent en évidence son immense potentiel économique. La quantité croissante de tubercules utilisés par l’industrie répond à la demande grandissante des secteurs de la restauration rapide, des snacks et des aliments préparés. L’essor des populations urbaines, la hausse des revenus, la diversifi cation et la simplicité des modes de consommation de ces aliments, en sont les principaux moteurs. Les économies fondées sur l’agriculture rurale se transforment structurelle-ment en sociétés plus urbanisées offre de nouveaux débou-chés aux producteurs, aux transformateurs et aux vendeurs appartenant à la chaîne de valeur de la pomme de terre.

The structural transformation of rural agricultural based economies into more urbanized societies is opening up new market opportunities to potato producers and to their trading and processing partners in the value chain. Such opportuni-ties can foster greater income generation and employment creation in the sector.

Potato has become more than a simple food crop for the rural poor. It serves increasingly as a source of cash for low-income farm households and as a raw material for processing into value-added products for both rural and urban consumption. For example, potato fl our can easily be blended with wheat fl our. Taking the lead from cassava, governments have launched initiatives to reduce costly wheat imports by, for example, encouraging the consumption of bread made of a mixture of wheat and potato fl our. Potato’s adaptability to a wide range of specifi c uses lies behind the potentially important role it could play in developing country food systems. To tap such potential, however, an effi cient value chain for the commodity needs to be established.

An important challenge facing the potato sector is to create the incentives necessary to sustain potato produc-tion, without thwarting drives for greater cost effi ciency and productivity. During the 2007/2008 food price crisis, it was too easily forgotten that earlier in the decade international prices for cereals had reached historic lows when adjusted for infl ation. Thus, a boom followed by bust in cereal prices can easily undermine investments in potato sectors, if consumers revert back to purchasing cheap, subsidized imported cereals. Investment in potato cultivation should be considered as an insurance against international market turbulence and as a food security safeguard.

Potato and international food markets

International trade in potatoes and potato products remain small relative to production. Only about 6 percent of output (20 to 25 million tons) is traded, although trade has more doubled in volume since the mid-1980s. This growth has been due to unprecedented international demand for processed foods, particularly frozen and dehydrated potato products. In contrast, international potato trade has almost quadrupled in value since the mid-1980s. Global transactions – largely of processed potato products – are worth close to US$100 billion annually. To date, developing countries have not been benefi ciaries of this trade expansion. As a group, they have emerged as leading net importers of the commo-dity [17]. However, there are trade issues to overcome. For example, most countries use ad valorem import tariffs to protect domestic potato markets. They also restrict access to markets through sanitary and phytosanitary measures – which affect trade in unprocessed potato – and technical barriers to trade.

Import tariffs on potatoes and potato products are applied by most countries. The binding rates agreed under the aegis of the World Trade Organization (WTO) vary considerably. Potato provides a classic example of “tariff escalation”, whereby importing countries protect processing industries by levying higher duties on processed products than on raw material. Tariff escalation prevents countries from diversifying their export base into higher-value processed products, keeping them “trapped” as pro-viders of raw material. Countries wishing to supply potato

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Elle favorise égalemment la création d’activités génératrices de revenus et d’emplois dans le secteur.

La pomme de terre est bien plus qu’une simple culture vivrière destinée aux populations rurales pauvres. Elle représente une source croissante de revenus pour les ménages agricoles, et constitue une matière première prisée pour la fabrication de produits transformés, destinés à être consommés par les populations rurales et urbaines. La farine de pomme de terre se mélange par exemple facilement à la farine de blé. S’inspirant de la revalorisation du manioc, les gouvernements ont lancé des initiatives de réduction des importations coûteuses de blé en encourageant, par exemple, la consommation de pain préparé avec des farines de blé et de pomme de terre. Cette dernière peut être utilisée de diverses manières pour des usages spécifi ques, ce qui lui confère un rôle important dans les systèmes agricoles des pays en développement. Toutefois, pour exploiter ce potentiel, il reste à établir une chaîne de valeur effi cace.

Le secteur de la pomme de terre est confronté à l’enjeu majeur de soutenir la production du tubercule, sans pour autant freiner l’amélioration du rapport coût-effi cacité et de la productivité. La fl ambée des prix survenue en 2007 et 2008 nous fait oublier trop rapidement qu’il y a encore quelques années les prix internationaux des céréales, après ajustement pour l’infl ation, étaient tombés à des niveaux historiquement bas. Une période de forte expansion, suivie d’un effondrement des prix des céréales pourrait facilement compromettre les investissements dans les secteurs de la pomme de terre, si les consommateurs décidaient d’acheter à nouveau des céréales importées, subventionnées et bon marché. Les investissements visant à promouvoir la culture de la pomme de terre doivent être considérés comme une assurance contre les turbulences des marchés internationaux, et comme une mesure de pro-tection de la sécurité alimentaire.

La pomme de terre et les marchés alimentaires mondiaux

Le commerce international de pommes de terre et de produits dérivés est encore limité par rapport à la production. En effet, seulement 6 % environ des 20 à 25 millions de tonnes produites font l’objet d’échanges, bien qu’il aient plus que doublé en volume depuis le milieu des années 1980. Cette croissance est due à une demande mondiale sans précédent de produits transformés, notamment de produits congelés et déshydratés, à base de pommes de terre. Le commerce inter-national de la pomme de terre a quant à lui presque quadruplé en valeur depuis le milieu des années 1980. L’ensemble des transactions représentent chaque année près de 100 milliards de dollars américains. À ce jour, les pays en développement n’ont guère bénéfi cié de cet essor et apparaissent comme principaux importateurs nets de la denrée [17]. Ces échanges suscitent néanmoins des problèmes auxquels il faudra apporter des réponses. Par exemple, la plupart des pays utilisent des droits d’importation ad valorem pour protéger les marchés intérieurs de pomme de terre. Ils restreignent également l’accès au marché avec des mesures sanitaires et phytosanitaires, qui affectent les échanges de pommes de terre non transformées, soit autant d’obstacles techniques au commerce.

Des droits d’importation sur les pommes de terre et les produits dérivés sont appliqués par la plupart des pays. Les taux de consolidation convenus sous l’égide de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) varient considérablement. La pomme de terre constitue un exemple classique de « pro-gressivité des droits », où les pays importateurs protègent

commodities to the international market – especially to the more lucrative developed country markets – also face considerable hurdles in the form of food health standards and technical regulations [17].

The Doha Development Round of WTO negotiations recognize the negative impacts of tariff escalation. It includes importation provisions aimed at ensuring that standards and regulations do not become de facto barriers to trade or hidden protectionist policies, and that they put public health concerns foremost. However, negotiations pertaining to the Doha agenda have suffered a series of setbacks and, in 2010; a decade after its inception, the prospect of a binding agreement remains unclear. The most signifi cant differences were between developed countries and developing countries but there was also contention against and between the EU and US over their use of agricultural subsidies that are perceived as trade barriers.

Confl ict of interests

McCain® has paid money into the budget of the FAO for the author's work.

The designations employed and the presentation of material in the paper do not imply the expression of any opinion whatsoever on the part of FAO concerning the legal or development status of any country, territory, city or area or of its authorities, or concerning the delimitation of its frontiers or boundaries.

The mention of specifi c companies or products of manu-facturers, whether or not these have been patented, does not imply that these have been endorsed or recommended by FAO in preference to others of a similar nature that are not mentioned.

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les industries de transformation en prélevant sur les produits transformés des droits plus élevés que sur la matière première. En empêchant les pays de diversifi er leur base d’exportation en y ajoutant des produits transformés à plus haute valeur ajoutée, la progressivité des droits peut les contraindre à demeurer fournisseurs de matière première. Les pays désireux de proposer des pommes de terre sur le marché international, destinées en particulier aux marchés des pays développés plus lucratifs, sont également confrontés à des obstacles considérables imposés par les normes de sécurité sanitaire des aliments et les réglementations techniques [17].

Le cycle de Doha pour le développement, une ronde de négociations sous l’égide de l’OMC, reconnaît les impacts négatifs de la progressivité des droits. Il énonce d’importantes mesures visant à assurer que les normes et règlementations ne deviennent pas de facto des obstacles au commerce ou des politiques protectionnistes dissimulées, tout en donnant, en même temps, la priorité aux questions de santé publique. Malheureusement, les négociations de Doha ont essuyé une série d’échecs, et en 2010, soit dix ans après leurs débuts, aucun accord fi nal n’a encore été conclu. Les différences les plus marquantes séparaient les pays développés des pays en développement. Des différends à l’égard de l’Union européenne et des États-Unis, et entre ces deux acteurs, concernant notamment leur recours aux subventions agricoles, interprétées comme autant d’obsta-cles au commerce.

Confl its d’intérêts

McCain® a effectué un versement au budget de la FAO en rémunération du travail de l’auteur.

Les termes employés ainsi que les présentations de ce document n’impliquent en aucun cas l’expression d’une opinion quelconque de la FAO quant au statut juridique ou de développement des pays, territoires, villes ou zones ou de leurs autorités, ni quant à leurs frontières ou limites.

La mention de fi rmes ou de produits de fabricants, qu’ils soient ou non brevetés, n’implique pas non plus un agrément ou une recommandation de la FAO, de préférence à d’autres de nature analogue qui ne sont pas mentionnés.

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