LAPEURDANSLESANG

ElodieNowodazkijTraduitparAnne-SophieBigot

Tousdroitsréservés.Celivrenepeutêtrereproduitentotalitéouenpartie,dequelquemanièrequecesoit,sanslapermissionécritedel’auteur,àl’exceptiondebrèvescitationsàdesfinsdecommentairedansdesarticlesoudescompte-rendus.

Celivreestunœuvredefiction.Lesnoms,lespersonnages,lesentreprises,institutions,lieuxetévénementsquiysontdécritssontlefruitdel’imaginationdel’auteurousontutilisésdemanièrefictive.Touteressemblanceavecdespersonnesvivantesouayantexisté,desévénementsoudeslieuxestentièrementfortuite.

Pourtouteinformation,contactezl’auteuràl’adresse:elodie@elodienowodazkij.comouvisitezlesite:www.elodienowodazkij.comMiseenformeetcouverture:ElodieNowodazkijTraductionAnne-SophieBigot

Premièreédition(enanglais):Septembre2016

Petitmessagepourmeslecteurs

Cherslecteurs,Merciinfinimentàvousd’avoirchoisiLAPEURDANSLESANG.JesaisquevousavezlechoixentredesTONNESdelivres,etjesuissincèrementreconnaissantequevousayezdécidédelirelemien.

Jecroiselesdoigtspourqu’ilvousplaise.

Enécrivantcelivre,j’airi,j’aipleuré,jemesuisattendrie...etjemesuisfaitpeur!Aprèsvotrelecture,sivousavezquelquesminutesàmeconsacrer,n’hésitezpasàlaisseruneévaluation.

N’hésitezpasàmecontacter!VouspouvezdiscuteravecmoidansmongroupeFacebook,Elodie’sCozyNook.J’ypartagedesextraitsexclusifsetj’offrerégulièrementdesexemplairesdemeslivres.VousmetrouverezaussisurInstagramouTwitter.

Enfin,j’adorerecevoirdese-mailsdemeslecteurs:authorelodienowodazkij@gmail.com

Encoremerci!

Elodie

Petitmessagepourmeslecteurs

CHAPITRE1

CHAPITRE2–ERIN

CHAPITRE3–DIMITRI

CHAPITRE4

CHAPITRE5-ERIN

CHAPITRE6–DIMITRI

CHAPITRE7–ERIN

CHAPITRE8-DIMITRI

CHAPITRE9

CHAPITRE10-DIMITRI

CHAPITRE11–ERIN

CHAPITRE12

CHAPITRE13–DIMITRI

CHAPITRE14–ERIN

CHAPITRE15-DIMITRI

CHAPITRE16-ERIN

CHAPITRE17

CHAPITRE18–DIMITRI

CHAPITRE19-ERIN

CHAPITRE20-DIMITRI

CHAPITRE21-ERIN

CHAPITRE22–DIMITRI

CHAPITRE23

CHAPITRE24-ERIN

CHAPITRE25-DIMITRI

CHAPITRE26–ERIN

CHAPITRE27–DIMITRI

CHAPITRE28-ERIN

CHAPITRE29

CHAPITRE30-DIMITRI

CHAPITRE31-ERIN

CHAPITRE32-DIMITRI

CHAPITRE33–ERIN

CHAPITRE34–DIMITRI

CHAPITRE35-ERIN

CHAPITRE36–DIMITRI

CHAPITRE37-ERIN

CHAPITRE38-DIMITRI

CHAPITRE39-ERIN

CHAPITRE40-DIMITRI

CHAPITRE41-ERIN

DEUXIÈMEPARTIE

CHAPITRE42

CHAPITRE43–ERIN

CHAPITRE44-DIMITRI

CHAPITRE45

CHAPITRE46–ERIN

CHAPITRE47

CHAPITRE48–DIMITRI

CHAPITRE49-ERIN

CHAPITRE50

CHAPITRE51-ERIN

CHAPITRE52–DIMITRI

CHAPITRE53–ERIN

CHAPITRE54–DIMITRI

CHAPITRE55-ERIN

CHAPITRE56–DIMITRI

ÉPILOGUE-ERIN

PetitGlossaire

REMERCIEMENTS

Àproposdel’auteur

Celui-ciestpourtoi,Rinette.N’aiepaspeurdeviserlesétoiles.

N’aiepaspeurd’êtretoi-même.

CHAPITRE1

Ah,lapeur...Lapeuracequelquechosedesiparticulier.Cettesensationgrisante.L’impuissancedansleurs

yeux.L’adrénaline,lebesoinetlespulsionsqu’elleréveille.Lapeurredresselestorts.Lapeur,c’estlepouvoir.Etpourunefois,lepouvoirm’appartientcomplètement.Jamaisilsnelessauveront.Jamaisilsnem’attraperont.Jamaisilsnecomprendront.

CHAPITRE2–ERINVoilàcequ’onsait:àunmomentdonné,cettesemaineoudanslessemainesàvenir,ontrouverale

corpsd’unejeunefille.Chaqueannée,unefilledisparaît,etchaqueannée,onlaretrouvesansvie,levisagemarquéd’uneailed’angegravéedanssapeau.

Etcetteannéenefaitpasexception.Uneautrefilleadisparu.RachelStine,l’anciennecapitainedescheerleaders,estsortiedechezellesamedisoir,etpersonne

n’aeudenouvellesd’elledepuis.Malgrélesbattuesderechercheauxquellesparticipentlaplupartdeshabitantsdelaville,malgrélesmessagesdesupplicationdesafamilleetmalgrétouslesmédiumsquiontprisd’assautlavilleenprétendantsavoiroùchercher,Rachelresteintrouvable.Toutlemondes’accrocheencoreàl’espoirqu’ellevabien.

Certainesrumeursaffirmentqu’ils’agiraitd’unefugue,queletueurn’apaschoisisaprochainevictime,qu’ilestencoreenchasse.

«Allezlesfilles,onvaassurer!»Shawna,lacapitainedenotreéquipedecheerleaders,asurtoutl’aird’essayerdeseconvaincreelle-même.Ellelisseletissudesajupeetvérifieencorel’écrandesontéléphoneportableavantdelelâcherdanslapelousederrièreelle.«PourRachel!»encourage-t-elled’unevoixplusferme.Sescheveuxbrunssontrelevésenunequeuedechevalquirebonditderrièreelletandisqu’ellesautillepours’échauffer.Sonsourirefaitressortirl’éclatcouleurbronzedesesjoues,maissapeaufoncéen’estpasaussiparfaitequesurlesphotosdeclasse.Elleadegrandscernessombressouslesyeux.Rachelétaituneamietrèsproche,etelleretientseslarmesdepuisqu’onestentréesdanslestade.C’estRachelquiapréparéShawnaàdevenircapitaine,Rachelquil’aprisesoussonailequandelleestarrivéeaulycéeetacommencéàs’entraîneravecelle.

«Allez,go!»lance-t-elleens’avançantverslesgradins.Nousprenonstoutesnosplacespourlapremièrechorégraphieenattendantquelesjoueursde

l’équipedefootballaméricainentrentsurleterrain.Lesprojecteursilluminenttoutlestade,maisilsneréussissentpasàcacherlapeurquisepropage

danslafoule.L’odeurdeshot-dogstraînedansl’air,évoquantdelointainssouvenirsdebonheurinsouciant.Maisleriredesenfantsrésonnemoinsfortqued’habitude,etlesparentslessurveillentjalousementdesyeuxsansréussiràvraimentsedétendre.Sanscematch,laplupartdesgensseraientrestéschezeuxcesoir.Sanslefootball,GavertCityresteraitunevillefantômetoutlemoisdeseptembre.Sanslefootball,nousserionssûrementtousauborddulac,àfairesemblantqueriendemalnepeutnousarriveralorsqu’aufonddenous,nouscrèverionsdetrouille.

Malgrél’adrénalinequiparcourtlesveinesdetoutelafouleàl’idéedegagnerunnouveaumatchetdedécrocherunnouveautitre,personnenepeutignorerlalourdeurquiimprègnel’air.

Lesgensmarchentplusvite.Ilsmurmurentbeaucoup.Ilss’espionnentlesunslesautresetvérifienttoujoursquelesportessontbienferméesàclé.Certains,soucieuxdejouerleshéros,organisentdessurveillancesdequartierouinstaurentdescouvre-feux.

Descouvre-feuxquepersonnenerespecte.

Aprèslescours,certainslycéensdonnentdessoiréessurlethème«Serialkiller».Lessamedissoir,onseracontedeshistoireseffrayantesetonboitouonfaitlafêtejusqu’àoublierlaréalité.Lessamedissoir,c’estambiancemême-pas-peuretrien-à-foutre.Cessoiréesnousdonnentl’impressiond’êtreimmortels.

Pourtant,chaqueannée,quelquessemainesavantlehomecomingetsonfestivaldedébutd’annéeoùl’onélitleroietlareinedubal,toutchange.

Alors,lapeurdevientpresquepalpable.Lapeurdeperdrequelqu’un,lapeurdemourir.Notrecommunautésemetenpausepourplusieurssemaines,jusqu’àcequ’enfin,uncorpssoitretrouvé.

Àcôtédemoi,mameilleureamieNadiasebalanced’unpiedsurl’autre.Noussommestouteslesdeuxtropgrandespourêtreenhautdelapyramide,maisplusgrandestoutdemêmequeKellyetAliyah,alorsShawnanousaplacéescôteàcôtepourlenumérod’ouverturedumatch.Nadiamejetteuncoupd’œilenajustantlesfinesmèchesbrunesquis’échappentdesaqueuedecheval.«Commenttutesens,toi?»demande-t-elleaussibasquepossible.

«Çava.»Jem’étirelanuqueet,montantsurlapointedespieds,jeparcoursduregardlesgradins.Jevoismonpèredebout,avecmonfrèreCalebdevantlui.Mamèreestrestéeàlamaison,tropfatiguéepouraffronterlafoule.Jemeforceàleurfairecoucou,maismongesteestbientropraidepourunecheerleader.Lessiègestoutautourd’euxsontvides.Parcequepersonneneveutêtrevuavecmonpère.

Moncœursegonfledereconnaissancequandjereconnaislescheveuxblondsd’Audreyderrièreeux.ElleparleàCalebensouriant.MêmesiAudreyetmoiconcourronsdanslesmêmesconcoursdebeauté,elleestvitedevenueunedemesmeilleuresamies.Avant,samèreluiinterdisaitd’assisterauxmatchsdefootball,maisellesemontreunpeumoinsstrictecesderniersmois.Audreynousfaitsigneavantdes’installeràquelquesrangéesdemonpèreetdeCaleb.Elleportesonhautpréféré,untopbleufoncéquimetenvaleursesyeux.Carlos,lemeilleurwidereceiverdel’équipe,aenfinréussiàlaconvaincredeveniraumatchetàlasoiréequisuit.Ilavaitl’airplusnerveuxàl’idéequ’elleleregarderaitjouer,qu’àproposdudéroulementdumatchlui-même.

Nadiasepencheversmoi,etsonparfumfamilier,celuiquesamèreluiaoffertpoursesdouzeans,m’enveloppeetmecalmelesnerfs.«Lesvoilà.»Savoixagardéquelquechosedel’émerveillementqu’onressentaittouteslesdeuxquandonarejointl’équipedescheerleaders.

Lesjoueursdébarquentsurleterrainentrottinant,etlepubliclesacclame.Commetoutesmescoéquipières,jesauteàpiedsjoints,unsourireplaquésurmonvisage.

«AllezlesTigres!»Nouscrions,nousdansons,nousagitonsnospomponsenl’air,maisNadianesautepasaussihautqued’habitude,mescrisnesontpasaussienjoués,etl’équipetouteentièresemblemanquerd’énergie.

Shawnan’arrêtepasdetournerlatêtepourregardersontéléphoneposésurlapelouse,etellecontinueàretenirseslarmes.DepuisladisparitiondeRachel,nousvivonstoussoustension,àespérercontretouteattentequ’onlaretrouverasaineetsauve.

Lesjoueursportentunbrassardbleuetpasnoir.Toutlemondeveutcroirequel’histoiredeRachelneconnaîtrapaslamêmefintragiquequelesautresdisparues.

Maiscen’estpassurlesjoueursquemesyeuxs’attardent.Ilsvontdroitàl’entraîneurassistantdecettesaison,Dimitri.Ilestaussiséduisantquequandilétaitlastardel’équipe,avecsont-shirtbleumarinemoulantseslargesépaulesetsescheveuxbrunsarrangésdansunparfaitcoiffé-décoiffé,maissonexpressionestplusinquiètequed’habitude.Quelquesmoisavantsonaccident,ilestsortiavecRachelparintermittence.Alors,dèsqu’ilaunmomentdelibre,ilsejointauxvolontairespourlesbattuesderecherche.Ilm’aconfiéavoirdesinsomnies.Unepartiedemoivoudraitqu’ilregardedansmadirection,pourquejepuisseluioffrirunsourirerassurant,maisuneautrepartiemerabâchequejedoisprotégermoncœur,cariladéjàprouvéqu’ilétaitcapabledelebriser.Noussommesamis,unpointc’esttout.

L’entraîneur,M.Miller,passeunbrasautourdesépaulesdeDimitrietluiditquelquechoseen

dissimulantsabouchederrièresamain.Ilredoubledeprudencedepuisqu’uneéquipeadversearéussiàliretoutesastratégiesurseslèvres.

Nadiamemetunpetitcoupdecoudeetm’adresseundesesclinsd’œilexagérés,legenrequ’onpeutvoirdepuislefonddel’amphithéâtrequandellesetrouvesurscène.Jecroiraisvolontiersàsonenthousiasmesiseslèvresn’étaientpassipincées.«Hé,tuescenséeencouragerl’équipe,là,pasmongrandfrère!»Seslèvresremontentjusteassezpouresquisserunsourire.Nousdevonstoutesaffichernotreexpressionlaplusenjouée.Dansdesmomentssisombres,lesgensontbesoind’unpeudelumière.Lesvendredissoirsontnotretradition,lafiertédenotrepetitevilletexane.

«Tonfrèrefaitpartiedel’équipe,jetesignale.»Etjeluitirelalangue.Voilà,çaparaîtpresquenaturel.

Shawnaremonteàl’avantdugroupeensedandinant,etleshaut-parleurshurlentlamusiquedenotredeuxièmenuméro.

L’entraîneursedirigeverslecentreduterrainàgrandspasdéterminés,latêtehaute.Ilportelemicroàsaboucheets’éclaircitlagorge.Savoix,d’ordinairesiforte,sebrisequandilcommence.«Demainmatin,lesdeuxéquipesparticiperontauxopérationsderecherchepourlapetiteRachel.Nousespéronstousvousyretrouver.Lerendez-vousestà10heuresdevantlamairie.Letempsd’unmatch,noussommespeut-êtredesadversaires,maisnousrestonstousunisdansnosprièrespourretrouverRachelenvie.Dieulabénisse!»

Unsilenceglaçantenvahitlesgradins.Toutlemonderetientsonsouffle.Puissoudain,lavoixtonitruanteducommentateurretentit.«MesdamesetMessieurs,veuillezvous

leverpournotrehymnenational.Ilserainterprétéparuneélèvedetroisièmeannée,TessaGardner.»Tessaprendplacesurlalignedescinquanteyardsenregardantsespieds.Toutlemondeselève,et

jevoisMmeGardnerdeboutprèsparentsdeRachel,audeuxièmerang.Elleessuieseslarmesetporteunt-shirtqu’elleavaitcrééilyacinqans,quandlasœurdeTessaadisparu:unportraitdeMélanieaveclesmots«L’avez-vousvue?»etunnumérodetéléphone,1-800-TROUVERMELLIE.

LecorpsdeMélanien’ajamaisétéretrouvé,maislapoliceestpersuadéequ’elleestmorte.Persuadéequ’elleaétélatroisièmevictimedutueurauxailesd’ange.

Tessaprendplacesurlalignedescinquanteyards,aucentreduterrain,etentameLaBannièreétoilée.Savoixclaireporteloinetnousatteintenpleincœur.Nadiaprendmamain,j’attrapecelledeShawna,ettoutel’équipedescheerleadersseregroupe.Nousnefaisonsqu’une.

Àlafindelachanson,onsentunchangementdansl’air.Unefoislematchcommencé,toutlemondeseconcentresurleballon,surlavictoire,surn’importequoid’autrequelesentimentd’êtrecomplètementimpuissantfaceaudéroulementdesévènements.

Malgrélatempératureplutôtdoucedecesoirdeseptembre,jefrissonne.Mapeaumepicote,commesijemesentaisobservée.Jerejettecettesensationdésagréable.Pendantlesmatchs,iln’yapasquelesjoueursquireçoiventbeaucoupd’attention.Lescheerleadersaussi.

«Touchdown!»crieNadia,etnousnousremettonsviteenposition.Etpendanttouteladuréedumatch,nousfaisonsdenotremieuxpourapporterunpeudejoieetde

sourireauxhabitantsdeGavertCity,mêmesiçanedoitdurerqu’unesoirée...

Lasueurruisselledansmanuqueetlelongdemondos.L’équipearemportécettevictoiredontelleavaitbienbesoin.Biensûr,nouslescheerleaders,nousespéronstoutesquenotreperformanceyestunpeupourquelquechose.

«Bravo,lesfilles»nousféliciteShawnatoutenvérifiantencoreunefoissontéléphoneportable.«Vousavezétégéniales.N’oubliezpasqu’ilyaentraînementdimanche,puistrèstôtpresquetousles

matinslasemaineprochaine.Ilfautqu’onbossedurpourlehomecoming.»Ellenenouslaissepasletempsderépondreets’éclipsedanslesvestiaires.Nadias’essuielefrontetmetendunebouteilled’eau.Commemoi,sonuniformeblancetrougelui

colleàlapeau.Elles’éventelevisagedureversdelamain.Sesjouessontrougesetsesyeuxchâtaignelouchentverslesgradins.«C’étaitbizarre,cematch.Lesjoueursonttoutdonné,etnousaussi,jecrois,maisj’aipaspum’empêcherderegarderlesparentsdeRacheletdemedemandercequ’ilsressentaient.»Ellesemordillelalèvreinférieure,sagrandemanie.Samèreaessayédeluifaireperdrecettehabitude,maisc’estsonmoyenàelledegérerlestressoulesangoisses.

—Àchaquefoisqu’untéléphoneasonné,j’aicruquequelqu’unl’avaittrouvée.J’imaginemêmepascommentçaaétépoureux...»Jereprendsunegorgéed’eau.

Nadiafaitunsignedumentonsurladroite.«Voilàtonfanclub.»Jesensdespapillonsfaireunmilliondecabriolesdansmonventre...avantdevoirqu’elleneparlaitpasdeDimitri.

MonpetitfrèreCalebseprécipiteversmoi.Sescheveuxblondsfoncés,lesmêmesquemonpère,sonttoutcollantsetilaunegrossetacheenpleinmilieudesont-shirtSuperman.Iladûconvaincremonpèredeluiacheteruneglaceauchocolat.Ilsejettedansmesbras,etjebasculeuninstantenarrièreenl’attrapantavantdelefairetournerenl’air.Calebritenmesuppliantd’allerplushaut,encoreplushaut.

Maisenvoyantmonpèreapprocher,jem’arrête.Ilalespoingsserrésauboutdesesbrastendus,etjemeforceàrespirerprofondémentetàgarderlesourire,résistantàlatentationd’attraperlamaindeCalebetderentrerenlaissantnotrepèrederrièrenous.«Caleb,tuasprévenuPapaquetuvenaismevoir?»Calebs’agrippeàNadia,qu’iladore.Nonseulementellesemontretrèspatienteaveclui,maiselleatoujoursunprojetdetravauxmanuelsàluiproposer.Dimanchedernier,ilsontfabriquédesvoituresavecunebriquedelaitetdesballonsdebaudruche.

«Bahoui»répond-ilsurladéfensive,maissesyeuxbleuciels’écarquillentlégèrement,commequandilseconcentretrèsfort.«Enfin,jec-crois.»Sonbégaiements’estbeaucoupaméliorécetteannée,maisilréapparaîtdanslesmomentsoùilsesentnerveux,toutcommesonasthme.J’aitoujoursuninhalateurdansmonsac.

Jeluiprendslamain.«C’estpasgrave.»Papas’arrêtefaceànous.Letissufroissédesonpantalonbeigememetmalàl’aise.Avant,il

repassaittoujourssoigneusementsesvêtements.Sescheveuxontbeaucouppoussé,alorsqu’ilselesfaisaitcoupertouteslesdeuxsemaines.Lesanciensétudiantsneremarquentpeut-êtrepasladifférenceentresatenuedecesoiretcellequ’ilportaitencoursàl’époque,maistouscespetitsdétailssontautantdesignesqu’ilestsurunemauvaisepente.Depuisqu’ilaétésuspenduparl’administrationdulycée,c’estdifficiledesavoirs’ilvasimplementêtred’humeurpassable,ous’enprendreaumondeentier.

Sesyeuxbleu-vertsisimilairesauxmiensluisentdecolère,maisilsemblelacontenir.«JeramèneCalebàlamaison»dit-ilsansm’accorderunregard,puis,setournantversNadia:«Bravo,Nadia.»Sontonchaleureuxcontrasteavecsonsourirehypocrite.Jemeretiensdehausserunsourcil,parcequ’ilestbienplusfroidavecnous,àlamaison,qu’ilnel’étaitavecsesélèves.Aulycée,c’étaitunprofpopulaire,etlaplupartdesélèvesontgardécetteimagepositivedelui.Lesparents,enrevanche,semontrentplusméfiants.Audébut,ilsluionttousassuréqu’ilssavaientbienqu’ilétaitinnocent,quec’étaitunhommemerveilleux,maisdepuisladisparitiondeRachel,deplusenplusdegenspréfèrentchangerdetrottoirquandilslevoientarriver.Surlesneufélèvesdulycéequiontdisparu,Rachelestlaquatrièmeàavoirétésonélève.Leshérifacommencéàs’intéresseràmonpèreaprèsladisparitiondeMélanie,ilyacinqans.Mélanien’étaitpasaulycée,etsoncorpsn’ajamaisétéretrouvé.C’estpourçaquebeaucoupdegensn’ontpasvudelienaveclesautresdisparitionsàl’époque,etqu’onaaccuséleshérifdefairetropdezèle.Aufildesans,leshérifs’estmontrédeplusenplussuspicieuxetagressif,etcestroisdernièresannées,ilnefaitplusaucunmystèrequ’ilconsidèremonpèrecommeleprincipalsuspectdanscetteaffairedemeurtres.Monpèrepensequeleshérifalancéunevendettacontrelui,etila

peut-êtrebienraison.«Merci,M.Hortz.»Nadiametouchelebras.«Dis,jedoisallermepréparer,Liamm’attendsur

leparking.Maisonsevoittoutàl’heure,d’ac’?»Monpèreseraclelagorgecommeillefaisaitenentrantdanssasalledeclasse.«Jenepensepas

qu’Erinpourravenir,cesoir.»Jemarmonne.«Ah?Pourquoi?»Jem’efforcedeparleraussicalmementquepossible.Lesvendredissoirau

borddulac,c’étaitnotretradition.Maisdepuisqu’onsaitqu’untueurensérierôdeàcetteépoque,lessoiréesdeseptembreontlieuchezundesjoueursdel’équipedefootball.Cesoir,c’estchezlequarterback.

«Parcequetamèrerisquedes’inquiéter.»Seslèvresdessinentunecourbetriomphante.Ilsaittrèsbienquejeneferaisrienquipuisseinquiétermamère.

«D’accord.Jerécupèrejustemesaffaires,etjerentrevite.»Mesépauless’affaissentàpeine.JeneveuxpasqueCalebvoieàquelpointjesuisdéçue.C’estdéjàassezdifficilepourluidesefaireenquiquinerparlesbrutesdesonécolequiluirépètentquesonpèreestuntueurensérie,etcemêmesipersonnen’alamoindrepreuve.

Mêmes’iln’ajamaisétéarrêté.MêmesiCalebn’arienàvoiravectoutça.Jeserrelesdents,maisçan’empêchepaslacolèredem’envahir.Hiersoir,encoreunefois,Caleb

s’estendormienpleurant.«Entendu.»IlattrapelamaindeCalebetletireversleparking.Monpauvrefrèreneproteste

mêmepas.«Entendu»jegrommelle,etlacolèresemueentristesse.Calebsedonnedumalpourbiense

comporter,suivrelesrèglesetcontenternosparents,maisaucund’euxnes’enrendcompte.Nadiasoupireetpassesonbrasautourdemesépaules.«Tonpèrenouspiqueencoreunecrise...»

ElleetDimitrisontlesseulsdemesamisàsavoircommentmonpèrepeutêtre,parfois.«Jepeuxrepoussermonrendez-vousavecLiam,situveux.Onpourraitacheterdesglacessurlarouteetenrameneruneàtamère?»

Jeluimetsunpetitcoupdehanchepourfeindreunairdétachéquin’apasl’airdelaconvaincre.«Non,t’inquiètepas.Ilfautquejemecouchetôt,detoutemanière.J’aiunerépétitionpourleconcoursdemain,etencemoment,Jennaestencorepluschiantequed’habitude.Elleneporteplussabaguedefiançailles,jemedemandes’ils’estpasséuntrucavecsonmec...

—Celuidontellearrêtaitpasdesevanterl’annéedernière?—Celui-làmême.—Çacraintpourelle.—Çacraintpournous,surtout!Ellesevengesurnous.»Nadiagrimace.«DoncsijevienstevoirauconcoursMissReinedecœur,ilyaunrisquequ’elle

meredisequejeferaisvraimentmieuxdem’entenirauthéâtre,parcequematêteetmoncorpsnepasserontjamaissurgrandécran?

—Arrête!Tuesdouée,ettuesravissante.Jevaistefaireunechoré,tiens.»Jelanceunpomponenl’air.«N-A-D-I-A!»

Nadiaposesamainsurmonbras.«Çava,j’aicompris,tumetrouvesgéniale.»Ellerit,etleplientresessourcilss’efface

«JepensequeJennaestaussinostalgiquedel’époqueoùc’étaitellequipassaitlesconcours.Unefois,ellem’aconfiéqu’elles’étaitjamaisautantéclatéequesurscène.»Jecoinceunemèchedecheveuxderrièremonoreille.«Etdepuisqu’elleneporteplussabague,c’estencorepire.Elles’estmiseàpleurercommeunegaminel’autrefois,justeparcequ’elleavaitoubliésondiscours.

—Çaal’airmoche.—T’aspasidée.Siseulementellepouvaittrouverunautremoyendesepasserlesnerfs.»Je

soupirebruyammentenvoyantCalebquicourtavecsonmeilleurcopain,Julian.Peut-êtrequemonpères’estenfincalmé.«Jevaisessayerdeparticiperàlabattue,demainmatin.

—Oui,moiaussi.»Nousrestonssilencieusesquelquessecondestouteslesdeux,perduesdansnospensées.Encoreune

journée,encoreunebattue,etRachelresteintrouvable.Lesvoituresquittentleparking,uneàune.Lesélèvesserendentàlasoirée.

JemetsuncoupdecoudeàNadia.«Tudevraisyaller,Liamvas’inquiéter.»Seslèvress’étirentenunsourired’amourtotal.LiametNadiasortentensembledepuisledébutdu

lycée,etcen’estpaspourrienqu’ilsontétéélus«Coupleleplusmignon»deuxannéesdesuite.Ellem’enlacerapidementavantdetrottinerversleparkingenmelançant«Jet’appelleplustard!»par-dessussonépaule.

Jemedirigeverslesvestiaires.Touteslesautrescheerleaderssontdéjàparties,presséesdesepréparerpourlasoiréeouderentrerpourrassurerleursparents.

Del’autrecôtédustade,lesjoueurscélèbrentleurvictoire,seprojetantsûrementdéjàauprochainmatch.Dimitriadûnoterpleindegribouillisdanssoncarnet.Jesorsmontéléphone,etuneondedechaleurmeréchauffedesorteilsjusqu’auboutdemaqueuedecheval.

Petite,j’airemarquéquetavoiturefuyaitsurleparking.Amène-lamoiaugarage,quejejetteunœil.

Jeréponds:Merci.Onsevoitdimanchepourcourir?Depuisquesonkinésithérapeuteluiaannoncéqu’ilpouvaitreprendrel’entraînement,Dimitrise

donneàfondpourrevenirautopdesaformephysique.Unfrissondélicieuxmeparcourtl’échineenl’imaginantencoreentraindecourirtorse-nu.Pasde

doute,sonphysiqueestautop.Jelâchemescheveuxavantd’ypasserlesdoigts.Auloin,j’entendsuneportesefermer,etmoncœurmebonditdanslagorge.Lesilencedes

vestiairespèsedansmapoitrineetmesyeuxfurètentàdroitepuisàgauche.«Nesoispasridicule,toutvabien»medis-jeàvoixhaute,maisjepeineàtrouvermarespiration.«Sûrementlesjoueursquis’envont.»

Jeprendsmonsacetj’hésiteentrel’issuedesecoursetlaporteprincipale,situéeunpeuplusloin.Lesangbatfortdansmesveines,etjeseraispresquetentéedecourirjusqu’àl’issuedesecours.Maisnon,c’estn’importequoi.Iln’yapersonne,etjenevaispasmefaireenlever.

Soudain,j’entendsdespasquirésonnent,etj’accélère.Maislespasserapprochent.Ilyaquelqu’un.Derrièremoi.Unemains’approcheetmetouchelebras.Jefrissonnedehautenbasetjepousseunhurlement.

CHAPITRE3–DIMITRILeterraindefootballsemblepresqueavoirrétréci.QuandM.Miller,notreentraîneur,m’aappelé

poursavoirsijevoulaisl’assisterbénévolementpourcettesaison,monpremierinstinctaétéderefuser.Troppeurdecequeçameferaitdemeretrouversurleterrain.L’annéedernièreétaitcenséeêtrelameilleureannéedemavie:j’allaisporterlelycéedeGavertversunnouveautitredechampiondel’État,mamèreallaitmevoirgagner,etjeseraisrecrutéparl’équipedel’universitéd’ÉtatduTexasavantdepoursuivremacarrièredanslaNFL.Aulieudeça,mamèreaétéemportéeparlecanceretj’aiflinguémachancederejoindrel’équipe.Dansmesrêves,iln’avaitjamaisétéquestiondepassermonexamendefindelycéeetdesuivredescoursàlapetiteuniversitédeGavertCountyletempsdetrouverunereconversion.Ilyétaitencoremoinsquestiondedécevoirmamèrejusteavantsamort.Jesenslapressionmonterderrièremespaupières.Simesyeuxétaientdespneus,ilsexploseraient.

Jefaiscraquermanuque.Çanechangerien.Jevoudraisoublier,maissilejourmauditoùj’aidécidédenepaschoisirentreboireetconduire

m’abienapprisuntruc,c’estquel’oubliaunprix.Boirejusqu’àl’inconsciencepouroublierquemamèreétaitmalade,cen’étaitpaslasolution.Ça

nel’apasempêchéedemourir,etçam’acoûtémaplacedansl’équipeetavecellemonavenir.Nadiaavaitraison:ilyaunavantetunaprès.Ellemeparlaitsouventdelivresqu’elleavaitlusou

depiècespourlesquelleselleauditionnaitenm’expliquantquedanstoutehistoire,ilyaun«avant»etun«après».Etentrelesdeux,lemomentoùtoutbascule.

Pourmoi,cemoment,c’étaitmonaccident.Etmonaprès,ilcraint.L’avant:quandjemepromenaisenville,onmetapaitgentimentsurl’épaule,onm’offraitun

sandwichouuneglace.Lesenfantsmeregardaientavecdesétoilesdanslesyeux.Lesmecsrêvaientd’êtreàmaplace.J’étaisadmiré.J’étaisquelqu’un.

Unjoueurdefootball.Plusqu’unsport,c’étaitunstyledevie.Etl’après?Certainsmeregardentexactementcommejem’yattendais:avecunmélangedepitiéetde«bien

faitpourtoi».Maiscequimeblesseencoreplus,c’estquebeaucoupnemeremarquentmêmeplus.Jesuisofficiellementdevenuundesfantômesquipeuplentlepassédufootball.Àmoinsquejeneréussisseàconvaincreunentraîneuruniversitairedemedonnermachance...N’importequelleéquipe,mêmeenDivisionIIouIII,mêmesurlacôteEst.Non,enfait,surtoutsic’estsurlacôteEst...Carçapourraitbienêtremaseulechanced’êtreavecErin.

Erin:lameilleureamiedemasœur,etpourmoi,unesourcedefrustrationsansfin.«Vousavezbienjouécesoir,lesgars»lancel’entraîneurauxjoueursréunisautourdelui.«Beau

match!»Cesdernierstemps,ilmedonneplusderesponsabilitésdansl’entraînementetmedemandemon

avisavantdeprendresesdécisions,etlesjoueursmerespectent.Maisquelquepart,jelesenvie,euxetleurpotentiel.Ilyadesrecruteursdanslepublic,prêtsàleurproposerderejoindreleurséquipespour

devenirdesstars.«Dimi,expliquedoncauxgaminscommentvousavezgagnélechampionnatduTexasquandtuétais

entroisièmeannée.»J’avanced’unpasetjeraconte.«L’entraînement,l’entraînement,etencorel’entraînement.Çaetle

travaild’équipe.Jesaisquec’estlegenredeslogansuperclichéqu’onbalanceavantchaquematch,maisc’estcetteannée-làqu’onestvraimentdevenuuneéquipe.

—Etexplique-leurpourquoivousavezperdul’annéedernière»ajoutel’entraîneur,etjetressaille.Aprèsl’accident,j’aiécopédetravauxd’intérêtgénéraletj’aidûparlerdemonexpériencedansdifférentslycéesàcent-cinquantekilomètresàlarondedanslecadredelapréventioncontrelaconsommationd’alcoolavantl’âgelégal.

«Parcequej’aimerdé,etquej’aitrahimonéquipe.»Lesjoueursmefixent,surpris,maisl’entraîneursecouelatête.Jemesensàl’étroit,étouffédansle

vestiaire,etjesuistentéderavalertousmesrêvesd’unavenirmeilleuretdem’enfuir.Maisjenepeuxpasfaireçaàl’équipe.Affrontermonpasséetmesdémons,çafaitpartiedudeal.Mêmesiçapeutêtreplusdouloureuxencorequelescoupsqu’onbouffesurleterrainquandonessaiedeprotégerleballon.

L’entraîneurclaquedesdoigtsdevantmesyeux.«Tuastort,Dimitri:ilsn’ontpasperduàcausedetoi.Ilsontperduparcequesanstoi,ilsontoubliécommentêtreuneéquipe.»Savoixexplose.«Vousjouezpourvotreéquipe,pourvotrelycée,pourvous-mêmes.Sivousavezunproblème,vousleréglezendehorsduterrain.Maissurleterrain,vousnefaitesqu’un.Etvousl’avezbienprouvécesoir.»

Lesjoueursseregroupentencercle.Ilssontencoreàboutdesouffle,maisaumoins,lapressionestretombée,pourlemomentdumoins,etilsmeurentd’envied’allerfêterleurvictoire.

«Maintenant,àladouche!Vousschlinguez.»L’entraîneurricaneetmefaitunsignedetêtedécidé.«Kuvlev,ilfautquejeteparle.»Ilnem’appelleparmonnomdefamillequequandj’aifaituneconneriemonumentaleouquandj’aimenél’équipeàlavictoire.

Cettefois,difficiledesavoirs’ilestfierouencolère.«Oui,coach?»Ilmefaitgestedem’asseoirsurlebanc.«Ilyadeuxsemaines,jesuisalléau

granddînerderentréeàl’universitéd’ÉtatduMidwest.J’yaivumoncopainChad,etjeluiaiparlédetoi.Jeluiaidonnétesstatistiquesetjeluiaiexpliquéquetum’aidaisàcoachercetteannée.Ilditquetupeuxl’appeler,situveux.»Ilmetendunecartefrappéed’unmustang,l’emblèmedel’université.«Jesaisqu’ilyaundéjàunrecruteurdeBowiedansleMarylandquivientteparlerlasemaineprochaine,maistuasd’autresoptions.»

Mesépaulessetendent.Sij’aidesoptions,pourquoiest-cequejemesensprisaupiège?«Merci,coach.»J’ail’airplusperplexequ’enthousiaste.

Ilselève,meforçantàleverlesyeuxverslui.«Uneseuleerreurnesuffitpasàbousillertavie,mongarçon.TuastoujoursrêvédejouerauTexas,etc’estencorepossible.»

Jehochelatête,maismespenséesfusentdanstouslessens.JouerauTexasétaitunrêvequej’aifaitvolerenéclatstoutseul.Maintenant,ErinetNadia

préparentundossieranticipépourêtreacceptéesàl’universitéduMaryland,parcequec’estlàquelamèred’Erinaétudié,etqueNadiaveuttoujourslasuivrepartout.Ellesontmêmefaitunpactedesangquandellesavaientdouzeansenjurantd’alleràlamêmeuniversité.

C’estaussilafacoùvamonmeilleurami,Gabe.Ilm’aenvoyéuntextojusteavantlematch.Lanuitdel’accidentl’achangé,luiaussi.Ilétaitàlaplacedupassagerquandons’estécraséscontreunarbre,etj’aibiencrul’avoirtué.Finalement,ilapureprendrelefootballaumilieudelasaison.Ilnem’enajamaisvoulu,ilditquecesoir-là,ons’estmontrésaussiconsl’unquel’autre.

C’estvrai.Quandmamèreaapprispourl’accident,elleapleuré.Ellenousacachéseslarmesquandson

cancers’estaggravé,maisquandellevenuemerendrevisiteàl’hôpital,ellen’apassulesretenir.Elle

n’ajamaissuquejel’avaisentendue,maislesondesessanglotsmehanteratoutemavie.C’estçaquim’afaitleplusmal:savoirquejel’auraidéçuejusqu’auderniermomentavantsa

mort.Jemelèvelentementetjem’occupelesmainsenaccrochantlesserviettesdebainetenessuyant

lesbancsavantdesortirduvestiaire.Jemedirigeverslasortiedesecoursàl’arrière,parcequec’estlaplusprocheetqu’ellememèneraauparkingplusvite.

Nadiaestsûrementdéjàpartie,maiscen’estpasellequej’espèrevoir...DepuisqueRacheladisparu,touslessentimentspourErinquejepensaisavoirenterrésontrefait

surface.Parcequemerde,lavieestcourte.J’auraisdûm’enrendrecomptedéjàaveclamortdemamère,maisj’étaispersuadéquepourmériterd’êtreavecErin,ilfallaitd’abordquejedevienneunemeilleurepersonne,quejetravailleplusdur,quej’aieunvéritableavenir.C’estcequelepèred’Erinm’aditl’annéedernière,quandilatrouvésafilleentraindepleureràcausedemoi.Savoixfroiderésonneencoredansmesoreilles:Laisse-latranquille,maintenant.Tun’espasassezbienpourelle.

Ilavaitraison.Elleméritetellementmieuxquemoi.Quelquesvoituressontencoregaréessurleparking.CalebjoueàchatavecJulian,etils’amuse

tellementquejesuisforcédesourire.Savien’estpasfaciledepuisquesonpèreestdevenuunsuspect,etçan’afaitqu’empirerdepuislesdernièresdisparitions,avecBrookel’annéedernière,etmaintenantRachel,cariln’étaitpasjusteleurprofesseurd’histoireaméricaine.Ilétaitaussileurtuteur.

Rachel...J’inspireprofondément.Mesyeuxparcourentleparking,maisErinn’yestpas.Jemeforceànepasm’inquiéter.Elleest

probablemententraindediscuterdanslevestiaire.Jevérifiemontéléphoneportableetvoisqu’ellem’arépondu.Jem’apprêteàl’appelerquandje

remarquesonpèreauloin.IlestavecAudrey,l’amied’Erin,etsepencheverselle.Audreyal’airmalàl’aise,ellenetientpasenplace,maisjenedistinguepassonvisage.Jem’apprêteàlesrejoindrequandAudreysedétourneets’éloigne.Elleal’airpressée,etjenepeuxpasm’empêcherdepenserquelepèred’Erinyestpourquelquechose.AudreydevaitattendreCarlos.Lepauvren’apasarrêtédeparlerd’elletoutelasemaine,etellelelaisseenplancommeça?

Monestomacgargouille,maisjenepeuxpasm’empêcherd’observerlepèred’Erin,quicriemaintenantàCalebdesedépêcher.Jel’entendsd’ici.Nosfamillessontdevenuestropprochescesdixdernièresannéespourquej’ignorequesonpèrepeutsemontrerparfois...bizarre.

Ladiscussionquej’aieueavecluil’annéedernière,c’étaitcarrémenttendu.Safaçondemetoiseretdeserrersamainautourdemonbras,puissonsourireaprès,commesiriennes’étaitpassé.

Avant,aulycée,ilétaitmarrant.Ilfaisaitdesblagues,etilétaitéluProfdel’annéetouslesanssansexception.Maischezlui,ilatoujourseucecôtéplussombre,quin’afaitques’accentuerquandErinaeutreizeans.C’étaitl’annéedelaquatrièmedisparitionàGavertCity.

Jerepèrelavoitured’Eringaréeàl’extrémitéduparking,surmadroite.Mesmainssecrispent,maisc’estinjustifié:Erinestforcémentdanslevestiaire,ellevabien.

N’empêche...Mespiedsmeramènentversl’entréeprincipaledugymnase,etjefinisparmemettreàcourir.

Ellepasselaporteaumomentmêmeoùj’allaisl’ouvrir.Ellealeteintrouge,maiscen’estpasjustel’effortphysique:elleal’airterrorisée.Jeserrelespoings.Carlosarrivederrièreelle,etenmevoyant,ilaunmouvementderecul.«Jevoulaispasluifairepeur,promis.JemedépêchaispourrejoindreAudreyetj’airepéréErindevantmoi.J’aipasréfléchi.Encorepardon,Erin!»Lesmotssortentdesaboucheàunevitessequ’iln’ajamaisatteintesurleterrain.

Erinafficheunsourire,unpeutimidepeut-être.«J’auraispasdûcriercommeça.Jesuistropstressée,jecrois!Désolée.»

MonregardpassedeCarlosàErin,etavantquejepuissem’enempêcher,mesdoigtseffleurentsonvisage.Unsoupçonderoseilluminesesjoues,etjemerapproched’elle.

Carloss’éclaircitlavoix.«Jevaisyaller.Audreym’aditdelaretrouveràlasoirée.»Ilpartpresqueencourant.

Mamainestencoreposéesurlevisaged’Erin,etsesyeuxbleu-vertsontgrandouverts.Sescheveuxauburntombentsoussesépaules.Seslèvres,quejesaisdouces,sucréesetaddictives,s’écartentlégèrement,etjenepeuxpasm’arrêterdelesfixer.Jepourraismeperdreenelle,jepourraismetrouverenelle.Ilfautquejemereprenne,oujeseraiscapabledeluiproposerderetournerdanslevestiairedésertpourleroulagedepellesdusiècle.

Jereculeetlaisseretombermamain.Elleinspireprofondémentetunvoilededéceptionpassesursonvisage,maisellesereprendvite.«Alors,monsieurl’entraîneurassistant,qu’avez-vouspensezdumatchdecesoir?»Ellesemetàmarcherendirectiondesavoiture.Jelasuis.

«Ons’estcarrémentbiendémerdés.Maisjecroisquelesmeilleures,c’étaitlescheerleaders.—Sijeneteconnaissaispas,jejureraisquetuesentraindeflirteravecmoi.»Sontonestplein

d’espoir,maistantquejen’auraipasrencontrélerecruteur,jedoismeretenir.Onadéjàeunotrechance,uneoccasionmanquée.Lepèred’Erinn’étaitpasleseulàêtredégoûtéparmoncomportementcesoirdematchàl’extérieur,enseptembredernier.Nadiaaussiapiquéunecolèremémorablequandelleasucequis’étaitpassé.Maisleursréactionsn’étaientrienàcôtédelacolèrequejeressentaiscontremoi-mêmeàl’idéed’avoircabossélecœurd’Erin.

Jen’enaijamaiseul’intention.Simplement,jen’étaispasprêt.Jenepouvaispasgérerdefrontlecancerdemamèreetla

pressiondemesproprespensées.Toutcequejevoulais,c’étaitfairedufootball,fairelafête,fairesemblant.

Jechangedesujet.«Aufait,j’aivutontexto.O.K.pourcourirdimanche.»Nousnousarrêtonsdevantletasdeferraillequiluisertdevoiture.«Commentvatonpère?Jel’aivuparleràAudreytoutàl’heure.»

Ellegrimace.«J’espèrequ’ilnel’apasmisetropmalàl’aise...Depuisqu’ilestsuspendu,ilagitencoreplusbizarrementqued’habitude.»Elleexpireets’appuiecontresavoiture.«TutesouviensquandNadiaetmoionaeutreizeans?»

Àl’époquej’avaisquinzeans,presqueseize,etjemesouvienstrèsbiendumaillotdebainqu’elleportaitcetété-là.«Mmm-hmm...

—Jecroisquec’estlàqu’ilachangé.Àpartirdecetété-là,ilacommencéàsemettreplussouventencolèreetàhurlerbeaucoupplussurmamère.J’aieul’impressiondel’avoirdéçu,maissanssavoirpourquoi.»Ellesecouelatêtecommepourchasserdespenséesintrusives.«Bon,ilfautquej’yaille.Jeveuxalleràlabattuedemain.EtcesoirjevaisessayerdeconvaincremesparentsdelaisserCalebdormirchezJulian,ilabesoindes’amuser.»

Mesdoigtsbrûlentdecaressersonvisage,mesbrasontbesoindes’enroulerautourd’elle,mabouchevoudraitluifaireoubliersessoucisàcoupsdebaisers...Maisjenebougepas.

«Jetevoisdemainsitupeux,etsinon,jetedisàdimanchematin.Soisprudente,hein?—Toujours.»Ellesemetsurlapointedespieds,seslèvreseffleurentlecoindemabouche

beaucouptropvite,etellesautedanssavoiture.Etellemelaisselà.

CHAPITRE4Cematchétaitcomplètementnaze.Etl’autrequifaisaitcommesilemondeluiappartenait?

CommesiLUIluiappartenait?Ridicule.J’entreenchantonnant:«Chérie,merevoilà!»etRachel—ah,Rachel,sisexy,siobéissante,

maistellementdébile—gémitsurlesolpoussiéreux.Notrepetitecachetteestplanquéenonloindulac,etàchaquefoisquelesvolontairesdesbattuess’enapprochent,j’aienviedeleurricaneràlatronche.Aulieudequoijememêleàeuxpourfaireminedecherchercellequ’ilsnetrouverontjamais.J’essuielasueurquicoulesursonfront,etellefrémitaucontactdemamain.Ellevaviteregretterdefaireautantdemanières.

«Pourquoi?»croasse-t-elle.Sescheveuxblondpâlesonttachésdesang,dusangquivientdesajoue,oùl’onvoitpointerl’ailed’angequej’yaigravéeplustôt.Ellealevisaged’unange,oudumoins,ellel’avait.Meslèvressetordentenunsourirequecertainsqualifieraientdesadique.Moi,j’appelleçaunsouriresincère.Pascommelessourirespourdirequetoutlemondeilestgentil,toutlemondeilestbeau,etcertainementpascommecessouriresforcésquelesgenssedistribuentàtouslescoinsderue.Non,c’estunsourirequiluiditexactementcequ’ilvaarriver.Unsourirequiluiditqu’ellevamourir.

Etmêmesi,aufondd’elle,elleadéjàcomprisqu’ellenevivraitpasunejournéepathétiquedeplussurTerre,ellenepeutpass’empêcherdemesupplierdelalaisserenvie.Cetteviesiinsignifiantequej’aienviedemefoutred’elle.«Jeveuxrentrerchezmoi.»Iln’yaucunepassiondanssesmots,aucuneforce,seulementdelarésignation.Maissesyeuxmedemandentpitié.Desyeuxmarron,certainsdiraientcaramelclair,quiontsûrementl’habitudedetoujoursobtenircequ’ilsveulent.Lesfillescommeellesonttellementprévisibles.Ellen’aquecequ’ellemérite.Justeunepétassedeplus.

Jem’assiedssurl’uniquechaisefaceàlatableenbois.Mestrésorssontcachésdansuntiroirsecretdumeuble:lescolliersdesfillesquej’aituées,lespetitsmotsquejeleuraifaitécrirepourleursparents(maisquejen’aijamaisenvoyés,biensûr),etunephotod’elle.Elle,quiseramatoutedernièrevictime.Leplusparfaitdesanges.

Dansunderniergestedésespérépoursauversapeau,Rachelpoussesursesbraspours’asseoir.Impressionnant:laplupartdesfillesontabandonnédepuislongtempsàcestade.«Jediraipasquitues,promis.»Salèvresupérieuretremble.Monsouriresefaitangélique,innocent.C’estunsourireauqueljem’entraînesouvent,celuiquimesertàmemêlerauxautressansmefaireremarquer.Etlà,toutdesuite,ilmesertàluifairemiroiterl’idéequ’elleaencoreunechance.Elledoitytrouverdel’espoir,carellemerépète:«Promis,jedirairien.»

Maiscommetouteslesautresfilles,ellenerentrerajamaischezelle.

CHAPITRE5-ERIN

Lesoleilbrilleàtraverslafenêtredelacuisine,maiscelanesuffitpasàréchaufferl’atmosphère.Lecourriers’entassesurlemeuble,etmalgrétousmeseffortspournettoyer,oncroiraitquelapoussièrenepartirajamais.

«Bon,Erin,tuesprête?»Ilestàpeine9heures30,etmonpèreestdéjàénervé.«Oui.»Jerassemblemescheveuxenchignonsurlesommetdematête.«Ondevraitprendredeuxvoitures,puisquetuasrépétitioncetaprès-midi.Jevoudraisresterpour

aiderauxrecherchesjusqu’àlafin.»Sonregardplongedanslemienetils’avanceversmoi,mebloquantlaroute.Mêmes’iln’ajamaislevélamainsurmoi,jefrémis.

«Tuessûr...?»Ilfroncelessourcils,etj’aienviederavalermesmots.«Sûrdequoi?»SontonestplusfroidquelaneigequenousnevoyonsquerarementauTexas.Il

s’appuiecontrelemeubleetjerespireprofondément.«Non,rien...»Sonrictusmeglaceencoreplusquesonton.«Jen’élèvepasunefillequiesttroplâchepourdire

cequ’ellepense.J’aimeraisnepasélevernonplusunefillequipensedumaldesonpère,maisapparemment,c’esttropdemander.

—Désolée...»jebalbutie.Heureusementquej’airéussiàleconvaincredelaissermonfrèredormirchezJulianhiersoir...Ilpartsansunmotetclaquelaportederrièrelui.J’aienviedecroireques’ilestautantsurles

nerfs,c’estqu’ils’inquiètepourRacheletqu’ilestagacéqueletueurn’aitpasencoreétéattrapé.C’estcequej’aibesoindecroire.

Aprèslabattue,jerentrerapidementchezmoipourmechangeretvoircommentvamamère.«Maman,j’yvais!»Jefrappeàlaportedelachambredemesparentsavantdel’entrouvrir.Ilest

midipassé,etelleestencoreaulit.«Maman...»jelagrondeàvoixbasse.Lesrideauxsonttirésetlapièceestplongéedanslapénombre.

«Oui,chérie.Jevaismelever.»Elleseretournedanssonlit,maisjesuissûrequ’ellenebougerapasavantleretourdemonpère.

«J’ailaisséunpeudepâtesaufrigo.Papaestencoreàlabattue,etCalebapassélanuitchezlesCarmichael.

—Merci.Faisattentionàtoi.—Biensûr.»Jefermelaportederrièremoi.Mamèresebatcontreladépressiondepuisdes

années,maiscesderniersmois,sonétataempiré.Sonpsyaprissaretraite,etellen’apasréussià

trouverunnouveauthérapeuteenquielleaitconfiance.Etdetouteévidence,sesmédicamentsneluifontpluseffet.

Jemefaisunchignonetj’écrisunmotpourmonpère.JevaischezJennapourlarépét’.JepasseraiprendreCalebplustard.Ilyadespâtesaufrigo.JeluiaiaussienvoyéunSMS,maisillesconsulterarement.LetrajetjusquechezJennasefaitdansleflou.Monespritestprisdansuntourbillondepensées

quejenecontrôlepas.Jedevraisrépétermesréponsesauxquestionsqu’onmeposeraàlafinduconcoursdebeautéleplusimportantdemavie.Jedevraisréfléchiràcommentmemontrerplusconvaincantesurscène.Jedevraisvisualisermavictoire.

Quandj’arriveaumanoirdeJenna,laported’entréeestouverte.Manifestement,ellenesesouciepasdutueurensériequirôde.Celadit,c’estvraiqu’elleafaitinstallerplusieursboutonsd’alarmedanssamaison,dontdeuxdanslasallederépétitionconstruitedansl’ailedroite.JepassedevantlesnombreuxtrophéesetportraitsdeJennaenbellerobedebalquisontaccrochésauxmurs.Toutestimpeccable,commetoujours.Ellen’apasàsebattrecontrelapoussière,elle.

JemeglissedanslasallederépétitionenévitantleregarddeJenna,carj’aicinqminutesderetard,etelledétesteça.Heureusementpourmoi,elleesttropoccupéeàenguirlanderunefillesurscènepourprendreletempsdemecrierdessus.Jem’assiedsàcôtéd’Audrey,quiaundouxsourireaccrochéauvisage.

«Alors,hiersoir?»jedemandeenmurmurant,carjenetienspasnonplusàmefaireenguirlanderpouravoirosédiscuter.

Audreypenchelatêtesurlecôté.Sescheveuxblondssontcoupésjusteau-dessusdesépaules,etelleporteunerobequesamèreaprobablementchoisiepourelle:unmachininformeetlong,nivraimentmarron,nivraimentvert.Cetterobe,Audreyladéteste.Samèreaunpeurelâchélesrênescesdernierstemps,maisparfois,sonobsessionducontrôlerefaitsurface.

«Mamèrem’aengueuléeparcequejesuisrentréeaprèsminuit.»Savoixn’apasl’airtropdéçue,pourtant.«Maisças’estsuperbienpasséavecCarlos.Ilesttropmignon.»

Jeluitapedoucementl’épaule.«C’esttropchouette!C’estunchictype,etilt’aimevraimentbien.—C’estvrai?»demande-t-elle,pleined’espoir.L’annéedernière,elleaeuunpetitami,unmec

qu’elleavaitrencontréencoloniependantlesvacances.Ilapluàsamère,maiselle,ellen’avaitpasl’airdel’apprécierplusqueça.

«Maisoui!»j’insisteenserrantsamain.«Tuasintérêtàtoutnousraconter!»LavoixstridentedeJennarésonnedanstoutelapièce.«Ilfautleverlementon,maispasnonplusà

cepoint-là.Là,c’estridicule.»Elleentraîneungroupedefillesdedeuxansdemoinsquenous.Leursessionauraitdûfinirilyapresqueuneheure,maiscen’estpaspourriensiJennaestl’unedescoachespourconcoursdebeautélespluspopulairesdetoutleTexas:c’estunevraieperfectionniste.

Lasallederépétitionétanttrèsclaire,elleatendudesrideauxnoirsauxfenêtrespourbloquerlalumièrenaturelleetainstallédesprojecteurspointésdirectementsurlascènedefortune.«Encoreunefois!»Ellen’apasbesoindecrierpourêtreécoutée,maisellehaussetoutdemêmelavoix.Sescheveuxchâtainsontrelevéssursatêtedansunchignonélaboréavecdesbouclesquiflottentautourdesonbeauvisage.

Sonnezestpeut-êtreunpeutroplongetseslèvresunpeutropfines(c’estellequiledit,pasmoi),maisJennaAubreyn’arienperdudel’auraetducharismequil’ontfaitéliredeuxfoisMissReinedecœur,unefoisMissTexas,etl’ontmenéeàlafinaleduconcoursdeMissUSA.Aujourd’hui,pourtant,ellemanquedeprestance.Sonmaquillagesophistiquénesuffitpasàatténuerlerougedanssesyeux.Laruptureavecsonfiancésembleavoiréteintlaminusculeflammed’empathiequivacillaitdanssoncœur.

Lesparentsattendentdel’autrecôtédumurpercédebaiesvitrées.Unedesmèresserongelesongles.SiJennalasurprend,elleval’entendre.Jennainterditauxparentsdetransmettredemauvaises

habitudesàleursenfants,etserongerlesongles,çafaitpartiedesmauvaiseshabitudesqu’ellecondamne.Avectousceseffluvesdelaquesetdeparfumsquiflottentdansl’air,lapiècepeutvitedonnerlanausée,maisc’estuneodeuràlaquellejemesuishabituée.Mamèreétaitunereinedebeauté,ilyadesannées,etelleditqu’ellearencontrésesmeilleuresamiespendantdesconcours.

Etçam’apermisd’enrencontreruneaussi.Àcôtédemoi,Audreys’agitesursonsiège.Lesourirequ’elleaffichaitenparlantdeCarlosadisparu,etelleregardedroitdevantelle.Sesyeuxsontplusvertsquebleus,alorsquelesmienssontplusbleusqueverts.Elleesttrèsstresséeàl’idéeduconcoursdeMissReinedecœurquiarrivedansdeuxsemaines,etellenedortpasbeaucoup,àenjugerparlescernessoussesyeuxquemêmelemeilleurdesanticernesnepourraitpascamoufler.

Nousavonstouteslesdeuxbesoindegagnerceconcours.Ilpeuttoutchangerpournous.Iln’estpastrèsconnusurlecircuit,etilnenousdonnerapasnosentréespourleconcoursdeMissTeenUSA,maislagagnantepourrapayersoninscriptionàl’universitédesonchoixn’importeoùdanslepays,dumomentqu’ils’agitd’uneuniversitépublique.Jevoisqu’Audreymurmurelesmotsdesréponsesqu’elleadéjàpréparéesunmilliondefois.«Çavatrèsbiensepasser»,jeluidisenlatouchantdoucement.«Etsouviens-toidecequ’aditJenna...Commetuasunpeumodifiétesréponses,tudevraisattendred’avoirsonavisavantdelesmémoriser.Sinon,jecite:tupourraspaslibérerlamagie.»

Audreytournesonregardverslascèneetlaisseéchapperunsoupirdéfaitiste.«Libérerlamagie...Jesaispassielleserendcomptedecombiendefoiselleaditçadepuisqu’ons’estinscrites.»Ellesemordillelecoindelalèvre,commeellelefaitquandelleeststressée,maisjesuisrassuréedelavoiresquisserledébutd’unsourire.«Ondiraitunefée.Ouplutôtunesorcière.»Sesépaulessedétendent,etjepeuxpresquevoirsonstresss’évaporerdanslesairs.Jennaflairelestressdeskilomètresàlaronde,etellesecomportecommeunépagneulenpleinechassesielledécouvrequequelqu’unn’utilisepassontracpouraméliorersaperformance.Audreyn’apasbesoind’avoirJennasursondos,elleaassezdesamèrequiluimettoujourslapressionpourqu’ellesoitlameilleure,partout,toutletemps.Etelleluifaitàpeineconfiancepouraccomplirquoiquecesoittouteseule.D’ailleurs,jesuissurprisequ’ellenel’accompagneplusàtouteslesrépétitions.Mamèrem’accompagnaitaussi,avant,maisçafaitlongtempsqu’ellenevientplus.Çafaitaussidessemainesqu’ellenemeposeplusdequestionssurleconcours.Jenesaismêmepassielles’ensouvient.

«Jennaestencoreplussurlesnerfsqued’habitude...»Audreypenchelatêtesurladroite.«Jecroisquecettepetitefilleadéjàpleurétroisfoisdepuisqu’elleacommencé.Jennavabattresonrecord.

—Etelleaboieplusfort.Çam’étonneraitpasqu’ellemordecarrémentquelqu’unaujourd’hui.»Audreylaisseéchapperungloussementinespéré,etj’ailesentimentd’avoirremplimamissiond’amieenlarassurant.«MissReinedecœur,c’estsuperimportantpourelle,c’estcommesonlegsàlapostérité.C’esttoujoursunedesesprotégéesquileremporte.Sic’estpaslecascetteannée,elleseramaudite...

—Condamnéeaufinfonddeslimbesdesreinesdebeauté.»J’étouffel’éclatderirequimevaudraitàcoupsûrlesfoudresdeJenna.C’estvraimentbizarrede

retrouvercettelégèretéaprèslabattuedecematin.EntrerdanslemanoirdeJenna,c’estcommepénétrerdansunnouveaumonde.Unmonderégipar

denombreusesrègles.Règlenuméroun:interdictionderirequandonattend.Audreyetmoi,onbravecetteinterdictiondepuissixans,depuisqu’Audreyarejointnotrepetit

groupeunsamediaprès-midi.Samèresemblaitnerveuseetsetenaitàl’écartdesautresparents.Maismamèrem’afaitsigned’accueillirlanouvelle,alorsjel’aiapprochée,etmêmesinoussommestoujoursencompétitiondepuis,Audreyetmoi,onestdevenuesinséparables.AvecNadia,mameilleureamiedepuisleberceau,onestlesreinesdessoiréespyjama,etdesvraisprosdufarnienteauborddelapiscine.Onesttoujoursfourréesensemble.Enfin,saufquandlamèred’Audreydécidequ’ellenepeutpassortir.Etsaufaulycée,parcequ’Audreyestscolariséeàdomicile.Samèreestimequ’ilyatropdedistractions

danslesécolespubliques.Letéléphoned’Audreysonne,etsonregardfuseverslascèneplusvitequ’unobturateuraumoment

decaptureruninstantdevie.Heureusement,Jennaesttropoccupéepourremarquerqu’ellen’apaséteintsonportablecommeonestcenséeslefaire.Encoreunerèglesacréedetransgressée.Audreybaisselesyeuxsursonécranetfroncelessourcils,creusantlepliaumilieudesonfront.«Tuasvucettevidéo?»Elleal’airhésitante,etsonbrasfrottelemiend’unemanièrequim’inquiète.

«Quellevidéo?»J’affecteuntonaussiindifférentquepossible.«Carlosvientdemel’envoyer,ilyunnouveaudocumentairesurlesmeurtres.»Unfrissonmeparcourtl’échine,assezpuissantpourmedonnerlachairdepoulepartoutsurle

corps.Lesyeuxd’Audreysontpleinsdecompassion,maisjenecroispasqu’elleserendecomptede

combienj’aipeur,combienjesuisinquiète.Etcombienjeculpabilisederessentirtoutça.Parceque,contrairementàdesdizainesdefilles,jesuisensécurité,etjesaisquejerentreraichezmoicesoirpourcontinueràvivremavie.

«Est-cequ’ilsparlentdelui?»Mavoixsortcommeentredeuxsouffles,commesijevenaisdedansernon-stoppendantlesquatrequarts-tempsd’unmatchdefootball.

«Oui,jecrois,àlafin.Tuveuxregarder?»Elles’exprimeavecprudence,commelapremièrefoisoùellem’aexpliquéqu’ellen’étaitpasscolarisée,craignantsûrementquejememoqued’elleouquejeluiposemillequestionsdéplacées.«Jecomprendraissitumedisnon.C’estdébilequ’ilsoitsuspect,franchement.

—Oui,jesais...»Jemeforceàregarderverslesol,versl’écouteurqu’ellemetend.Autantmeteniraucourantdesnouvellesrumeurs.Accessoirement,connaîtremonenvironnementetêtreaufaitdestechniquesdutueur,çapeutservir.

Etsiledocumentairementionnequemonpèreestsuspectdepuisdesannées,jesauraicommentréagir,carjesaisoùsontlesmensonges,etjeconnaislesfaitsqu’ilsexploitentmalhonnêtementpourfairedusensationnel.

Jefaisouidelatête,etellelancelavidéo.Nousvoicideretourdanscedocumentaireexclusifsurlasériedemystérieusesdisparitions

danslecomtédeGavert,auTexas.Chaqueannée,aumomentoùleslycéensdevraientsedemanderàquellesuniversitésilsvontpostuler,cequ’ilsporterontpourlehomecoming,ouencoresileuréquipedefootballvaremporterunnouveautitredechampionnat,unejeunefilleestarrachéeàcettecommunautésoudée.Soncorpssansvieestgénéralementretrouvéseptàdixjoursplustard,uneailed’angegravéesurlevisage.Septansdéjàqueletueurauxailesd’angeterroriselarégion.Combiendetempsencoredureral’horreur?

Lavoixduprésentateur,geignardeaupossible,passeausecondplantandisquedesportraitsdesjeunesfillesdisparuesemplissentl’écran.Ladernièred’entreelles,Rachel,souritàl’objectif.C’estsamèrequiadûchoisircettephoto,unephotoquej’aiprisependantsafêted’anniversaire,l’annéedernière.Jel’aienvoyéeàRachelparcequ’ellem’aditqu’ellel’adorait,etcemêmesiàl’époque,jepleuraissouventdansmonoreillerparcequ’ellesortaitavecDimitri.

Pendantuncourtmoment,j’aivraimentcruqu’onavaitunechance,luietmoi,maiscen’étaitqu’uneprojectiondemonimaginationamplifiéeparunequantitéimpressionnantedewhisky-Coca.

RachelStineestladeuxièmedesdisparuesànepasavoirétéinscriteaulycéedeGavertCityaumomentdesadisparition.Elleyavaittoutefoisétéétudiantejusqu’àl’anpassé,avantd’obtenirsondiplômeetdes’inscrireàl’universitélocale.Elleadoraitdanseretétaitd’ailleurscapitainedel’équipedecheerleaders.

UneautrephotodeRachels’affiche,prisecettefois-cipendantunecompétition.Sonsourireestl’exemplemêmedusourireparfaitauqueldoitaspirerunecheerleader.Radieux,joyeux,adorable,sexy.

L’annéedernière,onauraitcruqu’elleavaitlemondeentieràsespieds.Leclaquementdestalonsaiguillesurleluxueuxparquetenbambounoirm’informequeJennaafini

aveclesautresfillesetquenotretoutarrive.Ellesepenchesurnous,etsonparfumcapiteuxnousenveloppedesonmélangedefleursetdemusc.«Jevousaiappelées...»commence-t-elleavantdemarquerunedesespausesdramatiques,relevantunsourcilàlacourbeparfaiteetsoupirantcommesileseulfaitquenousrestionsassiseslàaulieudenousprécipitersurlascènesoitunehonte.«...deuxfois.»

Audreyselèvelapremièreetglissesontéléphonedanssonsacavantquejepuisseentendrecequeleprésentateurauraiteuàdiresurmonpère.«C’estmafaute,jevoulais...»Ellemeregardeducoindel’œilaveccetairquiveutdire«au-secours-je-sais-pas-quoi-inventer.»

Monespritfuse.«Onvoulaitréviserlediscoursdelagagnantedel’annéedernière.»SiJennaapprendl’existencedecedocumentaire,ellevainsisterpourquejepasseencoreplusdetempsàmepréparerauxpotentiellesquestionssurmonpère,surlessoupçonsquipèsentsurlui,etsurcommentcetteépreuvemerendplusforte.

C’estfaux.«Bon,d’accord.Dépêchez-vousdemontersurscène,vousallezmontrerauxfillesvotredémarche

etvotreattitudepourlesquestions.»ditJenna,maisàlamanièredontelleplisselesyeux,jesaisqu’ellenecroitpasunesecondeàmonexcuse.Tantpis.

Jemeforceàrelâcherlesépaules.Ennousdemandantdemontrerl’exemple,Jennanousrappellequ’ilyalongtempsqu’ondevraitavoiratteintlaperfection.Ilneresteplusquedeuxsemainesavantleconcours,onn’aplusuneminuteàgâcher.

Aupremierrang,lescinqfillesqu’elleacommencéàentraînerdanslecadredesonprogramme«Découvretontalentcaché»lèventlesyeuxversnouscommesinousdétenionslesclésduroyaumedelabeauté.L’uned’ellespréféreraitclairementêtren’importeoùsaufici,etellejetteunœildansl’espaceréservéauxparents.Samère,deboutetnonassisecommelaplupartdesadultes,l’encourage.Voyantsapanique,jeluiadresseunsourire,vraietsincère,pourl’encourager,maisellehausselesépaules.Apparemment,découvrirsontalentcachéesttrèsloinsurlalistedesesprioritéspourlajournée.

«Regardezunpeucetteposture.Aucunetensiondanslesépaules,lesourirepresqueparfait.Audrey,ilfautarrêterd’avoirl’airconstipée.»

Quelquesriress’élèventaupremierrang,maisAudreyrougitetbaissesonregardausol.Elleinspireprofondémentavantdeseforceràremettresonmasque,maissonsourirefantômeneconvaincraitaucunjury.C’estlaseulechosequ’ellenemaîtrisepas:sourirequandellevoudraitseulementhurleroupleurer.

Moi,cesdernierstemps,j’aibienétéforcéed’apprendreàsourireàtraversleslarmes.QuandlessoupçonsontcommencéàsetournerversmonpèreetqueJennam’aconfiéqu’ellehésitaitàcontinueràmecoachercomptetenudescirconstances,parexemple.Ouquandunsoir,aprèsledécèsdelamèredeDimitrietNadia,Calebm’ademandécequec’était,lamort.OuencorequandDimitriaeuungraveaccidentdevoitureaprèsavoirtropbu.

Grâcemonexpériencedecheerleader,lesourireforcé,c’estmaspécialité,etJennanetrouvejamaisrienàyredire.

«Qu’est-cequ’onadit,Audrey?»QuandJennadit«on»,engénéral,çaveutdire«je».«Quejedoisvidermonespritdetoutcequin’estpasunepenséepositive.—Oui,ça,etaussiquetudoist’entraîneràsourire.Çadoitavoirl’airnaturel.Regardecomme

Erinlefaitbien!»Jemecrispeintérieurement.S’ilyabienunechosequimedérange,c’estqueJennacherche

toujoursànousmontelesunescontrelesautres.Jen’airiencontreunpeudesainecompétitionpournousmotiver,maisrabaisserAudreycommeçan’ariendesain.Elleclignedesyeuxetj’aienviedefaireun

pasversellepourladéfendre,laprotégerdeJenna.Maisellesecouelatêteetréussitàproduireunsourireplusconvaincant.

Jennaapplaudit.«Voilà,trèsbien.»Ellesortunefichedelapochearrièredesonjeandegrandemarque.Ellem’aditunefoisqu’ellepossédaitunetrentainedejeans,etquetouscoûtaientauminimumdeuxcentcinquantedollars.J’imaginequedanssonesprit,c’étaitcensémemotiveràtravaillerencoreplusdur.

Soudain,ilyacommeunmouvementaupremierrang,etl’undesparentstoquesurlavitrequinoussépared’eux.Ilsnesontautorisésàtoquerqu’encasd’urgence,genre,encasdedangerdemort.

Lafillelapluspetite,avecsapeauébèneetsesyeuxmarronclairs(Maia,unedesfavoritesdeJennapourleconcoursdeMiniMissReinedecœur),portelamainàsabouchecommepourétoufferuncri.

«Ohmondieu...Ohmondieu...»murmurelafilleàcôtéd’elleenregardantsontéléphone—encoreunequin’estpastrèsàchevalsurlesrègles.

Jennasecouelatête,faisantvalsersesboucleschâtainsisoigneusementdessinéesautourdesonvisage.«Qu’est-cequisepasse?»

Maialuitendsonportable.«Qu’est-cequ’onaditàproposdestéléphones?»demandeJennaavecdeslèvresquiauraient

probablementétépincéessiellen’avaitpasreçudesinjectionsdecollagènelematinmême.Elleattrapeletéléphoneetmêmesielleresteparfaitementcalme,sonvisagepâlitàvued’œil.Sesyeuxrencontrentlesmiens.«IlsonttrouvélecorpsdeRachel...Elleestmorte.»

Elleinspireprofondémentenaffectantsonplusbelairdramatique.Pasuneonced’empathiedanssavoix,toutn’estquethéâtre.«Erin,lapoliceinterrogetonpère...encoreunefois.»

CHAPITRE6–DIMITRILabattueestfiniedepuisuneheure,etpuisquel’entraîneurveutquejel’aideàl’entraînement

demain,jevaisrentreretbosserunpeuaugarage.Jepassed’abordparlelycéepourrécupérerlesnotesqu’ilaprisespendantlematchd’hiersoir.Certainesdescheerleaderssontlàentrainderépéter.Jetraverseleparkingvide,etmont-shirtmoitemecolleàlapeau.Lemoisdeseptembreestvraimentbizarre,parici:latempératurepeutpasserde20°àplusde35°enl’espaced’uneheure.Aujourd’hui,onaatteintles30°,etlavoitured’Erinadessoucisdeclimatisation.Jepasselalanguesurmalèvreinférieure,prêtàdégainermontéléphonepourl’appeler,maispileàcemoment,jereçoisunSMSdeGabe,monamipartidansleMaryland.

J’airegardélematchd’hiersurYoutube.Cesmecssontbons,meilleursquenous,même.

Jem’appuiecontremonpick-up.Possible...Oupeut-êtrequ’ilsontjustelemeilleurassistantentraîneurdumonde?

Saréponsemeparvientplusviteencorequesespasses,àl’époque.C’estmoiquiserailemeilleurassistantentraîneurdumonde!Alors,tuasvulerecruteur?

Lundi.Bonnechance,mec.DunouveaupourRachel?Quedalle.Putain...Çava,tutienslecoup?C’estdur.Ellevoulaitqu’onseremetteensemble,etj’aiditnon.Ilmetpluslongtempsàrépondre,cettefois.Àcaused’Erin?Non,onestjusteamis.Situledis...Tiens-moiaucourant,hein?Çamarche.Jerangemontéléphonedansmapocheetinspireprofondément.Monterenvoiturenemevautplus

decrisedepanique,maisjesensencoremesmainssecrisper.Jenemerappellepasgrandchosedel’accident,àpartlehurlementdeGabejusteavantqu’onpercutel’arbre.

Monpick-uprougeestplushautquelaDodgeChargerHellcatquejeconduisaisaumomentdel’accident.Cen’étaitpasmavoiture,maiscelledeRachel,quitrouvaitmarrantdemefairefairelacourseavecceconnarddeMaxdanssaPorscheTurbo.Maxétaitlequarterbackdel’équipedulycéedeSotter,notreprincipalerivaledanslechampionnat.Ils’enesttirésanslamoindreégratignure.Moi,j’imaginaisquej’auraisl’aird’unvraimecauvolantdecettebeauté,jepensaisqueçameferaitoubliermamèreetsonairminusculeetvulnérabledanssonlitd’hôpital,aprèsl’opération.

Uneinfimepartiedemoncerveauespéraitaussiqu’Erinarrêteraitderoulerdespellesàl’autreabrutidontj’aioubliélenompourmeregarderfairelacourse.

Maisnon.

Rachelm’aattiréversellepourm’enfoncersalanguejusqu’àlaglotteetellem’aditqu’ellepariaitquej’allaisgagner.

Pariperdu.Gabeabienfaillimourircettenuit-là,maissesblessuresn’étaientriencomparéesauxmiennes.Jen’enveuxpasàRachel:c’estmoiquiaidécidédeprendrelevolantmalgrélescinqbièreset

troisshotsingurgitésplustôtdanslasoirée.Onavaitrompurécemment,etaprèsl’accident,elleaessayédemeconvaincredereprendrenotrepseudo-relationdecouplebizarre.Maisquandelleaditqu’elletombaitamoureusedemoi,j’aidécidéquejenepouvaispasmeservird’elle.Enacceptantd’alleràlasoiréeavecelleàpeinequelquessemainesaprèslarupture,jeluiavaisdonnédefauxespoirs.C’étaituneerreurmonumentale,àtouslespointsdevue.

Aprèsl’accident,iln’yapasquelefootballquiétaitfini.J’aidécidéaussiquec’étaitfinidejouerlacomédie.

Parcontre,moi,jen’aitoujourspasfinidepayerpourlemalquej’aifait.Jebalancemonsacdesportsurlesiègearrièreetrestedeboutdevantlaporteouvertecôté

conducteur,àmerépétercequejemerépètejouraprèsjour:Tun’aspasbu.Tupeuxconduire.Tuvasyarriver.

«Tuvasaufeudejoiecesoir?»Kim,l’unedescheerleaderspropriétaired’unepairedejambesinterminables,trottinesurleparking.

«Jepensepas...»jerépondsd’unevoixmonotone.AvecKim,j’aidéjàdonné.Aucuneenvied’yrepasser.

Montéléphonesonne,etjefroncelessourcils.«Mapetitesœurm’appelle.Fautquej’yaille.Àplustard.»

Kimhochelatête.«Oui,jecomptebientevoirplustard.»J’ignoresielleestentraindeflirterousielleénoncesimplementunfait,etjenesuispasd’humeuràréfléchir.

J’inspireprofondémentpourmecalmeravantdemonterdansmonpick-up.Nadiaestcensées’amuserauborddulacavecsonpetitamidetoujours,Liam.Jevoismalpourquoielleauraitbesoindem’appeler.Moncœurs’affole.S’ilarrivaitquelquechoseàNadia...«Medispasquetut’esdisputéeavecLiametquet’asbesoind’unchauffeur.»JedevraisavoirmontondegrandfrèredéconneurquiagaceNadia,maispourlemoment,jemeconcentresurtoutpournepasavoirl’airenpleinecrisedenerfs.

«Sij’avaisbesoind’unchauffeur,tuauraisintérêtàrappliquervitefait.Çafaitpartieducontratfraternelquejet’aifaitsigneravectonsangquandtuj’avaishuitans.

—Etaprèsça,Mamanadécidéqu’elletelaisseraitplusemprunterseslivres,parcequetuavaislamaniedereproduiretoutcequetulisais.»

Ellepousseunsoupirexagéré.«Sit’étaispasungroscafteur,aussi...—Attends,c’esttoiquiascriéparcequejepissaislesang!Etpuistut’étaispasgênéepourme

balancerquandj’avaislâchédesgrillonsdanslegymnase.Sérieusement,êtreàuneclassed’écartdetoi,àl’époque,çacraignait.

—C’estpaspourrienquet’asdemandéàMamandemefairecommencerl’écoleplustard!»C’estvrai.Notremèren’arrêtaitpasdenousexpliquerquej’avaisunrôleimportantàjouerentant

quegrandfrère.Cen’estqueplustardquej’aicomprisqu’ilyavaitdesrèglesconcernantl’âgeauquelunenfantpeutounoncommencerl’écoleselonsadatedenaissance,mêmesi,àl’époque,dix-huitmoisdedifférencemesemblaientuneéternité.

Mesmusclessontunpeuplusdétendusmaintenant,maisjevaism’abstenirderemerciermasœurcarçaneferaitquel’inquiéteràl’idéequejeconduiseenétatdestress.«Bon,situt’espasdisputéeavecLiam,pourquoitum’appelles?Jevaisbien,aucasoùtutetracasses.

—Non,c’estàproposd’Erin.Onabesoindetoi.»Aveccesmotspleinsd’inquiétudes,latension

meretombesurlesépaulesd’uncoup.«Commentça?Qu’est-cequis’estpassé?Ellevabien?»Etsijen’avaispasdéjàcaptéque

j’avaislebéguinpourlameilleureamiedemasœur,l’anxiétédansmavoixauraitétéunsacrébonindice.

Nadiamarqueunepause,etjesaisqu’ellesemordillelalèvre.Ellefaitçadepuisdesannées,ellesemordsifortqu’elleenadéjàsaigné.Quandnotremèreaessayédeluifaireperdrecettemauvaisehabitude,ellearétorqué:«Maisilsfonttousçadansleslivresquejelis!»

«Allô,Nadia?»Montonestplussecquevoulu.«Elledoitramenersonfrèrechezelle,maiselleaunproblèmeavecsavoiture.—Elleestoù?»Jedémarreetmedépêched’attachermaceintureenessayantdenepaslâcherle

téléphone.«ChezJenna.Savoiturenedémarreplus.Elleaessayédeladémarreraveclescâblesmaisrienà

faire.»Àsavoix,jedevinequ’ellefaitlescentpas.Encoreunticnerveux.«Onvarentrerplustôtqueprévu,maisjeveuxpaslalaisserpoireauterlà-basplusd’uneheure.

CommeAudreyn’avaitpassavoiture,samèrel’arécupéréeauparkingdusupermarchéàcôté.»Ellesoupire.«Maisbiensûr,elleapasvouludéposerErin.EllevoulaitmêmepaslalaisseraccompagnerAudreyjusqu’auparking.Jetejure,çacraint.»

Jemefrottelanuque.«Jevaislachercher.»Lamèred’Audreyn’arrêtepasdeluidirequ’ellepassetropdetempsavecErin,etqueçaneluiplaîtpas.Erinpaieleprixpourlescrimessupposésdesonpère.Unfrissonmalvenumedescendlelongdelacolonnevertébrale.«Aufait,ilsonttrouvéRachel?»

Nadiadéglutit.«Oui.»Savoixestàpeineplusqu’unmurmure,etj’entendsLiamluidirequ’ellealedroitdepleurer.

Magorgeseferme.Rachelestmorte.«Etilsinterrogentencorelepèred’Erin.—J’yvaistoutdesuite.—Merci...Oh,et,Dimi...—Quoi?»Ellemarqueunepauselourdedesous-entendus.Unefois,ellem’aconfiéqu’Erinavaitl’habitude

degribouillermonnomdanssonjournalintime,etellem’aprévenudenejamaisjoueravecsessentiments,denejamaislafairesouffrir.Maisellel’aditd’unemanièrequisuggéraitaussiqu’ilétaittempsquej’arrêtedefairen’importequoi.Quandj’aiembrasséErinl’annéedernière,avantdeluidirelelendemainqueçanesignifiaitrienetquej’avaisjustetropbu,Erinadûseretenirdepleurerdevantmoi.MaisNadiaatoutdesuitedevinéqu’ils’étaitpasséuntruc,etquandelleaapprisàquelpointj’avaisétécon,ellem’ahurlédessuspuisnem’aplusadressélaparolependantdesjours.«Non,rien»dit-elleenfin.«Merciencore.Onvapastarder.»

Jeraccrochepuismemetsenroute.Pourunefois,jen’aipasbesoindememotiverplusieursminutespourquitterleparking.Jepasselecentreville,jepousselaclimatisationàfond,etj’essaiedetrouverunestationderadiopourécouterlesinfos.

RachelStintn’avaitquedix-huitans.Nousavonstentédecontactersesparents,quinenousontpasrépondu.Nousleurenvoyonstoutesnospenséesetnosprièresencejourtragique.NousavonslaconfirmationqueM.Hortzestinterrogéparlapoliceencemoment-même.Nossourcesrapportentquelesenquêteursauraientdécouvertdesindicesdansletéléphoneportabledelavictime.

Jepassedevantlesupermarchéetrésisteàlatentationd’appuyeràfondsurl’accélérateur.JeprendslaroutedecampagnequimèneaumanoirdeJenna.Sonalléefaitunbonkilomètredelong,etlamaisongigantesqueestposéesurunepetitemontagne,avecunepiscineenpartiecouverteàl’arrière.Erinm’attendtouteseuledevantlaported’entrée.Ellealesépaulesvoûtées,cequineluiarriveque

quandellepensequepersonnenelavoit.Dèsqu’elleentendlavoiture,elleseredresse.Jedescendslavitredemaportièreetj’insuffleautantdechaleurquepossibledansmavoix.«Je

croyaisquejet’avaisapprisàdémarrertavoiturecommeunepro,Minus.»Elleavanceversmoi,etilyatellementdedouleurdanssesyeuxquej’aienviedemeprécipiter

dehorspourlaprendredansmesbras.Maisellerejettelesépaulesenarrièreets’entoureencoredecettebarrièreinvisiblequejedéteste.

«Jesuispassiminus.Jesuismêmetropgrandepourêtreenhautdelapyramide,jeterappelle.»Elleplaisante,maissontond’ordinairetaquinn’yestpas,etsesyeuxbleu-vertcourentdusolàlavoitureaulieudemedéfierduregardcommed’habitude.Maiscequiachèved’envoyermoncœurvalserausol,c’estlepetittremblementdanssavoixàlafindesaphrase.Ellesouffre,etjenesupportepasdelavoirsouffrir.Elles’éclaircitlavoixcommelefaitNadiaquandellechercheàreprendrelecontrôlesursespensées.«Jecomprendspas,jepensepasqueçasoitlabatterie.»Elleluttecontreleslarmes,etlatensiondansmesépauless’intensifie.

«Tuasentendu,pourRachel?»Ellehochelatête.«Jesuisdésolée,Dimi...»Dimi.Ellenem’apasappelécommeçadepuislefameuxmatchdel’andernier.«Tuyespour

rien.J’auraispasdûévitersesappelscesdernièressemaines.Peut-êtrequesij’avaisrépondu,elleseraitencorelà...»Jemarqueunepausepourcherchermesmots.«Racheletmoi,c’étaitfini.Elleest,enfin,elleétait...C’estnul,putain,çacraintvraiment...Sesparentsdoiventêtreeffondrés.

—J’arrivepasàcroirequ’elleestmorte.Quipeutfaireuntrucpareil?»Ellesecouelatêteetsonvisagepâlitencore.«Ohetmonpère...Monpèreestencoreentraind’êtreinterrogé.

—T’inquiètepas,çavas’arranger.»J’essaied’avoirl’airaussiconfiantquepossible,mêmesijen’aiaucuneidéedecommentcombattretoutecettetristessequil’entoure.Jemepenchepourluiouvrirlaportièredel’intérieur.«Tuveuxquejejetteunœilàtavoiture?Jepourraislaremorqueretl’ameneraugarageaprèst’avoirdéposée.»

Ellesoupiredoucementetnosregardssecroisentenfin.Lateintedetristessedanssesyeuxs’atténueunpeu,etjetriomphecommesij’avaismarquéuntouchdown.«Oui,çaseraitcool.Merci.Entrelesrépétitionsetlesentraînements,j’aipaspubeaucouptravailleràl’épicerie,ducoupj’aipasvraimentlesmoyensdepayerungaragiste...»

Jeforcelesourirequilafaitrougird’habitude,celuiquinemontrepasmesdentsetdontj’aidéjàentendudirequ’ilétaitcarrémentsexy.«Jeconnaisquelqu’undontlepèretientungarage,etjesuisàpeuprèssûrquecequelqu’uns’enoccuperagratis.

—Ilparaîtquecequelqu’unestsupergentil.»Enfin,lecoindeseslèvressesoulèveetsesyeuxs’éclairent,etcequejeressensvauttouteslesvictoiresdechampionnat.

«Allez,monte,ilfaitunechaleurd’enfer!—C’estmoinsl’enferqued’écouterJennameraconterquejedoisutilisercettetragédiepour

construiremonhistoire,augmentermoncapitalsympathieetatteindrelesétoiles.»Ellemetuncoupdepieddansuncaillouimaginaireavantd’attrapersonsacetdemonter.«Unefois,ellem’aditquesiPapaétaitreconnucoupableunjour,elledevraitarrêterdemecoacher,parcequec’étaitmauvaispoursonimage.Maisapparemment,elleachangéd’avis.Elledit,jecite:‘Çapourraitbienêtrelemeilleurcoupdepubdemacarrière.’»Seslongscheveuxsontattachésetelleregardedroitdevantelle,maisseslèvresrestentpincéesenunelignebientropmince.Elleestbouleverséemaisneveutpaslemontrer.Typiqued’Erin.

Mesmainsagrippentlevolant.«Quelleconne.»Ellesetourneversmoi,unsourcildressé.«C’estvraiqu’ellepeutêtrechiante,parfois,maiselle

faitbiensonboulot.Sijedécrochepascettebourse,jesaispascommentjeferaipourpayermoninscriptionàl’université...Mêmeavecmesbonnesnotes,j’aijustedroitàuneboursepartiellepour

l’UniversitéA&MduTexas,ettusaisquemonrêvec’estd’allerdansleMarylandavecNadia.»Sesdoigtseffleurentmamain.C’estuncontactlégeretquinedurequ’uneseconde,maisilme

permetd’imaginercommentceseraitdesentirsesmainspartoutsurmoi.Vraimentpasceàquoijesuiscensépenser,làtoutdesuite.

«Qu’est-cequit’estarrivé?»demande-t-elleenobservantmamaindroitedeplusprès.Jedoisregardermamainpourcomprendredequoielleparle.J’aiunegrossebrûlure.«J’aifaitdessandwichesgrillés.»Elleéclatederireetsesyeuxs’écarquillent.«Dessandwiches,maistuesfou?Qu’est-cequeje

t’aidit,lejouroùtuasfailliprovoquerunincendieenfaisantdupop-corn?—Qu’ilnefallaitpasquejesoisseulencuisine.Ettuavaisraison,clairement.»Sesdoigtsdessinentuncerclerassurantsurlablessure.Ilyadeuxans,avantquemamèrenefasseunerechute,Erinétaitvenuedormircheznouslesoir

d’Halloween.ElleetNadiaavaientdécidéqueplutôtqued’alleràunesoiréecostumée,ellesresteraientàlamaisonàregarderdesfilmsd’horreur.Enrentrantdelafêted’Halloweenchezlecapitainedel’équipedefootball,jemesuisglisséchezmoiparlaportedederrière,jemesuiscachéderrièrelecanapé,etj’aitouchél’épauled’Erin.Ellesontsursautéenhurlantdepeur,etmonpèreadescendul’escalieraveclescheveuxenbataille,unebattedebaseballàlamain,pourvoircequisepassait.Mêmes’ilm’aditd’arrêterdelesembêter,ilavaitunsouriretypiquedePapaauxlèvres,etilm’aditdemerendreutileenleurpréparantdupop-cornplutôtquedemeconduirecommeuncrétin.Nadiadétestelepop-cornaumicro-ondes,commenotremère,doncj’aioptépourlaméthodeclassique.J’aimisunepoêlepleinedemaïssurlefeu,etjesuisrevenudanslesalonm’asseoiràcôtéd’Erin.

Jelasentaistouteprochedemoi,etàchaquefoisqu’ellesursautait,elleserapprochaitencoreunpeuplus—oupeut-êtrequec’étaitmoi.Toutcequejesais,c’estquetrèsvite,mamains’estretrouvéesursajambeetelles’estappuyéecontremoi.Jemesuisperdudanslemomentetj’aicomplètementoubliélemaïsquiacommencéàbrûleretadéclenchél’alarmedenotredétecteurdefuméehypersensible,brisantlamagiedumomentpourdebon.

J’entrelacemesdoigtsaveclessiensetellesoupireenposantsonfrontsurmonépaule,commepoursecacherdumonde.«Tusaiscequejedéteste?

—LeschouxdeBruxelles.»Jelatiredoucementversmoienluifaisantreleverlatête.Seslèvressontuneinvitation,pleinesdesouvenirstus.Maisàcemomentprécis,elless’écartentetlaissentéchapperunsoupirrésignéquejedétesteimmédiatement,parcequ’elleal’airtristeetperdue.«Dis-moitout.»Mesdoigtspressentgentimentsonbraspourluirappelerquejesuislà.Jeseraitoujourslàpourelle,j’espèrequ’ellelesait.

«C’estvrai,jedétesteça.»Ellebaissed’unton,etj’éteinslaradiopournemanqueraucundesesmots.«Maiscequejedétesteencoreplus,encoreplusmêmequederaterlalumièreducoucherdusoleilquandjeprendsunephoto...c’estqueparfois,jeregardemonpère,etjemesenspleinedehaine.»

Ellenelâchepasmonregard,commesiellevoulaitvoirsijecilleousijetrouvecequ’ellemeditdérangeant.Cen’estpaslecas.«Pourquoi?

—Parcequ’ilneserendpascomptedecommentc’estpournous,cesrumeurs,toutecettehistoire.Toutcequil’inquiète,lui,c’estsonboulotetl’opiniondesgens,etçalemetencolèrequ’onosemettreendoutesonintégrité,maisjecroispasqu’ilremarquequemamèreestdeplusenplusdéprimée,queCalebserepliesurlui-même,etqueje...

—Quetuquoi?»jel’encouraged’unevoixaussidoucequepossibleencaressantsondos.«Queçamerendfolle.»Ellehausseleton,maiscetéclatdecolèreesttoujourspréférableau

voiledetristessequ’elleavaitdanslesyeux.«Jeluienveuxtellement!IlestméchantavecCaleb,illuidittoujoursd’arrêterdepleurnicher.Etjesuissûrequ’iltrompemamère.Ils’absentepresquetouslesweek-ends,etpaspourpêcherouchasser.Non,ilditjustequ’ilveutpasserdutempstoutseul,maisc’est

desconneries.Ilestsuperduravectoi,aussi.Jel’aientendutetraiterdemauviettequandtustressaisàl’idéedereprendrelevolant.Ladernièrefoisqu’ils’estvraimentcomportéenpère,çaremonteàdesannées...»L’explosiondecolèreprendfin,etelleserecroquevilleens’écartantlégèrementdemoi,signequ’elleretournes’enfermerdanssacoquille.«Maisensuitejemesensmal,parcequependantquejemeplainsdemonpère,ilyadesfillesquisonttuées.Rachelestmorte,merde!Commentonpeutfaireça?Etjesaisquec’estpasmonpère.Ilpeutsemontrercon,maisc’estpasuntueur!»Elleexpireprofondément.«Pardon...Tuesjustevenurendreservice,etmoijeteprendspourmonpsy.»Ellehausselesépaulescommesitoutallaitbienetqu’ellen’étaitpasdutoutauborddeslarmes.

«Net’excusepas...Combiendefoisest-cequetum’asécoutémeplaindrequejepouvaisplusjouer?»Jen’attendspassaréponse.«Tum’asécouté,tum’asremisàmaplacequandtuascomprisquem’apitoyersurmonsortétaitjusteunmoyendenepasassumermeserreurs,tum’astenulamainlapremièrefoisquej’aivouluconduireaprèsl’accident.»Jevoudraislatirerversmoi,maiselleafficheencorecetairde«Jesuisforteetjepeuxmedébrouillerseule».Elleentrouvrelégèrementlaboucheenm’écoutant,etlemouvementdeseslèvresmerappelleencoreunefoiscombienellesontbongoût.Jem’agitesurmonsiègeetdétourneleregard.«Moi,quandj’aidécidédeconduirealorsquej’avaistropbu,j’étaisresponsable.Toi,cequit’arrive...tun’yespourrien.»

Sontéléphonesonne,m’empêchantjusteàtempsdefairecequej’aivraimentenviedefaire,àsavoirluifaireoublierpartouslesmoyenspossiblesqu’elleal’airprêteàéclaterensanglots.Elledécroche.«Oui,MadameCarmichael?»Sonvisageprenduneexpressiontristeetperduequimefaitdesnœudsdanslecœur,desnœudsdontlesensm’échappeencore.«J’arrive,jevienslecherchertrèsbientôt.»Satentativedecachersontroubleestpeut-êtreconvaincanteauxoreillesdeMmeCarmichael,maispasauxmiennes.

«Calebvabien?»SonfrèreesttrèscopainaveclefilsdesCarmichael.«Ilvabien,maisMmeCarmichaelaapprislanouvellepourmonpère,etmêmesielleditque

personnellement,çaneluiposeaucunproblème,ellepensequesonmari,si...Alorsellevoulaitsavoirsij’arrivaisbientôt.»Elletournelatêteverslavitreenattachantsaceinture.«Elleaappeléchezmoi,maisçan’arépondu.»

Àsonintonation,jecomprendsqu’elles’inquiètepoursamère.Etpuisquejenepeuxpasl’embrassersansprovoquerunenouvellescènede«Jecroisqueje

craquepourtoimaisonpeutpasêtreensemble»àlacon...Etpuisqued’ailleurs,jenesuismêmepassûrqu’elleaitenviedem’embrasserànouveau,

aujourd’huiouplustard...Jemecontentedecequ’ilyademieuxaprèsça:essayerdelafairesourire.«Allez,minus,avouetout:tuasconfondul’eauetl’essence?»Ellepouffeetsesépaulessedétendent.«Non,j’aivouluchangerlabatteriemaisj’aipaspenséà

enremettreune.»Elleappuiesondoscontreledossierdusiège,ettandisqu’onsetaquinegentiment,jemesensunmillierdefoisplusgrand.

CHAPITRE7–ERIN

LamaisondesCarmichaeln’estqu’àquelquesminutesdemarchedelamienne,maisDimitriinsistepourmeconduirejusquelàplutôtquedemedéposersimplementchezmoi.Pendanttoutletrajet,jesuisbientropconsciented’oùestposéesamain,etdecommentseslèvresprennentcettecourbedangereuse,celledesonfameuxsourire,tellementfameuxquesurlemurdestoilettesdesfilles,quelqu’unanotélenumérodeDimitrienprécisantau-dessus:«unsourirequimetlefeuauxculottes».Depuis,iladûchangerdenuméro.

Monesprits’éloignedeceprésentquicraintpourimaginerdesscénariosdanslesquelslebaiseréchangél’annéedernièreauraitconduitàunefintoutedifférente,plutôtqu’àcettescènedulendemainoùilm’aditqu’ilétaitdésolé,queçan’auraitjamaisdûarriver,qu’ilavaitjustetropbu.Nadiaetmoi,onpassenotretempsàrêvasseretàimaginerdestasd’histoiresaufuretàmesurequ’onlesraconte.Mais,commed’habitude,mesrêveriesnechangentrienàlaréalité.

LavoixdeDimitrim’arracheàmaréalitéalternative.«Jevaisvousdéposerchezvous,etensuitej’iraicherchertavoiture.

—Tuessûr?Tuasmieuxàfaire...»Depuisunmois,onvacourirensembledeuxfoisparsemaine.Ilapresqueretrouvésaformed’avantl’accident.Etjeneparlepasquedesaformephysique,mêmesijenemeprivepasdematersesabdosenbéton.

Iltourneàdroite,etunnuagedepoussièrevirevoltederrièrenous.Sesyeuxrestentfixéssurlaroutejusqu’àcequ’ilatteignelepremierfeu,puisilsetourneversmoi,etmêmes’ilarborelesourireauqueljesuisdevenueaccroaufildesans,sesyeuxexprimentunedéterminationsolennelleetmarespirations’accélère.«Jesuisjamaistropoccupépourtoi.»Ilestsisérieux.D’habitude,aprèsunedéclarationpareille,ilajouteraituneplaisanterie,maisilcontinuesurlemêmeton:«Jesuissincère.Situasbesoindemoi,jesuislà.T’espasobligéedetoutfairetouteseule.Jesaisquetun’asbesoindepersonne,maisparfois,çafaitdubiend’avoirquelqu’unàsescôtés.T’asétélàpourmoi.Laisse-moiterendrelapareille.»

Ilfaudraitquejemepincepourm’assurerquemonimaginationnes’estpasemballéeaupointquejenesaisplusdistinguermesrêvesdelaréalité...

«Laisse-moiêtrelàpourtoi»répète-t-il,etjehochelatête,nefaisantpasconfianceàmescordesvocales,etilhochelatêteenretourcommepoursignerunesorted’accordtacite.Cettefois,sonsourireilluminemêmesesyeux,etilallumelaradio.Ilvérifiesoigneusementàgaucheetàdroiteavantdedémarrer.Ilconduitd’uneseulemain,gardantl’autreposéedangereusementprèsdemacuisse.

Moncœurbonditetatteintdeshauteursquejen’aijamaisréussiàatteindreencompétition.Jesuisjamaistropoccupépourtoi.Commentpeut-ildiredestrucspareilssansvoirl’effetqueçaasurmoi?Parcequepeuimportentmesfantasmes,etpeuimportelavoixraisonnabledansmatêtequime

répèteencoreetencorequejedoisl’oublier,Dimitrihantemonjournalintimedepuisdesannées.Ilhantemonjournalintimedepuislejouroùilm’arassuréeaprèsquejesoistombéesurlesfessespendantma

toutepremièreperformancedecheerleader.Moiquivoulaisabsolumentl’impressionner,jemesuisvautréelamentablement,maisaulieudesemoquerdemoi,ilm’afaitsourire.

Jegribouillesonprénomensecret.J’adorel’entendrerire,surtouts’ilritgrâceàmoi.Jemedemandesiseslèvresauraienttoujourslegoûtqu’ellesavaientl’annéedernière,quandil

m’aembrasséeaprèslematch.Onavaittousbeaucouptropbu,ondansaitsurleparking,etseslèvresonttouchélesmiennes.Furtivement,commeunéclairqu’onpourraitratersionnegardepasl’œildansleviseuretledoigtsurledéclencheur.

Lelendemainmatin,jetremblaispresqued’excitationenarrivantaulycée.Jen’avaisencorerienditàNadia:j’attendaisdesavoircequ’ilenpensait,commentilvoudraitprésenterleschoses.Jemesuisprécipitéeauréfectoire,etj’aivuRachelsepencherpourluimurmurerquelquechose.Ilasouriavantdeluicaresserlajoue.Ilsétaientplusoumoinsencoupledepuisplusieursmois,maisj’avaisl’impressionqu’ellenel’appréciaitpasplusqueça.C’étaitunedecesrelationsoùonsedemandepourquoilesgensrestentensemble.Parlaforcedel’habitude?Pouravoirquelqu’unquandonabesoinderéconfort?Ouparcequec’estcequelesautresattendentdenous?

Peuimportelaraison,mapoitrines’estserréesifortenlesvoyantensemblequej’aiperdumesmoyens.J’étaispaniquéeàl’idéedetomberamoureusedelui.Terrifiéeàl’idéequ’ilpuisseplaisanterdelasituation.Angoisséeàl’idéequ’ilnediseriendutout.Alors,aulieud’allerdroitversluipourl’embrassercommejel’avaisprévu,jeluiaisourienfaisantunsignedeloin,puisjemesuisassiseàcôtédeJerome.Plustard,Dimim’apriseàpartpourmetrancherlecœurenpetitsmorceauxaveccesquelquesmots:«Jesuisdésolé,çaauraitjamaisdûarriver.Onestjusteamis,hein?»J’aieuenviedetaperdespoingssursapoitrine,maissesyeuxétaienttroppleinsdetristesse.Samèrevenaitdefaireunerechute,etlecancers’étaitpropagé.Alorsj’airavalémeslarmes,j’aihochélatête,etonn’enajamaisplusparlé.Unsoir,monpèrem’avupleurer,etj’aiessayédemeconfieràlui.J’avaiscebesoininsensédereposermatêtecontrelui,delesentirmeprendredanssesbras.Aulieudequoiilaricané.«C’estcegamin,là,Kuvlev?Situt’esentichéedelui,mafille,tuesencoreplusbêtequejelepensais.C’estunbonàrien.»

Letéléphonesonne,maiscommeDimitrin’apasleBluetoothdanssonvieuxpick-up,onnepeutpasvoirquiappellesurl’écrandutableaudebord.«C’estNadia?»demande-t-il.

J’attrapesontéléphonesurlatablette,etj’ailesoufflecoupé.Mesmainsdeviennentmoites,etjemetourneversluicommeauralenti.

«Sic’estelle,dis-luiquejelaverraicesoiràlamaison.Elleavaitl’airinquiètequandellem’aappeléetoutàl’heure.

—C’estpasNadia...»Letéléphonem’échappedesmainsettombesurmesgenoux.JejetteunregardfurtifàDimitri.Ilse

gareaussitôtauborddelaroute.«Çava?Qu’est-cequ’ilya?»Iladûlirel’angoissedansmesyeux.Letéléphonesonneànouveau,etavantqu’ilaitletempsdel’attraper,jemurmure:«C’est

Rachel.»

CHAPITRE8-DIMITRIÀchaquesonneriedemonportable,lepick-upsemblerétrécirunpeuplusautourdemoi.«Jecomprendspas...»Savoixtrembleetsesyeuxsontpleinsd’angoisse.Sûrementquelqu’unqui

faituneblague...Uneblaguedetrèsmauvaisgoût.Maisc’estbienlenomdeRachelquis’affichesurl’écran.Çan’aaucunsens.Aprèsm’êtregaréau

borddelaroute,jemetslesfeuxdedétresseavantdedécrocher.Est-cequej’aivraimentlechoix?«Allô?»Montonseveutasseztranchantpourcoupercourtauxconneries.Jesuisprêtàexploser

surquiconqueestresponsable.Mêmesijen’étaisplusavecRachel,sadisparitionm’abouleversé.J’auraisdûtoutarrêteravecellelejouroùmeslèvresontrencontrécellesd’Erinàcefoutumatch.

Etjel’avaisfait,d’ailleurs...Jusqu’aujourdel’accident.JevoulaisinviterErinaufeudejoie,maiselleyallaitdéjàavecJérôme,quiladraguaitdepuisunbonmois.

QuandRachelm’aappelépourmeproposerd’yalleravecelle,j’auraisdûrefuser.Jeluiaisimplementditquejenecherchaisriendesérieux.Jenevoulaispasd’unehistoired’amourtoujours,maintenantquejesavaisqu’ilyavaituneautrefilledansmoncœur,dansmatête,dansmesveines.

Lanuitdel’accident,j’aiavouéàRachelquej’avaisdessentimentspourErin.Personnenerépond,alorsjerépète:«Allô?»LesouriredeRachelflottedansmonesprit,etma

gorgesecontracte.Ilyaquelquessemaines,jesuistombésurelleàl’épicerie.Elleavaitl’aircontentedemevoir,elleajetésesbrasautourdemoncou.Elleavaitdécidédenepasquitterlarégionpourfairequatreannéesd’université,commebeaucoupd’autresétudiantslefont,etavaitpréférérestericipourobtenirundiplômeendeuxansàl’universitélocale,commemoi.Ons’étaitdéjàcroisésquelquesfois,maissansvraimentdiscuter.Ellem’asusurréàl’oreillequejeluimanquaisbeaucoupetqu’onpourraitpeut-êtreréessayerdesortirensemble,pourvoir.J’aichangédesujetenluidemandantcommentsepassaientsescours.Cettedéclarationsortaitdenullepart:onavaitrompudepuislongtemps,jepensaisqu’elleétaitpasséeàautrechose.

«C’estpasdrôledutout.Jesaispasquitues,maisjepeuxtedirequepourfairecegenredeblague,fautvraimentêtreunepetitemerde.»Enm’entendantm’énerver,Erintouchemamainpourmecalmer,merassurer.

Soudain,jel’entends...Rachelquihurleàlamort.Jesenslesangquittermonvisage,etmesmainssemettentàtrembler.Lehurlements’arrête,etunevoixmétalliquechuchote:«Àmoi,àmoi,àmoi.»

CHAPITRE9

Àmoi,àmoi,àmoi.Racheln’estpasàmoi.Rachelestmorte.Justeaprèsquej’aienregistrésoncri,elleacommencéàsuffoquer.J’aienroulémesdoigts

autourdesoncougracile.Pourelle,pasdecouteau.Finidejouer.J’aisentisesjambesbattresousmoi.

Elleauraespéréjusqu’aubout.Quelleconne.

CHAPITRE10-DIMITRIErinsetourneversmoi,lesyeuxgrandouverts,lavoixsifragile.«Qu’est-cequis’estpassé?»Mesmainstremblentencore,agrippéesauvolant,etmavoixsebrisequandjeparle.«Jel’ai

entenduhurler.Ellehurlait...Lapersonnequim’aappelé,c’était...C’étaitletueur.—Hein,quoi?»Ellepeineàtrouversonsouffle.«Ilfautappelerlapolice!Ilfautquetuleur

racontesça!»Soudain,montéléphonesonneencore,etjedécrochesansmêmeregarderl’écran.Mavoixest

pleinedefureur.«Arrêtetesconneriestoutdesuite.—Dimitri,icileshérifWilkinson.Onaimeraitvousparler.»JeregardeErinenlevantlesourcil.

«J’allaisvouscontacter,justement.Quelqu’unvientdem’appeleravecletéléphonedeRachel.»J’inspirepuisexpireprofondément,maismoncorpscontinued’êtresecouédetremblements.«J’aientenduRachelcrier,puisquelqu’unarépété“àmoi,àmoi,àmoi”.»Jemetslehaut-parleurpourpermettreàErindesuivrelaconversation.

«Impossible,rétorqueleshérifaveclavoixdutypeàquionnelafaitpas.—Jevousdisquec’étaitlenumérodeRachel.—Non,Dimitri,c’estimpossible.LetéléphonedeRachelestici,danslespiècesàconviction.»Il

al’airagacéetencolère.Ilatoujoursl’airagacéetencolère.Depuisquesafemmel’aquittéetqu’ilhébergesonneveu,ilestconstammentsurlesnerfs.

Jesecouelatête.«Jecomprendspas.Quelqu’unvientdem’appeleravecsonportable.—Sûrementuneblague.—Maisj’aireconnusavoix!Jel’aientendue,shérif,ellehurlait!»L’angoissedansmavoix

s’amplifieetErinattrapeencoreunefoismamain.«J’aivusonnoms’affichersurl’écran.VouspouvezdemanderàErinHortz,jesuisavecelle,etellel’avuaussi.

—LapetiteHortz,hein...J’espèrepourellequecettefois,leschiensontfaitdeschats...»grommelle-t-ilavantdeseraclerlagorge.«Encoreunefois,Dimitri,letéléphonedeRachelestennotrepossession,etc’estjustementpourçaquejevousappelle:elleavaitenregistrévotrenuméroaunomde“DonJuan”.Venezauposte,Dimitri,onaquelquesquestionsàvousposer.

—Pardon?C’estpasunscoopquejesuissortiavecelle.—C’estmoiquiposelesquestions,Dimitri.»LeshérifWilkinsonnesecontentepasdeparler

commeunsalaud.C’estunsalaud.«Encoreunefois,jevousaiditquej’étaissortiavecRachel,etc’étaitilyaplusd’unan.Son

numérom’aappelé,etj’aientendusavoix.—Vousavezmislehaut-parleur,jesuppose?Erin,tuasentenducecri,toiaussi?»Savoixest

froide,tropfroide,commes’ilavaitoubliéqu’ilparlaitdeRachel.«J’aivusonnoms’affichersurleportable.—Maispeut-êtrequeDonJuanconnaîtdeuxRachel.Peut-êtrequeDonJuanneveutpasquetu

sachesqu’ilfréquenteuneautrefille.Peut-êtrequ’iltemèneenbateau.»

DonJuan,c’estlesurnomqueRachelm’adonnéaprèsqu’onaitcouchéensemblepourlapremièrefois.

Erindoitsentirlacolèrequimonteenmoi,carelleresserrel’emprisedesamainsurlamienneetsecouedoucementlatêtecommepourmefairecomprendrequeprovoquerleshérifseraitunemauvaiseidée.

LeshérifWilkinsonfaitclaqueruneporte.«Ellevousaenvoyéuntextoavantdedisparaître,Dimitri.Elledisaitqu’elleétaitcontentedevousvoir,qu’elleavaituneexcellentenouvelleàvousannoncer.

—Hein?»Jenepourraispasmieuxexprimermonincrédulitésijelevoulais.«J’aireçuaucuntexto,shérif,vouspouvezvérifiermontéléphone.Vouspouvezvérifiercequevousvoulez.Racheletmoi,onétaitplusensemble.»

Onentenddubruitàl’autreboutdelaligne,etleshérifparleàquelqu’unauloin.«Dimitri,cemessageabienétéenvoyésurvotretéléphone.Est-cequevousnel’auriezpassuppriméparcequevousaviezpeurd’êtresuspecté?

—Çan’aaucunsens!Jevouslerépète,àpartlanuitdemonaccident,enoctobre,onn’étaitplusensembledepuisunan.J’airompuavecellelelendemaindumatchàl’extérieur.»

Erinsetournevivementversmoi,bouchebée.«Vousauriezladateexacte?—Le17septembre.OnagagnécontrelesHuskiesetj’aimarquélederniertouchdown.Etpuis

c’étaitlaveilledel’anniversairedemonpère.»Cen’estqu’undemi-mensonge.«Écoutez,vousavezl’aird’avoirvotrehistoirebienaupoint,maisletéléphonedeRachelen

raconteuneautre.Vousdevezvenirauposte.Quandpouvez-vouspasser?Ouest-cequejevousenvoiequelqu’un?

—Ellem’aappelée»,j’articulesèchementenserrantlesdentssifortquejemefaismalàlamâchoire.

«Elleestmorte,etsontéléphoneesticiauposte.Jenevoispascommentelleauraitpuvousappeler.Alorssoitvouspassez,soitonvientvouscueillir.

—Jeserailàdansmoinsd’uneheure.»Jefaiscraquermanuque.«SiTyriknem’enavaitpasdissuadé,vousseriezdéjàlà.»Leshérifmarqueunepauseetseracle

lagorge.Tyrikestuntrèsvieilamidemonpère,ilsétaientmembresdelamêmefraternitéetdelamêmeéquipedefootball.IlajouéunesaisonenNFLavantdedéciderderentrerchezluipourentrerdanslapolice.Ildétesteleshérifautantquenoustous,maisilnelemontrepresquejamais.«J’espèrepourvousquevousnenousavezriencaché.»

Surcesmots,ilraccroche.Jeregardedroitdevantmoisansriendireletempsdemecalmer.«Bon,ondiraitqueleshérifaunnouveaususpectnuméro1»,jefinisparlâcher.Erinnes’enfuit

pasencourant,ellenehurlepas.Elleajustel’airoutrée.«Leshérifaunseulbut:trouveruncoupablepourtouscesmeurtres,n’importequi.Parceque

cetteaffairelefaitpasserpourunincapable.Tuauraisdûvoirsatêtehier,encentreville.Àraconterqu’ilssontprèsdemettrefinàtoutesceshorreurs,toutenpicolantdiscrètementsaréservespéciale.»Ellesecouelatête.«Depuisquesafemmel’aquittéetquesonneveuvitaveclui,ilal’airencoreplussurlesnerfsqued’habitude.Franchement,ilmefoutlesjetons.»

Sapoitrinesesoulèveavecdifficulté,etsesmainssecrispent,poingsserrés,commesielleétaitprêteàsebattrecontremoi.Jelèveunemainhésitanteverssonvisage,d’abordsansoserlatoucher,puisjeposedoucementmesdoigtsencoupecontresajoue.Elleécarquillelégèrementlesyeux,puislesfermeetreposesonvisagedansmamain.

Sansouvrirlesyeux,ellemurmure:«Commentçasefaitquetuaiessibienretenuladate,le17septembre?Lesanniversaires,tulesoubliestous,ettuasdûbattrelesHuskiesaumoinstroisfois...

—Tusaistrèsbienpourquoi...»jerépondssimplement,etellerougitimperceptiblement.Elledéglutitavecdifficulté,commesiellen’arrivaitpasàdécidersielledoitposersaprochainequestionounon.

Finalement,elleenlèvedoucementsamain.«Ondevraityaller,Calebnousattend.Jesuissûrequelapoliceverraquetuasjamaisreçuce

texto,maisçametracassequandmême.Toutça...çan’aaucunsens.»

CHAPITRE11–ERINSonpick-upalamêmeodeurquelui,unmélangedesoneaudeCologneetdesaquarellesqu’il

utiliseparfoisàlaplacedesonfusainpourdessiner.«Jecomprendspas,répète-t-il.Jecomprendsvraimentpas.»Noussommestoujoursarrêtésauborddelaroute,entrelamaisondesCarmichaeletlamienne.

Quandilsetourneversmoi,j’oublietoutesleshorreurs,lamortdeRachel,monpèreetlerestedumonde.Laseulechosequitourneenboucledansmatête,c’estqu’ilsesouvientdecejour-là.Monesprit,cetraître,s’accrochebêtementàl’espoirqu’ilvachoisircemomentpoursetournerversmoietm’avouerenfinqu’ilrêvedemoietqu’ilestamoureuxdepuistellementlongtempsqu’ilnesaitmêmeplusquandçaacommencé.

Moi,entoutcas,jenesaisplus.Jenemesouvienspassic’étaitquandilm’aaidéeaprèsmachute.Jenemesouvienspassic’étaitquandilaproposéd’emmenerCalebjoueraubowlingaprèsqueje

luiairacontéquecertainsdesescamaradesleharcelaient.Jenemesouvienspassic’étaitpendantcefameuxbaiser.Oubienilyacinqminutes,quandiladitqu’ilvoulaitêtrelàpourmoi.«Erin?»demande-t-il,etjelisdanssesyeuxuneconfusionquimeramènedouloureusementsur

Terre.«Pardon,quoi?»Jesensmesjoueschaufferetjesuisàpeuprèssûrequ’ellesontprislacouleur

demescheveuxteints.Monespritfaittoujourslesassociationslesplusbizarresauxpiresmoments.«Rien»répond-il,etilredémarre.Jesecouelatête.C’estridicule,cettesituation:lavieestcourte,etmoi,aulieudesaisircequ’elle

metendàpleinesmains,jeresteenretraitaveccettedistancequej’aitoujourspeurdefranchir.J’aipeurdemefairerejeter,parcequejesuissûrequesiçaarrive,toutespoirenmoiseraanéanti,etc’estunedouleurquejerefusedem’infliger.

Moncœurseretournesoudaindansmapoitrine.«Lecamion,là,c’estlatélé?»jedemandeenpointantdudoigtunvéhiculeauloin.

«Ondiraitbien»,répond-ilavecréticence.Àchaquefoisquelapolices’intéresseàmonpère,ilsreviennent.

L’annéedernière,lesphotographesontcapturélemoindredenossourires,etunjournalenafaitsauneentitrant«Pasuneseulelarmepourlesvictimes.»

Unecaméranousattendaitàchaquecoinderue,avecdesjournalistesquinousfourraientleursmicrossouslenez.«Qu’est-cequeçavousfaitdesavoirquevotrepèreestsuspectéd’avoirtuétoutescesfilles?Est-cequevouslesconnaissiez?Craignez-vouspourvotreproprevie?»

Lesmédiasontchangélamanièredontnosvoisinssecomportentavecnous.Certainsnous

soutiennentencore,d’autresaffirmentqu’ilsonttoujourssuquequelquechoseclochaitdansnotrefamille.

Danstouslescas,onnousjuge.DimitritournedanslaruedesCarmichael.Lequartierestencorecalme,maisjesaiscommentça

fonctionne.Bientôt,lesreportersvontdéferlerenmassepourharcelernosvoisins,nosamis,leurposerdesquestions,inventerdeshistoires.JetouchelebraceletqueCalebm’afabriquépourmonanniversaire.Ilfautquejegardemoncalme.Piquerunecriseneferaitquedonnerdugrainàmoudreàcesvautours,etCalebprendraitpeur.Çan’aideraitpasmonpèrenonplus.Jemepenchesurmonsiègepourregardermonrefletdanslerétroviseur.Mesyeuxsonttropgrands,onlescroiraithantés.Ilyaunetacherougedansmoncou,uneplaquequin’apparaîtquequandjesuisstressée.J’attrapemabouteilled’eaudansmonsac,j’avaleunegrossegorgéeetjemeforceàfairesemblant.Semblantquej’entreenscène,quetouslesregardssontbraquéssurmoietqu’ilsattendentquejefasseuneerreur,quej’oubliemesréponsesouquejemecasselafigure.Maisilsnemeverrontpastomber,carc’estmoiquidécidecequejedonneàvoir.

EtcequeCalebabesoindevoir,c’estquejesuisforte.Lesreportersaussidoiventsavoirquejesuisforte.Mamèreetmonpèreaussi.Peuimportecequ’ilenestvraiment.LavoixdeDimitriinterromptmespensées.«Laisse-moiveniravectoi.»J’aiun«Non»auborddeslèvres,maisenmêmetemps,Calebseraittellementravidelevoir...Je

décidequ’àcemomentprécis,c’esttoutcequicompte.«D’accord»,jeréponds,etilsortdelavoiture.Quandj’ouvremaportière,ilsetientdéjàdevant,

lamaintenduepourm’aideràsauterpar-dessusuneflaqued’eau.Jefaiscommesimoncorpstoutentiern’étaitpasdevenuplustendrequ’uneguimauveenvoyantsongeste.Quandnosdoigtssetouchent,sesyeuxcherchentmonregard,maisseulementuneseconde,commes’ils’agissaitd’unevieillehabitudedontilchercheàsedébarrasser.

Dèsquej’aiposélepiedausol,jelâchesamainetmeprécipiteverslaportedesCarmichael.Leurmaisonestentouréeparunporchecouvert,etàdroitedel’entrée,ilyadesfleurs—desroses,desbleues,despetites,desgrosses.Unesortedechaosfloral,maisquiasonéquilibre.Prèsdesparterres,unpetitcolibriquivolèteattiremonattention,etjeregrettedenepasavoirmonappareilphotoavecmoi,carcepetitoiseaual’airprêtpourunegrandeaventure.

LamaindeDimitriseposeaucreuxdemesreinsetilmurmure:«Tuaslaissétonappareilcheztoi?»

Jehochelatête.Ilsaitcombienj’aimecapturercesinstantsprécieuxenphoto.C’estmamanièrededonnerdusensaumonde,etlesmomentsquejederrièrel’objectiffontpartiedesraresmomentsoùjemesensenpaixavecmoi-même.

«Moipareil,j’aioubliémespastels.»Dimitriatoujoursaimédessiner,maisdepuissonaccident,ilpassedeplusenplusdetempsle

fusainàlamain.Dèsqu’iln’estpasentraindetravailleroudes’entraîner,ildessine.Ilyadel’agitationàl’arrièredelamaison.Uneportes’ouvrepuissereferme,etononentendun

rire.Caleb.Unpoidss’enlèvedemesépaules.Ilestgai,iln’apasencoreappriscequiétaitarrivé.«Calebvaêtretellementtriste...»jemurmureenavançantverslaporte.Dimitrigardesamain

contremondos,ungesterassurantetprotecteurquejenemesenspasobligéedesur-interpréter,pourunefois.Jemecontented’entirerducourage,etjemeforceàappuyersurlasonnette.Jeconnaiscettemélodie,elleressembleàcelledelasonnettequ’onavaitfabriquéeencoursdetechnologiel’annéedernière.Beethoven,jecrois.

Presqueimmédiatement,lechiendesCarmichaelsemetàhurler,maisilfaitbienplusdebruitque

demal.C’estunchienadorable,avecdegrandesoreillesetdebeauxyeuxbruns.Ilsnesontpastropsûrsdesarace,peut-êtreuncroisemententreunbeagleetunlabrador.

«Tais-toi,Brie!»crielavoixdeMmeCarmichaelàl’intérieur.Briejappedeplusbelle,commesiellevoulaits’assurerquejel’entende.«Allez,Brie,viensici.Aupied,Brie!Aupied!»Aprèsquelquessecondes,elleouvrelaporte.

Ellemeprendimmédiatementdanssesbras.«Oh,machérie.»Briegémitetaboie,coincéederrièreleportillonquiséparel’entréedusalon.Malgrél’étreintechaleureuse,moncorpsseraiditjusqu’àcequejevoielevisagedeCalebquipointedepuislesalon,suiviparsonmeilleurami,lefilsdeMmeCarmichael,Julian.

Jem’écarted’elle,etjesuisprêteàparierquej’aimonairconcerné,celuidontJennaditqu’ilmecoûteraitprobablementletitre:unsourcillégèrementrelevéetleslèvrespincées.

Calebs’arrêteenmevoyant,etilnousfaitdegrandssignesdelamain.«Dimi!Y’aDimi!»Dimitriluifaitsigneenretour,etjemedemandesiletalentd’actricedeNadianeseraitpasgénétique,carilal’airheureuxetpresquedétendu.«Salut,monpote.»

Calebfroncelessourcils.«Jeveuxpaspartirmaintenant.Julianaditqu’oniraitjoueravecleslapins.»

MmeCarmichaellèvelamain.«Non,leslapinssonttropjeunes,onnepeutpasencorejoueraveceux.»Elleal’airpatiente,mêmesijesuisàpeuprèssûrequ’ellesetueàrépéterlamêmechosedepuisdesheures,puisqueCalebmeparlaitdéjàdeslapinsquandjel’aidéposéhiersoir.

«S’ilvousplaît!»supplie-t-il,affichantl’airimplorantquiluipermetengénérald’obtenirtoutcequ’ilveut,boucheboudeuseetyeuxdepetitchiotmalheureux.

MmeCarmichaelsetourneversmoietposelamainsurmonépaule,ungestequin’ariend’autoritairemalgrénotredifférenced’âge.«J’aimeraispouvoirlegarderpluslongtemps,ilss’amusentsibienavecJulian.Calebaététrèssagehiersoir.Ilesttrèspoli,ilamangétousseslégumesetm’amêmeaidéeàdébarrasser.»Elleparleàtoutevitesse,commesiellerépétaitundiscours.

Jesaisqu’elleadoreCalebetjecroisqu’elleveutsincèrementnousaider.Maissamainfrémitsurmonépaule,etelleregardederrièremoipourvérifierlapenduleau-dessus

delaporte.Sonmari,quitravailleenpostes,pourraitrentrerd’uneminuteàl’autre.Luiaussiessaiedesemontrercompatissant,maisdepuisquemonpèreestsoupçonnéd’êtreimpliquédansladisparitiondeRachel,ilsefaitmoinsprésent.Rachelallaitàlamêmeéglisequ’eux,etellefaisaitparfoisdubaby-sittingpoureux.Etaveclesdernièresnouvelles,c’estsûrementàcausedeluiqueMmeCarmichaelaimeraitqueCalebparteplustôtqueprévu.

Dimitris’avancedanslesalonpourjeterunœilaujeuquioccupaitlesgarçons,unesortedecabanequ’ilsontconstruiteavecquelquesmeubles.IltapotedoucementlatêteduchiendevenusilencieuxetdemandeàCalebs’ilaimeraitallerpêcherdemain.

CalebhochelatêteenthousiasmeetmoncœurpalpitedebonheurcommelapremièrefoisoùDimitrianonchalammentenroulésonbrasautourdemesépaules.Songesteavaitl’airtoutnaturel,maismoi,surlemoment,j’enavaisoubliécommentrespirer.

MmeCarmichaelsouritsoudainavecnostalgie.«C’estungentiljeunehommequetut’estrouvélà.»

Jem’apprêteàbalbutierquelejeunehommeenquestionnem’appartientpas,maisDimitriadûsurprendresaremarque,carilsetourneversmoietmefaitunclind’œil.«Ellenes’enrendpascompte!»plaisante-t-il,désamorçanttoutetension,mêmesisamâchoirerestetendue.

«Est-cequeJulianpeutvenirpêcheravecnous,demain?»MmeCarmichaelmelanceunregardfurtifetsonsourires’évanouit,maiselleseredresseavantde

répondre:«Oui,jesuissûrequeJulianenseraitravi.»Soitelleadécidédeneriendireàsonmari,soitelleluitiendratêtejusqu’àcequ’ilcède.Jeluien

suisreconnaissante.«Merciencoredel’avoirreçu,MmeCarmichael.Allez,Caleb,onyva.Tuasbienpriston

inhalateur?»IlacquiesceetfaituncâlinauchienavantdesaluerJulian,puisilseplantedevantMmeCarmichael.

«Est-cequeJulianpeutvenirjoueràlamaisoncesoiraprèsmanger?»demande-t-il,pleind’espoir.

MmeCarmichaelm’adresseunregardcompatissant.«JenesuispassûrequeJulianauraletempsaprèsledîner,maisjevaisdemanderàtamamansitupeuxvenirprendreledessertici.»Traduction:Jenesuispassûredevouloirenvoyermonfilscheztoi,avectoutesceshistoires.AllerpêcheravecDimitri,c’estunechose,maisilfautqu’ellechoisissesesbatailles.

Calebbaisselesyeuxausoletsalèvretremble,maisilréussitàseconteniravantderegarderMmeCarmichael.«M-m-mercidem-m’avoirre...reçu.»Ilinspireprofondémentetjetendsl’oreillepourécoutersarespirationetrepérerunsifflement.Commemesrougeurs,sonasthmeseréveilleaveclestress.Samaintrouvelamienneetjelaserredoucementpourl’encourager.Calebnemelaisseluitenirlamainquequandilestsurunparking,qu’iltraverselarueouqu’ilesttriste.

«Çava,Erin?»Ilpenchelatêtesurlecôtécommepouressayerdejaugermonamour,etsonintonationinquiètemepincelecœur.

«Oui,toutvatrèsbien.»Jeforcemeslèvresàsourire.MaismêmeavecmesexpériencesdecheerleaderetdeMissconjuguées,jedoismanquerdeconviction,carCalebmeserrelamainàsontour.

«C’estPapa,hein...»chuchote-t-il,puisilsetourneversDimitri.«Onvavraimentpêcherdemain?»demande-t-ilcommes’ilavaitpeurqueluiaussilelaissetomber.

Dimitriluiébouriffelescheveux.«Biensûrqueoui!Etaprèslapêche,tupourraispeut-êtrememontrercommenttufaispourconstruireunecabaneaussicool.»

Jefroncelessourcils.«Mais,t’espascensé...?»Ilmesemblaitquel’entraîneuravaitdemandéàlevoirtouslesdimanches,maintenant.

Maisilnemelaissepasfiniretenroulesonbrasautourdemoi.Saforcem’enveloppecommeunecouverturechaudeetduveteuse.Ilmeprotège,malgréleslignesnerveusesquicrispentencoresonvisage.Quelquesminutesplustôt,ilaentenduRachelhurler.Ill’aentenduehurler,etiln’arienpufaire.Etpourtant,ilmeprotègeencoreenmaintenantunsemblantdenormalitépourCalebetenfaisantpluspourluiquemespropresparents.«Jepourraimerattraperaugaragedemainsoirousupertôtlundi.Jevaism’occuperdetavoitureaujourd’hui,etdemainmatinonn’aqu’unrendez-vous,doncçaira.Etpourl’entraîneur,ilestpaschiantsurleshoraires,doncjepeuxyallerquandjeveux,tantquejeresteuneheure.»

Jetremble.Mapeauetmoncorpstoutentierréagissentàsonsouffledansmoncou,àsaproximité,àtoutcequ’ilest.

Etpuisils’éloigne,emportantencoreunmorceaudemoncœuraveclui...oucréantunnouveaumorceaudontjenesavaismêmepasqu’ilmemanquait.IlouvrelaportièrearrièreetCalebbonditdanslepick-upetsemetàjacasseràproposdeBrie,lechien,racontantqu’avecJulian,ilsluiontapprisàsautersurcommande,etqu’ilsontfaitdesfriandiseshiersoir,etqu’ilsontregardéunfilmjusqu’àsupertard,etqu’ilssesontvraimentbeaucoupamusés.AlorsjemesouviensquelaméfiancedeMrCarmichaelàl’égarddemonpèren’estqu’undesnombreuxproblèmesquinousattendentautournant.

Dimitrimepoussedoucementetm’ouvrelaportière.«Çavaaller»,dit-il,maisilal’airinquiet.Cettepetitelignefroncéeentresessourcils,jenel’aivuequedeuxfois:quandilaapprisquesamèreavaituncancer,etquandilasuqu’ilavaitperdusabourse.

«Çavaaller»,répète-t-ild’unevoixrassurante.Oh,commej’aienviedem’accrocheràcetespoir.

CHAPITRE12

L’espoir,çafinitpardisparaître.Tôtoutard.Plusoumoinsvite,selonlesfilles.Mêmelesplusrésistantesfinissentparconnaîtrecemomentoùl’espoirlesquitte.PourRachel,

çaaétélemomentoùj’aij’aisortidutiroirunlongcouteauquej’aitapotécontresonjolicou.Là,elleacomprisquec’étaitfini.Çafaisaitdesjoursquejem’appliquaisàlafairecraquer.Ilétaittempsd’enfiniretdeleslaisserlatrouver.

C’estbienquelesgensl’aienttrouvéesivite.Soncorpsn’apaseuletempsdesedécomposer.Çaauraitétédommagequelesgensnevoientpassonailed’ange.

Maintenant,lesgentilshabitantsdeGavertCitysepensentensécuritépourl’annéeàvenir.Maisilsvontbientôtserendrecomptequelesrèglesdujeuontchangé.

Kimagiteseslonguesjambes.Ellearriveauboutdesesforces,auboutdesavie.Avecelle,çan’apasétéaussimarrantqu’avecRachel.Elleaabandonnébeaucouptropfacilement.Pourunecheerleader,ellemanquesérieusementdemotivation.

«Pourquoi?»couine-t-elle,deslarmescoulantsursonbeauvisage.Ellessonttoutesmagnifiques.Certaineslesavent,maisd’autresnes’enrendentpascompte.Ellespensentqu’ellesnesontpasassezgrandes.Ellestrouventleursneztropcourt,troplong,troppointu.Ellesvoudraientdesseinsplusgros,descheveuxplusbrillants.

Lesmédiassedemandentpourquoijegraveuneailed’angesurleursjoues.Est-cequec’estdufétichisme,est-cequejesuisdingue?Siseulementilssavaient...

Kimsuffoque.«Pourquoi?—Parcequetuasessayédeprendrecequinet’appartenaitpas.T’esvraimentpasunange.»

CHAPITRE13–DIMITRILarueestdéjàétroitesansavoirenplusàslalomerentrelescamionsdeschaînesdetélévision

garéesdepartetd’autre...«Nevousinquiétezpas,onvapasser.»Ilestimpératifquejegardeuntonenjoué.Calebnedoitsurtoutpasm’entendrepaniquer,etErinabesoinquejerestefortpourelle.Jeralentisjusqu’àrouleraupas.Contrairementàlanôtre,l’alléedevantleurmaisonn’offreaucuneintimité.Calebrestesilencieuxetsesyeuxfusentd’uncôtéàl’autre.Sonbavardageincessantacessédèsqu’ilaremarquélescamionsetlesjournalistes.

«Peut-êtrequ’onpourraitfaireletouretsegareraucroisementdevantlastationessence,etensuiteonpourraitreveniràpiedsetrentrerparderrière.»marmonneErin.

«Situveuxfairecommeça,O.K.—Oubientupourraistegarerendérapantjustedevantlamaison,etnousonsautedelavoitureet

onroule.»Onnefaitquegagnerdutemps.Quelqu’unfrappeàlavitre,maisjel’ignore.«Ilsnousontrepérés,alorsautantyaller.»Savoixestpleinededétermination,avecunsoupçondesontondecheerleader.Commesiellesemotivaitàsortir,prêteàaffrontertoutlemondeaveclesourire.Ellelâchesescheveuxpourcachersonvisage,etaveclesrefletsdusoleil,oncroiraitunecascadedefeu.Ellefaçonnesonexpressionenunefaçadeimpassibleetobservesonrefletdanslerétroviseur.«Onpeutlefaire.»J’ignoresiellechercheàmeconvaincremoi,ouelle-même.EllesetourneversCaleb,quial’airpluscalme,plusàl’aise.«Dèsqu’onsortdelavoiture,tuviensavecmoienmarchanttrès,trèsvite,ettunerépondspasauxquestions.Compris?

—C-c-compris.»Ilhochelatêteetattrapesoninhalateurdanssonsac,unréflexequ’iladèsqu’ilsaitqu’ilpourraitenavoirbesoin.

JeproposedeporterlesacdeCaleb,maisellesecouelatête.Safaçadefroidesefissureetsesyeuxorageuxaccrochentmonregard.

«Non,pasbesoinquetusoismêléàcebazar.Etpuiss’ilsdécouvrenttonnom,etquitues...—Tuteméfiesparcequelesflicsm’ontappelé.»Jenedevraispasressentircepincementdans

mapoitrine,cettelueurdedéceptionàl’idéequ’ellepuissedouterdemoi.Maisc’estlà,pourtant,çaetl’aveuquesi,eneffet,ellenemefaitplusconfiance,jeseraiscomplètementpaumé.

Sesyeuxs’écarquillent,etellemeprendlamain.Uncontactderiendutout,maisquisuffitàmerassurer.«Non,non,pasdutout.Jenememéfiepas.Cequim’inquiète,c’estpaslefaitquelapolicet’aitappelé,parcequejesaisquetun’asrienfait.»Ellesemblecatégorique.«Non,cequim’inquiète,c’esttoi.L’appelquetuasreçu,celuiavecleportablede...»Elles’interrompt,refusantd’endireplusdevantsonfrère.«J’aipeurpourtoi,merde!

—T’asditungrosmot!»ricaneCalebenmettantsesmainsdevantsabouche.Erinseretourneettordseslèvresd’unairsongeur.«Mince,jevaisdevoirmettreundollardansla

tirelireàgrosmots,alors!»Elleluifaitunclind’œil.«Maistunerépètespascequej’aidit,d’accord,Caleb?»

Jeretournesamaindanslamainettracedescerclessursonpoignet.Sonpoulsbatàtoutevitesse,encontrasteavecsavoixsereine.«Jevaissortirlapremière,etensuite,j’ouvretaportièreetjeteporte.

—Maisj’suistropgrand!proteste-t-il,etpuisj’aimonsac!Papaditquec’estàmoideportermonsac.»

EllesoupireetjeprofitedecequeCalebsoitoccupéàrangersoninhalateurdanssonsacpourdéposerunbaisersursonpoignet.Jenedispasunmot,d’autantplusquejen’aiaucuneidéedequoidire,maisellerougit,etc’estlaseuleréponsequej’espérais.Jeremarqueaussiquesessourcilssontunpeumoinsfroncés.Elleinspireprofondément.«Bon.Tuattendsquandmêmequej’ouvretaportière,etensuiteonsedépêchederentrer,ettunedisrien.

—Jedirairien»répond-ilavecunsérieuxqu’onnedevraitjamaisentendrechezunenfantdehuitans.

«Jevaism’approcherlepluspossible.»Ellehochelatête,maislegestesembletropraide.«Tuessûrequetuveuxpasquejevienne?

—J’aienviededireoui,vraiment.Promis,c’estpasquejerefuseencoretonaide...murmure-t-elle.Maisjeveuxpastemêleràtoutça.Tuconnaismonpère,tusaiscommentilpeutêtre.T’aspasbesoindeça.Çaneferaitquecompliquerleschoses,pourtoi,pourmoi,etsurtoutpourlui.»EllemontredumentonlesiègearrièreoùCalebserresonsaccontreluicommes’ilcontenaittouslestrésorsdumonde.

«D’accord.»Jedessineunderniercerclesursonpoignetavantdelesconduireaussiprèsquepossibledeleurmaison.Ellesepencheversmoi,etjesuisplongédanssonodeurdélicieuse.Jecomprendsqu’elleveuilleparaîtreforteetresponsabledevantCaleb,maisj’aimeraislafairechangerd’avisetlaconvaincredemelaisserl’accompagner.Sisonpèreestdéjàrentré,ilrisqued’êtresacrémentremontéaprèssonpassageauposte.Ladernièrefois,ilacouvertErinetsamèred’insultes.ErinaappeléNadiaenlarmespourluiraconter.Jenepeuxpaslalaisseryallerseule.

Elledoitliresurmonvisageledilemmequisejoueenmoi.Elleplongesesyeuxdanslesmiens,etunepartiedesonangoissesembles’envolerpourlaisserplaceàlagratitude.«Cequetufaismaintenant,Dimitri,çam’aidedéjàbeaucoup.Sanstoi,jeseraisencoreplusangoissée.Tum’aidesàrestercalme.»Ellebaisselavoix.«EttuaidesCalebàgarderlesourire.Je...»

Lesbattementsdemoncœurrésonnentdansmonoreille,ettoutelaforcequej’aiaccumuléependantmesannéesd’entraînementn’estpasdetroppourrésisteràmonenviedetirerErinversmoipourl’embrasserjusqu’àluidonnerletournis.

Seslèvreseffleurentmajoue.«Mercidenousavoirramenés.Mercipourtout.»Calebpouffe.«Tuluiasfaitunbisou!»chantonne-t-il.Erinluifaitunclind’œil.«Surlajoue,c’estunbisoud’amis.»Mercipourlapiqurederappel...Ellesortdupick-up,latêtehaute,ignorantlesreportersquilaquestionnentdéjà.ElleaideCalebà

sortir,attrapesamain,etilsmarchentensembleverslamaison.Ellelerapproched’ellecommepourleprotéger.Jevoudraisallerlaprotéger,moiaussi,contrelesvautoursquiattendentpourréclamerunedéclarationousurprendreunmomentdefaiblesse.Jeplisselesyeuxenvoyantlaporteserefermerderrièreeux.Par-dessustout,jevoudraislaprotégerdesonpère.

Jefrappelevolantduplatdelamainetmeforceàresterdansmavoiture.Erinaraison:çanel’aideraitpasdutout.Çameferaitdubien,oui,maisçanel’aideraitabsolumentpas.Jerespireprofondément,etj’enclenchelamarchearrière.

Lapolicem’attend.

CHAPITRE14–ERINAutrefois,lamaisonsentaitlatarteauxpommescaramélisées,lalimonadefraîchementpresséeet

leproduitd’entretienaupinqu’onutilisaitsurleparquet.Cettemaison,avant,étaitvivante:propre,maistoujoursunpeuencombrée,aveclesmagazinesdemamèresurlecanapé,matenuedecheerleaderetmeslivresdephotographiedanslacuisineetleschaussuresCalebtoujoursdanslepassage.Autrefois,lamaisonnousaccueillaitàbrasouvert.

«Maman!»Calebenvoievalserseschaussuresetlâchesonsacavantdecourirverslachambredemesparents.

Aucuneréponse.Calebsaitqu’iln’apasintérêtàentrerdanslachambresansyêtreinvité.Avant,peut-être,ilaurait

ouvertlaporteavantdesautersurlelitpourparler,parleretparlerencore.Maisplusmaintenant.Plusdepuisqu’ilatrouvéMamanquipleurait,rouléeparterredansson

pyjamaenflanelle.Elleestfatiguée.Fatiguéed’êtrefatiguée.JemeprécipiteversCaleb,quiresteplantédevantlaportefermée,lesyeuxpleinsdequestions

auxquellesjenesauraispasrépondre,desquestionsquejevoudraisqu’ilneseposepas.Lebourdonnementdelaradiodanslachambrenesuffitpasàcouvrirlesondessanglots.Caleblaissetombersatête,etsapetitemaintrouvelamienne.«Soisgentiletvarécupérertonsacdansl’entréeetrangertachambre,etensuiteonpourrajouer

avectonkitd’archéologie.Peut-êtrequ’ontrouveraunnouveautrésor.»Ilareçucekitencadeaupoursonanniversaire,maispersonnen’aencoreprisletempsdel’aideràs’enservir.Jepensaisquemesparentss’enchargeraient,jemetrompais.J’éloigneCalebdelaporte.Lachambredemesparentssetrouveaurez-de-chaussée,tandisquelesnôtressontàl’étage.Ellesnesontpasgrandes,maisaumoinsonn’apasàenpartagerune,doncjenevaispasmeplaindre.

«Tucroisvraimentqu’onvatrouverletrésor?—Peut-être!»Jesouris,sincèrementcettefois,carsapassionpourl’histoireestadorable.Caleb

meprenddanssesbrasetcourtcherchersonsacavantdefoncerdanssachambre.Jemontelentementl’escalierétroitdontlesmurssontdécorésdephotosd’enfancedemoietde

Calebquemamèreachoisies.Ilyaaussiquelquesphotosdesesparents,quisontmortsquandelleétaitencoreàl’université,etenfindesphotosquej’aiprises.Jemesouvienslapremièrefoisquej’aifaitimprimermesdeuxphotospréféréesausupermarché,etquemamèrem’apromisqu’onlesencadreraittoutdesuiteenrentrant.Elledisaitsouventauxgensquej’allaisdevenirunegrandephotographe,oupeut-êtreunegraphistetalentueuse.Elleneparleplusvraimentdemonfutur,maintenant.

SijenegagnepasleconcoursdeMissReinedecœurjunior,jenesaispassielles’enremettra.J’entredansmachambreetmelaissetombersurlelitenignorantl’adrénalinequim’écrase.C’est

trop,toutça.Rachelestmorte.J’avalemasaliveavecdifficultéavantdemeredresser.L’appelqu’areçuDimitrimefaitencorefrissonnerjusqu’auplusprofonddemonêtre.

Jem’installeledoscontrelamontagned’oreillerssurmonlit,etjeregardeleplafondenforçantmarespirationàralentirenmeconcentrantsurdetoutpetitsdétails.L’annéedernière,Nadiaetmoi,ona

chacuneaccrochédansnoschambresunposterdeLucasWills,larockstarlaplussexyaumonde.Maisauboutd’unmoment,j’aifinipartrouvéçabizarredemeréveillerenvoyantsonvisagetouslesmatins,alorsj’airemplacéleposterparunecitation.

Profitebiendespetiteschosesdelavie,carunjourturegarderasenarrière,ettuverrasquelespetiteschosesétaientgrandes.

Parfois,lematin,lirecettephrasem’aideàmeconcentrer,maisàcetinstantprécis,mespenséespartentdanstouslessens.

Rachelestmorte.Monpèrel’aimaitbien.Elleétaitinscriteàsoncoursd’histoireaméricaine,etilm’aditunefois

qu’ilétaitimpressionnéparsoncomportementenclasseetpendantlesséancesdetutorat.Jen’aipasdemandéexactementquelcomportement,carengénéral,ilseservaitdesautresélèvespourmerappelerquejen’étaisjamaisassezbienpourlui.Mesnotes,jamaisassezbonnes,mesactivités,jamaisassezintellectuelles...

Maisjemesouviensque,quandj’avaisonzeans,ilmelisaitdeshistoires.Passouvent,maisparfois.Monpèrenepeutpasl’avoirtuée.Elle,oun’importequi.

Jeportemespoingsàmabouche.Mamèrevafaireunecrisededéprimemonumentale,etCaleb...Calebvaessayerd’avoirl’airfort,maisàhuitans,ilnedevraitmêmepasavoiràlefaire...MagorgeseserreenrepensantàRachel,songrandsourire,sonhabitudedeparleràtoutlemondeauxsoirées.QuandelleacouchéavecDimitri,jel’aidétestéeunpetitpeu.Jedétestaissessourires,sajoiedevivre.Enréalité,jelajalousais.J’avaisenvied’êtreàsaplace.Etmaintenant?

Leslarmesbrouillentlesmotssurmonplafond,maisjelesessuievitedureversdelamain,presquerageusement.Jenelaisseraipaslatristesseprendreledessus.

Jemelèveetvaisjusqu’àmafenêtre.Delà,jepeuxvoirlamaisondeRachel.CelledeMélanie,aussi,Mélaniequiadisparuilyacinqansetqu’onn’ajamaisretrouvée.EtlamaisondeBrooke,quiaététuéel’andernier.Brookeétaitunefilleadorable,spontanée,toujoursentraind’aiderlesgens.Elleavaitbeaucoupdesuccèsdanslesconcoursdebeauté.Quandonaretrouvésoncorps,sesparentsontquittélaville.

Soudain,jeremarquelavoituregaréedevantchezRachel,etjemesensbizarrementattirée.Jenepeuxpasm’empêcherdelaregarder.Peut-êtrequejedevraisyaller,maispourdirequoi?Désolée,toutesmescondoléances,ohetaufait,jecroispasquec’étaitmonpère.

Ceseraitmentir.Jesuisdésolée,c’estvrai,etmescondoléancesseraientsincères.Maismonpère...jenesaispass’ilestresponsableounon.

Moncœurtambourine.Mesmainssecrispent.Etlepoidsdéjàbieninstallédansmapoitrinesefaitencoreunpeupluslourd.Jemerassiedssur

lelitetjefermelesyeux.

CHAPITRE15-DIMITRIJeretrouvelemêmecirquemédiatiqueaupostedepolice,maislescamionnettesdetélévisionse

retirentsoudainuneàuneet,enquelquesminutes,leparkingsevide.Jelessuisduregard:ellestournenttoutessurlaroutemenantàlamaisond’Erin.Lesnœudsdansmonestomacsetransformentenpierresplusduresquecellesaveclesquellesmonpèrem’apprenaitàfairedesricochets.J’envoieunSMSàErin.

Toutvabien?Voyantqu’ellenerépondpastoutdesuite,jecommenceàfairemarchearrièrepourretourneràsa

maison.Montéléphonesonne,etjebaisselentementlesyeuxdessus,anxieuxàl’idéedevoirs’afficher

encorelenumérodeRachel.Maisc’estErin.«Oui,toutvabien.»Ellesoupireetmesépaulescommencentàsedétendre.«J’aivulescamionsdelatélépartirprécipitammentetsedirigerverscheztoi,jem’inquiétais.—Onestbienrentrés.Monpèredoitêtreencoreauposte.Ettoi,çava?—J’étaisentraindemegarerpourallervoircequeleshérifmeveut.Ilferaitmieuxdes’occuper

del’appelquej’aireçu...Quelqu’unjoueunjeupervers.Promets-moidepast’aventurerdehorstouteseule.

—Promis»murmure-t-elle,etjesoupiredesoulagement.«Encoremerci,Dimitri.—Y’apasdequoi.Jevaisyaller.Faisattentionàtoi.Etsitonpèrepiqueencoreunedeses

crises,tum’appelles,ouNadia,oumonpère,peuimporte,etonviendratechercher.—D’accord.»Jen’aipasenviederaccrocher.Quandjel’aiauboutdufil,jesaisqu’elleestensécurité.Maisil

fautquej’aillevoirleshérif,tirerenfincettehistoireauclair.JeveuxluifairevoirquelamortdeRachelaquelquechosededifférentdesautres.

«Jeterappellebientôt,minus.»J’essaiedeprendreuneintonationaussinormalequepossible,envain.J’aitoujoursl’airtropanxieux.

«Faisattention,toiaussi»répond-elleavantderaccrocher.JemegareprèsduFlyingPig,lerestaurantoùtoutelavillevientpourfêtertoutcequipeutse

fêter:anniversaires,diplômes,promotionsouvictoiresdel’équipedefootball.Mesdoigtsrestentsuspendusau-dessusdemontéléphone.JeneveuxpasinquiéterNadia.Après

avoirpassélamatinéeàchercherRachel,Liamapenséqueceseraitunebonneidéedel’emmenerdanslechaletdesesparentsauborddulacetd’enprofiterpourpasserdutempsavecsonfrère,unmilitaireenpermission.Ils’estditqueçaaideraitNadiaàoublierpourquelquesheures,etpuislà-bas,ilsseraientensécurité.Quandellem’aappelépourmedemanderd’allerchercherErin,ilssemettaientbientôtenroute.Ilsdevraientêtrerentrés,donc.

Maisj’aivraimentbesoindesavoirquemasœurvabien.Jecomposesonnuméroensoupirant.«Qu’est-cequ’ilya?»Nadian’apasl’airdétenduedutout.

«Jeveuxpastefaireflipper,mais...—Lemeilleurmoyendemefaireflipper,c’estdemedireça.Erinvabien?—Elleestchezelle.»Jeneconfirmepasqu’ellevabien,carNadianeseraitpasdupe.«Voilà.

Quelqu’unm’aappelé,etçam’ainquiété,alorsjevoulaisêtresûrquetuvasbien.—Oui,parcontretoi,t’aspasl’airbiendutout!»Nadiaconnaîtmesintonationsparcœur.Après

lamortdenotremère,elles’estbeaucoupoccupéedemoi.Ellemerépétaitquej’avaisledroitdemontrermonchagrin,qu’ilnefallaitpasquejegardetoutpourmoi.

«Jevaisaupostevoirleshérif,ilditqu’ilveutmeparler.»Jen’arrivepasàluiparlerdescrisdeRacheloudelavoixrobotiquequiarépété«àmoi».Sij’enparleàvoixhaute,cescris,cesmotsdeviendrontbientropréels,etaveceux,ledanger.

«Attends,quoi?Lapolice?»LavoixdeNadiamonteplushautqued’habitude,etellenemelaissepasletempsderépondre.Ellenecrachepassesmots,ellelescatapulte.«Leshérifveutteparler?Maispourquoi?Tusaispascequis’estpassé.T’ensaisrien!Papaestaucourant?»Ellereprendsonsouffleetj’enprofitepourl’interrompre.

«C’estrien,Nadia.»Mesmainsmoitesdétonnentavecmontonconfiant.Jemefrottel’arrièredelanuqueenespérantquelegestefamilieraideraàdissoudremonangoisse.Jen’airienàcraindre,pourtant,maisunepartiedemoisedemandecequipourraitarriver.«Écoute...»Nadiaseraitimpressionnéeparmestalentsd’acteur,carmavoixrestecalmeetassurée.«Leshérifn’apasl’airtropsérieux.»Encoreundemi-mensonge,maisenmêmetemps,s’ilpensaitvraimentquej’étaisunmeurtrier,ilseseraitsûrementdéplacépourm’arrêterplutôtquedemedemanderpolimentdepasser.«D’aprèslui,Rachelm’aécritdestextoslanuitoùelleadisparu.Maisj’airienreçu.»

Masœurseraclelagorge.Elles’apprêteàdireuntrucquinevapasmeplaire.«Tudevraispeut-êtreconsulterunavocat...—Toi,ilfautquet’arrêtesderegarderNewYork,sectioncriminelle.»Monrireaquelquechose

deforcé,maisellenelerelèvepas.Derrièrelavitre,lesgenscontinuentàvivreleursvies.LeFlyingPigestpresqueplein,àcetteheure.Tessa,quiachantél’hymnenationalavantlematch,mefaitsigneensourianttristement.Depuisquesasœuradisparu,elles’accrochecommeellepeut.

«Jerigolepas,DimitriVladimirovich.»Nadiaestcommemonpère:quandilsutilisentmonpatronyme,c’estqu’ilssontsérieux.

«J’aipasbesoind’unavocat,Nadia.»Jem’enfoncedansmonsiège.Devantlerestaurant,ungossesauteàpiedsjoints,commeCalebquandilavusongâteaud’anniversaireilyaquelquessemaines.

«Maisçaseraitmieux.—Onconnaîtaucunavocat,etonpeutpasselepermettre.Jerembourseencorelesfraisdeprocès

pourmonaccident...—L’oncledeLiamestavocat,etspécialiséendroitpénal.Ils’appelleAndrew,jel’aidéjàvuune

oudeuxfois,etilestsupersympa.Jevaistefilersonnuméro.»Jel’imagineentraindejoueravecsescheveuxoudesemordrelalèvre.Mapetitesœuresttrèsfacileàcerner.L’exemplemêmedelapersonneenquionlitcommeunlivreouvert.PascommeErin.

«Paslapeine.—Allez...»Ellesortsavoixplaintive,celledontellesaittrèsbienque,suivantmonhumeur,elle

vasoitm’agacer,soitmeconvaincredecéderàsoncaprice.Maisjen’aiaucuneenvied’impliquerlafamilledeLiamdanscettehistoire.Cesontdesgensbien.

Ilsn’ontrientrouvéàredirequandLiamacommencéàsortiravecNadia,alorsqu’ilssonttousrichescommeCrésus.Riennonplusquandj’aieumonaccident,alorsquelaconduiteenétatd’ivresse,çalafoutfranchementmalquandonpréparesonfilsàreprendrelebusinesspétrolierfamilialetqu’onespèrelevoirselancerdanslapolitiquelocalecommePapa.Quandj’aieumonaccidentetleprocès,monpèreaimmédiatementrefuséqu’onnousaide.C’estpeut-êtrepourçaquejen’aijamaisentenduparlerdecet

oncle.Nadiasoupire,exaspérée.«Dimi,sérieux.Erinflippedéjàassezcommeçasansavoirà

s’inquiéterpourtoienplus!—Dequoituparles?—Tulesaistrèsbien.Arrêtonsunpeulesconneries,frérot.Erinvas’inquiéteràmortpourtoi.

Sonpèreestdeplusenplussuspectetsamèredevientunvraifantôme.»Latensionretombesurmesépaulesdeplusbelle.J’étaissincèrequandj’aiditàErinqueje

voulaisêtrelàpourelle,etjeneveuxpasêtreunesourced’angoissesupplémentaire.«Écoute,jevaisd’abordallerleurparlerseuletleurmontrermontéléphone.S’ilyaunsouci,alorsjedérangerail’oncledeLiam.»

LesoupirdeNadiaestl’incarnationmêmedeladéfaite.EllerépètemesmotsàLiam,dontjen’entendspaslaréponse.«D’accord,maisLiamvaquandmêmeappelersononclepourleprévenirquetupourraisavoirbesoindelui,etquetul’appellerassic’estlecas.Erinapasbesoinquetujoueslessuper-hérosinvincibles,etmoinonplus.

—T’esunesacrécasse-couilles,tusais.»Mesmotssontdurs,maismontonestléger,carjeconnaissaréponseparcœur,etn’importequelsemblantdenormalitéestlebienvenu.

—Etj’ensuisfière.Tavieseraitriensansmoi.Jesuisleyinettoileyang.»Ellechantonneavecunpeumoinsd’entrainqued’habitude.«Liamvamedéposeràlamaison,onenapourvingtminutes.Jeserailàquandturentreras.»Savoixestdéterminée,commepours’assurerquejevaisbienfinirparrentrer,commepoursepersuaderquetoutvabien.«Aufait,jet’aidemandésiPapaétaitaucourant,maist’asrienrépondu.Jeprendsçapourunnon.

—Luidisrien.—Sit’espasrentrédansuneheure,jeluidis.»J’accepteengrognantetjeraccroche.Jefaisroulermesépaulespourdétendremesmusclesavant

desortir.Jesuistentéd’allerauFlyingPig,dem’installerseulàunetableetdefairecommesiderienn’était.CommesiRacheln’étaitpasmorte.

Sesparentsdoiventvivreunvéritableenfer,legenred’enferdontonnerevientpas.Mêmes’ilsn’ontsûrementaucuneenviequejemepointesurleurpalierpourexprimermescondoléances,jepourraispeut-êtreleurpréparerquelquechoseàmanger.IlfautquejedemandeàNadiasilavilleorganiseuntruc.Jen’aipasbeaucoupd’argent,maisjeseraiscontentdefaireundonàl’associationqu’ilsvoudront.

«Unvraibonheurdevousvoirici,DimitriKuvlev.»MmeDunton,laplusvieillehabitantedelaville,etsapirecommère,sortdurestaurantavecunpetitgrouped’amis.«Onm’aditquevousfaisiezdubontravailavecl’équipe,mongarçon.»Ellemecaressedoucementlebras,etjepourraispresquecroirequelavieilleMmeDuntonchercheàflirteravecmoi.

Safille,enblouseàfleurscommetoujours,laprendparlebrasetmelanceunregardparen-dessous.Ellesepencheverssamère,maisellefaitseulementsemblantdechuchoter.«Viens,Maman.Souviens-toidecequeJohnnyaditautéléphonequandilestvenuchercheràmanger...»

Johnnytravailleavecleshérif,ettoutlemondesaitqu’ilnefaitpasdansladiscrétion.MmeDuntonplisselesyeux.«JenecroispasquevousayezfaitdumalàlapetiteRachel.Personnen’ycroit.»Ellesetourneverssafille.«Allonsnous-enavantquetucommencesàvérifiersilebeauDimitriadesmainsd’assassin.»Etellespartentlentementversleursvoiturestandisquejemedemandesilavilletouteentièresaitdéjàqueleshérifademandéàmequestionner.Moncœurpanique:etlesparentsdeRachel,est-cequ’ilssavent?Est-cequ’onleuraparlédel’appeloùjel’aientenducrier?Jetraînelespiedssurleparkingpoussiéreuxendirectionduposte,l’estomacnoué.

Àl’intérieur,onapoussélaclimatisationaumaximum.Quandj’inspire,unevagued’airfroiddéferledansmespoumons.Jeforcemespiedsàsedirigerverslaréception,àmadroite,etjemeprésenteàMmeJohnson.Elleétaitinscriteaumêmeclubdelecturequemamère.

Elleestautéléphone,maisellemefaitsignedepatientersurunechaisedansuncoindelapièce.Avantquejem’installe,Tyrik,l’amidemonpère,passelaporte.Ilestunpeupluspetitquemoi,maisilaencorel’alluredujoueurdefootballqu’ilétait.Lesridesdusourireautourdesesyeuxbrunssecreusentàchaquefoisquejelevois.Maislà,ilal’aironnepeutplussérieux.«Mercid’êtrevenu,Dimitri.»Savoixestchaleureuse,maisçanesuffitpasàmerassurer.Toutsembleplusréel,maintenantquejesuislà.

«Raviquevousayezfinalementdécidédevenir»,lâcheleshérif.Normalement,savoixsèchenem’impressionnepas,maiscettefois,elleprovoqueunfrissonlelongdemacolonnevertébrale,etjemedandined’unpiedsurl’autre.

Leshérifadescheveuxmarronnassescoupéscourts.Sonuniformeparaîttroplargepoursacarruredegrandhommemaigre,etsonsourireal’airdeluitirermécaniquementsurlescoinsdelabouchesansaucuneffetsursonhumeur.Depuislejouroùj’aiplantélavoituredansunarbre,ilesttoujoursfroidavecmoi.Maisbon,jesuislepremieràmemontrerduravecmoi-même,doncjeneluijettepaslapierre.

«John,grogneTyrik.TusaisquejeconnaisbienDimitri.Jetedemandepasdefaveur,mais...—Tum’asdéjàdemandéunefaveurquandtuasditdenepasallerlecoffreraveclesmenottes.Je

suissûrquetuauraisappelésonpère,aussi.Maisiladix-neufans,bientôtvingt,donconn’estpasobligésd’avoirunparentprésent.»Ilplongelesyeuxdanslesmienscommes’ilcomptaitydécouvrirdessecretsdontj’ignoreraisl’existence.«Jenepensaispasquevousviendriezvraiment.»

Monangoissedevientagacement.«Jecomptaispasserdanstouslescas,àcausedel’appeldontjevousaiparlé.Quelqu’unétaitavecRachelquandelleaététuée,etcettepersonnem’aappelé.Jel’aientenduecrier.»Jedéglutisenessayantdegardermoncalme.

Illèvelamain.«Venezdanscettepièce.J’aijustequelquesquestionsàvousposer.Ah,etlaissezvotretéléphoneàDarcy.»IlfaitungesteversMmeJohnsonpuiss’avanceversmoid’unpasintimidant,maisjenereculepas.Rienàfairedesespetitsjeuxdepouvoir.Jeveuxjustem’assurerquetoutlemonderesteensécuritéetqueletueursoitattrapé.«Biensûr,sivousrefusezdenousdonnervotretéléphonepourjenesaisquelleraison,jedevraidemanderunmandat,maisçan’arrangeraitpasvotrecas.»

Jeserrelespoingscontremescuissessanslelâcherduregard.Ilnemeferapasbaisserlesyeux.«Pasbesoindemandat.Vousavezentenducequej’aiditsurcetappel?»

Ilsecouelamain.«Oui,onenquêtera,biensûr.»IlmemontreencoreMmeJohnson.«Darcys’enoccupera.»

JeluitendsmonSamsungGalaxyd’occasion,sortiindemnedel’accident,contrairementàmoi.Jepasserapidementenrevuelecontenupourvoirs’ilyaquelquechosequejevoudraisgardersecret:desphotosdesoiréequinousmontrententraindeboiredel’alcoolalorsqu’onn’apasl’âgelégal,entreautreschosesrépréhensibles.Desphotosdefillesavecquij’aicouchées.Desphotosd’Erinentraindeprendredesphotos.Bon,riendevraimentembarrassantlà-dedans,maiscesphotos,j’ytiens.Surl’uned’elle,ellesaitquejelaprendsenphoto,etellerit,l’appareilàlamain.

Leshérifretourneverslaréception,merendantenfinunpeud’espacevitalpourrespirer.«VousniezavoirreçudesmessagesdeRachel.Onvavérifierça,voirs’ilsneseraientpascachésquelquepartsurvotrecarteSIM.»Ilmarqueunepausepourobservermaréaction.«Onalesmoyensdevérifiersivouslesavezsupprimés.

—Pourquoijeferaisça?C’estn’importequoi.»Ilmemontreuneporteprèsdubureaud’accueil.«Allonsparlàpourêtretranquilles.Onpourra

discuterplusamplement,etvousnousparlerezdecetappelquevousprétendezavoirreçu.»Jesuistentédeleverlesyeuxaucielouderépéterpourlaénièmefoisquecetappelabieneulieu.

Tyrikmefaitcomprendreparunsignedetêtequ’ilmesoutient,etjemeforceàmecalmer.J’aibesoindel’aidedushérif.Etlui,ilabesoindesesortirlatêteduculetd’enquêtersurcefoutu

appel.«Dimitri,vousvoulezbiensignerceformulaire?»medemandegentimentMmeJohnson.J’attrapelestyloetlepapierqu’ellemetend.«Çaditquevousêtesd’accordpourqu’onfouillevotretéléphone,etquesinécessaire,vousnous

autorisezàlegardercommepièceàconviction.»Jesignesansrechigner.Laportederrièrelebureaus’ouvreetlepèred’Erinensort,suivideson

avocate.Tyrik,MmeJohnsonetleshérifsecrispenttous.Rienqu’àvoirsonexpression,jesensmespoilssedressersurmesbras.

M.Hortzal’airenrogne,enragémême.Lacouleurdesesyeuxmerappelleceuxd’Erin,maisjen’aijamaisvucetairhaineuxdanslessiens.Aulycée,certainesfillesenpinçaientpourM.Hortz,endisantqu’illesécoutait,qu’ilétaitsexy,intense.C’estsûrqu’ilal’airintense,là.

«C’estincroyable.Jevaisvouscollerunprocèspourdiffamation.Vousvousrendezcomptedutortquevousfaitesàmaréputation,àmacarrière?»Ilparlefortets’avancepourseplanterjustedevantleshérif.«John,ilvafalloirarrêteravectonpetitdéliredevengeance.»

Sonavocateletireenarrièreenluimurmurantquelquechose,maisilcontinue.«Biensûrqu’ilfaitexprèsdes’enprendreàmoi!Ilcroitquej’aibutésonfrère!»Ilsecouelatêteetpinceleslèvresd’unairnarquois.«J’aijamaistouchéàtonfrère,John.Samort,jen’ysuispourrien.Ilavaitdesproblèmes.»

J’enrestebouchebée.Jen’avaisjamaisentenduparlerdecettehistoire.Toutlemondesavaitquelefrèredushérifétaitunjunkie,etilyavaitdesrumeursquidisaientqu’ilétaitsortiaveclamèred’Erinaulycée.Àl’époque,lepèred’ErinnevenaitàGavertquel’été.Lefrèredushérifestmortnoyédanslelac,unenuit,probablementaprèsavoirtropbuoutropfaitlafête.

Entoutcas,c’estlaversionofficielle.M.Hortznes’arrêteplus.«J’ailaviedontilatoujoursrêvé.Unefemmeaimante,debeaux

enfants.Toutcequ’ila,lui,c’estsonneveuquipassesontempsàfairedesconneries.»Levisagedushérifestunmasqueimpassible,maissamâchoiretrahitsacolère.«Unmotdeplus,

etjet’envoieautrou.—Ahoui?Etpourquelmotif?Tun’asaucunepreuve!»Alorssonregardrencontrelemien.Il

reculed’unpasetaboiederire.«J’aitoujoursditàErinqu’elleméritaitmieuxquetoi,Dimitri,maisjesaisquetun’espasuntueur.Pourça,ilfautducran.»

Leshériftapotesonindexsurseslèvres.«Est-cequetunousferaisdesaveux,Derek?»Ilarticulesoigneusementchaquesyllabe.«Parcequeducran,toi,tun’enmanquespas.»

M.Hortzplisselesyeux.«Nemecherchepas,John.»Sontonestmenaçant.L’avocatesepencheencoreversluipourluiconseillerdemettrelesvoiles.

Maisilmepointedudoigt.«Souviens-toidecequejet’aidit,Dimitri.T’espasassezbienpourelle.»Etils’éloigne.

Sesmotsmeglacentlesang,sachantqu’encemoment,Erinestseulechezelleavecsamèreetsonpetitfrère.Luirépondren’apporteraitriendebon.Unjour,jeluiaitenutêteaprèsqu’ilaitditàErinqu’elleétaitbellemaisstupide.Onavaitprisunbrunchchezmoi.Iln’yavaitqueM.Hortz,Erin,Nadiaetmoidanslapièce.Monpèrefinissaitlesréparationsd’unevoitureetnosmèresétaientdanslacuisine.M.HortznecritiquaitjamaisErindevantsamère.OnjouaittouslestroisàMarioKart,etM.HortzestrestésilencieuxunlongmomentavantdeconfisquersamanetteàErinenluiordonnantdenepasgâchersontempsavecdesjeuxvidéos.Ilaajoutéquesabeautéfiniraitparsefaner.

Ellevenaitd’obtenirunBenalgèbreaulieudesesAhabituels.Monpoulsbattaitdansmesoreilles,maisjemesuistournéeversluietj’airétorqué:«Erinestbelleetintelligente.Plusintelligentequequijepense.»Ilabondiderageet,uninstant,j’aiététerrifié,maisensuitenosmèressontarrivéesetilareprissonattitudenormaleenfaisantsemblantderireàmaremarque.

L’avocates’approchedemoi.Elleafficheuncalmeimperturbable,àpartunetacherougedanssoncou.«Sivousavezbesoind’unavocat,appelez-moi.»Ellesouritavantdesetournerversleshérif.«Maintenant,vousneferezplusl’erreurdeparleràmonclientenmonabsence.»

Leshérifladévisagesansréussiràladéstabiliser.«Jen’arrivepasàcroirequevousdéfendezcemonstre.»

Ellehausselesépaulesenserecoiffant.«Vousn’avezaucunepreuve,riendutout.Doncsivouspermettez,j’aidespapiersàarchiver.»

Sestalonsclaquentsurlesol.Leregarddushériflasuit,ouplutôtsuitsesfessesjusqu’àlasortie.Levoyantensorcelé,jeme

glisseversTyrik.«Erinestchezelleavecsamèreetsonfrère.Tuveuxbienappelermasœuretluidired’allervoircommentilsvont?»Lesentimentdemenacequimecomprimelapoitrinecommenceàmecoulerdanslesveines.M.Hortzestterrifiant.

Tyrikacquiesceetjemesensenpartiesoulagé,maissijelepouvais,jemeprécipiteraispourlaprotégermoi-même.

«Vousêtesprêt,Dimitri?»Letondushérifsefaitplusmesuré,maisjenemelaissepasavoir,carilatoujourslemêmeéclatdansleregard.Unéclatmauvais,àenfrissonner.

Clairement,leshérifveutfairetomberdestêtes.

CHAPITRE16-ERINEnattendantqueDimitrimerappelle,monestomacaletempsdeseretournermillefois.Pourquoi

est-cequ’iln’estpasencoresorti?Etoùestmonpère?Devantcheznous,lescamionnettesdetélévisioncontinuentdes’aligner.Calebestencoreoccupéàjouerdanssachambre.Ilfautquejemelève,leménagem’attend,maisjenem’ensenspaslecourage,commesileseulfaitdemedéplacerreprésentaituneffortsurhumain.Jemedemandesic’estcequemamèreressent...Enfin,monportablesonne.Maiscen’estpasDimitri,justeNadiaquim’appelle.«Salut.»Ellemeconnaîtparcœur.Inutiled’essayerdeluifairecroirequejevaisbienalorsquemavoixsuggèrequej’aipassél’après-midiàpleurer.«Tyrikm’aappelée.Tonpèrevabientôtrentrer,etDimiditqu’ilestsuperremonté,alorsils’inquiètepourvous.»

Jemeredresse.Monpieddroitsursautenerveusementsansquejepuisselecontrôler.«D’accord...EtpourDimitri,ilyadunouveau?Ilestencoreauposte?Ilsonttrouvéquil’avaitappeléaveclenumérodeRachel?»Mesmotssebousculent,maisjesuissoudaininterrompueparNadiaquipousseunpetitcri.

«Quoi?Ilm’apasparlédeça!Ilajusteditqueleshériflesoupçonnaitdecacherdestextos.Etlapersonnequil’aappelé,elleaditquoi?»

Jemelècheleslèvres.«Erin,elleaditquoi?Dimiestendanger?C’estquoi,cettehistoire?—D’abord,ilaentenduRachelcrier,etensuitequelqu’unarépété“àmoi,àmoi,àmoi”avecun

machinquimodifielavoix.—Ohmondieu...Etbiensûr,iln’arienditàPapa!—Jecroispas...C’étaitjusteavantqueleshérifl’appelle.Ilm’araccompagnéechezmoietilest

alléaupostetoutdesuiteaprès.—J’appelleAndrew,tusais,l’oncledeLiam.Sileshérifpensequ’ilalamoindrechancede

collerl’affairesurledosdeDimi,ilsepriverapas.Maisça,c’estlapremièrefoisqueçaarrive,alorspourquoimaintenant,etpourquoiDimitri?

—J’ensaisrien...»JevoudraisêtreassiseprèsdeDimitriencemomentmême,pourlesoutenir.Quandiladûpartir,sonvisageétaitblême,maisilnepouvaitpasrester,surtoutpasavecmonpèrequirentraitbientôt.

«Onarrivebientôtchezmoi.Tuveuxquejepasse?Sijesuislà,tonpèreserapeut-êtremoinsméchant...»

Surmesétagères,lestrophéesdescompétitionsdecheerleadersetlesdiadèmesdesconcoursdemissprennentlapoussière.

«Passûrequeçasoitunebonneidée...Déjàqu’ildétesteavoirdumondeàlamaison,alorssienplusilestdéjàénervé...»Monpiedtressailledeplusenplusvite.«Jecomprendspasmamère,pourquoiest-cequ’elleresteaveclui?C’estdepireenpire.Ilyaquatreans,ilavaitpastantdesautesd’humeuretpuisillesluicachait,maismaintenantilnefaitplusaucuneffort.Franchement,jecomprendspas.

—Jesais,jesuisdésolée...»Elles’arrêtepourchuchoterquelquechoseàLiam.«Danscecas,etsitusortaisdecheztoicesoir?OnpeutallerchezLiametprofiterdelapiscine.

Siçasetrouve,quandmonfrèreteverraenmaillot,çaluiremettralesidéesenplace.»Ellegrogne.«Beurk,c’étaitvraimentbizarrededireçaàvoixhaute.Jesaisqu’ilteplaîtettout,maisniveauencouragements,siçatefaitrien,jevaismelimiterà“Vas-yErin!”,O.K.?»

Ellefaitdesonmieuxpourmedistraire,etçamarche.J’éclatederireetjesensquelquechosesedébloquerenmoi,etl’espaced’uneseconde,tousmessoucissontrepoussésaufonddemonesprit.L’offredeNadiaesttentante,trèstentante.MaisCaleb...Commesiellelisaitmespensées,ellereprend:«Oubienonpourraittraînerchezmoi,commeçaCalebpeutvenir.TusaisquemonpèreadoreraitluimontrerundesreportagesdeDiscoveryChannelqu’ilenregistre.»

Exact.Monpèreestprofd’histoire,maislepèredeNadiaestobsédéparl’histoiredel’Égypteantique,lespharaons,lespyramides...

«Pourquoipas.Jeterappelle.—Saufsijerappellelapremière»répond-elleavecunpetitrire.C’estnotrefaçondenousdireau

revoirdepuisdesannées.Parleravecellem’adonnéjustecequ’ilmemanquaitdemotivationpourmeleverdemonlitet

nettoyerlamaison,àcommencerparmachambre.Aprèsunequinzainedeminutes,jetendsl’oreille,m’étonnantdenepasentendrelaported’entrergrincer.Lecommissariatn’estpassiloin.Trenteminutesplustard,montéléphonesonneplusieursfois.AumoinscinqSMS.

TousdeNadia.IlsontretrouvélestextossurleportabledeDimitri,maisilaunalibi.Ilétaitavecnousaumomentoùilseraitcensélesavoirenvoyésetreçus.C’étaitàunesoiréeaulac.Andrewvalesortirdelà.LenuméroenregistréaunomdeRachel

danssonportable,enfait,c’étaitpaslesienmaisunnuméroprépayé.Laterreurm’étreintsifortquej’enoubliecommentrespirer.Letueuratoutprévu,ilaprisle

téléphonedeDimitriets’enestservipourtendreunpiègeàRachel.Jemesouviensdecettesoirée.Lefeudecamp,lessandwichesauxchamallows,lesrires.Dimitri

nevoulaitpasvenir,maisilachangéd’avis,etonapassélasoiréeensemble.Ilavaitperdusontéléphone,jetapeaussivitequejepeux.Illeuradit?Sic’étaitlanuità

laquellejepense,onn’arrivaitpasàsemettred’accordsurledernierfilmdanslequelavaitjouéMattDamon,alorsilavoulucherchersurGooglepourprouverqu’ilavaitraison,maisiltrouvaitplussonportable.Ill’aretrouvélelendemainmatin,c’étaitbizarre.

Jefaislescentpasdansmachambre,letéléphoneàlamain.Exact,répondNadia,ilacruquec’étaitnousquil’avionscaché.ÇavaallerpourDimi,tucrois?Ilssaventquil’aappelé?Ilarienfait!Leshérifseconduitcommeuncon,maisheureusement,Andrewsauraquoifaire.Ildevrait

bientôtrentrer.MonpèreestsuperencolèrequeDimil’aitpasprévenu.Laported’entréeclaque.«Caroline!»hurlemonpère.Fautquej’yaille,monpèrevientderentrer.Jet’aime,jet’appelleplustard.Saufsijet’appellelapremière.«Caroline!»appelle-t-ilànouveau,etj’entendslebruitdequelquechosequ’iljetteausol.Jeme

souviens,ilyaquatreans,ladeuxièmefoisquejel’aivraimentvuperdresonsangfroid.C’étaitlejourdelarentrée,peudetempsaprèsmontreizièmeanniversaire.Jevenaisd’avoirmesrègleset,nesachantpasdutoutquoifaire,jemesuisenferméedanslestoilettes,paniquée.Mamèredevaitallerm’acheterdesservietteshygiéniques,maisellenel’ajamaisfait.Ducoup,jeflippaistouteseuledansmoncoin,incapabled’expliqueràmonpèrecequim’arrivait.Mamèreétaittropfatiguéepourréagir,alorsilacommencéàhurleràtraverslaporte,àmedirequej’avaisintérêtà«arrêtermacriseàlacon»età

allerencours.J’aifiniparsortirdestoilettesenluidisantquej’étaisdésolée,etj’aiappeléNadia,quiaenvoyésamèremechercher.J’aid’abordpenséquemonpèreétaitencolèreparcequemamèren’avaitpasbougé,maisj’avaisaussil’impressionqu’ilm’envoulaitdem’êtremontréefaible,d’avoireubesoind’aide.

JemeglissehorsdemachambreettrouveCalebentraind’attendreenhautdesescaliers,commeillefaitquandilestpunimaisqu’ilveutquandmêmesuivrecequisepasseenbas.

«Tudevraisretournerdanstachambre,Caleb.—Tufaisquoi?—Jeviensvoircequisepasse.—Mamanestsortiedesachambreetellepleuretrèsfort»,murmureCalebavantderetenirson

souffle,commes’ilnevoulaitpasmontreràquelpointtoutçaletravaille.«Elleesttriste,maisçavaallermieux.»Jen’aijamaissortiunsigrosmensongeaussivite.«Tu

asfiniderangertachambre?—Presque...»Seslèvresformentunelignetrèsminceetj’ail’impressiondemeregarderdansun

miroir,carc’estcequejefaisquandjesaisquejevaisavoirdesennuis.«Tudevraisfinir,alors.Onvapeut-êtresortircesoir»,jechuchotecommesijepartageaisun

secretdelaplushauteimportanceaveclui.Ilnerépondrien.«Jevaismechercherdujusd’orange,tuenveuxunverreaussi?»Ilhochelatête,maisresteplantésurplace.Là,toutdesuite,jen’aiaucuneenvied’utilisermavoix

degrandesœurquineplaisantepas,alorsjepressedoucementmamainsursonépauleetjedescendsprudemmentl’escalier.Calebmesuit.«Jeviensavectoi»,chuchote-t-il.

Mesparentssetrouventdanslesalon.Mamèreportesavieillerobedechambreetcaressesescheveuxblonddoréenfixantmonpèreaveclesmêmesyeuxterrifiésqu’avaitNadialapremièrefoisqu’elleestmontéesurscène.

Lachemisegrisfoncédemonpèreestfroisséeetilal’airénervé,avecsesnarinesécartéesetceregardqu’ilatoujoursjusteavantdesemettreàcrier,celuiqu’ilavaitquandjesuisrentréedemonjoggingavecDimitrilasemainedernière.Ilacriéqu’ilespéraitquejen’étaispasassezidiotepourmemettreaveccegamin,commeill’appelle.Sansprendrelapeinedeluirépondre,jesuismontéeencourantdansmachambreetj’aifermélaporteàclé.

«Toutçaàcaused’unepetiteconnepasfoutuedefairequelquechosedesavie!»Ilfrappeduplatdelamainsurlatabledusalon,etjereculeenserrantCalebcontremoi.

J’inspireprofondément.Est-cequ’ilparlevraimentdeRachel?Jem’apprêteàleluidemander,maisjesensCalebserrermamain.Jenepeuxpasposerlaquestiondevantlui.«Onestlà!»jelance,maismatentatived’apporterunpeudegaietééchoue.J’espèretoutdemêmequelaprésencedeCaleblecalmera.Engénéral,devantlui,monpèreessaiedeseretenir.

«J’aiessayédel’aider!Maismêmeenm’ayantcommetuteur,elleafaillifoirersonannée.C’estpourçaqu’ellejouaitlesinsolentes.»Ilcontinueàcrierenfaisantlescentpasetennousignorant.

Jem’accroupisetmetourneversCaleb.«Retournedanstachambre,d’accord?»Salèvreinférieuretrembleetjecontinueenmurmurant:«Jeterejoinsplustardpourt’aideràrangertachambre,etaprèsonchercheradestrésors.»Ilhochelatête,maisilresteimmobile,leregardrivéausol,jusqu’àcequejelepoussepourluidonnerlecouragedebouger.Ilpassederrièremoiencourantetgrimpelesescaliersàtoutevitesse.

Monpèrepassesesdoigtsdanssescheveuxchâtainclair.«Quellesconneries.»Savoixestunpeumoinsforte.Mamèreselaissetombersurlesofaplusqu’ellenes’assied,commesiresterlongtempsdeboutétaittropfatigant.

«Qu’est-cequeKarenadit?»demande-t-elleenfixantmonpèrecommes’ilavaitsoudaindeux

têtes.«Denepasparleràlapolicesanselle.C’est...»Ilsetourneversmoietilsemblesoudainsi

abattuetrésignéquemessentimentss’embrouillent.C’estvraiqu’ilestdésagréableetsemettoutletempsencolère,maisc’estpeut-êtrejusteàcausedesasuspension.Çanedoitpasêtrefacile.

«JesuisdésolépourRachel,Erin.»Savoixestpluscalme,presquecommesavoixdeprof,cellequiluivalaitl’attentiontotaledetouslesélèvesdesaclasse.Avant,sacolèreallaitetvenait,etmaintenant,jemarchesurdesœufsdèsquejesuisàlamaison,medemandantsanscessecequipourraitprovoquerunecrise.

Maisavanttoutça,ilyavaitencoredesjoursoùonappréciaitdepasserdutempsensemble.Ilnousemmenaitfairedelonguespromenadesoùilnousracontaitl’histoiredenotrerégion,parexemple.Iln’apasfaitçadepuisdesannées,maiscettepartiedesapersonnalitédoitbienexisterencore,enfouiesouslereste.Peut-êtrequelessoupçonsdecesdernièresannéesn’ontfaitquelerendreplusencolèreencore.«J’aivuDimitriKuvlevauposte.»Sontonestcassant,etilobservemaréaction.Jeveuxcroireques’ilm’amiseengardecontreDimitriàl’époque,c’estseulementparcequ’ilm’avuepleureretqu’ilessaiedemeprotéger.Maisenmêmetemps,ils’enestprisàmoitellementdefoisquej’aidumalàcroirequ’ilsesouciedemessentiments.«Ilavaitl’airnerveux»ajoute-t-il.

«Ilarienfait»,jerépliqueenmerendantcomptequej’auraisdûpréciser«luinonplus».Monpèrefroncelessourcils.«Jelesais.Cegaminesttropbêtepourêtreuntueur.—Ilestpasbête.»Jem’avanceverslui,prêteàdéfendreDimitriparpurinstinct.Monpères’apprêteàrétorquer,maismamèrel’interrompt.«Qu’est-cequ’onvafaire?—Onvaéviterdeselaisserabattre.»Ilsepenchesurelle.«Ilesttempsquetutereprennesen

main,Caroline.»Sontonesttropmordant,tropagacé.Mamèreessaie,ellefaitdesonmieux.J’espèrequ’ellevaleluifaireremarquer,maisellesecontentedesetournersansunmotpourévitersonregard.

Jenepeuxpasresterlàcettenuit.Calebnonplus.Pasavectoutecettetensionquiflottedanslamaison.

Mamaindroiteattrapemoncoudegauche,créantunebarrièresymboliqueentremoietlapossibilitéd’unrefus.«Est-cequejepeuxallerchezNadiacesoir?»jedemande.

Monpèregrimaceunsourireentendu.«Jet’aidéjàditquejet’interdisaisdepasserdutempsavecDimitri.»

Jemetourneversmamère.Autrefois,elleprenaitmadéfensedanscegenredesituations,commequandj’aidécidéd’arrêtermoncoursdemathématiquesniveauavancépourallerplutôtàuncoursdephotographie.Ouquandj’aidemandéàneplusfairetouslesconcoursdemissdelarégion,maisseulementceuxquimeplaisaient.

Mamèresembleliredansmespensées,carelleparleenfin:«SiErinaenviedevoirNadiaetDimitri,cen’estpeut-êtrepasplusmal.»Elleseredresseetmalgrésonairpeuassuré,ellecontinue.«Calebs’estencorebagarréàl’école,ettoi,Derek,çateferaitdubiend’êtretranquille.»Savoixs’adoucit.«Tuasbesoindecalme,commeeux.Jesuissûrequetajournéeaétédifficile.JesaisqueJohnestduravectoi,àcausedemoi.»

Jelèveunsourcil,maisjen’osepasdemanderdequoielleparleoupourquoileshérifsevengeraitsurmonpère.

«Calebpeutveniravecmoi.Ilest...»Commenttrouverlesmotspourexpliqueràmespropresparentsledésespoirdeleurfils?Ilsdevraients’enrendrecomptetoutseuls,ilsdevraientleprotéger.Meprotéger,moiaussi.«Ilesttrèsangoissé,encemoment.»

Lasonnetteretentitetmonpèreselève.«Onnedevraitpeut-êtrepasouvrir,sic’estencorelesjournalistes...»suggèremamèreense

massantlefrontduboutdesdoigts.Monpèresedirigeverslaportepourl’ouvrir.«Danscecas,ilsnevontpasêtredéçus.Jevais

leurdirequejesuispersécuté.»Sonvisagesetransformeenceluiqu’ilréserveauxmédias:innocent,préoccupé,désespéré.Pendantuneseconde,l’inquiétudemepétritlesentrailles.L’annéedernière,ilnousaattrapés,moietCaleb,etnousaplantésdevantlesphotographespourmontrerauxgensqu’ondétruisaitsafamille.

Jeneveuxpasvivreçaencoreunefois.PasaprèslamortdeRachel,pasaprèscetappelmystérieux.

«Maman?»j’appelleenespérantqu’ellevaselever,prendreleschosesenmain,medirequetoutvas’arranger.Enespérant,enfait,qu’ellevamementircommejemensàCaleb.

Maisellen’enfaitrien,etellefixelaporte,leregardvide.«Mesparentsm’ontditdetoujoursêtreprudentedansmeschoix»,murmure-t-elle.«Choisiravecprudence...Maisparfois,j’ail’impressiondenerienchoisirdutout.Laviechoisitpourmoi.»Ellesetourneversmoi,levisageexténué.«Soistoujoursprudentedansteschoix.»

Puisellefermelesyeux.«Jesuisfatiguée,machérie.C’estunebonneidéequetuailleschezNadia.»

Monpèrefaitsadéclarationàlapresse,mamèreessaiedegérersesémotions.Ilfautquejemetiredelà.Ilfautquej’échappeàcetendroit,àcetteatmosphèreplusoppressantequejamais,àcettemaison

qu’autrefois,j’appelaismonchezmoi.

CHAPITRE17J’attrapeunenouvellefeuilledepapier.J’écristoutcequisepasse,lemoindreévénement,etje

conservetouslesarticlesainsiquelespetitssouvenirsquejegardedesfilles.C’estunedemesmanièresdem’assurerquemamémoireserapréservée,etdeprouverauxgensqu’ons’enestprisàmoisansraison.Jevauxtellementmieuxqu’eux.

J’écris.Lapolicepenseavoirtoutpigé,ilspensentêtresurlabonnepiste.J’aientenduleshérifdireà

latéléquecesmeurtresétaientl’œuvred’unespritdérangé,d’unmarginalquivoulaittorturerlacommunauté.

Iln’apastoutàfaittort:jeveuxseulementtorturerquelquespersonnes.Certainespersonnesontlavietropfacile,toutleurtombetoutcuitetellesnes’enrendentmême

pascompte.Toutescesfilles...Ellesavaientbesoind’unebonneleçon,uneleçonqu’ellesontappriseàleursdépens.Siellessontassezbêtespourtomberdanslespiègesquejeleurprépare,alorsellesneméritentpasdevivre.

Racheln’auraitjamaisdûcroirequeDimitriluienvoyaitcesmessages.Kimn’auraitpasdûcourirversmavoiture,ellen’auraitpasdûmefaireconfiance,quoiquejedise.LecorpsdeKimestétenduàmespieds,làoùestsaplace.Unmeurtrefacile.

Aucunchallenge.Lemeilleurresteàvenir.

CHAPITRE18–DIMITRI

Andrew,l’oncledeLiam,entredanslapièceprécédéparMmeJohnson,quiluisouritcommes’ilavaitsauvéseschatonscoincésdansunarbre.Jelesaiscarc’estexactementl’airqu’elleavaitquandj’aieffectivementsauvéseschatonsilyatroismois.Leshérifseraiditdanssonsiègeetgrommelle:«Lesgrandsavocatssecroienttoujourstoutpermis,maispasdeçaici.»Malgrésonairagacé,ilnes’attaquepasdirectementàAndrew.

«Bon,Shérif,onvarésoudrecepetitproblèmetrèsvite.»Ils’interromptletempsdes’installeràcôtédemoi.Iln’apasl’airtrèsvieux,ilalesmêmescheveuxblondsqueLiam,etmêmes’ilestpluspetitquesonneveu,ilestintimidant.Peut-êtreparcequed’uncôté,ilsouritd’unairinoffensif,maisdel’autre,quandilparle,c’estpouralleraubut.«Vousluiavezlusesdroits?

—Iln’estpasenétatd’arrestation,préciseleshérif.—Oh,jevois...Sivousnel’arrêtezpas,ilestlibredepartirquandilveut.Enacceptantde

répondreàvosquestionsetenvousdonnantsontéléphone,ilvousfaitunefaveur.D’ailleurs,j’aiunequestion.Qu’est-cequevousavezprévupourleprotéger?»

Leshérifs’enfoncedanssonsiège.«Andrew,tunepensespasquetupoussesunpeu?»Andrewsoutientsonregard,etlesdeuxhommessemblentsemettenttacitementd’accord.

«Pasdutout.IlareçuunappeldutéléphonedeRachelaprèslemeurtredecelle-ci.Ils’agissaitd’unenregistrement,doncilyavaitpréméditation.Malikm’acommuniquélesrésultats:ilsonttrouvélesSMSdanslamémoiredutéléphonedeDimitri,maisdanssescontacts,lenumérodeRachelavaitétéremplacéparunnuméroprépayé.»

Jemepencheenavant.Moncorpsestaussidouloureuxquesij’avaisjouétouteunesaisondefootballenunesemaine,etmatêtebourdonnelourdement.«Attendez,vousaveztrouvélestextos?»Magorgeseserre,lesmotsneveulentpassortir.«Rachelcroyaitqu’elleallaitmevoir?»Jemesouviensdujourdelarupture.Sescheveuxflottaientsursesépaulesetelleajetésesbrasautourdemoi.

«HeyDonJuan,jet’attendais.»Sonsouriredecheerleadernecachaitpasvraimentsonaircontrarié,etelleaessayédem’embrasser.Jel’airepousséegentiment.Elleasecouélatêteavantdesedétournerdemoi.«Jeveuxpast’entendreledire...Mamèrevientdemedirequ’elleahâtequejefinisselelycéepourêtrelibred’explorerlemonde.Tusaiscequejeluiairépondu?»Ellenemeregardaittoujourspas.

«Quetuesheureuseici.»Elles’estenfintournéeversmoi,lesyeuxbrillantd’unelueurquejenecomprenaispas.

«Exactement.Jesuisheureuseici,jesuisheureuseaulycée,etjecomprendspascequetoutlemondeaàvouloirpartirdeGavert.Moi,j’adoremaville,jem’ysensbien.Ici,jesuisquelqu’un.»Leslarmess’accumulaientauxcoinsdesesyeux.«Jesaisquet’espasamoureuxdemoi...

—Tuesunefillesuper.—Maispasassezbienpourtoi.—Onpeutresteramis.

—Onajamaisvraimentétéamis...»«Dimitri?»Lavoixd’Andrewmerappelleauprésent.«Leshérifdemandesituasuneidéede

quipourraitt’envouloir.—M’envouloiràmoi?»Mavoixsebrise.«Rachelestmorteàcausedemoi.»Jedoisavoir

l’airperdu,carAndrewmetapotelebras.«Non,Racheln’estpasmorteàcausedetoi.Parcontre,tuasbienreçucetappel,etquelqu’una

trafiquétontéléphone.Tutesouviensdecequis’estpassécejour-là?—Quandça?—Samedidernier,danslasoirée?»Jemegrattelatempe.Rachelquiestmortealorsqu’ellepensaitmevoir.Rachelquimetendses

clésenflirtantavecmoi,enoctobredernier,unmoisaprèsqu’onaitrompu.J’aijouéavecelle,jemesuisservid’ellepourrendreErinjalouse.J’aienviedetaperdupoingsurlatable.Andrewinsiste.«Oùétais-tu,samedidernier?»

J’avalemasaliveavecdifficulté.«Aulac...Onafaitunegrossesoirée.Ondevaitallerchezquelqu’unmaisças’estpasfait.»Jemetourneversleshérif.«Lesflicsétaientlà.Vousêtestoujourslàànossoirées,enseptembre...Toutlemondeestlà,enfait.L’unionfaitlaforce.Sionesttousensemble,ilpeutriensepasser.»Jebaisselatêteenexpirantbruyamment.«Saufqu’ils’estpasséuntruc,cesoirlà.Quelqu’uns’estservidemontéléphonepourcontacterRachel.

—Quiaeuaccèsàtonportable?»demandedoucementAndrew.«Jesaispas...Normalement,jelegardetoujourssurmoi,maisceweek-endlàilyavaitdes

anciensjoueursavecnous,etilsvoulaientmejeterdanslelac.C’estuneblaguestupidequej’avaislancéequandjefaisaispartiedel’équipe,touslessamedis,onbalançaitunmecdanslelac.»

Del’autrecôtédelatable,leshérifsecrispe.«C’estdel’inconscience!Etsil’undevouss’étaitretrouvéaumilieudulac,complètementivre?»Ilyadelacolèrerestreintedanssavoix,etunsoupçondemenace.

«Onaarrêtéaprèsmonaccident,etpuisilssaventquejeneboisplus,maintenant.»Jedevraisplutôtdire«plusautant»,carjesiroteencoreunebièredetempsentemps,maisjeferaissûrementmieuxdenepaslepréciser.«AvecErin,onestallésmarcherautourdulacetonalaissénosaffairesprèsdufeudecamp.Montéléphoneétaitlà.»

Leshérifroulesesépaulescommesilatensionenvahissaitlemoindredesesmuscles.«Etvotresœur,elleauraitpus’enservir?Quelqu’und’autre?

—Non,c’étaitpasmasœur.»Jelèvelessourcils,sceptiqueàl’idéequeNadiapuisseêtremêléeàtoutçad’unemanièreoud’uneautre.«Toutlemondeétaitaulaccesoir-là,mêmevous.Quandjesuisrevenu,monportableavaitdisparu,maisjel’airetrouvéplustard.Jemesuisditquequelqu’unavaitdûledéplacerparprécaution.

—LavoituredeDerekHortzétaitgaréeprèsdulac,cettenuit-là.»Leshérifpousseuntasdepapiersdevantluietgriffonnequelquesnotes.«Vousl’avezvu?

—Non.Jesavaismêmepasqu’ilétaitdanslecoin.»S’ilétaiteffectivementprésentetqu’ilm’avaitvupassermonbrasautourdesépaulesdesafille,il

n’auraitpasapprécié...«Situn’aspasd’autresquestionspourmonclient,tuvoudrasbienluirestituersontéléphone

portable.Jesupposequevousavezdéjàrecueillitouteslesinformationspossibles.»Leshérifsetourneversmoi.«Dimitri,jeveuxmettrevotretéléphonesurécoute.»Andrewtapotesonstylosurlatable.«Pourça,àmoinsquevousayezdéjàunmandat,tuauras

besoindel’accorddemonclient,etmêmes’ilaccepte,ilfaudraquelquesjourspourtoutmettreenplace.Etpuiscen’estpascommesimonclientfaisaitdelarétentiond’information.Lemettresurécouteneleprotégerapasplusquesic’estluiquivoustientaucourant.

—Jeferaitoutcequevousvoulez»jelâcherapidement.J’aibesoindesavoirquejefaisquelquechosepouraideràattraperletueur.

Tyrikregardeleshérifencoin.«Tonavocataraison.Çanenousaiderapasvraiment,àmoinsquetunousaiescachéquelquechose.

—Jen’airienàcacher.»Leshériffroncelessourcilsetcroiselesbrassansriendire.Est-cequ’ilpensevraimentqueje

leurcachedesconversationssecrètesavecuntueurensérie?«Merci.»Tyrikselève,etleshériflesuit,perdudanssespensées.Andrewmetientlaporte.«Tiens,prendsmacarte.Sileshérifdemandeencoreàtevoir,appelle-

moi.»Leshérifplisselesyeux.«Tuasl’airinquiet,Andrew.»Ilnousmèneversl’accueil,oùMme

JohnsonrécupèremontéléphoneportableconfiéàMalik.Malikatoutjustecinqansdeplusquemoi,etilaépousélapetite-filledeMmeJohnson.Danscetteville,toutestaffairedefamille.

«Tun’espasinquiet,toi,avecuntueurenliberté?—Jeleseraispeut-être,maisceseraitungâchisdetempsetd’énergie.ParleràDimitriunefois,

d’accord,maissitucommencesàleharcelercommevouslefaitesavecM.Hortz,tuaurasdemesnouvelles.

—Hortzestunsuspect.—Çavafaireplusdedeuxansquetulesuspectes...»Leshérifsecouelentementlatête,etsesyeuxbrillentdetellementdecolèrequ’àlaplace

d’Andrew,jeseraisterrifié.Maiscelui-cineselaissepasintimider.«Sivousvoulezvraimentrésoudrecetteaffaire,vousdevriezarrêterdel’utilisercommeprétextepouréluciderlamortdevotrefrère.Ilavaitdix-huitans,vousenaviezseize...Cettevilleabesoinquevouslaissiezlepasséàsaplace.

—Tonpèrealalanguebienpendue...Jesaiscequejefais.»Leshérifnem’accordepasunregardavantdeclaquerlaportedesonbureau.Jesignele

formulairequeMmeJohnsonmetendavecungrandsourire,etmesyeuxtombentsurmonportable.Letueurl’atouché,ils’enestservipourattirerRachel.Quisaitquellesautresinformationsilapurécupérer?Laphotod’Erin,parexemple,oubienlestextosqu’onéchangetouslesjoursavecNadia?

Monestomacsenoueetjem’appuiecontrelemur.«Passelebonjouràtonpère,ditTyrik,etpréviens-noussijamaistureçoisd’autresappels,

d’accord?»J’acquiesce.Ilfautquejesorte,etvite.Ilfautquejem’assurequ’ErinetNadiavontbien.Andrewmesuitsurletrottoir.L’airachangédepuisquejesuisarrivé,pluslourd,plusélectrique.

Lamenaced’unorage.«Tun’espasresponsabledelamortdeRachel»,répète-t-il.Jenesuispasd’accord,maisjenepeuxpasaborderlesujetsansavoirdesflashbacksdesavoixquicrie,quisuppliepourresterenvie.

J’inspireprofondément.«Vousconnaissezbienleshérif,ondirait.—Toutlemondeseconnaît,danscetteville.Monpèreétaitunbonamidesafamille.Johna

beaucoupsouffertàcausedel’accidentquiatuésonfrère.C’estpourçaqu’ilestdevenushérif,pours’assurerquelesgensobtiennenttoujoursjustice.Parfoisjemedemandes’ilnepréféreraitpassefairejusticetoutseul...

—Çadevaitêtredurpourluidepenserqu’enagissantdifféremment,ilauraitpeut-êtrepusauversonfrère.»J’aisoudaindel’empathiepourleshérif.Bizarre.

Andrewdoitêtredevin.«Vousêtesdeuxcasdifférents.Aucundevousn’estresponsable,maistoi,tuasunefamillequit’aimeetquiseratoujourslàpourtoi.PourJohn,c’estplusdifficile...»Ilsoupire.«Enfin,bref,souviens-toidecequejet’aidit.S’iltedemandederevenirauposte,surtout,appelle-moi.»Ilmetendsacartedevisiteets’arrêtedevantuneAudigrismétallisé.Jesourisenvoyantlesautocollantsqu’ilyacollés:«ToutestplusgrandauTexas»et«Lesavocatsaussiontdessentiments...

présumés.»Jemefrottelanuque.«Jenesaispascommentjevaisfairepourvouspayer...—Paslapeine.Onvadirequec’estmabonneactiondujour.Tuesunbongars.—Qu’est-cequivousfaitdireça?—Aprèstonaccident,tunet’espastrouvéd’excuses,tun’aspasniécedontont’accusait.Tuas

suivilescoursqu’ont’ademandédesuivre,tuasacceptédefairedesprésentationsaulycéeàproposdeteserreurs.JetevoiscouriraveclacopinedeNadia,etj’aientenduparlerdetontravailpourl’équipe,detescoursàl’université...Tuesunbattant.Tufaisdetonmieux.

—Alorsvousmefaitesconfiance,justecommeça?»Ilmeregarde,l’airtaquin.«Quoi,j’aitort?Tusais,moninstinctnemetrompepresquejamais.Et

ilfautquetuarrêtesdeteflagellercommeça.Tun’aspastuéRachel»Ilmontedanssavoituresansajouterunmot.J’aimeraisêtreaussicatégoriquequelui.Jen’aipas

tuéRachel,maisellepensaitqu’onallaitsevoir.Sij’étaisrestéencontactavecelle,ellen’auraitjamaisgobécesmessagesbidon.

Peut-êtrequ’elleacruquejevoulaiscoucheravecellecommeenoctobredernier,àcettesoiréedemalheur...Montéléphonemebrûlelesdoigts.J’aienviedelebalancercontreunmurpourlevoirvolerenmorceaux...Maisjenepeuxpasmelepermettre,etsurtout,siNadiaouErinontbesoind’aide,commentferont-ellespourmecontacter?

Tyriksortenmecherchantdesyeuxet,quandilmetrouve,ilsedépêchedemerejoindre.«Dis,jesuisdésolé...»Ils’appuiecontrelemuràcôtédemoi.Ilestamiavecmonpèredepuisaussiloinquejemesouvienne.Monpèrem’aracontéquelamèredeTyrikavaitétélapremièreafro-américainediplôméedel’universitéA&MduTexas,àlafindesannées1960.Ilmerépètesouventquel’histoire,cen’estpasjustedesévènementslointainsarrivésilyadessiècles.Parfois,l’histoireestencorevivante,justesousnotrenez.

«Pourquoi?—Leshériffoncetêtebaissée.Ilserongelessangs,àcausedecesdisparitions,commenoustous,

etilsepourraitqueçalerendemoinsobjectif.J’aiappelétonpèrepourleprévenir.—Jecomprendsqu’ilaitvoulum’interrogersurlestextos.Maispourquoiilarefusédemecroire

quandjeluiaiparlédel’appel?Pourquoiest-cequ’ilnecherchepasquim’aappelé?Letueurestlà,quelquepart!»Jemesensencolèreetépuiséàlafois.«Lapersonnequiaprismontéléphonen’aéveilléaucunsoupçon,doncc’estquelqu’unqu’onconnaît.Leshérifprétendquelepèred’Erinétaitlàcesoir-là,est-cequ’ilyadestémoins?

—Oui,unefille.Kim.MaisM.Hortzn’estpasleseulparentàs’inquiéterdevoussavoirdehorsencemoment...Ilyavaitd’autresvoituresgaréespasloin.

—Ycompriscelledushérif.—Exact.»Ilsemblevouloirdirequelquechose,maisilsecontentedejeterlemégotdesa

cigaretteausol.«Bref,passelebonjouràtonpère,etdis-luiquejesuistrèsprudent.»Tyrikestdanslapolicedepuisdixans.Ilaabandonnésacarrièredejoueurdefootballpourrejoindrelesforcesdel’ordrejusteaprèsle11septembre.Depuis,ils’estdéjàfaittirerdessusdeuxfois.Safemmedisaitsouventàmamèrequec’étaitunetorturedeluidireaurevoirlematinsanssavoirs’ilrentreraitàlamaisonlesoir.

«Encoremerci,Tyrik.»Jeretourneàmonpick-up,jem’installe,etmesmainssecrispentsurlevolant.J’aienviedecasserquelquechose.N’importequoi.

Monportablesonne.CalebetErinviennentàlamaisoncesoir.Tuveuxbienacheterdelaglacesurlechemin?

Unautrebip.TyrikaappeléPapa.Contentedesavoirqueturentres!Nadiaestunegrandeangoissée,mêmesielleréussitplutôtàbienlecachersoussonblablahyper-

enthousiaste.Elleestdugenreàm’appelersij’aicinqminutesderetardouàliretouslesrapportsdepolicequ’elletrouvesurInternetpourvérifierqu’iln’estrienarrivé.

Jedétendslentementmesépaules.CaramelaubeurresalépourErin,pâteàcookiespourtoi,vanillepourCaleb.J’aitoutbon?Tueslemeilleurfrèredumonde.Ettoi,lareinedesemmerdeuses.Jesuisleyinettoileyang,Dimi.TusaissionpeutfairequelquechosepourlafamilledeRachel?Ilsontsuggérédefairedesdonsaurefugepouranimauxoùellebossait.J’aifaitundonpour

noustrois,maissansmettrenosnoms.Merci.Maintenantramènetesfessesavecnosglaces!DisàErinquejevaisbien.O.K.Enréalité,jenevaispasbiendutout.Jepousselevolumedel’autoradioàfond,maisçanesuffit

pasàcouvrirlesondescrisdeRacheldansmatête.

Notremaisonn’estpasgrande,maisc’estnotrecheznous.Onaunabriàvoitureenguise

d’extensionpournotregarageséparé,làoùmonpère,uneanciennestardel’équipedefootballdulycée,restauredevieillesvoituresqu’ilrevendensuite.Lavoitured’Erinestgaréeprèsdupontélévateur,enpannedepuisdeuxans.

«Papaestallélachercher»,expliqueNadiaenm’ouvrantlaporte.Elledevaitm’attendrederrièrelaporte,impatiente.Seslongscheveuxsontunpeuplusclairsquelesmiens,maisonalemêmenezdroitetlesmêmesyeuxsombres.«Commenttuvas?»demande-t-elleensemordillantlalèvre.

Jemefrottelanuqueetj’essaiedenepaslaisservoirmonanxiété.«Pasbien.Jecomprendsrienàcequisepasse.

—C’estquelqu’unqu’onconnaît...»Nadiamesuitdanslacuisine,oùelledevaitêtreentraindepréparerungâteaupoursedétendre,carilyadesplatssalesetdelafarinepartout.Lesaladierdepâteestencoresurleplandetravail.«C’estquelqu’unquiestprochedenous»,répète-t-elleenversantlapâtedansunmoule.

Jefaislescentpasdanslacuisine.«Tuasvuquelqu’uns’approcherdenosaffaires,quandonétaitaulac?

—J’aipasfaitgaffe,ilyavaittellementdemonde.»Mespenséesdéfilentàtouteallure.«Peut-êtrequesij’avaisregardémonportabletoutdesuite,

j’auraisremarquéquelquechose.Etsijel’avaisprisavecmoiaulieud’avoirpeurdelemouiller?»LesmotssebousculentetNadiaécarquillelesyeux.Ellepanique.Elleessaiederestercalme,maisjeluitransmetsmapanique.Jepassemamaindansmescheveuxetmeforceàresterenplace.«Promets-moid’êtresuperprudente.Tuvasnulleparttouteseule.Promis?

—Promis,j’irainulleparttouteseule.—Si...SiRachel...»Jesecouelatête.Sijesuislefildemespensées,jevaiscraquer.«C’estpastafaute...»murmureNadia.«C’estlafautedepersonneàpartdececinglédetueur.»

Savoixgrimpedanslesaigus.«C’estsafauteàluisitoutlemondeapeurdeperdrequelqu’un.Commesiçasuffisaitpasquelavienousenlèvedesgenssansprévenir.»Sesyeuxsautentsurlaphotodenotremèreaccrochéeaufrigo,toutsourire,ignorantencorequ’ellemourraitseulementquelquesmoisplustard.

Nadiasecouelatêteetmetlemouleaufour.«J’aiaussiinvitéLiametAudrey.J’aidesbiscuits,deschamallowsetduchocolatpourfairedessandwiches,etmêmesionapasdepiscine,j’aisortilespistoletsàeaupourfaireplaisiràCaleb.»

Jeluiébouriffelescheveuxetrésisteàl’enviederépéterqu’elledoitêtreprudenteetsurveillersesarrières.Ellemerepousseensouriant.«T’asdebonnesidées,quandtuveux.

—Çapeutm’arriver!—Àquelleheureilsarrivent?—JevaischercherErintoutdesuite,j’attendaisjustequeturentres...—Pourvoircommentj’allais,jesais.Jevaisbien.»Jeluidiraisbiendenepass’inquiéter,mais

aulieudeça,j’attrapeunecuillèrepourrécupérerunpeudepâterestéeaufonddusaladier.«Hmmm...Sijamaistacarrièred’actricedécollepas,tudevraiscarrémentouvrirunepâtisserie.»

Ellesourit,unvrai,grandsourire.«Quisait?J’aipasencoredécidéquoifairedemavie.Toutcequejesais,c’estqueleMarylandm’attend.J’aitrophâtedevoirtouslesendroitsoùestalléeMaman.

—TuessûredevouloirquitterlebonvieuxTexas?»Ellesemordleslèvresenregardantleportraitdenotremère.«J’enaitellementparléavec

Maman...Onimaginaitquej’iraisdanslamêmesororitéqu’elle,quejevisiteraistouslesendroitsdontellemeparlait,quej’entreraisdansunecompagniedethéâtrelocaleetquejeferaismespreuves.

—C’estvraimentcequetuveux?—Oui.Ilyadeuxchosesdontjesuiscertaine:un,jeveuxétudierlà-bas,etdeux,jevaisépouser

Liam.»Ellerecule,unelueurtaquinedansleregard.«Bon,troischoses,enfait.Latroisième,c’estqu’Erinettoi,vousêtestropfaitspourêtreensemble.Jesaisquetul’adooores.»Ellechantonne,etd’uncoup,elleredevientmapetiteemmerdeusedesœur,cellequim’avaluunebonneengueuladeensautantdanslelacunjouroùj’étaiscensélasurveiller,cellequirépétaittoutcequejedisaisjusqu’àcequejelapoursuiveàtraverslamaison.

EllesedépêchedepartirpourallerchercherErinetCalebenmefaisantpromettredenepaslaisserbrûlersatarte.Jemetslavaissellesaledansl’évieretjenettoieleplandetravailhistoiredem’occuperl’esprit.Nesurtoutpaspenser.Montéléphonebipe,etj’aiunmessageunnuméroquejeneconnaispas.Mesmainssecrispent.

Vouspensezquevouspouvezêtreheureux,maintenant...Maisçanefaitquecommencer.Marespirations’accélèreetl’adrénalinemefrappedepleinfouet,aussiviolemmentqueGabe

pendantlesentraînements.Est-cequequelqu’unnousobservaitpendantqueNadiacuisinait,est-cequ’ilnousavussourire?J’envoieviteunmessageàNadia,lecœurbattantàcentàl’heure.Faisattention.Envoie-moiuntextodèsquetuaslemien.

Puisj’écrisàErin.Tuvasbien?EtCaleb?Onestchezmoi,onahâtedevousvoir!Est-cequec’estunebonneidéedelesfairevenirici?Etsiquelqu’unlesattendaitdehors?Jeregardeparlafenêtre,maisjenevoisriend’autrequelacabanedansl’arbre,l’abridejardinet

lesoleilquisecouchesereinement.Riend’inhabituel.Pourquoiest-cequeNadianemerépondpas?Jem’apprêteàl’appelerquandjereçoissaréponse.

SuischezErin.Tuasbrûlémongâteau?Legâteauvatrèsbien.Legâteau,c’estledernierdemessoucis.Est-cequejedevraisluiconseillerderesterchezErin?M.Hortzm’abienfaitcomprendrequejedevaisdevenirunhommeavantdeseulementenvisager

desortiravecsafille,maissic’étaitluiquinousmenaçait?Ilfautquej’appellelapolicepourleurdemanderdequadrillerlequartier,voiredelaisserunagentpoursurveillerlamaison.

Est-cequemafamilleseraitensécurité,commeça?Est-cequ’onserajamaisensécurité?

CHAPITRE19-ERINJenecomptepluslesheurespasséeschezNadia,entrelessoiréespyjama,lesstandsdelimonade

danssonjardinoulespréparationsauxcompétitionsdecheerleaders.Quandj’entrechezlesKuvlev,j’yretrouvetoujourslemêmesentimentdechaleur,mêmesidepuislamortdeleurmère,lachaleurs’estteintéedetristesse.CalebadoraitMmeKuvlev,etilaétésitristequandjeluiaiexpliquéqu’ellenousavaitquittés.Mamèreenchaînaitalorslesdépressions,etCalebaeudescauchemarspendantdesjoursetdesjours,àsedemanders’ilallaitmourir,luiaussi.

Là,iltrépigned’impatiencedanssonsiègeenparlantdelaglacequ’ilvamangeretdelapartied’Unoqu’ilvafaireavecDimitrietdelabatailled’eau.IlaentenduNadiaenparlerautéléphoneavecLiam.Ilaretrouvélesourireet,malgrélalourdeuraccrochéeaucreuxdemonventre,jemesenspluslégère,moiaussi.

Jusqu’àcequ’onapprochedelamaison.«Lapolice!»souffleNadiaenappuyantsurl’accélérateur.«Pourquoielleestlàlapolice?»Calebn’aplusl’airheureuxdutout.Ilsecontorsionnepourvoir

cequisepassetandisquejem’efforcedegardermonsang-froid.Jelissemescheveuxtouteninspirantdegrandesboufféesd’airpourretrouvermoncalmeavantderépondre.Mespenséespartentdanstouslessens,maisellesreviennenttoutesàDimitri.Oùest-il?

«Jesuissûrequ’ilssontjustevenusvoirsitoutvabien.Tusais,pourqu’onsoittousensécurité.—Dimitriadesproblèmes?»demande-t-il.Nadiaetmoirépondonsenmêmetemps.«Maisnon!»Noustournonslatêtel’uneversl’autre.

Sonvisageestblême,etlemienaussi,j’imagine.«Monpèreestlà»,dit-elleenmontrantdudoigtlepick-upnoirdansl’allée.«S’ilétaitarrivé

quelquechose,ilm’auraitappelée»murmure-t-ellepourelle-même.Ellesortvitedelavoiture.JeneveuxpasqueCalebseretrouveprisaumilieudecebazar,maisjenepeuxpaslelaisserseuldanslavoitureoudansl’allée.Jenelequitteraipasdesyeux.S’illuiarrivaitquelquechose...Labilememonteàlabouche.

«Jeveuxyaller!»crieCalebenessayantd’ouvrirlaporte,maislasécuritéenfantl’enempêche.«Onvaattendrejusteuneminute.Nadiadoitsurveillerlegâteau.»Ilnerépondrien,maisjevoisàsessourcilsfroncésqu’ilnemecroitpas.Jeprendsmontéléphone

etj’envoiedesmessagesàDimitrietNadia.Enattendantuneréponse,jetapelenomdeDimitridansGoogleentremblantàl’idéedecequeje

pourraislirecommenouvelles,maistouslesarticlesquilementionnentparlentseulementdesesstatistiquesdejeuoudesonaccidentdevoiture.

Quelqu’untapeàlavitreetjesursauteenlaissantéchapperuncri.Calebouvredesyeuxrondsetjeréussisàforcerunsouriretremblotant.Leshérifattenddehors.

J’ouvrelaportière.«Jerevienstoutdesuite,Caleb.Restedanslavoiture,etaprès,tupourrasmangerdugâteauavant

ledîner.Promis.—Avantledîner?»Sonsouriremontrequ’ilaperduunedentdedevant.«Oui,promis»jeconfirme,etjesorsdupick-up.Moncœurn’estplusdansmapoitrine,ilafuipourtenterderetrouverDimitrietNadia.LeshérifWilkinsonplisselesyeuxetmedévisaged’unemanièrequimedonneenviederetourner

mecacherdanslavoiture.«Turessemblesdeplusenplusàtamère,àpartlacouleurdesyeux.Tuesvraimentaussibellequ’elle.»

Jemeraclelagorge.Jenemesuisjamaisretrouvéeseuleavecleshérifavant.J’aimeraisl’envoyerpaître,maismonaudacen’existequedansmatête.Jem’exprimeprudemment,engardantmavoixaussinormalequepossible.Mettreleshérifencolère,c’estcommeexciterunscorpion.Or,jedoissavoircequisepasse.«Toutlemondevabien?»jedemandeenignorantsaremarque,etilclignedesyeux,une,deux,troisfoisavantdereculer.Ilrouledesépaulesetreprenduntonplusprofessionnel.«Toutlemondevabien.DimitriareçuunSMSetnousaappelépours’assurerqu’iln’yavaitpersonnedecachédanslequartier.C’étaitsûrementjusteunemauvaiseblague.»

Cettefois,mesmotssortentplusvitequemespensées.«Commentvouspouvezdireça!Iladéjàreçuunappel...»Jebaissed’untonpouréviterqueCalebnem’entende.«Avecl’enregistrementducrideRachel...

—Impossibleàvérifier.»Ilcoupecourtàmon«mais»enlevantlamain.«Jesaiscequetupenses,cequetucrois,maisilyadesgensvraimentdégénérés,Caroline.

—Euh,moi,c’estErin...»jemurmure,sentantmonestomacserecroqueviller.«Biensûr,Erin.Ilyatellementlongtempsquejen’aipasvutamère.Commentva-t-elle?—Çava»,jemens.Qu’est-cequeçapeutbienluifaire?DimitrietNadiasortentdelamaisonencourant.Dimitrimeprenddanssesbras,etilnes’agitpas

d’uncâlinamical—ilabesoindemesentircontreluipourrespirer.Oupeut-êtrequec’estmoi?Jem’agrippeàluipendantquelquessecondes.«Tuvasbien»,murmure-t-ildansmescheveux.

«Toiaussi...»Leshérifs’éclaircitlavoixtandisqueNadiamefaitunsignedelamain.«Nousallonslaisserles

agentsRiveraetMcAllistericipourlanuit.Ilsvontpatrouillerrégulièrement,etsivousavezlemoindreproblème,ilsserontlàpourvousaider.»Ils’arrêteetsonregardseposeànouveausurmoi.IlfroncelessourcilsetfixelebrasdeDimitrienrouléautourdemesépaules.«Vousdevriezêtreensécuritécesoir.»

Saufqu’avecsafaçondemeregarder,jemesensmoinsensécuritéquejamais.

Lapoliceal’airdecroirequ’undéséquilibréfaitunemauvaiseblagueàDimitri.Ilparaîtqu’ilyadesforumssurInternetoùlesgenssontcomplètementobsédésparlesmeurtres.Pourtant,jenepeuxpasm’empêcherqu’ilyavaitplusderrièrecesappelsquedesimplesfarcesmacabres.

M.Kuvlevvérifietouteslesportesetfenêtresainsiquelesalarmes.«Sivousdécidezdejoueràchatouàlabatailleoujenesaispasquoiaveclespistoletsàeau,ilfaudrameledireainsiqu’auxpolicierspourqu’onvoussurveille.Vousnesortezpassansmeprévenir.Compris?

—Compris»répondNadiaenleprenantdanssesbras.Ilmesouritetvadanssonbureaupours’occuperdelapaperassedugarage.

Danslesalon,CalebetDimitrisesontallongésparterrepourjouerauUno.Mêmesijesuisencoreunpeusouslechoc,çam’aided’entendreCalebetdevoirqueDimitriestaussiattentionné.

Nadiarenifleetm’enfoncelecoudedanslescôtes.«Situvoyaiscommenttumatesmonfrère!J’arrivepasàdécidersijedoisêtreattendrieoudégoûtée,parceque,euh,c’estmonfrère!»

Dimitrisetourneversnousetsonfameuxsourireéclairelentementsonvisage.Meslèvres

s’entrouvrentetsijemefieàlasensationdechaleurquimemonteàlatête,jedoisêtreàpeuprèsaussirougequ’unebetterave.

«Chut!»Nadiaritenpassantsonbrasautourdemesépaules.«Jetel’aidéjàdit,etjeleredis:tuseraislameilleurechosequipourraitluiarriver.—Ouais,enfin...»JeregardeDimitriàladérobée.Lesavoirendangeraremuéquelquechoseen

moi.Jeveuxqu’ilconnaissemessentiments,mêmesic’estterrifiant,mêmesijerisquelerateau.Lavieesttropcourte.Sonjeanestajusté,etilportesonancienmaillotdefootball,celuiqu’ilaportépendantsontoutderniermatch.Ilyalongtempsquejenel’avaispasvuleporter.Etmêmesijenesuispastellementsensibleaumythedujoueurdefootball,ilyaquelquechosedanslefaitdelevoirenmaillotquimerendtoutechose.Lespapillonsdansmonestomacagitentleurspompons.

Lasonnetteretentit,unedistractionquitombeàpic.«J’yvais!»jedisàNadiaquimefaitunclind’œil.

«Ouais,c’estça...T’imaginepasquecetteconversationestfinie!»Ellesepencheversmoietredevienslachipiedesesonzeans.«Erinlamenteuse,elleestamoureuse»,fredonne-t-elleàvoixbasse,etjeluifrappelebras.

«VaplutôtvoircequefaitLiam!Çafaitplusd’unedemi-heurequ’ilestdevantlegriletonattendtoujoursnosburgers.»

Nadiafroncelessourcils.«T’asraison,ilestsûremententraindetoutefairecramer.Monpèrevacriser.»

Jelapousseverslaterrasseetmetourneverslaported’entrée,maisM.Kuvlevyarriveavantmoi.«Laisse,jem’enoccupe.Encoreunerègle:vousn’ouvrezaucuneportesansmoi.»Sontonestsérieux,maissavoixrestechaleureuse.

Ilouvre,découvrantAudrey.Avecsajupecourte,sontopdécolletéetsescheveuxblondsonduléslâchéssursesépaules,elleestsuperbe.EllerepèreDimitrietrougit,sapeauclaireprenantuneteintelégèrementrose,maisellesereprendvite.Ellem’adéjàditqu’elletrouvaitDimitrimignon,maisjenemedoutaispasqu’elleavaitlebéguinpourlui.

«Saluttoutlemonde!»Savoixestplusfortequed’habitude,maistoujoursaussidoucequ’unfondantauchocolat.

«Tuestoutebelle!»jem’exclame,etjesuissincère.Dimitriluilanceuncoupd’œiletacquiesce.«C’estvraiquetuesjolie»,dit-ilsanschaleurparticulière,etjedoisrappeleràmoncerveau

jalouxdelafermer.AudreysortavecCarlos.«Merci.Jemesuischangéesurlaroute.Mamèrevoulaitquejerentreavantminuit,maisj’ai

réussiànégocierpour1heuredumatin.»Elleagiteunsac.«J’aiunesurprisepourtoi,Caleb.»Sonsourires’élargitetCalebcourtverselle.

«C’estvrai?C’estquoi?Dis-moi,dis-moi,dis-moi!»Detouteévidence,iladéjàmangébeaucouptropdesucre,maisjenepeuxquemeréjouirdelevoiraussigai.

«Unpuzzleavecdesdinosaures!»répondAudreyensortantlejeu.Calebluifaituncâlin,etelleleluirend,unpeugênée.Puiselles’éclaircitlavoixenpassantla

porte.«J’aiaussiamenédeschipsetduguacamole.»Elledéposesonsacdanslacuisinepuisvients’installerprèsdeDimitri,quisedécalelégèrement.«Alors,qu’est-cequ’onfaitdebeau?»demande-t-elleavecsavoixtoujoursparfaitementmesurée.D’aprèsJenna,c’estuntalentinnéquiséduittouslesjuges.

«Onjoueàunjeuauqueljepigeriendutout!»Dimitris’étire,etjemesurprendsàlefixerduregard.«Calebinventedesrèglesaufuretàmesure.»

Liamarrivealorsavecdeshamburgersetdeshot-dogs,suivideNadiaavecsatarteauxpommes,etons’installetousàl’intérieuraulieudelaterrassecommeonavaitprévu.LepèredeNadiapiqueune

assietteetretournedanssonbureau.Calebcroquedanssonhamburgeretsemetduketchupsurlevisage.«Tropbon!Çafaitunbailqu’onapasmangédesburgerscommeça.»

Moncœurseserre.Ladernièrefoisqu’onamangédeshamburgersmaison,c’étaitilyatroisans,avecMmeKuvlev.Elleavaitenvied’unvraibarbecueàlatexaneavantdecommencersapremièrechimiothérapie.Onétaittouspersuadésqu’ellevaincraitsoncancer.Àl’époque,mamèreallaitbien,etellesavaientpassélasoiréeàchanterdesvieilleschansonspendantquenospèresparlaientd’organiserunvoyageenÉgypteensemble.

Unbail,oui...J’effleurelamaindeDimitripourluidonnerunpeudeforce.Ilsetourneversmoi,leregard

tendre.Jesaisqu’ilsesouvientdecettesoirée,luiaussi.Calebcontinuedenousfaireoublierlatensiondanslapièceenpapotant,sautantd’unsujetà

l’autre,deBrie,lachiennedesCarmichael,àl’écoleouaucampd’entraînementdefootballauquelilestinscritpourl’étéprochain.

Aprèsledîner,onnettoietoutavantdeseréinstallerdanslescanapés.M.Kuvlevprendunepartdetarteavecdelaglaceavantderetournerdanssonbureau.Ilnousfaitunpetitsignesansriendire,soucieuxdenepasnousdéranger.

Nadia,LiametAudreydiscutentduconcoursdemissquiarrive,durôlequeNadiaaobtenudansLesSorcièresdeSalem,etdelasemaineduhomecoming.Lescheerleadersontunegrossejournéedevantelles,etShawnanousaenvoyéunmessagecollectifpournousrappelerdetoutdonnerenmémoiredeRachel.

Dimitrietmoisommesallongéssurledos,nosbrassetouchent,etlatensioncrépiteentrenousdeux.J’aipleinementconsciencedesatêteprèsdemoi,tournéesurlecôtépourdonnersonattentionàCalebetrépondreàtoutessesquestions.J’aipleinementconsciencedesamain,siprochedelamienne.Pleinementconsciencedelui.

CalebselèvepourallervoirNadia.«Onpeutjoueraveclespistoletsàeau,maintenant?»Nadiam’interrogeduregard.

«Etsionregardaitplutôtunfilm?jepropose.Ontelaissechoisir.»Ilsecouelatête,boudeur.«Maist’avaispromisqu’onferaitunebatailled’eau!»Sesépaulessevoûtent.«C’estcomme

quandPapaprometqu’onvapêcherouqu’onvacamper.»MoncœurseserreetNadiasemordlalèvre.«Caleb,viens,onvademanderlapermissionàmon

père,ets’ilestd’accord,alorsonira.»M.Kuvlevnouspermetd’allerjouerdehorsseulementaprèsavoirobtenudelapolicequ’ils

envoientplusdevoiturespourpatrouilleretqu’aumoinsunagentsoitaffectéexclusivementàsurveillerlamaisonetlejardin.Puis,trèssérieusement,ilénoncedesrègles.«Interditdesecacher.Interditd’allerplusloinquelacabanedansl’arbre.Etobligationdesignaleràmoiouauxagentsdepolicesivousremarquezquelquechosedebizarre.»

NousacquiesçonstousetilébouriffelescheveuxdeCaleb.«Maintenantvat’amuser,mongarçon.»

Nadiafrappedanssesmainsavecunenthousiasmefeint,maisCalebn’yvoitquedufeu.«Allez,c’estpartipourl’aventureaquatique!Onvafairedeséquipes.Jevaisplacerunerécompenseprèsdelacabane,etlapremièreéquipequil’attrapegagneledroitdechoisirlefilmpourcesoir!»EllesepencheversLiampourl’embrasser.«Onestsix,donctroiscontretrois.Audrey,onvachoisirleséquipestouteslesdeux.»Elleluifaitunsignedetête.Illeurafalludutempspours’apprivoiser,maisellesontfinipardevenirproches.«Çavousva?

—Ouais!—Audrey,tucommences?—Non,vas-y.Tujouesàdomicile,àtoil’avantage.Maistuconnaislarègle:pasdecouplesdans

lamêmeéquipe,donctupeuxpaschoisirLiam.»C’estNadiaquiavaitétablicetterèglequandonjouaitaulasertagavecDimitri,sespotes,etbiensouvent,sapetiteamiedumoment.Ellesavaitqueçamefaisaitdumaldelevoirtripotercesfilles,d’autantplusqu’elleétaitpersuadéequ’ilsefichaitpasmald’elles.

Nadiagrommellemaisaccepte.«D’accord,alorsjechoisisCaleb.»Meslèvresdessinentungrandsourirequimeprendjusqu’auxjoues,etCalebsautedejoie.«Youpi!»

«Dimitri»,annonceAudreyavecunedéterminationquejeneluiconnaissaisquesurscène.Nadiafroncelessourcilsmaisnefaitpasderemarque.«Erin,viensrejoindreladreamteam!«Liam»,continueAudrey,etilvientseplaceràcôtédeDimitri.Ilssechuchotentquelquesmotset

sefontunhighfive.Nadias’avance.Elleimposetoujourslerespectetl’attention,partoutoùelleva,sûrementgrâceà

sescoursdethéâtre.«Bon,voicilesrègles:dèsqu’onestmouillé,onestéliminé.OnvajouerfaçonHungerGames!»

Jegrimaceetelleéclatederire.«Enfin,enmoinsextrême,hein!Etenéquipes,pascommeeux.Enfin,ilsenavaient,mais,euh,pasvraiment.»

Liamluisourit,etdanscesourire,jevoistoutl’amourdumonde.Ilaétésonrocquandsamèreestdécédée,ilaétélàpourelleàtouslesinstants.Illalaissetoujoursêtreelle-même,ellen’arienàluicacher,etilssonttoujoursadorablesl’unavecl’autre.

DimitriseplantedevantLiam:«Telaissepasdistraire,Carter.»Ill’appelletoujoursparsonnomdefamille,sûrementunehabituderestéedel’époqueoùilsjouaientaufootballensemble.Liamapassétouteunesaisonsurlebancdetouche:malgrésapassion,iln’ajamaisétésélectionnécommetitulaire.Ilssemettenttouslestroisencerclepourchoisirunestratégie,puisDimitriseretourneversNadia.«TuasentenduPapa,hein:pasplusloinquelacabane.»Samâchoireestcrispée.Toutlemondeestsurlesnerfs,saufCaleb,quial’airauxanges.

Nadia,Calebetmoinousisolonsàl’autreboutdelapièce.«J’aiunplan»,annonceNadia,etCalebricane.

Jevoudraispouvoirfairepausesurcemoment.

CHAPITRE20-DIMITRILasoiréeserafraîchittandisqueleciels’embrase.Lejardinserabientôtplongédanslenoir.

Audreysetourneversmoi,lamainposéesurmonbras.Elleestgentille.Elleatoujoursétéadorable,maisellen’estpasErin.Jemeraclelagorgeetm’éloigned’elle.

Ellesourit,maisilyaunvoiledetristessedanssesyeux.D’aprèscequem’aditNadia,Audreyn’apaseuuneviefacile.Sonpèreestmortquandelleétaittoutejeune,etsamèrenes’entendaitpasavecsesparents,alorsellesonthabitétouteslesdeuxdansunmobile-homeavecpresquerienjusqu’àcequ’unetantedesamèreluilaisseunhéritage.C’estlàqu’ellesontemménagéàGavert,c’estàcemomentaussiquelamèred’Audreyl’amisesurlecircuitdesconcoursdemiss.Samèreneparlepasbeaucoup.Jenel’aicroiséequedeuxoutroisfois,ilyaquelquesmois.

«C’estparti»,jelâcheavecunenthousiasmequisonnefaux.J’aicomprisqu’Audreys’intéressaitàmoiilyaàpeuprèssixmois.Audreyavaitl’habitudedefairelaroutetouteseulepourserendreauxconcours,oubienavecsamère,tandisqu’engénéral,NadiaetErinyallaientensemble.Maisunefois,Nadiaétaitsurscèneoccupéeàjouerplusieursrôlesdanslapiècedefind’année,alorsAudreyetErinontdécidédeserendreauconcourstouteslesdeux,etjemesuisincrusté.AvecErin,onavaitpariésurlesstatistiquesduderniermatchdefootballpourlequelelleavaitétécheerleader,etj’avaisperdu.Pasdutoutexprès,biensûr.Ellem’avaitdemandésijevoulaisveniravecelleauconcours.Jennaétaitsursondostoutletemps,critiquantsaposture,sondiscours,sonnuméro,etelleétaitnerveuse.

LesmomentspassésavecErinétaientlesseulsoùjepouvaisêtremoi-même.Monpères’inquiétaitpourmoi,carentremonaccidentetlamortdemamère,ilavaitpeurquejemelaisseallersurunepentedangereuse.Nadiaessayaitdetenirl’équilibredenotrefamilleàboutdebras.EtErin...Erincomprenaitqueparfois,jen’avaispasenviedeparler.Ellecomprenaitaussiquandj’enavaisbesoin.Ellenememéprisaitpasàcausedemonaccident,maisellenememénageaitpasnonplus.

Jevenaisdefinirmarééducation,etj’essayaisderattrapermonretardaulycée.J’appréciaislamoindresecondequejepouvaispasseravecErin,etjesavaisqu’elleavaitbesoindemoiàcemoment.Alors,jesuisalléauconcoursavecelleetAudrey.Quandons’estarrêtésàunestationessence,Erinadécidéd’alleracheterunpeud’eauetdesfriandises.Audreyestrestéeprèsdemoipendantquejefaisaisleplein,etellem’aposédesquestionssurmonaccidentetsurlefootball.Ellegardaitlatêtepenchéesurlecôté,etellealaissésamainposéesurmonbraspendantplusieurssecondes.Puiselles’estrapprochéeenseléchantleslèvresetm’aconfiéqu’ellesesentaittrèsseule.J’aifaitdemonmieuxpourlarepoussergentiment,etjen’enaijamaisparléàpersonne.

Audreyacquiesceetmefrôleenallantprendresaposition.«Ons’occupedeNadiaenpriorité.ErinvavouloirprotégerCaleb,ducoupc’estuneciblefacile.»

Liamluifaitunhighfive.«Onvagagner,c’estobligé!»Maislepremierjetd’eauestpourlui,etCalebs’enfuitenpouffant.Liaméclatederireetpointe

sondoigtverslefonddujardin.«Mananaprendposition!»Audreyetmoinousretournons,etnousvoyonsNadiaquigrimpedanslacabanequenotrepèreaconstruitedansl’arbre.Perchéelà-haut,elleauraclairementungrosavantage.

MaisAudreysepencheversmoienm’offrantunevueplongeantesurcequidoitêtreunbonbonnetC.Unepoitrinegénéreuse,maismêmesiellenel’étaitpas,desseinsrestentdesseins,etmesyeuxsontprogramméspourlesremarquer.Jemeforceàleverlesyeuxverssonvisage.Ellericane,commesiellesefichaitpasmalquejelareluque.«Jem’occuped’elle,dit-elleavecunclind’œil.Tun’asplusqu’àtechargerd’Erin.»Ellemesourit,etjen’ycomprendsplusrien.Jedoismalliresonlangagecorporel,parcequecesourireestcompliceetencourageant.Maisjen’aipasletempsdemelancerdansuneanalysecompliquée,qu’elleestdéjàpartieencourantverslacabane.

Jescannedesyeuxlesalentours.ErinestsûrementavecCaleb,maiselleconnaîtleterrainpresqueaussibienquemoi.SiNadiaestdanslacabane,alorsErinetCalebvontprobablementsedirigerversl’abridejardin,unecachetteassezprocheduprix,etdetoutefaçon,ilsnepeuventpaspasserparlecheminquimènederrièrel’arbre,puisquec’estendehorsdeslimitesfixéesparmonpère.

J’entendsdesriresquiviennentdelacabane.AudreycourtenzigzagsetNadian’arrivepasàlaviser.

Puisj’entendsungloussementétouffé.«Chut»,protesteErin,maisCalebestmaintenantsurlepointd’éclaterderirepourdebon.

J’estimequ’ilssontàunecentainedemètresdemoi.Jem’approchesurlapointedespieds,maisjem’arrêtesoudainenrepérantuneombrederrièreun

arbreprèsd’eux.Jesensmescheveuxsedresserdansmanuque.L’ombreresteimmobile,maisjecroisdistinguerlasilhouetted’unhommeunpeupluspetitquemoi.L’ombrebougeversladroiteavantdesetournerbrusquementdansmadirection,commesil’hommem’avaitentendu,puisfaitdemi-touretdisparaîtderrièrel’arbre.Jemelanceàsapoursuite.

«Ontevoit!»crieCalebenpréparantsonpistoletàeau.Jelesdépassesansmesoucierdesjetsd’eauquim’atteignent,concentréseulementsurlefaitqu’ilssontpeut-êtreàdeuxdoigtsd’untueur.«Ont’aeu!Ont’aeu!

—Toutvabien?demandeErind’unevoixquin’aplusriendejoyeux.—J’aivuquelqu’un,jecrois.»Ellepanique.Jerépèteencriant:«Papa!Papa,jecroisquej’aivuquelqu’un!»Monpèresortencourant,le

téléphoneàlamain,etappellelesagentsdepolice.Ilsnetrouventpersonne.

CHAPITRE21-ERINAprèsquelapolicen’aitréussiàtrouverpersonnedanslesparages,niaucunindiceindiquantla

présenced’unintrus,nousrentronstousàl’intérieur.Calebveutregarderledessin-animéRebelle.Ilconnaîttouslesdialoguesparcœur.Dimitrial’airtendu,etjemepencheverslui.«Moiaussi,j’aipeur»jemurmure,etjeposemamainsursonbras.«C’estpeut-êtrevraimentjustequelqu’unquitefaitunegrosseblaguebêteetméchante?»

Ilsecouelatête.«Franchement,jepensepas.Jeveuxbiencroirequej’aipumetromperenvoyantunhomme,maisl’appel...l’appel...»Iln’achèvepassaphraseetmeprendlamain.Nousregardonstouslefilmjusqu’àcequeCalebs’assoupisse,puisDimitrileportejusquedanslachambred’amisavecbeaucoupdeprécautions.Ilestvraimentpleind’attentionspourCaleb,iltientàlui,etjesaisqu’iltientàmoiaussi.Àlevoirsitristeetinquiet,jemesensparcouruededouleurs,commesisessentimentsfaisaientéchodanstoutmoncorps.Plusjepassedetempsaveclui,plusjelevoisavecmonfrère,etplusjetombeamoureuse.AprèsavoirbordéCaleb,noussortonsdelachambresurlapointedespieds.

Ilsepenchealorsversmoietl’espaced’uneseconde,j’imaginequ’ilvam’embrasser,maisseslèvresdéposentsimplementunlégerbaisersurmonfront.«J’aibesoindemeviderlatête.Jevaisallerbossersurtavoiture.»Legarageesttoutprèsdelamaison,maisjesensquandmêmel’angoissemonterenmoi.Ildoitlasentir,carilprécise:«Jevaisprévenirmonpèreetl’agentRivera,peut-êtrequ’undespolicierspourraseposterentrelegarageetlamaison.Iln’yaqu’uneentrée,etlefondestpleindeboîtesetd’outils.Jeferaigaffe.»

J’acquiesceetj’enroulemesbrasautourdesoncou.D’abordsurpris,ilmerendmonétreinte.Uneporteseferme,etAudreysortdestoilettesenseraclantlagorgeavecunpetitsourire.Dimitri

s’écartedemoi,nousfaitunsignedelamain,ets’enva.Audreypenchelatête.«Jevoulaispasdéranger...Ilvabien?—Ilestinquiet.Ettoi,çava?—Turigoles,jesuisflippée!J’aienvoyéuntextoàCarlos,ilvabienmaisc’estpasfacilede

teniràquelqu’unetdetoujoursavoirpeurqu’illuiarrivequelquechose.—C’estclair,maisc’estflippantaussidenepassedonnerunechanceparcequequisait,on

pourraitlouperl’occasiond’êtrevraimentamoureuse...—T’esentraindetomberamoureuse?demande-t-elle.—Jecroisquec’estdéjàfait...»jerépondsavantdericanernerveusement.J’ignoresic’esttoute

cettetensiondansl’airoulasensationdesbrasdeDimitriautourdemoi,maismesémotionspartentdanstouslessens.

Ellemeprendlebras.«J’espèreressentirbientôtlamêmechose.»Ons’installedanslesalontandisqueNadiaditaurevoiràLiamdansl’entrée.Ellenousrejoint.«Çam’inquiètequ’ilrentrechezluitoutseul.Ilfaitnuit.»Sonregardtraînesurlaporteuneseconde,puiselleselaissetomberdanslecanapéprèsd’Audrey.«Jesaisqueçaal’airdingue,maisjesuiscertainequec’estlebon.J’imagine

pasmaviesanslui.»Ellefermelesyeux.«Etjesaisqu’onaquedix-septans,quec’esttrèsjeune...MaisonestcommeMattetJulie.»

Audreylèveunsourcil.Sontéléphonebipe,etelleconsulteunmessagependantquejeluiexpliquelaréférence.«DespersonnagesdeFridayNightLights,unesériequ’onaregardéesurNetflixavecDimitriaumomentoùilacommencélefootball.Sentimentsgarantis!»J’envoieuncoussinàlatêtedeNadia.«MattetJulie,vraiment?Ilsonteupasmaldecrises,quandmême,alorsquevous,jamaisundrame.

—Jel’aime.Jesuisfolledelui.»Ellegobeunchamallow.«Tiens,onpourraitregarderquelquesépisodesjusqu’àcequ’Audreydoiverentrer!»

Audreysecouelatêteenmontrantsontéléphone.«C’estmamère,elleveutquejerentretoutdesuite.Elleadûoublierqu’onavaitdit1heure,oubienelles’estjustemiseàflipperpourrien...»

Nousluifaisonstouteslesdeuxuncâlind’aurevoir,etNadiabaille.«Jesuiscrevée!Cettesoiréem’aachevée.»Elles’étire.«Jevaismecoucher.TudorsavecCaleb,toi?

—Oui,maisjevaisd’abordfaireundétourparlegarage.—O.K.Oubliepasdeprévenirmonpère,qu’ilsacheoùtues,etsoisprudente.

Lanuitm’enveloppe,etj’inspireprofondément.L’airs’estrafraîchimaisrestelourd.L’oragearriverabientôt,jelesens.

Auloin,deslumièresquivacillentetdesrires.Auloin,sûrement,quelqu’untombeamoureux.Lavoituredel’agentRiveraestgaréejusteenfacedugarageetdel’abriàvoitures.Cegarage,j’y

aipassédesheuresavecNadia,àapprendretoutcequ’ilyaàsavoirsurcommentchangerunpneu,faireunevendangeouremplacerunebatterie.M.Kuvlevaexpliquéàsafillequec’étaitimportantqu’ellesachefairetoutçatouteseule,etquandilamontréàsesenfantscommentfaire,ilm’ainclusedanslesleçons.

Lesmurssontcouvertsd’outils,etlesémanationsd’essencemeprojettentdanslepassé.Lecapotdemavoitureestouvert,maisDimitriestintrouvable.J’approchelentementenpromenantmesdoigtssurlestrophéesquesonpèrearangésdanslegarage.Àsonépoque,M.Kuvlevaétélegrandjoueurdefootballdesonéquipe,maisiln’ajamaisforcéDimitriàsuivresonexemple.Laradioestalluméeetjouedevieuxairsdecountryquimerappellelachansonsurlaquellej’aidanséavecDimitripourlapremièrefois,àlaFêtedupoisson-chat,quandj’étaisencoreaucollège.Monbéguinpourluim’étaittombédessusàlavitessed’unemétéoritequis’écrasesurterre.Cesoir-là,jepensaisl’avoirvuembrasserKailyderrièreunballotdepaille,etletypeavecquij’étaisvenueétaittropoccupéàflirteravecl’étudianteallemandeenéchangescolairepours’occuperdemoi.

L’éclate,quoi.Maisquandlegroupeajouélespremièresnotesdecettechanson,Dimitris’estplantédevantmoi.

Ilavaitperduunpeudesonairsuffisant,etilmanquaitd’assurance,sedandinantd’unpiedsurl’autre.«Çateditdedanseravecmoi?

—PourquoitudemandespasplutôtàKaily?»j’avaisrétorqué,latêtehaute.Toutelasemaineprécédente,Jennanousavaitapprisqu’ilfallaittoujourssecomportercommesionétaitsurscène,etquemêmelesréactionsoulesfaiblessesquisemblaientnaturellesétaientenréalitécalculées.Etàcemomentprécis,jemesentaisplusexposéequejamais.

«Jepensequ’ellevaplutôtdanseravecTacker.Je,euh...»Iladétournéleregardavantdebaisserlesyeuxsurmeslèvres,commesiellesdétenaientunsecretqu’ilvoulaitconnaître,commesiellesreprésentaientleseultrophéequiluimanquait,commes’ilavaitautantenviedem’embrasserquej’enavaisenvie.«Jelesaivuss’embrasser»,a-t-ilfinienmetendantlamain.

J’aiprissamainetensentantlachaleurdesesdoigts,j’aicomprisinstantanémentcequeJennacherchaitànousapprendre:ilyadesmomentsquisontdécisifs.Onnes’enrendpascompte,maisilsnousdéfinissent.Elleparlaitdescompétitions,biensûr,maiscemoment,nosmains...J’aisentiqu’unepartiedemoivenaitdetrouversadéfinition.

Lachansonsetermine,etj’entendsungrosbruitsouslavoiture.«Vapasmelacasser!»dis-jed’untonrieurenl’entendantpester.Auloin,l’oragegronde,etlapluiesemetàtombersurletoit.Ils’extirpelentementdedessousma

vieillevoiture,seslargesépaulesetsesbraspuissantscouvertsdecambouisetsescheveuxbrunsencoreplusdécoiffésqued’habitude.Jeremarquequesesyeuxs’attardentsurmesjambesavantdemonterlentement,trèslentementversmonvisage.Ilestloin,lecollégienhésitantquim’invitaitàdansercinqansplustôt.Ilnerougitplusenregardantmeslèvres.Ilselèveenfinsansunmot,etjesensunenouvelleespècedepapillonsnaîtredansmonventre,legenredepapillonsquinesecontententpasdesautillerdèsqu’ilmeregarde,maismepoussentcarrémentverslui.

Alorsj’avanceverslui,etlamusiques’évanouit.Letonnerres’évanouit,lapeur,lesangoissesetlerestes’évanouissent,jusqu’àcequ’ilneresteplusqueluietmoi.Mamaineffleuresonbrasetjelesenssetendresousmesdoigts.

«Erin...»Ungrognementquiressembleplusàuneinvitationqu’àunavertissement.Mesdoigtsglissentsursonépauleetmontentdoucementsursajoue.Noscorpssetouchentpresque,nossoufflessemélangent,nosregardss’accrochent.«Erin»,répète-t-il,chuchotantcettefoismonnomensebaissantsurmoijusqu’àcequeseslèvres

soienttoutprèsdemapeau.Toutprès,etpourtantsiloin.«Dimi...»Mavoixestvoilée,ellemetrahit.Mesmotsmetrahissent.Ladernièrefoisquejel’ai

appeléDimi,c’étaitsurleterraindefootballdésert,quandilm’aembrassée.Quandilm’abrisélecœur.Alorsjevoisl’évidence.Unpasenavant,deuxenarrière.Cettetensionquicrépiteentrenousn’a

riendenouveau.Qu’est-cequiseraitdifférentcettefois-ci?Ilvam’embrasser,puisilvamedétruire,etmoijevaislelaisserfaire,encoreunefois.Demonpleingré.

Ilestmakryptonite.Jesuisprêteàtoutluidonner,maisjenepeuxpasleforceràprendrelesmêmesrisques.Onpourraitensouffrir.Alorsjereculed’unpas,jefaisdemi-toursansmeretourner,etjesorsdugarage.L’agentRiveraesttoujoursgaréenface,etilsedemandeprobablementcequejefabrique.Ilmefaitunappeldephareetsortdelavoiture.Lapluies’intensifie,unevraietempête.Parfait.

«Toutvabien?»crie-t-ilpourcouvrirlebruitduvent.Jehochelatêteenlevantlepouce,mêmesiaufonddemoi,j’ailesentimentqueplusrienn’ira

jamaisbien.AlorslamaindeDimitrim’attrapeetmetirecontrelui.Del’autremain,ilfaitsigneàRiveraetattendquelepolicierrentredanssavoiture.

«T’envapas...»dit-iljusteassezhautpourquejel’entende.«Resteavecmoi.»Et,voyantquejenebougepas,ilposeseslèvressurlesmiennes.Sonbaiser,tendred’abord,sefaitlangoureux,avide.Samainmecaresseledos,etjem’accrocheàlui,perduedanssescaresses,perduedanscemoment.Lapluietombedeplusenplusfort,etnoustrébuchonspournousmettreàl’abri.Ilposesonfrontcontrelemien,etquandilrouvrelesyeux,jen’yvoisaucunerésistance.Seulementdudésir,etaussiquelquechosedeplustendre.Quelquechosequej’aipeurd’interpréter.

«Jesuisdésolépourl’annéedernière...commence-t-ild’unevoixtriste.J’aimerdé.—Tuasmerdé,ouais,royalement.Pourquoitum’asfaitça?Tusaiscombiendetempsj’aimisà

seulementfairesemblantdem’enremettre?—Sûrementaussilongtempsquemoi...»Iltouchemeslèvresduboutdesdoigts.«J’étaispaumé,

complètementpaumé.Mamèreétaitàl’hôpital,jesavaispascommentgérerça,ettoi...J’aicruquecraquerpourtoiseraitunegrosseerreur.

—Pourquoiuneerreur?

—ParcequetueslameilleureamiedeNadia,parcequetuesmonamie,aussi.Honnêtement,l’annéedernière,jenepensaisqu’aufootballetàlamortdemamère,etjemesuismontréégoïste.Etcesderniersmois,mêmesijemouraisd’enviedet’embrasser,ilyavaittoujoursunmomentoùjemerappelais...»Ilsoupireenreculantpourmeregarderavecunesortedeprudence.

«Tuterappelaisquoi?—Quetuvaspartirloin,etquemoi,jevaisrestercoincéici.Tonpèreavaitraison.»Ilgrimace.«Commentça,ilavaitraison?—Ilt’avuepleurer,etilacomprisquec’étaitàcausedemoi.Ilm’aditdetelaissertranquille

parcequej’étaispasassezbienpourtoi.»Jesecouelatête,confuse.«Pourquoitum’enaspasparlé?Pourquoiabandonneravantmême

d’avoiressayé?»Illèveunsourcil,maisj’ignoresatentativedesedérober.Sijeplaisantemaintenant,ilvasautersurl’occasionetonn’aurajamaispluscetteconversation.Alors,j’insiste.«Jecraquepourtoidepuistoujours...»Jesenslesbattementsdemoncœurpartout,dansmesoreilles,mesveines,moncorpstoutentier.J’ignorelespapillonsperturbésquinesaventplussionvaencores’embrasser.«Maissoyonshonnêtes,monfantasmeestsûrementbienmieuxquelaréalité.Quiditqueçavadurer,finalement?D’unautrecôté,sionn’essaiepas,onsaurajamais...

—Maissi...—Siquoi?Situmefaisdumal,sijetefaisdumal?»Jem’adossecontremavoitureenle

dévisageant.«Etsitumefaissourire,situmerendsplusforte?»Jechoisismesmotsprudemment.«Tuasbeaucoupchangé,cetteannée,Dimi,etmoiaussi.Maisjeteconnais,ettumeconnais.»Jesuisàboutdesouffle.Révélersessentimentsestencorepluséprouvantqu’unecompétitiondecheerleaderouunconcoursdemiss.

Ilfermelesyeux.«Jeteconnais...»Quandilrouvrelesyeux,lederniersoupçondedoutesembles’êtreenvolé,àmoinsqu’ilnel’aitenterréencoreplusprofondément.Ilposesamaincontremajoue,etilm’embrassesanshâte,sansfièvre.Unbaiserlent,passionné.Enfin,jefaisabstractiondetouteangoisse,peurouanxiétéetjemelaissealleràmessensations.

Letonnerregronde,maisàcemomentprécis,ilsemblequeriennepourrajamaisnousséparer.

CHAPITRE22–DIMITRIC’esttellementbondel’avoirdansmesbras.Lafaçondontellesefondenmoi,legoûtdeses

lèvres,samanièred’embrasser.Jedevraispeut-êtreralentiretprendreletempsdelaréconforter.Pourl’instant,elleaavanttoutbesoind’unami.Etenmêmetemps,jeneveuxpasquecemoments’arrête.

Jen’aipasréfléchi,j’aiseulementréagi,commequandjejouaisaufootball.Parfois,ilnes’agitpasjusted’appliquerunestratégieàlalettre,ilfautaussisavoirquandselancer,etdansquelledirection.Sijel’avaislaisséepartircesoir,jenemeleseraisjamaispardonné.

Ellesusurremonnom,etjecroisquejen’aijamaisétéaussiexcité.Elledoitlesentircontreelle,maisaulieudes’écarter,ellepenchelatêteenarrièreavecunsourirequejeneluiconnaissaispas,unsourirecompliceetcharmeur.Ellem’embrasseencore,cettefoisenpressantlangoureusementsoncorpscontrelemien.Jevaisperdrelecontrôle,là,danscegarageoùj’aiimaginél’embrasserpourlapremièrefois.Elleavaittreizeans,etj’avaisunsacrébéguinpourelledepuisqu’onavaitdanséensembleaurodéo.Ellemeregardaitcommesij’avaisdécrochélalune,etellemedonnaitl’impressionquejepouvaisfairen’importequoi,devenirn’importequi.

Ilyaeuça,etpuisl’après-midiqu’onavaitpasséensembleaulac.Elleportaitencoresonmaillotdebain,etpourlegarçondequinzeansquej’étaisalors,elleétaitincroyable.Ellem’écoutaitpatiemmentquandjeluiexpliquaiscommentchangerl’huile.J’étaisassezproched’ellepourpouvoirmepencheretl’embrasser.

Jesuisheureuxdenepasl’avoirfait.Parcequecemoment,là,maintenant,c’estmieuxquetoutcequej’auraispuimaginer.J’aienviede

croirequej’avaisbesoindetraversertouscesmomentsatrocespourarriveràcemomentparfait.Samainpassesousmont-shirt,etmarespirations’accélère.J’embrassesoncouenlaissant

probablementunsuçon,maisjem’enfiche,etondiraitbienqu’elles’enficheaussi.L’oragegrondedeplusenplusfort.«Erin!»appellelavoixdemonpère,etons’écartel’undel’autred’unbond.Ilvientsousl’abri,

etennousvoyant,ilaunpetitsourireattendri.«Nevousinquiétezpas,toutvabien,maisCalebtecherche,Erin.Ilapeurdutonnerre.»

Erinseraidit.«Oui,ilatoujourseupeurdel’orage,j’auraisdûypenser.—Iladelachancedet’avoir,tusais.Tuesuneformidablegrandesœur.—Merci...murmure-t-elleavecdeslarmesdanslavoix.Jem’étaispasrenducompteàquelpoint

j’avaisbesoind’entendreça.»Ellesedressesurlapointedespiedspourm’embrassersurlajoueavantderetourneràlamaison.

Monpèrem’observe,uneridesérieuseentrelessourcils.«Fiston,j’espèrequetusaisquetuesfantastique,etquetamèreseraitfièredel’hommequetuesentraindedevenir.»Ilmarqueunepause.«Faisattentionaucœurd’Erin,cettefois»,ajoute-t-ilavantdetournerlestalons.

CHAPITRE23

Ilspensentqu’ilspeuventêtreheureux.Ilspensentqu’ilspeuventoubliertoutcepourquoijemebats,toutcequejereprésente.

Jesenslebesoinmonterenmoi.Lapulsion.Toutlemondeadespulsions.Pendanttrèslongtemps,j’aiignorélesmiennes.Jusqu’àceque

cespulsionsfassentdemoicequejesuisaujourd’hui.Quandj’étaisenfant,jemesouviensavoirvumonchatattraperunesouris.Jel’aiobservéjoueravecetlatorturer.Quandlasourisacessédebouger,ilaperdutoutintérêt.Parcuriosité,j’aitenduledoigtpourtoucherlasouris.Elleétaitencorevivante,etellearemué:mêmesielleétaitincapabledes’enfuir,elleessayaitquandmême.

Cettesouris,c’esteux.

CHAPITRE24-ERINLesoleilestàpeinelevéquandj’ouvrelesyeux.Jen’aipasl’habitudededormirdanslachambre

d’amis:engénéral,jepartagelelitdeNadiaetondiscutejusqu’àl’aube.Maiscettenuit,jenepouvaispaslaisserCalebdormirseul.Lesdrapssontdouxsousmapeauetjemeretourneenm’étirant.LesmurssontdécorésdedessinsfaitsparDimitriquandiljouaitencoreaufootballetqueledessinn’étaitqu’unmoyendesedétendre.Samèreenaencadréunquireprésentelelacainsiquenoustoussurunradeau,etunautredeleurmaisonaucoucherdusoleil.Lescouleurssontfascinantes.

Àcôtédemoi,Calebremuemaiscontinueàronfler.Jefaisbalancermesjambessurlecôtéetmespiedstouchentleparquetsanstropdebruit.Je

prendsmesvêtementsetvaismechangerdanslasalledebainàcôté,cellequ’utilisentaussiDimitrietNadia.

Siseulementjevivaisdansundesromanssentimentauxqu’onlitavecNadia,etqueDimitrientraitsoudaindanslapièce...

Maisiln’yaquemoi.Jemebrosselesdentsengardantlamaincolléeaulavabo.J’aibesoind’unappuipournepastomberenmiettes,avecmesnerfscomplètementfébrilesdespiedsàlatête.Hiersoir,quandDimitriaparlédel’avertissementdemonpère,jen’aipaspercuté.Jenepercutetoujourspas.Pourquoiest-cequ’ilnem’enapasparlé?

J’ajustelacouvertureautourdeCalebetjesorsdelapiècesurlapointedespieds,monappareilphotoautourducou.

J’attachemescheveuxenqueuedechevalrelâchéeavantdelaisserunmotpourprévenirtoutlemondequejesorsprendredesphotos.Jeprécisequejenevaispastropm’éloigneretquejepréviendrailespoliciers.Unefoisdehors,j’inspireprofondément.Ilflotteunparfumdematindansl’air,pluierécenteetherbecoupée,maismoncorpstoutentiernepensequ’às’enfuirpouréchapperauxdangersquiguettent.Mesyeuxbalaientlevoisinage,etmoncœurneretrouveunrythmenormalqu’envoyantlesvoituresdepolicetoujoursgaréesfaceàlamaison.Jem’approched’eux,etRiverabaissesavitre.«Bonjour,Erin.»Sontonn’ariendefroidouderéprobateur,maisjemesenstoutdemêmemalàl’aise.Ilm’avueembrasserDimitri,hiersoir.

Jem’éclaircislavoixpourêtresûrequ’ellenetremblepas.«Bonjour.Jevoulaisjusteprévenirquejevaisprendredesphotos.J’iraipasplusloinquelacabane.

—Onseralà»,répondl’agentMcAllisterensepenchantpourmesaluer.«Jepeuxvousramenerducaféouunrestedegâteau,sivousvoulez.»Ilssourient.L’agentRiveraregardesamontre.«Unpeuplustard,peut-être,quandvousaurezfini

vosphotos.Ceseraitdommagederaterlalumière.Mafemmefaitdelaphotographie,elleaussi,etellemedittoujoursqu’ilyaunelumièrespécialelematinquirendtoutplusbeau.

—Merci.Mercipourtout.»Jemanquedemotspourexprimermagratitude.Leshérifal’airdécidéàfaireplongermonpère,maislesautrespolicierssesontmontrésgentilsetserviablesetgrâceà

eux,jemesensplusensécurité.—Onfaitjustenotretravail,MademoiselleHortz.»Jehochelatêteavantdefaireletourdelamaison.Aupieddel’arbre,souslacabane,j’espère

avoirunebellevuedusoleillevantsurlesprés.Soudain,unmouvementprèsdel’arbrem’arrêtenet.Marespirations’accélère,mesmusclesse

raidissent,moncœurbatàtoutrompre.Jem’apprêteàcrieràl’aidequanduncorbeaus’envoleprèsdel’abridejardin.Jemeforceàattrapermonappareil,lesmainstremblantes,etjetentedecapturersonenvolsurlecielrosedel’aube.Maisjesuistroplente,etmesmouvements,d’habitudesiassurésquandjeprendsdesphotos,sontmaladroits.

J’inspire,j’expire,jemeconcentresurlevolducorbeau,etjeprendsuneautrephoto.Floue.Jesoupireenlâchantmonappareiletj’essuiemespaumesmoitessurmoncaleçondesport.Unefoiscalmée,jereportemonattentionsurunefleurjauneprèsdugrandchêneoùM.Kuvlevaconstruitlacabaneavecnotreaide,ilyamaintenantdouzeans.Leclichéestdéjàplusnet.Jem’approcheencoredel’arbrequandj’entendsuneportegrincerderrièremoi,etjesursaute.

JemeretourneetaperçoisDimitri,torsenu,surleporche.D’oùjemetiens,jedevinequ’ilboitducafédanssongrandmugaulogodeTexasState.Ilposesatassesurunepetitetablerondepuisilbailleens’étirant,etmoncœurs’affole—pasparpeurdel’inconnu,cettefois-ci,maisàcausedelapeurtropfamilièred’êtrerejetée.

Cen’estpaslapremièrefoisquejelevoistorsenu,maismoncorpssournoisetlespapillonsléthargiqueslogésdansmonventrerêventdeserapprocherdeluiànouveau...commehiersoir.Toutcepetitmondegardeunsouvenirtrèsclairdecommentc’étaitd’êtrecontrelui.

Mesdoigtsmedémangent,brûlentdeletoucher,desepromenersursontorseetsursesabdosnus,maisaulieudeça,ilss’emparentdemonappareilphoto.Levoiràtraversl’objectifnemedonnepasladistancequej’espérais.Aucontraire.Toutdevientplusintense:sonregardpensifversleciel,salanguequiglissesurseslèvresaprèsavoirprisunegorgéedecafé,sesbicepsquisecontractentquandilremplitl’arrosoiretarrosesoigneusementlesfleursdesamère.

Toutça,torsenu,donc.Unepartiedemoipriepourqu’ilneremetteplusjamaisdet-shirtdetoutesavie.J’ailetempsdevolerencorequelquesclichésavantquesonregardnerencontrelemien.Surle

coup,jemedemandes’ilm’abienvue,maisseslèvresdessinentsonsouriresexyetlangoureuxetilmefaitsignedelamain.Puisilreprendunegorgéedecaféenlevantl’indexenl’air,etilrentre.Jelèvelatêteavecmonappareilpourcapturerleballetdesfeuillesd’arbresurleciel.Mêmesitoutmoncorpsresteenalertemaximale,jecommenceenfinàmedétendre.

Aprèsquelquesminutes,Dimitriressort.Ilaenfiléunt-shirtetprissoncarnetàdessin.Ilvientversmoiàlonguesenjambéesdéterminées,etjelephotographieenrafaleenespérantcapturersonexpressiondécidée.Sadémarcherappellesonattitudesurleterrain,quandiljouait:ilal’aird’avoirunobjectifprécis,desavoirexactementcequ’ilveut,d’êtretoujoursentraindecalculersonprochaincoup.

Jemedemandesi,danscetteanalogie,jesuisleballondefootball.Lespapillonsdansmonestomacposentbeaucouptropdequestions.Est-cequ’ilvam’embrasser?

Sinon,est-cequejel’embrasse?Est-cequejevaistoutgâcherenparlantdemonpère?Carunepartiedemoiesttoujoursembêtéequ’ilm’aitcachécetteconversation.S’ilsecomportecommesiderienn’était,j’ignorecommentjeréagirai.Moncœurentomberaitdu

hautdesapyramide.Maisavantquej’aieputrouverunplanpourmesauver,ilestplantédevantmoi.Ilyaquelque

chosederassurantdanssonodeur,unmélanged’eaudeCologne,decaféetdumuffinàlabananequ’iladûavaleravantdesortir.

Sesyeuxcourentpartout:surmoncorps,surmonvisage,mabouche.Aucunregretdanssonregard.

«Bonjour,minus.—Jesuispassiminus.»Maismatentativedeprotestations’évanouitsurmeslèvresquandsa

mainseposetendrementaucreuxdemanuque.Mesdentss’enfoncentdansmalèvreinférieure.Ilétiresoncoucommeillefaitquandilestnerveuxetqu’iln’apasdeballonàlancer.«J’avais

pasvutonmot.J’aifaillisortirencourantpourtechercher,maismonpèrem’avuenfilermeschaussuresetilm’amontrécequetuavaisécrit.»Ilregardeverslesvoituresdepolice.«Tulesasprévenus?

—Oui,ilssaventquejesuisdehorsetj’aipromisdepasm’aventurerplusloinquelacabane.D’ailleursj’ysuismêmepasencorearrivée.»Montonseveutrassurant.Jetouchedoucementsonbras.

Illâchemoncouetsefrottelefront.«S’ilt’arrivaitquelquechose,jesaispascequejeferais.»Ilal’airdesebattreavecsesprochainsmots,soupirantprofondémentcommes’ilcherchaitàchasserquelquechosedesonesprit.«J’aisupermaldormi.J’aipasarrêtédepenseràcequetuasdithiersoir...»

Etboummoncœur.Jerepoussesamainetjerecule.J’aibesoindedistance.Labrûluredansmapoitrinesepropage,

toutmoncorpsprendfeu.Sonbrass’enrouleautourdemataille,etilmetireverslui,toutprèsdelui.Jenedoispaspleurer.

Jeneveuxpaspleurer.«Tupensesquec’estunemauvaiseidée.Jecomprends.Tuassûrementraison.Avecmonpèreet

tout.Pigé.»Mavoixtrembletroppourqu’ilneleremarquepas.«Franchement,tonpère,onl’emmerde.»Ilal’airénervé.«Ildevraitêtreplusprésentpourtoi,il

devraitvousprotéger,toietCaleb.Ilamêmepasappelépoursavoirsivousalliezbien.—Pourquoitum’aspasparlédevotreconversation?Çameconcerne,j’ailedroitdesavoir.—Parcequejevoulaisyréfléchir.—Ettuasréfléchi,ettupensesquec’estunemauvaiseidéedesortiravecmoi.—J’aijamaisditça.»Ilpasselamaindanssescheveuxetfaitcraquersanuque.«Hier,après

avoirvérifiétouteslesportesettouteslesfenêtresaumoinstroisfois,jesuisrestéallongédansmonlitàpenseràtoi.J’aipenséàcequetudisais,j’aipenséàteslèvres,àlesembrasserencore...»Ilpenchelatête,siloinetsiproche.«Àmoinsquetuaieschangéd’avis.»Etderrièresonassurancehabituelle,jeperçoisunsoupçondevulnérabilité,commes’ilappréhendaitmaréponse.

«Non.—Tantmieux»,grogne-t-il,etseslèvress’écrasentsurmabouche,salangueprovoquelamienne,

sesmainssontpartoutetlefeuenmoiexplose.Jejoueavecsalèvretandisqu’ilresserresonétreinte.Sabouches’éloignedemeslèvrespourdescendredansmoncou,etjesuissiprochedeluiquejesenssetendresesmusclesettoutlereste.Sij’avaislemoindredoutesursonattirancepourmoi,ilpeuts’envoler.Jelaisseéchapperungloussement,etilrecule.«C’estunepremière...»Ilm’embrasseleboutdunez.«J’aipasl’habitudequelesfillessemarrentquandjelesembrasse.»Iln’apasl’airvexé,seulementamusé.

Jeluimetsunpetitcoup.«Maisparcequec’estirréel!Tuaspasidéedecombiendetempsj’aiattenduqueçaarrive,etvoilà,c’estarrivé,etçaapasl’airréel.Ça,etaussitamainm’achatouillélafesse.»Jeglousseencore.Ilavaitlamainsurmafesse.J’ailamainsursontorse,nonpaspourlerepousser,maispourletoucher.

Lajoieprendsesaisesenmoi.Quelsentimentbizarrequederessentirdubonheurdanstoutcechaos.Sesentirenvietoutencraignantpourlaviedeceuxqu’onaime.

«Onpourraitgrimperdanslacabane.»Ilricaneenmevoyantleverunsourcil.«Pourprendredesphotos,minus,justedesphotos!Tupeuxprofiterdelafindelalumièredumatin,etmoijepeuxm’entraîneràtedessinerentraindephotographier.»Ilembrassemajoue,puisseslèvreseffleurentmonoreille,etilmepousseduboutdumenton.«Accessoirement,j’aijamaisemballédefilledanslacabane,

doncsijamaisçapeutboostertacréativitéoujesaispasquoi,jemeportevolontaire.»Monriremêlehumouretappréhension.C’estdrôlecommeonoubliel’ombredèsqu’onnousdonne

uninstantdelumière.Commeonoublieleslarmesquandonestheureux.Lapeurnes’envapas,ellepasseseulementausecondplan.Lavien’estriend’autrequelasommetouscespetitsmoments.

«Tusaiscequejepensais...»Jetiresursamainpourl’emmenerplusprèsdel’arbre,etilseretournepourmesuivre.Nouspassonsdevantlebraserodontonsesertpourgrillerdesguimauves.Aulieud’allerdroitàl’échelle,jefaisletourdel’arbreenpiétinantleshautesherbesetlesbuissonspourluimontrercequ’onavaitgravésderrièrel’arbreilyatroisans.

Amispourlavie.Soudain,monpiedtoucheuntrucbizarre.Jebaisselesyeux,etjenepeuxpasretenirunhurlement.

CHAPITRE25-DIMITRISonhurlementmeglacelesang.Ellerestecommefigéesurplace.Jesuissonregard,etunrelentdebilememontedanslabouche.

«Mondieu...»Jevoudraispouvoireffacercetteimagedemoncerveau,maissurtoutl’effacerdusien.Jel’attirecontremoipourlaprotégerautantquepourmerassurermoi-même.J’aibesoindelasentirprochedemoipoursavoirqu’ellevabien,qu’elleestensécurité.

Ellegardesonvisageenfoncédansmoncou.«C’estKim!Mondieu,c’estKim,c’estelle,hein?»Elletrembledelatêteauxpieds.«Elleestmorte?»

J’hésiteàbaisserànouveaulesyeuxsurlecorps.J’aperçoissagorgetranchée,etj’aiunhaut-le-cœur.

Jedétourneleregarddesajoueverssesmains.Elleauntatouagesurlepoignet.LoveForeverLove.

Kimm’aracontél’histoirederrièrecetatouage.Elles’étaitentichéed’unétudiantàl’universitéquiavaitréussiàlaconvaincredesefairedestatouagesassortis.Ellel’alarguépeuaprès.Ellearienmedisantqu’aumoins,ellen’avaitpasétéassezbêtepoursefairetatouerleprénomdutype.Quandsamèreadécouvertqu’elleavaitutiliséunefaussecarted’identitépoursefairetatouer,ellel’aforcéeàfairedubénévolataucentred’accueilpoursans-abrisdeGavertCounty.

Kimadoraitfairelafête,elleadoraits’amuser.Unsanglotsecoincedansmagorge.«Elleaune...uneailesurlajoue.»LetremblementquisecoueErins’intensifie.Sarespirationestirrégulière,commesielle

hyperventilait.«Calebpeutpasvoirça...Ilpeutpasvoirça...»ParlerdeCalebsemblelacalmer,etellemeserreunpeumoinsfort.

«Ilfautprévenirlapolice.Ilfautappelerlessecours!»ÇanemeplaîtpasdelaisserKimlà,commeça,maisd’unautrecôté,jerefusedequitterErindes

yeux,mêmepourallerchercherlespoliciersdevantlamaison.J’attrapefermementsamainetnouscouronsensemblejusqu’auxvoituresdepolice.Lesagentsont

dûnousvoirarriver,carilssortenttouslesdeuxdeleursvoituresencriant«Qu’est-cequisepasse?»Nousralentissonsenapprochantd’eux.«Ilyauncadavreaufonddujardin,danslesbuissons!—C’estuneblague?»McAllisterécarquillelesyeuxetattrapelaradiopourappelerleshérifet

lemédecinlégiste.«Oùest-il,exactement?»LavoixdeRiveraestpluscalme,commes’ilvoulaitéviterqu’ontombe

enétatdechoc.«Elle...Prèsdel’arbreoùilyalacabane.Sivouscontournezl’arbreparlagauche,vousla

verrez.»

Riveras’élancetandisqueMcAllistercontinueànousquestionner.Lesyeuxd’Erinfontl’aller-retourentreluietlamaison.

Dessirènesretentissentauloin,etleurhurlementquis’approchedoitalertertoutlemondedanslamaison,carmonpèreouvrelaporteetCalebcollesonnezàlafenêtre.

J’expliqueaussicalmementquepossibleàmonpèrecequis’estpassé,etsesyeuxs’écarquillentsouslechocetl’horreur.Ilportesesdoigtsaucreuxqu’ilaentrelessourcils,ungestequimebrisaitlecœurautrefois.Ilaeulemêmegestequandmamèreesttombéemalade.

NadiasetientprèsdeCalebquifaitcoucouàErinsanscomprendrecequisepasse.Erinrestetenduemaisluirendsonsalut.Deuxnouvellesvoituresdepolicesegarentautourcheznous.

Leshérifsortd’uned’elles,tandisqueTyriksortdel’autreetserrelamainàmonpèrequisetientàcôtédemoi.

«Quil’atrouvée?—DimitrietErin.»Monpèreprendleschosesenmain,etjenevaispasm’enplaindre.Les

imagesducorpsdeKim,desonsang,desajoueetdesontatouagevontmehanterpourtoujours.«Vousaveztouchéquelquechose?»Lavoixdushérifn’exprimeaucunecompassion,seulementde

lasuspicion.«Non,onarienfait.Onaprévenulesagentstoutdesuite.—Peuimportecequis’estpassé,onvaavoirbesoindevousparleràtouslesdeux.Enfin,surtout

àvous.»Ilpointesondoigtversmoi.Monpèreseredresse.«Écoutez,Shérif,jecomprendsquelasituationestdifficileetquenous

sommestousbouleversés,maismonfilsn’arienàsereprocher.Ilvientdetrouverlecorpsd’unejeunefillequ’ilconnaissait,etilaentendusonanciennepetiteamiehurlerdanssonportableaprèsqu’onl’aittrouvéemorte.Quelqu’uns’enprendàlui.J’aimeraisquevousneperdiezpasçadevue.»

Leshériflèveunsourcilsansselaisserimpressionner.Ilignoremonpèreets’adressedirectementàmoi:«Jetrouveçavraimentétrangequ’uncorpsapparaisseprèsdechezvouscommeparhasardlelendemaindevotreinterrogatoire.Peut-êtrequevousavezcraqué.»

Monpèreavancepourseplacerdevantmoi,etsavoixdevientungrognementmenaçant.«Jenesaispascequevouspensezinsinuer,maisjen’appréciepasvotreton.

—Voussaveztrèsbiencequej’insinue,M.Kuvlev.»Leshérifnedaignemêmepasfairesemblantd’avoirlemoindredoutesurmaculpabilité.Erinvientsecollercontremoi,àmadroite,etelletrouvemamain.Ellerestesilencieuse,maissasimpleprésencesignifiepluspourmoiquen’importequellegrandetirade.Jeserrelamâchoirecommejelefaisaisquandjem’entraînaisdanslatorpeurdumoisd’août,quandonal’impressionquelachaleurvaavoirraisondenous.«Vouspouvezmeparlerautantquevousvoulez,jen’airienàcacher.Maisvousferiezmieuxdetrouverquiestvraimentresponsabledetoutça.»Lacolèreetledésespoirbouillentenmoi,etuntrouenformedeculpabilitésecreusedansmapoitrine.Jeveuxqu’iltrouvelecoupable,parcequesic’estmoiquiletrouvelepremier,jenegarantispasquejesauraifaireladifférenceentrelebienetlemal.

CHAPITRE26–ERINLeshérifmelaissevitepartir,maisjesenssonregarddétaillerlemoindredemesmouvements

quandjeserreunedernièrefoislamaindeDimitriavantdemeprécipiteràl’intérieurdelamaison.JetrouveNadiaentraindejouerauxdominosavecCalebdanslesalon.

«Ilmebat,biensûr.»Elleréussitàgarderuntonléger,maisellen’arrêtepasdesemordrelalèvreetellebatrapidementdescilspours’empêcherdepleurer.«Caleb,tuveuxbienramasserlesdominosetallerpréparertonsac?»demande-t-elleenluiébouriffantlescheveux.«Ensuitetupourrasmangerundesbrowniesqu’onafait,ilsdoiventêtretièdesmaintenant.»

Calebsouritenmontrantsesdentsetluifaituncâlin.«D’accord!»Jenel’aijamaisvumontrerautantd’enthousiasmepourlerangement.

Nadiamefaitsignedelasuivredanssachambre,etfermelaportederrièrenous.«J’arrivepasàcroirequ’ellesoitmorte!Apparemment,sesparentss’étaientmêmepasrenducomptequ’elleavaitdisparu.AvecCarly,ellesavaientpasséunaccordpourvoirleurscopainsplussouvent,ellesdisaientqu’ellesdormaientl’unechezl’autre.»Nadias’éclaircitlavoix.

Jem’assiedssurlelitoùoninventaitdeshistoires.Leslarmesquejeretiensdepuissilongtempsmenacentdes’échapper.

Nadias’installeàcôtédemoietpassesonbrasautourdemesépaules.«Riendetoutçan’estdetafaute,Erin.

—Maissic’estmonpère?»jelâchedansunsouffle.Monespritnepeutpaschasserl’imageducorpsdeKim.Simonpèreestmêléàtoutça,jenesaispascequejeferai.Ilnepeutpasêtreletueur...Ilétaitleurprof!Jeleconnais,mêmeluinepeutpasêtreaussicruel.MapoitrineseserreetmesyeuxseposentsurtoutsaufNadia.Jenepeuxpaslaregarderetprendrelerisquedelirelemoindredoutesursonvisage.Parcequesic’estbienmonpèrelecoupable,quiditqu’elleneserapasunedesesvictimes,elleaussi?Maboucheaungoûtdebile.

Nadiasoupire.«Mêmesic’esttonpère,çaseratoujourspasdetafaute.Eh,tutesouviensquandj’aivoulumettredeslaxatifsdansleslasagnesdeFarrah?»

Meslèvress’étirentencequipourraitressembleràunsouriresimesjouesneruisselaientpasdelarmes.«Tulevoulaisvraiment,cerôle!

—Àfond.Etjel’aipaseu,foutumetteurenscène.»Ellericane.«Maissijeluiavaisfilédeslaxatifs,çaauraitétémafaute,etc’esttoi,machèrevoixdelaraison,quim’enasdissuadée.»

Jemeforceàlaregarder.Ellem’observeensouriant,unsourirepleindechaleur.Ellefaittoutsonpossiblepourmeréconforter.

Jeluimetsunpetitcoup.«Elleestmaline,tavoixdelaraison.—C’estclair.C’estpourçaqu’ellevacomprendrequetoutcequiarrive,c’estpasdetafaute.—Oui,mais...Sic’estmonpère,etquej’aiunepartdeluicoincéedansmonesprit?Sijedeviens

commelui?—Tuasdéjàprouvéplusd’unefoisquetun’asrienàvoiravectonpère.Ilseconduitcommeun

connard,pastoi.IlignoreCaleb,pastoi.»Ellemeserrefortdanssesbras.«Etsic’estlui,maisjete

rappellequ’onensaitrien,ehbienespéronsqu’ilt’auraseulementtransmissapassionpourl’histoire.»Elleserassiedetsesdoigtsjouentaveclecouvre-lit.«Tuesmameilleureamiedepuisqu’onsaitmarcher.Tupeuxêtretêtue,etparfoistut’énervespourrien...

—Hé!»jeproteste,maissansconviction,carellearaison.«Maistuessurtoutgentille,loyale,drôle,etuneamieenor.TuasétélàpourmoietpourDimitri.

Sanstoi,onn’auraitjamaispuseremettredela...»Elles’étranglesurlemot,etàmontour,jelaprendsdansmesbras.«...delamortdemamère,etriennechangerajamaisça.»

«J’aifini!»chantonneCalebenfrappantàlaporte.«Jepeuxmangermonbrowniemaintenant?»Nousnousregardonstouteslesdeuxdanslemiroiraccrochéàlaporteavantd’ouvriretd’emmenermonpetitfrèreversunbrowniebienappétissantetbienmérité.

GrâceàDimitri,mavoitureadémarrésansproblème,maiscen’estpasçaquinousempêchederentrer.

«Allez,Caleb,onyva.»Depuisqu’onaquittélamaisondesKuvlev,ilestcommesursesgardes.IlavulapoliceparleràDimitriavantdel’emmenerauposte,etçaluiafaitpeur.Andrews’estdépêchédelerejoindreetmêmes’iln’avaitpasl’airinquiet,l’angoissecontinueàcreusersontroudansmapoitrine.

Laplupartdesjournalistessontpartis,probablementpourallerquémanderdesinformationsaupostedepoliceounourrirleursneuronesavidesdescandaleauFlyingPig.Chaquepasverslamaisonestunetorture,etjenesaispassic’estmoiquitirelamaindeCalebousic’estluiquimepousseenavant.Iln’apourtantpasl’airraviderentrer.

Lesautresmaisonsdenotreruesontdéjàdécoréespourl’automne,etbeaucoupontdespancartesauxcouleursdenotreéquipedefootball.Autrefois,mamèreetnosvoisinesseréunissaientpourcréerlesplusbeauxmums,desrubansextravagantsqueportenttousleslycéenspourlehomecoming,maiscetteannée,elleacédésaplaceàlatêtedugroupeetadéclinétouteslesinvitationsàrejoindreunclubdelectureouungroupedetricot.

Jepousselaportequin’estpasfermée,ettrouvelamaisonestsilencieuse.Moncœurbatàtoutrompre.«Maman?Papa?»j’appelleenespérant,toujoursetencore,entendreuneréponsechaleureusedemesparentsquiriraientdanslesalonounousinviteraientàlesjoindreàl’arrièredelamaisonpourunbarbecue.

Rien.Jeravalemadéceptionetmesyeuxparcourentlapiècepourm’assurerquetoutestàsaplace,ce

quin’estpasaisé,vuquechaquemeubleestencombréd’unbazarsansnom.«Caleb,tuveuxallerregarderunpeulatélé?»

Illâchemamain.«Non,jevaisjoueràlacourseavecmesvoitures.—D’accord.»Ilseprécipitedanslesescaliers.«Maman?»Jepousselaportedesachambreetsoupiredesoulagementenlatrouvantallongée

sursonlit.Elleestlà,ellevabien.Lapièceporteencoredestracesdesonpassé,dessouvenirsarrangésd’unemanièretriste,presqueartistique.Ilyadesphotosétaléesausol,etlesdiadèmesgagnésdansdesconcoursdemissquitrônaientautrefoissuruneétagèresontmaintenantdisséminésunpeupartout,commesielleavaitvoulutoutréorganisermaisn’avaitpaseulaforcedeterminer.Mamèreatoujoursétésujetteàladépression.Pendantuntemps,elleavaittrouvéunmédicamentquil’aidaitvraiment,maisensuite,sonpsyaprissaretraite,etdepuisqu’elleachangédetraitement,sonétatnefaitqu’empirer.«Maman,çava?

—Jesuisfatiguée,machérie.»Elleouvrelesyeuxetgrimacecommesilalumièrel’aveuglait.«Jesuisdésolée.J’aicommencéunnouveautraitement,maisçaprenddutemps,tusais.

—Tuasvuquelqu’un?»Lesailesdel’espoir,timides,hésitentàsedéployer.«Oui,lasemainedernière.UnepsyàLamartown,spécialiséedanslesthérapiescomportementales.

Elleesttrèsbien.Elleabienvuquemontraitementnemarchaitplus,alorselleaproposéd’essayerautrechose,avecunnouveaudosage.Jesensquelebrouillardsedissipedoucement.Ilfautquejefassemapartdutravail.

—C’estsuper,maman.»Lasonnetteretentitetmamèreseredressemaisjeposedoucementmamainsursonépauleet

j’embrassesonfront.«T’embêtepas,j’yvais.»Jefermesoigneusementlaporteensortant.«J’arrive!»jecrieenramassantdesassiettesen

papierempiléesprèsdelapoubelle.Jevoisaussidulingesaleétalésurlecanapé.Jen’auraijamaisletempsdenettoyerlamaisonavantd’ouvrirlaporte,oulapersonnequisonnevapenserquejecachequelquechose.Etpuismerde,oùestmonpère?Ilpourraitaiderunpeuàarrangertoutcebazar.

Onsonneencore,etjeregardeparlejudaspourm’assurerquejenevaispasinviterunjournalistecheznous.

Maismesmainssecrispentdansleurtropfamilièrepositiond’anxiétéquandjereconnaisleshérif.Savoixestencoreplussérieusequed’habitude,avecenplusuneteintedetriomphe.«Re-bonjour,

Erin.»S’ilestlà,est-cequeçaveutdirequeDimitriadéjàfini?Commes’ilentendaitlaquestiondans

monesprit,ilrépond:«Ilssontoccupésavectonpetitcopainauposte,maisj’aiaussiquelquesquestionspourtonpère.Ilestlà?»Ilpassesatêtedansl’entrée,etjeregardederrièremoi,jenesaispastroppourquoi.Peut-êtrequej’espèrevoirmonpèresematérialisercommeparmagie.

«Jesaispas,jeviensd’arriver.—Jepeuxentrer?»Sesyeuxglissentdemonvisageàunpointderrièremoi.«Qu’est-cequisepasse?»jedemandeenfronçantlessourcils.Jedétestemavoixd’êtreaussi

frêle.Jecorrigemonexpressionpouravoirl’airplusrelaxéeetjepriepourqu’iln’entendepasmoncœurbattredelàoùilest.

Iltientlaporteouverte.Sesgrandesmainssontcouvertesdecicatrices,commecellesd’unartisan.Ilestplusgrandquemoi,etsonhaleineempesteunmélanged’ailetdewhisky.

Seslèvresfinesdessinentunsouriresatisfait.«Dis-luidem’appeler.Onapeut-êtreunepistepourcettefillequevousaveztrouvée.Quelqu’unl’avuemonterdansunpick-uprouge.

—Sonnom,c’estKim...jemarmonne.Elles’appelleKim.—Oui,Kim,répète-t-ilenfronçantlessourcils.Tusavaisqu’elleétaitbrièvementsortieavec

Dimitriilyaunanetdemi,pendantqu’ilétaitséparédeRachel?Intéressant,non,queDimitrisoitliéàtouteslesvictimes?»

Jesecouelatêtepourmeforceràrestercalme.SafaçondeparlerdeDimitrimedonnelachairdepoule.«Qu’est-cequevousfaitesdesfillesquiontdisparuilyaplusdesixans?Dimitrin’avaitquetreizeansàl’époque...

—Oui,çaferaitjeune,maisonavupire,danscepays.»Ils’approchedemoietlamanièredontilmeregarde,encoreunefois,créeunevaguedemalaiseenmoi.«Tudevraismieuxchoisirtesfréquentations.Tellemère,tellefille,commeondit.

—Quelrapportavecmamère?—Tuposeraslaquestionàtesparents.»Iltapotesonindexsursaboucheetregardeautourdelui.

«Alors,tunem’aspasrépondu...Oùesttonpère,etoùestsavoiture?Carquelqu’unavuunpick-uprougeprèsdel’endroitoùlecorpsdeRachelaétéretrouvé.

—Toutlemondeaunpick-uprouge,ici»,jerépondsautomatiquement.Lamoitiédelaville

possèdeunevoiturerépondantàcettedescription.Lamoitiéducomté,lamoitiéduTexas,même.Soudainleregarddushérifpassepar-dessusmatêteetilseconcentresurunpointderrièremoi,

l’airsoudainadouci.Jemeretourneetvoismamèredanssonpeignoirrose,lapeaupâle,levisagefermé.Ellen’estqu’unfantômedesportraitsd’elleaccrochésauxmursdenotreentrée.«Toutvabien?»demande-t-elleenrougissant.Jamaiselleneseseraitlaisséevoirdanscettetenuedanssonétatnormal.Elleresserrelaceinturedesonpeignoir,passelesdoigtsdanssescheveuxbrunsemmêlés,etseforceàsourire.«Jesuisdésolée,John,jesuisunpeumalade.Est-cequ’Erint’aproposéunpeudethéglacéoudelimonade?»SonaccenttraînanttypiqueduSudestplusmarquéqued’ordinaire.Ilyaprèsdetrenteansqu’elleaquittélaGéorgiepourleTexas,maisl’accentrefaitparfoissurfacequandelleestexcitéeounerveuse.

«Jesuislàpourl’enquête,Caroline»,répondleshérif,etsontonn’estpassec.«Jecherchelepick-uprougedeDerek.

—Oh,ilestrestéuneéternitédanslegarage,maisilafiniparlefaireréparer.»Elleredresselesépaulesetsonregardseposesurmoi,pleind’inquiétudeetdequestions,desquestionsauxquellesjenepeuxpasrépondredevantleshérif.«Erin,ilmesemblequetudoisalleràl’entraînementouàtapréparationpourleconcours,non?»Jecomprendsquec’estunsignalpourmepermettredem’échapper,maisjenesuispasàl’aiseàl’idéedeleslaisserseuls,elleetCaleb.Ellejetteunœilaushérif,etsonvisagen’exprimeplusdepeur,seulementdeladouleur.Àquoipouvaitbienfaireallusionleshérif,toutàl’heure?

«Jepeuxresterencoreunpeu...—Non,machérie,çavaaller.»Lesnœudsdansmonventreseresserrentetjemeforceàrespirer

aussiprofondémentquepossible.Laportequidonnesurnotrepetitjardins’ouvre,etnousnousretournonstouslestrois.Monpère

apparaît,lacolèreémanantdetoutsoncorps,depuisl’angleraididesesépaulesjusqu’àlalueurrageusedanssesyeux.«Qu’est-cequetuveux,Shérif?»Safaçondeprononcerlemot«shérif»estpleinededérision.Sonregardsetourneversmamère,etsesjouesseteintentderouge.«Etsituallaistechanger,Caroline?Erinetmoi,ons’occupedeça.»

Mamèrehochelatête,maissonregardestvide.«Ilaraison.Jereviens.»Ellesouritaushérif,quiladévisage,latêtepenchée,l’airdépassé.«Prendsdoncunpeudelimonade,John,puisquetueslà.Erinvat’apporterça.»Ils’approchedeluid’unpasmenaçant.«Maisjesuisàpeuprèssûrquelaloinet’autorisepasàdébarquerchezmoiàl’improviste.

—J’aiunmandatpourfouillertonpick-up.—Fais-toiplaisir,ilestlà,danslegarage.Maisvousl’avezdéjàfouillé,jeterappelle,commema

maisonetmonchaletdanslesbois.Vousn’avezrientrouvé.»Monpèreposesamainsurmonépaule,ungestequiseraitrassurants’ilneserraitpassifort.Peut-êtrequ’ilessaieseulementdeserassurerlui-même.Leshérifsortsansrépliquer.

Jen’osepasleverlesyeuxversmonpère,maislesmotss’échappentdemeslèvresavantquej’aieletempsd’yréfléchir.«Ilvarientrouver,hein?»Àpeinej’aiposélaquestionquiflottaitauxlimitesdemonespritquejevoudraispouvoirremonterletempsetgardercesmotsenfouisàl’intérieur.Leregarddemonpèresevoilededégoût.

Ilpenchelatêtecommepourjaugercequejeviensdedemanderetcequ’ilvarépondre.«C’estunequestionquej’attendraisden’importequi,maispasdufruitdemesentrailles...Avec

toutcequevittamèreencemoment,jesuisdéçudevoirquetuprendsçaàlalégère.»Sesmotsmefrappentàl’estomac,etsontonfroidmescindelecœurendeux.Avantmontreizièmeanniversaire,ilsemontraitaffectueux.Ilvenaitmechercheràlasortiedel’école,iljouaitavecmoiquandmamèrenesesentaitpasbien,ilm’aapprisàfaireduvélo.Ilavaitdéjàdessautesd’humeurs,maisriendecomparableàcesjours-ci.Aprèsmontreizièmeanniversaire,c’estcommesiquelqu’unavaitappuyésurun

interrupteur,etsoudainplusriendecequejefaisaisn’étaitassezbienpourlui.Nimesexcellentesnotes,nimavictoireenconcoursdemiss,nimeseffortspourmaintenirunsemblantdepaixàlamaison.

Jebaisselesyeuxausol,puislesremonteverslui.J’aiétééduquéeàregarderlesgensenfacepourm’excuser.«Jesuisdésolée,j’ai...J’aivu...»Jen’arrivepasàempêchermavoixdetrembler.

«Tuasvuquoi?»Ilsemblevraimentnepassavoir.D’uncôté,çamerassure,maisdel’autre,çan’expliquepassonattitude.Est-cequ’ilcherchaitvraimentàmeprotégerenmettantDimitriengarde?Est-cequ’ilestsimplementàboutàcausedecesdisparitions,commenouslesommestous?

Serait-ilpossiblequejemesoisjustelaisséeprendreaupiègedelafrénésiemédiatiqueetrangéeducôtédesvautoursquis’attaquentàmonpèresansraison?

«Dimietmoi,onétaitdanssonjardincematin,onallaitverslacabane,etonavuKim.Elleestmorte.»Sixmoisplustôt,Kimtraversaitunemauvaisepasseaulycée,etmonpèrel’avaitaidée.Illuiadonnédescoursparticuliers,aparléàsesparentsainsiqu’àl’entraîneusedescheerleaders.Ilavaitplusd’attentionspourellequepourmoi.

Sonvisagepâlit.Samaindroiteattrapemonbrasetsecrispe.Jegrimace,maisilnemelâchequequandjerecule.

«C’estimpossible.Impossible.»Larideentresessourcilssecreuse.Ilregardenerveusementendirectiondel’horloge,puisdujardin.«Jevaisallersurveillerleshérif.Onnesaitjamaiscequ’ilpourraitplanquerdansmavoiture.»Savoixaquelquechosederobotique,ilal’airsouslechoc.

«Vavoircommentvatamère.Tonfrèreestàlamaison?—Oui.»Ilsedirigeverslaporte,maisseretournebrusquement.Sonindextapesurseslèvresunefois,deux

fois,trois.«Jedevraispeut-êtreacceptercetteinterviewpourNTZ...—Hein?»Jepourraisdifficilementêtreplussurprise.Commentest-cequelaconversationapu

passerdelamortdeKimàcetteinterviewqu’unegrandechaînedetéléluiréclamedepuisdessemaines?

Ilpasselamaindanssescheveux,cequ’ilnefaitquerarement,puiss’appuiecontrelemur.«Onpourraittoutperdre.Lelycéem’asuspendu,maisilspourraientaussibienmelicencier.Tonavenirestenjeu,tamèrevamal...J’aibesoinderétablirlavérité.

—Çapourraitaussiempirerleschoses...»Sideslèvrespouvaientexprimerunedéceptionmortelle,lessiennesenseraientleparfaitexemple.

Cen’estpastellementdanslamanièredontilpinceleslèvres,quedanslacourbequ’ellesdessinent.Apparemment,jen’aipasétééduquéeàsavoirquandfermermabouche.Monpèremecongédied’ungestevaguedelamain.«Évidemment,j’auraisbesoindevousavoir

tousàmescôtés,pourmontreraumondequevousmefaitesconfiance.Jesuisunbonpère,etj’étaisunbonprofesseur,avantquelelycéenedécidedesesoucierduqu’en-dira-t-onpourjenesaisquelleraison.Etleshérifadesraisonspersonnellesdes’acharnersurmoi.»Puis,sansmelaisserletempsdefaireunenouvellegaffe,ilsort.

Ettoutceàquoijepense,c’estqu’iln’apasréponduàmaquestion.Dis-moiquetun’espasmêléàtoutça...

CHAPITRE27–DIMITRI

Lepostedepolicecommenceàdevenirunendroitunpeutropfamilieràmongoût.Andrewréussitàmefairesortirsanstropdedifficultés,notammentparcequed’aprèslespremièresanalyses,Kimestmortehierdansl’après-midipendantquejemefaisaisinterroger.

Jen’auraistoutsimplementpaseuletempsdelatuer.Aujourd’hui,leshérifs’estmontrémoinsvindicatifqu’hierdanssoninterrogatoire.Iln’apasarrêté

dementionnerlepèred’Erinetdemedemandersijel’avaisdéjàvuperdresonsangfroid.Jen’aipasmenti,etjel’aientendudirequ’ilavaitbesoinderevoirDerek,lepèred’Erin.Erinnem’ajamaisparlédecettehistoireentresonpèreetleshérif,etjemedemandeencoreune

foiss’ils’agitjusted’unevendetta,oubiensileshérifaflairéquelquechose.Notrerueestredevenuecalme.Lepérimètreesttoujourssécurisé,maislesvoituresdepoliceont

disparu.LavoituredeNadian’estpluslànonplus.Ellem’aenvoyéunSMSpourmeprévenirqueles

cheerleadersseretrouvaientaulycéepourveillerensembleetdéciderquoifaireàproposduhomecoming.Monpèreainsistépourqu’ellenesedéplacepasseule.

J’écrisàNadia.Jesuisrentré.Toutvabien,t’inquiètepas.Puisj’appelleErin,quidécrocheàladeuxièmesonnerie.«T’esoù?—Chezmoi.Toutvabien,maisj’aientenduleshérifdirequ’ilallaitrepasserchezvous.—Oui,ilestdéjàlà,ilfouillelepick-updemonpère.J’aipenséàalleraulycéeaveclesautres

cheerleaders,etpuisensuiteJennam’aappeléepourmedemanderdeveniràlarépétitioncesoir,maisjepeuxpas.J’arrêtepasdepenseràRacheletàKim.Enplus,monpèreestcomplètementàcran.»J’entendsdubruitauboutdelaligne.«Pardon,jefaisunpeudeménage.MonpèreaeulabrillanteidéededonneruneinterviewàNTZcetaprès-midi,parcequ’apparemmentilnepensepasqu’onaassezdeprojecteurssurnouscommeça.Çaseradiffusécesoir.»

Jevoudraispouvoirannihilerlatensiondanssavoix.«Tuesunefuturemiss,jecroyaisquetuadoraisça,lesprojecteurs.

—Trèsdrôle»ironise-t-elle,légèrementplusdétendue,etj’ail’impressiond’êtreungéant.«Tuvasaudîner,cesoir?

—Ledînerchezl’entraîneur?Ouais.Cettefois,ilainvitétouslesjoueursetleursfamilles.Nadiavaessayerdevenir,monpèreyseraaussi.

—CarlosenaparléàAudrey,ellevapeut-êtreyaller.—C’estàquelleheure,votreinterview?»jedemandeaveccinquantenuancesdepeine,carellea

encorel’airtroptriste.«Jesaispastrop...J’aitellementpasenvie!Bon,jedoistelaisser,Calebm’appelle.Amuse-toi

biencesoir.—Jevoudraisquetusoisavecmoi.»Ellelâcheunpetitbruit,nonpasderegret,maisd’amusement,commesiellen’encroyaitpasses

oreilles.«Oui,monsieurl’entraîneurassistant,moiaussi,jevoudraisêtreavectoi.»Ellen’aaucuneidéedecombiensesmotsm’excitent.«Àplustard,minus.»Monpèreetmoipassonsl’après-midiàréparerdesvoituresdansunsilencelourd,àpeineponctué

çaetlàparungrognementouunequestiontechnique.Quandj’étaisplusjeune,jepensaisquemonpèreétaitl’hommeleplusgrand,leplusfort,leplusintelligentsurTerre.Quandmamèreestmorte,elleaemportéunpeudecetteimageidéaliséeavecelle.Nonpasparcequ’ilaéclatéensanglotsàsonenterrement,qu’ilamisdutempsàseremettredesondeuil,ouparcequ’iladûdemanderdel’aide(aucontraire,jeluiensuisreconnaissant).Non,seulementparcequ’ilachangé.Danslesmoisquiontsuivilamortdemamère,ilaprisunpeusesdistancesavecnous,commesinotreprésenceétaitsourcededouleur.Unchangementtemporaireetàpeineperceptible,maisquiasuffiàmefairecomprendrequemonpèren’étaitpasaussiindestructiblequejelepensais.

Depuis,ilestredevenului-même,puissancemille.Aprèsquelquesheures,monpèredécidequ’ilaasseztravaillé.«N’oubliepasledînerchez

l’entraîneurMiller,cesoir.J’aiappelé,c’estbienmaintenu.LesMillerpensentqueçavaaiderlesgensàresserrerlesliens.»Ilessuiesesmainspleinesdecambouissursonjean.«CommentvaErin?

—Pastop.Sonpèreveutfaireuneinterviewavectoutelafamillesurunechaînenationale.»Monpèrejureentresesdents.«J’aijamaiscompriscequilerendaitsimégalo.—Commentça?—Non,rien.J’aimeraisqu’ilpenseplusàsesenfants,voilàtout.Oubliecequej’aidit,c’étaitun

commentairedéplacé.»Ilrouledesépaulesetcommenceànettoyersesoutils.«Tuasparléàl’entraîneurdelapossibilitédefaireuntransfertversl’Universitéd’ÉtatduMidwest?Jesaisquec’estuneéquipededivisionII,maisçatedonneraitunechancedejouerunpeu.

—L’entraîneurm’enaparlélui-même.Ilaunamilà-bas,ilditqu’ilseraitprêtàappuyermacandidature.Jel’aiaussiprévenuquej’avaisrendez-vousavecunrecruteurdel’UniversitéBowie,dansleMaryland.

—ErinestaucourantquetuveuxabandonnertonrêvedejouerauTexaspourelle?—Rienàvoir...»jeproteste,tropvite.«Écoute,jemedoutequetun’espasprêtàtraverserlepaysjustepourgarderunœilsurtasœur,et

laseuleautreraisonquejevoispourtefairequitterleTexas,c’estunefille.»Ilprononcecederniermotd’unevoixmaladroite.Iln’ajamaisétédouépourparlerdesentiments,mêmes’ilafaitbeaucoupdeprogrèscetteannée.Unefois,ilnousaditqu’ilnepourraitjamaisremplacernotremère,maisqu’ilvoulaitquandmêmenousdonnerl’encadrementetlesoutienqu’ellenousauraitapportés,alorsaprèsquelquesmoisdedésespoir,ilacrééunplanningtrèsstrictderepasenfamille,avecdînersensemaineetbrunchsleweek-end.Ilnousaapprisàcuisinerlesrecettesrussespréféréesdenotremère,etaprèslerepas,ilrestaitavecnousàdiscuter,àdemandercomments’étaitpassénotrejournée,àseteniraucourantdenosnotescommedenosrêves.

Çan’étaitpasfacilepourlui,maisilétaitlà.«Bref...»Jemefrottelanuque.«Jesaispascequeçavadonner,toutça.Maréputationestpas

reluisante...—Tuastropbuettuaseuunaccident.»J’expireenpensantàtouteslesconneriesquej’aipufairedanslepassé.«J’aiaussiprovoquédes

bagarresaprèslesmatchs...»Monpèremetouchel’épaule.«C’étaitjusteaprèslamortdetamère,tuavaisledroitd’êtreen

colère.—Maistum’astoujoursditquelaviolencen’estpasunesolution.—C’estvrai,maistusaisquoi,Dimi?Moi,monpèrem’atoujoursditquejedevraism’intéresser

àd’autreschosesquelefootball,développerd’autrespassions.

—Tuaimeslesvoitures.—Oui,c’estvrai,j’ailamécanique,maisj’aimeaussil’histoireetl’Égypte.Alorsj’aidécidéde

m’inscrireàdescoursàl’universitéducoin,quandtasœurettoiserezpartispourfairevosétudesetvospropreserreurs.

—Jecomprendspasoùtuveuxenvenir.»Jemefrottelanuque.«Jesaisbienquetunesuivraspastousmesconseils,quetuneprendraspastoujoursles

meilleuresdécisionsselonmoi.Maisc’estpasgrave,parcequepeuimportenttesdécisions,jeseraitoujourslàpourtoi.Maintenant,vatedoucher,parcequeMmeMilleraététrèsclaire:ellerefusequesamaisonsentelevieuxvestiaire,etlà,tuempestes.»

LamaisondesMillern’estpasparticulièrementpetite,maisunefoisqu’onyaentassétouslesjoueursdel’équipe,leursfamillesetleurspetitescopines,onseretrouveunpeuàl’étroit.Certainesdescheerleaderssontvenuesaussi.Shawnapleuredansuncoin,réconfortéeparMmeRodriguez,leurentraîneuse.

«Dimi!»Nadiam’appelledepuislacuisine,oùelleaideMmeMilleràpréparerlecoleslawavecLiam.«Viensterendreutile,unpeu!»Sesyeuxsontrouges,savoixtremble.Liamluiembrasselajoueetluimurmurequelquechose.

Enpassant,jefrôlel’entraîneur,quisetourneversmoi.«Mercid’êtrevenu.C’estmoche,cequiestarrivéàRacheletKim.C’étaitdeuxgentillesfilles.»Saproprefilletraverselesalonencourantetillaregarde,pleind’inquiétude.«Ellesontétédespetitesfilles,ellesaussi...C’estcomplètementdingue.J’aipenséàannulerledîner,maisjemesuisditquelesgensavaientbesoindesevoir,dediscuter,quecesoitdesdisparuesoudefootball.Oubliersansoublier.»Ilseraclelagorge.«Aufait,tut’esbiendébrouillé,vendredi.

—Merci,Coach.»Ilhochelatêteetprendsafilledanssesbras.Ellemesourit,etsescheveuxbouclésdansentautourdesonpetitvisage.«Shawnaveutpasjouer!»seplaint-elle,etl’entraîneurlaserrefortavantdelareposerparterre.«Jevaisvoirsijeretrouveledessinquetuascommencécematin,d’accord?CommeçatupourraslefiniretledonneràShawna,çaluiferaplaisir.»Ilmefaitunsigneavantdes’éloignerverslesalon.

Danslacuisine,sonépousejongleavecdesplatsdébordantdehamburgersetdessaladiersdechips.«Ilfautquej’yretourne.Vousvouschargezdessalades?»

LiametNadiaacquiescent.Nadiaemporteunesaladeausalon,puisrevientdanslacuisine.Ellemedonneunpetitcoupdehanche.«Commentçava,toi?

—Bof,jesoupire.Ettoi?»Elleattrapeunautresaladier.«Bofaussi.Laréuniondescheerleaders,c’étaitsinistre,etpuis

Shawnaarrêtepasdepleurer.Jeluiaiditderentrerchezellemaisellerépètequel’équipe,c’étaitimportantpourRacheletKim,qu’elless’yéclataientvraiment.Alorselleveutqu’onparticipeauhomecoming.

—Hum,jesuispastropd’accord.Jepensequ’ondevraitévitercegenred’activitéstantqu’onaurapasarrêtéletueur.D’aprèsleshérif,letueurestentraindemonterenpuissance,ilatteintunnouveauniveaudeviolence.Ilpensequelesmeurtresnes’arrêterontpastantqu’onnel’aurapaschopé.»

MmeLowry,lamèredenotrequarterback,approche.Sescheveuxchâtainsnebougentpasd’unpoucequandellesedéplace.Mamèremerépétaitquecesréunionsétaientimportantesaussipourlesparentsdesjoueurs,queçadevenaitunesortedesoiréemondaine.MmeLowryseforceàsourireetsesdoigtsjouentavecsoncollierdeperles.«Tuasbeaucoupimpressionnél’équipe,Dimitri.Tulesmotives

ettulespoussesàsedépasser,ilst’adorent.»Ondiraitqu’elleessaiedefairecommesic’étaitundimanchesoirnormal,etsiçal’aideàtenirle

coup,alorsjevaissuivresonexemple.«Ilsmedétestent,vousvoulezdire!Jelesaiforcéàcourircinqkilomètresdeplusparcequ’ils

étaientarrivésdeuxminutesenretard.—Bah,çanelestuerapas.»MmeLowryhausseuneépauleetgoûtelecoleslawposédevant

d’elle.«Parfait.»Elleglisseunecuillèredeservicedanslesaladieravantderepartirausalon.Nadias’appuiecontreleplandetravail.«J’aiparléavecErinaprèslaréunion.NTZvabientôt

commencerl’interview,etilsladiffuserontcesoirà9heures.»Ellejetteunœilàl’horlogesuspendueentredeuxtrophées.«Elleflippeàmort.

—Quoi?Quelleinterview?»Audreynousrejointdanslacuisine,suiviedeprèsparCarlos,quiladévoredesyeuxcommes’iln’enrevenaittoujourspasdesortiravecelle.Endehorsdescompétitions,Audreyatoujoursl’airmalàl’aisequandilyadumonde,maisaujourd’hui,ellesembleunpeumoinsraidequed’habitude.

Nadial’enlacebrièvement.«Lepèred’Erinarientrouvédemieuxquesedonnerenspectacleàlatélé,etavectoutesafamille,biensûr.»

Audreygrimace.«Toutesafamille,hein?»Elleprendunegorgéeduverred’eauqueluitendCarlos.«Erindoitflipperàmort.

—C’estexactementcequejedisais!»Nadiasecouelatête,etseslongscheveuxvolentautourdesatête.«J’arrivepasàcroirequ’illeurfassesubirça.Lafamille,çadevraitpasseravanttout.MmeHortzestpasenétatpouruneinterview,etErinajustepasenvie.

—C’estincroyabledefaireçaàsaproprefamille»,approuveAudreyenattrapantunbrowniequ’ellepasseàCarlos.«Aufait,jesuisdésoléepourKim.Jelaconnaissaispastrop,maiselleavaitl’airsympa.»

NadiaclignerapidementdesyeuxetagrippelamaindeLiam,quilatireverselleetpassesesbrasautourdesataillepourqu’ellepuissesereposercontrelui.Ilestlàpourelle,commejevoudraisêtrelàpourErin.

Audreycontinue:«J’aidûalleràlarépétition.Jennas’inquiétaitpourErin,oupeut-êtrequ’elles’inquiétaitjustepourleconcours,enfait.Vasavoir.»Sesépaulessetendent,etellesetourneversmoi.«Commentçava,vous?»Samaintouchemonavant-bras.«C’estdingue,leshérifs’acharnecarrémentsurtoi!

—Leshérifestungroscon,laisseéchapperNadia.—Vas-y,lâche-toi!»jerépondsenessayantdefaireretomberunpeulatension,carlefaitdevoir

masœuraussistressée,tristeetinquiètenefaitqu’ajouteraupoidsquimecomprimelanuque,lesépaules,ettoutledos.

AudreyseretourneversNadiapourluiparlerduhomecoming,puisellediscuteencoredeJenna,etensuitejenefaisplusattention,l’esprittropoccupéàrejouerleshorreursdontj’aiététémoin.UnfrissonmesaisitlacolonnevertébraleenmesouvenantqueRachelestalléedroitautueurenpensantmevoir,moi.

«Dites,sijamaisvousrecevezuntextodemoiquivousdemandedemeretrouverquelquepart,vousm’appelez.Vousbougezpasavantquejevousledisedevivevoix.»Mesmotsseprécipitent.Personneneprotesteounefaitsemblantdenepascomprendre.

Jem’éloigned’euxenprétextantuneenviedeCocaLight.Carlosmesuitpourallerdiscuteraveclerestedel’équipe,réuniesouslepatio.

Jem’efforcedegarderlecontrôle,denepaslaisserlapeurmesubmerger.«Tuasétésuperbonvendredi,Carlos.Tapassedutroisièmequart-temps,incroyable!Parcontre,ilfaudrabossersurtonjeudejambes.

—Entendu»,répond-ilavantderetrouverSean,notrequarterback.Jemelaissetombersurunechaise,etl’espaced’uneseconde,j’imaginecommentceseraitd’êtreentraîneur.Jemedemandesijedevraisconsacrerplusdetempsaudessin,oubiendevenirentraîneuretpréparerdesjoueurspourlaNFL.

Liamtireunechaisepours’asseoiràcôtédemoi.D’ici,nouspouvonsgarderlesyeuxsurlacuisine,oùAudreyposeunemainréconfortantesurl’épauledeNadia.Liamaarrêtélefootballaméricainl’andernierpourseconsacrerplutôtaufootballeuropéen.Ilavaitbesoindefaireunchoixentrelesdeuxpourpouvoirpasseraumoinsunsemestreàaméliorersesnotes.Certainsl’ontdétestéd’avoirabandonnél’équipe,mais,fidèleàlui-même,ilasimplementfaitcequ’ilpensaitêtrelemeilleurchoixsanscéderàlapression.

«Commenttuvas,envrai?»Savoixestgrave,maisbasse.Seslunettesglissentsursonnez.Ilneporteseslentillesquepourlesmatchs.

«Envrai?J’alterneentrepastropmaletsupermal.»Jeneluicachepaslavérité.Entrenous,çaaplutôtmalcommencé.QuandilacommencéàsortiravecNadia,ilfaisaitencorepartiedel’équipe,ets’ilyabienuntrucquejerefused’entendredanslesvestiaires,c’estdeshistoiressurmasœur.Monpèrepensepeut-êtrequ’onnerésoutrienàcoupsdepoing,maisj’étaisàdeuxdoigtsd’essayerquandmême.

«Ouais,jecomprends.J’arrivepasàarrêterdepenseràcequis’estpassé.C’étaittropdurdelaisserNadiapartirpoursonentraînementavecShawna.Jel’aisuivie,alleretretour...»

L’entraîneurMillerdébarquedanslesalon.«Est-cequejepeuxavoirl’attentiondetoutlemonde,dehors?»Ilmefaitsignedelesuivre.

«Surveillelesfillespourmoi»,jedisàLiamavantdesortir.Là,toutdesuite,toutal’aircomplètementirréel:l’équipe,lesdiscussionsavecdesrecruteurs,

monavenir.Pourquoiest-cequejetenaistantàresterauTexas?J’aidesflashbacksducorpsdeKim,sesyeuxouverts,lesangcoagulésursagorgeetsajoue.SijedéménagesurlacôteEst,est-cequejeréussiraiunjouràoubliercequej’aivu?

Oubienest-cequelamortetl’horreurresterontgravéesàjamaisdansmonesprit?

CHAPITRE28-ERIN

Entantquecheerleaderethabituéedesconcoursdemiss,j’ail’habituded’êtresurscène,faceàunpublic,etdefairesemblantdem’éclatermêmequandlespenséesquitourbillonnentdansmatêtenesontqu’inquiétudeettristesse.

Maispendantquel’équipedelatéléinstalleleséclairagesetlescamérasdansnotresalon,lesnerfsaucreuxdemonventreseresserre,encore,encore,etencoreplus.

C’estunemauvaiseidée.Calebnetientpasenplace,ilsautesurlescoussinsenignorantmonpèrequiluidemandedesa

voixlaplusstricted’arrêter.Mamèren’estpasàl’aise,etellesemordillelepouceenjetantdesregardsverssachambre,espérantpeut-êtrepouvoirdisparaîtrederrièrelaportefermée.Monpèrealetracmaiss’efforcedeparaîtreenjoué.

Cequiestcarrémentdérangeantsachantqu’ils’agitd’uneinterviewàproposdejeunesfillessauvagementassassinées.

MonportablesonneetmoncœurgalopeplusvitequelesmustangsquicouraientencoreenlibertéauTexasilyaquelquessiècles.Ilnesecalmemêmepasenvoyantlenomd’Audreyclignotersurl’écran.Etsic’étaitquelqu’und’autre?Jerépondsd’unevoixméfiante.«Salut.

—C’estmoi»,annonceAudreycommesielleavaitpressentimonstress.«JesuischezlesMilleravecCarlos,etNadiam’aracontépourl’interview.

—Oui,latéléestdéjàlàpourtoutinstaller.»J’observeAbby,lajournaliste,quiparleavecmonpère.Enarrivant,ellenousademandéàtouscommentonsesentait,l’airsincère.Maismaintenant,c’estboulot-boulot.

«Aujourd’hui,JennaaditqueçaseraitbiensitupouvaisparlerduconcourssurInternet.—Hein?—Oui,elleditquetouslesyeuxserontbientôttournésverstoi,etquetupourraisutilisercette

nouvellenotoriétépourfaireunpeudepubàsonbusinessetauconcours.»Audreys’éclaircitlavoix.«Ouais,jesais...Elleavaitl’airàl’ouestaujourd’hui.Sonex-fiancés’estre-fiancéàsonassistante.Apparemment,c’étaitsamaîtressedepuisdesannées.Jennaétaitmêmepasmaquilléeaujourd’hui,t’imagines!»

Jennaestpeut-êtredureavecnous,maisj’aitoutdemêmedelapeinepourelle.Enfin,pasassezdepeinetoutdemêmepourfairecequ’elledemande.«J’évitelesréseauxsociaux,encemoment.Çafaitdessemainesquejemesuispasconnectée.J’aidéjàassezdemalàgérerlaméchancetédesgensdanslavraievie.

—Jecomprends,t’inquiète.Jevoulaisjusteteprévenir,parcequequandellevasavoirquetupassesàlatélé,ellevaencoreplustetanner.

—Jesaismêmepassijevaismeprésenterauconcours,finalement...Çaparaîttropbizarre.»Jebaisselavoixpourqu’Abbynem’entendepas.Elleaditquejepouvaisluifaireconfiance,maisjepréfèreresterprudente.

«Etlabourse?»Jesoupireetfixeunetachesombresurlamoquette.«Oui,ilm’enfaudraituneautre...Jesaispas.—Tusaisquejesuislà,situasbesoindeparler...Carlosvabientôtmeramener.Mamèrevade

pireenpire,elles’inquiètetropàcausedecequisepasse.—Etmoi,monpèrenes’inquiètepasdutout,commes’ilnesepassaitrien.—Lafamille,c’estcompliqué...Onseparleplustard,d’accord?—D’accord.»Jeraccrocheetmelaisseallerdanslecanapé.Calebparleàuncaméramanquilui

expliquecommentfonctionnelacaméra.Ilal’airdétendu,maisjenepeuxpasm’empêcherdepenserquecetteinterviewvatourneraudésastre.

J’envoierapidementunSMSàNadiaetDimitri.Lajournalisteestlà,elleditderesternaturelfaceàlacaméra.Passûrquecesoitunebonneidéedansmoncas.Jelèvelesyeux.MonpèresemblefascinéparAbby.Elleadelongscheveuxbruns,lissesetbrillants,etsarobeflattesasilhouettesansenfairetrop.Elleal’airsophistiquéemaisaccessible.Monpèreéclatederireetlaissetombersamainsurlegenoud’Abby.J’enaiunhaut-le-cœur.Sionjouepaslacomédie,toutlepaysvavoirqu’onestunefamillecomplètementdysfonctionnelle.Legrosflip.

Souviens-toi,l’annéedernière,tuastrebuchésuruneautrefilleettuasquandmêmegagnéleconcours,répondNadia.

Ettuestombésurtesfessespendanttonpremiermatchentantquecheerleaderettoutelafoulet'aencouragée.

«Erin,donne-moitontéléphone»exigemonpèreentendantlamain.«Mais...—Situfaisaisunpeuattention,tuauraisentenduAudreyexpliquerquelesportablescréentdes

interférences.Donne-moiça.»Jeluitends,bienmalgrémoi.Ilselèveetleplacedansunpanierdéjàpleindebazardansla

cuisine.LesyeuxdeCalebsuiventnosmouvements,etseslèvrestremblotent,maislecaméramanmesourit.

Ils’accroupitdevantmonfrèreetpropose:«Guerredepouces?»Calebhochelatêteenpouffant.Pendantquemamèreoffreduthéglacéàtoutlemonde,monpèrecontinuedeflirteravecAbby.

Cettesituationn’aaucunsens.Onsecroiraitsurleplateaud’uneémissiondetélé-réalitédébile,genre«BienvenuechezlesHortz»,commesitoutlemondeoubliaitqu’onestcensésprépareruneinterviewsérieuseàproposdessoupçonsquipèsentsurmonpèredansuneaffairedemeurtres,lesmeurtresdeplusieursjeunesfillesquejeconnaissais,quiavaientdesfamilles,etquileurmanquentsansdoutechaqueminutedechaquejour.

Lajournalistesedétournedemonpèreettapotequelquechosesursontéléphone.Ellesembleavoirpâlid’uncoup,etl’espaced’uneseconde,oncroiraitqu’elleaenvied’êtren’importeoùsaufici.Elleinspireprofondémentpuistournesesyeuxbrunsversmamère.«Merciencoredenousaccueillirchezvous.

—Maisderien.Sivousavezbesoindequoiquecesoit,n’hésitezpas.»Toutlemonden’auraitpasperçulafatiguedanssavoix,maisAbbyaledondel’observation.«Vousallezbien,MadameHortz?Votremarimedisaitquevousavezdesproblèmesdesommeil.—J’aiquelquesproblèmes,oui.»Abbyneloupepasnonplusledoublesensdecetteréponseet

lèveunsourcil.Mamèrefaittoujoursensortedesemontrersoussonmeilleurjourensociété,maispeut-êtreque,pourunefois,ellevaserendrecomptequesiellemontraitsesfaiblesses,toutlemondenes’enporteraitquemieux.C’estdifficiledemarcherdanslespasd’unparentparfaitquandonsaitquecespasneconstituentqu’unmirage.

Calebremercielecaméramand’avoirjouéavecluietvientversmoiencourant.Ilseblottitcontremoitandisqu’Abbys’assiedsurlefauteuilfaceànous.«Mercibeaucoupd’avoiracceptédeparticiperà

l’interview.—C’estpascommesionavaitlechoix...»Abbyhausseuneépaule.«Tusais,parfois,cequicompte,cen’estpasleschoixqu’onfait,maislesobjectifsqu’onse

fixe.»Elleal’airrésignée.«Ilyapeut-êtrequelqueschosesquineteplaisentpascesoir,maissachequejecherchejusteàfaireconnaîtrelavérité.»

Sesmotssonnentenmoiunealarmeplusbruyantequ’uneéquipedecheerleadersquiencourageraitsonéquipeenfinaleduchampionnat.

«Qu’est-cequevousvoulezdire?—Quelavéritén’estpastoujoursjolieàvoir...»Ellesetournepourvérifierl’éclairage,puisses

yeuxplongentdanslesmiens.Jem’agitesurplace.Quandjesuissurscène,jemepersuadequelesspectateursnepeuventpasmevoirtranspirer.Maiscesoir,jepariequecettefemmepeutlittéralementsentirmapeur.Sonregards’adoucit.

Elleportel’indexàseslèvres.«Alors,dis-moitout:est-cequetoncavalierpourlebalduhomecomingt’adéjàofferttonmum?»

Elleal’airtoutefièredeconnaîtrecettetraditiontypiqueduTexas.Moi,jepensaisnaïvementquelesmumsexistaientpartoutauxÉtats-Unisavantdelireunarticledeblogsurlegroupeauquelparticipaitmamère,Momsformums.

«J’aipasdecavalier»,jerépondsenmemordantlalèvrepournepasajoutersèchementquej’aid’autreschosesentêtequelefestivalduhomecoming.

«Queldommage.»Sonsourires’évanouit,maiselleaunelueurmanipulatrice,presquedérangeantedanslesyeux.«J’aientendudirequetusortaisavecunancienjoueurdel’équipedefootball,celuiquiaétéblessédansunaccidentparcequ’ilavaitbu...»

Saformulationlaissepenserqu’ellesedélectedecetteanecdote.Commesiellevalaitmieuxquenous,avecsonaccentdelacôteEstetsesonglesparfaitementmanucurés.Maisellen’estpaslaseuleàsavoirfairedesrecherches.Dèsquemonpèrem’aparlédecetteinterview,j’aitapélenomd’AbbysurGoogle.L’annéederrière,elleafailliperdresonboulotquandsonmariafuilascèned’unaccident.J’aitrouvédesphotosd’elleenlarmesàlasortied’unrestaurantavecsesamis.Elles’estretrouvéeaucœurduscandale,etj’aieumalaucœurenlisantlescommentairessousunarticlequiparlaitd’elle.Laplupartétaientcarrémentméchants.Elleadisparudel’antennejusqu’àilyaquelquesmois,oùelleaprislesrênesd’unenouvelleémission,Lesvraiscrimesdel’Amérique,quis’annoncecommesachancedeserefaireunnom.Jenecomptaispasmentionnercettehistoire,maisquelquepart,lefaitd’utiliserlepassédeDimitripourl’interviewmeparaîtbienplusminablequed’utilisersaproprehistoirecontreelle.

«Oui,ilavaitbu,maisheureusement,iln’ablessépersonned’autre.Celadit,jesuissûreques’ilyavaiteud’autresblessés,iln’auraitpasfui,lui.»Elletressailleunquartdeseconde,etj’ail’impressiond’êtrelareinedesgarces,maisaumoins,elleselèveetnouslaissetranquille.

«Erin,restecourtoise»,sifflemonpèreenbroyantmespoignetsdanssesdeuxmains.Ilinclinelatêtecommepourprier,etjegrimacededouleur.«OnnepeutpassepermettredecontrarierAbby,c’estellequichoisiralemessagequ’onvaenvoyer,etcemessage,ildoitêtrepositif.Compris?»Illâcheenfinmespoignetsetjelesmasseenregardantdroitdevantmoi.Cetteinterview,c’estvraimentuneidéedemerde.

Jemesouviensdecettefille,pendantunconcoursdemissilyadeuxans...ElleaoubliéquedescaméraslafilmaientpouruneémissionsurMTV,ducoup,elleaengueulésamèredevanttoutel’Amériqueenluireprochantdenepasêtreassezlàpourelle,alorsquesamèreavaitjustementtoutabandonnépourlasuivresursesconcours.

«Oncommenceàenregistrerdansuneminute,prévientl’assistanted’Abby.Souvenez-vous:ilyauraunpeudemontage,biensûr,maisonveutquel’interviewsoitleplusprochepossibled’undirect.

Onaurapasletempsdefairetrente-sixprises,parcequ’ondoitlivrerleproduitfinideuxheuresavantladiffusionsurlacôteEst.»Ellegribouillequelquechosesursonbloc-notes.«Lachaînevientdediffuserunteaserpourl’épisodedecesoiravecdesextraitsdesreportagesdesseptdernièresannées,depuislepremiermeurtre.Maintenant,impossibledefairemarchearrière.»Ellesetourneversnous.«Erinsevamettreàcôtédesamère,àdroite.MonsieuretMadameHortz,aumilieu,etCaleb,prèsdesonpère.»EllefaitsigneaucaméramanavecunecasquettedesYankees,celuiquijouaitavecCaleb.«Turestessureuxtoutlelong.»

Abbys’installesursonfauteuil,faceànous.Ilyaunecamérabraquéesurelleaussi,etunetroisièmeal’airdeprendreunevued’ensemble.

Abbyselècheleslèvresetlisseletissudesarobe.Sonpiedsautille,etelleinspireprofondément.Sonassistantelèvetroisdoigtsenl’air.«Àl’antennedanstrois,deux,un...»Levisaged’Abbys’adoucit,sesépaulessedétendent,etsonpiedarrêtedebouger.Sesyeux,par

contre,exprimentencoresonstress.«BienvenuedanscenouveaunumérodesVraiscrimesdel’Amérique.IciAbbyMcDaffy.JesuisencemomentaveclafamilleHortz,quenousremercionsdenousrecevoirchezeux.»Ellemontrelesalond’ungrandgeste.«OnabeaucoupentenduparlerdelafamilleHortzcescinqdernièresannées,depuisqueM.Hortz,unprofesseurd’histoireappréciédulycéelocal,estdevenususpectdansl’affairedeladisparitiondeMélanieGordon.Pourtant,àl’époque,M.Hortzétaitloind’êtreleseulsuspect.Malgrédesdizainesd’interrogatoiresavecdeshommesdifférents,aucunn’aétéarrêté.LapetitecommunautélocaleestrestéesoudéeautourdeM.Hortz.LecorpsdeMélanien’ajamaisétéretrouvé,maislapolicepensequ’elleseraitlapremièrevictimedutueurauxailesd’ange.»Savoixsefaitplusdramatique.«Letueurauxailesd’angeestsuspectéd’avoirtuéaumoinshuitjeunesfillescesseptdernièresannées.Sonrythmesembles’accéléreretilpourraitêtreentraindeperdrelecontrôle.Desfamillesdesquatrecoinsdupayssontpersuadéesqueletueurafrappéaussidansleursétats,maisaucunlienn’apuêtreformellementétablipourlemoment.»

Jepeineàcontrôlermonexpressionpourcachermanervosité.JegardemesmainsposéessurmesgenouxetsurveilleCalebducoindel’œil.IlfixeAbby,bouchebée.

Abbyinspireprofondément.«M.Hortzs’esttoujoursmontrécoopératifaveclesforcesdel’ordre.Lapolicel’adéjàinterrogéplusieursfois,etilaétésuspendudesonposted’enseignantl’andernier,quandleshérifalaisséentendrequ’ilétaitdevenusonprincipalsuspect.Depuis,lapolicel’ainterrogéégalementausujetdeshuitautresmeurtres,ycomprisleplusrécent,celuid’unejeunefilledontlecorpsvientseulementd’êtredécouvertaujourd’hui.»

Ellefaitunsignedetêteversmonpère,quis’éclaircitlavoixetsepencheenverslacaméra,unemainsurlegenoudemamère.«Jen’osemêmepasimaginerlecalvairevécuparlesfamillesdesvictimesdecescrimesabominables.Laperted’unenfantdoitêtreunedouleurinsoutenable.ErinetCalebsontcequenousavonsdeplusprécieux.»

Jedoism’empêcherdeleverlesyeuxauciel,parcequ’ilestévidentques’ilainsistépourqu’onfassetouscetteinterviewàsescôtés,cen’estpasparcequ’ilnoustrouveprécieuxouqu’ilestfierdenous.Ils’agitjustedesoignersonimage.

Etdansunsens,j’enaiconscience,etjepeuxmêmeenpartielecomprendre.MaisquandjevoisCalebavachisurlefauteuil,leslarmesauxyeux,jen’aiqu’uneenvie:arracherlemicrophonequ’onaaccrochéàmesvêtementsetmettrefinàcettecomédie.JevoudraispouvoirfairesigneàmonpèredetenirlamaindeCalebpourlerassurer.

Abbyadûliredansmonattitudeetmonregardversmonfrère,carellesetourneverslui.«Caleb,ilparaîtquecen’estpasfacileàl’école,encemoment.Lesautresenfantssontméchantsavectoi?Qu’est-cequetupensesdetoutça,toi?»

Jeserrelespoingscontremescuisses,etjemefichepasmalquetoutel’Amériquepuissevoirlerougequimemonteauxjoues.Commentilsesent?Qu’est-cequ’elleespèreavoir,commeréponse,au

juste?Ilpeineàprendresonsouffle,sesjouessecreusent.«Ça...ça...çap-p-peutaller.»Jeparcourslacuisineduregardàlarecherchedesoninhalateur,

prêteàbondirpourleluidonner.Jeregardemonpèreenespérantqu’ilmettrafinauxquestionsouprendraCalebdanssesbras.Maisilnefaitrien,biensûr.«Ilsd-disentquemonp-p-papac’estunmeu...unmeurd...unmeurtrier.»Ilrespirebruyamment.Ilm’interrogeduregard,etjel’encouraged’unsignedetête.Çavaaller,j’articulesilencieusement,etjevaischerchertoutaufonddemoilaforcedeluisourire.AulieudeseretournerversAbby,ilgardesonregardsurmoi,commesij’étaissonpointderepère.«Etilsd-d-disentquemonpapavametueraussi.»

Moncœurdescendsixpiedssousterre.Mamèresepenchepar-dessusmonpèrepourattraperlamaindeCaleb.Monpèreserendenfincomptequ’ilestcenséréagir,alorsilenrouleunbrasautourdeCaleb,etpassel’autreautourdemamère.

«Etqu’est-cequetuleurréponds?»demandeAbbyavecuneempathiequejepensesincère.«Quec’estpasvrai!—Pourquoi?—Parcequec’estmonpapa!»Etiltourneversmonpèreunregardpleind’amourinconditionnel,

unregardquej’aisûrementdûavoir,moiaussi.MaismonpèredevraitremarquerqueCalebapâli.Sarespirationsiffle.Lapaniquemontedansmapoitrineetl’enserresifortquej’ail’impressiondeneplussavoir

respirer,moinonplus.«Ilabesoindesoninhalateur.»Mavoixestplushautequed’habitude,maisjem’enfiche.Jemelève,horsduchampdelacaméra,etvaisdanslacuisine.«Vienslà,Cal.»Abbynedemandepasàl’équipedesuspendreletournage,etunedescamérasserapprochedenous,probablementpourzoomersurlevisagedeCalebavecsoninhalateur.

Jeluicaressedoucementlefronteninsultantintérieurementmesparentsquin’ontpassuvoirlessignesquiannonçaientlacriseetquinel’ontpasaidé.Ilestpresquecomplètementdébarrassédesonasthme,maintenant,saufquandileststressé.Etdetouteévidence,ilestplusstresséquejamais.

Abbyreprendlecontrôledelasituation.«Voilàlevisagedelapeur.Lapeurdenepassavoirsidemain,lesgensvousregarderontdifféremment.ParcequepeuimportecequeM.Hortzafaitoupas(etnouscomptonsbienenquêter),est-cequesesenfantsousonépouseméritentvraimentd’enpâtireuxaussi?Donnez-nousvotreavissurTwitteraveclehashtag#lesvraiscrimes,etvotremessageserapeut-êtrediffusépendantl’émission.Àtoutdesuite.»

J’attendstroissecondesavantdeparler.«Calebdevraitallersereposer.Ilapasbesoindetoutça.—Jesuisd’accord»,approuveAbby.Jesuissurprisequ’elleneprotestepas.«Lepublicne

comprendraitpasquejelegardesurleplateauaprèscequis’estpassé,detoutefaçon.»Biensûr...J’auraisdûmedouterquesacompassionn’étaitqu’unehistoired’apparenceset

d’audimat.J’envoieCalebdanssachambreenluipromettantdeluilireunehistoireplustard,etjereprendsmaplacedanslecanapé.

Abbynousexpliquequ’aprèscepremiersegment,ilsenverrontunrécapitulatifdel’affaire,encommençantparKatherine,lafillequiadisparujusteavantMélanie,etlapremièrevictimeàavoirététrouvéeavecuneailed’angegravéesurlajoue.«Vousvoulezunpeud’eau,peut-être?»demande-t-elle.Noussecouonstouslestroislatête.Mesmainssontmoitesetj’aiunebouledanslagorge.Peut-êtrequej’aibesoind’unverred’eau,enfait,maisc’esttroptard:Abbylèvelamainenl’air.«O.K.,onyretourne.»

Ellesetourneverssonassistante.«Toutestprêtdanslacamionnette?»L’assistantehochelatête,etjefroncelessourcils.Qu’est-cequisepassedanscettecamionnette?

Maisjen’aipasletempsdeposerdequestions.Abbyfaitunnouveausigneetseraclelagorge.«NousvoicideretourpourLesvraiscrimesdel’Amérique.Calebnousaquittéspoursereposeraprèsce

momentéprouvant.SasœurErinestencoreavecnous.Erin,tuesunestarenherbe,n’est-cepas?»Jem’abstiensderépondreetm’efforceparaîtrenaturelle,commeprévu.Abbycontinuesa

présentation.«Erinn’estpasseulementunecheerleader,c’estaussiuneélèveremarquable.»Jesuistentéede

l’interromprepourpréciserquemesnotessontmoinsremarquablescestemps-ci.«Enoutre,elleparticipeégalementauconcoursdeMissReinedecœur,unevéritableinstitutiondanslarégion.Alors,Erin,est-cequetuaspourprojetd’êtreélueMissTexasjunior,puisMissAmériquejunior?

—JenefaispasceconcoursdanslebutdeparticiperàMissTexas.Enfait,ceseramondernierconcours.»Jesourisd’unairangélique,etjepriepourquetouteslesleçonsdeJennasoientaussiefficacesfaceàunecaméraquesurscène.«EngagnantMissReinedecœur,j’espèrepouvoirpayermesétudesdansl’universitédemonchoix,etpuisc’estunemerveilleuseoccasiondereprésentermoncomtépendantmadernièreannéedelycée.C’estunetraditionvieilledesoixante-quinzeans.

—Tuasl’airdesavoirexactementcequetuveux.—Cequejevoulais,entoutcas.Aveccetteaffaire,jenesuispassûredepouvoirmedonnerà

fond.»SiJennam’entenddireça,ellevas’arracherlescheveux,maisc’estlapurevérité.—Jecomprends,c’estbeaucoupdepressionpourtoi...»Elleinclinelatête.«Brooke

Schoenborn,l’unedesvictimesdutueur,retrouvéel’andernier,participaitaussiàdesconcoursdemiss,maiselleaarrêtéàl’âgededouzeans.Tulaconnaissais?

—Oui.Brookeavaittroisansdeplusquemoi,donconn’ajamaisconcourudanslamêmecatégorie,maisjemesouviensqu’ellem’aidaitàajustermarobeavantdemontersurscène.»

Abbyhochelatête,etelleréussitàrendredramatiquecegestetoutsimple.«Brookerêvaitdedeveniractrice,desauverlemonde,d’êtreavocate.Elleavaitbeaucoupderêves,maiscertainementpasceluid’êtreretrouvéemortedansunfossé,levisagemutilé.BrookeaétéprivéeàjamaisdetouscesprojetsauxquelsErinnepeutqu’aspirer.Brooken’auraplusjamaislechoix.»

J’ouvrelabouche,maisaucunsonn’ensort.Cetteremarquem’afaitbeaucoupdepeine,maisJennadittoujoursquequandonestsurscène,ilfautgarderàl’espritquelesgensscrutentlamoindredevosréactions.Alorsjemetourneverslacaméra,etjeparleavecsincérité.«Brookeétaitunefillegéniale.Elleétaitgentille,intelligente,amusante.Vousavezraison,c’étaitunmodèle.»

Abbyn’autorisepaslemoindretempsmort.«MadameHortz,vousavezl’airfatiguée.Lasuspicion,lesrumeurs,lesquestions...Çadoitêtrebouleversant,non?»

Lesouriredemamèreduperalesgensderrièreleurécran:retenu,approprié.Maiselleagitelajambesinerveusementquejesenspresquelecanapévibrer.«Commel’aditmonmari,nousavonsdelachancedanscemalheur:nousavonsnotrefilsetnotrefamille.Mesdifficultésnesontriencomparéesàladouleurdesfamillesquiontperduunenfant.»

Mamèreestdouéepourcegenred’exercices,principalementparcequ’ellecroittoutcequ’elledit.Elleestonnepeutplussincère,ellenecherchepasàmarquerdespoints.Ellesedévoiletellequ’elleest.

Labouched’Abbyreproduitlemêmesouriremauvaisqu’elleaeuavantdemequestionnersurBrooke.Jeserrelesdentsenmepréparantaupire.

«Commentgérez-vousvosépisodesdépressifs,dernièrement?Onditquedepuislamorttragiquedevosparentsdansunaccident,vousêtesincapabledesurmontervotredépression.»

Macolèredevientpurerage.Qu’elles’attaqueàmoi,passeencore,parcequej’ailemêmeâgequelesdisparues,etquemonpèreestsuspect.Maisretournerlamaladiedemamèrecontreelle,sérieusement?

Mamèrelaisseéchapperunsouffle.Monpèreenlèvesamaindesongenou,qu’iladûposerlàpourl’empêcherd’agiterlajambe,etil

passelentementlebrasautourdesesépaules.

Ilrépondsansluilaisserletempsderassemblersespensées.«Mafemme,commedesmilliersd’Américains,adesdifficultéspourlesquelles,eneffet,elleabesoind’aide.C’estunsujetànepasprendreàlalégère,etcen’estcertainementpasunsujetqu’ondevraitlaforceràévoqueràlatélévision.Mafemmeestforte,elleneméritepascequiluiarrive.Peuimportecequelesgenspensentdemoi,rienneleurdonneledroitdes’enprendreàmafemmeoumesenfants.Jesuisinnocent.»

Voilà,ça,c’estmonpère.Jereconnaisceluiquim’aconsoléequandj’aiperduunconcoursdemisspourlapremièrefois,àhuitans.Jevenaisd’enremporterplusieursd’affilée,maismachanceavaittournéquandlediadèmeavaitatterrisurlatêtedelasœurdeBrooke.

Cejour-là,ilm’aditquejeseraistoujourssonpetitange,etqu’ilnefallaitpasquejepleure,carilallaittoutarranger.

Ensuite,ilnousaoffertdesglacesauDairyQueen.Puisonapassélasoiréeàregarderdesdessinsanimés.Calebétaitencorebébé,maismêmesimamèreétaitsouventexténuée,ellesemontraitplus

présente.Cesoir-là,ellenousavaitrejointssurlecanapéavecunboldepop-corn.C’étaitunechouettesoirée.Bizarrement,jel’avaiscomplètementoubliéejusqu’àmaintenant.Lavoixdemonpèrerésonne,claireetforte.«Jetiensàlerépéter,parcequec’estimportant:je

suisinnocent.Mesenfantssontinnocents,mafemmeestinnocente.Nouspayonstousleprixdel’incompétencedespersonnesenchargedecetteenquête.»

Etmerde.Çaseraithumainementimpossibled’écarquillerassezlesyeuxpourluifairecomprendrelabourde

qu’ilvientdecommettre.Ilamerveilleusementdéfendumamère,maiss’attaquerfrontalementaushérif,parcontre,çan’étaitpasl’idéedusiècle...

Lesourired’AbbymerappelleBrie,lechiendesCarmichael,quandelleréclamedubeurredecacahuète.«Vousvoulezdirequel’enquêteestmalmenée?

—Jedisseulementquejesuisinnocent,etqu’ilseraitgrandtempsdes’intéresserauxnombreuxautressuspects.Ilyaunevendettacontremoi,maislesvictimesméritentmieuxqu’uneenquêtebâcléesoumiseauxcapricesd’unhommequiadécidédemefaireporterlechapeaupourunaccidentsurvenudesannéesplustôt.»

Jeplisselesyeux.Masurprisedoits’affichersurtoutmonvisage.«Derek,jet’enprie...»murmuremamère.Maismonpèrenes’arrêtepaslà.«Lefrèredushérifestmortnoyédansunmalheureuxaccident.

J’étaislàquandc’estarrivé,alorsleshérifadécidéquej’étaisresponsable.Commejevousledisais,c’estunevendettaplusqu’uneenquête.

—Hein?»jesouffle.J’avaisentendulesrumeursquidisaientquemamèreétaitsortieaveclefrèredushérif,maisellenem’enavaitjamaisparlé,etencoremoinsdelanoyade.Monpèrenonplus,naturellement.

Abbysepencheenavant.«Nousavonsentenduparlerdecetaccident.Lefrèredushériffréquentaitalorsvotreépouse,n’est-cepas?»

Jemetourneversmamère,dontlesyeuxsemblentpresqueaussigrandsquesonvisagedevenublême.

Quelcirque...Monpèrecontinue,pluscalme.«C’estexact,lefrèredushérifétaitaussiconnupourses

problèmesdedrogue.Encoreunefois,c’étaitunmalheureuxaccident.»L’assistantelèveundoigtenl’airetAbbyluirépondd’unsignedetêtepresqueimperceptible,mais

quinem’échappepas.Soudain,quelqu’unfrappeàlaporte,etnousnousregardonstouslestrois.Mamèreselèvecommepours’échapper.«Jedevraisrépondre.»

Abbysecouelatête,etlescamérascontinuentdetourner.«Non,non,nevousdérangezpas.Johnny,

vaouvrir,s’ilteplaît.»Unjeunetypeavecunt-shirtquidit«Tag...,j’aitoujoursraison»ouvrelaporteetlaisseentrerunefemme.Jemanquedem’étouffer.C’estlamèredeMélanie.Mélanieétaitplusjeunequelesautresfillesquandelleadisparu,etonn’ajamaisretrouvésoncorps,maissamèreestintimementpersuadéequ’ellefaitpartiedesvictimesdutueurauxailesd’ange.

Monpèrefaitlesgrosyeux.«Jepensequ’ondevraitfaireunepausepourrecevoirMmeGardner,non?»

Abbyl’ignoreets’adresseàlacaméra.«NousavonsinvitélamèredeMélanie,quisebatpourobtenirlavéritédepuisplusdecinqans,quandsafilledetreizeansadisparualorsqu’ellerentraitdel’école.Soncorpsn’ajamaisétéretrouvé.»Lavoixd’Abbyesttoutmiel,maismonsangbouillonne.«Etoncoupe.»

Monpèreselèveprécipitamment,etjedemande:«Çaveutdirequ’onarrêtedefilmer?—Oui,acquiesceAbby,onprendunepetitepause.Ondiffuseraplusd’informationssurMélanieà

cemoment-là,plusuneinterviewdesamère.»MonpèresedressedevantAbby.«Qu’est-cequisepasse?Jen’aijamaisdonnémonaccordpour

ça.»Jevoismamère,leslèvrestremblantes,quisedirigeversMmeGardner.«Jepensetrèssouventà

votrefille»,dit-elle.MmeGardnerluiprendlesmains.«Merci,çanoustouchebeaucoup.Jenevoulaispasvous

tomberdessuscommeça,maisjeveuxdesréponses.J’enaibesoin.»Ellesurveillemonpèreducoindel’œil.Elleal’airdenepasavoirdormiunesecondedepuisla

disparitiondesafille,maisaumoins,ellen’apasembarquésafilleTessadanscebazar.Tessan’amêmepasl’aird’êtredanslesparages.

Abbynousfaitsigneàtousdenousrasseoir.Ellealadécencededétournerleregardquandjeladévisage.Sonpieds’agiteànouveau.«Jevousaccordequ’onvousprendparsurprise,maissil’undevousdécidedetoutarrêtermaintenant,nonseulementçamemettradansl’embarras,maisçadonneraunetrèsmauvaiseimagedevous.»Elleboitunpeud’eaudanslabouteillequeluitendsonassistante.«Jecomprendsqueçasoitdifficile,maissouvenez-vousqu’ils’agitdedonnervotreversiondel’histoire.»

Mamèrehésite,maismonpèrelaretient,etMmeGardners’assoitàcôtéd’elle.«Toutlemondeestprêtàreprendre?»demandeAbby.Monpèrehochelatête.«Prêt.»Ilneparaîtplusaussicalmequ’audébutdel’interview,maisil

n’aplusl’airfurieuxnonplus.Abbylèvel’index.«Alorsaction.Trois,deux,un.»Elleregagnesonfauteuil.«Nousvoicide

retouraveclafamilleHortz,etnousrevenonsàlasurprisequivousasûrementtenuenhaleine.MmeGardner,vousvoulezbiennousexpliquervotreprésencecesoir?»

LavoixdeGardnerluiéchappe,pleinedelarmes.«Jeveuxjustelavérité.Abbym’apromisquevousalliezrépondreàmesquestions,M.Hortz,etquevousseriezd’accordpourpasseraudétecteurdemensonge.»

Abbysepenchepourposerunemainrassurantesursonbras.«M.Hortz,accepteriez-vousdevoussoumettreàuntestparpolygrapheausujetdeladisparitiondeMélanie?»

Ilnesedémontepas.«Dites-moiseulementoùetquand,etj’yserai.Vouspouvezmêmemefilmer,maisjedoisdireque...»Ilmarqueunepause,etAbbysembleespérerqu’ilcraque,unepetitecrisepourboosterl’audimat,carelleinsiste:

«Oui?Vousdevezdireque?—Quec’esthonteuxdevousservirdeMmeGardnerpourarriveràvosfins.»Abbytressailleà

peineuneseconde,maisj’espèrequetouslesspectateursquiontlatéléenHDenregistrerontcepassageetleferontcirculerenmasse.Moncœursefaitplusléger:simonpèreaccepte,c’estsûrementqu’iln’arienàsereprocher.Uncoupableneprendraitpascerisque.

Abbys’éclaircitlavoix.«C’esttoutpourcesoir.Noussommesvenusavecdesexperts,etnoussuivronsM.Hortzpendanttoutledéroulementdutestaudétecteurdemensonge.Restezavecnouspourcontinueràrésoudrelesvraiscrimesdel’Amérique.Demainsoir,uneémissionspéciale.»

CHAPITRE29Jesavaisqu’ilallaitêtreencolère,qu’ilm’envoudraitàmortd’avoirtuéKimetd’avoirlarguésoncorpssansattendre.Maisl’heureestvenuepourmoidevolerdemespropresailes.Deprendreleschosesenmain.Lui,çafaitdesannéesqu’iltue.Ilesttempsqu’ilapprenneàpartager,maintenant.

CHAPITRE30-DIMITRI

LedînerchezlesMillersetermineplustôtqued’habitude,etnousrentronsàlamaisonavant19heures.Erinnerépondpasautéléphone,maiselleaditplustôtàmasœurqu’ellepassaitlasoiréeauprèsdeCaleb.Cesoir,NadiavadînerchezLiametregarderl’interviewaveclui.À21heurespile,jem’installedevantl’émissionquicommence,etenlaregardant,j’aiplusieursfoisenviededisparaîtresousterre.Unefoisl’émissionfinie,jerappelleErin,allongésurmonlit,letéléphonedansunemainetmonballondefootballdansl’autre.

«Alors?»demande-t-elle,anxieuse.«Jepensequec’estplutôtpositif...»Jelanceleballonetlerattrape,lelanceetlerattrapeencore.

C’étaitmafaçondemedétendre,avant.«Tonpèreauraitdûs’abstenirdecritiquerleshérif,maistamèreaétéparfaite.CommentvaCaleb?

—Mieux...Ildoitdormir,maintenant.Ils’estcouchévers20heures30,etjeluiailudeshistoiresjusqu’à21heures...»Elles’éclaircitlavoix.«Tusavais,pourlefrèredushérif?

—Letrucqu’aracontétonpère?»Jelanceleballontrophautetjelerattrapeavecdifficultéquandilmeretombedessusaprèsavoirheurtéleplafond.

«Ouais.—Jelesaientenduenparlerquandj’étaisauposte,maisj’aipasfranchementeuletempsd’en

apprendreplus...Ettoi?—J’aifaitdesrecherches,maisj’aijustetrouvéunarticlequidisaitquemonpèreavaitété

entenducommetémoin.Àpartça,pasgrandchose.»Ellesoupire.«Sileshérifpensequemonpèreaquelquechoseàvoiraveclamortdesonfrère,çaexpliquepourquoiilestsiduraveclui,maisjesaispas,jetrouveçabizarre.Mamèreyajamaisfaitallusion,alorsqueçafaitdesannéesqueleshérifcherchedespouxàmonpère.»Ellemarqueunepause,etjel’imagineentraindepencherlatêtesurlecôtépourgribouillersurunefeuilledepapier.

«Tuluienasparlé?—Non,surtoutpas!Pascesoirentoutcas,l’interviewl’acrevée.—Tut’esbiendébrouillée,tusais.Jesaispascommenttuasfaitpourresterzenfaceàla

journaliste.—J’aibienfailliluisauteràlagorgequandCalebaeusacrise.»Jelanceleballonenl’air,etilheurteleplafondavecunpetitbruitsourd.«Çasevoyaitpas.—Tumensvraimenttropmal.»Ellen’apasl’airagacée,justeamusée.«Possible...»Songloussementestnerveux,maisilmeremontequandmêmelemoral.«Detoutefaçon,jesuissûrquelaplupartdesspectateursauraientpaspuvoirquetuétaisstressée.—Pourquoi?—Toutlemondenesaitpasquequandtutegrattesleboutdunez,c’estquetuesencolère.Que

quandtuécarquilleslesyeuxd’unecertainefaçon,t’espassurprise,maisstressée.Etquequandtupencheslatêteàdroite,c’estquetuestriste.

—Commenttusaistoutça?souffle-t-elle.—Jet’observeavecattentiondepuisqu’onesttoutpetits.Commeça,jesaisquesitupenchesla

têteversladroite,jedoisréussiràteredonnerlesourireouteprendredansmesbrasjusqu’àcequetumedisescequivapas.»

Elleinspireprofondément.«Jet’aientendu,toutàl’heure,tulançaistonballonenl’air.Çaveutdirequetuesangoissé.Qu’est-cequit’inquiète?

—Jem’inquiètepourtoi.—Oh...»Sonohestchaleureux,accueillant,etjevoudraisl’avoirprèsdemoi.«Sijepouvais

sortir,jeviendraisterejoindre.J’aitropenviedetevoir.—Moiaussi,maisjeveuxpasquetusortestouteseuleenpleinenuit.—JepeuxtoujoursdirequejevaisvoirNadia...»Elleserésigne.«Jeregardeparmafenêtreet

lescamionnettesd’Abbylasorcièresonttoujourslà.—Çacraint.Ettoi,t’enaspenséquoi,decetteinterview?—Jecomprendstoujourspaspourquoimonpèreytenaittant.Jesuispassûrequeçal’aide.—Pourquoipas?—J’ailuquelquesarticlessurlenet,mêmesijesaisc’estletrucànesurtoutpasfaire...Unpeu

commelirelescommentairesdelapage“Sexyoupas”surSnapchatoudelirelesmessagesdesamisdetesparentssurFacebook...»

Jem’installeplusconfortablementsurmonlitenplaçantunoreillersousmatête.Elledoitsûrementêtresursonlit,elleaussi...Maiscegenredepenséesvadevoirattendre.

«Qu’est-cequ’ilsracontaient,cesarticles?»Jelanceencoreleballonenfaisantattentiondenepastoucheleplafondpourqu’ellenesachepasquejesuistoujoursaussianxieux.

«QuemêmesimonpèrepasselepolygrapheàproposdeMélanie,pleindepoliciersetd’expertsaffirmentquelemodeopératoireesttropdifférentdesmeurtresdeRachel,Kimetlesautres.Elles,onatrouvéleurscorps,etpuisMélanieadisparupendantlesvacancesdeprintempsetpasenautomne.Mélanieétaitbeaucoupplusjeune,aussi.S’ilréussitletest,çaval’innocenterletempsdesinfosdumatin,maisavantmidilesgensvontcommenceràpointerdudoigtlesdifférences...

—Peut-être,maisçaauraitétépires’ilavaitrefusédepasserletest.—C’estvrai...Jepeuxpasm’empêcherdepenserquequoiqu’onfasse,riennes’arrangeratant

quelesmeurtresnes’arrêterontpas.»Elleexpirecommeonlefaitquandonestàcourtd’idées.«Çam’afaittropmalaucœurdevoirlamèredeMélanie,desavoirqu’ellegardeencorel’espoirquemonpèrepuissedonnerlamoindreinfosurladisparitiondesafille...Etquandj’imaginecequelesparentsdeKimetdeRacheltraversentaprèsavoirperduleursfilles...ÀchaquefoisquejerepenseàKim,çamefilelagerbe,j’aienviedehurler.Soncorps...»

Jelanceleballon.«Jesais,j’ailesmêmesimagesquitournentenboucledansmatête.»Jesoupireprofondément,àlarecherched’unmoyend’adoucirunpeunosdouleursàtouslesdeux,neserait-cequepourquelquesminutes.

«EtpuisCaleb...Ilapleurétoutesleslarmesdesoncorpsetilaeubesoindesoninhalateurdeuxfoisaujourd’hui.Çafaisaitlongtempsquec’étaitpasarrivé.

—Jesuisdésoléquetuvivestoutça...»Jevoudraispouvoirlaprotégerdequiconquereprésenteunemenace.Lacolèremonteenmoi,meprendàlagorge,alorsjemelèvepourfairelescentpasenespérantqueçamecalme.Jelanceleballonenl’airunedernièrefoisavantdelereposersurmonbureau,etjem’arrêtedevantuncadeauqu’Erinm’aoffert.«Tutesouviensdecequetum’asoffertpourmesquatorzeans?

—Oui,jet’aifaitunalbum.J’aidûéconomiserpourfaireimprimerlesphotos.

—C’étaitpasjustedesphotos...Tuasmisdeslégendesetdespetitsmotspartout,ettuavaismêmegardélesticketsdumatchdefootballoùm’aemmenémonpèreetlesbilletsdecinémaoùmamèrenousemmenaitunefoisparmois.»Jem’éclaircislavoix,nonpaspourluicachermonémotiontoujoursintactedevantcecadeau,maisparcequej’aipeurdenepaspouvoirparler.«Tum’asaidéàgarderdessouvenirsdemamère.»Jericane,évacuantencoreunpeulatension.«C’estdinguequetuaiespuprendretoutescesphotossansquejem’enrendecompte.

—T’étaispastrèsobservateur,àl’époque.»Monregards’égarederrièrelafenêtreetretombesurlacabanedansl’arbre.Jereprendsmon

ballonetj’essaiedemeconcentrersurlavoixd’Erin.Erinetriend’autre.«Jeteremarquaistoujours,crois-moi.Quandtuétaisencoreaucollège,tuvenaismevoirauxentraînements.Etavantdedevenircheerleaderpendanttadeuxièmeannée,tutrouvaistoujoursuneplaceauxpremiersrangs,ettulevaisundoigtenl’airquandj’arrivaissurleterrain.

—Tum’avaisditquelafemmed’undetesjoueurspréféréfaisaitcegesteàchaquefois,ettupensaisquec’étaitunedesraisonspourlesquellesilétaitsibonsurleterrain.»Elleaunpetitrirepleind’embarras.«Lapremièrefoisquejel’aifait,j’étaissuperstressée,j’avaispeurquetumeprennespourunepaumée...»

Mavoixsefaitplusprofonde,rauque.«C’estmoiquiétaispaumé,àl’époque...»Jemarqueunepauseetlaréalitémefrappedepleinfouet.«Mêmemaintenant,sanstoi,jeseraisperdu.

—Etmoi,sanstoi,jesaispascommentjesurvivrais.»Jemerallongesurlelit,etnousneparlonspluspendantquelquessecondes.«Tucroisqueçavas’arrêterunjour?demande-t-elle,lavoixtremblante.—J’ensaisrien.Lesgensessaienttousderetourneràunevienormale,etmoitoutcequej’aidans

latête,c’estlevisagedeKim.C’étaithorrible,cesoir,d’êtrechezlesMillerensachantqu’elleauraitdûêtrelàelleaussi...

—C’estpastafaute...»murmure-t-elle,sentantlaculpabilitégermerenmoicommelesmauvaisesherbesaufonddujardin.Etsij’avaiscouruaprèsl’hommedontj’aivulasilhouettehiersoir?Iln’avaitpasencorelaissélecorpsàcemoment-là,maisj’auraispeut-êtrepuaideràempêcherdenouvellesdisparitions...Jemefousdesavoirsilapoliceditqu’iln’yavaitpersonne,jesaisquejen’aipasrêvé.Ilvenaitsûrementpourrepérerleterrain.

Etparcequej’aiconsciencequ’ellepenselamêmechose,jemurmure:«C’estpastafauteàtoinonplus.»

CHAPITRE31-ERIN

Leweek-ends’achèvesansnouvellevisitedelapolice.Dansmatête,jedéroulel’interventiondemonpère:Jesuisinnocent.Mesenfantssontinnocents,mafemmeestinnocente.Nouspayonstousleprixdel’incompétencedespersonnesenchargedecetteenquête.

Voilàquinevapasarrangersesrelationsavecleshérif,surtoutconnaissantleurpassé...Maisjegardeespoir:ledétecteurdemensongearrangerapeut-êtreleschoses,mêmesiçane

prouverarienpourcequiestdesmeurtres.Peut-êtrequequandlapolicecomprendraquemonpèren’étaitpasimpliquédansladisparitiondeMélanie,touts’arrêtera,etleschosesreviendrontenfinàlanormale.Sitantestqueçaexisteencore,lanormale.

Lelundimatin,mamèreestlevéeavantmoi.Sesyeuxsontplusvifs,sescheveuxmoinsternes.Elleadûprendreunedouche,carellesentenfinl’odeurquipourmoiestcelledemamère:unemélangedesonparfumetdelacannellequ’elleadoremettredanssoncafé.

Seslèvressontgercées,etelleaencorel’airassomméeparunetonnedepenséeslugubres,maisjevoisqu’ellefaitdeseffortspoursortirdubrouillard.Ladernièrefoisqu’elleachangédetraitementavecsuccès,illuiafalluquelquessemainespourvraiments’yadapter.

«Bonjour,machérie.»Savoixesttoujoursunpeufaible,maiselleestlà.Ellemeprépareunetassedecafé.«Dulaitetdeuxcuillèresdesucre,c’estça?»

Jesecouelatête.«Non,maintenantjeprendsducreameraucarameldeDunkin’Donuts.»Sesépauless’affaissent,etjememaudisden’avoirpasjusteaccepté.Est-cequeçam’auraittuéedeboiremoncaféavecdusucreaulieudemapoudreaucaramel,pourunefois?Maisellesereprend.

«Çaal’airpasmal,jedevraisessayer.—Tuasl’airplusenforme,cematin»jeremarqueprudemmentenversantunpeudepoudredans

mongrandmug,celuiquej’aigagnéàl’undemespremiersconcours,MissFandecafé.Oui,oui,çaexiste.

«Commejet’aidit,manouvellepsymefaitessayerunnouveautraitement,etpuiselleestbeaucoupplusdisponiblequelesautres.Aprèsl’interview,hier,jel’aiappeléeetonapufaireunesessionrapidepartéléphone.»Ellepasselamaindanssescheveuxhumides.«Jesuisdésoléed’avoirétéailleurstoutcetemps...

—Tuétaislà»,jerépondsenretenantmeslarmes.Ellen’étaitpaslà,pasvraiment,etjelesaisaussibienqu’elle,maisqu’est-cequejesuiscenséeluidire?Elleatoujourseudeshautsetdesbas...Sonbasasimplementdurépluslongtempsqued’habitude,cettefois.

Elleaunpetitriretriste.«Merci,maistun’aspasàmeprotéger.C’estmonrôle,ça.»Jecroiselesdoigtspourqu’ellenel’oubliejamaisetqu’ellenenousabandonnepasencore.«CommentvaDimitri?—Plutôtmal.IlsesentresponsabledelamortdeRachel,etilpenseavoiraperçuletueursamedi

soir.—Vraiment?»Ellesecrispe.«Jeveuxquetusoisprudente,d’accord?J’aibesoinquetusois

prudente.—Jesais.Jelesuis,promis.»Elleprendunegorgéedesoncafé.«JesuiscontentequetusoisencoreprochedesKuvlev.C’est

importantd’avoirdesamiscommeeux.»Ellefaitglissersondoigtencerclesurleborddesatasse.«Elenamemanquebeaucoup.»Seslèvresdessinentunsourirenostalgique,etellesembleseperdredanssessouvenirs.

«Tusavaisqu’onavaitfaitunpari,touteslesdeux?Touslesmois,onfaisaitunesoiréeentrefilles,etengénéral,lasoiréesefinissaitavecjustemoietElena,àdiscuteretàrigoler.»Ellemarqueunepauseetsonvisages’adoucitenseremémorantlesmomentsagréablesvécusavecsonamie.«Bref,tuavaishuitansetDimitridix,etiladoraittefairepeur.Ilattrapaitdeslézardsqu’ilagitaitdevanttoi.Cen’étaitpasméchant,iltetaquinait,c’estsûr,maisc’étaittoujourslepremieràteréconfortersitupleurais.Jecroisquec’estparcequetusavaisqu’ilavaitpeurdesscorpions,alorsilcherchaitàtrouvertaphobieàtoi...

—Lesaraignées...»Jefrissonneensentantsoudainleurslonguespattestoutesmaigrescourirsurmapeau,unmauvaissouvenirpresqueoubliédemonenfance.

«C’estça,lesaraignées!dit-elleenaspirantsoncafé.Ilatrouvédesaraignées,etiltelesajetéesdessusunefoisquevousétiezauborddulac.

—Oui,etj’aihurlécommeunefolleetj’aisautédanslelacpourm’endébarrasser!—Immédiatement,Dimitriacessédericaneretilacouruaprèstoi.Ils’estsouvenuquetune

savaispasnageretilasautédansl’eau.Etpourtant,ilsavaitàpeinenagerlui-même.Ilt’aramenéesurlerivage,etilt’aenrouléedanssaservietteenrépétantjenesaiscombiendefoisqu’ilétaitdésolé.»Elleappuiesamainchaudecontremajoue.«C’estcettenuit-làqu’Elenaetmoi,onafaitunparisurletempsqu’ilvousfaudraitavantdetomberamoureux.»Elleritenvoyantmonexpression.Unmélangedesentimentsàlafoisattendrissantsetterrifiants.«Tudevraisl’inviteràdîner,undecesjours.

—Jesaispastrop...PapaestbizarreavecDimi.—Commentça?demande-t-elleenfronçantlessourcils.—Illuiademandédemelaissertranquille.Soi-disantqu’ilestpasassezbienpourmoi.—Est-cequec’étaitl’annéedernière,lesoiroùtuaspleurédanstonlittouteslesnuitspendant

deuxsemaines?»Mesyeuxvacillentencherchantlessiens.«Tu...tusavais?—C’esttonpèrequim’enaparlé,sûrementpourteprotéger.»Elleal’airincertaine,commejele

suisaussiausujetdesmotivationsdemonpère.«Jesuisdésoléeden’avoirpasétéplusprésenteàcemoment-là.

—TupassaisbeaucoupdetempsavecElenaàl’époque.—Oui,maismême...Jevaisessayerd’êtreplusprésentepourtoiettonfrère.Vraimentessayer.»Nousfinissonsnoscafésensilence,maisunsilencesansaucunegêne,presqueserein.Jejetteun

œilàlapendule,etelleleremarque.«Tunevaspasêtreenretardpourtescours?—Jedevraisdéjàêtrepartie,maisjeveuxd’abordemmenerCaleb,alorstantpis,jeseraisen

retard.»Elleposelamainsurmonbras.«Jesuislà,maintenant.Jevaisl’emmener.—Çavaluifairetellementplaisir.»Imaginersapetitemineréjouierendcestroisderniersmois

presquesupportables.Mamèrefaitdesonmieux.Jesaisquequandellecommenceunnouveautraitement,ilfautunpeudetempsavantqu’ilfonctionnecomplètementouquesonpsytrouvelebondosage.Elleatraversétellementdechoses,aveclamortdesesparents,lesuicided’unedesesmeilleuresamies,etElenaquiaétéemportéeparlecancer...«OùestPapa?»jedemande,etmamèresecouelatête.

«Ons’estdisputés,hiersoir.Cetteinterviewqu’ilnousaimposées,c’étaitlagoutted’eauquiafaitdéborderlevase.Ilestpartitôtcematin,jen’aiaucuneidéed’où.»Elledéposesatassedanslelave-vaisselle.«Çavaallerpourrentrerdulycéecesoir,hein?Nevanulleparttouteseule,s’ilteplaît.

—Promis.Çavaaller.»Ilfaudrabienqueçaaille.Jen’aipasd’autrechoix,non?

Journéeàchieraulycée.Merdiquementàchier.Etcen’estpasfini.Lesgensm’ontdévisagée,ontparléderrièremondos,ontlaissédesmessagesàproposdemonpèresurmoncasier.Certainssevoulaientréconfortants,maislaplupartaccusaientmonpèred’êtreunserialkiller.Aucunn’étaitsigné.

Quandladernièresonnerieretentit,jeresteassiseàmaplace.L’entraîneusedescheerleaderssetrouveêtreaussimaprofd’anglais.Elles’approchedemoietposelesmainssurmonbureau.«Commentçava,Erin?

—J’aiconnumieux.—J’imaginequecen’estpasfacile,maistutedébrouillesbien.Lesgensontunpeutroptendance

àmettretoutlemondedanslemêmepanier.—Commentça?—Ehbien,mêmesitonpèreestresponsable,etjenedispasquec’estlecas,çaneveutpasdire

quetul’es.Tun’asrienfaitdemal.Ilyaunlivred’unauteurfrançais,VictorHugo.Tusais,celuiquiaécritLesMisérablesetNotre-DamedeParis?»

Jehochelatêtecarilmesemblequ’ellel’aévoquél’annéedernière.«Ehbien,ilaaussiécritLeDernierJourd’uncondamné.Tupeuxletrouveràlabibliothèque.

Parfois,çapeutfairedubiendelire.Qu’est-cequejedistoujours?—Quelalectureforgel’empathiequandonlitdesrécitsd’expériencesdifférentesdesnôtres,et

qu’elleapporteduréconfortquandonlitdesexpériencessimilairesauxnôtres.EtaprèsvousconcluezendisantEngros,lisez.»Jesouris,mêmesij’aidumalàcroirequemescherscamaradesontluVictorHugoetfinirontdoncparmelaissertranquille.«Merci.Ilfautquej’yaille,maintenant,jeveuxpasêtreenretardpourl’entraînement.»

Ellem’ouvrelaporte.«Situasbesoindequoiquecesoit,dis-lemoi,d’accord?Jeteretrouveaugymnase.»

Jetraînelespiedsdanslecouloirdésert.Labannièrepourlehomecomingesttendueau-dessusdel’entréeprincipale.Aujourd’hui,c’étaitlajournéedescouleursdulycée:touslesélèvessontinvitésàs’habillerauxcouleursdel’écoleetdenotreéquipedefootball.UngroupedenouveauxsedirigeverslabibliothèqueendiscutantdudernierlivredeKatyUpperman,EmbrasserMaxHolden,qu’ilsontlupourleurclubdelectureetqu’ilsonttousadoré.Ilsm’ignorent,cequimepermetderespirerunpeu.

Tessa,lapetitesœurdeMélanie,apparaîtdevantmoid’unseulcoup,refermantderrièreellelaportedel’auditorium.Jeremarquesonjeanboyfriendbleufoncéetsont-shirtlargerosepâle.C’estl’unedesraresàn’avoirpassuivilecodecouleurdujour,cequim’étonnebeaucoup,carjepensaisqu’ellecherchaitplutôtànepassefaireremarquer.

«Salut.»Savoixestdouce,hésitante.Seslongscheveuxrouxsontrelevésenchignon.«Salut»,jerépondsendansantd’unpiedsurl’autresanssavoirquoidireouquoifaire.Sasœur

n’avaitqu’unandeplusquemoi,etnousavonsfaitpartiedelamêmeéquipedescouts.Leursparentsétaientmarrants,etilsonttoujourseul’airsuperamoureux.Jemesouviensavoirétéjalouse,parcequemêmequandmamèreallaitbien,jamaismesparentsnesesontregardésdecettemanière.

«Jevoulaisjustem’excuserpourcequ’afaitmamère...J’imaginequeçaaétédurdelavoirdébarquercheztoi.Ellem’aditquetuétaisaucourant,maisonvoyaitbienquenon.»EllebaisselesyeuxsursesvieillesConversebleuesuninstant,puislesremonteversmoi.«Voilà,jevoulaisjustete

direça.Jedoisyaller,jetravailledansdixminutes.»Ilyatellementdetristessedanssonexpression,tellementdedouteetdedouleur,maisellesetientcommesiellerefusaitdeselaisserdétruire.Lejouroùsasœuradisparu,ilyacinqans,elleatoutperdu.

«Tuaspasàt’excuser.J’osemêmepasimaginercequetuasvécu,avectafamille.»Jeluitouchelebrasenespérantquemesmotsl’atteignent,espérantpeut-êtremêmelaconsoleretluidonneruneforcequejenesuispourtantpassûred’avoirenmoi.«Jelepensevraiment.»Jelèveunsourcil.«Pardon,jepeuxpasm’empêcherdedemander,mais...Tuesunedesrarespersonnesànepasporterlescouleursdulycée,aujourd’hui.»

Jedisçasurletondelaplaisanterie,pourallégerunpeul’atmosphère,maisàsaréaction,j’aienviederavalermesmots.

«Jevoulaislefaire,j’avaispréparématenue,poséesurunechaisedansmachambre,et...Pourtelafairevite,mamèreaenfermélechiendansmachambresansfaireexprès,etcettepauvrePipaapaspuseretenir,et...bref.Jepréfèrequ’onmeremarqueparcequejeportepaslesbonnescouleursplutôtqueparcequejesenslapissedechien,tucomprends.»Ellesouritpresque.«Etpuiscommeça,jepassepourunerebelle.

—J’aimebientonjean.—Merci,etencoreunefois,désolée.J’étaispasd’accord,maisbon,mamèrem’écoutepasdutout

encemoment.—Etencoreunefois,pasbesoindet’excuser.»Ellerépondd’unsignedetêteetsesauveenagitantlamain.Mapoitrinesecomprimeenrepensant

àhiersoir,encoreplusenvoyantTessafairetoutcequ’ellepeutpourgarderlatêtehaute.Larumeurditquesesparentssesontséparés,mêmes’ilsn’ontpasencoredivorcés.Ellevitavecsamèredansunpetitmobile-homeàl’extérieurdelaville,etsonpèreestpartivivreàDallas.Illuiauraitproposédel’accompagner,maiselleauraitrefusédelaissersamèretouteseule.

Jelacomprends.Jeremontelabretelledemonsacsurmonépaule,etjesors.«Salut,Erin»,ditunevoixtropfamilièreetpleinedemauvaissouvenirs.«Çatedérangepassije

teraccompagne?»Darren,unconavecquij’airefusédesortiraudébutdulycée,semetàmarcherprèsdemoisansmelaisserrépondre.

«Euh,si,çamedérange.»Montonestcassant,maisils’enfiche.«Alors,tusaiscommenttonpères’yprendpourleszigouiller?»Sesyeuxsontfixéssurmon

visage,etj’aidûgrimacerunpeucarilaunlargesourire,etpasunsourireheureux,non,unsouriredepursadisme.Çaluifaitplaisirdemevoirsouffrir,demesavoirendifficulté.«Ilparaîtqu’iladorelesfairecrier.»

Jesuistentéedemetournerpourluibalancermonpoingenpleineface,maisNadiaetLiamapprochententrottinant.Liamauneffetmagiquesurlesgens:jenesaispassic’estparcequ’ilestriche,ouqu’ilal’airdepouvoirvousdescendred’unsimpleregard,maisl’autretrouduculdéguerpit.

«Lesgensmefonthalluciner!—Jem’attendaisbienàquelquesréactions,maislà,c’estextrême...L’interviewétaitpassiatroce,

non?»Nadiaasonexpressiondepetitchiot,cellequ’elleaquandelleestdésoléepourquelqu’un.«C’est

paspourçaqu’ilss’enprennentàtoi...—Ahbon?Pourquoi,alors?—Rachel...Elleaditquetonpèreladraguait.»J’aiunesoudaineenviedevomiroudem’allongerausolpourdisparaître,là,toutdesuite.«Hein?»Jesecouelatête.«Commentçasefaitquejesoispasaucourant?—Larumeuraétélancéeaudéjeuner,maismoij’enaientenduparlerqu’endébutd’aprèm.Jet’ai

envoyéuntexto.—Ah,merde.EntreMmeCaparelloencalculetMmeRodriguezenlittérature,j’aipasregardé

montéléphone.J’étaisenretardaucoursdeRodriguezetj’aipaseuletempsdelerallumer.»Jesoupire.«Etjevoulaispasmefaireencoreplusremarquerensortantmontéléphoneencours,ellessontsuperstricteslà-dessus.

—Oui,jem’endoutais,etbiensûr,personneaosét’enparlerenface.»Mesmainstremblenttellementquej’enfaistombermesclés.Jelesramassemaismarespiration

esttoujourstroprapide.Liammarchedevantnous,seulementàquelquespasdedistance,pournouslaisserdiscutertranquillement.

Nadiamemontresontéléphone.«Voilàtouteslesinfosquej’ai.Ilparaîtqu’ilsonttrouvéunevidéodeRachelsursonportable,unesortedejournalintimefilmé.Jel’aipasregardée,maisapparemment,dedans,elleditquetonpèrel’adraguée,etqu’elleapascédéparcequ’elleétaitencoretropàfondsurDimi.»

Çadevientsoudaintrèsdifficilederespirer.«Monpèreétaitsonprof,etilestgenre...supervieux.Çacraint,putain,çacraintgrave.»Jemarqueunepause.«C’estpasvrai,hein?Ellebaratinait!

—J’ensaisrien.—Medispasqu’ilt’adraguéetoiaussi...»Mavoixmontedanslesaigus.«Biensûrquenon!»Ellesemordlalèvre.«Tutesouviens,ilyaquatreans,quandçaabardé

parcequedesélèvesavaientfaitunelistedesprofslesplussexy?—Oui,évidemment.»C’étaitnotrepremièreannéeaulycée,etlalisteavaitcirculédansdes

groupessecretsàl’époqueoùFacebookétaitencoreàlamodeavantdefaireletourdesautresréseauxsociaux.Monpèreétaitdansletop3,cequiétaitdérangeantàtellementdeniveaux.

«Apparemment,nonseulementtonpèreétaitaucourantpourlaliste,maisenplusilsavaitquiavaitvotépourlui,etilafaitdesremarquesdéplacéesàplusieursfilles.

—Çamedégoûte...»Jenepeuxplusrespirer.Plusrespirer.Maman.Commentva-t-elleréagir?Mapeaumedémange,commesijedéveloppaisuneallergieàtoutel’horreurautourdemoi,etmon

cœurrétrécitencore.Silanouvellearrivejusqu’àl’écoledeCaleb...Ilvasebattrepourdéfendrenotrepère,mêmes’ilapeur,mêmes’ilamouillésonlitpendantdessemainesladernièrefoisquec’estarrivé.

LetéléphonedeNadiasonne,etellerestebouchebée.Ellen’osepasmeregarderetseretourneversLiam,quiattendprèsdesavoiture,commepour

appeleràl’aide.C’estmameilleureamie,pourquoiest-cequ’ellenemeditpascequisepasse?«Euh...IlparaîtquetonpèreaaussidraguéBrooke,l’annéeoùelleadisparu...—Quiaditça?—Sasœur...»Lemondesemetàtournerautourdemoi,ilfautquejemeconcentresurunpointfixe.«Tudirasà

MmeRodriguezquejesuisdésoléedelouperencorel’entraînement,maisilfautquej’aillechercherCaleb.»

CHAPITRE32-DIMITRI

Monpèreestassisfaceàmoiàlatabledelacuisine.Iltapotedudoigtl’articlequejesuisentraindelireàproposdel’universitéBowie.«TuenasparléàErin?

—Pasencore.—Vousêtesrestéslongtempsautéléphone,pourtant...»Monpèreébouriffemescheveuxavec

autantdelégèretéetd’affectionquequandj’étaispetit.J’espèrequ’iln’apasentenduàquelpointj’étaistriste.Ils’inquiètedéjàassezcommeça.Je

m’efforcedegarderuntonléger.«Tuécoutesauxportes,maintenant?—Pasbesoin.Tuaslavoixquiporte.»Ilboitunegorgéedesoncaféetgrimaceenserendantcomptequ’ilaoubliéd’ymettredusucre.

«Tudevraisluiparlerdetesprojets.EllesaitàquelpointtutenaisàjoueraufootballiciauTexas,ettuasjustementunrecruteurdel’UniversitéduMidwestquiveutteparler...Tupourraisreprendrelesmatchstoutentravaillantledessin.

—JepeuxtravaillerledessinetreprendrelefootballauMaryland,aussi.—Maisdansuneplusgrandeéquipe,oùtuseraisremplaçant.Cen’estpasça,tonrêve.Tu

passeraistrèspeudetempssurleterrain.Êtreprésentsurleterraintedonnerasûrementunavantageplustardsitudécidesdedevenirentraîneurdansunlycée.Tusaisquelacompétitionestrude,surtoutici.

—Monrêve,c’étaitpasnonplusdeprendrelevolantàmoitiéivreetdefoutremavieenl’airenunesoirée...

—C’estpourtantcequiestarrivé,maistun’aspasfoututavieenl’air.Tavie,elleestencoredevanttoi,toutnedépendquedeteschoix.»Ils’assiedetplongesonregarddanslemien.«Jesaisqu’encemoment,tuperdstesmoyens,ettuasledroitd’êtreangoissé,c’estnormal.Jenepeuxmêmepasimaginercequeçat’afaitdetrouverlecorpsdeKimoud’entendreRachelcrierautéléphone.»Ilmarqueunepause.«Jevoudraispouvoireffacertoutecettedouleur,maisjenepeuxpas,biensûr.Cequejepeuxfaire,enrevanche,c’estdem’assurerquetuneprendsaucunedécisiondemanièreprécipitéeouquandtunesaisplusoùtuenes.»Ilinspireenmeregardantfixement.«Parfois,c’estdifficiledefaireunchoix,maislavien’estpasfaitepourêtrefacile.Tutesouviensdecequedisaistamère?

—Quej’étaissonfilspréféréaumonde,etNadiasafillepréférée?—Elleétaitobligéededireça,c’étaittamère.»Ilsouritàcesouvenircommeilsouriaitàma

mère,avecunetendresseinfinie.«Ellenousrappelaittoujoursdenepaslaissernoserreursnousdéfinir,etdetoujoursprofiterdelavie.Pournous,etpourelle.Denepasavoirpeur,aussi.Avectoutcequisepasse,ilfautqu’ons’ensouvienne,plusquejamais.Onnepeutpasvivrenosviesdanslapeurconstantedecequivaarriver.»Ils’arrêteencoreetsesdoigtstracentuncercleimaginairesurleborddesatasse.«Nelaissepastespeurst’empêcherdevisertoujoursplushaut,monfils.

—Merci,Papa.»

Larencontreaveclerecruteursepassaittrèsbienjusqu’àcequ’ilmedemandecequimemotivaitàpartirpourlacôteEst.J’avaispourtantrépétémaréponseàcettequestion,maisiladûsentirquematêten’yétaitpasvraiment.

Quandilm’aserrélamain,legesteévoquaitplusunadieuquedesfélicitationsetl’impatiencedemerecevoirl’annéeprochaine.

Jeravalemadéceptionetregagnemonpick-upàlahâte.Lecœurbattantàmeromprelescôtes,jerallumemonportableetjefaisdéfilerlesnotifications,inquietàl’idéed’uneénièmemauvaisenouvelle.

Cesoir,ilsvontdiffuserlepassagedupèred’Erinaudétecteurdemensonge.Ellem’aenvoyéunpremiertextopoursavoircommentj’allaisetseplaindredesajournée,cequimedonneenviedemeprécipiterchezelleetdel’emporterànotrecoinprèsdulac.Maisàlalecturedesonderniermessage,jeclaquemamainsurlevolant.

Calebs’estencorebattu,ilalenezcassé.Sinon,lesrumeursdisentquemonpèreadraguélesfillesavantqu’ellesdisparaissent.Ilrefusetd’annulerletournagecesoir,maisnousonirapas.Mamèreluiatenutête.Ellepenseàlequitter.

CHAPITRE33–ERIN

Jenemesouviensplusdeladernièrefoisquej’aisentilesmursdelamaisontrembler.Cesoir,entoutcas,ilstremblentpourdebon.

«Vousalleztousrestericicesoir!explosemonpère.Pasquestiondefaireçatoutseul.Jesuisvotrefamille,vousêtesmafamille.»

Mamèreselève,maisill’arrêteenlevantlamain,ungestenonpasmenaçant,maisquiimposelesilence.

«Écoute-moibien,Caroline.Tuveuxpartir?Tuveuxmequitter?Trèsbien,maisjediraiaujuge,auxservicessociaux,àtoutlemondeiciquetuesdevenueaccroàtesmédicaments.

—Mais...c’estfaux!—Vraiment?Tucroisquejen’aipasremarquéquetuprendsparfoisplusquetadosepourtenir

toutelajournée?Jet’aisoutenue,j’aiprissoindesenfantsquandtut’enmontraisincapable,etc’estcommeçaquetumeremercies?»Savoixgrince,etilbaisselatêtelourdement,commes’iln’arrivaitvraimentpasàcomprendrequ’onneveuillepasfairepartiedesonplanridicule.

«Pourquoiest-cequetuvoudraisfairesubirçaauxenfants?Calebs’estfaitcasserlenez,bonsang!»Ellen’élèvepaslavoix,maissonindignationvibredanschacundesesmots.EllepousseCalebderrièreelleetmejetteunregardinquiet.

«Précisément.Tucroisqu’ilsuffitqu’ilnepassepasàlatélépourqueças’arrête?Tut’imaginespeut-êtrequelesautresgossesvontoubliercommeparmagie?Lesgensdoiventvoirlerésultatdeleursactes!LesparentsdugaminquiafrappéCalebdoiventvoirdequoiilssontresponsables.Jen’aipastuéMélanie,etledétecteurdemensongesvaleprouverunebonnefoispourtoutes.»Ilal’airdésespéré,commes’ilappelaitàl’aide,maismonespritrevientsanscesseauxrumeursquionttournéaulycéeaujourd’hui.

L’espritdemamèreaussi,apparemment.«Etcesfilles,Derek,hein?Etlafameuselistedesprofssexy?Tuesconscientqu’Abbyvaforcémentenparler!»Elleportelamainàsabouche.«Jesuisdésolée,jenevoulaispasparlerdeçamaintenant...»SesyeuxvontdemoiàCaleb.«Pardon.»

Calebneposepasdequestion,souslechoc.«Oh,franchement...Sic’étaitvrai,pourquoipersonnen’enauraitparléavant,hein?—Jenevaispasdiscuterdeçadevantlesenfants.Etonneferapascetteémission,Derek.Horsde

questiondeleurinfligerçaunedeuxièmefois.—D’accordpourlesenfants.Maistoi,Caroline,vas-turesteravecmoi?Vas-tumesoutenir

commejetesoutiensdepuisplusdevingtans?»L’hésitationdemamèreestdanslamanièredontellepenchelatêteensemordantlalèvre

supérieure,danssonregardquidescendausolavantderemonterversmoi,danslafaçondontelleseraclelagorgeavantdeparler.«D’accord,maisjustemoi.CalebetErinirontdormirailleurs.

—J’appelleNadia»,j’interviens.LesKuvlevsontprobablementlesseulespersonnesquiaccepteraientdenousaccueilliraprèstoutesceshistoires.

—Entendu.Abbyseralàdansvingtminutes.Jevaislaprévenirquelesenfantsneparticipentpas.»Iltouchelajouedemamère,quiunlégermouvementderecul.«Toietmoicontrelemondeentier,Caroline,commeavant.»

Sesmotssemblentatteindreunpointsensiblechezmamèrecarellehochelatêteetladistancequej’avaisvus’installerentreeuxaufildesanssembles’atténueruntoutpetitpeu.

«Toietmoicontrelemondeentier»,murmure-t-elle.Ildoityavoirunehistoirederrièrecettephrase,maiscen’estpaslemomentdeposerdesquestions.JepoussedoucementCaleb.Ilfaituncâlinànotremèrepuisànotrepèreavantdemesuivredansl’escaliersansunmot.

Cetteinterview-là,jelaregarderaiderrièrelatélédesKuvlev.

CalebestdehorsavecM.Kuvlev.Commeonn’estpasalléspêcherhier,iladécidédel’emmeneràlapetitemaretouteproche,oùilspasserontlasoiréeetpartagerontdessandwiches.

M.KuvlevpensequeçaseraitmieuxqueCalebneregardepasl’interview,etjesuisbiend’accord.Aveclui,monpetitfrèreseraensécurité.

LeslonguesjambesdeDimitrisontétaléesdevantlui,etsalargepoitrineestmonrefuge.Nadiavabientôtrentrerdel’entraînement.Encoreunquej’airaté...MmeRodriguezl’amaintenumalgrélesévénements,etavecShawna,ellessontd’accordpourqu’onparticipeauhomecoming,finalement.C’estimportantquel’équiperendehommageàKimetàRachel.

Aprèsavoirmanquétouscesentraînements,etavectoutlecirqueautourdemonpère,jepourraisbienfinirparmefairevirerdel’équipe,etfranchement,jeneleurenvoudraispas.

Dimitriapasséunbrasautourdemesépaules,etsesdoigtsdessinentdeslignessurmesbras.«Tuesbiensûredevouloirregarder?

—Letestaudétecteurdemensongesétaitnégatif,doncçapeutpasêtrepirequelapremièreinterview...»Jeglissemespiedssousuncoussinmoelleux.Unepartiedemoivoudraittoutoublierdecetteinterview,desmeurtres,detoutcequin’estpasnousdeux.Maisc’estimpossible.

Jemesenstoutàlafoisagitée,effrayée,furieuse.Jemerapprochedeluietmeslèvrestrouventlecreuxdesoncou.Ilgronde,unemusiquedoucepourmesoreilles.Ilsetournepourmeregarder,toutsoncorpstendu.Sonregardestenflammé,samaintrouvemataille,etsesdoigtssoulèventàpeinemont-shirt,justeassezpourseglissersousletissuetcaressermapeaunue.Sarespirationsefaitpluslourde,maisilsecouelatêteetretiresamain.«Tuesperturbée...

—Justement,jecherchaisunmoyend’oublier»,jesoupire,frustrée.Samainseposefermementsurmajoue,etjesuistentéedel’envoyerbalader.Lesémotionsqui

montentenmoisecontredisent.«Oui,j’aibiencompris,etcrois-moi,iln’yarienquimeplairaitplusqued’êtretonmoyend’oublier,maistuasl’airaussiunpeu...»Ilchoisitsesmotsavecprécaution,carilmeconnaîtetsaitquelamoindreerreurdeformulationpourraitmefermerdéfinitivementàladiscussion.«Tuasl’airperdue.»

Jetireunemineboudeuseenessayantdem’éloignerdelui,maisilnemelâchepas.«Personneneditquetudoistoujoursavoirdesréponses.Tunepeuxpastoutcontrôler.Lesactions

detonpère,parexemple...—Dequoituparles?»Jecroiselesbras.Passûrquejeveuilleentendresaréponse.«Jeparledel’interview.»Ilmontrevaguementlatélévision,l’airénervé.«C’étaitabusédevous

fairesubirtoutça.C’estclairqu’ilnepensepasàvous,maisjusteàlui.—Qu’est-cequetuensais?»Jedétestel’entendreexprimermescraintes.Jevoulaisresterdans

mabulle,cesoir,maislabulleexplose.«Jelesais,parcequetamère,toietCalebvousluiavezbienditquevouliezpaspasseràlatélé.

ParcequeCalebalenezensangaujourd’hui.Parcequelesgensontpasl’airdefaireladifférenceentreluiettoi.»Ilmarqueuneautrepause,maiscettefoisilacetteexpressionquimeditqu’ilcherchecomments’expliquer.«S’ilfaisaittoutçapourvousprotéger,sivraimentc’étaitsonseulbut,alorsilvousauraitécoutés.Surtoutaprèsquelapremièreinterviewsesoitpassuperbienpassé.»

Jesaisexactementcequ’ilveutdire,maisjenesuispasprêteàl’accepter.«Peut-êtrequesi.»Jeparlesansaucuneconviction,maisladouleurenmoisefaitplusprofonde.

«Peut-êtrequ’ilpensevraimentaider.Commequandilt’aditdemelaissertranquille.»Ilaunmouvementderecul,etlemurautourdemoncœurs’épaissit.Jesuisfatiguéedetoutça,etla

colèredéferleenmoiparvagues.Maréactionestirrationnelle.Jemelève,prêteàsortirentrombe,quandNadiaouvrelaporteetentreavantquejepuisseouvrirlabouche.Jem’écartedeDimitripourluilaisserdelaplace,etellelèveunsourcil.«Euh,c’estmort,jem’assiedspasaumilieu,surtoutquetuasl’airenrognecontreluietqueluiveutêtretonchevalierservant.

—Sonchevalierservant,sérieusement?»demandeDimitri,etmalgrémoi,jesenslatensionretomberunpeu.

«Hé,tefouspasdemoi!Ilfautcroirequ’entrelesréunionsdescheerleaders,lesrépétitionspourmapièce,etlabaguedepré-fiançaillesquem’aofferteLiam,jemesensd’humeuruntantinetdramatique.»

J’écarquillegrandlesyeuxtandisqueDimitrigrogneàcôtédemoi.«Alorsçayest,ill’afait,hein?IlenparlaitàPapatoutàl’heure.

—Tusavais,ettum’asriendit?»jem’exclameenluimettantuncoupdepoingdansl’épaule.Ilgrimace.«Jevoulais,mais...»Ils’interrompt,sachantqu’iln’estpasnécessairedemerappeler

dequoionparlaitàl’instant.JebondissurmespiedsetlesouriredeNadiaestlepluslumineuxquej’aiejamaisvu.Elleme

montrelabague.«Despré-fiançailles,hein?Commentils’yestpris?Qu’est-cequetuasdit?—Ils’estpasmisàgenoux,sic’estcequetuveuxsavoir...pouffe-t-elle.Aprèslaréunion,ilest

venumechercher,etondiscutaitsurleparking.Bon,audébutons’estchamaillésparcequejeluiavaispasditqu’onyallaitàpiedsavecShawnaetilaeupeur.Maisaprèsça,ilsepourraitbienqu’onsesoitunpeuembrassés...Etensuite,ilaprisunairsupersérieuxetilm’adit,“Nadia,tusaiscombienjet’aime...”J’allaisluirépondre,maisilm’aencoreembrasséeavantdedire,“Jesaisqu’onesttropjeunespoursefiancer,tonpèremel’agentimentrappelétoutàl’heure...Maisonestensembledepuisquatreans,etjesuisvraimentchanceuxdet’avoir,alorsjeveuxtepromettrequedèsqu’onaurafininosétudes,jetedemanderaienmariage.”»

Elleselaissetombersurlefauteuil.«Ilétaitmêmepasnerveuxouquoi,ilavaitl’aird’yavoirpensédepuislongtemps,etçaallaitdesoinetjesaisqu’onaunavenirensemble.Unaveniroùjejouerailacomédieauthéâtre,etluijoueralesténorsdubarreau.Onauradeuxoutroisenfants,etonauradessoiréesjeuxtousensemble,etonvasechamailleretseréconcilieretdansquatre-vingtans,onsetiendraencorelamaincommedesados.»Savoixdébordedejoie,etjelaserrefortcontremoi.

«Tusaisquejetrouveçadingue.Etenmêmetemps,jetrouveçasuperromantique.»NadiapointeDimitridudoigt.«Situt’avisesderappelercombiendecouplesnesurviventpasau

lycée,tuauraspastachambredansnotrefuturemaison.»Dimitriselèveetl’enlaceàsontour.«Jevaisgardermesstatistiquespourmoi,parcequetusais

quoi?Peuimportecequisepassedansunoudeuxans,tuaurastoujourscemoment.Etmêmesijedétestel’admettre,vousdeux,vousêtessûrementl’exceptionàlarègle.

—Pourquoiçatedérangedel’admettre?»jedemandeenignorantlablessuredansmoncœuretdanssesmots.Ilssontl’exception...Etnous,alors?

«Parcequej’aitoujoursditàNadiad’êtretrèsprudente,etenfait,j’avaistort.Parfois,çavautlecoupde...euh...prendredesrisques.»Ilesttellementadorable,àbafouillercommeça,quejepassemonbrasautourdesataille.

«Onsefaitpluslatronche?»demande-t-ilenembrassantlesommetdematêteavectellementdetendressequejesuisauborddelacombustionspontanée.

«Ohnon,c’estpasfini,maisonpeutfaireunepause.»Nadiapinceleslèvres.«J’aimeraisbienfêterçaavecvous,maisl’interviewcommencedansdeux

minutes.»J’aipresqueenviedenepasregarder.Justeoublier,etprofiterdumomentprésent.Maissijeneregardepas,jeneseraipaspréparéepourlasuite,etjeneseraipasenmesurede

préparerCaleb.

CHAPITRE34–DIMITRI

L’atmosphèredanslapièceestpasséedubonheurpourNadiaàl’appréhensionpourErin.J’allumelatéléenl’attirantversmoi,etelles’installecontremontorseenserrantfortmamain.Nadias’assiedàcôtéd’elle,lespiedsblottiscontrelessienssurlecanapé,puiselleattrapeleplaiddenotrepèreauxcouleursdel’universitéA&Metl’étendsurnous.

«Aupire,ilsepassequoi?demande-t-elle.—Commentça?demandeErind’unetoutepetitevoix.—Ben,ondevraitsepréparerpourquelquechosedecatastrophique,commeçasic’estjuste

mauvais,onserapresquesoulagés.Donc,imaginonslepirequipuissearriver...»Ellefrottesonnezduboutdel’index.«Déjà,onsaitqu’Abbyvaforcémentparlerdelalistedesprofslesplussexy.»

Erinseraiditcontremonbras.«Peut-êtrequ’elleestpasaucourant.»ElleregardeNadiaetsonsourcildubitatif.«O.K.,tuasraison...J’arrivepasàcroirequ’ilsfontl’interviewendirectcettefois.Ilsvontjustemontrerunrésumédudétecteurdemensonge,etensuiteilsdiffuserontdirectementdepuisnotresalon.»

Legénériquedel’émissionretentit,unairtoutennotesprofondesetidéessombres.«BienvenuedansLesvraiscrimesdel’Amérique.Voiciunrésumédecequis’estpasséhier...»

Jeserrel’épauled’Erinenluimurmurantàl’oreille:«Jetel’aidit,tuasétésuperdanstoninterview.

—Hmm...»Ellen’apasl’airconvaincue,maisneditpasunmot.PasunmotquandAbbyparledelafameuselisteetquesonpèrehausselesépaules,l’air

indifférent.Pasunmotquandsonpèreregardedroitverslacaméraetdéclare:«Jecomprendsquelesgens

veuillenttrouverletueur,jenepeuxmêmepasimaginercequec’estquedeperdreunenfant.Cequejenecomprendspas,c’estpourquoilapolicen’enquêtepassurd’autressuspectsaveclemêmezèlequ’ilsmontrentavecmoi.DessuspectscommeDimitriKuvlev,parexemple.»

Nadiaétouffeunpetitcri,etjemeretiensdejurer,parcequelà,toutdesuite,cequim’inquiète,c’estErinquiregardefixementl’écransansunmot.

Soudain,ellelâche:«Jeledéteste.»

CHAPITRE35-ERIN

Mesmainssecrispentenpoings,moncorpstoutentiersetend.J’aitellementderageenmoi,àneplussavoirquoienfaire.J’aienviedejeteruntruccontrelatélé,j’aienviedemetournerversDimitripourm’excuser,maisjerestecommeparalyséeàfixerl’écran.

Abbyécarquillelesyeuxcommesielleétaitaussisurprisequenous.Sonregardglissedemonpèreàmamère.Elleseraclelagorge,etilluifautunesecondeavantderetrouversacomposition.«Pourquoidites-vouscela?»

Monpèresepencheenavant,lescoudessurlesgenoux.Àcôtédelui,mamèreal’airpétrifiée,maissoudain,ellesetourneverslui.«Tunevaspasfaireça»,siffle-t-elleassezfortpourquelemicrol’entende.Mêmesil’émissionn’étaitpasendirect,jenesuispassûrequ’ilsauraientcoupésaremarqueaumontage.

«Jecomprends,chérie:tuesgênéeàcausedelarelationtrèsproched’ErinaveclesKuvlev,etenparticulieravecDimitri,maislemondedoitsavoirquecejeunehommeestpeut-êtreprotégéparlapolice,simplementparcequesonpèreétaitdanslamêmefraternitéqu’undeslieutenants.

—Çasuffit,maintenant!»explosemamèreenselevant.«Voustous,dehors!Sorteztousimmédiatement!»

Monpèremurmurequelquechose,etellesefige.«Jerefusedeparticiperàcettemascarade,tucomprends?Jerefuse!»Etellearrachesonmicroavantdes’éloigner,lesépaulestremblantes.

«Derek,detouteévidence,c’estunmomentéprouvantpourvotrefamille...VotrefilleadoncdesliensétroitsaveclafamilleKuvlev?

—Ilssontamisdepuistoujours,alorscroyezbienquecen’estpasfacilepourmoidedireça.»Ilapresquel’airdésolé.Ilmedégoûte.«MaisDimitriadesproblèmes.Depuiscetaccident,oùilauraitbienputuerquelqu’un,iln’estpluslui-même.Ilaétéinterrogéparlapolice,maisilsleménagent.Pourtant,j’aientendudirequelapauvreRachelareçuunmessagedeluijusteavantdedisparaître.»

Abbysursaute.«Maislesmeurtresontcommencéilyaplusdeseptans.VousnevouleztoutdemêmepasinsinuerqueDimitriauraitcommencéàtuersijeune?

—Cen’estpasimpossible.RegardezJessePomeroy,l’undesplusjeunestueursensérie,parexemple.»Ilhausselesépaules.«Pourtant,est-cequelapoliceainterrogéquelqu’un,àpartmoi?Etsiletueurd’ilyaseptansavaitquittélarégion,etqu’unautretueurl’imitaitaujourd’hui?J’aientendudirequ’ilyavaitdesdifférencesentrelespremiersmeurtresetlesplusrécents.»Savoixestconvaincante.C’estcettemêmevoixqu’ilutilisaitpourenseignerl’histoireaméricaineàsesélèves.«Maismalgrélespreuves,lapolicen’amêmepasenvisagélaculpabilitédeDimitri.»

Lamâchoirem’entombe,etmoncœurcognecontremapoitrine.Ilyaunecoupuredepublicités,etjerestecommecolléeaucanapé.Commentest-cequeje

pourraisregarderNadiaenface?EtDimitri,etleurpère,quiencemoment-mêmes’occupedeCaleb?

«Jesuisdésolée,tellementdésolée...»Mavoixsebrise.Jemelèved’unbondetpourlapremièrefoisdepuisbienlongtemps,jen’affrontepasmesdémons.Non,jefuis.

CHAPITRE36–DIMITRI

MonpremierinstinctestdecouriraprèsErin,pourlarassurer.Etjevaislefaire,maisd’abord,jemetourneversNadia:«Çavaaller?»

Ellesemordillelalèvre,etsonvisageestblême.«Çavaaller,oui.Ettoi?»Ellemarqueunepause.«Jesaisquetuasvuunrecruteur...Qu’est-cequ’ilsvontdire,qu’est-cequivasepasser?

—Ças’étaitpassuperbienpassédetoutefaçon,maisc’estsûrqueçavapasaider...Çam’étonneraitqu’ilsaientenviedemerecruteraprèscegenred’accusations...»Jemelèveetplongelesmainsdansmespoches.«Maisfranchement,jem’enfous.Erinestplusimportantequetoutça.»

Nadiahochelatêteetregardeverslaporte.«Jevaisluiparler,moiaussi,maisjepensequ’ellead’abordbesoindet’entendre,toi.C’esttoiquesonpèrevientdetraînerdanslaboue.»

Jelaserredansmesbrasavantdesortir.Moncœurbatàtoutrompre.Etsiletueurl’attendait?S’ill’avaitsuiviejusqu’ici?Siletueur

n’estpassonpère,çapourraitêtren’importequi...LepremierendroitoùErinseraitalléeseréfugierentempsnormalseraitlacabanedansl’arbre,

maismaintenantqu’onadécouvertuncorpsjusteàcôté,cen’estprobablementpasunendroitoùelleretournerait.Ilyaaussilamare,maiscommemonpèreetCalebysontalléspourprofiterd’unmomentdecalme,ellenevoudrasûrementpaslesdéranger.Legarage,peut-être?Soudain,jemerappellelafoisoùelleavaiteuunegrossedisputeavecNadia,quandellesavaientonzeoudouzeans.AumomentoùAudreyestapparuedansleursvies,ellesontdûchangerladynamiquedeleuramitié,etNadiaaeubeaucoupdemalàs’yhabituer.Erinétaitalléesecacherdansl’espaceétroitentrenotremaisonetcelledesvoisins,unepetitebandedeterrainoùmamèrecultivaitunjardin.

Dèsquej’approche,elleseretourne.Sonprofilesttriste,maispasautantquesavoix.«Jecroisqu’ondevraitfaireunepause,Dimitri...Ilfautqu’onprennenosdistances,sinononrisqued’attirerencoreplusd’attentionsurtoietçaferaitqu’empirerleschoses.Mamèrem’aappelée,onvaallerlarejoindreaumotelàBearCreek.

—Etmoij’aiaucuneenviedefaireunepause.Etaucuneenviedetelaisserpartirdanscetétat.C’esttoiquim’aconvaincuqu’ilfallaitsedonnerunechance,etmaintenanttuesprêteàabandonneràlapremièredifficulté?»

Ellefrissonne,etjevoudraislaserrercontremoi,maissonregardsemblecommehanté.Elleouvrelabouchepuislareferme,etjeremarqueunchangementenelle,unchangementtrahiparsaposture,sonexpression,lesmodulationsdesavoix.Nadiaetellesesontmisesd’accordunjoursurlefaitqu’êtreunebonnecompétitricedanslesconcoursdemissrevenaitàêtreunebonneactrice:savoircomments’adresseràunpublic,etcommentjouerunrôle.Etlà,Erinjoueunrôle.«Saufquec’estpaslapremièredifficulté,pasvrai?»Ellemefixesansciller.«Jet’aientendu,justeàl’instant,tuparlaisd’unrecruteuravecNadia.Pourquoitum’asriendit?Etsurtout,dis-moiquecetteputaind’interviewnet’apaspourri

teschances...—Çanem’apaspourrimeschances...»jesoupireenpassantmamaindansmescheveux.Je

chercheunmoyendepénétrerlemurdeprotectionqu’elleabâtisiétroitementautourd’ellequejemedemandecommentellepeutencorerespirer.«J’avaisaucunechance,àlabase.JevoulaisallersurlacôteEst.»

Sonregards’adoucitjusteuneseconde.«Jet’aiditqu’ontrouveraitunmoyen.Jesaisàquelpointtuveuxjoueraufootballici,auTexas.

—Jeveuxjoueraufootball,point.—Etmaintenanttunepourraspas,àcausedemonpère.Dis-moi,àquoiçaserviraitqu’onreste

ensemble,hein?Qu’est-cequetuygagnerais?Onferaitquet’apporterdesemmerdes,etpuis,c’estmonpère...Àchaquefoisquetumeregarderas,tuverraslapersonnequiadétruittacarrièreettonavenir.Tuverrasceluiquiestpeut-êtreunmeurtrier,maisquiavoulutefaireporterlechapeau.»Ellefaitungesteénervédevantsonvisage.«Regardemesyeux,merde!Lesyeuxdemonpère!Çatedégoûtepas?Moi,çamedégoûte!»

Ellebatrapidementdescilspourretenirseslarmes.Jem’approched’elle,maisavantquej’aiepuparler,j’entendsdesbruitsdepasquiapprochent,et

leriredeCaleb.«Erin!Onaattrapédeuxpoissons!»SavoixdébordedejoieetErininspireprofondémentavantderemettresonmasque,oubliantlesfissuresquej’aiepuyvoirilyaquelquessecondes.

«C’estsuper,Caleb.»Ilcourtverselle,etelles’accroupitpourleprendredanssesbras.Monpèrearrivejustederrière,souriantluiaussi,maissonsourires’éteintdèsquesonregardcroiselemien.

Monvisagedoitrespirerlatristesse.Erinpasseprèsdemoisansmeregarder.«Merciencoredenousavoirreçus.JevaisdireaurevoiràtonpèreetàNadia.Àplus.»

EllesaitbienquejenedirairiendevantCaleb,iln’apasbesoindesavoiretdes’inquiéter.Elleseforceàprendreuntonjoyeux.«Devinequoi,Cal...Onvadormirdansunmotel!

—Maisjecroyaisqu’ondormaitici?M.Kuvlevaditqu’onmangeraitdespancakesdemainmatin!»

Ellesetourneversmonpèreetl’enlace.«Merciencorepourvotreaccueil,maismamèrevientd’appeleretelleveutqu’onlarejoigneauMotelSixàBearCreek.»

Ilreculeetladévisage,l’aircirconspect,aveccequej’appellesonsourcilconfus.Unsourcilnonpaslevéoufroncé,maisquipenchesuruncôté.«Tamèrepeutvenirdormiriciaussi,sielleveut.

—C’estgentil,maisnon.Merciencore,pourtout.—Maisjeveuxdormirici,moi»,chouineCaleb.Lajournéeaétélongue.«Onpourramangerdespancakesaumotel,etenplus,ilyaunepiscine.»Elletendlamain,etil

l’attrape.«Maintenant,dismercipourcettebellesoirée.»Calebcourtversmonpèreetmanquedelefairetomberàlarenverseens’accrochantàlui.«Merci

beaucoup,MonsieurK.!Monpèreildittoujoursqu’onvaallerpêcher,maisilajamaisletemps.—J’aipasséuntrèsbonmomentavectoi,Caleb.Disbonjouràtamamanpourmoi,d’accord?Tu

estoujourslebienvenuici.Etqu’est-cequejet’aidit,toutàl’heure?—Soiscourageux,travailledur,etamuse-toiavectesamis.—Bongarçon»,répondmonpèreensouriant.C’estexactementcequ’ilm’aditquandj’ai

commencélefootballetquejenemedébrouillaispastrèsbien.ErinetCalebentrentdanslamaison,etellenesetournemêmepaspourmeregarder.Etça,çafaitmal.

CHAPITRE37-ERIN

Mamère,Calebetmoisommesinstallésaumoteldepuispresqueunesemaine,maintenant.Monpèren’estpasvenu.NadiamesuppliedeparleràDimitri,maisjeneveuxpasêtreunpoidspourlui.Quisaitcequemonpèrevaencoreinventer,quelsmensongesilvaraconter?

Lachambreestétouffante,lelingedelitestdélavéetlatélévisionnefonctionnequetroisfoissurcinq.Maisaumoins,lapiscineestpropre.Mamèreetmonfrèreyvonttouslessoirspendantquejemepromèneautourdumotelpourprendredesphotosquejepasseraiprobablementennoiretblanc.Unsandwichabandonnéausol.Unefemmeenpleurssursonbalcon.Deschauffeursroutiersexténués.

J’ailoupélematchd’hier,j’ailoupélemomentoùlesjoueursontportéDimitriàboutdebraspourfêterlamanièredontilasuprévoirladéfensedel’équipeadverse.Ilaexpliquéauquarterbackcommentrepérerledéfenseurprincipaletseconcentrersurluiavantlecoupdepiedd’envoi,etçaamarché.J’ailoupéaussitouslesentraînementsdescheerleadersettouteslesrépétitionsavecJenna.

Nadiavientpasserquelquesminutesavecmoitouslessoirs.Eles’assiedàcôtédemoiaulycée,ellesèchemêmelescourslesjoursoùonn’apaslesmêmeshorairespourdéjeuner.

Audreym’envoiedesSMStouslesjours,ethier,ellem’aappeléependantlematch,oùelleencourageaitCarlos.Ilétaithorsdequestionquej’yaille.Tropéprouvant,tropdouloureux.

Mamèretapotelaplaceàcôtéd’ellesurlelit.Calebjoueavecsontéléphoneportable,lesécouteursdanslesoreilles,etilnenousentendraprobablementpas.Ilritdevantsonjeu,etcesonsuffitàmeremonterlemoral.Oupresque.

Mamèreporteunjeanetunchemisierbleuciel.Elleal’airplusjeune,plusmaîtressed’elle-même,maisaussiterriblementtriste.«Tuvassortircetaprès-midi?»

Cetaprès-midi,monéquipedecheerleadersfaitunnuméropourlefestivalduhomecoming,pendantlafêtedesanciensetjusteavantlebal.Audébutdel’année,MmeRodriguezaclairementstipuléquesionmanquaitdeuxentraînementslamêmesemaine,onseraitprivéesdespectacle.

«Non...Jevaisresterici,peut-êtretraînerunpeuàlapiscine...»J’étendsmesjambesdevantmoi.«Tunepeuxpasraterlehomecoming,Erin.JecroyaisquevousvouliezrendrehommageàKimet

Rachel?—Jepensepasqueçasoitunebonneidée...Papapourraitdéciderd’yaller,mêmes’ilestplus

prof.Etjesuisdevenueuneexpertepourl’éviter.—Tonpèreest...C’estunhommecompliqué.—Maman...Tuveuxbienm’expliquercequeçaveutdire,“Toietmoicontrelemondeentier”?»EllejetteunœilversCaleb,maisilfredonnelachansondesonjeu,bientropabsorbépournous

écouter.«J’aidéménagédelaGéorgieauTexasquandj’avaisseizeans.Toutlemondeseconnaissaitdéjà,

àGavert,alorsaudébut,c’étaitdifficile...LefrèredeJohn...Lefrèredushérif,jeveuxdire...C’était

monpremiervraipetitami.Ilétaitmerveilleux,drôle,attentionné.Maisilavaitdesproblèmes.Ilmefrappait,pourtouttedire.Etmoi,jecroyaisquec’étaitmafaute,quesij’agissaisdifféremment,quesijememontraisplusgentille,plusdrôle,plusjolie,plusparfaite,ilnemefrapperaitpas.C’étaitcequ’ilmerépétait,entoutcas,etmoi,jelecroyais.J’avaispassédesannéesàentendrelesmêmesreprochesdanslesconcoursdemiss,alorspourmoi,çaavaitdusens.»

Ellecaressemescheveux.«C’estpourçaquejenevoulaispasquetutelancesdanslesconcours,audébut...Maisensuitejemesuisrappeléecombienjem’étaisamuséeavecmesamies,oudumoinscertainesdemesamies,ettonpèrem’aconvaincuequ’ilfallaittelaisseressayersituenavaisenvie.

—Qu’est-cequis’estpassé,Maman?»Jemeblottiscontreellesanstropsavoirsic’estpourluidonnerducourageoupourmerassurer.«Unjour,ilm’afrappéetropfort.Àl’époque,jetravaillaisdansunecoloniedevacances.Il

m’attendaitàlasortie,etjesuissortieenretard.Ilm’afrappée,tonpèrel’avu,etilm’adéfendue.Cettenuit-là,onaparlépendantdesheures,luietmoi.Jeluiaiditquejen’avaispasbesoindesonaide,quej’allaisquitterBen(ils’appelaitBen),etquetoutiraitbien.Ilm’adonnéducourage,ilm’amontréuneautrefaçondegérerleschoses.Etj’aifiniparquitterBen,commej’avaisdit.»Savoixsebrise.«Maisaprèsça,Bens’estmisàmesuivreetàm’espionner.Unjour,ensortantd’unerépétition,j’aivouluallercourirautourdulac.J’étaisseule,etilm’asuivie.J’avaisrepérésavoiture,maisjem’imaginaisquesijeluidemandaisdepartir,ilm’écouterait.»Ellefrissonne,etjemedemandesijeveuxvraimententendrelasuite.«Seulement,ilétaitdrogué...Jenesaispascequ’ilavaitpris,maisilétaitcomplètementincontrôlable.Ilaessayédemefrapper,maisjemesuisenfuie.Parchance,tonpèrelesurveillaitdepuisquelquestemps,etilétaitlàcejour-là.Tonpèreétaitfurieux,ilsontcommencéàsebattre,etilsontfinidanslelac.Aprèsça,jemesuisévanouieetj’ignorecequis’estpassé.TonpèreditqueBenaeuunesortedecriseetqu’ilacouléàl’endroitoùlelacfaitunecuvetteplusprofonde.Quandjemesuisréveillée,ilessayaitdeleranimer,maisilétaitdéjàtroptard.Plustard,cettenuit-là,tonpèrem’aditquec’étaitluietmoicontrelemondeentier.Voilà.»Elleestpresqueàboutdesouffle.«Ilm’asauvée.J’ignoredequoiBenauraitétécapableoucequiauraitpum’arriversitonpèren’étaitpasintervenu...

—Pourquoitunem’enasjamaisparlé?—Onvoulaitt’enparlerquandtuentreraisàl’université,maispasavant.Messouvenirssontde

plusenplusflous.Quandtonpèreaétésuspectéautoutdébut,certainsjournalistesontmentionnécetincident.Audébut,leshérifn’apasvoulurevenirdessus.Ilavaitbienconsciencequesonfrèresedroguait.Maisàforce...Jenesaispass’ilacommencéàdouterdel’accidentparcequetonpèreétaitsuspect,ous’ilenafaitunsuspectparcequ’ildoutaitdel’accident.»Elleal’airsitriste.

J’enroulemesbrasautourd’elle.Elleestalléechezlecoiffeurcettesemaine,etsesbouclesbrunents’arrêtentmaintenantjustesouslesoreilles.

«Jet’aime,Maman.—Jet’aimeaussi,mapuce.Etc’estpourçaquejet’interdisderesterdanscettechambre

aujourd’hui.Pourtant,crois-moi,j’adoreraistegardericiavecmoipourtesavoirensécurité...J’appelleraiJohnpourêtresûrequ’ilyaurasuffisammentdepolicierssurplace.

—Non,pasleshérif,s’ilteplaît...Ilmeregardetoujoursbizarrement,etl’autrefoisilm’aditquejeluifaisaispenseràtoi.»

Ellepenchelatêtesurlecôté.«Étrange...»Elleattrapesontéléphone.«AlorsjevaisappelerTyrik.Jevaisluidireça,etjevaisluidemanderdes’assurerquelqu’untesurveilletoutletemps,toipersonnellement.»Ellecaressemescheveux,etsavoixs’adoucit.«Tunevaspasjetertonavenirparlafenêtrepourquelquechosequiéchappeàtoncontrôle.Cequetupeuxfaire,enrevanche,c’estd’appelerJennapourt’excuserd’avoirmanquélesdernièresrépétitions.Tupeuxalleràlafête,etsouhaiterbonnechanceàtoutestesamiescheerleaders,àcommencerparNadia.Etenfin,tupeuxparleràDimitri.Le

pauvregarçonm’appelletouslesjourspourprendredetesnouvelles.»Unechaleurs’emparedemoi.Unechaleurstupide.Uneréactionstupide.Jerelèvemescheveuxen

chignonpouréviterderépondre.Maismamèren’enapasfiniavecmoi.«Jesaisqueçavanevapasêtrefacile,quelesgensvont

êtreméchantsavectoi.Maistesamisontbesoindetoi,mapuce.Nadiaauneauditionauthéâtredemain,n’est-cepas?EtDimitri,tuimaginesbienqu’ilestassaillidecritiquesetdequestionsaprèscequetonpèreadit.EtAudrey!Tuasdittoi-mêmequ’elleavaitbesoind’aidepourrépétersondiscours.Cen’estfacilepourpersonne,machérie,etcesonttesamis.

—Mais...»Jelatrouveinjuste.Audébut,ellem’aencouragéàprendretoutletempsdontj’avaisbesoinpourmeremettre,etmaintenantelleremuelecouteaudanslaplaieenmerappelantquej’ailaissétombermesamis.Elletitillelaculpabilitéaufonddemoi,quinedemandequ’àressurgir.

«C’esttadécision,mapuce,maispenseaussiàcombienturisquesdeleregretter,situn’yvaspas.JesaisqueNadiat’ainvitéeàdormirchezelle.Tupeuxpasserlanuitlà-bassituveux.»Ellemetouchel’épaule.

Ellearaison,jelesaisbien.Manquerlefestivalduhomecoming,dansunsens,çaseraitcommetournerledosàKimetàtoutemonéquipedecheerleaders.«D’accord.Tuasraison.Jevaisyaller.»

Mesbottesm’arriventpresqueauxgenoux,majupeflottedanslevent,etmondébardeurmecolleàlapeau.Moncœurbatdansmesoreilles.Mesyeuxrestentfixésausol,etjenoiemapeurdansunegrandegorgéedeCocaLight.

«Erin!»appelleNadiadepuislascène,toutaufonddelapelousedustade.Biensûr,touteslestêtessetournentversmoi:lemaireaccompagnédesatroisièmefemme,Tessa,

sonpère...Bref,toutelavilleestlà.Jesuistentéedefaireungestedelamaincommesijesaluaislejurydepuislascène,maisçane

feraitrienpourarrangermaréputationdefillelégèrementcingléesurlesbords.Nadiacourtversmoidanssoncostumedecheerleader,avecsonmaquillagedescènetoutprêtet

sescheveuxrelevésenqueuedechevaletbouclés.«Tuesvenue!C’estpasvrai,tuesvenue!»Ellemeprenddanssesbrasetjeluirendssonembrassade.Ellerecule.«Tamèret’afaitduchantage,c’estça?

—Pasloin.—Tantmieux!Jesuistropcontentedetevoir!»Elleregardederrièresonépaule.Leprincipaldu

lycéenousobserve.«Jesuisdésoléepourtonpère...—Pourquoi?Soninterviewcatastrophe,oulefaitquecettefois,lelycéeaparlédecarrémentle

virer?—Çadépend,tupréfèresquejesoisdésoléepourquoi?»demande-t-elle,envraiemeilleure

amie.«Jesaismêmepas.»Sonexpressionpassedelacompassionàsatête-de-Nadia,celledontj’aiapprisàmeméfier.«On

aparléàMmeRodriguez.—D’accord...?—Aveclesautresfilles,maissurtoutShawnaetmoi,onainsistépourquetufasseslenuméro.On

abesoinquetusoislàaussi.—Maisjesuispasvenueàl’entraînementdepuisdixjours.—C’estundétail.»Nadiaéloignemonobjectiond’ungestedelamain.«Tuconnaisnotredanse

parcœur,c’esttoiquil’ascrééeavecShawna,donc...—MaisMmeRodriguezaditquejepouvaispasparticiper.

—Elleaditçapourlematch,ettuasobéi.Tellementbienquet’esmêmepasvenueyassister,d’ailleurs.»Ellelèveunsourcil.

«Jesais,jecrains...—Unpeu,ouais.Dimitrit’acherchéepartout.Enfin,bref,ellet’ademandédepasdanseravantle

match,maisellearienditpournotremerveilleuxpetitnumérod’aujourd’hui...»Ellepointesondoigtverslefonddelascène.«Onapristonuniformeaucasoù,etonpeuttecacherpendantquetutechanges.Allez,disoui,s’ilteplaît!C’estsuperimportantpournoustoutes.Cenuméro,onenabesoin,etonsesenttropbizarreàl’idéedelefairesanstoi.»

Ellemepousseenavant,sachanttrèsbienquejenerefuseraipasalorsquetoutel’équipedanseensouvenirdeRacheletKim.Unepartiedemoisedemandeencoresic’estunebonneidéedanslamesureoùlamoitiédelavillepensequec’estmonpèrequilesatuées...Maisl’équipepassetoujoursavantlereste,etaujourd’hui,monéquipeabesoindemoi.«Allez,dépêche-toi,onentreenscènedansdixminutes.T’aspasintérêtàêtreàlabourre!»

CHAPITRE38-DIMITRI

Lefestivalduhomecomingsedérouledansungrandterrainvaguederrièrelestade.Jedescendsunautreverredethéglacéenregrettantqueçanesoitpasunebière,entrecejoueurquitourneautourd’ErinetmaculpabilitéautourdelamortdeRachelquin’arrêtepasd’enfler.

J’ignorequelleformulemagiqueNadiaatrouvé,maisErinaenfilésatenuedecheerleaderetestprêteàdanser.

Oui,j’aimeraispouvoirboire,maisçadevraattendre,parcequ’unrecruteurdel’Universitéd’ÉtatduMidwestsetrouvejusteàcôtédemoi.«Merciencoredem’accordervotretemps,Monsieur.

—Jevousenprie.Nousvousavonsditquevousnousintéressiezbeaucoup,etc’estvrai.Seulement,nousnesommespassûrsdecommentnosdonateursvontréagir.

—Jecroisquevotreéquipeetmoi,onabeaucoupencommun.Pourl’instant,votresaisonnesepassepasbienetvotreréputationestauplusbas,unpeucommelamienne.Onatousàygagner.Jesuisunbonjoueuretunbonleader.»J’aidumalàmeconcentrersurlaconversation,etmesyeuxpassentsanscessepar-dessuslatêtedurecruteurpourépierlesalentours.Ilyapleindepolicierspartout,maisaprèstout,letueurabienréussiàdéposerlecorpsdeKimderrièrecheznousmalgrélaprésencedesagentsRiveraetMartinez.

Lerecruteurseraclelagorge,peut-êtrepourrécupérermonattention.«Quellessontvosmotivationspournousrejoindre,exactement?Vousl’avezdit,nousavonsperdutroischampionnatsetnousn’avonsmêmepasréussiànousqualifierpourlesdeuxderniers.Nousavonsperdulepeudeprestigequenousavions...»Ilmarqueunepause.«VousaviezsignéavecTexasState.»Ilfaitungrandgeste,commesicettedernièrephraseexpliquaittout.

«Oui.J’auraispuessayerderepousserlecontratetilsauraientpeut-êtreaccepté,maisaprèsl’accident,jen’étaisplusmoi-même.J’étaisdémoraliséetencolère,principalementcontremoi-même.»

Lerecruteurhochelatête.IlconnaîtbienM.Miller,c’estd’ailleursprobablementlaseuleraisonpourlaquelleilaacceptédemevoiraujourd’hui.«Écoutez,commevouslesavez,toutçan’estpasdansnoshabitudes...Maisjecroissincèrementquevousseriezunatoutpournotreéquipe.Jevousaivuvousentraîneraveclesjoueurs,vousêtesbon.Etplusimportantencore,vousvousintégreriezbienàl’équipe.»Ilsepencheenavant,etsesénormesbicepssemblentsurlepointdedéchirersachemise.«Onpeutfaireunessai.Vouspourriezvenirrencontrerl’équipe,disonslasemaineprochaine?Riend’officiel,biensûr,maisonpourradiscuterplusamplement.Voussavezdéjàcequevousvoulezétudier?»Ilricane.«Sachantquelajeunefillequevoussuivezdesyeuxdepuiscinqminutesn’estprobablementpasauprogramme.»

Grillé.Jereportemonregardsurlui.«Euh,non,jenesaispastrop...J’aitoujourscruquejefiniraisparjouerchezlespros,voussavez,êtrerecrutéparlaNFL,jouerquelquesannées,puisprendremaretraiteetdevenirentraîneur.Maismaintenant,jesaisplustrop.

—Labonnenouvelle,c’estquevousn’êtespasobligédedéclarervotrespécialisationavantlatroisièmeannée.Monconseil:soyezsérieuxcetteannéescolaire,continuezàprendredescoursdansdifférentsdomaines,etparlezauxgensautourdevous.Renseignez-voussurleursmétiers:qu’est-cequileurplaît,qu’est-cequ’ilsaimeraientchanger?Etvoyezsiquelquechosevousparle...

—Vousavezraison.»Jevoudraispouvoirprofiterdecemoment.Cesentimentd’avoirunavenir.Unavenirquej’aibienfaillifoutreenl’air.«Mercidevousêtredéplacéjusqu’ici.»Jeluiserrelamain,etmesyeuxcherchentànouveauErin.

J’observelesfillessurscène,etj’aienviedebondirdemonsiège.Jamel,undesjoueursquifiniraprobablementparêtrerecrutéparlaNFLaprèssesétudess’ilcontinueàjouercommesichaquematchétaitleplusimportantdesacarrière,sepencheverselleetluimurmurequelquechoseàl’oreille.Jenevoispassaréaction,cachéeparlafoulequis’épaissitsecondeaprèsseconde.

Jemelève.Nadiamerepèreetmefaitcoucouavecungrandsourire.Toutel’équipedescheerleadersfaitdesonmieuxpourseprépareràleurnuméro,maisonvoitbienqu’ellesontdumalàgarderlaface.Liamlaretrouveplustardaufeudejoie.Erinsetourneversmoietnosregardsserencontrent.Autourdemoi,lemondesefige.J’aitoujourspenséquelesgensexagéraientquandilsparlaientdesesentirseulaumonde.Maisàcemoment,jecomprends:c’estexactementcequejeressens.

Levolumedelamusiquemonte,etErinsemetenplace.Jemedéplaceverslecentredecequiétaitautrefoisunchampdemaïspourlaregarderfairesonnuméro.Audébut,ilestévidentqu’elleseforce:elleaunsourirefigéetellesautemoinshautqued’habitude.Maisaprèsuneminute,elleestdenouveauelle-même.

Àlafindunuméro,lafouleapplauditàtoutrompretandisquel’entraîneurMillermontesurscène.«Merci,merci...Mercibeaucoup!»Normalement,lefaitdelevoirentourédecertainsgarsquej’admiraisdevantunefoulequis’emballe,çameferaitmalaucœur.L’entraîneurm’ademandésijevoulaismontersurscèneaveceux,maisçamedérangeait.JemeconcentresurErinpournesurtoutpaslaperdredevue.

Unefilledontjemerappellevaguement,maisjecroisqu’elleestdansl’équipedevolley,luiraconteuneblagueetrittouteseule.Levisaged’Erinsedécomposeetellesesauve.Nadialarattrape,Erinsecouelatête,attrapesonsacetseglissederrièrelesstandsdeventepourallerauxvestiaires.Certainespersonnesmesourient,peut-êtrepourengagerlaconversationoumedirequ’ilsnecroientpasunmotdesaccusationsdeM.Hortz,maisçan’estpaslemoment.J’allongelepas,prêtàcourir,quandjetombesurNadiaaccompagnéed’AudreyetLiam.

«Salut,grandfrère»,dit-elled’unevoixtriste.«Qu’est-cequisepasse?—J’avaisconvaincuErinderesteretdes’amuseravecnous,maisleconnardavecquielleapas

voulusortirenpremièreannéeluiaenvoyéuntextodégueulasse.Soi-disantqu’elleestaussicoupablequesonpère,qu’elleledégoûte,etqu’elledevraitpasavoirledroitdevivre.EtaprèsçaPaigeluiaditqu’ellevoulaitbiendonnersonnuméroàsonpère.Desmalades,Dimi,lesgenssontdesmalades.»Ellecontinueàdéblatérerenfaisantlescentpasetenagitantlesmainspourexprimersonexaspération.«Bon,elleadéjàludestrucsdumêmegenresurInternet,etc’estpassonpremiertextoméchant,maislà,cetenfoiréaajoutéunephotod’elleetCaleb.Ilsseserventdesonpetitfrère,quoi!Elleétaitauborddeslarmes.J’aivoulualleravecelle,maistulaconnais...»Ellesecouelatête.«Tusaisoùlatrouver.

—Aulac?Touteseule?»Moncœurs’affole.«Aulac.Elleaditqu’elleallaitprévenirundesagentsdepolice,maisjesaispassiellel’a

vraimentfait...—Dis-luiqu’onesttousavecelle,intervientAudreyensouriant.Ellenousa,nous.Etdis-luique

Jennacomptetoujourssurellepourleconcours.—Jepensequ’elles’entapeunpeu,duconcours,jeréplique.T’essûrequelemessagevenaitde

cetype?»—Oui,acquiesceNadia,ilétaitavecsespotesetilssesonttousmarrésquandill’aenvoyé.On

l’aentendu.»Ellemeprendàpart.«Toutlelycées’éclateàpropagerdesnouvellesrumeurs,maintenant.Ilsdisentqu’iladûtuerd’autresgensavant,quandilvivaitenGéorgie,etquesafemmeestforcémentaucourant.Ilsracontentn’importequoi,maisErinapasséunesemainedemerde,alorscemessage,çal’aachevée.»Ellemeprenddanssesbras.«Dis-luiquejel’aime,d’accord?»Etpuisellemefaitunclind’œilquin’ariendenaturel.«Etilseraitpeut-êtretempsquetuluidisesquetul’aimes,toiaussi.Çaluiferaitpasdemald’avoirunebonnenouvelle,pourchanger.»

Jebaisselesyeux,maisjeneprotestepas.CessentimentsquejeressenspourErin,siçan’estpasdel’amour,alorsqu’est-cequec’est?Cedésird’êtreavecelle,danstouslessensduterme,cebesoindelaprotéger,del’aider,delasoutenir,defairedisparaîtretoutedouleurdanssesyeux.

«Tum’appellesplustard,hein?demandeNadia.Etessaiedelaconvaincredeveniraufeudejoie!»

L’entraîneurafinisondiscours,etlesanciensélèvesseprécipitentsurscènepoursesaluerensefrappantlespoingsetenriant.Toutapresquel’airnormal,etpourtant...J’inspireprofondément,etjetraverselafoulequienfleàvued’œil.

Jesuisentourépardesodeursdepop-corn,debarbeàpapaetdecaramel.Lamusiqueestencoreplusforte,etlesgensdansent,discutentoufriment.Mamèredisaitquecesévénementsétaientfaitspourvoiretêtrevu.Elleallaittoujourschezlecoiffeurlaveilledufestival.

Jemesouviensd’unefoisoùellem’aditqu’unjour,jesauraisquej’étaistombéamoureux.Ellen’apasditjustequeçaarriverait,maisbienquejesaurais.Elleaajoutéquelapersonnequej’aimerais,jedevraislarespecter,êtreprésentpourelle,mebattrepourelle.Elleafinienajoutantquecettepersonne,elleluidonnaitsabénédiction,etqu’elleétaitheureusepournous.

J’aiprotestéendisantqu’onavaittoutletempsdumonde.Maismaintenant,jeregrettedenepasluiavoirdemandé,cejour-là,siellesavaitqueçaseraitErin,etcequ’ellepensaitdetoutça.Luidemanderaussisipeut-être,ellepourraitmesoufflerquoidireàErin,parcequej’aipeurqueladouleursoittropfortepourelle.

Ensortant,jetombesurTyrik.«Erinestaulac,jevaislarejoindre.Ellevousl’avaitdit?—Non,maisilyadéjàdeshommeslà-bas.—D’accord.»Jecoursjusqu’àmonpick-upetsautededans.L’adrénalinedoitcouleràflotdansmesveinesparce

quejeneressensaucunepaniqueaumomentdedémarrerlemoteur,etjerouleàtoutevitesseverslelac,refusantdelaisserErinseulepluslongtemps.

Lesoleilvabientôtsecoucher.Jesoupiredesoulagementenlavoyantauloin,assiseledoscontre

notrearbre.Jecroisedeuxpoliciersquim’expliquentqu’ilsontvérifiélesalentoursetquetoutestsécurisé.J’appelleNadiapourluiconfirmerquej’aitrouvéErin,maisquepourlefeudejoie,çan’estpasencoregagné.Puisj’appellemonpèrepourleprévenirquejesuisaulacetquejerisquederentrertard.Enfin,jerécupèremesaffairesdedessinsurlesiègearrière,etjerejoinsErin.Çafaitdessemainesqu’elleessaiedeprendrelaphotodecoucherdesoleilparfaite.

«Jepeuxm’asseoir?»jedemandeenposantmoncarnetàdessinetmesfusainsaupieddel’arbre,commesic’étaitunejournéetoutàfaitnormale.Jeneveuxpasl’effrayer.Onvientparfoisicitouslesdeux,ellepourtrouverlameilleurelumière,moipourdessinerunpeun’importequoi,maissurtoutelle.«J’aiparléàdeuxflicsenarrivant.Ilsviennentdefinirleurpatrouille.R.A.S,maisjem’inquiétaispourtoi.Ondevraitpasrestertroplongtemps.»

Ellenesetournepas,etsonappareilphotosedéclenche.«J’auraisjamaisdûalleraufestival.—Maisnon...Leproblème,c’estquelesgenssecomportentcommedescons.Ilspensentqu’ils

peuventdiretoutcequileurpasseparlatête.—C’estpirequeça:pourquoiest-cequedestrucspareilsleurpassentparlatêtetoutcourt?»

crache-t-elletoujourssansmeregarder.«S’ilsveulentêtreencolèrecontremoioumejugercoupable,admettons...MaisCaleb?»Savoixsebriseetilluifautunesecondepoursereprendre.Ellechangelapositiondesonappareiletprendunenouvellephoto.«Ilahuitans.»Ellelèvel’appareilendirectionduciel,probablementpourimmortaliserencorelesnuages.«Etmoi,tum’entends?Jeparlecommesimonpèreavaitdéjàétéjugéetreconnucoupable.Maisc’estpaslecas!Quelgenredefillejesuis?Quelgenrede...depersonne?»

Ladouleurdanssavoixmetransperce.Jefaisunpasenavant.«Tuestoi,ettuesmerveilleuse.»Pasderéaction.«Regarde-moi,Erin.»

Ellesecouelatête.«Regarde-moi»,jerépète,etellesetourneenfinversmoi.Jeluiprendsdoucementl’appareil

photodesmains.Sesyeuxsontrouges,commesiellen’avaitpascessédepleurerdepuissondépart,etladouleurmefrappeplusfortqueGabequandilmeplaquaitausol.Jeprendsdoucementsonvisagedansmesmains.«Tuesforte,tuesintelligente,etgentille,etdrôle,etsexy.Tueslafillequim’atenulamaintoutelanuitaprèsl’enterrementdemamère,sansdireunmot,justepourêtrelà.TuescellequiaaidéNadiaquandellenevoulaitplusquittersonlitaprèsqu’onaitsuquelecancerétaitrevenu.Tuescellequimemetpresqueàgenoujusteenmetouchant...

—Presque?»murmure-t-elle,etjenepeuxplusmeretenirunesecondedeplus.J’effleuresaboucheduboutdeslèvres.Elleaunmouvementdesurprise,maisellepassesesbrasautourdemoncouetmetireverselle.

Cettefois,notrebaiserestlourddetoutcequ’onnes’estpasdit:nosfrustrations,nossentiments,nosfantasmes...

J’enroulemesbrasautourdesataille,etnousmarchonsàpetitspasjusqu’àcequesondosheurtel’arbre.L’arbresurlequelongrimpait,l’arbresurlequelonagravénosnoms.Jeralentis,l’embrassepluslentementpourmieuxapprécierlecontactdesoncorpscontrelemien.Nosfrontspressésl’uncontrel’autre,noussommespresqueàboutdesouffle.Jebrûled’enviedeluienleversonhautetdefaireglissersajupepourembrasserlemoindrecentimètredesapeau.

«Viensvoir»,dit-elleenmeprenantlamain.Ellemefaitfaireletourdel’arbre,ettoutenbas,ellememontreuneinscription:J’<3Dimi.

Jelaserreplusfort.«Jet’aime.»Jenesuisd’abordpassûrqu’ellem’aitentendu,maiselleravaleunsouffle.

«Tuessûr?Enfin,jeveuxdire...T’espasobligédedireça...—Jesais,etjelediraispassic’étaitpasvrai.Jesaispasquandjesuistombéamoureuxdetoi,

maisjesaisquec’estvrai,jelesens,là.»Jeposesamaincontremoncœur.«Etlà.»Meslèvresse

posentànouveausurlessiennesetjetaquinedoucementsabouchejusqu’àcequ’elles’entrouvreetquenoslanguesglissentl’unecontrel’autre.Ellememordilledoucementlalèvreentredeuxbaisersenflammés,gémitetmurmuremonnom.

Maisencoreunefois,ilfautquejeralentisse,parcequemêmesijerêvedenefairequ’unavecelle,d’êtreàl’intérieurd’elle,ilyaencoretropdedétressedanssesyeux.

Jereculedoucementetellefroncelessourcils.«T’arrêtepas!—C’estpasquejeveuxpas,mais...—J’enaienvie,Dimi,j’aibesoindetoi.»Àcesmots,jevoislapassionremplacerladétressedanssesyeux,etjemepenchepourreprendre

possessiondeseslèvres.Mont-shirtestlepremieràvoler,etsesmainsdécouvrentmoncorps,seslèvresdescendentsurmonventre.Siellecontinuedanscettedirection,ellevamerendrefou.Jelapoussedoucementpourrassemblernosvêtementsetl’allongerdessus.Jemepenchesurelle.Sapeauestsidélicate,j’aipeurdeluifairemal.«Tuessûre?

—Sûreetcertaine»,murmure-t-elle.Mesdoigtslacaressentàtraverssajupe,etellesecambreenrougissant.Jeplongelesdoigtsdansmapochearrièrepourprendreunpréservatif,etjemefigesurplace.«Quoi?»demande-t-elle,lesyeuxbrillants,lescheveuxdécoiffés.

«Tutesouviensdelabatailledeballonsd’eauenjuillet?—Oui...—Ben,undesballons,c’étaitlepréservatifquejegardetoujoursdansmonportefeuille.—Oh,non!»Ellepouffe,puisricaneetricaneencore,etjel’imiteenmelaissanttomberdansla

chaleurdesesbras.«T’enaspasun,toi?jedemandeenembrassantleboutdesonnez.Vouslesscouts,vousêtes

toujoursprêts,non?»Ellememetunpetitcoupdansl’épaule.«Non,j’aijusteprismonportefeuilledepoignet.Pasde

placepourunpréservatif.—Ah,doncsinon,tuenaurais?»Jeluimordillelanuqueetelleritplusfort.«Peut-être...»Ellem’embrasse,fort.«Maisonpeutfaired’autrestrucs...»Etd’ungestehésitant,

elletendlebrasetmecaresse.J’oublietoutcequin’estpassamain.Jesuisfoutu.Foutu,etravi.

CHAPITRE39-ERIN

JemeréveilledanslesbrasdeDimitri,etj’auraisl’impressiondevivreunrêves’iln’yavaitpassonronflement,samainaccrochéeàmahancheetmapeurd’avoirmauvaisehaleinepourmerameneràlaréalité.Etcetteréalitéesttellementmieuxqu’unrêve.Ellefaitpeur,elleestpleined’inconnu,maiselleestbienlà,enmoi,aveclacertitudequ’ilm’aimecommejel’aime.Ilmarmonnequelquechose,etjemeretiensderire.

Jemedégagedoucementdesonbrasetj’attrapemonappareilphoto.«Dis-moiquejeressembleàunmannequinAbercrombiedansmonsommeil.—Tuesmignoncommetout.»Ilmetireàluietjeretrouveleconfortdesachaleur.«Oncroiraitquetuparlesd’unchiot.—Unchiottrèsmignon»,jerépondsenriant.Puisjememordslalèvreetj’arrêtederireenrepensantsoudainàtoutcequisepasse.Ilfourresonnezdansmoncou,provoquantdesfrissonsquiglissentsurmacolonnevertébrale.«Tu

asledroitd’êtreheureuse.Tusaiscequemamèrem’aditavantde...denousquitter?—Qu’êtreheureux,c’estcélébrerlavie»,jemurmure,etilm’embrasselecou.«Tupeuxpascontrôlercequelesgensfont.Parfois,tupeuxmêmepascontrôlercequeturessens,

maisàchaquefoisquetuaslechoix,ilfautchoisird’êtreheureux.Choisirlajoied’êtreenvie.—Quandtuchoisirastaspécialitéàlafac,tudevraischoisirlaphilosophie...»Jemetournevers

lui,etnosvisagesnesontqu’àquelquescentimètres.«Jepensaiscequej’aiditl’autrejour,tusais.Ilfautquetusautessurl’occasion.

—C’esttoi,l’occasion?Jecomptebientesauterdessus,dèsqu’onauraunpréservatif.»Ilserreleslèvrespours’empêcherderireàsapropreblague.

«Haha,hilarant.»Ilm’embrasseetj’oubliepresquedem’inquiéterdemonhaleineetdereveniràcequejedisais.«Tesétudes...L’université...Texas...»jemarmonne,lesyeuxfermés.Ilcaressemonvisage.

«Jesais.Onenparleraplustard,d’accord?Maisd’abord...»Ilmemontrelelac,etjeplisselesyeux.«Lepaysageal’airsipaisible...Parfoislabeautén’estpasdanslesoleilquisecouche,maisceluiquiselève...»Ilpouffe.«Tuaspeut-êtreraison,jesuisfaitpourlesétudesdephilo.»

Lalumièredumatincontrasteaveclelacencoresombre,etsonéclatmetparfaitementenvaleurlesgouttesderoséesurleschamps,leschevauxauloin,lanaturequis’éveille.Jemelève,j’enfilemajupeetmonhaut,etj’attrapemonappareiltandisqueDimitriseredressesansprendrelapeinederemettresont-shirt.Jenevaispasm’enplaindre.Ilfouilledanssonsacdesportàlarecherchedesesaffairesdedessin,etilmefixependantcequimesembleuneéternitéavantdecommencersonesquisse.

«Tudessinesquoi?—Tabeautéàcemomentprécis.Tescheveuxdécoiffésparcequej’yaipassélesdoigts,teslèvres

rougiesparcequejelesaiembrasséestoutelanuit.Lesuçonquetuaspeut-êtreau-dessusdel’épaule,peut-êtrepas.Tesjouesquirougissentcommesitutesouvenaisdequelquechose,tabouchequisouritcommesituétaisheureuse.»

Ilaunpetitrictusmoqueuravantdereprendresondessin,etjerestebouchebéeuneseconde.«Sansrire,inscris-toienphilo,etvite.Tuastoujoursétéaussibeauparleur?

—C’esttoiquifaisressortirlemeilleurenmoi.»Savoixaquelquechosedegrave.Ilneplaisanteplusetrestepenchésursondessin.Jefaisquelquepasavantderepérerunoiseauquivolebasàl’horizon.Jezoome.Sij’ouvrelediaphragmejustecommeilfaut,jepourraisfigersonmouvementbiennetsurunarrière-planlégèrementbrouillé.Çaseraitsifacilesilaviepouvaittoujoursêtrecommeça,s’ilsuffisaitdemettreaupoint,dezoomer,deseconcentrerseulementsurlesmomentsheureuxpouroublierlereste.Jesoupire.

«Àquoitupenses?demandeDimitrienlevantlesyeux.—Àrien...»Jeneveuxpasgâcherl’atmosphèreheureuseetdétendue.Jesecouelatête.«Jepense

àlafoisoùjet’aidéfiédemejeteràl’eau.C’étaitilyadeuxans,jecrois,j’avaisquinzeans.Tut’escomplètementdégonflé!

—Attends,Erin,tupeuxpasdemanderàunadodedix-septansquialatriqueàchaquefoisqu’ilteregardedetebalancerdanslelacalorsquetueshabilléeenblanc.»Illèveunsourcil.«Situvoiscequejeveuxdire.Franchement.»

Jesensdesbullesd’excitationéclaterpartoutenmoi.«Jesuispashabilléeenblanc,là...»Jemeretourneverslui.«Maisj’aimonappareil.»

Dimitriselèveetcourtversmoi.Savoixdansmonoreille,sonsouffledansmanuque,ilestsiprocheetpourtantsiloin.«Metentepas»,murmure-t-ilenpassantsesbrasautourdemoi,etilmetireverslelac.Jenebatspasdesjambesdepeurdeluifairemal,maisjecouine.

«Tuoseraispas!J’aimonappareil!»Jemetourneverslui,nosvisagesàquelquesmillimètres.Sonregarddévoremeslèvres,etenfinsonsourireilluminesesyeux.

«C’estundéfi?J’aiplusdix-septans,ettusaisdéjàl’effetquetumefais»,répond-ilenriant.Puisilmelaissegentimentretombersurlesol,àquelquesmètresdel’eau.Ilretournes’asseoirsousl’arbreetreprendsoncarnetetsescrayons.«Accroche-toibienàtonappareil,ducoup.Situlelâches,turisquesdefiniràl’eau...»Jedoisledévisagermalgrémoicarilaencorecerictus.«Soispashallucinéecommeça.Jevoulaisjustetefairesourire.»

Etvoilàquemoncœurrepartdeplusbelle,àbafouiller,àbabiller,àsedemandercommentréagir.Parcequemalgrétoutcequinousarrive,malgrél’horreur,cemomentesttoutsimplementparfait.

CHAPITRE40-DIMITRIAprèsavoirpasséquelquesminutesàdessinerlescontoursdesonvisage,jem’arrêtepourme

contenterderegarderErinquiprendsesphotos.Elles’accroupit,réfléchitàvoixhaute.Elleparledetrouverl’émotiondanslecliché,ouquelquechosedanscegenre.Etjedoismeconvaincrequelancerunenouvellesessionderoulagedepellesneferaitqueladistrairedesamissiondumatin:prendreunclichédigned’êtreencadréetoffertàsamèrepoursonanniversairequiarrivebientôt.

Jefouilledansmonsacpourtrouvermontéléphoneportable.Monpèrepourraits’inquiéter.Jeluiaibienditquej’étaisensécuritéhiersoir,maisàpartirdumomentoùErinaposésesmainssurmoi,j’aitoutzappé.Onatouslesdeuxéteintsnosportablespourlanuit,onavaitbesoindevivrel’instantprésent,justetouslesdeux.

Maisavantquejetrouvemontéléphone,jevoisdesvoituresdepolicequiapprochentàtoutevitesseensoulevantlapoussière.Erinrevientversmoi.«Qu’est-cequisepasse?»demande-t-elleavecunsoupçondepanique.

«Jesaispas...Tuastonportable?—Euh,oui,dansmonsac...Attends...»Elleposesonappareilausol,lesmainstremblantes,sans

mêmeprendrelesoindereplacerlebouchonsurl’objectif.«Voilà»,dit-elleaprèsquelquessecondes,etellel’allumeetentresonmotdepasse.

Lesflicssontpresquedevantnous.«Jevoisriendutout.Mesnotificationsmettentmilleansàchargeretenplusoncaptequedalle

ici.»Ellelèvesontéléphoneenl’air,selève,faitquelquespas.«J’aidestextosd’AudreyetNadia,et...Ah,attends,Nadiam’aenvoyéuntextoy’amêmepasdixminutes.»Ellel’ouvretandisquelesvoituresdepolicesegarentpresqueendérapantdevantnous.Tyriksort,sonvisagebientropsérieux.Monpèreluiemboîtelepas.«Papa?»Jesensl’angoissemeprendreauventre.

Erinregardesonécranetsonvisagesefige.«Ohnon...Non,non,non,pitié,non!»Ellehurle,sonvisageblêmesetordetelleportelesmainsàsabouche.«Non!Non!»répète-t-elleencoreetencore.

Monpèresecouelatête,leslarmesauxyeux.Jen’aivumonpèrepleurerqu’unefoisdansmavie,lejouroùmamèreluiaannoncéqu’elleallaitmourir.

J’ailagorgesèche.«Neregardepas»,meditmonpère,lavoixvide.Tyrikleretient.Erins’effondreausoletpleureensilence.Jeprendsletéléphonedanssamain.Nadiaferaunangeparfait.Liamdevaitmourird’abord,maiselleseralaprochaine.J’ouvrel’imagejointeaumessage.Nadiaalesmainsliéesetlevisagebarbouillédelarmes.Le

corpsdeLiamestallongédevantelle,couvertdesang.Liamestmort.

CHAPITRE41-ERINMoncorpstoutentiertremble,maisjeréussisàmerapprocherdeDimitri.Sonpèrel’aprisdans

sesbrasetl’agardélàlongtemps.«Commentçasefaitquetusoisdéjàaucourant?demandeDimitri.—Ilsonttrouvé...»Savoixsebrise.«Cematin,trèstôt,ungaminatrouvélecorpsdeLiamsurla

route1222enfaisantsonjogging.Ilétaitappuyécontreunarbre.»Ilessuieseslarmes.«IlavaitleportabledeNadiasurlui,etdedans,ilsonttrouvéletextoqu’areçuErin.»Ilavalesonsouffle.«Quandilsm’ontappeléetquej’aivuquetun’étaispasrentré...J’aibiencruqu’ilt’avaiteuaussi.»Illeprenddanssesbras.«J’aivraimentcruquevousétiezmorts,touslesdeux...»

Tyrikseraclelagorge.«Ilfautqu’onvousparle,lesenfants.J’auraibesoindevosportables,avecvosmotsdepasse,sivousenavez.Ilfautqu’onvérifiecequ’onpeutlocaliser,oubiensivousavezreçuautrechose...»

Dimitrietmoiluitendonsnostéléphones.«Jedevraisappelermamère...»jedis,maisjeneveuxpasreprendremontéléphonequejeviens

dedonneràlapolice.M.Kuvlevmeprêtelesien.Heureusement,ellem’afaitapprendreparcœursonnuméroquandj’étaisplusjeune,aucasoù.Jetombesursamessagerie.«CoucouMaman,jevoulaisjustetedirequejevaisbien,quejet’aime,etquej’essaieraideterappelerplustard.»JerendssonportableaupèredeDimitri.«Merci.»

Jesurprendslaconversationdedeuxpoliciersquidiscutentàvoixbasse.«Engénéral,illesgardeunesemaineavantdelarguerlescorps.Dixjoursgrandmax.»

Lescorps...Jen’arriveplusàrespirer.Dimitriabesoindemoi.Ilmetireprèsdeluieninspirantprofondémentavantdesetournerverssonpère.«Papa?»Savoixestpleinedepeur.«Peut-être...peut-êtrequ’elleestàlamaison?Tuasvérifié?»

M.Kuvlevhochelatête.«Oui,biensûr...Ellen’estpasàlamaison,Dimi.»Sesridessemblentplusprofondes,etilmeparaîtpluspetitqueladernièrefoisquejel’aivu.Ilsemblepresquehanté.«Ellen’estpasàlamaison...»

Jefermelesyeux,unelourdeurdanslapoitrine.Nadia...Pourvuqu’elleaillebien.Pourvuqu’elles’ensorteindemne.Maisqu’est-cequejeraconte?Biensûrquenon,elleneserapasindemne:Liamestmort.Celuiqu’ellevoulaitépouser,celuiquilafaisaitrire,lasoutenait,celuiquiaétésonpremier,celuiquiétaittout.J’aicettephotod’euxcommegravéedansmonesprit.Ellel’avumourir.Etellen’arienpufaire.

J’inspireprofondément.J’ailatêtedanslebrouillardetlesjambesencoton.Tyrikreprendlaparole.«Ilfautqu’onorganiseuneveillée.Etilfautqu’onparleauxjournalistes.

Çadoitsesavoir.—Chaqueannée,ilyaunefillequidisparaît.Chaqueannée,onlachercheetonlaretrouvejamais

àtemps.Qu’est-cequeçavachanger?»Dimitrial’airrésigné.MaissionveutsauverNadia,onnepeut

pasperdreespoir.M.Kuvlevterminesaconversationaveclepolicierettendlamain.«Viens,Dimi.Onpourraitla

perdreelleaussi.Onvafairetoutcequ’onpeut,onvalaretrouver.»Dimitrisecouelatêteenregardantleciel,commes’ilycherchaitdesréponsesimpossibles,dela

mêmemanièrequ’oncherchaitdesformesdanslesnuages,avant,animaux,cornetsdeglaceousourires.«Mais,etsi...—Onverraquandonysera,Dimi.Pourlemoment,Nadiaabesoindenous,lafamilledeLiama

besoindenous.Cen’estpaspareil,cettefois.Letueurn’avaitjamaiscontactélesvictimesavant.Quelquechoseachangé.Peut-êtrequelepèred’Erinaraison,peut-êtrequ’onaaffaireàunnouveautueur...»

Dimitriprendlamaindesonpèreetselèveens’éclaircissantlavoix.«O.K.Alors,queditlapolice?Quelestlemobile?

—Ehbien,ilsonttrouvéleportabledeNadiasurlecorpsdeLiam,etlemessageaétéenvoyéàErin.Detouteévidence,c’estpersonnel...»

Magorgeseserre.Nadiaestendangeràcausedemoi.Liamestmortàcausedemoi.Çan’estpaspossible...Paspossible...Lepolicierquitenaitmontéléphoneyjetteunœiletsemetsoudainàchercherdesyeuxdansla

foule.«Capitaine!Capitaine!»Savoixesttrophaute.Dimitrietsonpèreseprécipitentverslui,maisilssontarrêtésparundespoliciers.«C’estma

fille,bonsang!tonneM.Kuvlev.Mafille!»Dimitriluipasseunbrasautourdesépaules,rassurant,protecteur.Lesrôless’inversent,comme

s’ilsnepouvaientpascraquertouslesdeuxenmêmetemps.J’aidumalàbouger.Malgrélatempérature,toutmoncorpsfrissonneetunepartdemoipensequ’ils’agitd’uncauchemar.Uncauchemardontjevaismeréveiller,etNadiamediraquetoutvas’arranger.

Leshérifetlechefdelapoliceparlentensembleunlongmoment.Ilssetournentversnotrepetitgroupeplusieursfois,puisenfin,ilsviennentversnousd’unpaslourd.

«C’estmafille,c’estça?»Iltendlebraspourattraperletéléphone,maislechefdepolicesemontreplusrapide.

«Cen’estpasvotrefille,Monsieur.Laissez-nousjusteuneminute.—Maisjen’aipasuneminute!»hurle-t-ilenselançantenavant.Tyrikleretientetluiexpliquepourlerassurerquelapolicefaittoutcequ’ellepeutpourretrouver

Nadia,etqueleFBIleuraenvoyédurenfortilyadeuxsemaines.Ilsn’ontpasvoulul’annoncerofficiellement,maisilssaventqu’ilsfinirontparobtenirdesréponses.

Aprèscequimesembleuneéternité,leshérifrevientversnous.Ilal’airsurlepointdevomir.«C’estCaroline...»Ils’éclaircitlavoix.«Erin,c’esttamèreettonpetitfrère.»Moncœurchuteàmespieds.

«Quoi?Qu’est-cequ’ilya?»jedemandeensecouantlatêtesanscomprendre.«IlssonttouslesdeuxdansunmotelàBearCreek.»Mavoixmeparaîtétrangère,commesielles’exprimaitseule,automatiquement.«Jesuissûrequ’ilsvontbien,ilsdoiventprendreleurpetit-déj...Calebvavouloiralleràlapiscineetmamèrevadirenon,parcequ’ildoitd’abordfinirsesdevoirs.»

Dimitriposesamaindansmanuque,etjemetourneverslui.«Pasvrai?Dis-leur,toi,quemamèrenelaisseraitjamaisCaleballeràlapiscineavantsesdevoirs.Etellediraitaussiqu’ilpeutpasnagerjusteaprèsavoirmangé.»Ilsmeregardenttousaveclamêmetristesse,jelavoisdansleurfaçondesetenir,dansleurmanièredepencherlatêtesurlecôté,danslefaitqu’aucund’euxn’essaied’arrêtermonmonologuedécousu.

Enfin,Dimitricomprendmonappelàl’aide.«Quellesinformationsvousavez,exactement?

—ErinareçuunnouveauSMS,soupireleshérif.AvecunephotodeCalebetuncourttexte.OnaappelénoscollèguesdeBearCreekpourvérifierlemotel,etilsonttrouvéMmeHortzblesséedansl’escalier.Elleestenroutepourl’hôpital,jen’ensaispasplussursonétat.EtCaleb...Calebadisparu.»

J’étouffeuncri,etDimitriresserresonétreinte.«Etlemessage,ildisaitquoi?»Leshérifgrimace.«Jevousenprie,j’aibesoindesavoir!»Ilapprochel’écrandesesyeuxetlitlentement:«Tupensaisavoirtoutpourtoi.Bientôt,tun’auras

plusrien.»Soudain,jepenseàquelquechose.«Voussavezsil’inhalateurdeCalebétaitencoredansla

chambre,oupas?Ilenabesoin...S’ilapeur,ilvafaireunecrised’asthme,etilvaforcémentavoirpeur...

—Jevaisleurdiredevérifierlachambre.Tupensesàautrechose?Uneidéedequipourraitt’envouloirpersonnellement?»

JemeblottiscontreDimitri.«Je...Non,aucuneidée...»Unsanglotm’échappe.«Ilyapleindegensquidétestentmonpère,etducoupnous,parassociation,mais...Onm’ajamaismenacée...

—MmeGardner,parexemple?suggère-t-ilenlisantsesnotes.Elleestpasséedanslamêmeémissionquevous,c’estça...

—Ellesouffrebeaucoup,maisellenem’ajamaismenacée.Safilleestmêmevenues’excuseraulycée.

—Etlesconcoursdemiss?—Jevoispersonnequiiraitaussiloin...»Quiiraitjusqu’àtuerpoursevengerdemoi?Etse

vengerpourquoi,d’ailleurs?Jen’aijamaisrienfaitquimérited’êtrepuniavecunetelleviolence,mamèreetmonfrèrenonplus.Jemefrottelessourcilsduboutdesdoigts.«Etmonpère?Ilestoù?»Unepartiedemoisedemandesimonpèrepourraitêtrelaclédumystère...Ets’ilétaittellementencolèrecontremamèrequ’ils’enétaitprisàelleetàCaleb?Sicecôtébizarrequ’iladepuisquelquesannéesétaitdangereux?

«Tonpèreestenroutepourvoirtamère.»IlsetourneversTyrik.«Vous,accompagnez-laàl’hôpital.Ontereparleraplustard,Erin.

«Jeviensavectoi»,déclareDimitri,maisjenepeuxpasaccepter.J’enaienvie,biensûr,maisM.Kuvlevestdésespéré.Ilsontbesoinl’undel’autre.Jenesuispas

laseuleàsouffrir...«Non,resteavectonpère.Jetetiensaucourant.—T’asplusdetéléphone...—Jet’appelleraidel’hôpital.—Tiens,prendslemien.Lemotdepasse,c’est1007.—Monanniversaire...»Ilm’embrasselefrontetmeprenddanssesbras.«Tonanniversaire.Soisprudente,hein?—Toiaussi.—Çavas’arranger.»Jehochelatête,maissavoixtrahitsesdoutesetsesinquiétudes.M.Kuvlevs’approchedemoietmeprenddanssesbrasàmontour.«LaisseDimiveniravectoi.

Vousavezbesoinl’undel’autre.Moi,ilfautquejeparleaveclapoliceetquej’appellelesparentsdeLiam.»

Ilm’embrassedoucementlefront.«Jesuisdésolée...»jesanglote,etilsecouelatête.«Tun’yespourrien.Tusaisbienqu’ont’aimecommesitufaisaispartiedelafamille.Maintenant,

vaviteretrouvertamère.»Dimitriattrapelesclésdemavoiture,etjem’accrocheàlui.J’espèrequemamèrevabien.J’espèrequeNadiaetCalebvonts’entirer.J’espèrequepersonned’autrenesoitblessé.

DEUXIÈMEPARTIE

CHAPITRE42

Letic-tacdelavieillehorlogecommenceàmetapersurlesnerfs.J’aienviedelatabasser,maisilneseraitpasd’accord,iltientbeaucoupàsesrègles.Ilvam’envouloird’avoirchamboulétoussesplans,maisilestgrandtempsqu’ellesouffre,etgrandtempsqu’ellecomprennecommentj’aisouffert,moi.

Elleatoujourseutoutcequ’ellevoulait.Çasuffit.«Laisse-nouspartir.Jesaisquet’espasvraimentcommeça,tupeuxpasnousfaireça.»Nadia

alesyeuxhagards,maisdansl’ensemble,elleréussitàfairebonnefigure.PourCaleb,jesuppose.Ilchouinesursont-shirt.«Ondirarienàpersonne,promis.»

J’éclated’unriremoqueur.«T’asjamaisregardédefilmd’horreur,ouquoi?Tudevraissavoirquececoup-là,çanemarchejamais.Ja-mais.»Jem’avanceverselle,etelletrouvelecouragedenepasserecroqueviller.JesavaisqueNadiaétaitforte,maisjepensaisqueçal’affaibliraitunpeudevoirLiamseviderdesonsang.J’auraisdûm’endouter:NadiaestconcentréeàmortsurCaleb.Àmort,c’estlecasdeledire.«Non,onvatousgentimentattendrequ’Erinfassecequ’elleestcenséefaire.Pourlemoment,elledoitsouffrirencoreunpeu.Àattendre,àsedemanderoùtues,situesencoreenvie...Souffrircommej’aisouffert,moi,àmedemandersimonpèreétaitvivantounon.»

Calebfermelesyeux.Sescheveuxsontébouriffésdanstouslessens,sescheveuxquiressemblenttellementauxmiens.Ilaunerespirationsifflante,commes’ilallaitfaireunecrised’asthme.EtmêmesijedétesteErin,lui,jeneluiveuxaucunmal.Enfin,pastrop.

Aprèstout,onestdelamêmefamille.

CHAPITRE43–ERIN

Letrajetversl’hôpitalsefaitdansleflou.«J’aidemandéàRiveradevousamenerunnouveauportableàl’hôpital.Çaserapasuntéléphone

derniercri,maisaumoinsvouspourrezappelerquelqu’unsivousenavezbesoin.»Ils’arrêteaufeurougedevantlapetitezonecommerciale.«Etpuismoi,çamerassureraitdesavoirqu’onpeutvousjoindre,etinversement.

—Merci»,jemurmure.Monespritcourtàtoutevitesseetmoncœursaigne.«VousavezeudesnouvellesdeCaleboudemamère?»

Tyriksecouelatête.«Non,désolé...Votrepèreestenroutepourl’hôpital,onn’apasplusd’informations.»

Dimitriprenddélicatementmamainetjemeblottiscontrelui.Moncorpspèselourd,etladouleuraufonddemapoitrinemedonnel’impressiond’êtrepoignardéedel’intérieur.Marespirationcommemespenséessontbloquées.Ilplacemamainsursongenouetutilisel’autrepourtracerdescerclessurmesbras.Jelaisseéchapperunsanglot,maisjerefused’admettremonchagrin.Aucontraire,jelecombats.Carsijem’autoriselemoindresentiment,jerisquedeplongerdansunocéandetristessedontjenesortiraijamais.Jem’ynoierais.

AlorsjepenseàCaleb,jepenseàNadiaetj’espèrequ’elleestaveclui.Oùqu’ilssoient,pourvuqu’ilssoientensemble,carjesaisqu’elleleprotègeraautantquepossible.J’essaiedenepasmeremémorerlemessageetlaphotodeLiam.Liam...

Nousarrivonsàl’hôpitalenmêmetempsqueplusieursambulances,etTyriksedirigeversleparkingàl’arrière.Ilnousafallutrenteminutespourarriver,trenteminutessansaucunenouvelledel’étatdemamère,nideCaleb,deNadia,oudemonpère.

Dèsquelavoitureestgarée,jebondisetmeprécipiteversl’entrée.«Erin?»Lavoixdemonpèrenetremblepas,ilnecriepas,nepleurepas.Ilsetientlà,impassible.«Maman...Comment...»Lesmotsontdumalàsortir.«Commentelleva?—Ellesebat.Çaatoujoursétéunebattante.Écoute,Erin,jedoism’éclipser,maisjereviendraice

soir.—Commentça,tudoist’éclipser?»jegémisensentantlaTerres’ouvrirsousmespieds.Tyriknousrejoint.«M.Hortz,onauraquelquesquestionsàvousposer.—Posez-lesàmonavocate,alors.Saufsivouscomptezm’arrêter.»IlfaitunpasversTyrik.«Ma

femmeetmonfilsviennentd’êtreattaquésdansunechambredemotel.Mafemmes’estdébattue,onluiatranchélagorge,etmalgrétoutelleacontinuéàdéfendrenotrefilsensetraînanthorsdelachambrepuisdansl’escalier.»

Jelaisseéchapperunsouffle.«Ohnon...Maman...»

Dimitripassesonbrasautourdemonépaule.«Autrementdit,vousn’avezpasfaitvotreboulot!Sivousaviezétélà,mafamilleauraitété

protégée!»hurle-t-ilàTyrikavantdelecontourneretdes’enaller.Touteslespersonnesprésentesdanslehalldel’hôpitalsetournentversnous.Monpèren’estpasrasé,sachemisesortdesonpantalon,etilaunelueurmauvaisedansl’œil.Pasdelatristesse,non,aucunelarme.Ondiraitplutôtqu’ilestexcitéàproposdequelquechose.

«Papa...Mamanestàl’hôpital,entraindesebattrepoursavie,ettoitutebarres?Tuveuxmefairecroirequetuescomplètementinnocent,maistupeuxpasavoirdeuxsecondesdecompassionpourtaproprefemme?Ellet’atoujourssoutenu,elle!

—Jusqu’àuncertainpoint.»Sesmotsm’atteignentàl’estomac.«EtCaleb,alors?Tuvasmedirequec’estdesafautes’ils’estfaitenlever,s’ilestendanger?—Biensûrquenon.Tuesbouleversée,c’estnormal.Maistunevoispas?»Ilfaitungestevers

l’hôpital.«Çaprouvebienquejen’airienàvoiraveccesmeurtres-là.—Cesmeurtres-là!»Jecriesansmesoucierdesgensquinousécoutent,lapolice,lapresse,peu

importe.«Tudisçacommesic’étaitunebonnechose!Tantquet’esplussuspect,tutefouspasmaldecequiarriveàMaman,àCalebouàNadia!MaisLiamestmort,Papa,merde!

—Tuastoujoursétéuneémotive...Jolie,oui,maistellementémotive...»Etsansrienajouter,ilmelaisselà.Tyrikluiemboîtelepas.

Dimitrimepoussedoucementenavant.«Allez,viens.»Etjemeprécipiteàl’intérieurpourprendredesnouvellesdemamère.Elleestenchirurgie,jene

peuxpaslavoir.Ellesebatpoursurvivre.

CHAPITRE44-DIMITRI

Tyrikaquittél’hôpitalpourretourneraupostedepolice.Quandl’agentRiveraestpassépourdéposeruntéléphonederechangeàErin,elleapeineditunmot.J’avaisbesoindemesentirutile,alorsj’aientréplusieursnumérosdanslescontactspourqu’ellepuissejoindreceuxquitiennentàelle.Puisellem’ademandéderentrerchezmoipourpasserdutempsavecmonpère.J’aiobéi,sachantqu’elleétaitensécuritéetquemonpèreavaitbesoindemoi,luiaussi.L’agentRiveraatrouvéunautrepolicierpourmeramener.

Quandj’avaishuitansetNadiasix,notremèrem’aprévenuqu’ilyauraitforcémentdesmomentsoùmasœurm’agacerait,maisqu’ilfaudraittoujoursquejesoislàpourelle,malgrétout.J’avaispromis.

Quandmamèreesttombéemalade,Nadiaachangé.Elleétaitpluslente,ellepouvaitàpeinesortirdesonlitlespremièressemaines,maisErinaétélàpourelle,etNadiaaétélàpournoustous.Ellen’apaspostulépourêtrecapitainedel’équipedescheerleaders,elleaacceptédepluspetitsrôlesdanssatroupedethéâtre.Elleaffirmaitqu’ellenepouvaitpastoutfairedetoutefaçon,quelesentraînementsetlesrépétitionstombaientsouventenmêmetemps.Elleagrandibeaucoupplusvitequejen’aieuàlefaire.C’étaitellequiréconfortaitnotrepèreenluipréparantsesplatsfavoris,quimeréconfortaitmoienmerappelantquenotremèrevoulaitquejecontinuelefootballcommeellecontinuaitsesactivitésdecheerleader.

Unsoir,enpréparantledîner,Nadiaafaittomberlatassefavoritedenotremère,cellequ’elleavaitgardédesesannéesàl’UniversitéduMaryland.Latasses’estbriséeetNadiaaéclatéensanglots.«J’aicassélemugdeMaman!»a-t-ellelâché,inconsolable.Alors,cesoir-là,j’aiétélàpourelle,commejel’avaispromis.

Maismaintenant...Maintenant,jenesaismêmepasquoifaire.Jetrouvemonpèredeboutdanslesalon.«Papa?»Ilsetourneversmoi,lesyeuxembuésde

larmes.Enm’approchant,jevoisqu’iltientunevieillephotodeLiametNadiapriselesoirdeleurpremierrendez-vousofficiel,leurpremièreannéedelycée.Nadiafixel’objectif,toutsourireavecsonappareildentaire,maisLiamaleregardposésurNadia.Déjààl’époque,onavaitl’impressionqu’ilauraitpumourirpourelle.

Etill’afait.

Monpèresetientoccupéunmomentenenvoyantdese-mailsetenpassantdescoupsdefilpourorganiserlesrecherches.Soudain,ilsetourneversmoi.«Dimitri,je...»Sesépaulessontvoûtées.«Jecroisquej’aibesoind’allervoirtamère,deluiparler.Ellesauraitquoifaire,elle...Moi,je...

—Jepeuxveniravectoi,situveux.»Lecimetièren’estpasloindecheznous,etjepréfèreraisle

savoiraccompagné,maisilsecouelatête.«Jepréfèreêtreseul.»Magorgeseserre,etjen’oseplusparler.Jeneveuxpasmemettreàpleurerdevantmonpèrequia

lui-mêmel’airauborddeslarmes,alorsjemecontentedehocherlatête.Ilmeprenddanssesbras.«Jeteverraiàlabattue...Ilyadespoliciersdevant,tunevasnullepart

sanseux,entendu?»Peuaprès,montéléphonesonne.«Hello,souffleErin.J’aitoujourspaspuvoirmamère.Ledocteurditquesesblessuresétaient

trèsgraves...Enplusdesagorge,elleaétésalementtabasséeetundesespoumonsestperforé.Elleaaussidesblessuresinternesàcausedelachutedansl’escalier.

—Jepeuxterejoindretoutdesuite.Ilfaudrajustequejerepartepouraiderauxrecherchesdansuneheure.Toutestquasimentprêt,etlafamilledeLiamvaouvrirunelignedetéléphonepourlestémoins,ilsvontoffrirunerécompense.Ah,etAudreyaappelé.Ellevaprépareràmangeretvoiraveclesrestaurantsducoinsionpeutnourrirtouslesvolontaires.

—Tuveuxvraimentvenir?—Oui,biensûr.Jeveuxpaslouperlabattue,maisj’aiunpeuplusd’uneheuredevantmoi.Mon

pèreestdéjàparti.Ilvasurlatombedemamère...»Magorgeseserre.«J’aiproposédel’accompagner,maisilvoulaitêtreunpeuseul...Jecroisquecequ’ilveutdire,c’estseulavecmamère.

—Dimi,jesuisdésolée...dit-elled’unevoixbrisée.—J’arrivebientôt.»JeraccrocheetappelleaussitôtAudrey,parcequejeviensdepenseràunmoyend’attirerplusde

volontaires.Elledécrocheàlatroisièmesonnerie,unpeuessoufflée.«Dis,jemedemandais,tupourraismerendreserviceetappelerCarlos?Ilfautrappelerà

l’équipeàquelleheurecommencelabattue.Aussi,JameladestasdefollowerssurTwitter,ducoups’ilpouvaitfairepasserlemot,çaseraitgénial...Plusonestnombreux,mieuxc’est.

—Biensûr!JennaaproposédeparlerauxorganisateursdeMissReinedecœur,ellevavoirsil’équipeveutparticiperauxrecherches,etpuissionpeututiliserdutempsd’antennepouraideràretrouverCalebetNadia.Maisavecunpeudechance,onlesauraretrouvésavantlasemaineprochaine,ajoute-t-elleavecenthousiasme.

—C’estbiencequej’espère,maisj’aipeurqu’oncomptetropsurcettebattue...Letueuragitcommes’ilnerisquaitrien.Çapourraitêtrebonpournous,maisd’unautrecôté,çamedonnel’impressionqu’ilnousmèneenbateaudepuisledébut,etilsaitqu’onletrouverajamais...

—Tucroistoujoursquec’estlepèred’Erin?—Entoutcas,jepensequ’ilensaitplusqu’ilveutbienl’avouer.»Jepréfèrem’arrêterlà.«Je

vaisàl’hôpitalpourrejoindreErin.—Onpriepourelle,avecmamère.»Ilyaunbruitauboutdelaligne.«Excuse-moi,ilfautque

j’yaille,j’aiencoredesgâteauxàfaire.—Encoremerci,Audrey.Etremercietamèrepournous,aussi,d’accord?—Pasdesouci,Dimi.Jeterappellebientôt.»Elleraccroche.

CHAPITRE45

Jeferaisn’importequoipourlui,maisbiensûr,luin’ad’yeuxquepourErin.Erin,avecsesgrandsyeuxdechiot.Erin,quin’estpasaussiparfaitequelesgenslepensent.Quandelleavaitseptans,elleavolécinqdollarsdanslepotàéconomiespours’acheterdesbonbons.EtquandNadiaetLiamsontsortisensemble,audébut,elleétaitjalouse.Nadiamel’aracontépendantunesoiréepyjama.

Unedenosnombreusesetôcombienennuyeusessoiréespyjama.Leseultrucquivalaitlecoupdanscessoiréesidiotes,c’étaitquejevoyaisDimitri.Sesabdos,

sesmains,sonsourire.Enparticulier,cesourirequ’ilréserveàErin.Voilàcequejeveux.«Ilfautluitrouveruninhalateur»,murmureNadia.Ellesaitquesielleparletropfort,elleva

prendreuncoup.«Oui,oui,jesais,jerépondsenattrapantunœuf.Dis,tusavaisquetonfrèreetmoi,ons’était...

rapprochés,l’annéedernière?»Elleseretientdeleverlesyeuxauciel,maisjesurprendssonexpressionetjeluienvoieuncoup

depieddansleventre.«C’estvrai.Onétaitcheztoi,parcequebiensûr,jamaisaugrandjamaisMademoiselleErin

n’auraitdaignénousinviterchezelle.Enfin,ellet’invitaittoi,biensûr,maismoi,jamais.Jemedemandesic’estàcausedePapa.Monpèreluiapeut-êtreditquej’étaisunemauvaiseinfluence.Maisjecroispas,non,ilferaitpasça.

—Tonpère?»Nadiaessaiedeseredresser,maisellealesmainsliéesdansledosetunejambeblessée.ElleréussitàseglisserplusprèsdeCaleb,quial’airfatiguéparsacrised’asthme.IlaenfinarrêtédeposerdesquestionsetilsecontentederegarderNadiaquiseforceàluifaireunsourirerassurant.J’aipresqueenviedel’applaudiretdelaféliciterpoursestalentsd’actrice.

Maisnon.«Papaseraleprochain.Oh,ilpensequ’onfaittoutçaensemble,maisnon.Ilvamourir,ilva

payerpourtoutcequ’ilm’afaitvivre.»J’attrapeunautreœuf,lecasse,etmélangeletoutaveclebeurre.Matarteauxpommes

caraméliséesvaêtredutonnerre.

CHAPITRE46–ERIN

L’odeurdelasalled’attentedel’hôpitalmerappellecelledelachambredelagrand-mèredesKuvlevdanssamaisonderetraite,unmélangedetristesse,decourageetdedésinfectant.JesuisalléelavoirquelquesfoisavecDimitri,etelleluidemandaittoujoursdeluilireunlivre.Cesmomentsqu’ilpartageaitavecelles’ajoutaientàlalistedesraisonspourlesquellesmoncœurn’avaitaucunechancedeluirésister.Ilnerésistaitpasbeaucoup,detoutefaçon.Parmimesphotospréféréesdelui,ilyenaunequej’aiprisependantunedecesvisites,luiassisprèsd’elle,etellequiluisourit.Ladifférenceentrelamaisonderetraiteetl’hôpital,c’estqu’ici,leschaisesdelasalled’attentesontpresquetoutesoccupées,etlesgensontl’airinquietsetexténués.

Aprèsuneautreheureperdue,unefemmeàlapeaunoireetauxcheveuxvioletsvientversnous.«Bonjour,jesuisleDrGiometti.»Sapoignéedemainestfranche,assurée.«C’estmoiquiaiopérévotremère.Vousvoulezbienveniravecmoi?Onm’aditquevotrepèreétaitdéjàparti.

—Est-cequemonamipeutvenir?»jedemandeenm’accrochantàlamaindeDimitri.Ellehésiteuneseconde.«S’ilvousplaît...»Jemefichepasmald’avoirl’airdésespérée:jelesuis.«D’accord.»Jehochelatête.Monpèren’apasappelénienvoyédemessage.Jeluiaidonnélenumérode

Dimitri,pourtant,maisjesupposequ’ilestbientropoccupéàs’assurerquel’agressiondemamèreneluisoitpasmisesurledos.Aupointoùonenest,jefinisparaccepterqu’ilnefautplusrienattendredelui.

Nousnouséloignonsdelafouledelasalled’attenteetempruntonsuncouloir.LeDrGiomettiouvreuneportesécuriséeavecsonbadgeetnousfaitsignedenousasseoir.

«Elleestdanslecoma»,explique-t-elle.Elleal’aird’avoirlatrentaine,etmêmesisesyeuxsontmarquésparlesplusgroscernesquej’aijamaisvus,elleprendletempsderépondreàtoutesnosquestions.«Votrepèreditqu’ilnepourrapaspasserlanuitici,maisvous,vouspouvezdormiràl’hôpital,sivousvoulez...Normalement,ilfautavoirdix-huitans,mais...

—Oui,jeveuxdormirici.Jevaisdevoirm’absenterpouraiderauxrecherchesdansuneheure,maisjereviendraidèsquejepeux.

—D’accord.Jevaisprévenirlesinfirmières,etjeserailààvotreretour.Jevaissurveillermoi-mêmecommentl’étatdevotremèreévolue.»Ellepenchelatêtecommelefontlesgensavantd’annoncerunemauvaisenouvelle.«Soncœurs’estdéjàarrêtédeuxfois...Ducoup,onl’aplongéedanslecomapourquesoncorpspuisserécupérer,maisjevaisêtrehonnêteavecvous,Erin:onnesaitpassiellevas’ensortir.»

Unevaguededouleursebrisecontremapoitrineetlacomprimesifortquejepeineàrespirer.Dimitrimecaressedoucementledos.«Est-cequ’ellea...Elleaditquelquechose?

—Non,jesuisdésolée.Elleétaitdéjàinconscientequandelleestarrivée.—Vouscroyezquejedevraisresterici?J’aipeurdenepasêtrelàquandelleseréveillera...»

Lavoixdelachirurgiennesefaitencoreplusdouce.«Vouspouvezvousabsenterquelquesheures.Jevousappelleraisijamaisleschosesempirent.»

Cen’estqu’unefoisdanslepick-updeDimitri,enroutepourlabattue,quejemerendscomptequ’ellen’apasditqu’ellem’appelleraitsileschosess’amélioraient.Commesiellesavaitdéjàqueçan’arriveraitpas.Commes’ilyavaitplusdechancesquemamèremeure,plutôtqu’ellevive.

CHAPITRE47Quelleblague,leurssoi-disantrecherches!Ilss’imaginentvraimentquejesuisassezdébile

pourmelaisserattrapermaintenant?Jerepèremonpèredanslafoule.Lesgenschuchotentenlepointantdudoigt.

Ilsontdéjàdécidéqu’ilétaitcoupable.Ilsn’ontpastort.Cequimedérange,c’estquemaintenant,toutlemondeadelapeinepourErin.PauvreErin,

pauvrepetiteErin.Tuparles.Cellequiatoujourstouteu,unemèreaimante,unpèreprésent,unemeilleureamieaffectueuse,Dimitri,ettouslesconcoursdemissqu’ellegagnaitàlachaînealorsquecescouronnesauraientdûmerevenir,àmoi.

J’aienviedehurlerquec’estpourmoiqu’ilsdevraientavoirdelapeine.C’estmoiquimériteleurpitié,pouravoirdûvivretoutcetempsdanslesecret.

Ilsnevoientpasqu’Erinauraitdûs’occuperdesonpetitfrère,aulieudesetapermonmec.Samères’estbattuepourprotégerCaleb.Çaaététellementsatisfaisantdeluitrancherla

gorge!Ellevacrever,lagarce,ettantmieux:elleétaitstupide,maisilyavaittoujourslerisquequ’elleréussisseàreconstruirelepuzzledemamisérablevie.Maiscetespècedehaloautourd’Erin...Ilsdevraientladétester,elleaussi.C’estellelaresponsable,aprèstout.

Peuimporte,ilsvontbientôtcomprendre,enfin.Lafoules’organise,lesgensserépartissentenéquipes.L’idéeestdechercherjusqu’àlatombée

delanuit,puisdeseréunirdenouveautouslesaprès-midijusqu’àcequequ’ilslesretrouvent.Etilsvontbienfinirparlesretrouver,oui.Maisilsserontmorts.

Matarteauxpommesdanslesmains,jemeglisseprèsdeDimitri.Ilportelepolobleufoncéquiluivasibien.Jevoissesbraspuissantsetjemesouviensquandillesaenroulésautourdemoi,l’uniquefoisoùonadanséensemble.Erinm’avaitinvitéeaufeudejoie,ilyavaitdelamusique.Dimitriétaitivre,etilflirtaitavecRacheltoutenlançantdesœilladesenamouréesàErin.

Maisiladanséavecmoi,etmêmesiçan’aduréquequelquessecondes,êtredanssesbrasaredonnédusensàmavie.C’étaitjusteavantl’accident.Jenesavaispasquec’étaitluiquiconduirait,jepensaisqueçaseraitcettegarcedeRachel.Quelplaisirçaaétédelatuer...Papam’abienéduquée,cessixdernièresannées.

Depuisqu’iladécouvertquej’étaissafille,jesuisdevenuesonpetitange.Dimitridoitsentirmaprésence,carilsetourneversmoi.Sesyeuxfoncésseposentsurmoi,et

moncorpsrépondàlaproximitéaveclesien.Siseulementjepouvaissimplementmepencherversluietsentirenfinseslèvressurmabouche,sesmainssurmapeau.«Merciencorepourtonaide»,dit-ilenmedonnantunedemi-accoladeavantdemeprendreleplatdesmains.«Çasentsuperbon!Grâceàtoi,Jennaaacceptédeparlerdeladisparitionpendantleconcours,pourobtenirtoutel’aide

possible.—C’estnormal,jerépondsenmefrottantàlui.Onferaitn’importequoipourlesretrouver.

Commentçava,toi?»Jemetstoutelatristessedontjesuiscapabledansmavoix.Nadiaseraitfière.«Jecroisquejemerendspasencoretropcompte...»Sesyeuxglissentdemonvisageversla

foule,àlarecherched’Erin.Elleparleavecleshérif,etilcontinuedel’observertoutenmeparlant.«C’estcommesij’allaismeréveillerlematinettrouverNadiadanslacuisineentraindefaireducafé,ouderéclamerquejeluienfasse.»

Jesuistentéedeluiattraperlatêtepourlatournerversmoi,pourqu’ilm’accordetoutesonattention.MaislagentilleAudreyneferaitpasça.Non,lagentilleAudreylafermeetelleoffresonaide.LagentilleAudreyseratoujourslàaprèsladisparitiontragiqued’Erin,quandDimitriaurabesoind’uneépaulesurlaquellepleurer.«Onvalaretrouver»,jedisavantdem’éloigner.«Jevaisvoirsijepeuxaideràl’organisation.

—Merciencore»,dit-ilenhochantlatête,etilm’accordeunbrefregardavantdefilerdroitversErin.Erin,seule,l’airtriste.Ellen’aaucuneidéedecequil’attend,cetteconne.

Aucuneidée.

CHAPITRE48–DIMITRI

Labattuen’ariendonné,etonn’atoujoursaucunenouvelledeNadiaetCaleb.Aucunenouvelledel’étatdeMmeHortz,nonplus.

Noussommestouslesdeuxexténués,maisnousdécidonsderesterencoreunpeupourremerciertouslesvolontairesquisesontprésentés.

«Onreviendrademainaprès-midi»,ditAudreyenenlaçantErin.«Onvalatrouver.»Ellesemblesûred’elle,etj’aimeraispouvoirendireautant.Ellemesalued’unsignedelamainavantdesesauververssavoiture.SamèreadûdéciderdesemontrerunpeumoinsstrictesurlessortiespourlaisserAudreynousaider.

«Jevaisterameneràl’hôpital,etensuitejeretourneraichezmoipourvoirmonpère.»Ilaparticipéàuneautrebattueavantderentreràlamaisonpourrépondreauxquestionsqu’onluienvoiedepuislesquatrecoinsdupays.

M.Hortztraverseleparkingdansnotredirectionetseplantedevantnous,lespoingsserrés,levisagefigéparlacolère.Seslèvressontpincées,sesnariness’écartent,etilrespirebruyamment.«Espècedepetitetraînée.»

Erinétouffeuncrietécarquillelesyeux.Jesensmonsangbouillir.Iln’apasl’airivreoudrogué,ilarticuleparfaitement,setientdroit.Ilajustel’airfurieux,etfou,complètementfou.

Instinctivement,sansmêmeyréfléchir,jemeplantedevantErin.Ilricane.«Oh,tucroisquetupeuxlaprotéger?»Sesyeuxvontdroitàmajambeblesséedansl’accident.«Regarde-toi:unjoueurdefootballminablequiadétruitsacarrièreavantmêmequ’elleaitcommencé.Qu’est-cequetuasàluioffrir,hein?»Seslèvressetordentdansunrictusdétestable.Jusque-là,j’avaisbieneuquelquesaperçusdesoncôtésombre,quandl’équipeperdaitunecompétitionouquandquelqu’undoutaitdelui,maisjen’avaisjamaisassistéàunecriseaussiviolente.

«C’esttafaute,toutcemerdier.Siseulementtuavaissuteretenir,aulieudetejetersurceloser,toutçaneseraitjamaisarrivé.Jen’auraisjamaiseuàm’inquiéter,jen’auraispasperdulecontrôledemavie.Maisnon,c’étaitplusfortquetoi,ilfallaitquetutirestoncoup!»

Lacolèreboutenmoi,jesuisauborddel’explosion.«Vousavezpasledroitdelatraitercommeça.Oncomprendmêmepasdequoivousparlez.»

Derrièremoi,Erinresteparalysée.Jedevraismetournerpourm’assurerqu’ellevabien,maisilesthorsdequestionquejequittedesyeuxcepèredemesdeux.

«Oh,tuvasvitelesavoir.Erin,jet’aitoutdonné,absolumenttout,etc’estcommeçaquetumeremercies?»

Ilesthorsdelui.«Jecroisquevousdevriezpartir,M.Hortz.»J’attrapelamaind’Erinpourl’ameneràmavoiture.«Etmoi,jecroisquetudevraisarrêterdebaisermafille.Commequoi,onn’apastoujoursce

qu’onveut.»Illèvelesmainsenl’air.«Çanefaitquecommencer...Vousverrez.»Etsurcesmots,il

repartaussivitequ’ilestarrivé.Eringrimpedanslepick-upsansriendire.«Çava?»Àpeinelaquestionposée,jevoudraispouvoirlaravaler.Biensûrquenon,çaneva

pas.Mesmusclessetendentetj’aienviedefrapperlevolant,maisjeneveuxpasl’effrayer.Ellerespireprofondément,etlatristessequiaenvahisonvisagemefaitbienplusmalquetoutes

leshorreursquepeutdiresonpère.«Tutesouviensdemonanniversairepourmestreizeans?demande-t-elle.Mamèreavaitorganiséunefêteauborddulac,maisensuiteelleétaittropfatiguéepourvenir.J’aimangéunepartdugâteauqu’avaitpréparétamèreavantquelesinvitésarrivent,etensuitejesuistombéeenprenantdesphotosparcequejeregardaispasoùj’allais.Jemesuisfaitunegrosseégratignureaugenouetjemesuistordulepoignet.J’aieuenviedepleurer,pasparcequej’avaismal,maisjusteparcequemamèreétaitpaslàpourmeconsoler.»Ellesepencheenavant.«Cejour-là,tamèreadûs’occuperdemoiparcequelamienneenétaitpascapable.C’estpourçaquej’aipleuré.Maisquandmonpèrem’avue,ilm’aengueuléeparcequej’étaisfaible,ilm’atraitéedesalechouineuse.Depuiscejour-là,çan’afaitqu’empirer.Çafaitunmomentqu’ilnefaitplusquem’ignoreroumehurlerdessus.Maislà...Ilapétélesplombs.Ilfautprévenirleshérif.»Erinsemordillelalèvre,puiselles’enrendcompteetsecouelatête.«JedistoujoursàNadiad’arrêterdesebousillerleslèvres,maisjefaispareil.»

Nadia...Sic’estluiquil’aenlevée,qu’est-cequ’illuifait?Moncœurestnoyéparlapaniqueetlacolère,

uncocktaildésastreux.Eringlissentsesdoigtsentrelesmiens,etjemedemandequidenousdeuxréconfortel’autre.

CHAPITRE49-ERIN

L’étatdemamèrenes’estniamélioré,niaggravédepuissonarrivée.Çafaitquatrejoursquejedorsàl’hôpitalpourévitermonpère.Touslesmatins,jevaisencours,puistouslesaprès-midià15heures,jeparticipeauxbattuesquiattirentdemoinsenmoinsdevolontaires.

L’avocatedemonpèrearéussiàtenirlapoliceàdistance.D’aprèsTyrik,ilsl’ontinterrogéencoreunefois,maisilsn’avaientaucunepreuvepourleretenir.LejouroùCalebetNadiaontdisparu,ilaétéfilméparunecaméradesurveillancedansunsupermarché,etsonpick-upestrestégarésurleparkingpendantplusieursheures.Personnellement,jetrouvequeçafaitplutôtlégercommealibi,maisilaengagéuneavocateenbéton.

Jen’avaisaucuneenvied’alleràlarépétitiond’aujourd’hui.JesuisàpeuprèssûredenepasparticiperàMissReinedecœur.Jemevoismalmontersurscèneetfairecommesiderienn’était,alorsquecesjours-ci,j’arriveàpeineàmanger,jepleurejusqu’àneplusenavoirlaforce,etjepassemontempsàsuppliermamèredeseréveiller.MaisJennaditquelesorganisateursn’accepterontd’aiderauxrecherchesquesijeparticipe.Leconcoursconnaîtraitdesdifficultés,etilspensentquejepourraislesaideràtrouverdenouveauxfinancements.Jennaditquetoutlemondeseraitgagnant.

Tuparles.Quandj’arrivechezJenna,Audreyestdéjàlà,assisedevantl’entrée,salonguerobeflottantautour

d’elle.Ellemefaitsigne.«Jet’attendais!Commenttuvas?—Jesurvis...C’estclairquejepréféreraisresteràl’hôpitalplutôtquedevenirici.Jecomprends

paspourquoilesorganisateursveulentàtoutprixquejeparticipe.J’aidéjàreçudeuxlettresquimedisaientdemeretirerduconcoursparcequej’étaisunehontepournotrerégion.»Jemefrottelefrontetjeplisselesyeux,éblouieparlesoleil.

«Ettamère?»Ellepenchelatête,l’aircompatissant.«Aucunchangement.»Lesmotspeinentàsortir.«Jevoudrais...Jesaispas.Quandj’étaisaufeudejoie,j’auraisdûleurdemanderdeveniravec

moimangerunburgerchezSonic,ou...Tusais...Peut-êtrequeLiamseraitencoreenvie,Nadiaseraitavecnous,etCalebauraitpasétéenlevé.

—Tuasrienàtereprocher.»Jeregardepar-dessusmonépaule,auloin.Siseulementjepouvaisrevenirenarrière...

«Toinonplus»,dit-elleenselevant,etellemeserrelamain.«Allez,viens,onvayarriver.»Jelasuisàl’intérieurdumanoir.Enentrant,noustrouvonsJennaassiseàsonbureau,etpasaufond

delamaison,danssonstudio.Elleselèveennousvoyantarriver.Etlà,ellefaitcedontjel’auraisjamaiscruecapable.«Erin.JesuisdésoléepourNadia,pourton

frère,pourtout.Jen’osemêmepasimaginercequeturessens.»Ellemeprenddanssesbrasetmelâcherapidement.Enuneseconde,sonvisageperdtoutetracedetristesseetreprenduneexpression

professionnelle.«Ilfautqu’onparle.—J’aivraimentpasenviedemontersurscène.—Jesais,etjevoudraispouvoirlesconvaincre...»Elleal’airsincère,cequimeréchauffele

cœur.«Maisd’unautrecôté,ilsontpeut-êtreraison:situessurscène,toutlemondevaregarder.Çanouspermettrapeut-êtrederécolterplusd’argentpourl’appelàtémoinsetlarécompense.Detoucherplusdevolontaires,aussi.Jesuisalléeàunebattuehier,ilyademoinsenmoinsdemonde...

—Vousêtesvenue?»Masurpriseluifaithausserlessourcils.«Biensûr.Jesaisquejememontresévèreavecnous,encorepluscesdernierstemps,maisjetiens

àvous,lesfilles,etjesuisdésoléedecequit’arrive.»Jemurmureun«Merci»etAudreyseraclelagorgeenjoignantsagementlesmainssursesgenoux.

«Commentonvas’yprendre?Qu’est-cequ’onvafairepourretrouverNadia?»Jennanousregardel’uneaprèsl’autre.«Onvaprofiterdesquestions-réponses.Audrey,toi,tuvas

justefairecommeprévu.C’estErinquiabesoindetoucherlepublic,etsivousvousymettezàdeux,çarisqued’avoirmoinsd’impact.»Elleposel’indexsursalèvre.«D’ailleurs,lecomitéademandéspécifiquementàcequecesoitErinquiprononcelemessage.»

Audreyouvrelaboucheetlareferme,commesiellecherchaitàrefoulersonémotion.«C’estridicule,jeveuxaider,moiaussi.

—J’aiseulementbesoinquetuaillesdanslestudioetquetut’entraînescommed’habitude.»Ellemarqueunepausepourseraclerlagorge.«Etpuisentrenous,tamèreenferaitsûrementtouteunehistoire...ElleavaitdéjàdumalàtelaisserfréquenterErin,encoreplusdepuisquesonpèreestdevenususpect.Ladernièrefoisquejeluiaiparlé,elleamenacédemefairerenvoyersijecontinuaisàvousentraînertouteslesdeux.»

Audreyétouffeuncridesurprise,etlepoingquimepulvériselecœurseserreencoreunpeuplus.Toutlemondenousfuitcommelapeste.

Audreyselèveetposelamainsurmonépaule.«Jevaisparleràmamère,jevaisluifairechangerd’avis.»

Ellequittelapièce,décidée,maisàvraidire,jesaisqueçan’arriverapas.MaseulechancederevoirAudrey,c’estqu’elledécidededésobéiràsamère,etçan’estarrivéqu’unefoisensixans...

Unefois.L’équipedefootballjouaitàl’extérieur,etçafaisaitunmomentqu’Audreyavaitenviedenous

accompagneràunmatch.Alorselleaprissoncourageàdeuxmains,etelleafaitlemurpournousrejoindreànotrehôtelàDallas.Onapasséunsupermomenttousensemble,maislelendemain,samèreacarrémentfaitlaroutepourvenirlachercher.

Aprèsça,ellen’ajamaisoséluidésobéir.Jamais.

CHAPITRE50C’estdingue,Jennanes’estmêmepasrenducomptequec’étaitmoiautéléphone.J’aitoutfait

pourlaconvaincrededégagerErinduconcours,maisnon,biensûr,elleadéfenduErin.Ellem’aexpliquéqu’ilétaitimportantqu’onseserrelescoudespoursurmontercetteterribleépreuve.Jenna,cettegrandesentimentale.

MamanchérieavaitunedentcontreErin,c’estvrai,maispasparcequ’ellelavoyaitcommeunemauvaiseinfluence.Non,elleétaitjustejaloused’elle.Elleaussi.

MaisMamanchérieestmortedepuisunmoment,maintenant.LejouroùelleestvenuemechercheràDallas,j’aisuqu’elledevaitmourir.Çan’apasétéfacile.Çan’apasétéunebellemort,commeelledisait.Pasbelledutout,même,descris,descoups.Surtoutdescris.

Maiselleauraitdûs’endouter.Quandonsefaitengrosserparuntueurensérie,ilfautbiens’attendreàcequevotrefille

tienneunpeudelui.

CHAPITRE51-ERINMissReinedecœur,c’estlegrandconcoursdemissdusud-ouestduTexas.Ilesttrèspopulaire

carlesconditionsd’entréesontunpeumoinsstrictesquepourlesautresconcours,cequipermetàdesfillesquinesontpasdeshabituéesducircuitdeparticiper.Enplus,cetteannée,ilsontréussiàfairevenirlesjoueursstarsdechaquelycéeducomté,etilsontmêmeconvaincuJayRobinson,lequarterbackdulycéeNorthCounty,unelégendedanslarégion(etunhérospourDimitri),defairepartiedujury.

Normalement,c’estNadiaquimeconduitàmesconcours.Souvent,ellenousaideànouspréparer,Audreyetmoi.QuandJennaestdebonnehumeur,elleessaiedelaconvaincrequ’elledevraits’inscrireàunconcourselleaussi,justepouressayer,maisNadiahochelatête:«Jetrouveraisjamaisletemps.»C’estcequ’elleditpourêtrepolie,parcequequandonestseules,ellen’hésitepasàmedirequemêmesiellepeutcomprendrecequimeplaît,ellenecomprendpaspourquoicesconcourssontdevenusunetelleinstitutiondansnotrepays.Etpuis,quandJennaestdemoinsbonnehumeur,ellecrachequeNadianecomprendrienàsonmondeetellelatoiseavantdedirequ’ellefaitbiendes’entenirauthéâtre,parcequ’ellen’ariend’unemiss.

J’entredansl’hôteloùsetientleconcoursetjerepèrelespanneauxfléchésquiindiquentlecheminàsuivre.Mestalonsnefontpasunbruitsurl’épaissemoquette.Partout,l’airestdéjàsaturédeparfumetdelaqueàcheveux.

Leconcoursabeauêtreouvertàn’importequi,j’yretrouvetoujourslesmêmestêtes.Mary,quiacommencélesconcoursilyaseulementdeuxansmaisquiestbienpartiepourdevenirmissTexas.Salika,quiestmaconcurrentedepuisquej’aieul’âgedecomprendrequenousétionsenconcurrence.Etpuistouteslesautres.

Salikamefaitsigne,murmurequelquechoseàsamère,etsedirigeversmoi.Lesgenssetaisenttousaufuretàmesurequ’ilsmeremarquent,etj’imaginequelaplupartsedemandent:Maiscommentest-cequ’elleoseseprésenterici?D’autresdoiventpenserquelejuryvaavoirpitiédemoietmeménager,etçalesagace.Maisilsn’ontaucuneidéedecequejeressens,moi.Êtreicimeblesseauplusprofonddemonêtre.

Nadiam’accompagnaittoujoursauxconcours,maisaujourd’hui,ellen’estpaslà.Calebdessinaittoujoursdespancartespourm’encourager,maisaujourd’hui,iln’estpaslà.Jeseraistellementplusàmaplaceàl’hôpitalavecmamère,ouentraind’aideràchercherCaleb

etNadia,plutôtquedeparadersurscène.«T’enasunesacréepaire»,ditSalikaavecsajolievoixmusicale.Elleparcourtlapiècedu

regard.«Leslaissepast’intimider.JepriepourNadia,jeprietrèsfortpourqu’onlaretrouve.—Merci»,jeréponds,maisjesenscommeunvideaufonddemoi.Jen’aipaspriédepuisquej’ai

essayédepasserunmarchéavecDieupourqu’illaisselamamandeNadiaenvie.Autantdirequeçan’apassuperbienmarché.Etmêmesiparfois,jecontinueàalleràl’égliseparcequec’estcequ’ilfautfaire

etquej’aimebienlesentimentd’apparteniràunecommunauté,jenesaisplustropenquoijecrois.Jenesaisplussijecroisàquoicesoit,enfait.C’estça,cevide:quandonalafoi,onpeuttrouverdusensdanstoutcequinedevraitpasenavoir,etonatoujoursquelquechoseàquoiseraccrocherdanslesépreuvesdifficiles.

Lespenséesfusentàtoutevitessedansmatête.Salikasepenchesurmoi.«Çava?»Jesecouelatête.«Bof...Maismerciencore.»Salikahochelatêteetjem’éloigned’ellepour

trouveruncoinoùm’installerdanscettepiècebondée.Toutsembletellementnormal,commesilemondecontinuaitdetourner,alorsquelemienachangé

àjamais.Certainesmèresstresséesserongentlesongles,d’autresreprochentàleursfillesdenepasfaire

assezd’efforts,denepasêtreprêtes,denepasavoirgagnéladernièrefois.D’autress’ennuientvisiblementetsontaccrochéesàleurtéléphone.Mamèreàmoiestàl’hôpital,toujoursdanslecoma.Plusletempspasse,etpluslesmédecinss’inquiètent.

Ilyaaussiquelquespères.Etauboutdelapièce,ilyaundébutdedrame.Deuxfemmessehurlentdessustandisqueleursfilleslesfixentsansriendire.Ellesportentexactementlamêmetenue.Uneerreurtypiquededébutante.

Autourd’elles,lesautresparticipantescontinuentàarrangerleurcoiffureouleurmaquillage.C’estprimordialdecontrôlersonimageetdemontrerqu’onaconfianceensoi,passeulementpourimpressionnerlesjuges,maisaussipourintimidersesconcurrentes.

Bref,toutestcommed’habitude.Etenmêmetemps,toutestdifférent.Carla,unefillequej’aibattueàpresquetouslesconcoursl’annéedernière,passeprèsdemoiet

mecognel’épaule.Sansmêmem’excuser,ellelâche:«Tiens,Erin.Alorstucomptesvraimentteprésenter,hein...»Jenecomptepluscombiendefoisj’aientenducettephraseaujourd’hui.«J’arrivepasàcroirequetusoisvenue.J’avouequetonpetitnumérodevictimeesttrèsaupoint,avecNadiaetCalebettout,bouhouhou.»

J’avaisoubliéàquelpointellepouvaitsemontrerdétestablequandellesesentmenacée.Samèreestterriblementdureavecelle,etjel’aidéjàentenducrieràsafillequesiellen’étaitpasfichuedegagneneserait-cequ’unconcours,c’étaitsûr,elleallaitratersavie.

Cettevictoire,Carlalaveutplusquetout.Jenerépondspas.JeveuxjusteretrouverAudreyetresterdansmabullejusqu’àcequele

concourscommence.MaisCarlan’enapasfiniavecmoi.«Tonpèreestuntueurensérie.Jepariequetul’asaidéàtrouversesvictimes.»

Savoixs’élèveau-dessusdetouteslesautres.Mamainmedémange,maisjemeforceàtournerlestalons.Lameilleuredesréponses,parfois,c’estdenepasrépondre.

Jebalaielapièceduregardàlarecherched’Audrey.Engénéral,onseretrouveenavance,maisdepuislepetitaccrochagequ’elleaeuavecJenna,ellenem’adonnéaucunenouvelle.Samèreluiprendsûrementlatête...

J’attrapemontéléphone:toujoursaucunmessaged’elle.Unevagued’anxiétégonfledansmapoitrine,etj’aibeauessayerdelarepousser,ellemerésiste.

Magorgemebrûle.Mesmainssecrispent.Jelesensavantdelevoir.Samainposéedansmondos,savoixdansmonoreille,saprésencequi

merassureinstantanément.«Tuvastoutdéchirer.Tuvasdécrochercettebourse,etensuite,onvaretrouvermasœuretton

frère.»Seslèvresseposentsurmapeau,etjemeblottiscontrelui.«J’arrêtepasdemedirequej’airienàfairesurscène.Cetteboursed’études,sansNadia,c’est...

Jeferaismieuxdeleschercher.—Ilfautpasquetupensescommeça.Çafaitdesjoursquetupassestontempsàleschercher,

quandtuespasàl’hôpital.TuconnaisNadia,ellet’envoudraitsituallaispasaubout.»Ilal’aircomplètementépuisé.Luiaussiconsacretoutsontempsauxrecherches,c’estlapremière

pausequ’ils’accorde.«Erin,interromptJenna,tuconnaislesrègles.Pasdegarçondanslescoulisses,mêmesicegarçon

estaussiappétissantqu’ungâteauauchocolat.»Jeremarquequ’elleaunsacàlamain.«Qu’est-cequisepasse?—Riendespécial.—Vousmentezmieuxqueça,d’habitude...»Jetournelatête,etjevoisquetouteslesautresfilles

portentunbraceletvioletaupoignet.«C’estquoi,ça?—DesbraceletspouraideràretrouverCalebetNadia.Pouressayerdefrapperlesespritsetde

recueillirdel’argent.»Jefaisungestepourl’enlacer,maisellem’enempêched’ungrandgeste.«Tonmaquillage!Regarde,tuasdéjàréussiàbarbouillerlet-shirtdeM.Charmant.»Ellememontreunetracerougesurlet-shirtgrisdeDimitri.

«Est-cequevousavezdesnouvellesd’Audrey?»Instinctivement,mesyeuxglissentverslaporte,pensantlavoirdébarquer,triomphante.Maisnon.

«Elledoitêtreenroute.—Elleesttoujoursenavance,d’habitude...Çam’inquiète,j’aipeurqu’illuisoitarrivéquelque

choseàelleaussi...»J’ailagorgesècherienqued’ypenser.«Maisnon,ellevaarriver.»Jennas’éloigneensortantsontéléphone.«Jevaislarappeler.»Son

regards’adoucit.«Enattendant,Erin...Tuvasmontersurscèneetmerendretrèsfière,maissurtout,tuvasallerdécrochertonfutur.

—Tupeuxlefaire»,confirmeDimitri.Ilsepencheettrouvemeslèvressanssesoucierunesecondedemonmaquillage.

Autourdemoi,certainesfillesmefontdepetitssignesdetêteencourageants,maisuneautre,quineportepaslebracelet,murmure«Filled’assassin...»Soudain,jemerendscomptequeçapourraitbienêtrecequim’attendpourlerestedemavie,partoutoùj’irai.Lesgenspeuventvoustirerverslehaut,oubienilspeuventvousenfoncer.

Maisjerefusedeleurlaissermeprendremonidentité.Jelesais,maintenant,j’aibesoindemontersurscène.PourNadia,pourCaleb,pourLiam,pourtouteslesfillesquiontététuées.Quandlescamérasserontpointéessurmoietquelesjugesmeposerontmesquestions,jevaisdonnerlemeilleurdemoi-même.

Undesorganisateurscrie«C’estparti,lesfilles,donnons-leurduspectacle!»Dimitrilèveundoigtenl’air,commejelefaisaispourluiquandilentraitsurleterrain.

Audreyadûarriver,maintenant,maisjen’aiplusletempsdemeretournerpourlachercherdanslapièce.Tantpispourlesencouragementsmutuels:c’estl’heure.

L’heuredebriller.PourCaleb,etpourNadia.

CHAPITRE52–DIMITRILasalleestpleineàcraquer,etilyadesjournalistespartout.DepuisqueJennaaannoncéqu’Erin

allaits’adresserautueurd’anges,toutlemonderetientsonsouffle—moilepremier.Montéléphonesonne.ÇadoitêtreErinquim’envoieunSMSjusteavantderemontersurscène.Lesparticipantesviennentdefinirleurpremierpassagesurscèneets’apprêtentàdéfilerenrobedesoirée.

Toujourspasdenouvellesd’Audrey?Jesuissuperinquiète...Jevaisrappelersonfixe.Jerappellepourlatroisièmefois.Audreynes’estpasprésentéepourleconcours.Aprèsluiavoirenvoyéplusieursmessages,jeme

résousàappelerTyrik.Avectoutcequisepasse,ilvautmieuxprévenirlapolicedèslemoindresoupçondedisparition.Jeraccrocheetquandjeretourneàmaplacedanslepublic,Erinsetrouvesurscène.Ellenesouritpas,etjelacomprends.C’estdéjàassezdurpourelled’êtrelà.Ellefaitunaller-retourdanssarobedesoiréepuissepréparepourlasériedequestions.

«MlleHortz,noussavonsquevousvivezunepériodedifficile.Qu’est-cequivousadonnélecouragedemontersurscène?Beaucoupdegenssedemandentpourquoivousavezchoisideconcouriraujourd’hui,malgrélesévènements.»

Erinfroncelessourcils.Çan’estpaslaquestionàlaquelleelleavaitacceptéderépondre.Jennahausselesépaulescommepourdirequ’ellen’étaitpasaucourantdecechangement.

«Maprésenceicin’arienàvoiravecmoncourage.Jesuisdevantvousparcequ’ilfautinformerlesgensdecequisepasse.JeparledeNadiaKuvlevetdemonfrèreCaleb.Onabesoindetoutel’aidepossiblepourlesretrouver.

—Maisentrelessoupçonsquipèsentsurvotrepère,etvotrepetitamiquiesttémoin,sicen’estpire...»

Erinserrelesdentsetregardedroitdevantelle.«Pardon,est-cequec’estcenséêtreunequestion?»

Lafouleapplaudit,etlajugeenchaînerapidement.«Nousvousposeronsnotrequestionaprèsavoirmontrélemontagevidéoquevousavezpréparé.

—Oui.J’aichoisidesphotosdemonamieetdemonfrèredurantlesquinzedernièresannées,etj’aidemandéàdesprochesdedirequelquesmotssureux.J’aimeraisinvitertouslesspectateurs,icidanslasalleouderrièreleurtélévision,àregardercettevidéoavecattention.Sivousavezlamoindreinformation,s’ilvousplaît,appelezle1800-TROUVER-CN.»

Leslumièressetamisent,etunécrandescendau-dessusdelascène.Dessus,lapremièrephotoqu’ErinaprisedeNadiaavecunappareiljetable,quandellesavaienthuitans.Unportraitdemasœurentrainderire.Lavoixd’Erincommenceàraconter:Nadiaetmoi,nousnousconnaissonsdepuisaussiloinqueremontentnossouvenirs...Nadiaest...

Soudain,l’imagesauteetlavoixd’Erinsetransformeenungrincementmétallique,lemêmequim’aappeléenutilisantlenumérodeRachel.Jesensmespoilssehérissersurmesbras.

Erinlaisseéchapperuncri.Elletremble.«Qu’est-cequisepasse?»Jemelèvepourlarejoindre,maislafouleesttropdense.

Nadiaestenvie,pourlemoment...Maisellevamourir.Ellevapayerpourtespéchés,Erin.Calebvamourir,luiaussi.Parcequetun’étaispasaveclui.UnportraitdeM.Hortzapparaîtàl’écran.Tusaisqu’iladéjàtuéunevingtainedefilles?Ilya

tellementplusdevictimesquecellessurlesquellescesbouffonsdeflicsenquêtent...Tusaisqu’ilenachoisicertainesàcausedetoi,Erin,etquetuesresponsabledeleursmorts?Àbientôt...

L’écrans’éteint.Danslepublic,lesgenspaniquentetsemettentàcourirdanstouslessens.Undesjugess’empare

dumicro.«Calmez-vous,jevousenprie,ducalme!»Erins’enfuitencoulisses.Jemerassureenmedisantqu’elleseraprotégéeparlapoliceetqu’ellenecourtaucundanger.

Lessecondess’étirentetmeparaissentdesminutes,etaumomentoùjevaisatteindrelesloges,jereçoisunSMSd’elle:Rejoins-moidevanttavoiture.

C’estvraiqueleslogessontprobablementpleinesàcraquer.Plusloin,Jennaparleavecquelquesjournalistes,maisjeparviensàleséviterenempruntantunesortiesurmadroite.Jetraverserapidementleparking,encoreplein,pourretrouvermonpick-up.

J’appelleErinquinerépondpas,alorsjeluienvoieuntexto.L’angoissemeprendauxtripes.J’ysuis,jet’attends.Quelquesminutess’écoulentencore,etlapeurm’envahitpourdebon.Jelarappelle.Toujourspasderéponse.Lesspectateurscontinuentdesortirdelasalle,contrôlés

aufuretàmesureparlesagentsdepolice.JemedirigeversTyrik.«Hey,vousavezvuErin?—Ellem’aditqu’ellesechangeaitpuisqu’elleressortait.—Elleétaitcenséemeretrouversurleparkingilyacinqminutes.»Avant,cinqminutes,çan’était

riendutout.Maintenant,cinqsecondes,c’estuneéternité.Cen’estplussimplementladifférenceentreuntouchdownetunedéfaite,c’estladifférenceentrelavieetlamort,entreavoirtoutetn’avoirplusrien.J’accélèrelepasjusqu’àcourir,jepousselaportedel’hôteletmeprécipitedanslesloges.Quelquesfillespoussentuncrietjereculeenmecouvrantlesyeux.«Quelqu’unavuErin?

—Elleestsortieparderrièreilyacinqminutes.Et,euh,tupeuxregarder,onesttouteshabillées.Onajusteeupeur.

—Elleestsortie?»Jemegrattelatête.Çan’aaucunsens.«Oui,elleavaitl’airpressée,ellealaissépresquetoutessesaffairesici.Elleaprissonsacmais

passesrobes.»Ellememontreunepetitetabledansuncoin.Tyriks’approcheetattrapeunpapier.«Ellealaisséunmot.Audreyaunproblème,jereviensvite.»«Quoi?»jehurleenattrapantmanuqueavecmesmains.«Elleaditautrechose?Riend’autre

danslemot?»Àcemoment,montéléphonesonne.Unmessaged’unnuméroinconnu.J’aijamaiscompriscequetuluitrouvais.Avecunephotod’Erinassiseàl’arrièred’unevoiture.J’aidéjàvucessièges,jereconnaislacouleur...Ilyatroisans,lamèred’Audreyestvenueaugaragepourfairechangersespneus,etmonpèrem’a

demandédel’aiderpendantleweek-end.J’aidemandéàlamèred’Audreypourquoielleavaitchoisidessiègesrouges,etellem’aréponduqueçaluirappelaitunecertaineépoque.

«C’estlamèred’Audrey,jemarmonneenmontrantletéléphone.C’estforcémentelle.Cettevoiture,là,elleadessiègesrougesavecuntroudecigarette.Jeluiaidemandésiellevoulaitles

remplaceroulesnettoyer,etelles’esténervéeendisantqu’ilfallaitjamaisessayerderemplaceroud’effacerunsouvenir.»Jefrissonne.«Honnêtement,jel’aitoujourstrouvéeflippante.EllesecomportaitbizarrementavecAudrey.

—Tuassonadresse?demande-t-ilàtoutevitesse.Onvaenvoyerunevoituretoutdesuite.—Ellevitàl’extérieurdelaville,prèsdelastationessence.Lamaisonaveclesvoletsbleus.»Tyriksortsaradio.«EnvoyezunevoiturechezMmeGuiliana,lamaisonavecdesvoletsbleusprès

delastationessence.»Puisilsetourneversmoi:«Tuluiassûrementsauvélavie,mongarçon...Onvalatrouver,onva

retrouverNadiaetCaleb.»Ilrassemblelesaffairesd’Erinavantdesedirigerverslasortie,etjeluiemboîtelepas.

S’ilcroitquejevaisresterlààattendre,ilrêve.

CHAPITRE53–ERINLemessaged’Audreym’aglacélesang.Ausecours,ilvanoustue!Iladitqu’ilcommencerait

parCaleb.Ilveutquejepassetechercheretquetumemontreslecheminverslechalet.Lechaletdemonpère,unemaisonnetteenboisprèsdulac.Desannéesquejen’ysuispasallée.

Mespiedssemettentenmarchetoutseuls,jegriffonneunmotpourDimitrietjemefaufileaumilieudesfillesquisechangentendiscutantpoursortirparderrière.

Audreym’attenddanslavoituredesamère,toutauboutduparking,surmadroite.J’essaied’ouvrirlaportepassager,maiselleestbloquée.Audreymemontrelabanquettearrière.«Dépêche-toi»,mesupplie-t-elle,lavoixdébordantdepeur.Jegrimpeàl’intérieuretrefermelaportière.

Ellelaverrouilleaussitôtdepuissaplaceetsetourneversmoipourmeprendreenphotoavecsontéléphoneavantdedémarrer.

«Qu’est-cequetufais?—Jeprendstaphoto.Tuaimesça,jouerlesstars,non?Mêmesifranchement,tun’asriend’une

reinedebeautéàcemomentprécis.»Elleaccélère.Satenueattiremonattention,jenel’aijamaisvuedanscesvêtements...Mesvêtements!Mont-shirtquiditPasfaciled’êtrecheerleaderetmonshortpréféré,celuiquej’aitrouéengrimpantdanslacabanechezDimitriilyadeuxmois.Jedétournelatête,moncœurbattantplusfortquelesondumoteur.

«Lechaletesttoutprèsdulac»,jedistoutenvoyantqu’elleestdéjàsurlabonneroute.Jenel’yaijamaisemmenée,pourtant.

Jedoisgardermoncalme.Ilyaforcémentuneexplication.Elleallumel’autoradioquijoueunechansonquejeconnaisbien,cellesurlaquellej’aidanséavec

Dimitriquandj’avaistreizeans.Audreyvenaitjusted’emménagerici.«Çaauraitdûêtrenotrechanson,lâche-t-elleaveccolère.Çaauraitdûêtrenotrepremierbaiser.

Maisnon,ilfauttoujoursquetumeprennestoutcequej’ai!—Mais...maisdequoituparles?»Ellericane.Unriredur,mauvais,alorsqu’Audreysemontretoujourssidouce,sigentille.«Je

parledelaviequetum’asvolée.Tusaisquequandj’avaiscinqans,mamèreavaitàpeinedequoinousacheteràmanger?Tusaisquequandj’aivuPapapourlapremièrefois,j’avaistreizeans?J’aipassélestreizepremièresannéesdemaviesanspère!

—Tonpèreestmortdansl’armée...—Tugobesn’importequoi,hein?Lecopaindemamèreestmortdansunaccidentjusteavant

qu’ondéménage.Jel’aimaispasetmamèrelesavait,maiselleleramenaitquandmêmeàlamaison.Ilétaitpassiterrible,mais...C’étaitpasmonpère.»Ellefrappelevolantetj’enprofitepourmepencherenavantetcherchermontéléphone.Audreyacomplètementpétélesplombs!Elleestliéeauxmeurtres,c’estévident...Sij’appellelessecoursmaintenant,ilsaurontpeut-êtreletempsdenouslocaliser.

Elleprendunviragetroprapidementetlavoiturefaituneembardée:c’estlemomentoujamais.

Pendantqu’ellereprendlecontrôleduvéhicule,jecomposele911etj’enfouismontéléphoneaufonddemonsacenespérantquel’autoradiocouvriralesondel’appel.

«Unaccidentdevoiture,c’estvitearrivé...»Ellechangelamusiqueetmetunechansonquejenereconnaispas.«Ilsontjouéçapendantlasoiréepèresetfilles,aulycée.Tuyesalléeavecmonpère,tum’asencorevolémaplace.»

Jen’ycomprendsrien.Jecroiselesdoigtspourquequelqu’unm’entendeauboutdufil.«Qu’est-cequiteprend,Audrey?Pourquoitufaisça?

—Parceque,machèresœur,j’enaimarredetoujoursmefaireavoir.»Ma...sœur?Ellericaneencore.«Oh,medispasquec’estunesurprisetotale!Tupensaisquandmêmepasque

jefaisaistoutçajustepourDimitri?»Ellemefusilleduregarddanslerétroviseur.«Dimitrim’appartient,biensûr.Maistoutacommencéquandmamèrem’aenfinditquiétaitmonpère.Ellel’adoraitaudébut,maistrèsvite,ilacommencéàluifairepeur.IlsonteuuneaventureenGéorgie,aumomentoùtamèreafaitsapremièredépressionaprèslamortdesesparents.»Ellegrimace.«AprèsquePapalesaitués.»

Aucunmotneveutsortirdemabouche.Noussommespresqueauchalet.Jesauteraisbiendelavoiture,maisilyaCalebetNadia...

«Enfinbref.J’aisuppliémamèrededéménagerplusprèsdePapa,etcommeelleavaitpeurdemoi,àl’époque,elleaaccepté.ElleadoraitPapa,elleétaitobsédée,même.Audébut,quandonestarrivéesàGavert,ilaflippé,ilpensaitqu’ellevenaitpourluifaireduchantage.Maisplustard,quandilm’arencontrée,iladitqu’ilavaitenfinunefilledontilpouvaitêtrefier.»Ellericane.«AlorsjesuisdevenuelepetitangedePapa.Mamanestlatroisièmepersonnequ’onatuéeensemble,luietmoi.Lasensationducouteaudansmamain,cepouvoir...Sescrisnem’ontfaitnichaudnifroid.Aucunetristesse,riendutout.Papaétaitsifierdemoi...»

Jedétourneleregard,lecœurauborddeslèvres.Samère,sapropremère...«Oùestmonpère?—Qu’est-cequeçapeuttefaire?Tut’enfouspasmal,delui.Tupensesqu’àtoi,toujourstoi,toi,

toi!»Magorgeseserre.Elleritcommesijel’amusais,commesitoutecettehistoireétaithilarante.Ellesegaredevantle

chaletetattrapesontéléphone.«TuveuxvoircequiestarrivéàPapa?J’aitoutfilméenpensantàtoi,pourqu’onpartagecemoment.»Elleseretourneversmoienmetendantletéléphoned’unemain,uncouteaudansl’autre.«AppuiesurLecture,etriend’autre,sinonjeterefaisleportraitplustôtqueprévu.»

J’arrivetantbienquemalàlancerlavidéod’undoigttremblant,etjevoismonpère,étalédansuneflaquerougesuruncarrelage.Ilalevisagecouvertdesangetpoussedesgémissementshumides.Jesensmonterunhaut-le-cœuretjefermelesyeux.

Lalameducouteaucaressemajoue.«Regarde.Jeveuxquetulevoiesmourir.»Ellepresselalamecontremapeau,etladouleurlancinantemeforceàouvrirlesyeux.«Gentillefille,ricane-t-elle.Maintenant,regarde.»Monpèreluttepours’asseoir.Jesenslabilequimemonteàlabouche,moncorpstoutentierquise

crispe.Jeclignedesyeuxpourrepousserleslarmes.Lacertitudequ’ilestuntueursetélescopeavecl’espoircoriacequej’avais,qu’ilfiniraitparchangeretparnousaimerenfin...Parm’aimer,moi.

Ilgémitencore.«On...onavait...desrègles....»Lavoixd’Audreyrésonne.«Desrègles?Commequoi?Nejamaiss’enprendreàlafamille?

Pitié,c’estn’importequoi.Tuastuélesparentsdetafemme,pourtantilsétaientdetafamille,non?Sansparlerd’Erin.Tuaseuenviedelatuerplusieursfois.»

J’étouffeuncri,etlerictusd’Audreys’étire.«Quandest-cequetuascommencéàtuer?»Ilnerépondpas,alorselleluimetuncoupdepied.

«Quand?—Treize...J’avais...treizeans...Puis...dix-sept...—Pourquoi?—C’étaitdesanges...Magnifiques...Mesanges...»Puisilgémit,etquandAudreyluienvoieun

nouveaucoupdepied,ilnebougeplus.Ellemereprendletéléphone.«Ilestmortbeaucouptropvite.Bon,jel’aipeut-êtrepoignardéuneoudeuxfoisdetrop...Maisil

étaitchiant,fautdire.Ilpensaitpouvoirmeraisonner.Ridicule,franchement.—Pourquoitul’asattaqué?—Parcequejevoulaisquetoutel’attentionsoitsurlui.C’estunsacrénarcissique,notrecher

papa.Enfin,c’était.Lapolicevadécouvrirsoncorpschezmoi.Avecunpeudechance,ilsvontpenserquemamèrel’atuéetquej’aidisparu.Etpuisonvameretrouver,vivante,biensûr,etDimitriseratellementsoulagé.»Ellemarqueunepausepoursegratterleboutdunez.«Tusaisqu’ils’écouleentrevingt-quatreetsoixante-douzeheuresavantquelesorganesinternescommencentàsedécomposer?Etc’estd’unepuanteur!»Ellepousseunsoupirexagéré.«Allez,descends.»

Elleagiteunpistoletversmoi.«Papam’alaisséquelquesjoliscadeaux,tuvois.»Ellelerangedanssonsac.

Jesors,lesjambesflageolantes.Ellearelevésescheveuxblondsetsadémarcheachangé,plusassurée,plusfière.Quandellemebalanceuncoupdepiedderrièrelesgenoux,jegrimaceenmeretenantdegémirdedouleur.Ellesortunecordeducoffreetcommenceàmel’enroulerautourdespoignetsenbloquantprobablementmacirculation.«Allez,grouille»dit-elleenmepoussantenavant.«Ahnon,attends.J’aibesoindetontéléphonepourenvoyeruntextounefoisquetuserasmorte.Unephotodetoietmoi.J’aurail’airblessée,maisquandilsmeretrouveront,jerespireraiencore.Toiparcontre...»

Etmerde...Ellemetireenarrièreetattrapemonsac.«Laisse-moifaire»,jemurmure.«Tucroisquejevaistedétacher?ricane-t-elle.T’esencoreplusbêtequejelepensais...»Elle

fouilledansmonsac,etjureentrouvantmonportable.«Saleconnasse!»Ellem’attrapeparlescheveuxetmefrappeviolemmentlevisagecontrela

portière.«Putain,laconnasse!»Jesensdespulsationsdansmestempes,etmoncœurs’écrasecontremapoitrine.

Lesyeuxhagards,elleaperdulepeudeself-controlqu’elleavait.Elleseparletouteseule.«Papametuerait,s’ilmevoyait!Putain,maisquelleerreurdedébutante!»Ellemegifleetladouleurs’accumule.Lesyeuxfixéssurl’écrandemonportable,ellebougeleslèvresmaisaucunsonnesort.Soudain,ellecriedanslemicro.«JeveuxparleràDimitri!Personned’autre!»Puiselleraccrocheetfourreletéléphonedanssapoche.

«Tuvasmelepayer...»mechuchote-t-elleàl’oreille,etmescheveuxsedressentsurmanuque.Ellepousselaporteduchalet.«Erin...murmureNadia.Erin...»Calebestallongésursesgenoux,immobile.Jecourslesrejoindre.«Ilvabien?Oh,Nadia,jesuis

désolée...Tellementdésolée!»Sonvisageesttuméfié,maisCalebal’airindemne.Dèsquejeposelamainsurlui,ilseréveille.

«J-j-j’aifaitm-mesex...mesexercicesd-derespiration...Çam-m’aaidé.»Savoixestrauque.JemetourneversAudrey,quifaitlescentpasautourdenous,etellemebalanceuncoupdepied

dansledos.Calebhurle,Nadiasursaute,etjelaisseéchapperuncri.«J’aisoninhalateurdansmonsac,Audrey!J’enaitoujoursunsurmoi.C’esttonfrèreàtoiaussi!

Lelaissepasmourir...»

Elleéclatederirecommesijevenaisdeluiracontermameilleureblague.«Tuesmasœur,etçat’empêcherapasdemourir.Pourlui,j’aipasencoredécidé.ParcontreNadia,ellecrève.Jevaismefaireunplaisirdelatuer.Ilsmedébectaienttellement,elleetLiam.Etpuiscettemaniequ’elleavaitdetoujourstedéfendre!Mêmequandvousvousengueuliez,vousfinissieztoujoursparvousrabibocher.Amiespourlavie.Beurk.»

JemerapprochedeCaleb.«Tiens,tusaisquoi,onvaenfaireunjeu.C’esttoiquivadécider:CalebouNadia?»Elle

avanced’unpas.«Debout,vousdeux.—Non,pasbesoindefaireça.—Ohsi.»Nadiaselèvepéniblement,etavantqueCalebaiteuletempsdebouger,ellesejetteenavantpour

attraperlepistolet.Enpleineforme,elleauraitpeut-êtreréussi,maissesblessureslaralentissentetAudreylarepoussesanseffortetelleretombeausol.

«Bon,situinsistespourêtrelapremière.»Elles’accroupitfaceàelle.«Tutesouviens,quandLiamestmort?Ils’estjetédevanttoipourteprotéger.Ilestmortàcausedetoi,luiaussi.»Ellelafrappeaveclacrossedesonarmeetonentendquelquechosecraquer,maisçan’arrêtepasAudreyquisedéfouleetenvoiecoupdepiedaprèscoupdepied.Calebgémitetfermelesyeux.J’essaiedelibérermesmainspourintervenir.«NeregardepasCaleb,d’accord?Neregardepas!»Puisjehurle:«Laisse-la!C’estmoiquetuveux,jesuislà!»

Àcemoment,sontéléphonesonne,etellearrêtedefrapperNadiaquiresteausol,immobile.Magorgeseserre.J’essaiedemesouvenirdemespremièresrencontresavecAudrey.Qu’est-cequipourraitlafaireflancher?Qu’est-cequipourraitnoussauver,maintenant?

CHAPITRE54–DIMITRIEnarrivantchezAudrey,noussommesaccueillisparunsilencetotaletunepuanteurquimeprendà

lagorge.Jemecachelenezaveclebras.«C’estquoicetteodeur?»Tyrikavance.«Restelà,Dimitri.»LesagentsRiveraetMartinez,quisontarrivésavantnous,

l’informentdelasituation.Horsdequestionderesterlàànerienfaire.Jefaisletourdelamaisonenmesouvenantd’unefoisoùj’avaisraccompagnéAudreychezelleaprèsunesoiréepyjamaàlamaison.Erinétaitmaladeetn’avaitpaspuvenir,Audreym’aditquesamèreétaitmaladeaussi,etNadian’avaitpasencorelepermisàl’époque.

Cejour-là,samèreluiavaitinterditdesortir,alorselleétaitrentréeparderrièreenespérantsemettreaulitsanssefairerepérer.

Jetrouvelaportegrandeouverte.J’entredanslacuisine,etl’odeurm’agresseimmédiatement.«Ilestmort.»Jeprononcelesmotssanscrier,sansmurmurer.«Tyrik,parici!»

Ilarrivedanslacuisineencourantetmeréprimande:«Jet’avaisditderesterdehors!»Puisilbaisselesyeux.«Ohlavache...Netoucheàrien,ressorsparoùtuesarrivé,etretourneàtavoiture.»Sontéléphonesonne.«Oui,c’estbienmoi.»Ilécouteuneminutesansriendire.«Vousêtessûrs?»Sesyeuxglissentversmoi.«D’accord,onvousretrouvelà-bas,ilsaurasûrementoùc’est.Ici,onatrouvélecorpsdeM.Hortz,mortdepuisquelquesheures.Onpensequ’ilyaunautrecorpspasloin,onvaavoirbesoindeschiens.»

Ilfaitletourducadavreetmepousseverslaporte.J’inspireprofondément,lesmainstremblantes.«Qui...Quiafaitça?»Maisaufonddemoi,jesais.

«Audrey.C’estellequiaenlevétasœur,CalebetErin.Ellelesaamenésdansunchaletprèsdulac.Heureusement,Erinaréussiàappelerlessecoursenroute.Audreyestdangereuse...»Sonregardsefaitperçant.«Elleademandéàteparler.»

Marespirations’accélèreetjeserrelespoings.«D’accord...—D’aprèscequelessecoursontentenduautéléphone,AudreyetErinsontdemi-sœurs.»Jefaisdemonmieuxpournepasmelaisserdéstabiliserparcetterévélation.«Qu’est-cequejedoisdire?Commentjefaispourleslibérer?—Ilfautobtenirsaconfiance.J’ignoresil’équiperesponsablevatelaisserluiparler,maismon

instinctmeditquesionrefuse,ellevatuertoutlemonde.Onsaitbienquetun’espasentraîné,maisonteguideratoutlelongdesnégociations.»Ilmarqueunepause.«Onseratousavectoi.»

Sesmotsseveulentrassurants,maissavoixtremble.Nousparcouronsleskilomètresquinousséparentduchaletenuntempsrecord.Uneautreéquipe

estenroute,etTyrikinsistepourattendreleurarrivée.Lechaletestsituédansunrecoindelaforêtprèsdulac.Erinmel’amontréunefoispendantundenosjoggings.Onaessayéd’entrer,maislaporteétaitferméeàclé.Ellem’aracontéqu’elleétaitvenuejusteaprèssontreizièmeanniversaire.Sonpèreavait

pétélesplombsparcequ’elleavaitmangéunepartdelasucculentetarteaucitrondesamèreavantlafête,etqu’elleneregardaitpasoùelleallaitenprenantsesphotos.Alors,aulieudelalaisserdormircheznous,ill’avaitemmenéeauchalet.

Ilsétaientrestéstrèspeudetemps,etjefrissonnerienqu’àl’idéedecequ’ilauraitpuluifaires’ilsétaientrestéspluslongtemps.Est-cequ’ilavaitprévudelatuer,cejour-là?Jen’aiplusaucundoutequec’estbienlui,letueurauxailesd’ange,surtoutaprèslesdiscussionsquej’aisurprisesentrelespolicierssurlaroute.

«Tuesprêt?»medemandeTyrikaprèsavoiréchangéquelquesmotsaveclespoliciersquiviennentdenousrejoindre.«Onvaessayerdelacontacter...Resteprèsdenous,aucasoù.

—D’accord.»Jegardelesyeuxfixéssurlechalet,àmedemandercequisepasseàl’intérieur,ets’ilssont

toujoursenvie.

CHAPITRE55-ERIN

AudreyestenligneavecDimitri.Ilaappelépileaumomentoùelles’apprêtaitàmefrapperencoreunefois.Soudain,elleaeucesourireadorable,celuidel’amiequejepensaisconnaître.

Nadiarespiredeplusenplusfaiblementetlesangs’écoulelentementdesesblessures,maissesdoigtscontinuentdepressertrèslégèrementlesmiens.EllearticuleunJet’aime,etj’aienviedehurlerquecen’estpasencorel’heuredesadieux.Ellenepeutpasm’abandonnermaintenant,c’estmameilleureamie,etondoitallerétudierensembledansleMaryland.Onaunfutur.

«IlfautquetuexpliquesàErinqu’onvasemettreensemble,maintenant.Ilfautqu’ellearrêtedevouloirnousséparer.Ellem’avolémontitre,monpère,etmaintenant,toi!Ilfautqu’ellearrêtedemevolermavie!»

Audreymedévisage,lecouteaudanslamain,lepistoletdanssondos.Sij’arrivaisàdéfairemesliens,jepourraispeut-êtreladéstabiliser,maislemoindremouvementrisquedeluimettrelapuceàl’oreille.Elles’approchedemoietsonpiedmefrappeledos.Ladouleurmetranspercelecorps.

«Ellesecroittellementmieuxquetoutlemonde.Maissonpèreestuntueurensérie,tusais?Jeveuxdire,notrepère.Oh,elleaeulaviefacile,elle,alorsquemoi,j’étaisl’autre,lesecret,celledontilnefautsurtoutpasparler.Justeavantquejelatue,mamèrem’aditquejeluifaisaispenseràlui.»Ellericanesèchement,sansémotion.«Onvajoueràunpetitjeu,toietmoi.Jevaisteposertroisquestionssurmoi.Siturépondscorrectement,Nadiaauralaviesauve.»

JenesaispascequeDimitriluirépond,maisAudreysouritenl’écoutant.«Oh,tucroisça?»Elleseretourneetj’enprofitepouressayerdedégagermesmainsdelacorde.LesdoigtsdeNadianebougentplus,maintenant,etsarespirationdevientirrégulière.

Jechercheàmerapprocherd’elle,maisAudreym’aattachéecontreunechaise.Sijemedéplace,elleval’entendre.Jel’observe:elleestappliquéeàseremettredugloss—mongloss—puiselleregardeparlafenêtre.«Ilssontlà!»fredonne-t-elle.«Jevaispeut-êtrerelâcherCaleb.Ilm’ajamaisfaitdemal,etpuisPapal’aimaitpasplusqueça.Pascommeilt’adoraittoiavantquejedébarque.»

J’ouvrelabouche,maisellemefrappeavantquejepuisserépliquer.«Ferme-la.»Calebsangloteets’accrocheàmoi.«Laissemasœurtranquille!—Jesuistasœuraussi,jetesignale.Etfranchement,tuauraisétémieuxserviavecmoiqu’avec

elle.—Pasvrai!Erinc’estlam-m-meilleures-s-sœuraumonde!»répond-ild’unevoixtremblante.Il

alenezpincéetrespireavecdifficulté.«Illuifautvraimentsoninhalateur,Audrey.»Jefaisungestedumentonverslaporte.«Monsac

estjustelà,jet’enprie,valechercher!»Ellesemblehésiterunmomentavantdefinalements’approcherdemonsacpourenvidertoutle

contenuausol.D’abord,elleattrapemonportefeuilleetfouilleàl’intérieur,oùelletrouvelaphotodeDimitri.«Sérieusement,tuasgardéça?Ilsdisentsûrementquejesuisfolle,maisfautêtretaréepour

garderunephototroisansdanssonportefeuille!»Ellesecouelatête.«Jepariequetuluiasfaitduchantagepourqu’ilsorteavectoi...Jesaisbienquec’estdemoiqu’ilavaitenvie.Siseulementj’étaisalléeaulycéeavecvous...Maisnon,mamèreavouluquej’étudieàlamaison.»

Ellenousbalancel’inhalateur.«Jepeuxrienfairelesmainsattachées,pareilpourCaleb.»Quandelleserapprochedenous,ondiraitqu’unenouvellepartiedesapersonnalitéémerge.Elle

sepenchesurCalebetledétache.«Jevaisbientôttelaisserpartir.Tupeuxprendretoninhalateur,maisensuiteturestesloind’Erin.Tiens,valà-bas.»Elleluimontreunepetitetabledanslecoinopposédelapièce.«Ettuyrestes.Situbouges,jelabute.

—Vas-y,Caleb,jechuchote.Çavaaller.—Non,çavapasaller,maisbon,siçatefaitplaisir...»ironiseAudreyavantdereprendrele

téléphone.«Donc,jedisais:troisquestionssurmoi.Tut’ensenscapable,Dimitri?»Savoixestsuave,mielleuse.«Biensûrquelapoliceveutmeparler!»Ellesourit.«Jesavaisquetudiraisça.JesuispassûrequeNadiasoitenétatdebouger,etjegardemasœurchérieavecmoi.MaisCalebpeutpartir.Lui,j’enairienàfaire.»Ellemarcheversmonpetitfrèreetlesoulève.Immédiatement,ilhurleetessaiedesedébattre.«Erin!JeveuxErin!»crie-t-ilencoreetencore.

Audreylegifle,etilaunhoquet.«Écoute-moibien,salemorveux.Jepeuxencorechangerd’avis,maispourlemoment,jeveuxquetudégages.EtErinestd’accord.Hein,Erin?»

Calebtournesesgrandsyeuxtristesversmoi,etjehochelatête.«Oui,jeveuxquetusortes,Caleb.Tunerisquesrien,etjeterejoinsbientôt.

—EtN-n-nadia?Elle...Elleaditqu’ilf-fallaitseserrerlescoudes...Ellem’ap-p-protégé...»Ilpleuretoutesleslarmesdesoncorpsetçamebriselecœur,maisjedoismemontrerforte.«Nadiaaussivoudraitquetusortes,maintenant.»

Enentendantsonnom,elleremueenfinetpousseunpetitgémissement.Lesangcontinueàcoulersursonvisage,maisellerespire.Elles’accrocheàlavie.

«Ilfautquetusortes,Caleb»,jerépète,etilselaisseenfinfaire.Est-cequeçavaêtrecommedanslesfilms?Est-cequelapolicevadescendreAudreyaumomentoùellevaouvrirleporte?MaisellesetourneversNadia.

«Tiens,toi,puisquetuesencorevivante,tuvasouvrir.»Ellelarelèvedeforceenattrapantsesmains.Nadiatousseplusieursfoisetouvreunœil.Unseul,carl’autreesttroptuméfié.Ellerespiredifficilementettientàpeinedebout.

«Non,moi,jevaisl’ouvrir»,jepropose.«Jevaisbien.OubienCalebpeutouvrir.—Non,ilfautquel’autreconnesebougepourmontreràDimitriqu’elleestencoreenvie.Tu

t’imaginesbienqu’ilvoudraplusmeparlers’ilpensequejel’aituée!»Ellecrieetagitelesbrasdanstouslessens,lepistolettoujoursàlamain.

Nadiagrogneettrébuche.«Je...jepeuxlefaire.»Ellefaitquelquespasverslaporte,maisellen’apaslaforcedelatirerverselle.«Caleb...vas-y...»Ilouvrelaporteets’enfuitencourant.

Audreyreprendletéléphone.«Tuvois,Nadiaestvivante.Elle,jeneluiferaisjamaisdemal.Cellequidétruittout,c’estErin.Ellem’apristoutcequej’avais:monpère,mafamille...ettoi.»Ellefaitlescentpas,etmoncerveaucherchedésespérémentuneidée,n’importequoipourfairesortirNadia,pouressayerderaisonnerAudrey.Lechaletachangédepuislafoisoùj’ysuisvenue.Monpèrenem’aamenéeiciqu’unefois.Cejour-là,ilétaithorsdelui.Sonregardétaitcommepossédé,etj’étaisterroriséeàl’idéequ’ilpuisserepartiretmelaisserseuleici.Pourjenesaisquelleraison,j’avaisterriblementpeurd’êtreseule,àl’époque,etillesavait.Surlemeubledelacuisine,ilyadesphotosdesfillesqu’ilatuéesetdessouvenirsd’elles.Monestomacsesoulève,maisjesecouelatête:çan’estpaslemomentd’êtremalade.

Lapoliceafouillélechaletaumoinscinqfoisaucoursdesdernièresannées.Monpères’en

plaignaitbeaucoup,ildisaitquec’étaitsonrefuge,sonsanctuaire.Audreypouffe.JenesaispascequeDimitriluiraconte,maisils’yprendbien.Nadiatousseencoreetgémitentombantsurlecôté.«Tasœurvabien.»Audreylarelèveetla

calecontremoi,épaulecontreépaule.«Notrepèrel’atabassée,maisjel’aiforcéàarrêter,jeluiaiditqu’elleétaitimportante.»

Nadiamelanceunregard.Enuninstant,jecomprendsquesil’onsemetbiendosàdos,ellepourraitdétachermesmains,oumoilessiennes.Sesdoigtscherchentlesmiens,etellecommenceàtirersurlacordeengémissant.

Heureusement,Audreyesttropconcentréesursesmensongespournousprêterattention,maislapiècen’estpasbiengrande,etsiellenousvoit,ellevanoustuer,c’estsûr.Jenesaismêmepaspourquoiellem’agardéenviejusquelà.

«Erindoitdisparaître,tucomprends?Sanselle,jepourraienfinrécupérermaplace,récupérermavie.»Sondiscoursestdeplusenplusirrationnel.Est-cequ’ellecroitvraimentqu’ellepourrareprendreunevienormaleaprèstoutça?Puisjel’entendsrireànouveau.Audreyn’estpasjustefolle:c’estunevraiepsychopathe.

Enfin,mesmainssontlibres.Super,etmaintenant?Derrièremoi,jesensNadias’avachircommesicederniereffortavaitdemandétouteslesforcesquiluirestaient.Ellemurmure«Liam»,etdeslarmescoulentlelongdesesjoues.Jevoudraispouvoirlaprendredansmesbrasetlaréconforter,maisd’abord,ilfauttrouverunmoyendesortird’ici.J’attendsqu’Audreyseretournedosànous,commesielleavaitcomplètementoubliénotreprésence.Àcemoment,mesannéesd’entraînementdecheerleadermereviennent.Paslesourireoul’énergiepositive,non,maislescompétencesathlétiques.

Jemeglissecontrelemur.Nadiaaencoreperduconnaissance.«Maisbiensûrquetupeuxparleràtasœur.»Merde...C’estmaintenantoujamais.J’envoieuncoupdepieddanslamainquitientlepistolet,et

l’armetombeàterre.J’entendsdesbruitsdepasauloin.Çadevaitêtrelemomentqu’ilsattendaient.«Saleconnasse!»hurleAudreyenmesautantdessus.L’adrénalinedoitcouleràflotdansmes

veinescarmalgrémesblessures,jeréussisàluienvoyerunautrecoup.Ellemerepousseavecuneforcedontjenelapensaispascapable,maisapparemment,jenelaconnaissaispasdutout.

«Papavoulaittetuer,tusais!Ici,lejourdetestreizeans!Oh,t’auraispasétéundesesanges,non...Ilenavaitjustemarredetoi.Plustard,ilestpassécheznousetilm’atoutraconté.Ilm’aditcombienilregrettaitqueçasoitpasmoisafilleofficielle.C’estlàquej’aisu...Luietmoi,onavaitunlienquetuauraisjamaispubriser.»Elleserrelesmainsautourdemoncou.

«Lesanges...Pourquoi?»jedemande.Soudain,laportes’ouvreavecfracasetTyrikselanceenavant.IlattrapeAudreyetl’éloignede

moi,luipasselesmenottesetluirécitesesdroits.Jereprendsmonsouffle,larespirationsifflante,etjerépète:«Pourquoi?

—Ilfaudraitdesannéesderecherchespourtrouveruneexplication.Certainsdiraientqu’ilétaitsimplementmalade,dérangé,qu’iln’avaitpasconsciencedecequ’ilfaisait.Maisilsavaittrèsbien.Ilétaitpleinementconscientquandiltuait,etilsavouraitchaquemoment,chaquegémissement,chaquehurlement.Ilm’aditqu’ilavaittreizeansquandilatuésapremièrevictime,lafilled’uncoupled’amisdesesparents.Sesparentsàellel’appelaientleurpetitange,parcequ’elleétaitsigentille,sipolie,blabla.Ellearefusédejoueraveclui,alorsill’apousséedansunlacetluiatenulatêtesousl’eau.Papaaimepastropqu’onluirésiste.»Ellerit,etcesonmedéchirelecœur.«Telpère,tellefille.Tupeuxpascomprendre.»

Jesecouelatête.«Non,ettantmieux...»Audreyal’aird’avoirperdutouteconsciencedutemps,etellecontinueàparler.«Ilétaitplus

méticuleuxquemoi,parcontre.Ilavaittoutunrituel.C’étaitpresquedevenuunjeupourlui,desatisfairesespulsionsenbaladantlesflics.Ilatuédansd’autresétats,tusais,maisàchaquefois,ilautiliséunesignaturedifférente.»

Tyriklatireverslasortie.JetitubeversNadia.Undocteurestpenchésurelle.Derrièremoi,j’entendsmonpetitfrèrequi

m’appelle.DimitrientreavecCalebsesbras,etretientuncrienvoyantsasœurétaléeausol.«Donne-le

moi»,jemurmure,levisageruisselantdelarmes.Calebsejettedansmesbrasetjeperdsl’équilibre,maisjem’accrocheàluidetoutesmesforces.

Dimitris’agenouilleprèsdesasœuretluitientlamainenécoutantattentivementlemédecinavantd’appelersonpère.«Jel’accompagneàl’ambulance»,meprévient-ilavantdem’embrasser.Unbaiserrapideetavide,quifaitrireCaleb.Cerire,c’estlesondontj’avaisbesoinpourmerendrecompteenfinquenoussommesenvie.Sauvés.

«Jet’aime,ditDimitri,lesyeuxdanslesmiens.—Moiaussi.»JeretourneversNadia,allongéesurunbrancardqu’onporteversl’ambulance.J’aibesoindelui

direavantqu’elleparte...«Merci»,jemurmure.Leslarmesnecoulentplusseulementsurmonvisage,ellesdégoulinentdans

mavoix.«Mercid’avoirprissoindeCaleb.»Elleouvreunœil,etarticuleàpeine:«Ilvabien?—Oui,ilvabien.—Liam...Oh,Liam...»murmure-t-elleenrefermantlesyeux.Etmoncœurpleurededouleurpourelleettoutcequ’elleaperdu.

CHAPITRE56–DIMITRI

Àl’hôpital,c’estlafolie.Lestélévisions,lesjournalistes,lescurieux,toutlemondeveutvoir.Nadiaestconscienteparmomentsseulement.Quandmonpèrearrive,ilprendimmédiatementleschosesenmain.Ilveuttoutsavoirdesonétatetdel’opérationprévue.Elleaunpoumonperforé,descôtescasséesetunefractureaubras,sansparlerdeshématomespartoutetdel’entailleauvisage.

ErinetCalebontétéexaminésrapidement,aprèsquoionlesaautorisésàpassercinqminutesavecleurmère.

Calebsomnolesurunsiègedanslasalled’attente.Erinbonditsursespiedsenmevoyantetcourtversmoi,lesbrasgrandouverts.C’estpresqueirréeldelasentirenfindansmesbras.

«Tuvasbien»,jedisenenembrassantsescheveux,sonfront,sabouche.«Tuvasbien.—Jesaispas...dit-elleenmeserrantfort.Toutça...Monpère,Audrey...Leursvictimesàlui,à

elle...Elleditqu’ilatuéaumoinstrentefilles.Àchaquefoisqu’ilpassaitdutempsauchalet,c’étaitpourtraquersesvictimes.Dansd’autrescomtés,d’autresÉtatsmême...Ilatrompétoutlemonde.Commentc’estpossible?»

Jemepencheenarrièrepourplongermesyeuxdanslessiensetexprimerd’unregardtoutcequejeressens.«Tuespasresponsable,Erin.T’espasresponsabledetoutcequ’ilsontfait.»Jeluicaresselajoue.«Ettuassauvélaviedemasœur.»

Ellesecouelatêtesansmêmeessayerdecacherseslarmes.«NadiaasauvéCaleb.Elles’estmisedevantluipourleprotégerquandAudreys’esténervéeparcequ’ilpleurait.»Seslèvrestremblent,etellefrémit.«JecroisquesiNadian’avaitpasétélà,ellel’auraittuéaussi.Alorsquesansmoi...Sansmoi,riendetoutçaneseraitarrivé.Ellen’auraitpasétéjalousedemoi,et...

—Sionraisonnecommeça,peut-êtrequ’ellem’auraitrencontréquandmême,jemeseraispasintéresséàelle,etelleauraitfinipars’enprendreàNadia.»

Jeposemonmentonsursatête,etellenichesonvisagedansmoncou.Nousrestonscommeça,sansunmot,jusqu’àcequeCalebl’appelle.

«Jesuislà»,dit-elle,etilsouritenmevoyant.«Dimitri!T’esunsuper-héros!»Jem’approchedeluienboitillant.«Non,c’esttoilesuper-héros.Quandtuastraversélaclairière,

superimpressionnant!»Erinfroncelessourcils.«Tuboîtes!Qu’est-cequetuasàlajambe?—Riendegrave.»Puisjemesensobligédepréciser,pourqu’ellenesetiennepasencorepour

responsable:«Justeunepetiteentorse.Uneoudeuxsemainesderepos,etmongenouseracommeneuf.L’entraîneurdeMidwestm’alaisséunmessagetoutàl’heure,ilveutmevoir.

—Jesuistropcontentepourtoi»,dit-elleensouriant.Jem’assiedsàcôtéd’elleenentrelaçantmesdoigtsaveclessiens.Calebs’installedel’autrecôté

etseblottitcontresasœurenfermantlesyeux.Jemepencheverselleetmurmure:«Jet’aime,Erin

Hortz.—Pourquoituutilisesmonnomcomplet?»ricane-t-elle.Jenesaispassic’estlatensionqui

retombe,maisjepouffeàmontour.«Jesaispas...Çafaisaitplusofficiel.—Ehbien,DimitriKuvlev,jet’aimeaussi.»Etilposelatêtesurmonépaule.Aprèstoutcequ’onatraversé,ontrouverabienunmoyen,peuimporteladistance.Ontrouvera

toujoursunesolution.Ensemble,luietmoi.

ÉPILOGUE-ERIN

Quatremoisplustard.Calebs’accrocheàmamain.«Tuseraslàquandjevaisrentrer?—Oui,promis.»Ilfaitencoredescauchemarspresquetouslessoirs,maisnotrethérapeuteditqu’ilvadéjà

beaucoupmieux.Nadiaseforceàcontinueràvivre,maisellesouffreterriblement.EllevoitLiampartout,dansles

couloirsdulycée,danslarue,n’importeoù.Lacicatricesursajoueaurabientôtdisparu,maislescicatricesintérieuresnesontpasprèsdeguérir.

Dimitrietsonpèrenousontgentimentaccueillischezeux.Aprèstoutcequiestarrivé,jenemevoyaispascontinueràhabiterdansnotreanciennemaison.Ilyaeutropdemensongesettropdedouleursentrecesmurs.

Mamèrerécupèrelentement.Elleacommencéunecurededésintoxication.Monpèretrafiquaitsesmédicamentsdepuisdesannées.Quantàlamortdemesgrands-parents,l’affaireaétérouverte,etilaétéprouvéquemonpèreavaitsabotélesfreinsparcequ’ilavaitpeurqu’ilsencouragentmamèreàlequitter.Iln’avaitaucunamourpoursafamille,maisilaimaitbiennousavoirautourdelui,commeunesortedetrophée.Audreyavaitraisonàproposd’unechose:toutlemondeasonidéedecequiétaitarrivéàmonpère...etdecequiluiétaitarrivéàelle.

Jeprendsunegorgéedecafé.Dimitriafiniparsignersoncontratavecl’Universitéd’ÉtatduMidwest.Ilvadoncpouvoirjouer

aufootball,etilseraassezprochepourn’avoirpasbesoindeprendreunechambresurlecampus.Etpuisl’entraîneurMilleraditqu’ilauraitencorebesoindesesservicesdetempsentemps.

Plustard,ilpensedevenirprofdedessinaulycéetoutencontinuantàaiderl’équipeentantqu’entraîneurassistant.

Ilseglissederrièremoietenroulesesbrasautourdemataille.«Rappelle-moipourquoijedevraisallerencours,aujourd’hui?»Ilembrassemonomoplate,moncou,etjepourraisfondresurplace.

«Bonnequestion,jevoisvraimentaucuneraison»,jerépondsenmetournantverslui.Seslèvresnemettentpasplusd’unesecondeàtrouverlesmiennes,etsesmainssefaufilentsousmont-shirt.

Sonpèreaétablidesrèglesassezstrictesdepuisqu’onvitsouslemêmetoit.Nousavonsnotammentinterdictionsdeseretrouverseulsdansnoschambres,maisiln’arienditconcernantlegarage,lacuisineouencorelacabanedansl’arbre...Sonpèreestdéjàpartitravailler,Calebestàl’école...J’aidumalàmesouvenircequinousempêcheraitderesterlàtoutelajournéeànousembrasser.

«Oh...jemurmuredanssabouche.Lescours!Tu...tuascourscematin.»Ilgrogneetd’unseulmouvement,ilmesoulève,medéposesurlemeubleetseglisseentremes

jambes.Nosbaiserssefontplusprofonds,pluspressants.Mesdoigtss’enroulentauborddesont-shirt,

prêtsàleluienlever,quandsoudain,l’alarmedemontéléphonesonne.«Ilfautquej’yaille,moiaussi.J’airendez-vousavecleDrSamsavantlescours,elleveutqu’on

parledemesmécanismesdedéfense...»Dimitriposesonfrontcontrelemien.«Maisonsortcesoir,hein?»Jesenssonsourire,etjene

peuxretenirlemienenrelevantlatête.«Onarendez-vousaulac.—Aulac,oui.Lesvêtementssontenoption.—Oh,vraiment?»Meslèvreseffleurentsoncoup,etjesenssonpoulsquibatenharmonieavec

lemien.Ils’écartedemoi,passelamaindanssescheveuxetattrapesesaffairesdedessin.«Jetevoiscesoir.»Ils’arrêtedevantlaporte.«J’aiessayéd’appelerNadia,maiselleapas

répondu.—J’irailavoirpendantlapausedéjeuner,jet’appelletoutdesuiteaprès.»Ilhochelatête,mimeunmercietunjet’aimeduboutdeslèvres,ets’enva.Jeneluidispasdenepass’inquiéter:onsaittouslesdeuxqueNadianefaitquesemblantd’aller

bien.Pourlamillionièmefoisaumoins,jemedisquejevoudraispouvoirremonterletemps.Pour

sauverLiam,pourempêchertoutescesfillesdemourir.Maismapsys’échineàmefairecomprendrequelepasséestlepassé.Aussidouloureuxqu’ilsoit,onaurabeausouhaiterqu’ilsoitdifférent,onnepourrajamaislechanger.

Leprésent,c’esttoutcesurquoijedoismeconcentrer.Là,maintenant.Etpourlemoment,onvatousfaireleschosespasàpas.PourDimitrietmoi,çaserapeut-êtreplus

simple,parcequ’onpeutsesoutenirl’unl’autre.J’espèreseulementqueNadiafinirapartrouverenellelaforcederéapprendreàsourire.

Deréapprendreàvivre.

FIN

Merci,mercietencoremercid’avoirlucelivre!VousvoulezsavoircequiarriveraàTessaetNadia?

Est-cequ’onretrouveraunjourlasœurdeTessa?Découvrez-ledansLAPEURDANSLESYEUX,disponibledébut2017.

Nadiaest-ellevraimenthorsdedanger?Découvrez-ledansLAPEURDANSLECŒUR,disponiblemi2017.

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APERÇUD’UNÉTÉPASCOMMELESAUTRES

CHAPITRE1-EMDeshaut-parleurss’échappeunemusiquepopassourdissante;lesonestsifortquechaquenoterésonnedansmoncorps.Jesauteenl’airunefois,deuxfois,troisfois,lepoinglevé,avantdemedéhancheraurythmedelamusique.Lesmiroirsquirecouvrentlesmursn’ontpasl’habitudedemevoirdansercommeça.Normalement,jedansesurduMozart,duTchaïkovski,duProkofievouduMinkus.PassurduMadonna.

Jepenchelatêtesurlecôté.Jen’aiaucuneenviederépéterlachorégraphied’unballet.C’estpourtantcequejedevraisfaire.

Jemonteendemi-pointepouresquisserunrelevé.Jen’aiplusenvied’êtreEmiliaMoretti–danseuseclassiquedeseizeansquirépètechaque

mouvementjusqu’àlaperfection,demanièrequasi-obsessionnelle.Mesgenouxsefléchissentau-dessusdemespiedsetjedescendsenplié.

Jen’aiplusenvied’êtrecettejeunefillequicriesurtouslestoitsqu’elles’enfiched’avoirétéadoptée,maisquiessaiederetrouversesparentsbiologiquesendouce.

Jeremontesurlapointedespieds.Jen’aiplusenviedepenseràNick,lemeilleurdanseurdeL’ÉcoledesArtsdelascène(etle

meilleuramidemonfrère),dontjesuisdésespérémentamoureuse.Jeveuxdanserpourtoutoublier.Jefermelesyeuxetlèvelesbras,etjemelaissealleràchanterfaux,eninventantdesparoles.Je

sauteenl’air.Mesjambess’ouvrentenungrandjetéquimevaudraitd’êtrerenvoyéeimmédiatementdel’ÉcoledesArtsdelaScène:lajambeavantestàmoitiéfléchie,etmonsautestloind’êtreassezhaut.Maisjem’enfiche.J’atterrissurunpied,jememetsàsautilleretàtourner,tourneretencoretourner,jeprofiteduprésent,sansmêmepenserquequelqu’unpourraitêtreentraindemeregarder.

L’étéavidélesdortoirsetlescouloirsdel’ÉcoledesArtsdelaScène.Etsimonpèren’avaitpasperdusontravail,jeneseraispaslànonplus.Jeseraisentraindefairetrempettedansl’océan,tranquillementallongéesuruneplagedesHamptons,avecpourseulepréoccupationdefaireensortequeNickremarquemonnouveaubikini.Maisl’époquedesdépensessanscompteretdesaventuresinsouciantesestfinie.

Jelaissemespiedsm’entraînerpourunautretour.Jemeconcentresurlamusique,surcesentimentdelibertéquienvahitunpeuplusmoncorpsàchaquemouvement,surtouteslespossibilitésquis’offrentàmoi.Jerepoussetouteslespenséesquimesusurrentquelamusiquefinirapars’arrêter,quejeseraibienobligéederegarderlaréalitéenface,quecesentimentdebonheurs’évanouira.

«Pasmal,Em.Parcontre,c’estlanouvellemodededanseràmoitiéàpoil?Jesavaispas.»J’ailesoufflecoupé.Nickestaubeaumilieudelapièce.Torse-nu.Ilportesonpantalondesurvêt

unpeubas,commeunmannequindechezAbercrombie.Impossiblededétachermesyeuxdesesbicepspuissants,sesabdosbienciselés,sontorsesculptural.

Notabene:nepasoublierderespirer.«Qu…qu’est-cequetufaisici?»,jeluilanceenbégayant.Moncœurbatàtoutrompre,commeà

chaquefoisquejevoisNick.Mêmesi,depuisquemonpères’estfaitvirer,c’estunpeutenduentrenous.Iln’estpascenséêtreici.Ildevraitêtreentraindeprofiterdelaplage,cetteplageoùonapassétantdesoiréesdevantunbonfeu.IldevraitêtreentraindenagerdansceseauxoùonajouétantdefoisàMarcoPolo.Ildevraitêtreentraindevivrelaviequ’onvivait.Etbiensûr,ildevraitêtreentraindesefairebronzersurlesablechaud,draguanttoutcequiporteunmicrobikini,etbrisantlecœurdetoutesles

filles.«Euuuh….Voyons…qu’est-cequejepourraisbienvenirfairedansunstudiodedanse?»Illève

unsourcilmoqueur,del’airdedire«elleestsimignonne,lapetitesœurdeRoberto…»,etj’aisoudainuneenvieterribledehurler.

Maisjememaîtriseetluilance,dutonlepluscalmepossible:«Jeveuxdireici,àNewYork».Jelèvelesyeuxauciel.ÇacraignaitdenepaspouvoirallerdanslesHamptonsavectoutelaclique,maisaumoins,c’étaitcensémedonnerdeuxmoisderépitsanslevoir.

«Jeprofitaisduspectacle»,merépond-ilenriant.–Ouais,c’estça.»JeplongemonregarddanslevertdesyeuxdeNick,aussiprofondqu’unemer

deregrets,etjesensmesjouess’enflammer.Ilbalanceseshanchesaurythmedelamusiquequicontinuedehurlerdanslapièce.C’estune

immensepièce,quicontientsanspeinevingtétudiantsentempsnormal,etpourtantellesemblerétréciràvued’œilautourdenous.«Jesuispassûrquecemorceausoitdanslerépertoire.Maisondevraitl’ajouter.Tuétaismagnifique,tuavaisl’airdet’amusercommeunefolle.

–M’amuser…»jemarmonne.J’imaginequec’estuneblague.Jesuiscouvertedesueuretcomplètementhorsd’haleine,j’aisansdoutelescheveuxenbatailleautourduvisage,etmaposturenevapasdutout.Maisilnedétournepasleregard.Seyeuxexplorentmonvisage,glissentsurmoncou,parcourentmoncorpsdehautenbas.Moncorpsestpresquenu.Jeneportequ’unsoutien-gorgeetunmini-short.Parcequej’étaiscenséeêtretouteseuleici,etquecetimbéciled’airconditionnéfaitencoresadiva–ilmarcheuneseconde,puiss’arrêtependantuneminutealorsquelatempératurefrôlelesquarantedegrés.Jem’entourenerveusementlesbrasautourdelataille,mesoreillessemettentsoudainàbrûlercommepourmerappelermonpropreenfer.

«Jenet’aijamaisvudansercommeça.Tuavaisl’airdet’éclater.»Sesyeuxsemettentàpétiller.Oupeut-êtrequec’estmoiquim’imaginedeschoses.

Monhautetmescollantssontposés,soigneusementpliés,surmonsacdegym.Justeàcôtédelachaîne.Jemetortilled’unpiedsurl’autre,hésitante.Est-cequej’essaiedelesattraperenvitesse?Ilyaquelquechosedanslamanièredontilmeregardequimetétanise.

Ilmeregardecommes’ilmevoyait.Commes’ilmevoyaitvraiment.Peut-êtrequ’ilestenfinentrainderéaliserquejenesuispasseulementlapetitesœurunpeu

chiantedeRoberto.Reprends-toi,Em.Reprends-toi.Jemeracleunpeulagorge.«Tun’astoujourspasréponduàmaquestion.Jecroyaisquetuétais

censéêtredanslesHamptonsaveclerestedelabande.»Mavoixtrembleunpeu,maisjeparviensàdonnerlechange,etàfairesemblantque,non,çanemefaitpasdepeine.Aucundesamisavecquij’avaisl’habitudedepasserl’étédanslesHamptonsn’aretournémescoupsdefil.Danslesdeuxsemainesquiviennentdepasser,j’aireçuentoutetpourtout…untexto,quimedisaitàquelpointilss’amusaient,etquec’étaittropdommagequejenepuissepasenprofiter.Commesijenelesavaispas.

Nickcroiselesbrassursapoitrine.Sesbrasmusclés.Etsontorseestsibiendessiné.Non,vraiment,ilfautquejemereprenne.C’estundanseur,ilauncorpsmagnifiqueparcequec’est

undanseur,parcequ’ilpassedesheuresetdesheuresàs’entraîner,parcequec’estsonboulot.Ilyad’autresmecsàl’écolequiontuncorpsparfait.Maisjenebavepassureux,alorspourquoilui?

Ilsouritetaunpetitrire.«Qu’est-cequiestsidrôle?»,jeluilanceensoufflantsurunemèchedecheveuxquimebarrelevisage.

Sonpetitgloussementsetransformeenundesesgrandsriresgais,undesesriresquimefontfondred’habitude.Nicknesemoquejamaisdemoi,etlà,ondiraitqu’ilmecherchepourmefaireoubliermonamertume.Ilmelanceunclind’œil.«Tuessaiesd’avoirl’airfâchéemaisçanemarchepas.Tuasplutôtl’airsurprise…etpeut-être,est-cequej’oseledire?contentedemevoir.

–Maisbiensûr.Tuestellementprétentieux.Çafaitpartiedesprérequispourêtrecopainavecmonfrère?»Jetendslebraspourattraperlatélécommandequiestparterre,etj’éteinslamusique.Onn’apasbesoind’avoirlacompilationdemusiquedesannées1980quej’aitrouvéedansleplacarddemamanenfondsonore.Écouter«LikeaVirgin»encemomentprécisaquelquechosede…d’inapproprié.

Oupeut-êtredetropapproprié.«Tusaistrèsbienquepourêtrecopainavectonfrèreilsuffitd’aimerjoueràFormulaOneet

MarioKart,avecéventuellementunpetitCallofDutydetempsentemps.Cen’estpastrèsdifficiledefaireplaisiràtonfrère.Toi,parcontre,c’estuneautrehistoire.

–Sicen’estpasdifficiledefaireplaisiràmonfrère,pourquoitun’espasvenuuneseulefoisàlamaisondepuisledébutdesvacances?»JefixemonT-shirtcommesijepouvaislefairevolerjusqu’àmoi,commesij’avaissoudainementacquisdessuperpouvoirsdansl’heurequivientdepasser.SijevaisattrapermonT-shirt,jesuisobligéedefrôlerNicketjenesuispassûrequemoncœurpuissesurvivreàça.«Si,jesuispassévoirtonfrère.JeluiaimisuneracléeàFormulaOnehiersoir»,merépondNick.

Cettefois-ci,jesourispourdevrai.Robertonem’ariendit,maisjesaisqueçaluimanquaitdevoirNick.Ilfallaitjusteunpeudetempspourqueleschosess’arrangent.«J’imaginequesivousnem’avezpasinvité,c’estparcequevousaviezpeurdeperdre.»Jenepeuxpasm’empêcherfaireunpeulamaligne.Jesuistropforteauxjeuxvidéo.

–Oupeut-êtreparcequetuesmauvaiseperdante.»Nickmelanceungrandsourire,cesourirequej’adore,cesourirequifaitbattremoncœurplusvitequen’importequellerépétitionetn’importequelspectaclededanse.

Etj’ail’impressionqueNickn’entendpasmoncœurquibatlachamade,iln’entendpasqu’ilbattellementvitequej’aipeurqu’ils’arrête,iln’entendpasquec’estpourluiqu’ildanse.Non.Aulieuderesteràunedistanceraisonnable,Nicks’avanceversmoi,ilesttellementprèsquejepourraispresqueletoucher.

C’estcommeunrêvequidevientréalité.Unrêve.Çadoitêtreça,jedoisêtredansunrêve.Cequiveutdirequ’ilvabientôtm’embrasser.Ilvamurmurerqu’ilmeveut,qu’iln’ajamaisvouluquemoi,qu’ilm’aime.Jepassemalanguesurmeslèvres,etjerespireungrandcoup.

Maisnon,aulieudem’embrassercommeill’auraitfaitdansundemesrêves,ilmelanceunsourire,ets’envaàl’autreboutdelapièce,làoùilyalebancavecmesaffaires.Ilattrapemeshabitsetmonsacdegym,etmelesapporte.«Allez,Em,c’estàmontourderépéter.»

Jesensmonestomacsenouer,etjebaisselatête.Non,c’estsûr,cen’estpasunrêve.Ousic’estunrêve,c’estvraimentunrêvepourri.

UNÉTÉPASCOMMELESAUTRESestdéjàdisponible!

PetitGlossaire

Footballaméricain:Cesportcollectifopposedeuxéquipesdeonzejoueursquialternechacunedéfenseetattaque.Lapartiesejoueenquatrequarts-tempsde15minutes.L’équipeenattaquedoitprogresserd’unedistanceimposéeenquatretentativesappeléesdown.L’équipeendéfensedoitempêcherlesadversairesd’atteindreleurobjectifpourreprendreleballonetdoncpasserenattaque.Lebutdujeuestdemarquerunmaximumdepoints,enparticulierenréussissantuntouchdown(voirplusbas).

NFL:NationalFootballLeague.AssociationdeséquipesprofessionnellesdefootballaméricainquiorganiseunchampionnatseterminantparleSuperBowl,unmatchtrèsmédiatisé.

Quarterback:capitainedel’équipeoffensivequilancelesattaquesenappliquantlastratégiedemandéeparl’entraîneur.Enraisondesonrôledécisif,c’estsouventlastardel’équipe.

Touchdown:Ilyatouchdownquandunjoueurdel’équipeenattaqueemmèneouréceptionneleballonenzonedebutadverse.Untouchdownvaut6pointsetpeutêtretransformé,unpeucommeaurugby.

Widereceiver:joueuroffensifdontlerôleestnotammentderecevoirlespassesduquarterback etdegagnerduterraingrâceàsavitessedecourse.

REMERCIEMENTSCelivrem’abrisélecœur.Ilm’afaitpleurer,ilm’afaitrire.Ilm’afoutulatrouillepourplusieursraisons.Passeulementàcausedestueursensériequihantentsespages,maisaussiparcequej’avaisl’angoissedenepassavoirrendrejusticeàl’intrigueetauxpersonnagesquej’avaisentête.Voilàtroisansquejepréparecelivre,etilabeaucoup,beaucoupchangédepuislepremierjet.

Commetoujours,jesuischanceuseetreconnaissanted’êtreentouréecommejelesuisdanscetteaventure.Chanceuseetreconnaissanteenverstousceuxquinousdonnentunechance,àmoietàmonlivre.Enverstousceuxquicomprennentquej’aiparfoisbesoindeprendredureculavecl’écriture,etqued’autresfois,riennepeutm’arrêter.

Jesuisreconnaissanted’avoirmonmari,quim’inspirebiensûrleshérosdemeshistoires,etpaslestueursensérie.Mercidecroireenmoietd’êtretoi.Chaquejour,tumefaisrire.Jet’aimetellement.Jenepeuxpasfairelalistedesraisonsici,maisj’espèrequetulesconnais.Ilyaurapeut-êtreuneinterrosurpriseplustard.Merciàmesmerveilleusesamiesécrivaines,quiontluLAPEURDANSLESANGquandils’appelaitencoreDADDY’SLITTLEGIRL:AlexBrownandAlisonMiller.

Etàceuxquim’ontdonnéleursavissurlanouvelleversion.Lesremarquesdecesfemmesm’ontfaitrireetm’ontpousséeàallerplusloinpourcréerplusd’impact.Ellesfontdemoiunmeilleurauteur,etj’ailachanced’enavoirfaitdesamiesetdelesavoirrencontréesdanslavraieviepourlaplupart:RileyEdgewood,KatyUpperman,AlisonMiller,TraceyNeithercottetJaimeMorrow.

Jenecroispasquejepourraisleurrépéterassezcequeleursoutienetleuramitiéreprésententpourmoi.Jevousaime.StephanieParent,macollectrice-relectrice,m’aaidéeàmettrecelivreenforme.LindeeRobinsonm’atrouvéuncoupleErin&Dimiparfait,etNajlaCoverDesignsaréussiàcapturerl’essencedulivredanssacouverture.Merci!

AuxmembresdemongroupesurFacebook:j’espèrequevoussavezcombienjesuisreconnaissantepourvotretempsetvotresoutien.

Merciàmesparentsetàmafamille,quin’ontjamaisdoutéquejedeviendraisauteurunjour(ouontaumoinseulagentillessedenepasmeledire:P).Etàmesamis,d’icietd’ailleurs,quim’aidentàsortirdelagrotteoùj’écrisetsemontrentcompréhensifsquandjesuistropabsorbéeparmeshistoires.

Mercienfinàvoustousquilisezcelivre.Jen’enrevienstoujourspas,etjecroiselesdoigtspour

retrouvercesentimentmagiqueavecchaquelivrequej’aurailachancedemettreentrevosmains.

<3

Àproposdel’auteurElodieNowodazkijagrandienFrance,dansuntoutpetitvillageoùellesepromenaittoujoursunlivreàlamain.Àdix-neufans,elleestpartiehabiterauxÉtats-Unis,etelleadécouvertqu’elleneperdraitjamaissonaccentfrançais.EllehabitemaintenantdansleMaryland,avecsonmari,leurchienetleurchat.

Elleestaccroauxsmileys.

Visitezlesitewebd’Elodie:www.elodienowodazkij.com