la moralité du capitalisme

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  • 7/29/2019 La moralit du capitalisme

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    La moralit

    ducapitalismeCe que vos professeurs

    ne vous diront pas

    dit par Tom. G. PalmerStudents For Liberty & AtlasNetwork

    AtlasNetwork.org StudentsForLiberty.org

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    2012 Students For Liberty et Atlas Economic Research Foundation.La moralit du capitalisme. Ce que vos professeurs ne vous diront pas.Edit par Tom G. Palmer.

    Essais traduits en franais par Emmanuel Martin, avec la permission de TheFoundation for Economic Education, lInstitute for Humane Studies et des

    auteurs. Titre original : The Morality of Capitalism, What Your Professors WontTell You.

    Conception de la couverture originale par Jon Meyers.

    Lditeur tient remercier pour leur assistance dans la prparation de celivre, non seulement les auteurs et les dtenteurs des droits dauteur, mais

    aussi les membres de Students for Liberty, en particulier Clark Ruper,Brandon Wasicsko, et Ankur Chawla qui ont travaill sans relche pour mettreen forme et prparer les essais pour publication. Leur dvouement et leurzle pour la libert est une source dinspiration.Pour la traduction franaise, les remerciements vont Damien Theillier pourla relecture et Youcef Maouchi pour la recherche des citations en franais.

    Pour plus dinformations et dautres demandes contactez :Students For Liberty, PO Box 17321, Arlington, VA 22216, USA.

    Imprim et publi en Lithuanie par Petro Ofsetas.

    ISBN : 978-609-420-265-0

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    La moralit du capitalisme, p.1Tom G. Palmer

    Entretien avec un entrepreneur : John Mackey, p. 19entretien conduit par Tom G. Palmer

    La libert et la dignit expliquent le monde moderne, p. 32Deirdre McCloskey

    La concurrence et la coopration, p. 37

    David BoazMdecine but lucratif et incitation la compassion, p. 44

    Tom G. Palmer

    Le paradoxe de la morale, p. 51Mao Yushi

    La logique morale de lgalit et de lingalit dans la socit demarch, p. 64

    Leonid V. Nikonov

    Adam Smith et le mythe de la cupidit, p. 72Tom G. Palmer

    Ayn Rand et le capitalisme : la rvolution morale, p. 78David Kelley

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    Lconomie de march et la distribution de la richesse, p. 97Ludwig Lachmann

    Les liberts politiques et conomiques gnrent ensemble les miracles

    de lhumanit, p. 107Temba A. Nolutshungu

    Le capitalisme mondial et la justice, p. 113June Arunga

    La mondialisation, vecteur de progrs humain, p. 118Vernon Smith

    La culture de la libert, p. 125

    Mario Vargas Llosa

    Lectures complmentaires, p. 135

    propos de lditeur de louvrage, p. 137

    Index des noms propres, p. 138

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    La moralit du capitalisme

    Tom G. Palmer

    Ce livre traite de la justification morale de ce que lephilosophe Robert Nozick appelait les actes capitalistes entreadultes consentants1 . Il traite du systme de productioncooprative et dchange libre qui est caractris par laprdominance de tels actes.

    Quelques mots simposent sur le titre La moralit du

    capitalisme . Les essais de ce livre portent sur la moralit ducapitalisme mais ne sont pas confins la philosophie moraleabstraite ; ils traitent aussi dconomie, de logique, dhistoire, delittrature et dautres disciplines. Par ailleurs, ils portent sur lamoralit du capitalisme, et pas seulement la moralit du librechange. Le terme capitalisme se rfre non seulement auxmarchs o sont changs des biens et services et qui ont exist

    depuis des temps immmoriaux, mais au systme dinnovation,de cration de richesses et de changement social qui a apport des milliards dtres humains une prosprit qui taitinimaginable pour les gnrations prcdentes.

    Le capitalisme est un systme juridique, social,conomique et culturel qui embrasse lgalit des droits et les carrires ouvertes au talent , qui dynamise linnovationdcentralise ainsi que les processus dessais et erreurs, ce quelconomiste Joseph Schumpeter appelait la destructioncratrice , travers des processus volontaires dchangemarchand. La culture capitaliste clbre lentrepreneur, lescientifique, le preneur de risques, linnovateur, le crateur. Bienque tourn en drision comme tant matrialiste par desphilosophes (notamment marxistes) qui sont eux-mmes adeptesdu matrialisme, le capitalisme est en son cur une entreprise

    spirituelle et culturelle. Comme lhistorienne Joyce Appleby lanot dans sa rcente tude The Relentless Revolution: A History ofCapitalism (La Rvolution incessante : Une histoire ducapitalisme) : Parce que le capitalisme est un systme culturel

    1 Robert Nozick,Anarchy, State, and Utopia (New York: Basic Books, 1974), p. 163.

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    et pas simplement conomique, il ne peut tre expliqu par desfacteurs uniquement matriels2 .

    Le capitalisme est un systme de valeurs culturelles,

    spirituelles et thiques. Comme les conomistes David Schwab etElinor Ostrom lont observ dans une tude de thorie des jeuxsur le rle des normes et des rgles dans le maintien desconomies ouvertes, les marchs libres reposent fermement surles normes qui nous contraignent ne pas voler et qui renforcent la confiance3 . Loin dtre une arne amorale osaffrontent les intrts, comme est souvent dpeint le capitalismepar ceux qui cherchent le saper ou le dtruire, linteractioncapitaliste est fortement structure par des normes thiques etdes rgles. En effet, le capitalisme repose sur un rejet de lthiquedu pillage et de laccaparement, cest dire le moyen par lequella plupart des richesses dont jouissent les riches ont t acquisesdans dautres systmes conomiques et politiques. (En fait, dansde nombreux pays aujourdhui, et tout au long de la plupart delhistoire humaine, on pense largement que ceux qui sont riches

    le sont parce quils se sont servis chez dautres, et surtout parcequils ont accs la force organise - en termes contemporains, ltat. Ces lites prdatrices utilisent cette force pour obtenir desmonopoles et confisquer le produit des autres travers lesimpts. Ils se nourrissent au Trsor de ltat et ils bnficient demonopoles et de restrictions la concurrence imposs par ltat.Cest seulement sous les conditions du capitalisme que les gensgnralement deviennent riches sans tre des criminels).

    Pensez ce que lconomiste et historienne DeirdreMcCloskey appelle le grand fait : Le revenu rel par tteaujourdhui par rapport celui de 1700 ou 1800, disons, enGrande Bretagne et dans dautres pays qui ont connu lacroissance conomique moderne, a t multipli par au moinsseize4 . Ce fait est sans prcdent dans toute lhistoire humaine.

    2 Joyce Appleby, The Relentless Revolution: A History of Capitalism (New York: W. W.Norton and Co., 2010), pp. 25-26.3 David Schwab et Elinor Ostrom, The Vital Role of Norms and Rules inMaintaining Open Public and Private Economies , Moral Markets: The CriticalRole of Values in the Economy, ed. par Paul J. Zak (Princeton: Princeton UniversityPress, 2008), pp. 204-27.4 Deirdre McCloskey, Bourgeois Dignity: Why Economics Cant Explain the ModernWorld(Chicago: University of Chicago Press, 2010), p. 48.

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    Lestimation de McCloskey est, en fait, assez restrictive. Elle neprend pas en compte les progrs tonnants de la science et de latechnologie qui ont mis toutes les cultures du monde notre

    porte. Le capitalisme met la crativit humaine au service delhumanit en respectant et en encourageant linnovationentrepreneuriale, ce facteur insaisissable qui explique ladiffrence entre la faon dont nous vivons aujourdhui et celledont vivaient nos anctres, gnration aprs gnration avant leXIXe sicle. Les innovations qui ont transform la vie humainepour le meilleur ne sont pas seulement scientifiques ettechnologiques, mais aussi institutionnelles. De nouvellesentreprises de toutes sortes coordonnent volontairement lesefforts productifs dun nombre impressionnant de personnes. Denouveaux marchs financiers et de nouveaux instrumentsfinanciers connectent lpargne et les dcisions dinvestissementde milliards de personnes vingt-quatre heures sur vingt-quatre.De nouveaux rseaux de tlcommunications connectent des

    hommes et des femmes venant de tous les recoins de la plante.(Aujourdhui, jai eu des conversations avec des amis enFinlande, en Chine, au Maroc, aux tats-Unis et en Russie, etdes commentaires et tchats de Facebook avec des amis et desconnaissances des tats-Unis, du Canada, du Pakistan, duDanemark, de France, et du Kirghizistan.) De nouveauxproduits nous offrent des opportunits de confort, de loisir etdducation totalement inimaginables pour les gnrationsprcdentes. (Jcris ceci sur mon Apple MacBook Pro). dinnombrables gards, ces changements ont rendu nos socitsradicalement diffrentes de toutes les socits humaines qui lesont prcdes.

    Le capitalisme ne consiste pas seulement fabriquer deschoses la manire des dictateurs socialistes qui exhortaientleurs esclaves Construire lavenir ! . Le capitalisme consiste

    crer de la valeur, pas simplement travailler dur ou fairedes sacrifices ou encore tre occup. Ceux qui ne parviennentpas comprendre le capitalisme sont prompts soutenir desprogrammes de cration demplois pour crer du travail. Ilsnont pas compris le sens du travail, et encore moins le sens ducapitalisme. Dans une histoire souvent cite, lconomiste MiltonFriedman se faisait montrer la construction dun norme canal

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    quelque part en Asie. Quand il observa quil tait trange que lestravailleurs dplacent dnormes quantits de terre et de rochers laide de petites pelles, plutt qu laide de pelles mcaniques,

    on lui rpondit : Vous ne comprenez pas : ceci est unprogramme de cration demplois . Il rpondit alors : Oh , jepensais que vous essayiez de construire un canal. Si vouscherchez crer des emplois, pourquoi ne leur avez-vous pasdonn des cuillres, plutt que des pelles ? .

    Lors de la course la prsidence des tats-Unis en1992, Henry Ross Perot, mercantiliste et industriel proche desrseaux du pouvoir, dplorait au cours des dbats prsidentielsque les Amricains achtent des puces informatiques (computerchips) en provenance de Taiwan et vendent aux tawanais despommes chips (potato chips). Perot avait, semble-t-il, honte que lesAmricains ne vendent que de simples pommes chips : il avaitsuccomb au biais de Lnine selon lequel la valeur est ajouteuniquement par la production industrielle dans les usines.

    Lconomiste Michael Boskin de lUniversit de

    Stanford a pu rappeler avec justesse que, que lon parle dundollar en puces dordinateur, ou dun dollar en pommes chips,on parle dun dollar. Ajouter de la valeur en cultivant despommes de terre dans lIdaho ou en gravant du silicium Taipei, cest dans les deux cas de la valeur ajoute. Lavantagecomparatif5 est une cl pour la spcialisation et le commerce. Ilny a rien de dgradant produire de la valeur en tant

    quagriculteur, dmnageur (jai travaill avec trois dmnageursaujourdhui pour dplacer une grande partie de ma bibliothqueet jai une ide trs claire de la quantit de valeur quils ontajoute ma vie), en tant que financier, et ainsi de suite. Lemarch, et non darrogants politiciens mercantilistes, noussignale lorsque nous ajoutons de la valeur. Et sans marchslibres, nous ne pouvons pas le savoir.

    Le capitalisme ce nest pas seulement des gens quichangent du beurre contre des ufs sur les marchs locaux - cequi se passe depuis des millnaires. Le capitalisme, cest ajouter

    5 Pour une explication arithmtique simple du principe de lavantagecomparatif :www.tomgpalmer.com/wpcontent/uploads/papers/The%20Economics%20of%20Comparative%20Advantage.doc

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    de la valeur grce la mobilisation de lnergie et de lingniosithumaines une chelle jamais vue auparavant dans lhistoirehumaine. Cest crer pour les gens ordinaires de la richesse qui

    aurait bloui et tonn les rois, sultans et empereurs les plusriches et plus puissants du pass. Cest lrosion de systmes depouvoir, de domination, et de privilges ancrs de longue date,et cest louverture des carrires au talent . Cest leremplacement de la force par la persuasion6. Cest leremplacement de lenvie par laccomplissement7. Cestfinalement ce qui a rendu ma vie possible, ainsi que la vtre.

    (Les seules choses que les rois, les sultans et lesempereurs avaient et que les gens ordinaires daujourdhui nontpas, taient le pouvoir sur dautres personnes et la possibilit deles commander. Ils possdaient de vastes palais construits par desesclaves ou financs par les impts, mais pas de chauffage ou declimatisation ; des esclaves et des serviteurs, mais pas de lave-linge ou de lave-vaisselle ; des armes de messagers, mais pas detlphones cellulaires ou de wifi, des mdecins de cour et des

    mages, mais aucun anesthsiant pour faciliter leur agonie, nidantibiotiques pour soigner leurs infections. Ils taient puissants,mais misrablement pauvres selon nos standards actuels.)

    Lhistoire dun mot

    Les marchs libres, compris comme des systmes delibre change entre personnes ayant des droits, bien dfinis,

    juridiquement scuriss et transfrables, sur des ressources rares,

    sont une condition ncessaire pour la richesse du mondemoderne. Mais comme les historiens conomiques, notammentDeirdre McCloskey, lont montr de faon convaincante, ils nesont pas suffisants. Il faut autre chose : une thique du librechange et de la production de richesse par linnovation.

    6 Pour un remarquable expos du dclin gnral de lexprience de la force dansles relations humaines, voir James L. Payne,A History of Force (Sandpoint, Idaho:Lytton Publishing, 2004).7 Lenvie en tant que pulsion nfaste la coopration sociale et hostile aucapitalisme de libre march a t tudie par de nombreux penseurs. Ontrouvera une approche rcente assez intressante, qui se base sur lpopeindienne classique du Mahbhtara dans Gurcharan Das, The Difficulty of BeingGood: On the Subtle Art of Dharma (New York: Oxford University Press, 2009), esp.pp. 1-32.

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    Il faut consacrer quelques mots ici lutilisation duterme capitalisme . Lhistorien Fernand Braudel fait remonterle terme capital la priode allant du XIIe et XIIIe sicles,

    quand on parlait de fonds, stock de marchandises, de massedargent, ou dargent portant intrt8 . Parmi les nombreusesutilisations du terme capitaliste que Braudel a catalogues, ila pu noter que jamais () le ton nest amical9 . Le mot capitalisme a merg comme un terme, gnralementinsultant, au XIXe sicle, par exemple, lorsque le socialistefranais Louis Blanc le dfinissait comme lappropriation ducapital par les uns lexclusion des autres10 . Karl Marx utilise

    le terme mode de production capitaliste et ce fut son ardentadepte, Werner Sombart, qui popularisa le terme capitalisme dans son influent ouvrage de 1912 Der Moderne Kapitalismus (Lecapitalisme moderne). (Le collaborateur de Marx, FriedrichEngels, considrait Sombart comme le seul penseur enAllemagne qui avait vraiment compris Marx ; Sombart devintplus tard un hraut dune autre forme danti-capitalisme, le

    national-socialisme ou nazisme ).Dans leur attaque contre les capitalistes et le modede production capitaliste , Marx et Engels notaient que labourgeoisie (leur expression pour la classe qui possdait des moyens de production ) a radicalement chang le monde :

    Classe au pouvoir depuis un sicle peine, labourgeoisie a cr des forces productives plus nombreuses et plusgigantesques que ne lavaient fait toutes les gnrations passesprises ensemble. Mise sous le joug des forces de la nature,machinisme, application de la chimie lindustrie et lagriculture,navigation vapeur, chemins de fer, tlgraphes lectriques,dfrichement de continents entiers, rgularisation des fleuves,populations entires jaillies du sol - quel sicle antrieur auraitsouponn que de pareilles forces productives sommeillaient au seindu travail social11 ? .

    8 Fernand Braudel, Civilisation matrielle, conomie et capitalisme XVe-XVIIIe sicle 2. Lesjeux de lchange, Armand Colin Livre de poche 1979, p. 269.9 Ibid., p. 274.10 Louis Blanc, Organisation du Travail (Paris: Bureau de la Societ de lIndustrieFraternelle, 1847), cit dans Braudel, op. cit., p. 275.11 Karl Marx et Friedrich Engels, Le manifeste du Parti Communiste, Les classiquesdes sciences sociales, disponible sur :

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    Marx et Engels smerveillaient non seulement devantlinnovation technologique, mais devant des populationsentires surgies du sol , ce qui est une faon remarquable de

    dcrire les taux de mortalit en baisse, la hausse du niveau devie, et laugmentation de lesprance de vie. Malgr de tellesralisations, bien sr, Marx et Engels appelaient la destructiondu mode de production capitaliste , ou, pour tre plus prcis,ils pensaient que le capitalisme se dtruirait lui-mme et ouvriraitla voie un nouveau systme qui serait si merveilleux quilntait pas ncessaire (en effet, cela tait mme non scientifique)doffrir la moindre indication quant la faon dont il pourrait

    fonctionner12.Plus important encore, Marx et Engels fondaient leur

    critique du capitalisme (une critique qui, malgr lchec de tousles rgimes communistes tenir leurs promesses, resteextraordinairement influente parmi les intellectuels du mondeentier) sur une importante confusion propos de ce quilsentendaient par le terme de bourgeoisie , quils connectaient

    au mode de production capitaliste . Ils ont pu utiliser le termedune part pour signifier les propritaires de capital quiorganisent les entreprises productives, mais, dautre part, pourdsigner ceux qui vivent de ltat et de son pouvoir, comme lefait Marx dans lun de ses essais les plus intressants sur la viepolitique :

    Lintrt matriel de la bourgeoisie franaise estprcisment li de faon trs intime au maintien de cette machinegouvernementale vaste et complique. Cest l quelle case sapopulation superflue et complte sous forme dappointements ce

    http://classiques.uqac.ca/classiques/Engels_Marx/manifeste_communiste/manifeste_communiste.html, p.10.12 Pour une critique dvastatrice majeure des thories conomiques de Marx,voir Eugen von Bhm-Bawerk, Karl Marx and the Close of His System (1896, NewYork: Augustus M. Kelley, 1949) [Karl marx et la fermeture de son systme].

    Une meilleure traduction du titre de Bhm-Bawerk aurait t Sur la conclusiondu systme marxiste . Bhm-Bawerk se rfre dans son titre la publication dutroisime volume du Capital, qui a conclu le systme marxiste. Il convient denoter que la critique de Bhm-Bawerk est une critique interne, et ne repose enaucune faon sur les rsultats de la rvolution marginale en scienceconomique qui a eu lieu vers 1870. Voir aussi lessai de Ludwig von Mises, Lecalcul conomique en rgime collectiviste , dans F.A. Hayek, d,Lconomie dirigeen rgime collectiviste, 1939, Paris, Librairie de Mdicis, sur lincapacit ducollectivisme rsoudre le problme du calcul conomique.

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    conqute de cet immense difice dtat comme la principaleproie du vainqueur16 .

    Pour reprendre les mots de lhistorienne de Shirley

    Gruner, Marx pensait quil avait eu une emprise sur la ralitquand il avait trouv la bourgeoisie, mais en fait il avaitsimplement mis la main sur un terme trs glissant17 . Danscertains textes Marx utilisait ce terme pour dsigner cesentrepreneurs innovants qui organisent des entreprisesproductives et investissent dans la cration de richesse, et dansdautres textes il se servait du terme pour faire rfrence ceuxqui se regroupent autour de ltat, qui vivent sur le dos de la

    fiscalit, et qui font du lobbying pour interdire la concurrence etrestreindre la libert du commerce ; en bref, ceux quiinvestissent non pas dans la cration de richesse, mais danslobtention du pouvoir de redistribuer ou de dtruire la richessedes autres, et de maintenir les marchs ferms, les pauvres leurplace, et la socit sous leur coupe.

    En raison de linfluence de Marx et de son disciple

    Sombart, le terme capitalisme est entr dans le langageordinaire. Il faut se rappeler que le terme a t popularis pardes gens qui non seulement confondaient lentrepreneuriatproductif et lchange marchand avec le fait de vivre des imptspris dautres, mais qui prconisaient en outre labolition de laproprit, des marchs, de largent, des prix, de la division dutravail, et de ldifice entier du libralisme : les droits individuels,la libert religieuse, la libert dexpression, lgalit devant la loiet le gouvernement dmocratique constitutionnellement limit.

    Comme trs souvent pour de nombreux termes abusifs, capitalisme a t repris par certains de ces intellectuelsdfenseurs des marchs libres contre lesquels le terme taitbrandi. En raison de son histoire, ceux qui ont adopt le terme capitalisme pour exprimer ce quils prconisaient, ou mmesimplement comme un terme neutre pour la discussion

    scientifique, ont t dsavantags par le fait que (1) le terme a tutilis de manire quivoque (pour se rfrer la fois lentrepreneuriat sur un march libre et au fait de vivre de taxes,

    16 Ibid. p. 106.17 Shirley M. Gruner, Economic Materialism and Social Moralism (The Hague:Mouton, 1973), pp. 189190.

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    une littrature trs riche. (Un petit chantillon de cette littratureest rpertori dans la brve bibliographie la fin du livre.)

    Pourquoi ce livre ne contient-il que des dfenses

    nergiques du capitalisme de libre march ? Parce quil y a descentaines en ralit des milliers - de livres sur le marchprtendant offrir des discussions quilibres qui sont en faitremplis daccusations lencontre de la cration de richesse, delentrepreneuriat, de linnovation, du systme de profits et perteset du capitalisme de libre march en gnral. Au cours de macarrire, jai lu des centaines de livres qui attaquaient lecapitalisme de libre march, jai rflchi ces arguments et mesuis dbattu avec. En revanche, il est rare de trouver desdtracteurs du capitalisme de libre march qui ont lu plus dunauteur qui ait os offrir une dfense du capitalisme de libremarch. Lauteur qui est le plus frquemment cit, au moinsdans le monde intellectuel moderne anglo-saxon, est RobertNozick, et il parat mme dailleurs clair que seul un chapitredun seul de ses livres a t lu, celui dans lequel il proposait une

    difficile exprience mentale hypothtique pour tester les ennemisdu capitalisme de libre march. La plupart des socialistes pensentquil suffit de lire un essai et de rfuter une exprience depense24. Aprs avoir lu et rfut un argument, si ceux quicondamnent le capitalisme de libre march pensent toujoursquil vaut la peine de continuer la critique, ils sappuientgnralement sur une version dforme ou inexacte de ce queMilton Friedman, Ayn Rand, Friedrich Hayek ou Adam Smithcroyaient, et ce, sans les citer.

    Pour prendre un exemple rcent de premier plan, leprofesseur Michael Sandel de Harvard a propos une rfutationde la dfense du capitalisme de libre march dans son livrercent : Justice: Whats the right thing to do ? (Justice : Quelle est labonne chose faire ?). Outre Nozick, il cite Friedman et Hayek,mais indique clairement quil ne les a pas lus. Il cite Friedman

    demandant Sommes-nous autoriss employer la coercition24 Cest une attitude particulirement frquente chez les philosophes, dont le plusmalheureux dentre fut eux sans doute G.A. Cohen, qui a consacr une grandepartie de sa carrire intellectuelle tenter sans succs de rfuter lexprience depense de Nozick. Des citations darticles de Cohen et une dmonstration delchec de sa critique peuvent tre trouvs dans Tom G. Palmer, G. A. Cohenon Self-Ownership, Property, and Equality , dansRealizing Freedom, pp. 139-54.

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    Partie I :

    Les vertus du

    capitalismeentrepreneurial

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    capitalisme, car cela permet aux ennemis du capitalisme et desentreprises de les dpeindre comme des sources dgosme, decupidit et dexploitation. Cela me drange vraiment, Tom,

    parce que le capitalisme et les entreprises sont les plus grandesforces du bien dans le monde. Et il en a t ainsi depuis au moinsles trois cents dernires annes ... et ils ne reoivent passuffisamment de reconnaissance pour la valeur incroyable quilsont cre.

    Palmer : Outre la poursuite de lintrt personnel oudu profit, que fait une entreprise ?

    Mackey : De faon gnrale, les entreprises prosprescrent de la valeur. Ce quil y a de magnifique avec lecapitalisme, cest quil est fond sur lchange volontairepermettant un avantage mutuel. Prenez une entreprise commeWhole Foods Market, par exemple : nous crons de la valeur pournos clients par le biais des biens et services que nous leur offrons.Nos clients ne sont pas obligs dchanger avec nous ; ils le fontparce quils le veulent, parce quils pensent que cest dans leur

    intrt de le faire. Donc, nous crons de la valeur pour eux.Nous crons de la valeur aussi pour les gens qui travaillent pournous : nos quipes. Aucun dentre eux nest esclave. Chacuntravaille de manire volontaire parce quil ou elle a limpressionque cest un travail quil ou elle veut accomplir ; le salaire estsatisfaisant ; chacun tire de nombreux avantages, psychiquesaussi bien que montaires, du fait de travailler chez Whole Foods.

    Donc, nous crons de la valeur pour eux. Nous crons de lavaleur pour nos investisseurs, car, eh bien, notre capitalisationboursire atteint plus de 10 milliards de dollars et nous avonscommenc partir de rien ! Nous avons donc cr plus de 10milliards de dollars de valeur pour nos investisseurs au cours destrente et quelques dernires annes. Aucun de nos actionnairesnest oblig dacheter nos actions. Ils le font tous volontairementparce quils jugent que nous crons de la valeur pour eux. Nous

    crons de la valeur aussi pour nos fournisseurs, qui font desaffaires avec notre entreprise. Je les ai observs au cours desannes, jai vu leurs entreprises se dvelopper, spanouir ; ettout cela sest pass de manire volontaire. Ils contribuent amliorer Whole Foods et nous contribuons les rendre meilleurs.

    Palmer : Vous appelez votre philosophie capitalismeconscient . Quentendez-vous par l ?

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    fondamentale est que nous voyons nos fournisseurs comme despartenaires et nous essayons de nous engager dans des relationsgagnant-gagnant avec eux. Et la septime, que nous souhaitons

    sensibiliser toutes nos parties prenantes limportance dunmode de vie sain et dune alimentation saine. Ainsi, nos butssuprieurs sont une extension directe de ces valeursfondamentales. Ils comprennent : tenter de gurir lAmrique ;les amricains sont gros et en mauvaise sant, leur alimentationest catastrophique, ils meurent de maladies cardiaques, decancers et du diabte. Ce sont des maladies dues notre modede vie, qui sont des maladies en grande partie vitables ou

    rversibles. Voil lun de nos buts suprieurs. Nous avons un butsuprieur en ce qui concerne notre systme agricole, pouressayer den faire un systme agricole plus soutenable mais quiconnat galement un degr lev de productivit.

    Le troisime but suprieur est reli notre fondationWhole Planet, en collaboration avec Grameen Trust et dautresorganisations de microcrdit pour tenter daider radiquer la

    pauvret autour de la plante [NDLR : la Grameen Bank etGrameen Trustpromeuvent la micro finance dans les pays pauvres,en particulier pour les femmes, comme stratgie dedveloppement]. Nous sommes maintenant prsents dans 34pays (et 56 dans deux ans), et cela commence dj avoir unimpact positif sur des centaines de milliers de personnes. Notrequatrime but suprieur est la diffusion du capitalisme conscient.

    Palmer : Vous avez parl des besoins dune entreprise,alors ... pourquoi avoir des profits ? Une entreprise nest-elle pasune activit pour maximiser ses profits ? Ne pourriez-vous pasfaire tout cela sans avoir de profits ? Ne pourriez-vous pas faire

    juste assez dargent pour couvrir vos cots ?Mackey : Une rponse possible est que vous ne seriez

    pas trs efficace, parce que si vous faites seulement assez dargentpour couvrir vos frais, votre impact va alors tre trs limit.Whole Foods a un impact beaucoup plus large aujourdhui quenous nen avions il y a trente, vingt, quinze, ou mme dix ans enarrire. Parce que nous avons t trs rentables et avons dgagbeaucoup de profits, nous avons t capables toujours davantagede crotre et de raliser nos buts, et nous avons t en mesuredatteindre et daider des millions de personnes plutt queseulement quelques milliers de personnes. Je pense donc que le

    profit est essentiel pour mieux raliser ses buts. En outre, gnrer

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    des profits fournit le capital dont notre monde a besoin pourinnover et progresser. Pas de profits, pas de progrs. Profit etprogrs sont compltement interdpendants.

    Palmer : Mais si les profits vont dans les poches de vosactionnaires, alors cela remplit-il la mission autant que cela lepourrait ?

    Mackey : Bien sr la plupart de nos profits ne vont pasdans les poches de nos actionnaires. Seul le pourcentagerelativement faible de ce que nous payons en dividendes.Quatre-vingt-dix et quelques pour cent de largent que nousavons fait a t rinvesti dans lentreprise pour la croissance.Strictement parlant, si nous avions vers cent pour cent de nosbnfices sous forme de dividendes alors la question aurait desconsquences, mais je ne connais pas dentreprise qui pratiquecela, lexception dune socit dinvestissement immobilier (Real

    Estate Investment Trust). Sinon, tout le monde rinvestit pour lacroissance. Par ailleurs, les profits verss aux actionnaires lesincitent dabord investir dans lentreprise, sans quoi vous

    nauriez pas de capital pour raliser vos buts suprieurs. Lacapacit augmenter la valeur en capital dune entreprisesignifie que vous tes capable de crer de la valeur, et le prix delaction en est un bon indicateur. Cest ce que je voulais direquand jai dit que nous avions cr plus de 10 milliards dedollars de valeur au cours des trente et quelques derniresannes.

    Palmer : Les gens disent parfois que les marchs librescrent des ingalits. Que pensez-vous de cette affirmation ?Mackey : Je ne pense pas que cela soit vrai. Lextrme

    pauvret a t le trait dominant de la condition humainenormale pour la plupart des hommes travers toute lhistoire.Les tres humains taient tous galement pauvres et avaient unevie assez courte. Deux cents ans en arrire, 85 pour cent de la

    population vivant sur la plante Terre vivaient avec moins dundollar par jour en dollars daujourdhui - 85 pour cent ! Cechiffre slve seulement 20 pour cent aujourdhui et dici la finde ce sicle, il devrait tre quasiment nul. Cest donc une sortede mare montante. Le monde devient plus riche. Les genssortent de la pauvret. Lhumanit est vraiment en traindavancer. Notre culture avance. Notre intelligence avance.Nous sommes dans un cercle vertueux - si nous parvenons ne

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    quils paient, avec toutes les exemptions et dductions spcialesdes rgles fiscales. Et comme ils sont si fortement impliqus dansces technologies dnergie alternative, ou au moins certaines

    dentre elles, ils sont parvenus un point o ils nont pas payerdimpt sur la plupart de leurs revenus, juste parce quils ont des connexions politiques. Donc, cela me choque. Je pense quecest une trs mauvaise chose.

    Palmer : Appelleriez-vous cela immoral ?Mackey : Oui, jappelle effectivement cela immoral.

    Mais alors, on arrive au point davoir dfinir ce que celasignifie. Cela viole certainement mon thique et mon sens dubien et du mal. Que cela viole lthique des autres ou pas, cestdifficile dire. Je naime pas a, cest certain. Jy suis oppos. Cenest pas compatible avec mon ide de comment la socit doittre gouverne. Ce genre de chose ne devrait pas arriver dansune socit dtat de droit.

    Palmer : Qui voyez-vous comme principaux gagnantsdu capitalisme de libre march que vous embrassez ?

    Mackey : Tout le monde ! Chacun dans la socit estbnficiaire. Cest ce qui a tir la plupart de lhumanit hors dela pauvret. Cest ce qui a rendu ce pays riche. Nous vivionsdans une pauvret abjecte. LAmrique tait une terredopportunits, mais ce ntait pas un pays riche. Bien quelAmrique na certainement pas t parfaite, elle a bnfici delun des marchs les plus libres au monde durant deux sicles, et

    en consquence nous sommes passs dun pays trs pauvre unpays prospre, rellement riche.

    Palmer : Dans son livre Bourgeois Dignity [NDT : Ladignit bourgeoise], Deirdre McCloskey a fait valoir que ctaitun changement dans la faon dont les gens pensaient lentrepriseet linnovation entrepreneuriale qui a rendu la prospritpossible pour le commun des mortels. Pensez-vous que nous

    pouvons trouver de nouveau ce respect des entreprises cratricesde richesses ?Mackey : Je pense que oui. Parce que jai vu ce qui

    sest pass lorsque Ronald Reagan a t lu. LAmrique tait endclin dans les annes 1970, il ny a aucun doute ce sujet :regardez o se situait notre taux dinflation, o se situaient lestaux dintrt, comment le PIB dclinait, la frquence des

    rcessions, comment nous subissions la stagflation qui a

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    Palmer : Je vous remercie de mavoir accord votretemps.

    Mackey : Tout le plaisir tait pour moi, Tom.

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    et surtout dans la faon dont ils se pensaient les uns les autres ?Supposons que des moteurs vapeur et les ordinateurs soientprovenus dun honneur tout nouveau rendu aux innovateurs, et

    non pas dun empilement de briques ou de cadavres africains ?Les conomistes et les historiens commencent raliserquil a fallu beaucoup, beaucoup plus que le vol oulaccumulation de capital pour initier la rvolution industrielle : ila fallu un grand changement dans la faon dont les Occidentauxpensaient le commerce et linnovation. Les gens ont dcommencer aimer la destruction cratrice , cest dire lidenouvelle qui remplace lancienne. Cest comme en musique. Unnouveau groupe a une nouvelle ide dans la musique rock, quiremplace lancienne si suffisamment de gens adoptent librementla nouvelle. Si la musique ancienne est juge moins bonne, elleest dtruite par la crativit. De la mme manire, les lampeslectriques ont dtruit les lampes ptrole, et les ordinateursont dtruit les machines crire. Pour notre bien.

    Lhistoire correcte est la suivante. Jusqu ce que les

    Hollandais, vers 1600, ou les Anglais, vers 1700, changent leurfaon de penser, lhonneur ne se concevait que de deux faons :en tant soldat ou en tant prtre, au chteau ou lglise. Lesgens qui, simplement, achetaient et vendaient des choses pourgagner leur vie, ou qui innovaient, taient mpriss comme destricheurs, des pcheurs. Un gelier autour de 1200 rejetait lesdemandes de misricorde dun homme riche : Allons, Matre

    Arnaud Teisseire, vous avez croupi dans une telle opulence !Commentpourriez-vous ne pas tre pcheur ? .En 1800, le revenu moyen par personne et par jour sur

    toute la plante tait, en pouvoir dachat actuel, entre 1 et 5dollars, disons une moyenne de 3 dollars par jour. Imaginez-vousvivre aujourdhui Rio, Johannesburg ou Athnes avec 3 dollarspar jour. (Certaines personnes vivent avec cela dans ces villes,mme aujourdhui.) Cela fait trois quarts dun cappuccino chezStarbucks. Ctait, et cest toujours, consternant.

    Puis quelque chose a chang. En Hollande, puis enAngleterre. Les rvolutions et les rformes en Europe, de 1517 1789, ont donn la parole aux gens ordinaires, donc autres quedes vques et des aristocrates. Les europens, puis dautres, ensont venus admirer des entrepreneurs comme BenjaminFranklin, Andrew Carnegie ou encore Bill Gates. La classe

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    moyenne a commenc tre considre comme bonne, et acommenc tre autorise faire le bien, et le faire bien. Lesgens ont alors sign une sorte de contrat de classe moyenne

    qui allait ainsi caractriser des rgions dsormais riches commela Grande-Bretagne, la Sude ou Hong Kong : Permettez-moidinnover et de faire beaucoup dargent court terme grce linnovation, et sur le long terme je vais vous rendre riche .

    Et cest ce qui sest pass. partir des annes 1700 avecle paratonnerre de Franklin et le moteur vapeur de Watt, allantencore plus loin dans les annes 1800, et toujours plus loin dansles annes 2000, loccident, qui pendant des sicles avait pris duretard sur la Chine et lIslam, est devenu incroyablementinnovateur.

    Donnez dignit et libert la classe moyenne pour lapremire fois dans lhistoire humaine et voici ce que vousobtenez : la machine vapeur, le mtier tisser mcanique, lachane dassemblage, lorchestre symphonique, le chemin de fer,la socit anonyme, labolitionnisme, limprimerie vapeur, le

    papier bon march, lalphabtisation grande chelle, lacierbon march, le verre de vitre bon march, luniversit moderne,le journal moderne, leau potable, le bton arm, le mouvementdes femmes, la lumire lectrique, lascenseur, lautomobile, leptrole, les vacances au parc de Yellowstone, les plastiques, undemi-million de nouveaux livres en langue anglaise par an, lemas hybride, la pnicilline, lavion, lair propre en ville, les

    droits civiques, la chirurgie cur ouvert, et lordinateur.Le rsultat a t que, chose unique dans lhistoire, desgens ordinaires, et surtout les plus pauvres, ont vu leur situationgrandement samliorer rappelons-nous ce contrat de laclasse moyenne . Les cinq pour cent des Amricains les pluspauvres sont maintenant peu prs aussi bien nantis en termesde climatisation et dautomobile que les cinq pour cent dIndiensles plus riches.

    Aujourdhui nous voyons le mme mouvement sedrouler en Chine et en Inde, soit prs de 40 pour cent de lapopulation mondiale. La grande histoire conomique de notrepoque nest pas la grande rcession de 2007-09 - aussidsagrable quelle ait pu tre. La grande histoire conomiquecest que les Chinois en 1978, puis les Indiens en 1991 ontadopt des ides librales dans leurs conomies, et ont embrass

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    La concurrence et la cooprationDavid Boaz

    Dans cet essai, David Boaz, analyste et directeur de think tank,montre la relation entre concurrence et coopration, qui sont souventprsentes comme exclusives lune de lautre (une socit serait organiseselon un principe ou lautre). Au contraire, comme Boaz lexplique, dans lesordres conomiques capitalistes les gens se font concurrence afin decooprer avec les autres.

    David Boaz est le vice-prsident excutif de lInstitut Cato et unconseiller pour Students For Liberty. Il est lauteur de Libertarianism: APrimer et a dit quinze autres livres, dont The Libertarian Reader: Classicand Contemporary Writings from Lao Tzu to Milton Friedman. Il a crit pourdes journaux comme le New York Times, le Wall Street Journal et le

    Washington Post. David Boaz est un commentateur rgulier la tlvision et la radio, et blogue sur Cato@Liberty, The Guardian, The Australian, et

    lEncyclopedia Britannica.

    Les dfenseurs du processus de march soulignentsouvent les avantages de la concurrence. Le processusconcurrentiel permet de constamment tester, exprimenter etadapter, en rponse des situations changeantes. Il incite enpermanence les entreprises rester sur leurs gardes pour servir

    les consommateurs. Que cela soit sur le plan analytique ouempirique, nous voyons que les systmes concurrentielsproduisent de meilleurs rsultats que les systmes centraliss oule monopole. Cest pourquoi, dans les livres, les articles de

    journaux et les apparitions tlvises, les dfenseurs du libremarch soulignent limportance du march concurrentiel etsopposent aux restrictions la concurrence.

    Mais trop de gens coutent les louanges de la concurrenceet entendent ensuite des qualificatifs comme effrne , dommageable , meurtrire . Ils se demandent si lacoopration ne serait pas meilleure quune telle attitude antagoniste envers le monde. Linvestisseur milliardaireGeorge Soros, par exemple, a pu crire dans la revue Atlantic

    Monthly : une situation avec trop de concurrence et trop peu decoopration peut causer des injustices intolrables ainsi que de

    linstabilit . Il poursuit en disant que ce quil signifie

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    principalement [...] est que la coopration est autant une partiedu systme que la concurrence, et le slogan de la survie du plusfort dforme ce fait .

    Il faut observer que lexpression survie du plus fort est rarement utilise par les dfenseurs de la libert et du libremarch. Elle a t invente pour dcrire le processus dvolutionbiologique et se rfre la survie des caractristiques qui taientles mieux adaptes lenvironnement ; elle peut tre applicable la concurrence des entreprises sur le march, mais elle nestcertainement jamais entendue comme impliquant la survie desindividus les plus forts dans un systme capitaliste. Ce ne sontpas les dfenseurs, mais les ennemis du processus de march quiutilisent le terme de survie du plus fort pour dcrire laconcurrence conomique.

    Il faut clairement prciser que ceux qui disent que lestres humains sont faits pour la coopration et non laconcurrence chouent reconnatre que le march est enralit de la coopration. En effet, comme cela est discut plus

    loin, le march, ce sont des gens qui se concurrencent pourcooprer.

    Individualisme et Communaut

    De mme, les adversaires du libralisme classique ontt prompts accuser les libraux de favoriser lindividualisme atomistique , dans lequel chaque personne serait une espcedle, sortant de son isolement uniquement pour assouvir sonpropre profit et sans aucun gard pour les besoins ou les dsirsdes autres. E.J. Dionne Jr., du Washington Post a crit que leslibraux modernes croient que les individus viennent aumonde comme des adultes entirement forms qui doivent tretenus responsable de leurs actions partir du moment de leurnaissance . Le chroniqueur Charles Krauthammer, crivaitdans une revue de louvrage Charles Murray What it means to be a

    libertarian ( Ce que signifie tre un libral ) que jusqu ce queMurray nmerge, la vision librale tait celle dune courseentre individualistes froces, chacun vivant dans une cabane demontagne entoure dune clture de barbels avec unpanneau Entre interdite . Que Krauthammer ait pu omettredajouter chacun arm jusquaux dents reste un mystre !

    Bien sr, personne ne croit rellement en lespce

    dindividualisme atomistique que les professeurs et les

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    intellectuels aiment railler. Nous vivons en ralit ensemble ettravaillons en groupe. Comment peut-on tre un individu atomistique dans notre socit moderne et complexe ? Voil

    qui nest pas clair. Cela signifie-t-il manger uniquement ce quelon cultive soi-mme ? Ne porter que les vtements que lon seconfectionne soi-mme ? Ne vivre que dans une maison que lonse construit soi-mme ? Ne se limiter quaux mdicamentsnaturels que lon extrait soi-mme des plantes ? Certainscritiques du capitalisme ou les dfenseurs du retour lanature (comme Unabomber ou Al Gore, sil croit vraiment cequil crit dans Urgence plante Terre) pourraient approuver un tel

    projet. Mais rares sont les libraux qui souhaitent dmnager surune le dserte et renoncer aux avantages de ce quAdam Smithappelait la Grande Socit, une socit complexe et productiverendue possible par linteraction sociale. On aurait pu penser,par consquent, que des journalistes intelligents allaient faire unpetit break, relire les lignes quils avaient tapes et se dire : jedois avoir dform cette position. Je devrais retourner lire les

    libraux . notre poque, ce bobard sur lisolation et latomismesest rvl trs dommageable pour les dfenseurs du processusde march. Nous devons dire clairement que nous sommesdaccord avec George Soros sur le fait que la coopration faitautant partie du systme que la concurrence . En fait, nousconsidrons que la coopration est tellement essentielle lpanouissement humain que nous ne voulons pas seulementdiscuter delle, mais nous voulons crer des institutions socialesqui la rendent possible. Et cest le but des droits de proprit, du gouvernement limit , et de ltat de droit.

    Dans une socit libre, les individus jouissent de leursdroits naturels imprescriptibles et doivent vivre avec lobligationgnrale de respecter les droits des autres individus. Nos autresobligations sont celles que nous choisissons dassumer par

    contrat. Ce nest pas seulement une concidence si une socitfonde sur les droits la vie, la libert et la proprit, produitaussi la paix sociale et le bien-tre matriel. Comme John Locke,David Hume, et dautres philosophes libraux classiques lontdmontr, nous avons besoin dun systme de droits pourproduire de la coopration sociale, sans laquelle les gens nepourraient pas raliser grand chose. Hume crivait dans son

    Trait de la nature humaine que la condition humaine se

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    caractrisait essentiellement par (1) notre intrt personnel, (2)notre gnrosit ncessairement limite envers les autres, et (3) lararet des ressources disponibles pour rpondre nos besoins.

    En raison de ces conditions, il nous est ncessaire de coopreravec les autres et davoir des rgles de justice, notamment enmatire de proprit et dchange pour dfinir comment nouspouvons, prcisment, cooprer. Ces rgles tablissent qui a ledroit de dcider comment utiliser telle proprit particulire. Enlabsence de droits de proprit bien dfinis, nous serionsconfronts un conflit permanent sur cette question. Cest notreaccord sur les droits de proprit qui nous permet

    dentreprendre les tches sociales complexes de la coopration etde la coordination, par lesquelles nous atteignons nos buts.

    Il serait bien sr sympathique que lamour puisseaccomplir cette tche, sans cet accent mis sur lintrt personnelet les droits individuels, et de nombreux adversaires dulibralisme ont effectivement offert une vision attrayante de lasocit fonde sur la bienveillance universelle. Mais comme la

    soulign Adam Smith, dans une socit civilise, [lhomme] abesoin tout instant de lassistance et du concours dunemultitude dhommes , mais dans toute sa vie il ne pourrait

    jamais se lier damiti quavec une petite fraction du nombre depersonnes avec qui il a besoin de cooprer. Si lon dpendaitentirement de la bienveillance pour gnrer la coopration,nous ne pourrions tout simplement pas accomplir des tchescomplexes. Le recours lintrt personnel dautres personnes,dans un systme de droits de proprit bien dfinis et de librechange, est la seule faon dorganiser une socit au degr decomplexit suprieur celui dun petit village.

    La socit civile

    Nous voulons nous associer dautres pour atteindredes fins instrumentales telles que produire davantage de

    nourriture, changer des biens, dvelopper des technologiesnouvelles, mais aussi parce que nous nous prouvons un besoinhumain profond de connexit, damour, damiti et decommunaut. Les associations que nous formons avec les autresconstituent ce que nous appelons la socit civile. Cesassociations peuvent prendre une tonnante varit de formes(familles, paroisses, coles, clubs, socits fraternelles,associations de copropritaires, groupes de quartier, ainsi que les

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    multiples formes qui peuplent la socit marchande, comme lespartenariats, les socits, les syndicats, et associationsprofessionnelles. Toutes ces associations servent les besoins

    humains de diffrentes manires. La socit civile peut treglobalement dfinie comme lensemble des associationsnaturelles et volontaires dans la socit.

    Certains analystes font la distinction entre lesorganisations commerciales et celles but non lucratif, soutenantque les entreprises font partie du march, et non de la socitcivile. Mais je suis la tradition selon laquelle la distinction rellese situe entre les associations qui ont une origine coercitive(ltat) et celles qui sont naturelles ou volontaires (tout le reste).Quune association particulire soit tablie pour dgager unprofit ou pour atteindre dautres fins, la caractristiqueprincipale est que notre participation y est volontairementchoisie.

    Avec toute la confusion contemporaine autour de lasocit civile et de lobjectif national , nous devrions nous

    rappeler lide de Friedrich Hayek selon laquelle les associationsau sein de la socit civile sont cres pour atteindre un butparticulier, mais que la socit civile dans son ensemble naaucun but unique : elle est le rsultat non planifi, et mergeantspontanment, de toutes ces associations qui, elles, ont un but.

    Le march en tant que coopration

    Le march est un lment essentiel de la socit civile.Le march dcoule de deux faits : premirement, que les treshumains peuvent accomplir davantage en coopration avec lesautres quindividuellement et, deuximement, que nous sommescapables de reconnatre ce premier fait. Si nous tions uneespce pour laquelle la coopration nest pas davantageproductive que le travail isol, ou si nous tions incapables dediscerner les avantages de la coopration, alors nous resterions

    isols et atomistiques . Mais il y a pire que cela, commeLudwig von Mises la bien expliqu : Chaque homme auraitt forc de considrer tous les autres hommes comme sesennemis ; son avidit pour la satisfaction de ses apptits lauraitmen un implacable conflit avec tous ses voisins .

    Sans la possibilit dun bnfice mutuel provenant de lacoopration et de la division du travail, ni les sentiments de

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    sympathie ou damiti, ni lordre du march lui-mme nepourraient merger.

    travers le systme de march des particuliers et des

    entreprises sont en concurrence pour mieux cooprer. GeneralMotors et Toyota sont en concurrence pour cooprer avec moidans la ralisation de mon objectif de transport. AT & T et MCIsont en concurrence pour cooprer avec moi dans la ralisationde mon objectif de communication avec les autres. Et ils se fontconcurrence de faon si agressive pour mon entreprise que jaicoopr avec une autre firme de communication qui me donneune certaine tranquillit desprit grce un rpondeur.

    Les dtracteurs des marchs se plaignent souvent du faitque le capitalisme encourage et rcompense lintrt personnel.En fait, les gens poursuivent leur intrt personnel dansnimporte quel systme politique. Les marchs canalisent leurintrt personnel dans des directions socialement bnfiques.Dans un march libre, les gens ralisent leurs objectifs propres endcouvrant ce que les autres veulent et en essayant de le leur

    offrir. Cela peut signifier plusieurs personnes qui travaillentensemble pour construire un filet de pche ou une route. Dansune conomie plus complexe, cela signifie la recherche de sonprofit personnel en offrant des biens ou des services qui satisfontles besoins ou les dsirs des autres. Les travailleurs et lesentrepreneurs qui satisfont au mieux ces besoins serontrcompenss ; et les autres se rendront bientt compte de leur

    retard et seront encourags copier leurs concurrents quirussissent ou essayer une nouvelle approche.Toutes les organisations conomiques diffrentes que

    nous voyons sur un march reprsentent en ralit desexpriences varies pour trouver de meilleurs moyens decooprer dans le but datteindre des objectifs communs. Unsystme de droits de proprit, ltat de droit et un tat limitpermettent un potentiel maximum pour que les gensexprimentent de nouvelles formes de coopration. Ledveloppement de la socit anonyme a permis que desoprations conomiques soient entreprises avec plus denvergureque ce quelles ne le seraient avec des individus ou de simplespartenariats.

    Des organisations telles que les associations decopropritaires, les fonds mutuels, les compagnies dassurance,

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    les banques, les coopratives et autres, constituent des tentativespour rsoudre des problmes conomiques particuliers grce de nouvelles formes dassociation. On sest rendu compte que

    certaines de ces formes sont inefficaces ; de nombreuxconglomrats industriels dans les annes 1960, par exemple, sesont avrs tre ingrables et leurs actionnaires ont perdu delargent. Le feedback rapide du processus de march offre desincitations pour que les formes dorganisation qui marchentsoient copies et que celles qui ne marchent pas soient vites.

    La coopration fait autant partie du capitalisme que laconcurrence. Les deux sont des lments essentiels du simple systme de la libert naturelle , et la plupart dentre nousconsacrons bien davantage de notre temps cooprer avec despartenaires, des collgues, des fournisseurs et des clients, qunous faire concurrence.

    La vie serait en effet dsagrable, cruelle et brve si elletait solitaire. Heureusement pour nous tous, dans la socitcapitaliste, ce nest pas le cas.

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    linjection avec un professionnalisme remarquable et le soucimanifeste de mon bien-tre.

    Quelques semaines plus tard. Mon tat, bien que

    toujours douloureux et invalidant, stait grandement amlior.Mon mdecin ma alors recommand une autre injectionpidurale pour finir de rcuprer. Malheureusement, le centreanti-douleur de lhpital priv tait complet pendant troissemaines. Je ne voulais pas attendre aussi longtemps et ai appeldautres hpitaux de la zone. Un hpital public trs connu et trscot pouvait me recevoir dans les deux jours. Jai donc prisrendez-vous avec soulagement.

    Quand je suis arriv lhpital public, jai dabord parlavec quelques dames et messieurs la retraite trs serviables quiportaient des uniformes de bnvoles. Ils taient visiblement desgens bienveillants, comme on pouvait sy attendre dans unhpital public. Puis jai boitill avec ma canne vers le centre anti-douleur o je me suis fait enregistrer au bureau des entres. Uneinfirmire est sortie, a appel mon nom et aprs que je me suis

    identifi, sest assise ct de moi dans le hall. Lentrevue a eulieu alors que jtais entour de personnes trangres.Heureusement, il ny avait pas de questions embarrassantes. Jairemarqu que les autres infirmires sadressaient aux patients enleur donnant des ordres. Une infirmire dit une dame qui taitclairement dans un tat de douleurs intenses de sasseoir sur uneautre chaise et aprs que la patiente lui rpondit quelle tait plus

    laise l o elle tait assise avant, linfirmire montra du doigtlautre chaise et dit : Non. Asseyez-vous l ! . Quand cettemme infirmire mapprocha, mon regard lui fit comprendreque je navais aucune intention dtre trait comme un candidat lcole de lobissance. Sans un mot, elle montra du doigt lasalle dexamen, o jentrai.

    Le mdecin entra. Aucune prsentation. Aucun nom.Pas de main serrer. Il regarda mon dossier, bredouilla lui-mme, et me dit de masseoir sur le lit, de descendre monpantalon et de relever ma chemise. Je lui dis que la procdureavait t effectue auparavant couch sur le ct, et que cetteposition tait plus confortable, puisque masseoir tait trsdouloureux. Il me rpondit quil me prfrait assis. Je luirtorquai que je prfrais me coucher sur le ct. Il rpliqua quela position assise permettait un meilleur accs, ce qui tait au

    moins une raison qui rpondait mes intrts ainsi quaux siens ;

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    jobtemprai donc. Ensuite, contrairement au mdecin delhpital priv, il enfona laiguille et injecta le produit avec uneviolence si surprenante quil me fit hurler de douleur, ce qui

    navait pas t le cas lors de mon exprience prcdente. Puis ilenleva laiguille, crivit une note dans son dossier, et disparut.Linfirmire me remit une feuille de papier et me montra lasortie. Je payai et partis.

    Profit et compassion

    Cet chantillon dexpriences est trop petit pourcomparer la mdecine prive et la mdecine publique. Mais il

    peut suggrer quelque chose quant la recherche du profit et sarelation la compassion. Ce nest pas que seuls les hpitauxprivs attirent les personnels capables de bont et de compassion,puisque les personnes ges bnvoles lhpital public taientsrement capables de bont et de compassion. Mais je ne peuxpas mempcher de penser que les mdecins et les infirmires quitravaillent dans une centre anti-douleur priv dans un hpitalpriv ont une incitation exercer leur compassion au travail.Aprs tout, si jai dsormais besoin dun autre traitement ou si onme demande une recommandation, je vais penserinstantanment lhpital priv. Mais je ne retournerai jamais,ni ne recommanderai, lhpital public, et je pense que je saispourquoi : les mdecins et les infirmires ny avaient aucuneraison de vouloir que je revienne. Et maintenant je comprendsaussi pourquoi lhpital public pouvait me recevoir si

    rapidement : je doute quils avaient de nombreux patients quirevenaient.

    Lexprience ne suggre pas que les profits sont unecondition ncessaire, voire suffisante pour la compassion, labienveillance, ou la courtoisie. Je travaille dans un organisme but non lucratif, qui dpend du soutien constant dun ensembleimportant de donateurs. Si je devais manquer de remplir mes

    obligations fiduciaires leur gard, ils cesseraient de soutenirmon travail. Il se trouve que mes collgues et moi travaillonsdans cet organisme parce que nous partageons les mmesproccupations que les donateurs, de sorte que le dispositiffonctionne de manire harmonieuse. Mais quand les donateurs,les employs, et les clients (que cela soient les gens dans ladouleur, les journalistes et les formateurs ayant besoindinformations et davis en termes danalyse) ne partagent pas

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    tous les mmes valeurs ou objectifs, comme cest le cas dans unhpital public ( but non lucratif donc), la motivation du profitagit puissamment pour harmoniser ces objectifs.

    Les profits raliss dans le cadre de droits juridiquesbien dfinis et respects (par opposition aux profits gagns par unvoleur gnial) peuvent fournir le socle non pas de la froideur,mais de la compassion. La recherche du profit exige que lemdecin considre lintrt du patient en se mettant lui-mmedans la position du patient, pour imaginer sa souffrance et ainsiprouver de la compassion. Dans une conomie de libre march,la recherche du profit est peut-tre lexpression de lincitation la compassion.

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    Partie II :

    Interaction volontaire

    et intrt personnel

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    Le paradoxe de la moraleMao Yushi

    Dans cet essai, lconomiste, intellectuel, et entrepreneur social

    chinois Mao Yushi () explique le rle jou par les marchs dans laralisation de la coopration et de lharmonie. Il rvle les avantages de larecherche des prix bas et des profits par ceux qui participent lchange, enmettant en contraste ces comportements gostes avec les fantasmesavancs par les dtracteurs du capitalisme. Il puise ses exemples la fois

    dans lhritage littraire de la Chine et dans ses expriences personnelles (etcelles de millions dautres Chinois) durant lexprimentation dsastreuse delabolition du capitalisme en Chine.

    Mao Yushi est fondateur et prsident de lInstitut Unirule, bas Pkin. Il est lauteur de plusieurs ouvrages et de nombreux articlesscientifiques et grand public , a enseign lconomie dans un certainnombre duniversits, cr quelques-uns des tout premiers organismes de

    bienfaisance non-tatiques et organisations indpendantes dentraide enChine, et est clbre pour tre un hraut courageux de la libert. Dans lesannes 1950 il a t puni de travail forc, dexil, de r-ducation etpresque de famine pour avoir dit : Si nous navons nulle part o acheter duporc, alors les prix du porc devraient augmenter , et Si le prsident Maoveut rencontrer un scientifique, qui devrait rendre visite qui ? . Et en 2011,

    juste avant que la version originale de ce livre ne parte sous presse, lgede 82 ans, il a crit un essai, publi sur Caixin Onlin, intitul Rendre Mao

    Ts-toung une forme humaine (). Cet essai lui a valude nombreuses menaces de mort et a renforc sa rputation en tant que voixde lhonntet et de la justice. Mao Yushi est lune des grandes figureslibrales dans le monde contemporain et a travaill sans relche pourapporter des ides librales et lexprience de la libert au peuple de Chineet au reste du monde.

    Conflit dintrts au pays des Gentilshommes

    Entre le XVIIIe et le XIXe sicle, lcrivain chinois LiRuzhen publia un roman intitul Fleurs dans le miroir. Le livreconte lhistoire de Tang Ao, qui, du fait dun revers de carrire,suit son beau-frre ltranger. Pendant le voyage, il visiteplusieurs pays diffrents et y dcouvre des paysages et des

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    sonorits exotiques fantastiques. Le premier pays que les deuxcompagnons visitent est Le pays des Gentilshommes .

    Tous les habitants du pays des Gentilshommes souffrent

    volontairement afin dassurer lavantage dautrui. Le onzimechapitre du roman dcrit un huissier de justice (Li Ruzhen utiliseici intentionnellement le personnage chinois tel quil taitcompris dans la Chine ancienne, o les huissiers avaient desprivilges spciaux et intimidaient souvent les gens ordinaires)qui se trouve dans la situation suivante alors quil achte desmarchandises :

    Lhuissier de justice, aprs avoir examin une poignede produits, dit au vendeur, Mon ami, vous avez unemarchandise de trs haute qualit, mais votre prix est trop bas.Comment puis-je tre laise alors que je profite de vous ? Sivous naugmentez pas le prix, alors vous allez nous empcherdchanger .

    Le vendeur rpondit : Venir mon atelier est unefaveur pour moi. Il y a un adage qui dit que le vendeur demande

    un prix qui touche le ciel et que lacheteur y rpond avec un prixqui touche terre. Mon prix touche le ciel, mais vous vouleztoujours que je le relve. Il est difficile pour moi daccepter. Il estprfrable que vous alliez rendre visite un autre magasin pouracheter des marchandises .

    Lhuissier de justice, aprs avoir entendu la rponse duvendeur, rpondit : Vous avez donn un prix faible ces biens

    de haute qualit. Cela ne signifiera-t-il pas une perte pour vous ?Nous devons agir sans tromperie et avec quanimit. Ne peut-ondire que nous avons tous un boulier [NDT : calculatrice delpoque] incorpor en nous ? . Aprs que les deux hommes sefurent querells quelques instants, le vendeur continua insisterpour que le prix ne soit pas relev, tandis que lhuissier de justice,dans un accs de colre, nachetait que la moiti des biens quil

    avait initialement lintention dacheter. Alors quil tait sur lepoint de prendre cong, le vendeur lui barra le chemin. cestade, deux vieillards apparurent et, aprs avoir valu lasituation, rglrent le problme de la transaction en ordonnant lhuissier de justice de prendre quatre vingt pour cent desmarchandises et de partir.

    Le livre dcrit ensuite une autre transaction danslaquelle lacheteur pense que le prix demand pour la

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    marchandise est trop faible car la qualit est leve, tandis que levendeur insiste en disant que les marchandises manquent defracheur et doivent tre considres comme de qualit ordinaire.

    la fin, lacheteur choisit la pire des marchandises du vendeur,incitant la foule aux alentours laccuser dinjustice, de sorte quelacheteur prend la moiti de la pile de marchandises de bonnequalit et la moiti de la pile de marchandises de mauvaisequalit. Lors dune troisime transaction, les deux partiescommencent se quereller en valuant le poids et la qualit delargent (le mtal). La personne payant avec de largent, dclaredun air svre que son argent est de mauvaise qualit et de

    poids insuffisant, tandis que la personne devant tre paye insistepour dire que largent est de qualit suprieure et de poids trscorrect. Alors que le payeur avait dj pris cong, la personnepaye se trouve oblige de donner la part dargent quelle jugeexcessive un visiteur mendiant dun pays tranger.

    Deux points soulevs dans le roman mritent dtreexplors plus avant.

    Le premier est que lorsque les deux parties dcidentdabandonner leur part des profits ou insistent pour dire que leurpart des profits est trop leve, une querelle merge. Dans lesquerelles que nous rencontrons dans la vie relle, la plupartproviennent du fait que nous poursuivons tous notre intrtpersonnel. En consquence, nous faisons souvent lerreur desupposer que si nous devions toujours soutenir la partie adverse,

    de tels diffrends ne se produiraient pas. Mais au pays desGentilshommes, nous pouvons voir que prendre comme base denos dcisions les intrts dautrui conduit galement desconflits, et que, par consquent, nous devons encore chercher lefondement logique dune socit harmonieuse et coordonne.

    Allons plus loin dans notre analyse : nous reconnaissonsque dans des affaires dans le monde rel les deux parties unetransaction cherchent leur intrt et, par des ngociations sur lestermes du contrat (prix, qualit), elles peuvent parvenir unaccord. En revanche, au pays des Gentilshommes, un tel accordest impossible. Dans le roman, lauteur doit recourir un vieilhomme et un mendiant, et mme la contrainte, pour rsoudrele conflit30. Ici nous rencontrons une vrit profonde et

    30 Heureusement le mendiant tait un extrieur, car sil avait fait partie du Pays

    des Gentilshommes, la dispute aurait continu sans fin.

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    importante : les ngociations dans lesquelles les deux partiescherchent leur profit personnel peuvent atteindre un quilibre,alors que si les deux parties se tournent vers les intrts de lautre

    partie, elles ne parviendront jamais un consensus. De plus, celacrerait une socit toujours en dsaccord avec elle-mme. Cefait va fortement lencontre des attentes de la plupart dentrenous.

    Parce que le pays de Gentilshommes est incapable deraliser un quilibre dans les relations entre ses habitants, il setransforme finalement en Pays des Sans-Gne et des GrossiersPersonnages. Parce que le pays de Gentilshommes est orientvers la recherche de lintrt des autres, cest un terrain fertilepour les personnages vils. Quand les Gentilshommes neparviennent pas conclure un change, les Sans-Gne et lesGrossiers Personnages sont en mesure dobtenir un avantage enmisant sur le fait que les Gentilshommes nient leur propre intrt(cest le fondement de leur profit psychologique). Si les chosesdevaient continuer de cette faon, les Gentilshommes finiraient

    vraisemblablement par mourir pour tre remplacs par les Sans-Gne et les Grossiers Personnages.De ce qui prcde nous pouvons comprendre que les

    humains ne peuvent cooprer que quand ils cherchent leurpropre intrt. Cest lassise solide sur laquelle lhumanit estcapable de lutter pour un monde idal. Si lhumanit taitdirectement et exclusivement la recherche de lavantage des

    autres, aucun idal ne pourrait tre ralis.Bien sr, en prenant la ralit comme notre point dedpart, afin de rduire les conflits nous devons tous prterattention nos semblables et trouver des moyens de limiter nospropres lans gostes. Mais si lattention aux intrts dautruidevenait lobjet de tous les comportements, cela gnrerait lemme conflit que Li Ruzhen dcrit au pays des Gentilshommes.Il y a peut-tre ceux qui disent que les lments les plus comiquesde la vie au pays des Gentilshommes ne pourraient pas seproduire dans le monde rel, mais comme cela est peu peudvoil dans louvrage, les vnements dans le monde rel etceux au pays des Gentilshommes ont des causes similaires. Endautres termes, dans le monde rel comme au pays desGentilshommes, le principe de la poursuite de lintrt personnelnest pas toujours compltement clair.

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    Est-il possible dtablir une socit fonde sur lavantage

    mutuel, sans ngociation de prix ?Pendant la priode o la vie et les actions de Lei Feng31

    taient promues en Chine, on pouvait souvent voir la tlvisionlimage de lun des fervents mules de Lei Feng rparer marmiteset casseroles pour une foule de personnes. Une longue queue seformait devant lui, avec des personnes tenant des ustensiles decuisine ayant besoin dtre rpars. Le message intentionnel deces images tait dencourager les autres imiter ce bon disciplede Lei Feng et de focaliser le grand public sur son exemple.

    Observons que sans la longue file de personnes, la propagandenaurait quun faible pouvoir de conviction. Nous devrionsgalement prendre note que ceux qui faisaient la queue pourfaire rparer leurs marmites et leurs casseroles ntaient pas lpour apprendre de Lei Feng, bien au contraire : ils taient lpour chercher leur propre intrt, au dtriment des autres. Alorsque la propagande peut effectivement enseigner quelques unsdes bonnes actions faire pour autrui, dans le mme temps, elle

    enseigne beaucoup dautres comment bnficierpersonnellement du labeur dautrui. Dans le pass, on pensaitque la propagande appelant les gens travailler au service desautres sans rien demander en contrepartie pourrait amliorer lamorale sociale. Il y a pourtant l, trs certainement, un grandmalentendu car ceux qui apprendront chercher un certain typedavantage personnel seront beaucoup plus nombreux que ceux

    qui apprendront travailler au service des autres.Dans la perspective des gains conomiques, uneobligation gnrale de servir les autres relve du gaspillage. Ceuxattirs par loffre du service gratuit de rparation sont tout faitsusceptibles de mener rparer des articles endommags quil nevaut pas vraiment la peine de rparer, peut-tre sont-ce mmedes articles rcuprs directement dans des poubelles. Maisparce que le prix de la rparation est maintenant gal zro, letemps, limit, consacr les rparer va augmenter ; tout commeles matriaux, en quantit limite, utiliss pour leur rparation.

    31 Lei Feng (1940-1962) tait soldat dans lArme populaire de Libration,devenu un hros national aprs sa mort en 1962 dans un accident de lacirculation. Une campagne nationale du nom de Apprenez du camarade LeiFeng dbuta en 1963, appelant le peuple chinois imiter son dvouement au

    Parti communiste chinois et au socialisme.

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    lhumanit. Ils croient que largent dforme les relationsnormales au sein de lhumanit. En consquence, ils veulentcrer une socit fonde sur le service mutuel, sans argent ni

    prix. Ce serait une socit o les paysans cultivent la terre sanspenser une rmunration ; o les travailleurs tissent desvtements pour tous, galement sans rmunration ; o lescoiffeurs coupent les cheveux gratuitement, etc. Une telle socitidale est-elle possible en pratique ?

    Pour avoir une rponse, nous devons nous tourner versla thorie conomique de lallocation des ressources, ce quincessite une digression dune certaine longueur. Pour faciliterles choses, nous pourrions commencer par une exprience depense. Considrons un coiffeur. De nos jours les hommes secoupent les cheveux toutes les trois quatre semaines ; mais si lescoupes de cheveux taient gratuites, ils pourraient aller chez lecoiffeur toutes les semaines. Faire payer pour les coupes decheveux permet de faire un meilleur usage du travail du coiffeur.Sur le march, le prix des services du coiffeur dtermine la part

    du travail consacre dans la socit cette profession. Si ltatmaintient le prix dune coupe de cheveux trop bas, alors lenombre de ceux voulant des coupes de cheveux va augmenter eten consquence il sera galement ncessaire daccrotre lenombre de coiffeurs ; et dautres emplois devront tre rduits sila population active totale est maintenue constante. Ce qui estvrai des coiffeurs lest aussi dautres professions.

    Dans de nombreuses zones rurales de la Chine, loffrede services gratuits est assez frquente. Si quelquun veutconstruire une nouvelle maison, les parents et amis viennent tousaider la construction. Cela se produit gnralement sans quecela ne donne lieu un paiement, en dehors dun grand repasservi tous ceux qui ont mis la main la pte. Lorsque lun desamis du bnficiaire construira aussi une maison, celui qui abnfici de son aide la premire fois proposera son travail

    gratuit comme une forme de remboursement. Les rparateursrparent souvent des appareils lectriques sans faire payer,comptant seulement sur un cadeau pendant les ftes du NouvelAn chinois titre de compensation. Ces changes nonmontaires ne peuvent pas mesurer avec prcision la valeur desservices offerts. Par consquent, la valeur du travail nest pasutilise ni dveloppe de manire efficace et la division du travail

    dans la socit nest pas encourage.

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    La monnaie et les prix jouent un rle important dans ledveloppement de la socit. Personne ne doit esprer remplacerles motions comme lamour et lamiti par largent. Il ne

    sensuit pas, cependant, que lamour et lamiti peuventremplacer largent. Nous ne pouvons pas nous dbarrasser delargent juste parce que nous craignons quil va roder les liensaffectifs humains. En fait, les prix exprims en monnaie sont laseule mthode disponible pour dterminer comment allouer lesressources aux usages auxquels le plus de valeur est attache. Sinous conservons la fois les prix montaires et nos plus bellesmotions, ainsi que nos plus hautes valeurs, nous pouvons encore

    esprer btir une socit qui est la fois efficace et humaine.La balance des intrts personnels

    Supposons que A et B doivent se rpartir deux pommesavant quils puissent les manger. A fait le premier pas et attrapela plus grosse des deux pommes. B demande amrement A : Comment peux-tu tre aussi goste ? , ce quoi A rtorque : Si ctait toi qui avait t le plus rapide, quaurais-tu choisi ? . Brpond : Jaurais attrap la petite pomme . En riant, Artorque alors, Si cest le cas, alors mon choix est parfaitementen accord avec ton souhait .

    Dans ce scnario, A a profit de B, alors que B suivait leprincipe de placer lintrt des autres avant le sien propre . Siune partie de la socit suit ce principe tandis que lautre ne lesuit pas, la premire est assure de subir une perte, tandis que la

    seconde partie en tirera un profit. Si cette situation se poursuitsans frein, elle mnera au conflit. De toute vidence, si seulementcertaines personnes placent les intrts dautrui avant les leurspropres, alors ce systme finira par gnrer des conflits et ledsordre.

    Si la fois A et B favorisent lintrt dautrui, alors leproblme de pommes mentionn ci-dessus serait impossible

    rsoudre. Comme les deux amis chercheraient manger la pluspetite, un nouveau problme se poserait, tout comme nouslavons vu au pays des Gentilshommes. Ce qui est vrai de A et Ble serait de nous tous. Si toute la socit, lexception dunepersonne, suivait le principe de favoriser explicitement autrui,toute la socit servirait la volont de cette personne ; un telsystme serait possible sur un plan logique. Mais si cette

    personne venait, son tour mettre en pratique le principe

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    susmentionn de servir les autres, alors la socit cesseraitdexister en tant que telle, cest dire, comme un systme decoopration. Le principe de servir les autres nest gnralement

    possible que sous la condition que le fait de soccuper des intrtsde toute la socit pourrait tre dlgu dautres. Mais dans laperspective de lensemble du globe, cela serait impossible, moins que la responsabilit de soccuper des intrts de lapopulation de la plante puisse tre dlgue la lune.

    La raison de cette incohrence est que du point de vuede la socit dans son ensemble, il ny a pas de diffrence entreles autres et soi-mme . Bien sr, pour Monsieur ouMadame Dupont en particulier, soi est soi , tandis lesautres sont les autres , et celui-l ne doit pas tre confonduavec ceux-ci. Toutefois, dans une perspective socitale, chaquepersonne est dans le mme temps soi et un autre . Lorsquele principe de servir les autres avant de servir soi-mme estappliqu la personne A, celle-ci doit dabord envisager les gainset les pertes pour les autres. Pourtant, lorsque le mme principe

    est adopt par la personne B, la personne A devient la personne dontlintrt est plac comme premier. Pour les membres de la mmesocit, la question de savoir sils doivent penser dabord auxautres ou si les autres devraient penser eux dabord mnedirectement la confusion et la contradiction. Par consquent,le principe de laltruisme dans ce contexte est logiquementincohrent et contradictoire et ne pourrait donc pas servir defonction pour rsoudre les nombreux problmes qui se posentdans les relations humaines. Cela, bien sr, ne veut pas dire quelesprit qui les anime nest jamais digne dtre salu, ou que telcomportement altruiste nest pas louable, mais plutt quil nepourrait pas fournir de base universelle sur laquelle les membresde la socit cherchent assurer leur intrt mutuel.

    Ceux qui ont vcu la Rvolution culturelle se rappellentque lorsque le slogan Lutter contre lgosme, critiquer le

    rvisionnisme (dousi pixiu) rsonnait travers le pays, lenombre des conspirateurs et des carriristes tait sonmaximum. A cette poque, la plupart des gens ordinaires enChine (laobaixing) pouvaient rellement croire que luttercontre lgosme, critiquer le rvisionnisme pourrait devenirune norme socitale et, en consquence, ils ont fait tout leurpossible pour suivre ses restrictions. Dans le mme temps, des

    opportunistes utilisaient le slogan comme un moyen de tirer

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    profit des autres. Ils se servaient de la campagne contrelexploitation comme une excuse pour rafler les maisons et lesproprits dautrui. Ils rendaient visite aux autres pour renverser

    lgosme et, pour le bien de la rvolution, leur faire admettrequils taient des tratres, des espions, ou des contre-rvolutionnaires, ajoutant ainsi davantage leur tableau peuglorieux. Ces opportunistes mettaient froidement la vie desautres en jeu afin de sassurer une position officielle au sein deltat.

    Jusquici, nous avons analys les problmes thoriquesrelatifs au principe de servir les autres avant soi-mme , maislhistoire de la Rvolution culturelle prouve encore lacontradiction de ce principe quand il est mis en pratique.

    La Rvolution culturelle a sombr dans nos mmoires,mais nous devons nous rappeler qu cette poque tous lesslogans taient soumis la critique et au contrle. Ce nest plusle cas car la question de savoir quel est le meilleur principelorsque lon traite des problmes de la socit a, semble-t-il,

    chapp ce contrle de la critique. Nous avons encore souventrecours la vieille propagande pour appeler le peuple rsoudreles conflits et, mme lorsque les litiges sont entendus au tribunal,ces mthodes dpasses exercent encore une influenceconsidrable.

    Le lecteur coutumier des expriences de pense aurasans aucun doute dautres questions poser sur le problme

    susmentionn de la meilleure faon dallouer les pommes entreles deux individus. Si nous convenons que servir les autresavant soi-mme ne peut pas, en tant que rgle, rsoudre leproblme de la meilleure faon dallouer deux pommes, sensuit-il quil ny a pas de meilleure faon de procder ? Rappelonsquil y a une petite et une grosse pomme, et quil y a seulementdeux personnes participant cette rpartition. Se pourrait-il quemme les lgendaires immortels chinois se trouveraientincapables de concevoir une solution adapte ?

    Dans une socit dchange, le problme ci-dessus esten effet soluble. Les deux individus peuvent dabord se consulterafin de rsoudre le dilemme. Par exemple, supposons que Achoisisse la plus grosse pomme, tant entendu que B sera alorsen droit davoir la plus grosse pomme lors de leur prochainerencontre ; ou si, en retour du fait que A prenne la grosse

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    pomme, B recevait une certaine forme de compensation. Unpaiement aiderait rsoudre la difficult. Dans une conomieutilisant la monnaie, il y aurait certainement des parties

    disposes utiliser cette dernire mthode. En commenant parune offre dune petit montant de compensation (par exemple uncentime), le montant pourrait tre augment progressivement

    jusqu ce que lautre partie soit dispose accepter la petitepomme plus une compensation. Si la somme initiale est assezpetite, on peut supposer que les deux parties prfrent prendre laplus grosse pomme et payer un petit montant de compensation.Alors que la compensation augmente, elle devrait atteindre un

    point o lune des deux parties accepte la petite pomme plus lacompensation. Nous pouvons dire avec certitude que si les deuxparties valuent le problme de manire rationnelle, ellestrouveront une mthode pour rsoudre le diffrend. Et cest unefaon de rsoudre pacifiquement les conflits dintrts des deuxparties.

    Trente ans aprs la rforme de la Chine et louverture,

    la question de la richesse et de la pauvret a t souleve une foisde plus, avec une animosit croissante lencontre des riches.Durant la priode o lon insistait sur la lutte des classes, audbut de chaque mouvement de masse, la souffrance du passtait mise en contraste avec le bonheur du prsent. La socitprcdente tait dnonce, et lexploitation prcdente utilisepour mobiliser la haine du peuple. Lorsque la Rvolutionculturelle (un mouvement pour balayer les maux de lanciensystme de classes) a commenc en 1966, les descendants de laclasse des propritaires terriens furent enterrs vivants dans denombreuses rgions, mme si la plupart des propritaires eux-mmes taient dj morts. Personne ne fut pargn : ni les vieux,ni les jeunes, ni mme les femmes et enfants. Les gens disaient :tout comme il ny a pas damour sans cause, il ny a donc pas dehaine sans raison. Do venait donc cet esprit dhostilit envers

    les enfants de la classe des propritaires terriens ? Il venait de lacroyance bien ancre que ces descendants de la classe despossdants staient appuys sur lexploitation pour se faire leurplace dans le monde. Aujourdhui, le foss entre les riches et lespauvres est devenu plus vident. Et tandis quil y a certes ceuxqui utilisent des mthodes illgales pour acqurir des richesses,dans toute socit le foss entre riches et pauvres est un

    phnomne invitable. Mme dans les pays dvelopps, o les

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    reposent pas sur lgalit des conditions en dehors de cellesentourant les droits juridiques.

    Lidal de lchange gal peut se rfrer soit lgalit

    des dotations initiales soit lgalit des rsultats. On entend parle premier sens que seules les parties qui sont gales tous gardspourraient sengager dans un change gal ; toute diffrenceentre elles rendrait lchange ingal, ce qui explique pourquoicertains rejettent comme intrinsquement ingaux (et doncinjustes) les contrats de travail entre employeurs et employs.Dans le deuxime sens, cela signifierait que des valeurs galessont changes, ou que les rsultats de lchange sont gaux envaleur. Par exemple, si la mme quantit de marchandises demme qualit devait passer des mains dune partie celle delautre, lchange satisferait les conditions dgalit. Imaginezune scne surraliste dans laquelle deux humanodes, totalementsimilaires (cest dire dpourvus de diffrences personnellespertinemment constitutives de lingalit), changent des chosestout fait identiques entre eux. Mettant de ct toute rpulsion

    esthtique que nous pourrions prouver face une telle imagenon naturelle, le bon sens lui-mme devrait suggrer que lidemme dchange gal repose sur une profonde contradiction. Untel change ne change rien, il namliorerait pas la situation desdeux parties, ce qui signifie quaucune des parties nauraitquelque raison de le faire. (Karl Marx soutenait que les changessur le march taient fonds sur les changes de valeurs gales,ce qui a gnr une thorie conomique absurde et incohrente).Fonder la thorie de lchange de march sur le principe delgalit, prive lchange de sa raison fondamentale, qui estdamliorer la situation des parties lchange. Lconomie delchange repose sur une reconnaissance que les parties quichangent attachent des valeurs ingales aux biens ou services.

    Considr dun point de vue thique cependant, lidedgalit peut nanmoins tre intressante pour certains. Un trait

    commun de beaucoup de jugements moraux est quils sontformuls sur un mode purement dontique, cest dire dans lalogique des devoirs . Ils ne soccupent que de ce qui devraittre fait , indpendamment de la logique de lconomie ousimplement de ce qui existe, ou mme de la situation induite par ce qui devrait tre fait . Selon Emmanuel Kant, par exemple,un devoir exige sa ralisation, indpendamment des rsultats, des

    consquences et mme des possibilits de faire ce quil faut

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    faire . Dire que lon doit, cest dire que lon peut. Parconsquent, mme si cette galit dans lchange estconomiquement absurde, elle peut encore tre (et est) tenue

    pour un idal moral.La question morale de lgalit est une affaire trscomplique. Nous pouvons distinguer ceux pour qui lesperspectives de la ralisation de lgalit est la proccupationdominante et ceux pour qui ce nest pas le cas. En consquence,nous avons dun ct des perspectives galitaires et de lautre desperspectives non-galitaires. Les non-galitaristes naffirmentpas ncessairement que lgalit nest pas dsirable, ni mmenaffirment-ils que lingalit est dsirable ; ils ne font que rejeterla focalisation exclusive des galitaristes sur lgalit comme unobjectif, lexclusion des autres objectifs, et en particulierlaccent mis sur le fait dassurer lgalit des richesses matrielles.Les non-galitaristes libraux (ou libertariens) affirmentlimportance dune certaine forme dgalit, savoir, lgalit desdroits fondamentaux, quils tiennent pour incompatible avec

    lgalit de rsultats ; ils pourraient ainsi tre considrs commedes galitaristes dun genre diffrent. (Lgalit des droits est labase dune bonne partie de lexprience du droit, de la propritet de la tolrance que les gens dans les socits modernes et libresprennent pour acquise). Les libertariens et les libraux non-galitaristes dfendent leur point de vue comme la forme laplus pure, la plus cohrente et la plus durable dgalit, mais lesdfenseurs de lgalit dans la distribution des richessesaffirment gnralement quune telle galit libertarienne estpurement formelle, une galit sur le papier, mais pas une galiten acte. (En cela ils ont raison : lgalit juridique a traitessenti