la mer au cœur de la mondialisation des...

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Rennes Journée académique du 2 octobre 2013 Enseigner la mer 1 La mer au cœur de la mondialisation des échanges par Marie-Françoise Couvenhes « Quiconque contrôle la mer contrôle le commerce ; quiconque contrôle le commerce mondial contrôle les richesses du monde, et conséquemment le monde en soi » Sir Walter Raleigh (navigateur anglais, 1552-1618) Espace d’échanges et de communications, espace de ressources et de richesses, espace de redéploiement de la puissance, la mer est au cœur de la mondialisation. L’ouverture des économies modernes les rend aujourd’hui dépendantes de la flui dité des approvisionnements maritimes : une grande partie des biens et ressources nécessaires au fonctionnement quotidien dune nation se trouve en mer. Aussi le contrôle des espaces maritimes est-il un souci constant des Etats. Le contrôle des mers ne saurait se comprendre uniquement en termes de frontières maritimes ou de ZEE, il passe avant tout par une maîtrise des flux, par la capacité à se faire une place dans les grandes voies de circulation maritime et à y défendre ses intérêts quand les circonstances l’exigent. Pour mettre ces points en évidence, je traiterai d’abord de la mondialisation dans une perspective de temps long, avant de développer le rôle majeur de la conteneurisation pour les échanges marchands contemporains. Cela débouche sur une nouvelle géographie maritime et portuaire, la mise en réseau de l’économie mondiale au sein d’un espace maritime mondialisé, qui soulève des enjeux d’ordre stratégique. D2

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Rennes – Journée académique du 2 octobre 2013 – Enseigner la mer

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La mer au cœur de la mondialisation des échanges

par Marie-Françoise Couvenhes

« Quiconque contrôle la mer contrôle le commerce ;

quiconque contrôle le commerce mondial

contrôle les richesses du monde,

et conséquemment le monde en soi »

Sir Walter Raleigh (navigateur anglais, 1552-1618)

Espace d’échanges et de communications, espace de ressources et de richesses, espace

de redéploiement de la puissance, la mer est au cœur de la mondialisation. L’ouverture

des économies modernes les rend aujourd’hui dépendantes de la fluidité des

approvisionnements maritimes : une grande partie des biens et ressources nécessaires au

fonctionnement quotidien d’une nation se trouve en mer.

Aussi le contrôle des espaces maritimes est-il un souci constant des Etats. Le contrôle des

mers ne saurait se comprendre uniquement en termes de frontières maritimes ou de ZEE, il

passe avant tout par une maîtrise des flux, par la capacité à se faire une place dans les

grandes voies de circulation maritime et à y défendre ses intérêts quand les circonstances

l’exigent.

Pour mettre ces points en évidence, je traiterai d’abord de la mondialisation dans une

perspective de temps long, avant de développer le rôle majeur de la conteneurisation pour les

échanges marchands contemporains. Cela débouche sur une nouvelle géographie maritime et

portuaire, la mise en réseau de l’économie mondiale au sein d’un espace maritime mondialisé,

qui soulève des enjeux d’ordre stratégique.

D2

Rennes – Journée académique du 2 octobre 2013 – Enseigner la mer

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I. La mer se trouve au cœur des mondialisations

A. La mondialisation avant la mondialisation

L’histoire du commerce maritime est évidemment une histoire ancienne. Si le terme

« mondialisation » est en effet apparu selon Christian Grataloup1, dans le dernier tiers du XXe

siècle, son histoire est en réalité beaucoup plus longue. Le courant historique actuel de la World

History, insiste d’ailleurs sur la connexion souvent très ancienne d’économies pourtant très

éloignées, notamment grâce à la voie maritime2.

Du point de vue européen, trois étapes sont décisives : le XVIe siècle, la fin du XIXe

siècle et la seconde moitié du XXe siècle. Chacune de ces grandes étapes

d’internationalisation de l’économie mondiale est précédée d’innovations majeures dans

le domaine de la navigation, véritables « révolutions des transports », qui affectent tous les

domaines : révolution technologique, révolution financière, révolution commerciale, mais aussi

révolution géographique, avec une refonte totale des itinéraires de trafic et un remodelage des

ports. La caravelle fut le navire des Grandes Découvertes, le navire à vapeur fut le navire des

empires coloniaux, le porte-conteneurs est le navire de la mondialisation contemporaine.

Bien sûr, du XVIe siècle à nos jours s’opère un changement d’échelle. Le XVIe

siècle est marqué par la diffusion mondiale des produits de luxe - épices, porcelaines ; le

XIXe siècle permet le passage d’une économie de proximité à une économie ouverte : la

Grande Bretagne peut alors choisir librement d’importer son blé d’Argentine et d’exporter des

produits manufacturés3; la mondialisation contemporaine se caractérise par la massification

des échanges, fondée sur la dissociation des espaces de production et de consommation et

même sur la décomposition international des processus de production, génératrice de flux

marchands spécifiques (intrafirmes notamment) en Asie orientale.

D3 : Du XVI au XVIIIe siècle, quand l’Orient était le centre manufacturier du

monde]

L’observation de différentes cartes représentant les principaux flux marchands depuis

le XVIe siècle manifeste le rôle du commerce maritime dans les phases d’internationalisation

des économies.

1 C. Grataloup, Géohistoire de la mondialisation. Le temps long du monde, Paris, A. Colin, 2010. 2 Ph. Norel, L’histoire économique globale, Paris, Point Seuil, 2009 ; on pourrait évoquer d’autres courants

d’échange, transpacifiques en particulier entre le Mexique – la Chine – l’Espagne dès le XVIe remettant en cause

l’européanocentrisme. 3 1842 : abolition des corn laws

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Il s’agit d’une carte tirée du Monde Diplomatique, établie à partir des travaux

d’Angus Maddison et de Kenneth Pomeranz qui a pour objectif de montrer que jusqu’au

tournant de l’industrialisation, c’était l’Orient qui était le premier centre manufacturier de

la planète, comme l’attestent les produits échangés dans la zone asiatique, alors que les

échanges de la zone atlantique était fondée sur les produits bruts …

Ce qui nous intéresse ici c’est de souligner l’expansion européenne qui, dès la

première moitié du XVIe siècle, a bouleversé le monde, avant que l’Europe ne soit d’ailleurs

bouleversée par le monde. Le XVIe siècle est la plus grande mutation de l’espace humain :

au retour de la première circum navigation (1522) est opéré le désenclavement de tous les

espaces maritimes4.… « Le monde s’est soudé pour le meilleur et pour le pire » 5 selon

l’expression de Pierre Chaunu ; c’est une première définition de la mondialisation.

Les Portugais, qui ont longé les côtes occidentales de l’Afrique et atteint le cap de

Bonne Espérance, contrôlent l’océan Indien dès 1515. Ils sont à Macao en 1555. Le contact

est donc pris avec la Chine et le Japon dès le milieu du siècle. La route des Indes, c’est-à-

dire l’Atlantique transversal qui joint l’Espagne à l’Amérique, prend sa forme définitive vers

1530. La grande Volta transpacifique est bouclée entre le Mexique et les Philippines en 1565.

Ces voyages et découvertes suscitent la création de nouveaux courants d’échange,

l’apparition de nouveaux produits alimentaires et l’afflux de métaux précieux, dont

témoignent, sur cette carte, les échanges de la zone atlantique (tabac, sucre, argent … sans

omettre le bois d’ébène).

Au XVIIe siècle, l’hégémonie ibérique est contestée par les Hollandais, puis les

Anglais et enfin les Français. A la recherche d’un bénéfice commercial élevé, même s’il faut

naviguer dans des mers lointaines, ceux-ci créent des compagnies commerciales à charte :

l’East India Company (1600), la V.O.C (1602), les Compagnies des Indes successives en

France (1664) qui acheminent vers l’Europe, tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles, les

denrées de luxe et les précieux produits manufacturés dans le delta de la rivière des Perles

ou dans le Gujarat.

Au regard des volumes échangés de nos jours, les quantités sont infimes, cependant

rappelons que la vente de la cargaison d’épices d’un seul navire avait suffi à couvrir les

frais de l’expédition de Magellan.

D4 affiche de Schindeler

B. Au XIXe siècle, la révolution de la vapeur sur mer produit une rupture.

L’essor des transports mécaniques et des communications océaniques (percement des

canaux interocéaniques - Suez, Panama – réseau des câbles télégraphiques sous-marins)

rapprochent les continents les uns des autres et favorisent l’intégration croissante des marchés

4 Pierre Chaunu, Conquête et exploitation des nouveaux mondes, Paris, PUF, Nouvelle Clio, 2010 (6e edition),

p.7. 5 P. Chaunu, op. cit. , p. 14.

Rennes – Journée académique du 2 octobre 2013 – Enseigner la mer

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de biens, de capitaux et du travail. C’est la deuxième grande période d’internationalisation des

économies6 : on change alors d’échelle. C’est ce que suggère cette affiche.

Il s’agit d’une affiche de 1890, à la gloire des transports mécaniques sur terre et sur mer.

En l’occurrence, cette affiche promeut les services maritimes réguliers des deux grandes

compagnies de navigation françaises de l’époque : la Compagnie Générale transatlantique,

représentée ici par le navire La Touraine qui dessert l’Atlantique nord et la Compagnie des

Messageries Maritimes, représentée par le Calédonien, qui dessert l’Extrême-Orient et

l’Océanie. La couverture offerte par leur réseau de lignes régulières est presque globale. La

présence du ruban de la Pacific mailship cy (en bas à gauche) rappelle que la traversée du

Pacifique est désormais possible, tandis que depuis 1869, l’isthme de Suez est percé que la

première ligne transcontinentale américaine construite. Le message est clair : la vapeur sur

mer comme sur terre rapprochent les continents, relie les peuples.

Le tracé des principales routes maritimes sur le globe terrestre en arrière-plan souligne

la géographie des échanges. L’Europe est au cœur du commerce international.

L’Atlantique Nord, le « big track » demeure l’espace majeur des relations commerciales :

d’est en ouest les échanges consistaient en produits manufacturés tandis que dans l’autre

sens, les Etats-Unis approvisionnaient l’Europe en matières premières et produits

alimentaires, et progressivement de plus en plus en biens d’équipement. La voie nord-

atlantique était aussi la grande voie des migrations humaines, qui rejoignent les nouveaux

mondes (les deux tiers d’entre-eux vers l’Amérique du Nord). C’est sur cette route maritime,

que les innovations majeures transformant le transport maritime furent initiées (navires

frigorifiques, turbines électriques, TSF …)

Bien que secondaires, les courants d’échange entre l’Europe, l’Asie et l’Océanie

connurent une accélération après l’ouverture du canal de Suez en 1869 Consacrant

l’utilisation de la vapeur, les avantages procurés par le percement du canal sont la

diminution des distances à parcourir et donc le gain de temps7. L’ouverture du canal de Suez

provoqua une chute assez spectaculaire des taux de fret.

Globalement, les taux de fret furent en moyenne divisés par 7 entre le milieu du XIXe siècle et

1913, sous l’effet des perfectionnements des navires et de l’augmentation de leur capacité de

charge. C’est essentiel pour comprendre la formation d’un marché mondial. En 1870, le blé

américain était vendu 57,6% plus cher à Liverpool qu’à Chicago ; en 1913, la différence n’était

plus que de 15,6%. En vertu de la théorie des avantages comparatifs de David Ricardo, il

devenait donc rentable pour la Grande Bretagne d’importer son blé d’Argentine, sa viande

d’Australie, son coton d’Inde et d’Egypte et d’inonder le monde de ses produits manufacturés.

C’était alors « l’atelier du monde ».

6 B. Marnot, La mondialisation au XIXe siècle, Paris, A. Colin, 2012. 7 Farnie, (D.A.), East and West of Suez. The Suez Canal in History, 1854-1956, Oxford, Clarendon Press, 1969.

Fletcher, (M.E.), Suez and Britain : An Historical Study of the Effects of the Suez Canal on the British Economy,

Ph.D Thesis, University of Wisconsin, 1957; du même auteur, « The Suez Canal and World Shipping, 1869-

1914 », Journal of Economic History, 18, 1958, p. 556-573.

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Citons François Crouzet : « l’intégration de l’économie mondiale à la veille de la Guerre

mondiale apparaît quand du blé argentin est transporté par une compagnie de chemin de fer à

capitaux britanniques, puis dans un vapeur construit sur la Clyde et chauffé au charbon de

soute gallois, pour assurer le pain bon marché des ouvriers anglais, mais aux dépens des

fermiers d’East Anglia, qui doivent se reconvertir à l’élevage »8.

Ainsi à la veille de 1914, les mers du globe sont sillonnées par quelques 30000 navires

dont la jauge totale atteint 30 millions de tonneaux, dont plus de la moitié pour la Merchant

Navy. Autre signe de l’internationalisation des économies, l’internationalisation de l’offre

de transport, dont la flotte marchande britannique est le fer de lance au lendemain de

l’abrogation de l’Acte de navigation en 1849 : « il ne faut pas croire que les vaisseaux anglais

soient uniquement occupés à transporter en Angleterre les produits étrangers ou à transporter

chez les étrangers les produits anglais ; de nos jours, la marine marchande anglaise forme une

grande entreprise de voitures publiques, prête à servir tous les producteurs du monde et à faire

communiquer tous les peuples entre eux »9, écrivait Tocqueville. On est passé d’une économie

de proximité à une économie ouverte ; le taux d’ouverture de l’économie mondial est maximal

(13%)10… il faudra attendre 1990 pour le retrouver.

C. La maritimisation croissante des économies caractérise le second XXe siècle11.

(A. Vigarié)

Ultime étape, nouveau changement d’échelle. Jamais les Etats n’ont été aussi

dépendants de la mer. Depuis 1945, le commerce international croît plus vite que la production

mondiale ; les capacités de la flotte mondiale ont été multipliées par 25, la productivité par 10

et le coût réel de transport fut divisé par trois ou quatre. En 2011, la flotte marchande mondiale

est constituée d’environ 50000 navires battant pavillon de 150 Etats différents. Les flux

maritimes assurent (en volume) 90% du commerce mondial. Celui-ci était en valeur d’un-demi

milliards de tonnes en 1950, il atteint 8 milliards de tonnes aujourd’hui et pourrait représenter

14 à 15 milliards de tonnes d’ici 2010 (d’après le rapport du Sénat sur la maritimisation publié

en juillet 2012).

8 Pour une mise au point générale : F. Crouzet, Histoire de l’économie européenne. 1000-2000, Paris, Albin

Michel, 2000. 9 A. de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, 1840. 10 Chiffre donné par P. Verley 11 A. Vigarié, La Mer et la géostratégie des nations, Paris, ISC/Economica, 1995.

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D5 Carte du trafic maritime entre le 23 et le 30 septembre 2011 vu de satellite.

Document extrait de : Sénat, rapport d’information, n°674, 17 juillet 2012.

L’image suivante, issue d’une photographie satellite, prise par le CNES (centre

national d’études spatiales) retrace l’activité maritime durant une semaine, entre le 23 et le

30 septembre 2011 : Depuis 2007, un équipement d’authentification automatique (AIS) est

installé à bord des navires et permet grâce aux fonctions GPS de localiser en temps réel la

circulation maritime mondiale. A noter, sous ces routes maritimes, les réseaux de câbles

optiques, sous-marins, dessinent la même toile au fond des mers.

On distingue quelques artères, sur lesquelles se concentrent les flux : une autoroute

maritime Asie-Europe notamment, tandis que le track transatlantique s’effiloche en de

multiples routes, comme le track transpacifique, peu visible, la carte étant centrée sur

l’Europe.

Trois pôles de densification du trafic sont remarquables qui correspondent aussi

aux principaux goulets d’étranglement du trafic : en Méditerranée, le trafic issu de l’isthme

de Suez à destination de l’Europe du Nord ; la « Méditerranée asiatique », l’autoroute

maritime notamment le tronçon intra asiatique de Yokohama à Singapour aboutissant au

détroit de Malacca, une intense activité en Méditerranée, enfin dans une moindre mesure

l’espace de la Caraïbe, à proximité de Panama.

Cette carte est le reflet de la mise en réseau de l’économie mondiale, fondée sur la

dissociation entre le lieu de production des matières premières, les lieux d’assemblage,

d’intégration ou de fabrication, les lieux de finition et de distribution des produits. En termes

de coûts d’acheminement, Dunkerque est plus près de l’Afrique du Sud ou du Brésil que de

la minette lorraine… Le Japon est aux portes du Brésil pour son fer et du Chili pour son

cuivre.

Seul capable d’assurer l’acheminement de très gros volumes sur de très grandes

distances et à très bas prix, le transport maritime est le vecteur essentiel du commerce

international non seulement pour le transport de vrac liquide (pétrole, gaz liquéfié), ou solide

(minerai ou grains), mais aussi pour les produits manufacturés. L’« indifférence

géographique », qui selon l’expression d’André Vigarié caractérisait la maritimisation des

économies au lendemain de la seconde guerre mondiale aboutit à son paroxysme depuis les

années 1990.

A partir des années 1990, la DIT (ou en réalité DIPP -décomposition internationale des

processus de production) en fonction des avantages comparatifs de chaque espace, la

rationalisation des modes de production selon le principe d’élimination des stocks et de

stratégies de flux tendus tant pour l’approvisionnement que pour la distribution, encouragent

l’explosion des flux de produits divers par le jeu de la multiplication des lots. Le conteneur est

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l’instrument idéal de cette explosion de la demande, dès lors que le coût moyen de 20 tonnes

de marchandises transportées de l'Asie vers l'Europe est significativement inférieur au prix du

billet avion d'un passager en classe économique sur la même distance, le transport représente

quelques centimes pour des chaussures, quelques euros pour un frigidaire. Il se prête en outre à

des expéditions fractionnées (Eric Foulquié),

D6 PLAN DU II

Si la conteneurisation est l’épine dorsale de la mondialisation, pour reprendre

l’expression d’Antoine Frémont, c’est parce que le conteneur est un formidable outil

d’uniformisation12.

II. La conteneurisation, épine dorsale de la mondialisation

contemporaine

A. Le conteneur, un formidable outil d’uniformisation

Diapo 7 / Un conteneur est un cadre métallique, une boite, de taille standard,

mesurant 6m10 de long, 2,40 m de large et 2,60 m de hauteur, soit 33m3. On parle

d’équivalent 20 pieds, d’où l’abréviation EVP. Les conteneurs sont munis d’anneaux

d’ancrage et superposables.

En quoi consiste la conteneurisation ? La conteneurisation consiste à mettre en « boite »,

à « empoter », des marchandises diverses afin de les transporter plus efficacement, dans le

même conditionnement du départ à l’arrivée (porte à porte), sur de longues distances et à bas

coûts, et ce en un temps prévisible (juste à temps). Pré-conditionnée dans des cadres métalliques

fermés, la marchandise (le contenu) ne subit plus aucune manutention jusqu’au destinataire

final.

Que peut-on transporter ?

Diapo 8 / Tout ou presque peut être conteneurisé. Le plus souvent, il s’agit de produits

divers, textiles ou informatiques, de composants électroniques … La charge d’un conteneur

ne dépasse pas 30 tonnes, sa valeur moyenne est 10 000 euros. Sur cette diapositive, on peut

voir que des grumes du Gabon, mais aussi éventuellement des voitures (particulières) ou le

contenu d’un déménagement, ou encore des denrées périssables dans les conteneurs

réfrigérés (les bananes sur la ligne des Antilles par exemple).

Quels avantages procure-t-il ?: La conteneurisation procure des gains de temps et de

productivité à quai, se traduisant par un abaissement notoire du coût du transport. La rupture

12 A. Frémont, Le monde en boîtes. Conteurisation et mondialisation, Paris, Ed. les collections de l'Inrets, 2007.

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de charge est limitée à la manutention du seul conteneur. La standardisation de l’emballage

facilite les opérations portuaires : la durée moyenne des escales de porte-conteneurs est

d’environ 8 heures ; il fallait compter une manutention de 3 à 4 jours pour un cargo classique.

Diapos 9 à 12 : A quai, se déroule un véritable ballet aérien de boites, surveillé depuis le

château du navire par le capitaine, transportés depuis le quai jusqu’au navire.

Diapo 9 / Plusieurs portiques de quai travaillent simultanément sur le navire (il y en a

jusqu’à 10 dans certains ports asiatiques). Diapo 10 / Grâce à un système de repérage

satellitaire les conteneurs sont repérés, à quelques centimètres près, sur le parc à conteneurs.

Diapo 11- 3 images / Les chariots cavaliers, conduits par de minuscules conducteurs

suspendus entre ciel et terre, placent alors les boites sur le navire où elles sont empilées sur

plusieurs étages.

Diapo 12 / Voici à quoi ressemble le chargement vu d’en haut à gauche, et une vue de

l’arrière du navire : ici 6 étages apparents, il y en a encore 4 à l’intérieur du navire.

Ce manège aérien répond à une organisation précise, réglée par le ship planner.

Celui de CMA-CGM est basé à Marseille ; il relie au système informatique central toute la

chaîne unifiée du transport de Shanghai au Havre. Toute la gestion des conteneurs est

évidemment informatisée. Au fur et à mesure de leur validation, le ship planner a reçu des

informations précises (nature, poids, dangerosité des marchandises) mais aussi information

concernant chacun des mouvements (chargement / déchargement) de tous les conteneurs à

chaque escale. Un plan détaillé est rédigé en fonction d’un impératif : les lourds au fond, les

légers au-dessus. Diapo 13 : il s’agit du plan d’arrimage qui apparaît sur son écran

d’ordinateur. Chaque « bay » correspond à une travée du navire. Les couleurs correspondent

aux lieux de destination.

Pour résumer : Les navires sont plus rapides, non pas tant en mer (centre de profits) que

dans les opérations de manutention à quai (centre des coûts). Les rotations sont ainsi plus

rapides, ce qui entraîne des gains de productivité et la rentabilisation du capital.

Diapo 14/ Mais ce n’est pas tout, ces boites révolutionnent l’ensemble de la chaîne logistique.

En inventant le « container », le transporteur routier MacLean a inventé le transport multi-

modal. Dès l’origine, la capacité des conteneurs correspond au gabarit des remorques

routières. Son entreprise, Sealand, inaugure en 1956, une ligne maritime New-York-Houston,

puis en 1958, une nouvelle ligne vers Honolulu. L’entreprise de transport routier devient dès

cette date un opérateur multi-modal. L’intérêt du conteneur est d’être utilisé par différents

types de transport successifs, sans occasionner de manutention de la marchandise :

Transport routier, ferroviaire ou même fluvial se sont adaptés pour en faire une « unité de

transport intermodal ». Les armateurs de porte-conteneurs sont d’ailleurs eux-mêmes des

opérateurs multimodaux, dont la desserte n’est plus uniquement maritime mais globale

(cf. filières CGM-CMA dans transports routiers et ferroviaires).

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B. Parallèlement à cette révolution technique, l’offre de transport a accompagné voire

devancé l’explosion des flux.

D’abord cantonnée à l’espace nord-atlantique – en 1966, les premiers porte-conteneurs

construits aux Etats-Unis débarquent dans les ports français – la conteneurisation fut adoptée

avec succès par les armateurs asiatiques. En 1984, l’armateur taïwanais Evergreen crée la

première ligne régulière « autour du monde », c’est-à-dire ligne circum-terrestre Est-Ouest qui

relie les trois pôles de la Triade. Le nombre d’opérateurs et le nombre de navires a accompagné

l’explosion des flux, mais surtout la taille des navires a augmenté. Ce sont environ 100 millions

de conteneurs qui sont manutentionnés chaque année à travers le monde.

Diapo 15 / ce schéma montre les générations successives de porte-conteneurs depuis les 1er

pc de la compagnie Sealand, affectés aux voyages entre NY et Houston et Honolulu à partir

de 1956, mesurait 150 m de long, et transportait 58 conteneurs. En 1988 est un saut

important, puisque les armateurs décidèrent de commander des navires post-panamax, qui

ne peuvent plus franchir les écluses du canal de Panama : les plus gros PC mesurent

désormais 300 m, pour une largeur de 32 m (ils ne peuvent plus passer par Panama) ; ils

transportent 4000 boites.

Alors que ce canal est en cours d’élargissement, les travaux seront achevés en 2014, les

armateurs ont d’ores et déjà commandé des « Malaccamax ». Ce sont des navires de 16000

et 18000 EVP, dont la largeur et surtout le tirant d’eau (19m) sera maximal pour franchir

le détroit de Malacca.

Diapo 16 du Marco-Polo : Les superlatifs ne suffisent plus pour décrire ces géants des mers

sortis des chantiers coréens Daewoo. Trois pc de 16000 EVP ont été livrés à la CMA-CGM

aux noms évocateurs pour la CMA- CGM : le Marco-Polo livré en novembre 2012,

Alexander von Humboldt, mis en service le 19 avril et qui vient d’achever sa première

tournée des ports européens, enfin le CMA CGM Jules Vernes inauguré le 4 juin par le

Président de la République à Marseille.

Plus récemment encore, le Maersk Mc-Kinney Moller qui a fait son arrivée à Rotterdam, le

16 août 2016 : 400 m de long, 59 m de large, 16 m de tirant d’eau. Ces navires ne sont pas

appelés à devenir la « norme » … Ils ne desserviront que les liaisons transocéaniques …

notamment la ligne Asie-Europe, ne serait-ce que parce qu’il faut des ports aptes à les

recevoir.

Quel est l’objectif d’un tel gigantisme naval ? : L’augmentation de la taille des navires

permet d’importantes économies d’échelles, d’autant que ces titans des mers sont conduits

par un personnel très réduit : 25 hommes à bord des p-c de 16000 EVP. Les armateurs

calculent le coût de cellule, ce qui revient à diviser le total des coûts fixes de l’exploitation d’un

navire sur une ligne donnée par la capacité du navire (i.e. par le nombre de boites). Le porte-

conteneur est un pourvoyeur incomparable de tonnes-milles avec un prix d’autant plus

Rennes – Journée académique du 2 octobre 2013 – Enseigner la mer

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faible que sa capacité est forte. Aujourd’hui 8 porte-conteneurs de 14000 EVP, avec 200

hommes, sur un axe Europe-Asie transportent autant que 140 cargos avec 6500 marins en 1960.

(O. Mongin)

Cependant, la course au gigantisme peut être remise en cause : capacité et infrastructures

portuaires insuffisantes, surcapacité de la flotte, impact de la transition énergétique sur le choix

d’unité plus petites et sur le choix de privilégier des circuits courts.

L’efficacité des grands opérateurs de transport conteneurisés (aersk, MSC (Mediterranean

Shipping Cy), CMA-CGM) tient enfin à la mise en place de dessertes en hub and spokes.

C. Une desserte en hub and spokes

Diapo 17. Embarquons à bord d’un porte-conteneurs, sur la FAL 1 (French Asia Line 1)

– ligne phare de la CMA-CGM de Shanghai au Havre (d’après Le Monde, 22 novembre

2006 – voyage du Parcifal). La FAL est une ligne régulière : son itinéraire est fixé à

l’avance, et ponctué d’escales entre Shanghai et Le Havre, qui permettet de collecter

ou débarquer des conteneurs. L’agenda est également connu à l’avance ; les départs

sont hebdomadaires, tous les lundis de Shanghai : 29 pc de 13 à 16000 Evp y sont

affectés.

Diapo 18 : A Kunshan dans l’hinterland de Shanghai, des conteneurs remplis de linge de

corps fabriqué dans une usine locale partent en train vers Shanghai. Destination : la

France pour être distribué en grande surface. Les conteneurs sont embarqués à Shanghai

sur un navire de CMA-CGM, déjà chargé d’autres produits chinois (mécanique,

maroquinerie, agroalimentaire…) venus d’autres ZI chinoises, mais aussi coréennes et

taïwanaises. Franchissant le détroit de Malacca, le porte-conteneurs fait escale à Port

Kelang en Malaisie, c’est le premier hub rencontré. Singapour, proche de Port Kelang,

est un hub encore plus important, mais en raison de son encombrement, la CMA CGM a

préféré faire du port malais son hub pour l’Asie. Des conteneurs y sont transbordés sur

de plus petits porte-conteneurs qui repartent vers les Philippines, l’Indonésie ou l’Inde,

tandis que sont embarqués des ordinateurs indiens et des produits alimentaires

vietnamiens et thaïlandais.

Ces hubs permettent comme dans le transport aérien de massifier le transport sur

certains axes principaux et de multiplier le nombre de marchés desservis. Il ne serait

pas rentable qu’un porte-conteneurs de plus de 10 000 EVP desserve des dizaines de

« ports secondaires », où ne seraient chargés ou déchargés que quelques conteneurs.

L’escale ne se justifierait pas. Dès lors, le navire dessert un hub et depuis ce hub des

navires plus petits appelés « feeders » desservent des destinations secondaires, ou

amènent des conteneurs depuis ces dernières. Cette ligne FAL 1 s’inscrit dans une offre

globale reliant l’Asie à l’Europe qui s’appuie sur un réseau de 30 services de feeders

multipliant la couverture géographique en amont et en aval.

Rennes – Journée académique du 2 octobre 2013 – Enseigner la mer

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Diapo 19 et 20 : Moyennant le passage du détroit d’Ormuz, le navire poursuit sa route

jusqu’à Dubaï, aux Emirats Arabes Unis, principal hub du Nord de l’Océan Indien : le

porte-conteneurs y décharge une partie du matériel mécanique et de la maroquinerie à

destination du Proche-orient. Il charge de l’électronique assemblée sur place.

Diapo 21 : Le navire ressort du golfe Persique, franchit les détroits de Bab-el- Mandeb

et le canal de Suez, puis fait de nouveau escale à Malte, principal hub de Méditerranée :

déchargement d’une partie du matériel électronique et du textile. Ces produits repartent

sur des petits porte-conteneurs vers la Turquie, la Grèce, le Maghreb ou les Balkans.

Sont chargés du coton égyptien, des fruits israéliens et de l’huile d’olive grecque. Le

navire fait ensuite escale à Marseille où il décharge des fruits, des jeans et de l’huile

d’olive. Les produits remontent en camion vers Paris et sur barge vers Lyon.

Diapo 22 : Franchissant le détroit de Gibraltar, - [aujourd’hui, les pc desservent Tanger-

Med] - le Parcifal arrive 23 jours après le départ de Shanghai dans le port du Havre,

tête de ligne, où l’extension du port en aval de l’estuaire se poursuit pour accueillir ces

mastodontes des mers. Est déchargé le linge de corps qui part pour Paris par péniche,

tandis que de la maroquinerie part en camion pour l’Allemagne et que le coton et

l’agroalimentaire indiens partent en ferrys vers la Grande Bretagne. Coût du transport

pour un tee-shirt : 2,5 centimes d’euros.

Du Havre, le porte-conteneurs repart à Rotterdam. Il y décharge le matériel électronique

et fait le plein de fioul. De Rotterdam, il part à Hambourg au 2/3 vide. Il y embarque des

câbles destinés à Alger, qu’il déchargera à Tanger Med, ou un feeder prendra les

conteneurs, avant de repartir vers Port Kelang … nettement moins rempli que lors de son

voyage aller. Notons que la desserte du Northern Range permet d’offrir aux importateurs

européens les transit times les plus rapides du marché

La conteneurisation est plus qu’une innovation technique, c’est pour le transport

maritime une révolution – logistique, financière, commerciale - mais aussi une révolution

géographique qui provoque la refonte totale des itinéraires de trafic et un remodelage des

ports, tant du point de vue de leurs infrastructures que du point de vue de leur

hiérarchisation mondiale. => D23 PLAN DU III

III. Un espace maritime mondialisé D24

Pour terminer ce tour d’horizon commentons une carte du trafic mondial de conteneurs :

« Tours et détours du transport maritime » extraite du Monde diplomatique (2013) qui présente

une image de la dynamique de la mondialisation des échanges. Sont représentées les routes

maritimes, principales et secondaires – en bleu, les routes alternatives - existantes ou projetées-

en vert ou en tiretés, de conteneurs qui, en 2010, irriguent la planète et relient entre eux les

principaux ports conteneurisés du monde (cercles beiges). La représentation d’un certain

Rennes – Journée académique du 2 octobre 2013 – Enseigner la mer

12

nombre d’entraves (passages stratégiques - croix rouges -, zones de piraterie – hachures) invite

à une lecture des enjeux géostratégiques de la carte, tandis que le choix de la projection polaire

souligne l’intérêt de voies alternatives via l’océan Arctique.

A. Première observation : Le trafic conteneurisé est ordonné autour

d’une artère circum terrestre centrée sur l’Asie

Le système circulatoire représenté met en évidence l’artère principale circum terrestre des

flux de marchandises diverses qui relie les pôles nord-américain, européen et asiatique, à

partir de laquelle se greffent des lignes secondaires Nord-Sud. Sur les trois tronçons est-

ouest circule 80% du commerce maritime conteneurisé.

Cet espace mondialisé s’est mis en place dans les années 1980. En 1984, Evergreen qui

inaugure la première ligne autour du monde. Les armements conteneurisés européens

(Maersk, MSC, CMA CGM) ont su se positionner simultanément et massivement sur les trois

segments est-ouest de l’artère circumterrestre, organisant tous des « services autour du

monde », lignes régulières faisant le tour la terre (comme la French Asia Line 1)

L’Asie orientale est devenue le pivot des échanges mondiaux, comme en témoigne la

grappe impressionnante des principaux ports mondiaux qui s’étire de Tokyo à Port

Kelang : le long de ce segment de l’artère circum terrestre des flux marchands se trouvent

les ports dont le trafic est le plus élevé. Nombre d’entre-eux ont manutentionné plus de 20

millions de conteneurs en 2009, principalement en Chine, ce qui manifeste l’envolée des

ports chinois. Une autre concentration portuaire significative est constituée par le Northern

Range du Havre à Hambourg (Manche et mer du Nord). Les autres ports importants sont les

ports américains (Los Angeles / Long Beach sur la côte ouest et New York sur la côte Est) et

Dubaï, qui n’est pas une tête de ligne mais le principal hub de l’océan Indien. Cette

hiérarchisation des principaux itinéraires et ports conteneurisés manifeste le basculement

des activités productives en Asie orientale, tandis que les principaux pôles consommateurs

restent l’Europe et l’Amérique du Nord.

Arrêtons-nous un instant sur la grappe de ports extrême-orientaux

B. L’envolée des ports chinois

. Au sein de l’artère circumterrestre, la densification des trafics en Asie orientale met en

évidence l’importance qu’y revêt le commerce intra firme mais aussi des échanges

croissants entre la Chine et le Japon ou la Corée du Sud. L’Asie orientale est structurée par

un axe maritime qui s’étire du Japon à Singapour en passant par Busan, Shanghai, Hong

Kong, Kaohsiung, véritable axe de croissance de cet espace.

L’envolée des ports chinois est la conséquence de ce basculement géographique des

activités productives en Orient. Dans la liste des vingt premiers ports mondiaux de conteneurs

en 2009 figurent 6 ports chinois en comptant Hong Kong et un seul européen, Rotterdam ;

beaucoup d’entre eux étaient encore inconnus il y a vingt ans. Les anciens ports comme

Rennes – Journée académique du 2 octobre 2013 – Enseigner la mer

13

Rotterdam ou Le Havre, en dépit de projets d’extension successifs, sont désavantagés par

rapport aux ports chinois, souvent des créations ex-nihilo. En quelques années Shanghai est

devenu le plus grand port de conteneurs du monde, dépassant Singapour en 2009. Ce port

profite depuis 2005 de la mise en service de son port en eaux profondes de Yanshuan.

D 25 : photo de yanshuan Conçu pour devenir le plus grand port de conteneurs du monde,

ce port est actuellement muni une dizaine de poste d’amarrage accessibles aux plus grands

pc du monde, ce seront bientôt 16 postes qui seront réalisés. Le port est relié à la péninsule

de Pudong par un pont de 32 km de long.

Le port de Shanghai est constitué aujourd’hui d’un ensemble de plusieurs ports au débouché

de l’autoroute-fluviale du Yangzi. Depuis l’implantation britannique en 1845, le port était

situé en amont de l’embouchure du fleuve sur l’un des arroyos du Yangzi le long duquel se

trouvaient les concessions européennes. L’installation de la ZES de Pudong a nécessité

l’installation d’infrastructures portuaires en prise directe avec l’océan édifiées dans les

années 1990 sur la côte est de Shanghai-Pudong. Toutefois, en raison d'un grave problème

de marées et de la faible profondeur du Yanzgzi (10 mètres), les plus gros porte-conteneurs

ne peuvent pas charger à plus de la moitié de leur capacité. L’extension d'un nouveau port en

eau profonde, situé en mer de Chine orientale, dans la baie de Hangzhou, au Sud-est de

l’agglomération de Shanghai et à 27 km de la côte, a été commencé au début des années

2000; l’ensemble du port devrait être terminé en 2020 et surpasser les ports de Hong Kong

et de Singapour.

Il s’agit de terre-pleins artificiels s’appuyant sur deux îles inhabitées au large, reliés à la ZIP

Pudong, par une autoroute serpentant sur le pont de Donghai (plus de 33km en pleine mer).

La première tranche des travaux a été inaugurée en 2005, la seconde en 2006. Pour attirer les

lignes maritimes, une politique de taxes très attractive a été mise en place. Cette stratégie

s’adresse principalement aux armateurs desservant l’Europe. L'opérateur est celui de

l'ensemble du port de Shanghai : le Shanghai International Port Group. Le quai pour les

porte-conteneurs s'étire depuis 2011 sur 5,6 kilomètres, avec un tirant d’eau de 15,5 mètres,

auquel se rajoutent les terre-pleins servant au stockage des boîtes sur 700 m en arrière du

quai, ainsi que deux terminaux gazier et pétrolier à l'extrémité orientale. La capacité actuelle

du port est de 10 millions d'EVP. La suite du projet est de construire une troisième puis une

quatrième dalle, portant la longueur des quais pour porte-conteneurs à 10 km, avec une

capacité théorique de 25 millions d'EVP.

Une véritable redistribution des cartes du commerce mondial, de la hiérarchie des ports

et des façades maritimes s’est produite, consacrant à la fin du XXe siècle le déclin relatif de

l’Europe et de l’Amérique du Nord au profit de l’Asie orientale, pivot des échanges

internationaux.

D26 : diagrammes circulaires sur l’évolution du volume de conteneurs manipulés La

répartition du transport par conteneurs à travers les régions du monde reflète bien le

phénomène d’industrialisation des pays en émergence. L’Extrême-Orient qui ne représentait

que 19,6 % du total des conteneurs manutentionnés dans le monde en 1980 est passé à 38,4

Rennes – Journée académique du 2 octobre 2013 – Enseigner la mer

14

% en 2010, tandis que l’Europe de l’Ouest qui représentait 30,3 % en 1980 est passée à 15,9

% en 2010.

Il en résulte d’ailleurs un déséquilibre des échanges sur les liaisons de l’Asie vers

les principaux pôles consommateurs de produits manufacturés et de ceux-ci vers l’Asie.

En 2009, l’axe transpacifique concentre 18,4 millions de conteneurs, dans les deux sens mais

avec un déséquilibre commercial patent, puisque ce sont 11,5 millions de conteneurs qui

franchissent le Pacifique d’Asie vers l’Amérique du Nord, et 6,9 millions de conteneurs dans

le sens inverse. En deuxième position, aujourd’hui quasi-ex aequo avec le premier arrive l’axe

Asie-Europe : 17 millions de conteneurs échangés, avec un déséquilibre conforme à ce que

l’on peut observer sur le Pacifique Nord (11,5 millions de conteneurs viennent d’Asie, tandis

que seulement 5,5 millions de conteneurs sont exportés d’Europe). La moitié des conteneurs

sortant des Etats-Unis sont vides, 20% des conteneurs sortant des ports d’Europe. Le track

Atlantique apparaît désormais marginalisé pour le trafic de marchandises diverses, avec un

trafic total de 5,3 millions de conteneurs (2,5 dans le sens Ouest-Est, 2,8 dans le sens Est-Ouest),

alors que c’est ici que les premières lignes de conteneurs sont nées au milieu des années

1960.

Retour à la carte : D24.

C. Des routes maritimes à sécuriser

Ces routes maritimes sont confrontées à un certain nombre d’entraves à la fluidité du trafic.

Tandis que la portion transpacifique de l’artère circum terrestre est une voie essentiellement

transocéanique, le tronçon Asie-Europe est jalonné de goulets d’étranglement du trafic, qui

constituent autant de passages stratégiques : leur fermeture viendrait en effet interrompre

ce système circulatoire vital à l’économie mondiale. Les principaux passages sont le détroit

de Malacca qui voit passer chaque année environ 70 000 navires, le passage de la mer Rouge

avec le détroit de Bab el-Mandeb et le canal de Suez (passage non naturel), le détroit de

Gibraltar en Méditerranée et enfin le passage de la Manche (50 000 navires par an). Les

trois-quarts des flux conteneurisés à destination de l’Europe passent par la mer Rouge et

Bab-el Mandeb.

Pour permettre la fluidité et la sécurité des échanges, des dispositifs de séparation de trafic

ont été mis en place dans la Manche (rail d’Ouessant) comme dans le détroit de Malacca,

non sans difficulté ni conflit de souveraineté dans ce dernier cas. Bien entendu, le détroit

aujourd’hui le plus surveillé est le détroit d’Ormuz, qui commande une grande partie de

l’écoulement du trafic pétrolier du Moyen Orient, mais aussi des trafics de biens

manufacturés, Dubaï étant le principal hub de la région. En outre, la vulnérabilité de ces

goulets d’étranglement y favorise le développement de zones de piraterie, des côtes

Rennes – Journée académique du 2 octobre 2013 – Enseigner la mer

15

somaliennes au Sud-Est asiatiques. C’est donc tout l’enjeu de la sécurisation des routes

maritimes commerciales qui se trouve posé ici.

Peut-on envisager des routes alternatives ? Si la circum circulation de l’Afrique n’est

pas économiquement rentable pour des porte-conteneurs, qui choisissent le chemin le plus

court, la potentialité de l’ouverture d’une route arctique représenterait un avantage temps

certain, permettant de relier plus rapidement les ports chinois et l’Europe. C’est une

perspective qu’ouvre la fonte des glaces de l’océan Arctique liée au réchauffement

climatique : au moins de façon saisonnière – 4 mois actuellement - la route maritime du

Nord (appelée « Sevmorput ») pourrait concurrencer les itinéraires traversant l’océan Indien

et l’isthme de Suez. Cela suppose la levée d’obstacles techniques encore importants (vent,

brume, glace dérivante …) et la construction d’un matériel naval spécifique, toutefois

l’intérêt stratégique naval de cette route, plus courte et plus sûre, est évident.

Le 11 septembre dernier, un cargo conventionnel de la compagnie Cosco – 19000 t - ,

le Yong-Sheng, a accosté à Rotterdam. Il a effectué depuis Dalian le voyage en 35 jours au

lieu de 48 par la voie arctique du Nord-Est (route en tirets vert), qui contourne la Russie par

le nord, en empruntant le détroit de Béring puis en longeant les côtes septentrionales de la

Sibérie. Pékin est très intéressé par cette voie qui permettrait de réduire la distance parcourue

pour relier les ports de l’Atlantique à l’Asie et surtout d’éviter le canal de Suez, très encombré

(17000 navires en 2012), et dont le franchissement coûte cher aux compagnies13. La Chine a

donc montré son intérêt pour cette région et a mené une intense campagne diplomatique pour

se voir reconnaître, en mai dernier, le statut d’« observateur permanent » du Conseil de

l’Arctique, un forum intergouvernemental de coopération.

Plus récemment encore, le vraquier danois Nordic Orion14, de l’armement danois Nordic

Bulk Carrier, est sorti le 25 septembre du passage du Nord-Ouest, après y avoir transité quatre

jours. Chargé de 73.500 tonnes de charbon, il avait appareillé de Vancouver, sur la côte ouest

du Canada, le 6 septembre dernier à destination de Pori, en Finlande.

13 En 2013, 200 navires devraient passer par cette route durant la période de navigation (46 seulement en 2012).

L’Organisation maritime internationale prépare donc un code de la navigation en Arctique qui devrait être adopté

en 2015, afin d’établir des règles communes. Ce sont donc 50 millions de tonnes pourraient passer par

l’arctique en 2020.

14 Le navire est classé « glace », un pré-requis indispensable pour fréquenter cette route particulièrement

dangereuse en raison des packs de glace, beaucoup plus nombreux que dans le passage du Nord-Est. Il a été suivi

et assisté par les garde-côtes canadiens pendant tout le transit. Un premier voyage qui, pour autant, n’annonce pas

l’avènement d’une nouvelle voie maritime majeure. Le passage ne s’ouvre que deux mois par an et n’est praticable

que par des navires adaptés et un équipage spécifiquement formé. Les assurances maritimes pour cette route sont

très chères." (…)

Rennes – Journée académique du 2 octobre 2013 – Enseigner la mer

16

Les obstacles techniques et géopolitiques restent nombreux pour permettre une exploitation

économique. Ce ne sont encore que des voies et non des routes maritimes. Nous sommes ici

(dans l’Arctique15) à la croisée de tous les enjeux : enjeux commerciaux, enjeux énergétiques,

enjeux de territorialisation des espaces maritimes.

Conclusion

Une conclusion s’impose : La mondialisation a considérablement accru l’importance des

enjeux stratégiques maritimes. La mondialisation des processus de production repose, nous

l’avons vu, sur la libre circulation des flux maritimes. Le fonctionnement quotidien des pays

européens ou d’Amérique du Nord est dépendant de la fluidité des échanges maritimes

internationaux et par conséquent du respect de la liberté de circulation en mer.

La France n’échappe pas à cette réalité. Les routes stratégiques de l’économie française

passent par des détroits dont la circulation peut être facilement interrompue, d’où la nécessité

de les sécuriser lorsque les circonstances l’exigent. Non seulement la route de conteneurs (en

rouge sur cette carte) que nous venons de décrire, mais aussi les routes stratégiques « énergie »

de la France. Diapos 27-28

- En vert les routes du pétrole en provenance du golfe persique et du golfe de guinée, où

se développe aussi une active zone de piraterie

- En jaune les routes de l’uranium, transocéaniques

- En gris, les routes plus courtes des méthaniers en provenance d’Algérie notamment

- Mais surtout, observons en pointillés, les « futures routes possibles » d’hydrocarbures.

Que désignent-elles ?: les possibles exploitations de pétrole off shore situées au large

du Brésil (bassin de Santos), mais aussi ceux du plateau continental situé au large de

Guyane et de St Pierre et Miquelon …

La mer est aussi vue comme source de ressources futures, ceci est notamment

conditionné à l’extension de la Zone Economique Exclusive16 … d’où les enjeux de

territorialisation des espaces maritimes.

Les enjeux maritimes sont exemplaires des recompositions à l’œuvre dans l’espace

maritime : sa valorisation et son contrôle sont au cœur de la mondialisation

contemporaine et des logiques de puissances. La phrase de Raleigh retrouve toute son

actualité.

15 Richard Labévière et François Thual, La bataille du Grand Nord a commencé, Paris, Perrin, 2009.

16 Extraplac, Programme français d'extension du plateau continental.

Rennes – Journée académique du 2 octobre 2013 – Enseigner la mer

17

Annexe : Liste des diapos

D1 : titre

D2 : première partie

D3 : carte « du XVI au XVIIIe s. …

D4 : Affiche MM et CGT

D5 : photo satellite CNES

D6 : plan de la deuxième partie

D7 : un conteneur, ses dimensions

D8 : le contenu d’un conteneur

D9 : Otello à quai au Havre … registre d’immatriculation RIF

D10 : parc à conteneurs au Havre (quai de l’Europe), vu depuis la passerelle.

D11 : 3 photos des techniques de chargement et déchargement

D12 : vue du chargement d’un pc

D13 : écran d’ordinateur, plan d’arrimage

D14 : transport multimodal (2 photos)

D 15 : les différentes générations de Pc

D16 : le Marco Polo (16000 EVP)

D17 : ligne FAL 1 de Shanghai au Havre (carte générale)

D18 : de Shanghai à Port Kelang via Malacca

D19 / D20 : trajet vers Dubai

D20 : arrivée dans le golfe persique et poursuive du voyage en mer rouge

D21 / Passage de l’isthme de Suez et arrivée à Marseille

D22/ Trajet en Méditerranée et desserte du Northern Range

D23 : plan de la troisième partie

D24 : Carte « tours et détours du transport maritime »

D25 : Port de Yangshan

D26 : graphiques circulaires : évolution du volume de conteneurs manipulés entre 1980 et

2010

D27 : conclusion carte des principales routes stratégiques économiques de la France

D28 : carte des routes stratégiques « énergie » de la France