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La maison urbaine a patio, r eponse architecturale aux contraintes climatiques du milieu aride chaud Meriama Bencherif Salah Chaouche Universit e Mentouri D epartement d’architecture et d’urbanisme Laboratoire Urbanisme et environnement Campus Hamani Route Aı ¨n El-Bey 25000 Constantine Alg erie <[email protected]> <[email protected]> R esum e Les performances climatiques des formes urbaines dans les r egions arides chaudes commencent a l’ echelle de la ville, pour se poursuivre a celle du b^ ati qui assure la protection, l’inertie et l’ombre. Parmi les el ements r egulateurs figure le patio, omnipr esent du Maroc a la Chine. Sous ses diverses formes, il constitue un mod erateur du microclimat int erieur des habitations. Pourtant, la maison a patio a et ed elaiss ee et critiqu ee. Son abandon s’est fait au profit de mod eles r eput es plus urbains, mieux ancr es dans la tradition occidentale. Si cet article r ehabilite quelque peu cette forme architecturale, c’est que, par ses qualit es intrins eques d’adaptation au climat d esertique, elle m erite des applications plus etendues et un r eajustement appropri e, dans le cadre d’un habitat individuel dense et group e, ind ependant de l’h eliocentrisme. Mots cl es : bioclimat, d eveloppement durable, maison a patio, milieu aride. Abstract The urban courtyard house as an architectural response to the climatic constraints of the arid environment In hot-arid areas, the climatic performance of urban forms begins at the scale of the town, and proceeds progressively through the buildings that provide protection, inertia, and shade. The regulatory elements include the courtyard, ubiquitous from Morocco to China. In its many forms, it moderates the indoor microclimate. A courtyard allows for an interaction between the interior and the exterior without exposing a significant amount of the building to the harsher elements. Besides providing security, it is a sheltered oasis, protected on all four sides by the structure but allowing nature to be a part of the architecture. Yet the courtyard house has been neglected and criticised as an urban model. Certain other models, considered more urban and more firmly rooted in an occidental tradition, were favoured over the courtyard house. This paper helps upgrade this architectural form which, due to its intrinsic qualities of adaptation to the desert climate, deserves broader applications and an appropriate readjustment, in the context of dense and grouped individual housing, regardless of heliocentrism. Key words: arid environment, bioclimate, courtyard housing, sustainable development. Pour citer cet article : Bencherif M, Chaouche S, 2013. La maison urbaine a patio, r eponse architecturale aux contraintes climatiques du milieu aride chaud. S echeresse 24 : 203-13. doi : 10.1684/sec.2013.0390 Tir es a part : M. Bencherif doi: 10.1684/sec.2013.0390 S echeresse vol. 24, n8 3, juillet-ao^ ut-septembre 2013 203 Article de recherche S echeresse 2013 ; 24 : 20313

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Page 1: La maison urbaine a patio, reponse architecturale aux ... · d’une maison de type moderne et seulement pendant 206 heures dans une maison a patio. Lorsque la toiture est une coupole

La maison urbaine �a patio,r�eponse architecturaleaux contraintes climatiquesdu milieu aride chaud

Meriama BencherifSalah Chaouche

Universit�e MentouriD�epartement d’architecture et d’urbanismeLaboratoire Urbanisme et environnementCampus HamaniRoute Aın El-Bey25000 ConstantineAlg�erie<[email protected]><[email protected]>

R�esum�e

Les performances climatiques des formes urbaines dans les r�egions arides chaudescommencent �a l’�echelle de la ville, pour se poursuivre �a celle du bati qui assure laprotection, l’inertie et l’ombre. Parmi les �el�ements r�egulateurs figure le patio,omnipr�esent duMaroc �a la Chine. Sous ses diverses formes, il constitue un mod�erateurdu microclimat int�erieur des habitations. Pourtant, la maison �a patio a �et�e d�elaiss�ee etcritiqu�ee.Sonabandons’est fait auprofit demod�eles r�eput�esplus urbains,mieuxancr�esdans la tradition occidentale. Si cet article r�ehabilite quelque peu cette formearchitecturale, c’est que, par ses qualit�es intrins�eques d’adaptation au climatd�esertique, elle m�erite des applications plus �etendues et un r�eajustement appropri�e,dans le cadred’un habitat individuel dense et group�e, ind�ependant de l’h�eliocentrisme.

Mots cl�es : bioclimat, d�eveloppement durable, maison �a patio, milieu aride.

AbstractThe urban courtyard house as an architectural response to the climatic constraints of the aridenvironment

In hot-arid areas, the climatic performance of urban forms begins at the scale of thetown, and proceeds progressively through the buildings that provide protection,inertia, and shade. The regulatory elements include the courtyard, ubiquitous fromMorocco to China. In its many forms, it moderates the indoor microclimate. Acourtyard allows for an interaction between the interior and the exterior withoutexposing a significant amount of the building to the harsher elements. Besidesproviding security, it is a sheltered oasis, protected on all four sides by the structure butallowing nature to be a part of the architecture. Yet the courtyard house has beenneglected and criticised as an urban model. Certain other models, considered moreurban and more firmly rooted in an occidental tradition, were favoured over thecourtyard house. This paper helps upgrade this architectural form which, due to itsintrinsic qualities of adaptation to the desert climate, deserves broader applicationsand an appropriate readjustment, in the context of dense and grouped individualhousing, regardless of heliocentrism.

Key words: arid environment, bioclimate, courtyard housing, sustainable development.

Pour citer cet article : Bencherif M, Chaouche S, 2013. La maison urbaine �a patio, r�eponsearchitecturale aux contraintes climatiques du milieu aride chaud. S�echeresse 24 : 203-13. doi :10.1684/sec.2013.0390Tir�es �a part : M. Bencherifd

oi:10.1684/sec.2013.0390

S�echeresse vol. 24, n8 3, juillet-aout-septembre 2013 203

Article de recherche

S�echeresse 2013 ; 24 : 203–13

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L’homme a toujours cherch�e �a seprot�eger des rigueurs du climat encr�eant �a l’int�erieur de son habitat

les conditions d’un relatif confort. Lespopulations soumises �a des conditionsextremes ont �et�e, dans l’histoire, deremarquables inventeurs de dispositifsarchitecturaux adapt�es aumilieu, commel’igloo de l’Eskimo, la maison sur pilotisduMalais ou la maison �a patio du sud dela M�editerran�ee. Dans tous les cas,l’adaptation aux conditions climatiquesa suivi un longprocessus, o�udes �el�ementsculturels et religieux se sont insensible-ment mel�es au patrimoine techniquereposant sur un savoir empirique (Izardet Guyot, 1979). Mais qu’est devenul’enseignement des Anciens ? Trop sou-vent le pr�esent l’ignore, au profit d’unrecours irr�efl�echi �a la technologie et �al’air conditionn�e, cens�e compenser lesexc�es du climat local en faisant abstrac-tion de la nature. Pourtant, si l’on veille �aint�egrer les exigences actuelles dans lesconceptions traditionnelles, nombre deces derni�eres ont encore toute leur placedans une architecture contemporainesoucieuse du lieu sur lequel elle s’�edifie.De fait, on trouve dans l’architecturevernaculaire du domaine aride chauddes techniques de construction ances-trales (Frey, 2010), fond�ees sur les�energies naturelles, qui permettent auxbatiments de r�epondre au contexteclimatique. Bien que la chaleur soitdifficilement supportable en �et�e dansle d�esert, les habitants jouissent �al’int�erieur de leurs demeures de condi-tions de vie confortables, grace �a unebonne compr�ehension du milieu et �a uneadaptation r�eussie �a ses contraintes.Plutot urbaine que rurale, la maison�a espace central ouvert, ou patio(Edwards et al., 2006 ; Rabbat,2010), repr�esente au Sahara la formearchitecturale type, d’autant qu’elleest favoris�ee par l’usage de mat�eriauxlocaux isolants, adapt�es au climat, telsque le toub (brique s�eche), le timchent(platre traditionnel, de couleur grise,obtenu �a partir d’un gypse hydrat�e dela Chebka, utilis�e pour le parement oule remplissage) et le b�eton de terrestabilis�ee, ou BTS (Bencherif, 1996).Les pages qui suivent se proposent derassembler quelques r�eflexions sur lamaison urbaine �a patio, avec un tripleobjectif : cerner ses avantages pour lecontrole de l’environnement domestique,essayer de comprendre pourquoi elle esttomb�ee dans un relatif discr�edit et tracerles contours de l’�evolution qui devrait lafaire revenir en grace. La majorit�e desexemples seront fournis par le Saharaalg�erien, les autres �etant emprunt�es auProche et au Moyen-Orient.

L’homme et les contraintesdu milieu aride chaud

La station d’In Salah, au centre-sud duSahara alg�erien (278 23’ N, 028 46’ E,269 m), peut aider �a caract�eriser lemilieu aride chaud, largement d�etermin�epar la pr�esence presque permanentedes anticyclones subtropicaux (Pagney,1994 ; Warner, 2004). Des rayonssolaires faisant avec l’horizontale unangle toujours fort, un trajet atmosph�e-rique de ces rayons plus r�eduit qu’�a deplus hautes latitudes et une tr�es faiblen�ebulosit�e font que, nuit et jour confon-dus, les temp�eratures moyennes annuel-les atteignent un niveau tr�es �elev�e(25,4 8C). Mais si l’�et�e est torride, unecertaine fraıcheur r�egne en hiver :les temp�eratures moyennes mensuelless’�echelonnent de 13,0 8C en janvier �a36,5 8C en juillet. En outre, le contrastemoyen entre le jour et la nuit est assez�elev�e (14,7 8C en janvier, 15,6 8C enjuillet). Mais, dans ce contexte plus quen’importe o�u �a la surface du globe, lesdispositions moyennes ne donnentqu’une image tr�es imparfaite du climatcar les extremes peuvent, de temps �aautre, prendre des valeurs consid�erables(P�eguy, 1970). D’une part, les latitudessubtropicales arides poss�edent les pointsles plus chauds de la plan�ete (55 8C �aK�ebili, dans le Sud tunisien, le 7 juillet1931). D’autre part, la limpidit�e de l’airfavorise un taux �elev�e de rayonnementnocturne, au point que la temp�eraturebaisse quelquefois de30 8Cenquatre oucinq heures ; il s’ensuit que, certaines finsde nuits d’hiver, le thermom�etre descendsous abri au-dessous du seuil de gel,surtout en altitude (jusqu’�a - 10 8C dansle Tibesti, - 7 8C �a Tamanghasset, - 6 8C�a B�echar et B�eni Abb�es). �A ces exc�esthermiques s’ajoutent une humidit�e rela-tive tr�es basse aux heures les pluschaudes, au moins dans les endroitsles plus marqu�es par la continentalit�e,une radiation solaire intense et des ventsdess�echants, souvent charg�es de sableou de poussi�eres. En outre, au sein d’unair �a ce point vou�e �a la subsidence, lespr�ecipitations ne peuvent etre que rareset tr�es irr�eguli�eres : �a In Salah, la lamed’eau moyenne annuelle, calcul�ee surla p�eriode 1973-2012, ne d�epassepas 33,6 mm, avec des extremes de0 et 224,9 mm.

La recherche du confort thermique

Pour assurer le confort de l’habitat dansun tel milieu aride chaud, on chercheavant tout �a se prot�eger des radiations

solaires et �a obtenir les meilleuresconditions de ventilation (Mazria,2005).Dans le d�esert, le « controle » du rayon-nement solaire est un des �el�ementsmajeurs des choix urbanistiques et archi-tecturaux (Le Quellec et al., 2006).On admet en g�en�eral que les proc�ed�esutilis�es g�en�erent une ambiance interneconfortable lorsque l’�ecart thermiqueavec l’ext�erieur atteint une dizaine dedegr�es (Hyde, 2008). La pr�eoccupationdominante est de donner aux construc-tions l’orientation et la forme qui sontles plus aptes �a les faire b�en�eficierdes variations saisonni�eres du soleil, enposition et en intensit�e, tout en r�epondantaux besoins de chauffage, de climatisa-tion, de ventilation et d’�eclairage. Laisserle soleil p�en�etrer �a l’int�erieur de l’habita-tion, pour y stocker sa chaleur, permetd’�elever la temp�erature ambiante enhiver ; voiler son rayonnement par un�ecran assure rafraıchissement et ventila-tion en �et�e ; combiner les deux, doncexposer et cacher alternativement, c’estr�ealiser la r�egulation thermique la plussimple et la plus efficace (Alexandroff etAlexandroff, 1982). On tire le meilleurparti de l’ensoleillement en jouant surla g�eom�etrie, sur les propri�et�es thermo-physiques des mat�eriaux utilis�es, surl’organisation int�erieure, sur le nombreet la dimension des ouvertures, ainsi quesur diverses protections, fixes ou mobiles(Hurpy, 1978 ; Hyde, 2008). Toutes lesparois pouvant etre ensoleill�ees, et le butdu pare-soleil �etant de minimiser lesapports calorifiques, sa disposition varieavec l’angle d’incidence du rayonne-ment solaire1 pour att�enuer son ardeur(Wright, 1979).La direction des vents est variable, maisau Sahara les secteurs NW �a NE et SW�a SE ressortent comme les plus fr�equents,ce qui reste compatible avec une facadeorient�ee vers le sud, sachant que cetteorientation permet �a une constructiond’etre ventil�ee par un vent de nord-est.Dans ces conditions, l’orientation id�ealeest, sensiblement, nord-sud (Givoni,1978).Si l’isolation est un moyen de lutte contrele transfert de chaleur de l’ext�erieurvers l’int�erieur (Dumitriu-Valcea, 1986),

1 L’angle d’incidence est celui que forment unflux �electromagn�etique direct (ici, le rayonne-ment solaire) et une surface de r�eceptionquelconque (ici, un pare-soleil). La loi deLambert enseigne que l’intensit�e calorifiquepar unit�e de surface varie proportionnellementau sinus de l’angle d’incidence des rayonssolaires : il en r�esulte que, sous un angle de 30degr�es, l’intensit�e calorique est r�eduite d’envi-ron moiti�e par rapport �a des rayons verticaux.

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l’inertie thermique2 permet d’intervenirsur les �echanges, cette fois, de l’int�erieurvers l’ext�erieur. Elle est d’autant plusgrande que le bati est �a la fois massif etbien isol�e. Cette inertie pr�esente un r�eelint�eret au Sahara, pendant l’�et�e, parcequ’elle uniformise la temp�erature de laface interne du mur (ou de la terrasse),tout en r�eduisant les variations thermi-ques diurnes ; ainsi, la temp�eraturemaximale de la paroi int�erieure se trouveabaiss�ee. L’inertie att�enue aussi le cyclediurne thermique ext�erieur, en y intro-duisant un d�ephasage : on peut vivredans des pi�eces fraıches le jour (grace�a leurs murs �epais3, �eventuellementenduits de chaux) et les quitter la nuitquand les murs commencent �a radier,pour aller s�ejourner dans une pi�ece �afaible inertie, voire sur la terrasse (stah) ;on parle alors d’un « nomadisme quoti-dien » ou d’un « nomadisme interne ».Fezzioui et al. (2012) ont par exemplecalcul�e qu’�a B�echar, toutes choses�egales par ailleurs (nature, �epaisseuret revetement des murs ext�erieursaussi bien que des cloisons, de la toiture,du plancher et des vitrages, niveaud’occupation, horaires d’ouverture desfenetres. . .), des temp�eratures sup�e-rieures �a 34 8C r�egnaient pendant550 heures/an dans les chambresd’une maison de type moderne etseulement pendant 206 heures dansune maison �a patio.Lorsque la toiture est une coupole ou undome, ce qui est fr�equent par exempledans la r�egion du Souf et dans la villeiranienne de Yazd, sa superficie estmultipli�ee par trois en comparaisond’une terrasse plate. D�es lors, ne

recevant que le tiers de radiation parunit�e de surface, elle se r�echauffe moinsvite et se refroidit plus rapidement, par�emission vers l’atmosph�ere. Quant �a laventilation nocturne, elle rafraıchit lesstructures internes des batiments.Il va de soi que ces diff�erents proc�ed�essont souvent combin�es entre eux. Ainsil’air du patio, �eventuellement rafraıchipar l’eau et la v�eg�etation, p�en�etre-t-ildans les pi�eces de s�ejour orient�ees aunord ; l’air chaud est alors repouss�e enhaut des pi�eces et il s’�echappe par lesouvertures qui y sont m�enag�ees ; desvariantes existent avec le concours destours �a vent, dont on reparlera plus loin(Izard, 1993).

Pour l’ombrage, la compacit�eest de rigueur

La premi�ere adaptation au climat estr�ealis�ee par la densit�e du bati et par lescontours ext�erieurs des batiments, quiaident �a se soustraire aux temp�eratures

extremes (Bardou et Arzoumanian,1978). Le tissu urbain se caract�erisealors par une grande compacit�e, verti-cale et horizontale, qui expose unesurface minimale au soleil d’�et�e et auxvents froids d’hiver. Les ruelles, longueset sinueuses, sont ombr�ees presquetoute la journ�ee (figure 1). Les maisons�a patio sont agglom�er�ees dens�ement etleurs murs mitoyens limitent la surfaceexpos�ee. Parfois, l’�etage est en encor-bellement au-dessus des ruelles, ce quipermet de r�egulariser le plan des pi�ecesou de les agrandir aux d�epens de la rue.Celle-ci voit alors son ombrage renforc�e,tandis que diminue encore le tempsd’ensoleillement des facades et que levent devient incapable de chasser l’airfrais nocturne (figure 2).Dans un environnement dense, il y a peud’espace pour les tourbillons de pous-si�eres, pour le sable et pour le rayonne-ment solaire direct ou diffus, qui sont lestrois contraintes majeures auxquelles lapopulation doit faire face dans de telsclimats (figure 3). Certes, �a l’int�erieur

El Oued (mai, 16 h) Tamanghasset (juin, 9 h)

Timimoun (15 h) Ouargla (avril, 10 h)

Figure 1. Rues ombrag�ees dans les ksour.Clich�es des auteurs, 2004.

2 L’inertie thermique (ou masse thermique) est lacapacit�e physique d’un mat�eriau �a stocker del’�energie. Plus l’inertie est �elev�ee, plus lemat�eriau restitue des quantit�es importantes dechaleur (ou de fraıcheur), en d�ecalage parrapport aux variations thermiques ext�erieures(puisque le mat�eriau met plus de temps que l’air�a se r�echauffer ou �a se refroidir). En g�en�eral,plus un mat�eriau est lourd et plus il a d’inertie.Celle-ci est utilis�ee en construction pour att�enuerles variations de la temp�erature ext�erieure, pouraccumuler le jour la chaleur qui sera restitu�ee lanuit et, en d�efinitive, pour assurer une ambianceclimatique int�erieure aussi confortable quepossible.3 Un mur de faible �epaisseur garantirait unecertaine fraıcheur dans lamatin�ee, mais cr�eeraitune fournaise l’apr�es-midi car il se serait satur�ede chaleur en une demi-journ�ee, alors qu’un murplus �epais r�ealise un d�ephasage plus long. Il nes’agit toutefois que d’un d�ephasage :l’�echauffement n’est pas bloqu�e, mais seulementralenti. Pour diminuer la quantit�e de chaleurcapt�ee par le mur, celui-ci est laiss�e blanc, teintenaturelle de l’enduit de chaux qui le prot�ege.Ainsi revetu, il r�efl�echit l’essentiel du rayonne-ment recu et n’en absorbe qu’une petite part.

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Figure 2. Rues ombrag�ees (�a gauche : Ghardaıa [clich�e Bencherif, avril 2011, 10 h]) ou compl�etement couvertes (�a droite : Timimoun[clich�e Cordero, 2012] www.panoramio.com).

Plan Rez-de-chaussée Plan Terrasse

Coupe

Figure 3. Tissu compact �a Ouled Rached (Timimoun) (Imesch, 1991).

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du domaine aride, les caract�eristiquessp�ecifiques de l’habitat varient en fonc-tion du climat r�egional, des traditions etdes mat�eriaux locaux. Cependant, uneconstante est la pr�esence de logementsvastes, sur plusieurs niveaux, o�u l’onne voit jamais directement le jour. Ilest en outre plus avantageux d’y accolerlesmaisons les unes aux autres, de facon�a r�eduire sensiblement les surfacesensoleill�ees. Mais la raret�e des ouvertu-res impose la pr�esence d’un « espaceext�erieur » enclos dans la maison(Izard, 1976).

Strat�egie de la maison �a patioen tant que r�egulateur thermique

Lamaison �apatio a une longue histoire :des vestiges d’espaces centraux ouvertsont �et�e dat�es d’il y a environ 8 000 ans,au nord-ouest de T�eh�eran (Memarianet Brown, 2006). Aujourd’hui, duMaroc �a l’Inde et �a laChine, lesmaisons�a patio t�emoignent de r�eelles ressem-blances, meme si elles varient surcertains d�etails – ce qui explique quela langue arabe n’ait pas de mot uniquepour la d�esigner : wast el dar, ard eldiar, hoch, fanaa. . . (Abdulac, 2011).Le cas de la vall�ee du M’Zab a �et�esouvent d�ecrit (Rav�ereau, 2003) : dansles cinq cit�es align�ees le long du lit del’oued, Ghardaıa, Melika, Beni-Izguen,Bou-Noura et El Atteuf, la maisontype (figure 4), de couleur claire, aune inertie thermique consid�erable, avectr�es peu d’ouvertures sur l’ext�erieur ; elleest dot�ee d’une terrasse, utilis�ee la nuit en�et�e ; un arbre au coin du patio lui donnede l’ombre et retient l’humidit�e, symbolede vie dans le d�esert.Avec sa configuration en forme decuvette, le patio, autour duquel viennents’articuler la cuisine et les chambres, estl’ultime protection d’un espace priv�eouvert contre les temp�eratures extremes,les vents charg�es de poussi�eres et lestempetes de sable. La femme y �evolue �ason aise. R�epondant au besoin orientald’introversion, le patio est ombrag�eune grande partie de la journ�ee, il secomporte comme un r�egulateur ther-mique, car la fraıcheur nocturne ne s’yestompe qu’en d�ebut d’apr�es-midi(Raydan et al., 2006). Le role de lacour et le rapport entre sa largeur et sahauteur varient selon les r�egions et ledegr�e d’aisance. �A F�es, Alger ou Tunis,la maison �a patio est toujours �a l’ombreen �et�e, car la hauteur du patio estsup�erieure �a sa longueur (figure 5).Mais le patio peut aussi se situer �al’�etage, la pi�ece inf�erieure n’�etant alors�eclair�ee que par une petite ouverture

(raouzna) au plafond ; ce dispositif(chbek) est fr�equent au M’Zab (Rav�ereau,2003).Les facades sont mutuellement prot�eg�eesdu rayonnement solaire par les habita-tions qui leur font face. Grace �a cesprojections g�eom�etriques et �a une orien-tation soigneusement �etudi�ee, la maison�a patio r�ealise un syst�eme id�eal ded�efense contre l’environnement aridechaud. Ainsi, la majorit�e des patios auSahara sont orient�es NE-SW et SE-NW.Ces directions �a 45 degr�es sont optima-les pour produire de l’ombre en �et�e, touten permettant l’ensoleillement en hiver(Ginefri, 1987).

Entre nomadismeet proc�ed�e sp�ecifique

Pour etre �a l’abri du soleil, la partieestivale de la maison ksourienne fait faceau nord-est. La face oppos�ee sert �aprofiter du soleil en hiver. Le patio,entour�e de hauts murs comme un puits,est ombrag�e en �et�e ; la nuit, lorsquel’ambiance se refroidit, il emmagasine de

Tizefri

Ouesteddar

Skifa

Ikomar

Laali

Tigharghat

Étage

Façade

CoupeRez-de-chaussée

Figure 4. Maison �a patio au M’Zab (Rav�ereau, 2003).

Figure 5. Demeure Rais Hamidou, Alger.Clich�e des auteurs, mars 2005.

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l’air frais qu’il restituera dans la journ�ee,pour quelques heures. Ainsi, des espacesdiff�erents peuvent-ils etre occup�es �a dif-f�erentes p�eriodes du jour ou de l’ann�ee.La mobilit�e quotidienne s’inverse d’unesaison �a l’autre. En �et�e, pour les activit�esdiurnes, les habitants utilisent le rez-de-chauss�ee, plong�e dans l’ombre ; la nuit,ils passent sur les terrasses pour profiterdu rayonnement infrarouge vers le cielclair. Ainsi, par les �emissions terrestres etles brises, l’air frais nocturnedescendpeu�a peu et p�en�etre dans le patio, envahis-sant tous les espaces. Lamasse thermiquede la structure absorbe cette fraıcheuret la retient jusqu’�a la mi-journ�ee. Entre-temps, la cour irradie la chaleurabsorb�ee, le jour, vers le ciel, et le patiodevient un espace d’activit�e, le soir, puisune chambre, la nuit.�A la mi-journ�ee, quand le soleil est haut,ses rayons p�en�etrent directement dans lepatio. L’air frais stock�e dans la structuremassique s’�el�evealors, et cr�ee un courantd’air provoquant un certain confort.Quand la temp�erature ext�erieure est�elev�ee, la masse thermique des murs enpis�e, adobe ou timchent retarde jusqu’ausoir la p�en�etration de la chaleur dans leschambres. D�es la tomb�ee de la nuit,la temp�erature d�ecroissant vite, les habi-tants trouvent lebien-etredans lepatio,o�ul’air frais commence �a descendre. Et lecycle recommence. . .L’usage de la terrasse est compl�et�e pardivers espaces couverts qui s’ouvrent surle patio, mais leurs fonctions diff�erentselon les r�egions : galerie, loggia,sabat4 ou iwan5 (figure 6). Ainsi, apr�esla r�eduction des fortes temp�eratures parla diminution des surfaces expos�ees ausoleil et par la r�epartition des pi�eces,d’autres proc�ed�es et dispositifs viennentam�eliorer la protection thermique.

L’int�egration architecturaledans la climatisation naturelle

Les m�ethodes traditionnelles de rafraı-chissement naturel utilisent des pro-c�ed�es vari�es : controle du rayonnementsolaire, rafraıchissement par convection,�evaporation, radiation et conduction6.Il �etait nagu�ere habituel que ces diff�erentsproc�ed�es soient utilis�es de mani�erehybride, seule la combinaison deplusieurs syst�emes de rafraıchissementpermettant d’obtenir un effet suffisant.Certes, ces dispositifs, adopt�es pouram�eliorer les conditions de confort cli-matique interne en les int�egrant archi-tecturalement, ne sont pas sp�ecifiquesaux maisons �a patio ; mais c’est l�a qu’ilsont �et�e le plus ing�enieusement mis �aprofit.

Le rafraıchissement par convection uti-lise l’air frais nocturne accumul�e dansla masse thermique du batiment et lerestitue le lendemain. La captation del’air externe peut se r�ev�eler profitableen �et�e, si on l’humidifie au passage(Givoni, 1978).R�epandu dans l’ensemble du mondeislamique, le moucharabieh7 (claustra)est une ouverture en panneaux ajour�esde bois ou de gypse, qui permet devoir sans etre vu tout en favorisantla ventilation naturelle sur les facadesext�erieures et la p�en�etration de lalumi�ere diffuse, moins agressive pourl’oeil que le rayonnement direct. L’airchaud, tendant �a s’�elever, est remplac�epar de l’air frais en cr�eant un courantd’air sans qu’il y ait besoin de vent �al’ext�erieur. La r�eduction de la surfaceproduite par le maillage du mouchara-bieh acc�el�ere le passage du vent. Celui-ci est alors mis en contact avec des

surfaces humides, bassins ou platsremplis d’eau qui diffusent leur fraıcheur�a l’int�erieur de la maison. Les fenetresdonnant sur le patio sont larges : celledu haut permet l’�evacuation de l’airchaud, celle du bas descend jusqu’ausol (figure 7). Ainsi �a Damas, l’air tr�eschaud rentre dans la maison �a travers lepatio o�u il est rafraıchi par �evaporation(plantes et fontaines) ; puis l’air fraispousse l’air chaud accumul�e dans lamaison et l’�evacue �a travers de petitesperc�ees, ce qui forme un circuit d’air enconjonction avec les portes et les fene-tres (Fardeheb, 1989).La chemin�ee d’air est un autre syst�emedestin�e �a profiter des vents frais d�es qu’ilssoufflent. Tr�es r�epandueen Iran, en Irak eten �Egypte, attest�ee plus marginalementdans d’autres pays, elle est orient�ee endirection du vent dominant et s’�el�evesensiblementau-dessusdes terrasses, afinde profiter du moindre filet d’air, de nepas souffrir de l’obstruction des batimentsadjacents et de r�eduire la poussi�ere(Bahadori, 1978). Ce proc�ed�e peut etremonodirectionnel et orient�e vers le nord(au Caire, par exemple), comme il peutetre bidirectionnel ou multidirectionnel(dans les pays du golfe Persique). Appel�emalqaf ou badgir, ce syst�eme de refroi-dissement passif consiste en une ouver-ture munie d’un conduit en bois, en m�etalou en brique, inclin�e �a 45 degr�es vers levent dominant qui s’engouffre dans leconduit, expulsant l’air chaud accumul�edans lepatioapr�es etrepass�e �a travers lespi�eces (figure 8). L’air ext�erieur capt�e parces « tours �a vent » est plus frais et moinscharg�e de poussi�eres que l’air au niveaudu sol. Rafraıchi par les parois int�erieuresdu conduit, cet air descend dans lespi�eces habit�ees en chassant l’air chaudqui s’y trouvait. La nuit, en l’absence de

4 Le sabat est un espace couvert mais ouvertlat�eralement sur le patio, une sorte d’espace-tampon entre la cour et les pi�eces d’habitation.Dans le Souf, il en existe meme deux : l’unorient�e au nord et utilis�e en �et�e, l’autre orient�e ausud et utilis�e en hiver (Mazouz, 2005a).5 L’iwan, originaire de Perse, typique du Proche-Orient, est un �el�ement architectural qui consisteen un vaste porche vout�e, ouvert d’un cot�e sur lepatio par un grand arc. Orient�es au nord, lesiwans restent toute la journ�ee �a l’ombre.6 La d�eperdition de chaleur peut se faire par�emission d’un rayonnement infrarouge (radia-tion), par propagation de mol�ecule �a mol�ecule,par exemple dans l’�epaisseur d’un mur (conduc-tion), par transfert de calories au profit de l’airen contact avec la surface des parois (convec-tion) ou par transformation de l’eau en vapeur(�evaporation), chaque gramme d’eau quis’�evapore utilisant environ 0,5 calorie.7 Le kush du Y�emen remplit sensiblement lesmemes fonctions.

Figure 6. Chbeck et Ikomar (galerie) au M’Zab (Rav�ereau, 2003).

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vent, la tour agit comme une chemin�ee,dirigeant cette fois l’air chaud versl’ext�erieur, alors que p�en�etre par lesfenetres l’air frais du patio. Une jarre enterre cuite (mazaria), remplie d’eau,�el�eve l’humidit�e relative de l’air (Hurpy,1978).Le rafraıchissement par �evaporationapporte une sensation de fraıcheur,que l’eau provienne de fontaines, debassins, de l’arrosage du patio ou

d’autres dispositifs d’humidification.Ainsi, en domaine aride, l’eau et lav�eg�etation sont pr�esentes �a tous lesniveaux de l’am�enagement de l’habitat,de la ville noy�ee dans la palmeraie ausimple oranger plant�e dans le patio. Parailleurs, en tant que structure radiative,la maison �a patio permet le rafraıchis-sement par conduction et par radiationnocturne, en cr�eant un courant d’airavec les ouvertures (Wright, 1979).

De la tomb�ee en d�esu�etude�a la r�ehabilitationde la maison �a patio

En tant que lecon du pass�e, le potentielarchitectural saharo-arabique a �et�e peu�a peu n�eglig�e et les bouleversementssocio-�economiques qu’il a subis ontaffect�e son exploitation. Par cons�equent,une politique de conservation repr�esenteune n�ecessit�e absolue, dans des pays o�ul’architecture vernaculaire perd de sonidentit�e et o�u sa survie devient uneurgence.Le patio, en tant qu’espace o�u seregroupait la famille �elargie (occupationunifamiliale des lieux), pr�esentait demultiples qualit�es qui sont aussi biend’ordre climatique, organisationnel quesocial, �a la diff�erence de la « coururbaine » �a l’europ�eenne, qui s’adaptebien au logement collectif en jouant unrole plus technique que social, car elleperd de sa centralit�e fonctionnelle auprofit de l’extraversion de la maison.Cependant, quel langage en faveur desmaisons �a patio serait adapt�e �a la soci�et�esaharienne d’aujourd’hui ? Commentcombiner l’habitat individuel, qui restepris�e par l’immense majorit�e de lapopulation, avec la recherche d’unedensit�e �elev�ee du tissu urbain ?Commentfaire d’une maison �a patio une authen-tique « maison de ville » ? Commentrenouer avec les meilleures solutionspassives, pour r�epondre au probl�emede 1’adaptation au climat ? Commentconcilier les d�esirs d’intimit�e et d’appro-priation de la maison avec celui del’urbanit�e ? L’habitat �a patio, commesource de satisfaction ou de frustration,est-il encore une aspiration ou une attente(positive ou n�egative) ? En tout cas, il nefaut pas confondre patio central et cour :le premier est actif, la seconde estpassive. L’originalit�e du patio, qui faitsa force mais aussi son ambiguıt�e, c’estd’etre �a la fois « dedans et dehors »,d’etre ouvert quand bien meme il estcouvert (dans le cas du patio �a portique et�a auvent).

Le patio comme r�egulateurdu climat et role social

Le patio est tr�es impliqu�e dans l’organi-sation spatiale de la maison. La faiblessedes plans modernes, en milieu aridechaud, est souvent de reproduire lesclassiques sch�emas lin�eaires occiden-taux, en les flanquant d’un simple jardinint�erieur : d’o�u, par opposition auxmaisons « �a » patio, les maisons« avec » patio – et la d�erive in�evitable

DAMAS

LE CAIRE

GHARDAÏA

Vent

Figure 7. Circuits d’air �a travers les maisons �a patio (Fardeheb, 1989).

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vers le patio « bocal » d�ecoratif enappendice. Mais d�es que l’on veut fairejouer �a cet espace un role permanentdans le mode de vie des habitants, on seheurte au probl�eme climatique.Meme si elle suppose certainesprouesses technologiques, la couverturetransparente amovible n’est pas un« gadget », car elle amplifie les qualit�esde la maison �a patio et s’approprie enpermanence le patio, grace aux apportssolaires d’hiver. Paradoxalement, c’est

le recours aux dispositifs les plussophistiqu�es de l’architecture bioclima-tique qui devrait d�esormais concourir �al’implication du patio. Ce dernier doitgarder son caract�ere ambigu de s�ejour �aciel ouvert, mi-int�erieur mi-ext�erieur,carrefour d’une vie familiale qu’il fautrecr�eer, si l’on veut retrouver l’ambiguıt�edes patios traditionnels et �eviter lecaract�ere r�educteur du patio moderne.Souvent, celui-ci n’est qu’un espaceext�erieur ind�ependant de la maison, un

lieu de passage plus qu’un lieu d’habita-tion et de vie. C’est cette ambiguıt�equi conf�ere �a la maison �a patio sasouplesse d’utilisation, en la diff�erenciantd’une simple maison �a cour (Abdulac,2011).

Entre compacit�e du tissu �a patioet n�ecessit�e d’une vraie facade�A l’inverse des assemblages modernesqui restent souvent lin�eaires, les tissusurbains traditionnels optimisent la densit�epour constituer des ılots compacts et�epais, dont l’effet de masse conf�ere auxmaisons une bonne inertie thermique.L�a encore, les dispositifs vernaculairesrejoignent les pr�eoccupations actuellesde l’architecture bioclimatique. En revan-che, l’acc�es des ılots aux v�ehicules y estdifficile et conduit �a un enclavement desmaisons, ce qui implique des adaptationspassant par une r�ehabilitation du syst�eme�a ılots. En fait, la transposition desmod�eles traditionnels ne peut se fairecar elle n�ecessiterait l’occidentalisationdes mod�eles, lesquels sont souvent tropconnot�es culturellement pour qu’une telle�evolution soit accept�ee par la population(Bencherif, 2007).Les transformations des mod�eles anciensdevraient donc corriger les d�efautsrelev�es, et conduire �a un renouvellementradical. Il s’agit avant tout de compenserla tendance flagrante des maisons �apatio �a constituer des espaces publicsr�esiduels dans les ensembles modernes.Cette tendance, sugg�er�ee ou r�eelle dansles villes sahariennes, r�esulte de lapriorit�e qu’a le centre de la maison parrapport �a sa p�eriph�erie. Si, �a l’inverse,on d�ecide de privil�egier le trac�e urbainet l’espace public, il faut �eviter uned�emarche « centrifuge » et pr�ed�etermi-ner les formes de l’espace public urbainet des patios qui paraıtront, ainsi,« recreus�ees » dans la masse continuedes batiments. C’est ce que nous appe-lons la d�emarche « soustractive », quiapporte une certaine garantie d’urbanit�e(Nicolas et R�emon, 1981).Il est vrai que, dans la tradition urbainesaharienne, si l’on excepte le syst�emesoukier avec la mosqu�ee, la rue pr�esentesouvent un aspect r�epulsif et sans vie, dufait que toutes les maisons lui tournent ledos sans offrir de vraies facades. D’o�u lan�ecessit�e de compenser l’aspect �etancheet l’absence d’individualit�e de la maison�a patio, en lui conf�erant une « vraie »facade sur la rue. C’est une op�erationd�elicate, car elle s’oppose �a l’esprit desmod�eles traditionnels, �a leur introversion.Ce n’est pourtant qu’�a ce prix que lesstructures spatiales des maisons �a patiopourraient etre concili�ees avec le d�esir

Débutjournée

Débutnuit

Finnuit

Finjournée

Circulation air frais Circulation air chaud

Figure 8. Diff�erentes orientations des capteurs �a vent (Bahadori, 1978).

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aujourd’hui imp�erieux de « donner sur larue ». Il s’agit en fait de constituer unemaison �a patio biface et de r�e�equilibrerles relations entre les espaces int�erieurs,patio compris, et la rue ; en d’autrestermes, il s’agit de trouver le dosage subtilentre intimit�e et sociabilit�e. Toutefois, onpeut accentuer l’adaptation de la maison�a patio, qui paraıt apte �a r�epondreaux exigences les plus actuelles enmati�ere d’habitat, notamment, avec lebioclimatisme8.Par sa morphologie, la maison �a patio seprete ais�ement �a des combinatoires degroupements dont elle serait la « cellulede base », en permettant des associa-tionsmultidirectionnelles en raisonde sonimportant lin�eaire de mitoyennet�e aveu-gle. Le danger de ce syst�eme est de nepas controler la forme et l’�echelle del’espace public urbain, d’o�u l’effet d’untissu expansionniste, « prolif�erant »,largement critiqu�e.

Vers un r�eajustementde l’appropriation du patio

La maison saharienne actuelle ne s’ins-pire gu�ere de l’ancienne, qui savait joueravec le vent et le soleil. Son « patio »,�eclair�e par un « puits de lumi�ere »,devient un « hall » tandis que, par sonmagasin et son garage, elle affichel’aisance du propri�etaire. Les fenetresdonnant sur la rue sont occult�eesd’une tole plastique ondul�ee, car ellesext�eriorisent l’intimit�e. Ainsi, au lieu dujeu subtil de terrasses multiples dispos�ees�a diff�erents niveaux permettant �a chacunde dormir isol�ement l’�et�e, on n’a plusqu’un vaste dortoir collectif. La r�ealit�e estque cette terrasse n’a plus d’int�eret,puisque les chambres sont climatis�ees.N’�etait-il pourtant pas possible de conce-voir une architecture contemporaine quireste fid�ele aux coutumes sahariennes,qui saches’adapter aux rigueurs estivalestout en s’affranchissant de cette techno-logie fragile et couteuse qu’est la clima-tisation ? Certains ksouriens semblentcommencer �a prendre conscience dugachis. Mais il leur est difficile de luttercontre une vague destructrice qui seconfond avec une volont�e de moder-nisme mal compris. Que reste-t-il dudialogue entre permanence et alt�era-tion ? Car d�etruire ces maisons, t�emoinsdupass�e, n’est que l’unedes facettes d’un

processus de d�eculturation d�eclench�epar la volont�e d’investir dans la r�enova-tion urbaine ; il est vrai que l’immobilier �ausage non lucratif est aujourd’hui l’un desderniers secteurs refuges pour les capi-taux priv�es.

La maison �a patio conciliele bioclimatisme et l’urbain

A priori, telle que l�egu�ee par la traditionet lov�ee sur un puits d’ombre, la maison

�a patio paraıt adapt�ee aux grandeschaleurs. �A surface �egale, une maison �a�etage s’av�ere plus int�eressante qu’unsimple rez-de-chauss�ee. En plus del’avantage de r�eduire la surface de latoiture, la maison �a �etage permetde r�esoudre ais�ement les d�elicats pro-bl�emes que posent les maisons �a patioen termes de distribution interne despi�eces. Par ailleurs, le rayonnementsolaire utile, en hiver, s’en trouve facilit�e,du fait qu’une maison �a patio central est

8 Izard et Guyot (1979) d�efinissent le bioclima-tisme comme la « science tendant �a faire remplirpar l’architecture elle-meme la fonction desatisfaction des exigences thermiques minimalesde l’occupant, de pr�ef�erence au recours �al’ing�enierie climatique ».

HIVER

JOURS ETE

1er ÉTAGE

1er ÉTAGE

NUITS

JOURS NUITS

Rez-de-chaussée

Rez-de-chaussée

ESC ESC

ESCESC

ESC

ESC ESC

ESC ESC

ESC

ACCÈSPRINCIPAL

ACCÈSPRINCIPAL

ACCÈSINVITÉS

ACCÈSINVITÉS

ACCÈSPRINCIPAL

ACCÈSPRINCIPAL

ACCÈSINVITÉS

ACCÈSINVITÉS

COUR

COUR

CHAMBRES

CHAMBRE

TERRASSE

TERRASSE

SÉJOUR

SÉJOUR

ESCALIERESCALIER

ESCALIER

ESCALIER ESCALIER

ESCALIER

Figure 9. Une maison �a patio : self-control (bioclimat) (Bencherif, 2007).

S�echeresse vol. 24, n8 3, juillet-aout-septembre 2013 211

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un des rares mod�eles architecturaux�a favoriser le « self-control » des effetsde masque dans le patio lui-meme(figure 9). Nous touchons l�a, sans doute,au plus grand avantage du syst�eme :sa morphologie particuli�ere �evite toutdesserrement du tissu urbain si, par desartifices de coupe, on r�eussit �a faireb�en�eficier le patio d’un ensoleillementconvenable. Il semble bien qu’il y aitl�a une alternative s�erieuse aux tristesensembles pavillonnaires, auxquels ris-quait de nous condamner la politiquedes lotissements. Bien plus, la maison �apatio permet de d�ejouer la tyrannie de« l’orientation pr�ef�erentielle », qui hanteles plans de masse �a la recherche dumeilleur angle pour capter les rayonssolaires. L’ind�ependance du patio vis-�a-vis de la facade sur rue l’autorise �aadopter une direction quelconque, etreste compatible avec une implantationlibre des masses construites. Ainsi, unemaison sachant concilier deux domai-nes qui s’ignoraient jusque-l�a, l’urbainet le bioclimatisme (Gandemer et Guyot,1976), c’est une maison qui auraitdeux visages, l’un cach�e et tourn�e versl’int�erieur, assumant le climat maissachant en tirer profit, l’autre d�ecouvert,tourn�e vers la rue et la vie sociale.Aussi les am�enageurs doivent-ils aujour-d’hui consid�erer les enjeux environne-mentaux du domaine aride chaud,respecter et valoriser les paysages locauxet m�editer les lecons des chefs-d’oeuvreanciens, avec les outils et les m�ethodesmodernes, pour r�ealiser des formesarchitecturales adapt�ees �a ces milieux.L’intervention se fait sur les formesurbaines, sur les densit�es, sur les orien-tations et les expositions optimales, ainsi

que par le recours �a la v�eg�etation et �al’eau (figure 10).

Conclusion

Le bilan thermique d’une constructionest la diff�erence entre ses apports etses d�eperditions. Pour un comportement�equilibr�e, la conception de l’enveloppeselon les mat�eriaux utilis�es doit fonction-ner commeun filtre r�egulateur des flux –etnon comme une barri�ere. Peu de recher-ches ont �et�e consacr�ees aux performan-ces thermiques des proc�ed�es utilis�es dansl’architecture vernaculaire des payschauds qui, aujourd’hui, sont ignor�espour faire place �a des syst�emes d’airconditionn�e, sophistiqu�es mais on�ereux.Vouloir concilier les probl�ematiquesurbaines et bioclimatiques (Mazouz,2005b) revient �a r�econcilier la pr�eoccu-pation de l’urbanit�e retrouv�ee et celle del’adaptation du cadre bati au climat.C’est, en fait, la cr�eation des conditionsde confort sans recours �a la technologie.Il est �a esp�erer que les am�enageursred�ecouvrent au plus vite la richesse et lebien-fond�e de l’h�eritage architectural despays chauds et secs. En effet, la maisonurbaine �a patio s’est vue d�elaiss�ee etcritiqu�ee. Son abandon s’est fait au profitde mod�eles r�eput�es plus urbains, mieuxancr�es dans une tradition occidentale.Si cet article tend �a r�ehabiliter quelquepeu la maison �a patio, c’est parce quel’on est convaincu que, par ses qualit�esintrins�eques d’adaptation au climatd�esertique, elle m�eriterait des applica-tions plus �etendues, en tant qu’habitatindividuel dense et group�e, ind�ependant

de l’h�eliocentrisme. Il faut remettrel’architecture climatique au coeur desd�ebats actuels pour le d�eveloppementdurable. &

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Débord de toit

Passage sous bâtiment Dalle grande portée Treilles entre bâtiments Pergolas

Galerie Arbre d'alignement Arbustes d'alignement

Figure 10. Controle des effets microclimatiques : ombrages batis et v�eg�etaux.Sch�emas �etablis d’apr�es les cours de JL Izard, 2003.

212 S�echeresse vol. 24, n8 3, juillet-aout-septembre 2013

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