la logistique au maroc faits et réalités

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D ix ans déjà que les pre- mières réflexions sur la logistique au Maroc ont commencé, quelques timides manifestations tournant principalement autour de sa promotion - tout en essayant de la distin- guer du transport - ou bien de l’intérêt de l’externalisation. Ceci est expliqué par l’arrivée de prestataires logistiques, qui étaient convoités par l’une des enseignes de la grande distribution, laquelle, par son positionnement stratégique, s’était spécialisée dans les moyennes surfaces et avait donc nécessairement besoin d’espaces de stockage externes aux magasins de vente. Cette enseigne dont l’un des principaux actionnaires était une multinationale ayant une longue expérience dans les bonnes pratiques de la grande distribution, a permis un réel transfert de connaissance de ses métiers, donnant le coup de fouet à ce secteur et par la même occasion à la logistique telle qu’on la connaît aujourd’hui au Maroc. Cette mutation a obligé les autres dis- tributeurs à repenser leurs logistiques, leurs positionnements stratégiques par rapport à une concurrence de plus en plus sérieuse, et par la même occasion, elle a sollicité des eorts de la part des industriels et fournisseurs, notamment pour le réapprovisionnement en pro- duits de grande consommation. Industrie et grande distribution : les précurseurs L’externalisation permet en particu- lier de maximaliser l’exploitation de l’utilisation de l’espace des magasins en linéaire, elle fait appel à plusieurs prestataires logistiques (transport et entreposage) ainsi qu’à d’autres interve- nants. C’est ainsi qu’a eu lieu l’apparition de cabinets de conseil, de spécialistes de l’immobilier logistique, d’intégrateurs de solutions et des toutes premières formations spécialisées en logistique au Maroc. Ces premières initiatives étaient prin- cipalement issues du monde de l’in- dustrie et de la grande distribution, le gouvernement n’était apparemment pas très sensibilisé à l’importance de la logistique en tant qu’élément clé de la compétitivité économique nationale. Ce n’est qu’en mai 2006 que le rapport conjoint de la Banque Mondiale et du ministère de l’Equipement et du Trans- port, sur la logistique du commerce et 50 Magazine Mai 2011 N°1 LOGISTIQUE AU MAROC : FAITS ET RÉALITÉS Abdellatif Abid

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Dix ans déjà que les pre-mières réfl exions sur la logistique au Maroc ont commencé, quelques timides manifestations

tournant principalement autour de sa promotion - tout en essayant de la distin-guer du transport - ou bien de l’intérêt de l’externalisation. Ceci est expliqué par l’arrivée de prestataires logistiques, qui étaient convoités par l’une des enseignes de la grande distribution, laquelle, par son positionnement stratégique, s’était spécialisée dans les moyennes surfaces et avait donc nécessairement besoin d’espaces de stockage externes aux magasins de vente. Cette enseigne dont l’un des principaux actionnaires était une multinationale ayant une longue expérience dans les bonnes pratiques de

la grande distribution, a permis un réel transfert de connaissance de ses métiers, donnant le coup de fouet à ce secteur et par la même occasion à la logistique telle qu’on la connaît aujourd’hui au Maroc. Cette mutation a obligé les autres dis-tributeurs à repenser leurs logistiques, leurs positionnements stratégiques par rapport à une concurrence de plus en plus sérieuse, et par la même occasion, elle a sollicité des eff orts de la part des industriels et fournisseurs, notamment pour le réapprovisionnement en pro-duits de grande consommation.

Industrie et grande distribution : les précurseurs L’externalisation permet en particu-lier de maximaliser l’exploitation de l’utilisation de l’espace des magasins

en linéaire, elle fait appel à plusieurs prestataires logistiques (transport et entreposage) ainsi qu’à d’autres interve-nants. C’est ainsi qu’a eu lieu l’apparition de cabinets de conseil, de spécialistes de l’immobilier logistique, d’intégrateurs de solutions et des toutes premières formations spécialisées en logistique au Maroc.Ces premières initiatives étaient prin-cipalement issues du monde de l’in-dustrie et de la grande distribution, le gouvernement n’était apparemment pas très sensibilisé à l’importance de la logistique en tant qu’élément clé de la compétitivité économique nationale.Ce n’est qu’en mai 2006 que le rapport conjoint de la Banque Mondiale et du ministère de l’Equipement et du Trans-port, sur la logistique du commerce et

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AbdellatifAbid

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la compétitivité du Maroc, mettait en relief l’importance de la logistique en la présentant comme un défi incon-tournable dans un environnement concurrentiel. Cette étude était réduite au secteur exportateur en illustrant l’impact des problèmes logistiques sur l’économie marocaine par l’analyse de quatre chaînes d’approvisionnement parmi celles exportatrices, à savoir le textile-habillement, le secteur des composants automobiles, celui des composants électroniques ainsi que la chaîne logistique des fruits et légumes.Cette étude n’a malheureusement pas mis en envergure les multiples défi s de la logistique interne du royaume, en les limitant à une insuffi sance du transport interne ou au manque de formation. Or, les obstacles au développement d’une logistique moderne au Maroc sont très nombreux, à commencer par une géo-graphie diffi cile, une concentration de la population dans certaines régions ou encore le cloisonnement d’une région ou l’étendue d’une autre, pour arriver au manque de ressources pouvant garan-tir une mise à niveau rapide de notre logistique nationale.Le point le plus positif de cette étude était la mise en évidence du manque d’infrastructures logistiques et la fai-blesse des maillons de transport aussi bien aérien, maritime, ferroviaire que routier, ainsi que d’autres défaillances pénalisant la compétitivité du com-merce extérieur du Maroc, en particu-lier le transit routier par le détroit, les coûts portuaires et maritimes pour le trafi c conteneurs, les procédures de passage portuaire et leur facilitation ou encore l’environnement économique

et fi scal des opérations de logistique internationale. Ce fut une opportunité pour initier une réelle réfl exion autour de la logistique et lancer un certain nombre de chantiers, mais aussi une prise de conscience de l’importance des coûts logistiques - rappelons tout de même qu’à la date d’aujourd’hui, très peu d’entreprises connaissent leurs coûts logistiques.

Un contrat-programme ambitieux...Le ministère de l’Equipement s’est fait accompagner l’année suivante par un cabinet de renommée afi n de travailler avec les professionnels sur l’ensemble des défi ciences de la logistique natio-nale, pour donner naissance au fameux « contrat-programme logistique ». Ce travail de longue haleine a été présenté après trois années à Sa Majesté le roi, soit en avril 2010. Il a été signé entre le gouvernement et la CGEM afi n d’appor-ter des solutions, notamment celle, tant attendue par beaucoup d’opérateurs, relative au foncier qui reste le véritable frein au développement de la logistique, selon les professionnels du secteur.Les résultats de cette dernière étude restent néanmoins assujettis a beaucoup de questionnements, relatifs notam-ment aux fl ux et aux zones logistiques, au nombre de plateformes à aménager dans les cinq années à venir, ou encore au nombre de personnes à former à l’horizon 2015. Il en est de même aussi pour le choix des zones logistiques qui parfois peut cacher des valorisations ciblées de foncier privé.Malgré la stratégie très ambitieuse du contrat-programme, la question se pose toujours sur le sur-dimensionnement de

ces projets par rapport à une demande timide et non initiée. Nous risquons peut-être de nous retrouver avec des excédents de capacité de stockage dans quelques années ; la cartographie chan-geante des infrastructures routières, le décloisonnement de plusieurs zones rurales, le changement du comporte-ment des consommateurs, la régio-nalisation avancée vont faire bouger les barycentres logistiques ; ce qui est valable aujourd’hui ne le sera probable-ment pas demain.Certes, la logistique connaît des muta-tions permanentes. Au moment même de l’écriture de ces lignes, des alliances se sont constituées, de nouvelles implantations ou cessions ont eu lieu, de nouveaux produits sont nés, impli-quant de nouvelles chaînes ou réseaux logistiques, confi rmant le caractère éphémère des stratégies logistiques.La réussite de la stratégie nationale de développement de la compétitivité dépend aussi des autres ambitieux pro-grammes, à savoir le Pacte National pour l’Émergence Industrielle, le Plan Maroc Vert, le Plan Rawaj du Commerce Inté-rieur, le Plan Halieutis de la Pêche Mari-time et le Plan du secteur de l’Énergie. Ce qui donne l’impression de l’existence d’une vision gouvernementale globale, qui se veut stratégique et prospective.

… qui tarde à prendre formeDepuis le rapport de la Banque Mon-diale à la signature du contrat-pro-gramme, beaucoup de choses ont changé. Des secteurs objets de l’étude se sont métamorphosés aussi bien au niveau national qu’international. A ce jour, nombre de chantiers ont avancé,

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notamment dans les infrastructures routières ; malheureusement, on note une lenteur dans l’état d’avancement du contrat-programme.Très peu de plateformes existent aujourd’hui, en l’absence de la très attendue agence marocaine de déve-loppement de la logistique ou encore de l’observatoire national de la logistique. La mise en place rapide de tels outils permettra une avancée rapide dans la réalisation de ce grand projet, mais aussi d’éviter que toute forme d’opportunisme ne vienne s’accaparer le très rarissime foncier qui sera mis à disposition pour la réussite de cette stratégie nationale.Il est certainement très important de vouloir organiser notre logistique et la mettre aux standards internatio-naux, afin d’offrir aux entreprises une meilleure compétitivité à l’import et à l’export, mais encore faut-il que ces mêmes entreprises en connaissent les enjeux. Très peu d’efforts de commu-nication et de sensibilisation des entre-prises ont été déployés dans ce sens. Alors que l’offre nationale logistique est en train d’évoluer face à une demande assez timide et atténuée, la plupart des entreprises travaillent encore dans des modèles isolés et égocentriques. Pour certains, la logistique est une arme concurrentielle mais pour beaucoup d’autres, elle se limite à la construc-tion d’un port ou d’une autoroute ou à l’organisation du transport.Pour réussir dans la guerre de la com-pétitivité de la logistique au Maroc, il faudra probablement une véritable logis-tique offensive. On se pose toujours de sérieuses questions sur les moyens qui ont été mis en place pour réussir cette stratégie, or, pour beaucoup d’acteurs du secteur, le pas de la stratégie n’est pas encore franchi, car au-delà de toutes les études stratégiques qui sont venues réconforter les ambitions du pays, le seul indicateur fiable restera l’application concrète du contrat-programme.Plusieurs acteurs historiques du trans-port ou de la messagerie ont entamé des réflexions par rapport à tous ces changements, nombre de transpor-teurs internationaux présents au Maroc et opérant aussi dans la logistique au niveau international ont ainsi com-mencé à réajuster leurs offres pour les rendre plus intégrées.Certaines entreprises marocaines ont intégré leur implication dans la réus-

site du contrat-programme comme un geste de citoyenneté, repensant leur schéma directeur logistique dans ce sens, en tenant compte aussi parfois du développement durable, par une réduction considérable du nombre de camions en circulation ou encore par une simple intégration de ce critère dans leurs appels d’offres logistiques.

La survenue de la crise internationale, malgré les prétentions de l’exception marocaine, s’est fait sentir par une incer-titude accrue du business. Les grandes surfaces par exemple ont passé une année exceptionnelle en 2010 en nombre d’événements promotionnels, ce qui implique forcément la modification du comportement du consommateur, et par la même occasion, la nécessité de nouveaux schémas logistiques.L’analyse de la donne actuelle montre clairement une certaine disparité entre les ambitions et les moyens mis en place, outre la perpétuelle mutation des acteurs et des composantes des chaînes logistiques internationales.Cette logistique sensée regrouper les flux et les optimiser semble déjà subir une sérieuse concurrence de la part de petits entrepôts « champignons » qui poussent dans toutes les régions en l’absence de toute réglementation rela-tive à l’entreposage et aux plateformes logistiques ainsi que d’une véritable

délimitation des zones urbaines et logis-tiques. Ce qui rappelle étrangement le phénomène de l’informel dans le secteur du transport. Il semble que le mimétisme a atteint très rapidement le secteur de la logistique et que nous sommes déjà face à une sérieuse concurrence, dispersée et variée, qui ralentira considérablement les ambitions de la stratégie logistique nationale.Au-delà d’un programme ambitieux ralenti par l’opportunisme et le mimé-tisme - l’incertitude étant un élément intrinsèque dans les nouveaux modèles de management -, l’innovation reste un excellent remède pour mener à bien l’ensemble de ces mutations, même dans un environnement incertain. La géographie du Maroc est difficile, celle de sa logistique aussi, la compétitivité ne dépend pas que des infrastructures routières et de stockage, la donne est beaucoup plus complexe. En tout cas, la logistique n’est pas qu’internationale ou nationale, elle concerne aussi les moyens et les ressources mis à dispo-sition pour la réussir.Les enjeux de la logistique au Maroc font qu’il est plus que jamais crucial de mettre en application l’ensemble des actions en cours et de procéder à l’activation de celles en attente. Le temps étant la seule ressource irremplaçable, sa perte peut être fatale pour un projet d’une importance aussi capitale que celui-ci. Abdellatif

Associé Lean Group

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