la littérature jeunesse, victime de censure?

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Tous droits réservés © Les Publications Québec français, 2001 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 18 juin 2022 22:26 Québec français La littérature jeunesse, victime de censure? Jean-Denis Côté Littérature de jeunesse : regards croisés Numéro 120, hiver 2001 URI : https://id.erudit.org/iderudit/56007ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Les Publications Québec français ISSN 0316-2052 (imprimé) 1923-5119 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Côté, J.-D. (2001). La littérature jeunesse, victime de censure? Québec français, (120), 85–88.

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Page 1: La littérature jeunesse, victime de censure?

Tous droits réservés © Les Publications Québec français, 2001 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation desservices d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politiqued’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

Cet article est diffusé et préservé par Érudit.Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé del’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec àMontréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.https://www.erudit.org/fr/

Document généré le 18 juin 2022 22:26

Québec français

La littérature jeunesse, victime de censure?Jean-Denis Côté

Littérature de jeunesse : regards croisésNuméro 120, hiver 2001

URI : https://id.erudit.org/iderudit/56007ac

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s)Les Publications Québec français

ISSN0316-2052 (imprimé)1923-5119 (numérique)

Découvrir la revue

Citer cet articleCôté, J.-D. (2001). La littérature jeunesse, victime de censure? Québec français,(120), 85–88.

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La littérature jeunesse, victime de censure ? Jean-Denis Côté

La censure est-elle présente en littérature jeunesse ? Si oui, comment se manifeste-t-elle ? Et qu'entend-on au juste par « censure » ? Pour en savoir un peu plus sur la question, j'ai interviewé des auteurs et des éditeurs, ceux-ci étant également écrivains, pratique courante dans le milieu de la littérature jeunesse.

Illustrntion : Jérôme Bosch. Le portement de la croix (détail) vers 1505

Pour bien cerner le concept de « censure », abor­dons sa définition au sens strict ainsi que d'autres concepts qui y sont liés de près ou de loin afin d'en saisir toutes les subtilités, soit l'autocensure,

la politique éditoriale et la rectitude politique.

LA CENSURE La censure, telle que définie par le dictionnaire Le nou­veau petit Robert, est « l'examen des œuvres littéraires, des spectacles et publications, exigé par le pouvoir avant d'en autoriser la diffusion1 ». Si un tel usage n'est pas (plus) en vigueur au Québec, une certaine forme de cen­sure peut être employée à différents niveaux de pouvoirs. La première personne à avoir autorité sur le texte est, bien entendu, l'auteur lui-même.

L'AUTOCENSURE L'action d'un des romans de Jean-Michel Lienhardt, Secrets de guerre2, se déroule en 1943, en Alsace, pen­dant la Deuxième Guerre mondiale. L'auteur s'est limité à transposer la guerre à l'échelle des enfants en parlant peu de celles des adultes. Traiter de cette période de l'His­toire en littérature jeunesse est si délicat que Lienhardt, également directeur d'une école primaire, a été amené à pratiquer l'autocensure : « J'aurais désiré parler davantage de la guerre des grands, des saccages qui ont été commis. J'avais écrit des choses un peu plus crues, puis j 'ai réa­lisé que j'allais, selon moi, peut-être un peu trop loin. Je les ai donc retirées. Bien sûr, j ' y fais quelques petites al­lusions, comme le fait qu'un avion vient de passer, qu'il y a eu un bombardement. Je ne fais cependant pas état de destructions causées par des bombardements. De toute manière, là n'était pas mon propos. Par contre, je recon­nais que j'aurais pu en parler davantage et décrire les ra­vages causés par les raids aériens. Mais, à la demande de la directrice de collection, Catherine Germain, j 'ai ajouté quelques notes historiques dans l'avant-propos et l'épi­logue afin de situer cette guerre. Les jeunes d'ici ne con­naissent pas nécessairement bien ces événements ».

Stanley Péan, quant à lui, adopte une attitude tout autre, très éloignée de l'autocensure : « Lorsque La courte

échelle est venue me chercher, j 'ai écrit L'em­prise de la nuit3 qui aborde un sujet extrême­ment violent, soit une guerre de "gangs". J'avais toutes sortes de préjugés sur la litté­rature jeunesse en général et La courte échelle en particulier. Je m'étais imaginé queje leur donnerais la trouille. Et je me disais : "Voilà qui leur apprendra à venir me chercher." Ils auraient pu ne pas publier le roman ; au con­traire, la directrice littéraire était tout à fait en­thousiaste. Elle n'avait pas l'intention de le censurer. Elle m'a dit : "De toute façon, si je te demandais de retirer la violence, il ne res­terait plus rien dans ce livre-là". C'est une his­toire qui porte sur la violence et sur le traitement de celle-ci ».

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D O M I N I Q U E D E M E R S

Marie •Tempête

LA POLITIQUE EDITORIALE Parfois confondue avec la censure, la politique éditoriale est l'orientation qu'un éditeur se donne, qu'il veut suivre. Lorsqu'un auteur propose son manuscrit, il peut arriver que le texte soit refusé parce qu'il ne répond pas aux cri­tères qui définissent cette orientation, et ce, malgré les qualités indéniables que l'éditeur lui reconnaît.

Prenons l'exemple des Editions du soleil de minuit. Cette maison a comme politique éditoriale de publier des livres qui représentent, soit dans le texte, soit dans l'il­lustration, des individus issus des communautés culturel­les. Diane Groulx, l'éditrice, accepterait-elle de publier un texte ne mettant pas en scène des communautés cultu­relles même si elle le trouvait de qualité ? La réponse est sans appel : « Non, je ne le publierais pas. Je tiens à m'en tenir au mandat que s'est donné la maison d'édition. Il est important de ne pas empiéter dans les plates-bandes des autres. Je veux conserver l'orientation queje me suis don­née pour queje puisse couvrir plusieurs communautés cul­

turelles qui ne sont pas nécessairement visibles. Nous avons également le souci de traduire les livres pour les tout-petits en langue autochtone, lorsque ceux-ci s'appli­quent à la réalité concernée. Plusieurs lan­gues autochtones disparaissent, mais plusieurs sont encore présentes. Les enfants disposent de peu de textes ludiques dans leur propre langue. Nous avons le souci de leur apporter cette dimension : leur mon­trer l'importance de leur langue. Ce choix editorial me permet, je crois, d'avoir un contact privilégié avec les auteurs, de leur écrire directement des lettres plus person­nalisées. Je tente également de les orienter, de leur faire quelques suggestions pour ce qui est de leur manuscrit. Si je reçois un texte où les animaux sont davantage en ve­

dette, je suggère à l'auteur d'aller proposer son manus­crit aux éditions Michel Quintin. Je tente d'être à l'écoute des auteurs, mais en même temps, nous ne pouvons ac­cepter tout ce que nous recevons ».

Pour sa part, Denis Côté, un des plus populaires auteurs jeunesse, considère que la politique éditoriale n'a rien à voir avec la censure et qu'elle est inhérente au monde de l'édition : « Lorsqu'un éditeur dit à un auteur : "Si tu veux publier cette scène, je refuse de te publier", cela ne cons­titue pas de la censure. L'éditeur est celui qui édite, qui publie, qui investit et qui s'assure de la diffusion de l'œuvre. Le livre que l'éditeur publie devient le livre de l'auteur, évidemment, mais également le livre de l'éditeur. Il est donc tout à fait normal que celui-ci refuse de pu­blier des choses qui vont à l'encontre de sa politique édi­toriale et de ses valeurs. Nous ne sommes donc pas, ici, en présence de censure. Je peux donc affirmer queje n'ai jamais été censuré. Quant à savoir s'il est arrivé que l'édi­teur me demande de biffer des éléments qui ne correspon­daient pas à sa politique éditoriale, à ses valeurs, je répondrai oui. Il est arrivé que l'on me demande carré­ment d'enlever des mots, des phrases, des scènes, parce qu'on y retrouvait des connotations sexuelles trop expli­

cites ou parce qu'on y retrouvait des idées politiques trop nettes. Dans le cas des opinions politiques, j 'ai accepté de biffer les allusions. Concernant les termes sexuels, j 'ai demandé à l'éditeur de souligner les éléments qu'il dési­rait vraiment que je change, après lui avoir expliqué que ces connotations n'apparaissaient tout de même pas en nombre important. Après relecture, le directeur s'est rendu à mon opinion. Dans ce cas, le travail s'est limité non pas à biffer certains termes, mais bien à "adoucir" quelques-uns d'entre eux. Le plus souvent, l'éditeur discute avec moi. Ses propos vont davantage dans le sens de "je ne suis pas sûr de cela", plutôt que "je ne veux pas ceci". Alors, nous discutons, ou nous négocions, si vous préférez. Si j 'ai affaire à un bon directeur littéraire, celui-ci va proba­blement trouver de bons arguments. Je vais changer as­sez facilement d'idée quand il s'agit d'enlever un détail secondaire du récit qui n'a aucune incidence sur l'œuvre. Lorsque l'on parvient à me convaincre d'une telle chose, je me prête de bonne grâce à la modification proposée ».

Au Québec, le cas de refus le plus connu pour cause de politique éditoriale4 est sans aucun doute le deuxième tome de la trilogie Marie-Tempête de Dominique Demers, Les grands sapins ne meurent pas. Dans ce roman, l'hé­roïne, enceinte, décide, non pas de se faire avorter ou de garder l'enfant, mais de le donner en adoption. Cette ver­sion n'a pas plu à l'éditeur, La courte échelle, qui avait pourtant publié le premier tome, Un hiver de tourmente. Demers s'est donc retrouvée dans l'obligation de propo­ser son manuscrit à un autre éditeur, en l'occurrence Qué­bec/Amérique, pour voir le deuxième tome publié. Les trois romans5 sont maintenant réunis sous un même titre, Marie-Tempête'', dans une édition destinée aux adultes, tout en apparaissant dans une collection pour adolescents, « Titan Jeunesse » des éditions Québec/Amérique.

L'édition d'un livre est une entente entre un auteur et un éditeur. Si les conditions présentées ne conviennent pas à l'une ou l'autre partie, elle peut soit décider de retirer son manuscrit, soit ne pas publier. L'éditeur détient tou­tefois un pouvoir plus significatif, car c'est lui qui déci­dera, en dernier lieu, si le texte sera publié ou non. Même si l'auteur écrit le texte, c'est l'éditeur qui a le dernier mot.

LA RECTITUDE POLITIQUE Quand on écrit pour les jeunes, il est de bon ton de ne pas trop s'éloigner de la rectitude politique, de ne pas trop dévier d'une certaine droiture de jugement, conforme aux attentes, non pas des jeunes lecteurs, mais des adultes qui en ont la charge : parents et enseignants. Comment cela se manifeste-t-il concrètement ? Certains auteurs vous le diront franchement, d'autres vous le confieront sous le couvert de l'anonymat, un thème, sans être tabou, est plus difficile à traiter en littérature jeunesse : la sexualité. Jean-Michel Schembré, auteur du livre Les citadelles du ver­tige1, a accepté, sur les conseils de son éditeur, de remplacer le mot « sexe » par le mot « corps », de crainte de voir son roman banni des écoles : « Mon livre, destiné aux adolescents, raconte une histoire se déroulant au Moyen Âge, où la violence était un phénomène de tous les jours. J'ai essayé de faire en sorte qu'il n'y en ait pas trop. Évidemment, lorsque la ville de Béziers est mise à

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sac, i l y a des jambes qui sont cou­pées, des têtes cassées. Il était très difficile de faire autrement, car je ra­conte une guerre sanglante. A l'épo­que, on ne se tirait pas des projectiles à distance à l'aide de fusils. Je ra­conte aussi une belle histoire

d'amour. Amoureux l'un de l'autre, Guillaume et Jeanne vont faire l'amour. Jeanne aide Guillaume à se laver dans le bain. A un moment donné, elle aperçoit le sexe du garçon. Son œil est attiré, car elle n'en a pas vu plusieurs dans sa vie. Elle le dit et cela l'émeut. Lors de la lecture du manuscrit, la directrice de collection m'a demandé d'en­lever le mot "sexe" si je vou­lais que mon livre se retrouve dans les bibliothèques des écoles. Pourtant, dans mon

récit, des bébés sont lancés sur les murs et leurs cervelles se retrouvent dans les rues. Cela n'a pas semblé poser pro­blème, alors qu'il en était tout autrement du mot "sexe". J'ai trouvé cela étonnant ». C'est donc par crainte des réac­tions du milieu scolaire que Schembré a été amené à mo­difier son texte.

Stanley Péan a subi les foudres du milieu scolaire pour deux de ses livres, un en Alberta, l'autre au Québec : « À Calgary, j 'ai subi une forme de censure. J'ai appris que l'un de mes deux premiers romans jeunesse avait été re­tiré de la bibliothèque d'une école. C'était La mémoire ensanglantée ". On a évoqué des raisons religieuses. J'ai été très surpris. Je croyais que celui qui poserait le plus de problèmes serait L'emprise de la nuit, à cause de la vio­lence. En ce qui concerne La mémoire ensanglantée, j'avoue ne pas avoir compris ce que l'on voulait dire par raisons religieuses. J'ai su par la suite qu'il s'agissait en fait d'une scène au chapitre dix, où il est question d'un bain de minuit. Des jeunes s'adonnent à des caresses. C'est curieux, puisque dans l'autre livre, L'emprise de la nuit, l'un des personnages a déjà eu des relations sexuelles. Mais on ne les voit pas : tout cela est évoqué au passé et présenté comme faisant partie du passé du personnage. Dans La mémoire ensanglantée, la scène est décrite. C'est cela qui a choqué. Je trouve cette réaction un peu ridicule, puisque les adolescents savent quand même comment cela se passe. À Sainte-Thérèse, un enseignant d'une école pri­maire a tenté d'alerter les médias à mon sujet. L'appel des loups* était, selon le monsieur, une œuvre malsaine et peu recommandable qui faisait la promotion des sectes et du suicide collectif. Indigné par la teneur du propos du ro­man, le professeur a écrit une longue lettre à mon éditeur Bertrand Gauthier. Il lui ordonnait presque de retirer du marché ce roman dangereux et irresponsable qu'il avait fait l'erreur de donner à lire à des pauvres enfants si faci­les à traumatiser. Des copies conformes de cette longue lettre enflammée ont circulé auprès du ministère de l'Édu­

cation, des médias électroniques et imprimés, etc. L'his­toire a même fait les manchettes du bulletin d'informa­tion de 22 heures, coincée en sandwich entre les dernières nouvelles d'Algérie et celles de Bosnie, au chapitre des catastrophes mondiales, quoi ! Dans le reportage, on n'a jamais mentionné que l'enseignant avait fait lire à ses élè­ves un livre qui de prime abord ne s'adressait pas à eux [la collection Roman + s'adresse aux adolescents] et que, surtout, il ne l'avait pas lui-même lu au préalable. Qui était le plus irresponsable ? Difficile d'évaluer les conséquen­ces de ce reportage sur la vie du roman, qui a néanmoins remporté le Prix littéraire du CRSBP [Centre régional de services aux bibliothèques publiques] du Saguenay-Lac Saint-Jean en 1998. Enfin, il est toujours amusant de cons­tater à quel point les médias, toujours à l'affût de scanda­les, n'hésitent pas à monter aux barricades dès qu'il s'agit de littérature jeunesse et qu'ils entendent quel­qu'un crier au loup ! ».

Les plaintes ne viennent pas uniquement du mi­lieu scolaire. Claude Bolduc, coéditeur aux édi­tions Vents d'Ouest et écrivain, explique : « Aussi incroyable que cela puisse paraître, nous avons déjà reçu des plaintes au sujet de La liberté des loups'0, écrit par Richard Blaimert. Sans qu'on nous l'ait dit ouvertement, il semble que l'emploi du mot "lesbienne" ait fait bondir certains esprits bien-pensants. Ces plaintes venaient de gens qui ont acheté le livre et qui ont fait part de leur indi­gnation soit auprès d'un libraire, soit auprès d'une école. Dans ce cas-ci, il ne s'agit probablement que de personnes dont la mentalité est encore celle des "années 50" et n'ayant pas encore pris conscience que la communauté gaie fait partie de notre société au même titre qu'elles-mêmes. Comme si l'orien­tation sexuelle des gens était quelque chose de sale qu'il fallait à tout prix cacher aux jeunes. Ceci dit, les lesbiennes en question n'y faisaient rien de re­prehensible : elles étaient simplement là. Heureu­sement, La liberté des loups est un roman dont les qualités exceptionnelles ont été reconnues, entre autres par le jury du Prix Cécile-Gagnon en 1998 ! Il est donc très facile à défendre ».

Un autre livre publié aux éditions Vents d'Ouest a posé problème aux divers intervenants du milieu et cette fois, ce ne sont pas les thèmes abordés qui sont en cause. Claude Bolduc précise : « Le recueil de nouvelles La maison douleur et autres histoires de peur" n'a guère circulé dans les écoles en raison de son illustration de couverture [On y voit notamment un bébé au crâne ensan­glanté]. Il y a aussi eu un cas où un libraire a re­tourné les exemplaires du livre chez le diffuseur. Sous le couvert de l'anonymat, un membre du jury d'un prix littéraire m'a confié, voici quelques an­nées, que cette illustration avait empêché le livre de figurer parmi les finalistes. Pourtant, si on prend le temps de lire ce collectif, on se rend compte que la couverture illustre une nouvelle qui condamne les horreurs de la guerre. Ensuite, on se rend compte qu'il s'agit d'un collectif tout simplement

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La mémoire ensanglantée

L'appel des loups

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L'emprise de la nuit

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remarquable quant à son contenu, et qu'on y trouve des auteurs qui sont parmi les plus grands spécialistes en ma­tière de littérature fantastique (ou de science-fiction) ». La « censure » aura eu son effet, car les éditions Vents d'Ouest vont apporter des modifications : « Je vous donne une primeur : il faudra bientôt réimprimer La maison dou­leur, et la couverture sera modifiée ».

La rectitude politique n'empêche pas certains éditeurs de faire preuve d'audace. Robert Soulières, édi­teur et auteur, présente quelques exemples, tout en y allant de sa touche d'humour habituelle : « Sachez que notre maison d'édition [Soulières éditeur] a voulu censurer, puis a finalement re­fusé un roman de Daniel Pennac, qui s'est re­trouvé chez Gallimard, un petit éditeur français [rires]. Sérieusement, nous essayons de faire le meilleur livre possible, qui va plaire, du moins nous le souhaitons, au plus large public possi­ble. Cependant, L'ogre de barbarie'2 de Daniel Mativat est très irrévérencieux. C'est une reprise de contes très anciens, comme "Le petit chape­ron rouge" et "La petite fille aux allumettes". Nous y retrouvons plusieurs gags sexuels et ma­chos. Nous avons laissé 95 % de ceux qui se

trouvaient dans le manuscrit. Par contre, je ne permets pas qu'il y ait des sacres dans un livre, à moins que cela soit en accord avec le personnage. S'il s'agit d'un "bum", il ne peut pas parler comme un curé. Je ne crois pas qu'il y ait de la censure au Québec. Pour moi, c'est un grand mot. Je n'en vois pas. La société est très ouverte. Il y a des li­vres comme Requiem gain , de Vincent Lauzon, publié chez Tisseyre, qui parle d'homosexualité, par exemple ».

Se montrer trop audacieux peut avoir un effet négatif sur les ventes du livre, d'où une tendance à se montrer conservateur. Le marché des écoles (et celui des biblio­thèques municipales) étant très importants pour la littéra-

Notes

1. Définition tirée du dictionnaire Le nouveau petit Robert, édition de 1993.

2. Jean-Michel Lienhardt, Secrets de guerre. Montréal, éditions Hurtubise HMH CAtout). 1997, 190 p.

3. Stanley Péan, L'empnse de la nuit. Montréal, La courte échelle (Roman +), 1993, 155 p.

4. Lire l'article de Marie-France Léger, • Dominique Demers passe chez Québec/Amérique. Son héroïne ne plaisait pas à la Courte échelle...-, La Presse. 28 février 1993, p. B5.

5. Le troisième titre de la trilogie est Ils dansent dans la tempête.

6. Dominique Demers, Mane-Tempête. Montréal, éditions Québec/Amérique, 1997. 317 p.

7. Jean-Michel Schembré, Les citadelles du vertige. Saint-Laurent, éditions Pierre Tisseyre (Conquêtes) 1998, 179 p.

8. Stanley Péan, La mémoire ensanglantée, Montréal, La courte échelle (Roman +), 1994. 158 p.

9. Stanley Péan, L'appel des loups. Montréal, La courte échelle (Roman +), 1997, 157 p.

10. Richard Blaimert, La liberté des loups. Hull, Vents d'Ouest (Ado), 1998, 142 p.

11. Claude Bolduc et a i . La maison douleur et autres histoires de peur. Hull. Vents d'Ouest (Ado), 1996, 167 p

12. Daniel Mativat, L ogre de barbane. Soulières éditeur (Graffiti), 1998, 162 p.

13. Vincent Lauzon, Requiem gai. Saint-Laurent, éditions Pierre Tisseyre (Faubourg St-Rock), 1998, 183 p.

14. Bertrand Gauthier, Ani Croche. Montréal, La courte échelle (Roman Jeunesse), 1985, 87 p.

15. Bertrand Gauthier, La course à l'amour, Montréal, La courte échelle (Roman +), 1989, 152 p.

ture jeunesse, les auteurs et les éditeurs ne peuvent pas vraiment en faire abstraction. Cette raison suffit pour com­prendre que l'influence que l'école a sur le milieu est là pour demeurer.

À la lumière des propos des personnes interviewées, on comprend bien que, dans le milieu de la littérature jeu­nesse, les leviers du pouvoir sont détenus par l'école. C'est donc elle qui, en fonction d'une morale marquée par les valeurs judéo-chrétiennes, est en mesure d'exercer une certaine forme de censure. La violence et surtout la sexua­lité sont les thèmes les plus susceptibles de choquer les intervenants en éducation, dont les parents. On se souvien­dra, il y a quelques années, que deux romans de Bertrand Gauthier, Ani Croche'4 et La course à l'amour'*, avaient soulevé la colère du comité des parents de la Commission des écoles catholiques de Montréal. Dans le premier ro­man, destiné aux lecteurs âgés de neuf ans et plus, Ani se montre fort irrespectueuse de l'autorité et invente une chanson parodiant les dix commandements. Dans La course à l'amour, destiné aux lecteurs âgés de douze ans et plus, le personnage principal, un adolescent, amoureux, révèle ses fantasmes sexuels. Le fait que certains parents aient demandé qu'on retire ces livres des bibliothèques des écoles a conduit à une forte médiatisation de la situation. Les deux romans, profitant d'une large couverture média­tique, ont connu des ventes im­pressionnantes. Chaque titre s'est vendu à quelques dizaines de milliers d'exemplaires. Comme quoi la censure n'a pas toujours les effets escomptés !

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