la lettre du cagi n°21, juin-juillet-aout 2014

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n guise d’éditorial et en hommage à cet immense caribéen qui vient de nous quitter, je vous invite par ces temps de turbulences à partager ces propos qu’il a récemment prononcés en présence de plusieurs d’entre nous de l’université des Antilles et de la Guyane. (…) Garvey était par-dessus tout un panafricaniste dans l’audace de sa vision et la ténacité de son organisation, le premier de cette tradition exceptionnelle de personnalités qui ont leurs racines politiques dans cet archipel. C’est là un sujet qui appelle sans doute réflexion. Le fait que beaucoup des penseurs politiques les plus influents de ces îles n’ont jamais pu rester confinés à l’espace insulaire, et ont embrassé des projets beaucoup plus vastes. Après Garvey nous avons eu CLR James, George Padmore, Walter Rodney et Bob Marley. De la Caraïbe francophone nous avons Aimé Césaire et Frantz Fanon. Nous pensons également à Michael Manley et à son combat pour un Nouvel Ordre International, à José Marti et à sa définition selon laquelle la Patrie c’est l’ensemble de l’Humanité. Nous pensons au Che et à Fidel, qui ont fait de la solidarité internationale la roche mère du projet cubain. C’est ce sentiment que nos sociétés et notre présence dans ces parties du monde étaient le produit de forces économiques globales et qu’il avait mission de prendre part à la construction d’un avenir mondial, qui je crois, fait dire au jeune Walter Rodney, tout juste élève de terminale à Georgetown, à ses camarades “Les Antillais vivent d’avantage dans le temps que dans l’espace.” Extrait de la conférence inaugurale “Construire la Grande Caraïbe” prononcée par Norman Girvan le 7 Octobre 2013 à l’occasion de la Conférence annuelle sur l’intégration régionale organisée par UWI sur le thème : “Repenser le régionalisme : Au-delà du projet d’intégration du CARICOM”.. Hommage à Norman Girvan F. Reno , Professeur, directeur du CAGI Directeur de publication Corinne MENCE-CASTER Rédacteur en chef Fred RÉNO Secrétaire de rédaction Adrien SORIN Contact Rond Point Miquel - 0 590 83 48 47 - Edito : Hommage à Norman Girvan 2 - ACTU - L’acte III de la décentralisa- tion : la poursuite d’une ré- forme entamée - Repenser le régionalisme, au delà du projet d’intégration de la CARICOM 4 - HUMEURS ET ACTUS - Larry Frébo : N’allons pas trop vite, car nous sommes pressés - Ouvrage : Terri-Ann Gilbert- Roberts - Syrie : un conflit importé au coeur d’une guerre d’intérêt 7 - L’ESPACE - Hommage à Éric Nabajoth 8 - PAGE CARAÏBE - Paupérisation, dépérisse- ment du lien social et aug- mentation de la violence - Revue de presse - L’adhésion de la Guadeloupe et de la Martinique à l’AEC 10 - LE MOIS DU CAGI - Groupe de réflexion au CAGI - L’étudiant : Nimal Eames- Scott SOMMAIRE E Numéro21 Juin-Juillet-Aout 2014 LE TEMPS DES RÉFORMES…

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Page 1: La Lettre du CAGI n°21, Juin-Juillet-Aout 2014

n guise d’éditorial et en hommage à cet immense caribéen qui vient de

nous quitter, je vous invite par ces temps de turbulences à partager ces propos qu’il a récemment prononcés en présence de plusieurs d’entre nous de l’université des Antilles et de la Guyane.

(…) Garvey était par-dessus tout un panafricaniste dans l’audace de sa vision et la ténacité de son organisation, le premier de cette tradition exceptionnelle de personnalités qui ont leurs racines politiques dans cet archipel. C’est là un sujet qui appelle sans doute réflexion. Le fait que beaucoup des penseurs politiques les plus influents de ces îles n’ont jamais pu rester confinés à l’espace insulaire, et ont embrassé des projets beaucoup plus vastes.

Après Garvey nous avons eu CLR James, George Padmore, Walter Rodney et Bob Marley. De la Caraïbe francophone nous avons Aimé Césaire et Frantz Fanon. Nous pensons également à Michael Manley et à son combat pour un Nouvel Ordre International, à José Marti et à sa définition selon laquelle la Patrie c’est l’ensemble de l’Humanité. Nous pensons au Che et à Fidel, qui ont fait de la solidarité internationale la roche mère du projet cubain.

C’est ce sentiment que nos sociétés et notre présence dans ces parties du monde étaient le produit de forces économiques globales et qu’il avait mission de prendre part à la construction d’un avenir mondial, qui je crois, fait dire au jeune Walter Rodney, tout juste élève de terminale à Georgetown, à ses camarades “Les Antillais vivent d’avantage dans le temps que dans l’espace.”

Extrait de la conférence inaugurale “Construire la Grande Caraïbe” prononcée par Norman Girvan le 7 Octobre 2013 à l’occasion de la Conférence annuelle sur l’intégration régionale organisée par UWI sur le thème : “Repenser le régionalisme :Au-delà du projet d’intégration du CARICOM”..

Hommage à Norman GirvanF. Reno, Professeur, directeur du CAGI

Directeur de publicationCorinne MENCE-CASTER

Rédacteur en chefFred RÉNO

Secrétaire de rédactionAdrien SORIN

ContactRond Point Miquel - 0 590 83 48 47

- Edito : Hommage à Norman Girvan

2 - ACTU - L’acte III de la décentralisa-tion : la poursuite d’une ré-forme entamée- Repenser le régionalisme, au delà du projet d’intégration de la CARICOM

4 - HUMEURS ET ACTUS- Larry Frébo : N’allons pas trop vite, car nous sommes pressés- Ouvrage : Terri-Ann Gilbert-Roberts- Syrie : un conflit importé au coeur d’une guerre d’intérêt

7 - L’ESPACE- Hommage à Éric Nabajoth

8 - PAGE CARAÏBE- Paupérisation, dépérisse-ment du lien social et aug-mentation de la violence- Revue de presse- L’adhésion de la Guadeloupe et de la Martinique à l’AEC

10 - LE MOIS DU CAGI- Groupe de réflexion au CAGI- L’étudiant : Nimal Eames-Scott

SOMMAIRE

E

Numéro21Juin-Juillet-Aout 2014

LE TEMPS DESRÉFORMES…

Page 2: La Lettre du CAGI n°21, Juin-Juillet-Aout 2014

ACTUL’Acte III de la décentralisation : la poursuite d’une réforme entamée

C. Mamillone, Doctorante en Droit

e 1er janvier 2014 a marqué un pas décisif

sur le plan territorial en France : toutes les collectivités territoriales ont en effet intégré une structure intercommunale.

La démarche se poursuit avec plus de densité depuis

l’arrivée de François Hollande

Cette démarche, initiée avec la loi n°2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales (RCT) 1, se poursuit avec d’autant plus de densité depuis l’arrivée de François HOLLANDE à la présidence de la République.

La Ministre de la Réforme de l’Etat, de la Décentralisation et de la Fonction Publique, Marylise LEBRANCHU, aeffectivement initié le 10 avril 2013 la procédure d’adoption de l’Acte III de la Décentralisation enprésentant le premier

texte du Projet de loi de Décentralisation intitulé “Projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles” (ou MAPAM)2 au Conseil des Ministres. Le second texte est consacré aux régions tandis que le troisième traite des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).

Cette division en trois parties du Projet de loi de Décentralisation résultait de la volonté du Gouvernement de le voir adopter lors de son examen par le Parlement. Cette stratégie a porté ses fruits car celui-ci a été adopté le 22 juillet 2013 par les députés en première lecture et définitivement le 20 décembre 20133.

Néanmoins, on peut déplorer le fait que, dans ce processus, la consultation des principaux concernés, autrement dit les administrés, ne soit

pas du tout réalisée. Moins flagrantes en Guadeloupe, les manifestations des citoyens sont souvent visibles dans l’Hexagone car ceux-ci craignent que leur identité soit rattachée non plus à leur commune, à leur département ou leur région, mais à un EPCI, institution encore mal connue par eux.

On aperçoit de plus en plus de si-

militudes entre les EPCI et les collec-

tivités territoriales

D’ailleurs, sur ce point, la notion juridique d’EPCI est en pleine évolution. On aperçoit de plus en plus des similitudes entre cette structure et les collectivités territoriales et ce, davantage depuis le projet de loi MAPAM qui envisage la création à Lyon d’une métropole qui aurait le statut de “collectivité à statut particulier” à partir du 1er janvier 2015 et qui a été soutenue par le Conseil

Constitutionnel le 23 janvier 20144.

De surcroît, la réforme de la décentralisation enclenchée n’enchante pas toujours certaines collectivités telles que le département ou la commune, qui craignent que le transfert de leurs compétences aux EPCI ne vide de sens leur subsistance. À quoi servirait en effet l’existence d’une collectivité territoriale dépourvue de la majeure partie de ses compétences ?

A ce propos, l’intercommunalité est devenue un des enjeux majeurs des élections municipales avec l’élection sur les listes non plus uniquement du maire et de ses conseillers municipaux, mais également de conseillers communautaires5 appelés à siéger dans l’assemblée délibérante de l’EPCI à laquelle leur commune est rattachée.

“2014” semble donc être une année riche en interrogations et en perspectives s’agissant de laC o o p é r a t i o n Intercommunale et pluslargement de la Décentralisation..

L

Notes1 http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000023239624&categorieLien=id 2 www.action-publique.gouv.fr/files/PJL_1.pdf 3 http://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPreparation.do?idDocument=JORFDOLE000027295212&type=general 4 http://rhone-alpes.france3.f r / 2 0 1 4 / 0 1 / 2 3 / l a - l o i - s u r -l a - m e t r o p o l e - l y o n n a i s e -v a l i d e e - p a r - l e - c o n s e i l -constitutionnel-401441.html 5 http://www.vie-publique.f r / f o c u s / m u n i c i p a l e s - 20 1 4 -premiere-election-conseillers-communautaires.html

Page 3: La Lettre du CAGI n°21, Juin-Juillet-Aout 2014

Du 7 au 9 novembre 2013 une délégation

(Fred Reno, Bernard PHIPPS, julien MERION et Alexandra PETIT) du CAGI s’est rendue à la conférence annuelle de l’institut de recherche SALISES (Sir Artur Lewis Institut of Social and Economic Studies) de l’Université des West Indies, sur le campus de Mona en Jamaïque.

La conférence dont le thème central était “Repenser le régionalisme, au delà du projet d’intégration de la CARICOM” avait pour principal objectif de tirer un bilan des quarante ans de cette institution afin de relancer et de repenser son modèle d’intégration dans une dynamique prospective.

Tirer un bilan pour relancer et

repenser le modèle d’intégration du

CARICOM

Notre présence et celle de la Martinique, vivement saluées, étaient doublement légitimées. D’une part en écho aux demandes d’adhésion de la Guadeloupe et de la Martinique à la CARICOM et à l’OECS et d’autre part, suite à l’adoption du français comme deuxième langue officielle de la CARICOM. Les débats autour de l’adhésion des collectivités françaises ont permis d’identifier les enjeux de notre présence au sein de ces organisations.

Mais de cette conférence, nous retiendrons surtoutl’intervention de l’ambassadeur Irwin Larocque, Secrétaire Général de la CARICOM qui a présenté un discours stimulant sur le futur de

la CARICOM soulignant le bilan des acquis de ces quarante dernières années et signalant les défis à relever pour les années à venir. Si l’adhésion des territoires français n’a pas été directement abordée, Irwin Larocque a rappelé que l’élargissement de la CARICOM était une des problématiques actuelles. Il a appelé à repenser les critères d’adhésion au statut de membre ou de membre associé. C’est une question qui nous concerne notamment dans la dynamique de dialogue en cours sur les contours de notre adhésion à cette organisation.

Dans son discours, l’ambassadeur a véritablement plaidé pour la consolidation des piliers de départ de la CARICOM et des fondements du Traité de Chaguaramas de 1973. Un retour aux sources qui devrait permettre de réengager à la foi l’intégration et

l’élargissement de la communauté.

La démarche se poursuit avec plus de densité depuis

l’arrivée de François Hollande

Nos collectivités semblent avoir réussi à mettre en œuvre des stratégies d’insertion régionale qui les rendent attractives. Mais gardons à l’esprit que nous intégrons un espace qui se construit depuis 40 années, à l’histoire et aux logiques propres.Néanmoins la participation des institutions universitaires mais également politiques et économiques à ces réflexions doit être pérennisée. Elle nous permet de manifester une implication effective et un engagement à tous les échelons de la réflexion sur la construction régionale..

Repenser le régionalisme, au delà du projet d’intégration de la CARICOMSALISES, Mona UWI 7-9 octobre 2013

A. Petit, Doctorante en Science politique

L

Page 4: La Lettre du CAGI n°21, Juin-Juillet-Aout 2014

…) Il est facile deprendre sur ses

épaules une charge légère et de la porter d’un pas ferme dans tel ou tel quartier, mais celle qu’on nous refile et sous laquelle nous ployons, nous la laissons vite tomber. Même si nous restons sous sa charge, nous vacillons, car nous ne sommes pas à la hauteur.

La même règle vaut dans les affaires publiques et privées : les projets simples, maniables, te suivent ; les entreprises gigantesques, au dessus de tes forces, ne se laissent pas facilement saisir ; si tu les saisis, elles t’écrasent, elles t’emportent et, quand tu crois les tenir enfin, elles s’écroulent — et

toi avec. Celui qui ne va pas au plus facile, mais veut que ce à quoi il s’attaque soit facile, échoue la plupart du temps. Chaque fois que tu fais un projet, prends ta mesure en même temps que la sienne ! Ce que tu prépares et ce qui t’y prépare. Car le regret de n’avoir pas abouti te durcira. La différence entre les tempéraments bouillants et les caractères froids et petits, c’est que l’échec tire la colère du sang généreux, tandis que, chez l’apathique, elle provoque le chagrin. Ne soyons donc ni frileux ni téméraires, n’agissons pas sans avoir la compétence requise. Que nos espoirs restent à notre portée ! Ne tentons rien que nous serions le premier surpris d’avoir réussi…

Par ces temps tourmentés, il est bon d’écouter la voix (voie) de L’Homme Apaisé de Sénèque. Sénèque, l’homme ki a pézé lè pours et les comptes….

HUMEURS & ACTUSN’allons pas trop vite, car nous sommes pressés

Larry Frébo

(

embre de l’institut SALISES (Sir Arthur

Lewis Institute of Social Economic Studies), où elle préside la commission pour la jeunesse, Terri-Ann Gilbert-Roberts participe activement aux travaux de la commission sur l’intégration régionale. Ses recherches portent actuellement sur

les concepts fondateurs de la souveraineté notamment dans la CARICOM et à travers la vision des leaders politiques caribéens. C’est l’objet de son dernier ouvrage, Politics of Integration, Caribbean Sovereignty Revisited, paru en 2013 aux éditions Ian Randle Publisher.

La question de la souveraineté,

comme l’essence de la régionalisation

Dans cet ouvrage, l’auteure revient sur les fondations et les fondamentaux de l’intégration régionale dans la Caraïbe depuis les prémices de la Fédération des West Indies jusqu’aux instituions de la CARICOM et de l’OECO d’aujourd’hui. Elle pose la question de la souveraineté,

comme l’essence de la régionalisation mais également comme une fin. Le rapport à la souveraineté y est posé comme une clef pour comprendre la longue marche de l’intégration Caraïbe depuis 1958 à nos jours. Un rapport complexe qui s’explique par l’originalité du modèle caribéen face auxautres processus de construction régionale.

[suite >]

Politics of Integration, Caribbean Sovereignty RevisitedTerri-Ann Gilbert-RobertsIan Randle Publisher, 2013

A. Petit

M

Page 5: La Lettre du CAGI n°21, Juin-Juillet-Aout 2014

i la couverture médiatique du conflit

syrien est très abondante en occident, elle n’est pas, sans surprise, le reflet objectif et transparent de la réalité qui frappe ce territoire depuis maintenant 3 ans. Le sensationnel prenant le dessus sur l’analyse pertinente du jeu international et des réels intérêts et enjeux de la crise.

Les conditions d’internationalisation et l’ampleur des soutiens étrangers expliquent, en majeure partie, l’issue plus qu’incertaine du conflit. Le régime de Bachar El Assad est très protégé, notamment par ses alliés internationaux, la Chine et la Russie, qui utilisent le conflit pour se repositionner ou renforcer leur position sur la scène internationale.

Mais aussi par son principal allié régional, l’Iran, qui s’oppose logiquement à son traditionnel ennemi, les États-Unis.

Si le régime syrien est à bien des égards fort critiquable, l’importante campagne de diplomatie et de propagande mise en place dans le but de discréditer le gouvernement [suite >]

Syrie : un conflit importé au cœur d’une guerre d’intérêts. S. Semache, Doctorante en Science Politique

S

Envisagée après que les Etats aient atteint et vécus leur souveraineté, la régionalisation dans la Caraïbe est penséecomme le moyen d’atteindre la souverai-neté nationale. Cette ambivalence rend alors difficile l’exploitation du concept de “sovereignty bargain” et la mise en œuvre du “paradoxe de la souveraineté” caractéri-stique du processus de régionalisation.

Terri-Ann Gilberts-Roberts offre une revue du processus d’institutionnalisation de l’intégration régionale et des leaders associés à travers leurs rapports à la souveraineté. Le processus de construction d’une gouvernance régionale et de ses instituions va refléter l’influence des logiques histo-riques, socio-culturelles et politiques sur la manière dont les leaders envisagent celle ci. Les concepts d’autorité, de contrôle, de légitimité et

d’autonomie sont soumis à ce rapport complexe qui produira des schémas de gouvernance variés. L’exploitation du “paradoxe de la souveraineté” dans le contexte caribéen est encore aujourd’hui une problématique à l’œuvre.

Une refonte des principes de la

régionalisation au regard de la spé-

cificité caribéenne

Alors que la fin de la CARICOM est prédite pour 2017, Terri-Ann Gilbert-Roberts offre dans cet ouvrage toutes les raisons de penser que l’avenir de l’intégration régionale de la Caraïbe passe par une refonte des principes fondamentaux de la régionalisation au regard de la spécificité caribéenne...

Page 6: La Lettre du CAGI n°21, Juin-Juillet-Aout 2014

à Damas vise à légitimer son éventuel renversement aux yeux de la communauté internationale.

Le conflit s’inscrit dans une stratégie

pensée de déstabilisation de

la zone

En effet, le conflit syrien s’inscrit dans une stratégie pensée, avant le 11 septembre 2001, de déstabilisation de la zone dans le but d’assouvir les intérêts multiples qui en découlent : - L’OTAN en détruisant le principal allié de l’Iran dans la région et en favorisant la construction d’oléoducs permettant l’acheminement de pétrole entre le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord et l’Europe ;- Le binôme États-unis-Israël en renforçant son hégémonie dans la zone, par l’isolement de l’Iran ennemi direct d’Israël- et par l’élimination d’un régime proche de la Chine et de la Russie, deux puissances émergentes concurrentes directes de la puissance étasunienne ;

- Les monarchies du Golfe en remplaçant une république laïque, protégeant l’ensemble de ses communautés confessionnelles, par une dictature théocratique fondamentaliste proche des mouvances religieuses saoudiennes ;- Israël pour qui une Syrie divisée permettra d’assurer un peu plus encore son hégémonie régionale.

Les forces anti-syriennes, si elles défendent des intérêts contradictoires, se rejoignent sur un point clé :le renversement du régime de Bachar El Assad.

Enfin, si les zones de conflits se situent majoritairement dans le nord du pays, ce n’est pas anodin, mais bien parce que ces zones sont pétrolières et gazières et que

leur contrôle permettrait une main-mise sur des contrats avec les grands pétroliers.

Le départ de Bachar Al-Assad

risquerait d’entrainer un

chaos politique

L’accession à un régime plus démocratique, présentée par les médias comme étant

le point central des tensions actuelles en Syrie, est une représentation largement simplifiée de la complexité du conflit, ne permettant donc pas l’analyse pertinente et pondérée des événements politiques syrien.

Cependant, au delà des divergences de p o s i t i o n n e m e n t s idéologiques, une chose

est sûre et partagée par de nombreux observateurs: le départ de Bachar El Assad risquerait d’entraîner une période de chaos politique et économique. Il pourrait notamment s’accompagner de politiques d’épuration menée par les milices armées contre les minorités ethniques, confessionnelles ainsi que les défenseurs de la laïcité.

N’oublions pas qu’à contrario de ce que transmettent les médias de masse, l’insurrection et plus précisément ‘’l’Armée Syrienne Libre’’ n’est pas majoritairement formée par des combattants de la liberté et de la démocratie mais par des fondamentalistes défendant une Syrie non-laïque, et donc contre une Syrie multiconfessionnelle

qui a pourtant toujours existé pacifiquement. Ne nous méprenons pas !Le conflit syrien est bien loin d’être un conflit interne de déstabilisation du pouvoir pour l’accession à plus de démocratie, mais bien un conflit politique où les intérêts géostratégiques et principalement les enjeux économiques et religieux prennent toute leur ampleur.

Il est nécessaire de rester vigilant pour ne pas voir

s’implanter un régime théocra-

tique

Si l’ouverture des négociations peut permettre à long terme de voir émerger une sortie de crise, il est nécessaire de rester vigilant, pour ne pas voir s’implanter un régime théocratique dirigé par des fondamentalistes qui utilisent le séculaire à des fins de pouvoir politique et économique..

Page 7: La Lettre du CAGI n°21, Juin-Juillet-Aout 2014

ESPACE

e samedi 25 janvier 2014, le CAGI rendait

hommage à Eric Nabajoth, celui-ci ayant fait valoir ses droits à la retraite.

C’est l’ensemble de la communauté universitaire mais aussi carnavalesque et politique qui s’est donné rendez vous pour saluer l’artiste et l’universitaire. Ponctuée de témoignages souvent émouvants mais également d’interventions sur les thèmes de recherche cher à Naba, la manifestation a permis d’avoir un condensé

de sa personnalité et desthèmes qui ont nourri ses enseignements.

Parmi ces interventions, citons celle de Pierre Yves Chicot qui, après avoir salué l’opportunité qu’ Eric Nabajoth lui a offert en impulsant sa carrière, est intervenu sur la place de Cuba dans la communauté internationale. Celle de Sainte-Croix Rauzduel sur les paradis fiscaux et l’argent sale dans la Caraïbe, celle de Jessica Byron sur la politique étrangère de la Caraïbe anglophone et enfin l’intervention de Paul Latortue, invité surprise et ami d’enfance d’Eric Nabajoth. Haitien vivant et enseignant à Puerto Rico, Paul Latortue a retenu l’attention de l’assemblée en proposant une analyse de la crise haïtienne à travers la décision de la cour constitutionnelle de la République Dominicaine envers les dominicains d’ascendance haïtienne.

Mais cet hommage s’est déroulé avant tout, sous le signe de l’émotion. Tout d’abord avec le témoignage de Lydia Barfleur, qui a salué un professeur “soucieux de ses étudiants”, qui sait “allier rigueur pédagogique et compréhension humaine” Ensuite avec celui de Fred Deshayes, “une grande tendresse nous lie” confiera t-il. Il a salué “le gout de l’irrévérence” qu’ils ont en commun ainsi qu’une complicité de musiciens.

Monsieur Nabajoth, Eric, Naba, de quel

arbre êtes-vous donc ?

La musique était présente ce samedi matin avec l’intervention de Rudy Benjamin qui a précédé l’arrivée surprise du Groupe VIM qui, le temps d’un morceau, a fait danser les murs de l’amphithéâtre Lepointe. Il n’en fallait pas plus pour que Naba l’artiste

apparaisse et se joigne aux musiciens, aux cotés de Louis Collomb, témoin de son engagement dans le monde carnavalesque.Il faut aussi signaler la visite surprise d’un grand musicien de gwo ka, le trompettiste Kafé que la santé chancelante n’a pas empêché de participer à l’hommage. Il faut également mentionner la présence de Jocelyn Jalton, président du Conseil Economique et Social Régional qui a rappelé l’esprit d’analyse et critique du jeune retraité.

Ainsi la boucle a été bouclée en ce samedi. Tous ces témoignages et la présence d’un public d’intimes, d’étudiants, d’amis et de collègues a permis d’évoquer l’héritage qu’il nous transmet. Eric Nabajothi avouera avoir été entouré des gens qu’il aime. Nous lui renvoyons cet aveu en reprenant ces mots de Fred Deshaies :

Monsieur Nabajoth, Eric, Naba, de quel arbre êtes vous donc ? Nous aimerions tellement en être le fruit ….

Hommage à Éric Nabajoth A. Petit

L

Photo © F.A Guadeloupe

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Page 8: La Lettre du CAGI n°21, Juin-Juillet-Aout 2014

PAGE CARAIBEPaupérisation, dépérissement du lien social et augmentation de la violence

J. Peter, Doctorant Droit

orsque les médias évoquent les troubles

de la société guadeloupéenne, ils évoquent souvent la paupérisation croissante de la population ou encore la réalité de sociétés qui se modernise, le lien social s’atténuant. Cela sans oublier la violence qui devient préoccupante.

Ces maux sociétaux qui traversent la Guadeloupe, traduisent-ils une société en perte de valeurs ?

Un appauvris-se-ment continuel

et progressif affectant les

classes pauvres

La paupérisation se traduit par un appauvrissement continuel et progressif affectant principalement les classes pauvres. Ce phénomène se traduit localement par l’augmentation constante des travailleurs pauvres.

Aujourd’hui, nombre d’individus, en dépit de leurs salaires se retrouvent en situation de précarité.

Par ailleurs, le lien social ne semble plus aussi vivant que par le passé. C’est-à-dire que les relations que les guadeloupéens entretiennent avec leur famille, leurs amis, leurs voisins, tout comme les mécanismes collectifs de solidarité, en passant par les normes, les valeurs ne seraient plus les mêmes.

Pour l’année 2013, la Guadeloupe est classée département le plus violent de France. Le quarante-et-unième homicide fut relaté par le journal “Le Monde” puis le quarante-deuxième par “Le Parisien”. Il est à noter que ce territoire, plus meurtrier que des départements plus médiatisés, compte un peu plus de 400.000 habitants: c’est un peu plus que la Corse (près de 310.000

habitants) et moitié moins que Marseille (850.000).

Pour autant, ses éléments contextuels ne nous donnent pas des renseignements aussi qualitativement parlant qu’ils semblent s’y prêter.

Les indices de développement humain (IDH) des départements d’Outre-mer sont en retrait de celui observé au niveau national. Cependant, ces départements représentent en revanche des îlots de prospérité dans leur environnement géographique immédiat : les pays voisins affichent tous des IDH inférieurs.

Les solidarités se traduisent autrement,

par le biais du tissu associatif

Aujourd’hui les solidarités se traduisent autrement. Pour exemple, par le biais

du tissu associatif. Ainsi l’association des cuisinières de la Guadeloupe, milite pour la sauvegarde du patrimoine traditionnel local par le biais de la cuisine, des bijoux, des tenues ; la fête des voisins permet aux résidents de Pointe-à-Pitre de se retrouver tous ensemble dans un esprit convivial ; ou encore la “Fondation K d’urgence” qui a pour vocation d’aider les familles monoparentales en situation de précarité.

Il est vrai que pour l’année 2013, c’est la Région Guadeloupe qui totalise le plus d’homicides.

Cependant les autres types d’excès ne sont pas l’apanage de notre Région. Selon une étude menée par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) en 2011, les habitants des Département d’Outre-mer sont globalement moins concernés par les pratiques addictives que les

habitants de l’Hexagone. Le tabagisme est deux à trois fois moins élevé au niveau local chez les jeunes comme chez les adultes. L’usage du cannabis y est également moins fréquent. Les jeunes des trois départements, Martinique, Guadeloupe et Guyane présentent à dix-sept ans des taux d’usage régulier d’alcool et d’ivresses répétées plus faibles que ceux de l’Hexagone.

La gravité des maux sociétaux

n’empêchent pas de se tourner vers

l’avenir

En conclusion la Guadeloupe présente certaines spécificités économiques et sociales. Elle est également le théâtre de certaines dérives telles que la montée des violences. Cependant, la gravité de ces maux sociétaux ne l’empêche pas de se tourner résolument vers l’avenir..

L

Page 9: La Lettre du CAGI n°21, Juin-Juillet-Aout 2014

Revue de PresseA. Sorin , Doctorant en Science politique

’est officiel depuis le 14 février 2014, la

Guadeloupe et la Martinique sont membres associés de l’Association des Etats de la Caraïbe (AEC). Une décision actée lors de la réunion du Conseil des Ministres à Port of Spain (Trinidad) qui met fin à plus de Cinq ans de négociations entre les chefs d’Etats caribéens, l’Etat français et les exécutifs régionaux.

Les deux collectivités siègeront désormais en leur nom propre aux cotés de l’Etat français toujours membre de l’Association notamment aux noms des collectivités de Saint-Martin et de Saint Barthélemy.

Cette décision vient ancrer les efforts d’insertion et de développement

d’échanges

Cette décision vient ancrer les efforts d’insertion et de développement d’échanges

régionaux engagés par les deux collectivités.

Mais elle permet surtout d’expérimenter pleinement les “compétences internationales” qui leur sont accordées depuis la Loi d’Orientation pour l’Outre Mer du 13 décembre 2000. Cependant le chemin est encore long avant de pouvoir affirmer une insertion effective des collectivités à leur environnement régional. A cette insertion statutaire il faut maintenant assurer une efficience fonctionnelle, garantir une continuité en terme de ressources et de résultats.

Intégrer nos territoires dans des politiques culturelles et économiques qui amènent à se penser et se construire comme caribéen serait déjà une première étape..

L’adhésion de la Guadeloupe et de la Martinique à l’AEC

A. Petit

CChikungunyaL’intégralité de la zone Caraïbe est touchée par le Chikungunya qui a contaminé plus de 4000 personnes sur 14 pays dont Trinidad, St Vincent, Guadeloupe, Martinique, Dominique, Antigua, Anguilla ou encore St-Martin. Devant l’épidémie, le Guyana a décidé de tester à leur arrivée, toute personne en présente les symptômes. L’île de Sainte-Lucie également réfléchit à une nouvelle forme de prévention avant le début de la saison humide. Haïti prévoit de faire de même devant l’annonce de la République Dominicaine qui déplore plus de 200 cas depuis le mois de mars.

SantéUn rapport de l’OMS établit que les violences entre particuliers, les accidents de la route et les suicides sont les 3 premières causes de décès des 10-19 ans

dans les amériques, caraïbe compris, démontrant le peu d’attention donnée aux ados et leurs problèmes…L’Organisation Pan-Américaine de Santé a révélé une étude alarmante sur la dengue. Le nombre de cas dans les amériques a été multiplié par 5 en 10 ans (500 mille en 2003, 2,3 millions en 2013.

USABarack Obama a annoncé que le mois de juin sera désormais le mois du patrimoine caribéen-américain, reconnaissant qu’ils ont “contribué à chaque aspect de la société”.

Fonds EuropéensLa Jamaïque va bénéficier d’une aide de l’Union Européenne approchant les 75 millions d’Euros pour développer son industrie sucrière, réformer son système judiciaire, la réduction de la pauvreté et le soutien aux initiatives

locales. L’Union Européenne contribue également à hauteur de 10 millions d’Euros dans les projets environnementaux et de développement durable pour les états membres de l’OECS, notamment pour Antigua et Barbuda.

AgricultureLa sècheresse à Trinidad inquiète les autorités qui ont décidé de rationner l’usage de l’eau devant les faibles précipitations d’avril.À Sainte-Lucie, la revitali-sation du secteur agricole est présentée comme barage à l’augmentation du chômage par la fédération des employés Saint-Luciens.

MarijuanaContrairement aux rumeurs, le nouveau Prime Minister des Bermudes a confirmé qu’aucune forme de légalisation du cannabis ne sera en discussion dans le projet de réforme de la législation à ce sujet.

Page 10: La Lettre du CAGI n°21, Juin-Juillet-Aout 2014

MOIS DU CAGIGroupe de réflexion et de proposition sur la biodiversité

P. Obertan , Docteure en Science politique

epuis quelques semaines, des

scientifiques, des militants associatifs, des juristes, des politologues, des attachés parlementaires ont décidé de se réunir au CAGI pour parler du projet de loi français sur la biodiversité.Toutes ces personnes ont décidé de travailler ensemble car ce projet de loi suscite méfiance et crainte pour les régions ultra-marines.

Ainsi, ce groupe pluridisciplinaire tente par ses réunions de faire la lumière sur ce projet de loi. L’objectif étant aussi de susciter un certain nombre de changements afin de le faire évoluer dans un

sens plus respectueux des peuples ultra-marins.

Le groupe s’est aussi donné pour mission de sensibiliser la population locale à ces questions. En effet, 80% de la biodiversité française se trouve dans les Outre-mer. De plus, la richesse du XXIe siècle ne se trouve plus dans le pétrole mais dans la biodiversité.

Il importe que les populations ultra-marines prennent conscience de leur patrimoine et qu’elles fassent entendre leur qui vision a trop souvent été négligée..

tudiant à Yale, tuas fait le choix

de venir faire un stage d’études au CAGI. Pourquoi ?

Je m’appelle Nimal Eames-Scott, et je suis un étudiant à l’Université de Yale aux États-Unis.À l’Université j’étudie la littérature et l’art de la Caraïbe et je me concentre sur l’art postcolonial et son rapport avec les mouvements sociaux de résistance postcoloniale. J’était en Guadeloupe pour l’été, faisant un stage au Centre d’Analyse Géopolitique et Internationale à l’Université à Pointe-à-Pitre. Mon projet ici, c’est d’étudier le mouvement de 2009, le LKP et les 44 jours, et en

particulier son rapport avec la littérature, la poésie, et l’art en général. Quel était le rôle de l’art dans le mouvement ? Quelle a été la réponse de la communauté artistique, et comment le mouvement s’est traduit dans la production artistique ? Comment est-ce que les écrivains et artistes pensent leurs œuvres par rapport à ce mouvement et aux politiques de résistance postcoloniale en général ?

Comment s’est déroulé ton séjour au sein du CAGI et plus globalement en Guadeloupe ?

Mon séjour en Guadeloupe s’est passé très bien. J’étais logé chez une femme qui est infirmière au Centre Hospitalier Universitaire et qui est aussi membre de l’UGTG. Elle m’a parlé de son expérience de syndicaliste pendant le mouvement. J’ai aussi eu des entretiens avec des syndicalistes, comme Elie Domota, qui a accepté

de me parler en français au lieu du créole. J’ai aussi parlé avec des enseignants de science politique et d’ethnomusicologie, des artistes, des musiciens, des photographes, et des écrivains, comme Simone Schwarz-Bart et Gisele Pineau. Mme Pineau m’a dit qu’elle a déménagé de Paris pour la Guadeloupe, et qu’elle a récemment écrit un roman au sujet du mouvement.

Que retiendras-tu de ton séjour ?

En général, mes entretiens se sont passés très bien. Maintenant je prends une année sabbatique pour être en tournée avec un groupe de chant qui s’appelle “The Whiffenpoofs.” Mais l’année prochaine je vais commencer à analyser mes entretiens pour écrire ma thèse, et je suis très excité à l’idée de commencer ce projet.

Merci beaucoup !

É

L’étudiant du moisNimal Eames-Scott

Propos reccueillis par G. Samathi, Doctorante en Science politique

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