la gauche #66

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Belgie-Belgique P.B. 1/9352 Bureau de déPôt Bruxeles 7 P006555 JaN-Fev 2014 prix 1,50 euro | 58e année | janvier - février 2014 # 66

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La Gauche est le journal bimestriel de la Ligue Communiste Révolutionnaire LCR, section belge de la Quatrième Internationale. www.lcr-lagauche.org

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Page 1: la gauche #66

Belgie-BelgiqueP.B. 1/9352Bureau de déPôtBruxeles 7P006555JaN-Fev 2014

prix 1,50 euro | 58e année | janvier-février 2014#66

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2 la gauche #66 janvier-février 2014

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Ont contribué à ce numéro: Sébastien Brulez, Denis Horman, Freddy Mathieu, Little Shiva, Daniel Tanuro, Thierry Tillier, Guy Van Sinoy

La Gauche est le journal bimestriel de la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR), section belge de la Quatrième Internationale.

Les articles signés n’engagent pas forcément la rédaction.

Adresse et contact: 20, rue Plantin 1070 Bruxelles, [email protected]

Tarifs et abonements: 1,5 € par numéro; 8 € par an étranger: 18 € par an Abonnement de soutien: 15 euros

A verser sur le compte ABO LESOIL 20, rue Plantin, 1070 Bruxelles IBAN: BE93 0016 8374 2467 BBAN: 001-6837424-67 BIC: GEBABEBB mention “La Gauche”

la gauche est éditée par la Formation léon lesoil e.r. André Henry, 20 rue Plantin 1070 Bruxelles

www.lcr-lagauche.org

prix 1,50 euro | 58e année

janvier-février 2014#66

3 edito par La Gauche

4 FgtB Charleroi: gO ou no gO? par Daniel Tanuro

8 Chômeurs: fin de droit et basculement dans la pauvreté. la tache noire du gouvernement di rupo par Denis Horman

11 quand le sP.a détruit les acquis sociaux par Guy Van Sinoy

13 Maggie au front dans la guerre contre les pauvres par Freddy Mathieu

14 la marche des afghans vers Mons par ???

18 le goût de la liberté des zapatistes propos recueillis par Bernard Duterme

22 l’écoféminisme est un mouvement conscient que les luttes pour l’écologie et le féminisme contiennent les clés de la dignité humaine et de la soutenabilité dans l’égalité par Juan Tortosa

26 lectures par Guy Van Sinoy

27 agenda / les nôtres

covers photomontage: Little Shiva

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3la gauche #66 janvier-février 2014

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✒ par La Gauche

Au cours des trente dernières années, la gauche dite "radicale" s’est affirmée sur le plan électoral dans de très nombreux pays européens. Du Danemark au Portu-gal, de l’Allemagne à la France, de la Grèce à l’Irlande, du Luxembourg à la Suisse, des partis ou des coalitions de partis sont parvenus à occuper une partie du vide politique laissé par la transformation de la social-démocratie en social-libéralisme. Pas en Belgique.

On s’est beaucoup interrogé sur les causes de cette exception belge. Le niveau des luttes dans notre pays n’est pas en cause, car la résistance sociale à l’austérité y a atteint des niveaux élevés. Le seuil d’éligibilité (5% et plus) constitue certes un facteur important, mais il n’est pas décisif: les gauches allemande et française sont confrontées à un obstacle similaire, et cela ne les a pas empêchées de percer.

Pour expliquer la marginalité per-sistante de ce que les médias appelaient avec condescendance "la petite gauche", certains commentateurs ont voulu croire que le PS et le Sp.a n’allaient pas aussi loin que leurs partis frères dans l’acceptation des diktats capitalistes. Cette hypothèse ne convainc pas: la liste des mauvais coups que le PS et le Sp.a ont portés au monde du travail depuis le début des années quatre-vingts est aussi longue que le Danube.

La raison principale de l’exception belge est ailleurs: elle réside dans le

système institutionnel complexe

qui impose de former des gouvernements de coalition autour d’une double ligne de clivage droite-"gauche" et flamands-

francophones. Cette situation est très propice à l’argumentation en faveur du "vote utile". Surtout pour le PS, qui prétend faire barrage à la fois à la droite et à la Flandre, au nom du "moindre mal".

C’est cette logique du "moindre mal" qui est en panne aujourd’hui. Elle fonctionne d’autant moins qu’Elio Di Rupo mène la politique la plus à droite possible sous prétexte de couper l’herbe sous les pieds de la NVA, et qu’il n’hésite pas pour cela à appliquer des pans entiers du programme de celle-ci. Comme l’a dit le secrétaire régional de la FGTB de Charleroi le Premier Mai 2012: "l’argument ‘sans nous ce serait pire’ est une insulte à notre intelligence".

Il est une loi de la dialectique qui veut que, au-delà d’un certain point, la quantité se change en qualité. L’histoire alors tend à produire des événements au vrai sens du terme, avec un "avant" et un "après". Serait-ce ce qui est en train de se produire sous nos yeux? Ne trouvant pas d’issue sur le terrain des luttes sociales – bloquées par les appareils syndicaux... au nom du "moindre mal" – le mécontentement face à l’austérité semble en effet déborder, au point qu’une partie de la base sociale du PS tourne le dos au "vote utile" pour retrouver des racines 100% à gauche.

Le retentissement considérable de la conférence de presse de PTB-GO! doit être vu dans ce cadre. Il s’agit de bien plus que d’un écho médiatique. Le courrier des lecteurs des journaux, les appels

d’auditeurs à la radio, les réactions des gens dans la rue et au travail en attestent: un espoir s’éveille. A part certains journalistes, on entend bien peu de personnes s’inquiéter des voix que le PS pourrait perdre. Il s’en trouve par contre beaucoup pour dire que ce parti a trahi les valeurs de la gauche.

Rassembler la gauche pour présenter une alternative politique anti-

capitaliste: tel était le souhait de la FGTB de Charleroi. Il est partagé par des mil-liers de syndicalistes et de militant·e·s des

mouvements s o c i a u x . E n s e regroupant sous le s igle PTB-GO!, le PTB, la LCR, le PC et les signataires de l’Appel "Il est des rendez-vous qu’il ne faut pas manquer" ont pris leurs responsabili-tés, en tenant compte des convergences et des rapports de forces.

Le rassemblement n’est ni complet ni par-fait, mais il existe. C’est l’essentiel. La LCR s’y engage avec enthousiasme, dans la droite ligne de son soutien à la démarche des syndicalistes carolos. Tout en privilégiant le combat commun, elle mettra en avant son programme anti-capitalis te , écosocialis te , féministe et internationaliste. Soutenez-nous, rejoignez-nous, menez la campagne avec nous! Pour que l’ouverture à gauche se concrétise, en avant! ■

PtB-gO! : l’ouverture à gauche, enfin!

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✒ par Daniel Tanuro

Que veut la FGTB de Charleroi? A la lecture des médias, la réponse est confuse. "La FGTB de Charleroi soutient le PTB", écrit La Libre. Elle "adhère à PTB-GO", jure Le Soir. Elle "s’engage à appeler à voter PTB-GO", dit un chroniqueur de la RTBF... Chaque journaliste y va de sa formule... et elles sont toutes fausses.

Les syndicalistes se sont pourtant exprimés clairement. Carlo Briscolini: "Nous nous réjouissons de cette première étape dans la réponse à notre Appel du Premier Mai 2012". Et, en réplique à une question: "Nous ne sommes pas des sprinters mais des marathoniens. Dans ce processus, personne n’est exclu, nous nous adressons aussi aux membres du PS et d’Ecolo". Et d’insister sur l’indépendance syndicale, pour conclure: "Après les élections, nous serons derrière eux (PTB-GO) pour les contrôler, sur base de notre programme d’urgence en dix points". (Lire les pages suivantes dans ce dossier.)

Même clarté chez Daniel Piron. "Pourquoi soutenir le PTB?", lui demande-t-on. Face caméra, il répond: "Nous ne sommes pas dans une opération de soutien au PTB. Nous sommes ici pour nous réjouir que l’appel lancé par la FGTB de Charleroi commence à se concrétiser. Nous avons dit dès le départ qu’un rassemblement pour (les) élections de 2014 n’était pas une fin en soi. On va sur un laps de temps beaucoup plus grand. C’est donc une première étape que nous saluons ici, à

laquelle nous souhaitons que d’autres se raccrochent par la suite, (car) il y a une unité plus large à faire à la gauche de la gauche, et c’est ça notre objectif."

Comment expliquer que ce message simple ne passe pas? Il faut certes tenir compte du fait que les journalistes bricolent dans l’urgence... Mais, par la suite, aucun n’a corrigé le tir. Et ce n’est pas une première: le message du Premier Mai 2012 aussi avait été mal compris par les médias... Il y a donc autre chose.

La démarche de Charleroi sor t du partage traditionnel des rôles entre syndicalisme et politique. C’est une sorte de "contrôle ouvrier" appliqué à la politique. C’est là le problème. Habitués à des partis qui monopolisent le politique et à des syndicats confinés dans "le social", les journalistes ont difficile à suivre quand des syndicalistes s’affranchissent de la tutelle PS pour développer la stratégie politique qu’ils estiment appropriée à la défense des intérêts de leur base. Le rôle dirigeant du parti sur le syndicat (qui est la conception du stalinisme de jadis et de la social-démocratie d'aujourd'hui) est tellement ancré dans les têtes – et dans la pratique des appareils syndicaux traditionnels! – que les faiseurs d'opinion sont incapables d’imaginer autre chose.

Il n’est pas interdit de penser qu’il y a aussi une part de mépris inconscient dans cet aveuglement. En effet, dans la vision dominante, un responsable de parti apparaîtra toujours "au-dessus" d’un dirigeant syndical, et plus capable que celui-ci de développer un point de vue politique. Surtout si le syndicaliste vient d’une région ouvrière ravagée par les fermetures, qui a mauvaise réputation,

et où les militant·e·s appellent un chat un chat. C’est très injuste, mais c’est comme ça. Pour c i te r Phi l ippe Poutou: pour beaucoup de gens des médias, "un ouvrier, c'est là pour fermer sa gueule".

Quoiqu’il en soit des hypothèses, le refrain "La FGTB de Charleroi soutient le PTB-GO" convient à Anne Demelenne. Il permet à la secrétaire générale de la FGTB de se poser en garante

de l’indépendance syndicale... tout en appelant à "ne pas se tromper d’adversaire", à "ne pas diviser la gauche"... c’est-à-dire à voter PS... en esquivant le débat de fond. Car cette soumission de fait et cette complicité avec les "amis politiques" contribuent à désarmer les syndicats face au néolibéralisme. Et c’est pour en sortir que les carolos ont élaboré une stratégie alternative: s’appuyer sur la masse des affilié·e·s et des militant·e·s pour renverser le rapport entre syndicats et partis, en imposant un programme anticapitaliste.

La LCR soutient cette nouvelle articu-lation entre indépendance syndicale et engagement politique. Elle ouvre la pos-sibilité d'un processus de rassemblement qui continuera au-delà du 25 mai et qui peut favoriser une véritable recomposition du paysage syndical et politique à gauche, dans l'intérêt de tout le mouvement ouvr-ier. Cet intérêt prime pour nous sur toute autre considération, notamment sur les intérêts électoraux à courte vue.

C'est pourquoi, dans la campagne qui commence, on entendra la LCR appeler à voter préférentiellement pour ses candidat·e·s et pour des syndicalistes de base. Afin de forger une nouvelle conscience de classe et de construire une nouveau parti de classe où les militant·e·s de terrain ne seront pas exclu·e·s par les professionnels de la politique. Mais on ne l’entendra pas dire: "votez pour nous, la FGTB de Charleroi nous soutient". ■

FgtB Charleroi: gO ou no gO?

la démarche de Charleroi sort du partage traditionnel des rôles entre syndicalisme et politique. C’est une sorte de "contrôle ouvrier" appliqué à la politique.

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La Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR) se réjouit du rassemblement de la gauche de gauche sur les listes PTB-GO! Le 25 mai prochain, elle présentera des candidat·e·s sur ces listes dans 5 arrondissements pour le Parlement fédéral et 9 arrondissements pour les parlements régionaux.

La fin du tunnel n’est pas en vue. La LCR part du constat que le monde du travail, les jeunes et les femmes sont confrontés à une gigantesque offensive de régression sociale. Le capitalisme veut démanteler ce qui reste de l’Etat-provi-dence, réduire le secteur public à sa plus simple expression et mettre les syndicats sur la touche. Plus de deux mille mil-liards de dettes privées des banques ont été transformés en dettes publiques. Celles-ci servent de prétexte à une austérité féroce qui aggrave la récession et les déficits. En même temps, la destruction productiviste

de l’environnement se poursuit. Le "moindre mal" est un leurre. En

Belgique, PS et Sp.a sont au gouverne-ment depuis vingt-cinq ans. La LCR récuse l’argument du "moindre mal": elle con-state que les "socialistes" contribuent au démantèlement des acquis, au tournant sécuritaire, à la restriction de l’asile et à la réforme fiscale au service du patronat et des plus riches. Ils ont voté le traité bud-gétaire européen. Partout en Europe, la social-démocratie applique le programme néolibéral et productiviste. Les Verts n’ont pas d’alternative.

L’enjeu du 25 mai: la vraie gauche au parlement. Pour la LCR, l’enjeu du 25 mai est d’ouvrir une première brèche dans cette politique qui fait le jeu de la droite et de l’extrême-droite. La chance d’élire un parlementaire de gauche existe et doit être saisie, dans l’intérêt de toute la gauche. C’est possible avec les listes PTB-GO!

car celles-ci répondent à la fois à quatre préoccupations: la demande de la FGTB Charleroi Sud-Hainaut de rassembler les forces à gauche du PS et d’Ecolo, le souci du PTB de ne pas abandonner son sigle, l’autonomie du PC et de la LCR, et la volonté de "personnalités" de s’engager pour une alternative.

L a c a m p a g n e d e l a LC R : a n t i -capitaliste, internationaliste, féministe, écosocialiste. La LCR se félicite des conver-gences et mènera campagne loyalement pour que la gauche de gauche entre au Parlement. En même temps, elle main-tient sa complète indépendance politique vis-à-vis du PTB. La LCR appelle à voter de préférence pour ses propres candidat·e·s qui défendront un programme anti-capitaliste, internationaliste, féministe et écosocialiste. ■

— Ligue Communiste Révolutionnaire 27 janvier 2014

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4communiqué de pressela lCr participe aux listes "PtB-gO!"

✒ par Correspondant

637 jours après l’appel de la FGTB Charleroi le 1er mai 2012, des listes de rassemblement intitulées PTB-GO! ont été présentées officiellement à la presse le 27 janvier dernier. Objectif: faire entendre une voix de gauche dans la campagne pour les élections de mai 2014, et offrir la possibilité d’un vote utile à gauche de la gauche. La LCR se réjouit du fait que se regroupent ainsi autour du PTB des personnalités indépendantes, des militants syndicaux et associatifs ainsi que le PC et la LCR, dans le respect de l’identité et des spécificités de chacun.

La dynamique lancée le Premier Mai 2012 par les syndicalistes de Charleroi

reçoit ainsi une première concrétisation. La conférence de presse de lancement de PTB-GO! est à l’image de cette dynamique: une quinzaine de personnalités de milieux divers ont en effet présenté un Appel (voir le texte sur la page suivante) qui débute par ces mots: "Il est des rendez-vous qu’il ne faut pas manquer". Elles l’ont fait en présence des principaux membres du Comité permanent de la FGTB de Charleroi, non signataires de l’Appel, mais venus se réjouir publiquement du fait qu’un premier pas ait été franchi dans le sens de leurs prises de position.

Présentant la conférence de presse, Hugues lepaige (journaliste et réalisateur), a campé brièvement l’initiative de l’Appel "Il y a des rendez-vous qu’il ne

faut pas manquer". "L’appel de la FGTB carolorégienne a constitué un moment fondateur. Nous nous inscrivons dans cette dynamique", a-t-il dit.

au nom des responsables de la FgtB de Charleroi, presque tous présents, Carlo Briscolini, président de la régionale, s’est félicité du fait que trois partis de gauche aient pu se regrouper, avec l’appui de personnalités indépendantes. "Nous nous réjouissons de cette première étape dans la réponse à notre appel du Premier Mai 2012", a-t-il déclaré. Rappelant les principes de l’indépendance syndicale, il a noté que les 30 années écoulées n’ont été qu’un long tunnel d’austérité sans fin. "La gauche de gouvernement nous promet toujours que demain ça ira mieux mais

go! go! go! les listes PtB-gO! (gauche d’Ouverture)

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4il n’y a jamais de lendemain pour les syndicats", a-t-il résumé. Et de conclure: "Un syndicat fort sans un parti fort à gauche, c’est une voie sans issue".

irène Pètre a rappelé l’événement de la Géode, au cours duquel Isabelle Wanschoor, au nom de la CNE, a soutenu l’appel de la FGTB de Charleroi et salué le courage de ses dirigeants. Elle aussi a souligné à quel point la CNE est attachée à l’indépendance syndicale. Elle a attiré l’attention sur le fait que Felipe Van Keirsbilck, secrétaire général de la Centrale, s’est exprimé en faveur d’un rassemblement à gauche du PS et d’Ecolo. "Le plus dur à supporter, pour les syndicalistes, a été le vote du Traité budgétaire européen: la gauche s’est liée les poings et les pieds, elle renonce aux politiques sociales". Pointant l’exclusion de 55.000 chômeurs, dont une majorité de femmes, l’ex-secrétaire de la CNE pose la question: "Une gauche gouvernementale qui fait payer la crise aux plus fragiles peut-elle encore s’appeler gauche?" Et de dénoncer la mise à l’écart des syndicats, empêchés de faire leur "core business" par la politique gouvernementale.

isabelle stengers en aura surpris plus d’un·e en disant qu’elle n’avait pas hésité une seule seconde à rejoindre l’initiative. En cause: l’émission de la RTBF collant l’étiquette "populistes" au PTB et amalgamant ce parti à Aube Dorée. "Voilà comment seront traités tous ceux qui osent l’insoumission à une société dans laquelle il y a une absence totale de perspectives, a-t-elle déclaré. Je soutiens cette initiative parce qu’elle permet de nous opposer à tout ce qui nous demande de nous soumettre à une société sans issue. On nous dit que nous n’avons pas le choix, mais nous avons le choix de la révolte".

Josy dubié s’est réjoui de la présence nombreuse des syndicalistes à cette con-férence de presse. Attirant l’attention sur les désaccords qu’il a avec le PTB, il a

ensuite souligné l’évolution positive de ce parti, concrétisée notamment dans le fait que le livre de Raoul Hedebouw comporte un long chapitre sur l’écologie. "En effet nous devons mettre en cause le productivisme. Il faut produire, mais aussi respecter l’environnement, les pauvres sont les premières victimes des catastrophes écologiques". Comme d’autres, J. Dubié a condamné l’attitude des partis tradition-nels sur le Traité budgétaire européen: "Il instaure une austérité sans fin alors que l’austérité est le problème, pas la solution". Citant le rapport d’Oxfam sur l’inégalité sociale (les 85 plus riches possèdent autant que 3,5 milliards d’individus), il a dénoncé la fracture sociale: "Jamais dans l’histoire on n’a produit autant de richesses aussi mal réparties".

interrogé à son tour, Carlo Briscolini a rappelé que le combat de la FGTB de Charleroi pour un rassemblement anticapitaliste à gauche du PS et d’Ecolo était un combat de long terme. "Nous ne sommes pas des sprinters mais des marathoniens. Dans ce processus, personne n’est exclu, nous nous adressons aussi aux membres du PS et d’Ecolo. S’adressant au PTB, au PC et à la LCR, le président de la FGTB carolo a déclaré : "Après les élections, nous serons derrière eux pour les contrôler, sur base de notre programme d’urgence en dix points". Evoquant la culture de débat nécessaire à la gauche, Carlo a souligné l’importance d’un débat en profondeur, qui ne se limite pas aux cadres dirigeants, un débat dans lequel il a plaidé pour un ''droit de tendance'': "c’est quand il y a de la discussion, de la contestation, que différentes tendances s’expriment qu’un débat permet d’avancer", a-t-il conclu. ■

Retrouvez sur notre site les interventions des représentants de la LCR, du PC et du PTB lors de cette conférence de presse: www.lcr-lagauche.org/category/rubriques/elections-2014

Céline Caudron, André Henry, Freddy Mathieu

❤www.lcr-lagauche.org

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Le 25 mai 2014, pour la première fois depuis longtemps, la gauche de gauche aura la possibilité de faire élire des représentant·e·s au parlement fédéral et dans les régions. Aujourd’hui, la fracture sociale qui mène jusqu’à la pauvreté et la destruction de l’environnement nous imposent un choix radical.

Face à la montée des inégalités et du chômage et aux attaques contre les droits sociaux, fruits de décennies de luttes et de sacrifices, face à l’absurde politique de rigueur imposée par la commission européenne avec l’aval de tous les gouvernements nationaux, une autre voix doit se faire entendre dans les enceintes parlementaires. Une voix qui propose des alternatives sociales et écologiques et relaie les luttes sociales sur le terrain. Le Premier mai 2012, la FGTB de Charleroi appelait au rassemblement autour d’une alternative anticapitaliste à gauche du PS et d’Ecolo. D’autres secteurs syndicaux, comme la CNE, se montrent ouverts à cette perspective. Les lignes bougent.

Nous nous engageons dans cette dynamique. C’est pourquoi nous avons décidé d’appeler à voter en faveur des listes PTB-GO! (Gauche d’Ouverture) qui regroupent autour du PTB des personnalités indépendantes, des militants syndicaux et associatifs et d’autres forces de gauche (le PC et la LCR). Nous ne partageons pas l’ensemble du programme du PTB et nous pouvons même avoir des divergences importantes mais ce parti s’est ouvert et est en évolution.

Il y a urgence: les partis de la gauche traditionnelle (PS et Ecolo) assument les politiques d’austérité et adhèrent au Traité budgétaire européen (TSCG) qui ne fera que les accentuer. Les travailleurs, les femmes, les jeunes, les allocataires sociaux, les personnes d’origine immigrée sont durement frappés. La chasse aux chômeurs s’amplifie. Le sort réservé aux demandeurs d’asile et aux sans papier est indigne d’une démocratie. Les interventions militaires à l’étranger se multiplient. On peut évoquer les rapports de force ou la volonté d’éviter le pire: cela ne suffit plus et cela conforte

l’hégémonie d’une droite libérale dont la faillite économique n’a d’égale que son arrogance politique.

Demain des élu·e·s se revendiquant pleinement de la gauche, pourront porter des revendications largement partagées à gauche, comme l’instauration d’une véritable fiscalité sur les grandes entreprises ou la défense des services publics. Par ailleurs, leur présence sera utile à toute la gauche, à ceux qui luttent, à ceux qui doutent, à ceux qui désespèrent de la politique et même à ceux qui tentent de modifier le cours des partis traditionnels. Voilà pourquoi nous pensons que cette fois voter pour les listes PTB–GO!, c’est faire progresser l’ensemble de la gauche. C’est le sens de l’appel que nous lançons: il est des rendez-vous qu’il ne faut pas manquer.

liste des premiers signataires:Patrick Bebi, Acteur-Metteur en scène;

Jean-Marie Chauvier, auteur; François D’agostino, membre du bureau politique du PC; Noëlle De Smet, militante au CGé (Changement pour l’égalité); Josy Dubié, Sénateur Honoraire; Fabrice Epis, secrétaire principal CNE Région Bruxelles-brabant wallon – retraité; Hugues Le Paige, journaliste-réalisateur; Anne Löwenthal, blogueuse militante; Anne Morelli , professeure de l’ULB; Fabrice Murgia, acteur et metteur en scène; Christian Panier, juge honoraire, enseignant UCL; Irène Petre, permanente nationale CNE (secteur commerce) – retraitée; Isabelle Stengers, philosophe, ULB; Daniel Tanuro, Ingénieur agronome, membre de la direction de la LCR; Lise Thiry, virologue; Christian Viroux, ex-secrétaire régional FGTB Centrale générale. ■

Pour signer l'appel écrivez à [email protected] en indiquant votre qualité et votre localité.

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4il est des rendez-vous qu’il ne faut pas manquer...

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✒ par Denis Horman

Fin décembre 2011, à peine installé, le gouvernement Di Rupo, conduit par un premier ministre socialiste et composé de six partis (PS, MR et CDH, côté francophone et SP.a, Open VLD et CD&V, côté néerlando-phone) allait mettre en application une mesure qu’aucun autre gouvernement n’avait osé prendre jusque-là: une réforme radicale et en profondeur de la législation organisant le chômage.

Ce gouvernement a accéléré la dégres-sivité des allocations de chômage, faisant disparaitre le lien avec le salaire perdu au profit d’un forfait qui va faire basculer cette catégorie de chômeurs en-dessous du seuil de pauvreté. Il a limité à trois ans le droit aux allocations de chômage, en créant un régime de "fin de droit" pour d’autres caté-gories de chômeurs. Il a rendu plus long et plus compliqué l’accès au chômage pour les jeunes qui ont terminé leurs études. Il a accéléré, développé et renforcé un con-trôle de la disponibilité pour tous, mesure emblématique de "l’Etat social actif", poussant à l’activation du comportement de recherche d’emploi... qui n’existe pas et accélérant ainsi les sanctions et les exclu-sions du chômage.

Cette réforme impitoyable s’est faite à coup d’Arrêtés ministériels du 28 décembre 2011 et de l’Arrêté royal du 23 juillet 2012 notamment. Cela signifie qu’en réalité, toute cette législation du chômage se construit en dehors du Parlement. La voie choisie pour légiférer permet ainsi d’éviter tout débat public sur l’ampleur et les conséquences des mesures décidées. Le chômeur est, en quelque sorte, l’objet de "pouvoirs spéciaux permanents"(1).

la catastrophe imminenteSur son site internet, la FGTB wallonne

a installé un décompteur (heures, minutes, secondes) jusqu’au 1er janvier 2015. Ce jour-là, entre 55 000 et 60 000 personnes perdront le droit aux allocations de chômage, appelées "allocations d’insertion".

"Une véritable bombe sociale"! C’est en ces termes que Thierry Bodson, secrétaire de la FGTB wallonne, qualifiait, en novembre dernier, les résultats d’une étude du syndicat socialiste. "Ce sont 55 000 personnes au minimum – dont 35 000 Wallons et 9 000 Bruxellois – qui seront exclues! Du jour au lendemain! En une nuit! C’est énorme! Un véritable tsunami! En vingt ans, je n’ai jamais vu ça! Jamais!" (2).

Par ses Arrêtés ministériels du 28 décembre 2011, le gouvernement a décidé la limitation dans le temps (trois ans maximum!) des "allocations d’insertion" (ex-allocations d’attente) dont peuvent bénéficier les personnes ne comptabilisant pas assez d’heures de travail pour toucher des allocations de chômage en rapport avec le dernier salaire perdu. Le compteur a démarré le 1er janvier 2012. L’échéance est donc au 1er janvier 2015!

Cette "fin de droit" – auparavant, "l’allocation d’attente" n’était pas limitée dans le temps – touche la catégorie de chômeurs dont la plupart sont dits "article 36". Il ne s’agit pas seulement de jeunes qui sortent des écoles et qui, sur base de leurs études, touchent, après leur stage d’insertion, une allocation forfaitaire sans référence à un salaire perdu. Cette fin de droit touche également tous ceux et celles qui n’ont pas travaillé au moins 12 mois à temps plein sur 18 ou 18 mois sur 27, en fonction de leur âge. Cela concerne donc des personnes qui multiplient les petites périodes d’intérim, puis retombent ensuite à l’allocation d’insertion, ou encore des personnes qui travaillent à temps partiel – essentiellement des femmes. Cette limitation à trois ans des allocations d’insertion démarre dès la première indemnisation pour les cohabitants et à partir de leur 30ème anniversaire pour les isolés et les chefs de ménages.

Chômeurs: fin de droit et basculement dans la pauvreté

la tache noire du gouvernement di rupo

Pablo a 25 ans et vit chez ses parents. Il a fini ses études en 2010 et, malgré des formations, n’a pas trouvé d’emploi. Il sera exclu au 1er janvier 2015.

Irène, 33 ans, vit seule avec ses deux enfants. Demandeuse d’emploi inoccupée, elle cumule néanmoins des contrats intérims. Ses 100 jours de travail prolongeront d’autant son droit aux allocations d’insertion. Elle ne pourra par contre pas prétendre au droit supplémentaire de 6 mois d’allocations, car elle n’a pas travaillé 6 mois sur les deux dernières années. Irène sera donc exclue le 1er mai 2015.

Chantale a 39 ans et vit seule avec sa fille. Depuis 13 ans, elle travaille 18h/semaine comme vendeuse et bénéficie d’une allocation de garantie de revenus (un complément chômage) basée sur ses allocations d’insertion. Si elle se fait licencier le 1er janvier 2015, elle sera exclue dès le 1er janvier 2016, après seulement un an, malgré ses années de travail.

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9la gauche #66 janvier-février 2014

que vont devenir ces "nouveaux pauvres"?

Une moitié d’entre eux, isolés, chefs de ménage (souvent des femmes seules avec enfants) n’auront d’autre choix que de se tourner vers les CPAS de leur commune pour pouvoir bénéficier du Revenu d’intégration sociale (RIS), l’ancien minimex. Celui-ci se situe pour chacune des catégories de chômeurs – chefs de famille, isolés et à fortiori cohabitants – en dessous du seuil de pauvreté (3).

L’autre moitié de "fin de droit", ceux qui cohabitent avec au moins une personne ayant un revenu, n’auront pas droit au RIS. Tout au plus, ils/elles pourront, éventuellement, obtenir une aide sociale du CPAS. Les cohabitants devront justifier des ressources de leur cohabitation pour obtenir éventuellement une aide sociale du CPAS. La FGTB wallonne estime qu’au moins 17.500 ménages wallons vont subir une perte sèche de 425 euros par mois.

Une grande majorité des per-sonnes exclues vont donc s’adresser au CPAS de leur commune. Mais, on sait que la situation financière des CPAS est déjà intenable. Depuis 10 ans, on a assisté à une explosion des bénéfici-aires du RIS (ex-minimex) en Wallonie: 35% d’augmentation. Selon l’étude de la FGTB wallonne, si tous les Wallons isolés et chefs de ménage exclus demandent le RIS, cela coûtera plus de 203 millions d’euros. Une fois retirée la subvention fédérale, il restera plus de 80 millions à charge des CPAS wallons. Il ne faut pas être grand clerc pour savoir ce qui va se passer! Un bain de sang social, pour les femmes en particulier.

La FGTB de Verviers, au départ de la base de données de son organisme de paiement, a pu montrer que sur 1.432 exclus en puissance, deux tiers sont des femmes. Plus inquiétant encore: plus de 8 chefs de ménage sur 10 seraient mères d’une famille monoparentale. La pauvreté à venir se conjuguera ainsi au féminin, d’autant qu’elles sont 61% des cohabitants, une catégorie qui risque de ne pas avoir droit au RIS (4).

Basculement dans la pauvretéUne autre catégorie de chômeurs,

inscrits sur base de l’article 30 ou 33, (c’est-à-dire celles et ceux qui ont eu l’occasion de se constituer un "droit" au chômage, sur base de leur dernier salaire et au départ d’une période de travail suffisante) vont subir une dégressivité de leur allocation

de chômage (calculée en fonction de leur passé professionnel) pour aboutir (en trois étapes successives) à un forfait, où disparaît le lien avec le salaire perdu.

Cette dégressivité, qui a commencé le 1er novembre 2012, touche aussi bien les chefs de ménage, les isolés, ainsi que les cohabitants (ces derniers connaissaient déjà un régime forfaitaire). Ce montant forfaitaire va provoquer, chez les isolés et chefs de ménage, une perte du pouvoir d’achat, par rapport à la situation précé-dente, allant de 12% à 17,5%! Comme chez les exclus (les "fin de droit"), cette deux-ième catégorie de chômeurs va se retrouver en-dessous du seuil de pauvreté.

Aujourd’hui, plus de 200.000 sans- emploi survivent déjà sous le seuil de pauvreté. Avec le nouveau système, plus de 150.000 autres vont les rejoindre.

allégeance au patronat et aux groupes financiers: quelles sont donc les véritables raisons de cette "véritable bombe sociale"?des raisons budgétaires?

Le refrain est connu: toutes les couches de la population doivent contribuer à combler le déficit budgétaire, y compris la couche déjà la plus fragilisée. Quel va être le véritable bénéfice budgétaire des mesures drastiques d’austérité à l’encontre des chômeurs? Thierry Bodson, le secrétaire général de la FGTB wallonne estime qu’au niveau fédéral, l’économie sur le budget chômage tournerait autour de 500 millions d’euros, mais avec une augmentation de 350 millions du budget des CPAS. On en arriverait alors à une économie d’environ 150 millions d’euros. Moins que les intérêts notionnels dont bénéficie ArcelorMittal, précise-t-il!

Daniel Richard, secrétaire régional interprofessionnel de la FGTB Verviers et Communauté germanophone, mentionne quelques chiffres qui en disent long! L’ordre de grandeur du coût des alloca-tions de chômage versées annuellement par l’ONEm est de 8 milliards d’euros. Dans le même temps, les cadeaux aux entreprises sous forme des réductions de cotisations sociales et fiscales représentent un manque à gagner de plus de 10 mil-

liards. Sans parler des moins-values fiscales que représentent plus de 5 milliards bruts d’intérêts notionnels.

Préserver la "cohésion sociale" nationale?

En juin 2012, le premier ministre répondait courroucé aux questions de journalistes d’un quotidien de référence (5).

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la colère de di rupo"Je ne conteste pas que c’est difficile,

mais globalement, on ne peut pas dire qu’on a touché à quelque catégorie sociale. Pour garder ce pays dans la solidarité, il faut bien écouter et tenir compte de la majorité au parlement, dans la population! On mesure alors que les partis flamands et francophones du gouvernement ont fait des compromis raisonnables et soutenables. La critique unilatérale, comme si c’était un pays in abstracto, ne fait qu’accroître les difficultés entre le Nord et le Sud! Il faut tenir compte du contexte national particulier! Et j’affirme que l’effort produit par le gouvernement doit être soutenu! Soutenu par tout qui veut garder l’unité du pays. C’est là que cela ne va pas. A force de critiquer unilatéralement, de dire que des mesures pourtant soutenables relèvent de l’inacceptable, on la met à mal (…). Nous agissons pour tout le monde, les gens au chômage et ceux qui travaillent, les jeunes... Un gouvernement s’occupe de toute la société. Et on essaie de trouver une solution de cohésion sociale; c’est notre responsabilité!"

La réaction d’un responsable syndical à cette déclaration de notre Premier ministre socialiste est cer tainement largement partagée: "Au moment où il manifestait ainsi sa colère, notamment à l’égard de la FGTB wallonne, Elio Di Rupo mesurait-il que 30 mois plus tard, 55.000 chômeurs dont 35.000 Wallons, seront sacrifiés sur l’autel de "l’unité du pays"? Si oui, n’est-ce pas grave? Si non, n’est-ce pas pire? Comment concilier la perspective d’une perte de pouvoir d’achat pour certains demandeurs d’emploi, de 12% à 17%, avec une approche de "cohésion sociale"? Quelle autre catégorie sociale paye aussi lourdement la facture de la crise? (6)

seuil de pauvreté RIS Article 30: forfait

chef de ménage 1300 € 1089,82 € 1134,90 €

isolé-e 1000 € 817,36 € 953,16 €

cohabitant-e 544,91 € 503,62 €

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n stimuler les chômeurs fainéants à trouver un job?

Répondant à une question d’une parlementaire, la ministre de l’Emploi, Monica De Coninck précise que la dégressivité des allocations de chômage n’a pas d’impact sur les comptes de l’ONEm: "Ce n’est pas l’objectif: l’objectif est d’aider les gens et de les stimuler à trouver un job (…). J’espère que les Régions, respon-sables pour l’activation et la création de l’emploi, aideront les gens à trouver au moins un travail de quelques heures" (7).

On croit rêver! Une étude, réalisée par Eurostat, a démontré que seulement 0,7% de chômeurs belges ne cherchaient pas d’emploi. Et qu’en est-il des offres d’emploi du Forem, en Wallonie et d’Actiris, à Bruxelles? Selon la FGTB wallonne, officiellement, il y aurait en Wallonie une offre pour 14 chômeurs et, à BXL, une pour 11. Mais, en réalité, les chiffres pourraient s’élever à une offre pour 48 demandeurs à BXL, et une offre pour 23 en Wallonie.

le traitement de choc et ses ressorts si peu secrets!

Elément révélateur: la réforme en profondeur de la législation organisant le chômage se situe, dans l’accord du gouvernement Di Rupo du 1er décembre 2011, dans la partie socio-économique, au chapitre 2 (Réforme socio-économique) qui concerne la "réforme du marché du travail pour accroître le taux d’emploi" et pas dans le chapitre 1 consacré à l’"Assainissement des finances publiques". Cela donne une indication de la vraie signification de cette réforme du chômage.

Précarisation généralisée du marché du travail

Les "fin de droit" aux allocations de chômage, la dégressivité de celles-ci jetant des dizaines de milliers de personnes sous le seuil de pauvreté, les contrôles de plus en plus drastiques de la "disponibilité" et de la recherche d’emploi entraînant sanctions et exclusions (3.117 pour 2012 et 1.714 pour les six premiers mois de 2013), cette "stratégie du choc" pousse toutes ces victimes à accepter n’importe quel boulot, dans n’importes quelles conditions.

La coalition du gouvernement fédéral a élargi la notion de contrôle de la disponibilité aux chômeurs entre 50 et 54 ans, aux travailleur·euse·s à temps partiel bénéficiant d’un complément "chômage", à celles et ceux qui se sont vu reconnaître par la médecine du travail de l’ONEm une aptitude de plus de 33%. Ces derniers

sont priés de chercher un travail adapté à leur handicap, par exemple, un travail... "sans stress"!

Le travail à temps partiel n’a fait qu’augmenter: en 2012, un travailleur sur quatre était à temps partiel (contre 1 sur 8 en 1993). Chez les femmes, on en était à 43,3%! Une note commune, FGTGB wallonne et CSC, du 16 janvier 2012 en tirait la conclusion: "En précarisant les sans emploi, ce sont les conditions de travail et de rémunération de tous les travailleurs que l’on tire vers le bas (...). Tout bénéfice pour le patronat et les actionnaires".

"l’armée de réserve des travailleurs"

Cette expression, conceptualisée par Karl Marx, se trouve réactualisée dans un rapport de 2004 du Conseil supérieur de l’Emploi. Il indiquait: "L’existence d’une main-d’œuvre compétente et en nombre suffisant est (…) nécessaire pour éviter qu’apparaissent des tensions salariales qui, en se répercutant sur le coût du travail, fragiliseraient la position compétitive des entreprises opérant en Belgique et provoqueraient des délocalisations. A cet égard, il importe d’ailleurs que la participation se traduise par un volume de main-d’œuvre effectivement disponible plus important"(9).

Quelle saisissante explication et illustration de la réforme du chômage du gouvernement Di Rupo! Dans son livre remarquable "Un pur capitalisme", Michel Husson, économiste français, a montré la forte corrélation entre un indice de financiarisation des entreprises non-financières (c’est-à-dire en fait les profits non réinvestis) et le taux de chômage

dans l’Union européenne(10). Ainsi donc, en liaison avec le

maintien délibéré d’une "armée de réserve" de travailleurs, les décisions des différents gouvernements, durcies dans ce gouvernement, sous la houlette d’une Premier ministre socialiste (la chronique d’une pauvreté programmée, l’exclusion du chômage de dizaines de milliers de personnes, le 1er janvier 2015 – après les élections de mai 2014! – la réduction des "coûts salariaux" et le blocage des salaires, la réduction des cotisations patronales, l’impôt riquiqui sur les sociétés, les intérêts notionnels...) servent, in fine, à fortifier la position des entreprises dans la jungle concurrentielle (intrinsèque à ce système capitaliste) et à gaver les actionnaires.

"La baisse de la part salariale a bénéficié aux actionnaires et non à la compétitivité-prix ou à l’investissement productif domestique", souligne Réginald Savage; "les surplus non réinvestis dans la sphère productive interne ou domestique se sont ainsi soit déversés dans la sphère financière, soit investis dans le développement de capacités de production concurrentes à l’étranger..."(11).

Le discours du gouvernement sur la compétitivité "c’est de l’arnaque!", déclarait, fin 2012, Daniel Richard. Il savait de quoi il parlait. La FGTB de Verviers et Communauté germanophone a examiné les comptes publiés par 88 entreprises verviétoises auprès de la Banque nationale: chiffre d’affaires, capital, bénéfices, dividendes, etc., sur la période 2005-2011. "On peut constater, soulignait le secrétaire interprofessionnel de la FGTB de Verviers, que les bénéfices ont enregistré une augmentation et ils ont été pompés à 60% par les actionnaires en tant que dividendes, avec une rémunération du capital investi de 13% à 14%. C’est autre chose que les carnets d’épargne à 2% ou 3%!".

Quant à l’emploi ou l’investissement productif, "ça ne suit pas de manière significative", constatait encore, avec une touche d’humour, le permanent syndical qui concluait: "le gouvernement a choisi le camp des actionnaires, à qui il ne demande pas d’efforts, pas celui des travailleurs"(12). A l’heure où ce dossier est écrit, le compteur de la FGTB wallonne en est à 352 jours avant l’exclusion (le 1er janvier 2015) du droit aux allocations de chômage pour 55.000 chômeurs.

un combat du monde du travail"Le gouvernement doit faire marche

arrière et supprimer la mesure", a déclaré

témoignage d’un responsable de bureau de chômage

"Je viens de recevoir une gamine de moins de vingt ans. Elle est inscrite depuis à peine un an. Son compagnon est déjà au CPAS, parce qu’il n’a pas terminé les secondaires inférieures. Elle avait été suspendue pour quatre mois. Elle est en état de peur-panique à l’idée de se représenter à l’ONEm. Elle vient d’être exclue définitivement parce qu’elle n’y est pas allée voici plusieurs semaines. Elle avait pourtant une bonne raison. Elle était hospitalisée pour une... tentative de suicide. On a vérifié, avec l’Office de droit social, on ne sait plus rien faire pour elle... Il y a un gosse de moins d’un an dans ce dossier." (8)

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Thierry Bodson, le secrétaire général de la FGTB wallonne, pointant l’exclusion de 55.000 demandeurs d’emploi de tout droit aux allocations dès le 1er janvier 2015. "Le politique doit prendre ses responsabilités pour éviter le bain de sang social vers lequel on se dirige"(13). La secrétaire générale de la FGTB nationale, Anne Demelenne, demande également le retrait de cette mesure: "Evidemment, c’est une mesure qui portera son effet après les élections, mais c’est justement pour cela que nous allons faire pression immédiatement pour qu’elle soit retirée"(14).

En liaison avec le compte à rebours des exclus du chômage, montrons systématiquement la tache noire sur le front de ce gouvernement, des ministres socialistes en particulier! Que la campagne électorale serve d’écho, de dénonciation de ces mesures contre les chômeurs, en montrant l’ampleur de cette catastrophe sociale et ceux qui en portent la responsabilité! Multiplions les prises de position et les actions pour exiger l’abrogation des arrêtés (ministériels et royal) organisant cette réforme du chômage (la fin de droit aux allocations et la dégressivité de celles-ci jusqu’à un forfait situé en dessous du seuil de pauvreté). C’est un combat du monde du travail, travailleurs avec et sans emploi!

Certes, comme le souligne la FGTB de Charleroi-Sud Hainaut dans sa brochure "Politique et indépendance syndicale, 8 questions": "le chômage massif, la précarisation du travail, le morcellement de l’emploi, l’internationalisation du capital et le rôle despotique de l’Union Européenne font que les rapports de force dans les entreprises sont de plus en plus défavorables aux travailleurs. Pour y faire face, souligne la FGTB de Charleroi, nous avons évidemment besoin en premier lieu d’un syndicalisme plus combatif et démocratique, qui se donne les moyens d’action pour changer le rapport de force, qui ose poser des revendications anticapitalistes"(15).

Besoin d’unité des mouvements sociaux, syndicaux et politiques, pour faire barrage aux mesures d’austérité et de régression sociale, dont ces attaques criminelles contre les chômeurs! Nous avons besoin également d’une force politique nouvelle, anticapitaliste, à gauche du PS et d’Ecolo dans les luttes sociales et sur le terrain politique. C’est le sens de l’appel que la FGTB de Charleroi lançait le 1er mai 2012 et qui devrait trouver une première concrétisation lors des élections de mai 2014. ■

1. Voir plusieurs contributions de Daniel Richard, secrétaire régional interprofessionnel de la FGTB de Verviers et Communauté germanophone. Dont: "les ressorts politiques de la réforme du chômage"

2. Le quotidien La Meuse du 20/11/2013

3. Le RIS (revenu d’intégration sociale): au 01/09/2013, il était de 1089,82 euros pour un chef de ménage; de 817,36 pour un isolé et de 544,91 pour un cohabitant

4. Daniel Richard: "Epuration dans ''l’armée de réserve des travailleurs" Le chômage contre les salaires"

5. Le Soir, "La colère de Di Rupo. Di Rupo morigène ''tous ces défaitistes!''", propos recueillis par David Coppi et Véronique Lamquin, 6 juin 2012

6. Daniel Richard, "Comment et pourquoi Di Rupo met 35.000 Wallons à genou!"

7. Chambre des représentants, Commission des Affaires sociales, réunion du 22 janvier 2013

8. Daniel Richard, Contrat, discrimination, maltraitance, harcèlement. Une valse à quatre temps!

9. D. Richard, "Epuration dans ''l’armée de réserve des travailleurs''!", op. cit.

10. D. Richard: "Les ressorts politiques de la réforme du chômage"

11. Réginald Savage et Michel Husson, Salaire et compétitivité, pour un vrai débat. Les petits dossiers de l’autre économie, Editions Couleur Livre, Econosphères, Gresea 2013

12. Le quotidien Le Jour du 27/4/2012 (Verviers)

13. La Meuse, 20/11/2013

14. Le Soir du 14/1/2014

15. Brochures de la FGTB de Charleroi-Sud Hainaut: (1) "Politique et indépendance syndicale, 8 questions" ; (2) "Changer de cap maintenant; 10 objectifs d’un programme anticapitaliste d’urgence". Disponible en ligne sur www.lcr-lagauche.org/category/nos-blogs/debat-syndical

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✒ par LCR-JAC

1er jour:Nous étions 300 (le collectif des

Afghan·e·s et leurs soutiens) à partir de l’église du béguinage ce 20 décembre. Les Afghan·e·s ont voulu marcher jusque Mons dans le but de rencontrer le Premier ministre (qui est également le bourgmestre de Mons). Cette marche a aussi permis de rencontrer les Wallon·ne·s, de discuter avec des personnes qui n’avaient jamais entendu parler de cette lutte de sans-papiers et de casser le cliché raciste du sans-papier que l’on voit souvent dans les médias.

Notre premier arrêt s’est fait à Waterloo pour la pause de midi. Un camarade de la LCR ainsi qu’une personne de la Ligue des Droits de l’Homme ont organisé l’accueil. Le bourgmestre de Waterloo a refusé de rencontrer une délégation et empêché les marcheurs de passer par le centre-ville. Tout a été fait pour que nous soyons le moins visible possible. Il y a eu une distribution de nourriture faite par des habitants de Waterloo. Un peu de soupe a été distribuée par le CPAS.

Le soir nous sommes arrivés à Nivelles, nous avons eu le droit de passer par la Grand-Place, il y avait du monde et nous

avons pu nous faire entendre, tracter, dis-cuter... Nous avons passé la nuit dans les bureaux de la CNE. Les travailleurs du syn-dicat nous avaient préparé à manger pour le soir et le petit-déjeuner du lendemain.

2ème jour: Nous avons marché jusque La

Louvière. Tout le long du chemin nous avons croisé des gens qui étaient déjà au courant de notre marche, certaines personnes nous faisaient un signe avec le pouce levé, nous applaudissaient, nous ont donné à boire. Lorsque nous sommes arrivés à La Louvière, il y avait un comité d’accueil pour nous accompagner dans les derniers

la Marche des afghans vers Mons

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mètres jusqu’à la maison communale. Une délégation (dont un camarade de la LCR) a été reçue à la maison communale. Nous leur avons parlé de la motion de soutien aux Afghan·e·s qui a été votée à Ixelles. On nous a dit qu’ils/elles allaient essayer de voter une motion semblable à La Louvière.

Nous nous sommes ensuite rendus dans une grande salle de La Louvière. Il y avait encore plus de monde, des grandes tables qui n’attendaient que nous et tout au bout il y avait une scène avec baffles et micros. Une grosse quantité de nourriture était posée sur d’autres tables, nous nous sommes servis. Pendant que nous mangions il y avait des discours, un petit concert et un concert improvisé des Afghan·e·s.

3ème jour:Après avoir dormi à La Louvière nous

nous sommes levés fatigués mais pleins d’espoirs pour notre dernier jour de marche. Tout le long des 3 jours, la police ne nous a pas lâché et nous a dirigé. Ce troisième

jour nous avons marché beaucoup le long du Canal du Centre. Au moment où il fal-lait quitter le canal et repasser par la ville, la police a refusé. Il y avait deux motards et un policier à pied. Nous avions le rap-port de force en notre faveur, nous avons donc quitté le canal dans le calme.

Lorsque nous sommes arrivés à Mons nous avons appris que Monsieur Di Rupo n’était pas présent pour nous recevoir et que nous n’avions pas le droit d’aller sur la Grand-Place (sur laquelle se trouve l'Hôtel de Ville) sous-prétexte qu’il y avait le marché de Noël. Nous avons forcé le barrage dans le calme et avons été devant l'Hôtel de Ville. Après quelques heures, le Bourgmestre faisant fonction nous a reçus et des négociations ont commencé. Nous avons demandé à rencontrer Elio Di Rupo mais il en était hors de question pour les autorités montoises. Les Afghan·e·s ont décidé de passer la nuit sur la Grand-Place. Il pleuvait et faisait très froid.

Le lendemain un accord avait été

trouvé. Les Afghan·e·s devaient quitter la place pour rencontrer le lendemain le Premier ministre ainsi que la secrétaire d’état à l’Asile et l’Immigration (Maggie De Block). Le collectif a accepté. La rencontre avec Di Rupo et De Block n’a rien donné, ils ont voulu diviser le mouvement en leur proposant de refaire des demandes individuelles auprès de l’Office des Etrangers. C’est à ce moment-là qu’est venue l’idée de marcher à nouveau mais en Flandre cette fois-ci. ■

entre deux marches... la vie au Béguinage

Dès qu'on entre dans cette église, camp de réfugiés Afghans, les yeux sont assaillis par la pénombre, les oreilles par un bruit de fond qui recouvre le détail des bruits, la beauté des mots.

Mais les sourires qui vous accueillent ont vite fait de vous ramener dans la réalité de cette longue lutte, digne, profondément humaine, chaleureuse...

On se pose après la longue marche vers Mons. On reprend des forces comme on peut avant de reprendre le chemin du combat. Marcher, encore marcher vers la lumière. – F.M.

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Maggie au front dans la guerre contre les pauvres...✒ par Freddy Mathieu

De Maggie De Block, la secrétaire d’Etat à la Lutte contre la pauvreté et à l’Intégration sociale, on pourrait parler pour son obstination à faire la guerre... aux pauvres! En vue de renforcer les contrôles, elle avait commandé une étude à PriceWaterhouseCoopers (PwC) sur la fraude dans les CPAS. Les résultats lui ont été transmis récemment. Ils montrent que les fraudes sont relativement peu nombreuses (6.000 cas sur 136.000 bénéficiaires d’aide sociale, un peu plus de 4% de fraudes au revenu d’intégration sociale (RIS) et 4,5% pour l’aide sociale).

Petite comparaisonPlusieurs journaux se hasardent

à estimer le coût pour la collectivité et bien entendu sous des titres qui visent à généraliser un préjugé négatif aux 96% qui n’ont commis aucune fraude.

Selon le groupe Sud-Presse tout cela aurait coûté 10 millions d’euros à la collectivité en 2012: 166€/an pour chaque fraudeur, soit un coût de 8 cents par mois pour chaque citoyen. Dans le même temps la fraude fiscale, estimée à 20 milliards d’euros annuellement, leur a coûté 166€! Soit 2000 fois plus.

les journaux ne parlent pas du prix de l’audit mené par PriceWaterhouseCoopers...

Pas plus que de ceux qui n’ont pas besoin de frauder pour s’en mettre plein les poches, parce que toutes les dispositions ont été prises en leur faveur pour qu’ils ne paient pas d’impôts (ou si peu). Nos ministres ne perdent pas une occasion de vanter leurs mérites d’entrepreneurs et vont même leur rendre visite dans les montagnes de Davos pour les embrasser sur la bouche... ■

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✒ par Guy Van Sinoy

Est-ce l’approche des élections de mai 2014 et la perspective d’une débâcle électorale qui incite le SP.a à lancer toute une série de propositions en matière d’emploi et de sécurité sociale? Toujours est-il que la proposition avancée par son président Bruno Tobback d’ouvrir le droit à la pension après 42 ans de carrière et celle de Monica Deconinck, ministre de l’Emploi, de rémunérer avec des chèques services les jeunes chômeurs mis au travail semble indiquer que le SP.a a perdu tous ses repères avec le monde du travail.

les jeunes et les pensionsQuand on parle des pensions beaucoup

considèrent que c’est une matière qui concerne avant tout les travailleurs âgés. Pas du tout! La pension concerne toutes les catégories d’âge des travailleurs du secteur public et du privé, mais aussi les jeunes qui ne sont pas encore entrés dans le monde du travail. Car tous et toutes, vous serez un jour pensionné·e... sauf si vous mourez avant! "Mourir avant" signifie décéder par maladie ou par accident avant l’âge de la pension, ou encore mourir d’épuisement au travail parce que l’on vous aura obligé à travailler jusqu’à un âge de plus en plus avancé.

Voici un exemple significatif. Fin 2011, dès la mise en place de son gouvernement, Di Rupo a imposé de nouvelles mesures d’austérité (atteinte au droit aux allocations d’attente pour les jeunes qui sortent de l’école, nouvelles règles pour le calcul de la pension dans le privé et dans le public, etc.), toute la presse de l’époque a écrit que les jeunes étaient touchés par les mesures d’austérité car on remettait en question les allocations d’attente. Mais les jeunes étaient touchés par toutes les mesures, y compris par celles concernant les pensions car eux aussi seront pensionnées un jour!

En réalité, les mesures Di Rupo de fin 2011 ont touché tous les travailleurs. Les jeunes en particulier car ils sont concernés en plus par le stage d’attente (voir notre dossier en pages 6 à 10).

42 ans de carrière? une fausse bonne idée!

Bruno Tobback a donc lancé l’idée d’accorder la pension légale après 42 ans de carrière. A première vue, ce n’est une mauvaise affaire dans la mesure où dans le système actuel l’âge de la pension légale, pour les femmes comme pour les hommes, est fixé à 65 ans et une pension complète se calcule sur 45 ans de carrière.

Première remarque, la situation actuelle est déjà un recul social car dans le passé l’âge légal de la pension pour les femmes était fixé à 60 ans (avec une pension complète calculée sur 40 ans de travail) et celle des hommes à 65 ans (45 ans de carrière). Sous prétexte "d’éviter la discrimination entre les hommes et les femmes", l’âge de la pension pour les femmes a progressivement été reculé à l’âge de 65 ans (pension complète sur 45 ans). Franchement, on aurait pu tout aussi bien lutter contre les discriminations en abaissant l’âge légal de la pension à 60 ans pour les hommes! Vous ne trouvez pas?

Deuxième remarque importante. Il existe pour le moment un âge légal de la pension: 65 ans, quelle que soit la carrière. Avec le système proposé par Tobback, l’âge légal de la pension disparaît. L’âge de la pension devient individualisé en fonction du parcours de carrière. Une infirmière, diplômée à 22 ans, qui commence à travailler puis interrompt sa carrière pendant quelques années pour s’occuper de ses jeunes enfants, puis reprend le travail devra peut-être ainsi travailler jusque 70 ans pour avoir le droit à la pension!

Car, attention, aujourd’hui chacun et chacune a droit à la pension à l’âge de 65 ans. Bien entendu le montant de la pension dépendra de ce que l’on a gagné pendant sa carrière. Pour le moment, les années de chômage, de maladie, d’interruption de carrière sont des périodes "assimilées": ces années comptent mais le montant de la rémunération pour le calcul de la pension est moindre. Fin 2011, Di Rupo a décidé de limiter le nombre d’années assimilées et certaines de ces années compteront pour zéro. Certains se retrouveront ainsi

avec une pension partielle (de 40/45e, par exemple, s’il leur manque cinq ans d’assimilation pour une pension com-plète) mais le droit de partir en pension est toujours fixé à 65 ans.

Avec le système Tobback, tout change et l’âge auquel on a le droit de partir en pension disparaît. Tout repose sur la carrière. Or, aujourd’hui, étant donné la situation économique, quel jeune (et quel moins jeune) peut garantir qu’il ou elle travaillera pendant 42 ans? D’autant plus que la neutralisation des années assimilées imposée par Di Rupo n’est sans doute qu’un début. Avec le système Tobback on court tout droit au massacre en matière de droit à la pension et on détruit ainsi une conquête essentielle du mouvement ouvrier dans notre pays, même si le montant moyen actuel des pensions est trop bas.

le système des chèques-services

Petit rappel: comment fonctionne le système des chèques-services? Des particuliers ont la possibilité d’employer à leur domicile des travailleurs (la plupart du temps des femmes) pour accomplir des tâches ménagères. Le particulier délivre un chèque (acheté plus ou moins neuf euros chez Sodexo) par heure de travail prestée. Le travailleur perçoit un salaire horaire proche du salaire minimum légal (plus ou moins 11,50 euros l’heure). Les pouvoirs publics prennent en charge la différence ainsi que les cotisations à la sécurité sociale.

Les ministres qui ont mis en place ce système de titres-services clament que cela a "permis de sortir du travail au noir" des dizaines de milliers de travailleuses. Il est vrai qu’avant cela, la plupart des ménages qui employaient une femme de ménage le faisaient "en noir" et ne s’encombraient pas des services d’un secrétariat social pour rentrer des déclarations à l’ONSS. Indépendamment de cela, le système des chèques-services tel qu’il fonctionne actuel-lement comporte de solides inconvénients: la gestion des chèques est assurée par des firmes privées (il y a souvent des fraudes), le salaire des personnes employées est trop

quand le sP.a détruit les acquis sociaux

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bas, le nombre d’heures à prester reste tou-jours aléatoire et dépend du bon vouloir des utilisateurs, les travailleuses employées dans ce cadre n’ont pas la garantie d’un emploi à plein temps, les chèques-services sont déductibles fiscalement c’est-à-dire que ce sont les plus fortunés qui en profi-tent le plus car la déductibilité porte sur la tranche la plus élevée de l’impôt des per-sonnes physiques (alors que la déductibilité fiscale ne devrait être accordée qu’aux rev-enus les plus bas). Bref si de nombreuses améliorations doivent être apportées en matière de chèques-services (certaines centrales syndicales s’en occupent active-ment) le fait est que ce système concerne surtout des travailleuses atomisées (isolées les-unes des autres) car travaillant chez des particuliers.

etendre les chèques-services dans les entreprises?

La ministre de l’Emploi, Monica Deconinck celle qui, il y a quelque temps, parlait de "prendre les jeunes chômeurs par le collier pour les amener au travail" (en général ce sont les chiens que l’on prend par le collier), propose un chèque-travail pour mettre 15.000 jeunes peu diplômés au travail, sur le modèle des chèques-services.

Actuellement, dans le cadre du plan Activa, un employeur qui engage un jeune peu qualifié peut compter sur une réduction de 1.000 euros par mois du coût salarial (Oui! Mille euros par mois! Vous

avez bien lu!). Evidemment, une fois que le contrat arrive à son terme, que se passe-t-il? Le jeune vole dehors et l’employeur recommence avec un autre jeune. Autrement dit, ce système Activa ne crée pas d’emplois; il permet simplement aux entreprises de faire travailler des jeunes à un salaire bon marché. D’une manière générale, aucun employeur n’engagera jamais de travailleurs (ni jeune, ni vieux) s’il n’en n’a pas besoin et s’il ne peut espérer en tirer un profit important.

Prétextant que les démarches du plan Activa sont trop lourdes pour les PME, la ministre de l’Emploi veut permettre aux entreprises (pas seulement aux PME!) d’engager avec un système de chèques-services des jeunes de moins de 30 ans qui n’ont pas de diplôme de l’enseignement secondaire et qui chôment depuis six mois. Autrement dit, ce qui a été imaginé pour les particuliers qui ne déclaraient pas leur femme de ménage à la sécurité sociale serait maintenant étendu à toutes les entreprises.

Avec la multiplication des cadeaux faits aux entreprises sous la forme de baisse des cotisations à la sécurité sociale (c’est-à-dire le vol des salaires indirects qui doivent servir à payer les dépenses sociales), les délégués syndicaux dans les entreprises rencontrent quotidiennement des travailleurs ayant un statut spécial. Mais jusqu’ici, toutes les relations sociales y compris salariales restaient de la com-pétence de la délégation syndicale. Un

exemple: la délégation peut revendiquer qu’il n’y ait aucune discrimination de salaire envers les travailleurs sous statut spécial. Avec l’instauration d’un sys-tème de titres-services tel que l’imagine Monica Deconinck, le salaire du jeune engagé échappe totalement à la concerta-tion sociale dans l’entreprise. Le chèque coûterait à l’employeur dix euros l’heure! N’ayons pas peur des mots: il s’agit d’une mesure corporatiste comme il peut en exis-ter dans les régimes fascistes.

quoi? tu veux un emploi et en plus un salaire?

La FEB a immédiatement déclaré qu’elle regrettait que cette mesure ne concerne que les jeunes peu qualifiés. Elle souhaite l’étendre à tous les travailleurs! Ben voyons. Quand on a la chance d’avoir une ministre de l’Emploi qui détricote le droit social avec autant de désinvolture pourquoi se contenter de demi-mesures? Tirons sur la ficelle jusqu’au bout avant de réintroduire dans les entreprises le livret de travail, comme au bon vieux temps du 19e siècle!

Dans l’immédiat, il y a cependant peu de chances que le projet de Monica aboutisse avant les élections. Car ce à quoi elle semble ne pas avoir pensé est qu’avec la réforme de l’Etat, les chèques-services seront désormais régionalisés. Et donc se pose la question de savoir qui va payer? Si cela cale avant les élections, gageons toutefois que ce ne sera que partie remise pour le patronat. ■

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✒ propos recueillis par Bernard Duterme (CETRI)

Historien médiéviste reconnu inter-nationalement, Jérôme Baschet est sans doute aujourd’hui l’observateur franco-phone le plus proche de la rébellion des indigènes zapatistes du Sud-Est mexicain. Enseignant à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (Paris) et à l’Université autonome du Chiapas (San Cristobal de Las Casas) depuis plus de quinze ans, il a consacré au mouvement zapatiste de multiples travaux, dont le remarqué La Rébellion zapatiste. Insurrection indienne et résistance planétaire (Flammarion, 2005). En 2013, il a préfacé l’ouvrage Eux et Nous (Editions de l’Escargot) qui publie des textes récents des sous-commandants Marcos et Moisés, porte-parole de la rébel-lion. Est sorti de presse en janvier 2014, son nouveau livre, largement fondé sur l’inspiration zapatiste, Adieux au capital-isme. Autonomie, société du bien vivre et multiplicité des mondes (La Découverte).

en ce 20e anniversaire du soulèvement indigène du 1er janvier 1994, la dynamique zapatiste est-elle toujours à ce point porteuse de sens et d’espoir pour les résistances altermondialistes et les luttes d’émancipation dans le monde?

Jérôme Baschet: Au cours des années récentes, principalement de 2007 à 2011, il était courant d’entendre dire que le mouvement zapatiste s’était épuisé. Au Mexique, les médias et certains intellectu-els plutôt hostiles entretenaient les rumeurs sur la débandade au sein de l’EZLN (Armée zapatiste de libération nationale) ou sur la mort du sous-commandant Marcos. Pour tous ceux-là, et à dire vrai pour tout le monde, la mobilisation mas-sive du 21 décembre 2012, le "jour de la fin du monde", a été une surprise totale: plus de 40.000 zapatistes ont occupé, dans un silence impressionnant et de manière aussi ordonnée que pacifique, cinq villes du Chiapas (presque les mêmes que le 1er janvier 1994). Cela a constitué un démenti

cinglant à toutes les rumeurs, démontrant que la relative discrétion des années pré-cédentes ne signifiait pas un déclin, mais la préparation silencieuse d’une nouvelle étape de la lutte.

Depuis, la "petite école zapatiste" a constitué une impressionnante démon-stration de force et d’inventivité politique. Parmi les autres initiatives annoncées dans la série de communiqués intitulée Eux et nous, il y a l’appel à constituer un réseau planétaire de luttes, appelé "la Sexta" (en référence à la Sixième déclaration de la Selva lacandona). Pour cela, les zapatistes soulignent qu’il ne s’agit plus de faire la liste, connue jusqu’à la nausée, des NON de ce que nous refusons, mais d’élaborer collectivement les OUI qui caractérisent les mondes que nous voulons. En matière de construction de ces mondes alternatifs, il me semble que les zapatistes ont dével-oppé une expérience qui, sans nullement constituer un modèle, est l’une des plus importantes que l’on puisse observer aujourd’hui. Il serait très dommage, pour tous ceux qui ne désespèrent pas d’un véritable projet d’émancipation, de ne pas tourner le regard vers cette expérience, pour apprendre d’elle ce qui peut l’être, y chercher une possible source d’inspiration et, à tout le moins, un regain d’énergie et d’espérance.en 2013, les zapatistes ont lancé une nouvelle invitation aux "zapatisants" du monde entier à venir se frotter de près aux réalités de la vie quotidienne des communautés rebelles autonomes, durant ce qu’ils ont appelé "la petite école zapatiste" (dont une première session a eu lieu en août dernier, une deuxième et une troisième autour du 1er janvier 2014). vous y avez participé: quel bilan tirent

ces communautés et quel bilan tirez-vous vous-même de la situation d’"autonomie de fait" qu’elles ont construite depuis plus d’une décennie (en réaction au non-respect gouvernemental des accords de san andrés censés précisément officialiser une certaine forme d’autonomie indigène)?

La "petite école" du mois d’août, qui a permis à près de 1500 personnes de partager, une semaine durant, la vie de familles zapatistes, a été une expérience exceptionnelle et parfois bouleversante, y compris sur le plan émotionnel. Cela a également été, pour les zapatistes eux-mêmes, l’occasion de faire une évalu-ation collective de l’autonomie, qui a été consignée dans quatre élégants fascicules remis aux participants de la "petite école". Ce bilan est d’une grande honnêteté ; il fait une large place aux difficultés, aux tâton-nements de ceux qui, au moment de se constituer en autorités, savaient n’être pas préparés pour cela et ont dû "cheminer en questionnant" ; de nombreuses lacunes et des erreurs parfois graves sont également reconnues. Néanmoins, ce qui a été réalisé est remarquable.

le goût de la liberté des zapatistes

Ce que les zapatistes ont créé peut être considéré comme un autogouvernement de démocratie radicale. ils démontrent que la politique n’est pas une affaire de spécialistes et que les gens ordinaires (que nous sommes aussi) sont capables de s’emparer des tâches d’organisation de la vie collective.

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Prenant appui sur les traditions indiennes tout en les renouvelant profon-dément, un système d’autogouvernement a été mis en place, au niveau des villages, des communes et des régions. Cinq "Conseils de bon gouvernement" fonctionnent, rendent la justice, organisent la prise de décision collective sur la base d’un mécanisme complexe de consultation des assemblées locales, communales et régionales. Un sys-tème de santé autonome a été mis en place ; des centaines d’écoles autonomes ont été créées et plus d’un millier d’enseignants ont été formés. Et cela sur la base d’un refus absolu de toute aide gouvernemen-tale. Ce que les zapatistes ont créé peut être considéré comme un autogouvernement

de démocratie radicale. Ils démontrent que la politique n’est pas une affaire de spécial-istes et que les gens ordinaires (que nous sommes aussi) sont capables de s’emparer des tâches d’organisation de la vie collec-tive. Ils appellent cela l’autonomie, terme qui, pour eux, n’a rien à voir avec une simple décentralisation des pouvoirs de l’Etat, mais désigne une démarche claire-ment antisystémique, à la fois construction d’une autre réalité sociale et mise en place d’une forme non étatique de gouverne-ment, dans laquelle la séparation entre gouvernants et gouvernés tend à se réduire autant que possible. C’est cela le "bilan" du zapatisme, 20 ans après le Ya Basta! de 1994, et ce n’est pas rien.

quelle est la viabilité sociale d’une telle expérience émanci- patrice dans un contexte politique, militaire et écono- mique toujours aussi adverse?

La situation des communautés rebelles est certes moins dramatique qu’elle ne l’était entre 1997 et 2000 (paramilitarisa-tion orchestrée par le gouvernement fédéral, dizaines de milliers de déplacés, massacre d’Acteal en décembre 1997). Néanmoins, l’hostilité contre-insurrectionnelle reste aujourd’hui manifeste. Elle agit surtout par l’intermédiaire de groupes et organisa-tions que les autorités incitent à harceler les communautés zapatistes, notamment afin de leur soustraire des terres récu-

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pérées en 1994 et que celles-ci cultivent depuis lors (elles n’ont pas été légalisées, faute d’un accord de paix mettant fin au conflit). Il y a actuellement plusieurs communautés zapatistes qui ont dû aban-donner leurs villages à la suite d’actions de ce genre, menées les armes à la main. Autre exemple, dénoncé l’an dernier: une organisation non zapatiste avait reçu une aide gouvernementale ; l’accord prévoyait que le projet ainsi financé devait utiliser un hangar dont les zapatistes font usage depuis les années 1990 pour y entreposer leur récolte de café.

Si l’EZLN répondait à la violence par la violence, ce serait le prétexte idéal pour une intervention de l’armée fédérale. Poursuivre la construction de l’autonomie suppose donc d’avoir assez de sang-froid pour ne pas "répondre à la provocation". Cela dépend aussi de la vigilance de la

"société civile" mexicaine et internationale, qui est essentielle, car elle rappelle aux autorités fédérales que les zapatistes ne sont pas seuls.

dans certaines régions et communautés du Chiapas, la population indigène elle-même est hostile à la rébellion zapatiste. Comment ces clivages, parfois violents, évoluent-ils aujourd’hui?

Hormis ces situations de conflit ouvert, presque toujours induits ou encouragés par les autorités, zapatistes et non zapatistes sont tout à fait capables de coexister pacifiquement. C’est ce qui se passe dans la plupart des villages du Chiapas. Une grande partie de la population indigène, sans être zapatiste, ne leur est pas hostile et leur témoigne souvent un véritable respect.

Du reste, les cliniques zapatistes sont ouvertes aux non zapatistes, qui savent qu’ils y seront mieux traités que dans les hôpitaux publics où règnent racisme et inefficacité (nombreux cas récents de femmes indigènes ayant accouché à l’entrée d’hôpitaux publics sans être prises en charge). Il est également fréquent que des non zapatistes fassent appel à l’un des "Conseils de bon gouvernement" pour résoudre une question juridique. Ils bénéficient là d’une justice gratuite, rapide et exercée par des personnes qui connaissent la réalité indienne, ce qui n’est pas le cas des instances constitutionnelles, dont la corruption est profonde. L’un des cinq "Conseils de bon gouvernement" s’est récemment inquiété d’avoir trop de cas de non zapatistes à traiter: il a simplement décidé, sans revenir sur le principe de gratuité, de demander que soient couverts

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les modestes frais de déplacement (en microbus) des personnes en charge de la justice, lorsque celles-ci devaient se rendre sur les lieux de l’affaire !

sur le plan national, les zapatistes ont relancé dernièrement la dynamique du "Congrès national indigène" qui fédère les luttes des peuples indiens du Mexique contre l’exploitation de leurs territoires. au-delà, quelles sont les relations de l’eZlN avec les diverses composantes de la gauche mexicaine ?

Fondé en 1996, le Congrès national indigène rassemble des organisations de la plupart des ethnies du pays (plus de cinquante au total). Sa dernière réunion générale, en août dernier, a été convoquée à l’initiative de l’EZLN et a pris le nom de "chaire tata Juan Chavez", en l’honneur de l’un des fondateurs du CNI, récem-ment décédé. Des centaines de délégués des organisations indiennes de tout le pays y ont dressé l’effrayante liste des attaques contre leurs territoires et leurs formes d’organisation communautaire, depuis le détournement illégal de l’eau du fleuve Yaqui dans l’Etat de Sonora jusqu’à l’implantation massive d’éoliennes détrui-sant l’écosystème lagunaire dont vivent les pécheurs de l’isthme de Tehuantepec, sans oublier les récentes attaques contre la police communautaire des régions mon-tagneuses du Guerrero. Le CNI est le lieu de convergence et d’appui mutuel entre ces multiples luttes indiennes.

Les zapatistes ayant dit et répété qu’ils rejetaient totalement la politique d’en haut, celle de l’Etat et du système des partis, leurs relations avec le Partido de la Revolución Democrática (depuis son adhésion au Pacte pour Mexico du président Peña Nieto peut-on encore le dire "de gauche"?) ainsi qu’avec López Obrador, qui tente de fonder un nouveau parti, sont inexistantes. Pour les zapatistes, ce qui importe c’est de tisser des liens avec les organisations dont la lutte ne s’inscrit pas dans une perspective électorale, ainsi qu’ils l’ont fait dans le cadre de "l’Autre campagne".

On se souvient que le jour du soulèvement indigène zapatiste du 1er janvier 1994 fut aussi celui de l’entrée en vigueur des accords de libre-échange nord-américain – alena (Mexique, etats-unis, Canada). vingt

ans plus tard, quel bilan les zapatistes dressent-ils de cette ouverture du marché mexicain aux grands voisins du Nord? quelle influence a-t-elle eu sur leur propre lutte?

Pour les zapatistes, il est clair que l’Alena, signé entre des puissances aussi manifestement inégales, fait partie de la "quatrième guerre mondiale" qui, en soumettant peuples et Etats à la logique néolibérale, tend à les détruire. De manière plus spécifique, l’Alena a fonctionné comme "arme de destruction massive" contre la paysannerie mexicaine. Dans les années 1980, le Mexique était autosuffisant pour sa production de base ; aujourd’hui, il importe la moitié du maïs consommé, pour ne rien dire des autres céréales. L’abandon pur et simple du monde rural faisait explicitement partie du projet du président Salinas de Gortari, lorsqu’il a signé l’Alena. Il s’agissait de vider les campagnes et de mettre fin à un mode de vie archaïque dont la logique technocratique se plait à souligner qu’il n’apporte presque rien au PIB national. Le résultat est catastrophique: migrations, déstructuration des communautés, baisse de la production, imposition de nouvelles formes de consommation, dépendance accrue à l’égard du marché, etc. Aux côtés d’autres organisations qui défendent une agriculture paysanne et promeuvent la souveraineté alimentaire, l’autonomie telle qu’elle se construit en territoire zapatiste se présente comme une alternative au désastre rural mexicain.

quelles sont, à vos yeux, les perspectives de la dynamique zapatiste ("anticapitaliste, en bas à gauche ") comme critique en actes du modèle dominant et d’un certain rapport au politique?

Le mouvement zapatiste (notamment "la Sexta") se définit à la fois par un anti-capitalisme conséquent et par un refus de la politique d’en haut, celle qui est centrée sur le pouvoir d’Etat et le jeu des partis. Ce second point renvoie évidemment à une question sensible, qui provoque mal-heureusement bien des divisions au sein des gauches mondiales. Pour les zapatistes, cette posture est le résultat d’une histoire jalonnée de trahisons (accords signés par le gouvernement mais jamais respectés, vote des parlementaires de tous les partis contraire au projet de réforme constitution-

nel issu des Accords de San Andrés). Elle repose aussi sur le fait que le choix de la conquête du pouvoir d’Etat conduit, dans un monde dont la globalisation est irré-versible, à une soumission, plus ou moins maquillée, aux logiques systémiques et, de plus, à une accentuation de la séparation entre gouvernants et gouvernés.

Sur cette base, il n’y a pas d’autre option que de multiplier les espaces permettant d’amorcer la construction de formes d’organisation collective alternatives. Mais, attention, les zapatistes ne prônent pas la stratégie de la désertion et il ne s’agit pas, pour eux, de créer quelques îlots de paix supposément protégés du désastre capitaliste. Ils savent fort bien que, pour construire, il faut une force collective organisée. Et, même si l’autonomie qu’ils ont construite est sans doute l’un des "espaces libérés" les plus amples actuellement existants, ils savent aussi qu’une telle autonomie doit être défendue en permanence contre de multiples agressions et qu’elle demeure nécessairement partielle, vu son environnement systémique. De ce fait, construire et lutter contre doivent être conçus comme deux démarches indissociables. Durant la "petite école", l’un des "maestros" zapatistes nous a demandé à tous: "et vous, est-ce que vous vous sentez libres?". Pour eux, la réponse est claire. Malgré des conditions de précarité extrêmes, ils ont fait le choix de la liberté ; ils décident eux-mêmes de leur propre manière de s’organiser et de se gouverner. C’est sans doute ce goût de la liberté et la dignité qui en découle que l’on perçoit dans la manière d’être si singulière des zapatistes. ■

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✒ propos recueille par Juan Tortosa

L’écoféminisme est assez peu connu dans les pays francophones. La littéra-ture existante se concentre pratiquement exclusivement sur l’écoféminisme spiritu-aliste. Ce courant est la plupart du temps considéré avec méfiance, y compris par les milieux écologistes radicaux qui y voient un retour mystique à la terre. Certain·e·s d’entre elles·eux critiquent en particulier l’idée "essentialiste" d’une partie de ce mouvement qui considère que le simple fait d’être une femme implique une relation différente à la nature. Nous avons décidé d’en discuter avec Yayo Herrero, profes-seure à l’Université Nationale d’Education à distance de Madrid et co-coordinatrice des Ecologistes en Action (Espagne).

qu’est-ce que l’écoféminisme et quelle est son histoire?

L’éco fémini sme e s t un vas t e mouvement de femmes né de la conscience de cette double problématique et de la conviction que les luttes, pour à la fois l’écologie et le féminisme, contiennent les clés de la dignité humaine et de la soutenabilité dans l’égalité.

Dans les mouvements de défense de la terre il y a eu et il y a beaucoup de femmes. On connaît le rôle des femmes dans le mouvement Chipko de défense des forêts, dans le mouvement contre les barrages du fleuve Narmada en Inde, dans la lutte contre les résidus toxiques du Love Canal, à l’origine du mouvement pour la justice de l’environnement aux États-Unis, comme celui de leur présence dans les mouvements locaux de défense des terres communales, dans la lutte pour l’espace

public urbain ou pour des aliments sains. L’écologisme de beaucoup de femmes pauvres est un écologisme de qui dépend directement d’un environnement protégé pour pouvoir vivre.

Au milieu du siècle passé le premier écoféminisme a débattu des hiérarchies établies par la pensée occidentale et a revalorisé les termes de la dichotomie auparavant dépréciés: femme et nature. La culture masculine a déclenché des guerres génocidaires, la dévastation et l’empoisonnement de territoires, l’instal- lation de gouvernements despotiques. Les premières écoféministes dénoncèrent les effets de la techno-science sur la santé des femmes et s’affrontèrent au militarisme et à la dégradation environnementale. Elles comprenaient ceux-ci comme des manifestations de la culture sexiste. Petra Kelly est une de leurs représentantes.

Après ce premier écoféminisme, critique de la masculinité, ont suivi d’autres propositions principalement venues du Sud. Celles-ci considèrent les femmes comme porteuses du respect de la vie. Elles accusent le "mal-développement" occidental de provoquer la pauvreté des femmes et des populations indigènes, premières victimes de la destruction de la nature. C’est peut-être l’écoféminisme le plus connu. Dans ce vaste mouvement nous trouvons: Vandana Shiva, Maria Mies et Ivone Guevara.

Dépassant l’essentialisme de ces pos i t ions , d ’aut r e s éco fémini s t e s constructivistes (Bina Agarwal, Val Plumwood) voient dans l’interaction avec l’environnement l’origine de cette conscience écologiste particulière des femmes. C’est la division sexuelle du travail, la distribution du pouvoir et la

propriété qui ont soumis les femmes et la nature à laquelle nous appartenons toutes et tous. Les dichotomies réductionnistes de notre culture occidentale doivent être rompues pour construire une convivialité plus respectueuse et plus libre.

Le mouvement féministe a vu dans l’écoféminisme un danger possible, étant donné le mauvais usage historique que le patriarcat a fait des liens entre femmes et nature. Puisque le danger existe, il convient de le délimiter. Il ne s’agit pas de glorifier la vie intérieure comme féminine, d’enfermer à nouveau les femmes dans un espace reproductif, en leur refusant l’accès à la culture, ni de les rendre respons-ables, s’il leur manque des occupations, de l’énorme tâche de sauver la planète et la vie. Il s’agit de dévoiler la soumission, de signaler les responsabilités et de co-responsabiliser les hommes et les femmes dans le travail de la survie.

existe-t-il un écoféminisme anticapitaliste et cherche-t-il la convergence avec d’autres secteurs sociaux antisystème? tout projet émancipateur doit-il intégrer ce concept? quels sont les éléments principaux de cet écoféminisme?

La notion de travail qui avait cours dans les sociétés pré-industrielles cor-respondait à l’idée d’une activité qui se déroulait de manière continue et qui était partie intégrante de la nature humaine. Cependant, il y a approximativement deux siècles, surgit une nouvelle conception forgée à partir du mythe de la production et de la croissance, qui réduit l’ample vision antérieure au domaine de la production industrielle salariée.

«l’écoféminisme est un mouvement conscient que les luttes pour l’écologie et le féminisme contiennent les clés de la dignité humaine et de la soutenabilité dans l’égalité»

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e Cette réduction du large concept du travail à la seule sphère de l’emploi rémunéré occulte le fait que pour que la société et le système socio-économique se maintiennent, la réalisation d’une longue liste de tâches associées à la reproduction humaine est indispensable: la prise en charge des enfants, l’attention aux personnes âgées, la satisfaction des besoins de base, la promotion de la santé, le soutien émotionnel, l’encouragement à la participation sociale... Il s’agit en définitive d’ une quantité énorme de temps de travail dont la finalité est d’assurer la satisfaction des besoins humains et le bien-être des personnes et qui du fait de la division sexuelle du travail imposée par l’idéologie patriarcale retombe majoritairement sur les femmes au sein du foyer.

Les économistes classiques, même s’ils ne concèdent aucune valeur économique à cet effort, ont au moins reconnu l’importance du travail domestique famil-ial, et ont défini le salaire comme coût de reproduction historique de la classe travail-leuse. Ils tendaient à reconnaître la valeur du travail domestique sans pour autant l’incorporer dans les cadres analytiques de la science économique.

Ce t t e cont rad ic t ion d i spara î t presque complètement avec l’économie néo-classique qui institutionnalise définitivement la séparation entre l’espace public et privé, entre la production marchande et la production domestique, marginalisant et occultant cette dernière. C’est cette ségrégation des rôles qui permit aux hommes de s’occuper à temps plein du travail marchand sans les contraintes que constituent les tâches liées aux soins des personnes et de la famille ou à l’entretien des conditions d’hygiène du foyer. Ainsi s’est imposé une définition de l’économique qui ne s’occupe pas de la division sexuelle du travail et ne reconnaît pas le rôle crucial du travail domestique dans la reproduction du système capitaliste.

Cependant, bien que les travaux de soins soient fréquemment considérés comme des travaux séparés de l’environnement productif, ils assurent la production d’une "matière première" essentielle pour le processus économique conventionnel: la force de travail.

Le système capitaliste est dans l’impossibilité, dans le cadre de ses propres rapports de production, de reproduire la force de travail dont il a besoin. La reproduction quotidienne, mais surtout générationnelle, demande une quantité

énorme de temps et d’énergie que le système serait dans l’impossibilité de rémunérer. Les processus d’éducation, de socialisation et d’attention aux personnes âgées sont complexes et impliquent des affects et des émotions qui permettent à chacune et chacun de se développer dans une certaine sécurité.

La pensée écoféministe anticapitaliste défend l’idée que le système socio-économique a la forme d’un iceberg. Le marché en est la partie flottante et visible. Sous la surface, avec une masse bien plus importante, se trouve le travail de maintien de la vie. Ces deux parties de l’iceberg sont bien différenciées. La principale est dissimulée à la vue mais les deux forment une unité indivisible. Sur la glace immergée du travail domestique et de la régénération des systèmes naturels, s’appuie et repose le bloc de l’emploi salarié de l’économie conventionnelle. L’invisibilité de la sphère centrée sur la satisfaction des besoins de base et du bien-être et qui absorbe les tensions, est indispensable au maintien à flot du système.

On peut dire qu’il existe une con-tradiction profonde entre le processus de reproduction naturelle et sociale et le processus d’accumulation du capital. Si dans l’économie la reproduction sociale et de maintien de la vie primaient, l’activité serait dirigée vers la production directe de biens d’usage et non d’échange, et le bien-être serait une fin en soi. Prioriser les deux logiques en même temps est impossible. Il faut donc en choisir une des deux. Étant donné que les marchés n’ont pas pour objectif principal de satisfaire les besoins humains, il n’y a aucun sens à ce que ceux-ci se convertissent en centre privilégié de l’organisation sociale.

L’obtention de bénéfices et la crois-sance économique ne doivent plus conditionner la distribution du temps, l’organisation de l’espace et les différ-entes activités humaines. Pour construire des sociétés basées sur le bien-être, il est nécessaire de les articuler autour de la reproduction sociale et de la satisfaction des besoins sans amoindrir l’importance de la base biophysique qui permet à notre espèce d’être en vie.

Les visions hétérodoxes de l’économie ont beaucoup à apporter au moment de reconfigurer la science économique. L’économie écologique nous démontre qu’une bonne partie de l’activité économique est nocive pour la vie, qu’elle consomme des quantités importantes de ressources sans générer de bien-être, et

qu’elle crée même du mal-être. L’économie féministe renverse la catégorie du travail et remet au centre l’activité historiquement méprisée et sous-évaluée des femmes, activité qui est pourtant le socle de la vie quotidienne. Avec d’autres secteurs de l’économie critique, ces différentes visions et approches sont indispensables pour construire un nouveau modèle.

Nous reconnaître comme des êtres vulnérables ayant besoin de l’attention d’autres personnes au cours de notre cycle de vie permet de redéfinir et de compléter la notion de conflit capital-travail et d’affirmer que ce conflit va au-delà de la seule tension capital-travail salarié et reflète une tension entre le capital et l’ensemble des travaux, ceux qui sont payés et ceux qui sont effectués gratuitement.

Rappelons-nous également que, dans une perspective écologique, la contradiction fondamentale qui existe entre le métabolisme économique actuel et la durabilité de la biosphère fait ressortir une importante synergie entre les visions écologistes et féministes. La perspective écologique démontre l’impossibilité physique de la société de croissance. Le féminisme rend palpable ce conflit dans le quotidien de nos vies et dénonce la logique de l’accumulation et de la croissance comme étant une logique patriarcale et androcentrique. La tension insoluble et radicale (à la racine) qui existe entre le système économique capitaliste et la soutenabilité de la vie humaine démontre, en réalité, une opposition essentielle entre le capital et la vie.

Placer la satisfaction des besoins de base et le bien-être dans des conditions d’égalité, comme objectif de la société et du processus économique, représente un important changement de perspectives. Cela situe la satisfaction des besoins qui permettent aux individus de grandir, de se développer et de vivre dignement, tout comme le travail et les productions socialement nécessaires à cela, comme un axe structurant de la société et par conséquent des analyses. Dans cette nouvelle perspective, les femmes ne sont pas des personnes secondaires, ni dépendantes, mais des personnes actives, actrices de leur propre histoire, créatrices de cultures et de valeurs du travail différentes de celles du modèle capitaliste et patriarcal. ■

Interview publiée en novembre 2011 dans SolidaritéS (Suisse)

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✒ par Daniel Tanuro

Les Rencontres écosocialistes euro-péennes organisées à Genève les 24, 25 et 26 janvier par le groupe écosocialiste de SolidaritéS ont été un franc succès. Quelque 150 personnes avaient fait le déplacement, originaires notamment de France, d’Espagne, du Portugal, de Grande-Bretagne, de Belgique, de Norvège, de Grèce et, bien évidemment, de Suisse. Impossible de résumer les débats menés lors des nombreux ateliers et des assem-blées plénières. On se contentera ici de brosser un aperçu général.

Mais avant d’évoquer le fond, il convi-ent de dire quelque chose de l’ambiance: simple, fraternelle, chaleureuse, respectu-euse des opinions de chacun·e. Celles et ceux qui sont déjà passé·e·s par là savent à quel point les ami·e·s suisses de Solidari-téS cultivent le sens de l’hospitalité... sans parler de l’organisation et de la ponctual-ité, deux vertus helvétiques bien connues! Logement, repas, traduction, locaux: tout était remarquablement orchestré, dans la gentillesse et la bonne humeur. Un bravo tout particulier aux interprètes bénévoles, qui ont abattu un travail gigantesque.

Les Rencontres se sont ouvertes par une conférence publique à l’Université de Genève, avec Mari Carmen Garcia Bueno, Michaël Löwy et l’auteur de ces lignes. Mari Carmen a parlé des luttes écosocialistes en Andalousie et du rôle de premier plan qu’y jouent les femmes, Michaël a montré l’apport des peuples indigènes du Sud au développement d’une autre conception des rapports entre l’humanité et la nature, et le troisième orateur a conclu par une exposé sur la crise écologique globale – à partir de la métaphore de Marx pour qui la nature est "le corps inorganique" de l’humanité. Deux cent vingt personnes ont participé à cet événement et le débat s’est prolongé longtemps autour d’un verre.

Les Rencontres proprement dites débutaient le samedi matin par une conférence remarquable de Yayo Herrera sur l’écoféminisme. Militante de la coordination espagnole Ecologistas

en Accion, Yayo a tenu tout l’auditoire en haleine pendant une cinquantaine de minutes. Résumer ses thèses n’est pas possible dans le cadre de ce bref compte-rendu, disons simplement que c’est le genre d’exposé au terme duquel on se sent meilleur, "libre et fort comme le vent", comme chantait Anne Sylvestre. On invitera Yayo l’an prochain aux Rencontres anticapitalistes de printemps, c’est promis...

Les ateliers se sont ensuite enchaînés. Sur la transition énergétique, sur les alternatives à l’agrobusiness, sur "buen vivir, bien être et culture", sur l’aménagement du territoire, sur que produire et comment, sur le rôle des syndicats... Après le repas du soir, les participants ont eu la chance de vivre un autre très grand moment: une soirée de solidarité avec les luttes des journaliers agricoles d’Andalousie, a v e c M a r i C a r m e n Garcia Bueno (SAT, Via Campesina) et le célèbre Juan Manuel Gordi l lo (maire de Marinaleda). Un personnage plutôt balèze et qui n’a pas sa langue en poche, notamment pour dénoncer le gouvernement régional IU-PSOE... Encore quelqu’un à inviter aux RAP 2015!

Et le dimanche, on a remis ça. Après une présentation des enjeux des

luttes en Europe par Maxime Combes (Attac France), ateliers: sur planification écologique et autogestion, sur les expérimentations concrètes comme terrains de transformation sociale et écologique, sur la dette écologique et les luttes au Sud. Puis restitution. Puis échange sur les suites, sur la mobilisation pour la COP21 (Paris 2015), etc. Avant de se séparer, on a conclu de se revoir dans un an, en Espagne. ■

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Juan Tortosa et Yayo Herrera

Juan Manuel Gordillo

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✒ par Guy Van Sinoy

Sorti de presse en octobre 2013, ce livre du porte-parole du PTB tombe évidemment à pic à l’approche des élections du 25 mai 2014. Le livre est conçu sous la forme d’un long entretien avec Gilles Martin, éditeur et en même temps vieux compagnon de route du PTB. Tout au long de l’ouvrage, on sent d’ailleurs l’étroite complicité des deux compères.

De quoi ça parle? (Car l’ensemble du livre est sur le style parlé.) A travers une quinzaine de chapitres, l’ouvrage retrace l’itinéraire de Raoul et de sa prise de conscience des inégalités sociales (Raoul à l’école, Raoul à la discothèque, Raoul dans la trémie, Raoul au Congo, etc.).

Parler pour être luPrendre comme point de départ le

vécu de l’interviewé permet d’aborder les thèmes de chaque chapitre (la sélection sociale opérée par le système scolaire, le racisme au quotidien, la répression policière, l’économie des pays du Sud mise à mal par les accords de libre-échange, etc.) à partir d’exemples concrets. Cela facilite la lecture auprès d’un public popu-laire et cela n’enlève rien à la qualité du message politique.

Ainsi le premier chapitre, consacré aux questions communautaires, martèle des vérités qui devraient être diffusées partout dans notre pays: "Personne n’a obligé le Parti social-chrétien à se séparer dans les

années 1970 de son homologue flamand, ni le Parti socialiste à se séparer de son aile flamande en 1978." (...) "Penchons-nous sur le bilan de 40 années de fédéralisme en Wallonie. Il est tout sauf positif. Dites-moi ce qu’a rapporté le régionalisme wallon. Pas le socialisme, en tous cas." (...).

"Le développement inégal des régions est une caractéristique intrinsèque du capitalisme. (...) Ce qui s’est passé en Belgique se passe dans l’ensemble des pays européens. Ce n’est pas à cause des Flamands que la Région wallonne s’est moins développée. Le capitalisme financier belge, après la guerre, a décidé consciemment de désinvestir en Wallonie et d’investir en Flandre car les salaires y étaient plus bas, et que, le port d’Anvers et la proximité de la mer constituent des atouts pour l’installation d’une sidérurgie maritime, des industries chimiques et automobiles."

ecosocialisme? Raoul reconnaît que même si le PTB

a toujours lutté, à travers ses maisons médicales, contre la pollution industrielle (plomb, particules fines...) et qu’il par-ticipe aujourd’hui à la Coalition Climat, "il n’a pas toujours saisi l’ensemble de la problématique à cause de sa focalisation prioritaire sur les problèmes sociaux." Saluons l’aveu et voyons ce qu’il en est aujourd’hui. "C’est au niveau de la produc-tion qu’il faut développer des moyens de transports plus écologiques et de trouver de nouvelles énergies non polluantes." Mince alors! Pas un mot sur la nécessité de bais-ser la consommation d’énergie (isolation) et encore moins de réduire la production matérielle globale. Pour le moment, le PTB semble plutôt s’être engagé sur la voie de l’écosocialisme à pas de tortue. A quand le Grand bond en avant?

Féminisme?Le mot "féminisme" n’apparaît pas

dans le bouquin. Raoul parle pourtant de sa maman, Cathy, scandaleusement licenciée par l’usine Sherwood où elle était déléguée syndicale, et de la lutte courageuse menée pour sa réintégration. Il parle aussi

de la nécessité de partager les tâches ménagères, de la publicité qui fabrique les clichés entre hommes et femmes, de l’écart général de 23% de salaire entre les femmes et les hommes, mais en gros cela ne va pas plus loin que le discours de la FGTB ou de la CSC. Le mot "féminisme" ne parvient pas à sortir de sa bouche ni celui de la nécessité d’un mouvement autonome des femmes comme outil de lutte des opprimées. C’est une situation paradoxale de constater la frilosité du PTB de parler du féminisme, alors qu'à Anvers la majorité des élu·es communaux et de districts sont des femmes!

Parler vrai?Celles et ceux qui chercheront dans

ce livre un bilan de 40 années de mao-stalinisme en Belgique en seront pour leurs frais. Première à Gauche n’est pas un bilan mais plutôt la photo instantanée d’un parti en pleine mutation face dans un capitalisme mondialisé et une social-démocratie prête à accepter tous les plans d’austérité pour rester au pouvoir.

A la séance de présentation de son livre à Bruxelles, Raoul Hedebouw a été quelque peu mis sur le grill par le journaliste qui l’interrogeait sur la Chine (le développement forcené du capitalisme, l’absence de libertés démocratiques). Il a répondu tout simplement qu’il y avait en ce moment au sein du PTB de très nombreux points de vue sur la Chine et que la discussion était en cours. Aucun responsable du PTB n’aurait répondu de cette façon il y a dix ans car il fallait garder à la fois le mythe de l’unité et de l’infaillibilité du parti. Ceux et celles qui doutent de l’évolution du PTB devraient ouvrir leurs yeux et leurs oreilles.

Evoluer vers quoi? Vers un réformisme de gauche ou vers une organisation marxiste révolutionnaire luttant pour uns société socialiste démocratique? La suite reste à écrire. Elle dépendra de la volonté de chacun et de chacune de s’engager résolument dans la lutte de classes à venir et de la capacité du PTB de continuer sa mutation. Rien n’est jamais gagné d’avance, mais les élections du 25 mai seront un premier test. ■

Première à gauche (raoul Hedebouw)

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✒ par Paco Robs et François Sabado

Pour nous militants de la IVe Interna-tionale de ces quarante dernières années, Moro – le Maure – a été une référence militante. Il a été un des fondateurs de la Ligue communiste révolutionnaire, section espagnole de la IVe Internationale dans les années 70. Il avait participé dès la fin des années 60 aux organisations du mouve-ment étudiant de Madrid, notamment le FLP (Front de Libération populaire) contre la dictature franquiste.

Le Moro était un de ces jeunes étu-diants produit de la radicalisation de la jeunesse des années 60 qui liaient leur engagement contre le franquisme aux montées révolutionnaires de l’époque, de mai 68 à la lutte de libération du peuple vietnamien et au printemps de Prague. C’était profondément un internationaliste. Mai 68, l’intervention de la JCR ( Jeunesse communiste révolutionnaire) et les pre-mières années de la Ligue communiste en France vont le conduire à travailler avec la IVe Internationale. Il aura été le principal dirigeant de la LCR durant toutes ces années de clandestinité et lors de la transition post franquiste. Il a été ensuite, à contre-courant du désenchantement des lendemains de la fin de la dictature fran-quiste, un des animateurs de la LCR mais au-delà de la gauche révolutionnaire de l’Etat espagnol.

Le Moro a aussi été un des principaux animateurs de la IVe Internationale en Europe mais aussi en Amérique latine, où il a participé à une série débats stratégiques de la révolution latino-américaine, notam-ment en Amérique centrale. Il a aussi, entre autres avec Daniel Bensaid, à qui l’unissait une vraie complicité politique et une pro-fonde amitié, contribué à la construction des sections de l’Internationale, en Bolivie, au Mexique et au Brésil. Il a ensuite choisi

de poursuivre son engagement politique en créant la revue Viento Sur, une revue de référence tant par sa qualité que par son ouverture intellectuelle et politique. Il l’aura dirigée et animée jusqu’à la fin de sa vie, malgré un cancer qui le déchirait et ses forces qui s’épuisaient.

Avec la création d’Izquierda anti-capitalista est apparue une organisation révolutionnaire qui faisait siens les combats qu’il n’avait cessé de partager et il lui a apporté tout le soutien dont il se sentait capable.

Moro a été pour notre génération un exemple de ce que signifie l’engagement po l i t ique . De la c landes t in i t é à la construction quotidienne d’organisations révolutionnaires, Moro était toujours présent. Loin de tout dogmatisme et sectarisme, il cherchait dans toutes les expériences révolutionnaires ce qui pouvait changer les choses, ce qui pouvait conduire à faire de la politique concrète. Mais, c’était surtout un exemple dans les relations militantes: un profond respect des individus, la recherche de ce qui unissait plutôt que ce qui divisait, et une profonde sympathie. ■

conférencesOrganisées par la Formation Léon Lesoil au Pianofabriek, 35 rue du Fort, 1060 Bruxelles (métro Parvis de St-Gilles)

Mardi 11 février 2014 à 19h30: rencontre avec daniel PirON (FGTB Charleroi Sud-Hainaut) et andré HeNrY (auteur de L'Épopée des Verriers du Pays Noir)

Mardi 11 mars 2014 à 19h30: avortement, la lutte n'est pas finie! avec Kitty rOggeMaN, active dans plusieurs collectifs pour la dépénalisation de l'avortement et rédactrice en chef du mensuel féministe Schoppenvrouw

Mardi 8 avril 2014 à 19h30: il y a 40 ans, la révolution portugaise... avec alda sOussa, fondatrice et dirigeante du Bloc de Gauche portugais, députée européenne

Infos: [email protected]

la gaucheOù trouver la gauche? En vente dans les librairies suivantes:

Bruxelles tropismesGalerie des Princes, 111000 Bruxelles

FiligranesAvenue des Arts, 39-401000 Bruxelles

Couleur du sudAvenue Buyl, 801050 Ixelles

auroraAvenue Jean Volders, 341060 Saint-Gilles

voldersAvenue Jean Volders, 401060 Saint-Gilles

Joli MaiAvenue Paul Dejaer, 291060 Saint-Gilles

Monsle Point du JourGrand'Rue, 727000 Mons

Couleur livresRue André Masquelier, 47000 Mons

Wavrelibrairie Collette duboisPlace Henri Berger,101300 Wavre

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