la falaise et l’horizon

40

Upload: others

Post on 15-Jun-2022

8 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: La falaise et l’horizon
Page 2: La falaise et l’horizon

Lafalaiseetl’horizon

Page 3: La falaise et l’horizon

JeandelaCroixRobert

Lafalaiseetl’horizon

DESCLÉEDEBROUWER

Page 4: La falaise et l’horizon

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 5: La falaise et l’horizon

seretrouverapassansgarder,indéfectible,lesouvenirdupaysetdesvivantsdesonenfance.

Malgrécela,chacundenousporteenlui—complexitéducœur humain— l’impérieux désir et l’étrange nostalgie d’unailleurs.Cequenousavonsnesuffitjamais,carl’hommeestcetêtre mystérieux qui ne peut se contenter de ce qu’il est. Nosracinesnous tiennent ;nosailesnousemportent.Pourvivre, ilnous fautd’autres espacesetd’autreshorizons, et l’hommeneseraitjamaisduciels’ildemeuraitlecaptifd’uneterreunique.Sagrâceestd’êtrecrééenmanquede tout.Nuln’estcontraintau départ, mais celui qui répond à l’appel a toujours, d’unecertaine façon, trouvéTailleursqui luimanqueetqui,déjà, l’asaisietcaptivé.Quandoncherche,c’estquedéjàonesttrouvé.

Celui qui part, cependant, ne donne jamais toutes sesraisons ; leur faire face exigerait vingrandcourage.Quandons’en va, on ouvre les yeux sur le chemin qui s’annoncemais,souvent,onlesfermesursoi-même.Celaévitederépondreauxquestionsquioppressentouquitroublent.C’est laraisonpourlaquelleilnefautpastropquestionnerceluiquiosenousdire:«Jet’enprie,laisse-moipartir.»Un«Pourquoi?»detristesseoudecolèrenerespecteraitpaslesilencequileprotègeencore.

Ilsecherchesansdoutemais,quisait,peut-êtresefuit-il?Fatiguédecequ’ila,del’oppressantemonotonie,del’usuredesresponsabilités, peut-il exprimer ce qu’il est ou ce qui luimanque ? Les terres les plus accueillantes et les demeures lesplusbelles, lesamitiéslesplusfortesetlestendresseslesplusfollesnepeuventcomblerlecœurdel’hommeetsondésird’unailleurs.Mêmelabeautélapluspurepeutblesser,car,toujours,elle révèle plus qu’elle-même et plus qu’elle ne saura donner.D’ailleurs, elle aussi a ses pudeurs et ne dira jamais pourquoiellenemegardeninemeretient. Iln’estdonc l’hôtedenulle

Page 6: La falaise et l’horizon

partetdepersonneceluiquineserésoudrajamaisàétoufferenluiledésiretl’appeldelavie.

Dansl’Évangile,leChristaussivientd’ailleurs;iln’estpasd’ici. Pourtant il est venu chez les siensmais il reste toujoursCelui qui passe, qui s’en va, l’Étranger même, le seul qui,faisant route, se penche sur le blessé abandonné. Dans sacompassion pour nous, il s’arrête ; mais sa vocation est derevenir près du Père. «D’où es-tu, d’où viens-tu ? » C’est laquestion que tous lui posent, ses ennemis les tout premiers.Pourquoi ne serait-ce pas aussi la question qui hante et brûlesoncœurd’hommeetdeFilsunique?

Si leChristesthommejusque-là, jusqu’auplusmystérieuxde mon être d’homme, je comprends mieux pourquoi Il m’aséduitetpourquoijenecesseraideLechercherjusqu’àlafin.Jecroisetnedoutepasqu’Ilestlecheminetlavie.Ilmefaudradutempsencoreettoutesagrâcepouradaptermesnostalgiesàsavérité,mesrêvesàsaprésence,maisjesaisdéjàquesonailleursestaussilemienetquejen’auraijamaisd’autredemeurequelasienne,etnulrepossinonenLui.

A Bernard Pivot qui lui demandait ce qu’il aimerait diredans l’instant du face-à-face avec Dieu— s’il existe !—, lePrésident Mitterrand répondit : « Maintenant je sais. »Respectons sa réponse.A l’écolede l’Évangile,onnepartpaspour savoirmais pour voir, c’est plus vrai et plus humble,mesemble-t-il. S’il fallait évoquer l’Évangile, c’est parce que lechemin du Christ respecte toujours le nôtre, il vient mêmel’épouseretnousrejoindreoùnousnel’attendionspas.

C’estlerêveetlanostalgiequiinvitentl’hommeaudépart,la détresse et les incompréhensions aussi. En nous, rien n’estsimple;sinonoùseraientlesfoliesdelavie?C’est-à-direque

Page 7: La falaise et l’horizon

l’on ne part jamais pour une seule raison ; les motifs de noserrancessontlégionetl’onnepourrajamaislesconnaîtretous.C’estpourcelaquenosmarchessontincertaines,hésitantsnoschemins.Nousregardonsverslepasséquis’éloigne;lebonheuret lespeines, les réussiteset les échecs s’yvoilent ensembleàl’ombre de l’oubli. Quant au chemin qui nous attend, il n’estjamaistoutentierdanslalumièremaisplussouventdanslanuit.

Quand le psaume dit que la Parole est une lampe pour lepas, il dit vrai et fonde l’espérance.La foi n’est nullement unpharepourceluiquiavanceauchemindelavieetdesonpropreappel ; elle n’est que lampe pour le pas, et il peut se direbienheureux celui qui marche ainsi. Cette petite lumière, eneffet, suffit à son exode.Grâce à elle, il ne s’enfonce pas auxténèbresdelamortmaisilpressent,danslanuit,sonchemindevéritéetdevie,etcelaluisuffit.

Il est vraiment de la nature de l’homme d’être voyageur. Ill’est auplus secret de sapersonne ; il l’est aussi— l’histoirenousl’apprend—ensonêtresocialetcommunautaire.Cesontlesmigrations humaines qui ont fait les nations et les peuplesd’aujourd’hui. Cette aventure n’a jamais cessé et se poursuitencore. Mais plus que pour des motifs économiques etpolitiques,leshommesquittentleurpaysparcequetoutepatriea des frontières et que, par nature, l’être humain est rebelle àtoutelimite.Déjà,ilestpartiàlaconquêtedel’espaceparcequemêmesaplanèteneluisuffitpas,signedesoninconstancepeut-être,maisplusencoresignedesatranscendance.

L’hommeestcitoyendel’univers,toujoursenquêted’unau-delàdetoutesfrontières.Plusquetout,ilestdepuistoujoursunpèlerinquiselève,quittesonpaysàlarecherchedecettepatriemystérieusequ’ilnepeuts’empêcherd’attendrecommeundon,

Page 8: La falaise et l’horizon

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 9: La falaise et l’horizon

mesuredel’infinimêmedeDieu.Iln’apasàsortirdelui-mêmepour se découvrir et contempler son Dieu. Dans sesConfessions,saintAugustin,quiparlaitd’expérience,nousoffrecetteconfidenceémerveillée:«Tardjet’airencontrée,Beautétoujours nouvelle, Beauté toujours ancienne ; tard je t’airencontrée. Tu étais au dedans de moi, c’est moi qui étaisdehors.»

Page 10: La falaise et l’horizon

5L’au-delàdudésespoir

Dans nos vies, le chant de l’émerveillement est souventprécédéduchantdenosdouleursetdenosmorts.Lecœurdel’homme est si fragile, tellement sensible. Si l’aurore est sasource,lanuit,souvent,estsademeure.Auxheuresterriblesdudésespoiretdelasolitude,levideestsigrandquelechantdoitse taire. Quel écho lui répondrait ? Alors, au silence del’angoisse,monte, lancinant, le«pourquoi» sans réponseauxtourments de la vie. Pourquoi ce goût du néant et un telabandon ? Ce « pourquoi » n’interroge ni les autres ni lesévénements, il ne s’adresse qu’à nous-mêmes et c’est en nousqu’ilexigeunecauseetdesraisons:qu’as-tudoncfait?

Pourtant, je n’avais cherché ni les richesses, ni leshonneurs;leurséductionn’avaitjamaisreprésentépourmoiunetentation.Maisaucombatdudésertj’avaisrêvéquandmêmedecebonheurqui attend, ardent, au fondde tout cœurd’homme.Lebonheur, je l’aidésiréet je l’aicherché.Acertainesheures,j’aicrul’avoirtrouvé.Auchemindemessoifsetdemesespoirs—commentlenier?—jel’airencontré.

Peut-être ai-je voulu le garder trop avidement et troplongtemps.Mesmains,quiauraientdûresterouvertes,surcettejoiesesontfermées.Tropnaïfetimprévoyant,j’aicrumoncœurassezpurpouroser toutprendreetposséderdecettegrâcequin’était que d’unmoment. Je savais bien pourtant que l’on esttoujoursdépossédédecequel’onveutgarderpoursoi.L’aviditénerapportequelevideet,aujourd’hui,c’estbiencevidequime

Page 11: La falaise et l’horizon

resteetmecernede toutepart.Jen’ose l’appelerpauvreté,carj’hésiteàcroirequ’ilmegardedanscettelogiquedel’Évangileoùlaviesegagnequandelleseperd.

Êtredépossédédesoipeutêtregrâceouaveuglement,oùestlavérité?Commelebonheurrendléger,decœuretd’esprit,onrisquealorsd’oubliercombienestétroitelaportequiouvresurla vie et que le combat ne s’achève que dans l’éternité. Lebonheur,même trèspur, invite trop facilementà lapauseetaurelâchement.Onsecroitarrivé,dangereuseillusion.Ons’arrêteetl’onregardeenarrière,cequiestdéfenduàceluiquiamislamainàlacharrue.Ducoup,leregardsedisperse,lecœuraussi.Onvoudraittoutrecueilliretgarderdecequiaétévécuetreçupourmieuxresterfidèleàtoutcequiaétédonnéetpartagé.Nerien perdre et tout garder : illusion. Si le cœur cesse de serecueillir,ilsedilue;toujours,ilseperdencequ’ilveutretenir.

Celaestvrai,mais levideest tropgrandpour secontenterd’une telle réponse. Même se reconnaître coupable n’apportepaslapaix,carcevideconcernemoinscequej’aifaitque,plusprofondément, ceque je suis.Oui, désormais, qui suis-je ?Laplus juste image de moi-même, le prophète Jérémie ne ladonnerait-il pas quand il reproche au Peuple élu de n’êtrequ’uneciternepercéequiépuisesespropressourcespouravoiroubliél’Allianceetlafidélité.

N’êtrequ’uneciternepercée,fissurée,n’est,certes,quetrèspeugratifiant.Mais, si je suis tel, pourquoi ennier lavérité ?Merleau-Ponty dit que l’être est déhiscence, fissurefondamentale. Il a raison ; que nous le voulions ou non, noussommes des êtres de besoin, et cette existentielle dépendancenous interdit, à jamais, d’être pour nous-mêmes origine etplénitude. Nos soifs et nos nostalgies, nos avidités et nos

Page 12: La falaise et l’horizon

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 13: La falaise et l’horizon

croirequecetteprièreTesuffit.En entrant dans cemonde, ton Fils, venu de Toi, vers Toi

s’est tourné : «Me voici, ô Père, pour faire Ta volonté. » Tavolonté,jenelavoisplus;queTusoisPère,jelecroisencore;alorsj’oseT’offrir,enraccourci,ce«mevoici»detoutemavie.Demonamouraussi;c’estToi,c’estmoi.C’estmoiquiTeprieet Toi qui m’écoutes ; c’est Toi dans ta pitié, c’est moi…pitoyable.

Auvillagedemapetiteenfance,durantquelquesmois,mesparentsm’avaient confié à unegrandmèremerveilleuse.Quandelle allait dans la montagne ou ailleurs, je ne sais, ellem’asseyait sur le banc, devant la maison. Ne pouvantm’emmener—mespetites jambesauraientpar tropralentisonpas —, elle me quittait en disant : « Tu restes là et tum’attends. » Je restais là et, à la grande surprise des voisins,sansbougerjel’attendais.

Grand-mère, à lavoix tendreet rieuse, tum’asappris, j’ensuis sûr, la sagesse de l’attente et la patience qui dure, toutsimplement.Resterlàpourrien,sinonpourattendreunretouretretrouver une présence. Les souvenirs appartiennent au passé,maisresterlàimprègnetoujoursmavie.Quandl’absencedure,ma patience tient. Si la nuit est longue,mes sommeils restentcourts. Je veille pour une Présence dans l’espérance qu’elleveille sur moi, dans l’espérance aussi que sa douce pitié, unjour,m’apparaîtra.

Je rêve, alors, d’une Présence qui me dise enfin et pourtoujours:«Mevoici;vienset,désormais,vois.»

Page 14: La falaise et l’horizon

8Danslanuitducœurouvert

Icis’étendlepaysdepatienceetl’horizondusouffle.

Maisl’hommenuquichercheoùreposersachair,

cepèlerinfamilierdesdistances,natifdesesblessures,

avecletempsvoitdécroîtresespas,grandirladémesure.

FrèreGillesBAUDRY

Tenir dans la patience ; tout livrer, peu à peu, desimpatiencesdesoncœurtourmenté;affronter,plusserein,cettenuitde l’attenteetde l’absencen’ouvrepasencore lecœurdel’homme à la douce lumière de cette rencontre tant espérée.Pourquoi,monDieu,etjusquesàquand?

Ilestpresqueoubliéletempsdesdéceptionsetdesrévoltesoù l’on se voulait prêt à tous les combats pour se justifier, àtoutes les folies, parfois, pour se venger, non des autres ni desoi-même,mais de cette vie qui semblait vouloir tout arracher,toutlaminer.

Avancer aux ténèbres est une lutte épuisante, harassante ;mais, en cette inlassable quête, à certains moments, la nuit

Page 15: La falaise et l’horizon

semblemoinsdehorsquededans,unenuitdevenueplusépaisseetplussombreencore,unenuitsansappeletsansespoird’uneaurore, une nuit qui, désormais, n’est plus à la mesure del’homme.

Faut-ilalors,devant l’infranchissablecrevassedecettenuitet de son vide, se laisser couler pour toujours et ne pluschercher, vers l’autre versant, une passerelle où se risquer encontemplantlescimessilongtempsdésirées?

Cedésertdenuitetd’oublineressemblepasauxautresoùl’on pouvait encore avancer en retrouvant parfois une piste ouunpuits.Les traverserrestaituneaventurepossible.Cedésert-là, c’est lui qui nous traverse et, peu à peu, nous engloutit. Ilnous submergemais dudedans et l’on reste, immobile et figé,recouvertpeuàpeudesonlinceuldesilenceetd’oubli.Mourir,s’illefaut!maislecœurétouffé,pourquoi?Cen’estplusunenuitdel’hommemaisserait-ellelanuitmêmedeDieu?Elleestépaisse,infiniment.

Ilfaut,cependant, l’expériencedecedésertetdecettenuitpourquenousdevienneprocheetcommerévélé,ensa lumièredeGloire,Celuiquimeurtd’êtreabandonné:«MonDieu,monDieu,pourquoim’as-Tuabandonné?»Saquestion,commelanôtre,sembleseperdredansl’indiciblesilencedecettenuit.LesilenceduGolgothaestvenutoutrecouvrir,toutsubmerger,etIlmeurt d’étouffement, notre Dieu crucifié. Oui, il nous fallaitl’expérience de cette nuit pour connaître quelque chose de laSienneetlesmystiques,seuls,saventlachanter:

Jesaisunesourcequijaillitets’écoule,Maisc’estauprofonddelanuit.Cettesourceéternelle,ellerestecachée;

Page 16: La falaise et l’horizon

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 17: La falaise et l’horizon

monde, ildoitaussiaffronter l’absurdequi,un jourou l’autre,traverse,implacable,chacunedenosvies.Ilseretrouvealors,ausecret de sa conscience et de son cœur, offert à sa propredérision, incompris devant les autres, incompréhensible plusencoreenlui-même.L’absurde,c’estl’absoludunon-senssanspossibilité de s’en défendre ou de le justifier. Qu’il revête laformedel’injusticeoudelatrahison,iln’offred’autreissuequelesuicide,ledéfinitifdansl’absurde.

Lasouffranceetlahainesesupportent;l’absurde,riennelesoulage,pasmêmeleslarmes.Ilestl’enfermementdéfinitifdanslanuitdelahonteoudel’abandonetilnepeutquerestersourdaucrideladétresseoudelarévolte.Ilneconnaîtquelesilence,lesilenceduvide.Onpeutdonnersensàlasouffrance,etmêmeà la mort, mais l’absurde n’aura jamais sens, il en est privé,absolument ; c’est la raison pour laquelle l’homme peutconsentiràtoutsaufàl’absurde.

Certes,onpourraitàboncomptes’enévader.Ilesttoujoursfacile,quitteànierl’évidence,dedonnersensàl’absurdeoudejustifierl’inqualifiable;maisceseraitlâcheetvil.Quandonnemaîtrise pas ce qui advient, quand ni l’esprit ni le cœur nepeuventytrouversensetlumière,c’estalorsqueseullesilenceesthonnête.L’absurdedoitrestertelpourquel’homme,malgréetcontrelui,restelui-mêmejusqu’àl’extrêmedecettehumaineexpérience.

Ilfautdoncledépasser,voireletranscender,pournejamaisyrisquerlesailesdel’espérance.S’ycoller,eneffet,reviendraitàs’aliénertoutechancedesalutetdeliberté.Ilfauts’enécartercommed’unextrêmedesoi-mêmepourretrouver,ensonproprecœur,àl’autreextrême,unesourcepourlafoi.

L’expérience de l’absurde est peut-être l’une des plus

Page 18: La falaise et l’horizon

terriblesquel’hommepuissetraverserencetteardentequêtedelui-mêmeoù,normalement, toutdevraitprendresens,desavieet de celle des autres. L’absurde ruine tout et ne laisse àl’hommeque ladérision.Cela,personnenepeut l’admettre, ettout s’insurge en l’homme quand le non-sens absolu sembledevenirl’essencemêmedetouteréalité.Iln’yadeviepossiblequedans l’assentimentqui,déjà, annonce la foi,noncellequiconsole et rassuremais celle qui s’éveille alors pour surgir deson assoupissement et de ses négligences. Ainsi l’absurdes’étouffe en lui-même— justice enfin rendue—quand la foiretrouvesessourcesenvérité.

L’absurdepeutnous fairedésespérerde l’homme,denous-mêmesetdetoutevie,maispasdeDieu.Del’absurdeàDieu,lepassagesemble impossible,mais touthomme,pourtant,ensonmystèremême,peutydécouvrirleplussublimedescheminsdelibertéetdevie.Commesi lesilencedeDieu,etnonceluiduvide,luioffraitunsalutfaceàcetabsurdequi,parfois,sedressedevantluicommelaplusbrutaleetlaplussombredesmurailles.Cesalutqu’évoquelepsaume:

SeigneurmonDieu,tuéclairesmanuit.GrâceàToi,jesautelefossé,GrâceàmonDieu,jefranchislamuraille.

Dieu seul peut répondre à l’absurde. Devant l’homme quisouffreetquipleure,devantceluiquisombreaudésespoir,desgestes sont encore possibles qui témoignent de l’humainecompassion,mais,faceàl’absurde,nilaparolenimêmelegestenegardent sens ;désormais,Dieuseulpeut intervenir, sauveurinespéré pour celui qui se heurte aux plus insensées desténèbres.Quand l’hommen’aplus rien à attendred’un regard,d’unemain tendueoud’uneprésence, alorspeutvenir jusqu’à

Page 19: La falaise et l’horizon

luilejourdusalut,cetempsdusilencedeDieuetdesadouceprésence,par-delàlesmuraillesdel’absurde.

Dieu est venu, dans la chair, s’affronter à l’absurde del’hommeetdumondepourlevaincreet,àjamais,leréduireausilence. Dès le début de l’Évangile, au désert de la tentation,l’absurdeestlà,ironiqueetsournois,puissancedemensongeetde ténèbres. Dès le premier sabbat, à la synagogue deCapharnaüm, il est là encore, affûtant ses armes. Ceux quiviennentd’écouterJésus,l’autoritédesonmessageetlaforcedesaparole,nepeuventrésisteràl’émerveillement.Maislavictoireseraittropfacile,survientalorsl’ironie:«N’est-ilpaslefilsdeJoseph, celui-là ? » Le voici donc, figure déjàméprisée avantd’être,autermedesaroute,Christauxoutrages.

En cette scène, l’absurde culmine quand « tous dans lasynagoguelemènenthorsdelaville—commeonlemènera,unjour, hors de Jérusalem — pour le précipiter du haut del’escarpement».L’Évangile,trèsmystérieusement,ajoutealors:« Mais lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin. »Comme si Jésus franchissait déjà, majestueux dans sa foi,l’insondableabîmedesabsurditéshumaines.

Encetinstantdel’insensédeshommes,lesilenceduChristest parole de Dieu, toute-puissante. Il annonce, bien sûr, lesilencedelaPassionetdelaCroix,maisilannonceplusencorele silence de l’absurde, dragon muet à jamais terrassé. Ainsi,derrière ceChrist qui passe, royal et rejeté, s’ouvre commeunsillon de lumière qui, déjà, en espérance, nous libère desarrogancesdel’absurde.

Page 20: La falaise et l’horizon

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 21: La falaise et l’horizon

pressentirtoncœurquis’éveilleàl’attente,toutsurprisetpleind’espérance;maisilcacheplusqu’ilnerévèle.Ilouvrecommeuncheminverstoimaisilsemblemedire:mercid’êtrelà,tuassu t’arrêter etme prêter attention, je n’aurais jamais osé te ledemander. Ta présencem’est douce et si elle a su éveiller maconfiance, c’est parce que ton respect, déjà, je l’avais deviné.Laisse-moi,encetterencontre,untempspouraccueillirmajoie,unlongsilencepourmieuxécoutertoncœuretlemienafinquesetissententrenouscesliensquinousengagerontàlagrâcedesconfidences et des secrets partagés.Ni toi nimoi n’en savonsencorel’heureetlejour.

C’est la liberté qui ouvre à la rencontre, mais celle-ci abesoin d’un infini respect pour que naissent deux libertésnouvelles.On peut être libre en soi-mêmemais simanque lalibertédel’autre,lanôtreresteincomplète,inépousée,toujoursen attente. La rencontre est le fruit de deux libertés qui sereconnaissent ;ellessecherchaientsans trop lesavoir,ellessedécouvrent,émerveilléesmaiscraintivesencore,encettelumièrequi retient leurs regards, en ce silence et cette paix qui, déjà,rapprochentleurscœurs.

La vraie rencontre est timide, discrète, hésitante ; seuls letemps et la certitude du respect la rendront confiante,abandonnée.Larencontreestunrisque:onpeuts’yperdreouyrenaître.Elleestuneaventurequis’annonce,douceoucruelle;nul,encore,nelesait.Larencontre,commechacunedenosvies,peutêtrecommeundonqui,depuislongtemps,sepréparaittelleunegrâcepoursemanifesterunjourdansl’imprévudel’amouroudel’amitié.

Le respect s’impose absolument, car chaque histoire esttellement personnelle ; chaque vie, si grand mystère. Larencontre, d’ailleurs, n’en épuisera jamais tout l’inconnu. Elle

Page 22: La falaise et l’horizon

ouvre deux mains qui se prennent, deux cœurs qui doivents’apprivoiser, deux vies qui, peut-être, entreront dans lamerveilleuse communion de l’amitié ou dans la douce intimitéd’unamourpartagé.Larencontrepeutêtrebrèveetn’auranullesuite ;mais ellepeut aussi engagerdeuxêtres, deuxviespourunenouvelle histoire sur unnouveau cheminoù sera exigéunrespecttoujoursplusgrand.

Nos vies sont ainsi tissées de rencontres heureuses oudécevantes,tropcourtesoudéjàéternelles.Cesrencontressonttoujours créatrices du meilleur de nous-mêmes mais ellespeuvent aussi s’achever dans l’amertume ou la révolte, car larencontreaussiseheurteàl’impossible.Chaquehomme,unjourou l’autre, en fait la douloureuse expérience. On aurait tantvoulu que telle relation soit toute de tendresse et decompréhension,richesurtoutdecetteheureusecomplémentaritéquilibèreenfindelasolitudeetdesesinévitablesdéceptions;onaurait tantvoulu…Onrêvaitdepuissi longtempsmais toutespoirestdéçu,etl’onrepart,seuletdouloureux,lecœurouverten cette blessure qui, sans cesse, viendra nous rappelerl’incompletetl’inachevédetoutevie.

Larencontres’ouvreà l’imprévuetà l’émerveillement,elleaccepteladéceptionmaiselleneconsentjamaisàlaséduction.Le séducteur est un faible qui, ne pouvant avoir confiance enlui-même,chercheainsiàmasquersafragilitéetsesdoutespourmieuxgagnerlaconfiancedel’autre,maisenréalitéillatrompe.Leséducteurnepeut respecterune libertécar ilestprivéde lasienne;ilnepeutdonc,lâcheettrompeur,rencontrerl’autreensaliberté.Laséductionestmensongeetn’engagequ’uncheminde très subtil esclavage. Elle est jeu, dangereux souvent ;malhonnêteetdécevant,toujours.

Page 23: La falaise et l’horizon

Les mondanités sont ces rencontres qui en restent à laséduction;ellesneméritentguèremieux.Lacomédiehumaineytrouve la scène qui lui convient et ses acteurs, pitoyables ouredoutables, vulgaires ou raffinés. Quand le respect n’est plusqu’unmasque, l’humain se perd.Lemonde alors est en granddangerden’êtreplusqu’undésertlivréàtouteslesviolences,àtouslesmépris.Souvent, ilestainsi,sanstendressenirespect,perdupourl’hommeetmêmeferméàDieu.

L’homme, aujourd’hui, ne sait plus, ou pas assez, qu’il abesoin deDieu, fontaine de sa liberté, source de tout respect.L’hommene s’accomplit jamais seul, c’est l’amitié ou l’amourqui lepersonnalisent envérité, et seule lagrâce l’humaniseenplénitude.Ilyalàcommeundéfipourl’Évangile,unemissionpourlechrétien.L’hommepeutseperdreousefuirencroyantsechercher ; qui lui redira que, dans l’Évangile, il est, en toutelumière, à lui-même révélé ? Paradoxe d’unmessage qui n’estBonneNouvellequ’ennousrévélant,inséparablement,etquiestl’hommeetquiestDieu,danslagrâcedeleurrencontre.

Aignorer l’Un,onsecondamneàperdre l’autre ; telest ledrame et le risque de toute vie. L’homme ne se gagne pas s’ilperd son Dieu et il ne se trouve lui- même que dans cetterencontrequeDieuluioffreentoutegratuité,seulesourcepourlui de toute rencontre et avec son frère et avec lui-même. Lecheminde l’homme, toujours, lui resteramystère, espérance etcombat.

Toutêtrehumainporteenlui,indéracinable,lanostalgiedelarencontre,d’oùcettebrûlantesoifd’amouretd’amitié.C’estdans le « tu » que l’onm’offre que, peu à peu, je deviens le« je»que jecherche, inlassablement,duplusprofonddemoi-même.Le«je»quejedoisdevenir,c’esttoujoursunerencontre

Page 24: La falaise et l’horizon

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 25: La falaise et l’horizon

déçoit,nousdéconcerteetnousfaitdouterdetoutetsurtoutdenous-mêmes.

Faut-ilalorsnousrésigneretaccepter,ennous,cettedéfaitede la vie et de tous ses espoirs ? Faut-il, sous la contrainte,consentir à cette incapacité radicale de construire une vie quipuisseserisquerets’engagerencoreversleplusgrandetleplusbeaudel’homme?Cettefragilité,découverteauxhasardsdelavie, découverte en notre cœur déçu et humilié, ruine-t-elle àjamais nos possibilités de conquêtes et d’espoirs et rend-elledérisoire et vain cet ardent désir deplénitude et de liberté quicouveencoreaupluspauvredenous-mêmes?

Et s’il nous était bon d’être fragile pour sortir de nosillusionsetengageruneviepluslucideetplusvraie?Sitelleestnotre vérité, pourquoi en avoir peur ? C’est le mensonge quimèneàl’impasse;àlavérité,toujours,s’ouvreunchemin.Etsicette fragilité qui nous désoriente et qui nous blesse nousramenait,bienmalgrénousmaispeuimporte,surunchemindevéritéetd’humilité,surunchemind’hommetoutsimplement?

Cette fragilité qui nous humilie peut, certes, faire de nousdesrévoltésetdesdésespérés;maispourquoi,autrefoliedelavie,nepourrait-ellepasnoussauver,nouslibérerdupersonnageet de ses fonctions, et nous rendre au plus humain de nous-mêmes?Carilestsauvé,celuiquidevienthumain…Alors,peuà peu, dans l’humble courage de la patience, c’est à lui-mêmequ’ilestrendu,enfinvulnérable!

L’êtrevulnérableestceluiqui,dégagédesesarmuresetdetoutessesduretés,devientcapabled’êtreblessé,vulnerabilis.Lavulnérabilitéestlagrandeurdel’homme,saplussecrètebeauté.L’êtrevulnérablerestefragile,biensûr,maisd’unefragilitéquilui a rendu un cœur d’homme, un cœur capable d’aimer

Page 26: La falaise et l’horizon

humblement,tendrement.Ducœurméchantaucœurvulnérable,ladistanceest infiniemaisd’un infiniqueseuleporte—telleestsagrâce—cettefragilitétroplongtempsignoréeourefusée.S’ilestunfrèreuniversel,ilnepourraêtreque,detous,leplusvulnérable.

«C’estquandjesuisfaiblequejesuisfort»,nousditsaintPaul.Affirmationsurprenante,merveilleuseetlibératricevérité!Illatient,biensûr,desonexpériencetoutepersonnellemaisilla doit plus encore à son incessante contemplation dumystèremêmedeDieu,ceDieuque l’onditTout-Puissantenoubliantparfoisqu’ilestAmour.Or,enDieucommeenchacundenous,c’est dans la faiblesse que se manifeste la vraie force d’unamour!

CePaulquin’ajamaisvoulu«connaîtrequeJésus-ChristetJésus-Christcrucifié»saitbienquec’estaussidelafaiblessede Dieu que le salut s’est dressé sur le monde, car la vie nesurgitquedelamort.L’Évangilequinousrévèlelapuissancedece Jésus de Nazareth, par l’autorité de sa Parole, par sesmiracleset la forcedesonpardon,nousrévèle,plusencore, lafragilitéd’uncœurvrai, humble et vulnérable, la fragilitéd’unDieuqui nousmanifeste saToute-Puissancequandpour nous,surlaCroix,Ilselivreàlamortpourlepéchédumonde.

Vulnérable, le Christ l’a été dans sa Passion, dans sonagonieaumontdesOliviers,dansl’apparentevictoiredumaletde laméchancetédeshommes.Tel est bien le pluspurde sonVisage,toutaulongdel’Évangile.Vulnérable,illerestedanssaglorieuseRésurrectionpuisqu’ilsefaitreconnaître,aumatindePâques, enmontrant aux disciples incrédules les plaies de sesmains et cellede soncôté transpercé.«Si jene voisdans sesmainslesmarquesdesclous[…]sijenemetslamaindansson

Page 27: La falaise et l’horizon

côté », a osé dire Thomas ! Ces blessures sont, pourtant, saguérisonetlanôtre.

Fragiles, nous le sommes ; vulnérables, nous devons ledevenircar,depuislesorigines,notrevocation,c’estd’êtrecréésà l’image et ressemblance de Dieu. Si Dieu, pour nous, s’estvouluvulnérable,pourquoidouterions-nousdel’espéranceainsiofferte?Denotrefragilitéhumblementconsentie,nousn’avonsplus rien à craindre, elle peut nous guérir de nos faussesassurancesetdecetorgueilquiinterditlavéritédelarencontreet de tout amour. La fragilité accueillie est promesse devulnérabilité et peut-être faut-il entrer, par grâce, dans lavulnérabilitécommedansleMystèremêmedeDieu,commeensaPâqueennotrecœursauvéetpurifié.

Vulnérable,j’essaie,heureux,deledevenirpourdireàmonfrèreunamourquiméritesaconfiance,pouroffriràmonDieu,jour après jour, ma reconnaissance et mon action de grâce :commeLui, Ilm’avoulufaibleetvulnérable.Pargrâce,ensesblessures, j’espère, sur les chemins de son appel, le devenirhumblement,confiantet,enmoi-même,réconcilié.

Page 28: La falaise et l’horizon

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 29: La falaise et l’horizon

peut-être, plus innocent. Une douceur, comme en secret, leconsoleetlecomblepourluidonnerd’êtreplusprochedufrèrequim’attend,plusindulgentaussipourlepauvrequejenecessededevenir.

Cette aventure, celle de l’homme à chercher en soi-mêmecomme en l’autre, est-elle si différente de la première, quivoudraitnousconduireverslesplushautescimesdel’unionetdelacontemplation?Ellesnedoiventseconfondre,etl’onnepeut choisir l’une par dépit de l’autre. En fait, on ne trouvejamaisDieusansrencontrer le frère,car l’absolun’estpasunechosemaisunerelation;ilnevitqued’êtrepartagé.

La rencontre n’est donc nullement une évasion. Qu’ils’agissedeDieuoudel’homme,àjamaisellerestemystérieuseet,àlalimite,toujoursinachevée.Quelefinisoitlesanctuairede l’infini ne rend pas celui-ci plus saisissable d’être plusproche.Lemystèrequiserisqueennotrenuitn’endevientpasplus transparent pour autant ; l’Évangile nous le prouve. LaPrésence qui s’approche nous dépossède plus encore de toutehumainecertitudeetilfauttoujoursseperdrepour,aumoins,lapressentir.

On aime à perte quand on se perd en aimant, mais si,humblement,onoserisquercetteaventure,alorssedécouvre,aucœurmêmedenossolitudes,unhorizonnouveaupourlalibertéet pour la joie. C’est quand je n’attends plus rien, non parméprismaispar amour,que jepeuxavancer, sans amertumeetsanscrainte,auchemindelavie.Onnegagnejamais,niDieu,ni son frère, ni soi-même non plus ; on ne peut que perdre etc’est quand il ne restera rien que l’on pourra se dire, sanstriomphe et sans gloire : «Maintenant j’ai trouvé. »Mais decette rencontre au néant de soi- même, aux frontières de

Page 30: La falaise et l’horizon

l’extrême,yaura-t-ilencore,pourscellercetteunion,lebaiseretlesouffle?

C’estdusilenceseul,maisceluidelapaixetdeladouceurretrouvée, que viendra, un jour, peut-être, la réponse tantattendue.

LaréponsedesaintBenoît

Cetteréponse,danssaRègle,saintBenoîtnousl’indiqueenenseignant l’art suprême de concilier l’intense recherche deDieuetl’humbleservicedufrèreetdelacommunautédanslesréalités lesplusconcrètesde laviequotidienne.Pourque touts’harmonisedanslapaixetlaconcordefraternelle,sansquerienne soit négligé du service de Dieu, saint Benoît demande àl’Abbé du monastère de veiller à ce que la tristesse, jamais,n’accablelesfrères.

Pour cela, il devra donc exercer un gouvernement plein deprudence,dediscrétionet,toutparticulièrement,demodération.Qu’il tempère donc toutes choses : « Sic omnia temperet. »Saint Benoît rejette radicalement ce qui serait excessif ; sasagesseetsonexpériencel’inclinentplutôt,quandils’agitdeshommes,àcettemodérationquirévèlesibienladélicatessedesoncœurdepère.Leplusbouleversantdesesconseilsestsansdoutecelui-ci:«Qu’il[l’Abbé]tempèretellementtouteschosesque les forts désirent faire davantage et que les faibles ne sedérobentpas.»

Surprenantemodérationpourunhommequiveut,pourlui-mêmecommepoursesmoines,quesoientatteintslesplushautssommets de toute vertu et de l’union parfaite avec Dieu.

Page 31: La falaise et l’horizon

Modération, mais non médiocrité. C’est bien l’absolu qui estcherché, dans la conversion comme dans la charité, dans letravail commedans laprière, dans l’ascèsepersonnelle commedansleservicedufrèreetdel’hôte.MaisBenoîtacomprisqueseuls’opposeàl’absolucequiestrelatifmaisjamaiscequiestmodéré. Bien plutôt, seule la modération peut conduirel’homme, sans le tromper ni le décevoir, sur le chemin del’absolu. Toute la sagesse de Benoît réside en cette simplelumière que l’excès ne mène à rien, mais que la modérationouvreleseulaccèsàl’amourparfaittantpourlefrèrequepourDieu,inséparablement.

Il peut paraître insensé celui qui, pour trouver Dieu,s’avanceàlarencontredufrère;maispour-rait-ilaccueillirensaviel’absoludesonDieu,celuiquinesauraitouvrirsoncœurauxincertitudesetauxfragilitésdel’homme?

LecredodeBenoîtestsimple:«Nouscroyons,sansdouteaucun, queDieu est présent. »D’une intense présence :« entoutlieuetentouttemps»,«partoutettoujours»,maisaussid’une merveilleuse présence : « Avant même que vous neM’invoquiez,Jevousdirai :Mevoici.»Toute la tendressedeDieu ainsi offerte, simplement, en ce «Me voici ». Commentalors ne pas répondre, présence à Présence ? Mais comment,cette présence, la rendre à Dieu sans l’offrir aussi au frèrecommeà touthomme?Toute lamystiquedeBenoîts’exprimeainsidanscettesilencieuseattentionetdanscetamourpleinderespectetd’exquisehumanité.

ÊtrepourlefrèrecequeDieuestpourluiet,ainsi,rendreàDieu la seule réponse qui soit digne de ce «Me voici » qui,toujours, précède et invite celui qui le cherche de toutes sesforcesetdetoutsoncœur.Pourl’ancienetleplusjeune,pourlefrèreaccablépar lamaladie,un travail trop lourdouune faute

Page 32: La falaise et l’horizon

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 33: La falaise et l’horizon

est-elle sienne, vraiment ? Tout semble si loin de lui, cetteespérancetoutparticulièrement;àmoinsquecenesoitlui,troploin de tout, qui ne puisse s’en approcher et la saisir. Saisir,pourtant, reste impossible ; alors, faut-il s’abandonner encore,selivrersoi-même,jusqu’àcequel’espérancepromiseadviennecommelumièreencettenuit?

Quedemortsàsoi-mêmepournaîtreà l’espérance,quedesilencepourpercevoirsonappel,quedesolitudepourretrouversa présence. Rendre compte de l’espérance exige, au plusprofond de soi, la vérité de son néant. On ne récite pas soncredo,on le livrecommel’ultimesouffledesavie,sadernièregoutte d’espérance. Il faut pouvoir tout donner, et donc avoirbeaucoup perdu, pour confesser en vérité l’espérance del’Évangile. Il faut avoir beaucoupmarché, beaucoup erré, pourproclamer,sansillusionnimensonge,quelaviedébouchesurlaTerre promisede l’invincible espérance.L’espérancene se criepassurlestoits,elles’annoncecommeuneaurore,merveilleusesans doute, mais discrète et silencieuse au cœur de celui quiveille,solitaireetpatient,danslanuitdesafoi.

Le témoignage intempestif n’est pas toujours le plussincère;d’ailleurs,ils’agitmoinsdedirequedereconnaître,ennous, une œuvre qui n’est pas de nous. Elle témoignera biend’elle-même, cette espérance qui vient nous rejoindre dansl’abîmede l’abandonquandiln’estd’autresalutqueceluiquitraverse nos nuits pour nous saisir dans sa lumière. Mais,toujours, ce sera de nuit, sinon l’espérance, irrémédiablement,en resterait trahie. Urs von Balthasar, d’ailleurs, nous enprévient:

Aucunenuitn’estplusténébreusequelaténèbrelumineusedel’amour.

Page 34: La falaise et l’horizon
Page 35: La falaise et l’horizon

23Nuitetlumièredel’oubli

Du destin à l’espérance, du destin comme fatalité àl’espérancecommegrâce,qu’ellenousparaîtlongue,cetteroutedenotreexil,ouverteàtouslesimprévusdelarencontreetdelajoie,àtouslesrisquesd’erreuretd’échecquiguettentceluiqui,naïf peut-être, mais sage en vérité, attend dans l’espérancel’inespérédesavie.

Cet exil, un jour, s’achèvera ; l’Écriture nous en fait lapromesse solennelle : « […] ils ont confessé qu’Ils étaientétrangersetvoyageurssurlaterre.Ceuxquiparlentainsifontvoir clairement qu’Ils sont à la recherche d’une patrie […]»,celle,trèsjustement,del’inespéré.

Notre exil n’est pas seulement cette réalité denotrevie aucœur d’une création qui, en raison même de sa finitude, seretrouve loin de Dieu. L’exil est notre plus intime réalité, carc’est en nous que nous sommes le plus loin de nous-mêmes.Laissé à lui-même, l’homme ne se rejoint pas, ne se retrouvepas ; sa propre faille intérieure reste infranchissable. Faille del’êtrequesouligneetaccompagnelemystèredutemps.

Le temps, en effet, creuse ennous, peu àpeu,des espacespour le vide.Ce qui semblait, à l’origine, d’un seul tenant, seretrouvemaintenantsousformedecontinentsquel’oublisépareetquelesouvenirnerelieplus.Sinotremémoirenousendonneclaireconscience,c’estbienparcequ’elle transcende,ennous,cetempsquinousétireloindenous-mêmes…maissiactiveetfidèle soit-elle, elle ne peut lancer les passerelles qui

Page 36: La falaise et l’horizon

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 37: La falaise et l’horizon

III

21.L’exilpourlafoi22.L’espérance,grâcedel’abîme23.Nuitetlumièredel’oubli24.L’audaced’êtresonenfant25.Enconfidence

Page 38: La falaise et l’horizon

Achevéd’imprimerenmars2012parlaStéACORTEurope

www.cogetefi.com

Dépôtlégal:avril2012

ImpriméenFrance

Page 39: La falaise et l’horizon

PourêtreinformédespublicationsdesÉditionsDescléedeBrouwer

etrecevoirnotrecatalogue,envoyezvoscoordonnéesà:

ÉditionsDescléedeBrouwer10,rueMercœur75011–Paris

Nom:..............................................Prénom:............................................Adresse:................................................................................................Codepostal:.........................................Ville:...............................................E-mail:.............................................Téléphone:..........................................Fax:...............................................

Jesouhaiteêtreinformé(e)despublications

Page 40: La falaise et l’horizon

desÉditionsDescléedeBrouwer