la face cachée de taubira (geoffroy lejeune, 2013)

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La face cachée de Taubira Geoffroy Lejeune Valeurs actuelles du 5 décembre 2013. Intouchable. Adulée par la gauche et les médias, la ministre de la justice, pour faire oublier les méfaits de sa politique pénale, se pose en « victime du racisme ». Portrait d’une manipulatrice rompue aux artifices de la vie poli- tique. «I LS commencent par vilipender les apparences, ils commencent ainsi par la différence qu’ils voient et ils finissent par celle qu’ils imaginent. Et ils mettent tout le monde et chacun en danger. » Elle est montée à la tribune, ovationnée par cette salle fleurie de drapeaux multicolores. Elle reprend, jurant qu’elle ne laissera, dans son discours, que « deux minutes aux racistes, aux antisémites, aux xénophobes ». . . : « La nation n’est pas le bien de ces égoïstes compulsifs, elle n’est pas le bien de ces archaïques, elle n’est pas le bien de ces obsédés de l’ennemi. » Le ton est exagérément lyrique, les cordes vocales vibrent dans une sonorité à mi-chemin entre le blues et le gospel. Plus en verve que jamais, elle fustige ceux qui substituent au « patriotisme de fierté » un « nationalisme de xénophobie ». Derrière elle, le mot RÉPUBLIQUE se découpe en lettres blanches majuscules, offrant à cette envolée le décor qu’elle mérite. La scène de la Mutualité, ce 27 novembre à Paris, est investie par les hiérarques socialistes, ministres en tête. Dans un souffle, elle achève son numéro : « Voilà pourquoi nous ne nous laisserons pas faire. Nous continuerons à leur barrer la route. Nous sommes la France ! » Christiane Taubira est dans son rôle. À merveille, elle déroule sa partition, ivre de l’enthousiasme déclenché depuis qu’elle est la cible d’attaques supposées de la part des « forces de la réaction ». Fragilisée par une santé capricieuse, contestée jusque dans les rangs de la gauche, elle était en outre fermement combattue par la droite, qui ne tolère pas que « la femme qui vide les prisons », comme l’a sur- nommée Valeurs actuelles, s’attaque au pacte républicain en détruisant le principe de l’emprisonnement en deçà d’une peine de cinq ans. Mais il aura suffi qu’une fillette agite, en marge d’un de ses déplacements, à Angers, une peau de banane, 1

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La face cachée de Taubira, par Geoffroy Lejeune, in Valeurs Actuelles du 5 décembre 2013.

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Page 1: La face cachée de Taubira (Geoffroy Lejeune, 2013)

La face cachée de Taubira

Geoffroy Lejeune

Valeurs actuelles du 5 décembre 2013.

Intouchable. Adulée par la gauche et les médias, la ministre de la justice,pour faire oublier les méfaits de sa politique pénale, se pose en « victime duracisme ». Portrait d’une manipulatrice rompue aux artifices de la vie poli-tique.

«ILS commencent par vilipender les apparences, ils commencent ainsi parla différence qu’ils voient et ils finissent par celle qu’ils imaginent. Et ils

mettent tout le monde et chacun en danger. »

Elle est montée à la tribune, ovationnée par cette salle fleurie de drapeauxmulticolores. Elle reprend, jurant qu’elle ne laissera, dans son discours, que « deuxminutes aux racistes, aux antisémites, aux xénophobes ». . . : « La nation n’est pasle bien de ces égoïstes compulsifs, elle n’est pas le bien de ces archaïques, ellen’est pas le bien de ces obsédés de l’ennemi. » Le ton est exagérément lyrique, lescordes vocales vibrent dans une sonorité à mi-chemin entre le blues et le gospel.

Plus en verve que jamais, elle fustige ceux qui substituent au « patriotisme defierté » un « nationalisme de xénophobie ». Derrière elle, le mot RÉPUBLIQUEse découpe en lettres blanches majuscules, offrant à cette envolée le décor qu’ellemérite. La scène de la Mutualité, ce 27 novembre à Paris, est investie par leshiérarques socialistes, ministres en tête. Dans un souffle, elle achève son numéro :« Voilà pourquoi nous ne nous laisserons pas faire. Nous continuerons à leur barrerla route. Nous sommes la France ! »

Christiane Taubira est dans son rôle. À merveille, elle déroule sa partition, ivrede l’enthousiasme déclenché depuis qu’elle est la cible d’attaques supposées de lapart des « forces de la réaction ». Fragilisée par une santé capricieuse, contestéejusque dans les rangs de la gauche, elle était en outre fermement combattue parla droite, qui ne tolère pas que « la femme qui vide les prisons », comme l’a sur-nommée Valeurs actuelles, s’attaque au pacte républicain en détruisant le principede l’emprisonnement en deçà d’une peine de cinq ans. Mais il aura suffi qu’unefillette agite, en marge d’un de ses déplacements, à Angers, une peau de banane,

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qu’une candidate du Front national la compare, sur un photomontage, à un singe,avant que l’hebdomadaire Minute ne l’affiche en couverture avec le titre « Malignecomme un singe, Taubira retrouve la banane », pour que la ministre de la Justicese refasse, à peu de frais, une santé politique.

L’aubaine était inespérée, la réaction fut immédiate. Si elle a l’honnêteté de re-connaître qu’à aucun moment elle n’a craint pour sa vie, Taubira s’indigne qu’au-cune « belle et haute voix » ne se soit élevée pour la défendre. Elle s’invite au vingtheures de France 2, convoque ses amis de Libération et obtient la couverture duquotidien pour condamner, dans une interview grandiloquente, « des attaques aucoeur de la République ».

La classe politico-médiatique s’emballe. Taubira, devenue intouchable, s’érigeen rempart ; il faut choisir son camp. Les rares voix — dont Valeurs actuelles ! —qui tentent de faire entendre raison ne sont pas écoutées. Dès que s’essouffle lacampagne, la couverture de Minute remet de l’huile sur le feu. L’hebdomadaireElle flaire le bon coup éditorial, et propose à son tour sa une à la ministre me-nacée 1. Le message n’en est pas plus mesuré : « Je ne crains ni le racisme, nile sexisme, ni la bêtise. » Trop intelligente pour ignorer les règles du systèmepolitico-médiatique, Taubira joue de son statut d’icône. S’amuse de la fascinationqu’elle exerce sur les médias quand, à l’occasion des débats sur le « mariage pourtous », les commentateurs s’emballent pour cette fanm dibout (« femme debout »)qui impose la bicyclette aux policiers chargés de sa sécurité, se couvre d’un châlelorsque les débats s’éternisent, boit du thé. Les mêmes frissonnent pour cette mi-nistre issue de la « diversité » à la répartie diabolique, qui s’exprime sans notes etcite de mémoire Aimé Césaire, le code civil ou René Char, son auteur fétiche.

Personne n’ose soulever le passé de cette indépendantiste guyanaise qui re-vendique d’incarner aujourd’hui cette France qu’elle a tant combattue durant sesjeunes années. Née à Cayenne, en Guyane, sixième d’une famille de onze enfants,élevée par une mère seule, abandonnée par son père — un « scélérat » qu’ellesouhaite voir griller « en enfer », écrit-elle dans Mes météores (Flammarion), sonautobiographie parue en 2012 —, elle gagne la métropole pour y faire ses étudesen sciences économiques, en sociologie et en ethnologie. « J’ai compris que j’étaisnoire en arrivant à Paris », confie-t-elle, comme pour justifier son adhésion au

1. En consacrant en couverture Christiane Taubira « femme de l’année », la rédaction de l’heb-domadaire féminin Elle affichait sa ligne éditoriale en même temps qu’elle s’offrait un coup depublicité à moindres frais. L’ échec n’en est que plus rude : nombreux sont les lecteurs de Elle àn’avoir pas supporté d’être pris par surprise. Devant l’avalanche de réactions outrées, la directiondu magazine a décidé de consacrer une pleine page, dans son numéro suivant, à l’explication de sadécision, prise parce que la ministre « a été l’objet de critiques et d’attaques indignes ». « Les brasm’en sont tombés », a réagi un lecteur dans la page de courrier réservée aux doléances. Taubira yest jugée « arrogante », « suffisante », « féroce » et « implacable » par des lecteurs. « Voilà la raisonpour laquelle je ne me réabonnerai pas », concluait un autre abonné du magazine.

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Mouvement guyanais de décolonisation (Moguyde). Elle y rencontre l’activisteRoland Delannon, qu’elle pousse à lutter jusque dans la clandestinité, et qu’ellefinira par épouser. De cette période d’activiste qu’elle qualifie pudiquement de« nomadisme de sécurité » — elle change de domicile tous les deux jours et vienten aide aux clandestins et militants guyanais détenus à la Santé —, la garde desSceaux ne regrette rien.

Une fois forgée sa carapace, Taubira, « autoritaire, ambitieuse et immodeste »,comme certains la qualifient en privé dans les rangs de la gauche, ravit la 1re cir-conscription de Guyane lors des législatives de 1993. Recrutée par le Parti radicalde gauche (PRG) à son arrivée à Paris, repérée par Tapie — qui, aujourd’hui,« la soupçonne de faire partie de ceux qui activent les rouages de la machine in-fernale » contre lui —, elle s’aventure aux côtés de l’homme d’affaires à l’occa-sion des européennes de 1994. Les 12,03% recueillis par ces iconoclastes, en plusd’anéantir les ambitions de Michel Rocard, offrent Bruxelles sur un plateau à lajeune députée

Ses autres faits d’armes sont plus connus : en 2001 , elle milite à l’Assembléenationale en tant que rapporteur de la loi reconnaissant l’esclavage et la traite né-grière comme crimes contre l’humanité. Cette loi qui porte son nom lui donne desailes : en 2002, elle brigue, en dépit des tentatives de rapprochement effectuées parJospin, la fonction présidentielle. Soutenue par le PRG, qui voit en cette femme decouleur venue de l’outre-mer une chance de récolter des voix dans les Dom-Tomet les banlieues, elle n’obtient ses 500 signatures qu’avec l’aide d’Alain Bauer —le parrain du fils de Manuel Valls ! —, grand maître du Grand Orient de France.Elle récolte 2,32% des voix au premier tour. Injustice de la mémoire collective,c’est au seul Jean-Pierre Chevènement qu’est attribuée la défaite de Jospin au soirdu 21 avril. Pourtant, il lui manque moins de 200 000 voix pour se hisser devantLe Pen. Taubira, elle, en a obtenu plus de 660 000, jamais elle ne reconnaîtra saresponsabilité.

Dix ans plus tard, elle jure, au lendemain de la victoire de Hollande à la pré-sidentielle, qu’elle souhaite arrêter la politique pour retrouver sa Guyane. Les im-pératifs politiciens ont raison de ses projets : « Elle était une femme, elle étaitnoire, elle avait soutenu Montebourg et venait des Radicaux, insistera devant nousle président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale et intime de Hollande,Bruno Le Roux, pour justifier sa nomination Place Vendôme. On ne pouvait pass’en passer. » Tant pis pour André Vallini, sénateur de l’Isère, qui s’était préparépour la fonction. À 61 ans, elle peut régner sur le monde judiciaire.

De chemin, il n’existe pour elle que celui de l’idéologie. Poussée à l’extrême,la sienne veut, selon ses mots, faire passer la France « de l’ombre à la lumière »en faisant le « choix du progressisme face à la réaction ». Son lyrisme, sa gran-diloquence, le fait que quelques esprits aveuglés la comparent à Robert Badinter

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ne masquent pourtant pas l’angélisme, le laxisme et la culture de l’excuse qu’elleenfouit derrière des mots. « L’utopie est une audace vers l’avenir », aime-t-elledire en paraphrasant l’architecte Le Corbusier.

« Monter, grimper, se hisser » est sa devise, empruntée cette fois à René Char.Depuis l’épisode de la Mutualité, elle semble au sommet. Presque invulnérable.

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