la dirigeance n°2

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2010 MARS-AVR. Synthèse Les services de paiement, risque ou opportunité ? De la filiale à la mère par l’environnement Rapport « Normes comptables et crise financière » Les class actions arrivent en France Violence au travail : un guide pratique pour la jungle des responsabilités UNIVERSITE PANTHEON-ASSAS PARIS MBA DROIT DES AFFAIRES ET MANAGEMENT-GESTION Synthèse ...la suite page 2 n°2 Etablissements de paiement Le 1 er novembre dernier, l’Europe transposait la directive SEPA et franchissait ainsi une étape supplémen- taire dans la réalisation du marché commun en créant les services européens de paiement. Par l’élaboration d’un nouveau marché des services de paiement, la transposition française remet en cause le monopole bancaire et orga- nise ainsi un nouvel espace concurrentiel. Soumise à l’obtention d’un agrément aux exigences allégées, la pres- tation de tels services semble ouverte à un éventail d’acteurs économiques aussi large que varié. Alors que les premières demandes d’agrément ont d’ores et déjà été déposées, la pratique devrait bientôt nous enseigner quelles sont les règles effectivement en vigueur, ainsi que les coûts réels de cette nouvelle étape vers l’harmonisation euro- péenne.

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Partenaires du Petit Juriste, les étudiants du MBA Droit des affaires et Management-Gestionde l’Université Paris II ont le plaisir de vous présenter le premier numéro de la newsletter La Dirigeance.

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Page 1: La Dirigeance n°2

2010MARS-AVR.

Synthèse

Les services de paiement,risque ou opportunité ?

De la filiale à la mèrepar l’environnement

Rapport « Normes comptables etcrise financière »

Les class actions arriventen France

Violence au travail :un guide pratique pourla jungle des responsabilités

UNIVERSITE PANTHEON-ASSAS PARISMBA DROIT DES AFFAIRES ET MANAGEMENT-GESTION

Synthèse

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n°2

Etablissementsde paiementLe 1er novembre dernier, l’Europe transposait ladirective SEPA et franchissaitainsi une étape supplémen-taire dans la réalisation dumarché commun en créantles services européens depaiement.

Par l’élaboration d’un nouveaumarché des services de paiement, la transpositionfrançaise remet en cause lemonopole bancaire et orga-nise ainsi un nouvel espaceconcurrentiel. Soumise à l’obtention d’un agrément auxexigences allégées, la pres-tation de tels services sembleouverte à un éventail d’acteurséconomiques aussi large quevarié.

Alors que les premières demandes d’agrément ontd’ores et déjà été déposées,la pratique devrait bientôtnous enseigner quelles sontles règles effectivement envigueur, ainsi que les coûtsréels de cette nouvelle étapevers l’harmonisation euro-péenne.

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1Evaluation d’un actif au regard de sa seulevaleur de marché au moment de sa cession2International Accounting Standards Board

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Synthèse

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EnvironnementLe Commissariat général au développement durable (CGDD) vient depublier un rapport sur la directive relative à la respon sabilité environne -mentale et les méthodes de restauration. Cette directive du 21 avril2004 a créé un régime de responsabilité environnementale et vise àrendre les industriels financièrement responsables des dommagesqu’ils pourraient causer à l'environnement.Ce texte préconise une réparation des dégradations qu’ils aurontcommises sur le milieu naturel, en privilégiant une restauration d’équivalence et de compensation exacte (restaurer une ressourcenaturelle précise si elle est détruite ou restaurer un service écologiquedégradé). Le rapport a pour objectif d’expliquer et de faire connaître cesméthodes de restauration.Plus largement, l’effervescence actuelle sur ces sujets nous amène àrevenir sur les tenants et les aboutissants de la responsabilité environ-nementale des groupes de sociétés telle que souhaitée par la Francepar le biais de la loi Grenelle 1.

Normes comptables et crise financièreLes normes comptables, plus particulièrement la méthode de la fairvalue1 ont été récemment accusées d'avoir joué un rôle important dansla récente crise économique et financière.Tandis que la France ouvre la voie à une réforme du système derégulation comptable et propose une remise en cause de la pratique dela valorisation par le marché et une redistribution des rôles et des responsabilités de chaque acteur, la Commission européenne ajourneson projet.Le couperet tombe : le rapport commandé par la Commission à l’IASB2

est incomplet. Prête à tirer les enseignements de la crise, l’Europe ne se contenteradonc pas seulement de remettre en cause la pratique de la fair value,mais entend bien élargir la réforme à une simplification de l’ensembledu système de régulation comptable, en n’optant toutefois que pourune convergence minimale avec le système américain. Entrée en vigueurprévue pour le 1er janvier 2013.Affaire à suivre.

Une class action à la française ?L’ADUC, une association de consommateurs italienne, profite de la trèsfraîche adoption d’une loi instituant les class actions en droit italienpour faire rebondir l’affaire des ventes liées de systèmes d’exploitationWindows, installés à titre onéreux et impératif sur l’immense majoritédes ordinateurs.L’association compte porter plainte contre Microsoft dans ce quis’annonce comme l’un des plus importants procès de cette nouvelleannée, tant en raison des enjeux sous-jacents, à la fois juridiques et financiers, que du nombre de personnes - plusieurs milliers - ayantdéjà manifesté leur intention de rejoindre la procédure.Ce “Windows Gate” à l’italienne est également l’occasion de s’interrogersur l’avenir de cette procédure en droit français.

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3Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 08-41.497

Du management au harcèlementC’est au cours de son discours du 9 octobre dernier que le ministre duTravail a annoncé sa volonté d’imposer aux entreprises de plus de1 000 salariés des négociations sur le stress au travail. Toujours dansce mouvement de protection des salariés, la Cour de cassation a depuisconsidéré qu’un harcèlement moral pouvait être qualifié même en l’absenced’intention malveillante de son auteur3.Voici bien longtemps que le débat sur les conditions de travail n’avait pasété aussi vif, notamment lorsqu’il s’agit de déterminer la frontière entre unmanagement normal et les abus caractérisant des infractions civiles oupénales.Il est important d’observer que juges et législateur agissent de concertpour faire supporter à l’employeur de plus en plus de chefs de responsabilitévis à vis de leurs salariés. Cette tendance nous offre l’opportunité dedéfricher la jungle des responsabilités en matière de violence au travailpour offrir aux dirigeants une meilleure visibilité des risques qu’ils encourent.

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1 Single European Payment Area2 Directive 2007/64/CE du13 novembre 2007 de la Commission européenne et du Conseil de l’Europe.3 Ordonnance n°2009-866 du15 juillet 2009 relative aux conditionsrégissant la fourniture de services depaiement et portant créationdes établissements de paiement.4 Art. L.522-6 du Code monétaire etfinancier, tel que modifié par l’ordonnancedu 15 juillet 2009.5 Art. L. 522-11 du Code monétaire etfinancier, tel que modifié par l’ordonnancedu 15 juillet 2009.

Les services de paiement,risque ou opportunité ?

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Le 1er novembre dernier, l’Europe transposait la directive SEPA1 etfranchissait ainsi une étape supplémentaire dans la réalisation dumarché commun en créant les services européens de paiement

Inscrite dans la continuité de l’harmonisation du système monétaireeuropéenamorcée par la création de l’Euro, la directive du 13 novembre 20072

a été transposée en droit français par l’ordonnance du 15 juillet 20093.Bonne élève, la France a été l’un des premiers Etats membres à adaptersa législation nationale à l’apparition des services de paiement. Latâche n’était pourtant pas aisée, puisque, outre les difficultés techniques de l’exercice, la naissance d’un nouveau marché desservices de paiement et de leurs acteurs privilégiés emporte la remiseen cause du sacro-saint monopole bancaire français et la définition denouvelles notions-clef, qui ébranlent le Code monétaire et financier.

La création d’un nouveau marchéLes acteurs du marché bancaire vont désormais devoir faire face à uneconcurrence aussi nouvelle que variée, rassemblée sous la dénominationd’établissements de paiement. En raison d’attributions plus étroites et par conséquent de risques restreints, ces établissements bénéficient d’un agrément aux modalitésd’obtention allégées. Etablissements de crédit et de paiement sontmaintenant regroupés sous le vocable de prestataires de services depaiement. Depuis le 1er novembre, les établissements de paiement peuvent ainsi proposer à leurs clients l’ouverture et la gestion decomptes de paiement (comptes bancaires utilisés pour effectuer desopérations de paiement), accompagnés d’un service de crédit limité(une ligne de crédit ouverte pour une durée maximale de 12 mois et nonrenouvelable). Ces comptes ne peuvent cependant pas recevoir de dépôtet l’établissement de paiement ne bénéficie pas de la disposition dessommes qui y transitent. A travers de telles dispositions, la directiverecherche donc bien un accroissement de la concurrence dans le secteur de services financiers, par une diversification de l’offre et desoffrants.

Le statut d’établissement de paiement – sous quelles conditions ?L’accession au statut d’établissement de paiement reste néanmoinsencadrée et notamment soumis à l’obtention d’un agrément délivré parle Comité des établissements de crédit et des entreprises d’investisse-ment4. La personne morale candidate doit alors répondre à des exigencesde solidité de son mode de gouvernance, à la présence d’une organisationde contrôle et d’audit adaptée à la prestation de services de paiement,ainsi qu’à la qualité de ses principaux décideurs. De surcroît, l’activitéde prestation de services de paiement doit être exercée à titre habituel,ce qui implique que son non usage est susceptible d’entraîner le retraitde l’agrément5.Outre ces règles prudentielles, la transposition française de la directiveexige un capital social minimum variant de 20 000 à 125 000 euros enfonction des services de paiement proposés.

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Les établissements de paiement sont également soumis au respect dusecret professionnel et des règles relatives à la lutte contre le blanchimentdes capitaux et le financement des activités terroristes.

Quels destinataires ?Le principal intérêt de la réforme réside dans l’accessibilité de l’agré-ment aux sociétés exerçant déjà une activité sans rapport avec ledomaine financier.Ainsi, la directive ouvre les portes du marché des services de paiementà des établissements hybrides, à la condition que l’activité exercée parces derniers ne nuise pas à l’exercice des activités de paiement6. Onpeut dès lors envisager que toute sorte d’entreprises se destinent bientôt à la délivrance de services de paiement, comme par exempleles prestataires de services d’information et de télécommunication oules acteurs de la grande distribution. Avec plus d’imagination encore,des franchiseurs pourraient tenir lieu d’établissements de paiement ausein de leur réseau7.Concrètement, ces établissements de paiement peuvent désormaisémettre des cartes bancaires et réaliser des transferts d’argent, pouvant inclure par extension les paiements par « SMS ».Finalement, qu’elles soient prestataires ou bénéficiaires de services depaiement, toute entreprise est susceptible d’être concernée par cenouveau mode électronique de paiement.

Quels coûts ?Alors que la directive prévoyait de laisser aux professionnels bénéfi-ciaires des services de paiement la liberté de répercuter sur le prix finalde leurs produits les frais effectifs correspondant au moyen de paiementchoisi par le client8, la transposition française semble revenir sur cettefaculté.Malgré les recommandations de l’Autorité de la concurrence, qui suivaient la voie tracée par les institutions européennes9, l’ordonnancedu 15 juillet 2009 pose le principe de l’interdiction de la pratique du“surcharging”. Afin d’encourager la concurrence et de promouvoir l’utilisation des moyens de paiement les plus efficaces (double principedirecteur de la réforme), le Code monétaire et financier a aménagé desdérogations10. Ainsi, le professionnel bénéficiaire du service de paiementpeut proposer une réduction à son client payeur pour l’utilisation d’unmode de paiement donné, à la condition qu’il en informe ce dernieravant l’opération de paiement.Une lecture croisée du texte législatif et de l’avis de l’Autorité de laconcurrence permet de décrypter les cas où la pratique du “surcharging”pourrait être tolérée. Outre les exigences d’information et de réper -cussion des seuls coûts effectifs liés à l’usage d’un mode de paiementdonné, le « surcharging » ne pourrait être utilisé que dans les situationsoù une pluralité des modes de paiement serait proposée. Il s’agit dèslors d’évaluer l’efficacité de chaque moyen de paiement, en termes decoûts, de sécurité et de rapidité, pour définir quel instrument pourraitfaire l’objet de “surcharging”.

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6 Art. L.522-3 du Code monétaire et financier, tel que modifié par l’ordonnancedu 15 juillet 2009.7 A. Bordenave, Aperçu du nouveau dispositif normatif relatif aux activitésde paiement en France,Lexbase hebdo n° 3658 Art. 52-3° de la Directive 2007/64/CEdu 13 novembre 2007.9 Autorité de la concurrence,avis n° 09-A-35 du 26 juin 2009 portantsur le projet d’ordonnance relatifaux conditions régissant la fourniture deservices de paiement et portant créationdes établissements de paiement.10 Art. L.112-12 du Code monétaire etfinancier, tel que modifié par l’ordonnancedu 15 juillet 2009.

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Les services de paiement,risque ou opportunité ?

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Finalement, l’applicabilité de ces dispositions reste encore relativementincertaine. On peut néanmoins considérer qu’à efficacité comparable,l’utilisation d’une carte bancaire ayant un coût plus faible prévaudraitsur celle ayant un coût supérieur, parce qu’elle entrainerait une baissedu prix final du produit11. Peut-on alors légitimement s’attendre à unebaisse du niveau des commissions interbancaires ?Le principe d’une zone européenne des paiements, où la liberté deséchanges financiers résulte dans l’identique accessibilité des modesnationaux et internationaux de paiement, vient de se doter d’un cadrejuridictionnel, qui demande encore à souffrir de l’épreuve pratique.Alors qu’il éveille la méfiance des établissements de crédit, le systèmeeuropéen des services de paiement pourrait en revanche susciter denouvelles vocations auprès des acteurs économiques traditionnels.

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Les services de paiement,risque ou opportunité ?

11G. Decocq, Vers plus de concurrencedans les services de paiement ?Contrats Concurrence Consommationn°10, octobre 2009.

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Pauline Delarbre

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1Usquequo ?2Article L621-2 alinéa.2 du code de commerce.3Cass. Com. 19 avril 2005, n° 05-10.094,Bull. Civ. IV, n° 92.

L’environnement a le vent en poupe non moins que les éoliennes ont levent dans les pâles1.Outre la vogue que connaît cette thématique, ouplutôt en corrélation avec celle-ci, la préoccupation écologique a trouvéune consécration constitutionnelle avec la Charte de l’environnementqui a vu le jour en 2004. Dès lors, il faut se poser la question de sa prévalence sur d’autres principes, droits ou valeurs qui composentl’ordre juridique interne et parmi lesquels compte le principe d’indé-pendance des personnes morales.

Cette question revêt un sens particulier en ce qui concerne les dommagesenvironnementaux que les activités d’une entreprise pourraient causeralors qu’une stratégie de filialisation est utilisée par elle, ce qui est le casau sein de tout groupe de sociétés « qui se respecte ».

Responsabilité et autonomie des personnes moralesLes groupes de société sont une réalité prégnante de la vie économique.Ils sont un mode d’organisation rendu nécessaire par les défis stratégiquesmultiples auxquels les entreprises doivent faire face. Pour autant, leurconstitution ne porte pas de signification univoque et peut relever d’unmécanisme de concentration comme d’un mécanisme de déconcentration.Dans ce dernier cas, l’autonomie patrimoniale qui est attachée à l’autonomie des personnes morales est utilisée comme un instrumentde gestion, sur le plan financier notamment. Ce mode de structurationjuridique se révèle très attrayant pour certaines entreprises dont lesactivités sont génératrices de risques. En effet, par cet habile stratagèmede cloisonnement, elles peuvent faire porter les coûts de certainsrisques juridiques à des personnes morales soigneusement positionnéescomme filiales au sein de leur groupe. De la sorte, le parcours d’uneaction en responsabilité est toujours limité par l’autonomie des personnes morales sur laquelle elle achoppe.Si la pureté du droit y trouve son compte, le mécanisme se révèledéceptif à quiconque demande justice d’un dommage causé par unefiliale et qui représenterait pour cette dernière un passif impossible àcombler. Lever le voile de la personnalité morale de la filiale et rendrele groupe de sociétés comme transparent se présente comme la solutionidéale qui permettrait d’aller rechercher la responsabilité de la sociétémère et surtout de profiter de sa solvabilité.Ceci exprime schématiquement un des enjeux liés au fonctionnementdu principe d’indépendance des sociétés au sein d’un groupe et à saconfrontation au droit de la responsabilité.

La responsabilité de la mère : une solution limitéeLa notion de groupe de sociétés n’a pas de signification en droit françaiset il ne faut attendre aucune évolution de ce côté-là.En droit des procédures collectives, l’extension à une société mère ouune société soeur d’une procédure ouverte à l’encontre d’une filialen’est admise qu’en cas de fictivité de la personne morale ou de confusiondes patrimoines2. Cette dernière voie n’avait pas prospéré dans le cadrede l’affaire Metaleurop3, affaire dans laquelle l’activité d’une filiale avaitcausé des préjudices environnementaux considérables. A tout le moins,le cas avait été l’occasion de valider le principe d’une action en respon -

De la filiale à la mèrepar l’environnement

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Page 8: La Dirigeance n°2

sa bilité pour insuffisance d’actifs contre une mère qui se serait comportée en dirigeant de fait d’une filiale. Noter qu’il s’agit là d’unemise en œuvre somme toute fort logique de la rhétorique juridique.

Les propositions du Grenelle :Le dernier Grenelle de l’environnement a été l’occasion d’intensifier ledébat sur la gouvernance écologique des entreprises. Le risqued’évacua tion de la responsabilité environnementale par des techniquesde filialisation y a été clairement dénoncé par le président de la Républiquedans son discours à l’occasion de la restitution des conclusions du Grenelle de l’environnement prononcé le 25 octobre 2007.Dans cette logique, le principe de la mise en cause de la responsabilitéenvironnementale d’une société mère a été promu par la loi du 3 août2009 relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l’environnement dite« loi Grenelle I ». Ainsi, l’article 53 de celle-ci dispose-t-il « La Franceproposera l’introduction au niveau communautaire du principe de lareconnaissance de la responsabilité des sociétés mères à l’égard deleurs filiales en cas d’atteinte grave à l’environnement et elle soutiendracette orientation au niveau international ». Si, telle quelle, cette dispo-sition a tous les caractères d’un vœu pieux, elle exprime toutefois combien le « droit de l’environnement pourrait être le moteur d’uneévolution essentielle du régime juridique des groupes de sociétés. »4

A ce titre il convient de s’attarder sur le projet de loi « Grenelle II » portantengagement national pour l’environnement.L’article 84 de ce même projet de loi s’inscrit directement dans la continuité des velléités affichées par l’exécutif5.Des maisons mères ont souhaité, même en l'absence de tout compor-tement fautif, prendre volontairement à leur charge des obligationsincombant normalement à l'une de leurs filiales défaillantes. Le projets’attache dans son premier volet à supprimer les interrogations qui ontvu le jour quant à la conformité de telles interventions volontaires auvu de l’intérêt social, et donc, quant à leur licéité au regard du droit dessociétés, du droit fiscal ou du droit pénal des affaires. Par conséquent,il propose de compléter l'article L. 233-3 du code de commerce afind'autoriser expressément une maison mère à exécuter une obligationenvironnementale incombant en principe à l'une de ses filiales. La procédure des conventions règlementées serait empruntée pourlégitimer cette démarche.Le second volet part du constat que, dans un groupe de sociétés, en casde défaillance d'une société filiale constituée sous forme d'une sociétéde capitaux ou de société à responsabilité limitée, la responsabilité dela maison mère est celle d'un associé ou d'un actionnaire ordinaire6.Comme expliqué plus haut, quand, du fait de la défaillance de la sociétéfiliale, des créances essentielles restent insatisfaites, le caractère limitéde la responsabilité de la maison mère pose problème, notamment siles circonstances de la défaillance de la société filiale relèvent d’agisse -ments fautifs imputables à cette mère. Par conséquent, une modificationde l'article L. 512-17 du code de l'environnement relatif à la remise enétat des sites en fin d'exploitation est proposée afin de mettre en causela société mère dont les agissements fautif ont amené l’insuffisanced'actifs d’une filiale au point que celle-ci est incapable de faire face à

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De la filiale à la mère par l’environnement

4Marie-Pierre BLIN-FRANCHOMME,De l’évolution des espèces : vers une responsabilité environnementale desgroupes de sociétés, RLDA n° 42,octobre 2009.5Le texte de la proposition se présentecomme suit :I. – Après l’article L. 233-5 du codede commerce, il est inséré un articleL. 233-5-1 ainsi rédigé :« Art. L. 233-5-1. – La décision parlaquelle une société qui possède plus dela moitié du capital d’une autre société ausens de l’article L. 233-1, qui détient uneparticipation au sens de l’article L. 233-2ou qui exerce le contrôle sur une sociétéau sens de l’article L. 233-3 s’engage àprendre à sa charge, en cas de défaillancede la société qui lui est liée, tout ou partiedes obligations de prévention etde réparation qui incombent àcette dernière en application des articlesL. 162-1 à L. 162-9 du code de l’environnement est soumise, selon laforme de la société, à la procédure mentionnée aux articles L. 223-19,L. 225-38, L. 225-86, L. 226-10 ouL. 227-10 du présent code. »II. – Après l’article L. 512-16 du code del’environnement, il est rétabli un articleL. 512-17 ainsi rédigé :« Art. L. 512-17. – Lorsque l’exploitant estune société filiale au sens de l’articleL. 233-1 du code de commerce et qu’uneprocédure de liquidation judiciaire a étéouverte ou prononcée à son encontre, leliquidateur, le ministère public ou le préfetpeut saisir le tribunal ayant ouvert ou prononcé la liquidation judiciaire pourfaire établir l’existence d’une faute commise par la société mère qui acontribué à une insuffisance d’actif de lafiliale et pour lui demander, lorsqu’unetelle faute est établie, de mettre à lacharge de la société mère tout ou partiedu financement des mesures de remiseen état en fin d’activité.« Lorsque la procédure mentionnéeà l’article L. 514-1 du présent code a étémise en oeuvre, les sommes consignées,en application du 1° du I de cet article, autitre des mesures de remise en état en find’activité sont déduites des sommesmises à la charge de la société mère enapplication de l’alinéa précédent.« Lorsque la société condamnée dans lesconditions prévues au premier alinéa n’estpas en mesure de financer les mesures deremise en état en fin d’activité incombantà sa filiale, l’action mentionnée au premieralinéa peut être engagée à l’encontre dela société dont elle est la filiale au sens del’article L. 233-1 du code de commerce. »6Soit une responsabilité limitéeà la perte des apports.

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ses obligations environnementales de réhabilitation. Le projet est de faireintervenir le liquidateur, le ministère public ou le préfet. Dans le cadred’une procédure collective de liquidation, ils pourraient saisir le tribunalcompétent afin d’établir que l’insuffisance d’actif de la filiale procèdede la faute maternelle. La disposition resterait limitée aux installationsclassées pour la protection de l’environnement (ICPE).Pour aller plus loin que ce projet de loi qui ne sortira peut-être pasindemne de son examen à l’Assemblée Nationale7, il faut se souvenirque le Rapport sur la gouvernance écologique de la mission Lepageproposait, en février 2008, de formuler dans le code civil un principegénéral de responsabilité des sociétés mères du fait de leurs filiales etd’étendre cette responsabilité aux bailleurs de fond qui auraient agi enconnaissance de cause.A la vue de ces ambitions premières, les propositions parlementairessemblent bien faibles ; ceci étant, elles constituent peut-être l’amorced’un changement appelé à prendre de l’ampleur.Quoi qu’il en soit de la réalité des mesures qui s’appliqueront un jour,cette question précise de la responsabilité environnementale au seindes groupes de société dit comment le droit s’organise de plus en plus,non seulement autour d’enjeux économiques, mais aussi, selon le degréde maturation, de certaines questions que d’aucuns qualifieraient de« sociétales ».

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De la filiale à la mère par l’environnement

7Prévu pour le mois de mai 2010.

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Côme de Jullien de Villeneuve

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Les normes comptables, plus particulièrement le principe de la « fairvalue », ont été récemment accusées d'avoir joué un rôle importantdans la crise économique et financière. Se pose donc aujourd'hui demanière aiguë la question de leur réforme.

A la demande du ministre de l’Economie, Christine LAGARDE, PascalMORAND et Didier MARTEAU, respectivement Directeur général et professeur à l’ESCP Europe, ont été chargés de rédiger un rapportportant sur les normes comptables et la crise financière. Ce rapport s’articule autour de deux principaux volets. Il présenteune réflexion sur les fondements des normes comptables IFRS1 et s’intéresse aux évolutions actuellement débattues au sein del’International Accounting Standards Board (IASB) s’agissant de la valorisation des instruments financiers. Il examine ensuite la questionde la gouvernance des organismes de production de normes comptables.

Position du problèmeEn juillet 2002, un règlement européen2 entérine la décision de la Commission Européenne d'imposer à toutes les sociétés européennescotées (y compris les banques et les sociétés d'assurance) l'élaborationde leurs états financiers consolidés conformément aux normes comptables internationales IFRS. Cette mesure devait permettre àtoutes les entreprises européennes de parler le même langage enmatière d'information financière. L'application de ces nouvelles normescomptables est rendue obligatoire depuis le 1er janvier 2005.La « juste valeur » (ou fair value) est une méthode de valorisation desactifs prônée par les normes comptables internationales IFRS, quiinduit la valorisation des actifs à leur valeur de marché à la date de clôture du bilan. Cette méthode, baptisée « market-to-market »,s'oppose à la valorisation au « coût historique » utilisée dans lesnormes comptables françaises, et selon laquelle l'actif reste valorisédans les comptes à son prix à la date d'achat, même si sa valeur demarché a entre-temps évolué.La mise en place de la « juste valeur » avait pour objectif de rapprocherla valeur comptable de la valeur de marché et donc de faciliter le travailde valorisation des sociétés, en réponse aux nombreuses critiquesadressées au coût historique. En effet, les défenseurs du principe de« juste valeur » reprochent à la comptabilisation en coût historique dene pas prendre en compte l'évolution des marchés financiers et d’êtreincapable de traduire la réalité économique.Cette valorisation à la « juste valeur » est aujourd’hui critiquée notammentdu fait de la remise à jour régulière des valeurs des actifs, qui entraîneune volatilité des comptes et des résultats des sociétés sanscorrespon dance avec leur activité économique. De même, la valorisa-tion s'applique à des actifs destinés à être conservés à moyen ou longterme, et pour lesquels la valorisation instantanée n'a donc pas de sens.En effet, de quelles alternatives dispose-t-on lorsque le marché nefonctionne pas ou mal ? Si la société peut se référer à des transactionsrécentes, à la « juste valeur » d'un actif similaire ou à d'autres

Rapport « Normes comptableset crise financière » :Propositions pour une réformedu système de régulation comptable

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1IFRS (International Financial Reportingstandard), complément des normes IAS(International Accounting Standard) sontdes normes comptables internationalesélaborées par l’IASB (InternationalAccounting Standards Board). Ces normespermettent l’élaboration des comptesconsolidés des sociétés cotées. 2Règlement CE n° 1606/2002 du19 juillet 2002.

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techniques d'évaluation, il n’en demeure pas moins qu’avec la crisefinancière, la détermination de la valeur d'un instrument financier(actions, titres de créances, produits dérivés, etc.) est devenue un enjeuaussi déterminant que problématique ; alors que la valeur de marchéd’un actif a subi une décote très importante en raison de l'illiquidité oude l'inexistence du marché, sa valeur « économique » reste identique.Avec la crise des subprimes, qui a entraîné une baisse de la valorisationde nombreux actifs financiers, les établissements financiers à traversle monde ont enregistré plus de 150 milliards de dollars de « pertes »,correspondant à des dépréciations d'actifs réalisées en vertu du principede « la juste valeur ».La comptabilisation de ces instruments financiers à leur «juste valeur»a donc contraint les sociétés cotées et les établissements financiers àreconnaître une perte « potentielle ». En période de crise, la perte n'estque « virtuelle » : les actifs peuvent être sains, la valeur dépréciée estcelle de l'instant « t » et ne reflète pas la valeur fondamentale des actifs.Pour autant, la « perte » potentielle aura été répercutée directementdans le compte de résultat ou sera venue diminuer les capitaux propres.Or, c'est le niveau de ses capitaux propres qui détermine le seuil d'endettement admissible de l'établissement financier, ainsi que levolume des prêts pouvant être accordés à la clientèle3.

Propositions de réformes : Périmètre et modalités de calcul de la « fair value »Les normes comptables actuelles reposent sur une représentationimplicite de l’entreprise en tant que portefeuille de valeurs échan -geables, légitimant le principe de valorisation à la « fair value » à l’ensemble des actifs et passifs financiers.Or, on retrouve dans un bilan des valeurs d’échange (portefeuille de trading par exemple) et des valeurs d’usage (titres de participationstratégique, dette émise, etc.). Un même actif peut ainsi avoir deuxvaleurs différentes selon son mode de gestion : sa valeur d’échange estaffectée d’un spread de liquidité4, alors que sa valeur d’usage resteinchangée.L’amplification comptable de la crise financière résulte précisément dela prise en compte du spread de liquidité dans la valorisation des actifset passifs non destinés à l’échange. Dans cette logique, les auteurs du rapport suggèrent de limiter lechamp d’application de la « fair value » aux positions financières assimilées à des « valeurs d’échange », c’est-à-dire à un périmètreproche du portefeuille de transactions.Les autres positions financières doivent être valorisées à leur valeurd’usage, qui peut être celle du coût amorti ou toute autre méthode d’évaluation ne prenant pas en compte le spread de liquidité.Le système de valorisation proposé n'est pas un retour au coût historique. Le prix de marché est retenu en priorité pour les valeursd'échange. Les actifs de crédit portés à échéance sont valorisés au coûtamorti, avec un système de provisionnement reposant sur les pertesattendues qui prend en compte, au nom du principe de prudence, ladégradation éventuelle de la qualité de crédit au cours du temps.

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Rapport « Normes comptables et crise financière » :Propositions pour une réforme du système de régulation comptable

3Didier Martin – Que faire de la justevaleur ? - Les échos - 12 février 20094Le spread correspond à l'écart constatésur le marché, entre le prix demandé etcelui offert. Plus un titre est liquide pluscet écart est faible.

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Dans un souci de transparence, le rapport préconise de supprimer leterme « fair value » du référentiel de valorisation comptable. Un actiffinancier peut avoir deux valeurs « fair » : le prix de marché s'il est destinéà l'échange ou une valeur d'usage s'il est porté jusqu'à l'échéance. Lanotion de « fair value » est ainsi assimilée de manière abusive au prixde marché, et son usage laisse penser que toute évolution non établiesur un prix d’échange est « wrong » ou « unfair ».La question de la responsabilité des auditeurs dans le processus devalidation des valorisations devient centrale. Leur responsabilité estaujourd’hui limitée à une « opinion » sur la pertinence des états financiersdans leur globalité.Pourrait-on demander aux commissaires aux comptes la validation dechaque valorisation, voire du portefeuille global ? Peut-être, encorecette extension du périmètre de responsabilité des commissaires auxcomptes nécessite-t-elle un renforcement considérable de leursmoyens.

La gouvernance des instances de normalisation comptable en questionLa crise financière a révélé la dimension structurante des normescomptables sur l’économie réelle. Le débat sur la « fair value » ouvrecelui sur la question politique du mode de gouvernance des institutionsde normalisation et, au-delà, de la régulation comptable.

• Prise en compte de l’intérêt public dans le processus de création desnormes comptables

L’indépendance du système actuel de normalisation à l’égard du pouvoir politique et économique est un principe fondateur de cesystème dont la légitimité n’a jamais été discutée. Cette indépendancese traduit par l’absence de validation des normes IAS par une instancedémocratique. De même, la représentation des intérêts de l’Etat et del’ensemble des entités utilisatrices des normes est explicitementabsente du board de l’IASB.En effet, l’IASB est une entité de droit privé, disposant du statut de fondation et financée par des Trustees. C’est en outre la Commissioneuropéenne elle-même qui a préconisé l’application de ces normescomptables pour les groupes européens cotés, délégant implicitementla production de normes à cette entité privée.Cette indépendance de l’IASB pose le problème de sa légitimité. « Il y acomme un paradoxe dans le fait qu’une organisation qui élabore desnormes de reddition de comptes ne rende compte à personne ! »5

remarque le Professeur Colasse.Est-il normal que la production des normes comptables échappe à lasphère de la responsabilité publique et reste le domaine réservé d’entités privées, attachées à une indépendance totale vis-à-vis dupouvoir politique ?Les auteurs du rapport considèrent que le système de normalisationcomptable, parce qu’il impacte l’économie réelle, doit entrer, au moinspartiellement, dans le champ de la responsabilité publique.De même l’intérêt public, représenté par le pouvoir politique, doit-ilêtre un paramètre d’entrée dans le processus de création de normescomptables.

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Rapport « Normes comptables et crise financière » :Propositions pour une réforme du système de régulation comptable

5B. Colasse, Professeur à l’Université Paris IXDauphine, article publié dans les Annalesdes Mines, mars 2004.

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En conséquence, le rapport préconise un maintien de l’actuelle organi -sation du système de production de normes comptables, sous la doubleréserve :• d’une prise en compte explicite de l’intérêt des utilisateurs, des

stakeholders et des Etats lors du processus de création oud’amendement des normes ;

• de l’ouverture d’un débat sur la nature des fondements théoriquessous-jacents aux décisions actuelles de normalisation.

En pratique, ces recommandations doivent se traduire par la nominationau sein de l’IASB de représentants publics des zones géographiquesconcernées, dont un représentant de la Commission européenne, disposant du droit de vote.

• Renforcement de l’indépendance des structures d’examen desnormes proposées par l’IASB

L’enjeu de la création de l’EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group) en 2001 était de mettre au service de la Commissioneuropéenne une force de proposition quant à la validation d’une nouvelle norme IFRS, en proposant éventuellement des amendements. Cet organisme est apparu davantage comme une chambre d’enregistre -ment des projets de normes produits par l’IASB, que comme une structure disposant d’un réel pouvoir d’amendement.L’EFRAG émet certes des critiques à l’IASB dans la phase de consultationrelative à la création d’une nouvelle norme, mais valide systémati -quement cette dernière auprès de la Commission, quel que soit le degréde prise en compte des observations formulées.Le rapport préconise ainsi de renforcer l’indépendance des structureseuropéennes d’examen des normes proposées par l’IASB et de veillerà ce que la représentativité des différents intérêts soit assurée demanière équilibrée, notamment au sein de l'EFRAG.La création de l’IASCF (International Accounting Standards CommitteeFoundation) Monitoring Board en janvier 2009 ajoute encore à la complexité de la structure de normalisation comptable. Organisationregroupant principalement les régulateurs de marchés internationaux,les représentants des pays émergents, du Japon et de la Commissioneuropéenne, elle a pour mission de « contribuer au développement del’utilisation des IFRS en tant que normes comptables de très haute qualité et de renforcer la prise en compte de l’intérêt public dans leurproduction ».A ce jour l’IASB ne rend pas compte de ses décisions au MonitoringBoard, limitant ainsi cruellement le pouvoir de cette structure. Un liende responsabilité pourrait dès lors être envisagé entre l’IASB et le Monitoring Board.

• Création d’un EASB (European Accounting Standards Board)Si les conditions d’un renforcement de la représentation de l’intérêtpublic ne sont pas respectées ou en cas de désaccord sur les principesfondateurs des normes, le rapport incite la création d’un EASB public,en appui de l’IASB, dont la mission serait l’exercice souverain d’un pouvoir effectif d’amendement et de propositions de nouvelles normes.

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Rapport « Normes comptables et crise financière » :Propositions pour une réforme du système de régulation comptable

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L’enjeu serait bien sûr la reconnaissance de ces nouvelles normesEASB pour les entreprises cotées aux Etats-Unis.

• Création d’un organisme de régulation comptable européenLe rapport pose enfin la question de la création d’un régulateur comptable européen, chargé en amont de veiller à la conformité desnormes proposées par l’IASB avec les intérêts des Etats.Cette instance supranationale aurait notamment le pouvoir d’amender« dans des circonstances de marché exceptionnelles » les modalitésd’application des normes établies par l’IASB.Elle aurait également pour mission de créer une « Haute Autorité devalorisation », composée d’experts pouvant intervenir dans des litigesde valorisation de produits structurés toujours plus fréquents et enappui des missions récurrentes des commissaires aux comptes.Les auteurs estiment que la mise en place d’un tel organisme derégula tion aurait probablement permis d’observer le niveau anorma -lement bas des spreads dans la période précédant la crise et d’amenderen conséquence l’application de certaines normes IFRS.La crise financière implique également le renforcement des ressourcesd’expertise au sein des institutions de contrôle interne et externe.Les agences de notation ont été largement mises en cause pendant lacrise financière. La question se pose également pour les conditionsd’exercice de la supervision assurée par les commissaires auxcomptes et auditeurs, dont la mission de validation des comptes a étéjugée défaillante par certains. Leur mission doit-elle se limiter à la validation de l’application desnormes ou être étendue à la contre-valorisation des portefeuilles évalués en « fair value », avec une responsabilité d’alerte en casd’écart trop important ? Dans cette dernière hypothèse, un renforcementde leurs moyens n’est-il pas indispensable ?L’organisme supranational de régulation comptable européen pourraitainsi être un interlocuteur permanent des cabinets d’audit dans leurmission de validation de la valorisation des portefeuilles, voire mêmedisposer du pouvoir de contre-valorisation.

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Rapport « Normes comptables et crise financière » :Propositions pour une réforme du système de régulation comptable

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Ioana Nicolas

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Le 21 octobre 2009, le Sénat décidait la création d’un groupe de travailayant pour objet la transposition en droit français des célèbres classactions américaines. Aucune entreprise, quel que soit son secteur d’activités, ne peut ignorer cette potentielle mais fondamentaleévolution du droit car il ne fait aucun doute que bon nombre de stratégiescommerciales devront être revues. Il convient au contraire de considéreravec prudence le pouvoir qui serait offert aux acteurs économiques traditionnellement faibles et de s’interroger sur les dérives observéesoutre-Atlantique.

Génèse

1 - Un sujet déjà connuLe sujet des class actions n’est pas tout à fait nouveau en France.Aussi, le débat a-t-il déjà pu largement s’installer entre les défenseurset les pourfendeurs de ce mécanisme, avec pour effet un immobilismecertain.

2 - Un long cheminement- Le 16 décembre 2005, le groupe de travail présidé par M. Guillaume

Cerutti, directeur général de la DGCCRF, et Marc Guillaume, directeurdes Affaires civiles et du Sceau, a remis son rapport à Thierry Breton,alors ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie et à PascalClément, ministre de la Justice, garde des Sceaux. La réflexion n’aalors pas été poursuivie dans l’immédiat.

- Le 26 avril 2006, Luc Chatel dépose une première proposition de loivisant à instaurer les recours collectifs pour les consommateurs, afinde « rassurer » ces derniers.1

- Le 23 janvier 2008, le rapport Attali recommande d’introduire uneaction de groupe en droit français.2

- Le 20 février 2008, le rapport Coulon préconise à son tour la mise enplace d’une action de groupe.3

- Le recours collectif est finalement supprimé de la Loi de Modernisationde l’Economie votée le 23 juillet 20084, au grand dam des associationsde consommateurs5.

- Le 21 octobre 2009, la commission des lois du Sénat décide la créationd’un groupe de travail sur les actions de groupe.

- Enfin, le 26 octobre 2009, à l’occasion des premières Assises de laconsommation, Hervé Novelli, secrétaire d’Etat au Commerce, n’a pashésité à parler ouvertement des « futures actions de groupe6.

3 - Un sujet d’actualité- Si la terminologie a pu changer – on parle désormais plus volontiers

d’actions de groupe que de recours collectifs –, la volonté du législateurde se pencher sur le cas des class actions reste forte.

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Les class actions arrivent en France

1N° 3055 - Proposition de loi de Luc Chatelvisant à instaurer les recours collectifs deconsommateurs.2Rapport de la Commission pourla libération de la croissance française,éd. XO, La documentation Française,p. 144.3Jean-Marie Coulon, La dépénalisationde la vie des affaires, Rapport au gardedes Sceaux, ministre de la Justice, éd. XO,La documentation Française, p. 91.4Loi n° 2008-776 du 4 août 2008dite « de modernisation de l'économie ».5Consommation : l’absence de classaction dans le projet de loi déploré,La Tribune, 24 juillet 2008.6Des « class actions » à la française ?Oui mais pas tout de suite,Libération, 26/10/2009.

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Etat des lieux

4 - Définition rapideLa class action peut se définir de la façon suivante : “a legal actionundertaken by one or more people representing the interests of a largegroup of people with the same grievance”7. Il est important de noterqu’en droit américain, il n’est pas nécessaire que le représentantdemande son avis à toutes les personnes ayant subi le préjudice communpour intenter une action de groupe.

5 - Règles et exceptionsEn France, un préjudice subi collectivement par un ensemble de personnes est pour l’heure sanctionné par la possibilité d’intenter uneaction individuelle en réparation auprès du juge civil. Toutefois, il existedéjà des mécanismes spécifiques permettant de faire valoir parfois collectivement des droits lésés.La loi de renforcement de la protection des consommateurs du18 janvier 19928 a en effet instauré une action en représentationconjointe permettant aux associations d’ester en justice pour lesconsommateurs. Ainsi, lorsque plusieurs consommateurs, personnesphysiques, ont subi des préjudices individuels qui ont été causés par lefait d'un même professionnel, et qui ont une origine commune, certainesassociations peuvent agir en réparation devant toute juridiction au nomde ces consommateurs. De ce point de vue, l’action en représentationconjointe ne paraît guère différente de la class action.

6 - ConditionsIl existe toutefois un certains nombre de conditions spécifiques nécessaireà cette procédure particulière, agissant comme autant de restrictionsque ne connaît pas le mécanisme américain.Tout d’abord, outre celles énoncées plus haut9, il existe deux conditionsfondamentales supplémentaires attenantes à la qualité des parties enprésence. En effet, les personnes représentées doivent être déterminées,c'est-à-dire identifiées et nommément désignées. En second lieu, pouragir au nom des consommateurs, l’association doit obtenir un mandatexprès et délivré par écrit pour chaque personne représentée10.Ces deux points sont d’une importance toute particulière car ils interdi-sent le mandat tacite sollicité par voie d’appel public télévisé ou radio-phonique, tract, affichage ou lettre personnalisée11.Ce mandat doit être délivré par au moins deux personnes pour que l’actionsoit recevable.Seules les associations agréées et reconnue représentative sur le plannational sont fondées à agir sur le fondement de l’action en représentationconjointe12.

7 - IndemnisationEn outre, et à la différence des class actions où les victimes sont direc-tement indemnisées, les éventuels dommages et intérêts versés autitre du préjudice subi par les consommateurs à la suite d’une action lesont d’abord à l’association, à charge pour cette dernière de procéderà la répartition ultérieure des fonds.

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7Collins English Dictionnary andThesaurus.8Loi n° 92-61 du 18 janvier 19929Cf supra, n° 5.10Il s’agirait donc, selon le droit américain,d’une opt in class action.11Ce modus operandi est le plus largement utilisé aux Etats-Unis. Il s’agitd’une opt out class action à laquelleon est réputé participer si on ne refusepas expressément le mandat,délivré tacitement.12Les conditions auxquellesles associations peuvent recevoirl’agrément sont fixées par plusd’une dizaine de décrets et lois.

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Seules les personnes ayant délivré mandat à l’association dans lesformes sont indemnisées.

L’insuffisance des mécanismes en place

8 - Le préjudice de masseDe toute évidence, les mécanismes déjà en place sont insuffisant àassurer une protection efficace du consommateur et une efficienceminimum des mécanismes concurrentiels pour ce qui concerne les préjudices de masse. Ces derniers sont caractérisés par le nombreimportant de personnes lésées.

9 - Micromégas versus HarpagonEn effet, à l’heure actuelle, nombre de préjudices individuels, quoiquebien réels, sont trop faibles pour qu’il soit opportun d’entreprendre uneaction individuelle en raison de la disproportion rédhibitoire qui existeentre le montant de ces derniers et les frais afférents à une procédurejudiciaire. Dans une telle situation, les consommateurs se gardent doncbien d’agir, alors même que le montant du préjudice commun, calculécomme la somme des préjudices individuels, peut être, lui, considérable.Les entreprises l’on bien comprit, qui ne se privent pas d’insérer uncertain nombre de clauses abusives à des contrats d’adhésion, jouantsur le fait que le coût de cette fraude sera quasi-nul en raison de la passivité des consommateurs. Guy Canivet, pour ne citer que lui,déplore cet état de fait, arguant que « L’absence de class actions dansnotre système juridique fait qu’un certain nombre de grands groupesadoptent des stratégies contraires au droit, sachant qu’il n’y aura pasde réaction judiciaire efficace. »13

10 - De minimis non curat praetorPlus grave encore, « le préteur n’a cure des affaires insignifiantes ».Ainsi est-il arrivé que le juge rejette l’action de particuliers lésés, surle fondement du manque d’intérêt à agir, au regard de la modicité dessommes réclamées et du préjudice subi14.Il semblerait toutefois que la création du tribunal d’instance15 et desjuridictions de proximité16 ait mis un terme à ces rejets.

11 - Les contentieux de masseC’est précisément le constat d’échec que nous venons de dresser17 quia justifié la création de l’action en représentation conjointe, censéeremédier aux problèmes rencontrés par les consommateurs. Loind’être la panacée, force est de constater que ce mécanisme n’a en rienenrayé les injustices nées des préjudices de masse.Concernant l’affaire Distilbène, tout d’abord. Le Distilbène, prescrit enFrance entre le début des années 1940 et la fin des années 1970, étaitun médicament destiné à lutter contre les fausses couches, notammentpour les femmes diabétiques. Il provoqua en réalité malformationsgénitales, cancers et… fausses couches.

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13G. Canivet, La Tribune, 15 mai 2005.14Cf par exemple Cass. Civ. 1ère,12 juill. 1966 : JCPG 1966, II, 14813.15Art. L. 321-2 COJ (Code de l’OrganisationJudiciaire).16Loi n°2002-1138 du 9 sept. 2002,loi d’orientation et de programmationpour la justice, titre II : dispositions instituant une justice de proximité17Cf supra, n° 8 et 9.

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Malgré les milliers de victimes, seules quelques dizaines d’affaireseurent lieu, alors que le préjudice, même pris individuellement, pouvaitêtre considérable18.Plus caractéristique encore, le contentieux lié au placement Bénéfic,proposé par La Poste entre octobre 1999 et décembre 2000. Ce placementétait supposé rapporter « +23 % à trois ans, que le CAC 40 fasse 0 % ouplus » et permettait de « valoriser votre capital net investi jusqu’à -23 %de baisse du CAC ». En fait, les indices s’effondrèrent de parfois plusde 50 % et tous les investisseurs perdirent entre 12,2 % et 35,8 % deleur capital.Il y eut au total 16 000 plaintes sur 307 867 souscripteurs19.Dans ces deux affaires, la disproportion entre le nombre de victimes etle nombre de demandeurs atteste du relatif manque d’efficacité desassociations de consommateurs en matière de contentieux de masse.

La nécessaire adaptation de la stratégie des entreprises

12 - Changement de capLa création de l’action de groupe permettrait de mettre en place l’équi-valent d’une opt out class action, c'est-à-dire avec option d’exclusion.Dans ce cas, les personnes lésées seraient simplement informéesqu’une action de groupe les concernant est en cours. Le mandat seraitalors tacite en l’absence d’opposition de la personne concernée. Ceschéma est beaucoup plus pertinent pour les actions de grande envergure,où obtenir un mandat écrit de tous les membres d’une catégorie seraittrop coûteux et compliqué. Les consommateurs seraient ainsi clairementmieux protégés.Ce type de class actions peut viser des personnes déterminées - auquelcas une liste est établie et les personnes concernées sont informéespersonnellement de l’action - ou indéterminées. Dans cette secondehypothèse, personne ne sait exactement qui est partie au procès.

13 - Petite fictionUne simulation à partir d’un exemple d’actualité permet de mieux saisirl’ampleur du risque latent pour les entreprises.Les trois opérateurs de téléphonie mobile Français que sont BouyguesTélécom, Orange et SFR ont été condamnés au mois de mars 2009 àpayer une amende record de 534 millions d’euros pour entente illicite.Il s’agit d’une atteinte à la concurrence qui porte gravement préjudiceaux consommateurs ; pour autant, c’est dans les caisses de l’Etat quefinira cet argent, et le préjudice ne sera pas réparé. Pour les troisannées concernées, le site de l’UFC-Que Choisir évalue le préjudicemoyen à 74,27 € par abonné que multiplient vingt millions abonnés, soitun préjudice total de 1 435 400 000 € qui, dans le cadre d’une action degroupe de type opt out, devrait être intégralement réparé.Au vu de cet exemple très concret, le doute n’est plus permis quant àl’opportunité future d’enfreindre sciemment la loi dans l’espoir d’en tirerprofit.

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18Parmi ces affaires,cf notamment Cass. Civ. 2ème,3 nov. 2005 : n° 05-13005 etCass. Civ. 1ère, 7 mars 2006 : n°04-16179.19O. Dufour, Le maquis judiciaire del’affaire Bénéfic, La Tribune, 11 avril 2006.

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14 - Secteurs très sensiblesCertaines entreprises seraient sans doute bien plus affectées par lacréation d’actions de groupe en droit français que d’autres. Ainsi, lestrois opérateurs précités, de même que l’ensemble du secteur bancaire,voire la grande distribution, devraient revoir leur stratégie commercialeen matière de conception et de gestion de l’offre20.

15 - Dommages et intérêts punitifsL’autre question fondamentale posée par le débat sur les actions degroupe concerne la mise en place de dommages et intérêts punitifs.Pour l’heure, le préjudice subi par les membres d’une catégorie estréparé par le versement de dommages et intérêts compensatoires. Endroit américain cependant, s’ajoutent à ces indemnisations classiquesdes sommes versées au plaignant dans l’unique but de sanctionner unepratique frauduleuse per se, c’est-à-dire en tant que telle et indépen-damment de l’ampleur du préjudice, ce qui accroit à la fois la protectionde consommateur et le risque pour l’entreprise.

Un mécanisme vertement critiqué

16 - De l’objectivité des critiquesSelon un schéma très classique, on imagine aisément que les deux protagonistes principaux de cette bataille de l’action de groupe21 sont,compte tenus des enjeux, prêts à développer n’importe quel argumentpour faire valoir leurs points de vue. Il convient de souligner toutefoisqu’un certain nombre de développement en défaveur de l’action degroupe méritent, en toute objectivité, une attention particulière.

17 - La dérive à l’américaineDepuis de nombreuses années déjà, les class actions sont aux Etats-Unisun moyen idéal d’engager des procédures abusives mais lucratives. Lemode opératoire est très simple : il relève du chantage. Nul n’ignore lerisque immense attaché aux conséquences qu’une procédure commeune class action peut avoir sur la réputation et le cours de bourse d’unesociété, peut important que cette action soit fondée ou non. Ici, l’idéen’est donc pas nécessairement d’intenter l’action mais au moins defaire peser avec suffisamment d’assurance la menace de celle-ci pourobtenir des sommes d’argent de la part des entreprises les plus riches.Ainsi, le cabinet Milberg Weiss Bershad & Schulman a fait l’objet d’uneenquête ayant constaté que des personnes avaient été payées pourjouer le rôle de plaignants dans une cinquantaine d’affaires22.L’on est ainsi en droit de se demander dans quelle mesure les actionsde groupe ne constitueront pas un frein à l’innovation de la part desentreprises, toute innovation comportant une part de risque sur biendes points23.En outre, toujours aux Etats-Unis, les dommages punitifs accordés auxpersonnes membres des class actions sont totalement disproportionnéspar rapport au préjudice réellement subi, réparé par des dommagescompensatoires24 parfois dérisoires. Un rapport de un pour cinq estsouvent constaté, ce qui ne fait que renforcer l’incitation à l’abus.

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20Les grands industriels de la chimieet du pétrole ne seraient pas en restenon plus (Erika, AZF, etc.).21C’est-à-dire basiquement,les entreprises, d’une part, etles consommateurs, d’autre part,cf chapitre précédent « La nécessaire adaptation de la stratégie des entreprises ».On écarte ici volontairement le casdes actions de groupe exercées pardes actionnaires, qui sera traitédans une prochaine édition.22Un grand cabinet américain accuséd’acheter ses témoins, Les Echos,29 juin 2006 ; P.-Y. Dugua, Les rois des classactions accusés d’escroquerie,Le Figaro Economie, 20 mai 2006.23Contractuellement, technologiquement,du point de vue de la sécurité(des marchandises, des produits financiers,etc.).24Cf supra n° 15.

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18 - Personnes indéterminées L’opt out class action regroupant un ensemble de personnes indéter -minées25 - outre le fait que bon nombre de parties ignore totalementqu’elles sont en procès - pose le problème fondamental du respect desdroits de la défense puisque, les parties n’étant pas même identifiées,elles n’ont jamais l’occasion de s’expliquer devant la justice.Qu’en est-il également du principe de l’autorité relative de la chose jugéelorsque les personnes concernées se voient appliquer une décision àl’issue d’un procès dont ils ignoraient jusqu’à l’existence ?Enfin, il est donc parfois impossible de savoir exactement à qui il fautverser les indemnités ni de quel montant est le préjudice total, c'est-à-dire la somme au paiement de laquelle il faut condamner l’entreprisefautive.

Probabilités d’adoption

19 - Critiques non rédhibitoiresOutre les reproches très sérieux que l’on peut formuler à l’encontre desclass actions dans leur conception actuelle, un certain nombre de critiques participent paradoxalement - compte tenu de la facilité aveclaquelle elles peuvent être balayées - de cette impression que le mécanisme américain s’adapterait assez bien, selon certaines modalités,au droit français.

20 - RedondanceQue dire de certaines institutions françaises et de leur rôle par rapportaux hypothétiques actions de groupe, sinon que leur juxtaposition donneune certaine impression de redondance ?L’on peut en dire que la mission de la DGCCRF et de l’AMF, du Conseilde la concurrence et du fonds d’indemnisation des victimes de l’amianten’est pas de protéger les intérêts privés, contrairement à l’action degroupe. De ce point de vue, cette dernière peut être considérée commecomblant un vide certain.

21 - Limitations, adaptations et exceptionsDe nombreuses critiques, quoique constructives dans cette optique,concernent la class action américaine sans considérer le fait que le droitfrançais puisse adapter celle-ci et s’adapter, lui, pour rendre le systèmestable et sûr.En premier lieu, il est tout à fait envisageable de limiter le montant desdommages et intérêts punitifs à un multiple des dommages et intérêtscompensatoires afin d’éviter toute spéculation.En théorie, le jugement doit être signifié aux parties, ce qui pose problèmelorsqu’elles sont des milliers. On pourrait donc ainsi prévoir une simplenotification par recommandé avec accusé de réception pour les actionsde groupe.L’adage « nul ne plaide par procureur » ne semble pas devoir poserproblème dans la mesure où le droit français connait déjà des exceptionsà ce principe26.

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25Ce type de class action est souvent initiépar une annonce télévisée ; dès lors, tousceux qui ne refusent pas le mandat tacitesont parties à l’action, cf supra, n° 6 et 11.La non détermination ne pose pas de problème pour le règlement des fraisde procédures, qui sont assumés par lecabinet en charge du dossier en échanged’une commission sur les dommages etintérêts perçus.26Par exemple pour les associations deconsommateurs, Cf n° 5 et s.

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Suivant le même raisonnement, l’opt out class action visant des personnes déterminées devrait pouvoir être mise en place sans débatparticulier, l’option d’exclusion étant reconnue par ailleurs en droitfrançais pour l’action d’un groupement syndical en faveur de ses membres27.Compte tenu des arguments développés plus haut28, il est certain queles opt out class actions pour des personnes indéterminées ne pourrontêtre transposées en droit français.On imagine également mal que les actions de groupe puissent réparerles dommages corporels et moraux, le préjudice effectif étant infinimentvariable d’une personne à l’autre.

22 - ConclusionAu vu de tous ces éléments, une adaptation efficace et intelligente dumécanisme des class actions paraît possible. N’oublions pas que le système juridique et culturel français est profondément différent celuide nos amis Américains.En revanche, le risque pesant sur les entreprises est bien réel et diffici -lement réductible, même si l’on sait que celles-ci répercutent le plussouvent le montant des condamnations dont elles font l’objet sur lesprix. Cette issue de secours est en effet à usage plus ou moins limité,selon l’intensité concurrentielle ; or l’industrie n’échappe pas à la mon-dialisation… pas plus que le droit.

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Pierre-Emmanuel de Germay

27C.C., 25 juill. 1989 : n°89-257 DCM.-A. Frison-Roche, L’opting out :un système juridique compatible avecla Constitution française et la législationeuropéenne, discours lors du colloqueorganisé par l’UFC-Que Choisir surle thème « Pour de véritables actionsde groupe : un accès efficace et démocratique à la justice »,Paris, 8 nov. 2005.28Cf supra, n°18.

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Introduction« tout pouvoir est une violence exercée sur l’Homme »1

1. Le lien de subordination entre l’employeur et le salarié ne devrait enaucun cas confirmer cette conception des rapports : l’exercice normaldu pouvoir de direction de l’employeur n’est pas signe de violence enversle salarié. A cet égard, il faut donc se demander où se situe exactement,dans les relations de travail, la frontière entre l’usage ordinaire de cepouvoir de direction et une certaine forme de violence. Un arrêt récentde la Cour de cassation donne un début de réponse à cette question.2

2.Or le phénomène de violence au travail couvre une réalité extrêmementlarge3 et les agissements qui peuvent prendre la forme d’un compor -tement violent sont nombreux : excès verbaux, menaces orales ou physiques, harcèlement, agression physique, etc. Cette ampleur découleaussi de la diversité d’acteurs qui peuvent être à l’origine du comporte-ment violent. Bien qu’elle se produise sur le lieu de travail, la violencepeut émaner d’un tiers (client, fournisseur, …). Et même lorsqu’elle alieu ailleurs, elle peut avoir un lien direct avec la vie de l’entreprise. Celaest notamment le cas lorsqu’un salarié commet un suicide à domicile,mais que son acte est manifestement lié à des problèmes professionnels.4

3. Dans le contexte actuel, il est donc intéressant d’analyser commentcette appréciation très large de la violence au travail se traduit au niveaudes évolutions légales. En somme, ces comportements violents sontappréhendés par le droit à trois niveaux distincts. Les bases, en lamatière, sont à rechercher dans le droit commun, qu’il soit pénal oucivil (I). A cela s’ajoutent des cas de responsabilité plus spécifiques, prévusnotamment par le droit du travail (II), ainsi qu’une certaine régulation,moins formelle, mise en place au niveau européen (III).

I. La responsabilité de droit commun en cas de violence au travailEn droit commun, deux séries de règles s’appliquent aux manifestationsde violence sur le lieu de travail.4. Tout d’abord, le droit pénal commun prévoit une longue série d’infrac -tions qui ne sont pas propres au monde du travail, mais qui peuvent s’appliquer à un certain nombre de comportements violents quiinterviendraient dans l’entreprise. A titre d’exemple, citons l’atteinte àla vie ou à l’intégrité corporelle et la mise en danger d’autrui. Selon leprincipe de personnalité de la responsabilité pénale, seul l’auteur d’unetelle infraction peut en être reconnu responsable. Il s’ensuit qu’un dirigeant ne peut, en principe, engager sa responsabilité pénale quedans la mesure où il a lui-même commis une infraction répréhensible.

5.Néanmoins la responsabilité pénale du salarié fautif peut parfois êtreétendue à l’employeur, c’est-à-dire au chef d’entreprise5, surtout dansle cadre des activités réglementées.6 Concernant cette extension de responsabilité, il faut cependant noter qu’elle ne peut concerner leschefs d’entreprise que dans la mesure où ils ont personnellement commisune faute, fût-ce une simple négligence. Il appartient dès lors au dirigeantde démontrer qu'il n'a commis aucune faute. Le cas échéant, il peut également se dégager de sa responsabilité s'il prouve avoir délégué sespouvoirs à un préposé.

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Violence au travail : un guide pratiquepour la jungle des responsabilités

1Mikhaïl Boulgakov,Le maître et Marguerite.2Voir infra, n° …3La preuve en est que les partenairessociaux européens, lorsqu’ils ont élaborél’accord-cadre sur le stress au travail,ont préféré exclure la violence du champde cet accord, estimant qu’une négociationspécifique s’imposait concernant cethème. Voir aussi infra, n° … et suivants).4En revanche, le concept de violence économique, étranger à ces hypothèses,ne sera pas examiné dans la présentecontribution.5Cette notion est entendue de façon largeet inclut, au-delà des dirigeants desociété, les dirigeants de fait(Cour de cassation, Chambre criminelle,10 mars 1998, n° 96-83049).6Les cas les plus fréquents d’une telleresponsabilité pénale pour le fait d’autruiconcernent, d’une part, la violation desrèglements propres à l’entreprise,par exemple en matière d'hygièneet de sécurité et, d'autre part, desmanquements d'ordre général commisdans l’entreprise, comme les infractionsen matière de droit du travail, de la santé,de sécurité et d'hygiène au travail.

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6. Ensuite, le droit classique de la responsabilité civile s’applique natu-rellement lui-aussi aux relations de travail. Il en résulte que tout actede violence qui remplirait les conditions prévues par le code civil7 peutengager la responsabilité civile de son auteur, quoique la preuve deséléments constitutifs de cette responsabilité soit parfois difficile à rapporter. A cet égard, il est important de noter que la notion de fauteenglobe aussi bien les abstentions que les actes positifs. L’abstentionengage la responsabilité de son auteur notamment lorsque le fait omisdevait être accompli en vertu d’une obligation conventionnelle, régle-mentaire ou légale, ce qui englobe donc les dispositions prévues par ledroit du travail.

II. Les cas spécifiques de responsabilité liés à la violence au travail7. Le code du travail met à la charge de l’employeur une obligation desécurité de résultat afin de protéger la santé physique et, depuis janvier2002, mentale des travailleurs8. Il est ainsi fait obligation à l’employeurde prendre des mesures permettant d’éviter les risques en la matière.La responsabilité de l’employeur peut donc être mise en cause lorsquece-dernier a manqué à cette obligation de sécurité, ce qui inclut leshypothèses d’un salarié touché par un comportement violent9. Lemanque ment à l’obligation est caractérisé lorsqu’une faute inexcusablepeut être reprochée à l’employeur.

8. Or, sur ce point, la jurisprudence a connu une évolution importante.Dans un premier temps, l’obligation de sécurité a formellement étéétendue aux accidents du travail10. Par la suite, la caractérisation de lafaute inexcusable a été simplifiée : seule subsiste désormais la notionde conscience du danger qu’avait ou aurait dû avoir l'auteur de la faute11.Seule l'imprévisibilité, élément de la force majeure, pourrait donc délierl'employeur de son obligation de résultat. En d’autres termes, il est indifférent que la faute commise par l'employeur ait été la causedéterminante de l'accident, même en cas de faute concourante de la victime : il faut et il suffit que cette faute ait été une « cause nécessaire» de l'accident pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée12.Au regard de ces précisions, il est intéressant d’analyser deux cas deviolence clairement identifiables, pour déterminer qui en supporte laresponsabilité : le suicide (A) et le harcèlement moral (B).

A. Le suicide9. Sur le plan civil, le suicide d’un salarié peut engager la responsabilitéde l’employeur dans les conditions précitées, c’est-à-dire en cas demanquement à l’obligation de sécurité prévue à l’article L4121-1 duCode du travail. Mais, en tant que tel, le suicide constitue-t-il vraimentun « risque » visé par ce texte, qui pourrait être évité par l’employeurmalgré la participation active et volontaire de la victime au résultat ?

10. La jurisprudence se montre de plus en plus sévère envers les entre-prises et leurs représentants en évoluant en faveur du « salarié endétresse » pour admettre qu’un suicide puisse présenter le caractèred’accident du travail.13 Afin d’être reconnu comme tel, le suicide doit présenter un lien avec l’activité professionnelle. Ce lien sera présumési le suicide a lieu pendant le temps et au lieu de travail, à charge pour

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7Il s’agit du triptyque classique : faute,préjudice, lien de causalité.8Article L4121-1 du code du travail.9Il est important de noter que le comportement violent en question peutémaner d’un élément extérieur à l’entreprise, et plus précisément de tiers :clients, fournisseurs, …10Cour de cassation, Chambre sociale,11 avril 2002, n° 00-16.535.11Cour de cassation, Chambre sociale,31 octobre 2002 (2 arrêts), n° 00-18.359 etn° 01-20.445.12Ainsi, en cas de concours de fautes,il n'y a plus à rechercher si la faute del'employeur a été ou non la cause déterminante de l'accident : Cour decassation, Assemblée plénière,24 juin 2005, n° 03-30.038.13Les Cahiers du DRH, numéro 03-2009.

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l’employeur de rapporter la preuve que le suicide est totalement étrangerà l’activité professionnelle du salarié. En cas de suicide en dehors dutemps ou du lieu de travail, la preuve du lien avec l’activité professionnelledevra être rapportée par les ayants droits du salarié14.

11. En cas de qualification d’accident du travail, la responsabilité de l’employeur peut donc être invoquée dès lors qu’il devait ou aurait dûavoir conscience du danger encouru par le salarié. Il est d’ailleurs intéressant de rapprocher cette hypothèse de celle d’un arrêt jugeantqu’en cas de tentative de suicide d'un salarié pendant un arrêt maladie– qualifiée d'accident du travail parce que survenue « par le fait » du travail – la faute inexcusable de l'employeur est établie s'il est prouvéque le harcèlement en est la cause15.

12. Ensuite, qu’en est-il des éventuelles poursuites pénales liées à unsuicide qualifié d’accident du travail ? Un tel suicide peut-il être considérécomme une atteinte involontaire à l’intégrité de la personne16 ? Sur cepoint, la jurisprudence se montre sévère envers l’employeur personnemorale, les dirigeants et les personnes ayant contribué à l’imprudence,en considérant qu’il suffit que la faute d’imprudence ait « concouru,même avec d’autres, à la réalisation du dommage et qu’elle n’entretiennepas avec celui-ci un rapport hypothétique »17.

13. Dès lors, si une faute d’imprudence est caractérisée, il sera très difficile pour l’employeur de ne pas être tenu responsable pénalement.Afin d’éviter de supporter ce risque pénal, les dirigeants peuvent développer la pratique de la délégation de pouvoir et mettre en œuvreun certain nombre de mesures préventives permettant de prouver l’exécution de bonne foi de leur obligation de protection de la santé dessalariés. Par ailleurs, l’accumulation récente d’obligations relatives à lasanté mentale des salariés nécessite de la part des dirigeants sociauxd’adapter leurs pratiques managériales et de développer de nouvellesformes d’organisation du travail. En ce sens, le Ministre du Travail a établile 9 octobre dernier un « plan d’urgence » pour lutter contre les risquespsychosociaux au travail faisant peser sur les entreprises de plus de1 000 salariés une l’obligation d’ouvrir une négociation sur la préventiondu stress. Ces négociations devaient être ouvertes avant le 1er février 2010.Mais à défaut d’accord, aucune sanction financière n’était envisagée.18

B. Le harcèlement moral14. Le harcèlement moral est une infraction sanctionnée civilement etpénalement. Ainsi, le code du travail dispose dans ses articles L1152-1et suivants qu’« aucun salarié ne doit subir les agissements répétés deharcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation deses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et àsa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettreson avenir professionnel ». L’incrimination créée de toutes pièces en200219 et insérée dans le code pénal à l’article 222-33-2 retient la mêmedéfinition.

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14Les juges semblent se montrer de moinsen moins exigeant sur les éléments depreuve à fournir : attestations de proches,de collègues, etc.15Cour de cassation, 2e chambre civile,22 février 2007, n° 05-13.771. En l'espèce,l'équilibre psychologique du salarié avaitété gravement compromis à la suite de ladégradation de ses relations de travail etdu comportement de l'employeur qui avaitou aurait dû avoir conscience du dangerauquel était exposé son salarié et n'avaitpas pris les mesures nécessaires pour l'enpréserver.16Articles 221-6 et 222-20 du code pénal.17Les Cahiers du DRH, numéro 03-2009.18En revanche, les noms des entreprisesn’ayant pas réussi à conclure d’accordseront publiés sur le site internet desDIRECCTE , ce qui peut avoir un impactsur l’image de ces entreprises.19Loi n° 2002-73 de modernisation socialedu 17 janvier 2002.

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15. Se pose alors la question de savoir quels « agissements » peuvent,en pratique, être constitutifs d’un tel harcèlement. La Cour de cassationapprécie de manière concrète tous les actes qui pourraient tendre auxeffets prohibés par ces articles : mise au placard, privation de travail,reproches désobligeants et injustifiés, humiliations publiques, tachesdévalorisantes au regard du niveau de qualification du salarié, etc.20

16. Il est cependant important de noter que ces faits doivent intervenirde manière « répétée » afin que l’infraction puisse être qualifiée de harcèlement moral. Une telle exigence permet de différencier uncomportement isolé faisant partie des tensions normales de l’exerciced’une activité professionnelle (comme le changement d’emploi dutemps) de ceux constitutifs d’une stratégie nuisible au salarié.21 La Hautejuridiction estime que la répétition doit s’entendre comme la réitérationd’actes, identiques ou non, provenant d’une même personne et à l’encontred’une même victime22. Ensuite, il est important de noter que le juge nerecherche plus l’intention de nuire dans les actes répétés. En effet, l’emploide la formule « qui ont pour objet ou pour effet » permet d’incriminerun harcèlement même « involontaire »23.

17. La question s’est ensuite posée de savoir qui de la personne moraleou physique devait supporter la responsabilité de ce délit et de cetteinfraction. Sur le plan pénal, toute personne physique peut être reconnuecoupable personnellement du délit de harcèlement moral. De ce fait, encas de relations verticales, un chef d’entreprise, un manager ou encoretoute personne disposant d’une autorité particulière peut être déclaréeresponsable pénalement du délit. Dans le cadre de relations horizontales– entre collègues – une action peut aussi être intentée contre l’auteurde l’infraction.

18. Cependant, il est important de noter que, tout comme pour le suicide,la responsabilité de l’employeur peut aussi être recherchée si celui-ci amanqué à son obligation de sécurité. Dès lors, l’employeur est obligé deprendre les dispositions nécessaires afin de prévenir le harcèlementmoral au sein de son entreprise. Pour se prévenir contre un tel chef deresponsabilité, l’employeur peut rappeler dans le règlement intérieurqu’il est interdit de se livrer à des actes de harcèlement moral, ou encoremettre en place des systèmes d’alerte au sein de sa société.C’est, entre autres, ce souci de prévention qui a permis d’engager lanégociation sur le sujet de la violence au travail entre les partenairessociaux européens.

III. La régulation au niveau européen des phénomènes de violence au travail 19. Face à des dispositions très éparses en droit communautaire, un instrument de régulation des relations de travail de « nouvellegénération » a vu le jour. Perçu par certains comme « l’un des moteursde l’Europe sociale »24, l’accord-cadre a été utilisé à plusieurs reprisespour combler le vide législatif dans certains domaines du droit social. Ilen est ainsi en matière de violence au travail, problème qui a fait l’objetd’un accord-cadre spécifique signé par les partenaires sociaux européensle 27 avril 200725.

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20Dans l’ordre, citons pour illustrer chacun des ces actes les arrêts de laChambre criminelle de la Cour de cassation en date des 20 mai 2008(n° 06-86.580), 8 avril 2008 (n° 07-86872),15 janvier 2008 (n° 07-83068),29 janvier 2008 (n° 07-80748) et20 mai 2008 (n° 07-86603).21Par ailleurs, certains de ces faits soientincriminés de manière autonome pard’autres textes ; il en va ainsi dela soumission à des conditions de travailincompatibles avec la dignité humaine(article 225-14 du Code pénal).22Cour de cassation, Chambre sociale,27 octobre 2004, n° 04-41008.23Semaine Sociale Lamy, 10 janvier 2009,n° 1417.24Bérengère Legros, Risques psychosociaux au travail et dialogue socialeuropéen : l'utilisation de l'accord-cadreautonome, La Semaine Juridique Social,n° 25, 16 Juin 2009, 1264.25Framework agreement on Harassmentand Violence at Work, 27 avril 2007 ; cetaccord a été signé par les organisationssuivantes : ETUC/CES, BusinessEurope,UEAPME, CEEP.

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20. Cet accord autonome invite les entreprises européennes à définirdes procédures pour faire face aux éventuels cas de harcèlement et deviolence sur le lieu de travail26. A l’issue de ces procédures, les entreprisesprendraient alors des mesures appropriées contre les auteurs des actes,allant de la sanction disciplinaire au licenciement, et les victimesseraient aidées dans leur réintégration27.

21. Les obligations attachées à l’accord européen viendraient donc serajouter aux obligations précitées que prévoit le droit interne. Mais laportée exacte de l’accord-cadre en matière de violence au travail estsujette à débat. Juridiquement, il s’agit d’un accord conventionnel quine lie que les parties signataires. Or, en l’occurrence, les partenairessociaux signataires ne représentent qu’une fraction relativement réduitedes entreprises européennes. Au-delà de ce problème de représentativité,l’accord souffre de sa force juridique limitée. Aussi le contenu de l’obligation de mise en œuvre du contrat au niveau national par lesmembres des partenaires sociaux signataires ne devrait-il pas dépassercelui d’une simple obligation de moyens28.

Conclusion 22. La multiplication des cas de responsabilité en droit interne et larégulation au niveau communautaire indiquent l’existence d’un mouve-ment large tendant vers une plus grande prise en compte des phénomènesde violence et de stress au travail. Mais la traduction juridique de cetteévolution est encore incertaine. Car si le code du travail se limite pourl’instant à imposer aux entreprises des moyens de prévention visant la« santé physique et morale » du salarié, il ne prévoit pas de mesuresspécifiques de prévention contre la violence ou le stress au travail. A l’image de certains pays européens29, l’environnement légal danslequel évoluent les entreprises françaises pourrait donc continuer àchanger, de façon à ce que le mouvement de responsabilisation déjàamorcé soit complété par une plus grande incitation à la prévention dansces domaines.

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Clément Gaudio

François Dennewald

26De façon originale, ces procédures peuvent inclure une phase informellefaisant intervenir une personne en qui lahiérarchie et les travailleurs ont confiance.27Commission des communautés européennes, Communication dela Commission au Conseil et au Parlementeuropéen transmettant l’accord-cadreeuropéen sur le harcèlement et la violenceau travail, 8 novembre 2007.28Pour le Conseil économique et socialdu Luxembourg, le contenu decette obligation de mise en œuvrepar les membres des partenaires sociauxeuropéens se résume à une obligation denégocier de bonne foi, sans obligation decontracter. (CES Luxembourg, Avis sur lestress au travail, 15 juin 2006, p. 4).29La Suède a adopté une loi sur l’environnement de travail et le Danemarka pris une ordonnance sur le rendementau travail ; toutes deux font directementallusion à la notion de stress au travail.