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La déchirure paternelle

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COLLECTION DIRIGÉE PAR GASTON MIALARET

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L'ÉDUCATEUR

La déchirure paternelle

FRANÇOISE HURSTEL Professeur de psychologie

à l'Université Louis-Pasteur de Strasbourg

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE

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ISBN 2 13 047523 x Dépôt légal — 1 édition : 1996, août © Presses Universitaires de France, 1996 108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris

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« Et semblables aux coureurs ils se transmettent le flambeau de la vie »

Lucrèce, De natura rerum, II, 79.

« Où as-tu mal ? Pas de réponse — As-tu mal à ta tête, à tes

épaules, à ton dos ? Un moment de silence : — Ah non, madame ! moi j'ai pas

mal à des choses. — Alors à quoi as-tu mal ? — Ah oui, j'ai mal à mon père. »

F. Dolto, Lettres de l'École Freudienne,

22, 1977, p. 492.

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Introduction

Qu'en est-il de la fonction paternelle en cette période historique qui est la nôtre ? Quelles sont les conditions de son exercice dans le faisceau culturel contemporain ?

Telles sont les questions, fil directeur de mon travail, questions peut-être inattendues venant d'une psychologue et psychanalyste en ce qu'elles interrogent le champ social.

Cette interrogation sur l'historicité de la fonction paternelle est inséparable pour moi de deux expériences qui sont aussi deux rencontres que j'ai faites.

La première est expérience personnelle. C'est celle de ma psychanalyse. Sous la forme de la

recherche d'une parole paternelle, la question du père y a été centrale. Mais cette expérience a été aussi la ren- contre avec celui qui a mis en mots théoriques ce qu'est « la fonction du père », J. Lacan.

Car cette recherche du père sur le mode singulier qu'est celui de la cure psychanalytique, fut accompagnée comme un leitmotiv, comme une poésie, comme une musique, bien plus que comme un savoir clos, par les mots, les écrits, les enseignements de Lacan.

Mes proches pourraient témoigner de la passion qui

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m'animait alors à le lire. Cela irritait ou faisait sourire mon entourage car — pour évoquer un souvenir précis — jusque devant les merveilles de certain cloître ancien d'une certaine île yougoslave, on me voyait traîner sous le bras ses Écrits et en lire des passages.

Si le père est fondamentalement une fonction symbo- lique, celle de l'efficience en chaque sujet, d'un signifiant, d'un nom — le nom du père —, avant d'être image, rôle ou incarnation, le nom de Lacan est certainement pour moi l'un de ces noms du père !

De cette expérience à la fois sensible et intellectuelle j'ai retiré la conviction de la justesse de la théorie du père, élaborée par Lacan principalement dans les années 1953 à 1958. Il y définit la fonction paternelle comme une fonc- tion symbolique qu'il appelle fonction de « Nom-du- Père ».

Elle permet un mode initial de structuration du sujet dans son rapport au langage et à la parole (et non à la société et à la famille d'abord). Ce mode initial de struc- turation du sujet — que Freud a appelé l'Œdipe — est inauguré par une coupure symbolique, celle du lien pri- mordial réel et imaginaire qui unit l'enfant, encore « infans », à sa mère. C'est par l'évocation (au sens de l'appel) du nom du père comme représentant de la loi de la parenté, et de l'interdit de l'inceste qui l'ordonne, que s'opère cette coupure pour tout enfant humain.

La deuxième expérience inaugurale de ce travail est celle de la rencontre avec une paternité inscrite dans un faisceau culturel différent de ce que je connaissais jusqu'alors. Rencontre dans les années 1970 à 1980, à Montbéliard en Franche-Comté, avec des hommes ouvriers chez Peugeot mais d'origine rurale, des « émigrés régionaux », en somme.

J'ai aperçu là des modalités de l'exercice de la fonction paternelle spécifiques à un groupe social. Ils m'ont sen- sibilisée — telle une expérience ethnologique — à la

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dimension culturelle hors de laquelle aucune fonction ne peut s'exercer.

Mais j'ai vécu surtout, au contact de ces familles, une véritable expérimentation historique in vivo. J'y ai vu lit- téralement à l'œuvre, en écoutant les récits que ces hommes m'ont fait de leur vie, un morceau de l'histoire de la paternité et de ses transformations.

Car ces hommes, je m'en rends compte après-coup, étaient les vedettes d'un étrange drame historique — ils ne le savaient pas et je ne le savais pas encore —, drame qui mettait en scène pour la dernière fois en France les exodes ruro-urbains, ceux qui modifièrent dès le milieu du XIX siècle le visage des familles et l'image sociale du père mais aussi les modes d'exercice de la fonction paternelle.

J'ai pu entendre comment en trois générations — celle du père en milieu rural, celle du fils déraciné et celle du petit-fils ayant grandi en milieu urbain — s'est opéré un morcellement de la paternité en ses différents composants et une dévalorisation de l'image du père.

Mais il m'a fallu faire, ultérieurement, un long détour par l'étude de l'Histoire du père pour saisir la portée de ce que j'avais pu entendre à ce moment-là !

C'est à partir de cette double expérience que je me suis posée la question de « la fonction paternelle aujourd'hui ». Je ne pouvais plus, dès lors la réduire ou exclusivement à la seule dimension que lui donne la psy- chanalyse, ou exclusivement à la seule dimension sociale.

Alternative qui renvoie à des positions dichotomisées ou confusionnelles repérables dans l'histoire des idées sur la paternité. Elles se sont reflétées dans les écrits des spé- cialistes des familles, dont j'ai fait la recension pour la période qui va de 1942 à nos jours.

Première position, la plus ancienne : c'est l'amalgame confusionnel de la fonction et du rôle paternels. Sous cou- vert de la notion fourre-tout de « rôle du père », cette expression permettait, je l'ai montré, d'amalgamer de

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façon syncrétique fonction psychologique et rôle familial du père. Ou encore de relier dans une causalité simpliste ce qui est de l'ordre des comportements familiaux du père ou des traits de son caractère — par exemple : faible, peu autoritaire, alcoolique, blouson noir... — à ce qui est de l'ordre d'effets psychiques graves pour les enfants.

Deuxième position : si elle marque un net progrès sur la première en ce qu'elle opère des distinctions, elle n'en est pas moins d'un schématisme appauvrissant. Il ne s'agit pas de mélanger les torchons et les serviettes ! Aux psy- chanalystes la fonction du père et les effets de signifiants dans le sujet... aux sociologues, historiens, juristes, eth- nologues, pédagogues... ce qui relève du champ social.

Et pourtant... dès 1938 Lacan soulignait dans Les complexes familiaux ce qu'il nomme « le déclin social de l'imago du père », déclin qui relève du champ de l'Histoire en ce qu'il évoque la dimension imaginaire d'une perte — le père occidental, tel un soleil déclinant !

Mais il ajoute tout aussitôt que ce déclin social est aussi « une crise psychologique » et forme le fond de « la grande névrose contemporaine ».

Dimension sociale de la névrose, donc... dimension historique du sujet.

C'est alors qu'est née ma conviction que le sujet n'est pas dichotomisé en sujet de l'Histoire d'un côté et un sujet singulier de l'autre. Et que c'est bien dans un espace frontalier — au-delà de toute dichotomie mais sans tom- ber dans la confusion — que se noue la question du père. Encore fallait-il le théoriser cet espace ! C'est-à-dire en faire le repérage, en préciser les contours et les limites.

La notion de « principe généalogique » avec les nomi- nations de la parenté qui l'étayent et principalement le Nom du Père comme point nodal de la filiation et des interdits qui permettent l'alliance, la notion de principe généalogique, constitue la crête frontalière de cet espace où se noue la question de la fonction du père.

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En l'un de ses versants — le social — la généalogie trouve ses ancrages symboliques sociaux dans les mon- tages juridiques. Les lois ou « fictions juridiques » pour en indiquer avec P. Legendre (1985) le caractère construit, forcé, variable selon les sociétés sont ce qui institue le vivant — la chair humaine — en l'inscrivant dans la dif- férence, celle des générations et celle des sexes, en four- nissant au sujet du père et des noms, une place symbo- lique pour lui, préparée bien avant qu'il ne fût né comme le disait Freud au petit Hans.

En cela le père peut-être dit relever de l'institutionnel pur. C'est là que chaque sujet trouve ses ancrages iden- titaires.

Mais encore faut-il que ce qui est inscrit lui soit transmis. Encore faut-il qu'il puisse s'approprier et explo- rer ces noms qui sont les siens et que la loi, sous les aus- pices de laquelle il est né, lui soit annoncée.

Pour cela — deuxième versant de l'ordre généalogique — tout un travail subjectif lié à la parole est nécessaire. C'est celui qui s'élabore dans l'espace dit familial sous la responsabilité de ceux qu'on appelle « des parents », espace où se joue concrètement l'Œdipe.

Travail non évident puisqu'il doit se faire « dans les temps » afin que ne soit pas forclos le dossier de l'huma- nisation, de la subjectivation.

Une fois posés ces principes théoriques, tout le travail de découverte de cet espace frontalier, de ce pays du père, restait à faire. C'est la raison pour laquelle j'ai dû par- courir — non sans plaisir sans doute mais non sans dif- ficulté — des chemins auxquels ma formation initiale ne m'avait pas préparée, ceux de l'Histoire, du Droit et de la Sociologie du père mais qui rendent compte des trans- formations de cette institution.

Et une fois ces chemins parcourus il m'a fallu — autre difficulté — rapporter ces connaissances au lieu même où l'histoire s'élabore : au sein des histoires familiales et sin-

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gulières telles qu'elles se transmettent « de père en fils ». Et cela afin de repérer comment les pères « font affaire » avec cette institution en transformation, comment ils assu- ment leur fonction dans des faisceaux culturels mouvants et inédits.

Qu'ai je découvert dans ce parcours ? Essentiellement une paternité dominée depuis cent ans

par des ruptures qui, par paliers, ont transformé radica- lement et de manière irréversible l'institution du père.

Et au cœur de ces ruptures générationnelles j'ai pu entendre la complexité des processus identificatoires et la richesse inventive dont témoignent ceux qui furent mes interlocuteurs...

— Ces pères de Montbéliard d'origine rurale. — Ces familles de jeunes concubins que j'appelle

« stables » car la venue du premier enfant n'a pas modifié leur décision de ne pas se marier, familles où le père peut être privé de l'autorité parentale puisque le père est natu- rel et cependant ce sont ceux-là qui justement donnent le témoignage du respect de la parole engagée...

— Mes autres interlocuteurs aussi : ces hommes et ces femmes, ayant « recomposé » une famille après divorce et qui « reconstituent » ce que peut être la place d'un père qui n'est pas le géniteur, et même pas le donneur de nom, mais un père nourricier et éducateur dans le temps où l'enfant de sa compagne ou épouse, leur est confié.

J'évoquerai quelques-uns des traits majeurs des trans- formations de la paternité :

— Réduction puis disparition de tout pouvoir social et familial du père. Avec la loi de 1970 qui substitue aux énoncés « puissance paternelle » et « chef de famille » ceux « d'autorité parentale partagée » signant par là, la mort du Paterfamilias.

— Dominance d'une image sociale des pères dévalo- risée. Ce que Claudel appelle « le père humilié », Lacan « le déclin de l'image du père » et ce que j'ai proposé avec

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G. Delaisi de Parseval (1990) d'appeler «le pardessus du soupçon », pardessus que tout père potentiel aurait à endosser.

— Avec comme conséquence, un déplacement de ce que M. Safouan (1974) appelle « la figure du père idéal ». Déplacement de cette figure qui dans le champ social était l'apanage des pères de famille jusque vers le milieu du XIX siècle vers les spécialistes des familles qui désormais en sont parés.

— Multiplication des hommes qui se trouvent désormais en position de père pour un enfant. Et corré- lativement disjonction des fonctions du père — celle du géniteur, de père légal, de nourricier, éducateur... entre plusieurs hommes, pouvant en assurer l'une ou l'autre — quand ce n'est pas une femme, la mère, qui les assument toutes.

Bref, un morcellement de la paternité en ses différents constituants, en un champ notionnel complexe, dont Lacan, dans la théorisation qu'il fit dans les années 1950, avait indiqué la mesure lorsque dès cette époque il dis- tinguait la fonction du père de son rôle familial et de son image sociale. Cette théorie psychanalytique apparaît donc elle-même inscrite dans l'Histoire : elle fait rupture épis- témologique et montre la nécessité de « penser autrement le père ».

— Enfin, dernier trait résultant de tous les autres, la rapidité des évolutions familiales vers des formes de familles diversifiées (monoparentales, recomposées, concubinage, outre la famille conjugale urbaine encore stable...) et l'évolution des technologies, qui permet les procréations médicalement assistées (PMA) rend souvent l'état du Droit inadéquat à la garantie institutionnelle de la filiation.

Certains enfants se retrouvent sans filiation paternelle, d'autres sont sommés de choisir entre plusieurs pères, d'autres se retrouvent sous la tutelle de la mère.

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L'ensemble de ces traits permet de dire que nous vivons une période de transition historique où se fragilise l'exercice de la fonction paternelle (ou pour utiliser une expression chère à Pierre Legendre (1989) : se fragilise l'Office du Père).

C'est-à-dire une société caractérisée par une difficulté à symboliser l'inceste pour les enfants qui viennent à naî- tre, une difficulté à fournir à ces enfants « du père », c'est- à-dire des tiers symboliques qui soient en position de représenter la Loi de l'interdit de l'inceste dans la relation fusionnelle initiale à la mère.

Mais je ne me joindrai pas aux cris d'alarme que pous- sent certains devant la mort d'une forme traditionnelle de la paternité et de son autorité désuète.

Car au cœur même de ces faisceaux culturels qui sont en train de se défaire et de se renouer, l'enjeu fondamen- tal pour l'humanité demeure la nécessité absolue que soit assurée pour chaque enfant la fonction symbolique du père.

Fonction qui relève, non de l'autoritarisme ou d'une position sociale de pouvoir, mais de l'efficience d'une loi, celle de la parenté, et de la parole de ceux qui la repré- sentent.

Or ce que m'ont permis d'entendre ceux dont j'ai recueilli la parole, dans des enquêtes de terrain, ou au détour de leur psychanalyse, de leur psychothérapie, ce que m'ont permis d'entendre ceux qui œuvrent dans le champ social, sur le terrain institutionnel et familial avec le souci de vérité subjective de l'enfant, ce qu'ils m'ont permis d'entendre — au travers d'un cheminement mar- qué parfois par la souffrance et toujours par l'incertitude et le questionnement — ce sont les multiples voies nou- velles d'invention de l'exercice de la fonction paternelle.

C'est, au cœur même du malaise dans la paternité, la création d'un nouvel espace paternel.

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PREMIÈRE PARTIE

La paternité contemporaine : le mouvement des questions

et des définitions

Le père est celui qui est en charge d'instituer la limite à l'endroit de cha- que enfant.

P. Legendre, Le crime du caporal Lortie.

Traité sur le père, Paris, Fayard, 1989.

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CHAPITRE PREMIER

La fin des certitudes

Depuis 20 ans la « question du père » s'affirme et s'énonce avec une force croissante dans les mass-médias. Il en va ainsi, sur des modes différents, dans les écrits des chercheurs et des praticiens concernés par les familles. Loin de s'éteindre, ce questionnement grandit, ne per- mettant guère de prévoir ce que seront les vingt pro- chaines années, pour la famille et pour la paternité. Le père et la famille sont devenus, selon l'expression du démographe L. Roussel (1989), « incertains ».

Il y a vingt-huit ans : ce sont les événements du prin- temps 1968 et le vote de la loi sur « l'autorité parentale » en juin 1970. En mai 1968, pour la première fois, il a été dit clairement à haute voix, il s'est crié dans la rue avec violence et conviction qu'un certain type d'autorité était mort. On ne voulait plus du père comme représentant de cette autorité-là, arbitraire et dogmatique. Cela s'est dit et cela s'est écrit. Écrit sur les murs d'abord, comme si la parole ne suffisait pas et qu'une trace, une inscription en des lieux publics s'avérait nécessaire pour en marquer le caractère définitif. Écrit dans la législation ensuite avec la loi de 1970 sur «l'autorité parentale » qui marque le

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temps d'un nouvel énoncé du père : « une autorité paren- tale appartenant aux père et mère... » (art. 371-2).

Depuis cette date, de profonds changements caracté- risent la paternité : cela au point que la notion sociale de « père » est devenue floue, au point que l'on ne sait plus ce qu'est un père. En témoignent les interrogations qui jalonnent et ponctuent de façon récurrente et contradic- toire, publications de spécialistes, articles de journaux, dossiers de magazines, œuvres cinématographiques, émis- sions de télévision... soit l'ensemble des productions artis- tiques, informatives et scientifiques concernant la pater- nité.

RÉSONANCES MÉDIATIQUES : « MORT DU PÈRE » ET « NOUVEAUX PÈRES »

Un premier thème apparaît dès 1968, celui de la « mort du père » et de son « exclusion ». Un deuxième thème, celui des « nouveaux pères », lui fera cortège à par- tir de 1972.

Le père est-il mort, son autorité est-elle refusée, se demande A. Mitscherlich, dans un livre au titre symbo- lique ( Vers une société sans père) qui a été traduit en France en 1969, au lendemain des événements de Mai? Cet ouvrage, ainsi que ceux de G. Mendel (La révolte contre le père, 1968 et La crise des générations, 1969), ont été lar- gement commentés par la presse. En 1972, Origlia affirme brutalement : Requiem pour papa. La « mort du père » reste après 1980 un thème d'actualité.

En 1975, la revue Autrement, périodique spécialisé dans les problèmes d'actualité sociologiques, publie un numéro spécial : « Finie la famille ? » qui fut cinq fois réé- dité depuis. Dans ce numéro, l'article de J. Goutal, « Le

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père est une convention », donne le ton en soulevant la question de « l'utilité » d'un père pour un enfant.

En 1983, le journaliste Y. Florenne, rendant compte dans Le Monde d'un congrès de juristes, titre : « La mort du père». En 1985, le pédiatre-psychanalyste A. Naouri, dans son livre Une place pour le père, plaide la cause du père en demandant qu'il ne soit pas exclu au profit de la mère. En 1989, dans La famille incertaine, L. Roussel parle de «crépuscule du père». En 1989, une journée d'étude sur le père, s'intitule « cherche père désespérément » (Jour- née de l'Association française du Conseil conjugal à Paris). Et en 1993 un colloque de psychologie pose la question « Que reste-t-il du père ? » Entre-temps, en 1973, paraît un petit livre de deux rééducateurs, A. Tajan et R. Volard, Le troisième père : l'absent, le cher disparu va- t-il être remplacé par la cohorte des spécialistes ?

Les films sont de leur côté particulièrement révélateurs de ces interrogations autour de « la mort » ou de « l'exclu- sion » des pères. Ils en sont aussi les diffuseurs privilégiés.

En 1977, les frères Taviani présentent leur film Padre- Padrone : c'est le drame d'une société Sarde en pleine mutation où les petits propriétaires terriens, encore chefs de famille et maîtres des biens n'ont plus de place et font faillite. En 1979 : Le troupeau, du metteur en scène turc Zeki Okten, nous fait assister à la lente agonie d'un père nanti de tous les pouvoirs et qui s'effondre tant aux yeux de son fils que de son clan, mais aussi en tant que per- sonnage social considéré, chef du Troupeau...

A ces films qui narrent l'épopée tragique ou dramati- que de la fin d'une forme de pouvoir paternel, en la liant au déclin d'un type de société, s'ajoutent ceux qui traitent de la place (d'exclusion) des pères au sein des familles. Du célèbre Kramer contre Kramer (R. Benton, 1980) met- tant en vedette un père divorcé réclamant son droit de garde, et en scène la rivalité douloureuse entre les parents qui s'arrachent un petit garçon, le leur, au récent Paris-

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Texas (W. Wenders, 1984), le père serait-il devenu un exclu ? Si le film de Benton montre l'exclusion des pères dans le divorce celui de Wenders donne à voir un père qui s'exclut de lui-même. On peut suivre un homme qui, après un long périple, rendra un enfant à sa mère ; la der- nière image montre cet enfant collé au corps de sa mère, ventre contre ventre, tandis que le père s'éloigne dans la nuit.

La place d'un enfant ne serait-elle qu'auprès, tout près, le plus près possible de sa mère, comme semble le suggérer ce père ?

L'enterrement était peut-être un peu prématuré, car dès 1972, un autre son de cloche, nettement plus opti- miste, se fait entendre. Avec M. Deleforges, Être père (1972), B. Muldworf, Le métier du père (1972), Le Gall, Le rôle nouveau du père (1975)... et dans les flonflons des mass-medias qui vantent « papas-poules » et autres « nou- veaux » pères, nous découvrons que la paternité n'est pas morte. Mais qu'est-ce qui naît au juste ? Ne serait-ce pas autant un questionnement sur un type de père jusqu'ici « évident » qu'une espèce nouvelle de papas ?

C'est dans ce sens que l'on peut interpréter les paru- tions à partir de 1980 et l'écho significatif que rencontrent dans un large public certains ouvrages de chercheurs et praticiens qui traitent de la paternité.

En 1980 paraît une première exploration de la pater- nité tentée par un psychanalyste ; l'ouvrage est de B. This et s'intitule Le père : Acte de naissance ! En 1981 paraît la première étude clinique La part du père de G. Delaisi de Parseval. L'auteur introduit surtout un questionnement sur ce que devient la paternité aujourd'hui par le biais de comparaisons ethnologiques, éclairant par là ce qui change dans le monde occidental.

Le premier colloque organisé en France par un minis- tère et sur la paternité se tînt à Paris en 1981. Intitulé Les pères aujourd'hui, il rassembla et présenta avec une

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La paternité contemporaine vit sous le signe de la rupture. Changements, évolutions, mutations...

Ces processus caractérisent la paternité et les trans- missions de père en fils. Et rien n'est simple et linéaire à comprendre et à vivre dans ce qui apparaît comme déchirure d'une robe longtemps sans couture visible.

Comment les pères assument-ils leur fonction dans ces faisceaux culturels mouvants et inédits ?

Des exodes ruro-urbains des années d'après guerre, à l'étude des familles de concubins et jusqu'à ces récentes recompositions familiales après divorce, la parole des pères a été recueillie dans des enquêtes de terrain ou au détour de psychanalyses.

Si elle a permis d'entendre leurs incertitudes, leurs ques- tionnements sur fond de déconstruction de la figure pater- nelle, elle a permis aussi de saisir le surgissement de nouveaux modes d'exercice de la paternité.

N'y a-t-il pas en gestation, du côté des institutions et du côté des pères, bien au-delà des « nouveaux pères » ou des « papas-poules », la création d'un nouvel espace paternel ?

Professeur de psychologie à l'Université Louis-Pasteur de Strasbourg, psychanalyste, Françoise Hurstel dirige un labo- ratoire de psychologie de la famille.

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