la cour des aides de montauban louis taupiac académie de

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1 La Cour des Aides de Montauban Louis Taupiac Académie de Législation de Toulouse 1863 Quand l'organisation judiciaire fut élevée, en 1790, sur les ruines des compagnies de justice qui n'avaient pu protéger la monarchie, ni se défendre elles-mêmes, la Révolution emportait dans ses orages toutes les institutions de la société. C'est en vain qu'au milieu des cris poussés par les novateurs, quelques voix osèrent dire que ces corps souverains avaient souvent abattu l'orgueil des grands, soutenu les droits du peuple et résisté même aux rois ; on ne vit que les abus de leur puissance et les malheurs qu'ils avaient entraînés, tout fut condamné, tout fut anéanti ; et le spectacle de ces magistrats dispersés sur le sol de la France pour aller soit en exil, soit à la mort, annonça le sort réservé aux hommes de bien par la colère des partis dont les déchirements devaient rappeler les destinées des anciennes Républiques. Un siècle aura bientôt passé sur ces débris d'un autre âge, et pourtant ce grand cataclysme prolonge jusqu'à nous l'étonnement et l'effroi. Aujourd'hui plus calmes et plus impartiaux pour ces hommes dont la vie magistrale, troublée peut-être par quelques fautes, n'a pas été non plus sans quelque gloire, revenons par la pensée sur l'histoire de leurs institutions, de leurs œuvres et de leur existence, afin que, sur la trace même de leurs erreurs, nous trouvions l'exemple des vertus dont ils nous ont laissé le souvenir. D'ailleurs, par l'importance que plusieurs villes avaient retirée de la présence des cours souveraines et en particulier la ville de Montauban de l'établissement de la Cour des Aides, cette étude est digne de trouver sa place dans le monument élevé à la législation française. Essayons d'y porter notre pierre avant qu'elle ne soit cachée par le temps sous les décombres amoncelés par le marteau des démolisseurs ; heureux si nos efforts pour relever cette grandeur du passé, rendent à la magistrature une portion de l'honneur que nous avons reçu d'elle ! La première réforme entreprise par l'Assemblée Constituante avec une ardeur qui approchait de la violence, fut la suppression des Tribunaux existant sous la Monarchie ; le 24 mars 1790, les Parlements subirent les premiers coups de cette hostilité, et, quelques mois après, le pouvoir judiciaire bouleversé d'un bout à l'autre dans sa hiérarchie fut complètement détruit par le décret du 7 septembre de cette année, décret préparé par des discussions où les représentants de la justice, attaqués par les clameurs de l'opinion publique, avaient entendu sortir de la bouche de M. de Larochefoucault cette parole d'anathème : « Après avoir

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La Cour des Aides de Montauban Louis Taupiac

Académie de Législation de Toulouse 1863 Quand l'organisation judiciaire fut élevée, en 1790, sur les ruines des compagnies de justice qui n'avaient pu protéger la monarchie, ni se défendre elles-mêmes, la Révolution emportait dans ses orages toutes les institutions de la société. C'est en vain qu'au milieu des cris poussés par les novateurs, quelques voix osèrent dire que ces corps souverains avaient souvent abattu l'orgueil des grands, soutenu les droits du peuple et résisté même aux rois ; on ne vit que les abus de leur puissance et les malheurs qu'ils avaient entraînés, tout fut condamné, tout fut anéanti ; et le spectacle de ces magistrats dispersés sur le sol de la France pour aller soit en exil, soit à la mort, annonça le sort réservé aux hommes de bien par la colère des partis dont les déchirements devaient rappeler les destinées des anciennes Républiques. Un siècle aura bientôt passé sur ces débris d'un autre âge, et pourtant ce grand cataclysme prolonge jusqu'à nous l'étonnement et l'effroi. Aujourd'hui plus calmes et plus impartiaux pour ces hommes dont la vie magistrale, troublée peut-être par quelques fautes, n'a pas été non plus sans quelque gloire, revenons par la pensée sur l'histoire de leurs institutions, de leurs œuvres et de leur existence, afin que, sur la trace même de leurs erreurs, nous trouvions l'exemple des vertus dont ils nous ont laissé le souvenir. D'ailleurs, par l'importance que plusieurs villes avaient retirée de la présence des cours souveraines et en particulier la ville de Montauban de l'établissement de la Cour des Aides, cette étude est digne de trouver sa place dans le monument élevé à la législation française. Essayons d'y porter notre pierre avant qu'elle ne soit cachée par le temps sous les décombres amoncelés par le marteau des démolisseurs ; heureux si nos efforts pour relever cette grandeur du passé, rendent à la magistrature une portion de l'honneur que nous avons reçu d'elle ! La première réforme entreprise par l'Assemblée Constituante avec une ardeur qui approchait de la violence, fut la suppression des Tribunaux existant sous la Monarchie ; le 24 mars 1790, les Parlements subirent les premiers coups de cette hostilité, et, quelques mois après, le pouvoir judiciaire bouleversé d'un bout à l'autre dans sa hiérarchie fut complètement détruit par le décret du 7 septembre de cette année, décret préparé par des discussions où les représentants de la justice, attaqués par les clameurs de l'opinion publique, avaient entendu sortir de la bouche de M. de Larochefoucault cette parole d'anathème : « Après avoir

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soustrait le vote des impôts à la dépendance des Etats-Généraux, des ministres audacieux imaginèrent d'établir des droits arbitraires que les tribunaux se sont hâtés de consacrer avec une incroyable servilité ! » L'ancien édifice social fut donc renversé dans l'organisation de la justice; et la haine populaire fut satisfaite de voir frapper, surtout les gens de finance dont la cupidité proverbiale avait attiré sur eux le mépris et la colère de la Nation. Montauban perdit alors sa Cour des Aides dont le siège avait jeté quelque éclat sur ses murs ; car il n'y avait à cette époque en France que douze villes possédant une Cour des Aides, et Montauban était la septième. Voici quelle fut son origine : nous la reprendrons forcément dans un temps assez reculé, afin de nous rendre un compte exact de la plénitude et du mécanisme de ses fonctions.

PREMIERE PARTIE. La Cour des Aides était une Cour souveraine de justice établie pour juger les procès civils et criminels en matière de taxes ou impôts ; il en fut successivement créé douze, savoir : à Paris, Rouen, Nantes, Bordeaux, Pau, Montpellier, Montauban, Grenoble, Aix, Dijon, Châlons et Metz ; et leur juridiction en matière de levées ou contributions publiques, s'étendait sur des portions de provinces appelées Généralités dont l'administration était confiée à des gouverneurs ou intendants. Sans porter plus loin qu'il ne convient nos regards dans l'histoire, nous apprenons qu'après la conquête des Gaules, César y apporta les lois, l'administration et le gouvernement, tels qu'ils existaient à Rome. Il désigna pour questeur dans les Gaules ce même Brutus qui ne craignit point de se mettre au nombre de ses assassins ; or, cette fonction de questeur, qui donnait entrée au Sénat et ouvrait l'accès aux plus hautes charges de la République, comprenait la direction des finances, les cotisations pour les levées de troupes, les frais de leur entretien et toutes les dépenses royales, publiques ou privées. Les contestations soulevées relativement à la répartition et à l'établissement des impôts étaient portées devant le prêteur qui statuait définitivement. Mézeray dit que les Francs gardèrent une bonne partie des institutions faites par les Romains, comme la manière de lever les impôts, mais beaucoup plus légers. En même temps qu'ils allaient rendre la justice, les comtes, envoyés par nos rois dans les cités, exigeaient les revenus du souverain ; on cite parmi eux sous Clovis le comte Eumonius pour avoir géré la charge du fisc.

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Sous la seconde race de nos rois, ces modes relatifs à la perception des impôts avaient disparu, les assemblées des chefs de la Nation que l'on a nommées Parlements avaient même été abolies par Charles-Martel. Son petit-fils Charlemagne en rétablit la dignité et l'autorité, il envoya aussi dans les provinces, des officiers, tant pour y faire exécuter les résolutions des Parlements, que pour y recevoir et juger les plaintes des magistrats locaux, notamment à l'occasion des revenus des biens domaniaux qui étaient dilapidés. Cet état de choses, favorisé par la décadence de la maison de Charlemagne, dura jusqu'à l'avènement d’Hugues Capet qui fit rentrer dans les biens de la Couronne une partie des usurpations qu'elle avait essuyées, et mit plus d'ordre dans le maniement des finances. Néanmoins, le domaine du roi fournissait à lui seul aux charges de la monarchie ; le moment approchait où la nation allait être appelée à venir en aide au roi. En effet, la première imposition, prise dans le sens d'une contribution publique, fut créée, en 1145, pour parer aux dépenses de la croisade en Terre-Sainte que Saint Bernard exigea de Louis-le-Jeune, en expiation du crime qu'il avait commis, en mettant à feu et à sang la ville de Vitry en Champagne ; le roi fit alors lever pendant quatre ans la vingtième partie du revenu de ses sujets. La guerre de Philippe Auguste avec Henri II, roi d'Angleterre, fut l'occasion d'un second impôt qui par un scrupule remarquable fut d'un dixième seulement, et n'atteignit que les biens meubles des laïcs et les revenus des biens ecclésiastiques. Saint Louis qui, tout en tenant compte du siècle où il vécut, est aux yeux de la postérité, par ses vertus, son courage, ses qualités de législateur et d'administrateur tout ensemble, l'homme le plus complet des temps modernes, établit une aide dans le royaume et leva en 1247 le vingtième des revenus. C'est à lui qu'est dû le premier règlement sur la manière d'asseoir et de régler les impôts car jusqu'alors, chaque fois qu'on établissait un subside, on nommait des commissaires, tant pour en faire l'imposition que pour juger les contestations que faisait naître la levée de ces droits ; mais Saint Louis institua des officiers qui étaient choisis et élus entre les notables bourgeois. Ajoutons à ce principe, qui était une première garantie de l'équité qui présidait à la répartition de l'impôt, d'abord qu'il ne pouvait être employé qu'à l'objet pour lequel il avait été établi (au treizième siècle, il n'y avait pas ces mouvements de fonds appelés virements) et de plus que ces impositions étaient passagères. Accordées uniquement pour une année, ces aides devinrent permanen-tes, et de provisoires définitives. Philippe-le-Bel en établit une sur les marchandises, tandis que jus-qu'alors cet impôt n'avait frappé que sur les biens meubles et immeubles.

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Telle est l'origine des contributions indirectes, de tous les impôts, le plus odieux dans la forme et le plus équitable au fond puisqu'il est basé sur la consommation. En 1292, l'esprit libéral de Saint Louis avait fait place aux idées absolues du chef de l'Etat qui avait repris la nomination des commissaires chargés de lever ces impôts; en effet, nous voyons qu'il députa dans l'Agenais et le pays d'Auch, l'évêque de Béziers pour y établir une subvention nécessaire à la guerre de Flandres. Disons en passant que ces commissaires étaient également tenus de vérifier les comptes de ceux qui maniaient les finances et qu'ils formèrent, notamment après Saint Louis, une véritable Chambre des comptes siégeant en divers endroits pour le règlement du trésor public. Depuis cette époque, les aides se multiplièrent avec une rapidité toujours croissante, et sans parler de Louis X qui manda de lever un autre subside pour cette guerre de Flandre devenue plus pressante, nous arrivons à Philippe-le-Long qui introduisit le droit de gabelle par un édit du mois de janvier 1319 ; il venait de rendre sédentaire à Paris cette Chambre des Comptes dont nous avons parlé ; et quatre ans après il institua les gabelles ou greniers à sel. Gabelle - gabulum, vieux mot tiré de la basse latinité, signifie tribut; il fut d'abord appliqué à tous les impôts appelés actuellement droits-réunis ou contributions indirectes ; on disait : gabelle de vin, gabelle de drap, gabelle de péage, etc., mais plus spécialement cette dénomination de gabelle s'attacha à l'impôt sur le sel que le souverain faisait transporter dans ses greniers, d'où il était vendu au public, moyennant une taxe ou redevance qui fut appelée gabelle ; et qui était d'un double ou de deux deniers par chaque livre de sel. Quoiqu'elle n'eût été fixée que pour un an, cette imposition n'en continua pas moins d'être prélevée sous les règnes de Charles-le-Bel et de Philippe de Valois. Celui-ci fit même plus ; il régularisa la perception de la gabelle du sel, en nommant trois maîtres des requêtes et quatre autres personnes pour être maîtres souverains, commissaires et exécuteurs des greniers et gabelles, avec pouvoir de créer tels grenetiers, gabelliers, ou autres officiers. Telle fut l'institution des tribunaux appelés greniers à sel. Tout ce que put faire ce prince dont l'intention n'était point que la gabelle du sel non plus que les autres impositions fussent unies à son domaine et durassent à perpétuité, ce fut d'abolir une taxe imposée sur les draps au pays de Carcassonne; encore se fit-il donner en compensation et par abonnement une somme de cent cinquante mille écus.

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Bientôt après, le roi Jean créa une nouvelle imposition sur les denrées et les marchandises. Il soutenait contre les Anglais une guerre longue et cruelle pour laquelle les Etats assemblés à Paris lui offrirent d'entretenir trente mille hommes; et à cet effet, on établit une gabelle sur le sel et une imposition de huit deniers par livre sur toutes les denrées et marchandises qui seraient vendues ; de son côté, le roi commit neuf généraux ou superintendants pris dans chacun des trois ordres des états pour veiller à la levée de ces subsides ; il institua aussi des officiers populaires chargés de la direction des deniers provenant des aides, c'est-à-dire des contributions de toute espèce, tandis que les agents préposés aux gabelles furent nommés grenetiers ou gabelliers. Constitués en corps de justice, ces officiers, élus d'abord par les députés des trois ordres et peu à peu nommés par le roi, formèrent, dans un premier degré de juridiction, les tribunaux connus sous le nom d'élection et grenier à sel dont les sentences étaient révisées par les généraux dont il a été parlé. Nous verrons ensuite qu'à ces généraux ou superintendants succédèrent les Cours des Aides dont nous recherchons la première origine. Dans l'ordre des temps que nous poursuivons, nous trouvons, d'après le président Hénault, que, sous le nom d'aide au dauphin, des subsides furent accordés pour payer la rançon de ce malheureux roi Jean dont l'infortune est relevée par ces nobles paroles adressées aux courtisans qui voulaient le dissuader de revenir se constituer prisonnier à Londres d'où s'était enfui le duc d'Anjou qu'il y avait laissé en otage : « Si la bonne foi était bannie de la terre, c'est dans le cœur des rois qu'elle devrait se retrouver ! » Son successeur Charles V envoya des généraux-gouverneurs, afin de veiller à la direction des finances dans les provinces qui prirent dans cette circonstance le nom de généralités. Le 20 novembre 1369 devint, dans l'histoire des charges imposées à la nation, une date considérable par la création d'un nouvel impôt qu'on nomma fouage, et ensuite taille qui signifie levée, nom qu'il a conservé longtemps. Cette aggravation d'impôts excita des troubles après lesquels Charles VI substitua aux généraux superintendants, des généraux conseillers, voulant que tout ce qui serait par eux jugé et sentencié tienne et vaille comme ce qui est fait et jugé par arrêt du Parlement.

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Ce titre de généraux-conseillers fut donné jusque vers la fin du règne de François Ier aux officiers de justice chargés de juger souverainement tout ce qui se rattachait à l'établissement des aides. Ils avaient leur siège et auditoire au Palais-Royal à Paris, où ils composèrent une chambre de justice des aydes, dont l'archevêque de Besançon fut, en 1398, le premier décoré du titre de président ; ses conseillers, peu nombreux, étaient pris dans l'état ecclésiastique et la noblesse, en tout : un président, quatre généraux-conseillers et trois conseillers pour visiter et rapporter les procès. Vers l'année 1400, on leur adjoignit cinq clercs notaires et secrétaires du roi qui devaient signer sous le grand scel les ordonnances, lettres et mandements des généraux ; de ces clercs sont nés les chancelleries et greffe de ces cours supérieures. C'est dans cet état qu'apparaît ce corps de justice établi sous les yeux et la main de la royauté, lorsque rentrant dans sa capitale, Charles VII envisageant la difficulté qu'il y aurait pour ses provinces de Languedoc, Rouergue, Quercy et Guienne de venir à Paris par-devant les généraux sur le fait de la justice des aides, créa, en 1457, des généraux à Montpellier ; ces magistrats furent pris du corps du Parlement de Toulouse dont certains membres exerçaient depuis peu cette charge de généraux des aides. Chacun sait que le Parlement de Toulouse fut institué en 1302 par Philippe-le-Bel. Sous ce monarque qui surchargeait la France d'impôts, confisquait les biens de l'ordre des Templiers et altérait les monnaies, ce qui lui valut le surnom de faux-monnayeur, le Languedoc avait supporté des subsides extraordinaires; à l'occasion de quoi, le Parlement de Toulouse avait soutenu l'autorité du roi contre la province révoltée. Il y eut des troubles et des séditions qui forcèrent cette cour souveraine à se réfugier à Montauban, traçant déjà le chemin d'un asile protecteur où plus d'une fois, jusqu'en nos jours féconds en émotions populaires, nous avons vu des magistrats éminents chercher un abri contre les fureurs de la populace déchaînée dans les rues de Toulouse. Les discordes civiles ou la résistance aux ordres du roi obligèrent le Parlement de Toulouse à transférer sa cour à Béziers et à Montpellier. Il fut même supprimé en 1466, c'est-à-dire à l'époque à laquelle nous nous étions arrêtés en rapportant les événements relatifs à la création de la Cour des aides ; plusieurs de ses membres furent laissés à Montpellier sous le titre de généraux des aides. Bientôt après, Louis XI créa auprès d'eux un parquet composé d'un avocat et d'un procureur du roi (dont nous connaîtrons plus loin les attributions), plus un greffier, un receveur des amendes et deux huissiers ; il ne manquait à ce corps judiciaire ainsi constitué que le nom de Cour souveraine ; François Ier lui en donna la

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qualification par un édit du 8 février 1522, contenant plusieurs dispositions qui augmentaient le nombre des membres de la Cour des aides d'un second office d'avocat du roi avec le titre d'avocat général porté par ceux du Parlement. Cette Cour des aides formant un tribunal supérieur était définie par les auteurs de ce temps : « Rei tributarioe suprenum tribunal, curia subsidiorum, oblationum senatus, vectigalium judices. » Elle fonctionnait à Montpellier depuis près de deux siècles, avec les membres tirés du Parlement de Toulouse, tandis que le développement des affaires du royaume, les embarras occasionnés par la minorité de nos rois et par les intrigues des grands avaient considérablement étendu le cercle de ses attributions ; d'une part, des édits nombreux avaient multiplié les charges des contribuables, de l'autre, chacun cherchait le moyen de s'y soustraire en sollicitant du souverain, des remises, ou en invoquant des titres de nobilité qui devenaient des motifs d'exemption. De là, le nombre de ces Cours fut insuffisant pour juger les procès qu'engendrait cette situation où la fraude n'était pas toujours étrangère ; de plus, le roi créa, en 1622, un bureau d'élection à Cahors destiné à changer la forme de l'administration financière de la province enlevée aux états du pays. En effet, l'assiette et la répartition de l'impôt, confiées sous le nom d'aides, d'abord à des commissaires et à des généraux, avaient été rendues ensuite aux Etats de chaque province, comme un droit appartenant à la nation. Les députés s'étaient acquittés consciencieuse-ment de ce travail long et fastidieux ; mais outre que peu à peu les rois négligèrent ou refusèrent de les assembler, les mouvements naturels de la fortune publique rendaient cette opération incomplète et défectueuse. Il fallut donc organiser une juridiction propre à remplacer les Etats du pays dans cette besogne où l'application rencontrait des difficultés de plus d'un genre. C'était, comme on l'a dit, des tribunaux composés d'officiers élus par les états ou leurs députés ; bien qu'à la longue le principe de l'élection disparût pour faire place à la nomination de ces juges par le souverain. Toutefois ils conservèrent longtemps, eux le nom d'élus, et leur tribunal celui d'élection ; dénomination donnée au territoire de leur juridiction qui correspond à peu près à celui de nos arrondissements. Le bureau d'élection était dans la matière des finances le tribunal du premier degré dont les sentences étaient portées par appel à la Cour des aides. Il y avait dans le royaume 181 élections, comprenant chacune un certain nombre de paroisses ; de telle façon que le ressort ne devait pas en être étendu au-delà de cinq ou six lieues ; afin, dit l'ordonnance de création rendue par François Ier, que ceux qui étaient appelés devant les élus pussent retourner chez eux dans le même jour; leur tribunal avait un personnel important, car il était composé, même

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après quelques réductions, d'un président, un lieutenant, un assesseur, quatre conseillers, un procureur du roi, un greffier, plusieurs huissiers et des procureurs. Cette matière des finances était assez compliquée pour que nous donnions un aperçu des autres judicatures établies à côté de la Cour des aides dans une position où leur rivalité provoqua de fâcheux conflits. Il s'agit de la Chambre des comptes et des bureaux de la trésorerie ; et d'abord de ces derniers. La création des trésoriers de France remontait à l'origine de la monarchie; ce sont eux qui, dans le maniement des finances, avaient remplacé les questeurs dont la fonction, importée par les Romains, avait été conservée par les Francs. Un trésorier de la couronne à Paris était chargé spécialement de l'intendance et de l'administration du domaine du roi. De Clovis à Henri II, le nombre des trésoriers fut augmenté, eu égard à celui des généralités ou recettes générales du trésor. Les trésoriers de Toulouse et de Montpellier datent de cette époque, de 1551, et Charles IX en créa lui-même deux de plus dans chaque généralité, où Henri III à son tour exigea la réunion des trésoriers de France en bureau des finances ou corps judiciaire dont les assemblées se tenaient les lundi, mercredi et vendredi de chaque semaine ; alors la juridiction des trésoriers de France embrassait trois objets : 1° Les finances, c'est-à-dire la recette et la dépense des deniers publics ; 2° La voirie, divisée en grande et petite voirie ; la grande voirie comprenait l'inspection sur les chemins et leurs réparations ; celle des ponts et chaussées, fleuves, rivières, torrents, ruisseaux, fossés, places publiques, rues des villes et des faubourgs et leurs pavés ; la petite voirie s'étendait encore plus loin, sur les tours, remparts, portes, grands édifices, maisons des particuliers, alignements, saillies, avarices, appositions et réfections des auvents et jusqu'aux enseignes excédant le corps des murs, à raison de quoi les trésoriers de France avaient le droit de connaître tous les détails de la voirie, soit pour faire restituer au public tout ou partie des voies rétrécies ou usurpées, soit pour en interdire les changements dans l'intérêt des particuliers ; avec cette précision que lorsque le roi ou le public avaient un intérêt dans la contestation, les décisions des trésoriers de France ressortissaient par appel au conseil du roi, tandis que lorsque la difficulté s'agitait entre particuliers, l'appel en était porté au Parlement ; enfin, s'il était question de droit de servitude sur un terrain ou une maison, c'était aux juges ordinaires d'en décider. 5° Il y avait en troisième lieu les contestations relatives au domaine; mais la juridiction en était disputée aux trésoriers de France par la Chambre des comptes. Or, ce domaine avait fini par embrasser tous les droits

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royaux comme de régale, ennoblissements, foi et hommage, aveux et dénombrement, amortissement, francfiefs, nouveaux acquêts, dixième des mines et minages, concession des foires et marchés, péage, barrage, jauge, poids et mesures, visites, réparations des forteresses et autres édifices dépendants du domaine, droit de débris sur mer, fleuves publics, les dixmes inféodées, patronages, greffes, censives, lods et ventes, quints, requints, relief, rachats, champarts, terrages ou agrieu, droits de justice, voirie, tabellionnage, scel des contrats, bannalité, mainmorte, saisies féodales et leur main-levée, amendes et compositions sur lesquelles les trésoriers de France obligeaient les greffiers au paiement de ces droits. De même que les trésoriers de France avaient remplacé les généraux des finances, le bureau des finances absorba la Chambre du trésor chargée plus spécialement de la direction du Domaine ; c'est à ce titre que la Chambre des comptes avait la prétention de juger les matières du domaine royal, prétention qui engendra de longues et fastidieuses querelles. Avant la révolution de 1790, le bureau des finances créé à Montauban était un tribunal composé de deux présidents, 27 trésoriers, un avocat du roi, un procureur du roi et un greffier. La Chambre des comptes formée d'abord des officiers du palais devant lesquels le trésorier de la couronne rendait ses comptes, était, selon un vieil auteur, composée des maîtres-d'hôlel du roi qui conservèrent le nom de maîtres des comptes. On leur permit de prendre des clercs, soit pour tenir les comptes et les jugements, soit pour leur signaler les omissions et les erreurs des trésoriers. Nos auditeurs ont tiré leur origine de ces clercs, il n'y eut d'abord qu'une Chambre des comptes mise en corps de justice, siégeant à Paris avec un président et quatre maîtres-clercs; Henri de Sully, grand-bouteiller de France, en fut le premier président; plus tard, en 1522, François Ier établit en Languedoc une Chambre des comptes qui eut son siège à Montpellier où, pendant plus d'un siècle, elle a eu une juridiction séparée de la Cour des aides. En 1629, Louis XIII, voulant mettre un terme aux discussions élevées entre elles, les unit en un seul corps, appelé Cour des comptes, aides et finances. C'est ce qui nous explique la composition de cette Cour à Montpellier qui avait trois Chambres, la première pour juger toutes les matières comme cour des aides; la deuxième en qualité de Chambre des comptes ; et la troisième statuant sur le domaine du roi. Son service était partagé eu deux semestres ; les présidents et les conseillers servaient chacun pendant six mois, excepté le premier président qui servait toute l'année à l'une des trois Chambres. Il y avait en France six Chambres des comptes, et dans les projets des derniers ministres du roi sur la ville de Montauban, ce nombre devait être augmenté d'une septième, lorsqu'en 1790, cette juridiction fut remplacée par une Cour des comptes unique, telle qu'elle exerce aujourd'hui ses précieuses fonctions.

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Malgré son imperfection, la lumière à l'aide de laquelle nous avons marché dans l'histoire de ces compagnies souveraines peut suffire à nous faire comprendre le mécanisme de cette partie du pouvoir judiciaire appliqué aux finances. Ainsi, nous résumant, nous dirons que la Cour des aides était instituée pour juger les procès relatifs à l'établissement des impôts ; les bureaux des finances ou trésorerie avaient la connaissance de la recette et de la dépense des deniers publics ainsi que de la voirie ; et la Chambre des comptes statuait sur la reddition des comptes du trésor public et le domaine du roi. Livrées à elles-mêmes, ces Cours rivales et jalouses empiétaient sur la compétence l'une de l'autre et ne cédaient ni devant les arrêts du Conseil, ni devant les ordres du souverain. Afin de donner un aperçu non de l'importance, mais de la multiplicité de ces discussions, nous avons compté que, dans la moitié du XVIIe siècle seulement, il existait, sur les démêlés intervenus entre les bureaux des finances et les autres corps de justice, deux cent dix arrêts, lettres de jussion, règlements, édits, ordonnances ou déclarations. Ce que nous pourrions ajouter n'aurait d'autre résultat que de démontrer les embarras de l'œuvre de la justice en matière de finances dans un Etat, où, éloignés de tout contrôle sérieux, les agents du fisc faisaient peser sur la nation un pouvoir arbitraire qui leur valut, sous des appellations vulgaires, la haine et le mépris publics. Il n'entre point dans notre pensée de nous étendre beaucoup sur les circonstances qui ont amené l'établissement de la Cour des aides à Montauban. L'histoire en est assez connue ; bornons-nous à rappeler que, démembrée de la Cour de Montpellier, la Cour des aides fut créée à Cahors par divers motifs, les uns tirés de l'éloignement des provinces soumises à sa juridiction et du nombre toujours croissant des procès ; les autres, faut-il l'avouer, du besoin d'argent qui se faisait sentir à un gouvernement livré à des troubles tels que ceux qui agitaient la France sous la minorité de Louis XIV. Indépendamment du bureau d'élection établi à Cahors, il en fut créé deux autres dans le Quercy, à Moissac et à Figeac. L'élection de Moissac fut transférée à Montauban où le cardinal de Richelieu engagea le roi à créer une intendance ou généralité, composée des bureaux d'élection de Montauban, Cahors, Villefranche, Figeac, Rodez, Milhau, Rivière-Verdun, Lomagne, Comminge, Astarac et Armagnac. La Marguerie en fut le premier intendant et de Trimond le dernier ; dans cette année de 1654, un bureau des finances fut établi à Montauban, comme conséquence de la généralité. Les mémoires contemporains ne laissent pas ignorer que les établissements administratifs et judiciaires avaient pour objet de relever la religion catholique dans les murs de Montauban où la résistance prolongée des Calvinistes avait tenu en échec l'armée royale en la forçant

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de lever le siège mémorable de 1621 et froissé par ce triomphe l'orgueil d'un ministre tel que Richelieu. C'était donc comme contre poids à l'influence des Protestants que la Cour s'efforçait de fonder à Montauban des institutions plus conformes à ses idées et à ses projets de grandeur de la monarchie. Le cardinal y rencontra plusieurs obstacles non seulement de la part des religionnaires ; mais de celle des corps de justice eux-mêmes qu'il voulut y créer. Deux fois déjà le sénéchal avait quitté Montauban sur les ordres du Parlement de Toulouse pour transporter son siège à Moissac, à l'approche du roi qui voulait réduire en son obéissance les Protestants qui reprenaient leur état de rébellion, et qui ne se soumirent complètement que lorsque la prise de La Rochelle leur eût enlevé l'espoir de dominer sur les Catholiques et leur eût fait craindre de voir fondre sur eux toutes les troupes du roi. Le plan de Richelieu était donc d'asseoir l'autorité royale sur des corporations puissantes et capables de balancer les influences d'un autre ordre que ses ennemis entretenaient à Montauban. Après y avoir rétabli le sénéchal, il y joignit un présidial que le Parlement de Toulouse ne voulut reconnaître que plus de vingt ans après ; tant était grande sa prévention contre cette cité qui avait servi de boulevard au Calvinisme. Malgré ce retard et l'opposition du présidial de Cahors qui se voyait à regret dépouillé d'une partie de son ressort pour le donner, disait-il, à des sujets révoltés, le ministre ne céda point et le sénéchal de Montauban fut érigé en présidial. Dans la simplicité de notre organisation judiciaire, nous avons de la peine à comprendre les mouvements de ces tribunaux multiples, dont la juridiction mal définie et dont l'esprit turbulent et roide embarrassait dans sa marche le pouvoir qu'ils n'avaient pas su servir. Nous ne nous écarterons point extrêmement de notre sujet, en jetant un coup d'oeil sur la situation de ces corps de Justice à l'époque où la Cour des aides fut instituée à Montauban. La justice, qui était le premier attribut de la royauté, passa de ses mains dans celles de la féodalité. Les grands envoyés par Clodion dans les provinces du royaume furent chargés d'y rendre en son nom la justice; ceux-ci, à leur tour, occupés aux travaux de la guerre, se reposèrent de ce soin sur des lieutenants dont le nom varia selon la partie du royaume où ils étaient établis ; la France se trouva partagée en bailliages et sénéchaussées ; au nord, la justice était rendue par le bailli ; au midi, par le sénéchal. Le sénéchal était un officier de la maison du Roi, préposé à la direction des finances et à la conduite des troupes, il avait comme premier

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dignitaire du royaume le pouvoir de rendre la justice ; et il avait remplacé en quelque sorte les maires du Palais. Les grands feudataires eurent aussi des sénéchaux ; et, de degré en degré, le grand sénéchal de Guienne eut un sénéchal dans le Quercy. Enfin, ce dernier se fit remplacer pour distribuer la justice, par des officiers qui prirent le nom de lieutenant général du sénéchal et par des lieutenants civils et criminels, qui composèrent peu à peu le tribunal de la sénéchaussée, dont le président était appelé Juge-mage, notamment dans le ressort du Parlement de Toulouse. On adjoignit plusieurs magistrats à celui-ci pour l'aider à accomplir l'œuvre de la justice, assister, rapporter et opiner aux jugements et signer avec le Juge-mage le dictum des sentences. Par là de nouveaux offices furent créés dont le prix alla augmenter le trésor de la couronne que ses dépenses tenaient constamment épuisé. Ce prix des offices de conseiller au sénéchal de Montauban avait été de 1,500 livres. Cette réunion de Juges était composée en 1625, d'un Juge-mage, un lieutenant civil ou criminel, deux lieutenants particuliers, huit conseillers, un avocat du Roi et un procureur du Roi. La juridiction de ce tribunal était considérable et comprenait toutes les affaires civiles et criminelles par appel des sentences des juges ordinaires, sauf les cas où il y avait condamnation à mort ou peine infamante en première instance; car, en ce cas, l'affaire s'en allait de plein vol à la Cour du Parlement. Dans les villes où siégeait cette Cour, l'appel des ordonnances rendues en matière de police n'allait pas au sénéchal, mais directement au Parlement. Le tribunal de la sénéchaussée avait aussi la connaissance en première instance, par préférence aux juges ordinaires, des affaires entre personnes privilégiées, gentilshommes et officiers du Roi, et, de plus, des crimes de fausse monnaie, sacrilège, duels et tous autres de lèse - majesté divine et humaine, des procès civils et criminels intentés contre tout officier de judicature, receveur du domaine ou personnes nobles ; des actions possessoires bénéficiales, lettres de grâce, rémission, causes féodales et droits concernant le domaine du Roi. Dans le sénéchal, les magistrats prenaient quelquefois des dénominations qui réglaient eu même temps leur rang et leurs charges respectives. Après le Juge-mage, il y avait un lieutenant criminel qui était la deuxième personne du sénéchal. La création de cette charge, spéciale pour le siège de Montauban, est de l'année 1609 ; depuis lors, le Juge-mage restait en possession des procès civils seulement. Dans la distribution des procès criminels, le lieutenant criminel en obtenait un de

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plus que les autres membres du sénéchal, comme le Juge-mage lui-même en matière civile ; on appelait cela un préciput. Après le lieutenant criminel venaient les lieutenants principaux et particuliers, qui ne se distinguaient que par l'ordre de réception ; puis les conseillers du sénéchal qui n'avaient aucune attribution personnelle. Quant aux avocats et procureurs du Roi, ils remplissaient les fonctions du ministère public, ainsi que nous allons l'expliquer brièvement. Sous le titre de gens du Roi, on désignait les officiers attachés à un siège de judicature pour représenter le Roi dans toutes les causes où le Roi et le public avaient intérêt. Cette charge a toujours été en si grande considéra-tion que, même à Paris, plusieurs conseillers du Parlement l'ont recher-chée, parce qu'elle leur facilitait les moyens d'arriver aux premières dignités de la Magistrature. Nous nous étendrons davantage là dessus en parlant des gens du Roi devant la Cour des aides,- contentons-nous de dire qu'auprès du sénéchal, cet office était rempli par un avocat et un procureur du Roi, chargés le premier de plaider tous les procès à l'audience, le second de conclure par écrit. Telle était la composition du sénéchal ; cela paraît fort simple au premier aspect ; mais le défaut de démarcation des pouvoirs relatifs à chacune de ces charges occasionnait des empiétements sans fin, très nuisibles à la justice, tant pour la dignité des magistrats du même siège que pour les intérêts des malheureux plaideurs. La chose en vint au point qu'il fallut supprimer plusieurs offices et les incorporer au sénéchal, afin de faire disparaître ceux qui étaient préjudiciables aux sujets du Roi. Au-dessous du sénéchal, la justice était rendue par les juges ordinaires royaux ou seigneuriaux et par des viguiers ou prévôts ; on voit ici les attributions : les juges ordinaires connaissaient en première instance de toutes matières civiles et criminelles, entre personnes non nobles ou officiers royaux qui n'avaient pas le titre de conseiller de Sa Majesté; de toutes actions personnelles n'excédant point cinquante livres et des actions réelles n'excédant point dix livres de rente ou revenu. Quant aux causes qui excédaient ces sommes, le sénéchal et le juge ordinaire pouvaient en connaître concurremment, selon le choix des parties. Dans les attributions de ce même juge, se rangeaient les procès pour dation de curatelle et tutelle ; inventaire des biens des mineurs roturiers, partage et succession des biens des non nobles et roturiers, actions possessoires pour biens non nobles et roturiers, soit que les parties fussent nobles ou ne le fussent point ; toute matière d'Eglise qui n'était pas de fondation royale ; la police des villes pour les foires et marchés et la juridiction sur les marchands étrangers. Il jugeait aussi tous les différends, procédant des métiers jurés dont le privilège était concédé moyennant finance,

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comme il est prouvé par un édit du Roi, qui accorda en 1697 la place de barbier baigneur éluviste et perruquier avec pouvoir de vendre des cheveux en gros et en détail, savonnettes, pommades, essence, poudre, etc., pour la somme de 200 livres, place qui fut revendue deux mois après pour 500 livres. Le juge ordinaire assistait aux assemblées des villes ; il accordait exécution par pareatis à toute autre sentence et statuait sur toute convention faite entre habitants, quand il était procédé par contrainte, action ou exécution de meubles entre roturiers et non nobles. Cette énumération des causes soumise au juge ordinaire prouve que la juridiction avait en vue plutôt la qualité des personnes que la nature elle-même de la contestation. Ce n'est pas tout ; par une complication des pouvoirs judiciaires dont nous parlons, le juge ordinaire était juge d'appel des sentences des juges bannerets, tandis que ses propres décisions étaient déférées au sénéchal ; de plus, les sénéchaux, lieutenants et procureurs du Roi, étaient souvent encore juges subalternes des justices ressortissant à leur siège ; véritable cumul que les ordonnances les plus anciennes n'avaient pu empêcher. Enfin les embarras de ces juridictions s'aggravaient de querelles personnelles à l'occasion de la distribution des procès entre eux et de rivalités mesquines sur les préséances ; ce qui avait nécessité l'intervention du Parlement faisant défense aux magistrats et à leurs femmes de se provoquer, ni s'injurier de parole, ni de fait, à peine de 500 livres d'amende; et amené la suppression du juge ordinaire dont un édit de 1618 incorpora la juridiction au sénéchal de Montauban. Il en fut de même de l'office de viguier. Ce magistrat, appelé juge de la viguerie, était autrefois chargé de commander à la garde de la ville, d'arrêter les malfaiteurs, vagabonds, etc., de prêter main-forte à l'exécution des décrets du juge ordinaire et autres ; plus particulièrement le viguier était un magistrat de police, officier de robe courte, par opposition au juge ordinaire qui était officier de robe longue. Quelquefois le viguier était, notamment à Toulouse, viguier et juge ordinaire tout ensemble, parce que l'office de juge y avait été supprimé en sa faveur en 1569 ; partout ailleurs il ne pouvait s'entremettre de la justice entre parties. Le viguier était homme d'épée, gentilhomme d'armes, se qualifiant lui-même d'illettré, et, pour ce motif, officier de robe courte. Il siégeait, pour rendre la justice, l'épée au côté, manteau court, toque de velours et bâton vigueral. Le juge ordinaire était gradué, c'est-à-dire docteur ou licencié en droit ; et, pour cette cause, classé parmi les gens de robe longue. Un arrêt du Parlement de Toulouse de 1651 fait défense à tous juges de s'ingérer en la fonction d'aucun office de judicature, qu'ils n'aient le degré de docteur ou licencié, sous peine de faux et de mille livres d'amende. Le viguier de Montauban avait sa juridiction unie à celle

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des consuls de la ville pour les contraventions sur l'exercice de la boucherie, la confection des tonneaux et barriques, l'entretien et réparation du pavé, des rues, chemins, ponts et fontaines de la viguerie ; impositions à ce relatives, portes, murailles et fossés de la ville ; dommages aux champs et récoltes ; mais les consuls étaient tenus d'appeler le viguier à la prononciation des sentences dont il pouvait se rendre appelant, pour injures, bans, péages et autres. La garde de la sûreté de la ville leur était commune, quoique spécialement confiée au viguier, qui ne pouvait être choisi parmi ses habitants. Tel est le résumé des chartes montalbanaises. Le moindre inconvénient de cette réunion était une confusion, sinon un conflit perpétuel entre ces magistrats de la cité et le viguier, dont le dernier titulaire reçut des consuls de la ville de Montauban la somme de 4,000 livres pour le remboursement du prix de son office, qui fut supprimé. La Prévôté ou tribunal de la maréchaussée exerça également une juridiction criminelle pour la répression des crimes importants, comme les vols par attroupement, qui ont longtemps jeté l'effroi sur les grands chemins. On cite, parmi les procès jugés par le grand-prévôt à Montauban, celui de la bande de Pitoche, dont le souvenir est populaire comme une légende du Moyen-âge. Un privilège de Philippe IV accorda aux consuls dont nous avons parlé l'exercice de la justice consulaire criminelle, par concurrence et prévention avec le sénéchal ; et celui de la justice civile, jusqu'à la somme de 12 livres fixée par un concordat de 1620, réglant la juridiction entre les consuls et le sénéchal, tandis qu'auparavant ils pouvaient connaître de toutes sommes indéfiniment. Ces mêmes consuls jugeaient sommairement de plano, sans formalité, les matières sommaires jusqu'à la somme de 10 livres, comme le salaire des gens de service, artisans, loyer de maison, action pour dommages causés par homme ou par bête, jusqu'à quelle somme que ce fût; ils faisaient les règlements de police, statuts et maîtrises, etc. ; ils avaient droit d'avoir des promoteurs pour faire devant eux les réquisitions et insistance, de la manière que faisaient messieurs les gens du roi au sénéchal. Enfin, la ville de Montauban était dotée d'une juridiction consulaire à laquelle tout marchand était soumis; on y jugeait définitivement jusqu'à la valeur de 500 livres. Devant cette juridiction, les billets avaient dix jours de grâce ; et si le protêt n'en était point fait le dixième jour, le porteur restait chargé du billet. Les officiers de ce tribunal de commerce en exercice étaient un juge, quatre consuls ou marchands, deux auditeurs, un greffier, sept huissiers.

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Autre juridiction des manufactures dont les juges étaient le maire, les consuls de la ville, le promoteur, l'inspecteur des manufactures, deux juges adjoints fabricants. Nous aurons achevé d'examiner l'administration de la justice dans les provinces de Quercy et de Guienne, si nous ajoutons qu'au-dessous du sénéchal il n'y avait plus, au XVIIe siècle, que les juges royaux et seigneuriaux qui, dans le pays de droit écrit observé à Montauban, étaient appelés juges bannerets, châtelains, etc. Le seigneur banneret était celui qui avait le droit de porter bannière à l'armée, d'où le juge qui rendait la justice pour lui avait pris son nom. Le juge royal ou seigneurial distribuait communément la justice entre parties; ce qui n'empêchait point qu'il n'y eût des juges commis au jugement de certaines causes privilégiées ; ainsi, ils ne pouvaient connaître des cas royaux, c'est-à-dire des crimes qui portaient atteinte à la majesté et à l'autorité du prince, aux droits de la couronne, à la dignité de ses officiers et à la sûreté publique Cela excepté, ils jugeaient toutes les affaires civiles et criminelles dont les appels étaient dévolus au sénéchal. Telle était dans nos provinces la situation du pouvoir judiciaire à l'époque où la réforme religieuse y avait apporté des éléments de discorde et de troubles qui avaient abouti à une lutte à main armée entre le Roi et la ville de Montauban. L'homme puissant de la monarchie, qu'on pourrait appeler l'homme du siècle, Richelieu, portait fréquemment ses regards sur cette cité indocile qu'il voulait rétablir sous l'autorité royale. Son plan avait été d'obtenir ce résultat par les caresses et les concessions de toute sorte, jusqu'à gratifier d'une pension quelques-uns des chefs des Calvinistes. Une des mesures les plus importantes adoptées pour calmer leur agitation, avait été le retour des tribunaux judiciaires et financiers dans les murs de Montauban, d'où ils avaient été transférés à Moissac, Caylus et à Puylaroque, à cause de la maladie contagieuse qui affligeait en dernier lieu la ville de Montauban. Exil, transfert ou changement qui n'ont laissé aucune trace de blâme sur les représentants de la justice, et qui sembleraient actuellement attentatoires à la dignité de notre magistrature, rassurant du haut de son siège les populations effrayées par l'exemple d'un devoir accompli en face d'un fléau destructeur. Dans le même ordre d'idées, Richelieu avait joint au sénéchal de Montauban un présidial qui devait en rehausser l'importance et l'éclat, en considération des pertes éprouvées par les habitants. Les présidiaux étaient, parmi les tribunaux subalternes, les plus élevés en dignité. Henri II les institua, afin de diminuer le nombre toujours croissant des appels dévolus au Parlement, malgré la valeur minime des causes en litige. Il dut y avoir un présidial dans chaque sénéchaussée ; et dans le Quercy, le

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premier siège en fut fixé à Cahors. La compétence des présidiaux, réglée par les deux premiers articles de l'édit de création, s'étendait, comme juges souverains en dernier ressort, 1° sur toutes les matières civiles n'excédant point la valeur de 250 livres ou dix livres de revenu annuel, de quelque nature que fussent les droits et émoluments en dépendant d'héritages nobles ou roturiers; 2° et à charge d'appel au Parlement, jusqu'à la valeur de 500 livres ou vingt livres de revenu. Il y avait cela de particulier, d'après l'édit, que si la valeur du litige n'était point fixée dans la demande, et si les parties n'en tombaient point d'accord, le défenseur avait l'option d'en être quitte en payant au demandeur la somme de 250 livres, et la décision sur ce point était aussi sans appel; de même, le présidial jugeait en dernier ressort toutes appellations des sièges particuliers dans les causes qui n'excédaient point ce taux de 250 livres. Postérieurement, un édit de 1772 abolit le second chef des présidiaux sur l'objet de 500 livres, et éleva leur compétence jusqu'à la somme de 1,200 livres. Par cette ampliation, ils voulurent s'assimiler aux compagnies souveraines et Ferrière, ainsi que Cujas, blâment cette prétention en termes assez durs, traitant d'absurde cette formule adoptée par plusieurs présidiaux : les gens tenant tel siège présidial.... ou la cour du présidial.... L'édit de création porte que les gages des conseillers, avocats et procureurs du roi y seront de cent livres par an, à prendre par manière d'octroi sur les sommes à imposer par les villes des sièges présidiaux pour chaque minot ou quintal de sel. Plus tard, ces gages furent élevés comme il suit : président, 600 livres; juge-mage, 200 livres; juge criminel, 100 livres; trois lieutenants, 100 livres chacun; deux assesseurs criminels, 100 livres ; deux avocats du roi et un procureur du roi, 100 livres chacun; un conseiller garde scel, 500 livres; un payeur, 500 livres; un contrôleur, 500 livres; secrétaire-clerc, 100 livres. Les audiences du présidial étaient tenues deux fois par semaine : à sept heures du matin, depuis Pâques jusqu'à la fête de Saint-Michel, et à huit heures, depuis celle de Saint-Martin jusqu'à Pâques. Les arrogances, tumultes, débats, noises et irrévérences des avocats, procureurs, sergents, parties ou personnes assistantes y étaient punis d'une amende de soixante sols payable par corps. La juridiction du présidial de Montauban s'étendait sur les judicatures de son élection. Outre la résistance du présidial de Cahors et celle du Parlement de Toulouse, dont nous avons parlé, la plus vive opposition fut faite à l'établissement de ce présidial par les officiers du sénéchal, qui allaient devenir, pourtant, juges présidiaux. Cinq arrêts du Parlement

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attestent cette obstination, due à la prévention dont la ville de Montauban était alors l'objet. Semblable accueil fut fait à la Cour des aides : Richelieu était mort. Les révoltes de Paris et des provinces qui troublèrent la régence d'Anne d'Autriche, empêchèrent l'exécution des plans qu'il avait conçus à l'égard de notre cité, où les partis entretenaient une agitation continuelle. La finesse de Mazarin n'avait imaginé que l'emploi de demi-mesures qui comprimaient les séditieux sans les soumettre. Afin d'y parvenir, Louis XIV, instruit que la plus grande partie des émeutes étaient fomentées à Montauban par les écoliers (la chose, on le voit, n'est pas nouvelle), ordonna que leur collège ou académie fût transféré à Puylaurens. En même temps, malgré les supplications des consuls, il fit raser impitoyablement les fortifications de la ville et le bastion de Montmurat, qui avait soutenu le plus grand effort du siège contre le duc de Mayenne, dont Tallemant desRéaux raconte ainsi la mort : « M. de Mayenne, fils du ligueur, fut tué à Montauban d'un coup de mousquet dans l'œil, comme il regardait entre des gabions. A cette nouvelle, le peuple de Paris, qui le considérait comme le défenseur de la foi, alla brûler le temple de Charenton. Celui qui l'avait tué fut pris et pendu, s'étant vanté étourdiment qu'il avait tué M. de Mayenne. » Montauban fut mis ainsi hors d'état de se défendre ; et c'est alors que l'édit de 1658 ordonna la translation, dans ses murs démantelés, de la Cour des aides établie à Cahors. L'adresse que cette compagnie fit au Roi au sujet de cette spoliation, n'avait qu'une raison à donner tirée d'un droit acquis et de la fidélité que Cahors avait gardée envers la monarchie, par opposition à Montauban, qui avait entretenu la rébellion contre l'armée royale. Or, ces motifs étaient précisément ceux qui avaient déterminé le roi « à augmenter le parti catholique par la création d'une compagnie de justice dont les membres feraient, par leur influence, un contrepoids salutaire aux idées subversives de la réforme protestante. » Il fallut se taire et obéir ; et, le 5 février 1665, la Cour des aides, installée définitivement à Montauban, y tint sa première audience dans une salle du collège des jésuites où elle établit son siège, en attendant que son palais fût prêt pour la recevoir. Ce collège des jésuites était celui même où, revenus à Montauban en 1654, ils s'étaient glissés pendant la nuit, et, par cette prise de possession un peu furtive, avaient contraint les professeurs protestants à leur en céder la moitié et puis le tout, quand ceux-ci furent envoyés à Puylaurens. Bientôt après, la Cour des aides alla occuper le palais disposé dans une maison que les consuls de la ville avaient prise à loyer, au prix de 700 francs par an, pour servir, dit l'acte, à tenir les audiences de messieurs de la Cour des aides. Depuis lors, cette

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rue a pris le nom de rue du Vieux-Palais, car la Cour des aides siégea plus tard dans les bâtiments où sont établis la Bourse et le Tribunal de commerce. Le présidial siégeait dans le même quartier au Château-Royal, bâti par Alphonse Jourdain, et converti maintenant en prison départementale ; le bureau des finances avait ses séances à l'hôtel de la Trésorerie et les consuls dans l'Hôtel-de-Ville. Ce voisinage de plusieurs corps judiciaires engendra des rivalités dans les personnes et les attributions; loin de les faire cesser par sa supériorité, la Cour des aides les augmenta par des prétentions incroyables. Un exemple donnera, mieux que nos réflexions, l'idée de ces tiraillements puérils. C'était en 1708; un conseiller à la Cour des aides prétendit avoir été insulté en paroles au passage de l'Aveyron par un habitant de Montauban. Sur cette plainte, la Cour décréta de prise de corps l'auteur de cette offense. A cette nouvelle, les consuls de la ville portèrent leurs réclamations au Parlement de Toulouse, contre la Cour des aides, qui ne pouvait, disaient-ils, connaître des différends survenus entre ses officiers et les habitants de Montauban, sauf lorsqu'il s'agissait de l'exécution de ses arrêts. En effet, une pareille prétention aurait pour résultat d'ôter aux habitants leurs juges naturels, maxime proscrite par tous les privilèges de nos Rois. Le Parlement ordonna l'apport à son greffe des procès-verbaux et décret de prise de corps ; mais aussitôt, traitant d'égal à égal avec le Parlement, la Cour des aides cassa son arrêt ; trois jours après, nouvel arrêt du Parlement portant évocation du procès. Le débat s'était envenimé, lorsque l'intendant de la Province intervint ; il était temps ; grâce à lui, il fut convenu que cet arrêt du Parlement serait signifié au greffe de la Cour des aides, sans aucune sommation; et que celle-ci, de son côté, ne le casserait point. Tout semblait fini, quand la Cour des aides nia ensuite que la négociation eût été faite par un de ses membres, désavoua l'intendant général, et voulut poursuivre la réparation de son outrage un peu oublié. Celte fois, les consuls élevèrent leur plainte jusqu'au Roi, et sur ce terrain, où le débat devenait une affaire d'état, ils triomphèrent des prétentions de la Cour des aides, qui ne tarda point à prendre une revanche contre ses adversaires, parmi lesquels on rencontre le grand-vicaire de l'évêque de Faudoas, plusieurs trésoriers de France, des membres du présidial et des avocats, derrière les consuls de la ville. En réponse à leurs griefs, la Cour s'était plainte : 1° de ce qu'ils n'avaient pas assisté aux ouvertures de la Saint-Martin pour la reprise de ses travaux. La réplique des consuls fut qu'ils n'y avaient pas été invités ; raison inadmissible, car jamais ils n'avaient manqué de paraître aux solennités de la Cour, quoiqu'il n'y eût pas d'invitation. Un arrêt du conseil du Roi leur adjoignit de s'y rendre; 2° la Cour des aides reprochait aux consuls de n'avoir point visité madame la présidente à l'occasion de

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son mariage : nouvelle injonction de lui rendre immédiatement ces devoirs. Les consuls firent demander à madame la présidente si elle vou-lait les recevoir ; il leur fut répondu affirmativement. En conséquence, la Jurade (c'était le nom des officiers municipaux) se rendit en cérémonie, précédée des pertuisaniers, à l'hôtel du premier président. Dès qu'elle fut introduite jusqu'au seuil des appartements, M. le président en sortit pour lui dire que madame la présidente n'était pas visible, tandis qu'elle était aperçue dans l'intérieur par ces malheureux consuls, obligés de se retirer, dit le narrateur, humiliés et confus de l'affront qu'ils venaient de subir. Après cela, ce degré de prépondérance et d'autorité de la Cour des aides se conçoit aisément, quand on voit sa composition en 1749 : cinq présidents, deux chevaliers d'honneur, vingt-deux conseillers, deux avocats généraux, un procureur général, deux substituts, deux greffiers en chef civil et criminel ; pour la chancellerie, un garde des sceaux, seize secrétaires, un greffier, sept avocats, huit procureurs, cinq huissiers. Pour arriver aux places de président, il fallait faire preuve de cent ans de noblesse. Le prix de leur charge était de 40,000 livres ; celle des conseillers coûtait de 25 à 28,000 livres ; du procureur général, 50,000 livres; des avocats du roi, de 18 à 20,000 livres ; du greffier en chef, 12,000 livres; des secrétaires de la chancellerie, 15,000 livres. Parmi les magistrats qui ont laissé des souvenirs non encore éteints, le premier, dans l'ordre des dates et celui dont le rôle fut le plus considérable dans la province, fut Jacques du Buissons d'Aussonne. Il était président de la chambre des requêtes du palais au Parlement de Toulouse, lorsqu'il fut choisi pour présider la Cour des aides à Cahors et à Montauban ; il avait servi, dans sa jeunesse, en qualité de capitaine dans le régiment du Piémont, jusqu'en 1624, époque à laquelle son père, qui était lui-même président au Parlement de Toulouse, le rappela et lui transmit ses fonctions. Il fut mêlé très activement aux mouvements militaires qui suivirent le siège de Montauban ; et quand la révolte du parti de la Fronde éclata dans Bordeaux, le Quercy fut maintenu dans l'obéissance par le crédit de la Cour des aides et l'intervention du premier président d'Aussonne, qui avait levé, à ses frais, une compagnie de cavalerie et deux d'infanterie. Il y eut des combats assez vifs entre les troupes rebelles et les soldats du premier président, qui resta maître de la province et reçut du duc d'Epernon et du Roi des témoignages de satisfaction, dont le plus formel fut sa nomination comme gouverneur du Quercy. C'est à la tête des troupes soudoyées par la Cour des aides que d'Aussonne, rappelant ses souvenirs de jeunesse, battit les partis des mécontents, contint les autres dans le devoir, et eut même l'honneur de rompre toutes les pratiques du prince de Condé qui avait soulevé le pays,

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entre autres la ville de Lauzerte. Les troupes royales y mirent le siège, qui rencontra une défense opiniâtre, où il périt bien du monde des deux côtés. Enfin, le président d'Aussonne, en ayant pris le commandement, fit donner l'assaut et la ville fut prise ; ce qui assura le triomphe des armes du Roi et la pacification de la province. Ce succès valut au premier président de la Cour des aides trois choses : de la part de la ville de Lauzerte, dix mille livres pour les frais de sa réduction; de la part du Roi, la place de conseiller d'État; et de la part de Mazarin, le surnom de général Cujas ! A sa mort, son fils François-Bernard de Buisson d'Aussonne prit possession de sa charge dont il avait obtenu la survivance avec une pension de 6,000 livres ; comme son père, d'abord il s'était fait d’épée. Il ne quitta qu'à regret le régiment de cavalerie de Saint-Luc où il servait avec le grade de capitaine. Après lui figurent, sur la liste des premiers présidents, trois magistrats du nom de Lefranc, parmi lesquels le plus connu est le poète Lefranc de Pompignan, auteur de la tragédie de Didon et de l'ode sur la mort de Jean-Baptiste Rousseau. Cet exemple de magistrats quittant l'épée pour prendre la robe, s'est reproduit de nos jours dans la personne de M. le baron Séguier, premier président de la Cour de Paris, dont la famille tirait son origine de Montauban. Les ancêtres du chancelier Séguier, garde des sceaux, avaient rempli les charges de sénéchal et gouverneur de la province. Il reste encore dans la rue Saint-Louis, à Montauban, des vestiges de la maison qui a été le berceau de cette famille magistrale. Les places inférieures étaient occupées à la Cour des aides par les personnes les plus considérables de la ville, adonnées à la pratique de la justice et remplissant leurs loisirs par le culte des lettres et des arts. Un grand nombre de conseillers faisaient partie de l'Académie de Montauban fondée en 1750 ; et, comme un témoignage de son amour des beaux-arts, la Cour des aides conservait dans sa grand'salle un tableau de la Justice avec ses attributs, peint par Fragonard en 1752. La tradition, rapportée par M. Hocquart, premier président de la Cour royale de Toulouse, veut que ce tableau ne soit que le portrait de Mme de Bergeret, sa parente, dans le genre particulier à Fragonard, c'est-à-dire une nature nourrie de roses dans le goût de son temps et de son école. C'était une règle générale que tous les tribunaux d'attribution avaient dans leur sein des magistrats chargés du ministère public-, le Roi seul plaidait par procureur. Sans remonter à leur origine, bornons-nous à citer l'ordonnance de 1579, ainsi conçue : Les procureurs généraux et leurs substituts en chacun siège ; pareillement, les procureurs fiscaux des

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seigneurs sont tenus de faire diligence, poursuite et recherche des crimes, sans attendre qu'il y ait dénonciateur ou partie civile. Dans les Cours souveraines, ces fonctions étaient réparties entre un procureur général, deux avocats généraux et des substituts. C'étaient trois ordres d'officiers dont voici les attributions. Tout ce qui ne se jugeait point à l'audience était attribué au procureur général, comme la poursuite des crimes, censure, surveillance intérieure des Cours, exécution des lois et arrêts. Les avocats généraux portaient la parole aux audiences pour les réquisitions, mercuriales et admonitions Le procureur général avait la plume, et les avocats généraux la parole. Les substituts entraient dans la constitution des parquets, mais d'une manière subordonnée, par délégation et à la place du procureur général. Aux cérémonies publiques, le procureur général se plaçait entre les avocats-généraux pour témoigner qu'il était environné de bons conseils. Pour faire ressortir l'indivisibilité du ministère public, quand un de ses membres portait la parole, tous se levaient ; cependant, d'après l'usage, le plus ancien recevait cet honneur, mais ne le rendait pas. Dans la composition de la Cour des aides figurait aussi une chancellerie, c'est-à-dire un lieu où l'on scellait les actes rendus au nom du Souverain. Ses officiers étaient appelés grands-audienciers, contrôleur, garde des rôles, conservateurs des hypothèques, trésoriers, chauffe-cire, cireurs, scelleurs, etc. Un édit de 1557 fixe les droits du sceau, pour chaque arrêt, à cinquante-un sols parisis, sur lesquels le Roi, pour son droit, en prenait quarante-cinq ; pour les secrétaires, cinq sols, et pour le chauffe-cire, douze deniers. Pour chaque lettre de chancellerie, les droits variaient suivant l'objet. Les lettres simples étaient payées six sols parisis. Ces droits furent augmentés en même temps que le nombre des officiers des chancelleries, dont l'office fut porté jusqu'au prix de 26,000 livres. La grande réforme judiciaire enveloppa dans sa suppression ces offices, qui s'étaient multipliés sans utilité pour la justice. On ne garda que la chancellerie pour la conservation des hypothèques, dont le bureau fut transféré dans chaque district, en vertu d'un article particulier que Merlin fit insérer dans le décret du 7 septembre 1790. Il ne faut point confondre les chanceliers des Cours avec les greffiers, chargés de rédiger par écrit les sentences et les arrêts des juges ; ils avaient remplacé les anciens notaires, qui écrivaient leur décision sous leur dictée. Le greffier en chef de la Cour des aides réunissait, en 1692, cet office aux fonctions de maire de la ville de Montauban, dont la charge lui avait coûté aux enchères la somme de 56,000 livres ; plus 5,600 pour deux sols pour livre, moyennant les gages de 1,440 livres par an. Un nouvel édit créa la charge de lieutenant général de police, presque aussitôt incorporée à celle de maire, pour le prix de 40,000 livres ; plus

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4,000 livres pour deux sols pour livre qui furent empruntées à des membres de la Cour des aides et allèrent grossir un instant le trésor royal, que les gages de ses officiers n'étaient pourtant pas faits pour épuiser ; car en voici le bordereau : premier président, 5,000 livres ; chacun des autres présidents, 2,000 livres ; chacun des conseillers, 1,000 livres; le procureur général, 2,000 livres; chacun des avocats généraux, 1,100 livres ; chacun des substituts, 150 livres ; chacun des secrétaires de la chancellerie, 250 livres ; greffier civil, 500 livres; greffier criminel, 150 livres; premier huissier, 90 livres ; les autres huissiers, 20 livres ; puis venaient les contrôleurs, payeurs, receveurs, jusqu'au buvetier garde-meuble gagé à 50 livres. Il est vrai qu'à ces gages s'adjoignaient les droits d'épices et autres qui en élevaient considérablement les profits. Autrefois l'épicerie était une denrée très précieuse. Au nouvel an, aux fêtes des saints patrons, aux mariages, on donnait en présent des paquets d'épices ou boîte de fruits secs et confits. Pour un procès gagné, le plaideur reconnaissant offrait des épices à ses juges, et quoique ceux-ci fussent obligés de rendre une justice gratuite, ils ne croyaient pas offenser la loi en acceptant un don aussi modique. Mais bientôt l'abus s'en mêla ; saint Louis se vit forcé de fixer à la valeur de dix sols les épices qu'il permettait aux juges de recevoir, hormis pour les jugements par défaut, à raison desquels cela leur était interdit. La vénalité des charges fit convertir en argent ces paquets ou boîte d'épices ; et de là vint cette formule qu'on trouve en marge des anciens registres : « Non deliberetur, donec solvantur species. » Telle est l'origine du nom d'épices donné jadis aux honoraires des juges et tourné en ridicule sur la scène comique. Ces droits d'épices appartenaient aux magistrats qui avaient prononcé la sentence, sauf dans quelques tribunaux, comme à la Cour des aides de Montauban, où elle avait établi une société et communauté d'épices, afin d'entretenir l'union et le zèle de ses officiers. Il y avait des receveurs de ces droits, afin que les juges ne pussent pas les recevoir de la main des parties. Rien ne fixait les épices que des ordonnances oubliées qui les portaient au dixième de la valeur du litige, décima litium. Aussi la taxe en était-elle devenue arbitraire, par suite du prix des offices que le titulaire cherchait à couvrir; en effet, outre leur vénalité, il avait à supporter un droit particulier que le Roi retirait annuellement en représentation de la faculté laissée à l'officier de transmettre sa fonction. On appelait ce droit l'annuel ou la Paulette, du nom de Charles Paulet, secrétaire du Roi, qui en avait eu l'idée le premier. Il était fixé à quatre deniers pour livre. Celui qui était en titre d'un office pouvait le céder à prix d'argent, au moyen d'une résignation ; mais d'après l'édit de François Ier, qui introduisit cette vénalité, cette cession n'était valable qu'à la condition que le résignant survivrait quarante jours après la résignation ; or, c'est pour jouir de cette faculté, dont l'événement était incertain, que, par le conseil

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de Sully ou de Paulet, les titulaires furent admis, à la place de la survie des quarante jours, à payer au Roi un droit annuel dont le premier fermier fut Paulet, qui lui donna son nom. Si nous considérons, à la distance qui nous sépare de ces temps, le nombre et l'importance des corps judiciaires établis à Montauban, nous verrons que cette cité était une des plus considérables du midi de la France : juridiction des consuls, viguier, juge ordinaire, sénéchal et présidial, élection, bureau de la trésorerie, Cour des aides, voilà quelles étaient ces corporations où, malgré les abus qu'on leur a reprochés, on trouvait aux avantages de la fortune les qualités de l'esprit et du cœur, réunis dans les représentants de la justice. Frappée par la réaction qui supprima toutes les institutions monarchi-ques, Montauban devint un modeste chef-lieu d'arrondissement du département du Lot, jusqu'au jour où la main réparatrice de Napoléon arrondit autour de cette cité le compas qui forma le département de Tarn-et-Garonne ; mais ce qui était tombé en 1790 ne fut point relevé. La Cour des aides avait disparu, sauf quelques-uns de ses membres, replacés dans le tribunal de première instance, comme pour raconter aux nouveaux magistrats la grandeur et la décadence de ceux que l'organisation judiciaire avait dispersés.

Deuxième partie Après avoir indiqué avec une longueur et un entraînement facile à comprendre de notre part, la constitution de la Cour des aides à Montauban, nous rechercherons la nature et l'étendue de ses travaux. L'histoire des sociétés modernes, plus qu'une autre, nous apprend qu'entre le Souverain qui demande l'impôt et le sujet qui le paie, il y a lutte et tiraillement. Tous les gouvernements, même ceux qui avaient la prétention d'être à bon marché, ont fait rendre à l'impôt tout ce qu'il pouvait donner. C'est par le complet développement de cette maxime que nos budgets se sont enflés, pour justifier probablement cet autre principe de Montesquieu, que plus un peuple a de libertés, plus il doit payer d'impôts. Quoi qu'il en soit de la vérité de ces doctrines, contentons-nous, en étudiant l'action de la justice en matière de finances, d'examiner quelle était la juridiction et la compétence de la Cour des aides.

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Cicéron dit au Traité des devoirs que, dans la nature des choses, tout semble d'abord appartenir à tous ; mais que, réunis en société, les hommes ont attaché au sol leur personnalité par le travail de leur vie tout entière. C'est le droit de propriété puisé à sa source. Or, la jouissance de ce droit a exigé des sacrifices que la société impose, sous forme de redevance, au possesseur de cette terre dont les poètes ont chanté la fécondité. D'un autre côté, l'échange de ces choses que Dieu créa dans toutes les parties de l'univers pour notre félicité commune, c'est-à-dire le commerce et l'industrie, ont besoin d'une protection qui entraîne une taxe basée sur les produits de ce mouvement général ; à mesure qu'un peuple se crée des besoins, il achète plus cher ses satisfactions ; en cela peut-être l'adage de Montesquieu est véritable. Les offrandes en argent faites aux Rois par les grands vassaux, ni les aides gracieuses supportées par les assemblées des Etats, ne suffirent pas longtemps aux besoins toujours croissants de la Monarchie. La défense du territoire, les guerres féodales, le mariage de la fille aînée du seigneur, la promotion du fils aîné en qualité de chevalier, les croisades en Terre-Sainte et sa rançon, s'il était prisonnier, avaient multiplié les cas spécifiés pour lever cet impôt et les objets qu'il devait atteindre. C'était les denrées et marchandises en général, parmi lesquelles nous citerons le sel, le salpêtre, les boissons et comestibles, le fer, l'or et l'argent, la droguerie, laine, fil, tabac, péages, lettres de maîtrise, parchemin et papier timbré, les cuirs et toutes les matières qui ne pouvaient entrer en France de l'étranger, ni circuler de province à province, sans payer, pour l'entrée ou la sortie, des droits de traite ou grande gabelle ; véritable douane intérieure dont la perception soulevait des contestations sans fin jugées par les greniers à sel, traites foraines et juge des fermes ressortissant de la Cour des aides. L'impôt territorial, établi sous le nom de fouage, était un cens exigé par le seigneur pour chaque feu ou habitation de ses sujets ou bien tenants. Il était donc réparti par feux, suivant cette charte : « De même, trois deniers parisis pour chaque feu de ses habitants. » Mais que fallait-il entendre par feu ? Nul ne le savait au juste. Primitivement le feu désignait un foyer, une maison, un ménage, une famille. On disait : tenir feu et lieu. En 1292, Paris avait 61,000 feux, et chaque feu se composait de quatre, cinq personnes et quelquefois plus, formant une population de près de 300,000 âmes, et payant un impôt de 1,200,000 livres, la cote la plus faible étant de douze deniers. La signification du mot feu avait été étendue arbitrairement et ne répondait plus à rien. Le mot de fouage lui-même fut remplacé par celui de taille, droit levé sur les champs, ratione proediorum, par les seigneurs ou par le Roi, uniquement selon leur volonté. Cette différence entre l'aide et la taille cessa au commencement

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du quinzième siècle. Jusqu'au règne de Charles VII, il n'y eut aucun élément propre à déterminer l'assiette de ces impôts désormais confondus. Les cadastres furent faits assez tard et si grossièrement, qu'autant valait qu'il n'y en eût point. Avant leur confection, le contribuable était tenu de déclarer l'état de son héritage et de ses meubles. Si la déclaration était reconnue fausse, il perdait les biens qu'il avait voulu soustraire à l'impôt. Au temps de Philippe le Bel, la taille était du cinquantième de la valeur des biens immeubles (les meubles étant évalués à la moitié). On payait donc deux pour cent de la valeur du bien ; s'il était d'une valeur au dessous de 100 livres, on payait par livre une obole, c'est-à-dire la moitié d'un denier. Des auteurs ont avancé que la taille avait été établie en vue du rachat du service militaire, dû sans discontinuité au seigneur ; ceci pourrait expliquer l'exemption accordée aux nobles qui faisaient métier des armes et aux ecclésiastiques qui en étaient exclus. La taille ne portait que sur les biens ; de sorte que les nobles, possesseurs de terres non nobles, payaient la taille pour ces terres; tandis que les roturiers qui possédaient des terres nobles ne la payaient point ; cependant à la longue la taille pouvait être réelle et personnelle. La taille, soit personnelle, soit réelle, atteignait les valets, serviteurs, roturiers, marchands, artisans, laboureurs, praticiens, procureurs, officiers, tabellions, notaires, etc.... Au contraire, les officiers du Roi, les nobles, les ecclésiastiques, les pauvres et les écoliers en étaient exempts. Il était donc essentiel de connaître exactement les personnes qui devaient être exonérées de la taille et celles qui devaient y être assujetties. C'était la mission principale de la Cour des aides. Colbert fit dresser en 1669 un cadastre pour la généralité de Montauban, où la taille était réelle, c'est-à-dire perçue sur les biens-fonds ; mais ce cadastre défectueux souleva des réclamations, à la suite desquelles on accorda des remises, sous le nom de trop allivré et de moins imposé. On comptait dans cette généralité onze élections soumises à la juridiction de la Cour des aides ; et deux mille cent quatre-vingt-treize communautés sur lesquelles il fallait répartir l'impôt, d'après leur division en douze mille feux, du feu en cent bellugues ou étincelles, et de la bellugue en quarts. La population de la Haute-Guienne s'élevait à près de huit cent mille âmes ; ce qui porte le nombre de ses habitants à soixante-six par feu, et non à cinq, comme pour la ville de Paris, et prouve que le mot de feu ne reposait sur aucune base mathématique; il en est de même de la bellugue susceptible d'être divisée en quarts ou fractions. Du reste, toutes

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ces divisions ou subdivisions restaient sans contrôle dans la plénitude du pouvoir administratif, représenté par l'intendant de la province. Quand la somme d'argent qui devait être levée annuellement dans le royaume avait été arrêtée au conseil du Roi, le secrétaire d'Etat intendant des finances fixait la portion afférente à chaque généralité et à chaque élection. Après cela, l'intendant de la province procédait à la répartition de l'impôt que devait supporter chacune des communautés. C'était donc lui qui demeurait chargé du travail le plus important. Il adressait pour cet objet des commissions contenant les tailles à lever dans chaque localité, après avoir admis ou rejeté les réclamations des taillables, auxquels il ne restait aucun recours contre sa décision. Finalement, la taille était répartie entre les biens tenants de la communauté par les consuls, à qui cette dernière opération était confiée. Chargés de la confection des rôles, ils y procédaient avec l'assistance des collecteurs et de deux notables habitants le plus justement qu'il était possible, en comprenant dans ces rôles tous les contribuables pour les héritages roturiers qu'ils possédaient dans la communauté. Quant aux taxes des biens meubles portées sur le registre appelé compoix, elles étaient abandonnées à la conscience des prud'hommes et des consuls pour apprécier les facultés mobilières, trafic, industrie comprenant les cabaux, meubles lucratifs, deniers à intérêts, rentes, etc.. Cet impôt était du dixième dans les villes; du douzième dans les bourgs; et du quinzième, partout ailleurs, de leur estimation; ce qui serait un impôt sur le revenu, tel que nous le concevrions aujourd'hui. Le bureau de l'élection vérifiait ce premier travail des officiers des communautés et envoyait annuellement dans chaque paroisse, et non deux années de suite dans la même, un de ses membres en chevauchée pour s'informer si, par crainte ou connivence, ils avaient omis de comprendre dans les rôles tous les biens assujettis à la taille. Le plus difficile était d'en faire la levée, car l'énormité de l'impôt arrivait à ce point que plusieurs contribuables aimaient mieux abandonner la terre que la cultiver pour en verser le produit dans les mains du fisc. Dans ce cas la terre était confisquée au préjudice du propriétaire, auquel, par commisération, on avait accordé la faculté de rentrer dans son bien pendant dix ans ; terme du retrait limité ensuite à trois ans seulement. De plus, le possesseur de biens qui étaient de rapport et d'autres biens qui ne l'étaient pas, ne pouvait abandonner le bien qui ne produisait pas, sans abandonner en même temps celui qui produisait. Colbert améliora cette situation en généralisant dans toutes les provinces son cadastre à la place des anciens rôles des communautés. C'était un progrès. La ville de Montauban ne s'en contenta point; elle fit dresser, avec non moins d'imperfection que le premier, un second cadastre dont voici les bases : «Les maisons y furent classées en neuf degrés, tarifés le premier à raison

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de cinq sols la canne carrée ; le deuxième de quatre sols ainsi de suite, jusqu'au neuvième degré imposé de cinq deniers par canne carrée. » Les biens ruraux y furent divisés en sept degrés, payant le premier une livre douze sols par sétérée ou 2,640 cannes carrées ; et le septième huit sols pour la même contenance. Les jardins potagers, parterres, etc., suivirent une classification les uns de quatre, les autres de trois degrés ? Malgré celte distribution, la taille fut toujours arbitraire. On accusait le fisc de partialité ; on le couvrait de ridicule, on l'accablait de malédictions, mais on payait. La communauté de Montauban payait une contribution dont le mouvement donnera l'idée de l'impôt que la France a supporté depuis deux siècles. La mande de la taille, imposée en 1659, portait que la généralité de Montauban devait payer 892,648 livres, somme sur laquelle la part afférente à l'élection de Montauban était de 67,567 livres, et celle de la juridiction de la ville de 7,948 livres cinq sols. En 1701, époque de la confection du cadastre de Colbert, la généralité payait une taille de 2,800,000 livres; l'élection 502,254 livres ; et la ville enfin 59,165 livres 13 sols 3 deniers. Dans le moment actuel, la commune de Montauban paie un impôt direct de 260,000 francs environ, c'est-à-dire une contribution six fois plus élevée pour le moins. Notons, pour être exact, que la livre tournois valait près de deux centimes de moins qu’un franc de notre monnaie. Reste que la taille était, il y a un siècle, du sixième du revenu, et par conséquent n'aurait pas été exorbitante, si l'inégalité de sa répartition ne l'avait pas rendue odieuse, et si plusieurs impôts accessoi-res, pour l'entretien du collège, les crues de garnison, les ponts et chaussées, campement des troupes pendant l'hiver, n'avaient élevé les rôles de la ville de Montauban à la somme de 65,428 livres. Sous le litre d'impôt direct, il y avait encore la capitation qui grossissait non seulement, par l'accroissement de la population, mais par une cotisation des plus arbitraires. A la révocation de l'édit de Nantes, il y avait à Montauban 40,000 âmes ; de nombreuses émigrations de familles protestantes suivirent cette mesure, au point qu'en 1791 on n'y comptait plus que 28,000 habitants, sur lesquels plus de 2,000 ne payaient aucune taxe ; aujourd'hui elle n'en a guère que 26,000 environ. Quoi qu'il en soit de ces supputations, difficiles à compléter, retenons que dans le ressort de la Cour des aides de Montauban chaque feu payait 252 livres 4 sols 5 deniers, c'est-à-dire 22 livres 5 sols par tête. En dehors de cette taxe, on imposait, sur le même rôle que la taille, d'autres droits, tels que l'ustensile ou taillon, montant au tiers de la taille ; la subsistance, destinée sous Louis XIV à faire subsister les soldats dans les quartiers d'hiver ; enfin les vingtièmes, c'est-à-dire un droit de 2 sols pour livre ; ce qui, en trois fois, éleva l'impôt à 16 livres 10 sols pour cent, et dans

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certaines communautés jusqu'au tiers du produit des terres ; car plus le taillable augmentait ses revenus, plus sa taille croissait d'après l'opinion que les collecteurs avaient de sa richesse. Il n'y avait d'exemption que pour la dîme en faveur des nobles, des commerçants et des soldats. Moïse établit, dit-on, le premier la dîme comme impôt. En France, elle avait été volontaire avant de devenir obligatoire. On a soutenu qu'elle était le meilleur des impôts, parce qu'elle n'avait jamais ruiné personne ; on cite à l'appui l'exemple du champart favorable à l'agriculture dont il augmentait les revenus; mais ce qu'on ne peut nier, c'est que la dîme était une redevance odieuse par sa forme et attentatoire à la dignité de l'homme en lui rappelant sa condition de serf. Dans la Haute-Guienne, on était affranchi des corvées pour les chemins ; cet usage féodal n'existait pas dans les pays régis par le droit romain. Les grandes routes n'y ont été établies que vers l'année 1780 au moyen d'un fonds commun, et particulièrement d'une somme de 800,000 livres que le Roi allouait, chaque année, à la province pour les ateliers de charité, institution perfectionnée par Turgot pour assurer du travail pendant l'hiver aux pauvres des campagnes. Hélas ! ce qu'a fait la démocratie moderne de cette œuvre charitable, on le sait : elle en a fait les ateliers nationaux ! La taille une fois établie, restait à en faire l'application sur les biens de la communauté. Si les possesseurs s'efforçaient d'augmenter le nombre des exemptions, le fisc s'attachait à le réduire. La plupart des non-valeurs procédaient de la nobililé des héritages, très souvent usurpée pour se soustraire à l'impôt. Les biens n'étaient déclarés nobles que par des actes de concession ou autres titres réguliers antérieurs à l'année 1600 ; tandis que les biens ennoblis depuis cette époque devaient être imposés, sauf à être remboursés de l'indemnité payée pour cet ennoblissement. Il y avait là une pépinière de procès devant la Cour des aides, où la multiplicité et la longueur des procédures était telle, qu'il fallut lui enjoindre de ne rendre qu'un seul arrêt pour descente sur les lieux et vérification. La nobilité des fonds avait un caractère indéterminé parce que le possesseur y apportait des présomptions tirées de sa qualité pour réclamer l'immunité de la taille. Qu'était-ce que des biens nobles ? On appelait ainsi d'abord les biens appartenant aux églises de fondation royale, à moins que le titre d'acquisition ne portât avec lui la preuve de la roture ; puis les biens possédés par les seigneurs justiciers et les biens donnés en inféodation par le Roi, les églises ou les seigneurs, suivant la preuve renfermée dans

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les titres primordiaux. Malgré cette désignation claire et simple, jamais il n'y eut de matière plus confuse, soit parce que les titres étaient incomplets, obscurs, équivoques, soit parce que tout le monde paraissait s'entendre pour tromper le fisc. Souvent, après avoir obtenu de la Cour des aides un arrêt pour jouir provisoirement des biens prétendus nobles, le contribuable en restait là, et se maintenait dans cette jouissance, tolérée par les consuls des communautés elles-mêmes. Indépendamment des exemptions de la taille accordées aux possesseurs des biens nobles, il y en avait aussi pour la noblesse personnelle, dans les rangs de laquelle on cherchait à pénétrer pour user de ses prérogatives nombreuses. Cette noblesse renfermait plusieurs classes : -La noblesse de nom, d'extraction ou de roche, dont l'origine était inconnue ; -La noblesse de race ou de parage transmise par la ligne paternelle ; -La noblesse par lettres conférées par le Roi pour des services rendus ; -La noblesse de robe ou d'office attachée à certains offices de judicature ; -La noblesse de finance se disait des titres de noblesse achetés moyennant une somme d'argent; -La noblesse d'épée acquise l'épée à la main, à une époque déjà reculée ; -La noblesse militaire appartenant à des roturiers parvenus à certains grades dans l'armée; -La noblesse de la cloche comprenant les maires, échevins, consuls et capitouls, qu'elle déchargeait de la taille, moyennant une somme d'argent payée sur le pied du denier douze de leurs biens taillables. La manie des faux nobles et des titres d'emprunt n'est pas le ridicule particulier et propre de notre société démocratique. De tout temps, on a vu poindre des prétentions nobiliaires chez des roturiers, envieux de décrasser le vilain. Louis XIV créa un jour cinq cents nobles, dont un à Montauban paya 6,000 livres une honorabilité dont sa vie, consacrée à servir son pays, pouvait fort bien se passer. L'usurpation des titres de noblesse était frappée d'une amende de 2,000 livres, et néanmoins les faux nobles se multipliaient; il fallait en faire un triage long et difficile. Confiée d'abord à des commissaires royaux, cette recherche n'avait rien produit, lorsque la connaissance des procès concernant la noblesse personnelle fut renvoyée aux Cours des aides; et de cette façon sa compétence embrassa la nobilité des personnes comme celle des fonds de terre qu'elle avait déjà. Parmi les attributions de la Cour des aides, il faut citer le règlement des contestations élevées entre les comptables et les tiers, qui étaient ou leurs

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victimes ou leurs complices, quand il s'agissait de soustraire à l'action du fisc le gage qui assurait au Roi le recouvrement de ses deniers. Il y avait des comptables qui employaient une partie de l'argent du trésor public en acquisition de meubles, maisons et terres; et quoique le Roi pût prétendre au privilège et au droit de suite sur ces propriétés, ils faisaient porter leur acquisition sous le nom de leurs femmes, après en avoir obtenu frauduleusement la séparation ; ou bien, ils faisaient intervenir un associé, un parent, un créancier, de sorte que les droits de l'Etat finissaient par être absorbés par l'énormité des frais et les longueurs des procédures. Afin de remédier à cet abus, la Cour des aides reçut le pouvoir d'évoquer de toute juridiction les procès relatifs au maniement des deniers des comptables. Une autre matière d'attribution était relative aux comptes et dettes des communautés. A chaque instant, les villes contractaient des emprunts sans règle et sans limite, et nous ajouterons sans trace d'aucun emploi. Au bout d'un an, les maires ou consuls résignaient leur charge entre les mains de nouveaux officiers municipaux ; de comptes, état de situation ou pièce justificative, il n'en était pas question. A leur tour, ceux qui administraient la communauté imitaient leurs prédécesseurs ; et dans l'espace de quelques années, cette situation engendrait une complication et un désordre tels que les dettes absorbaient, avec les revenus de la communauté, tous ses biens fonds. Alors, pour faire face à ces embarras, il fallait recourir à des impositions arbitraires de toute sorte ; car les fonds annuellement alloués pour l'entretien des ponts, pavés, murailles, réédifications des églises, maladie contagieuse et autres calamités publiques, n'arrivaient jamais à leur destination, quand leur gestion échappait au reproche d'indélicatesse quelquefois encouru par de pareils administrateurs. Un semblable état de choses ne sera pas surprenant, quand on saura que, depuis cinquante ans, aucun compte n'avait été fourni par les communautés de la généralité de Montauban, lorsqu'en 1688 un édit régla la forme de liquidation de leurs dettes; et lorsqu'un arrêt de la Cour des aides ordonna, sur la plainte du procureur général du Roi, que toutes les communautés de son ressort rendraient compte depuis trente ans de leur administration. Eluder un arrêt de Cour souveraine serait une œuvre difficile à tenter et surtout à accomplir. Au temps dont nous parlons, c'était plus aisé. En 1710, les consuls de la ville de Montauban obtinrent du conseil du Roi un arrêt par lequel les auditeurs, chargés de la révision de leurs comptes depuis 1780, seraient nommés par la communauté, sauf l'approbation de l'intendant général. C'était être juge et partie dans sa cause ; du moment que la nomination des auditeurs appartenait à ceux qui rendaient les comptes, toutes les réclamations étaient étouffées. Par cet arrêt, ajoutaient les consuls, Sa

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Majesté avait eu l'intention de dépouiller la Cour des aides de la connaissance des comptes des communautés. Tout ce que put obtenir cette Cour fut que l'appel de la décision de ces auditeurs serait porté devant elle. Consuls, auditeurs, trésoriers, tout le monde semblait d'accord pour dilapider l'argent de la ville tant l'examen et le contrôle de ses finances étaient difficiles. En vain le trésorier devait fournir caution pour assurer le paiement des deniers publics; cette caution était reçue sans vérification. Le plus souvent insolvable, elle ne supportait pas la discussion. Quand le comptable était en déficit, on déclarait sa caution insolvable, voilà tout. Cette tolérance des auditeurs et des consuls avait entraîné les trésoriers dans l'abus déplorable de porter en recette leur reliquat. Cette pratique durait depuis vingt ans et passait à leurs yeux pour un droit ; si bien qu'après l'avoir signalée dans son réquisitoire, le procureur général était obligé de couvrir ce passé d'immunité, afin de ne pas jeter la perturbation dans les familles de ces comptables, et de porter uniquement ses vues sur l'avenir, en leur inhibant de passer en recette le reliquat de leurs deniers, et de présenter de mauvaises cautions sous la responsabilité des consuls, pour eux et leurs héritiers. A cette sanction pécuniaire, l'arrêt de la Cour des aides ajouta des condamnations corporelles qui auraient dû arrêter ces prévaricateurs, tels que le premier consul de Fourmagnac, accusé d'avoir soustrait son article du rôle de la taille, d'avoir augmenté, diminué et supprimé d'autres articles, et condamné pour ce méfait à servir pendant trois ans, en qualité de forçat, sur les galères du Roi. Si la Cour des aides avait dû réprimer seulement les malversations des agents du fisc, le mal eût sans doute été arrêté par la terreur de ses châtiments ; mais elle rencontrait l'opposition du pouvoir administratif dans les poursuites du comptable infidèle, protégé par les consuls de la communauté et les gouverneurs de la province. C'est ainsi que le collecteur de Montégut, dans la généralité d'Auch, voulut se perpétuer dans sa charge, malgré l'élection d'Astarac et la Cour des aides, il parvint à obtenir l'intervention de l'intendant de la généralité d'Auch, qui le maintint dans l'exercice de ses fonctions. Il ne fallut rien moins qu'un arrêt solennel de la Cour des aides pour mettre un terme à ce conflit, dont le scandale annonçait une faiblesse regrettable dans les pouvoirs publics de ce temps-là. En dernier lieu, les auditeurs des comptes durent être supprimés à cause de leur complicité à peu près habituelle avec les trésoriers des commu-nautés, dont les comptes durent être portés directement à la Cour des aides et clôturés en dernier ressort.

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Pour en finir avec les consuls, dont l'immixtion dans les finances entraînait de si grands désordres, il faut dire que leur élection pouvait être annulée par la Cour des aides, et rappeler la double fonction dont ils étaient chargés. Ainsi, dans la généralité de Montauban, tous les consuls avaient la direction de la police et même la connaissance d'une contestation civile, jusqu'à la somme de douze livres ; tandis que quelques-uns parmi eux n'étaient que collecteurs simples, il en résultait que les appels de l'élection des consuls ayant juridiction étaient dévolus au Parlement, au lieu que les appels de l'élection de ceux qui étaient simplement collecteurs appartenaient à la Cour des aides. En dehors de sa juridiction, le comté de Foix, le Nébouzan, dont le chef-lieu était à Saint-Gaudens, et les quatre vallées d'Aure, Neste, Barousse et Magnoac, compris dans l'étendue de son ressort, s'administraient eux-mêmes relativement à leurs impôts, parce qu'ils étaient pays d'Etat. Néanmoins, ces pays ainsi appelés à cause de leurs franchises et privilèges, étaient justiciables de la Cour des aides pour les droits sur la marque de fer, la traite foraine, et pour ceux qui étaient prélevés sur les denrées et marchandises au profit du Roi. À travers tous ces obstacles, les idées marchaient vers des réformes utiles que les assemblées provinciales voulaient appliquer très résolument. Celle de la Haute-Guienne, tenue à Villefranche, se préparait à les réaliser, en 1780, par un nouveau système financier, au moment où la révolution éclata, pour précipiter par des mesures violentes les plans que Fénelon, nommé par Louis XIV l'esprit le plus chimérique de son siècle, avait proposés relativement aux impôts par la division de la France en vingt provinces avec leurs Etats particuliers, chargés de les voter annuellement. Nous aurons achevé de faire connaître les attributions de la Cour des aides, si nous ajoutons qu'une quantité considérable de ses arrêts n'ont d'autre objet que d'autoriser la confection de nouveaux cadastres et l'établissement des impôts destinés par les communautés à amortir leurs dettes arriérées.et intolérables ; enfin, tous les décrets, déclarations du Roi, arrêts de ses conseils devaient être enregistrés pour avoir force d'exécution. L'ordonnance de Moulins avait permis aux Parlements d'adresser au Roi leurs observations sur la matière de ses ordonnances. Or, l'on sait comment ces Cours supérieures avaient usé et abusé de ce droit de remontrance si cher à leur autorité. La Cour des aides jouit aussi de cette prérogative ; en voici un exemple relatif à la nomination d'un Chevalier d'honneur, conseiller d'épée, qui devait prouver sa qualité de noble par des titres réguliers : « Par délibération secrète, la Cour arrête que M. le premier président écrira à M. le chancelier pour le prier de recommander au juge d'armes de

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France, Pierre d'Hozier, d'apporter une attention particulière aux preuves de noblesse de ceux qui veulent être en la Cour chevaliers d'honneur. » Préludant à sa fin, la Cour des aides enregistra, dans l'année 1790, tous les décrets rendus par l'Assemblée nationale, notamment sur la division de la France en 85 départements, l'aliénation de quatre cents millions de biens domaniaux et ecclésiastiques ; l'abolition de la gabelle, des droits féodaux, enfin le décret qui renvoie aux assemblées de département les contestations en matière d'impôts directs, formant un ensemble de législation au bout duquel devaient aboutir, avec un autre régime financier, la suppression des Cours souveraines et le remaniement de l'ordre judiciaire tout entier. Il nous reste à parler des attributions de la Cour des aides en matière de justice criminelle. Il n'y avait pas, à vrai dire, une section exclusivement chargée de juger les procès criminels ; c'était la Cour des aides, composée des membres de service, qui statuait sur les plaintes portées devant elle, par appel ou par évocation, en réparation des crimes et délits de sa compétence. Plusieurs édits des derniers Rois attribuaient aux Cours des aides la connaissance des actions criminelles imputées à leurs membres, et des règlements avaient déjà décidé que les préposés des gabelles, traites et tailles, juges des greniers à sel et des élections, n'étaient justiciables que de cette Cour. Celle-ci, portée naturellement à élargir le cercle de ses prérogatives, se crut autorisée à revendiquer le jugement des procès dans lesquels ses membres et ceux des tribunaux inférieurs avaient un intérêt étranger à leur office. Ainsi, nous l'avons vue luttant contre les magistrats consulaires de Montauban et contre le Parlement lui-même à l'occasion d'une plainte dans laquelle les fonctions magistrales n'étaient pas atteintes le moins du monde. Une autre fois, elle voulut juger un quidam surpris en adultère avec la femme d'un élu ; c'était pousser bien loin cet esprit de famille qui permettait à la Cour des aides de juger les officiers des justices de son ressort. Venaient ensuite les causes criminelles concernant les agents du trésor, commis des fermes, gens des gabelles, collecteurs, etc. La. Cour des aides était fort sévère à leur égard, et même aurait dû l'être davantage, en raison de leurs méfaits, où souvent les moyens les plus odieux assuraient au coupable une scandaleuse impunité. L'énumération des crimes communs jugés par la Cour des aides est répandue dans les règlements faits sur chaque matière où il fallait réprimer la fraude. Indiquons seulement les principaux : par exemple, les crimes de lèse-majesté, punis de mort contre les perturbateurs du repos

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public ; les auteurs de faux bruits tendant à empêcher la levée des impositions ; les contrebandiers faux saulniers, etc., les peines des galères, du fouet, du carcan, amende, saisie, confiscation des biens, et bannissement des provinces du ressort de la Cour, étaient prononcées dans des cas qui sembleraient aujourd'hui suffisamment frappés d'une peine de simple police. Pour donner une idée des rigueurs du système de répression employé contre ces malfaiteurs, nous citerons le fait suivant : Cinquante contrebandiers, dont le nombre s'éleva jusqu'à cent quarante, armés, équipés à cheval, firent leur entrée vers Milhau, du Languedoc en Rouergue, dans l'année 1754. Ils apportaient du tabac en fraude. De gré ou de force, ils avaient vendu une grande quantité de cette marchandise dans tout le pays, jusqu'à Saint-Rome du Tarn, lorsqu'à la première résistance des agents du fermier du Roi, l'un de ceux-ci fut assassiné. De là, les meurtriers pénétrèrent, les armes à la main, dans la ville de Rhodez, et y forcèrent l'entrepreneur des tabacs à leur en acheter douze quintaux pour 2,496 livres. A la nouvelle de ces attentats, la Cour des aides rendit, contre ces bandits et leurs soutiens, un arrêt d'information. Mais, loin d'en être intimidés, ces contrebandiers se recrutèrent de nouveaux adhérents, et c'est alors qu'au nombre de cent quarante ils entrèrent dans la ville du Puy, où ils pillèrent aussi la maison de l'entreposeur. Celui-ci, aidé de ses préposés, se défendit courageusement, et dans cette lutte blessa grièvement cinq ou six des assaillants, qui ne purent être emportés par leurs camarades. Nouvel arrêt qui ordonna le dépôt des blessés dans les prisons de Montauban. Les déclarations de ces malheureux ayant amené l'arrestation de leurs complices, ils furent tous condamnés, sous le nom de contrebandiers de Rhodez, comme coupables de meurtre, pillage et contrebande à main armée, à la question ordinaire et extraordinaire, à faire amende honorable devant l'église de Notre-Dame de Montauban, à avoir les bras, cuisses et reins rompus vifs sur un échafaud de la place Royale, leur corps mis sur une roue tant que Dieu leur conservera vie ; le corps du contrebandier désigné par la qualification de Major, sera mis en quatre quartiers, la tête séparée du corps, attachée sur une des portes de la ville de Rhodez ; les jambes, bras et tronc exposés sur des roues plantées sur le chemin par où les contrebandiers sont entrés de Languedoc en Rouergue. Au bas de cet arrêt, on lit : « Le présent arrêt a été exécuté en présence des huissiers de la Cour... et du soussigné, commis greffier, le 15 mars 1755; Delbreil, signé. » Les peines portées par cette sentence étaient les dernières dans l'échelle de la législation criminelle de ce temps ; et, malgré le meurtre du préposé des fermes de Saint-Rome du Tarn ; malgré la contrebande organisée par attroupement, il serait difficile d'en faire comprendre la nécessité à des esprits que la civilisation a accoutumés à d'autres tempéraments de nos

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lois. En matière de contrebande, l'amende non payée était convertie, sur la simple requête du fermier, en la peine des galères pour les vagabonds, voituriers, crocheteurs, gens de peine ; en la peine du fouet, pour les femmes ou filles de cette qualité. Il en était de même pour les faux-saulniers qui portaient dans une province du sel étranger, c'est-à-dire ne provenant pas des greniers du Roi. Les nobles assez lâches pour commettre le faux-saulnage étaient déchus, eux et leur postérité, des avantages de la noblesse ; et, de plus, leurs maisons et châteaux devaient être rasés et démolis. La preuve de ces crimes résultait des procès-verbaux des gardes du fermier; sauf, pour compléter l'information, à recourir à la question tortionnelle. Il y avait, comme on sait, deux sortes de questions : la question provisoire, tendant à faire avouer le crime capital, quand il n'y avait point de preuves suffisantes ; et la question préalable ou définitive, pour forcer le coupable à faire connaître ses complices. La question, soit provisoire, soit définitive, se divisait aussi en question ordinaire et question extraordinaire, donnée tantôt à l'eau, tantôt au brodequin. La question à l'eau se donnait ainsi : l'accusé ou le condamné était étendu sur un banc, attaché par les bras et les jambes à des anneaux de fer et lié avec des cordes. Dans cette posture, on lui faisait boire une quantité d'eau au moyen d'une grosse corne, pour l'ordinaire quatre pots d'eau ; pour l'extraordinaire neuf pots d'eau. Le brodequin s'appliquait en mettant les jambes du patient dans des ais et des coins pour serrer les jambes à coups de maillet, le tout serré et garrotté avec des cordes ; on frappait ensuite pour l'ordinaire sept coups de maillet; pour l'extraordi-naire neuf coups, suivant la prudence du commissaire. Car il fallait un procès-verbal dressé par le juge de tout ce qui s'était passé dans la question : nombre de pots d'eau, coups de maillet interrogatoire et réponses de l'accusé. D'après la formule : - au premier pot d'eau, au premier coup de maillet, l'accusé a dit.... - Quel protocole !.... Chaque tribunal de justice avait un mode particulier pour appliquer la question. La justice consulaire de Montauban en usait ainsi : le condamné était suspendu à des poulies par des cordes passées sous l'aisselle ; et dans cette position, on lui attachait aux pieds des poids dont la grosseur était graduée selon les effets qu'on voulait obtenir de cette torture. Poids, cordes et poulies sont restés aux archives municipales, de même qu'à la conciergerie de la Cour des aides un fauteuil, sellette ou appareil ayant servi à donner la question. Hâtons-nous de dire que, dès 1681, plusieurs magistrats avaient écrit contre l'emploi des tortures, comme moyen de preuve inutile au point de vue de la justice autant qu'outrageant pour la dignité humaine.

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Cet aperçu, jeté rapidement sur la justice criminelle de la Cour des aides, prouve que sa compétence était absolue, et qu'en matière d'impôts elle prononçait souverainement toutes les condamnations, depuis l'amende pécuniaire jusqu'à la peine de mort et ses tristes accessoires. Nous ne dirons, en finissant, qu'un mot de la procédure suivie devant cette Cour, comme devant le Parlement, en vertu de l'ordonnance de 1667. On plaidait devant la Cour des aides de Montauban par le ministère de huit procureurs et de six huissiers, chargés des actes de la procédure. Il ne pouvait y être donné d'ajournement en dernier ressort qu'en vertu des lettres de chancellerie, commission ou arrêt ; sauf pour les ducs et pairs, les pauvres et les hôpitaux, que cette ordonnance exceptait de cette formalité préliminaire. Quand on avait obtenu permission d'assigner devant la Cour, l'ajournement était donné à personne ou domicile par un huissier assisté de deux témoins, en observant les délais de huitaine pour ceux qui demeuraient dans la ville, siège de la Cour ; de quinzaine pour ceux qui habitaient à dix lieues ; d'un mois pour ceux qui étaient à cinquante lieues, dans le ressort de la Cour, et de deux mois pour ceux qui se trouvaient au dehors. Les affaires s'instruisaient sur les mémoires et les requêtes des parties présentés par leurs procureurs, et se distribuaient ensuite entre les conseillers rapporteurs chargés de la rédaction des arrêts, dont la minute, écrite de leur main, porte, avec leur signature et celle du Président, cette note marginale habeat cinquante écus ; quelquefois plus, d'autre fois moins, et pour les clercs du rapporteur deux écus, quatre écus. Ces arrêts ne contiennent que le visa des pièces et point de motifs. Le greffier en avait un registre d'audience ou plumitif, tenu très régulièrement depuis 1655. Quant aux dépens, nulle trace de liquidation dans les arrêts. Il y était procédé d'après un tarif, du 1er septembre 1722, fixant les droits des greffiers, procureurs et huissiers, à qui l'on recommandait, sans cesse et sans succès, la modération dans la taxe des frais ; témoin un arrêt qui, sur les conclusions des gens du Roi, réduisit, dans une sentence du juge des traites foraines de Nogaro, la taxe due au rapporteur et aux opinants à vingt écus, modéra proportionnellement la taxe du procureur du Roi, et ordonna que tant les uns que les autres restitueraient le surplus de ce qu'ils avaient reçu et seraient jusques à ce interdits. En matière criminelle, les actions étaient portées devant la Cour des aides par le procureur général dans tous les procès où le Roi et le public avaient intérêt, et sur la plainte du directeur général des fermes dans les délits à ce, relatifs. L'accord ou transaction entre lui et les délinquants faisaient cesser les poursuites. La Cour rendait un arrêt d'information, de prise au corps, d'écrou, et nommait un de ses membres pour y procéder.

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L'arrêt de condamnation ou d'acquittement intervenait sur cette procédure. Nous avons déjà dit que la liberté individuelle n'avait pas toutes les garanties désirables dans ces formes de jugement ; mais nous rappellerons, une fois de plus, que les magistrats furent les premiers à demander leur révision, et que plusieurs d'entre eux expièrent, sans les avoir méritées, les rigueurs reprochées aux lois pénales de leur siècle. Aux partisans de la statistique, nous pourrons dire que, pendant les années de 1642 à 1790, la moyenne des arrêts rendus par la Cour des aides a été de 70 par année, et nous répéterons en même temps que ce corps de justice était appelé à rehausser par son éclat la ville de Montauban. M. le rapporteur de l’Académie, fait remarquer qu'à la suite de cet exposé historique, l'auteur a placé la liste des premiers présidents, procureurs généraux et greffiers en chef de la cour des aides de Montauban, depuis son origine jusqu'à sa suppression. La publication de cette nomenclature, à coup sûr, fort intéressante pour la province qui y retrouve, en grand nombre, ses noms les plus vénérés, n'a que peu d'importance au point de vue général et historique, bien qu'elle atteste les efforts les plus laborieux et les plus patientes recherches. M. le rapporteur propose enfin de décerner le titre de correspondant à M. Taupiac, auteur de cet important travail. Il sera statué sur ces conclusions à la prochaine séance.