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Université Jean Moulin Lyon 3 Ecole doctorale : Droit La contribution de l’ordre juridique communautaire à la définition du siège social en droit international privé des sociétés par Clément MOGAVERO Thèse de doctorat en droit des affaires sous la direction de Cyril NOURISSAT soutenue le 17 novembre 2008 Composition du jury : Cyril NOURISSAT, professeur à l’université Jean Moulin Lyon 3 Laurence RAVILLON, professeure à l’université de Bourgogne Louis d'AVOUT, professeur à l’université Jean Moulin Lyon 3 Véronique MAGNIER, professeure à l’université Paris XI

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Université Jean Moulin Lyon 3

Ecole doctorale : Droit

La contribution de l’ordre juridique communautaire à la définition du siège social en droit international privé des

sociétés

par Clément MOGAVERO

Thèse de doctorat en droit des affaires

sous la direction de Cyril NOURISSAT

soutenue le 17 novembre 2008

Composition du jury :

Cyril NOURISSAT, professeur à l’université Jean Moulin Lyon 3

Laurence RAVILLON, professeure à l’université de Bourgogne

Louis d'AVOUT, professeur à l’université Jean Moulin Lyon 3

Véronique MAGNIER, professeure à l’université Paris XI

3

L’université Jean Moulin Lyon 3 n’entend donner aucune

approbation ni improbation aux opinions émises dans la thèse,

ces opinions devront être considérées comme

propre à leur auteur.

1

INTRODUCTION ................................................................................................................9

PREMIERE PARTIE: LA CONSECRATION DU RATTACHEMENT PRINCIPAL

AU SIEGE SOCIAL STATUTAIRE.................................................................................41

TITRE I : UNE TENDANCE DOMINANTE EN FAVEUR DU SIEGE STATUTAIRE

DANS L’ORDRE JURIDIQUE COMMUNAUTAIRE....................................................43

Chapitre I Une tendance suscitée par des sources variées issues du Droit positif communautaire des

affaires...................................................................................................................................................................43

Section I : Le constat de la prévalence d’une définition favorable au siège social par l’examen des sources

droit positif communautaire ..............................................................................................................................44

I) Deux bases légales au service du principe de liberté d’établissement des personnes morales : les articles

43 et 48 du Traité de la Communauté Européenne.......................................................................................44

A) L’article 43 du Traité, une disposition en faveur de la liberté d’établissement lacunaire s’agissant des

établissements principaux et du siège social............................................................................................45

B) L’article 48 du Traité se prononçant légitimement pour la définition du siège social statutaire.........48

1°) L’article 48 du Traité s’appliquant aux sociétés, une disposition en faveur du siège statutaire....48

2°) L’article 48 consacrant le libre choix du siège statutaire et de loi applicable aux personnes

morales................................................................................................................................................51

II) Une possibilité textuelle d’invoquer également le siège statutaire et le siège réel ....................52

Section II : Le siège statutaire enfin consacré par le Droit positif des procédures d’insolvabilité

communautaires ................................................................................................................................................55

I) Une nécessaire uniformisation du siège dans les procédures d’insolvabilité............................................56

A) Le siège de l’entreprise en droit français, un critère éludant la dimension internationale de la

procédure .................................................................................................................................................56

1°) Les fondements théoriques de la faillite internationale .................................................................57

2°) Une conception mixte du siège social en droit français des procédures collectives marquée par

l’alternative entre le siège de l’entreprise et le centre principal des intérêts du débiteur ....................58

B) Un droit conventionnel des procédures collectives consacrant timidement le siège statutaire ...........61

1°) Quatre conventions bilatérales et anciennes en faveur de l’unicité de la faillite s’agissant de la

détermination du siège ........................................................................................................................61

2°) La convention multilatérale d’Istanbul, un préalable salutaire au Règlement communautaire du

31 mai 2000 s’agissant de la définition du siège.................................................................................64

II) La présomption de principe du siège statutaire attendue et expressément affirmée par le règlement du 29

mai 2000 .......................................................................................................................................................67

2

A) Le règlement consacrant des règles de compétences juridictionnelles et le centre des intérêts

principaux du débiteur le triomphe apparent du siège statutaire..............................................................68

B) Le triomphe du siège statutaire terni par la caractère imprécis de la notion de centre des intérêts

principaux du débiteur .............................................................................................................................71

Chapitre II Une approche statutaire renforcée par l’apport significatif du droit prétorien communautaire

...............................................................................................................................................................................74

Section I : La liberté d’établissement, un fondement juridique approprié au siège statutaire ...........................75

I) Une trilogie jurisprudentielle libérale militant en faveur du siège statutaire s’agissant de l’Etablissement

secondaire .....................................................................................................................................................76

A) Le siège statutaire consacré avec vigueur par trois arrêts fondateurs de la C.J.C.E. ..........................76

1°) Une trilogie jurisprudentielle opérant un militantisme en faveur du siège statutaire ....................77

2°) Les enseignements d’une trilogie favorable au siège statutaire ....................................................89

B) Une jurisprudence timide s’agissant du siège statutaire de l’établissement principal.........................92

1°) Une solution jurisprudentielle défavorable à la conception statutaire du siège social de

l’établissement principal .....................................................................................................................92

2°) La discussion autour de l’incidence de l’arrêt Überseering sur le siège social de l’établissement

principal ..............................................................................................................................................95

Section II : Une clarification jurisprudentielle du siège social en droit européen des procédures

d’insolvabilité ...............................................................................................................................................97

I) Une clarification jurisprudentielle justifiée par une réticence des Etats membres à appliquer l’article 3 du

Règlement du 29 mai 2000...........................................................................................................................98

A) Une clarification opportune, conséquence de l’application extensive du centre des intérêts principaux

du débiteur ...............................................................................................................................................99

B) Une application extensive justifiée par le principe de prévisibilité de la procédure collective.........101

II) La présomption de localisation en faveur du siège statutaire enfin renforcée par le droit prétorien

communautaire ...........................................................................................................................................103

A) L’arrêt Eurofood clarifiant la notion autonome de centre des intérêts principaux du débiteur.........104

B) La présomption de situation du centre des intérêts principaux au siège statutaire du débiteur, une

consécration conforme à la liberté d’établissement ...............................................................................106

TITRE II : LES EFFETS JURIDIQUES D’UNE DEFINITION COMMUNAUTAIRE

EN FAVEUR DU SIEGE STATUTAIRE .......................................................................111

Chapitre I La conséquence immédiate et souhaitable de la définition proposée par l’ordre juridique

communautaire : Le siège social statutaire, vecteur de mobilité des sociétés dans l’espace communautaire

.............................................................................................................................................................................112

3

Section I : Une consécration propice aux transferts intracommunautaires des établissements secondaires mais

limitée..............................................................................................................................................................113

I) Le constat de la consécration de l’incorporation s’agissant du transfert de siège social.........................114

A) Une situation initiale critiquable car défavorable au transfert du siège social..................................114

1°) L’existence d’obstacles légaux au transfert du siège social ........................................................114

2°) La conception réaliste du siège social dominante en droit prétorien freinant le transfert du siège

social .................................................................................................................................................117

B) Le transfert de l’établissement secondaire rendu possible par les arrêts Centros et Überseering ....120

II) Le cas problématique du transfert du siège de l’établissement principal intra et extra communautaire et

le débat sur la pertinence du siège réel .......................................................................................................122

A) Les difficultés de réalisation du transfert de l’établissement principal en raison d’une définition

restrictive du siège social et en l’absence de convention le régissant ....................................................122

B) Une situation de blocage pourtant non irrémédiable.........................................................................125

Section II : L’ordre juridique communautaire consacrant une conception souple du siège et un ensemble

normatif favorable aux opérations de fusions transfrontalières.......................................................................127

I) Des difficultés initiales pour réaliser des fusions transfrontalières en l’absence d’initiative de l’ordre

juridique communautaire ............................................................................................................................128

A) L’état des lieux de la fusion transfrontalière jusqu’en 2005 ou la chronique d’un échec

communautaire ......................................................................................................................................128

B) Un échec prévisible en raison d’obstacles juridiques et politiques ...................................................130

1°) Les fusions transfrontalières paralysées par des obstacles juridiques et fiscaux relevant du droit

international des sociétés ..................................................................................................................131

2°) Des obstacles politiques liés à la réticence des Etats membres ...................................................133

II) L’apport de l’ordre juridique communautaire relatif au fusions transfrontalières, la conception

prétorienne statutaire du siège social consacrée par l’avènement de la 10e directive .................................135

A) Une impulsion prétorienne en faveur des fusions transfrontalières favorisée par le rattachement au

siège statutaire .......................................................................................................................................135

1°) L’arrêt Sevic System ou la consécration prétorienne de la fusion transfrontalière fondée sur la

liberté d’établissement. .....................................................................................................................135

2°) Une définition statutaire du siège favorable aux fusions transfrontalières implicitement affirmée

dans l’arrêt Sevic Systems ................................................................................................................139

B) La consécration du siège statutaire par l’avènement de la 10e directive relative aux fusions

transfrontalières .....................................................................................................................................140

1°) Une conception souple du siège social contenue dans la 10e directive .......................................140

2°) L’édiction de règles matérielle rendant possible les opérations de fusions transfrontalières ......141

4

Chapitre 2 : les implications indirectes du rattachement souple au siège statutaire favorisant le law

shopping et la recherche d’attractivité du droit par les Etats membres........................................................146

Section I: L’avènement du siège statutaire impliquant un law shopping sujet à discussion............................146

I) Essai de définition de la notion de law shopping ....................................................................................147

A) La notion internationaliste de forum shopping inspiratrice du law shopping ...................................147

B) Une définition a priori du law shopping ou l’optimisation juridique et fiscale.................................149

II) La domination du siège statutaire favorisant le law shopping au sein de l’Union européenne et source de

débats..........................................................................................................................................................151

A) Une tendance incitative au law shopping s’agissant du libre établissement des sociétés .................152

B) Une tendance paradoxalement hostile au forum et au law shopping dans le cadre des procédures

d’insolvabilité communautaires .............................................................................................................156

Section II Le law shopping engendrant une mise en concurrence contestée des droits internes des Etats

membres ou l’effet delaware déduit du siège statutaire ..................................................................................159

B) Des mesures françaises opportunes dans le sens d’un regain attractivité du droit des sociétés ........162

II) Une définition souple du siège social et le law shopping engendrant un nivellement par le bas des

législations internes sociétaires...................................................................................................................164

A) L’élaboration de textes de modernisation et son aspect qualitatif ....................................................164

B) Le law shopping, vecteur contestable d’un effet Delaware et d’un nivellement des législations par le

bas..........................................................................................................................................................165

1°) Une définition libérale du siège social impliquant l’effet Delaware en droit communautaire des

affaires ..............................................................................................................................................166

2°) L’effet discutable du law shopping et du triomphe de l’incorporation : le nivellement par le bas

des droits nationaux des sociétés.......................................................................................................168

DEUXIEME PARTIE : LE RATTACHEMENT SUBSIDIAIRE AU SIEGE REEL OU

LA DOMINATION DU SIEGE STATUTAIRE A NUANCER .....................................174

TITRE 1 : DES REEQUILIBRAGES OPERES PAR L’ORDRE JURIDIQUE

COMMUNAUTAIRE EN FAVEUR DU SIEGE REEL.................................................176

Chapitre 1 : Un rééquilibrage paradoxal s’agissant de la Société Européenne (S.E.) ................................176

Section I : La mobilité des sociétés possible par l’apport de la Société Européenne ......................................177

I) Un instrument juridique unique permettant le transfert du siège social au sein de l’Union européenne 178

A) Les modalités et les effets d’un transfert enfin réalisable .................................................................178

B) La situation paradoxale d’un transfert restreint ................................................................................180

II) La Societas Europaea réalisant les opérations de fusions intra communautaires..................................182

A) Des conditions de mise en œuvre et des effets attractifs s’agissant de la fusion transfrontalière .....183

5

1°) Une mise en œuvre de la mobilité par la fusion facilitée par le règlement 2157/2000................183

2°) Les effets attractifs de la fusion intra communautaire dans le cadre de la Société Européenne..185

B) Une opération de fusion intra communautaire entravée par un rattachement trop rigide .................188

1°) Le régime de la fusion dans la cadre de la Société Européenne soumis au rattachement rigide du

siège réel ...........................................................................................................................................188

2°) Des obstacles provenant également des modalités de constitution de la Société Européenne ....190

I) Un rattachement au siège réel justifié par des raisons historiques et politiques......................................193

A) Le rattachement strict de la Société Européenne au siège réel justifié par une Histoire tumultueuse

...............................................................................................................................................................194

1°) Des premiers pas difficiles en raison de la participation des travailleurs et de l’opposition

entre siège réel et statutaire 194

2°) Un projet relancé mais avorté......................................................................................................196

3°) La relance du projet par l’initiative Davignon puis le compromis de Nice sur la Cogestion ......198

B) Les justifications politiques au refus de la Societas Europaea .........................................................201

II) Le rattachement à priori paradoxal de la Societas Europaea au siège réel exprimé par l’article 7 du

Règlement 2157/2000.................................................................................................................................202

A) Une situation contradictoire dans l’ordre juridique communautaire entre deux modes de

rattachement distincts s’agissant de la Société Européenne et des sociétés nationales..........................203

1°) Un rattachement surprenant au siège réel....................................................................................203

2°) Des raisons évidentes au rattachement paradoxal au siège réel ..................................................206

B) Les interrogations légitimes relatives aux règles applicables à la Société Européenne ....................208

1°) Le rattachement au siège réel de la Société Européenne ou la cause d’un immobilisme latent ..209

2°) Une société au corps de règles applicables à coloration nationale et non communautaire..........210

C) Un rattachement au siège réel également présent dans le cadre de la Société Coopérative Européenne

et du Groupement Européen d’Intérêt Economique...............................................................................216

1°) La Société Coopérative Européenne influencée par le rattachement au siège réel de la Societas

Europaea...........................................................................................................................................216

2°) Le rattachement au siège réel du Groupement Européen d’Intérêt Economique ........................219

Chapitre 2 : Les exceptions de protection au siège statutaire à faible portée juridique en droit

international privé et communautaire ou la tentative de rééquilibrage opérée au profit du siège réel......222

Section I : Les moyens juridiques existants mais restreints des lois de police et de fictivité du siège ............222

I) La définition réelle du siège social par le biais de fondements devenus inefficients depuis l’intervention

de la C.J.C.E. ..............................................................................................................................................223

A) Le recours au siège réel opportunément fondé par l’application des lois de police..........................223

1°) Essai de définition des lois de police ..........................................................................................223

2°) L’application des lois de police en droit international des sociétés et en droit communautaire..226

B) Le fondement de la fictivité du siège invoqué à l’encontre de la domination du siège statutaire .....232

6

1°) Essai de définition de la fictivité du siège social.........................................................................232

2°) Les personnes ayant qualité pour soulever la fictivité.................................................................235

3°) La manifestation de la fictivité dans le cadre de la mobilité du siège social ...............................236

A) Le fondement de loi de police considérablement affaibli par le droit prétorien communautaire......237

B) Le fondement de l’usage abusif de la liberté d’établissement fortement limité par l’intervention de

l’ordre juridique communautaire ...........................................................................................................242

1°) L’usage abusif d’une liberté communautaire constituant un éventuel fondement au siège réel..242

Section II : La fraude, une exception au siège statutaire vidée de son contenu par l’ordre juridique

communautaire ................................................................................................................................................247

I) Une notion affaiblie par l’émergence d’une fraude communautaire.......................................................248

A) L’absence d’une définition unitaire de la fraude à la loi préjudiciable au recours au siège réel.......249

1°) Une tentative de définition a priori de la fraude à la loi en matière de siège social ....................249

2°) Les éléments constitutifs de la fraude à la lex societatis .............................................................250

a) L’acte matériel de manipulation de la règle de conflit .............................................................251

b) Une mobilité frauduleuse intentionnelle ..................................................................................252

c) Une loi originairement désignée par le conflit de loi détournée ...................................................253

B) La fraude communautaire marquant le renforcement de la conception statutaire du siège par l’ordre

juridique communautaire .......................................................................................................................255

1°) L’arrêt Centros consacrant une définition mesurée de la fraude à la loi .....................................255

2°) Le principe de fraude communautaire vidé de son sens par l’arrêt Inspire Art ...........................260

TITRE II : LES EVOLUTIONS SOUHAITABLES DE LA DEFINITION DU SIEGE

SOCIAL, UNE DOMINATION DU SIEGE STATUTAIRE ASSOCIEE AU SIEGE

REEL ................................................................................................................................265

Chapitre I : Des évolutions opportunes et favorables au siège statutaire envisagées par l’ordre juridique

communautaire ..................................................................................................................................................266

Section I : Une harmonisation communautaire souhaitée de la définition du siège en faveur du rattachement

statutaire ..........................................................................................................................................................266

I) Le rejet de l’éventuelle unification du siège autour de la conception réelle ...........................................267

A) L’hypothèse de l’unification autour de la conception réelle du siège...............................................267

II) Le choix satisfaisant d’une uniformisation de la notion au profit de la conception statutaire ...............270

A) Le débat préalable portant sur le choix entre une uniformisation communautaire des règles de droit

international privé relatives au siège social et une codification nationale .............................................270

B) Une unification souhaitable de la notion de siège social au profit du siège statutaire ......................272

Section II : Promouvoir une meilleure articulation en droit communautaire entre le rattachement de la Société

Européenne et celui des sociétés anonymes de droit interne ...........................................................................277

7

I) Des perspectives d’évolution du rattachement de la Société Européenne à la faveur de l’article 69 du

Règlement 2157/2000.................................................................................................................................277

A) L’existence de l’article 69 du Règlement 2157/2000 où l’éventuelle évolution du rattachement de la

Societas Europaea .................................................................................................................................278

B) Une réflexion légitime sur l’éventuelle issue de l’article 69 du Règlement relatif à la Société

Européenne ............................................................................................................................................280

II) L’orientation opportune de l’ordre juridique communautaire vers une Société Privée Européenne fondée

sur le rattachement au siège statutaire ........................................................................................................282

A) La Société Européenne, une structure figée car inadaptée à la réalité économique et peu propice à la

mobilité des sociétés ..............................................................................................................................283

2°) une entité juridique jugée trop institutionnelle et rigide par la doctrine et les praticiens ............284

B) La création de la Société Privée Européenne, une structure adaptée aux contraintes des entreprises et

bénéficiant éventuellement d’un rattachement souple au siège statutaire..............................................287

1°) Une société particulièrement adaptée aux exigences de souplesse et de liberté contractuelle ....289

2°) La Société Privée Européenne, une entité au statut de droit européen accompagnée d’un mode de

rattachement restrictif .......................................................................................................................291

Chapitre 2 : Une définition du siège social par l’ordre juridique communautaire perfectible quant à son

unification et à ses tempéraments .....................................................................................................................295

I) Une définition insuffisante du siège en droit positif et matériel en raison de l’inexistence d’un texte de

coordination................................................................................................................................................298

A) Des textes communautaires d’harmonisation relatifs au rattachement des personnes morales

lacunaires ...............................................................................................................................................298

B) La perspective des Etats généraux du droit international privé pour repenser le système de

rattachement des personnes morales ......................................................................................................302

II) La nécessité d’une réflexion des Etats membres en faveur du siège statutaire ou l’exemple allemand 305

A) Une modification de système de rattachement inattendue de l’Allemagne, Etat emblématique de la

Sitztheorie ..............................................................................................................................................306

Section II : Un rééquilibrage du rattachement des sociétés opéré par une revitalisation des exceptions au siège

statutaire ..........................................................................................................................................................312

I) Le fondement juridique de la fraude, une notion à revitaliser.................................................................312

A) Re-dynamiser l’exception de fraude dans le cadre de la liberté d’établissement..............................313

1° ) Une définition trop restrictive de la fraude au sens de l’arrêt Inspire Art ..................................313

2°) Rétablir l’équilibre présenté dans l’arrêt Centros .......................................................................315

B) L’exception de fraude minimisée par l’arrêt Eurofood en droit des procédures collectives

communautaires.....................................................................................................................................316

II) Le rétablissement d’une conception plus large de l’abus de droit communautaire et de la fictivité du

siège social .................................................................................................................................................319

8

A) L’usage abusif du droit communautaire, un fondement à revigorer .................................................319

B) Encourager l’élaboration d’une définition plus souple de la fictivité du siège et de l’ordre public..322

1°) L’éventuelle renaissance de l’exception de la fictivité du siège..................................................322

2°) Un rééquilibrage entre la domination du siège statutaire et la survivance des lois de police......324

CONCLUSION GENERALE ..........................................................................................327

TABLE CHRONOLOGIQUE DES PRINCIPAUX JUGEMENTS, ARRETS, AVIS ET

DECISIONS CITEES.......................................................................................................331

INDEX ALPHABETIQUE ..............................................................................................333

BIBLIOGRAPHIE ...........................................................................................................338

9

Introduction

Dans son discours du 21 mars 1943 au peuple britannique, le Premier Ministre Winston

Churchill s’exprimait ainsi: « C’est en Europe qu’ont racine la plupart des causes qui nous

ont menés à ces deux guerres mondiales. C’est en Europe que vivent les races mères qui ont

engendré presque toute notre civilisation occidentale. C’est une tâche pleine de noblesse que

de prendre part à la restauration de la véritable grandeur de l’Europe. » Ces mots porteurs

d’espoir, prononcés durant l’une des plus sombres pages de notre Histoire moderne, ont

considérablement inspiré la naissance et l’élaboration d’une communauté d’abord précaire,

réduite, voire promise par certains à l’échec.

En effet, l’Europe a débuté son histoire à six membres. Elle en compte aujourd’hui vingt-sept.

Quel chemin parcouru depuis la déclaration, en 1950, de Robert Schuman, jetant les bases de

l’actuelle Union européenne!

Cette dernière fut bien souvent le théâtre d’improbables compromis, d’âpres négociations

diplomatiques mais aussi de projets considérables et réunificateurs. Car l’Europe, c’est aussi

et surtout la conscience d’appartenir à un héritage culturel et à une Histoire commune.

Ainsi, la genèse de l’Union Européenne provient d’une alliance relative au Charbon et à

l’Acier amélioré par la suite en un terrain de coopération économique et qui s’étendit peu à

peu aux domaines des douanes, de l’agriculture, de la politique étrangère ou encore de la

justice.

L’Europe, c’est le terreau favorable à l’intégration entre les Etats membres. De surcroît,

l’Union européenne, c’est aussi un ensemble institutionnel favorisant une action concertée.

Plus précisément, le droit européen des affaires mais aussi le droit de la concurrence s’est

construit à partir des quatre libertés d’établissement et de circulation instaurées par le Traité

de Rome de 1957. Depuis lors, il n’a eu de cesse d’évoluer et de se perfectionner.

10

Cependant, le développement des relations commerciales entre Etats membres de l’Union fut

parfois entravé par des divergences de législations internes. La Commission européenne tenta

dans un premier temps d’établir une harmonisation et une coordination de ces dernières. Pour

ce faire, cette instance s’intéressa notamment aux règles relatives aux principaux acteurs de la

vie économique européenne, les entreprises.

Or s’agissant du siège social, objet de notre étude, le lecteur est d’emblée soumis à une

difficulté. En effet, il n’existe pas de définition uniforme du siège social en droit international

privé des sociétés. Au contraire, en matière de rattachement des sociétés, les textes et la

jurisprudence se référent tantôt à la notion souple de siège statutaire, tantôt à celle de siège

réel, plus contraignante. Les contours de la définition sont donc flous. Or, aborder le siège

social semble désormais une nécessité en ce sens que dans un contexte d’économie

mondialisée, les opérateurs économiques n’évoluent plus sur un marché unique mais bien

souvent dans plusieurs Etats à travers des structures dites secondaires (filiales ou succursales)

ou principales. Se pose ainsi le problème de la mobilité des sociétés. L’appréhension de la

matière par le droit international privé s’avérant lacunaire, une clarification de ce concept

établie par l’ordre juridique matériel et prétorien communautaire a semblée légitime.

A titre liminaire, il convient de déterminer l’enjeu que pose le siège social en droit

international et communautaire des sociétés. En effet, cette notion est fondamentale en ce

sens qu’une société, personne morale, se définit par son siège de même que l’un des

principaux attributs d’une personne physique est son domicile ou résidence. Surtout, le siège

social apparaît comme un élément nécessaire afin, d’une part, de déterminer la nationalité

d’une société et d’autre part de constituer le rattachement juridique de cette dernière. En

outre, une fois l’importance de la notion de siège démontrée, il s’agit de définir a priori et

globalement de ce concept puis d’affiner l’analyse autour de deux théories juridiques

opposées : l’incorporation anglaise et de la Sitztheorie allemande. Or, le constat réel d’une

absence ou d’une tentative infructueuse de définition du siège social en droit international et

communautaire des sociétés s’impose .

1. Le siège social se révèle juridiquement utile en droit international et communautaire

des sociétés car il constitue, d’une part, le principal critère de détermination de la nationalité

11

des sociétés et d’autre part le lien juridique avec l’Etat d’accueil de la personne morale, c'est-

à-dire son rattachement .

2. La question de la nationalité des sociétés est riche de nombreux développements

doctrinaux et de conséquences pratiques. Elle appelle deux considérations. En premier lieu, il

s’agit de s’interroger sur la pertinence de ladite notion pour ensuite envisager le rôle joué par

le critère du siège social dans la détermination de la nationalité .

3. Une société, personne morale de droit privé, possède t-elle à l’instar d’une personne

physique une nationalité ? Il est peu de dire que la question a été l’objet d’un grand débat

doctrinal1. En effet, la loi applicable au fonctionnement de la société serait celle de sa

nationalité. Si cette notion est connue des juristes européens, elle ne figure dans aucun texte

ou décision jurisprudentielle 2 .Le Tribunal des conflits l’a d’ailleurs expressément affirmé,

dès 1959, dans un arrêt Société Mayol, Arbona et Compagnie. Selon celui-ci « La nationalité

des sociétés n’est définie par aucun texte général 3 ». Du fait de ce vide juridique, certains

auteurs internationalistes tels Niboyet ont remis en cause son application aux sociétés en

analysant ce lien entre Etat et personne morale de droit privé que comme un contrat

insusceptible de rapports politiques (la nationalité étant pour cet auteur un rapport d’ordre

politique entre l’individu et l’Etat)4. D’autres, tels le professeur Paul Le Cannu jugent le

concept « décalé »5. De manière plus tranchée, le professeur Bernard Audit affirme que le

concept de nationalité est inapplicable aux personnes morales6. A l’évidence, le concept de

1 A. Auternne et T. Bosly, « La Mobilité Transfrontalière des Sociétés en Droit Européen », Evolutions et

Perspectives du Droit des Sociétés Anno 2006, Ed. Bruyliant 2006, p 359 et ss. 2 M. Menjucq, Droit International et Européen des Sociétés, Coll. Domat Droit Privé, Montchrestien 2001, p. 15

à 18, n° 10 à 13. 3 T. C, 23 nov. 1959, Société Mayol, Arbona et Cie., D 1960, jur. p. 223, note Savatier ; JCP G 1960, II, n°

11430, note Aymond. 4 J- P. Niboyet, « Existe-t-il vraiment une nationalité des sociétés ? », Rev. Crit. DIP. 1927, p. 401. 5 P. Le Cannu, Droit des Sociétés, Coll. Domat Droit Privé, Montchrestien 2003, 2ème Ed., p 252, n° 441 : la

nationalité des sociétés serait un concept décalé par rapport à celle des personnes physiques car elle n’aurait pas

le même contenu . S’agissant des personnes morales, la portée de ladite notion serait empreinte de relativité. 66 B. Audit, Droit International Privé, Economica 2006, 4e Ed., p. 747, n° 926.

12

nationalité des sociétés n’emporte pas toutes les conséquences politiques qu’englobe celui

ayant trait aux personnes physiques. En réalité, il semblerait que le conflit porte d’avantage

sur la terminologie « nationalité » que sur ces effets7. En ce sens, selon Niboyet, il eut été plus

heureux d’évoquer à ce sujet une « allégeance » que le mot susvisé8. Plus récemment, le

professeur Michel Menjucq a souligné que ce concept peut s’appliquer aux personnes morales

« à condition que l’on adopte pas une définition trop précise »9. Ainsi, pour une majorité

d’auteurs, une société peut effectivement se définir par sa nationalité laquelle résulte d’un lien

juridique et politique : les sociétés s’établissant dans un Etat agissent loyalement envers leur

hôte en ce sens qu’elles contribuent à la prospérité économique de ce dernier. Nécessairement,

une personne morale de droit privé est rattachée à un Etat. Précisément, cette assertion trouve

sa vérification dans l’article 60 de la Loi du 24 juillet 1966 codifié à l’article L 210- 3 du

Code de commerce français10. Ce texte dispose que « Les Sociétés dont le siège social est

situé en territoire français sont soumises à la loi française. » Ainsi, peut-on légitimement

affirmer que le droit français reconnaît-il dans une certaine mesure la nationalité des sociétés

par le prisme du territoire11.

Pour conclure, si l’existence d’une nationalité des sociétés sui generis n’est pas avérée et reste

l’objet de débats doctrinaux, il n’en demeure pas moins que la question conserve un intérêt

dans un contexte de mondialisation économique. Plus précisément, cette notion permet de

maintenir un lien entre un Etat et les entreprises qui en sont ressortissantes, le premier des

deux tentant de préserver la compétitivité des secondes.

En outre, l’intérêt de la notion de nationalité des sociétés réside dans le fait de conférer au

siège social un rôle prépondérant dans sa définition.

7 M. Germain, Traité de Droit Commercial Tome 1- Volume 2 Les Sociétés Commerciales, LGDJ, 2002, 18e éd.,

p. 110 à 111, n° 1146. 8 J- P. Niboyet, Traité de Droit International Privé, Sirey, 2ed. 7 vol. et tables, 1947- 1951, Tome II, n° 753. 9 M. Menjucq, Op. Cit., p. 17, n° 13 10 Voir sur ce point l’analyse de Y. Chartier, Droit des Affaires Tome 2 Sociétés Commerciales, PUF, 1996, p. 83 à 87. 11 Le Code civil, en son article 1837 al. 2, prévoit également cette solution.

13

4. Afin de cerner les contours de la nationalité des sociétés, l’usage de critères doit être

envisagé. Ceux- ci au nombre de trois s’opposent, se concurrencent, la Cour de cassation

optant pour celui du siège social, objet de notre étude.

5. Il existe trois critères principaux d’attribution de la nationalité d’une société. L’enjeu

du débat est double. Avant de trancher en faveur de l’un, il convient tout d’abord de

s’interroger sur l’opportunité d’opter pour un critère unique ou pour une utilisation plurale.

6. Comme il a été mentionné ci-dessus, deux tendances s’affrontent en doctrine

s’agissant de l’attribution de la nationalité, l’une partisane d’un critère unique, l’autre militant

pour une utilisation plurale d’indices12. Selon la première école, dont fait partie le professeur

Pierre Mayer, il est nécessaire de recourir à un seul critère, quel que soit le cas d’espèce, ce

qui aurait le mérite de la lisibilité et de la prévisibilité. Ainsi, nationalité de la société et la loi

qui régit son fonctionnement dit lex societatis- notion évoquée ci-après- coïncident. Cette

tendance semble majoritaire en doctrine.

7. A l’opposé, la seconde tendance estime que le critère doit varier pour s’adapter à la

situation donnée. Une conception trop large et relativiste est d’emblée à écarter car elle remet

en cause le « concept même de nationalité des sociétés » et constitue un facteur d’insécurité

juridique13 Cependant, une voie médiane, plus modérée retient notre attention. Ainsi, le

professeur Luc Lévy, estimant qu’une trop grande pluralité de critères peut engendrer une

désorganisation, propose de faire une synthèse autour de deux rattachements, l’un fondé sur

l’immatriculation et la localisation du siège réel, l’autre reposant sur le lieu d’exploitation et

le centre de décision14. Une telle option, encore développée par le professeur Jacques Béguin,

diffère de la conception moniste et offre une grande flexibilité15. Néanmoins, comme il sera

12 P. Mayer et V. Heuzé, Droit International Privé, Montchrestien, 7ed, 2001, p. 717 et ss. , n° 1046. 13 P. Mayer et V. Heuzé, idem. 14 L. Lévy, La Nationalité des Société, LGDJ 1984, p. 244 et ss. 15 J. Béguin, « La nationalité juridique des sociétés devrait-elle correspondre à leur nationalité économique »,

Mélanges Catala, Litec 2001, p. 859, n° 33 et ss.

14

évoqué ci-dessous, si cette position s’illustre dans l’affaire Shell Berre et Shell Française16, la

jurisprudence n’a pas réellement donné écho à cette dernière analyse tant cette conception

relativiste remet en cause le « concept même de nationalité des sociétés » car elle apparaît

trop variable. Ainsi, par un arrêt de principe de 1971 dit C.C.R.M.A, la Cour de cassation se

prononce pour l’unicité du critère d’attribution de nationalité des sociétés en faveur du siège

social.

8. A la lumière de nos précédentes observations, l’unicité de critère étant le principe, il

convient de brosser un portrait des trois critères qui se concurrencent. En premier lieu,

s’agissant du centre de décision ou encore centre d’exploitation, notion développée par

Goldman, celle-ci peut s’avérer adéquat dans le cas de groupes étrangers ou sociétés filiales.

Aussi, bien que juridiquement indépendantes des sociétés- mères, les filiales prennent des

décisions qui sont directement impulsées par les mères ou le centre de décision du groupe. Le

critère du centre de décision s’analyse en la prise en compte du lieu réel ou effectif des

décisions, directions supérieures et orientations stratégiques de l’entreprise. Il est à observer

qu’un rapprochement avec le siège réel, objet de notre étude, peut être réalisé car ce dernier

prend également en compte le lieu d’impulsion de l’entreprise. Un arrêt Remington

Typewriter17 rendu par la cour de cassation est l’une des rares illustrations du choix par le

juge du centre de décisions.

9. Quant au critère du contrôle, il trouve son origine jurisprudentielle à la fin de la

première guerre mondiale. Il consiste à faire découler la nationalité d’une société de celle des

actionnaires de celle-ci. Par ce biais, il s’agissait notamment d’appliquer la législation sur le

séquestre des biens ennemis à des sociétés domiciliées en France. Le contrôle réapparaît

également sans surprise au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, notamment s’agissant

de filiales françaises de sociétés étrangères18. L’arrêt Remington Typewriter précité comprend

également, en filigrane, des germes du critère du contrôle en ce sens qu’il mentionne les

éléments de contrôle étranger. Par ailleurs, quelques conventions internationales mentionnent

16 B. Oppetit, note sous Cass. Civ., 8 février 1972, JDI 1973 p. 218. 17 Cour de cassation, 18 Voir par ex. C. Cass. Civ. 27 juillet 1933, Rev. Crit. DIP 1934, p. 109 et ss., note J- P Niboyet.

15

ce critère, notamment la Convention de Bruxelles du 18 décembre 1971, en son article 10 (2)

b, portant création d’un Fond international d’indemnisation des victimes de dommages de

pollution par hydrocarbure19. S’agissant des exemples français d’utilisation du contrôle, une

loi du 1er août 1988 imposait la nationalité française des dirigeants ou détenteurs de capital de

sociétés de transport aérien et plus récemment la loi du 15 mai 2001 dite Nouvelles

Régulations Economiques (NRE) ajoute à l’article L 228- 2 du Code de commerce, s’agissant

des modalités de vote de sociétés anonymes en assemblée générale, qu’il est nécessaire « de

fournir la liste des propriétaires non-résidents des actions auxquelles ces droits de vote sont

attachés. » Ainsi, hormis certaines dispositions, le critère du contrôle n’est guère utilisé en

droit français et international des sociétés.

10. Enfin, le droit des sociétés connaît le critère du siège social. Selon les auteurs, il s’agit

de l’indice d’attribution « le plus fréquemment retenu par la jurisprudence française20 »,

assertion qui sera démontrée ci-après. Ce dernier constitue, en effet, un lieu effectif,

généralement choisi à dessein par les associés fondateurs, entre la société concernée et l’Etat

dont elle brigue la nationalité. Le siège social coïncide généralement avec le lieu

d’immatriculation, certes nos observations présenteront des exceptions notables à ce propos.

En réalité, ce critère, si simple qu’il soit à première vue, revêt une signification dense, large

voire trop vague. S’agit-il du siège réel ou encore du siège statutaire ? Ou encore se peut-il,

comme le souligne le célèbre arrêt Fruehauf de 196521, que nationalité d’une société et la loi

applicable déterminée par le siège social divergent ? On comprend, dès lors, aisément que ce

dernier fasse l’objet de notre attention. Plus concrètement, tenter une clarification de la

19 M. Menjucq, Op. Cit., p. 23, n° 18. 20 M. Germain, Op. Cit., p 111. Dans le même sens, voir P. Merle, Droit Commercial - Sociétés Commerciales,

Précis Dalloz 2007, 11e. Ed, p. 113, n° 82 et p. 117, n° 86. 21 C. A. Paris, 14e ch., 22 mai 1965, Société Fruehauf Corporation contre Massardy et autres, JCP 1965 II, n°

14274 bis, concl. Nepveu. Cet arrêt fait ressortir la possible divergence entre la nationalité d’une société et la loi

qui s’applique à elle. En effet, se posait en l’espèce le cas d’une opposition entre les dirigeants de la filiale

française de Fruehauf et la société mère américaine s’agissant d’un contrat passé entre la première et la

République Populaire de Chine. En effet, la société Fruehauf France arguait de la légitime conclusion dudit

contrat tandis que le groupe américain, constituant le rattachement politique à l’Etat national de la société mère,

en réclamait la suspension. La difficulté fut vaincue par la nomination en justice d’un administrateur provisoire

chargé de gérer la société française le temps du désaccord.

16

définition de cette notion, à l’aune des apports du droit communautaire le point névralgique de

notre étude, d’autant plus qu’elle constitue effectivement le principal critère d’attribution de la

nationalité des sociétés.

11. En effet, par l’arrêt Caisse Centrale de Réassurances des Mutuelles Agricoles (ci-

après C.C.R.M.A) du 30 mars 1971, la Cour de cassation se prononce fermement pour

l’adoption d’un critère unique de détermination de la nationalité des sociétés : le siège social.

En sa décision, la Première chambre civile de la Haute juridiction affirme notamment qu’ « en

principe, la nationalité d’une société se détermine par la situation de son siège social », tout en

admettant à titre d’exception le contrôle22. Auparavant, le critère présent s’était déjà

progressivement imposé depuis notamment la loi du 24 juillet 196623, notamment à travers

l’actuel article 1837 du Code civil, lequel précise que « les sociétés dont le siège est situé en

territoire français sont soumises à la loi française. » Le dispositif légal a le mérite de la clarté :

la nationalité d’une société dépend de son lieu d’implantation du siège social. Ainsi, fort de

ces acquis, l’arrêt C.C.R.M.A encre pleinement le critère du siège social en droit français, cet

élément se définissant, selon la Cour de cassation en 1971, comme le lieu de situation

physique de direction de la société. Pour la doctrine et c’est également notre avis, ce choix

semble judicieux dans la mesure où il offre une stabilité et la certitude supérieure au

rattachement par le centre d’exploitation24. Cette position s’accroît avec les années en ce sens

que l’Assemblée Plénière de haute juridiction semble confirmer cette analyse dans une espèce

du 21 décembre 1990. La Cour s’inspire du dispositif de l’arrêt C.C.R.M.A car elle affirme

que « la nationalité pour unes société résulte, en principe, de la localisation de son siège réel,

défini comme le siège de la direction effective et présumée par le siège statutaire »25. Ainsi,

dans cette espèce, la haute juridiction prend à nouveau en considération le siège social pour 22 C. Cass. Civ. 1ère. Caisse Centrale de Réassurance des Mutuelles Agricoles, JCP 1972, II, n° 17101, note B.

Oppetit ; Comm. P. Lagarde, B. Ancel et Y. Lequette, Rev. Crit. DIP 1971, p. 451 ; B. Ancel et Y. Lequette, Les

Grands arrêts de la Jurisprudence française du Droit International Privé, Dalloz 2006, 5ème Ed., n° 50, p. 453 et

ss. ; Note P. Lagarde, Journal du Droit International (Clunet) 1972, p. 834. 23 Voir sur ce point pour un historique succinct, Lamy Sociétés Commerciales 2007, p 518 et 519, n° 518. 24 Voir sur ce point, Michel Menjucq, « La Mobilité des Sociétés dans l’Espace Européen », Thèse Bordeaux,

LGDJ 1997, p. 33 et ss. 25 Cass. Ass. Plen. 21 décembre 1990, D 1991, p. 305, concl. Dontewille ; JCP G 1991, II, n° 21640, note

Lemontey ; Rev. Crit. DIP 1992, p. 70, obs. Duranton

17

déterminer la nationalité de la société. Toutefois, il est nécessaire d’apporter une nuance à

l’assertion : si dans l’affaire C.C.R.M.A, la Cour évoque le siège comme lieu de situation de

l’entreprise suite à son immatriculation, l’espèce de 1990 définit ce dernier comme le lieu

réunissant les éléments matériels du centre de ses intérêts. C’est ainsi qu’il existe deux

définitions du siège social reposant sur des conceptions, subjective pour la première et

objective pour la seconde, distinctes. Or, à la lumière des cas évoqués, il apparaît que la

jurisprudence française semble assimiler l’une à l’autre, voire les confondre 26. La

clarification que nous tenterons d’établir s’avère donc légitime tant les enjeux en cause sont

vitaux : ainsi le siège social détermine la lex societatis et un changement de localisation de

celui-ci appelle des conséquences juridiques non négligeables.

12. Outre le fait qu’il est un indicateur de la nationalité d’une société, le siège social

présente également l’intérêt de déterminer la lex societatis afférente à cette dernière, c'est-à-

dire la loi qui s’applique à elle. Par ailleurs, dans un contexte accru de mobilité des sociétés,

en d’autres termes de changement de localisation de l’entreprise, la notion de siège s’avère

fondamentale tant les conséquences de ce phénomène sont notables .

Avant d’envisager l’action du siège social sur la lex societatis, il convient de définir

précisément les contours de cette notion.

13. La lex societatis peut être considérée comme la loi régissant le fonctionnement de la

société lors de la constitution et durant toute l’existence de celle-ci, dissolution comprise. En

somme, elle gouverne la vie interne de l’entreprise ainsi que ses rapports avec les tiers.

S’agissant des relations internes à la société, la lex societatis intervient tant en ce qui concerne

la capacité de la société à contracter que dans les contours C’est pourquoi le professeur

Michel Menjucq la définit comme « loi personnelle » des personnes morales, en ce sens

qu’elle « couvre un large domaine afin d’assurer la cohérence du statut de la société et doit

être douée d’une certaine permanence »27. Elle régit, en droit français des sociétés les

formalités de publicité, la formation du capital (souscription et libération des actions

notamment). Néanmoins, la lex societatis voit son champs d’application réduit en présence de 26 Voir sur ce point, Michel Menjucq, Op. Cit., p. 34. 27 J-M Jacquet, P. Delebecque et S. Corneloup, Droit du Commerce International, Coll. Précis, Dalloz 2007, Ed.

1, p. 138, n° 239 ; Voir également Mémento F. Lefebvre Sociétés Commerciales 2008, p. 170, n° 1552.

18

loi de police du marché boursier puisqu’il existe notamment des règles lui dérogeant en

matière d’informations relatives aux ou titres équivalents28. En outre, dans l’hypothèse d’un

conflit de loi entre la lex societatis et une loi locale, la première est parfois l’objet d’attaques

de créanciers locaux car ceux-ci, désirant appliquer la loi du contrat et non celle de

constitution de la société, arguent de la théorie de l’apparence. Une telle conception balayée

par la Cour de cassation en droit interne est tolérée en droit communautaire sous le vocable

« exception à l’obligation de se renseigner »29. On comprendra que la lex societatis doit

fournir une certitude et une sécurité juridique sur l’existence et les règles de fonctionnement

de la société. Ainsi, la détermination de la lex societatis est une question essentielle en droit

international des sociétés car il serait gênant qu’une société puisse être soumise à deux lois

différentes.

14. Selon des auteurs tels Loussouarn ou encore le professeur Maurice Cozian, le siège

social détermine la présente lex societatis, laquelle est ainsi nommée « loi du siège social »30.

En effet, l’article L 210- 3 du Code de commerce, issu de la loi du 24 juillet 1966 (article 3)

relative aux sociétés commerciales, dispose que « Les sociétés dont le siège social est situé en

territoire français sont soumises à la loi française. » En d’autres termes, le régime juridique

d’une société est celui de la loi de son siège social. Dès lors, il convient d’écarter le critère de

rattachement de la nationalité ou de façon plus nuancée, comme le suggère le professeur

Michel Menjucq, de dissocier le concept susvisé de la loi applicable31. En effet, il est

considéré que la nationalité est un critère trop large et perd donc en cohérence lorsqu’il s’agit

de déterminer la loi applicable à la société. L’arrêt C.C.R.M.A précité s’exprimant en faveur

de la nationalité n’est donc pas invocable en cette hypothèse. Au contraire, la doctrine estime

qu’il est abusif de vouloir faire confondre les deux notions, la nationalité n’étant pas un

facteur de rattachement de la lex societatis. Cette dernière, tel qu’abordé précédemment est

28 Y. Loussouarn, P. Bourel, P. de Vareilles-Sommières, Droit International Privé, Coll. Précis, Dalloz 2007, 9e.

Ed, p 969, n° 708 29 Voir pour une étude de la lex societatis, Michel Menjucq, Droit International et Européen des Sociétés, Coll.

Domat Droit Privé, Montchrestien 2001, p. 97 à 105, n° 76 à 83. 30 Y. Loussouarn, P. Bourel, P. de Vareilles-Sommières, idem ; Egalement, M. Cozian, A. Viandier et F.

Deboissy, Droit des Société, Litec LexisNexis 2007, 20e Ed., p. 107, n° 226. 31 M. Menjucq, « La Mobilité des sociétés dans l’espace européen », Thèse Bordeaux, LGDJ 1997, p. 35.

19

déterminée par le siège social. On notera également en ce sens un arrêt de la Cour de

cassation de 1998 qui se prononce pour ce dernier s’agissant de la loi compétente en matière

de pouvoir des dirigeants sociaux32. Une fois de plus, on constate toute l’importance de la

notion de siège social. Or, ce dernier peut connaître des bouleversements, notamment dans le

cadre de changement ou transfert de siège.

15. La mobilité des sociétés, qui une notion difficile à appréhender, joue un rôle essentiel

auprès du siège social, en ce sens qu’elle agit directement sur celui-ci dans l’hypothèse

notamment du changement de siège et ses conséquences concrètes .

16. La notion de siège social en droit international des sociétés est fondamentale en ce

sens qu’en cas de changement de siège, et plus globalement dans le cadre de la mobilité des

sociétés, des conséquences naissent pour l’entreprise visée. La notion immatérielle de

mobilité connaît deux acceptions. Elle est tour à tour institutionnelle, en ce sens qu’elle

modifie l’identification de la société, et ad’ hoc car elle opère une dispersion durable des

activités sans que ses structures en soient affectées33. Elle répond à un besoin pratique dans le

contexte d’une économie mondialisée, comme l’explique le professeur Jacques Béguin. En

effet, pour l’auteur, « ce que souhaitent les milieux économiques, c’est de disposer de

l’ensemble des moyens juridiques de restructuration des entreprises, de façon en particulier à

pouvoir réaliser des opérations de concentration ou de dissociation…permettant d’organiser

de façon optimum des branches d’activité à l’aide d’éléments qui peuvent se situer dans

plusieurs Etats membres34 . » Il s’agit de permettre à la société de ne pas demeurer une

structure figée mais au contraire d’être concurrentielle. En revanche, si les avantages de ce

phénomène sont évidents, des zones d’ombres ou craintes réelles subsistent. En effet, la

mobilité est trop souvent assimilée aux délocalisations, aux sociétés off-shore et au law

shopping, c’est pourquoi le législateur communautaire tenta de la maîtriser avec,

paradoxalement, la création de la Société Européenne (S.E). La notion présente intervient en

32 Cass. Civ. 1ère., 8 décembre 1998, Rev. Crit. DIP 1999, p. 284, note M. Menjucq. 33 Voir sur ce point, X. Boucobza, « Les techniques de Réglementation favorisant la mobilité des sociétés »,

Dossier La Mobilité Internationale des Sociétés, Cahiers de Droit de l’Entreprise 2006, n° 2, p. 23 à 27. 34 J. Béguin, La Difficile harmonisation européenne du droit des fusions transfrontalières, Mélanges en l’honneur

de C. Gavalda, Dalloz 2001, p. 21, n° 4.

20

amont et en aval de la règle de conflit. En amont, d’un part, la mobilité des sociétés est

favorisée par le renouveau de la liberté d’établissement. En aval, d’autre part, la mobilité est

rendue plus aisée par l’émergence de nouvelles règles matérielles unifiées, notamment

communautaires. En témoigne, la directive du 26 octobre 2005 relative aux fusions

transfrontalières des sociétés de capitaux. Cette dernière assimile les fusions transfrontalières

aux fusions internes. Ces deux aspects feront l’objet d’observations dans nos propos. Pour

autant, jusqu’alors, la mobilité des sociétés ne connaissait que de timides aboutissements,

notamment fondés sur le traité de Rome instaurant la liberté d’établissement. En effet, en son

article 220 (devenu article 296), ce dernier enjoignait, aux Etats membres d’engager entre eux

des négociations en vue d’assurer « la reconnaissance mutuelle des sociétés, le maintien de la

personnalité juridique en cas de transfert du siège de pays en pays », c'est-à-dire de

promouvoir la délocalisations d’unités de production35. Or, si des projets de conventions

internationales, de règlement et de directives, avaient pu voir le jour, les exemples de mobilité

du siège récente des sociétés trouvèrent leur origine dans l’ « ingéniosité de la pratique qui a

appris à tirer parti des disparités des droits nationaux et à contourner les frontières 36 .» Force

est de constater l’importance de la notion de siège social dans le phénomène de mobilité en ce

qui l’en est le support. Le siège est, en effet, susceptible d’être déplacé, ce qui engendre des

conséquences.

17. Traiter du changement de siège social, notamment par le prisme du transfert appelle à

deux considérations, l’une sur la problématique discutée de la réalité ou de la fictivité de la

personnalité morale, l’autre sur la possibilité matérielle d’effectuer une telle opération.

18. On l’a vu le siège social peut, au nom de la mobilité des sociétés, voir son lieu évoluer.

Cette modification peut être d’une part, volontaire c'est-à-dire provenir de la volonté des

associés de transférer d’un Etat à un autre le siège social de la société et d’autre part fortuit

dans l’hypothèse d’une mutation de souveraineté du pays hébergeant la personne morale.

Certes, les causes diffèrent, mais l’effet est identique : un changement de siège entraîne un

35 J. Boucourechliev, Une Société de Droit Européen ?, Coll. La Bibliothèque du Décideur, Presses de Sciences

Po/ Creda 1999, p. 17. 36 J. Boucourechliev, Op. Cit., p. 10.

21

changement subséquent de la nationalité de la société37. Ce dernier, dans le cadre des sociétés

françaises ne peut résulter matériellement que du transfert de siège social, aspect qui sera

abordé au fil de notre étude. Celui-ci s’effectue souvent notamment pour des raisons de

commodité et suppose, comme cela a été observé précédemment, des structures ou organes

déployés, par la société, dans d’autres Etats. Concrètement, le transfert du siège social se

manifeste par la volonté des associés de déplacer le siège d’un Etat vers un autre38. Or, ce

dernier en droit international des sociétés connaît de nombreux écueils rendant cette

technique juridique difficilement praticable. Ainsi, se pose tout d’abord le problème de la

survie de la personnalité morale. En effet, cette dernière constitue un gage de stabilité tant

externe, c'est-à-dire s’agissant des rapports entre la société et les tiers, qu’interne39.

19. Or à cette nécessité de pérennité exprimée par les associés et les créanciers, s’oppose

la règle selon laquelle la personnalité morale ne survit pas à un changement de nationalité. En

d’autres termes, lorsque les dirigeants d’une société souhaitent transférer le siège de celle-ci,

auront, sauf existence de conventions internationales entre la France et le pays d’accueil40,

l’obligation, selon les articles L 221-2 alinéa 1 du Code de commerce et 201- 1 et 3 du Code

général des impôts, de dissoudre la société. Cette disposition contraignante s’accompagne de

conséquences fiscales dissuasives car coûteuses, en ce sens que le changement de nationalité

suite au transfert du siège entraîne une imposition immédiate de la société sur ses bénéfices

en sursis d’imposition et une imposition des associés la composant sur l’intégralité des

bénéfices et réserves41. De surcroît, selon les articles L 222-9 (relatif aux Sociétés en

Commandites Simples) et L 223-30 (traitant des Sociétés Anonymes à Responsabilité Limité)

du Code de commerce, le transfert ne peut être valablement décidé, en principe qu’à

l’unanimité des associés, règle qui s’avère contraignante également. Ainsi, le droit positif ne

semble promouvoir ladite opération tant les obstacles dressés sur la route des associés sont

37 Voir pour une étude d’ensemble, Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, Op. Cit., p. 970 à

971, n° 709 ; M. Menjucq, Droit International et Européen des Sociétés, Coll. Domat Droit Privé, Montchrestien

2001, p. 48 à 54, n° 36 à 43. 38 J-M Jacquet, P. Delebecque et S. Corneloup, Op. Cit., p 163, n° 290. 39 M. Menjucq, Op. Cit., p. 48, n° 37. 40 Voir sur ce point, Mémento pratique F. Lefebvre, Op. Cit., p. 172, n° 1565 s’agissant des conséquences du

transfert ; sur la cessation d’activité, p. 144, n° 1255. 41 P. Merle, Op. Cit., p 113, n° 82 et p 118, n° 87-1.

22

nombreux. Par ailleurs, outre le vote unanime des associés, les modalités de transfert

s’agissant d’une société anonyme imposent une convention entre l’Etat de départ et l’Etat

d’accueil de la société. En outre, les obstacles au transfert proviennent de la difficile

articulation entre la loi de départ et la loi d’accueil de la société, les deux étant

successivement applicables. Il s’agit donc de consulter les deux pour vérifier la régularité de

l’opération, l’accord de celles-ci étant nécessaire au transfert42. Une telle procédure, dont

l’intérêt aussi légitime qu’il soit, peut cependant s’avérer être vecteur d’incertitudes pour les

dirigeants d’entreprise.

20. Les réserves énoncées se justifient notamment par la crainte d’un déplacement, par le

biais du siège, du centre des activités de la société engendrant une diminution des recettes

fiscales pour l’Etat de départ et des fermetures d’établissement43.

21. En outre, les présentes difficultés pratiques trouvent un fondement doctrinal : la thèse

de la fictivité et de la réalité de la personnalité morale. Quant à la première, véhiculée par des

auteurs tels Niboyet, la personnalité morale d’une société n’existe qu’au travers du prisme de

la règle de l’Etat qui la lui confère44. En soi, l’entreprise ne peut donc être sujet de droit. Par

conséquent, à défaut de texte le prévoyant expressément, elle ne peut se voir conférer, lors

d’un transfert de siège, aucun droit au maintien de la personnalité juridique. D’où la

procédure subséquente de dissolution de la société. En somme, il n’y aurait pas de transfert

mais création d’une nouvelle entité juridique.

22. Au contraire, la doctrine militant en faveur de la théorie de la réalité de la personnalité

morale estime, et c’est également notre opinion, que la personnalité morale « primitive »

survit au transfert de siège et au changement de nationalité45. En effet, aucun obstacle

juridique, hormis des conditions strictes rendant difficile la réalisation du transfert, ne semble

s’opposer à au maintien de la personnalité morale de la société en cas de changement de

nationalité. La loi du 4 juillet 1966 énonçant les formalités susvisées n’évoque pas

l’hypothèse de perte de personnalité mais une modification des statuts. Si certains arrêts

42 P. Mayer et V. Heuzé, Op. Cit., p. 740, n° 1065. 43 J-M Jacquet, P. Delebecque et S. Corneloup, Op. Cit., p. 164, n° 291. 44 J-P Niboyet, Traité de Droit International Privé Français, Tome II- Condition des Etrangers, personnes

physiques, personnes morales, Sirey 1951, 2e. Ed., n° 751. 45 Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, Op. Cit., p. 970 à 971, n° 709.

23

français s’orientent vers la fictivité, on notera, d’une part, qu’ils sont anciens, leur portée

ayant été limitée par d’autres de la même époque et d’autre part que cette tendance semble

s’être inversée plus récemment en droit communautaire, grâce à l’apport de la jurisprudence

Überseering de 2002 qui rend le transfert possible tout en éliminant les discriminations

nationales46. En outre, la négation de la réalité d’une personnalité morale semble contraire aux

aspirations de la pratique des affaires et aux besoins des sociétés en quête de nouveaux

marchés étrangers47. Néanmoins, cette difficulté vaincue, on admet que le transfert, hors les

cas évoqués ci-après, demeure une opération difficile à réaliser.

23. De surcroît, ce changement de localisation dont le support est le siège social met

encore plus l’accent sur l’importance de ce dernier en droit international des sociétés. En

effet, le siège social se positionne au centre des débats relatifs à l’existence et à l’évolution

des personnes morales de droit privé dans l’ordre international. Il convient donc d’esquisser

une première définition de celui-ci.

24. Dans les précédentes observations, l’accent a été mis sur l’important rôle joué par le

siège social en droit international des sociétés. Or, si l’on admet volontiers l’utilité de cette

notion juridique, des zones d’ombres subsistent. En effet, le siège social est un concept flou

par excellence, en ce sens que ses contours ne sont pas clairement définis. En témoigne ainsi

la trop large définition a priori ou courante de ce concept. C’est pourquoi, le droit

international des sociétés s’est saisit du problème en faisant émerger, à partir de théories de

l’incorporation et de la Sitztheorie, les acceptions statutaires et réelles du siège, lesquelles

s’affrontent.

25. Avant d’aborder l’opposition en droit international des sociétés entre siège social

statutaire et siège social réel, il convient d’envisager une définition générale et a priori du

siège social, laquelle se révèle trop large, peu précise et donc non satisfaisante tant dans sa

terminologie usuelle, que de celle originaire du droit des sociétés national.

46 CJCE, 5 novembre 2002, Überseering BV c/ Nordic Construction Company Baumanagement GmbH, note M.

Menjucq, JCP E 2003, p. 520 et ss., n° 448. 47 Voir sur ce point l’étude de M. Menjucq, Op. Cit., p 287 à 290, n° 223 à 225.

24

26. Le siège social est un mot courant ou usuel et ne recouvre pas nécessairement une

dimension juridique ou alors celle-ci sera de faible portée. Couramment, il est désigné par le

lieu où se trouve la résidence principale ou encore comme l’emplacement du domicile

statutaire de la société48.

27. De façon plus juridique, la notion évoque classiquement le lieu dans les statuts d’une

société qui constitue son domicile et qui détermine le plus souvent sa nationalité49. Par

ailleurs, outre les éléments précités, certains auteurs admettent une définition plus large

comportant le siège d’exploitation, c'est-à-dire le « lieu où s’exercent les opérations

commerciales techniques de la société »50. Pour d’autres, cette notion désigne encore « le lieu

où se déroule le fonctionnement juridique de la société, précision faite qu’il détermine

également le tribunal compétent en cas de litige51. En outre, comme cela a été abordé

précédemment, le siège consacre la lex societatis 52. Dans tous les cas, la définition assimile le

siège au domicile, outil de localisation des personnes physiques. Ainsi trois éléments

caractérisent le siège : un lieu d’implantation ou encore domicile, lequel fixé par les statuts,

détermine la nationalité de la société. L’élément du domicile nécessite quelques observations.

En droit, le domicile est également une notion délicate à appréhender. Il est définit comme un

« lieu privé, où s’imprime la personnalité de ses habitants » et permet de rattacher la personne

physique à un ressort territorial de manière stable et continue53. Une précision est à apporter :

le droit civil français fait prévaloir le principe d’unicité du domicile : aussi une personne

physique ne peut avoir qu’un seul domicile54. Néanmoins, ce principe est assorti de

48 Le Petit Robert, 1996. 49 Lexique de Termes Juridiques, Dalloz 2007, 16e.Ed., p. 604 ; A. Nizou-Lessafre, Dictionnaire des Termes

Juridiques, de Vecchi 2001, p. 147 ; R. Cabrillac, Dictionnaire du vocabulaire juridique, Coll. Objectif Droit,

Litec Lexisnexis 2004, 2e. Ed., p. 357. 50 G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF 2007, p. 865. 51 G. Gorrias, M. Gorrias-Dousset, P. Gorrias, Lexique juridique pour l’entreprise, Editions d’ Organisation

2003, p. 357. 52 S. Dana-Demaret et Y. Reinhard, Lexique de droit des sociétés et des groupements d’affaires, Dalloz 1993, p.

90. 53 G. Goubeaux, sous la direction de J. Guestin, Traité de Droit Civil- Les Personnes, LGDJ 1989, p. 169 et s.s,

n° 178 et ss. 54 F. Terré et D. Fenouillet, Droit Civil- Les Personnes, la Famille, les Incapacités, Coll. Précis, Dalloz 2005, p.

201, n° 210.

25

tempéraments, notamment s’agissant du domicile apparent et du domicile professionnel ou

commercial Il est donc légitime de s’interroger sur l’existence d’une telle exception dans le

cas d’une personne morale. Or, la définition a priori du siège social ne mentionne en rien cette

possible dualité. Les caractères du siège développés ci-dessus sont exacts mais incomplets.

Par conséquent, une telle définition est insuffisante, notamment dans l’hypothèse de la

mobilité des sociétés car elle ne précise pas, hors le cas du lieu des opérations commerciales,

si le siège est considéré comme lieu d’implantation ou lieu d’exercice de l’activité de

l’entreprise mais se borne à une situation juridique non mobile. Dès lors, dans le contexte de

mondialisation du marché évoqué dans nos propos, il s’agit de puiser dans des sources plus

spécialisées, telles le droit des sociétés et le droit comparé, afin d’envisager une définition du

siège social.

28. Imposant l’exigence d’un siège social pour toute société, le droit des sociétés français

en donne une définition laquelle semble floue, ce qui nécessitera d’examiner les solutions

retenues en droit comparé tout en lui conférant une certaine utilité .

29. Toute société doit avoir un siège social à l’instar des personnes physiques, lesquelles

se caractérisent par un domicile55. Or, comme cela a été évoqué, les définitions usuelles du

siège ne sont pleinement satisfaisantes car elles manquent de nuances. Ainsi, il s’agit

d’analyser la définition de la notion apportée par le droit des sociétés français et le bénéfice de

ses apports. En effet, pour le droit national, le siège se définit de plusieurs façons. Il existe des

similitudes avec les points évoqués précédemment en ce sens que le siège de la personne

morale équivaut au domicile d’une personne physique56 . Il s’agit d’un domicile déterminé par

les statuts, acte constitutif de la société : on peut dès lors le qualifier de domicile d’élection.

30. Si les associés choisissent le lieu de ce siège lors de la constitution de la société, cela

n’est certes pas arbitraire. En effet, le siège doit être le lieu de son principal établissement57.

55 P. Merle, Op. Cit., p. 113, n° 82 ; voir également Yves Guyon, Droit des Affaires, Tome 1- Droit commercial

général et Sociétés, Coll. Droit des Affaires et de l’Entreprise, Economica 2003, 12e. Ed, p. 185, n° 178. 56 F. Terré et D. Fenouillet, Op. Cit., p. 255, n° 275. 57 M. Germain, Op. Cit., p. 108, n° 1144.

26

En outre, ladite personne morale ne pourra changer de siège qu’en modifiant ses statuts,

procédure lourde tant elle requiert une majorité qualifiée des associés (majorité des deux tiers

réunis en assemblée générale extraordinaire pour une société anonyme selon le Code de

commerce) et s’assortit de mesures de publicité destinées aux tiers. L’importance donnée aux

statuts explique notamment la raison pour laquelle le droit français nomme ce siège le siège

statutaire. Cette expression figure notamment à l’article 1837 du Code civil et fera l’objet, en

détail, de nos observations. Cependant, limiter le siège social au lieu fixé par les statuts

semble réducteur tant une société peut s’établir en un lieu, précisément dans un Etat membre

donné dont elle prends la nationalité et développer certaines de ses activités dans un autre

pays. En ce sens, Monsieur le professeur Guyon affirme l’existence d’une dichotomie entre le

l’élément « intentionnel » du siège, c'est-à-dire provenant des statuts, expression de la volonté

des fondateurs de la personne morale et l’élément « matériel » illustré par l’action

économique de la société en divers lieux58. On oppose ainsi le siège réel et le siège statutaire

lequel peut être fictif. La prise en compte de cette dissociation éventuelle n’est que

timidement abordée par le législateur français : la combinaison des articles 1837 du Code civil

en son alinéa 2 et L 210- 3 alinéa 2 du Code de commerce permet, en effet, aux tiers

d’invoquer la fictivité du siège statutaire et de ce prévaloir du siège réel59. Or, ces notions,

lesquelles représentent l’enjeu de notre propos au nom de la mobilité des sociétés dans

l’espace international, ne sont guère précisées. Leur contour n’étant pas précise voire même

esquissé. D’où, ainsi qu’il sera remarqué, l’intérêt croissant porté par le droit international

privé puis communautaire des sociétés au sujet présent.

31. S’agissant du droit comparé, dans un souci de clarté, nous n’évoquerons que certains

traits dominants, les exemples donnés n’étant pas exhaustifs. Ainsi, le droit espagnol consacre

avec vigueur le siège social, dans sa conception matérielle car même si une société est

constituée dans un autre Etat membre, il déclare que son siège est situé en Espagne car le

centre administratif et de direction de ladite personne morale s’y trouve60. Une conception

identique est retenue en Belgique. A l’opposé, le droit italien retient que l’élément de

rattachement est celui de lieu de son immatriculation. On le verra, cette position est d’autant 58 Y. Guyon, Op. Cit., p. 186, n° 179. 59 D. Vidal, Droit des Société, Coll. Manuel, LGDJ 2006, p. 77, n° 128. 60 M. Menjucq, « La Mobilité des Sociétés dans l’espace Européen », Thèse Bordeaux, LGDJ 1997, p. 1805.

27

plus tranchée s’agissant du système juridique anglais. Avant d’évoquer plus en détail ces deux

tendances qui s’opposent en droit international privé des sociétés, il semble légitime de

s’interroger sur l’importance de déterminer le lieu du siège social.

32. S’il ne parvient pas à lui donner une définition claire et uniforme, le droit français

confère au siège social des prérogatives non négligeables. En ce sens, la question de la

localisation du siège revêt une grande importance dans la pratique, pour plusieurs raisons.

Dans le cadre notamment des règles de Procédure civile, lorsqu’une société, défenderesse à

l’instance est assignée, le tribunal compétent est, en vertu de l’article 43 du Code de

Procédure civile, celui du lieu où elle est établie.

33. En outre, s’agissant également du droit judiciaire privé, l’article 690 du code dispose

que la notification destinée à la personne morale doit être faite au lieu de son établissement,

en d’autres termes son siège social61. Dans le cadre des entreprises en difficulté, on notera

aussi l’importance du siège social car celui-ci sera le lieu d’ouverture de ladite procédure

collective62. On constate donc que la notion de siège social nécessite d’être définie avec clarté

tant les enjeux procéduraux sont manifestes.

34. Par ailleurs, la notion présente est déterminante lors de la formation de la personne

morale en sens qu’elle constitue le lieu où doivent être accomplies les formalités de publicité

ainsi que les déclarations fiscales et sociales concernant l’ensemble de la société63.

De surcroît, le siège social accompagne la société tout au long de sa vie car il est

généralement le lieu de réunion des assemblées des associés et du Conseil d’administration

pour les sociétés par actions. C’est également au siège social de la société que doivent être

déposés les documents destinés à l’information des associés ou actionnaires. En effet,

s’agissant d’une Société Anonyme, le siège est la source privilégiée de l’information

permanente et occasionnelle. En ce sens, l’article L 225- 17 du Code de commerce relatif à la

première affirme qu’un actionnaire peut à toute époque consulter au siège de la société les

comptes annuels des trois derniers exercices, la liste des administrateurs, les rapports de

61 M. Cozian, A. Viandier, F. Deboissy, Op. Cit., p. 106, n° 222. 62 Lamy Sociétés Commerciales, Op. Cit., p. 505, n° 504. 63 P. Le Cannu, Op. Cit., p. 250, n° 439.

28

gestion des organes sociaux, les procès verbaux des assemblées, le montant global des

rémunérations versées et la liste des conventions dites « libres ». Il est donc à observer qu’une

détermination précise du siège social est nécessaire pour la société tant dans ses rapports

externes qu’internes.

35. Enfin, comme il a été abordé précédemment dans l’étude de l’arrêt dit C.C.R.M.A, le

siège social est le critère de nationalité de la personne morale. L’utilité de siège social

démontre dès lors la nécessité d’aborder avec acuité sa définition. Or, comme cela a été noté

dans nos propos, le droit français n’étant guère disert en la matière, il convient de se rapporter

au droit international des sociétés, lequel entretien encore d’avantage le trouble et la

confusion. En effet, ce dernier présente en effet deux approches de définition du siège

lesquelles s’opposent diamétralement

36. A l’instar du droit français des sociétés et ainsi qu’il a été abordé précédemment, le

droit international des sociétés s’est saisit, en profondeur, de la question du siège social.

La pratique juridique se nourrissant bien souvent de concepts théoriques, le présent cas

soumet d’amblée le lecteur à une difficulté. En effet, il n’existe pas de définition uniforme du

siège social en droit international privé des sociétés. Plus précisément, à l’aune de l’étude de

ce dernier, il ressort que si l’analyse de la notion semble indéniablement davantage fouillée

que celle évoquée dans nos propos antérieurs, il n’y a pas pour autant d’unité autour de la

notion de siège mais au contraire une dualité entre deux conceptions fondamentalement

opposées.

37. En matière de rattachement des sociétés, les textes et la jurisprudence se référent tantôt

à la notion de siège statutaire, tantôt à celle de siège réel, plus contraignante si bien que le

droit international des sociétés, loin d’œuvrer à l’uniformisation des droits internes, est le

terrain d’un affrontement entre la théorie d’origine germanique dite du siège réel et celle de

l’incorporation de provenance anglo-saxonne. La première apparaît bien souvent trop rigide,

dépassée et préjudiciable à la mobilité des société. L’autre se concrétise en pratique par le

siège social statutaire mais ne parvient à s’imposer clairement.

38. La première tendance dominante définissant le siège social en droit international des

sociétés repose sur des éléments objectifs permettant de vérifier les liens qui existent entre

29

une société et un Etat64. Or, le rattachement à courant qui semblait jadis dominant apparaît

aujourd’hui, a bien des égards, contestable en ce sens notamment que sa sphère d’application

semble ambiguë.

39. La présente définition du siège social se fonde sur la théorie dite, en allemand, de

Sitztheorie, que l’on peut traduire par le rattachement juridique au siège effectif ou lieu

concret d’implantation de la personne morale. En effet, cette conception dont l’origine

remonte au début du XXe siècle en Allemagne, s’est développée tout d’abord en

jurisprudence car le législateur allemand ne s’est jamais saisi de la question de définir la

notion de siège social65. Ainsi, c’est au travers d’arrêts du Reichsgericht notamment et du

Bundesgerischthof que la Sitztheorie a vu le jour66. Ainsi, cette dernière consiste dans le fait

que pour pouvoir jouir de la capacité juridique, une société donnée doit non seulement avoir

été enregistrée valablement et en conformité avec les dispositions de l’Etat où elle a été crée

mais également avoir son siège réel dans ledit Etat. Cette conception contraignante se traduit

ainsi par la pratique du siège réel. Selon Madame Jeanne Boucourechliev, ce dernier

correspond au lieu où sont « concentrés l’ activité et la vie juridique d’une société » 67. Plus

précisément, il s’agit du lieu quotidien de prise de décisions. Pour le professeur Michel

Menjucq, le siège réel correspond au lieu où « résident les organes sociaux, administrateurs,

assemblées générales et où sont débattus les contrats se rapportant à la marche de

l’entreprise 68.

40. Précisons néanmoins que la notion de siège social réel n’est pas rigoureusement

attachée à une concentration de tous les éléments de direction de l’entreprise. L’un ou l’autre

64 J-M. Jacquet, P. Delebecque et S. Corneloup, Op. Cit., p. 136, n° 233. 65 J-P. Dom, « La Liberté d’établissement comme fondement de la reconnaissance mutuelle des sociétés :

principe et conditions de mise en œuvre », note sous CJCE 5 novembre 2002, Uberseering BV, Rev. Sociétés

2003, p. 315 et s.s. 66 Pour une étude approfondie de la jurisprudence allemande traitant de la sitztheorie, voir notamment BGHZ,

tome 51, pp. 27 à 28, tome 53, pp. 181 à 183 et tome 78, p.p. 318 à 334 ; Münchener Kommentar-Ebenroth, 2e.

Ed., annexe art. 10 EGBGB, annotation 142 et ss. 67 J. Boucourechliev, Op. Cit., p. 124. 68 M. Menjucq, Droit International et Européen des Sociétés, Coll. Domat Droit Privé, Montchrestien 2001, p. 88

, n° 71.

30

peut être détaché du siège social statutaire, soit temporairement, soit habituellement sans que

celui-ci devienne fictif, pourvu que les organes de direction dudit siège demeurent les organes

principaux et que les éléments détachés ne constituent que des éléments secondaires69. En

outre, la volonté de promouvoir le siège réel ne signifie pas de considérer la loi de

constitution de la société mais plutôt que le siège désigné par les statuts (ci-après siège

statutaire) coïncide avec le centre réel de direction de la personne morale concernée. Cette

exigence est le préalable à la reconnaissance de la société70.

41. A la lumière de ces observations, il semble légitime de s’interroger sur les

justifications de ce rattachement strict. Celles-ci sont au nombre de deux. On notera, d’une

part, que la théorie du siège social de base sur la présomption que la société traite des affaires

dans l’Etat membre dans lequel elle possède son siège71. Il s’agit donc d’une règle visant à

une clarifier et simplifier la situation juridique dans laquelle se trouve une société susceptible

d’opérer sur plusieurs marchés transfrontaliers. On tiendra alors compte de la situation de

fait : la localisation du centre de gravité de la société et du principal établissement72. D’autre

part, le système du siège réel favorise la diffusion d’informations relatives à la société en

destination des tiers. Il leur serait dès lors plus protecteur. On peut dès lors convenir de

l’utilité d’une telle conception. Concrètement, cette théorie née en Allemagne s’est

développée dans nombre de pays européens dits civilistes. La doctrine a ainsi bien souvent

voulu en faire un critère de principe, or des nuances s’imposent, notamment s’agissant du

droit français des sociétés.

42. A ce stade de l’analyse, il convient d’ appréhender l’article 1837 du Code civil, lequel

a donné lieu à des interprétations doctrinales diverses. L’alinéa 1 du texte évoque, sans plus

amples précisions, que le siège social sans mention de l’adjectif réel tandis que l’alinéa 2

prévoit expressément que les tiers peuvent invoquer le siège réel. Ainsi, il semble à première

69 Y. Loussouarn, P. Bourel, P. de Vareilles-Sommières, Op. Cit., p. 968, n° 707. 70 E. Pataut, « Liberté d’Etablissement et Droit International Privé des Société : un pas de plus », note sous CJCE

Inspire Art, 30 sept. 2003, Dalloz 2004, p. 491 et ss. 71 Wolf-Henning Roth, “From Centros to Ueberseering : free movement of companies, Private and International

Law and Community Law”, International and Corporate Law Quaterly, Janv. 2003, p. 177 à 208. 72 A. Auternne et T. Bosly, Op. Cit., p. 359 et ss. ; P. Mayer, Op. Cit., p. 721, n° 1037.

31

vue qu’il y ait une ambiguïté voire encore La jurisprudence a notamment eu l’occasion de se

prononcer dans l’arrêt déjà cité du 21 décembre 1990. Or, si l’Assemblée Plénière semble,

dans cette espèce, trancher en faveur du siège statutaire, elle impose une concordance avec le

siège de la direction effective, c'est-à-dire le siège réel. C’est pourquoi une partie de la

doctrine estime que le droit positif français privilégie le siège réel73, opinion largement

contestée par les professeurs Michel Menjucq, Hervé Synvet ou encore Pierre Mayer, comme

il sera vu ci-dessous s’agissant du système d’incorporation ou siège statutaire. En effet, une

distinction nette entre les deux alinéas est perceptible tant dans la structure du texte que dans

son esprit. Par ailleurs, si l’Allemagne semblait constituer, dans l’Union Européenne, le

berceau du siège social, cette certitude semble s’ébranler devant une grande remise en

question depuis 2006, date à laquelle le gouvernement allemand a décidé de « tourner le dos à

la théorie du siège réel », selon l’expression de l’ancienne ministre française des Affaires

Européennes, Madame Noëlle Lenoir74.

43. En effet, le siège réel ne présente pas que des avantages, notamment dans un contexte

de mobilité des sociétés : ce critère apparaît comme dépassée et vecteur d’immobilisme car il

impose de maintenir dans un même Etat toutes les structures opérantes d’une société. Dans

l’hypothèse notamment du transfert du siège social, le siège réel implique également un

changement de lex societatis car il se déduit d’un « état de fait », selon le professeur Michel

Menjucq75. En effet, si l’on tient compte d’un lien objectif fondé sur l’importance d’une

localisation physique et effective, la loi applicable à cette situation donnée sera amenée à

changer elle aussi. La loi du nouvel Etat d’accueil s’appliquera. A première vue, le siège réel

a le mérite de la stabilité et de la prévisibilité pour les associés et les tiers, or à la lumière de 73 Voir notamment, B. Audit, Op. Cit., p. 872, n° 1113. L’auteur se prononce en faveur du siège réel s’agissant

du rattachement établit par le droit positif français. En effet, il démontre une « prééminence », en droit positif

français, du critère du siège réel. En revanche, le professeur Bernard Audit affirme qu’utilisé, au moment de

l’essor des sociétés anonymes, afin de décourager les fraudes, le siège réel ne peut être qu’un « correctif » du

siège statutaire. En ce sens, il estime que la nationalité d’une société dépends surtout de ce dernier. Voir

également en ce sens, M. Germain, Op. Cit. , p. 108, n° 1144 : l’auteur énonce notamment que le siège social est

le lieu de son principal établissement. 74 Noëlle Lenoir, La Societas Europaea ou S.E, Pour une Citoyenneté européenne de l’entreprise, Rapport au

Garde des Sceaux, ministre de la Justice, La Documentation Française 2007, p. 124. 75 M. Menjucq, « La Mobilité des Sociétés dans l’espace Européen », Thèse Bordeaux, LGDJ 1997, p. 1805.

32

nos observations, cette qualité s’effrite et peut être remise en cause. De surcroît, la procédure

afférente au transfert du siège réel semble lourde et trop rigide.

44. Si le siège réel a au moins le mérite d’exprimer un lien effectif avec la loi de l’Etat du

siége de la société, il n’en demeure pas moins que cette conception apparaît concurrencée

voire dépassée, notamment parce qu’elle n’est pas explicitement reconnue par le droit

français.

45. Traditionnellement, à l’ opposé du siège réel, la doctrine et le droit positif retiennent

une conception plus souple et malléable du siège fondée sur un lien formel. Plus précisément,

cette dernière connaît de solides bases provenant du droit anglo-saxon et se traduit par la

théorie dite de l’incorporation. Celle-ci trouve son application dans le rattachement au siège

statutaire, lequel connaît une importance croissante et suscite le débat en droit français des

sociétés.

46. Ainsi qu’il vient d’être esquissé, la conception subjective du siège se réalise dans la

théorie de l’incorporation, celle-ci étant formaliste et provenant du système juridique anglais.

Nous verrons également que cette théorie présente de nombreux avantages concrets.

47. Cette dernière trouve son origine en Angleterre et s’applique également en Irlande, au

Danemark, en Suisse, aux Pays-Bas et en Italie76 . Il s’agit d’une conception formaliste en ce

sens que la société donnée est considérée comme une abstraction. L’incorporation estime, en

effet, qu’une société est reconnue dès lors qu’elle a été valablement constituée selon la loi

d’un Etat. On notera que c’est dans un contexte d’industrialisation, d’essor du commerce et de

libéralisme économique de la fin du XIXe siècle que naquit cette conception. Aussi, cette

théorie, également nommée en anglais Registered Office, accorde une importance

considérable au lieu de signature des statuts et d’enregistrement de ladite société. On

observera que, en vertu du Companies Act anglais de 1985, la société s’engage dans son

memorandum of association (terme équivalent aux statuts français) à maintenir son siège soit

76 B. Goldman et A. Lyon-Caen, Droit Commercial Européen, Coll. Précis, Dalloz 1983, 4e. Ed., p. 132, n° 76 ;

A. Auternne et T. Bosly, Op. Cit., p. 359 ; M-L Niboyet et G. de Gouffre de la Pradelle, Droit International

Privé, LGDJ 2007, p. 676.

33

en Angleterre ou au Pays de Galles soit en Ecosse77 . En d’autres termes, le domicile de la

société appréhendé comme le siège statutaire est présente comme le facteur de rattachement

de la lex societatis78. Egalement nommée Gründungstheorie, l’incorporation peut ainsi se

définir comme le lieu ou les statuts d’une société fixent son siège, sans considération du lieu

de son activité. En simplifiant nos propos à l’extrême, nous pouvons affirmer que peu importe

le lieu effectif de son activité économique, qu’il soit en Angleterre ou dans un autre Etat,

ladite société sera considérée comme anglaise dès lors son immatriculation réalisée outre

manche. On en conclura donc que la reconnaissance d’une société, selon ce critère suppose

uniquement l’enregistrement dans le pays concerné.

48. Le droit anglais raisonne ainsi par analogie avec les personnes physiques et la notion

de domicile : il est une conséquence de l’incorporation selon le professeur Michel Menjucq79.

Par conséquent, le qualificatif de formaliste semble des plus appropriés au système présenté.

49. A ce stade de notre réflexion, il semble légitime de s’interroger sur les intérêts et les

apports du système d’incorporation. En premier lieu, cette conception est respectueuse de la

volonté des parties, en d’autres termes les associés fondateurs, et ne leur impose pas d’autres

contraintes que de se soumettre aux exigences du droit d’immatriculation80. Par conséquent,

ce rattachement souple est appréciable car il confère aux associés une liberté d’adapter le lieu

du siège aux modifications du centre de gravité de la personne morale81. En outre, le système

de l’incorporation est aisément identifiable: il suffit de connaître le lieu de constitution de la

société pour identifier la loi applicable à la personne morale. Cette conception anglo-saxonne

paraît stable en ce sens qu’elle n’est pas une règle fluctuante car elle n’est pas basée sur une

donnée factuelle, à savoir le centre effectif de l’activité. Dès lors, la loi de l’incorporation

évacue les conflits de loi, elle a donc, contrairement à la théorie du siège réel, le mérite

indéniable de la simplicité en droit international privé82. Cet aspect de souplesse est 77 O. Moréteau, Droit Anglais des Affaires, Coll. Précis, Dalloz 2000, 1re. Ed., p. 177, n° 302. 78 M. Menjucq, Op. Cit., p. 22, n° 29. 79 M. Menjucq, Op. Cit., p. 23, n° 29 80 J-M. Jacquet, P. Delebecque, S. Corneloup, Op. Cit. , p. 134, n° 228. 81 Voir sur ce point notamment l’étude suivante: Georges Petrakos, « Transfert International du siège social et

Liberté d’Etablissement », Mémoire de DEA, Université Robert Schuman Strasbourg, p. 27. 82 X. Boucobza, Op. Cit., p. 24.

34

appréciable car il confère aux associés une liberté d’adapter le lieu du siège aux modifications

du centre de gravité de la personne morale. Par ailleurs, l’incorporation se caractérise par un

réalisme, lequel s’apprécie à deux niveaux. D’une part, ce critère appréhende la réalité des

affaires, en ce sens que dans le contexte de mobilité des sociétés, il est adéquat au phénomène

de dispersion des organes de la société dans l’espace international83. En effet, le siège réel

semble trop rigide dans ce cas : des lourdeurs procédurales et matérielles émergent lorsqu’il

s’agit pour ce dernier d’appréhender la situation de fait d’une société internationale de

structure dissociée dans plusieurs Etats. Dans le cadre de libre circulation des capitaux et des

services au sein de l’Union Européenne, cet écueil s’accroît encore davantage. D’autre part, le

système d’incorporation permet, dans l’hypothèse d’un groupe de sociétés dit multinational,

une certaine rationalisation de l’organigramme de ce dernier car il offre un rattachement

unique fondé sur un lien juridique assurant une sécurité juridique. Au contraire, le siège réel

va s’attacher à créer un lien dans chaque Etat comprenant une entité de ce groupe, or ceci peut

causer une « gène » selon l’expression du professeur Michel Menjucq84. Nous approuvons

cette affirmation. En effet, bien qu’elle ne permette pas de saisir parfaitement la réalité de

l’organisation interne desdits groupes multinationaux, l’incorporation semble donner un

minimum de cohérence et de stabilité à la situation alors que le siège réel se perd dans la

démarche, vaine à notre avis, de vouloir systématiquement cerner un centre de direction

impalpable.

50. Néanmoins, elle possède un inconvénient, lequel sera l’objet d’un examen approfondi,

en ce sens qu’elle permet aux parties de placer la société sous un régime donné afin

d’échapper aux dispositions impératives de l’Etat auquel elle se rattache plus étroitement.

Force est donc de constater que la théorie de l’incorporation de tradition anglo-saxonne

présente des avantages non négligeables, notamment en ce qu’elle permet, par son approche

formaliste, d’appréhender plus simplement la mobilité des sociétés. En outre, on l’a vu, cette

conception est marquée par un fort courant contractualiste : elle est plus respectueuse de la

volonté des associés fondateurs. Sa présentation étant esquissée, il est légitime de d’interroger

sur son application en droit positif, et notamment en droit français.

83 M. Menjucq, Op. Cit., p. 97, n° 141. 84 M. Menjucq, Op. Cit., p. 99, n° 145.

35

51. Si l’on a évoqué l’application de la définition du siège comme siège réel, il s’agit

désormais de cerner les aboutissants de celle de l’incorporation. Cette dernière se concrétise

en pratique dans le siège statutaire. Il s’agit ici d’un rattachement lié au territoire

d’enregistrement de ladite société selon le professeur Cyril Nourissat85. L’expression

statutaire provient de la volonté des associés fondateurs exprimée dans les statuts de choisir

tel lieu pour siège social Aussi, il semble nécessaire de brosser un tableau de l’application du

siège statutaire en droit international privé. Cela sous-entends de se focaliser sur le droit

interne français puis, plus brièvement, sur des éléments provenant du droit comparé.

52. Comme il a été suggéré dans nos propos, il existe une incertitude s’agissant du critère

choisi en droit français des sociétés. Concrètement, se réfère t-on au classique siège réel ou

davantage au siège statutaire ? Nous avons, en effet, mentionné les divergences doctrinales

existantes et engendrées par un flou autour de la combinaison des articles L 210-3 du Code de

commerce et l’article 1837 du Code civil. A première vue, il en ressort, tel que nous l’avons

envisagé, une primauté accordée au siège réel puisqu’il est le seul véritablement mentionné

dans ces deux textes86. Or, on l’a constaté, le propos est largement à nuancer car s’il est

effectivement fait appel à la notion de siège réel, c’est uniquement à l’alinéa 2 de l’article

1837 du Code civil lequel permet aux tiers de se prévaloir d’une option en faveur de ce

rattachement en cas de fraude. Quant à l’article 210-3 du Code de commerce, la situation

semble similaire : il se décompose de deux alinéas, le premier ne retenant que le terme siège

social, le second évoquant siège statutaire et siège réel avec une possibilité d’opter pour ce

dernier si le siège est fictif. L’alinéa 1 traitant uniquement du siège social, il est plausible

d’envisager que le rattachement de principe soit celui du siège statutaire et celui d’exception

celui du siège réel. Cette opinion rejoint celle du professeur Hervé Synvet, lequel estime

85 C. Nourissat, Droit Communautaire des Affaires, Coll. Hypercours, Dalloz 2005, 2e. Ed., p. 141, n° 175. 86 Voir notamment sur ce point, H. Muir-Watt et D. Bureau, Droit International Privé, Tome II, Partie Spéciale,

Coll. Thémis Droit, PUF 2007, p. 435, n° 1037. Les auteurs estiment que, en l’espèce, le rattachement pertinent

et adéquat devrait être logiquement celui du siège social réel. Horacia Muir-Watt et Dominique Bureau affirment

qu’en cas de dissociations de structures de la société, le siège qui sert de rattachement à cette dernière se définit

comme le lieu de direction effective : il s’agit du siège réel lequel est présumé par le siège statutaire. En

revanche, les auteurs précités admettent qu’il y a matière à discussion sur ce point.

36

qu’affirmer que le critère du siège réel soit le principe en droit français est contestable87.

L’auteur précité justifie ainsi le principe du rattachement français au siège statutaire, ce qui

est corroboré par un rapport plus récent du Sénat relatif à la souveraineté économique de la

France88. En témoigne notamment un arrêt rendu par le Tribunal de commerce de Paris dans

l’affaire dite Banque Ottomane en 198289. Les faits de l’espèce sont les suivants : une banque

incorporée en Turquie possédait son siège en Angleterre et selon le droit international privé

français, la constitution de cet établissement de crédit était donc nulle car il n’avait pas son

siège dans le pays lui ayant conféré la personnalité morale, à savoir la Turquie. Dans son

dispositif, le jugement précité énonçait « Seule l’existence du siège réel de la Banque

Ottomane en France serait de nature à placer celle-ci dans l’allégeance juridique française,

dans la mesure où l’actionnaire serait considéré comme un tiers. » En d’autres termes, dans

cette espèce, les juges parisiens ont considéré que le critère de rattachement de principe est en

droit français celui du siège statutaire et s’applique aux actionnaires, toutefois ils admettent

que les tiers puissent invoquer le siège réel. Ainsi, à la lecture de l’arrêt précité, les associés

ne disposent pas de l’option des tiers, sauf à démontrer l’existence d’une fraude à leur égard.

Dans une position intermédiaire et moins tranchée, telle que rappelée par le professeur Michel

Menjucq90, il est également possible d’admettre l’éventualité que le siège social présent aux

alinéas 1 des deux articles susvisés puisse désigner le siège statutaire, sans pour autant que

cela soit une certitude. Dès lors cette controverse doctrinale non définitivement résolue en

87 H. Synvet., « L’organisation juridique du groupe international de sociétés », Thèse Rennes 1979, p. 162, n°

184. 88 Christian Gaudin, La Bataille des centres de décision : promouvoir la souveraineté économique de la France à

l’Heure de la Mondialisation, Rapport Sénat 22 juin 2007, n° 347. 89 Trib. Com. Paris, 19 oct. 1982, Rev. Crit. DIP 1984, p. 4, note H. Synvet ; RJ Com. 1983, p. 258, note H.

Gaudement-Tallon. 90 M. Menjucq, Droit International et Européen des Sociétés, Coll. Domat Droit Privé, Montchrestien 2001, p.

92, n° 74. L’auteur affirme notamment, s’agissant de la divergence entre les alinéas 1 et 2 des articles 1837 du

Code civil et 210-3 du Code de commerce, que celle-ci résulte d’un « défaut de logique syntaxique ». Michel

Menjucq explique qu’il aurait dès lors mieux valu indiquer, à l’alinéa 2 de l’article 1837 du code précité, que le

tiers ont néanmoins la faculté de se prévaloir du siège statutaire. De ce fait, l’auteur conclue en estimant qu’il

n’est pas impossible de considérer le siège comme siège statutaire. Cette position semble plus nuancée que celle

de Monsieur Synvet qui voit clairement dans l’expression considérée ci-dessus la définition du siège statutaire.

Voir également : P. Mayer, Op. Cit. p. 721 à 722, n° 1037.

37

droit français des sociétés, le lecteur peut entrevoir quel peut être l’apport du droit

communautaire sur ce point.

53. A l’instar du droit français, se pose la question de l’application du critère de

rattachement en droit comparé. Cependant, si le législateur français a instauré un flou autour

de la notion de siège social dans lequel la doctrine et la jurisprudence se sont engouffrés, les

illustrations en faveur du siège statutaire au sein du droit comparé semblent plus tranchées.

Aussi, quatre Etats retiennent notre attention.

54. En premier lieu, l’Angleterre, tel qu’il a été abordé précédemment, est l’Etat par

essence d’application du siège statutaire. Egalement, les Pays-Bas retiennent la conception du

siège statutaire. En effet, depuis 1866, la jurisprudence néerlandaise affirme que le lieu

d’enregistrement d’une société est fixé par son siège statutaire : le rattachement subséquent

est donc logique91. Aussi depuis le 25 juillet 1959, la loi néerlandaise dispose que la

reconnaissance d’une société ne peut être refusée aux Pays-Bas uniquement pour le motif que

le siège réel ne se trouve pas dans le pays où elle a été fondée mais aux Pays-Bas. En outre, la

Suisse, pays hors de l’Union européenne, applique le système du siège statutaire. En vertu de

la loi sur le Droit Privé International, et notamment de son article 154.1, les sociétés sont

régies par le droit de l’Etat en vertu duquel elles sont organisées. Ainsi, la loi helvétique opte

pour un rattachement en faveur du lieu de constitution de la personne morale, et donc au siège

statutaire. Certes l’article 154 alinéa 2 du texte précité prévoit la possibilité d’invoquer la loi

du pays dans lequel la société est administrée de fait, en d’autres termes le siège réel 92. Par

conséquent, le système suisse présente des similitudes avec le régime français, du moins ce

dernier entendu dans sa conception souple, c'est-à-dire celle optant pour le principe du siège

statutaire et l’exception du siège réel.

55. S’agissant de l’Italie, le droit des sociétés et le droit international privé privilégiait

traditionnellement la conception du siège réel. Or, depuis la loi du 1er septembre 1995

régissant le droit international privé, cette règle a été modifiée au profit du système du siège 91 Hoge Raad, 23 mars 1866, Weekblad van het Recht 2781, VLAS Netherlands reports, p. 39. 92 Voir sur ce point l’étude suivante : F. Guillaume, « Lex Societatis. Principe de rattachement des sociétés et

correctifs institués au bénéfice des tiers en droit international privé suisse », Etudes suisses de Droit

International, Vol. 116, Schultess 2001, p. 116.

38

statutaire. En effet, l’article 25. 1 de ce texte affirme que c’est la loi de l’Etat dans lequel a été

accompli le processus de constitution de la société qui primera. Comme pour la Suisse et la

France, il existe s’agissant du droit italien un tempérament au principe du siège statutaire en

cas de sociétés dites pseudo étrangères.

56. Outre ces exemples effectifs de préférence pour le siège statutaire, nous rappelons que

l’Allemagne, pays de tradition de la Sitztheorie, rallie le système de l’incorporation depuis

2006, élément qui sera tout naturellement abordé dans nos propos93. A titre subsidiaire, on

rappellera que deux textes internationaux avaient optés pour le siège statutaire, certes aucune

de ces deux normes n’est entrée en vigueur. Partant du constat que l’existence même des

sociétés ne s’impose pas avec la même évidence que celle des personnes physiques, il s’agit

de supprimer, de façon conventionnelle, toute barrière à la reconnaissance des premières. En

effet, les personnes morales n’ont d’existence juridique que celle que leur confère le droit de

l’Etat membre qui les accueille. Se pose alors le problème de la reconnaissance mutuelle des

sociétés, laquelle est assurée en droit international privé par le biais de conventions. Sur le

plan européen, l’objectif fixé en 1957 par le Traité de Rome en son article 293 nouveau (ex

article 220) est que les « Etats membres engageront entre eux, en tant que besoin, des

négociations en vue d’assurer, en faveur de leurs ressortissants… La reconnaissance mutuelle

des sociétés au sens de l’article 48 deuxième alinéa. » C’est pourquoi, d’une part, le 2 juin

1966, fut signée à La Haye, une convention sur la reconnaissance de la personnalité juridique

des sociétés, associations et fondations. En son article 2, ce texte se référait au système

d’incorporation. En revanche, le même article consacrait également le critère du siège réel si

bien que les deux rattachements pouvaient être retenus94. Outre ce texte et très proche de

celui-ci, la Convention de Bruxelles a été adoptée le 19 février 1968 dans le cadre de l’article

293 du Traité de Rome (ancien article 220) relatif à la reconnaissance mutuelle des personnes

morales. Elle admet dans un premier temps le rattachement au système d’incorporation mais

autorise les Etats qui le voudraient à ne pas reconnaître les sociétés qui incorporées dans un

autre Etat membre, auraient leur siège réel sur leur propre territoire. Si ce texte se prononce en

faveur du système du siège statutaire, il permet donc néanmoins aux dits Etats d’imposer des

93 Infra, p. 280. 94 J-M. Jacquet, P. Delebecque et S. Corneloup, Op. Cit., p. 137, n° 236.

39

dispositions impératives de leur propre droit. Ce qui ne signifie pas pour autant légitimer le

refus de prise en compte du rattachement par incorporation. Notons que cette convention n’est

pas entrée ne vigueur car elle n’a pas été ratifiée par les Pays-Bas, farouche partisan du siège

statutaire95.

57. Par conséquent, le siège social statutaire semble marquer le pas à son pendant réel, en

ce sens que nombre d’Etats optent ou opteront, dans un futur proche, pour ce rattachement. En

effet, ce dernier s’ancre pleinement dans le besoin de mobilité physique des sociétés et permet

une organisation souple et optimisée des structures de l’entité, en respect avec la volonté des

associés fondateurs.

58. Ainsi, tel qu’il a été observé, la notion de siège social apparaît comme prépondérante

en droit des sociétés. En effet, cette dernière détermine la nationalité des personnes morales et

la lex societatis leur étant applicable. En outre, le siège joue un rôle éminent dans le cadre de

la mobilité des sociétés et notamment dans la procédure de transfert de l’entreprise d’un Etat à

l’autre.

59. En revanche, si son importance semble incontestable tant dans la formation que dans

la vie de la personne morale, il est à remarquer un décalage criant. Après une étude du droit

français des sociétés et du droit comparé, il faut se rendre à une évidence. Loin de pouvoir

participer activement à l’unification d’une définition du siège, objet de notre étude, le droit

international privé fait le constat passif de l’émergence de deux systèmes l’un dit du siège réel

et l’autre du siège statutaire, fondés respectivement sur les théories de la Sitztheorie

allemande et de l’incorporation anglaise. Or, ses deux conceptions ne se complètent que

rarement mais s’opposent fréquemment. Si le rattachement du siège social statutaire connaît

un rayonnement accru dans la matière internationaliste, en ce sens qu’il est en moderne,

souple et présente de nombreux avantages pratiques pour les sociétés, il n’en demeure pas

moins que le siège réel constitue toujours un critère d’importance, choisi notamment par le

droit allemand, car il permet de lutter contre les fraudes des associés fondateurs à l’égard des

tiers.

95 Voir sur ce point, J. Boucourechliev, Op. Cit., p. 18.

40

60. Aussi, la définition du siège social en droit international des sociétés nécessite une

clarification et une uniformisation. Or, parallèlement à l’essor du droit international privé, le

droit communautaire des affaires s’est construit progressivement depuis l’entrée en vigueur du

Traité de Rome et s’est construit autour des quatre libertés instaurées par ce dernier. Son

dessein est de mettre en œuvre juridiquement le principe d’une économie de marché ouverte

et favorisant la concurrence. Il régit, en ce sens, la vie des entreprises situés sur le territoire de

l’Union Européenne et à vocation à harmoniser les législations sociétaires des Etats membres.

C’est donc tout naturellement que le droit communautaire s’est saisi de la question relative à

la définition du siège social. Or, ce dernier a légitimement consacré, par un apport normatif et

jurisprudentiel, le siège statutaire comme rattachement principal de la société (PREMIERE

PARTIE). Pour ce faire, le droit communautaire s’est notamment focalisé sur le principe de

liberté d’établissement garanti par le Traité de Rome ainsi que sur le droit des procédures

d’insolvabilité, domaines qui vont être la base de réflexion du droit de l’Union sur le siège.

On l’aura compris, une telle définition ne va pas sans effets, lesquels sont le law shopping et

la mise en concurrence des droits des sociétés nationaux déduites de ce dernier. Néanmoins, si

le constat de la domination du siège statutaire est avéré, cette dernière n’en demeure pas

moins relative (DEUXIEME PARTIE). En effet, au sein même de l’ordre juridique

communautaire, le critère du siège réel subsiste en raison des règles spécifiques de

rattachement de la Société Européenne et à l’absence d’uniformisation de la définition du lieu

d’implantation de la société. Egalement, la consécration de la conception issue de

l’incorporation s’assorti de limites, lesquelles doivent être renforcées afin de maintenir un

équilibre.

41

PREMIERE PARTIE : LA CONSECRATION DU

RATTACHEMENT PRINCIPAL AU SIEGE SOCIAL

STATUTAIRE

42

61. Traditionnellement, il était affirmé que le siège social réel, issu de la Sitztheorie

allemande, était le rattachement de principe dans l’ordre juridique international. Certains

auteurs ont même affirmé que le droit français des sociétés, pourtant vague sur ce point, optait

clairement pour le système réel. Or, tel qu’il a été observé, l’évolution du droit international

des sociétés se montre désormais beaucoup plus favorable au critère du siège statutaire et

relègue le siège réel à un second rôle. Plus précisément, cette poussée est relayée, tant sous un

aspect normatif que prétorien par le droit communautaire des affaires. En effet, ce dernier se

caractérisant par un grand pragmatisme, il tend à prendre en compte les avantages escomptés

d’une définition plus souple du siège. Chantre de l’intégration économique, de la création de

la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) au Traité de Maastricht

réalisant l’Union Economique et Monétaire en passant par le Traité de Rome et l’Acte Unique

européen, le droit communautaire, a eu à cœur de former le support juridique nécessaire à la

réalisation de l’Union Economique et Monétaire. En ce sens, s’agissant du siège social, il

contribue à la simplification et à la rationalisation de sa définition autour du critère du siège

statutaire. Ce dernier est le rattachement privilégié par le droit communautaire des sociétés, ce

que nous estimons légitime eu égard aux besoins de souplesse nécessaire au développement

économique des entreprises. Cette tendance, on l’a évoqué, se manifeste sur le terrain de la

liberté d’établissement garantie par le Traité de Rome ainsi que sur celui du droit

communautaire des procédures d’insolvabilité (Titre I). Or, outre le fait de favoriser la

mobilité des sociétés à travers notamment les transferts de siège et les fusions

transfrontalières, une telle définition moderne et souple connaît des implications indirectes

plus ou moins désirées (Titre II). Puisque à la lumière des interventions dans les domaines

susvisés, les sociétés ressortissantes de l’un des vingt-sept Etats membres actuels de l’Union

Européenne peuvent choisir le lieu d’implantation de leur siège statutaire entendu comme

simple lieu de constitution de la personne morale et également compétent s’agissant de

l’ouverture d’une procédure collective, il se développe un phénomène de law shopping. En

d’autres termes, lesdites entreprises vont choisir, dans un but notamment d’optimisation

fiscale et sociale, d’élire domicile dans un pays leur étant juridiquement plus favorable sans

pour autant y posséder le centre de ses intérêts économiques et administratifs. La conséquence

induite par le law shopping réside dans le fait chaque Etat membre va élaborer et adopter des

lois en matière de sociétés à dessein : il s’agira moins d’organiser la vie juridique des sociétés

que d’attirer les entreprises sur son territoire.

43

Titre I : Une tendance dominante en faveur du siège

statutaire dans l’ordre juridique communautaire

62. La contribution du droit communautaire des sociétés à la définition du siège social se

produit sur deux terrains : d’une part, la tendance favorable au rattachement par le siège

statutaire est suscitée par le droit matériel communautaire originaire puis dérivé (Chapitre 1),

d’autre part le droit prétorien issu de la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés

Européennes ancre encore davantage cette orientation dans le paysage juridique sociétaire

(Chapitre 2).

Chapitre I Une tendance suscitée par des sources variées issues du

Droit positif communautaire des affaires

63. Nous l’avons constaté, l’intervention du Droit communautaire s’agissant de la

question du siège social était attendue tant le droit international privé ne parvenait à dégager

une définition uniforme de la notion précitée. Or, cette action menée depuis près de dix ans

n’aurait pu se concrétiser sans l’apport de bases textuelles fortes. Ces dernières, véritables fers

de lance du droit communautaire des entreprises, ont en effet, jeté les bases de la construction

jurisprudentielle favorable au siège statutaire. Ces fondement sont, d’une part, les articles 43

et 48 du Traité de la Communauté Européenne relatifs à la liberté d’établissement des sociétés

(section I), confirmés par, d’autre part, le Règlement du 29 mai 2000 sur les procédures

d’insolvabilité communautaire (section II).

44

Section I : Le constat de la prévalence d’une définition favorable au siège social

par l’examen des sources droit positif communautaire

64. Depuis le traité de Rome de 1957 fondant la communauté européenne et jetant les

bases de l’Union européenne, le Droit communautaire des affaires s’est progressivement saisi

de la question controversée du siège social. Avant de se traduire par une jurisprudence

conséquente et plus récente, l’évolution de la matière a notamment été initiée par l’affirmation

du principe de liberté d’établissement issue dudit Traité. Or, de prime abord, celui-ci semble

s’orienter, par le biais des articles 43 et 48, vers une définition unitaire du siège au profit du

siège statutaire, conformément aux vœux que nous avons formulés précédemment (I). Or, cet

espoir semble ne pas faire long feu tant la position du droit communautaire institutionnel

demeure ambiguë en ce qu’elle permet d’invoquer également le siège réel (II).

I) Deux bases légales au service du principe de liberté d’établissement des personnes

morales : les articles 43 et 48 du Traité de la Communauté Européenne

65. De prime abord, il convient, avant d’aborder le Traité de Rome, d’apporter quelques

précisions liminaires relatives à la liberté d’établissement. Celle-ci provenant à l’origine, du

droit international privé, apparaissait dès lors comme synonyme de la condition des étrangers 96. L’établissement consistait alors en l’installation d’un étranger dans un pays d’accueil avec

l’intention de s’y fixer et d’y exercer une activité économique ou du moins professionnelle.

Par la suite, dans le cadre de la Communauté européenne devenue Union européenne, cette

notion permet l’assimilation de l’étranger au national et se faisant elle a permis la suppression

des mesure discriminatoires tant dans la sphère personnelle que professionnelle des

ressortissants de l’Union97. Elle s’exprime à travers deux articles du Traité de la Communauté

96 C. Nourissat, Op. Cit. , p. 86, n° 120. 97 Y. Loussouarn, P. Bourel, P. de Vareilles-Sommières, Op. Cit., p. 928, n° 667 ; Voir également pour une étude

approfondie, P. Icard, Droit Matériel et Politiques Communautaires, Coll. Droit Public et Sciences Politiques,

Editions Eska 1999, pp. 213 à 259.

45

européenne, l’un, l’article 43, demeurant trop vague en n’évoquant pas la problématique du

siège social (A), l’autre, l’article 48 se prononçant clairement pour le siège statutaire (B).

A) L’article 43 du Traité, une disposition en faveur de la liberté d’établissement lacunaire

s’agissant des établissements principaux et du siège social

66. Tel qu’il a été esquissé précédemment, la liberté d’établissement est « le droit pour les

personnes physiques qui exercent une activité indépendante et pour les personnes morales de

pouvoir s’installer dans un autre Etat que le leur en vue d’exercer leurs activités dans les

mêmes conditions que les nationaux de ce pays »98. Notion qualifiée de très large selon la

Cour de Justice des Communautés européennes en son arrêt Reyners de 197499, elle comporte

deux volets. D’une part, elle garantit une liberté d’accès aux activités salariés et d’autre part

elle assure à l’égard des citoyens de l’Union (entendu comme toute personne disposant de la

nationalité d’un Etat membre) une égalité de traitement avec les nationaux de l’Etat membre

concerné. En effet, selon l’article 43 alinéa 1 ancien article 52) du Traité de Rome instituant la

Communauté Economique Européenne en 1957, « Dans le cadre des dispositions ci-après, les

restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un Etat membre dans le territoire

d’un autre Etat sont interdites ». On l’aura compris, il s’agit ici de la liberté d’établissement

bénéficiant aux personnes physiques. Les restrictions ou discriminations envisagées largement

par le texte et prohibées sont celles fondées ostensiblement sur la nationalité ou sur le siège

ainsi que les avantages accordés aux résidents100. Ce même alinéa 1 de la norme précitée

ajoute, plus loin, que « Cette interdiction s’étend également aux restrictions à la création

d’agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d’un Etat membre établis sur le

territoire d’un autre Etat membre.» Ainsi, déplaçant le curseur sur les établissements

secondaires, le traité tends à prendre en compte la notion de liberté d’établissement s’agissant

des personnes morales. Plus clairement, l’alinéa 2 de l’article 43 du Traité affirme que le

principe de liberté d’établissement comporte aussi la « constitution et la gestion 98 F. De La Fuente, Traduction de J. Denis, Dictionnaire Juridique de l’Union Européenne, Bruylant 1998, p.

311. 99 C.J.C.E, 21 juin 1974, Reyners, aff. 2/74, Rec., p. 631. 100 M. Fallon, Droit Matériel Général de l’Union européenne, Bruylant 2002, 2e. Ed., p. 509.

46

d’entreprises ». La notion de société, via l’expression « entreprises », bénéficiaire de ladite

liberté est dès lors expressément reconnue par le texte : les personnes morales sont assimilées

aux personnes physiques s’agissant de la protection assurée par le traitée101. Cette disposition

est salutaire en ce sens qu’elle crée les conditions préalables à la mobilité des sociétés au sein

de l’Union européenne, celles-ci recevant les garanties d’une libre implantation dans chacun

vingt-sept Etats. Néanmoins, ce texte nous semble lacunaire à bien des égards. En effet, il

s’agit dans un premier temps de déterminer précisément quels sont les bénéficiaires de cette

liberté. Or, si l’ alinéa 1 évoqué ci-dessus énumère un certain nombre d’établissements

secondaires (agences, succursales ou filiales), l’alinéa 2 traite de l’entreprise qui de surcroît

n’est pas une notion reconnue par le droit positif. Par conséquent, l’ensemble donne une

impression de flou. S’agissant, d’une part, de l’établissement principal dénommé entreprise,

l’article 43 alinéa 2 du Traité est envisagé ex-nihilo (c'est-à-dire par le biais de la création

d’une société) mais également par sa migration laquelle se déduit du terme « gestion »102. En

revanche, ce dernier aspect semble poser problème puisque le transfert de siège intra

communautaire se heurte encore à de nombreux écueils en l’absence d’une 14e directive très

attendue. Outre des barrières fiscales freinant le transfert, lesquelles seront plus

particulièrement abordées dans notre étude, si le droit communautaire permet

économiquement cette migration, c’est à la condition de maintenir le lien juridique du

rattachement initial, en d’autres termes le siège social et la lex societatis demeureront ceux de

l’Etat de constitution103. Au nom de la mobilité des sociétés, ce système ne peut pleinement

satisfaire. Dès lors, l’absence du terme siège statutaire dans l’article 43 se comprend aisément

tant les possibilités de mobilité de l’établissement principal sont amenuisées par les lourdeurs

procédurales. Il convient également de citer un arrêt de la Cour de Justice des Communautés

Européennes dit Daily Mail du 27 septembre 1988. Ladite société, de constitution britannique,

avait déplacé son siège de direction de Grande-Bretagne aux Pays-Bas afin de faire échapper

certaines opérations à la fiscalité anglaise, sans pour autant déplacer son siège statutaire, la loi

anglaise lui restant donc applicable. Or, en l’espèce, le Trésor britannique avait refusé

l’autorisation du transfert. La Cour affirme, en l’espèce, l’effet direct du droit d’établissement

101 J. Boucourechliev, Op. Cit., pp. 17 et 18. 102 C. Gavalda et G. Parleani, Droit des Affaires de l’Union Européenne, Litec 2002, 4e. Ed., p. 136, n° 176. 103 Voir notamment sur ce point, B. Goldman et A. Lyon-Caen, Op. Cit., p. 128, b).

47

aux entreprises et aux sociétés mais elle ne s’oppose pas à ce qu’un Etat membre (Grande-

Bretagne) refuse d’autoriser, pour des raisons fiscales, un transfert de siège vers l’autre Etat

membre (Pays-Bas)104. Ainsi, comme le souligne Loussouarn, si le principe de liberté

s’applique aux établissements principaux, il est assujetti à des conditions de mise en œuvre de

la part de l’Etat de départ, lequel peut refuser le transfert105. En effet, selon les termes mêmes

de la Cour de Justice, les articles 52 et 58 du Traité de Rome (respectivement 43 et 48 depuis

la recodification opérée par le Traité d’Amsterdam de 1997) ne sauraient « conférer à une

société constituée conformément à la législation d’un Etat membre et y ayant son siège

statutaire de transférer son siège de direction dans un autre Etat membre »106. Par conséquent,

jusqu’à l’avènement de la Société Européenne, l’établissement secondaire est plus aisé à

réaliser que celui principal107. Cette matière nécessite donc d’être harmonisée afin de

permettre une certaine mobilité du siège, c’est notamment un des intérêts de la Société

Européenne (S.E). Quant aux établissements secondaires, ceux-ci implique la préexistence,

dans un Etat membre de l’Union, d’un établissement principal qui pourra essaimer en

direction des territoires des autres Etats membres. La disposition précitée emploie, à ce sujet,

l’expression « création d’agences, de succursales ou de filiales ». S’agissant des deux

premières, les implications concrètes sont les suivantes : une personne morale déjà établie à

titre principal fonde ou acquiert un établissement qui exerce une activité identique et sans

personnalité juridique propre. Au contraire, la filiale, telle qu’entendue par ledit texte, possède

une personnalité juridique indépendante de la société mère. Elle est une société établie dans

un autre Etat membre que celui où se trouve son établissement principal et exerçant la même

activité que lui.

67. Tel qu’il sera abordé, la liberté d’établissement des établissements secondaire est

grandement facilitée par l’article 48 du Traité de la Communauté européenne.

104 J. Béguin, « L’avènement de la Société Européenne », Mélanges Lagarde, Dalloz 2005, p 90 105 Y. Loussouarn, Le Droit d’Etablissement des Sociétés, Rev. Trim. Droit Européen 1990, n° 26, p. 229 et ss. 106 C.J.C.E, 9 mars 1999, Centros Ltd. , aff. C-212/97, Rec., p. I-1459. 107 Dossier Internationaux F. Lefebvre, S’implanter dans l’Union Européenne, 2004, p. 43, n° 206.

48

B) L’article 48 du Traité se prononçant pour la définition du siège social statutaire

68. L’article 48 (anciennement article 58) du Traité est, en effet, le corollaire de l’article

43 précité. En lien direct avec notre sujet, il précise, en premier lieu, quelles sont les entités

bénéficiant de la liberté d’établissement et quelle définition du siège prévaut. De façon

corollaire, l’article 48 traite de la reconnaissance des sociétés.

1°) L’article 48 du Traité s’appliquant aux sociétés, une disposition en faveur du siège

statutaire

69. Comme nous l’avons brièvement évoqué ci-dessus, l’article 48 du Traité de la

Communauté Européenne nomme les bénéficiaires de la liberté d’établissement et retient une

définition du siège social plus adaptée à la mobilité des sociétés.

Pour ce faire, le texte emploie nommément le terme « sociétés » mais dans un sens large

puisqu’il s’agit de « sociétés de droit civil ou commercial, y compris les sociétés

coopératives »108 . La notion de société précitée est donc communautaire, en ce sens que cela

concerne tout groupement qui possède une capacité d’action économique ainsi qu’un

patrimoine propre. Observons, par ailleurs, que les seules personnes morales excluent de la

protection sont celles qui n’ont pas de but lucratif, c'est-à-dire, d’une manière large, celles

dont l’activité économique est gratuite. Cette disposition vise notamment l’association. En

effet, si dans certains cas, cette dernière peut tenter de rechercher des économies, ce sera

uniquement dans l’intérêt de leurs membres et non dans le sien. De même, les bénéfices

qu’elle peut réaliser, ne seront jamais redistribués à ses membres. Ainsi, le texte précité

s’adresse t-il uniquement aux entités constituées dans un but lucratif. S’agissant plus

particulièrement du siège social, celui-ci est expressément abordé par l’article 48, et c’est une

différence avec l’article 43 susvisé, comme « siège statutaire, administration centrale ou

principal établissement à l’intérieur de la Communauté. » Il est à noter que ces différents

critères sont alternatifs et non cumulatif. Par conséquent, la fixation du siège statutaire suffit

108 V. Constantinesco, Y. Gauthier, D. Symon, Traité d’Amsterdam et de Nice, Commentaire article par article,

Article 48, Economica 2007, p. 332 à 333.

49

au rattachement d’un Etat membre de l’Union européenne, ce qui semble être un choix

judicieux dans la perspective de mouvement physique du siège d’une société. Peu importe

donc selon l’article 48 du Traité de la Communauté européenne que ladite société n’ait

aucune activité réelle dans l’Etat de constitution Or, selon Loussouarn, cette référence au

simple siège statutaire est synonyme de laxisme de la part du législateur de Bruxelles car

outre le fait qu’elle engendre le risque de fictivité du siège, elle permet à des Etats hors espace

communautaire de bénéficier indirectement de cette liberté 109. En revanche, aucun élément

dans l’article 48 ne permet d’affirmer que le législateur communautaire, par cette définition

souple du siège social, admet l’éventualité de dérives de la part de sociétés désireuses

d’échapper à une législation. Au contraire, la jurisprudence de la Cour de Justice des

Communautés européennes, interprétant le texte, a évoqué dans un arrêt Centros qui fera

l’objet de nos observations, les entorses autorisées au droit d’établissement en cas d’usage

abusif et notamment de fraude110. Toutefois, cette possibilité appartenant aux Etats membres

de restreindre la liberté d’établissement semble s’amenuiser au fil de la jurisprudence de la

Cour précitée. Nous nuancerons également le propos du professeur Loussouarn dénonçant le

risque de pénétration du marché européen via le siège statutaire, lequel est consacré par la

liberté d’établissement. Or, cet établissement principal d’une société étrangère à l’Union

suppose le transfert de son siège social d’origine vers un Etat membre. De prime abord, nous

l’avons évoqué, ce transfert du siège social ou du principal établissement est, pour l’instant,

en droit international des sociétés. Par ailleurs, si tant est que ce transfert puisse être mise en

œuvre, lutter contre d’éventuelles prises de contrôle par des groupes extra communautaires 109 Y. Loussouarn, Op. Cit., p. 236. L’auteur explique que le critère développé part l’article 48 du Traité, soit le

siège statutaire, fait disparaître la prépondérance du siège réel au profit de celui statutaire lequel doit être

appliqué, selon lui, même en cas de fictivité. Yvon Loussouarn estime que ce rattachement peu rigoureux voire

même « laxiste » engendre des conséquences néfastes. Il prend notamment l’exemple d’une société dont le

véritable centre de ses intérêts économiques et administratifs est située hors de l’Union, tel aux Etats-Unis

d’Amérique, mais qui s’est constituée en France et y a fixée son siège statutaire. Cette dernière sera considérée

comme Française par le Droit de l’Union européenne. C’est pourquoi, l’auteur précité propose de limiter cette

liberté d’établissement aux sociétés ressortissantes d’un Etat membre et conservant leur établissement principal

dans ce dernier. Il s’agit en effet, de maintenir un lien effectif et continu avec l’économie de l’Etat membre du

siège statutaire. Voir également dans le même sens : B. Goldman et A. Lyon-Caen, Op. Cit., p. 205 et 206, n°

140 : Pour ces auteurs, la solution de l’article 48 est d’un « libéralisme excessif . » 110 C.J.C.E, 9 mars 1999, Centros Ltd. , aff. C-212/97, Rec., p. I-1459, point 27.

50

nécessiterait d’appliquer le critère du contrôle aux lieu et place du siège statutaire, certes nous

l’avons constaté le premier est abandonné depuis de nombreuses années car il impose une trop

étroite surveillance sur les flux internationaux de capitaux. De même, comme le souligne le

professeur Jean Schapira, si l’Union souhaite réellement lutter contre ce phénomène

d’investissements extérieurs via le siège statutaire de l’article 48, il s’agit de revoir l’entier

régime de liberté d’établissement puis de le remettre en cause au profit d’une réglementation

des capitaux111. En l’occurrence, selon les orientations des Traités d’Amsterdam et de Nice, le

développement intracommunautaire des entreprises se concrétise par la promotion de la

liberté d’établissement bénéficiant aux personnes morales. La crainte exprimée par

Loussouarn est donc non fondée en l’état actuel du droit.

70. Toutefois, la possibilité appartenant aux Etats membres de restreindre la liberté

d’établissement semble s’amenuiser au fil de la jurisprudence de la Cour précitée. En outre,

preuve qu’elle n’est pas absolue ou laxiste mais mesurée, la liberté d’établissement de l’article

48 du Traité consacrant le siège statutaire est assortie de la condition dite du lien économique

avec l’Union112. En effet, à l’origine, en 1957, ce rattachement souple ne recueillait pas

l’assentiment de tous les Etats membres (les 6 pays fondateurs optant à l’époque pour le siège

réel), le Conseil des communautés imposa dès le 18 décembre 1961 cette condition

supplémentaire113. Concrètement, ladite personne morale ne peut bénéficier de la liberté

d’établissement que si elle possède un lien économique effectif et continu avec cet Etat.

Malheureusement, le texte ne définit le sens de ce lien effectif mais précise toutefois qu’il ne

saurait s’agir de la nationalité des associés, personnes physiques animées de l’affectio

societatis, celle-ci ne créant pas de lien suffisant entre la société et l’économie. En revanche,

ce lien peut être caractérisé par l’existence d’un établissement, principal ou secondaire, à

l’intérieur de l’Union. En définitive, selon le professeur Michel Menjucq, cette condition ne

saurait être considérée comme le seul élément du rattachement d’une société à un Etat : celui-

ci résulte, eu égard aux dispositions du traité, de la seule conformité à la législation de

111 J. Schapira, G. Le Tallec, J-B. Blaise, L. Idot, Droit Européen des Affaires, Tome 2, PUF 1999, 5e. Ed., p.

569. 112 Voir sur ce point, l’étude de B. Goldman et A. Lyon-Caen, Op. Cit., pp. 210 à 213, n° 145 à 147. 113 J.O.C.E. n° 2, 15 janv. 1962.

51

constitution114. Par conséquent, l’article 48 du Traité de la Communauté européenne opte

clairement pour la définition statutaire du siège social. Celle-ci est souple et favorise dès lors

la mobilité des sociétés, dans le marché unifié au sein de l’Union européenne. En effet, et à

titre anecdotique, nous rappellerons que le critère statutaire fut conçu pour faciliter le

commercer outre-Manche des sociétés britanniques par le biais des exportations. Or, depuis

1957, le droit communautaire n’a eu de cesse d’encourager la circulation des personnes

morales dans le territoire de l’Union. Dès lors, cette construction économique européenne

rends difficile et inopportune l’application du siège réel en ce sens que ce dernier freinerait la

liberté d’établissement. En effet, puisque ce dernier se déduit d’un état de fait, la mobilité du

siège implique un changement de lex societatis préjudiciable à la personne morale concernée.

Les exigences de liberté de circulation et d’établissement ne peuvent que s’accommoder avec

difficulté de ces lourdeur procédurales. Il est dès lors aisé de comprendre le choix de l’article

48 du Traité de la Communauté européenne.

2°) L’article 48 consacrant le libre choix du siège statutaire et de loi applicable aux personnes

morales

71. Tel que nous l’avons constaté, l’article 48 du Traité de la Communauté européenne

affirme avec clarté la possibilité pour une société de se rattacher juridiquement à son siège

statutaire. Ceci, sur le fondement de la liberté d’établissement, assure les sociétés d’une

faculté de mobilité intra communautaire. Or, l’incorporation choisie par les rédacteurs dudit

Traité emporte des conséquences. De prime abord, la disposition commentée permet un choix

de rattachement, ce qui est original puisque ce n’est pas le cas dans de nombreux états

membres, lesquels imposent un rattachement de principe s’agissant des personnes morales. Ce

système laisse toute liberté aux associés pour établir et immatriculer leur société dans tel ou

tel Etat membre, peu importe où l’activité économique de cette dernière se déploie. Les seules

contraintes seront de respecter les formalités de constitution du pays d’accueil ainsi que de

maintenir avec cet Etat un lien économique effectif. On le constate, si il existe d’autres

rattachements envisagées par le Traité, le siège statutaire, pour son soucis de simplicité et de

114 M. Menjucq, Op. Cit., p. 335, n° 271.

52

souplesse, possède des chances certaines de succès auprès des entrepreneurs. De surcroît,

cette tendance à la liberté marquant l’article 48 suscite le phénomène suivant chez les associés

de la personne morale. Dans le cadre d’une définition souple du siège statutaire, ces derniers

vont, en effet, fixer le siège de la société, non plus uniquement en considérant le lien de celle-

ci avec l’Etat membre considéré mais en tenant compte également d’une stratégie

d’implantation ou encore d’une optimisation juridique selon la formule de Monsieur Jean-

Philippe Dom 115. En d’autres termes, les associés décident du lieu d’implantation du siège

social en recherchant la loi nationale la plus accommodante. Ainsi, indirectement, l’article 48

engendre t-il un phénomène de law shopping, lequel fera l’objet de notre attention. Cette

recherche conduit à éluder l’application de législations nationales susceptibles d’êtres

compétentes, et ce parfois au détriment de tiers. Très justement, le professeur Michel Menjucq

estime que la frontière entre l’exercice d’une liberté et d’un abus peut se révéler tenue 116. A

ce stade, on conçoit toute l’importance de la tâche incombant à la Cour de Justice des

Communautés européennes. En effet, il s’agit, pour elle, de clarifier davantage la situation en

déterminant notamment s’il convient ou non de poursuivre l’essor de la conception statutaire

du siège favorisant ce law shopping.

72. Si le rattachement au siège statutaire semble favorisé par les articles 43 et 48 du Traité

de Rome, pour autant il n’est pas exclusif mais alternatif. Ces dispositions légitiment d’autres

conceptions du siège, ce qui est une source de confusion.

II) Une possibilité textuelle d’invoquer également le siège statutaire et le siège réel

S’agissant de l’article 48 du présent traité, il a été observé que si celui-ci mentionne

clairement le choix du siège statutaire, élément novateur en droit international des sociétés, il

n’impose pas une concordance entre le critère du siège réel, du principal établissement et du

siège statutaire. Au contraire, à la lumière de la disposition précitée, le choix du rattachement

serait alternatif en ce sens qu’il faut opter pour « le siège statutaire, l’administration centrale

115 J-P. Dom, “La société européenne. Aspects de droit des sociétés », Dossier La Société Européenne entre son

passé et son avenir, Droit et Patrimoine n°125, avril 2004, p 77 116 M. Menjucq, Op. Cit., p. 338, n° 274.

53

ou principal établissement ». L’utilisation de l’adverbe « ou » par le texte nous conforte dans

cette analyse. Aussi, l’article 48 n’exprime aucune préférence entre ces différents critères

mais les met sur un pied d’égalité 117 : il suffit que la constitution d’une société réponde à l’un

de ces trois éléments pour se conformer à la norme communautaire. L’unique contrainte

réside dans le fait que soit le siège statutaire, l’administration centrale ou le principal

établissement soient situés à l’intérieur de l’Union.

73. Cette alternative s’explique notamment par le fait qu’à l’origine peu d’Etats membres

avaient recours au siège statutaire, le dilemme entre celui-ci est le siège réel ne pouvait

exister. Or, depuis, au fil du ralliement croissant d’Etats membres au système d’incorporation,

l’opposition ces deux rattachements n’a eu de cesse de se cristalliser. Précisons également

qu’entre ces deux grands critères, le texte mentionne le principal établissement. Il s’agit d’une

variante du siège réel tenant compte du principal centre d’activité industrielle ou commerciale

même si le siège décrit par les statuts est situé sur le territoire d’un autre Etat. Si l’article 48

peut donner, de prime abord l’impression qu’il impose tel ou tel rattachement, chaque Etat

membre reste libre de choisir dans les critères énumérés ci-dessus le plus approprié118. Cette

précision est notamment rappelée par l’arrêt Daily Mail déjà évoqué. En effet, à l’occasion de

cette affaire relative au transfert du siège social, la Cour de Justice des Communautés

européennes affirme que le « Traité considère la disparité des législations nationales

concernant le lien de rattachement exigé pour leurs sociétés comme un problème qui n’est

pas résolu par les règles le droit d’établissement. » A l’aune de cette affirmation, deux

constats peuvent être dressés. D’une part, si il était envisageable d’admettre, à première vue,

que le Traité retienne en priorité le critère du siège statutaire, la Cour démontre qu’il n’en est

rien. Pis encore, elle observe que cette disparité de rattachements suscite des difficultés.

L’objectif de rationalisation et d’harmonisation des droits des Etats membres par le droit

communautaire s’éloigne donc. Précisément, l’arrêt précité entérine les obstacles mis par les

législations nationales au transfert du siège social d’un Etat membre à l’autre puisqu’il permet

à l’ordre juridique d’un Etat membre dans lequel la personne morale a son siège statutaire et

117 M. Menjucq, « Rattachement de la société européenne et jurisprudence communautaire sur la liberté

d’établissement: incompatibilité ou paradoxe ? », Dossiers Dalloz Droit des Sociétés pour 2005, p 604. 118 A. Decocq et G. Decocq, Droit Européen des Affaires, LGDJ 2003, p. 335, n° 324.

54

son siège réel d’empêcher le transfert de ce dernier dans un autre Etat 119. Les restrictions « à

la sortie » sont donc tolérées par les instances communautaires. D’autre part, l’espèce Daily

Mail affirme qu’afin que l’un des trois critères énumérés par l’article 48 du Traité de Rome

soit reconnu par l’Union et l’ensemble des Etats membres, il est nécessaire qu’il soit lui-

même fixé par la législation de l’Etat à laquelle la société prétend se rattacher. Aussi, la

liberté d’établissement énoncée dans l’article 48 précitée ne connaît une portée absolue mais

relative. Dès lors, le critère du siège statutaire, s’il se trouve renforcé par cette consécration

légale, n’en demeure pas moins concurrencé par le siège réel. Les apports des articles 43 et 48

sont donc notables en ce sens qu’ils mettent en jeu par le biais de la liberté d’établissement le

siège statutaire et qu’ils aboutissent à une reconnaissance mutuelle des sociétés. Néanmoins,

si l’orientation vers la conception du siège comme incorporation est visible, et cela est

louable, les dispositions susvisés ne tranchent pas précisément en faveur de celui-ci. Une fois

de plus, on conçoit aisément le rôle déterminant de la jurisprudence de la Cour de Justice des

Communautés européennes. Une alternative lourde de conséquences s’offre à elle. Soit elle

confirme l’orientation prise dans l’arrêt Daily Mail, ce qui freinera inévitablement l’essor du

siège statutaire, soit elle admet que le rattachement au seul siège statutaire ne puisse plus être

combattu par des Etats membres, au nom de la liberté d’établissement et c’est alors la

domination nette de la théorie de l’incorporation. Nous le verrons, depuis 1999, la Cour a, en

effet, tranché en faveur de l’une des deux conceptions.

74. Cependant, si la liberté d’établissement s’avère être un fondement légal favorable au

critère du siège statutaire en amont de la vie économique de la personne morale, il est des

pans du droit communautaire, en aval, dans lesquels la conception de l’incorporation connaît

un franc succès. Tel est le cas du droit des procédures d’insolvabilité.

119 J-P. Dom, « La Liberté d’établissement comme fondement de la reconnaissance mutuelle des sociétés :

principe et conditions de mise en œuvre », Droit communautaire des sociétés, note sous C.J.C.E, 5 nov. 2002,

Überseering BV c/ Nordic Construction Company, Rev. Sociétés 2003, p. 339. ; voir également J.

Bouchourechliev, Op. Cit., p. 19.

55

Section II : Le siège statutaire enfin consacré par le Droit positif des procédures

d’insolvabilité communautaires

75. Le droit des entreprises en difficulté est une matière complexe à appréhender en droit

interne. En effet, ce dernier possède des objectifs ambitieux et généraux que l’on peut

qualifier de « contradictoires », selon l’expression du professeur Yves Guyon120. En effet,

cette matière se propose de prévenir les difficultés des entreprises et donc de les traiter tout en

satisfaisant les créancier et en poursuivant le redressement de la personne morale. Enfin, dans

une certaine mesure, le droit des procédures collectives a comme mission de sanctionner les

dirigeants malhonnêtes ou incompétents. Aussi distingue t-il le sort des hommes et celui de

l’entreprise concernée. On le conçoit, les intérêts en présence ne se rejoignent pas

systématiquement. C’est pourquoi, le droit des entreprises en difficulté a connu, notamment

sur le territoire français, de nombreuses réformes et mutations. De sa création en 1807, le

droit des faillites s’est notablement transformé, notamment par la loi et l’ordonnance du 13

juillet et du 23 septembre 1967 et surtout par la loi dite Badinter du 1er mars 1984 complétée

par un décret du 3 juillet 1985, lesquels ont profondément modernisés la matière. Enfin, le 26

juillet 2005 est intervenue la réforme Perben dite de Sauvegarde des Entreprises. Eu égard à la

complexité des enjeux en présence, la matière a du et a su évoluer. Or, en droit

communautaire, les difficultés évoquées sont particulièrement fortes, en ce sens que, dans un

contexte de mondialisation des échanges, le débiteur possède des actifs dans plusieurs Etats.

Chaque Etat concerné va donc s’efforcer d’attraire vers lui l’ouverture de la procédure

collective. En effet, l’enjeu du droit de la faillite internationale121, expression conservée par

120 Y. Guyon, Droit des Affaires, Tome 2-Entreprises en difficulté, Redressement Judiciaire, Faillite, Economica

2003, 9e. Ed., p. 23, n° 1020 . 121 M. Menjucq, Droit International et Européen des Sociétés, Coll. Domat Droit Privé, Montchrestien 2001, p.

353, n° 280. Pour l’auteur, si le terme faillite a, en effet, disparu du vocable français suite à la loi du 25 janvier

1985 , il conserve une utilité descriptive permettant d’identifier par un même terme des procédures différemment

nommées dans les systèmes juridiques étrangers. Michel Menjucq observe que cette terminologie est à propos

puisque le redressement de l’entreprise est très rarement évoqué. L’auteur note, cependant, que le terme est

désormais concurrencé par l’expression « procédures d’insolvabilité » employée par le Règlement

communautaire du 29 mai 2000, objet de nos propos.

56

les auteurs alors même que le droit français l’a abandonné en 1984, est de déterminer quelle

est la juridiction territorialement compétente pour connaître du litige. Celle-ci va dès lors

désigner une loi compétente, la lex fori concursus. Dans cette perspective, la notion de siège

social prends tout son sens, puisque cette dernière permet notamment de désigner la

compétence territoriale juridictionnelle. Or, loin de consacrer une définition uniforme du

siège, le droit des faillites internationales a longtemps brillé par son absence sur la scène

juridique et a donc induit les Etats membres à développer leurs propres règles de compétence.

Partant de ce constat, une clarification de la notion de siège social en droit des procédures

d’insolvabilité s’avère nécessaire (I), celle-ci intervenant en droit communautaire par le biais

du règlement 1346/ 2000 du 19 mai 2000, lequel donne compétence au lieu du centre des

intérêts principaux du débiteur (II).

I) Une nécessaire uniformisation du siège dans les procédures d’insolvabilité

76. Nous l’avons constaté, la faillite internationale pose la question de la compétence des

juridictions d’un Etat pour ouvrir une procédure collective. En effet, cela est fondamental

dans le sens où l’issue du conflit de juridiction détermine la loi applicable à l’instance.

D’autre part, dans l’hypothèse d’un groupe international de sociétés, il semble légitime de

s’interroger sur les effets de celle-ci dans les différents Etats dans lesquels celui-ci possède

des actifs et des créanciers. Aussi, le siège social en tant qu’élément de localisation de la

société joue un rôle essentiel dans la résolution de ces conflit de droit international. Pour

autant, dans cette matière, notamment ni le droit français (A) ni le droit conventionnel (B)

n’ont permis l’émergence d’une définition unifiée du siège.

A) Le siège de l’entreprise en droit français, un critère éludant la dimension internationale de

la procédure

77. Avant d’envisager le critère retenu par le droit français, il convient d’aborder les

fondements théoriques usités afin de résoudre le conflit de compétence.

57

1°) Les fondements théoriques de la faillite internationale

78. En droit international privé des procédures collectives, le critère de rattachement

nécessaire pour déterminer la juridiction puis la loi compétentes dépends, en effet, étroitement

de la conception que se fait la doctrine de la nature de cette faillite122. Il existe trois

conceptions doctrinales s’agissant du lieu d’ouverture de la procédure, l’une reposant sur

l’universalité de la faillite, l’autre sur la pluralité de la faillite et la dernière adoptant une

approche mixte. Quant à la première, elle consiste à reconnaître compétence à la juridiction

du centre des affaires du débiteur et à soumettre l’affaire à la loi de ce centre123. Outre le fait

de respecter le principe d’égalité des créanciers, la décision du tribunal ainsi désigné a

l’avantage d’être reconnue de plein droit dans les autres Etats et y produit tous ses effets sous

réserve de l’exequatur. En d’autres termes, cette conception se prononce favorablement à la

détermination d’un siège unique, ce qui a le mérite de la clarté, sans pour autant apporter

davantage de précisions quant aux contours de ce dernier.

79. S’agissant de la théorie dite de la pluralité ou encore territorialité de la faillite, celle-ci

suppose qu’une procédure ne peut produire des effets en dehors de l’Etat où elle est engagée.

Aussi, cette dernière devra t-elle être organisée dans tous les pays où le débiteur possède soit

un établissement secondaire soit des actifs. Dès lors, dans cette hypothèse, il existe autant de

sièges que d’établissements. On observera que le système de la pluralité de faillite avait,

antérieurement au 29 mai 2000, la faveur de différents Etats membres de l’Union car il était

respectueux de la souveraineté judiciaire124. Cette définition souffre donc d’un manque de

simplicité et de sécurité juridique pour le créancier. De surcroît, la conception de la pluralité

de la faillite remet sérieusement en cause le principe d’unicité des créanciers, en ce sens que

suite à une multiplicité des compétences juridictionnelles, ceux-ci pourraient déclarer leurs

créances plusieurs fois et ainsi obtenir des paiements cumulés. 122 B. Soinne, Traité des Procédures Collectives, Litec 1995, 2e. Ed, p. 191, n° 346. Voir également M. Menjucq,

Op. Cit., p. 360, n° 286. Pour Michel Menjucq, cette théorie se fonde notamment sur la thèse de l’unicité de

patrimoine qui conçoit celui-ci comme un ensemble unique dans lequel actif et passif répondent chacun l’un de

l’autre. 123 P. Mayer et V. Heuzé, Op. Cit., p. 497, n° 666-1. 124 Voir notamment sur ce point, A. Jacquemont, Droit des Entreprises en Difficulté, LexisNexis 2007, p. 84, n°

144.

58

80. Enfin, à côté de ces deux théories, apparaissent des systèmes mixtes, empruntant à

chacune d’elle des éléments. Celui-ci entraîne un morcellement des compétences à l’intérieur

d’un procédure unique, ce qui porte atteinte, selon l’expression du professeur Bernard Soinne,

à « la cohérence des ensembles législatifs » en présence125. La notion de siège n’est donc pas

systématiquement uniforme dans ce cas. Or, c’est pourtant vers cette conception que s’oriente

le droit français.

2°) Une conception mixte du siège social en droit français des procédures collectives marquée

par l’alternative entre le siège de l’entreprise et le centre principal des intérêts du débiteur

81. S’agissant de la faillite internationale, le droit français des procédures collectives a

adopté une approche mixte. En effet, dès l’arrêt Pelassa rendu en 1965, la Cour de cassation

affirme que la procédure revêt soit un caractère universel soit une portée locale126. Plus

précisément, l’article 1er du décret du 27 décembre 1985 confère compétence au tribunal dans

le ressort duquel « le débiteur a le siège de son entreprise ». A défaut, le même texte affirme

que le siège sera fixé par le lieu du principal établissement. Dès lors, on constate que le

vocable employé demeure flou car correspondraient alors deux définitions différentes pour un

seul et unique concept de siège. En l’occurrence, l’article précité a, connu une modification

rédactionnelle datant d’un décret du 21 octobre 1994 puisque auparavant ladite disposition

énonçait que le tribunal territorialement compétent était celui dans le ressort duquel le

débiteur possédait le siège de son entreprise ou à défaut son principal établissement. En

réalité, l’expression quelque peu lacunaire du texte issu de 1994 signifie que le siège se

caractérise comme le centre de direction effective et présumé par le siège statutaire127. A

l’opposé, le critère du siège de l’entreprise rappelle la notion de siège statutaire. En d’autres

termes, le droit français des entreprises en difficulté s’oriente t-il peut être davantage vers la

conception réelle du siège que celle statutaire puisqu’il impose une coïncidence, à l’alinéa 1er

du décret de 1985, entre le lieu de constitution de la société et celui de son activité

125 B. Soinne, Op. Cit., p. 191, n° 347. 126 C. Cass. Civ., 19 oct. 1959, Dalloz 1960, p. 37, 1ère esp., note G. Holleaux. 127 M. Menjucq, Op. Cit., p. 361, n° 287.

59

économique. Notamment, les tribunaux français contrôlent-ils la réalité du siège social

statutaire et sa conformité avec le centre des économique et décisionnel. La jurisprudence

admettait, dans un jugement ancien, qu’en présence d’un siège statutaire situé à l’étranger et

d’une procédure ouverte à l’étranger, la juridiction française demeurait compétente lorsque le

centre d’exploitation effectif était implanté en France128. Loin d’être obsolète, cette décision,

manifestant à l’extrême la faveur donnée au siège réel par le droit des entreprises en difficulté,

s’est confirmée. En effet, plus récemment, la Cour de cassation affirme que le juge national

sera compétent en cas de fictivité du siège statutaire établit à l’étranger et que les organes

sociaux fonctionnent, de fait, en France129. Par conséquent, à première vue et à la lumière de

ces espèces, le siège réel marque le pas sur le siège statutaire et s’orienterai vers la théorie de

la territorialité de la faillite. Aussi, le droit français peut s’estimer compétent à raison du siège

de l’entreprise ou encore de son principal établissement en France affirmant une certaine

tendance à la pluralité de la faillite. En effet, le jugement français a vocation à s’étendre à tous

les Etats où le débiteur possède des biens. Enfin, dans le sens d’une prise en compte par le

législateur français de la pluralité de la faillite, nous rappellerons que le créancier peut dans

cette matière invoquer le privilège de juridiction des articles 14 et 15 du Code civil comme

l’atteste classiquement la jurisprudence130. Il pourra, à ce titre, assigner devant une juge

français un étranger domicilié hors du territoire français pour l’exécution de ses obligations

envers le premier. Cependant, il nous semble légitime de nous interroger sur la pertinence

actuelle d’une telle position dans la mesure où un arrêt plus récent dit Prieur met fin au

privilège de juridiction, ce dernier ayant été fréquemment jugé inopportun voire regrettable

par la doctrine 131.

82. Surtout, il est des nuances importantes à rappeler. Si le droit français a parfois

emprunté la voie de la territorialité à première vue, l’universalité demeure un critère essentiel

comme le souligne le professeur Michel Menjucq132. La Cour de cassation s’y est référée dans

128 Trib. com. Seine, 10 août 1872, JDI 1874, p. 174 et ss. 129 Cass. Civ. 21 juillet 1987, Rev. Proc. Coll. 1987, n°4, p. 37, obs. L. Cadiet.; Rev.Proc. Coll. 1988, n°4, p.

354, obs. Cadiet ; Dalloz 1988, p. 169, note J. P. Remery. 130 C. Cass. Com., 9 mars 1979, Rev. Crit. DIP 1981, p. 524, note P. Lagarde. 131 B. Audit, « La fin attendue d’une anomalie jurisprudentielle : retour à la lettre de l’article 15 du Code civil »,

Dalloz 2006, chron. p. 1846. 132 M. Menjucq, Op. Cit., p. 362, n° 288.

60

plusieurs espèces récentes dont une que l’on qualifiera d’arrêt de principe. Dans l’affaire

Banque Worms du 19 novembre 2002, la première chambre civile, a en effet, jugée que le

redressement judiciaire prononcé en France d’époux français produit ses effets partout où le

débiteur a des biens, la Convention Européenne des Droits de l’Homme ne pouvant faire

obstacle au principe d’universalité de la faillite133. Dans cette espèce, une procédure de

redressement judiciaire avait été ouverte par le Tribunal de commerce de Paris contre des

marchands d’art et une société française d’édition gérée par l’un deux et visait à saisir un

immeuble leur appartenant situé en Espagne. Or, la Cour d’appel de Versailles fît injonction à

la Banque Worms venue au droits d’un créancier, de ne pas engager de procédure de saisie sur

l’immeuble situé hors du territoire français. Approuvant cet arrêt, la Cour de cassation

affirma, afin d’appréhender ledit bien, que seul le juge français était compétent dans ce cas en

vertu du principe d’universalité de la procédure collective. Selon la doctrine, jamais ce

principe n’avait été affirmé avec autant de vigueur en droit français134. Cette position a été

confirmée par l’arrêt Khalifa Airways en 2006, rendu par la Chambre commerciale de la haute

juridiction.135 En effet, celle-ci affirme que « le redressement ou la liquidation judiciaire

prononcés en France produisent leurs effets partout où le débiteur a des biens ». Alors même

qu’une partie de la doctrine souhaitait limiter l’application du principe d’universalité de la

faillite136, la Cour de cassation lui redonne ainsi vigueur, celui-ci apparaissant comme

légitime et nécessaire pour protéger les intérêts des créanciers français d’une faillite ouverte à

l’étranger137. Cette conception nous semble également plus adaptée à la réalité de l’activité

économique transfrontalière que le critère de territorialité. De surcroît, nous soulignons un

133 C. Cass. 1ère. Civ. 19 nov. 2002, Juris-Data n° 2002-016420 ; JCP G 2002, II, n° 10201, concl. J. Sainte-

Rose ; JCP E 2003, n° 1470, note M. Menjucq ; JDI 2003, p. 132, note E. Loquin. 134 J. Béguin et M. Menjucq, Op. Cit., p. 793, n° 2285. 135 C. Cass. Com. 26 mars 2006, Dalloz 2006, A.J, p. 914 ; Bull. Joly Sociétés 2006, n° 185, note D. Bureau ;

JCP E 2006, 2072, note J-P. Legros. 136 Voir notamment : G. Khairallah, note sous C. Cass. 19 nov. 2002, Dalloz 2003, p. 797. 137 Voir notamment sur ce point : R. Dammann et M. Ollivry, « Réflexions sur l’aménagement du principe

d’universalité de la faillite », JCP E 2006, n° 2628, p. 1939 et ss. S’agissant de l’universalité de la faillite, les

auteurs estiment que cette conception souple, utilisée dans le passé par la jurisprudence française, ne doit pas être

limitée car elle permet la protection des créanciers français lesquels craignaient qu’une procédure, ouverte hors

du territoire français, demeure, selon leur expression, « lettre morte. »

61

autre avantage de ce principe : il fonde l’application du siège statutaire et non du siège réel.

Eu égard au phénomène de dispersion des actifs d’une société en différents Etats induit par la

mobilité des sociétés, nous estimons que le critère du siège statutaire appréhende correctement

la réalité économique actuelle.

83. Dès lors, il semble, qu’en réalité, le droit français opte pour une conception mixte

puisque, à côté de le la territorialité décrite précédemment, coexiste l’universalité de la faillite

qui se traduit par l’utilisation du siège statutaire dit siège de l’entreprise138. Eu égard à

l’absence de clarté et de consensus autour d’un critère, une clarification est à rechercher. Il

convient de l’envisager en droit conventionnel international.

B) Un droit conventionnel des procédures collectives consacrant timidement le siège statutaire

84. Ainsi qu’il a été remarqué ci-dessus, le droit français des procédures collectives ne

parvient à dégager une définition unique du siège social puisqu’il oscille entre les théories de

pluralité et d’universalité de la faillite. Egalement, nous avons esquissé la nécessité, au niveau

international d’unification tant des règles matérielles que de conflit de loi par le biais de

conventions. En effet, dès le début des années 1960, un comité d’experts fut chargé d élaborer

une convention en matière de faillite dont les travaux aboutirent en 1982 mais qui ne fut

jamais signée. Or, à ce jour, aucun des textes souhaités n’est en vigueur139. Cependant, si

cette absence se déplore, il existe quatre conventions bilatérales retenant notre attention. De

surcroît, si aucune convention et multilatérale relative aux procédures collectives n’est

présente en droit international privé, l’une d’elle, la Convention d’Istanbul, a tout de même pu

être élaborée sous l’égide du Conseil de l’Europe.

1°) Quatre conventions bilatérales et anciennes en faveur de l’unicité de la faillite s’agissant

de la détermination du siège

138 Voir sur ce point, M. Menjucq, Op. Cit., p. 360, n° 286. 139 Voir notamment sur ce point, B. Soinne, Op. Cit., p. 210, n° 376.

62

85. La France est partie a quatre conventions bilatérales en vigueur, la liant tour à tour

avec la Belgique, l’Italie, la Principauté de Monaco et l’Autriche140. Toutes optent pour

l’universalité de procédure. En premier lieu, s’agissant de la Convention franco-belge du 8

juillet 1899, celle-ci consacre le principe d’unité de la faillite mais ce dernier fait l’objet d’une

importante restriction en son article 8, paragraphe 2. En effet, celui-ci dispose que « Les

commerçants des deux nations dont le domicile n’est ni en France ni en Belgique peuvent être

néanmoins déclarés en faillite s’ils possèdent un établissement commercial », lequel sera dans

ce cas compétent. Ainsi, le texte permet-il une application de la territorialité de la faillite.

S’agissant plus particulièrement du siège social, ladite convention retient la compétence du

siège statutaire à moins que ce dernier ne soit fictif ou frauduleux. On retrouve ainsi la

conception mixte du droit français oscillant entre le rattachement souple du siège statutaire et

celui plus rigide du siège réel. En effet, si une jurisprudence ancienne avait décidé que le

siège social belge n’était pas fictif bien que ladite société possède un siège administratif en

France141, un arrêt plus récent de la Cour d’appel de Paris du 27 septembre 1985 a censuré les

premiers juges pour avoir refusé l’exequatur d’un jugement du Tribunal de commerce de

Bruxelles qui avait prononcé la faillite d’une société dont le siège statutaire était à Paris, ce

dernier étant fictif car il n’était qu’une simple domiciliation sans développement d’activité142.

La position de la Cour n’est donc pas tranchée s’agissant de la détermination du siège social.

En outre, la France est signataire d’une convention avec l’Italie en date du 3 juin 1930.

Reposant également sur le principe d’unicité de la faillite, celle-ci définit, en son article 28, le

domicile de la société comme le siège principal des affaires. Le choix de la terminologie

spécifiquement employée laisse supposer que, dans cette hypothèse, le siège réel ait eu la

faveur des rédacteurs de ladite convention. Aussi n’y aurait-il pas de cohérence de critères

entre les deux textes susvisés.

86. S’agissant de la Convention franco-monégasque du 13 septembre 1959 inspirée par

celle franco-italienne, celle-ci règle la compétence juridictionnelle et l’efficacité des

140 Notons que hors le cas de la Convention franco-monégasque, celles conclues avec la Belgique, l’Italie et

l’Autriche ne sont plus en vigueur depuis le 31 mai 2002 car remplacées par le Règlement du 29 mai 2000. 141 C.A. Amiens, 9 nov. 1901, JDI 1903, p. 167. 142 C. A. Paris, 27 sept. 1985, cité par Coviaux, Redressement et liquidations judiciaires : procédures collectives

en droit international, J. Cl. Intern., fasc. 568.

63

jugements en matière de faillite. En son article 2 est affirmé le principe d’unicité de la faillite,

en ce sens que le tribunal compétent sera, pour les personnes morales, celui du siège social.

Force est de constater le caractère vague de disposition présente, laquelle ne précise

aucunement si le siège dont il s’agit est statutaire ou réel. Raisonnant par analogie avec la

situation de l’article 1837 du Code civil, il ne serait pas impossible d’imaginer que les

rédacteurs de la convention aient eu a l’esprit la conception souple du siège statutaire. Nos

propos sont d’ailleurs corroborés par la suite de l’article 2 de ladite convention, lequel dispose

qu’ « à défaut de siège social situé à Monaco ou en France, le tribunal compétent sera celui du

principal établissement situé dans l’un ou l’autre de ces pays » 143. En d’autres termes, le siège

statutaire constitue le rattachement le principe, lequel peut être renversé, en cas de fictivité

avérée, par le siège réel ou principal établissement.

87. Enfin, plus récemment a été signée la convention franco-autrichienne le 27 février

1979, laquelle traite également de la compétence judiciaire, de la reconnaissance et de

d’exécution des décisions en matière de faillite. De façon similaire aux textes évoqués

précédemment, cet ensemble normatif consacre le principe d’unicité de procédure collective.

Par ailleurs, celle-ci donne compétence de principe au siège social, sans plus ample précision

et se réfère, à défaut et identiquement à la convention franco-italienne, au critère du centre des

affaires du débiteur.

88. Elle confère même prédominance à ce dernier, lequel peut être rapproché du siège réel,

puisque selon l’article 3 sont seules compétentes les juridictions de l’Etat membre où se situe

celui-ci. De même en cas de dissociation des deux sièges, en l’hypothèse où le centre se

localise dans un Etat tiers et que le siège social est hébergé par un des deux Etats concernés,

compétence sera donnée aux juridictions de l’Etat du siège ou d’un établissement. Aussi, cette

convention, et cela est relativement original, énonce le principe du siège réel, lequel pourra, le

cas échéant être écarté au profit du siège statutaire.

89. A la lumière de ces quatre conventions, un constat alarmant s’impose. Il n’existe pas

d’harmonisation s’agissant des règles de compétences et de la détermination du lieu

d’ouverture de la procédure collective, en ce sens que l’une d’elle opte pour le rattachement

de principe du siège statutaire tandis qu’une autre lui préfère le siège réel. La situation semble

aussi désordonnée que celle concernant la liberté d’établissement car s’agissant de cette

143 Cité par B. Soinne, Op. Cit., p. 215, n° 386.

64

dernière, nous l’avons observé, aucune préférence pour le siège statutaire ou celui réel n’est

apportée par le législateur communautaire. Un auteur, le professeur Yves Guyon, a

notamment décrit le droit des faillites internationales comme une matière de « frustrations, de

désordre et d’inefficacité en raison de l’égoïsme des créanciers et d’une conception exacerbée

de la territorialité des décisions de justice. »144 Aussi, nul doute qu’une convention

multilatérale unificatrice des règles de compétences eut été nécessaire. Cette dernière existe, il

s’agit de la Convention d’Istanbul, certes elle n’est pas entrée en vigueur.

2°) La convention multilatérale d’Istanbul, un préalable salutaire au Règlement

communautaire du 31 mai 2000 s’agissant de la définition du siège

90. Bien qu’elle ne soit pas entrée en vigueur pour les raisons que l’on évoquera ci-après,

il faut reconnaître, l’avis étant contrasté en doctrine145, à la convention d’ Istanbul du 4 juin

1990 plusieurs mérites. En premier lieu, élaborée par cinq Etats, elle est à ce jour l’unique

convention internationale multilatérale traitant des procédures collectives. En effet, nous

venons de noter l’existence de quatre conventions bilatérales mentionnant notamment le siège

social, cependant celles-ci n’assurent pas l’uniformisation du critère et leur portée est

forcément moindre qu’une convention multilatérale146. En outre, nous le verrons, la

convention d’Istanbul a impulsée une dynamique, en droit communautaire, favorable à la

rédaction d’un texte unifiant les règles de compétences relatives aux procédures

d’insolvabilité, il s’agit du Règlement communautaire de mai 2000. En revanche, son objet

apparaît comme relativement peu étendu voire « pas très ambitieux » selon l’expression du

professeur Michel Menjucq, en ce sens qu’elle ne traite que procédures aboutissant à des

liquidations judiciaires147 alors même et à titre indicatif que dès 1979, la Cour de Justice des

144 Y. Guyon, Op. Cit, p. 21, n° 1019. 145 Y. Guyon, Op. Cit., p. 22, n° 1019: Revenant sur les échecs des tentatives d’affirmation du droit international

des faillites, l’auteur déclare notamment que la convention d’Istanbul de 1990 est la moins « satisfaisante des

situations ». En effet, selon le professeur Guyon, son processus d’entrée en vigueur relève de « l’utopie. » 146 B. Soinne, Op. Cit., p. 217, n° 390. 147 M. Menjucq, Op. Cit., p. 401, n° 314.

65

Communautés Européennes définit la faillite comme « les procédures (…) fondées sur l’état

de cessation des paiements, l’insolvabilité ou l’ébranlement du crédit du débiteur impliquant

une intervention de l’autorité judiciaire aboutissant à la liquidation forcée ou collective des

biens ou, à tout le moins, un contrôle de cette autorité. »148 Le texte possède un aspect

novateur en ce qu’il distingue deux types de faillites, celle dites principales de celles

secondaires, ces dernières permettant d’ouvrir des procédures dans des Etats autres que celui

saisit de celles principales. Cette dichotomie se révèle essentielle car elle influe sur la

définition du siège social, objet de notre étude. S’agissant en effet de ce dernier, l’article 4-1

de ladite convention donne compétence à la juridiction dans le ressort de laquelle le débiteur a

« le centre de ses intérêts principaux. » pour juger de la faillite principale. Il s’agit ici d’une

conception nouvelle d’appréhension du siège, laquelle semble correspondre au siège de

l’entreprise visé par le décret français de 1985. Afin d’être plus précis, le texte ajoute que ce

centre est « présumé, jusqu’au contraire, être le lieu du siège statutaire. » Les deux

expressions seraient dès lors associées149, certes le critère du centre souffre d’un manque de

clarté, tel il sera abordé ultérieurement. En d’autres termes, la convention d’Istanbul favorise

t-elle la conception de l’incorporation donnant à cette dernière une présomption de principe.

En revanche, le présent texte n’envisage aucunement quels sont les fondements permettant de

combattre cette présomption et, le cas échéant, quels peuvent être les nouveaux contours du

lieu de localisation de la société, ce qui est regrettable. La convention précise cependant que

lorsque le centre des intérêts susvisé n’est situé sur le territoire d’aucun Etat membre

contractant, la juridiction dans le ressort duquel le débiteur possède un « établissement. » On

comprend ce terme comme une structure de la société, différente du siège en ce qu’elle ne

concentrerait pas l’essentiel de l’activité de la partie. Le critère est donc moins exigeant que le

premier.

91. Parallèlement à la faillite principale, il est loisible aux créanciers, tel nous l’avons

esquissé, de demander l’ouverture d’une procédure secondaire postérieurement à la première.

Cela sous-entends naturellement qu’il existe une faillite initiale. Dans ce cas, en ce qui

concerne notre étude et selon l’article 17 du présent texte, la localisation physique de la

société se fera par le recours à l’établissement ou les biens appartenant au débiteur et situés

148 C.J.C.E., 22 février 1979, Gourdain, Rev. Sociétés 1980, p. 657, note J. Lemontey. 149 M. Menjucq, idem.

66

dans un Etat autre que celui du centre des intérêts150. La procédure sera soumise à la loi de

l’Etat dans lequel elle est prononcée. On rappelLera, par soucis de précision, que la notion

d’établissement secondaire est similaire à celle exposée dans le décret français du 21 octobre

1994 précité.

92. Chaque faillite est donc régie par la loi de l’Etat où elle a été ouverte, la convention

d’Istanbul imposant en retour le respect d’une coordination. Ainsi, toute créance pourra être

produite lors de la faillite secondaire mais le syndic de la faillite principale151 se verra informé

de la liste de tous les créanciers connus résidant dans d’autres Etats contractants et

communiqué une copie de la procédure par celui de celle secondaire.

93. En outre, le lien entre les deux instances est tenu dans certains cas puisqu’il est prévu

que lorsqu’il existe un surplus d’actif à l’issue de la faillite secondaire, ce dernier est ajouté à

l’actif de la faillite principale afin de désintéresser les créanciers des deux procédures.

94. Ainsi, la convention d’Istanbul présente des traits originaux en ce sens qu’elle

distingue procédure principale de la procédure secondaire, l’une se rattachant au siège

statutaire par l’intermédiaire du centre principal des intérêts du débiteur, ce qui est un apport

positif dans la perspective de mobilité des sociétés, l’autre favorisant un lien basé sur les faits,

donc réel. Or, nous l’avons évoqué, cette convention n’est jamais entrée en vigueur. En effet,

l’Allemagne, la Grèce, la France, le Luxembourg et la Turquie, pays pourtant signataires, ne

l’ont ratifiée152.

95. A titre complémentaire, on rappellera que dès 1960, fut institué, au niveau

communautaire, un comité d’experts chargé d’établir une convention relative à la faillite. Si

un projet vu le jour en 1982, il ne fut jamais signé mais au contraire abandonné en 1985153.

L’échec d’Istanbul était dès lors malheureusement prévisible eu égard au peu de volonté

150 B. Soinne, Op. Cit., p. 220, n° 397. 151 Nous précisons que la référence au syndic, organe des procédures collectives, n’existe plus en France depuis

la loi du 25 janvier 1985. En revanche, cela ne pose guère de problème en l’espèce puisque la convention définit

cet acteur de façon large : il s’agit, d’après l’article 3 a), de toute personne ou tout organe dont la fonction est

d’administrer ou de liquider le patrimoine du failli ou de surveiller la gestion des affaires du débiteur. Aussi

assimile t-on le syndic susvisé à l’administrateur ou au liquidateur judiciaire français. 152 A ce jour, seul Chypre a ratifié la convention d’Istanbul.

67

manifestée par les Etats membres de se dessaisir du principe de territorialité de la faillite. Il

est également fait mention, suite à l’échec cuisant de 1985, de la reprise des travaux dès 1989

par un groupe désigné à cet effet. Ceux-ci aboutirent à la rédaction de la convention de

Bruxelles du 23 novembre 1995, comprenant, dans une annexe A et une annexe B, les

procédures collectives au niveau communautaire. Cette fois, ledit texte fut signé par la

majorité des Etats membres, sauf le Intervenu en 1997, le Traité d’Amsterdam intégra dans le

domaine communautaire « la coopération judiciaire en matière civile nécessaire au bon

fonctionnement du marché intérieur », laquelle comprends les procédures d’insolvabilité

communautaire. A ce titre, ladite convention de 1995 fut transformée en Règlement,

précisément le 1346/2000 du 39 mai 2000, qui reprends une grande partie des dispositions

figurant dans le texte initial précité.

96. Par conséquent et à la lumière de ces difficultés évoqués ci-dessus, l’existence d’une

norme communautaire est plus que nécessaire. Elle est en effet légitimement attendue dans le

sens où une unification et une rationalisation des règles des procédures collectives

communautaires s’impose tant le fatras des faillites internationales est conséquent car bien

souvent il s’ouvre autant de procédures que d’Etats dans lequel le débiteur possède des actifs.

Plus précisément, le Règlement de 2000 impose, s’agissant du critère de rattachement, le

siège statutaire.

II) La présomption de principe du siège statutaire attendue et expressément affirmée par le

règlement du 29 mai 2000

97. Tout comme la Société Européenne (S.E), laquelle fera l’objet de notre attention, il est

peu dire que le Règlement du 29 mai 2000 était, après des années de balbutiements, d’échecs

et de remises en causes, attendu en droit communautaire. En effet, et c’est l’aspect novateur

du texte, celui-ci envisage les procédures collectives dans leur globalité puisqu’il traite tant du

redressement judiciaire, domaine jusque là ignoré par le droit international des faillites, que de

la classique liquidation judiciaire. Aussi, dans la perspective de détermination du siège de la

société en difficulté, le règlement 1346/ 2000 consacre des règles de compétences

juridictionnelles, lesquelles font apparaître le critère du centre des intérêts principaux du

débiteur, notion essentielle et proche du siège statutaire (A). Pour autant, le triomphe fait à ce

68

dernier se révèle terni par les contours même de la notion de centre des intérêts principaux

dans la mesure où cette dernière souffre d’une grande imprécision (B).

A) Le règlement consacrant des règles de compétences juridictionnelles et le centre des

intérêts principaux du débiteur le triomphe apparent du siège statutaire.

98. Outre l’étendue vaste de l’objet du règlement présentée ci-dessus, celui-ci consacre les

règles de compétence, de reconnaissance et de coordination des procédures. Ce texte, inspiré

par les travaux de la convention de 1995, est le fruit d’un long processus de maturation et de

compromis puisque, notamment, il combine les principes d’universalité et de territorialité de

la faillite abordés antérieurement154. Entré en vigueur le 31 mai 2002, il a été complété, en

droit français, par une circulaire ministérielle du 17 mars 2003. Aussi, et cela est

salutaire, « la situation est en train d’évoluer », selon les mots du professeur Yves Guyon155.

En effet, ledit règlement coordonne les différentes procédures en les hiérarchisant156 et a

vocation à s’appliquer lorsque le litige est intégré à l’Union européenne, c'est-à-dire quand il

concerne au moins deux Etats membres de cette dernière.

99. Concrètement , la norme présente détermine la loi applicable pour connaître de la

faillite du débiteur et celle applicable à la procédure lorsque ce dernier possède des liens

économiques dans différents Etats membres. De ce fait, favorise t-il l’extranéité des droits

nationaux des faillites et l’émergence d’une concurrence entre eux157. En revanche, le rôle

incombant au règlement 1346/ 2000 n’est pas d’établir des règles matérielles de fond afin

d’uniformiser le différents droits nationaux.

100. De même, si le texte susvisé a naturellement vocation à régir les sociétés éprouvant

des difficultés au sens juridique du terme, strictement, il ne vise que le débiteur et ne concerne

154 F. Perrochon et R. Bonhomme, Entreprises en Difficulté et Instruments de Crédit et de paiement, LGDJ 2006,

7e. Ed., p. 150, n° 197. 155 Y. Guyon, Op. Cit., p. 22, n° 1019. 156 Voir sur ce point : M. Jeantin et P. Le Cannu, Droit Commercial : Entreprises en Difficulté, Coll. Précis,

Dalloz 2006, 7e. Ed., p. 131, n° 188. 157 M. Menjucq, « Les interactions du règlement 1346/ 2000/ CE et des Droits nationaux », Procédures

d’insolvabilité communautaires, Rev. Lamy Droit des Affaires, novembre 2006, n° 10, p. 98 à 100.

69

pas directement l’entreprise et encore moins le groupe de sociétés158. Inspiré par la convention

d’Istanbul précitée, le règlement reprends la distinction entre la procédure principale et les

procédures secondaires, ce qui produit des conséquences quant à la notion de siège social.

Ainsi, la disposition précitée énonce clairement deux règles de compétences. D’une part, la

procédure dite principale se manifeste par l’universalité de la faillite. Selon l’article 3

paragraphe dudit texte, elle porte sur l’ensemble des actifs du débiteur qui sont situés sur le

territoire des Etats membres et améliore à ce titre l’égalité des créanciers. En d’autres termes,

l’ouverture de la procédure sera reconnue au titre de l’article 16 du texte, sauf contrariété à

l’ordre public, dans les Etats dans lesquels celle-ci n’a pas eu lieu. On observera que l’ordre

public est à interpréter restrictivement : le but est d’éviter tout conflit entre sièges susceptibles

d’être concernés159. D’autre part, nous l’avons brièvement évoqués, le règlement du 29 mai

2000 prévoit une procédure secondaire laquelle sera limitée aux biens du faillit se trouvant sur

le territoire d’une telle procédure et ouverte si nécessaire160. Consacrant à titre d’exception le

principe de territorialité de la faillite, le présent texte affirme qu’il s’agit d’une procédure de

liquidation menée en interaction avec celle principale. Elle serait même subordonnée à cette

dernière, pour autant il résulte du paragraphe 4 que même en l’absence de procédure

principale ouverte à l’étranger, le juge français peut ouvrir ce type de procédure. Plus

précisément, au sens du considérant 12 du règlement, cette procédure secondaire se voit

ouverte à l’égard du débiteur dans un lieu dans lequel le débiteur possède un établissement,

c'est-à-dire soit un « lieu d’opérations où le débiteur exerce de façon non transitoire une

activité économique avec des moyens humains et des biens161. » Ainsi, le règlement présente

une certaine originalité en ce qu’il consacre les deux conceptions de faillite internationale,

tout en faisant prévaloir celle de l’universalité et ce non sans impacts sur la notion de siège

social.

158 Voir sur ce point : Y. Chaput, Centre des intérêts principaux et catégories juridiques de l’insolvabilité des

entreprises, Droit Commercial, Rev. Lamy Droit des Affaires, Juin 2006, n°6, p. 26 et ss. 159 R. Dammann, « L’évolution du Droit Européen des procédures d’insolvabilité et ses conséquences sur le

projet de loi de sauvegarde », Rev. Lamy Droit des Affaires, avril 2005, n° 81, p. 18 et ss. 160 Voir sur ce point pour une application jurisprudentielle de cette utilité : C.A Versailles, 15 décembre 2005,

05-04273, Rover, Dalloz 2006, p. 379 et ss. , note R. Dammann. 161 Cité par F. Perrochon et R. Bonhomme, Op. Cit., p. 151, n° 197.

70

101. En effet, l’aspect essentiel du règlement du 29 mai 2000 réside, pour notre part, dans

la notion de centre des intérêts principaux du débiteur qui constitue le lieu de rattachement de

la procédure d’insolvabilité principale provenant également de la convention d’Istanbul

puisqu’aux termes de son article 3, le présent texte confère expressément compétence à cette

notion. Plus spécifiquement, le considérant de la disposition précitée définit le centre principal

des intérêts du débiteur comme le lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts et qui est

vérifiable par les tiers. » Une fois la compétence de la juridiction ainsi déterminée, la propre

loi du lieu de ce centre s’appliquera s’agissant des conditions et du déroulement de la

procédure.

102. L’article précité précise, s’agissant du centre des intérêts principaux du débiteur pose

la présomption que les sociétés et les autres personnes morales ont ce dernier au lieu de leur

siège statutaire162. En d’autres termes, le droit communautaire des procédures d’insolvabilité

assimile t-il le critère spécial du centre des intérêts principaux du débiteur au siège statutaire.

L’administration centrale et le principal établissement de l’entreprise en difficulté se situent

aux lieux du siège statutaire. Une telle orientation, que nous estimons louable, était

naturellement attendue en droit communautaire en ce sens qu’elle a le mérite de clarifier, nous

l’avons vu, d’inextricables situations dans lesquelles tantôt le siège réel tantôt celui statutaire

prenait l’ascendant. En outre, appréhende-t-elle l’entreprise dans un cadre de plus en plus

emprunt de mobilité. Le législateur communautaire institue néanmoins une nuance s’agissant

de la force de la présomption susvisée : celle-ci peut être renversée, selon l’article 3

paragraphe 1 du texte par « preuve du contraire », en d’autres termes par une preuve

simple163.

103. Aussi le cas échéant et bien qu’assimilant en principe le critère du siège social au

centre des intérêts principaux du débiteur, le texte romps, selon le professeur Yves Chaput,

avec la théorie de l’incorporation164. En effet, tel que nous l’avons définie, cette dernière

localise la personne morale au lieu de constitution ou plus précisément d’enregistrement. Or, à

162 M. Menjucq, Op. Cit., p. 410, n° 321. 163 Voir notamment sur ce point : M. Jeantin et P. Le Cannu, Op. Cit., p. 130, n° 187. 164 Y. Chaput, « La proposition de création d’une société fermée européenne », Extrait du colloque Les Petites et

Moyennes entreprises et les réformes du droit des sociétés dans l’Union européenne, Madrid, 4 et 5 février 2004,

site Internet CREDA, www.creda.ccip.fr

71

la lumière du présent règlement, le centre des intérêts principaux du débiteur semble

davantage correspondre au lieu de l’activité effective de l’entreprise en difficulté qu’à un

simple lien formel.

B) Le triomphe du siège statutaire terni par la caractère imprécis de la notion de centre des

intérêts principaux du débiteur

104. Aussi, eu égard aux affirmations susvisées, il semble essentiel de soulever ce manque

de précision dans la rédaction du règlement qui minore la satisfaction ressentie par la doctrine

dans le choix du critère du siège statutaire via le centre des intérêts principaux. Très

justement, Maître Reinhardt Dammann, spécialiste du droit international des entreprises en

difficulté, affirme que cette notion a fait « couler beaucoup d’encre » en doctrine165. Plus

précisément, il est reproché à cette dernière notion un manque de clarté que nous estimons

flagrant. Divisant la doctrine, cette lacune conduit une fois de plus, à jeter un trouble sur la

nature du rattachement des sociétés en droit international et européen des affaires. Avant toute

chose, dans une analyse radicalement opposée au choix du présent critère, certains auteurs

estiment que celui-ci est défavorable aux créanciers en ce sens qu’ils se trouvent confrontés à

l ’application d’un droit qui leur est inconnu et imprévisible166. Certes, nous nuançons ce

propos en estimant que le critère unique du centre semble plus protecteur car il demeure plus

prévisible que le principe de territorialité causant un risque latent de disparité de traitement

des créanciers concernés. Le centre des intérêts possède au moins le mérite d’uniformiser une

matière où régnait jusqu’en 2000 un désordre certain et de délimiter le périmètre même du

règlement167, c’est pourquoi il retient toute notre attention. Cependant, les juridictions des

Etats membres admettent généralement la pertinence de ce critère, bien souvent commettent-

elles la tentation de se servir des imprécisions du texte à leur profit.

165 R. Dammann « L’application du règlement CE n°1346-2000 après les arrêts Staubitz-Scheiber et Eurofood de

la C.J.C.E », Dalloz 2006, p. 1752 et ss. 166 R. Dammann, Op. Cit., p. 1754. 167 J.L Vallens, Droit Communautaire des Sociétés, Rev. Des Sociétés, p.

72

105. D’une part, on observera que certains auteurs ne souhaitaient en effet voir écartée la

présomption du siège statutaire qu’en cas de fictivité ou de fraude de celui-ci168. C’est

notamment cette conception que retint le droit français par un arrêt de la Cour d’appel de

Versailles en date de 2003169. Evoquant les hypothèses de fictivité du siège ou de transfert

frauduleux de celui-ci, la jurisprudence française confirme l’orientation prise par la doctrine.

D’autre part, et selon un courant majoritaire sur lequel nous reviendrons ultérieurement

encore plus en détail, les juridictions anglaises, allemandes et italiennes privilégient une

interprétation souple ou extensive du concept étudié, celui-ci se trouvant limité par la notion

de head office function, heardquarter function ou mind of management, les trois termes

synonymes englobant la situation dans laquelle, dans l’hypothèse d’un groupe de sociétés

constitué par une société mère et une filiale, la première détermine pour la seconde la

politique commerciale du groupe et dispose d’un droit de veto sur toute dépense conséquente.

Cette situation paraît d’autant plus complexe que le droit international privé ne prends pas en

compte la notion de groupe de société car le débiteur d’une procédure collective est

nécessairement une personne physique ou une personne morale, or le groupe n’a pas de

personnalité morale. S’agissant à titre illustratif du cas anglais, l’affaire est célèbre puisqu’il

elle concerne la société Daisytek. La holding européenne, personne morale immatriculée à

Leeds, en Angleterre, possédait 14 filiales en Angleterre, en Allemagne et en France, les

sociétés filles dans ces deux derniers Etats ayant une vocation opérationnelle et comptant de

nombreux salariés. Or, la High Court de Leeds, en son jugement du 16 mai 2003 a ouvert une

procédure d’insolvabilité en Angleterre non seulement en faveur de la holding mais également

des procédures séparées s’agissant des filiales germaniques et françaises. Pour la juridiction

britannique, le centre des intérêts principaux desdites filiales est situé à Bradford, en

Angleterre, puisque la holding Daisytek déterminait pour elles la politique commerciale du

groupe. La tendance d’un Etat, que nous avons suggérée, à utiliser et tourner la règle de

conflit de juridiction à son profit s’illustre parfaitement dans cette espèce et constitue l’écueil

majeur du critère de l’article 3 paragraphe 1 du règlement en ce sens que selon la conception

souple ou restrictive que se fait l’Etat dudit centre et de ses exceptions, l’issue du litige

168 Voir notamment : D. Fasquelle, « Une nouvelle application controversée du règlement n° 1346/ 2000 relatif

aux procédures d’insolvabilité aux groupes de sociétés, JCP E 2005, n° 1402. 169 C.A. Versailles, 24e. Ch., 4 sept. 2003, Dalloz 2003, p. 2352 et ss.

73

s’avère incertaine. Antérieurement, en 2002, la High Court of London, dans une non moins

célèbre affaire Enron, avait ouverte une procédure de redressement judiciaire sur le territoire

britannique à l’encontre d’une filiale espagnole du groupe alors même que la totalité des

clients, des actifs et 450 salariés étaient localisés en Espagne170. Pour se faire, les juges

anglais invoquèrent que le headquarters functions était situé en Angleterre et non sur la

péninsule ibérique car les décisions stratégiques concernant ladite filiale provenaient de

Londres. La compétence anglaise s’imposait donc aux yeux des magistrats de la High Court.

Par conséquent, comme le souligne à juste titre le professeur Michel Menjucq171, cette

conception souple de l’exception au siège statutaire comme centre des intérêts principaux

écartera donc les rattachements possibles dans les Etats membres des filiales. Emerge une

tendance à faire systématiquement coïncider ledit centre avec le siège statutaire de la société

mère, considéré lui-même comme le siège réel de la filiale, ce qui constituait d’ailleurs, dès

1969, l’opinion du doyen Goldman172. On le constate donc, la jurisprudence dévoie quelque

peu la notion initiale du centre des intérêts principaux du débiteur, lequel est présumé

correspondre au siège statutaire de la personne morale. On en conviendra aisément, par

l’intermédiaire de la conception extensive de la notion, le principe susvisé se trouve réduit à

une peau de chagrin. En réalité, la critique apportée aux détracteurs du centre semble, dans

une certaine mesure recevable. En effet, si l’objectif initial du règlement communautaire est la

protection des créanciers éloignés par essence de l’établissement d’une société en privilégiant

un lien uniforme et formel, la réalité s’avère beaucoup plus complexe et contrastée. Dans

l’hypothèse du groupe de sociétés, le créancier sera même lésé par la coïncidence entre centre

des intérêts du débiteur et le siège de la société mère, siège alors réel de la filiale. Aussi les

jurisprudences britanniques précitées imposent un rattachement plus restrictif que la lettre

même du règlement communautaire, ce qui fait naître un conflit de loi entre la juridiction du

siège réel et celle du siège statutaire.

170 Décision citée par R. Dammann, « L’évolution du Droit Européen des procédures d’insolvabilité et ses

conséquences sur le projet de loi de sauvegarde », Rev. Lamy Droit des Affaires, avril 2005, n° 81, p. 20. 171 M. Menjucq, sous la dir. de F. Jault-Seseke et D. Robine, « Les Groupes de Sociétés », L’effet International

de la Faillite : Une réalité ?, Coll. Thèmes et Commentaires, Dalloz 2004, p. 163 et ss. 172 B. Goldman, Travaux du Comité français de Droit International Privé, 1969, p. 246.

74

106. Force est de constater qu’eu égard aux objectifs ambitieux de clarification des règles

de compétence au niveau des procédures d’insolvabilité communautaire et de définition du

lieu de rattachement de la faillite étaient attendues, le règlement déçoit par son manque de

clarté et permet les travers décrits ci-dessus.

107. En ce sens, une clarification opérée par le Cour de Justice des Communautés

européennes s’impose véritablement tant la situation présente semble intenable et contraire

aux objectifs assignés au règlement par le législateur communautaire.

Chapitre II Une approche statutaire renforcée par l’apport significatif

du droit prétorien communautaire

108. Tel que nous l’avons observé jusqu’à présent, l’ordre juridique communautaire s’est

saisit de la question du siège social. En effet, par un double apport textuel provenant du traité

de Rome et du règlement 1346/ 2000, il s’est efforcé de consacrer, à première vue, le

rattachement statutaire du siège tant au niveau de la liberté d’établissement que des

procédures d’insolvabilité. Or, la réalité est moins éclatante et plus nuancée. En effet, aucun

des textes susvisés n’est parvenu à imposer la définition du siège issue de l’incorporation. Au

contraire, tantôt les articles 43 et 48 du Traité ont maintenu la coexistence du siège réel et du

siège statutaire, tantôt l’article 3 paragraphe 1 du règlement du 29 mai 2000 relatif aux

procédures d’insolvabilité communautaires a érigé le critère du centre des intérêts du débiteur

aux contours flous et imprécis.

109. C’est pourquoi, eu égard aux incertitudes ressenties à la lecture des textes évoqué ci-

dessus, il incombait à la Cour de Justice des Communautés européennes (ci-après C.J.C.E) de

clarifier la situation dans les deux pans du droit communautaire concernés. Nous le verrons,

cette dernière, s’est révélée particulièrement active et déterminante en ce sens qu’elle a, d’une

part, davantage ancrée le siège statutaire dans le paysage juridique communautaire à en

élaborant une conception souple et extensive du principe la liberté d’établissement (section I).

D’autre part, prenant conscience des lacunes et du dévoiement par les Etats membres de la

notion du centre des intérêts principaux du débiteur dans les procédures communautaires

d’insolvabilité, la Cour a reprécisé les contours de la notion en la recentrant, avec sagesse,

75

autour du siège statutaire (section II). Aussi ce dernier apparaît-il incontournable en droit

communautaire des affaires et plus indirectement en droit international des sociétés.

Section I : La liberté d’établissement, un fondement juridique approprié au siège

statutaire

110. Tel que nous l’avons observé au cours de notre analyse, si la combinaison des articles

43 et 48 du Traité de la Communauté européenne consacrant la liberté d’établissement des

sociétés mentionne le siège statutaire au titre des rattachement, à mieux y regarder, elle ne

tranche pas exactement entre les deux critères en présence. Au contraire ledit traité

mentionne indifféremment le siège statutaire, le siège réel et l’administration centrale173 et

renvoie les Etats membres à l’adoption de conventions de reconnaissance mutuelle. Aussi ce

droit normatif n’a-t-il pleinement assuré sa mission d’unification et laisse planer de nombreux

doutes sur l’avenir du droit communautaire des sociétés alors même que ce dernier se

développe dans un contexte de mondialisation des échanges et de mobilité des personnes

morales. En exagérant quelques peu le propos, nous affirmons que le droit communautaire

n’aurait pas su évoluer avec son temps ni avec la réalité des affaires. Or, dressant le constat de

ces carences et des difficultés éprouvées par les personnes morales à déployer leur activité,

sur le fondement de ladite liberté d’établissement, la C.J.C.E a fait preuve d’initiatives en

faveur du siège statutaire. En effet, par l’apport de ce que les juristes communautaristes

nomment la trilogie jurisprudentielle, la Cour a impulsé une définition souple du siège

consacrant avec éclat la conception statutaire s’agissant des établissements secondaires, ce

que nous approuvons (I). Cependant, il convient de nuancer nos propos : le triomphe du siège

statutaire demeure pour l’instant relatif en ce sens que sa consécration n’est pas réalisée en ce

qui concerne les établissements principaux (II).

173 Voir sur ce point : C. Nourissat, Op. Cit., p. 131.

76

I) Une trilogie jurisprudentielle libérale militant en faveur du siège statutaire s’agissant de

l’Etablissement secondaire

111. La combinaison des articles 43 et 48 du Traité de Rome proclame la liberté

d’établissement et vise, au titre de ses bénéficiaires, les établissements secondaires, à savoir

les succursales, filiales ou agences. Naturellement, cela sous-entends que ceux-ci soient situés

dans un autre Etat que celui de leur établissement principal. Celui-ci n’implique pas de

modification des éléments les plus significatifs en cas de mobilité du siège. Précisons que

l’établissement secondaire, reposant sur une structure juridique stable est le mode habituel

d’implantation d’une société souhaitant développer son activité internationale174. Nous

l’avons constaté, ce dernier bénéficie d’une liberté d’établissement au sens des articles 43 et

48 du Traité, néanmoins ces dispositions n’ont pas le mérite de la clarté s’agissant de la

conception du siège

112. de ladite société. Or, par l’intermédiaire de trois arrêts au grand retentissement en droit

international et communautaire des sociétés, la C.J.C.E fait preuve d’une volonté farouche

pour imposer le siège statutaire en qualité de critère de rattachement de l’établissement

secondaire, ce que nous saluons (A). Elle précise, en outre, les restrictions à ce droit qui

demeurent invocables, c'est-à-dire la place accordée au siège réel par les Etats membres (B).

A) Le siège statutaire consacré avec vigueur par trois arrêts fondateurs de la C.J.C.E.

113. En réaction à la mention expresse mais dont la portée est incertaine du siège statutaire

comme rattachement de l’établissement secondaire, c’est avec beaucoup de force et d’écho

que la Cour de Justice des Communautés européennes affirme, depuis 1999, que le siège de

l’établissement secondaire bénéficiant de la liberté d’établissement est le siège statutaire.

Dans une analyse approfondie, il ressort des points communs au trois arrêts successifs de

1999, 2002 et 2003, c'est-à-dire un militantisme profond envers la concrétisation de la théorie

de l’incorporation, pour autant il convient de préciser que les espèces visées ne font pas

appels à des cas de figure identiques.

174 J. Béguin et M. Menjucq, Op. Cit., p. 279.

77

1°) Une trilogie jurisprudentielle opérant un militantisme en faveur du siège statutaire

114. Par trois arrêts fondamentaux en droit communautaire des sociétés, la C.J.C.E s’est

affirmée comme le fer de lance de la conception du siège statutaire au sein des établissements

secondaires. Eu égard à leur profond impact sur la scène juridique intra et extra

communautaire, ces espèces, dites Centros, Uberseering et Inspire Art ont pu être qualifiées

de « trilogie » jurisprudentielle ou de « décisions emblématiques175 » En effet, le traité, nous

l’avons vu, ne marque aucune préférence pour l’un des critères en concurrence puisqu’il

dispose que le rattachement est alternatif si bien qu’un auteur a évoqué la « timidité des Etats

membres et des autorités de Bruxelles en matière de liberté d’établissement. » 176 On ajoutera

cependant qu’en Grande-Bretagne, l’écho de cette série d’arrêts est moins important car celle-

ci est, dès l’origine un pays de tradition d’incorporation177.

115. Surtout, nous rappellerons que l’arrêt Daily Mail pourtant rendu par cette même Cour

faisait explicitement aveu du « problème » posé par l’incertitude du rattachement tout en sa

gardant toutefois de proposer une solution. Bien au contraire, l’espèce de 1988 consacre avec

véhémence la théorie du siège réel. Or, tel que nous l’avons, le nombre d’Etats optant pour le

rattachement au siège statutaire avait augmenté : ainsi le critère du siège réel développé dans

cette espèce semble t-il déconnecté de la réalité sociétaire.

116. L’enjeu de ce triptyque jurisprudentiel est bien connu. En effet, dans sa substance, si le

traité de Rome instaure la liberté d’établissement et de circulation au sein de l’Union

européenne, les personnes morales vont invoquer ces règles afin d’implanter leur siège social

dans un Etat membre où la législation se montre plus avantageuse. Se pose alors la question

des limites dans lesquelles cette habilité pourra être contenue par l’Etat de départ ou celui

d’accueil de ladite entité économique, celle-ci se fondant notamment sur la théorie du siège

statutaire pour avoir gain de cause. Egalement, quant au cas du conflit de loi, cette séquence

ternaire pose le problème de la reconnaissance, par un Etat donné, d’une situation avérée dans

un autre pays, ce qui implique, comme le souligne très justement le professeur Paul Lagarde,

175 A. Auternne et T. Bosly, Op. Cit., p. 359. 176 J. Boucourechliev, Op. Cit., p. 26. 177 Voir sur ce point : W. H. Roth, Op. Cit., p. 177.

78

le renoncement du premier à « imposer le respect de ses propres lois, notamment les règles de

rattachement. 178»

117. S’agissant tout d’abord de l’arrêt Centros, celui-ci doit être considéré, selon certains

auteurs, comme l’une des plus importantes décisions de la C.J.C.E.179 En effet, cette espèce

évoque expressément et pour la première fois l’hypothèse d’une dissociation fonctionnelle

entre le siège statutaire et le siège réel d’une société dans le cadre de la mobilité des

établissements secondaires bénéficiant des garanties offertes par le Traité de Rome. Ici saisie,

la Cour apprécie la compatibilité entre les règles communautaires et le refus de la liberté

d’établissement d’une succursale, Centros Private Limited Company (l’équivalent d’une

société à responsabilité limitée et ci-après Ltd.) opposé par les autorités de l’Etat membre de

départ180

118. Afin d’appréhender l’étendue de cet arrêt abondement commenté181 et d’en dégager sa

portée, il convient tout d’abord de revenir aux faits. En l’espèce, un couple danois crée, en

1992, une société d’import en vin dénommée Centros et l’immatricule en Angleterre afin de

bénéficier de dispositions plus favorables en droit des sociétés. Parallèlement au

développement de l’établissement principal anglais, les associés danois souhaitent

immatriculer une succursale au Danemark. Or, cette société n’avait exercée aucune activité au

Royaume-Uni et son capital n’avait pas été libéré. En conséquence, l’immatriculation de la

succursale fut refusée par l’autorité chargée du Registre du Commerce au Danemark, celle-ci

arguant que la société Centros Ltd. cherchait à constituer non une succursale mais un

établissement principal en éludant les règles nationales, à savoir la libération de capital de 200

000 Couronnes ( montant donné en 1999), laquelle constituait une mesure de protection des

178 P. Lagarde, « Rapport de synthèse », sous la Dir. de A. Fuchs, H. Muir Watt et E. Pataut, Les conflits de loi et

le système juridique communautaire, Coll. Thèmes et commentaires, Dalloz 2004, p. 288. 179 C. Joerges, « Sur la légitimité d’eurépéaniser le droit privé », Rev. Internationale de Droit Economique 2004,

n° 2, De Boeck, p. 133 à 171. Selon l’auteur, le nombre de commentaires et notes relatives à l’affaire Centros

s’élèverait à 111. Charles Joerges justifie cette fièvre doctrinale par le fait que cet arrêt transforme les libertés

économiques et pérennise la suprématie du droit communautaire sur le droit interne des Etats membres, l’un se

nourrissant de l’autre. 180 C.J.C.E, 9 mars 1999, Centros Ltd./ Erhvervs-og Selskabsstyrelsen, aff. C-212/ 97, Rec. I-1459. 181 Voir notamment: Bull. Joly. 1999, note J-P. Dom ; Dalloz 1999, Jur. p. 550, note M. Menjucq ; JCP G 1999,

p. 1285 ; obs. Y. Reinhard ; JDI 200, p. 484, obs. M. Luby ; Rev. Sociétés 1999, p. 356, note G. Parleani.

79

créanciers182. Ainsi, à travers le prisme du libre établissement, apparaît la problématique de la

définition du siège social de la succursale. En effet, selon la conception réelle, Centros Ltd. se

rattache au Danemark puisqu’elle y exerce la réalité de son activité économique. Au contraire,

selon la vision statutaire du siège, ladite société dépends de l’Angleterre, Etat de signature des

statuts et d’enregistrement. Se fondant sur la Sitztheorie, le Danemark souleva notamment les

exceptions de l’abus de droit et la fraude afin de refuser à la ladite société le bénéfice de la

liberté d’établissement. Toutefois, la C.J.C.E ne retient pas cette analyse et conclue à

l’incompatibilité, même dans les circonstances de l’espèce, du refus opposé par le Danemark

avec le droit d’établissement. Ainsi, le dispositif de la Cour de Luxembourg est-il limpide car

il affirme sans détour que « les ex articles 52 et 58 (43 et 48) du Traite CE s’opposent à ce

qu’un Etat membre refuse l’immatriculation d’une succursale d’une société constituée avec la

législation d’un autre Etat membre. » En d’autres termes, la C.J.C.E consacre d’une part, au

profit des fondateurs d’une entreprise, la liberté de choix du rattachement juridique entre le

siège statutaire sans considération du pays dans lequel elles ils exercent leur activité et

autorise la dissociation des deux. En effet, la Cour ajoute que ce refus des autorités danoises

demeure contraire à la liberté d’établissement quand bien il s’agit pour la succursale ainsi

constituée d’éviter « l’application de règles de constitution des sociétés qui sont plus

contraignantes ». L’argumentation est donc bien logique : la liberté d’établissement consiste à

permettre aux sociétés constituées dans l’Etat de leur siège statutaire d’avoir une activité dans

les autres Etats, lesquels seront dès lors identifiés comme siège réel, par l’intermédiaire de

succursales notamment. Nul besoin de préciser sur ce point que le système de l’incorporation

est plus avantageux tel que nous l’avons évoqué dans nos propos, en ce qu’il permet

davantage de souplesse et d’adaptabilité au phénomène de mobilité des société : bien souvent

la société choisira ainsi de se conformer au rattachement offrant le plus de marge de

manœuvre de façon à pouvoir aisément circuler au sein de l’Union, ce qui n’est que le plein

exercice de la liberté d’établissement : cette dernière ne saurait être limitée au motif qu’elle

admet que la détermination du siège se fasse en considération de l’attractivité du droit

national. Le choix du siège statutaire constitue ainsi celui de l’optimisation et de la

clairvoyance juridique. Si l’impact sur ce point de la jurisprudence Centros est

incontestablement grand et d’une certaine façon salvateur pour les entrepreneurs, il faut

182 J. Boucourechliev, Op. Cit., p. 28.

80

toutefois admettre qu’antérieurement la Cour avait déjà exprimé cette volonté dans une affaire

similaire, laquelle est par ailleurs citée dans les motifs de l’arrêt Centros183. En effet, dès le 10

juillet 1986, un ressortissant néerlandais fondateur d’une société dont le siège était situé au

Pays-Bas décida de constituer au Royaume-Uni une entreprise qui n’exerçait aucune activité

économique outre manche et dont l’associée était son épouse. Or, le fondateur néerlandais,

par un apport intégral à la succursale, en fut nommé directeur et exerça toutes les activités de

la société anglaise. Concrètement, la société Segers ne développa aucune activité économique

au Royaume-Uni mais au Danemark, lieu de situation du siège réel de ladite personne morale.

Aussi, un organisme de sécurité néerlandais dénia au dirigeant susvisé le droit aux prestations

sociales, celui-ci arguant de la non opposabilité des dites mesures à une société de droit

étranger. Saisie par l’intéressé, la Cour affirma dans cet arrêt Segers, au visa de l’article ex 58

du Traité, que dès qu’une société a été constituée en conformité à la législation d’un Etat

membre, le fait que celle-ci « exerce ses activités par l’intermédiaire d’une agence, succursale

ou filiale uniquement dans un autre Etat membre est sans pertinence. »184 Dès 1986, la

divergence entre siège statutaire et siège réel apparaissait donc devant le prétoire de la C.J.C.E

et celle-ci optait pour la prédominance du premier sur le second sans que demeure

nécessairement un lien effectif et continu avec l’économie de l’Etat membre concerné. Aussi,

quant à la portée de l’affaire Centros, il convient d’observer que la C.J.C.E bat en brèche la

logique du courant réaliste du siège et, si toutefois elle les mentionne, relègue, les exceptions

d’abus et de fraude susceptibles de fonder une application du siège réel, au second plan, tel

que nous les aborderons. La logique de la C.J.C.E impose donc de privilégier une situation

formelle qualifiée de souple et de ne pas prendre en considération les données factuelles

militant pour un rattachement plus restrictif. En revanche, pour certains auteurs, cette espèce

ne marque pas la consécration du siège statutaire, ce qui peut paraître surprenant. En effet, en

son arrêt présent, la Cour se contenterait d’un voie médiane en ce qu’elle affirme la

reconnaissance et la liberté d’établissement de ceux secondaires mais ne sanctionne

aucunement les Etats membres de s’opposer à la reconnaissance de la personnalité morale des

183 A. Decocq et G. Decocq, Op. Cit., p. 348. 184 C.J.C.E, 10 juillet 1986, aff. 79/ 85, R. 2375, concl. av. gén. M. Darmon.

81

sociétés185. En d’autres termes, l’un des enseignements significatifs de l’arrêt Centros réside

dans la sanction par la Cour des restrictions à « l’entrée » que fait peser l’Etat membre

d’accueil à ladite société mais également dans la tolérance de celles exercées à la sortie par

l’Etat membre de départ. L’argument issu de la voie médiane semble par conséquent fondé.

119. A l’aune de nos observations, le mérite de la jurisprudence Centros peut-il être

clairement établit : celle-ci, outre le fait de clarifier un flou notionnel et d’intensifier la

position de l’incorporation en droit international privé des sociétés, lève le voile posé par les

articles 43 et 48 du Traité de Rome s’agissant du rattachement des sociétés évoluant dans

l’espace communautaire. L’intervention en ce sens du droit prétorien réponds aux attentes

soulevées précédemment.

120. Novatrice et affirmée, cette construction prétorienne ne va pas rester lettre morte. En

effet, dès 2002 intervient l’arrêt Überseering186, également rendu par la C.J.C.E, lequel

corrobore et densifie encore l’émergence de la conception statutaire du siège. Dans cette

affaire, la société Überseering B.V de droit néerlandais et immatriculée à Amsterdam

acquiert un terrain en Allemagne en 1992 puis assigne la société NCC devant le Landgericht

de Düsseldorf. Or en 1994, ladite société est cédée à des ressortissants germaniques résidant

outre-Rhin. Afin de rejeter les prétentions de Überseering, le landgericht invoqua le fait que la

société avait de fait transféré en Allemagne son siège effectif sans pour autant effectuer les

modifications relatives à son immatriculation. Aussi, ce recours a été jugé irrecevable en ce

sens que la succursale Überseering ne dispose pas de la capacité juridique d’ester en justice.

Les questions préjudicielles posée à la C.J.C.E furent doubles : d’une part, il s’agissait

d’examiner la compatibilité entre le principe de liberté d’établissement et l’appréciation par

l’Etat membre du siège réel de la capacité juridique d’ester en justice d’une société possédant

son siège statutaire dans un autre Etat de l’Union. A nouveau, se posait donc la question de

l’impact d’une dissociation entre les deux sièges, mais ici s’agissant de l’exercice du droit

185 Voir notamment pour cette opinion en doctrine : A. Auterne et T. Bosly, Op. Cit. ,p. : Pour les auteurs, l’arrêt

Centros n’entraîne aucune conséquence sur le droit des Etats membres à s’opposer à la reconnaissance de la

personnalité morale des sociétés étrangères en général. La portée de cette espèce serait ainsi limitée à la

reconnaissance au sens strict du terme, c'est-à-dire l’admission dans le territoire d’un Etat membre d’accueil de

l’existence et des effets conférés par le droit à l’entité économique. La jurisprudence présente ne se prononcerait

pas sur la reconnaissance au sens large. ; Egalement : W-H Roth, Op. Cit., p. 187 et 188. 186 C.J.C.E, 5 nov. 2002, Überseering, aff. C- 208/00, R, I-9979, concl. av. Gén. D. Ruiz-Jarabo Colomer.

82

d’agir en justice187. A ce stade de la réflexion, l’Avocat général de la Cour, Monsieur

Colomer, affirme néanmoins que cette dernière n’a pas, selon lui, à exprimer de préférence

entre le siège réel et le siège statutaire188. Au contraire, ce dernier s’interroge sur le

changement de loi conséquemment au passage de la société d’un Etat à l’autre. Serais-ce un

obstacle à la liberté d’établissement tel qu’il est argué par la société Überseering ? L’Avocat

général Colomer réponds par la négative en soulignant qu’un travail de conversion ou de

dépeçage de législation doit être entrepris en cette hypothèse au nom des intérêts que présente

le siège réel. En effet, celui-ci, nous l’avons noté est un moyen de protéger les créanciers et de

réaliser des économies de dépenses de restructuration de la personne morale. Sur ces points

évoqués, nous nuancerons les propos de Monsieur Colomer. En effet, s’agissant de la

protection des créanciers, nous affirmons que le sort des créanciers, dans le cadre du siège

statutaire, peut se révéler aussi favorable que dans l’hypothèse du siège réel si toutefois le

premier s’impose uniformément dans tous les Etats de l’Union. C’est pourquoi, dans cette

perspective, il est essentiel que parmi les vingt sept, ceux de conceptions réalistes se rallient à

la celle de l’incorporation. De surcroît, le siège réel, imposant un travail conséquent de

connaissance de la loi d’un autre Etat, n’est évidemment pas propice aux économies de frais

pour les sociétés. Appliquer uniformément la loi d’un siège unique semble plus économe. Par

conséquent, force est de constater que le siège réel n’apparaît plus indispensable. Le refus de

reconnaître une situation avérée dans un Etat membre ne put-il, dès lors, constituer une

entrave à la liberté d’établissement ? La C.J.C.E apporte logiquement sa réponse dans un

attendu limpide. Au préalable, l’Avocat général Colomer affirme notamment que la dans la

situation présente, une convention mutuelle de reconnaissance des sociétés n’est pas

nécessaire pour que « celles qui remplissent les conditions énoncées à l’article 48 CE puissent

exercer la liberté d’établissement reconnue par les articles 43 et 48 CE, lesquels sont

directement applicables ». Il ajoute sur ce point qu’ aucune limitation du « plein effet de ces

articles ne saurait être tirée » de la non existence de convention sur la reconnaissance des

sociétés. Aussi, balaie t-il d’emblée l’argument de l’absence de texte relatif à la

reconnaissance mutuelle des personnes morales préalable au jeu de la liberté d’établissement.

187 Voir notamment : C. Nourissat, note sous C.J.C.E. 5 nov. 2002, Überseering BV, Procédures 2003, Comm.

10, p. 13 à 14. 188 Cité par W-H Roth, Op. Cit., p. 194 et 195.

83

Cela semble, en effet, convenir à l’esprit des articles 43 et 48 du Traité lesquels ne supposent

la réalisation d’une condition spécifique non mentionnée. Surtout, la C.J.C.E affirme, en son

considérant 93 et son dispositif, que les dispositions précitées s’opposent à ce qu’un Etat

donné refuse d’admettre la capacité juridique (ici la capacité d’ester en justice) d’une société

immatriculée dans l’Etat de son siège statutaire et exerçant son activité effective dans le

premier. Aussi, la Cour de Luxembourg, admettant la dissociation entre le siège réel et celui

statutaire, ajoute t-elle que la capacité juridique d’une société s’apprécie au regard de l’Etat

de création de ladite personne morale, donc à travers le prisme de l’incorporation189. Cette

solution se révèle « évidente » selon le professeur Cyril Nourissat. En effet, à ce titre, nous

rappellerons l’existence de la convention de Bruxelles du 29 mai 1968 qui estimait déjà que la

reconnaissance mutuelle des sociétés impliquait la capacité juridique de ces dernières au sein

du territoire communautaire.

121. S’agissant plus particulièrement de la notion de siège social, la C.J.C.E met à mal la

conception réaliste de ce dernier et fait écho à sa jurisprudence Centros précitée. Aussi

affirme t-elle la limitation de ce système par la liberté d’établissement et lui privilégie la

conception du siège statutaire, en ce sens que seul celui-ci est compétent pour déterminer la

capacité d’agir d’une personne morale et non l’Etat du siège réel. La théorie de

l’incorporation s’impose donc dans cette espèce, ce que ne saluons, en ce sens qu’elle prends

en compte le contexte de mobilité des sociétés et semble plus respectueuse des dispositions du

Traité de Rome. Néanmoins, il faut se garder de tout triomphalisme car si le système du siège

réel est limité dans cette espèce, il n’en demeure pas moins qu’il n’est pas explicitement

condamné en soi par les juges de Luxembourg. Son importance s’avère juste réduite dans le

sens de la liberté d’établissement et la reconnaissance des sociétés190 mais le critère demeure.

En effet et d’un point de vue purement syntaxique, la réponse de la Cour en faveur de

l’incorporation demeure laconique, le considérant 95 de l’arrêt relatif à ce point est court (6

lignes). De surcroît, selon une interprétation du point susvisé dans l’espèce, rien ne semble 189 M. Menjucq, « L’articulation du droit d’établissement communautaire et des droits nationaux relatifs au

rattachement juridique des sociétés », Note sous C.J.C.E 5 nov. 2002, Überseering, JCP E 2003, n° 448, p. 520 et

ss. 190 Voir notamment pour cette réserve : A. Auternne et T. Bosly, Op. Cit., p. 359. Les auteurs évoquent, en effet,

s’agissant de l’affaire Uberseering, une « victoire » du siège statutaire et non une condamnation du siège réel.

Voir également : M. Menjucq, Op. Cit., p. 523.

84

empêcher l’Etat du siège réel d’appliquer partiellement sa loi dans la mesure où l’application

de celle-ci n’entrave nullement l’exercice de la liberté d’établissement. Si les règles du droit

international privé cèdent un peu en l’espèce devant la conception communautaire du siège

statutaire, la méthode du conflit de loi subsiste car l’on voit se dessiner un dualisme des règles

en la matière191. Ainsi, s’agissant des litiges dits internationaux, ceux-ci restent gouvernés par

la logique du conflit de loi appliquant en principe le critère du siège statutaire mais imposant à

une société émigrée de se conformer au droit de l’Etat d’incorporation. Quant aux litiges

communautaires, la C.J.C.E milite en faveur du libre choix d’incorporation. Il existe ainsi une

coexistence entre les règles issues du droit international privé organisées autour de la méthode

conflictuelle et celles de l’ordre juridique communautaire dites matérialistes, notamment la

liberté d’établissement. Egalement, un rapport présenté le 4 novembre 2002 faisant suite à

l’arrêt Centros et aux conclusions de l’Avocat général dans l’affaire Überseering corrobore

notre propos. En effet, il propose que le rattachement du siège réel conserve tout son intérêt

lors du fonctionnement de la société et ce sans « discrimination et en respectant le principe de

proportionnalité192. Aussi, selon cette conception et afin d’éviter que les sociétés étrangères

leur oppose la liberté d’établissement, il incombe aux Etats membres d’adapter leur

législation. La C.J.C.E sanctionne donc la barrière à l’ « entrée » mais elle tolère celle dite de

la sortie, en ce sens que l’Etat d’établissement ne peut qu’appliquer les articles 43 et 48 du

Traité et valider la dissociation des sièges alors même que celui de départ peut imposer à la

société de faire correspondre les deux lieux de rattachement.193 A l’aune de ces observation, il

ressort que l’uniformisation au profit d’un rattachement n’est toujours pas réalisée. Dès lors,

on comprends aisément l’urgence qu’il y a à adopter la 14ème directive communautaire relative

au transfert intra communautaire du siège social, laquelle a vocation à faciliter la mobilité

des sociétés en uniformisant la matière et en promouvant une définition souple du siège

autour du critère de l’incorporation.

191 P. Remy- Corlay, « Propos introductifs », Colloque et dossier La Mobilité internationale des sociétés, Cahier

du Droit des Entreprises 2006, n°2, p. 22 ; C.J.C.E 5 nov. 2002, note M. Luby, Bull. Joly Sociétés 2003, p. 452

et ss., n° 91. 192 http://europa.eu.int/comm:internal_market/fr/company 193 C.J.C.E., 5 nov. 2002, Rev. Crit. DIP 2003, p. 508 et ss., note P. Lagarde

85

122. Enfin, il est à mentionner que contrairement à son prédécesseur Centros, l’arrêt

Überseering ne traité absolument pas de la réserve de la fraude, cette dernier permettant en

effet de justifier le refus de reconnaître juridiquement une société pour l’Etat partisan de la

Sitztheorie et de combattre la présomption de rattachement au siège statutaire. Au contraire,

l’exception de fraude, si celle-ci était établie, légitimait le recours au critère du siège réel.

Telle était en effet la position retenue dans l’arrêt précité de 1999 afin protéger les tiers contre

une application abusive ou frauduleuse de la législation du siège statutaire. On le constate, cet

argument juridique apprécié des partisans du courant réaliste a disparu dans l’espèce

considérée puisque les considérants n’en font absolument pas mention.194

123. Aussi, nous venons de l’aborder, l’arrêt Überseering confirme avec vigueur

l’infléchissement pris par la Cour dans l’arrêt Centros de 1999, en ce qu’il consacre, au nom

de la liberté d’établissement, le rattachement au siège statutaire. Pour autant, il a été souligné

que le siège réel demeure un rattachement usité puisque l’espèce conserve des germes de cette

conception. C’est pourquoi la troisième étape jurisprudentielle, qui intervint en 2003, s’est

avérée particulièrement opportune.

124. En effet, si les deux arrêts précités marquent une prédominance en faveur du siège

statutaire au nom de la liberté d’établissement, l’espèce Inspire Art, rendue par la C.J.C.E le

30 septembre 2003, confirme cette orientation et la parachève195. Notamment selon

l’expression empruntée à Madame le professeur Véronique Magnier, « l’arrêt Inspire Art

vient ajouter une pierre à l’édifice en abattant une nouvelle fortification dressée par les Etats à

l’encontre de cette liberté » et « repousse encore plus loin les entraves » causées à celle-ci

. 196. Avant de mettre en lumière les aboutissements de l’affaire, il convient d’en préciser les

faits. Outre son siège constitué sur le territoire anglais, une société dispose d’une succursale

aux Pays- Bas inscrite au registre du commerce d’Amsterdam197. Précisons que cet Etat opte

traditionnellement pour le critère de l’incorporation et qu’il il existe dès lors une loi du 17

décembre 1997 dite Wet op de formeel buitenlandse vennotschappen relative aux sociétés 194 Voir sur ce point : M. Luby, Op. Cit., p. 472, n°16. 195 C.J.C.E 30 sept. 2003, Inspire Art, C-167/01, Dalloz 2004, p. 491. 196 V. Magnier, « L’arrêt Inspire Art, inspiré par les sources et, dans le même temps, source d’inspiration ? », Le

Droit des Sociétés pour 2005, Dalloz 2004, p. 613 et ss. 197 E. Pataut, « Liberté d’établissement et droit international des sociétés : un pas de plus », note sous C.J.C.E 30

sept. 2003, Inspire Art, Dalloz 2004, p. 491.

86

étrangères de pure forme ou pseudo foreign companies », laquelle prévoit des obligation

particulières à respecter si elles ont été crées sous l’empire de la loi hollandaise. Précisément,

le droit hollandais légitime t-il ces pseudo foreign companies mais leur impose, au titre de loi

de police, de se constituer, comme les SARL néerlandaises, avec un capital social minimum

souscrit en Euros et de se soumettre à des formalités de publicité particulières. Ces règles font

exception au droit de l’Etat d’incorporation de Inspire Art, soit l’Angleterre. Notons que l’on

appelle société de pure forme ou de manière plus imagée « société boite aux lettres »198, une

personne morale sans véritable liens avec son Etat d’immatriculation et exerçant la totalité de

son activité dans un autre localisation alors qualifiée de siège réel. On comprend dès lors

aisément que, au travers de ce texte, le but du législateur visé est de sanctionner

l’incorporation fictive afin de protéger les tiers, sujet que nous aborderons dans notre étude199.

Aussi, l’Etat néerlandais, lieu du siège réel de ladite société, exige t-il, par l’intermédiaire de

la Chambre de commerce d’Amsterdam de la Société Inspire Art, le respect des dispositions

précitées de 1997. Par conséquent, dans la question préjudicielle qui lui est soumise, la Cour

de Luxembourg se trouve confrontée au problème de la conformité de la conformité d’une loi

de police émanant de l’Etat du siège réel d’une personne morale avec le principe

communautaire de liberté d’établissement. Concrètement, le fait pour les Pays-Bas, d’imposer

à la succursale Inspire Art dont le siège statutaire est situé Outre Manche le respect de

dispositions légales émanant des Pays-Bas, Etat d’accueil et du siège réel de la société

constitue t-il une entrave aux articles 43 et 48 du Traité de Rome ? Par le biais de cette

question préjudicielle apparaît l’émergence d’un conflit de loi entre les dispositions nationales

néerlandaises et la qualification communautaire issue du Traité200. En son arrêt, La Cour

ébauche une solution en tenant compte de deux étapes, en ce sens qu’elle débute par une

analyse de la compatibilité entre la Wet op de formeel buitenlandse vennotschappen de 1997

relative aux sociétés étrangères de pure forme et le droit communautaire pour ensuite

envisager, le cas échéant, les éventuelles dérogations possibles. En l’espèce présente, la

198 M. Menjucq, « Rattachement de la Société Européenne et jurisprudence communautaire sur la liberté

d’établissement : incompatibilité ou paradoxe ? », Dalloz 2003, n° 42, p. 2874 et ss. 199 E. Pataut, Op. Cit., p. 610. 200 E. Pataut, sous la dir. de Angelika Fuchs, Horatia Muir-Watt et E. Pataut, « Conflits de loi et système

juridique communautaire », Coll. Thèmes et Commentaires, Dalloz 2004, p. 122 à 127.

87

C.J.C.E réponds par l’affirmative et avec clarté, en ce sens qu’elle estime, que les dispositions

incluses dans la loi néerlandaise précitée ne sont pas conformes au principe de liberté

d’établissement. Cette jurisprudence a un double impact s’agissant de la liberté

d’établissement. D’une part et selon l’expression de Jean-Philippe Dom, la Cour de

Luxembourg, a, dans l’affaire présente « réduit les efforts du législateur néerlandais destinés à

protéger les créanciers locaux contre la pratique tendant, par voie de succursalisation aux

Pays-Bas, à localiser de facto dans cette Etat une entreprise constituée dans un autre Etat

membre.201 » Pour ce faire, outre l’argument tiré des articles 43 et 48 du Traité de la

Communauté européenne, la C.J.C.E se fonde également sur l’article 2 de la 11ème directive

du Conseil en date du 21 décembre 1989 relative à la publicité des succursales crées dans un

Etat membre par certaines formes de sociétés notamment opérant dans un autre Etat que celui

de leur constitution. En son article 2, la directive établit une liste limitative des actes

nécessitant une formalité de publication. Restrictivement, ce texte s’oppose à ce qu’une

succursale bénéficiant de la liberté d’établissement soit astreinte à des obligations de publicité

non prévues par ce texte. Or, selon une analyse plus souple, l’article 2.2 offre la faculté aux

Etats membres de prévoir des mentions supplémentaires. En l’espèce, le raisonnement de la

C.J.C.E suit davantage une lecture restrictive de cette directive de 1989. La société Inspire Art

est bien une succursale constituée conformément au droit anglais et confrontée aux exigences

émanant de la législation de l’Etat de son siège réel, lesquelles sont plus sévères que celles de

la directive de 1989 La solution dégagée par la jurisprudence Inspire Art est donc des plus

logique et manifeste la primauté du droit communautaire sur le droit interne. Aussi, l’arrêt

Inspire Art complète et consacre encore davantage la position jurisprudentielle initiée par

l’arrêt Centros de 1999 et poursuivie par Überseering. Cette fois, la Cour se prononce sur la

mise en œuvre, dans l’Etat d’accueil de siège réel, d’une disposition réglementaire, à savoir

une loi de police. On conviendra donc que l’expression de la doctrine, laquelle affirme que

l’arrêt Inspire Art « a franchi un pas de plus 202», est à propos. Toutefois, pour certains, une

telle jurisprudence peut sembler un peu excessive dans la mesure où elle étend de manière

inéluctable la liberté d’établissement. Ces auteurs craignent en effet que le sort des exceptions

201 J-P Dom, « La liberté d’établissement des succursales : principes et limites, note sous C.J.C.E, 30 sept. 2003,

Inspire Art, Rev. Sociétés 2004, p. 143, n° 5. 202 J. Béguin et M. Menjucq, Op. Cit., p. 283, n° 749.

88

justificatives soit inexorablement rejeté par la Cour, bras armé des articles 43 et 48 du Traité

de Rome. Si cette crainte peu paraître un peu excessive, nous verrons qu’elle trouve une

légitimité dans l’arrêt présent.

125. D’autre part et plus spécifiquement à notre sujet, les juges de Luxembourg interdisent-

ils, selon le point 2 du dispositif, aux Etats membres d’accueil de déduire des conséquences

juridiques de la dissociation entre le siège statutaire et celui réel. Cette position prétorienne

en faveur des établissements secondaires de sociétés, déjà annoncée dans l’affaire Centros, se

trouve donc confirmée quatre ans plus tard par l’arrêt présent203. L’arrêt suit la logique de

l’article 48 favorable implicitement au mécanisme de l’incorporation. Nous approuvons cette

jurisprudence en ce sens qu’elle prend en compte une double réalité. D’une part, une réalité

économique d’une société donnée qui, pour se développer dans un contexte de mondialisation

des échanges est amenée à étendre, par le biais d’établissements secondaires, son activité à

l’étranger pour prospérer. Or, la mobilité des sociétés est une donnée que les Etats militants

pour le seul maintient du siège réel tendent à nier. D’autre part, la jurisprudence Inspire Art

traduit un vœux institutionnel des fondateurs de l’Union, à savoir notamment encourager le

libre marché économique. Nier ou freiner systématiquement ces éléments au profit du siège

réel est d’autant plus dommageable que sur le plan du droit international privé, une attitude

rétive au siège statutaire multiplie le risque des conflits de loi et ne favorise aucunement

l’élaboration de règles unifiées au sein du territoire de l’Union européenne.

126. Néanmoins, de façon similaire à l’affaire Centros, la Cour de Luxembourg n’affirme

pas expressément qu’elle fait le choix du siège statutaire et se contente de légitimer la

dissociation entre les deux éléments de localisation en concurrence. Au contraire, on peut

même se demander si elle ne serait pas « indifférente » au critère de rattachement retenu,

comme l’exprime le professeur Cyril Nourissat204. En effet, selon une approche purement

matérielle, aucun considérant de l’espèce du 30 septembre 2003 ne règle précisément cette

question. En revanche, la Cour de Justice des Communautés européennes rejette t-elle

l’utilisation du siège réel afin de priver une société d’utiliser de façon optimale sa liberté

d’établissement. A contrario, il est donc tout à fait envisageable d’affirmer que la Cour de

203 Voir notamment sur ce point : C. Nourissat, Droit Communautaire des affaires, Coll. Hypercours, Dalloz

2005, p. 132, n° 175. 204 C. Nourissat, Idem.

89

Bruxelles considère le siège social statutaire comme suffisant. C’est pourquoi la doctrine,

évoquant l’arrêt Inspire Art, affirme qu’il s’agit d’un pas de plus vers la reconnaissance et la

domination du critère souple précité s’agissant des établissements secondaires205. Toutefois,

pour certains, une telle jurisprudence peut sembler un peu excessive dans la mesure où la

Cour repousse, encore plus les limites à la liberté d’établissement et au maintien du siège réel,

notamment dans le cadre de la fraude, comme nous l’envisagerons ultérieurement. Certes, il

est un fait, la définition du siège social telle qu’appréhendée par l’arrêt Inspire Art a au moins

le mérite de favoriser la mobilité des sociétés en établissant un mode de rattachement souple,

formel et détaché de la notion de souveraineté des Etats membres. En outre, tel il a été

observé antérieurement, privilégier le siège statutaire, c’est prendre en compte la volonté des

associés fondateurs de la personne morale. En effet, et c’est un dénominateur commun avec

les espèces Centros et Überseering, cette conception permet à ces derniers de choisir

librement le rattachement juridique de la personne morale Ces avantages indéniables nous

amènent à privilégier l’hypothèse du critère d’incorporation s’agissant des établissements

secondaires.

2°) Les enseignements d’une trilogie favorable au siège statutaire

127. A la lumière de ces trois arrêts devenus célèbres en droit communautaire des affaires,

plusieurs enseignements peuvent être tirés s’agissant de notre étude. En premier lieu, chacune

des jurisprudences étudiées concerne l’hypothèse d’une dissociation entre le siège réel, lieu de

réunion de l’administration centrale et de l’activité économique de l’établissement secondaire

de la société, et celui où ladite personne morale est immatriculée, c'est-à-dire son siège

statutaire. Or, nous l’avons constaté, dans chacune des espèces considérées, la Cour, se

fondant sur une interprétation extensive de la liberté d’établissement, estime que ce

phénomène de dichotomie entre les sièges factuel et formel est pour le moins tolérée. Le

contraire, comme en témoigne l’arrêt Inspire Art, est très clairement sanctionné. Aussi, la

C.J.C.E pousse t-elle son raisonnement au-delà des simples exigences des articles 43 et 48,

lesquels se bornent, nous l’avons observé, à permettre aux fondateurs d’entreprises sur le

205 Voir notamment : M. Menjucq, Op. Cit., p. 2874.

90

territoire de l’Union, de choisir librement entre le rattachement du siège statutaire, du siège

réel ou du principal établissement. On perçoit dès lors aisément l’impulsion, la dynamique

insufflée par le droit prétorien communautaire afin de clarifier la définition du siège social,

lequel vogue entre les fondements de la Sitztheorie allemande ou, à l’opposé, de

l’incorporation britannique. L’effort manifesté par les juges de Bruxelles à travers cette

trilogie est louable et positif, en ce sens qu’il va dans le sens de l’esprit de l’article 48 du

Traité précité.

128. En outre et en corollaire de nos propos précédents, que ce soit dans l’arrêt Centros,

Uberseering ou Inspire Art, la Cour de Bruxelles offre aux sociétés ressortissantes de l’Union

de choisir leur lieu de rattachement. Or cette faculté a fait couler beaucoup d’encre au sein de

la doctrine car elle constitue le prémisse du Law shopping, phénomène controversé en droit

international privé. Ainsi, retiendra t-on l’analyse du professeur Michel Menjucq, lequel

constate que « En définitive, le choix du pays d’immatriculation est guidé par le contenu des

droits nationaux des sociétés, les fondateurs recherchant positivement la compétence d’une

législation souple.206 » En effet, tel que nous l’aborderons, cette tendance, outre le fait qu’elle

peut constituer un abus, est vecteur de concurrence entre les différents droits des sociétés des

Etats membres.

129. Par ailleurs, dans les trois situations présentes, la Cour est amenée à traiter de la

compatibilité d’une norme émanant de l’état d’accueil, c'est-à-dire celui du siège réel avec la

liberté d’établissement. En d’autres termes, les arrêts susvisés concernent la situation

suivante : l’Etat d’accueil ou « d’entrée » lequel constitue le siège réel refuse de tenir compte

de la constitution du siège statutaire de la personne morale intervenue dans un autre Etat

membre. L’Etat d’accueil impose, en effet, à ladite société de faire coïncider les deux

conceptions du siège avec une prévalence marquée pour celle réaliste puisque l’incorporation

ne peut suffire à assurer la liberté d’établissement à la personne morale concernée. Or, pour la

Cour, cette interprétation des dispositions du Traité de Rome par les Etats membres n’est pas

satisfaisante : au contraire, fait-elle interdiction à l’Etat d’entrée de refuser la reconnaissance

d’une situation avérée dans l’Etat du siège statutaire de l’entreprise. Aussi, semble t-il, dans

l’hypothèse d’un conflit entre les deux notions, le rattachement du siège statutaire

206 M. Menjucq, note sous C.J..C.E, 9 mars 1999, Centros, Dalloz 1999, Jur., p. 555.

91

l’emporterait sur celui issu de la Sitztheorie allemande. Cette situation, au regard de la

mobilité des sociétés, nous semble convenable.

130. Toutefois, si les trois espèces présentent une série de points communs, une analyse

fouillée nous permet d’établir des différences de situation et de faire apparaître une espèce

plus récente laquelle complète la trilogie. En effet si les arrêts Centros, Überseering et Inspire

Art évoquent de nombreuses similitudes, la situation et le contexte diffèrent quelque peu. En

effet, et dans un ordre chronologique, l’arrêt Centros se réfère à un montage juridique établit

par les époux danois Bryde, lesquels immatriculent formellement une succursale au

Royaume-Uni afin d’éluder l’application des règles danoises en cette matière, mais exercent

la réalité de leur activité économique dans leur pays d’origine. Aussi, dans ce cas, la Cour est-

elle limitativement confrontée à la compatibilité du refus d’immatriculer la succursale de

Centros au Danemark par rapport aux articles 43 et 48 du Traité de la Communauté

européenne. Or, en l’espèce Überseering, outre cet aspect concerne également le transfert du

siège social et la reconnaissance des sociétés, point éludé par l’arrêt de 1999. Tel que nous le

verrons s’agissant plus spécifiquement du transfert de l’établissement principal, la

jurisprudence de 2002 peut, dans une certaine mesure, remettre en cause la position prise dans

l’arrêt Daily Mail de 1988. Quant à la reconnaissance mutuelle des sociétés, point non traité

par la jurisprudence Centros et dans une moindre mesure par celle dite Inspire Art, l’espèce

de 2002 impose de tenir compte de la capacité juridique d’une société valablement constituée

selon les lois de l’Etat du siège statutaire. En d’autres termes, la Cour va plus loin encore

qu’en 1999 puisqu’elle admet implicitement l’importance du rôle joué par le critère de

l’incorporation au cour de la vie de la personne morale. Enfin, l’arrêt Inspire Art présente un

intérêt non négligeable car il met en cause un Etat de conception statutaire, les Pays-Bas.

Celui-ci, favorable au rattachement du siège statutaire tente pourtant de limiter les effets de

cette conception en édictant une loi de police visant à protéger les créanciers, laquelle a

vocation à s’appliquer à la société Inspire Art incorporée en Angleterre. En simplifiant les

données de l’espèce, il s’agit d’une tentative de rééquilibrage au profit du siège réel admise

jusqu’à lors par le droit prétorien communautaire. Or, en sanctionnant les Pays-Bas sur ce

point, nous affirmons que la Cour manifeste véritablement une forte volonté de promouvoir le

siège statutaire puisque confrontée, dans une situation inédite, à un Etat de tradition

d’incorporation, elle fait plier l’exception de la loi de police invoquée par ce dernier. Dès lors,

92

les observations émanant de la doctrine appelant à la consécration du rattachement du siège

statutaire peuvent sembler légitimes.

131. Tel que nous l’avons constaté à travers cette analyse, il existe des différences de

situation dans les trois espèces formant le socle du renouveau du siège statutaire au sein de

l’ordre juridique communautaire. Néanmoins, et nous estimons qu’il s’agit d’une lacune, à

aucun moment la Cour n’affirme expressément que l’incorporation doit devenir le critère de

référence pour les Etats membres. Ainsi, l’influence de ce rattachement sur le droit

international privé n’est pas totale. Une référence encore plus claire eut été souhaitable afin de

clarifier la situation en droit international privé. En outre, si le droit prétorien communautaire

consacre une solution davantage favorable au critère souple du siège statutaire au nom de la

liberté d’établissement relatif aux établissements secondaires, il demeure figé s’agissant de

l’établissement principal.

B) Une jurisprudence timide s’agissant du siège statutaire de l’établissement principal

132. En effet, deux tendances s’observent au sein de l’ordre juridique communautaire. A la

jurisprudence prolixe s’agissant de l’établissement secondaire, la matière demeure

relativement figée et timide quant au sort de l’établissement principal. En effet, selon une

première analyse, à l’aune de la désormais célèbre trilogie de 1999 à 2003, aucun élément

précis n’est apporté et il convient dès lors de se reporter à l’hypothèse de l’arrêt Daily Mail.

Cependant, selon une seconde analyse qui est la notre, il convient de s’interroger sur la portée

actuelle de l’espèce de 1988, notamment au regard de l’affaire Überseering.

1°) Une solution jurisprudentielle défavorable à la conception statutaire du siège social de

l’établissement principal

133. De prime abord, il convient de dresser un constat : si le législateur communautaire

puis la jurisprudence de la Cour ont envisagés la mobilité de l’établissement secondaire par le

biais d’une jouissance effective de la liberté d’établissement et d’une conception souple du

siège, le sort de l’établissement principal est moins enviable. En effet, ce dernier évoque la

93

question de la définition du siège social par le biais du transfert de celui-ci. Or, l’hypothèse

paraît selon la doctrine « difficile à mettre en œuvre.207 » Pourtant, nous l’avons évoqué, les

articles 43 et 48 du Traité de Rome ont vocation à s’appliquer s’agissant des établissements

principaux. Nous rappellerons que leur mobilité consiste dans le déplacement du siège d’un

Etat vers un autre. Outre les articles issus du texte institutionnel communautaire, il n’existe à

ce jour aucune convention ou directive relative au transfert de siège social malgré les

injonctions de l’article 220 du Traité de Rome, sujet que nous aborderons au sein de la

mobilité des sociétés dans l’Union. C’est pourquoi la jurisprudence de la C.J.C.E s’est saisie

de la question, notamment dans l’arrêt Daily Mail du 27 septembre 1988 opposant la société

de ce nom au Trésor public britannique, dont les contours ont été esquissé dans notre analyse

précédente. La question posée à la Cour était la suivante : un Etat pouvait-il de départ

soumettre à autorisation l’exercice du droit d’établissement garanti par les articles 43 et 48 du

Traité ? Or, de façon sous-jacente apparaît ici la notion de rattachement des sociétés208. Les

faits sont connus. Daily Mail, société de constitution britannique, avait déplacé son siège de

direction de Grande-Bretagne aux Pays-Bas afin de faire échapper certaines opérations à la

fiscalité anglaise , sans pour autant déplacer son siège statutaire, la loi anglaise lui restant

donc applicable. Or, en l’espèce, le Trésor britannique avait refusé l’autorisation du transfert.

Le problème ne concernait non le droit pour Daily Mail de s’établir aux Pays-Bas mais à

quelles conditions l’opération était possible. En son arrêt, tout en reconnaissant l’effet direct

du droit communautaire, la Cour de Bruxelles avait estimé que les articles 52 et 58 (anciens

articles 43 et 48) du Traité ne « confèrent pas, en l’état actuel du droit communautaire, le droit

à une société de transférer son siège de direction dans un autre Etat membre.» Concrètement,

la C.J.C.E a suivi l’analyse de l’Etat de départ du siège statutaire et du siège réel, soit

l’Angleterre, refusant que ladite société parte s’établir aux Pays-Bas, lieu futur du siège

statutaire.209 Aussi l’arrêt présent souligne la soumission de la personne morale aux

207 J. Béguin et M. Menjucq, Op, Cit., p. 276, n° 736 208 C.J.C.E, 27 septembre 1988, aff. 81/ 87, The Queen C. H.M Treasury and Commissionners of Irland

Revenue, ex parte Daily Mail and General Trust PLC, RTD Europe 1989, p. 260, obs. L. Cartou. 209 Voir notamment : M. Pariente, « Les obstacles à la libre mobilité des entreprises européennes à l’intérieur de

l’Union, Bull. Joly Sociétés 2002, par. 2, p. 21 et ss. L’auteur affirme, en effet, que l’absence d’harmonisation de

la notion juridique de siège social est « un frein non négligeable » s’agissant de la mobilité des sociétés et

94

conditions de mise en œuvre du principe de liberté d’établissement émanant de l’Etat de

départ, lieu du siège réel de ladite société210. En d’autres termes, la Cour légitime les

restrictions de l’Etat d’origine du transfert et, par conséquent, choisit donc de nier l’existence

d’un nouveau siège de constitution car le lien semble trop artificiel avec l’Etat de ce dernier.

Cette analyse, antérieure à l’évolution de 1999 à 2003, nous apparaît rétive à la théorie de

l’incorporation s’agissant de l’établissement principal. En effet, la Cour est, dans cette affaire,

consciente des difficultés que peut engendrer la dissociation du siège statutaire et du siège

réel, opinion relayée par une partie de la doctrine de l’époque combattant le rattachement

statutaire du siège, jugé trop laxiste211. Pour notre part, nous admettons qu’une telle analyse,

outre le fait qu’elle est amplement remise en question s’agissant des établissements

secondaires, ne semble plus correspondre à la réalité économique d’aujourd’hui empreinte

d’échanges transfrontalières et intra communautaires, d’autant plus que l’Etat arguant de

l’application de la restriction à l’établissement principal est de tradition attaché au critère de

l’incorporation. Depuis lors, force est de constater que s’agissant de l’établissement principal,

le droit communautaire qu’il soit positif ou prétorien demeure figé à 1988 puisque aucune

directive n’a hélas vu le jour s’agissant du transfert et qu’aucun arrêt n’est venu infléchir la

jurisprudence Daily Mail. A s’en tenir là, il est envisageable d’affirmer qu’il existe une

différence de traitement par l’ordre juridique de l’Union entre l’établissement secondaire,

lequel bénéficie d’un rattachement souple statutaire et l’établissement principal régit par le

siège réel, critère plus rigide. Pour certains, cette situation apparaît comme « défavorable212 »,

opinion que nous partageons. Néanmoins, si les présents propos relatifs au siège de

l’établissement principal ne paraissent guère encourageants, il convient de les nuancer depuis

l’arrêt Überseering de 2002.

notamment du transfert du siège d’un Etat à un autre. Concernant ce dernier, Madame Maggy Pariente fait le

constat d’un « blocage. » 210 Y. Loussouarn, Le Droit d’Etablissement des Sociétés, Rev. Trim. Droit Européen 1990, n° 26, p. 229 et ss. 211 Voir notamment : Y. Loussouarn, Op. Cit., p. 236. 212 J-M. Jacquet, P. Delebecque et S. Corneloup, Op. Cit., p. 167, n° 296.

95

2°) La discussion autour de l’incidence de l’arrêt Überseering sur le siège social de

l’établissement principal

134. Ressenti comme un « échec » selon l’expression du professeur Michel Menjucq213, la

solution dégagée par l’arrêt Daily Mail ne demeure peut être pas intangible. En effet, il

semblerait que cette dernière puisse être remise en cause par la jurisprudence Überseering

rendue par la C.J.C.E le 5 novembre 2002. A ce titre, nous souhaitons apporter une précision

relative à l’article 220 du Traité de la Communauté européenne (nouvellement article 293) qui

constitua un fondement juridique à l’arrêt de 1988. En effet, cette disposition précise que les

Etats membres engagent des négociations en vue d’assurer à leurs ressortissants s’agissant de

la reconnaissance mutuelle des sociétés et du maintien de la personnalité juridique en cas de

transfert d’un Etat à l’autre. Or, en l’espèce de 2002, la Cour de Luxembourg énonce, au point

54, que « l’article 293 du Traité ne constitue pas une réserve de compétence législative entre

les mains des Etats membres. Ainsi, il semblerait que la C.J.C.E, éludant le texte précité par

une interprétation très restrictive, consacre une compétence communautaire jusqu’à lors non

prévue par ledit Traité214. Par conséquent, si l’arrêt Überseering affirme la reconnaissance

mutuelle des sociétés et l’application possible du siège statutaire tout en contournant l’article

293 s’agissant du transfert de siège, tout laisse penser que l’espèce Daily Mail serait remise en

question. Cette argumentation est corroborée par le fait que dans son arrêt Sevic System du 13

décembre 2005 relatif aux fusions internationales, la Cour retient la même analyse s’agissant

de l’article 293 du Traité. Notamment, elle a jugé qu’il est impossible pour un Etat membre de

refuser l’inscription au registre du commerce et des sociétés de la fusion lorsque l’une des

deux sociétés a son siège statutaire dans un autre Etat membre. En outre, les deux espèces font

état de discriminations à rebours, c'est-à-dire de celles subies indirectement par la personne

morale : le refus d’un droit la prive de l’exercice de sa liberté d’établissement215. L’impact sur

le cas du transfert de siège serait réel en ce sens où les deux modalités fusion et transfert ne

213 M. Menjucq, « L’Europe et le Droit des Entreprises, JCP G 2007, I, n° 130, p. 32 et ss. 214 J. Heymann, note sous C.J.C.E., 13 déc. 2005, Sevic systems AG., Rev. Crit. DIP 2006, p. 676. 215 Voir notamment pour une définition de la discrimination à rebours: C. Nourissat, Op. Cit., p. 140. L’auteur

précise que ce terme vise « la situation désavantageuse » dans laquelle un ressortissant d’un Etat membre se

trouve placé du fait de son droit par rapport à un ressortissant d’un autre Etat membre.

96

sont pas fondamentalement distinctes, selon l’expression de Madame le professeur Rémy-

Corlay216. Or, quant au critère de rattachement de la personne morale, tirant les conséquences

des constats précédents, la C.J.C.E retient, en l’espèce Überseering, une conception statutaire

du siège en ce qui concerne l’établissement secondaire. Par analogie, cette tendance devrait

pouvoir recevoir application s’agissant l’établissement principal. Aussi, semble t-il possible

d’avancer que l’arrêt Daily Mail n’est plus le droit positif s’agissant de ce dernier. L’échec

dénoncé précédemment semble ainsi sur le point d’être surmonté. Naturellement, cette

inclinaison nécessite une confirmation jurisprudentielle afin d’être ancrée dans le droit

communautaire.

135. Ainsi, à la lumière de nos observations, la C.J.C.E a mesuré l’ampleur de la tache qui

lui incombait eu égard aux imprécisions du droit communautaire positif et du droit

international privé s’agissant de la notion de siège social. Par trois arrêts majeurs, la Cour de

Bruxelles a apporté une nécessaire clarification à la notion susvisée, tout en privilégiant la

conception statutaire en se fondant sur les dispositions du Traité de Rome relatives à la liberté

d’établissement, soit les articles 43 et 48. Cet infléchissement semble novateur tant le critère

du siège réel, en recul cependant dans les législations internes, demeurait présent dans l’ordre

juridique international voire même communautaire par le biais notamment de l’arrêt précité

Daily Mail. Il s’est effectué en suivant deux points majeurs liés l’un à l’autre. D’une part, au

nom de la liberté d’établissement, un Etat de siège réel ne peut refuser de reconnaître une

personne morale valablement constituée selon la loi de l’Etat de son siège statutaire. D’autre

part, la Cour affirme t-elle que la dissociation entre le siège réel ou d’administration centrale

et celui d’incorporation de la société est conforme au exigences du Traité de la Communauté

européenne. Aussi, l’enseignement à tirer de cette trilogie jurisprudentielle est qu’elle

pérennise et favorise le rattachement du siège statutaire sans pour autant l’imposer

explicitement. En effet, tel que nous l’avons noté, la C.J.C.E ne prends pas véritablement

partie pour ce dernier mais se contente de sanctionner les entraves à la liberté d’établissement

en cas de dissociation des sièges. En outre, précisons que si le critère du siège statutaire

semble prendre le pas sur celui réel, cela ne concerne que les établissements secondaires

puisque demeure une incertitude s’agissant de ceux principaux. Dès lors, il convient de

s’interroger sur la portée de ce triptyque. Est-ce le triomphe absolu de l’incorporation ? Eu

216 P. Rémy- Corlay, Op. Cit., p. 21. a

97

égard aux propos précédents, la réponse ne saurait être affirmative. Ce constat fait d’ailleurs

dire à un auteur que « l’interprétation que fait la Cour…[a] toutefois comme défaut majeur de

souffrir dans sa formulation d’un manque de clarté.217 » Nous souhaiterions ne pas être aussi

catégoriques : à travers la trilogie évoquée ci-dessus, la Cour de Luxembourg a eu le mérite de

promouvoir la conception souple du siège indispensable à l’économie de marché unique telle

qu’elle existe actuellement. On conviendra que dans contexte de droit international privé où le

flou règne autours de la notion de siège social, l’effort entrepris peut être salué. La C.J.C.E a,

en effet, pris conscience que la définition réelle du siège peut, pour de multiples raisons

évoquées dans notre étude, être préjudiciable à l’essor des sociétés. Nul doute que cette

démarche constitue une dynamique au sein du droit international privé. Pour certains, cette

tendance à se contenter du critère de l’incorporation semble même excessive, en ce qu’elle est

systématique et n’assure que peu la protection des créanciers et des tiers en général. Pour

notre part, cette évolution, laquelle semblait impérative, doit être approuvée, cependant nous

admettons qu’elle doit être assortie de tempéraments jouant le rôle de gardes fou.

136. S’agissant des réserves exprimées par la doctrine, il est vrai que les juges de la C.J.C.E

auraient pu reconnaître plus explicitement encore la domination du siège statutaire, certes il

convenait de laisser des marges de manœuvres aux parties afin de lutter contre des situations

dans lesquelles les sociétés font un usage abusif de la liberté d’établissement et du libre choix

d’implantation du siège, points qui seront abordés dans nos développements.

137. De surcroît, la tentative de clarification du siège autour de la notion de siège statutaire

par la Cour de Luxembourg ne se borne pas à la liberté d’établissement, elle concerne

également les procédures d’insolvabilité communautaires, matière au sein de laquelle un

certain flou quant à l’interprétation du Règlement 1346/ 2000 demeure.

Section II : Une clarification jurisprudentielle complémentaire en droit européen

des procédures d’insolvabilité

138. Depuis le 29 mai 2000, la matière des procédures communautaires d’insolvabilité s’est

enrichie de la présence du Règlement 1346/ 2000, lequel a pour vocation de proposer des

217 J. Heymann, Op. Cit., p. 676.

98

règles de compétences juridictionnelles unificatrices au sein de l’Union. Tel que nous l’avons

constaté, ce texte consacre en son article 3-1 la notion de centre des intérêts principaux du

débiteur, laquelle signifie que l’administration centrale et le principal établissement de

l’entreprise en difficulté se situent aux lieux du siège statutaire. L’article susvisé institue en ce

sens une présomption simple. Or, eu égard aux vastes objectifs, tant relatifs à la clarification

des règles de compétence que de définition du lieu de rattachement de la faillite, des résultats

étaient attendues. Force est de constater que ladite norme communautaire déçoit par son

manque de clarté et par une ambiguïté patente. Aussi, si une telle orientation, que nous

estimons louable, était naturellement attendue en droit communautaire des procédures

collectives, nous avons observé que, s’engouffrant dans la brèche d’un texte trop vague, les

Etats membres ont montré une attitude rétive à appliquer littéralement les dispositions du

présent règlement, voire tenter de dévoyer les règles établies par ce dernier. C’est pourquoi,

une clarification opérée par le C.J.C.E s’impose véritablement tant la situation présente

semble intenable et par essence contraire aux objectifs assignés au règlement par le législateur

communautaire (I). Or, sur ce point, la Cour de Luxembourg n’a pas déméritée en ce sens

qu’elle a pleinement consacrée la présomption dudit centre au siège statutaire (II).

I) Une clarification jurisprudentielle justifiée par une réticence des Etats membres à appliquer

l’article 3 du Règlement du 29 mai 2000

139. Entré en vigueur le 31 mai 2002, le Règlement relatif aux procédures d’insolvabilité

communautaires a suscité des difficultés d’application par les juridictions des Etats membres.

En effet, tel que nous l’avons constaté, la mise en œuvre du critère du centre des intérêts

principaux du débiteur, apparenté au siège statutaire selon l’article 3 du texte, a connu des

approches différentes alors même qu’une uniformité sur ce point devait s’imposer218. En effet,

comme nous l’avons esquissé dans la présentation dudit règlement s’agissant des groupes de

sociétés, les juridictions des Etats membres de l’Union ont tendance à s’émancipent de la

218 Voir notamment sur ce point : M-H. Monséré-Bon, « Premières applications du Règlement Insolvabilité : les

apports jurisprudentiels interne et communautaire », chron. Droit des Difficultés économiques, Droit et

Patrimoine 2007, n° 160, p. 83 à 85.

99

localisation de la filiale pour remonter vers le siège social de la société mère. Or, il apparaît

un paradoxe puisque ce dernier corresponds au siège réel de la filiale. Aussi d’une

présomption de localisation en faveur du siège statutaire, glisse t-on vers un retour au siège

réel. Cela est d’autant plus aisé que la présomption du centre des intérêts peut être combattue

par la preuve contraire. Cette confusion est évidente dans le sens où certains auteurs vont

jusqu’à assimiler la notion exposée au sein du règlement 1346/ 2000 au siège réel219. Force est

de constater que le centre des intérêts principaux du débiteur doit être l’objet d’un travail de

clarification en réponse à cette application trop extensive (A) justifiée, par ses partisans par

l’exigence de prévisibilité de la procédure collective (B).

A) Une clarification opportune, conséquence de l’application extensive du centre des intérêts

principaux du débiteur

140. Revenons, en effet, un instant sur les différentes applications extensives dudit texte par

les juridictions des Etats membres, notamment les espèces Daisytek et Rover. Nous rappelons

que ces deux affaires ont trait aux conflits de juridiction dans les groupes de sociétés, domaine

dans lequel la confusion est particulièrement manifeste. En réalité, dans les deux affaires

présentes, le problème provient essentiellement de la présomption puisque cette dernière, tout

en admettant un rattachement de principe au siège statutaire, permet aisément d’être

renversée. Ce qui revient à penser que le règlement ne parvient à trancher entre les deux

conceptions : cette disposition laisse une impression de tâtonnements, d’hésitations et

d’insécurité juridique pourtant peu souhaitable s’agissant d’une matière, les procédures

collectives, où la clarté des règles doit être de mise. Précisons que les traits ainsi critiqués de

la norme de 2000 s’expliquent par le fait que le règlement est le résultat d’un compromis : on

comprend donc qu’il se refuse à se déterminer trop précisément pour un critère220. Ce qui en

revanche semble certain est qu’une lecture restrictive de l’article 3 permet de retenir le siège

statutaire comme lieu de rattachement de la procédure principale, sauf en cas de siège fictif.

219 C. Gaudin, Op. Cit., www.senat.fr/rap/06-347-1/r06-347-1105.html 220 R. Dammann, « L’affaire Rover : priorité donnée à la High Court of Justice de Birmingham », note sous Tr.

Com. Nanterre 19 mai 2005 Rover France, Dalloz 2005, p. 1787 et ss.

100

S’agissant de l’arrêt rendu par la High Court anglaise dans l’affaire Daisytek, nous l’avons

constaté, le centre de la filiale est confondu avec le siège de la société mère car cette dernière

se réfère au concept large de headquarters functions et mind of management pour attraire une

filiale dont le siège statutaire est en France devant les juridictions britanniques. Ces notions

correspondent au lieu d’impulsion économique et administrative de l’entreprise et se

rapprochent de la Sitztheorie. Nous observons que ce retour au siège réel est quelque peu

incohérent lorsque à la même période la C.J.C.E rendait ces arrêts Centros, Überseering et

Inspire Art, ceux-ci se prononçant avec clarté en faveur du siège statutaire. L’esprit de

cohérence et d’harmonisation dont est emprunt le droit communautaire semble écorné. Cette

tendance réaliste apparaît même surprenante dans la mesure où l’Angleterre est un farouche

partisan de la conception de l’incorporation, sauf si l’on en convient que cet Etat a désiré, en

premier lieu, protéger ses créanciers. Il s’agit dès lors d’une interprétation du règlement

particulièrement extensive, en ce sens que les juridictions anglaises ont utilisé le centre des

intérêts principaux pour renverser la présomption établie au profit du siège statutaire et ouvrir

« ainsi des procédures distinctes contre les sociétés d’un même groupe », comme l’observe le

professeur Michel Menjucq221. Cette dérive de la part des Etats membres consistant à tirer

profit des lacunes du texte communautaire n’est pas exclusive du droit anglais. En effet,

quelque temps après l’arrêt précité, le Tribunal de commerce a abouti à une solution identique

dans l’affaire Rover du 19 mai 2005. Il s’agissait de la faillite du célèbre constructeur

automobile du même nom et des répercutions sur sa filiale française dénommée Rover SAS.

En effet, suite aux difficultés économiques de la firme anglaise, par un arrêt du 8 avril 2005,

la High Court of Justice de Birmingham ouvre une procédure d’insolvabilité en faveur de la

société mère, MG Rover Group Ltd. S’agissant de la SAS française filiale, les juges

britanniques considèrent que son centre des intérêts principaux se situe non en France comme

le voudrais la présomption instaurée par l’article 3 du règlement mais à Longbridge, siège de

la société mère, soit en Angleterre et ouvre à ce titre une procédure d’insolvabilité principale.

Or, de l’autre côté de la manche, une procédure s’ouvre également dès le 27 avril 2005 et

s’instaure un conflit de juridiction entre la France et l’Angleterre, écueil que le règlement de

2000 se proposait précisément d’éviter222. En son instance du 19 mai 2005, le Tribunal de

221 M. Menjucq, Op. Cit., p. 35. 222 Voir notamment sur ce point : R. Dammann, Op. Cit., p. 1790.

101

Nanterre écarte la compétence du juge français au profit de celui britannique. Aussi, le siège

statutaire de la filiale situé en France est supplanté par le siège réel de la société, à savoir le

siège de MG Rover Group Ltd de Longbridge. Une telle décision ne nous semble pas

satisfaisante, et ce à plusieurs égards. En premier lieu, du point de vue du droit des entreprises

en difficulté, ce choix aboutit à un cloisonnement de la procédure ne favorisant pas un

traitement d’ensemble et nie l’autonomie juridique de la filiale. En ce sens, une telle

orientation semble contraire aux objectifs du règlement 1346/ 2000. Il eut été plus opportun,

une fois la procédure principale ouverte sur le territoire français, d’envisager une procédure

secondaire en Angleterre. Une telle solution aurait au moins eu le mérite de tenir compte de

l’esprit du texte du 29 mai 2000 et accessoirement de faire bénéficier les salariés français du

dispositif protecteur de l’AGS. De surcroît, la position réaliste

141. En effet, bien que cette hypothèse soit exclue par la circulaire française du 17 mars

2003, le règlement n’y semble pas défavorable puisque cette solution a notamment trouvée

application dans l’affaire Daisytek allemande223. Dès lors, on admet bien volontiers que la

C.J.C.E ait un véritable travail de ré-appropriation de la notion du centre des intérêts

principaux du débiteur.

B) Une application extensive justifiée par le principe de prévisibilité de la procédure

collective

142. En réalité, le choix de la Cour anglaise exposé ci-dessus se justifie par le soucis de

prévisibilité du risque d’insolvabilité tel qu’il est définit dans l’affaire Staubitz-Schreiber du

17 janvier 2006 traitant d’une procédure collective ouverte à l’encontre d’un débiteur

personne physique 224. Les faits de l’espèce étaient les suivants. Madame Staubitz Schreiber,

ressortissante allemande y exerçait le commerce de téléphonie mobile. Or, en 2001, cesse t-

elle son exploitation et demande t-elle l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité le 6

décembre 2001 devant le Tribunal de Wuppertal (Allemagne) lequel rejette sa demande. Elle

interjette appel et dans le même temps déménage en Espagne afin d’y travailler et

223 C.A. Düsseldorf, 9 juillet 2004, RIW 2005, p. 150. 224 C.J.C.E, 17 janv. 2006, aff. C- 1/ 04, Staubitz-Schreiber, Dalloz 2006, p. 367, obs. A. Lienhard.

102

subsidiairement échapper à ses créanciers. Or, l’instance d’appel la déboute en arguant du fait

que désormais le centre des intérêts principaux de la débitrice se situe en Espagne. Aussi, le

juge allemand retient-il une appréciation économique et factuelle, donc réelle, s’agissant de

déterminer le lieu dudit centre. L’arrêt précise les justifications d’un tel choix. En effet, dans

cette espèce, la C.J.C.E et son Avocat général Jacobs constatent que le siège statutaire peut

varier dans le temps : en ce sens il constitue une donné fluctuante dans un contexte de

mobilité des sociétés. En cas de changement de lieu du siège, notamment dans l’hypothèse

d’un transfert, interviendra un conflit mobile. Or, il est soutenu que pour les créanciers, il est

nécessaire de pouvoir déterminer avec précision les risques du droit matériel en cas

d’ouverture d’une procédure collective. On comprends donc aisément l’importance du lieu où

est effectivement gérée l’entreprise, celui-ci devant être stable. C’est pourquoi Monsieur

Jacobs, lequel a été suivi par la Cour, se réfère t-il à la notion de head office function abordée

antérieurement dans nos développements225. En effet, cette dernière offre davantage de

prévisibilité, selon la Cour de Luxembourg, que le critère de l’incorporation car elle tient

compte d’une réalité matérielle, factuelle et non d’un rattachement formel susceptible

d’évoluer avec le temps tel le siège statutaire. L’objectif est d’éviter que le débiteur ne soit

incité à déplacer des actifs d’un Etat à un autre en vue d’améliorer sa situation juridique. En

d’autres termes, l’arrêt présent affirme sa volonté de lutter contre le forum shopping226. En

outre, et c’est là le principal enseignement de l’espèce, s’agissant du moment de

l’appréciation du centre des intérêts principaux du débiteur, l’arrêt Staubitz-Schreiber estime

que celle-ci doit se faire le jour de l’introduction de la demande d’ouverture de la procédure

collective. Si nous sommes en accord avec ce dernier point, nous nuancerons l’argument de la

prévisibilité de la procédure pour les créanciers. En effet, cette notion qui s’apparente à la

sécurité juridique227 est contestable en ce sens qu’elle n’oriente le curseur que du côté du

créancier et élude le cas du débiteur. Or, comme le note le professeur Bart Volders, le fait de

225 R. Dammann, « Mobilité des sociétés et localisation des actifs », Dossier La Mobilité Internationale des

Sociétés, Cahiers de droit de l’entreprise 2006, n° 2, p. 41 et ss. 226 G. Jazotte et M-H. Monsérié-Bon, « Premières applications du règlement d’insolvabilité : la recherche de

l’efficacité », Europe, 2007, n° 8-9, p. 6 à 9. 227 B. Volders et V. Retornaz, « Forum shopping et procédures d’insolvabilité (analyse de la première décision

de la Cour de Justice sur le Règlement n° 1346/2000 relatif aux procédures d’insolvabilité) », Rev. Proc. Coll.

2006, n° 3, p. 241 à 245.

103

ne pas considérer que le débiteur puisse avoir un centre d’intérêt évolutif dans l’espace est

contestable en ce sens que cela est nier la « logique commerciale. » En outre, cette situation

ne semble pas satisfaisante eu égard à la transmission et la nécessaire centralisation des

informations relatives au faillit. Plus largement, retenir cette conception extensive et par la

même réaliste du centre des intérêts du débiteur revient, nous l’avons observé, à se placer en

contradiction avec l’effort de clarification entrepris par la C.J.C.E en faveur du siège unique

statutaire. Enfin, si l’impératif de sécurité juridique aurait pu, à la rigueur, expliquer le

rattachement réel du centre, celui-ci souffre d’un manque de lisibilité car il ne jouit d’aucune

définition claire.

143. Par conséquent, à la lumière de nos propos, force est de constater les incertitudes et les

interrogations soulevées par la notion de centre des intérêts principaux du débiteur en ce sens

que celui-ci ne bénéficie pas d’une véritable définition. Si à l’origine, il s’apparente selon

l’article 3 du règlement, ce concept a reçu une application dévoyée de la part de certains Etats

membres retenant une appréciation trop extensive de ce dernier afin de faire tomber la

présomption de siège statutaire au profit du siège réel. Dès lors, d’une matière emprunte de la

théorie de l’universalité de la faillite, en revenait-on à la territorialité, chaque Etat tentant

d’attraire des sociétés devant ses juridictions. Aussi, il incombait véritablement à la C.J.C.E

un vaste travail de clarification afin de rétablir la présomption de rattachement du centre des

intérêts principaux du débiteur au siège statutaire. Celui-ci fut accomplis, avec succès, en

2006 dans l’arrêt Eurofood, lequel réaffirme clairement la présomption de localisation dudit

centre au lieu du siège social statutaire.

II) La présomption de localisation en faveur du siège statutaire enfin renforcée par le droit

prétorien communautaire

144. Tel qu’il a été constaté dans nos propos, le Règlement 1346/ 2000 relatif aux

procédures communautaires d’insolvabilité a été mis à mal par une interprétation extensive

des Etats membres de l’Union, ceux-ci profitant du manque de précision du texte pour retenir,

s’agissant, du lieu d’ouverture de la faillite principale, un rattachement proche du siège réel.

Or, nous l’avons observé, le règlement assimile par le jeu d’une présomption simple le centre

des intérêts principaux du débiteur au système de siège statutaire. C’est dans ce contexte

104

difficile qu’intervient la C.J.C.E dans l’arrêt Eurofood devenu célèbre depuis. En effet, ce

dernier constitue, avec l’affaire Staubitz-Schreiber évoquée ci-dessus, l’une des premières

interprétations par la Cour de Luxembourg du règlement de 2000. Un auteur affirme, à juste

titre qu’il s’agit d’ailleurs du « plus important des deux»228 puisqu’il s’agit de la première

espèce qui apporte de véritables clarifications quant à la notion de centre des intérêts

principaux du débiteur. Il était temps car quatre années après l’entrée en vigueur du présent

texte, nous l’avons souligné, la situation évoquait davantage un désordre judiciaire qu’une

application uniforme au sein du territoire de l’Union. Cette décision du 2 mai 2006, relative

aux groupes de sociétés, retient donc toute notre attention en ce sens qu’elle établit une

définition autonome dudit centre (A) et soumet ce dernier, par une forte présomption au siège

statutaire de l’entreprise (B).

A) L’arrêt Eurofood clarifiant la notion autonome de centre des intérêts principaux du

débiteur

145. Avant de nous focaliser sur les apports significatifs de l’arrêt, nous évoquerons

brièvement les faits de l’espèce. La société Parmalat SpA, société mère d’un groupe

alimentaire italien, dont le siège social est situé à Parme et qui relève alors du droit italien,

possède une filiale à 100%, la société Eurofood IFSC Ltd établie à Dublin en Irlande. Or, la

société mère Parmalat fait l’objet, en Italie, d’une procédure administrative de restructuration

le 24 décembre 2003. Parallèlement, sa filiale irlandaise Eurofood est également sujette à

l’ouverture d’une procédure collective le 27 janvier 2004 à l’initiative de l’un de ses

principaux créancier, la Bank of America NA et le juge irlandais ainsi désigné nomme un

syndic provisoire auquel il incombe de gérer les affaires de ladite filiale débitrice. Pendant ce

temps, plus exactement le 20 février 2004, la juridiction italienne du Tribunal civil de Parme,

constate elle aussi l’insolvabilité de la filiale irlandaise du groupe Parmalat et ouvre à son tour

une procédure collective à son encontre. Pour ce faire, le juge italien retient que le centre des

intérêts du débiteur Eurofood se situe non en Irlande mais en Italie. L’affaire atteint son

228 J-P. Remery, « L’application à une filiale du règlement communautaire relatif aux procédures d’insolvabilité,

note sous C.J.C.E. 2 mai 2006, Eurofood IFSC, Rev. Sociétés 2006, p. 360 et ss.

105

paroxysme lorsque la juridiction irlandaise précitée décide de liquider ladite filiale au mépris

de la décision italienne. Saisie de ce conflit positif de deux juridictions, la Cour suprême

irlandaise s’adresse alors à la C.J.C.E afin que cette dernière interprète le règlement

1346/2000 applicable en l’espèce. Aussi, comprends t-on l’opportunité d’une clarification, par

l’intermédiaire d’une question préjudicielle, de la notion de centre des intérêts principaux du

débiteur comprise dans l’article 3 de la norme communautaire de 2000 en ce sens que ce

manque de précision du texte est vecteur de conflits de juridictions, point que celui-ci se

proposait pourtant de régler. Or, la C.J.C.E dans cette affaire n’a point déçue les

commentateurs. Au contraire, comme le remarque le professeur Yves Chaput, elle adopte une

argumentation téléologique afin de s’imprégner le plus possible de la volonté du législateur

communautaire229.

146. En effet, si dans son motif 30, la C.J.CE précise que le règlement n’a pas pour

vocation de régler la compétence juridictionnelle pour ouvrir une procédure d’insolvabilité

d’un groupe de sociétés, propos qui semble aller dans le sens des jurisprudences nationales

précitées, dès son motif 31, affirme t-elle avec vigueur que « la notion de centre des intérêts

principaux est propre au règlement et qu’elle revêt une signification autonome. » En d’autres

termes, les juges du Luxembourg rejettent-ils la pratique des Etats membres dans les arrêts

Daisytek et Rover, ceux-ci ayant tenté d’interpréter extensivement la norme communautaire et

de la tourner à leur avantage afin de retenir une conception plus réaliste du centre, ce qui

engendrait une divergence de jurisprudences nationales230. Le traitement des difficultés des

personnes morales au sein de l’Union faisait dès lors apparaître des différences selon les Etats

d’ouverture des procédures principales. Afin de corroborer notre propos, notons que la Cour

ajoute, s’agissant du texte du 29 mai 2000 qu’il « doit donc être interprété de manière

uniforme et indépendante des législations nationales. » Le raisonnement sur ce point est on ne

peut plus clair : la C.J.C.E souhaite mettre fin aux hésitations de la période allant de 2002 à

2006. Nous ne pouvons que nous satisfaire d’un telle position laquelle correspond aux

objectifs initialement fixés par le règlement et réponds aux interrogations et doutes exprimés

229 Y. Chaput, « Centre des intérêts principaux et catégories juridiques de l’insolvabilité des entreprises (à propos

de l’arrêt de la C.J.C.E du 2 mai 2006, Rev. Lamy Droit des Affaires 2006, n° 6, p. 26 et ss. 230 A. Jacquemont, Op. Cit., p. 88, n° 148, II.

106

par la doctrine231. En effet, dans le cadre des groupes de sociétés, ledit centre sera fixé par

principe au siège de société filiale et on plus rattaché à la mère. On constate donc une

extension du règlement aux groupes de sociétés initialement non prévus par celui-ci en ce

sens qu’il centralise la procédure principale devant ne juridiction nationale désignée selon ses

règles de compétences.

147. En définitive, l’arrêt Eurofood possède ainsi le mérite d’assurer la prévisibilité des

solutions quant à la détermination du centre des intérêts principaux du débiteur, dans la

continuité de l’arrêt Staubitz-Schreiber qui avait le premier soulevé cette préoccupation. La

Cour précise, en effet, que ledit centre doit reposer sur des critères objectifs et vérifiables par

les tiers. Sont ainsi écartées les pratiques casuistes dénoncées précédemment. Surtout, à

travers l’espèce présente, le droit prétorien communautaire définit le centre des intérêts

principaux du débiteur comme le siège statutaire de l’entreprise concernée. Cette

identification se réalise notamment par le biais d’une présomption existante dans le règlement

mais renforcée dans cette affaire.

B) La présomption de situation du centre des intérêts principaux au siège statutaire du

débiteur, une consécration conforme à la liberté d’établissement

148. Nous conviendrons que l’apport principal de l’arrêt Eurofood du 2 mai 2006 réside

dans la consécration du siège statutaire comme rattachement de principe. En effet, si une

position en ce sens était déjà présente en l’article 3 du règlement du 29 mai 2000 et ce en

qualité de présomption simple, nos propos précédent ont permis de démontrer que les Etats

membres se sont rapidement éloignés de cette conception originaire en apportant la preuve

contraire fondée notamment sur le head office function ou direction effective de la société. Si

bien que d’une présomption dévolue au critère de l’incorporation a-t-on glissé vers le système

du siège réel. Nul besoin de préciser qu’un tel phénomène avançait à contre-courant de

l’évolution libérale constatée s’agissant de la liberté d’établissement des personnes morales. 231 Voir notamment sur ce point : R. Dammann, Op. Cit., p. 45. L’auteur s’interroge, en effet, sur la notion du

centre des intérêts principaux du débiteur qu’il estime génératrice, eu égard au manque de précision des termes

employés par le texte, d’une insécurité juridique. Maître Dammann appelle dès lors de ses vœux une clarification

dudit concept par la C.J.C.E à travers l’arrêt Eurofood.

107

Aussi, d’un point de vue général, cet ensemble donnait l’impression d’un véritable fatras

juridique.

149. De façon heureuse, la C.J.C.E afficha, par le biais de la présente décision, sa volonté

de mettre fin à ce concert dissonant et restaura une conception plus harmonieuse entre le siège

social et ledit centre.

150. En effet, dans son motif 29, l’arrêt Eurofood rappelle t-il d’abord la règle énoncée

dans l’article 3-1 du règlement 1346/2000, à savoir la présomption de localisation du centre

au siège statutaire, ce qui, on le concède, n’a rien de novateur. En réalité, l’originalité et

l’intérêt de la décision résident dans le motif 34 lequel précise que « la présomption simple

prévue par le législateur communautaire au bénéfice du siège statutaire de cette société ne

peut être écartée que si des éléments objectifs et vérifiables par les tiers permettent d’établir

l’existence d’une situation réelle différente. » En ce sens, la Cour cite même à titre illustratif

le cas d’une société « boite aux lettres », notion déjà abordée dans nos propos et sur laquelle

nous reviendrons signifiant que la personne morale constituée selon la loi d’un Etat donné n’a

aucun lien avec celui-ci. Deux enseignements peuvent être tirés de ce motif. D’une part, la

Cour de Luxembourg retient-elle expressément le critère du siège statutaire comme lieu de

détermination de principe du centre des intérêts principaux du débiteur. Il est rappelé, à

l’instar du règlement 1346/ 2000 qu’il ne s’agit que d’une présomption laquelle est

susceptible d’être écartée. En ce sens, il semble à première vue qu’il n’y ait rien de novateur

dans l’espèce présente. Pour autant, ce rappel de l’article 3-1 dudit texte démontre

qu’aujourd’hui cette présomption en faveur du système d’incorporation est la base du

raisonnement s’agissant de la détermination de la juridiction compétente pour ouvrir une

procédure principale232. Aussi, la C.J.C.E souhaite, par ce biais, redonner toute sa vigueur à

une présomption bien malmenée par une interprétation extensive des Etats membres. De

surcroît, ce rappel semble condamner les dérives susvisées d’ouverture de procédures

délocalisées dans le cadre de groupes de sociétés comme l’exprime le professeur Michel

Menjucq233. Observons que le siège qui sera privilégié est celui de la filiale et non de la

société mère.

232 J-P Remery, Op. Cit., p. 380, n° 22. 233 M.Menjucq, « Les interactions du règlement n° 1346/2000 et des droits nationaux », Rev. Lamy Droit des

Affaires 2006, n° 10, p. 98 à 100.

108

151. D’autre part, et c’est l’apport le plus important de l’arrêt Eurofood, la Cour renforce

ici la présomption susvisée. En effet, s’agissant du règlement, celui-ci dispose que cette

dernière est simple et qu’elle peut dès lors être renversée par une preuve contraire. Cette

affirmation, nous l’avons constaté, a été le point de départ des réticences voire de la fronde de

la part des Etats membres qui ont habilement joué de cette possibilité pour imposer la

localisation de la société au siège réel. Or, force est de constater que sur ce point, pour

reprendre la formule bien à propos de Monsieur Jérome Deharveng, les décisions des

juridictions nationales chargées d’ouvrir une faillite principale ne peuvent être caractérisées

que par « un après Eurofood234 » tant l’impact de cet arrêt sur la vigueur de la présomption

posée par le texte de 200 est grand.

152. En effet, la Cour de Luxembourg estime, en son motif 34, que cette dernière « ne peut

être écarté que si des éléments objectifs et vérifiables par les tiers permettent d’établir

l’existence d’une situation réelle différente de celle que la localisation audit siège statutaire

est censée refléter.» Observons également qu’une telle affirmation fait écho aux « sociétés

boites aux lettres » également mentionnées dans ce motif. Aussi, la présomption bénéficiant

au rattachement du siège statutaire ne peut être combattue que par dans certaines hypothèses

limitatives et précises qu’il convient de déterminer. S’agissant tout d’abord des « tiers »

susceptibles de s’élever contre ladite présomption, il s’agit des créanciers de la personne

morale en difficulté. Egalement, il est nécessaire de déterminer le critère applicable le cas

échéant : nul doute qu’il s’agit du siège réel puisque l’arrêt présent mentionne à ce titre

l’activité économique exercée dans un autre Etat que celui de constitution. Plus précisément

s’agissant des contours des moyens invocables par ces tiers nommés éléments objectifs et

vérifiables, la C.J.C.E précise que dans le cadre du groupe de sociétés, le manque

d’autonomie de d’une société filiale à l’égard de la mère n’est plus un argument recevable

afin de faire tomber la présomption et ainsi localiser la direction ou autrement dit le siège réel

de la première au siège social de la société seconde 235. Aussi, romps t-elle clairement avec les

arrêts Daisytek et Rover lesquels avaient argué de ce moyen pour mettre à mal la localisation

du siège de la filiale en son siège statutaire. Pour ce faire, il est nécessaire, que deux

234 J. Deharveng, « Bilan de quatre années d’application du règlement n° 1346/2000/CE : influence réciproque

des législations et conséquences de la jurisprudence de la C.J.C.E », Rev. Lamy Droit des Affaires, n° 10, p. 109. 235 Y. Chaput, Op. Cit., p. 29.

109

conditions soient réunies. D’une part, le centre effectif d’où la société est gérée doit être

localisé dans un autre Etat que celui hébergeant le siège statutaire. D’autre part, il incombe

aux créanciers de démontrer avec certitude la fausseté de rattachement litigieux. Cette preuve

doit être rapportée par des éléments vérifiables, ce qui souligne l’exigence du caractère

objectif des indices établissant la fausseté du siège statutaire. En ce qui concerne ce dernier

point, nous observerons que la Cour évoque implicitement que les tiers. Notons que ces deux

éléments probatoire, l’un relatif à la matérialité du lieu, l’autre lié à l’attitude des créanciers

sont étroitement liés, ce qui correspond d’ailleurs à une situation déjà existante dans le

règlement du 29 mai 2000. C’est au titre de la fausseté du rattachement de la société que

l’arrêt Eurofood évoque, en guise d’exemple le cas des sociétés boites aux lettres. En d’autres

termes, par ces précisions, la C.J.C.E restreint sensiblement le jeu du renversement de la

présomption en faveur du siège social statutaire. En effet, nous estimons que la présomption

de principe sera difficilement écartée si la société filiale possède un minimum d’activité

économique dépassant ainsi la simple domiciliation de forme dans l’Etat du lieu

d’incorporation. Dans une analyse à contrario, le siège réel n’aura donc vocation à s’appliquer

que dans les cas où la filiale ne réalise aucune opération sur le territoire du siège statutaire. On

l’admet, cette recherche sera empreinte de subjectivité en ce sens qu’il s’agira de s’interroger,

du point de vue des créanciers, sur les éléments ou information qu’ils sont en mesure de

connaître.

153. En somme, s’agissant de l’arrêt Eurofood, il semble légitime de qualifier de restrictive

l’interprétation du texte communautaire par la Cour. Par une telle interprétation téléologique

dudit règlement, la C.J.C.E corrobore ainsi la solution apportée dans l’affaire Staubitz-

Schreiber. En effet, rétablir la présomption su siège statutaire revient à assurer une

prévisibilité des solutions telle qu’elle était souhaitée dans l’espèce précitée. De même, la

Cour du Luxembourg réaffirme le principe juridique d’autonomie des sociétés filiales au sein

d’un groupe. De surcroît, à la lumière de l’arrêt présent, la C.J.C.E clarifie la notion de centre

des intérêts principaux du débiteur alors même que cette dernière semblait sujette aux

interprétations les plus diverses et contraires par les juridictions des Etats membres. Plus

qu’un appel à la discipline236, une telle solution s’avérant favorable au siège social statutaire a

236 M. Menjucq, « Affaire Eurofood/ Parmalat : retour à la lettre et à l’esprit du règlement n° 1346/ 2000, Act.,

Proc. Coll. 2006, n°9, p.1.

110

également le mérite de se positionner en adéquation avec celle dégagée dans la trilogie

jurisprudentielle des arrêts Centros, Überseering et Inspire Art relative à la liberté

d’établissement. Eu égard aux objectifs de coordination et d’harmonisation des règles au sein

de l’Union européenne, cette évolution jurisprudentielle nous semble opportune et salutaire.

154. A la lumière des avancées provenant tant des articles 43 et 48 du Traité de la

Communauté européenne que du Règlement communautaire 1346/2000 du 29 mai 2000, nous

observons que l’ordre juridique communautaire positif a peu à peu intégré la notion de siège

statutaire, suppléant ainsi le droit international privé tel que nous l’appelions de nos veux dans

nos propos introductifs. Néanmoins, nous l’avons constaté, les dispositions contenues dans les

textes souffrent d’un manque de clarté et de précision quant à la notion de siège social. C’est

pourquoi, dans une perspective de clarification de la notion de siège social, intervint le droit

prétorien communautaire par l’intermédiaire de la C.J.C.E. Indéniablement, celle-ci a su faire

évoluer ledit concept, dans le cadre de la liberté d’établissement et des procédures collectives,

au profit du siège statutaire, lequel émane de la théorie de l’incorporation anglaise. Cette

initiative est heureuse en ce sens qu’elle consacre, d’une part un mode de rattachement souple

et respectueux de la volonté des associés fondateurs et d’autre part elle s’inscrit dans la lignée

et l’esprit du droit communautaire des affaires soucieux de pérenniser le libre marché et

l’union économique au sein du territoire des vingt sept Etats membres. Corrélativement, le

rattachement du siège réel, jadis majoritaire dans de nombreux Etats membres de l’Union,

apparaît désormais en retrait et ne trouve application que dans certaines hypothèses précises,

lesquelles seront envisagées ultérieurement.

155. Or, cette affirmation du siège statutaire par l’ordre juridique communautaire produit

des conséquences importantes à l’égard des sociétés ressortissantes de l’Union. En effet, la

définition souple du siège favorise t-elle la mobilité des sociétés au travers des fusions

transfrontalières et du transfert de siège intra communautaire, ce qui est opportun dans un

contexte de mondialisation des échanges. Par ailleurs, plus indirectement, la tendance

statutaire en droit communautaire des sociétés est vecteur de conséquences plus discutables

telles que le law shopping et la recherche par les sociétés de législations sociétaires

attractives.

111

Titre II : Les effets juridiques d’une définition

communautaire en faveur du siège statutaire

156. Tel qu’il a été observé précédemment, il semble évident qu’une tendance en faveur du

siège statutaire, héritier de la conception britannique de l’incorporation, se dessine au sein de

l’ordre juridique communautaire depuis quelques années. Cette solution nous semble

satisfaisante eu égard aux flottements exposés du droit international privé, lequel retenait tour

à tour cette conception ou celle du siège réel, causant ainsi une insécurité juridique à l’égard

des personnes morales concernées et des tiers. Si la C.J.C.E a notamment opté pour le siège

statutaire, c’est que ce dernier est naturellement assorti d’implications bénéfiques pour les

sociétés. En effet, outre les avantages de souplesse et de pérennité du critère ainsi désigné, ce

système de rattachement s’inscrit pleinement dans la volonté d’encourager la mobilité des

sociétés indispensable pour la pérennité d’entreprises de dimension transnationale. A ce titre,

la conséquence immédiate de ce courant de droit positif et prétorien se manifeste donc à

l’égard de la faculté, pour une société, de se déplacer au sein de l’Union, point pour lequel la

doctrine a bien souvent milité (Chap. 1). Parallèlement à ces effets majoritairement salués, la

domination de la théorie de l’incorporation ou Grundungstheorie sur celle dite de la

Sitztheorie implique indirectement des conséquences s’agissant de l’attitude des sociétés et

des Etats membres qui, à contrario, a fait couler beaucoup d’encre parmi les commentateurs

car elle ne suscite pas une approbation unanime. Plus précisément, tel que nous l’avons

esquissé, le libre choix par une société de son lieu de rattachement par le siège statutaire

engendre une tendance au law shopping, en ce sens que les fondateurs d’une société donnée

installent le siège social de celle-ci dans un Etat de l’Union où la loi leur paraît la plus

favorable. De ce phénomène naît une autre conséquence émanant des Etats membres : ces

derniers, conscients de la pratique par certains entrepreneurs du law shopping vont tenter

d’accroître l’attractivité de leur droit interne des sociétés et de ce fait se placer vis-à-vis des

autres Etats dans une situation de concurrence (Chap. 2). On le constate, des avantages aux

dérives du siège statutaire, il n’y a qu’un pas.

112

Chapitre I La conséquence immédiate et souhaitable de la définition

proposée par l’ordre juridique communautaire : Le siège social

statutaire, vecteur de mobilité des sociétés dans l’espace

communautaire

157. Favoriser la mobilité des sociétés, tel était bien l’un des objectifs compris dans le

Traité de la Communauté européenne au nom du marché unique. En effet, comme cela avait

évoqué dans nos propos introductifs cette notion renvoie à l’idée de circulation dans l’espace

d’une entité juridique. Or, si celle-ci a bien été acceptée et encadrée par le droit international

privé et le droit communautaire s’agissant des personnes physiques, la mobilité des personnes

morales a connu une évolution plus lente. Les « sociétés sont longtemps restées immobiles »,

comme l’affirme Maître Jean-Luc Calisti237 puisque le droit international privé a longtemps

été rétif à l’idée de régir les déplacements des personnes morales. En effet, elle est une notion

difficile à appréhender par le droit puisqu’elle n’a pas de définition juridique propre.

Communément, ce terme signifie « caractère de ce qui peut se mouvoir ou être mû, changer

de place ou de position spontanément ou sous l’action d’une cause quelconque 238 », ce qui

n’éclaire guère notre propos. Certes, les atteintes qu’est susceptible de causer cette notion

juridiquement non identifié, telles les délocalisations, sont fréquemment exposées et

dénoncées car perçues comme un danger. Puisqu’elle est immatérielle, la mobilité suppose

pour une société, un don d’ubiquité : celle-ci peut alors à sa guise affecter sa propre

identification juridique par la création d’établissements secondaires à l’étranger, fusionner

avec d’autres entités présentes dans d’autres Etats ou encore disperser durablement ses

activités sans pour autant que les structures de l’entreprise en soient affectées. Naturellement,

puisqu’elle implique l’idée de déplacement physique, elle ne laisse pas la localisation du siège

social indifférent. Concrètement, ladite notion recouvre principalement deux hypothèses.

D’une part, s’agissant de la mobilité stricto- sensu, celle-ci se réalise dans le cadre du transfert

237 J-L Calisti, « La Mobilité Internationale des sociétés : le point de vue du fiscaliste », Cahiers de droit de

l’entreprise 2006, p. 55 et ss. 238 Le Petit Robert, 1996.

113

du siège social ou de la création d’établissements secondaires. Plus largement, elle comprends

également les fusions transfrontalières d’entreprises.

158. Conscient de l’importance pratique de la mobilité des sociétés dans un contexte

d’économie mondialisée et de libre concurrence européenne, le droit communautaire des

affaires s’est tout naturellement saisi de la question à travers les projets de 14e et de 10e

directive relatives respectivement au transfert du siège dans un autre Etat membre et aux

fusions transfrontalières. Or, force est de constater que ces projets de règles communes en la

matière restèrent lettre morte ou au mieux connurent des ébauches rapidement avortées. Le

monde des affaires, craignant ainsi que de telles opérations juridiques ne soient jamais

consacrés sur la scène juridique, fut dès lors contraint, afin de pallier cette carence, d’élaborer

des montages pratiques hors le cadre de textes communautaires. Néanmoins, tel que nous

l’avons observé, le droit prétorien communautaire a abordé ces notions transversales dans le

cadre de sa jurisprudence consacrant la liberté d’établissement. Plus précisément, et c’est l’un

des aspects de notre étude, il existe une relation entre la définition du siège social et l’étendue

de la mobilité des sociétés. Aussi la conception statutaire du premier consacrée par la C.J.C.E

favorise t-elle la mobilité des sociétés et notamment les opérations de transfert de

l’établissement secondaire (section I) et celle des fusions transfrontalières (section II).

Section I : Une consécration propice aux transferts intracommunautaires des

établissements secondaires mais limitée

159. A la lumière de notre étude relative à la liberté d’établissement, nous avons constaté

que la Cour de Luxembourg tend à consacrer le rattachement de la personne morale au siège

statutaire. Indéniablement, une telle conception est propice au transfert du siège en l’absence

de disposition textuelle spécifique en la matière. Cependant, il est une nuance essentielle à

apporter : si la jurisprudence libérale optant pour la théorie de l’incorporation s’applique au

transfert du siège et l’encourage s’agissant des établissements secondaires (I), cette avancée

ne bénéficie pas, à première vue, aux établissements principaux lesquels sont confrontés au

problème du changement de nationalité (II).

114

I) Le constat de la consécration de l’incorporation s’agissant du transfert de siège social

L’apport de la définition statutaire du siège social s’avère considérable s’agissant de la faculté

pour une société de transférer son établissement secondaire d’un Etat à un autre au sein de

l’Union européenne. Auparavant, l’opération semblait tout simplement, pour reprendre

l’expression de Madame le professeur Jeanne Boucourechliev, « impossible239 » à réaliser ce

qui contraignait les sociétés désireuses de s’implanter à l’étranger à recourir à des montages

juridiques compliqués (A). Ce n’est donc qu’après 1999 et l’arrêt Centros que le transfert du

siège social entendu comme siège statutaire put voir le jour, ce qui au regard du besoin

croissant de compétitivité des entreprises s’avère être un réel atout (B).

A) Une situation initiale critiquable car défavorable au transfert du siège social

160. D’emblée, il convient ici de relever un paradoxe patent. Si les bienfait du transfert du

siège social ont toujours été considéré comme une évidence par la doctrine240 et de surcroît

par les professionnels des affaires car une telle opération permet aux sociétés de se développer

et d’accroître leur compétitivité hors de leurs frontières, le constat de la réalité ne fait, hélas,

état que d’un échec. Plus précisément, il est possible d’aborder cette situation précise en le

qualifiant de chronique d’une double mort annoncée puisque le transfert du siège semble, du

moins jusqu’en 1999 puis 2005, difficile à réaliser voire impossible pour deux raisons, l’une

textuelle et l’autre d’origine jurisprudentielle.

1°) L’existence d’obstacles légaux au transfert du siège social

161. Quant à la première, on rappellera que dès 1957, le transfert du siège constituait avec

la fusion intracommunautaire, l’une des priorités assignées par l’article 220 (nouvellement

239 J. Boucourechliev, Op. Cit., p. 20. 240 Voir notamment sur ce point : J-P. Bertrel, propos introductifs « La société européenne entre son passé et son

avenir…», Dossier la Société Européenne, Droit et Patrimoine 2004, n° 125, p. 59.

115

article 293) du Traité de la Communauté européenne. En d’autres termes, il s’agissait pour le

législateur communautaire, de fournir aux sociétés les moyens juridiques afin de choisir et de

changer d’assise au gré de leurs besoins économiques. Or, on le devine, cet objectif ambitieux

mais opportun ne fut pas atteint puisque aujourd’hui aucun texte n’a encore été concrétisé

bien que l’on évoque que le non moins célèbre projet de 14e directive serait toujours

d’actualité241. Il convient dès lors de se focaliser un instant sur ce projet avorté242. Dès le 20

mai 1999, un avant projet de 14e directive, reprenant une version initiale de 1991, était adopté

par le bureau de la Chambre de Commerce et de l’Industrie de Paris mais ce texte ne fut

jamais présenté en Conseil des ministres de l’Union européenne. Cet échec trouve notamment

son origine dans les réticences de l’Allemagne au transfert, ce pays craignant que les sociétés

ressortissantes hostiles au système participatif de Cogestion ou Mittbestimmung en matière de

législation sociale ne se servent de cette possibilité pour échapper à cette exigence

germanique243. Ce refus nous semble regrettable car cet avant-projet constituait une avancée

s’agissant du transfert. En effet, il prévoyait notamment que ce dernier n’implique plus la

dissolution ni la création d’une personne morale nouvelle subséquente à l’opération, point qui

figurait parmi les écueils principaux en droit international privé des sociétés et sur lequel nous

consacrerons nos développements ci-dessous. Notons que cette hostilité de l’Allemagne à

abandonner sa loi lors de du transfert se manifeste également dans son traitement de celle-ci.

Ainsi, pour la jurisprudence de cet Etat, ladite opération est un motif de dissolution et de

liquidation de la société244.

241 Voir sur ce point : H. Le Nabasque, « L’incidence des normes européennes sur le droit français applicable aux

fusions et au transfert de siège social », Rev. Sociétés 2005, p. 89. L’auteur explique qu’à la fin de l’année 2003,

la Direction Générale du Marché Intérieur a, en effet, proposé un nouveau projet, lequel a vocation à se

substituer à l’ancienne proposition de 14e directive. Dans ses grandes lignes, ce texte souhaite vaincre les

difficultés du transfert en cas de divergence de rattachements de l’Etat de départ à l’Etat d’accueil, notamment si

le premier se réfère au système statutaire et le second au réel. A cet effet, le projet nouveau de directive

imposerait le reconnaissance de la société afférente au transfert, quelque soit la conception du siège retenue par

les deux Etats membres protagonistes ; Voir également : C. Nourissat, Op. Cit. p. 134, n° 177. 242 Voir sur ce point l’étude très complète de M. Menjucq, « Réflexion critique sur la proposition de 14e directive

relative au transfert intra-communautaire de siège social », Bull. Joly Sociétés 2000, n° 2, p. 137 et ss. 243 M. Pariente, Op. Cit., p. 30 ; J-P. Bertrel, Op. Cit., p. 61. 244 M. Menjucq, « La Mobilité des Sociétés dans l’Espace Européen », Thèse Bordeaux, LGDJ 1997, p. 70, n°

101.

116

162. Egalement, le projet de 14e directive mettait en place un régime d’application

distributive et de coordination générale des lois impliquées par le déplacement du siège. De

surcroît, le texte se proposait de résoudre les obstacles fiscaux en la matière, à savoir

l’assimilation du transfert à la cessation d’activité ou à la dissolution. En l’occurrence, les

rédacteurs de la 14e directive souhaitaient instituer en faveur des personnes morales déplaçant

leur siège un système de neutralité fiscale. Aussi, de telles propositions étaient-elles

favorables à la mobilité des sociétés et leur prise en compte eut certainement été salutaire. Or,

tel ne fut pas le cas.

163. Rappelons toutefois qu’il existe un paradoxe au sein de ce texte puisque si ce dernier

souhaite encourager les transferts, il ne retient, s’agissant de la définition du siège social

qu’une conception mixte aboutissant à la coexistence du critère réaliste alors que celui-ci, tel

qu’il a été observé, n’est guère opportun afin de déplacer le siège d’une société avec celui de

l’incorporation. En témoigne notamment l’article 11-2 de l’avant projet lequel précise que

l’Etat d’accueil du transfert peut refuser d’immatriculer une société n’ayant pas son

administration centrale ou siège effectif de direction située dans le même Etats. On le constate

donc, le présent texte fait courir le risque, en droit international privé, d’un conflit mobile en

ce sens que deux législations nationales différentes vont alors régir concomitamment le statut

de la société. Ce phénomène est contraire aux principes fondamentaux du droit international

privé, selon le professeur Michel Menjucq, et serait vecteur d’une insécurité juridique puisque

les tiers ne sauraient si ils contractent selon les lois du siège réel ou du siège statutaire 245. De

surcroît, ce rattachement hybride fait émerger, outre le conflit mobile évoqué, un conflit de

système, c’est-à-dire l’hypothèse dans laquelle les systèmes juridiques des Etats concernés ne

retiennent pas un rattachement identique au siège social. Aussi, il nous semble que la présence

du siège réel soit inadaptée en l’espèce. Nous le rappelons, ce texte fut, en définitive,

abandonnée : à l’évidence il n’existe donc aucune disposition légale d’origine communautaire

en faveur du transfert du siège social bien qu’il existe une relance du projet depuis quelques

années. Dès lors, il était légitime que la jurisprudence intervienne afin de débloquer la

situation. Or, cela ne se fit pas d’emblée, loin s’en faut.

245 M. Menjucq, Droit International et Européen des Sociétés, Coll. Domat Droit Privé, Montchrestien 2001, p.

314, n° 251.

117

2°) La conception réaliste du siège social dominante en droit prétorien freinant le transfert du

siège social

164. Indéniablement, la possibilité de déplacer le siège d’un Etat à l’autre est intimement

liée aux contours de la définition du siège social. Une conception souple de ce dernier,

notamment par le bais du siège statutaire, facilite grandement l’opération de transfert puisque

les Etats membres admettent alors de reconnaître une situation juridique née dans un autre

pays. Au contraire, selon Maître Reinhard Dammann, le rattachement d’une société peut

également freiner sa mobilité voire constituer un obstacle infranchissable, notamment

lorsqu’il s’agit critère du siège réel246. En effet, ce dernier s’oppose à toute dissociation entre

le lieu d’immatriculation et celui d’exercice de l’activité économique. Aussi, devant des

conceptions opposées, il incombait au droit prétorien d’orienter les débats. La C.J.C.E eu

l’occasion de le faire dès 1988 mais le résultat fut on ne peut plus décevant. En effet, cette

dernière s’est prononcée sur la conception du siège à retenir dans l’hypothèse d’un transfert

de siège social en son arrêt Daily Mail du 27 septembre 1988. Tel que nous l’avons noté, il

s’agissait ici de déterminer dans quelles conditions cette opération transfrontalière

juridiquement possible. Or, la réponse des juges du Luxembourg est pour le moins radicale.

Loin de favoriser un rattachement souple favorable au siège statutaire, la Cour affirme que les

obstacles mis par les législations nationales au transfert dudit siège d’un Etat membre à un

autre sont recevables et non contraires à la liberté d’établissement. En effet, si la C.J.C.E

affirme que la disparité des législations concernant le rattachement et les modalités afférentes

à l’opération, elle rappelle très explicitement que les anciens articles 52 et 58 du Traité de

Rome ne « confèrent pas, en l’état actuel du droit communautaire, le droit à une société de

transférer son siège de direction dans un autre Etat membre. » Aussi, la jurisprudence présente

ne légitime pas le transfert du siège social, notamment dans l’hypothèse de siège statutaire et

réel dissociés. Au contraire, la Cour de Luxembourg énonce que l’unique possibilité pour

consacrer juridiquement cette opération serait, pour les Etats membres, de conclure des

conventions bilatérales en la matière247 et de faire ainsi application des recommandations de

l’ancien article 220 du Traité de Rome (devenu l’article 293). Or, si lesdits textes de

246 R. Dammmann, Op. Cit., p. 41. 247 J. Boucourechliev, Op. Cit., p. 19.

118

coordination ont bien fait une timide tentative d’apparition, nous l’avons constaté, aucun

d’eux n’entra en vigueur. C’est donc pleinement consciente de ce contexte que la Cour n’a

pas souhaitée donner suite à la requête de la société Daily Mail souhaitant déplacer son siège

réel d’Angleterre aux Pays-Bas tout en conservant son siège statutaire dans le pays d’origine.

Force est de constater que la position prise en 1988 par le droit prétorien communautaire ne

favorise guère la mobilité des sociétés dans l’espace des douze de l’époque. Dans une analyse

a contrario cependant, la Cour souligne toute l’importance de la 14e directive relative au

transfert intra communautaire du siège social. En effet, comme le remarque très justement

Michel Menjucq, ledit texte constituerait le fondement requis par la C.J.C.E pour effectuer

matériellement le transfert, sans que les Etats membres puissent cette fois valablement

entraver l’opération pour des motifs fiscaux notamment248. Dès lors, on comprends aisément

tout l’intérêt de ce texte fondamental qui, nous le regrettons, n’est aujourd’hui qu’au stade du

projet. S’agissant plus particulièrement du siège social, l’enseignement à tirer de l’arrêt Daily

Mail est simple : la dissociation des sièges statutaire et réel n’est pas admise par la Cour de

Luxembourg. A nos yeux, il semble même que le siège statutaire est pénalisé en ce qu’il

matérialise ce phénomène. Du moins, n’est-il pas favorisé. Or, eu égard à la conception

souple et vague de l’article 48 du Traité laissant aux Etats membres le libre choix de leur

rattachement, lequel ne devant cependant être vecteur de discriminations, cette jurisprudence

ne semble pas opportune. Pis encore, elle ne semble pas tenir compte des objectifs du Traité

lequel consacre la liberté d’établissement ou du moins donne t-elle priorité aux justifications

des Etats membres.

165. Si nous nous interrogeons un instant sur les motifs de la réticence de la Cour et à

fortiori des Etats membres, nous voyons poindre, tel que cela a été esquissé précédemment, un

motif fiscal, une crainte de l’effet Delaware et des délocalisations subséquentes249. En effet,

pour les Etats membres disposant notamment d’une fiscalité lourde, il n’est pas indifférent

que ceux-ci conservent sur leur territoire le siège de sociétés : aussi un transfert de siège est

souvent synonyme de pertes de recettes fiscales. Il est donc logique qu’ils tentent, par des

248 M. Menjucq, Op. Cit., p. 140. 249 Voir notamment sur ce point, M. Menjucq, Droit International et Européen des Sociétés, Coll. Domat Droit

Privé, Montchrestien 2001, p. 294, n° 229 et 230.

119

restrictions à l’opérations de restreindre le transfert du siège vers un autre Etat. En outre, si les

Etats redoutent le déplacement de leur siège, c’est à cause de l’effet Delaware permettant ainsi

aux sociétés d’éluder des dispositions nationales pénalisantes tout en maintenant avec l’Etat

d’origine des liens économiques tenus. Ce phénomène, lequel sera développé ultérieurement

dans nos propos, consiste en la recherche par les fondateurs de la personne morale, de la

législation interne la plus complaisante. Aussi, cette problématique est intimement liée au law

shopping puisqu’il en est la conséquence. Par conséquent, émerge une concurrence entre

droits nationaux dénommée, en droit anglo-saxon, race to the bottom ou course vers la

législation la plus permissive. Le transfert de siège social engendrerait, selon les Etats rétifs,

de tels agissements de la part des dirigeants de sociétés. Ce déplacement est donc à éviter.

Enfin, nombre de pays craignent les effets dévastateurs pour leur économie et leur

ressortissants de délocalisations dont le nombre augmenterait sensiblement si l’on permettait

de déplacer le siège social d’un Etat vers un autre, qui plus est pour des raisons liés à des

législations peu contraignantes. Telles sont les justifications en 1988 du refus du transfert du

siège et de la lenteur des projets communautaires en ce sens.

166. Par ailleurs, l’un des écueils majeurs s’agissant du transfert du siège réside dans le sort

de la personnalité morale de la société conséquemment à la réalisation de l’opération. Tel que

nous l’avons souligné dans nos propos, selon les règles établies par le droit international

privé, tout changement de siège social entraîne un changement de nationalité donc de lex

societatis. Or, celui-ci ne permet pas la survie de la personnalité morale. En d’autres termes,

lorsque les dirigeants d’une société souhaitent transférer le siège de celle-ci, auront, sauf

existence de conventions internationales entre les différents Etats, l’obligation, comme c’est le

cas en France, de dissoudre la société ce qui s’accompagne de conséquences fiscales

dissuasives car coûteuses. De même, ce changement de loi applicable sera le vecteur d’un

conflit mobile entre la législation de l’Etat d’origine et celui d’accueil, ce qui est une nouvelle

fois, source de complications juridiques250. Enfin, bien fréquemment les droits internes des

sociétés prévoient-ils que si ces obstacles sont vaincus par la personne morale, le transfert ne

peut être valablement décidé qu’à l’unanimité des associés. On en conviendra, un seul de ses

écueils peut s’avérer paralysant pour une société désireuse de mobilité. Dresser la liste

250 M. Menjucq, « Réflexion critique sur la proposition de 14e directive relative au transfert intra-communautaire

de siège social », Bull. Joly Sociétés 2000, p. 142.

120

d’autant d’obstacles rend l’opération, à première vue, impraticable comme le suggérait Maître

Reinhard Dammann. C’est pourquoi les entreprises non découragées par cette impossibilité

juridique et souhaitant procéder au transfert de leur siège eurent recours à des montages

juridiques de substitution compliqués. On citera à titre non exhaustif la pratique de la prise de

contrôle et de joint venture 251.

167. Or, et c’est une avancée que nous saluons, c’est au paroxysme de cette situation que

la C.J.C.E mis fin, par une définition souple et statutaire du siège, au blocage présenté, du

moins s’agissant des établissements secondaires.

B) Le transfert de l’établissement secondaire rendu possible par les arrêts Centros et

Überseering

168. Jusqu’en 1999, le transfert du siège social semblait, à l’instar de la Société

Européenne, constituer un serpent des mer ou une arlésienne communautaire en ce sens

qu’une telle opération semblait impossible à réaliser. Or, tel que nous l’avons observé, le 9

mars 1999, la C.J.C.E rend son célèbre arrêt Centros lequel est le premier d’une trilogie

jurisprudentielle en faveur du siège statutaire de l’établissement secondaire via la liberté

d’établissement. Sans rappeler les fait de l’espèce, nous pouvons estimer que les juges du

Luxembourg ont adoptés une position libérale et souple. Le problème était certes un peu

différend de celui posé dans l’affaire Daily Mail puisque ici c’est l’Etat d’accueil et non celui

de départ, en l’occurrence le Danemark, qui refusait d’immatriculer la succursale Centros LTd

de ladite société dont le siège statutaire était situé en Angleterre. Or, la Cour affirme que les

articles 52 et 58 s’opposent à ce qu’un Etat membre refuse l’immatriculation d’une succursale

constituée en conformité avec la législation d’un autre Etat membre ». Aussi, à la lumière de

nos constatations précédentes, il apparaît qu’au travers de cette motivation, la C.J.C.E

251 Voir sur ce point notamment l’étude de J. Boucourechliev, Op. Cit., p. 24 et 25. Egalement : J-P. Bertrel, Op.

Cit., p. 62 et 63. Ce dernier constate outre l’utilisation de joint venture, la création de réseau de filiale

communes. Ces dernières, crées ou rachetées dans les Etats dans lesquels une implantation était souhaitée, se

trouvaient donc soumises à autant de législations nationales que de filiales composant ce réseau. On l’admet bien

volontiers, de tels montages semblent compliquée et font ressentir le besoin d’une structure communautaire

favorisant le transfert.

121

souhaite mettre fin aux sanctions ou du moins restrictions touchant la dissociation de siège

social. En outre, comme il a été précisé, cette décision semble privilégier la conception souple

et libérale du siège statutaire. De telles avancées permettent d’entrevoir le transfert du siège

social sous un jour meilleur. En effet, d’une part, admettre la dissociation des siège réel et

statutaire, c’est implicitement, à notre sens, reconnaître que l’un d’eux est susceptible de se

mouvoir au sein de l’Union. En d’autres termes, cette faculté préfigure la faisabilité de

l’opération. D’autre part, le fait de retenir la conception souple du rattachement de

l’incorporation influe sur la mobilité des sociétés et notamment sur le déplacement du siège.

Aussi, il n’est pas illégitime de penser que si les juges de Luxembourg ont souhaité

promouvoir ce système, à terme, c’est pour mettre fin en filigrane à la jurisprudence Daily

Mail et encourager le transfert du siège social. En effet, si le principe de liberté

d’établissement est reconnu de façon générale et si il s’impose s’agissant de l’implantation

d’une succursale, rien ne semble s’opposer à ce qu’il en soit de même en matière de transfert

du siège252. En outre, dans l’arrêt Centros, les juges de Luxembourg admettent-ils des

réserves au libre établissement et donc au rattachement au siège statutaire qu’en cas de fraude.

Dès lors, la crainte des Etats membres de mobilité frauduleuse ne semble plus fondée

puisqu’elle est encadrée par des contours précis, lesquels seront abordés. A la suite de l’arrêt

présent, il est donc possible que l’attitude jusqu’à lors rétive de la part des Etats membres à

l’égard du déplacement du siège évolue. Les lignes dures dessinées par la jurisprudence Daily

Mail ne seraient pas immuables.

169. De surcroît, le recul de la position émanant de l’espèce de 1988 semble encore plus

flagrante dans l’arrêt Überseering rendu par cette même cour en 2002. Celui-ci, ayant trait à

la reconnaissance mutuelle des sociétés, se focalisait également sur le maintien de la

personnalité juridique d’une société constituée aux Pays-Bas et exerçant son activité réelle

depuis peu en Allemagne. Dans ce cas, il apparaît également dans la configuration abordée ci-

dessus que les sièges statutaire et réel sont dissociés. Une nouvelle fois la Cour interdit-elle

très clairement aux Etats membres de tirer des conséquences de ce constat. En effet, s’agissant

du transfert, elle passe outre, tel que nous l’avons abordé, les injonctions de l’article 293 du

Traité de la Communauté européenne. Le maintien de la personnalité juridique en cas de

transfert d’un Etat à l’autre découlerait ainsi directement des articles 43 et 48 dudit texte. En

252 M. Pariente, Op. Cit., p. 34.

122

outre, à l’identique des aboutissants de l’affaire Centros, la Cour favorise t-elle en 2002 la

conception statutaire du siège au détriment de celle réelle. Par conséquent, grâce à l’apport de

ces deux arrêts, il semble que le transfert de l’établissement secondaire soit désormais une

réalité dans l’ordre juridique communautaire. Nous nuancerons quelque peu le propos

s’agissant du transfert de l’établissement principal intra et extra communautaire.

II) Le cas problématique du transfert du siège de l’établissement principal intra et extra

communautaire et le débat sur la pertinence du siège réel

170. Si la jurisprudence de la C.J.C.E s’est montrée particulièrement concernée par le

transfert de l’établissement secondaire en consacrant une définition souple du siège favorable

au premier, il convient de s’interroger sur le sort de l’établissement principal. Or, dans cette

hypothèse, la solution est toute autre puisque aujourd’hui en l’absence de convention sur ce

point et eu égard à l’arrêt restrictif Daily Mail, celui-ci ne serait pas réalisable (A). Cependant,

des avancées sont à noter et font présager une issue favorable (B).

A) Les difficultés de réalisation du transfert de l’établissement principal en raison d’une

définition restrictive du siège social et en l’absence de convention le régissant

171. Les arrêts Centros et Überseering consacrant, sur le fondement de la liberté

d’établissement des articles 43 et 48 du Traité de Rome, le critère d’incorporation britannique

s’agissant de l’établissement secondaire ont eu un impact bénéfique et considérable pour les

opérations de transfert de siège. En effet, l’existence même et la mise en œuvre d’un marché

unique suppose que les personnes morales ressortissantes de l’Union puissent se mouvoir

dans cet espace. Pour autant, quant à l’établissement principal, envisager son déplacement

s’avère plus complexe voire « impossible » selon l’expression de Madame le professeur

Véronique Magnier253. Cela est d’autant plus préoccupant ce type d’établissement est par

253 V. Magnier, « Mobilité des sociétés et liberté d’établissement : le point de vue communautaire », Dossier la

Mobilité internationale des sociétés, Cahiers de Droit de l’Entreprise 2006, n°2, p. 32.

123

essence fondamental puisque l’article 43 alinéa 2 du Traité de la Communauté européenne

l’envisage ex-nihilo en tant qu’entreprise. Aussi représente t-il la vision commune et

immédiate que l’on peut avoir sur une société. Ce même article évoque également la

migration de l’établissement principal laquelle se déduit du terme « gestion » 254. Il semble,

dès lors, essentiel de préciser en jurisprudence les contours de cette mobilité à titre principal.

Pourtant, paradoxalement, cette dernière semble paralysée par plusieurs facteurs, lesquels ont

déjà été esquissé dans notre étude. Dès 1988, l’arrêt Daily Mail sanctionnait-il la dissociation

des sièges statutaire et réel et permettait ainsi à l’Etat de départ de s’opposer, en faisant

prévaloir sa loi de police, au transfert d’une société pour des motifs fiscaux255. L’espèce

présente considérait ainsi que le rattachement du siège était celui du siège réel et non celui

statutaire. La conséquence de l’arrêt est claire : le transfert du siège de l’établissement

principal ne semble pas envisageable, il est tout simplement paralysé. Naturellement, la Cour

de Luxembourg vise l’article 43 du Traité mais dans une acception très restrictive puisqu’elle

retient que cette disposition ne confère aucun droit au transfert. Si la société a le droit de

quitter un Etat et donc de changer son rattachement, c’est à condition de respecter la loi du

rattachement initial du siège réel, en l’occurrence d’obtenir l’autorisation du Trésor

britannique256. Aussi, l’assertion précédente s’agissant de la non prise en compte par la

C.J.C.E du critère du siège statutaire semble fondée.

172. En outre, si l’arrêt Daily Mail renvoie les parties désirant déplacer leur établissement

principal dans un autre Etat à l’existence de conventions sur ce point, nous avons constaté

l’existence d’une forte lacune en la matière. En effet, les avants- projets de 14e directive

relative au transfert intra-communautaire de siège social restent, en dépit des efforts entrepris,

notamment par la Chambre de Commerce et de l’Industrie de Paris (ci-après C.C.I.), lettre

morte. De surcroît, si cette ébauche de texte entrevoit la levée des obstacles juridiques et

fiscaux au transfert, notamment, le maintien de la personnalité morale subséquente ou encore

une neutralité d’imposition, il ne convient pas s’agissant des règles relatives au rattachement.

En effet, comme le relève le professeur Michel Menjucq, le projet de directive demeure

254 C. Gavalda et G. Parleani, Droit des Affaires de l’Union Européenne, Lexis Nexis 2002, 4e. Ed., p. 136, n°

176. 255 H. Muir-Watt, note sous C.J.C.E. 30 septembre 2003, Inspire Art, Rev. Crit. DIP 2004, p. 176. 256 Voir notamment, M. Germain, Op. Cit., p. 109, n° 1144.

124

critiquable en ce qu’il instaure, en son article 11-2, une coexistence des systèmes de siège

statutaire et d’administration centrale, autrement dit de siège réel257. Une telle solution ne

nous paraît pas opportune, d’autant plus qu’elle n’est plus en cohérence avec la jurisprudence

libérale relative à l’établissement secondaire. D’ailleurs, le rapport de la Chambre de

Commerce parisienne souligne t-il le danger de ce double rattachement et notamment le

« risque d’aboutir à de nombreux conflits de loi et, partant, à une saisine croissante des juges

nationaux.258 » Tel que nous l’avons observé, ce risque existe en effet car le rattachement de

l’Etat de départ se confronte à celui d’arrivée. Aussi, la C.C.I. de Paris suggère d’introduire la

notion d’accueil des sociétés par les Etats membres : par ce biais le transfert n’emporterait pas

disparition de la personnalité morale mais contraindrait uniquement ladite entreprise à se

conformer dans ses rapports avec les tiers à la loi d’accueil. Dans toutes les autres hypothèses,

le rattachement au siège statutaire serait maintenu. Si cette possibilité a le mérite de débloquer

la situation , nous conviendrons que la dualité de critères maintenue ne va pas dans le sens de

la cohérence souhaitée : un rattachement unique aurait, pour notre part, été plus opportun dans

un soucis de clarté et surtout afin d’éviter les conflits de loi.

173. Quant au choix du critère à proprement parler, le système du siège statutaire nous

semble approprié en ce sens que souple, il favorise la mobilité des sociétés et instaure une

cohérence avec la situation abordée de l’établissement secondaire. Notons cependant que cet

avant-projet fut abandonné et les propositions de la C.C.I demeurèrent sans suite. En

définitive, s’agissant du transfert intra-communautaire de l’établissement principal, le

qualificatif d’arlésienne du droit communautaire est particulièrement à propos. La situation se

résume donc simplement : il incombera à l’entreprise ressortissante de l’Union souhaitant

déplacer son siège d’un Etat à l’autre de changer de nationalité. Par conséquent, apparaît

l’écueil abordé de la perte de la personnalité morale assortie de conséquences fiscales

défavorables pour la société259. Au sein d’une Union européenne dont l’un des objectifs est

tout de même de rendre concurrentielles les sociétés ressortissantes, il faut bien avouer que

257 M. Menjucq, Op. Cit., p. 141. 258 Pour un aperçu du projet, voir : G. Chastenet de Géry, « Faciliter le transfert des sièges sociaux au sein de

l’Union européenne. Proposition de 14e Directive. Position de la CCI de Paris », Act., JCP G 1999, n° 44, p.

1961et ss. 259 Voir sur ce point : Memento F. Lefebvre Sociétés Commerciales 2008, p. 172, n° 1565.

125

l’on pouvait souhaiter mieux. De telles constatations ne sont pas encourageantes, certes il est

loisible d’envisager quelques avancées faisant présager une issue, à moyen ou long terme à ce

blocage. Celles-ci passent notamment par le siège statutaire.

B) Une situation de blocage pourtant non irrémédiable

174. Si certains auteurs dénoncent avec justesse les obstacles dressés sur la route du

transfert de l’établissement principal260, il est cependant permis de penser que le débat peut

être relancé. En effet, tel que cela a été entrevu antérieurement dans nos propos, il existe,

depuis 2003, une volonté de relance du projet de 14e directive émanant de l’ordre juridique

communautaire. Il est à préciser que ce renouveau provient pour partie de l’incidence de la

jurisprudence Centros comme le rappelle l’exposé des motifs de la consultation initiée à cet

effet par la Direction Générale du Marché Intérieur261. Il n’est pas non plus faux de considérer

que l’apparition de la Société Européenne (S.E) sur la scène juridique communautaire ait

accéléré le processus de relance, en ce sens que cette forme sociétaire permet d‘emblée les

transferts de siège social intra-communautaires. Le texte propose que l’Etat d’accueil, et

quelque soit son système de rattachement, reconnaisse la société qui déplace son siège

statutaire en ce lieu. En outre, si le siège réel de la personne morale demeure au sein de l’Etat

de départ, celui-ci ne pourra cependant pas s’opposer au transfert du siège statutaire. Aussi,

ces apports solutionnent-ils le problème de la dissociation des sièges de la personne morale.

En définitive, la seule hypothèse dans laquelle des blocages pourront subsister est celle du

transfert impliquant deux Etats de conception réaliste puisque dans ce cas il sera nécessaire de

recourir à la dissolution de ladite société conséquente au changement de lex societatis. A cet

égard, la présente solution incite fortement à abandonner le critère du siège réel et à opter

pour une conception plus libérale. Aussi, note t-on le rapprochement effectué vers le régime

juridique du transfert de l’établissement secondaire. Toutefois, pour ce faire, ce projet devra

cette fois aboutir, ce qui pour l’instant n’est pas une certitude.

260 Voir notamment les études de M. Pariente, Op. Cit., p. 21 et ss. ; H. Le Nabasque, Op. Cit., p. 81 et ss. 261 Cité par H. Le Nabasque, Op. Cit., p. 89.

126

175. En outre, point déjà évoqué dans nos développements, il semble légitime de

s’interroger sur la pertinence actuelle de la jurisprudence Daily Mail régissant le transfert de

l’établissement principal. Si une partie de la doctrine voit dans la combinaison de l’affaire de

1988 relative aux exceptions opposées par l’Etat de départ de siège réel avec celle dite

Überseering de 2002 ayant trait à la reconnaissance de la personne morale dans l’Etat

d’accueil un ensemble complémentaire262, une analyse différente nous semble envisageable.

Il est concevable que la portée de l’arrêt Daily Mail se trouve limitée par l’évolution de 1999

et surtout de 2002 en ce sens que cette dernière semble remettre en cause par les

conséquences de la première. En effet, nous l’avons constaté, la Cour de Luxembourg

abandonne, s’agissant du transfert du siège la référence à l’article 293 du Traité de Rome

imposant, afin de valider l’opération une convention entre les Etats considérés relative à la

reconnaissance mutuelle des sociétés et au maintien de la personnalité juridique en cas de

transfert d’un Etat à l’autre. Aussi, le déplacement principal serait fondé dès lors que lesdites

sociétés peuvent bénéficier des articles 43 et 48 du Traité en tant que ressortissantes de

l’Union. L’extension des jurisprudences Centros et Überseering au cas du transfert de

l’établissement principal ne semble dès lors pas improbable. En outre, selon Maître Reinhard

Dammann, l’arrêt Überseering encourage le maintien de la personnalité morale à la suite de

l’opération263. Quoiqu’il en soit, l’avènement de la 14e directive communautaire serait

également bénéfique afin de combler le vide juridique existant. C’est du moins, à ce stade de

la réflexion, le vœu que nous formons.

176. Aussi, à la lumière de nos observations, un constat s’impose : le droit des transferts

intra-communautaires de sociétés connaît un régime à double vitesse. D’une part, l’ordre

juridique communautaire a, pas à pas, imprimé sa marque s’agissant des déplacements des

établissements secondaires, en ce sens qu’il a consacré une approche statutaire du siège

favorisant la libre circulation des personnes morales au sein de l’Union. Admettre la

dissociation du lieu d’implantation tant formel qu’économique, c’est reconnaître la possibilité

aux sociétés de déplacer, au gré des circonstances économiques et des besoins de

restructuration de l’entité. Dans un contexte de libre marché et de mondialisation des

262 Notamment : J-P. Dom, Op. Cit., p. 340 ; V. Magnier, Op. Cit., p. 32. 263 R. Dammann, Op. Cit., p. 43.

127

échanges économiques, une telle position nous semble opportune. D’autre part, bien que l’on

note des signes favorables à la consécration du transfert de l’établissement principal, celui-ci

n’est, aujourd’hui, toujours pas réalisable. Par conséquent, il incombe sur ce point au droit

communautaire un travail de clarification et d’harmonisation lequel doit être focalisé sur deux

objectifs : concrétiser le projet de 14e directive relative aux transferts de siège et insuffler un

courant jurisprudentiel favorable à cette opération à l’instar de ce qu’il s’est produit s’agissant

de la deuxième manifestation de la mobilité des sociétés, à savoir les fusions intra-

communautaires.

Section II : L’ordre juridique communautaire consacrant une conception souple

du siège et un ensemble normatif favorable aux opérations de fusions

transfrontalières

177. A l’instar du transfert de siège social, la question des fusions transfrontalières de

sociétés apparaît essentielle s’agissant de la mobilité des sociétés. Celles-ci se définissent plus

spécifiquement comme un type de fusion intervenant entre des sociétés régies par des droits

différents et relevant par conséquent de lex societatis diverses. D’emblée on conçoit aisément

la complexité d’une telle opération pourtant nécessaire à la compétitivité des entreprises

européennes. Egalement, si elle participe à la rentabilité de la société, la fusion peut s’avérer

être une lourde menace pour les salariés des entreprises visées en provoquant notamment des

licenciements. De surcroît, cette difficulté juridique s’accompagne d’un écueil pratique

puisque les sociétés désireuses de fusionner ont été, à l’origine, confrontés à l’absence de

texte de référence en la matière (I). Néanmoins, récemment, une évolution favorable a vu le

jour sous l’impulsion de l’ordre juridique communautaire en ce sens que la jurisprudence de

la C.J.C.E a consacré une définition souple du siège social s’agissant de cette opération. En

outre, la 10e directive traitant directement des fusions transfrontalières a été adoptée fin 2005,

ce qui rend l’opération praticable au sein de l’Union européenne (II).

128

I) Des difficultés initiales pour réaliser des fusions transfrontalières en l’absence d’initiative

de l’ordre juridique communautaire

178. Tout comme l’opération de transfert de siège social, la fusion transfrontalière a

connu à l’origine un échec retentissant. Or, il faut bien avouer, et c’est peu de le dire, que ce

type de restructuration est nécessaire afin d’offrir aux sociétés de l’Union un cadre juridique

leur permettant d’atteindre « une taille suffisante » pour accroître leur compétitivité à l’échelle

mondiale, comme le souligne très justement le professeur Jean-Pierre Bertrel264. Si parvenir à

réaliser de telles opérations était l’un des objectifs dès 1957, du Traité de Rome des

négociations entre Etats membres ont bien été engagées, mais n’ont jamais abouti. Avant

d’aborder les raisons de cet échec (B), il convient brièvement de dresser un état des lieux du

droit des fusions transfrontalières avant 2005 (A)

A) L’état des lieux de la fusion transfrontalière jusqu’en 2005 ou la chronique d’un échec

communautaire

179. Force est de constater qu’en dépit de l’évident besoin de mobilité ressenti par les

entreprises265, l’opération de fusion transfrontalière ne trouva de concrétisation juridique

qu’en 2005 par un double apport prétorien et légal. Auparavant, les obstacles à cette

réalisation étaient fort nombreux et les tentatives ne furent pas couronnées de succès.

Observons à titre liminaire que le Traité de Rome n’avait pas précisément visé, à l’origine, de

disposition expresse relative à cette matière266. Pour autant, l’ancien article 220 (article 293

nouveau) dudit texte enjoignait aux Etats membres « d’engager des négociations en vue

d’assurer la possibilité de fusion relevant des législations nationales différentes. » Pour ce

faire, les Etats membres de l’époque la première entreprirent les premiers travaux en ce sens.

264 J-P. Bertrel, Op. Cit., p. 57. 265 Voir notamment : J. Boucourechliev, Op. Cit., p. 22. L’auteur remarque en effet que la faculté d’opérer des

fusions à l’intérieur de l’Union était « réclamée à cor et à cri par les entreprises. ». L’expression imagée choisie

par Madame Jeanne Boucourechliev prouve à quel point cette technique de mobilité semblait essentielle pour les

sociétés opérant sur un marché transnational. 266 B. Goldman et A. Lyon- Caen, Op. Cit., p. 161, n° 187.

129

Ainsi, dès 1972, un projet de convention sur les fusions intracommunautaires fut proposé par

les experts représentant les six pays membres fondateurs de la Communauté économique

européenne. Or, entre temps, le Royaume-Uni, l’Irlande et le Danemark firent leur entrée dans

cette dernière et les négociations n’aboutirent pas faute d’accord sur l’harmonisation des

textes nationaux en vigueur. A l’époque, les droits nationaux étaient en effet trop différents

pour envisager une législation unique sur les fusions intracommunautaires car certains Etats,

comme la France, admettaient une telle opération tandis que d’autres, tels l’Allemagne ou

encore les Pays-Bas, la refusaient. Parallèlement, plusieurs directives de coordination

s’agissant des fusions internes des sociétés purent voir le jour, mais leur objet était par

essence limité267. Aussi, la première tentative d’introduire en droit communautaire des affaires

les fusions transfrontalières de sociétés se révéla infructueuse. Notons qu’elle n’abordait

aucunement la notion de siège social.

180. Les discussions reprirent en 1985, sous la forme d’une proposition de 10e directive

traitant des aspects internationaux des fusions et scissions, elle-même inspirée par des

directive relative aux fusions internes et scissions de 1978 et 1982. La proposition présentée

au Conseil le 14 janvier 1985268 se cantonnait strictement dans la méthode et les techniques du

droit international privé, c'est-à-dire qu’elle désignait notamment le droit national applicable

et affirmait l’interdiction de discriminations par rapport aux fusions nationales. Elle associait

les règles matérielles à celles conflictuelles 269. A défaut de consensus entre les Etats

membres, le projet de 10e directive échoua pour des raisons qui seront détaillées au fil de nos

propos. Cependant, observons qu’il semble tout de même surprenant que les Etats membres

puissent prétendre que cette matière leur pose problème alors même qu’ils sont censés avoir

mis en œuvre, par le texte de 1978, une série de règles assurant l’harmonisation au niveau

communautaire.

181. En revanche, la directive fiscale qui accompagnait le texte de 1985 fut adoptée le 23

juillet 1990, après douze ans de gestation, sous le nom de directive fusion n° 90/434/CE270 et 267 Idem. 268 Voir notamment pour une étude approfondie de la proposition : J. Béguin, « La difficile harmonisation

européenne du droit des fusions transfrontalières », Mélange Gavalda, Dalloz 2001, p. 19. 269 Voir sur ce point : M. Menjucq, Droit International et Européen des Sociétés, Coll. Domat Droit Privé,

Montchrestien 2001, p. 219, n° 166. 270 Directive du 23 juillet 1990, n°90/ 434/ CEE, JOCE 20 août 1990, n° L 225, p 1.

130

modifié par une directive n° 2005/19/ CE du 17 février 2005. Possédant un champs

d’application encore plus large que celle précitée, le texte de 1990 institue notamment un

régime de sursis des plus values résultant d’opérations de « rapprochement » des sociétés de

capitaux ressortissantes des Etats membres de l’Union. Aussi, par ce biais, la directive établit

t-elle une neutralité fiscale s’appliquant, outre les opérations de fusion, aux scissions ou

encore aux apports partiels d’actifs. Puisqu‘elle agit hors le du cadre général de la 10e

directive, un auteur énonce qu’elle conduit à une « mobilité déréglementée. »271. Par ailleurs,

il n’y eu plus de suite au projet avorté de 1985 jusqu’en 1997, date à laquelle fut publiée une

version modifiée. A la lumière de cet éclairage historique, force est de constater que la fusion

transfrontalière des sociétés semblait partager le triste sort du transfert du siège, au point qu'

un auteur, le professeur Jeanne Boucourechliev la qualifie de « serpent des mer »272,

qualificatif déjà employé s’agissant de la Société Européenne ou encore dudit transfert. Par

conséquent, la mobilité des sociétés, en dépit des vœux formulés par le Traité de la

Communauté européenne et par les praticiens du droit économique, était loin d’être assurée.

En effet, les raisons de cet échec sont multiples.

B) Un échec prévisible en raison d’obstacles juridiques et politiques

182. D’un projet initié en 1972 à une timide modification de celui de 1985 en 1997, le

droit des fusions transfrontalières a connu de nombreux échecs malgré l’harmonisation réussie

des droits nationaux des fusions. Or, nous l’avons constaté, la restructuration par la cette voie

constitue une technique essentielle et incontournable pour les sociétés désirant évoluer à

l’échelle mondiale. Le paradoxe entre les besoins ressentis par les opérateurs économiques et

l’état du droit en la matière est criant, ce qui a fait dire à Jacques Béguin qu’ « il n’est ni

logique ni efficace qu’elle soit pratiquement impossible au plan international ou au moins

européen. »273 Pour autant, la situation ainsi dénoncée connaît de profonds fondements tant

juridiques que politiques.

271 J-L. Calisti, Op. Cit., p. 57. 272 J. Boucourechliev, Op. Cit., p. 23. 273 J. Béguin, Op. Cit., p. 20.

131

1°) Les fusions transfrontalières paralysées par des obstacles juridiques et fiscaux relevant du

droit international des sociétés

183. Si les fusions transfrontalières ont longtemps relevé du mythe, cet échec trouve sa

source dans de multiples obstacles juridiques qu’il convient d’analyser brièvement.

En premier lieu, cette opération pose en droit international privé, à l’instar du transfert de

siège, la question de l’éventualité d’un conflit mobile, ce dernier se définissant comme une

modification de l’élément de rattachement de la société qui la soumet à deux systèmes

juridiques différents. En effet, dans sa configuration, la fusion transfrontalière réunit au moins

deux sociétés, l’une dite absorbante et l’autre dénommée absorbée relevant toutes deux de

droits nationaux différents puisque leur siège n’est, à l’origine, pas situé dans le même Etat.

Or, cet engagement d’union soulève les questions du changement de nationalité et de loi

applicable à la société restructurée, celles-ci nécessitant dès lors une décision unanime des

associés des deux sociétés, règle très contraignante car elle suppose l’accord de tous.

Précisons néanmoins qu’une autre analyse , notamment celle de Goldman, conteste

l’unanimité en examinant les conséquences de la fusion transfrontalière tant au niveau de la

société, qui disparaît, que de ses associés. Surtout, il incombe de déterminer quelle loi aura

vocation à s’appliquer. Est-ce celle de l’absorbante ou plutôt celle de l’absorbée ? Ou encore,

doit-on appliquer les deux cumulativement ou successivement ? S’agissant de la société

absorbée, le professeur Michel Menjucq affirme que cette dernière disparaît eu égard aux

règles régissant les effets des fusions, et l’absorbante demeure liée par sa loi de constitution.

Par conséquent, le terme de conflit mobile peut paraître un peu excessif dans la mesure où sur

ce point précis ladite société n’est pas confrontée successivement à deux lois différentes. La

difficulté provient donc de ce que du point de vue des associés en revanche, deux lois

successive sont susceptibles de s’appliquer : à cet égard, un conflit mobile peut donc émerger

dans la mesure où les associés de l’absorbante reprennent les engagements des absorbés. C’est

cette continuité qui fonde la présence du conflit mobile en l’espèce.

184. En outre, la mise en œuvre de l’opération de fusion suppose l’accord des lois des

Etats de toutes les sociétés participantes. En effet, il semble en découler que chaque Etat,

devra, selon sa loi nationale, vérifier les conditions requises pour toutes les sociétés

participant à la fusion. Aussi, la potentialité du conflit de loi existe puisque les législations des

132

Etats membres en la matières, malgré les efforts d’harmonisation, demeurent différentes.

L’écueil principal réside dans le type d’application des lois en cause. En d’autres termes, ce

qui importe est de déterminer si cette application sera cumulative ou distributive. Dans notre

hypothèse, selon une doctrine majoritaire274, il semble bien qu’il faille, de prime abord,

respecter cumulativement les conditions énoncées par chaque droit en présence, ce qui

correspond à la situation « la plus sévère en droit international des sociétés. »275 Néanmoins,

une analyse doctrinale propose d’appliquer distributivement les lex societatis lorsque la règle

concerne individuellement chaque société participante, comme en témoigne le cas du quorum

et de la majorité, c'est-à-dire lorsque aucune interférence n’est justifiée. Une application

cumulative des droits sera privilégiée s’agissant des domaines transfrontaliers, tels que le

contenu ou la forme du projet de fusion276. En définitive, on convient que ce système mixte de

résolution des conflits semble plus satisfaisant en ce qu’il est le moins lourd des deux

proposés. Toutefois, il ne supprime en rien l’existence de conflits de loi et ne développe que

peu de règles matérielles relatives à la matière. On comprends dès lors aisément la nécessité

d’un texte communautaire de coordination et d’harmonisation.

185. Par ailleurs, une fusion internationale n’est possible que si les droits nationaux

concernés reconnaissent l’existence des sociétés soumises à la législation d’un autre Etat et

admettent la fusion, celle-ci relevant du statut personnel des sociétés en cause. Or, au sein de

l’Union européenne, si l’article 48 du Traité de Rome et la Convention de Bruxelles de 1968

rendent difficile la contestation de la reconnaissance des sociétés (bien que ce texte ne soit pas

en vigueur faute de signature des Pays-Bas), cette condition n’est pas systématiquement

remplie dans la mesure où des disparités de législations subsistent en cette matière. En effet,

tel que cela a été esquissé précédemment, si certains Etats admettent-ils le principe de ce type

de fusion, il existe également une tendance à l’interdire en Allemagne, en Grèce ou encore en

Finlande. De surcroît, la première hypothèse sous-entends également que les droits de ces

Etats soient compatibles.

274 Voir notamment : M. Menjucq, Op. Cit., p. 217, n° 164. 275 J-M. Jacquet, P. Delebecque, S. Corneloup, Droit du Commerce International, Dalloz 2007, p. 176, n° 315. 276 H. Le Nabasque, Op. Cit., p. 93. ; G. Beitzke, « Les Conflits de lois en matière de fusions de sociétés (droit

communautaire et droit international privé », Rev. Crit. DIP 1967, p. 7.

133

186. Enfin, il est à noter à titre anecdotique, que bien souvent il existe, dans les Etats

concernés par la fusion, dès règles d’ordre public applicables à la société absorbée. Celles-ci

vont concerner la protection des actionnaires, des salariés et des créanciers.

187. En somme, les obstacles juridiques liés à la réalisation de la fusion transfrontalière

sont nombreux et relèvent du droit international privé. Or, ceux-ci ne sont pas l’unique cause

de l’absence des fusions transfrontalières sur la scène juridique communautaire et

internationale.

2°) Des obstacles politiques liés à la réticence des Etats membres

188. Si les obstacles juridiques freinant la réalisation de la fusion intra-communautaires de

sociétés sont nombreux, ils ne justifient pas intégralement cet échec. En effet, certains Etats

membres se sont également montrés rétifs à l’idée de consacrer juridiquement cette opération.

Précisément, le débat s’est cristallisé autour de la notion de participation des travailleurs, à tel

point que cela a constitué non seulement un écueil s’agissant de la fusion mais également

concernant l’avènement de la Société Européenne277. Ainsi, si la conception anglo-saxonne

tends à favoriser la mobilité des sociétés en retenant une définition souple du siège social, la

tradition germanique semble plus mesurée. Consciente du fait que la migration de sociétés

s’opère bien souvent vers des droits nationaux privilégiant des régimes juridiques sociétaires,

fiscaux et surtout sociaux souples, l’Allemagne craignait que cette opposition ne provoque

une distorsion de concurrence au sein même du marché européen278. Cet Etat est en effet

caractérisé, en matière de droit du travail, par un régime de participation des salariés nommé

Mittbestimmung ou cogestion. Celui-ci consiste en un système de représentation des

travailleurs dans l’entreprise s’exerçant par la désignation de représentants dans les organes

collégiaux d’une société. Ces derniers bénéficient des mêmes droits, en assemblée, que les

associés279. Ce mode de cogestion trouve ses racines dans l’effondrement socio-politique

allemand des années 1950 et dans la déclaration des salariés de cet Etat membre de participer 277 Voir infra s’agissant du problème de la Mittbestimmung dans les projets de Société Européenne. 278 M. Menjucq, « Les fusions transfrontalières de sociétés de capitaux », Rev. Lamy Droit des Affaires 2006,

n°5, p. 10. 279 Voir pour cette notion : J. Boucourechliev, Op. Cit., p. 28 et p. 123.

134

loyalement à la reconstruction en échange de la participation dans les entreprises. Alors en

vigueur en Allemagne, ce système ne l’était pas dans nombreux Etats de l’Union et faisait

même l’objet de refus de certains, tels l’Espagne. De ce fait, l’Allemagne se montre

traditionnellement rétive au projet de 10e directive relative aux fusions transfrontalières en ce

sens que les sociétés soumises à son régime en droit du travail peuvent fusionner avec

d’autres entreprises établies dans des Etats membres dont la législation serait moins

rigoureuse et par la même se soustraire à la Mittbestimmung280. Eu égard au phénomène

croissant du law shopping et de l’effet Delaware, cette crainte, on en convient, n’était pas

infondée. C’est pourquoi on dresse le constat d’un contraste de situation entre la directive

fiscale de 1990 adoptée avec l’accord germanique et les échecs du projet de 10e directive281.

Ce constat s’explique par le fait que le texte de 1990 n’est que spécial et ne concerne pas

globalement le régime juridique complet des fusions transfrontalières. Notons également que

l’Allemagne est caractérisé par une conception réaliste du siège basée sur la Sitztheorie

imposant une adéquation entre le lieu d’immatriculation et de l’administration centrale de la

société. Dans une telle hypothèse, la fusion transfrontalière, qui comme toute opération visant

à la mobilité de la personne morale, sous-tends une dissociation entre ces deux éléments du

siège, ne pouvait recevoir les suffrages de l’Allemagne. Enfin, on ne peut éluder la crainte

d’une perte de souveraineté, argument souvent développé pour contrer l’essor du droit

communautaire.

189. C’est pourquoi il a fallu attendre le compromis du Traité de Nice en 2000 pour

qu’une nouvelle impulsion favorable à la fusion transfrontalière se manifeste. En effet, à cette

occasion fut crée la Société Européenne, celle-ci consacrant la possibilité pour deux sociétés

ressortissantes d’Etats membres de l’Union de fusionner. Nul doute que cette position

novatrice dont nous saluons les effets marque son empreinte sur le droit communautaire

général des affaires. Il n’est dès lors pas étonnant que celui-ci, quelques cinq années après,

consacre doublement, légalement puis de façon prétorienne la fusion transfrontalière.

280 M. Menjucq, « La Mobilité des sociétés dans l’espace européen », Thèse Bordeaux, LGDJ 1997, p. 55, n° 78. 281 J-P. Bertrel, Op. Cit., p. 58.

135

II) L’apport de l’ordre juridique communautaire relatif au fusions transfrontalières, la

conception prétorienne statutaire du siège social consacrée par l’avènement de la 10e directive

190. Si la fusion transfrontalière de sociétés a connu une traversée du désert d’une

vingtaine d’années, 2005 marque le renouveau de cette opération lequel avait été préparé par

l’avènement de la Société Européenne en 2001. En effet, dès le 13 décembre 2005, la C.J.C.E

impulse une dynamique favorable aux fusions à travers un arrêt Sevic system puisque celui-ci

retient une conception statutaire du siège social (A), celle-ci étant relayée, quelques

auparavant par la 10e directive du 26 octobre 2005 (B).

A) Une impulsion prétorienne en faveur des fusions transfrontalières favorisée par le

rattachement au siège statutaire

191. Jusqu’en 2005, si nécessaires qu’elles soient pour le développement économique des

sociétés, les fusions transfrontalières restaient bien difficiles à réaliser. Or, le 13 décembre

2005, la jurisprudence communautaire s’est enrichie d’un nouvel arrêt dit Sevic System282,

lequel traite, pour la première fois, spécifiquement de cette question tant au niveau de la

sphère de la liberté d’établissement que de la définition du siège social.

1°) L’arrêt Sevic System ou la consécration prétorienne de la fusion transfrontalière fondée sur

la liberté d’établissement.

192. Il est indéniable de constater que l’espèce présente intègre l’opération de fusion

transfrontalière réclamée en vain pendant de nombreuses années par la doctrine et la pratique

dans le champs de la liberté d’établissement. Eu égard à l’assertion précédente, on conçoit

qu’une telle solution est novatrice à tel point que Maître Reinhard Dammann, affirme qu’elle

opère un « bouleversement juridique. »283

282 C.J.C.E 13 déc. 2005, aff. C-411/03, Sevic Systems AG, Rec. C.J.C.E. 2005, I, p. 10805. 283 R. Dammann, Op. Cit., p. 43.

136

193. En l’espèce, la société de droit allemand Sevic AG ayant son siège à Neuwied avait

conclue avec la société de droit luxembourgeois Security Vision sise à Luxembourg un

contrat de fusion- absorption. Ce dernier prévoyait la dissolution dans liquidation ainsi que la

transmission universelle de patrimoine de la société absorbée Security Vision à l’absorbante

Sevic, sans modification de la dénomination sociale de cette dernière. Or, l’Amtgericht

Neuwied rejeta la demande d’inscription de ladite opération au motif que le droit allemand ne

contenait aucune disposition relative aux fusions intra-communautaires mais régissait

uniquement celles entre sociétés ayant leur siège en Allemagne. Aussi, ce dernier ne

permettrait de réaliser cette opération au bénéfice d’une société dont le siège réel est situé en

Allemagne. Le Landgericht de Coblence ensuite saisi décida de surseoir à statuer et

d’interroger la Cour de Luxembourg sur l’éventuelle application des articles 43 et 48 du

Traité de Rome à l’opération de fusion. La question préjudicielle soumise aux juges de la

C.J.C.E était de savoir si une norme interne s’opposant à l’inscription d’une fusion

transfrontalière était contraire à la liberté d’établissement et si cette restriction pouvait être

justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général. Or, selon son motif n° 31 et son

dispositif, la Cour de Bruxelles affirme clairement que les articles 43 et 48 dudit Traité

« s’opposent à ce que, dans un Etat membre, l’inscription au registre national du commerce de

la fusion (…) soit refusée de manière générale. » Aussi, balayant des incertitudes et des

balbutiements datant de vingt ans, la Cour de Luxembourg consacre la fusion comme un

nouveau mode d’établissement, lequel doit jouir de la liberté accordée par le Traité de la

Communauté européenne, ce qui semble « inattendu » pour une partie de la doctrine284. La

C.J.C.E apporte donc, avec l’affaire Sevic, une quatrième pierre à l’édifice prétorien battis sur

les fondations des articles 43 et 48 par les arrêts Centros, Überseering et Inspire Art. D’une

trilogie glisse t-on vers une tétralogie.

194. A ce stade de l’analyse, il est opportun de revenir un instant sur les restrictions

développée devant la juridiction allemande de Neuwied. Celle-ci argue de raisons impérieuses

d’intérêt général pour justifier le refus de l’inscription de l’opération intervenue au registre

des sociétés et limiter l’effet du principe de liberté d’établissement. Cette restriction se

manifestait d’ailleurs sous la forme d’une double discrimination. En effet, l’une au préjudice

de la société Luxembourgeoise pouvait être qualifiée de principale. Surtout, le fait de denier à

284 J. Heymann, Op. Cit., p. 668.

137

l’encontre de la société Sevic allemande le bénéfice de la liberté d’établissement au motif que

la législation du siège réel de ladite société ne prévoyant que la fusion interne semble

constituer une discrimination à rebours. En effet, ce refus prive la société d’exercer sa liberté

d’établissement secondaire. S’agissant dès lors des raisons impérieuses d’intérêt général dont

argue la juridiction allemande pour refuser la fusion, la Cour affirme que cette dernière

mesure va au-delà du nécessaire puisque les intérêts des créanciers, des associés minoritaires

et des salariés ne sont pas menacés285. Les juges de Luxembourg demeurent laconiques quant

aux contours de l’exception à la liberté des articles 43 et 48 puisque le concept du « nécessaire

pour atteindre les objectifs visant à protéger lesdits intérêts » n’est pas explicité. Néanmoins,

il est possible de justifier ce flou par le fait qu’en cas de restriction avérée à l’article 43, le

juge de la C.J.C.E n’a pas à rechercher si celle-ci peut toutefois compatible avec la norme

communautaire286. Plus généralement, cette position trouve sa légitimité dans ce que la Cour

ait surtout souhaité circonscrire le litige à la liberté d’établissement sans trop s’appesantir sur

ses tempéraments. Nous approuvons la solution développée dans le présent arrêt en ce sens

que, conformément à nos observations, notamment depuis l’arrêt Überseering, la liberté

d’établissement s’est peu à peu imposée comme le fer de lance du droit communautaire des

sociétés : il est dès lors logique de retrouver ce fondement au bénéfice des fusions des

établissements secondaires. Une telle évolution nous semble opportune car elle favorise la

mobilité des sociétés et réponds à un besoin pratique en terme d’adaptation des entreprises à

un marché mondialisé. A cette occasion, la Cour de Luxembourg démontre également le

caractère supra national et d’applicabilité directe du droit communautaire ainsi que sa volonté

à être un acteur du droit des affaires communautaire.

195. Observons cependant que cette solution favorable aux fusions transfrontalières de

société se limite, aux termes de l’arrêt Sevic, à l’établissement secondaire. En effet, l’avocat

général Tizzano relève, au point 36 de ses conclusions relatives à la présente affaire, que

l’entreprise Sevic souhaitait conserver du personnel et du matériel de la société absorbée

285 Communiqué C.J.C.E n° 106/2005, C.J.C.E. 13 déc. 2005, Sevic Systems AG, Rev. Lamy Droit des Affaires

2006, n° 3, p. 20, n° 122. 286 Voir sur ce point la tendance jurisprudentielle en la matière : C.J.C.E., 13 avril 2000, aff. C-251/98, Baars,

Rec. P. I-2787, point 42 ; C.J.C.E., 21 nov. 2002, aff. C-436/00, X et Y., Rec. p. I-10829, point 66.

138

luxembourgeoise287. En outre, le contrat de fusion conclu entre la société absorbante Sevic et

l’absorbée conclu entre la société absorbante Sevic et l’absorbée Security Vision stipulait le

maintien de manière stable de l’activité au Luxembourg par la première. C’est donc la liberté

d’établissement secondaire par la voie de la fusion que consacre l’espèce Sevic. A contrario, il

semble légitime de s’interroger sur la portée de cette jurisprudence s’agissant de

l’établissement principal. En effet, tel que nous l’avons constaté, ce dernier ne peut bénéficier,

au regard de l’arrêt Daily Mail, d’une telle liberté. En effet, dans cette espèce de 1988 relative

au transfert du siège social, la C.J.C.E faisait le constat de l’absence de travaux législatifs

consacrant la mobilité de l’établissement principal. Or, à l’instar de la jurisprudence

Überseering de 2002, les juges de Luxembourg considèrent-ils que l’article 293 du Traité

n’est pas une condition sine qua none de mise en œuvre de la fusion puisque celle-ci est

prévue par les articles 43 et 48 du Traité. Aussi, l’analyse retenue s’agissant du transfert de

l’établissement principal est-elle transposable au cas de la fusion. Pour ce faire, la Cour écarte

t-elle l’argument tiré de la non transposition de la 10e directive288. En somme, la Cour

consacre en 2005 une compétence communautaire là où le Traité de 1957 n’en prévoyait

aucune. Aussi, selon la doctrine, et nous partageons cette analyse, « la décision Daily Mail

n’est plus du droit positif. »289 Du moins, elle est vidée d’une grande partie de sa substance.

Dès lors, l’opération de fusion transfrontalière de l’établissement principal devient

envisageable, ce qui est était déjà établi depuis quelques mois depuis l’avènement de la 10e

directive. Outre ces aspects relatifs à la liberté d’établissement, l’arrêt Sevic propose une

définition du siège social favorable aux fusions et, de manière générale, à la mobilité des

sociétés.

287 Concl. Av. Général Tizanno, C.J.C.E 13 déc. 2005, Sevic Systems AG, www.curia.eu.int. 288 R. Dammann, note sous C.J.C.E, 13 déc. 2005, aff. C- 411/03, Sevic Systems, JCP E 2006, n° 29, n° 2116, p.

1275. 289 J. Heyman, Op. Cit., p. 676.

139

2°) Une définition statutaire du siège favorable aux fusions transfrontalières implicitement

affirmée dans l’arrêt Sevic Systems

196. Si l’arrêt Sevic du 13 décembre 2005 admet la validité des opérations de fusions

transfrontalières au titre de la liberté d’établissement, il se focalise également sur les contours

de la définition du siège social. En effet, dans le point 30 de l’exposé des motifs, la Cour

évoque la dissociation des sièges dans le cadre d’une telle opération s’agissant de la société

absorbante et de celle absorbée. Aussi, l’espèce se situe dans une configuration analogue à

celle des arrêts Centros, Überseering et Inspire Art, lesquels témoignaient clairement de la

dichotomie entre les siège réel et le siège statutaire. Dans le cas présent, le siège réel de la

succursale de la société Sevic se situe en Allemagne tandis que son siège statutaire est localisé

au Luxembourg, Etat législativement attractif. Rappelons également que dans l’affaire Sevic,

le siège réel est situé dans un Etat pratiquant la cogestion et se montrant donc historiquement

hostile aux fusions et à la théorie de l’incorporation. Ces éléments peuvent constituer des

raisons au refus d’inscrire la société au registre du commerce germanique. Or, dans son

dispositif, la Cour de Bruxelles affirme t-elle que « Les articles 43 et 48 » s’opposent à cette

attitude « lorsque l’une des deux sociétés a son siège dans un autre Etat membre alors qu’une

telle inscription est possible dès lors que certaines conditions sont respectées ». Par

conséquent, les juges de Luxembourg admettent-ils la dissociation du siège social dans cette

affaire. Il en découle qu’une telle solution revient à privilégier la théorie du siège statutaire,

celle-ci étant déjà consacrée s’agissant du transfert d’établissement secondaire. Cette

approche souple doit être approuvée dans la mesure où elle va dans le sens d’une plus grande

mobilité au sein de l’Union européenne. Par conséquent, les opérations de rapprochement de

sociétés par voie de fusion vont se multiplier au sein de l’Union européenne. En outre, cette

conception souple du rattachement s’accorde t-elle avec la définition donnée dans la 10e

directive, laquelle a été adoptée quelques mois plus tôt.

140

B) La consécration du siège statutaire par l’avènement de la 10e directive relative aux fusions

transfrontalières

197. La directive n° 2005/56 du Conseil marque l’aboutissement d’un projet de vingt ans.

En effet, son adoption le 26 octobre 2005 met fin à une impossibilité technique de recourir à

cette opération souvent décriée. Les conséquences pour les entreprises sont réelles, en ce sens

que d’une mobilité restreinte glisse t-on désormais vers une « mobilité débridée », selon

l’expression de Maître Jean-Luc Calisti290, puisque on adjoint à la liberté d’établissement des

sociétés les instruments juridiques permettant aux entreprises de l’Union de se mouvoir. Doté

de vingt et un articles, la 10e directive, outre l’édiction de règles simplifiant l’opération et de

compromis s’agissant du régime de la participation, adopte notamment une conception

libérale du siège social, ce que nous saluons.

1°) Une conception souple du siège social contenue dans la 10e directive

198. Nous l’avons observé au cours de nos développements, la nature du siège social influe

sur la vigueur de la mobilité des sociétés. Plus la définition consacrée est souple, plus il sera

aisé pour une personne morale de se déplacer. Il apparaît donc que la Commission européenne

a eu conscience de l’interdépendance des deux concepts lors de l’élaboration de la présente

norme. En effet, la directive 2005/56291 pose, en son article premier, le principe d’un

rattachement alternatif. En effet, le texte s’applique aux fusions de sociétés constitués « en

conformité avec la législation d’un Etat membre et ayant leur siège statutaire, leur

administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de la Communauté. »292

Aussi, la présente norme institue un système de rattachement similaire à celui consacré par

l’article 48 du Traité de Rome. En effet, ce dernier met en présence ces trois mêmes critères

de lieu d’implantation, dont l’application, nous l’avions noté, est alternative et non

290 J-L. Calisti, Op. Cit., p. 55. 291 Directive 2005/56/CE du 26 oct. 2005 sur les Fusions transfrontalières de sociétés de capitaux, JOCE 25 nov.

2005, L 310/1. 292 M. Menjucq, « Les Fusions transfrontalières de capitaux », Rev. Lamy Droit des Affaires 2006, n° 5, p. 11.

141

cumulative. A l’aune de l’esprit de la directive de 2005, il semble que ce soit également le cas

en l’espèce. Aussi, sont consacrés par ce texte, deux principes interdépendants : d’une part,

celui du libre choix, pour les sociétés désirant s’unir, de rattachement et d’autre part le

principe de dissociation des sièges statutaires et réels. Nul doute que le premier s’avère être le

choix de nombreuses entreprises, en ce sens qu’il s’agit du lieu d’implantation le plus souple

et le plus contractuel. Surtout, puisqu’il permet aisément la mobilité des sociétés, il a été mis

en avant par la jurisprudence de la C.J.C.E s’agissant tant de l’établissement ab’ initio de la

personne morale que des restructurations dont elle peut faire l’objet. Il est donc logique que le

siège statutaire recueille les faveurs du droit communautaire des fusions. En outre, le texte

marque une volonté de réserver les fusions aux seules sociétés ayant un rattachement for avec

l’Union en ce sens qu’il impose que ledit siège soit situé « à l’intérieur de la Communauté ».

199. En revanche, subsiste une zone d’ombre relative au rattachement. A l’instar de l’article

48 du Traité précité, l’actuelle 10e directive communautaire ne tranche pas expressément en

faveur du critère de l’incorporation. Une telle lacune que nous regrettons peut néanmoins

s’expliquer pour une raison évidente. En effet, les projets successifs de directive en la matière

se sont révélés infructueux en raison notamment des réticences germaniques, lesquelles

étaient liés à la crainte d’un contournement des règles de la Mittbestimmung et à l’hostilité

historique de cet Etat envers le critère du siège statutaire. C’est donc certainement dans un

soucis de compromis juridique que le législateur a privilégié la voie d’un rattachement laissé

au choix des Etats membres parmi les trois critères énumérés. Toutefois, cette solution ne peut

pleinement nous satisfaire en ce sens que les exigence de simplicité et de cohérence qui

gouvernent le droit communautaires auraient conduit au choix plus adéquat du siège statutaire

pur et simple. Une clarification en ce sens s’impose. Certes, un grand pas en ce sens a été

franchi puisque la directive affirme clairement la liberté de rattachement au bénéfice des

sociétés souhaitant réaliser une fusion transfrontalière

2°) L’édiction de règles matérielle rendant possible les opérations de fusions transfrontalières

200. Outre le fait qu’elle consacre la liberté de rattachement à l’une ou l’autre conception

du siège social, la 10e directive se caractérise par un apport significatif de règles matérielles

destinées à rendre la fusion non seulement possible mais juridiquement praticable.

142

Aussi, s’applique t-elle tout d’abord aux sociétés de capitaux, sa sphère d’intervention étant

similaire quoique plus restrictive que l’article 48 du Traité de la Communauté européenne.

Par exemple, pour la France, sont visées les S.A, les S.A.S., les Sociétés en Commandite par

actions et les SARL. Sont notamment exclus du champs d’application de la directive, les

organismes de placements collectives et les sociétés coopératives si un des Etats membres

parties à l’opération le décide.

201. En outre, l’un des écueils majeurs du droit des fusions transfrontalières réside dans

l’épineuse question du conflit de loi relatif à la détermination de la loi applicable à

l’opération. Sur ce point, les analyses classiques divergeaient entre application cumulative ou

distributive des lois des sociétés parties à la fusion. Or, la 10e directive déroge quelque peu à

cette alternative en procédant, en son article 4.1, à une combinaison de règles matérielles et de

conflit de loi293 D’une part, s’agissant des aspects institutionnels de la fusion, lequel énonce

« Une société participant à une fusion transfrontalière se conforme aux dispositions et aux

formalités de la législation dont elle relève ». Par conséquent, chaque personne morale

engagée dans un tel processus devra respecter les exigences de sa propre lex societatis : la

logique est donc distributive, en ce sens qu’un renvoi aux lois nationales est instauré. En

revanche, quant aux aspects contractuels de l’opération, le législateur communautaire

propose, à l’article 5 du présent texte, de retenir une série de règles matérielles qui auront

vocation à s’appliquer. Aussi, il est mit fin de façon heureuse à la dérive d’une application

cumulative compliquant et rendant lourde la réalisation de la fusion, l’un des objectifs de la

10e Directive étant de la simplifier294. Sur ce point, force est de constater que l’objectif est

réalisé.

202. Par ailleurs, s’agissant de la problématique du régime de participation des salariés, qui

l’on s’en souvient, avait en grande partie bloqué le projet de 10e directive puisqu’il avait fait

l’objet de l’hostilité germanique295, une « issue favorable » a été trouvée, selon l’expression

du professeur Véronique Magnier296. En effet, de façon similaire au régime de la Société

293 J. Heymann, Op. Cit., p. 677. 294 P. de Moidrey et E. Boucaya, « Fusions transfrontalières. L’apport de la nouvelle directive », Table ronde,

Cahiers de Droit de l’Entreprise 2006, n° 6, p. 15, n° 2. 295 Voir supra, p. 122. 296 V. Magnier, Op. Cit., p. 33.

143

Européenne, le présent texte prévoit l’application du principe avant/ après297. Celui-ci repose

sur le principe de la préservation des droit acquis par les salariés en matière de participation

aux organes de gestion de l’entreprise. En d’autres termes, les droits des travailleurs sur ce

point existant antérieurement à la réalisation de la fusion sont maintenus par la suite. Il

convient, affirme la directive d’ouvrir des négociations d’une durée de six mois renouvelables

avec un Groupe Spécial de Négociation298 afin de conclure un accord d’application des

salariés. A défaut d’un tel accord, les dispositions de référence contenues dans la directive n°

86/ 2001 relative à la Société Européenne auront vocation à régir l’implication des salariés

dans la société issue de la fusion. Celles-ci, devant être prévues par la législation de l’Etat

membre du siège de ladite entreprise, comportent notamment des mentions relative à la

composition de l’organe de représentation, à l’information, la consultation et la participation

des salariés. Force est de constater que s’agissant de la participation, les règles édictées par la

10e directive sont donc a minima et renvoient pour l’essentiel au régime de la Société

Européenne. Après coup, on admet que l’attitude rétive de l’Allemagne à l’encontre de ce

projet de fusion transfrontalière n’était peut être pas infondée. Toutefois, cette lacune

apparente s’avère justifiée par le législateur communautaire puisqu’il résulte des considérants

3 et 4 que la liberté d’établissement ne doit pas être entravée par des restrictions émanant de

législations nationales. Une fois de plus on le constate, le principe édicté par les articles 43 et

48 du Traité de Rome apparaît comme le fer de lance de la mobilité des sociétés au sein de

l’Union et à ce titre, il doit primer les autres intérêts en cause.

203. Enfin, la 10e directive s’atèle à l’écueil des règles de majorité et de changement de loi

lors de l’opération de fusion. La règle présidant à ce type d’opération a longtemps été celle de

l’unanimité, laquelle constitue également une source de blocage institutionnel en ce sens qu’il

297 Voir notamment pour une étude sur ce point : M. Menjucq, Droit International et Européen des Sociétés, Coll.

Domat Droit Privé, Montchrestien 2001, p. 122, n° 92. 298 Précisons que le Groupe Spécial de Négociation (ci-après GSN) a vocation à devenir l’instance

représentative des salariés de au sein des entreprises parties à la fusion. Il est donc le pendant salarial des

instances dirigeantes de la société résultant de l’opération. On note que le GSN trouve notamment son origine

dans la directive n°86/ 2001/ CE relative au volet social de la Société Européenne. Voir sur ce point

notamment : M-A Moreau, « L’implication des travailleurs dans la Société Européenne », Rev. Sociétés 2001, p.

9967 ; F. Vasquez, « La Directive sur l’implication des travailleurs dans la société européenne », Semaine

Sociale Lamy 15 avril 2002, supplément.

144

n’est pas aisé voire impossible d’obtenir l’assentiment de tous les associés des sociétés

parties. Or, sur ce point, la directive, en son article 9.1 prévoit un renvoi aux droits des Etats

membres quant aux conditions d’adoption du projet de fusion par l’assemblée délibérante.

Notons que cela constitue une avancée favorable puisque le droit français des sociétés affirme

à l’article 236- 2 alinéa 2 du Code de commerce que le principe de l’opération doit être adopté

dans les conditions requises pour la modification des statuts299. En d’autres termes, la fusion

transfrontalière est nécessairement réalisable si une majorité qualifiée des deux tiers de

l’assemblée générale des sociétés s’exprime en sa faveur. Dès lors, la condition d’unanimité

posée par le droit international des sociétés tombe t-elle au profit d’une majorité. Il est évident

que cela constitue un facteur supplémentaire d’encouragement aux fusions transfrontalières.

Certes, il demeure quelques dispositions lacunaires dans le présent texte, lesquelles méritent

toutefois d’être mentionnées. En effet, on constate notamment l’absence, au sein de la

directive, de règles de protection des créanciers. Dans une telle hypothèse, les deux lois des

sociétés visés ont donc vocation à s’appliquer, ce qui peut engendrer un conflit de loi et de

réels risques de blocage de l’opération, situation que le texte de 2005 souhaitait éviter. Une

carence similaire apparaît s’agissant des règles relatives à la parité d’échange des actions lors

de la finalisation de projet de fusion. Il est à espérer que de ce fait et après de longues

périodes d’incertitude, la pratique des fusions intra communautaire ne soit pas remise en

cause.

204. Aussi, par un apport combiné de la 10e directive et de la jurisprudence de la C.J.C.E en

faveur des opérations de fusions transfrontalières, celles-ci passent du statut d’arlésienne de

droit communautaire à celui de réalité juridique. Comme le suggère Monsieur le professeur

Maurice Cozian, « elles ne sont plus un mythe. » Néanmoins, s’agissant du rattachement au

siège social, une définition plus claire et tranchée eut été souhaitable, bien que la

jurisprudence Sevic a, semble t-il, apportée des précisions utiles constituées autour d’une

combinaison de deux points interdépendants. D’une part, selon la jurisprudence précitée du 13

décembre 2005 arguant de l’application du principe de liberté d’établissement au profit des

fusions, la dissociation des sièges statutaire et réel est désormais admise dans le cadre d’une

telle opération. D’autre part, selon la 10e directive et ce même arrêt, il est conféré aux

dirigeants des sociétés prenant part à l’opération une liberté de choix du critère de

299 M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, Op. Cit., p. 592, n° 1359.

145

rattachement. En somme, il en découle que ces éléments favorisent la conception moderne et

souple du siège statutaire alors même que ce dernier recueille les suffrages des entrepreneurs.

Eu égard à l’objectif de mobilité des sociétés fixé par les fondateurs de l’Union européenne,

cette tendance à l’incorporation nous semble logique.

205. Par conséquent, à l’aune de nos observations, il apparaissait, à première vue que ni le

droit international privé ni le droit communautaire des affaires ne semblaient en mesure de

réaliser la mobilité des sociétés par l’intermédiaire du transfert de siège social et les fusions

transfrontalières. Unanimement, les auteurs évoquaient-ils ainsi, des difficultés liées

notamment au conflit de loi, des contraintes menant à l’impossibilité et à l’échec. Pour autant,

conscient de la nécessité des deux instruments juridiques précités dans le développement et la

compétitivité des entreprises européennes, le droit communautaire a tenté, avec succès

d’enrayer ce phénomène d’immobilisme. Dans cet effort, il est indéniable de noter le rôle

considérable joué par le siège statutaire. En effet, s’agissant du transfert de siège social, la

jurisprudence de la Cour a notamment permis, au nom de la liberté d’établissement, les

déplacements intra-communautaires d’établissements secondaires en se basant sur une

conception souple de rattachement du siège social. En témoigne, l’admission par les juges de

Luxembourg de la dissociation des sièges réel et statutaire, point que l’on retrouve également

s’agissant des fusions transfrontalières. Celles-ci, par l’apport des règles matérielles de la 10e

directive et l’affirmation dans ce même texte du libre de choix de rattachement de la société

corroborée par le droit prétorien sont désormais juridiquement possibles. Clairement, la

définition statutaire du siège est privilégiée s’agissant des deux modes de mobilité.

Nécessairement, de tels progrès auront, dans un avenir proche, un impact sur le droit

international privé, lequel demeure pour l’instant trop rigide rétif et rigide quant aux points

évoqués ci-dessus.

206. Néanmoins, il subsiste des zones d’ombres concernant le transfert du siège et la

fusion. En effet, à la lumière de l’affaire Daily Mail, il semble que ces opérations ne

concernent que l’établissement secondaire et non celui principal. Toutefois, il est n’est pas

illégitime d’estimer que la jurisprudence de 1988 ait été implicitement remise en cause par les

arrêts plus récents Centros et Überseering consacrant la domination du siège statutaire. Dès

lors, nous appelons de nos vœux une confirmation exprès en ce sens.

207. En outre, cette définition souple du siège encourageant la mobilité des sociétés connaît

également des effets indirects contrastées et parfois contestés par la doctrine.

146

Chapitre 2 : les implications indirectes du rattachement souple au

siège statutaire favorisant le law shopping et la recherche d’attractivité

du droit par les Etats membres

208. A première vue, la tendance émergente en droit communautaire à la définition du siège

social par le critère statutaire constitue une avancée notamment dans le sens de la liberté

d’établissement et de la mobilité des sociétés. A ce titre, cette conception nous semble

bénéfique. En revanche, la théorie de l’incorporation, appliquée en pratique, engendre des

effets indirects, lesquels sont au nombre de deux. En effet, la domination du siège statutaire

au détriment du siège réel s’accompagne d’un phénomène dont l’existence est certes

incontestée mais sujette à discussion. Il s’agit du law shopping, lequel correspond à la volonté

des associés d’implanter, notamment au sein de l’Union européenne, la société au lieu duquel

la lex societatis est la plus souple (section I). Or, cette tendance ne laisse pas les Etats

membres indifférents. Aussi, prenant acte du law shopping, se lancent-ils dans une course

effrénée à l’attractivité de leurs droits afin d’attirer vers eux les personnes morales

ressortissantes de l’Union (section II).

Section I : L’avènement du siège statutaire impliquant un law shopping sujet à

discussion

209. Depuis la trilogie des arrêts Centros, Überseering et Inspire Art, complétée plus

récemment par l’affaire Sevic relative aux fusions transfrontalières, observe t-on au sein de

l’ordre juridique communautaire une tendance dominante en faveur du rattachement de

l’incorporation. Celle-ci, issue de la théorie anglo-saxonne, se manifeste par l’admission du

critère du siège statutaire et consacre la libre choix du lieu d’implantation des personnes

morales. Or, ces dernières, se fondant sur cette possibilité jurisprudentielle, vont convenir

d’immatriculer leur société et fixer leur siège social dans l’Etat membre où la législation leur

semblera la plus favorable. Cette technique est communément nommée le law shopping.

147

210. Aussi, avant d’analyser l’impact de la conception du siège statutaire sur cette tendance

du droit communautaire (II) , il convient de définir préalablement les contours de cette notion

souvent abordée en doctrine s’agissant de la liberté d’établissement et du droit

communautaires des procédures d’insolvabilité (I).

I) Essai de définition de la notion de law shopping

211. Il semble indéniable de constater que le terme de law shopping est bien souvent

évoqué dans les commentaires relatifs aux arrêts de la C.J.C.E. En effet, à l’aune de ces

derniers, on peut notamment relever que « le principe de validité du law shopping

intracommunautaire est nettement affirmé »300 ou encore que « Le law shopping existe et va

se développer. »301 Or, si les manifestations concrètes de ladite notions font l’objet

d’abondants commentaires302, ses contours ne sont pas clairement établis. Dès lors, une

clarification de la définition s’impose afin de faciliter la compréhension de notre sujet. Or,

s’agissant du siège social, le concept de law shopping est fréquemment associé à celui de

forum shopping, aussi il nous semble pertinent d’aborder cette dernière notion (A) pour en

déduire une définition propre du premier (B).

A) La notion internationaliste de forum shopping inspiratrice du law shopping

212. Si la notion de law shopping ne figure pas systématiquement dans les ouvrages relatifs

au droit international privé, il n’en va pas de même quant à au concept du forum shopping. Or,

ces deux notions sont fréquemment associées par la doctrine. En effet, Maître Reinhard

Dammann relève t-il, par exemple, que « Les législations nationales sont entrées dans une ère

de concurrence. Les forum et law shopping sont devenus des réalités. »303 Il semblerait donc

300 J-P. Dom, Note sous C.J.C.E, 9 mars 1999, aff. C-212/97, Centros Ltd, Bull. Joly Société 1999, n°6, p. 709. 301 J-P. Bertrel, Op.Cit., p. 67. 302 On évoque notamment l’image d’Epinal de sociétés dites off-shore immatriculées dans des Etats fiscalement

favorables, tels les Iles caïman ou encore la Principauté d’Andorre. 303 R. Dammann, Op. Cit., p.

148

qu’il y ait des similitudes entre les deux notions. Celle de forum shopping, fort présente en

droit international privé, est la situation dans laquelle une partie ou un plaideur sélectionne,

parmi plusieurs juridictions, l’une d’elle pour y porter son procès alors que la compétence des

autres aurait pu être valablement retenue. Surtout, la détermination par le plaideur du tribunal

est à dessein, elle ne relève pas, comme l’expriment Maîtres Jean-François Sagaut et Marc

Cagniart, d’un « choix au hasard. »304 Au contraire, le forum shopping consiste à choisir

l’autorité ou la juridiction la plus complaisante et favorable à l’égard du justiciable. Certes, il

convient de préciser que cette notion ne s’apparente pas à celle de fraude à la loi, en ce sens

que la partie a le choix, eu égard aux différents juges reconnus compétents, d’attraire son

litige devant l’un d’eux. Au contraire, la fraude consiste à nier cette absence de choix et

manipuler la qualification afin d’obtenir un résultat qui n’aurait pu l’être autrement305.

Confrontée à l’une des jurisprudences, Centros, par exemple, le forum shopping aurait

consisté pour les époux Bryde à choisir la juridiction anglaise au détriment de celle danoise,

les deux étant compétentes en vertu des règles de conflit de juridiction issues du droit

international privé, et ce pour bénéficier d’un jugement plus favorable. En effet, le présent

arrêt affirme le libre choix pour les associés de choisir non pas leur juridiction mais le siège

déterminant la lex societatis.

213. Nous observons que le forum shopping est établit lorsque sont réunis d’une part

l’élément matériel, le fait de choisir une juridiction parmi celle compétentes et d’autre part,

l’élément psychologique ou intentionnel qui se réfère au dessein conséquent au choix. Il s’agit

d’un point de similitude avec l’hypothèse de law shopping car dans cette dernière une société

fait le choix matériel d’un siège, réel ou statutaire, afin de bénéficier de la lex societatis la

moins contraignante possible. Pour autant, il apparaît que les deux cas de figure ne soient pas

identiques puisque le professeur Daniel Fasquelle affirme, à propos de l’affaire Eurofood

précédemment évoquée, « qu’au-delà du forum shopping (…), c’est aussi au law shopping

304 J-F. Sagaut et Marc Cagniart, « Regard communautaire sur le Forum shopping et le Forum non conveniens »,

Les Petites Affiches 2005, n° 74, p. 51. 305 Voir sur ce point : B. Audit, Op. Cit., p. 172, n° 204.

149

que l’arrêt aura mis un coup d’arrêt. 306» La dernière notion correspondrait à un stade plus

avancé de convenance juridique.

B) Une définition a priori du law shopping ou l’optimisation juridique et fiscale

214. Tel que nous l’avons constaté, il semble que la notion de law shopping provienne

initialement du forum shopping, notion bien connue du droit international privé. Certes, il

apparaît que la première va au-delà de le la seconde en ce sens que le law shopping consiste

non pas à choisir une juridiction favorable mais le droit ou la loi d’un Etat supposé moins

contraignant. Précisément, ce phénomène se réalise par le prisme de la liberté de choix

d’immatriculation de l’entreprise et conduit dès lors à opter pour la loi la plus attractive. En

effet, comme le souligne le professeur Michel Menjucq s’agissant plus particulièrement du

groupe de société, ce dernier est à la recherche continuelle d’instruments juridiques les plus

appropriés à sa stratégie économique.307 En d’autres termes, il s’agit pour la personne morale

concernée, d’une part, de tirer avantage, par un rattachement le permettant, des dispositions

légales de l’Etat et d’autre part de minimiser les contraintes juridiques pesant sur l’opération.

Pour ce faire, la personne morale va contourner le rattachement qui aurait du être le sien à

l’origine en se constituant dans un Etat de législation plus souple dit de siège statutaire pour

ensuite exercer son activité dans le pays d’origine formant le siège réel. Il s’agit dès lors du

truchement du siège réel par le siège statutaire. Tel que cela a été esquissé, le law shopping est

fréquemment qualifié de technique d’optimisation, laquelle revêt plusieurs causes. D’une part,

la recherche de la loi la plus favorable peut être utilisée dans une politique de croissance

externe de la société, notamment dans le cadre des montages Leverage Buy Out ou à effet

levier (LBO)308. En outre, le but du law shopping est également de faciliter les concentrations

306 D. Fasquelle, note sous C.J.C.E., 2 mai 2006, Aff. C-341/04, Eurofood IFSC Ltd, Bull. Joly Sociétés 2006, p.

925, par. 2. 307 M. Menjucq, “La Mobilité des sociétés dans l’espace européen”, Thèse Bordeaux, LGDJ 1997, p. 342, n°

453. 308 Ce montage juridique consiste pour une société donnée à créer dans l’Etat de la société cible une holding en

s’endettant pour acquérir la majorité des titres de celle-ci. Ensuite, elle rembourse l’emprunt par les dividendes

versés par la société cible. Le but de l’opération est bien souvent la fusion entre la holding et la cette dernière.

150

par le biais de succursales ou de fusions : choisir un Etat d’implantation et sa loi applicable

permet de favoriser la constitution de filiales communes opérationnelles. D’autre part,

l’optimisation est dite fiscale lorsque par une voie légale la société va rechercher une moindre

imposition, ce phénomène étant dénommé Treaty shopping ou encore least taxed route.

Evoquant cette optimisation fiscale, le professeur Maurice Cozian note avec justesse qu’il

s’agit de « l’art des choix intelligents. »309 En revanche, toute la difficulté pour les dirigeants

de la personne morale réside dans le fait que cette habilité à choisir la loi la plus favorable ne

doit pas mener à l’évasion fiscale ou encore à la fraude. Or, la frontière est tenue puisque la

première consiste à utiliser un artifice non- conforme à la réalité et confidentiel rendant

possible un détournement de la loi fiscale. Le law shopping en diffère, en ce sens qu’ il n’y a à

priori pas d’artifice contraire à la réalité mais l’utilisation d’une liberté de choix

d’implantation.

215. En somme, le law shopping s’apparente à une stratégie économique dans le sens d’un

accroissement de compétitivité.

216. Quant à sa constitution, à l’instar du forum shopping, elle suppose la réunion d’un

élément matériel et l’autre moral. S’agissant du premier, il est marqué par le choix d’un

système juridique et des lois le comprenant alors que le deuxième correspond au mobile ou au

but des associés qui est de tirer avantage de la lex societatis ainsi choisie.

217. Surtout, le law shopping n’est possible que par le phénomène de mobilité des sociétés.

En effet, il implique nécessairement une modification du rattachement en faveur de la loi de

l’Etat la plus favorable. Concrètement, la personne morale quitte t-elle son Etat de

rattachement initial au profit d’un autre. En ce sens, selon l’expression du professeur Jean-

Pierre Bertrel, « le phénomène de law shopping impose au spécialiste du droit des sociétés

autant qu’au fiscaliste, de maîtriser désormais la dimension comparatiste310. Surtout, à ce

stade de notre analyse, dans la logique du droit international privé constate t-on que le law

shopping est difficile à réaliser dans la mesure où un changement de rattachement implique un

conflit de loi ainsi que la perte de la personnalité morale de la société. De telles conséquences

sont un frein à l’optimisation décrite précédemment. Une tendance défavorable à la mobilité

restreint donc considérablement la potentialité du présent phénomène. C’est pourquoi les

309 M. Cozian, « Qu’est ce que l’abus de droit », Les Petites Affiches 14 janv. 1991, n° 3, p. 6. 310 J-P. Bertrel, Introduction au dossier Droit Comparé des Sociétés, Droit et Patrimoine 2000, n° 84, p. 58.

151

Etats craignant le ce phénomène se montrent-ils réticents à l’égard des opérations de transfert

de siège social et de fusions transfrontalières. Au contraire, si le droit international privé

encourage le déplacement simplifié des personnes morales, le nombre et l’intensité du law

shopping croît. Force est donc de constater l’influence de la mobilité des sociétés sur ce

phénomène : selon le côté duquel est déplacé le curseur, le law shopping est réel ou inexistant.

C’est pourquoi ce phénomène s’est notamment illustré dans au sujet de la liberté

d’établissement communautaire, notamment à travers les arrêts de la C.J.C.E consacrant le

rattachement au siège statutaire.

II) La domination du siège statutaire favorisant le law shopping au sein de l’Union

européenne et source de débats

218. Indéniablement la trilogie jurisprudentielle évoquée dans nos propos a fait couler

beaucoup d’encre au sein de la doctrine. Or, ce n’est certes pas le principe de liberté

d’établissement qui est remis en question, mais plutôt les effets indirects de celui-ci, à savoir

une domination parfois qualifiée d’outrancière du siège statutaire sur le siège réel et

l’admission de dissociation du lieu d’implantation de la personne morale. Par conséquent, eu

égard aux observations précédentes, une telle solution favorise t-elle le law shopping. Selon

certains auteurs, précisons d’emblée qu’il ne s’agit pas d’une inclinaison ou d’une tendance

mais bien une admission pure et simple de ce mode d’optimisation juridique par la Cour de

Luxembourg311. Aussi, convient-il de se focaliser un instant sur chacune des espèces,

lesquelles marquent une volonté incitative en faveur du law shopping (A). De surcroît, il est

une autre hypothèse dans laquelle le phénomène présent joue un rôle d’envergure : les

procédures d’insolvabilité communautaires. Cependant, dans ce cas, le law shopping est

combattu par l’ordre juridique communautaire (B).

311 Voir notamment sur ce point : M. Menjucq, « Rattachement de la société européenne et jurisprudence sur la

liberté d’établissement : incompatibilité ou paradoxe », Dalloz 2003, n° 42, p. 2876.

152

A) Une tendance incitative au law shopping s’agissant du libre établissement des sociétés

219. Observons de prime abord que le spectre du law shopping fait son apparition en droit

communautaire des affaires dès l’arrêt Daily Mail de 1988312. L’on se souvient qu’il s’agissait

de déterminer le sort de la société du même nom et ressortissante britannique, laquelle avait

transféré son siège réel aux Pays-Bas sans en faire similairement s’agissant de son siège

statutaire. Si les juges de la C.J.C.E reconnaissent le principe de liberté d’établissement, la

dissociation entre les deux établissements n’est pas admise par la Cour, laquelle consacre le

rattachement du siège réel. Le recours à ce dernier permet, en ce qu’il met notamment en

valeur la situation factuelle de la personne morale, de lutter contre le law shopping. En effet, il

était fort probable dans cette espèce que la société déplace son siège effectif et non celui

mentionné dans ses statuts dans le seul but d’échapper aux conséquences fiscales du transfert

de ce dernier. La loi néerlandaise était sur ce point moins contraignante. Aussi, la

qualification de law shopping semble adéquate en l’arrêt présent. C’est donc très certainement

dans cette perspective que la High Court anglaise puis la C.J.C.E ont déniée à ladite société la

faculté de transférer son siège statutaire aux Pays-Bas.

220. En outre, dans l’affaire Centros, ladite société fut fondée en Angleterre par deux

ressortissants danois dans le but de bénéficier de la législation fiscale souple britannique313.

Elle cherchait à constituer, au Danemark, non une succursale mais un établissement principal

en éludant les règles nationales danoises (à savoir la libération de capital de 200 000

Couronnes) en arguant de la nationalité britannique de Centros et donc de l’application de la

lex societatis afférente. Or, Centros n’avait d’anglais qu’un rattachement formel car il est

constaté que l’activité réelle de la société s’exerçait au Danemark. Etablissant, par ailleurs,

l’intention des fondateurs de Centros d’éluder la loi danoise, leur Etat d’origine refusa

d’immatriculer la succursale. La suite est connue, en ce sens que la Cour de Luxembourg

sanctionna le refus danois sur le fondement de la liberté d’établissement et consacra la liberté

de choix du siège par les associés de la société. A l’égard des associés d’une personne morale,

cette solution implique la faculté de pouvoir opter librement pour le siège dans lequel la lex

societatis est la plus favorable. En témoigne un dispositif limpide, lequel affirme notamment

312 D. Bureau et H. Muir-Watt, Op. Cit, p. 452, n° 1057. 313 J. Béguin et M. Menjucq, Op. Cit., p. 282, n° 746.

153

que « Les articles 52 et 58 du Traité CE s’opposent à ce qu’un Etat membre refuse

l’immatriculation d’une succursale d’une société constituée en conformité avec la législation

d’un autre Etat membre dans lequel elle a son siège sans y exercer d’activité ». Dès lors, le

fait de contourner le droit national contraignant par l’utilisation d’un simple rattachement

formel ne constitue pas, aux yeux de la C.J.C.E, un motif pour dénier la liberté

d’établissement secondaire à une société. Nul doute qu’il s’agisse de la première brèche

jurisprudentielle en faveur du law shopping314. Cette décision peut sembler surprenante dans

la mesure où il était manifeste que ladite société souhaite contourner le droit du siège réel.

Toutefois, elle trouve sa justification dans le fait que les dispositions du Traité de Rome ont

vocation à s’imposer tant qu’il n’est pas rapporté la preuve d’une fraude. Sur une échelle de

valeur juridique, la Cour de Luxembourg affirme t-elle la supériorité de la liberté

d’établissement sur les lois de police internes. Néanmoins, la C.J.C.E pose une limite à ce

principe : le recours au siège réel, concept rigide, est fondé en cas d’usage abusif du droit

d’établissement et de fraude315. Il s’agit, en effet, de protéger les créanciers. Hormis ce

tempérament qui n’est d’ailleurs que peu explicité par la Cour, à ce stade de l’analyse, on

entre aperçoit déjà le rôle déterminant joué par la conception du siège statutaire sur le law

shopping.

221. Trois ans après, intervient l’arrêt Überseering, lequel contribue à renforcer le principe

de liberté d’établissement. La société de droit néerlandais Überseering (immatriculée à

Amsterdam) acquiert un terrain en Allemagne puis assigne la société NCC devant une

juridiction allemande. Entre temps, ladite société est cédée à des ressortissants germaniques

résidant outre-Rhin. Or, le juge allemand dénie la capacité juridique à Überseering en

invoquant le fait que la société avait de fait transféré en Allemagne son siège effectif sans

pour autant effectuer les modifications relatives à son immatriculation Tel que nous l’avons

observé, les juge de Luxembourg sanctionnent-ils ce refus et affirment au contraire le principe

de reconnaissance mutuelle des sociétés. Surtout, cette espèce rends possible, pour une

société la dissociant entre son siège réel et son siège statutaire, d’ester en justice. Aussi, le

libre choix de la loi applicable à la société est un droit garanti par la C.J.C.E. Dès lors, de

manière opportune, Michel Menjucq affirme t-il qu’à travers l’arrêt Überseering, « le law

314 Voir notamment sur ce point : J-P. Dom, Op. Cit., p. 709, n° 6. 315 G. Jazotte et M. Luby, Op. Cit., p. 225.

154

shopping est définitivement consacré »316 alors même qu’aucune exception, notamment en cas

de fraude permettant le recours au siège réel, n’est mentionnée317.

222. En 2003, intervient l’arrêt Inspire Art rendu par la Cour de Luxembourg. En effet,

celle-ci accentue encore davantage le law shopping puisque la notion de fraude précédemment

évoquée est limitée : en effet, celle-ci n’est pas constituée par le fait d’immatriculer une

société dans un Etat membre dans lequel elle n’a aucune activité et dans le but exclusif

d’éviter l’application d’une loi de son Etat de rattachement d’origine318. Tel que nous l’avons

observé, il s’agissait ici d’une société Inspire Art dont le siège statutaire était situé sur le

territoire anglais et une succursale existait aux Pays-Bas inscrite au registre du commerce

d’Amsterdam319. Or, cet Etat applique aux sociétés dites de pure forme la loi dite Wet op de

formeel buitenlandse vennotschappen relative aux sociétés étrangères de pure forme

prévoyant des obligation particulières à respecter si elles ont été crées sous l’empire de la loi

hollandaise. Précisément, ladite disposition impose aux dites sociétés, au titre de loi de police,

de se constituer, comme les SARL néerlandaises, avec un capital social minimum souscrit en

Euros et de se soumettre à des formalités de publicité particulières. Cette règle trouve sa

justification dans la lutte contre le law shopping alors même que les Pays-Bas sont un Etat

d’incorporation. Or, les juges communautaire sanctionne t-il l’application de la loi relative

aux sociétés de pure forme car elle constitue une restriction à la liberté d’établissement et par

la même au libre choix de rattachement. Seule la fraude communautaire peut justifier

l’application plus contraignante du siège réel. Aussi, à travers l’espèce présente, la C.J.C.E

franchit-elle « un pas de plus »320 et devient, en consacrant la conception du siège statutaire,

le fer de lance du law shopping intra communautaire. A tel point que cette tendance manifeste

peut sembler excessive puisque la Cour réduit les gardes fous du libre établissement une

portion congrue et dépasse les exigences des articles 43 et 48 du Traité. Néanmoins, un auteur

316 M. Menjucq, Note sous C.J.C.E., 5 nov. 2002, aff. C-208/00, Überseering BV, JCP E 2003, n° 12, p. 525. 317 Voir sur ce point : M. Luby, « La liberté d’établissement et définition du statut juridique des sociétés », note

sous C.J.C.E, 5 nov. 2002, Überseering, Bull. Joly Sociétés 2003, p. 472. L’auteur constate, en effet, que la Cour

de Luxembourg n’aborde pas la réserve de fraude, alors que cela figurait dans l’arrêt Centros. 318 E. Pataut, Op. Cit., p. 611. 319 E. Pataut, « Liberté d’établissement et droit international des sociétés : un pas de plus », note sous C.J.C.E 30

sept. 2003, Inspire Art, Dalloz 2004, p. 491. 320 J. Béguin et M. Menjucq, Op. Cit., p. 283, n° 749.

155

note que le law shopping admis dans la trilogie n’est pas encore développé à son maximum :

ce dernier est en effet absolu lorsque les opérations de transfert de siège social sera autorisée

par l’ordre juridique communautaire321.

223. Si des incertitudes demeurent s’agissant de la possibilité de déplacer l’établissement

principal d’un Etat à autre à défaut d’une jurisprudence explicite ou d’une 14e directive, la

fusion transfrontalière est réalisable sur le territoire de l’Union depuis le double apport de la

10e directive et de la jurisprudence Sevic en 2005. Cette espèce étends, en effet, la liberté

d’établissement à ladite opération. De ce fait, une telle solution comportes des conséquences

en ce sens que, tel que nous l’avions remarqué, la Cour évoque, au point 30 de l’exposé des

motifs, la dissociation des sièges dans le cadre d’une telle opération s’agissant de la société

absorbante et de celle absorbée. Concrètement, cette dernière est admise dans la mesure où le

cas du siège réel de la succursale de la société Sevic situé en Allemagne et le siège statutaire

localisé au Luxembourg est validé par la C.J.C.E. Aussi, les associés parties à la fusion

peuvent-ils choisir le lieu de leur siège dans une perspective d’optimisation juridique.

Indéniablement, une telle approche favorise également le law shopping intra communautaire,

lequel tends à s’étendre à toutes les matières du droit des affaires communautaires.

224. Aussi, s’agissant de la liberté d’établissement, assiste t-on au développement croissant

du law shopping favorisé par le rattachement souple de l’incorporation. Cette pratique libérale

est, semble t-il, encouragée par le droit prétorien de la C.J.C.E322.

225. Plusieurs enseignements peuvent être dégagées de cette description. Il y a déjà

quelques années, certains auteurs s’élevaient contre le laxisme du rattachement du siège

statutaire et contre les dérives potentielles de law shopping323. Qu’en est-il aujourd’hui ? Il

semblerait que ce phénomène ne soulève plus les passions, tout juste est-il simplement

constaté comme un état de fait faisant partie intégrante du droit communautaire324. Pour notre

part nous considérons que ce phénomène est une conséquence inéluctable de la liberté

d’établissement. Le restreindre considérablement risque, dès lors, d’entraver cette dernière.

321 K. Rodrigez, « L’attractivité, nouvelle perspective du droit national des sociétés », Bull. Joly Sociétés 2004,

n° 63, p. 338. 322 Voir notamment sur ce point : Y. Chaput, Op. Cit., p. 6. 323 Voir sur ce point : Y. Loussouarn, Op. Cit., p. 236. 324 Voir supra, p. 150.

156

Pour autant, il s’agit de limiter cette tendance par l’usage de la fraude ou de l’abus de droit

notamment car poussé à l’extrême, il se révèle néfaste. Par ailleurs, le law shopping est

également présent s’agissant du droit des procédures d’insolvabilité communautaires, certes

dans cette hypothèse, il est combattu.

B) Une tendance paradoxalement hostile au forum et au law shopping dans le cadre des

procédures d’insolvabilité communautaires

226. Le law shopping apparaît tel un animal tentaculaire en ce sens qu’il s’étends à

d’autres domaines juridiques que le droit d’établissement. Ainsi, cette tendance a pu être

remarquée dans le cadre du développement des procédures communautaires d’insolvabilité

depuis 2000. Pour autant, la situation est différente dans l’hypothèse présente puisque l’ordre

juridique communautaire, loin d’encourager le law shopping, tente au contraire de le limiter.

En effet, le règlement 1346/ 2000 relatif à cette matière affirme en son article 3-1 la

compétence du centre des intérêts principaux du débiteur afin de déterminer le lieu

d’ouverture de la procédure principale. Or, si il est énoncé que ce rattachement corresponds

par principe au critère du siège statutaire, la présomption n’est que simple. En outre, ce critère

semble imprécis. Dès lors, tel que cela a été abordé précédemment, certains Etats membres

ont tiré profit de ces lacunes pour attraire l’ouverture de la procédure collective au sein de leur

territoire. Notamment, s’agissant des groupes de société et d’une procédure à l’encontre d’une

filiale, cette pratique a conduit à retenir le siège réel de cette dernière constitué par le siège

statutaire de la mère325 : l’application du règlement s’en trouve dévoyée.

227. Surtout, selon le professeur Isabelle Urbain-Parleani, « le risque de law shopping

pouvait être accru du fait de l’imprécision du critère de l’ouverture de la procédure

d’insolvabilité. »326 Une telle assertion nécessite quelques explications. En effet, les Etats

membres visés, tels l’Angleterre, dans l’affaire Isa-Daisytek, s’est engouffrée dans la brèche

de l’article susvisé pour en retenir une interprétation très extensive. Concrètement, le but était

325 Voir notamment supra, p. 64 à 66. 326 I. Urbain-Parleani, « La faillite des sociétés. Bref aperçu sur le règlement CE n°1346/2000 du 29 mai 2000

relatif aux procédures d’insolvabilité », Rev. Sociétés 2005, p. 107.

157

d’attraire la filiale non pas devant les juridictions françaises du lieu de situation du siège

statutaire de l’établissement mais devant celles britanniques correspondant au lieu de la mère.

En effet, le juge anglais souhaitait protéger les créanciers ressortissants par l’application d’un

droit local. En outre, l’application du droit français des faillites est plus contraignante pour

une personne morale que celui anglais : en effet, les salariés sont-ils protégés par le système

de l’A.G.S, ce qui n’est pas le cas Outre Manche. Dès lors, il est aisé de comprendre le

recours au siège réel par le juge britannique dans l’affaire Daisytek. Aussi, assiste t-on à une

sorte de mélange entre forum et law shopping, en ce sens que la société en difficulté va tenter

d’être assignée devant la juridiction lui étant la plus favorable car appliquant le droit le moins

contraignant. De surcroît, une telle interprétation extensive du règlement communautaire

constitue, dans une certaine mesure, un détournement à celui-ci327. Consciente de cette

tendance au law shopping en droit des entreprises en difficultés, La Cour de Luxembourg a eu

l’occasion de clarifier les contours de la notion de centre des intérêts principaux du débiteur

dans les arrêts Staubitz-Schreiber et Eurofood de 2006. La première espèce se focalise

essentiellement sur le moment d’appréciation de la localisation dudit centre. Les fait, déjà

abordés sont simples. Madame Staubitz-Schreiber, ressortissante allemande exerce le

commerce de téléphonie mobile en Allemagne, Etat dont elle a la nationalité. Or, en 2001, elle

demande l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité devant le Tribunal de Wuppertal

(Allemagne) lequel rejette sa demande. Elle interjette appel et peu après déménage en

Espagne afin d’y travailler et subsidiairement échapper à ses créanciers. Or, l’instance d’appel

la déboute en arguant du fait que désormais le centre des intérêts principaux de la débitrice se

situent en Espagne. Plus précisément, il s’agissait de déterminer si la position géographique

de ce dernier devait s’apprécier au moment de la requête, soit en Allemagne, ou au moment

où l’autorité judiciaire le prononçait, soit en Espagne. Or, dans son motif n° 25, la C.J.C.E

évoque clairement le problème du law shopping en droit des faillites : celui-ci doit être évité

afin que « les parties à la procédure ne soient incitées à déplacer des avoirs ou des procédures

judiciaires d’un Etat membre à un autre en vue d’améliorer leur situation juridique. »328 Pour

ce faire, la Cour se réfère aux notions de prévisibilité du risque de l’insolvabilité et de sécurité

juridique. Il s’agit, en effet de protéger les créanciers de déplacements du siège intempestifs

327 J. Béguin et M. Menjucq, Op. Cit., p. 809, n° 2318-1. 328 Cité par B. Volders et V. Retornaz, Op. Cit., p. 245.

158

dans le but d’améliorer la situation du débiteur329. C’est pourquoi, la haute juridiction

considère que le centre des intérêts se localise au moment de l’introduction de la demande en

ouverture de la procédure et non au moment où l’autorité judiciaire se prononce

effectivement. Aussi, c’est le siège statutaire allemand qui est retenu. Le phénomène de law

shopping, loin d’être encouragé à l’instar du droit de la liberté d’établissement est ici restreint

dans un but de protection des tiers à la procédure.

228. Quant à la seconde espèce, dite Eurofood, celle-ci, tel que nous l’avons abordé,

restaure la valeur de la présomption de localisation du centre au siège statutaire. Souhaitant

mettre fin l’interprétation extensive du règlement et du recours au siège réel pour favoriser un

law shopping, la Cour renforce même cette présomption, laquelle ne peut désormais être

renversée, selon le point 34 de l‘arrêt, « que si des éléments objectifs et vérifiables par les

tiers permettent d’établir l’existence d’une situation réelle différente de celle que la

localisation audit siège statutaire est censée refléter.» Illustrant leur propos, les juges de

Luxembourg se réfèrent-ils explicitement à la notion de société boite aux lettres : clairement,

la juridiction communautaire souhaite t-elle, et ce contrairement à ce qui est observé

s’agissant de la liberté d’établissement, combattre la tendance au law shopping en matière de

procédures d’insolvabilité communautaires. Dans cette hypothèse, nous conviendrons que

cette lutte semble fondée dans la mesure où l’objectif est de restaurer le principe d’égalité

entre les créanciers, véritable exigence du droit des procédures collectives et d’éviter des

rattachements de pure complaisance ou d’évitement. En outre, ce combat correspond à l’esprit

développé dans le règlement 1346/2000.

229. Par conséquent, se dessinent deux tendances relatives au law shopping dans l’ordre

juridique communautaire. L’une, relative à la liberté d’établissement, consiste à favoriser la

liberté de rattachement des sociétés et d’encourager la conception du siège statutaire : dans

cette hypothèse, la C.J.C.E incite ainsi indirectement les personnes morales à choisir le siège

correspondant au rattachement le moins contraignant et à ensuite exercer son activité réelle

dans un autre Etat. Le deuxième mouvement, relatif aux procédures collectives

communautaires, est hostile au law shopping, notamment dans un soucis de protection des

créanciers. Dans tous les cas, il n’y a nul doute sur l’existence de ce phénomène en droit

329 R. Dammann, « Mobilité des sociétés et localisation des actifs », Dossier La Mobilité Internationale des

Sociétés, Cahiers de droit de l’entreprise 2006, n°2, p. 46.

159

communautaire. Le point de convergence est que dans le cas de la liberté d’établissement, le

siège statutaire est le révélateur du law shopping tandis que dans le cadre du des droit des

entreprises en difficulté, il joue le rôle de modérateur. A la lumière de ces observations, nous

estimons que la notion de siège social est bien souvent au centre des débats du droit

communautaire des affaires. Par ailleurs, le law shopping engendre une conséquence

s’analysant non pas du point de vue des sociétés mais des Etats membres. En effet, puisque

les entreprises recherchent à s’établir dans l’Etat le plus favorable, ce dernier va devoir rendre

son droit attractif afin d’attirer les dites sociétés, ce qui ne fait pas l’unanimité au sein de la

doctrine. En effet, s’instaure une concurrence entre les droits nationaux des Etats membres.

Section II Le law shopping engendrant une mise en concurrence contestée des

droits internes des Etats membres ou l’effet delaware déduit du siège statutaire

230. Evoquant la mise en concurrence des législations nationales causé par le law shopping,

Maître Reinhard Dammann la qualifie de « darwinisme juridique.»330 Aussi, d’emblée, on

devine que ce phénomène ne laisse pas indifférent la doctrine. En effet, tel que nous l’avons

abordé, la définition du siège statutaire conduisant au développement du law shopping

instaure une concurrence entre les droits nationaux des Etats membres : celle-ci se manifeste

par la recherche d’attractivité du droit par les Etats membres, ce qui implique un nivellement

par le bas des législations internes (II).

231. I) Une recherche positive d’attractivité des sociétés par les Etats membres induite par

une définition statutaire du siège social.

232. Tel que nous l’avons constaté, la définition libérale du siège statutaire consacrée par la

C.J.C.E à travers la trilogie jurisprudentielle Centros, Überseering et Inspire Art corroborée

par l’arrêt Sevic relatif aux fusions transfrontalières crée les conditions d’un law shopping.

Aussi bénéfique soit-elle en vue de la mobilité des sociétés au sein de l’Union, cette

conception produit un effet plus discuté. Ce phénomène impliquant de retenir comme lieu de

rattachement le pays dont la législation est plus attrayante ou la moins contraignante, on

observe dès lors une tendance des Etats membres à rendre attractive leur législation nationale.

330 R. Dammann, Op. Cit., p. 41.

160

Cela sous entends notamment des conséquences sur la manière dont ceux-ci vont élaborer et

adopter des lois en matière de droit des sociétés. Cette volonté d’attirer les entreprises

étrangères peut être doublement qualifiée en doctrine, d’une part, comme bénéfique, d’autre

part comme néfaste lorsque exacerbée, c'est-à-dire lorsque elle correspond à un nivellement

par le bas.

233. La séduction opérée par les Etats membres afin d’attirer des sociétés étrangères,

laquelle se justifie notamment par un apport significatif de ressources fiscales est remarquable

en droit français et fait suite aux travaux relatifs à la Société Européenne. Or cette avancée

paraissant nécessaire à bien des égards (A), s’est concrétisée dès l’avènement de la Société

Européenne par deux propositions de loi notamment (B).

A) Une mise en concurrence des droits faisant ressentir le besoin d’une modernisation du

droit interne des sociétés

234. Paradoxalement, si l’on assiste à une montée en puissance du droit communautaire des

affaires dans un esprit de coordination et d’harmonisation des législations internes, il semble

que l’importance de ces dernières s’accroît. L’ordre juridique communautaire intervient, dans

notre étude, dans la sphère des droits internes des sociétés.

235. A titre liminaire, nous précisons que notre étude se focalisera sur le droit français, ce

dernier constituant un exemple significatif de cette tentative de modernisation des droits des

sociétés internes. Afin de bien appréhender cette tendance, nous remarquons qu’elle trouve sa

justification dans le fait que le droit a un rôle fondamental dans la décision d’une société

d’investir. En effet, l’environnement juridique d’un Etat est un élément essentiel d’attraction

des sociétés, comme le souligne Maître Marc Fornacciari331. Ainsi, les critères tels la clarté et

la prévisibilité de la règle de droit sont hautement pris en compte dans la détermination

d’implantation du siège social d’une société étrangère. Observons que l’emploi du terme

attractivité est surprenant s’agissant du droit des sociétés puisqu’il est plus souvent utilisé à

propos de la littérature, des arts ou encore des sciences humaines et sociales. Clairement, il se

331 M. Fornacciari, sous la dir. de F. Rouvillois, « La place du droit dans les choix industriels », Le Modèle

juridique français : un obstacle au développement économique ?, Coll. Thèmes et Commentaires, Dalloz 2005, p.

72.

161

distingue de la notion de compétitivité des entreprises, laquelle correspond à la « capacité de

ces dernières à conserver ou à améliorer leurs positions face à la concurrence des autres unités

économiques comparables »332. Quant à elle, l’attractivité se comprend comme la capacité

d’un pays à retenir les entreprises selon l’expression des économistes Benoît Coeuré et

Isabelle Rabaud333.

236. Aussi, tirant profit de ces remarques, les Etats membres, dont la France, ont

rapidement dressé le constat de la nécessaire modernisation de leur législation interne

sociétaire.

237. Le présent mouvement trouve son origine au début des années 2000, après l’adoption

du règlement communautaire relatif à la Société Européenne (ci-après S.E.), lequel nécessitait

des mesures d’aménagement du droit interne afin d’accueillir cette dernière. Or, la doctrine

ainsi que la Chambre de Commerce et de l’Industrie de Paris (ci-après C.C.I.P.) dressent le

constat d’une réglementation française sociétaires obsolète334. En effet, bien que la loi NRE

du 15 mai 2001 s’avéra bénéfique pour le droit des affaires, le sénateur Philippe Marini,

auteur de la proposition de loi comportant des mesures d’adaptation du droit français des

sociétés au statut de la Société Européenne, affirme notamment que « le régime des S.A.

comprends encore certaines rigidités ».335 En outre, dans le cadre d’un rapport du 12

novembre 2003, la C.C.I.P. plaide également en faveur de la simplification du Code de

commerce afin de rendre le droit français plus attractif et adapté aux réels besoins des

entreprises : il s’agit, en effet, de « tenir compte du law shopping » selon son directeur de

l’époque, Alain Cadix, et de « mettre fin à la réglementation qui nuit gravement (…) à

l’adaptabilité et au développement de nos entreprises » 336. Dans une telle perspective, nous

admettons que l’apport du phénomène d’optimisation juridique par la voie du siège social est

positif en ce sens qu’il incite les Etats membres de l’Union à moderniser leur droit afin de

séduire les entreprises étrangères.

332 Dictionnaire 2007 des Sciences économiques, PUF 2001. 333 Cité par B. Du Marais, « Attractivité économique du droit : le droit français peut-il survivre dans la

compétition internationale », Droit et Patrimoine 2008, n° 170, p. 38 et 39. 334 O. Dufour, « Gare au law shopping », Les Petites affiches, 19 nov. 2003, n° 231, p. 3. 335 P. Marini, sous la direction de K.J. Hopt, M. Menjucq et E. Wymeersch, La Société Européenne, Coll.

Thèmes et Commentaires, Dalloz 2003, p. 62. 336Rapport C.C.P.I. 12 nov. 2003, rubrique études, www.ccip.fr.

162

B) Des mesures françaises opportunes dans le sens d’un regain attractivité du droit des

sociétés

238. Nous l’avons constaté, à l’aube des années 2000, la nécessité d’un toilettage du droit

français des sociétés était réelle. En ce sens, les deux propositions françaises dans le cadre de

la Société Européenne. S’agissant de la première, le Sénateur Philippe Marini et le Député

Xavier de Roux ont présenté, le 8 octobre 2003, une proposition de loi comportant des

mesures d’adaptation du droit français des sociétés au statut de la Société Européenne. Cette

ébauche vise à assouplir considérablement la réglementation nationale des sociétés anonymes

pour offrir aux futures S.E qui le désireraient, la faculté d’opter pour un fonctionnement plus

souple que celui existant337. La proposition Marini comporte donc deux articles, le premier

étant consacré aux règles spécifiques à la S.E, le deuxième se rapportant à la modernisation du

droit des Sociétés Anonymes. Ce dernier autorise notamment une personne morale à devenir

membre du directoire. Il renonce également à l’exigence de la qualité d’actionnaire pour les

membres du Conseil de surveillance ou d’administration. Cette tentative de moderniser et

d’adapter le Code de commerce au droit communautaire ne devait pas restée isolée longtemps

puisque qu’une nouvelle proposition en ce sens survint le 20 janvier 2004.

239. Celle-ci, visant également à la simplification du droit des sociétés français, émane de

Messieurs les Sénateurs Jean- Guy Branger et Jean- Jacques Hyest338. Ce texte envisage à la

fois la levée des options du Règlement 2157/ 2001 relatif à la S.E. ainsi que la transposition

de la directive sur l’implication des travailleurs évoquée précédemment. Les deux sénateurs

développent l’idée selon laquelle l’adaptation et la modernisation du Code de commerce peut

se faire sans modifier en profondeur le droit des Sociétés Anonymes. Il conviendrait de

privilégier d’avantage la voie de la Société par Actions Simplifiées (S.A.S.) car elle est une

forme sociale souple et contractuelle particulièrement adaptée à la mobilité des entreprises.

Notons, en effet, que cette forme de société a vu son statut évoluer encore plus favorablement

avec l’apport de la loi de Modernisation de l’Economie du 4 août 2008 (dont l’entrée en

337 Voir notamment sur la proposition Marini/ de Roux : F. Fages et M. Menjucq, « Proposition de loi relative

aux mesures du droit français des sociétés dans la perspective de l’entrée en vigueur du Règlement sur la Société

Européenne », JCP E 2003, n° 43- 44, actualité, p. 1853, n° 505. 338 Voir, pour une étude complète : K. Rodrigez, Op. Cit., p. 340 à 356.

163

vigueur est fixée au 1er janvier 2009)339. Messieurs Branger et Hyest rappellent qu’en l’état, la

S.E ne peut bénéficier de la souplesse de la législation interne de ce type de société puisque le

droit français ne prévoit pas que la SAS puisse se constituer en S.E. Aussi, il s’agirait

d’organiser un système de passerelle entre la S.A, structure originaire d’accueil de la S.E, et la

S.A.S., cette dernière respectant alors les impératifs de la première et pourrait donc être

qualifiée de « société anonyme simplifiée. »340

240. Notons également que dans un but d’attirer les investisseurs étrangers, le droit des

sociétés français a souhaité donner une plus grande part à la Corporate Governance 341 en

prévoyant des dispositions perfectionnant la transparence dans le fonctionnement des S.A.

D’origine américaine, le Gouvernement d’entreprise consiste à rendre la gestion de la société

plus objective en soumettant les dirigeants au contrôle des actionnaires et de leurs

représentants par l’intervention d’administrateurs indépendants. Introduit en France, afin de

satisfaire aux demandes des investisseurs étrangers, par la loi NRE du 15 mai 2001, il vise à

redonner un poids importants aux associés au sein de la société : un rééquilibrage entre la

position de ces derniers et celle des dirigeants est ainsi effectué342. Au-delà des actionnaires

ou shareholders, ce concept a vocation à bénéficier aux shareholders, c'est-à-dire à toutes les

personnes impliquées dans l’entreprise. Dans le but d’attirer d’avantage d’entreprises, La

Corporate Governance se devait d’être davantage développée. En témoigne la loi du 1er août

2003 dite « Sécurité Financière », laquelle intensifie les obligations d’informations à l’égard

des administrateurs et des actionnaires de la société ainsi qu’au public. Elle confère également

un rôle accru aux associations d’investisseurs. 339 G. Notté, « Loi de modernisation de l’économie », Aperçu rapide, Actualités, JCP E, 31 juillet 2008, n° 31-

34, n° 381, p. 3. 340 Didier Poracchia, « La Société Européenne. Enjeux pour le droit français », Dossier La Société Européenne

entre son passé et son avenir , Droit et Patrimoine, avril 2004, n° 125, p 73. 341 Voir l’étude sur ce concept : T. J. White, « La gouvernance d’entreprise en France après la loi Sarbanes-

Oxley », Actes du colloque : Attractivité économique du Droit : regards croisés franco-américains, Les Petites

Affiches 13 déc. 2007, p. 45 à 48. L’auteur situe l’introduction du concept en France de ce concept en 1995 suite

au rapport Viennot. Thomas J. White, conseiller aux affaires économiques auprès de l’Ambassade des Etats-Unis

à Paris, observe que depuis, les « changements ont été profonds » en la matière : ainsi souligne t-il notamment le

rôle joué par le Comité d’audit. La loi NRE est la première loi intégrant des principes issus de la Corporate

Governance. 342 P. La Cannu, Op. Cit., p. 357, n° 592.

164

241. Indéniablement, les tentatives de modernisation et de libéralisation du droit français

des sociétés constituent de bonnes initiatives dans le sens d’une plus grande attractivité du

droit français à l’égard des entreprises étrangères. Cependant, des zones d’ombre subsistent.

II) Une définition souple du siège social et le law shopping engendrant un nivellement par le

bas des législations internes sociétaires

242. Si la mise en concurrence des droits des Etats membres, peut, à première vue, sembler

positive car elle permet une modernisation des législations internes, des nuances importantes

sont à apporter. D’une part, il convient de s’interroger sur l’aspect qualitatif des textes ainsi

élaborés (A) et d’autre part ce phénomène de law shopping fait naître la crainte latente d’une

course effrénée des Etats membres vers un droit des sociétés le moins contraignant et donc le

plus libéral possible (B).

A) L’élaboration de textes de modernisation et son aspect qualitatif

243. Tel que nous l’avons constaté, le droit français des sociétés connaît, par l’apport des

propositions en ce sens, une nouvelle dynamique placée sous le signe de la modernisation.

Naturellement, cette avancée est saluable. Néanmoins, il subsiste des points sur lesquels le

doute ¨pèse, en ce sans qu’il existe un risque pour que ces modifications se fassent au

détriment de notions essentielles du droit des sociétés.

244. S’agissant notamment de l’état d’avancée des travaux législatifs de modernisation du

droit, notons que les propositions demeurent pour l’instant non consacrées par des textes.

Certes, textes novateurs ont vu le jour, tel le décret du 27 mars 2007, relatif aux sociétés

commerciales, lequel va dans le sens d’une redynamisation du droit des entreprises. Gageons

que les efforts entrepris ne demeureront pas vains.

245. En outre, il est à craindre que favoriser la S.A.S. dans le cadre de la mobilité des

personnes morales de droit national et de la S.E. emporte le risque d’une complexification et

d’une incertitude juridique car ce type de société est par essence très contractuelle (la majorité

des règles de fonctionnement sont prévues par les statuts adoptés par ses associés) : dès lors

165

elle revêt une prévisibilité insuffisante pour les tiers dans l’hypothèse d’échanges

économiques internationaux343.

246. Par ailleurs, cette recherche à l’attractivité des droits nationaux ne doit pas conduire à

des dérives contraires aux grands principes du droit des sociétés. Ainsi, si une modernisation

et une adaptation aux enjeux internationaux est opportune, elle ne doit pas engendrer une

remise en cause des dispositions protectrices d’ordre public. On pense, en ce sens, au principe

d’égalité des associés et à l’interdiction d’augmenter les engagements de des derniers.

247. Ainsi, on l’admet bien volontiers, cette tendance à l’attractivité du droit observée au

sein des Etats membres de l’Union européenne peut se révéler positive dans la mesure où elle

crée une dynamique favorable à la modernisation de la norme juridique. Plus encore, elle est

essentielle dans le cadre de la mobilité des sociétés, en ce sens qu’elle crée des standards

juridiques susceptibles d’exister dans chaque Etat : en témoigne ainsi l’exigence de

transparence, notion qui se manifeste notamment par la Corporate Governance.

248. Cependant, la frontière séparant cette séduction de l’excès répréhensible est tenue. En

effet, force est de constater que le droit communautaire des affaires est le terrain d’une

véritable course à l’attractivité encore dénommée race to the bottom, laquelle peut apparaître

contestable à certains égards.

B) Le law shopping, vecteur contestable d’un effet Delaware et d’un nivellement des

législations par le bas

249. Tel que nous l’avons esquissé, la recherche à l’attractivité ne possède pas que des

aspects positifs au point de vue juridique. Au contraire, poussée à son paroxysme, celle-ci

peut être constitutive d’une course ou d’une quête au moins disant législatif. En d’autres

termes, les Etats membres tentent d’attirer des sociétés étrangères non seulement en

modernisant leur dispositif légal mais en retenant, de surcroît, une législation très peu

contraignante. Ce raisonnement implique deux conséquences, d’une part l’émergence dans

l’ordre juridique communautaire d’un effet Delaware et d’autre part un nivellement par le bas

des droits des sociétés internes.

343 K. Rodrigez, Op. Cit., p. 346.

166

1°) Une définition libérale du siège social impliquant l’effet Delaware en droit

communautaire des affaires

250. Force est de constater qu’il résulte du law shopping induit par le rattachement du siège

statutaire, que seuls les Etats membres offrant un ensemble normatif très attractif parviendront

à séduire les entrepreneurs. Ce phénomène décrié par certains auteurs est pourtant bien connu,

puisqu’il existe en droit américain sous le nom d’effet Delaware. Nous rappellerons que le

droit anglo-saxon se réfère, quant au rattachement des personnes morales, au critère de

l’incorporation, lequel détermine la lex societatis de ces dernières.

251. Le phénomène décrit trouve, en effet, son origine dans cet Etat de la côte est

américaine. Si ce dernier est démographiquement (il est le plus petit Etat des 50 que compte le

pays) et économiquement insignifiant, il n’en demeure pas moins que le Delaware est le

domicile de plus de 324 000 sociétés. Sur les 1958 sociétés côtés à la Bourse de New- York

en 1992, 43% étaient inscrites au Delaware, si bien que cet Etat héberge le siège social de la

moitié des 500 entreprises américaines les plus importantes344. Les raisons d’un tel

engouement sont simples. Le Delaware est régit par un droit des sociétés particulièrement

attrayant regroupé au sein du General Corporation Law de 1899. Or, à cette époque, c’est le

New-Jersey, autre Etat du Nord-Est des Etats-Unis, qui possède la législation le plus grand

nombre de sociétés immatriculées. Sous l’impulsion de Woodrow Wilson, alors Gouverneur

de cet Etat, fut adopté en 1911 le Seven Sisters Act interdisant notamment l’enregistrement

des sociétés de participation et des trusts. C’est pourquoi les entreprises se dirigèrent alors

vers le Delaware et sa législation peu contraignante. Celle-ci est, en effet, souple, libérale et

soutenue par le Barreau et la communauté des affaires. En outre, sa jurisprudence s’avère très

complète et précise s’agissant du droit des sociétés345. Aussi, le Delaware fait-il figure de lieu

d’incorporation idéal pour une personne morale : nombre d’entre elles y établissent leur siège

statutaire pour ensuite exercer leur activité économique dans d’autres Etats.

344 P. Malherbe et J-M. Jonet, « Concurrence entre juridictions en droit américain des sociétés : un regard

européen sur le syndrome du Delaware », Revue de Droit International et de Droit Comparé Bruylant 2003, 2e.

semestre., p. 173. 345 R. Hamilton, The Law of Corporations, 4e. Ed., St Paul, Minnesota, West, 1996, p. 16 et 17.

167

252. Ce phénomène, appréhendé depuis longtemps par le droit communautaire, fait souvent

l’objet de craintes et de vives critiques. Dès 1973, Le Professeur Clive Schmitthoff affirmait

clairement que « la Communauté ne peut pas tolérer l’établissement d’un Delaware sur son

territoire »346. Si l’on replace ce débat dans le contexte de l’opposition entre les siège réel et le

siège statuaire, on constate que la crainte de l‘effet décrit aux Etats-Unis a bien souvent

constituée l’argument majeur de la critique des réalistes contre l’emploi de l’incorporation.

En effet, les Etats influencés par la Sitztheorie redoutaient que les opérations de transfert de

siège social et de fusions transfrontalières ne deviennent des moyens légaux pour éluder des

dispositions internes plus contraignantes et bénéficier de rattachements artificiels plus

souples347 : derrière le refus de consacrer ces modes de mobilité des sociétés, il s’agissait

évidemment du rejet d’un éventuel syndrome Delaware. On retrouve notamment cette crainte

dans les propos de Loussouarn, lequel juge le rattachement au siège statutaire trop laxiste348.

Eu égard à l’évolution jurisprudentielle insufflée par les arrêts Centros, Überseering, Inspire

Art et Sevic Systems, nous ne pouvons que rejoindre cette opinion. En effet, dans ces espèces,

les société requérantes immatriculées dans des Etats de siège statutaire ont désiré, en créant un

établissement secondaire s’établir, par voie de siège réel, dans leur Etat d’origine. En réalité,

il semble bien que lesdites personnes morales aient souhaité réaliser l’essentiel de leur activité

économique dans le pays au rattachement réaliste et à la législation contraignante tout en

bénéficiant de la lex societatis plus avantageuse de leur siège social.

253. C’est dans ce sens qu’il faut notamment appréhender ce que Maître Dammann décrit

comme un « darwinisme juridique ». En effet, une véritable concurrence émerge entre les

pays ressortissants de l’Union, comme l’analyse très justement le professeur Quentin Urbai349.

Ceux bénéficiant d’une législation sociétaire souple seront en mesure d’attirer, à l’instar de

l’Etat du Delaware, la majorité des grandes sociétés européennes. A ce titre, on observera que

loin de constituer un grand marché économique unifié, l’Union européenne pourrait

346 C.M. Schmitthoff, « The Future of the European Company Law », The Harmonisation of European Company

Law, 3, 2e. Ed., Schmitthoff 1973, p. 9. 347 Voir notamment : M. Menjucq, Droit International et Européen des Sociétés, Coll. Domat Droit Privé,

Montchrétien, 2001, p. 295, n° 230. 348 Y. Loussouarn, Op. Cit., p. 236. 349 Q. Urbai, « Compétitivité et évolution du droit français des sociétés », Les Petites Affiches, 17 août 2006, n°

164, p. 27.

168

rapidement devenir un terrain d’affrontement entre les différents droits des Etats membres. A

cet égard, nous somme d’avis que le law shopping ne doit pas être total mais restreint ou

limité. De surcroît, cette mise en concurrence s’accompagne d’un nivellement par le bas des

législations concernées, lequel est sujet à discussion en doctrine.

2°) L’effet discutable du law shopping et du triomphe de l’incorporation : le nivellement par

le bas des droits nationaux des sociétés

254. Indéniablement, la conséquence de la recherche d’attractivité du droit par les Etats

membres conduit à une concurrence intra communautaire. Celle-ci suppose donc que chaque

Etat s’efforce d’être plus le plus compétitif. Précisons que s’agissant du phénomène

communautaire ici décrit, la compétitivité réside dans l’aptitude à réguler des relations

sociales.350 C’est à cet instant précis que l’on bascule dans les travers d’une conception trop

libérale de localisation des sociétés. En effet, les Etats membres vont se lancer dans ce que le

professeur Michel Menjucq nomme « une surenchère »351 du droit le plus attractif. Il s’agit de

« brader » le droit des sociétés, comme l’affirme Madame Karine Rodrigez352. Cette

concurrence est fréquemment décrite telle une course vers le fond ou le bas353 en ce sens que

les Etats sont, par le jeu de l’ensemble jurisprudentiel libéral décrit dans nos propos, d’adopter

des dispositions sociétaires très peu contraignantes, comme le démontre Monsieur Thomas

Mastrullo354. Si une telle solution peut séduire les entreprises, elle s’avère préjudiciable sur un

terrain plus juridique. En effet, il n’est pas inenvisageable qu’une telle course effrénée puisse

porter atteinte aux intérêts des associés, des créanciers et plus largement des tiers dans la

mesure où favorisant la flexibilité et la souplesse des dispositions en vigueur, les législations

internes mettraient à mal l’ordre public sociétaire, lequel est, en droit français, non

350 Q. Urbai, Op. Cit., p. 27. 351 M. Menjucq, Idem. 352 K. Rodrigez, Op. Cit., p. 346. 353 Ce termes provient de l’anglais « race to the bottom » ou « laxity race ». 354 T. Mastrullo, « Le Droit international des sociétés dans l’espace régional européen », Thèse, Paris I, 2007,

pps. 490 et s, n° 1039 et ss.

169

négligeable. Le nécessaire équilibre entre les intérêts de la société, des associés et des tiers

serait dès lors rompu.

255. Par conséquent, la question du nivellement par le bas des droits des sociétés internes

ne laisse pas indifférente la doctrine, laquelle est partagée entre trois tendances. D’une part,

certains auteurs s’estiment favorables à la liberté d’établissement par le biais du siège

statutaire mais expriment des inquiétudes quant à la course vers le bas des législations : il est

notamment argué du fait que cette inclinaison se fait au détriment de la sécurité juridique, des

tiers et préfigure un « libéralisme sauvage » comme le suggère le professeur Pauline Rémy-

Corlay355. En outre, la Chambre de Commerce et de l’Industrie de Paris, pourtant partisane du

critère de l’incorporation, reconnaît que le law shopping communautaire basculant dans le

dumping juridique est dangereux. Dès lors, l’inquiétante expression de

« Darwinisme juridique »356 employée par Maître Reinhard Dammann trouve t-elle son

explication dans cette tendance qu’ont les Etats membres à brader leur législation, situation

dénoncée par cet auteur.

256. Au contraire, certains accueillent avec ferveur cette mise en concurrence des droits

nationaux : ainsi, il est observé que celle-ci peut être « bénéfique », selon les mots de

l’ancienne Garde des Sceaux Noëlle Lenoir357. En effet, elle contraint les Etats membres à

moderniser leur droit interne et à le rendre plus attractif. De surcroît, Madame Lenoir estime

que cette attractivité, peut, dans une certaine mesure, rapprocher les législations des différents

Etats membres. Cette opinion est surtout partagée voire amplifiée par les organisations socio-

professionnelle et les entreprises, ce que retrace notamment le rapport de Noëlle Lenoir relatif

à la Société Européenne remis au Garde des Sceaux de l’époque, Monsieur Pascal Clément.

Ainsi, le dudit ouvrage mentionne notamment que le BDI estime que le phénomène de

recherche d’attractivité est une course aux conditions non pas minimale mais les

« meilleures »358. De même, la Confédération de l’Industrie Britannique (CBI) retient une

355 P. Rémy-Corlay, Op. Cit., p. 21. 356 R. Dammann, Op. Cit., p. 47. 357 N. Lenoir, « La Société Européenne. Premier bilan et perspectives d’évolution », Rev. Lamy Droit des

Affaires 2007, n° 17, p. 76. 358 Cité par N. Lenoir, Point de vue des organisations professionnelles. Réponse du BDI au questionnaire sur la

S.E », La Societas Europaea ou SE. Pour une citoyenneté de l’entreprise, Rapport au Garde des sceaux, Ministre

de la Justice, La Documentation Française 2007, p. 180.

170

argumentation contraire à celle de Madame Karine Rodriguez, en ce sens qu’elle considère

que la mise en concurrence susvisée se réalise dans l’intérêt des sociétés : on glisserai dès lors

d’une race to the bottom à une race to the top (vers le haut) car ladite course aboutirai à une

simplification et une flexibilité du droit des sociétés. Ces deux conceptions semblent légitimes

dans la mesure où positivement, le law shopping encourage indirectement une modernisation

du droit mais également le nivellement par le bas des législations, lequel peut se révéler

néfaste à la protection des tiers. Toutes deux nous apparaissent excessives. La voie médiane

est susceptible de trouver ses fondements dans la position des professeurs Benedetelli et

Rescio, lesquels prônent un law shopping « vertueux »359 . En effet, ils estiment que la

concurrence doit se faire par le haut et non le bas, en permettant une harmonisation minimale

afin de protéger notamment les intérêts des plus faibles, lesquels sont malmenés par le law

shopping. C’est l’élaboration de règles minimales communes, harmonisées qui permet de

concilier la libre concurrence entre les Etats membres et la protection des associés et des tiers.

Parallèlement, il demeure une tendance fortement rétive à l’idée même de la domination du

siège statutaire. En ce sens, Loussouarn suggère de s’en tenir au critère de rattachement

réaliste en ce sens que l’incorporation des articles 43 et 48 du Traité de Rome constitue un

laxisme. Par conséquent, nous pouvons supposer que cet auteur réfute toute possibilité de law

shopping et de recherche d’attractivité des droits des Etats membres. Certes, eu égard à la

consécration du rattachement du siège statutaire par la jurisprudence communautaire, il

semble légitime de s’interroger sur la pertinence actuelle de cette position.

257. C’est pourquoi, en définitive, nous adhérons davantage à l’analyse médiane des

professeurs Benedetelli et Rescio, dans le sens où la concurrence débridée des Etats membres

menant à une constante dévalorisation du droit national n’est pas souhaitable puisqu’elle

conduit à favoriser trop largement l’entreprise au profit des hommes. L’équilibre ne peut être

rétablit que dans le sens d’une adéquation de ces deux intérêts apparemment contradictoires,

ce qui implique de ne pas retenir une conception extrémiste de la concurrence entre les Etats

membres. Il s’agit donc d’encourager un minimum l’attractivité du droit interne, par le biais

du rattachement au siège statutaire, afin de permettre la modernisation des législations

internes sociétaires. Toutefois, il convient de conserver ou d’instaurer, selon le cas, des gardes

fous pour prémunir l’Union d’une concurrence excessive et d’un nivellement vers le bas des

359 Cité par N. Lenoir, M. Benedetteli et G. Rescio, Op. Cit., p. 281.

171

législations internes. En effet, si ce dernier phénomène s’exacerbe, il est à envisager un retour

à un climat de méfiance entre les Etats de l’Union, chacun désirant conquérir une part plus

conséquente du marché de l’implantation des entreprises. L’intérêt de l’ordre juridique

communautaire est donc évidemment d’éviter ces turbulences latentes comparables à l’état de

nature de Hobbes où l’homme, doit, dans un environnement juridique inexistant, défendre sa

propriété.

258. Concrètement, les tempéraments nécessaires à cet équilibre fragile consistent

notamment dans l’adoption de règles protectrices et harmonisées à l’égard des créanciers des

sociétés, des tiers mais aussi des associés. Grâce à cet apport, la menace de l’effet Delaware

tant redoutée par nombre d’auteurs s’atténue : la souplesse des systèmes juridiques, certes

indispensable à la mobilité des personnes morales, n’est ici pas absolue mais tempérée, ce qui

limite la concurrence exacerbée entre les droits nationaux des sociétés.

259. Ainsi, force est de constater que le law shopping est désormais une réalité dans le

paysage juridique communautaire. Ce phénomène, prends en effet de l’ampleur depuis la

consécration de la définition statutaire du siège social par le droit prétorien communautaire

dans les arrêts Centros, Überseering, Inspire Art et Sevic System. Conséquence indirecte de ce

mode souple de rattachement, le law shopping connaît des implications bénéfiques et

contestables, lesquelles sont liées à la mise en concurrence des droits des Etats membres. Les

premières se réalisent notamment dans l’amélioration et de la modernisation des droits

nationaux des sociétés. Les secondes, bien souvent dénoncées par la doctrine consistent en

une course des Etats membres à la législation la moins contraignante, ce que nous estimons

regrettable dans la mesure où la notion de protection est totalement éludée. Afin d’éviter que

les tensions se cristallisent, il incombe à l’ordre juridique communautaire de s’engager dans

un processus d’harmonisation des différents droits des sociétés : il s’agit de l’un des défis

majeurs auquel ce dernier sera confronté.

260. A l’aune de observations précédentes, nous avons mesuré l’impact du siège social sur

la constitution, le fonctionnement et l’évolution des sociétés. Or, en droit international privé,

la définition de ce dernier ne semble pas homogène puisque s’opposent deux conceptions,

celle du siège statutaire qui se caractérise par une grande souplesse et celle du siège réel,

laquelle apparaît rigide. Or, bien souvent, le droit international privé avait tendance à

172

privilégier la seconde au détriment de la première, sans pour autant les départager

définitivement, donnant ainsi une vue d’ensemble confuse. C’est pourquoi la mobilité des

sociétés, à travers les opérations de transfert du siège social et de fusion transfrontalière,

n’était pas effective mais statique alors même que les entreprises l’appelait de leurs vœux.

Aussi, l’intervention du droit communautaire fut-elle opportune et bénéfique. En effet, le

Traité de Rome, jeta les bases d’une nouvelle donne s’agissant du siège social en admettant,

parmi trois critères mentionnés, le rattachement incorporatiste. Surtout, la jurisprudence de la

C.J.C.E, consciente de la nécessité d’encourager la mobilité des sociétés, s’oriente, par le biais

de la trilogie jurisprudentielle évoquée, vers une définition libérale du siège social, en ce sens

qu’elle retient la théorie du siège statutaire. Eu égard au principe de la liberté d’établissement

et à l’objectif de mobilité des sociétés dans l’Union européenne, nous estimons cette évolution

légitime et satisfaisante. Retenir le critère du siège réel ne permet, en effet, que des

déplacements très restreints de sièges sociaux : à l’heure de la mondialisation des échanges,

une telle conception semble déconnectée de l’environnement économique actuel.

261. En outre, l’action de la Cour ne se limite pas à ces aspects puisque la définition du

siège concerne également le domaine des procédures d’insolvabilité. Ainsi, clarifie t-elle la

notion de centre des intérêts principaux du débiteur en réaffirmant avec vigueur la

présomption d’assimilation de ce dernier au siège statutaire. Si l’on songe un instant à la

définition du siège social donnée par le droit international privé, on constate que la conception

communautaire est plus libérale et respectueuse de la volonté des associés fondateurs de la

personne morale. Il n’est pas impensable du reste que cette dernière influence la position

internationaliste.

262. Par conséquent, de cette acception résolument souple du siège naissent des

conséquences directes et indirectes. Quant aux premières, elle consistent en la possibilité de

réaliser des fusions transfrontalières de sociétés et de transférer le siège de celles-ci d’un Etat

à un autre. Néanmoins, ces opérations ne concernent effectivement que les établissements

secondaires, la mobilité de ceux principaux demeurant en principe impraticable, bien qu’il y

ait eu sur ce point un infléchissement jurisprudentiel. Pour l’avenir, des avancées se font

encore attendre. Parallèlement, la conséquence indirecte du rattachement statutaire consiste

dans le phénomène d’optimisation juridique de la personne morale par le choix du lieu de

constitution de la société dit law shopping. Or, ce dernier pousse t-il les Etats membres à

rendre leur droit plus attractif afin d’héberger un nombre croissant de sociétés, ce qui sous-

173

entends d’adopter des dispositions très peu contraignantes à l’égard de celles-ci, quitte à

établir un nivellement par le bas des législations. L’ensemble de cette tendance donne lieu à

une concurrence entre les droits des Etats membres, laquelle n’est pas accueillie de façon

unanime par la doctrine. En effet, par delà la définition du siège statutaire, généralement bien

acceptée par les auteurs, il existe la crainte justifiée d’une relégation au second plan des

dispositions plus restrictives d’ordre public de protection notamment. Par conséquent, si la

conception du siège statutaire semble incontournable, précisément dans une perspective de

mobilité des sociétés, ses effets ne doivent pas être excessifs. A ce titre, le rattachement du

siège réel, lequel est en recul depuis quelques années, peut s’avérer utile en qualité de critère

d’exception dans le cas notamment où l’usage du siège statutaire est abusif. En outre, comme

le note le professeur Cyril Nourissat, la Cour de Luxembourg n’a marqué aucune préférence

entre les deux critères : elle se contente de valider la dissociation entre les le siège réel et celui

statutaire. Aussi, le premier n’est-il pas anéanti. Cette assertion est corroborée par le fait que

la C.J.C.E permet, à l’aune des arrêts Centros et Inspire Art notamment, le recours à la

sitztheorie en cas de fraude. Par conséquent, bien que le siège statutaire exerce une forte

influence au sein de d’ordre juridique communautaire, affirmer que le critère du siège réel est

anéanti au profit du premier est un peu prématuré. Ce serait, comme il sera abordé,

dommageable. Il est dès lors souhaitable de nuancer la domination du rattachement de

l’incorporation (deuxième partie).

174

DEUXIEME PARTIE : LE RATTACHEMENT

SUBSIDIAIRE AU SIEGE REEL OU LA

DOMINATION DU SIEGE STATUTAIRE A

NUANCER

175

263. Tel que nous l'avons observé, le droit communautaire s’est saisi de la question du

siège social en droit international privé et a consacré par touches successives une définition

statutaire de celui-ci. La progression s’est faite graduellement, notamment par la

jurisprudence de la C.J.C.E, à un tel point que la doctrine a qualifié ce mouvement de

véritable bouleversement ou big bang. En effet, l’apport des arrêts Centros, Überseering,

Inspire Art et dans une certaine mesure Sevic System consiste en la rupture avec un

rattachement plus strict développé dans l’arrêt Daily Mail et plus largement par le droit

international privé. Certes, si la domination du critère de l’incorporation semble aujourd’hui

évidente en droit communautaire, il apparaît souhaitable de la nuancer afin d’éviter ou du

moins de limiter les dérives évoquées précédemment. En d’autres termes, il incombe à des

instruments juridiques de jouer le rôle de gardes fous. Or, l’ordre juridique communautaire,

prenant conscience de ce qu’une domination sans partage du siège statutaire pouvait être

dangereuse, a tenté d’instaurer un rééquilibrage au profit du siège réel (Titre I). En effet, peu

après l’arrêt Centros marquant la puissance d’un rattachement souple, le législateur

communautaire a consacré le principe du siège réel s’agissant de la Société Européenne, la

première personne morale de type communautaire. De même, au sein de la trilogie

jurisprudentielle évoquée, la Cour de Luxembourg évoque t-elle l’existence d’exceptions au

siège statutaire, lesquelles demeurent réduites. C’est pourquoi, une évolution de la définition

du siège social est-elle souhaitable , autour de la notion de siège statutaire assorti d’exceptions

revitalisées (Titre II).

176

Titre 1 : Des rééquilibrages opérés par l’ordre juridique

communautaire en faveur du siège réel

264. Depuis 1999 et l’arrêt Centros, le siège statutaire semble être devenu le rattachement

dominant au sein de l’ordre juridique communautaire. Pour autant, affirmer qu’il s’agit d’une

victoire absolue de la théorie d’incorporation est excessif en ce sens que le droit

communautaire tente d’effectuer des rééquilibrages au profit du siège réel. En ce sens, est

consacrée la Société Européenne (ci-après S.E.), laquelle concrétise la volonté de mobilité des

sociétés exprimé par le droit prétorien de la C.J.C.E. Or, paradoxalement à première vue, le

législateur communautaire retient-il le rattachement du siège réel s’agissant de celle-ci

(chapitre 1). En outre, au sein même des jurisprudences évoquées précédemment conférant

une vigueur nouvelle au critère statutaire, la Cour de Luxembourg admet-elle, à titre

d’exception, des correctifs dérogeant à ce mode de localisation : le siège réel demeure dès lors

invocable dans certains cas (chapitre 2).

Chapitre 1 : Un rééquilibrage paradoxal s’agissant de la Société

Européenne (S.E.)

265. Outre les encouragements prodigués à la mobilité des sociétés nationales, le droit

communautaire a, dès son origine, appelé de ses vœux la création d’une société anonyme

européenne capable de « dépasser les clivages nationaux freinant les groupes actuels pour

créer un véritable esprit européen au sein de l’entreprise. », selon l’expression de messieurs

Jacques-Louis Colombani et Marc Favero360. Surtout, à l’époque où la mobilité des sociétés

semblait plus que restreinte, cette initiative était de bon aloi. De surcroît, dans un contexte

d’internationalisation croissante de l’économie, il était opportun de fournir aux entreprises

360 J-L. Colombani et M. Favero, Societas Europaea. La Société Européenne, Coll. Affaires, Joly 2002, p. 23.

177

européennes le moyen juridique d’atteindre une taille suffisante pour être compétitives au

niveau mondial. Or, suite aux échecs répétés des différents projets361, cette société européenne

ou Societas Europaea a longtemps fait figure de serpent des mers ou d’Arlésienne du droit

communautaire362. Une société sans attache nationale mais communautaire, en outre dotée de

mobilité relevait d’un rêve de juristes et non du droit positif. Or, à la surprise générale, le

sommet de Nice de décembre 2000 a permis de dégager un accord des Etats membres sur ce

point: à l’issue de celui-ci ont été créés puis adoptés deux textes fondateurs: le Règlement du

Conseil 2157/ 2000 et la directive communautaire déjà évoquée du 8 octobre 2001. Ainsi,

alors qu’ « on ne l’attendait plus », selon l’expression de Michel Menjucq, un accord entre les

Etats membres a rendu possible l’élaboration d’un statut unifié sur la Société Européenne.

Cette dernière n’est donc plus un mythe. Observons également que le texte initial a été

transposé, pour son entrée en vigueur effective, en droit français par la loi du 26 juillet 2005.

266. Or, le règlement 2157/ 2000 retient notre attention sur deux éléments précis. D’une

part, il consacre la mobilité du siège tant s’agissant du transfert que de la fusion

transfrontalière (section I). Par ailleurs, et c’est une situation paradoxale eu égard à l’assertion

précédente et par rapport à la jurisprudence relative aux sociétés de droit national, le texte

consacre le rattachement de la société européenne au siège réel (section II).

Section I : La mobilité des sociétés possible par l’apport de la Société

Européenne

267. Dans le contexte de mondialisation des échanges, les sociétés de droit national

souhaitent, afin de gagner en compétitivité, pouvoir se mouvoir et se restructurer au sein de

l’Union européenne. Observons que cette faculté est liée aux contours du rattachement de la

personne morale. Or, tel que nous l’avons noté, la mobilité de ces dernières, malgré l’apport

de la définition souple du siège statutaire, n’est que partiellement assurée pour l’instant. Dès

lors, tous les espoirs se sont légitimement portés vers la Societas Europaea, véritable structure

361 Voir pour un historique complet des projets : M. Menjucq, Op. Cit., pps. 116- 119. 362 H. Synvet, « Enfin la société européenne ? », RTD Eur., 1990, p. 253.

178

sociétaire, du moins à première vue, de droit communautaire. Celle-ci permet, en effet, de

combler les lacunes d’une jurisprudence encore hésitante, en ce qu’elle consacre les

opérations de transfert de siège social (I) et de fusions transfrontalières (II).

I) Un instrument juridique unique permettant le transfert du siège social au sein de l’Union

européenne

268. Si le règlement 2157/ 2000 relatif à la Société Européenne prévoit la possibilité pour

une Société Européenne de transférer son siège social d’un Etat membre à un autre, rappelons

que cette liberté n’a été conquise qu’après d’âpres luttes sur la scène européenne, comme cela

a été évoqué dans nos propos relatifs aux sociétés de droit national. Désormais, le texte précité

réglemente précisément les modalités de cette opération ainsi que ces effets, sur lesquels nous

nous attarderons davantage (A). Cependant, en raison d’une définition trop rigide du siège

social, ce transfert semble toujours restreint (B).

A) Les modalités et les effets d’un transfert enfin réalisable

269. Le transfert du siège social de la Société Européenne vers un autre Etat membre est un

« aspect du statut qui ne déçoit pas » la doctrine363. En effet, s’agissant tout d’abord des

modalités du transfert, celles-ci sont très précisément exposées au sein du règlement fondateur

de la Société Européenne. Globalement, elles comprennent trois phases, ordonnées autour de

l’établissement et la publication du projet de transfert, puis du vote par l’assemblée générale

de la société visée et enfin par un contrôle de l’Etat du siège de cette dernière. Plus

précisément, la législation d’un Etat membre peut prévoir, pour les Sociétés Européennes

immatriculées en son sein, qu’un transfert du siège statutaire demeure sans effet si dans le

délai de deux mois à compter de la publication du projet, une autorité compétente de cet Etat

s’y oppose. En outre, le règlement 2157/2000 autorise un Etat membre, concernant les S.E

immatriculées sur son territoire, à adopter des dispositions destinées à assurer une protection

363 M. Menjucq, Op. Cit., p. 210.

179

aux actionnaires minoritaires qui se sont prononcés défavorablement au transfert. Une telle

possibilité semble discutable pour une partie de la doctrine car cela limite notablement la

mobilité des la Société Européenne 364. Au terme de cette dernière étape, une nouvelle

immatriculation est conférée.

270. Quant aux effets du transfert de siège de la S.E., ceux-ci sont jugés conséquents et

avantageux par les auteurs. De prime abord, la conséquence la plus évidente de ce processus

est d’offrir à la société un régime de mobilité de son siège ayant le mérite de la souplesse,

selon le professeur Jacques Béguin365. En effet, ladite opération ne suppose plus, comme c’est

le cas en droit international privé, la dissolution conséquente du changement de nationalité et

la création d’une personne morale nouvelle. En effet, selon l’article 8-1 du règlement, « Ce

transfert ne donne lieu ni à dissolution ni à création d’une personne morale nouvelle. » Il

s’agit donc bien d’une rupture avec les législations d’un certain nombre d’Etats membres

selon lesquelles une telle opération ne peut se réaliser que par la cette dissolution. Par

conséquent, cette continuité prévue par le texte communautaire constitue un progrès essentiel

car elle écarte tout débat sur ce point au regard des conséquences du transfert. Ce dernier

devra donc être traité uniquement comme une modification statutaire classique, nécessitant

l’approbation d’une majorité qualifiée de l’assemblée délibérante. Dès lors, on notera

l’étendue du chemin parcouru depuis l’arrêt de la Cour de Justice des Communautés

européennes Daily Mail précédemment évoqué et rendu le 27 septembre 1988, lequel dénié

aux sociétés ressortissantes des Etats membres la possibilité de déplacer leur siège. Aussi, du

moins s’agissant de la Société Européenne, il est mis fin à une période de flou et d’hésitations

concernant la faisabilité du transfert de siège. En effet, tel que nous l’avons constaté, si les

arrêts Centros et Überseering semblent mettre à mal la jurisprudence susvisée, ils ne

reconnaissent pas expressément la réalité d’une telle opération. Par conséquent, nous saluons

cette initiative, laquelle peut redynamiser la matière en droit international privé. La Societas

364 Jacques- Louis Colombani et Marc Favero, Op. Cit., p. 115, n° 417. 365 J. Béguin, « L’avènement de la Société Européenne », Mélange Lagarde, Dalloz, 2005, p. 92, n° 46.

180

Europaea est, à première vue, une structure tournée vers la mobilité des sociétés, ce qui

constitue, dans le présent contexte, un atout majeur366.

271. Par ailleurs, le transfert de siège ne donnera pas lieu à des conflits de rattachement car

à, l’issue de l’opération, la Société Européenne doit vérifier la condition posée à l’article 7 du

Règlement, qui impose que son siège statutaire soit situé dans le même Etat que son

administration centrale de la société. Une dissociation entre les sièges n’est donc pas possible

alors même qu’elle l’est s’agissant des sociétés de droit national.

B) La situation paradoxale d’un transfert restreint

272. Indéniablement, il existe un paradoxe de situation. Si les pères fondateurs de la Société

Européenne ont affichés dès l’origine la volonté de promouvoir, par le biais de celle-ci, la

mobilité des sociétés au sein de l’Union européenne, cette dernière demeure très relative en

raison d’un rattachement que nous estimons trop rigide. De prime abord, si l’on considère

uniquement les dispositions spécifiques relatives à l’opération de transfert, on constate que

l’article 8-1 du règlement du 8 octobre 2001 mentionne uniquement le siège statutaire. Dès

lors, il est légitime de supposer que le rattachement de la Société Européenne ainsi transférée

soit celui de l’incorporation, en d’autres termes un critère souple favorisant la mobilité des

sociétés. Or, en reprenant l’article 7 de portée plus générale, ce dernier énonce clairement que

« le siège statutaire de la S.E est situé à l’intérieur de la Communauté, dans le même Etat

membre que l’administration centrale. » On précisera à nouveau que ce critère correspond au

siège réel. En d’autres termes, si l’on admet que l’article 7 s’applique de façon générale à la

Société Européenne et supplante par là même la simple mention au siège statutaire, celui réel

est privilégié puisque il est imposé aux entreprises désireuses de constituer une S.E de réunir

aux mêmes lieu, les deux types de rattachements de ladite société367. Dès lors, le transfert du

siège assuré par une société nationale de l’Union connaîtra un traitement plus favorable que

366 Voir J-P. Brouillaud, « La SAE : la société approximativement européenne », JCP E 2007, n° 3, n° 1100, p.

43. 367 J. Béguin et M. Menjucq, Op. Cit., p.213.

181

celui dans le cadre de la Société Européenne. En effet, quant au premier, bien que non

reconnu par le législateur communautaire en l’absence de 14e directive, la jurisprudence

Überseering de la C.J.C.E permet la dissociation entre le siège réel de la société et son siège

statutaire. Une telle distinction, nous l’avons constaté, constitue le fer de lance de

l’optimisation juridique, en ce sens que la personne morale pourra, en vertu de cette solution,

exercer dans son activité économique dans son Etat d’origine tout en s’immatriculant dans un

pays plus avantageux au niveau de la législation. Au contraire, une Société Européenne

bénéficie de moins de latitude car elle ne peut transférer que l’ensemble siège statutaire et

administration centrale. Dès lors, sa capacité de mobilité est grandement réduite, ce qui

semble une ironie du sort lorsque l’on connaît la vocation première de ce type de société.

Aussi, l’article 8 du règlement constitue t-il une victoire à la Pyrrhus pour les partisans du

transfert de siège puisque aussitôt son principe admis pour la première fois dans un texte

communautaire, ce mode de mobilité est affaibli par un rattachement contraignant.

273. A titre plus anecdotique, nous mentionnerons que le règlement 2157/2000 impose un

régime de protection des créanciers non obligataires et laisse le soin aux Etats membres de

prévoir davantage. Aussi, s’agissant du droit français relatif à la Société Européenne, celui-ci

confère aux actionnaires minoritaires un droit d’opposition368. Cela écorne encore un peu plus

la vigueur du transfert de siège d’une S.E. En effet, dans sa version transposé au Code de

commerce, il est affirmé à l’article L 229-2 alinéa 3 qu’ « en cas d’opposition à l’opération,

les actionnaires peuvent obtenir le rachat de leurs actions dans les conditions fixées par décret

en Conseil d’Etat. » Observons que cette demande devra avoir lieu, par voie de lettre

recommandée avec accusé de réception dans le délai d’un mois à compter de la publication de

l’avis relatif à la décision de transfert. La doctrine estime notamment que les deux droits, de

rachat et d’opposition s’exercent corrélativement. En cas de contestation de la fixation du

prix, un expert, du ressort du siège de la société est nommé afin de pallier cette difficulté.

L’intégralité de cette procédure, certes protectrice des intérêts des minoritaires et des

créanciers, ralenti et alourdi l’opération en soi. De même, ces mesures peuvent même

conduire à l’abandon du projet. Est dès lors observée une incohérence entre les objectifs

368 M. Menjucq, « Premiers pas et premier bilan de la Société Européenne en France », Rev. Sociétés 2007, n° 2,

p. 269.

182

annoncés par les inspirateurs de la Societas Europaea soucieux de créer une structure adaptée

à la mondialisation des échanges et à une réalité plus statique.

274. On constate donc que, outre le fait qu’il s’englue dans de nombreuses procédures

administratives, le transfert du siège de la Société Européenne demeure lié au siège réel, ce

rattachement étant lourdement handicapant dans une perspective de mobilité des sociétés.

275. Parallèlement, cette lacune ne semble pas avoir atteint le deuxième instrument de

mobilité des sociétés, à savoir la fusion transfrontalière, laquelle constitue l’un « des

principaux avantages découlant du régime de la société européenne », selon les professeurs

Armand Grumberg et Claire le Gall-Robinson369.

II) La Societas Europaea réalisant les opérations de fusions intra communautaires

276. Si le transfert de siège social de la S.E demeure une difficulté, certes moindre, mais

tout de même réelle, le législateur communautaire a prévu un dispositif plus confortable

s’agissant des fusions transfrontalières ou intra communautaires dès 2001. Rappelons, en

effet, que la 10e directive fusions applicable aux sociétés nationales n’a été adoptée qu’en

2005. Encore convient-il d’ajouter que cette dernière n’a pour l’instant pas été transposée

dans tous les Etats membres : son application est différée. C’est pourquoi la jurisprudence

Sevic System datant de la même année arrivait à point nommé. Auparavant, cette opération

nécessitait comme cela a été évoqué, en droit international privé, l’accord unanime des

associés et l’émergence d’un conflit de loi. Plus particulièrement, la Société Européenne

apparaît comme un précurseur de la mobilité. En effet, elle constitue, selon l’expression de

Monsieur Mario Boulokos, « un pont communautaire »370, en ce sens qu’elle autorise les

fusions jusque là interdites dans certains pays de l’Union, tels l’Allemagne. En d’autres

termes, la Societas Europaea constituerai la rampe de lancement du droit communautaire du

transfert de siège, complétant ainsi une solution jurisprudentielle dont l’avenir, bien que celle-

ci soit légitime, n’est pas encore assuré. Aussi, comme le rappellent Madame Noelle Lenoir et 369 A. W. Grumberg et C. Le Gall-Robinson, « Societas Europaea. Ombres et lumières », Rev. Droit des Affaires

Internationales 2006, p. 742. 370 M. Bouloukos, « Le régime juridique de la société européenne (S.E) : vers une société européenne à la

carte », Rev. Droit des Affaires Internationales 2004, p. 498.

183

les professeurs Pierre-Pascal Bruneau et Michel Menjucq, « la situation juridique de la S.E

contraste donc fortement avec celle des sociétés de formes nationales dont les possibilités de

fusions transfrontalières demeurent difficiles. »371 En effet, tant dans ses modalités de

fonctionnement que ses effets semble t-elle novatrice (A). Pour autant, à l’instar du transfert

du siège social, son rattachement demeure problématique (B).

A) Des conditions de mise en œuvre et des effets attractifs s’agissant de la fusion

transfrontalière

277. Comme le rappellent les professeurs Jacques Béguin et Michel Menjucq, « la

possibilité de créer une société européenne par voie de fusion représente une avancée tout à

fait spectaculaire »372, bien que cette modalité ne soit pas novatrice mais issue des travaux

précédents373. En effet, celle-ci connaît des conditions de mise en œuvre facilités et des effets

attractifs pour les sociétés, lesquels sont nécessaires à la bonne compréhension de notre sujet

et que nous analyserons brièvement.

1°) Une mise en œuvre de la mobilité par la fusion facilitée par le règlement 2157/2000

278. Quant à sa mise en œuvre, on rappellera que la définition de la fusion a donnée lieu à

des développements dans nos propos. On se bornera donc au fait que les sociétés anonymes

créées conformément au droit d’un Etat membre ayant leur siège statutaire et leur

administration centrale dans la Communauté peuvent constituer une Société Européenne par

cette voie si deux d’entres elles au moins relèvent du droit d’Etats membres différents. La

fusion pourra être réalisée de deux manières. D’une part, l’article 2 paragraphe 1 du texte

fondateur, dispose que l’opération se fera par absorption, auquel cas la société absorbante

prendra la forme d’une S.E simultanément à la fusion. D’autre part, selon l’article 17

371 N. Lenoir, P-P. Bruneau et M. Menjucq, « Les enjeux de localisation de la S.E dans l’espace européen »,

Droit et Patrimoine 2007, n° 163, p. 62. 372 J. Béguin et M. Menjucq, Op. Cit., p. 206, n° 529. 373 B. Goldman, A. Lyon-Caen, L. Vogel, Op. Cit., p. 191, n° 250.

184

paragraphe 2 du Règlement, la S.E est susceptible d’être constituée par fusion avec création

d’une société nouvelle374.

279. La présente norme communautaire apporte de nombreuses précisions sur le régime de

ces fusions, il semble donc légitime de se focaliser brièvement sur le projet de fusion, étape

indispensable de l’opération, avant d’envisager les aboutissements du processus décrit.

280. Suivant la procédure la plus répandue en la matière, toute fusion doit s’articuler autour

d’un projet central dit le projet de fusion et à ce dernier succédera la phase de vote en

assemblée. 281. Quant à la rédaction du projet de fusion, nous nous bornerons à noter que l’article 20

du présent règlement énonce que les organes de direction ou d’administration participant à la

fusion devront établir un projet de fusion comportant de manière très précise des mentions

obligatoires et à minima375. Par la suite, selon l’article 23 du Règlement, il appartient en effet

à l’assemblée générale de chaque société partie à l’opération d’approuver ou non le projet,

aux conditions de quorum et de majorité prévues par les statuts et le droit interne de chacune

d’elles. Afin d’éviter des coûts trop élevés dus à une multiplication de convocations, il est

néanmoins conseillé de définir les modalités de participation avant la tenue de l’assemblée. 282. Enfin, afin d’être effective, l’opération de fusion nécessite la satisfaction de certaines

formalités. Le législateur européen s’est particulièrement préoccupé d’assurer le caractère

efficace de la fusion en éludant tout risque de remise en cause376. A cet effet, il a été conçu un

système complexe de contrôle de la légalité de l’opération qui s’exerce en deux étapes. Dans

un premier temps, un contrôle formel est exercé au niveau de chacune des sociétés qui

fusionnent: une autorité de l’Etat de chacune d’entre elles doit délivrer un certificat attestant

que tous les actes et formalités sont accomplis. Dans un deuxième temps, un contrôle

approfondi va s’exercer au niveau de l’Etat membre dans lequel la S.E installera son siège

social. Cela implique que chaque société participante remette à cette autorité, dans les 6 mois

suivant sa délivrance initiale, le certificat précité. Cette vérification approfondie comprendra

374 R. Dammann et M. Fronty, « Plaidoyer pour une libéralisation des modes de constitution d’une société

européenne », Droit et Patrimoine 2007, n° 163, p. 97. 375 Voir sur ce point pour les détails du contenu du projet de fusion : Mémento pratique Francis Lefebvre,

Sociétés Commerciales 2008, Ed. Francis Lefebvre 2008, n° 31255, p. 1539. 376 K. J. Hopt, M. Menjucq, E. Wymeersch, Op. Cit., p. 24, n° 23.

185

notamment un examen du respect des conditions substantielles de constitution ainsi que des

modalités relatives à la participation des travailleurs377. En effet, le statut de la S.E sous forme

de fusion s’accompagne également du volet social de la Directive 2001/ 86 précitée.

L’immatriculation de la S.E ne pourra avoir lieu qu’une fois ces formalités accomplies. 283. Dans une vision d’ensemble, les modalités de mise en œuvre de la Société Européenne

semblent facilitées mais demeure lourdes, notamment par rapport aux autres modes de

constitution de cette dernière378. Elles laissent une place non négligeable aux Etats membres,

notamment dans les phases de contrôle. Ainsi, selon les contours de la lex societatis du siège

de la société souhaitant s’établir en Societas Europaea, les vérifications apportées rendront

plus difficile ou plus aisée l’opération. Une telle solution trouve notamment ses racines dans

le fait que certains Etats étaient, à l’origine réticents, à la Société Européenne, par crainte de

mobilité frauduleuse. Tel que nous l’avons constaté, le lien entre la personne morale et l’Etat

de son siège social est donc tenu. Les efforts de définition de la notion par l’ordre juridique

communautaire sont, dès lors, légitimes. 284. On notera enfin que la nullité de la fusion ne peut plus être prononcée après

l’immatriculation et que cette dernière marque également le point de départ des effets de la

fusion, lesquels sont un véritable apport au niveau communautaire.

2°) Les effets attractifs de la fusion intra communautaire dans le cadre de la Société

Européenne

285. Les effets de la fusion sont considérables et s’associent de manière harmonieuse avec

la 10e directive fusion régissant les sociétés anonymes éprises de mobilité.

377 J. Béguin et M. Menjucq, Op. Cit., p. 207, n° 532. 378 Les autres modes de constitution de la Société Européenne sont au nombre de trois. Ainsi, il est possible de

transformer une société anonyme nationale en S.E., de créer une holding ou encore une filiale commune. Notons

qu’il n’est pour l’instant, pas envisagé, la constitution d’une Societas Europaea ab’initio. Voir notamment pour

une analyse détaillée des modes de constitution de ladite société : J. L. Colombani et M. Favero, Op. Cit., p. 71 à

96.

186

286. L’un des avantages significatifs du statut de la Société Européenne réside dans les

effets de la fusion intra communautaire. En effet, la notion de transmission universelle de

patrimoine, qui est un des avantages du droit français des sociétés, a été reprise par l’article 29

du présent texte379. Ainsi, ce point constituait l’un des points d’achoppement avec les pays de

Common Law. Ces derniers, tels l’Angleterre, méconnaissaient la règle de transmission

universelle de patrimoine. Cet écueil est solutionné par le règlement 2157/2000 et constitue

une grande avancée dans le cadre de la mobilité des sociétés380. La transmission universelle

du patrimoine suppose, en effet, selon les règles du droit français des sociétés, la perte de

l’existence juridique de l’absorbée. Par conséquent, son patrimoine est transmis de façon

universelle, c'est-à-dire comprenant l’actif et le passif de la personne morale à la société

absorbante, à tel point qu’on qualifie l’opération de dévolution automatique du patrimoine de

l’absorbée381. Notons qu’en principe, les garanties suivent le sort du passif est sont dès lors

transmises à l’absorbante, sauf en cas de cautionnement. En complément, les actionnaires de

la société absorbée deviennent actionnaires de la société absorbante. Dès lors, on l’admet bien

volontiers, pour reprendre l’expression de Noëlle Lenoir, « la fusion transfrontalière est sans

aucun doute, parmi les quatre modes de constitution de la S.E., le plus attractif et

innovant. »382 En effet, il est le seul permettant de réaliser pleinement l’objectif de mobilité

des sociétés, lequel est parachevé plus tardivement par la 10e directive de 2005. L’innovation

est caractérisée par le fait qu’en 2001, la S.E constitue l’unique forme sociale dédiée aux

mouvements de personnes morales au sein de l’Union. Aussi, gageons que de nombreuses

entités vont se constituer, par le biais de la fusion intra communautaire, sous la forme de

Société Européenne. 287. Par ailleurs, le règlement 2157/ 2000 effectue un renvoi, en son article 18, pour les

matières non couvertes par lui aux textes de coordination s’appliquant aux sociétés nationales.

Aussi, il peut en être ainsi des conditions de majorité relative à l’adoption du principe de

l’opération. Nous avons constaté sur ce point une évolution favorable à la majorité qualifiée

379 Voir notamment : P. Nicaise, « La constitution de la Société Européenne », La Société Européenne Journée

d’études du 2 déc. 2004, Bruylant 2005, p. 89. 380 Voir N. Lenoir, Op. Cit., p. 43. 381 M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, Op. Cit., p. 596, n° 1371. 382 N. Lenoir, Op. Cit., p. 42.

187

dans la 10e directive supprimant par conséquent l’exigence d’unanimité. Dès lors, cette

solution à vocation à s’appliquer s’agissant des fusions dans le cadre de la Société

Européenne. 288. Egalement, les droits et obligations des sociétés participantes en matière de conditions

d’emploi résultant de la législation, de la pratique et des contrats de travail individuels

existant à la date de l’immatriculation sont transférés à la S.E au moment de

l’immatriculation. Le règlement adopte ainsi sur ce point la solution de l’article L 122- 12 du

Code du travail français visant les transferts de contrat de travail383. 289. Par conséquent, les effets de la fusion présentée par le règlement communautaire sont

intéressants et opportuns. Bien que la 10e directive du 26 octobre 2005 soit intervenue par la

suite, les dispositions contenues dans le texte de 2001 ne sont pas désuètes. En effet, elles

furent les premières à envisager la fusion sans la perte de la personnalité juridique et la

transmission universelle du patrimoine de la société absorbée à l’absorbante. De façon plus

générale, le règlement de 2001 et la directive connexe relative à la Société Européenne ont

donnés une impulsion nouvelle aux textes relatifs aux fusions transfrontalières des sociétés

nationales alors bloqués. Comme l’affirment Maîtres Pascal De Moidrey et Edith Boucaya,

« ces deux texte ont ouvert la voie à une nouvelle proposition de directive sur les fusions

transfrontalières assise sur des principes similaires en matière sociale »384 , à tel point qu’ils

peuvent être qualifiés de source d’inspiration. 290. Notons, enfin, que le règlement 2157/2000 demeurait jusqu’en 2008, en l’absence de

transposition de la 10e directive, l’unique instrument juridique communautaire et de droit

international privé à consacrer ce mode de mobilité. Observons qu’après plus de six mois de

retard et un rappel à l’ordre de Bruxelles, la France a enfin transposée, par la loi du 3 juillet

2008, la présente directive385. A à ses côtés, la Société Européenne constitue donc, sur ce

point, selon l’expression de Noëlle Lenoir, une véritable « boîte à outils des groupes

383 J-L. Colombani et M. Favero, Op. Cit., p. 81, n° 281. 384 P. De Moidrey et E. Boucaya, Op. Cit., p. 11. 385 J-M. Franceschi et W. Maxwell, « Fusions transfrontalières : tout ça pour ça ? », Rev. Lamy Droit des

Affaires, sept. 2008, n° 30, p. 11.

188

européens »386, en ce sens qu’elle réalise légalement des rapprochements transnationaux chers

aux entreprises évoluant sur différents marchés. 291. Certes, une lacune subsiste, laquelle s’apparente même à un paradoxe, s’agissant du

rattachement correspondant à la fusion.

B) Une opération de fusion intra communautaire entravée par un rattachement trop rigide

292. L’avancée réalisée par le règlement 2157/2000 relatif à la Societas Europaea est

spectaculaire. Pour autant, le rattachement de cette forme sociale pose problème. En effet,

nous l’avons constaté, la définition du siège social influe considérablement sur les contours de

la mobilité des sociétés. Une conception statutaire du lieu d’implantation de la personne

morale encourage les déplacements et les regroupements d’entreprises car elle est vecteur,

pour ces dernières, de liberté d’établissement. A l’heure de l’économie mondialisée, les

sociétés ne sont pas insensibles au chant de l’optimisation juridique, notamment dans le cadre

des opérations de fusion. Or, consacrer juridiquement cette possibilité de mobilité près de 25

ans après l’ébauche des premiers projets est un signe fort alors que nombre d’Etats la refusait

laissant légitimement penser que le législateur communautaire lui adjoigne un rattachement au

siège statutaire. Au contraire, celui consacré par le texte nous semble rigide et s’accompagne

de modalités de constitution laissant une grande marge de manœuvre aux Etats membres.

1°) Le régime de la fusion dans la cadre de la Société Européenne soumis au rattachement

rigide du siège réel

293. La question du critère du siège social s’agissant de la fusion intra communautaire est

légitime. En effet, selon l’article 7 du règlement fixant le cadre général du siège social de la

S.E, l’opération susvisée est soumise à la conception réelle. Parallèlement, aucune règle

386 N. Lenoir, citée par M. Menjucq, « Les premiers pas et premier bilan de la société européenne en France,

Rev. Sociétés 2007, n° 2, p. 253.

189

spécifique relative à la fusion, n’est mentionnée : le siège issu de la Sitztheorie est donc celui

correspondant à l’opération. Or, tel que nous l’avons observé, ce type de rattachement n’est

que peu propice à la mobilité des sociétés puisqu’il contribue à retenir la société dans son Etat

de rattachement d’origine. C’est pourquoi, ce critère du siège réel est fréquemment utilisé par

les Etats réfractaires à la mobilité des personnes morales. Il est donc un paradoxe frappant : le

statut de la Société Européenne, outil juridique communautaire dédié par principe à la

mobilité, ne permet la fusion que selon des conditions restrictives. Est-il dès lors opportun de

la qualifier cette société de relevant du droit communautaire ? En outre, une telle solution est,

a posteriori, contraire aux évolutions de la jurisprudence, notamment celle consacrée par

l’arrêt Sevic Systems. En effet, l’espèce du 13 décembre 2005 admet-elle, s’agissant d’une

fusion transfrontalière de sociétés nationales, le rattachement au siège statutaire en ce sens

qu’il retient la liberté d’établissement comme fondement. Ainsi le dans son dispositif, la

C.J.C.E, énonce t-elle que « Les articles 43 et 48 s’opposent à ce que, dans un Etat membre,

l’inscription au registre national du commerce de la fusion (…) soit refusée de manière

générale lorsque l’une des deux sociétés a son siège dans un autre Etat membre alors qu’une

telle inscription est possible dès lors que certaines conditions sont respectées ». Par

conséquent, les juges de Luxembourg affirment-ils le principe de liberté d’établissement et la

dissociation du siège social quant à la fusion transfrontalière387. Il en découle qu’une telle

solution revient à privilégier la théorie du siège statutaire. De surcroît, la 10e directive

2005/56 pose, tel qu’abordé précédemment, le principe d’un rattachement alternatif. En effet,

le texte s’applique aux fusions de sociétés constitués « en conformité avec la législation d’un

Etat membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal

établissement à l’intérieur de la Communauté. »388 Aussi, la présente disposition institue un

système de rattachement similaire à celui consacré par l’article 48 du Traité de Rome. En

effet, ce dernier met en présence ces trois mêmes critères de lieu d’implantation, dont

l’application, nous l’avions noté, est alternative et non cumulative. A la de l’esprit de la

directive de 2005, il semble que ce soit également le cas en l’espèce. Aussi, sont consacrés par

ce texte, deux principes interdépendants : d’une part, celui du libre choix, pour les sociétés

désirant s’unir, de rattachement et d’autre part le principe de dissociation des sièges statutaires

387 Voir supra, p. 137. 388 M. Menjucq, « Les Fusions transfrontalières de capitaux », Rev. Lamy Droit des Affaires 2006, n° 5, p. 11.

190

et réels. Pour autant, ces principes ne se retrouvent pas consacrés dans le statut relatif à la

fusion de la Société Européenne. Par conséquent, certains auteurs évoquent très justement

l’éventuelle perte en attractivité de cette forme sociale de droit communautaire puisque depuis

l’année 2005 la mobilité, du moins celle relative aux fusions transfrontalières, existe. 294. En outre, si le Règlement 2157/2000 institue un droit des fusions dans la Société

Européenne, celui-ci n’est pas autonome en ce sens qu’il renvoie bien fréquemment aux

législations nationales du siège réel de la société. Dans cette hypothèse, les Etats membres

peuvent alors exercer diverses options. Aussi, d’une fusion communautaire passe t-on à une

opération très empreinte du droit national. Comme le souligne, en effet, le professeur Michel

Menjucq, par ces nombreux renvois, la statut de la S.E possède une « coloration » nationale et

non européenne389. Dès lors, on devine toute l’importance du lieu de localisation des sociétés

absorbée et absorbante390. Si le but avoué, à l’origine, de la Societas Europaea était de

constituer une société de droit communautaire apte à évoluer dans toute l’Union, il semble

que le législateur s’en soit un peu éloigné dans le sens où cette forme sociale évolue vers un

renforcement des droits nationaux, lesquelles se concurrencent. Par ce type de rattachement

réel, le droit des fusions issu de la S.E qui se voulait unique est donc désormais à géométrie

variable. Cela se révèle préjudiciable au nom de l’impératif de prévisibilité et de sécurité

juridique dont le droit communautaire se réclame.

2°) Des obstacles provenant également des modalités de constitution de la Société

Européenne

295. Parallèlement au rattachement stricto sensu de la fusion issue de la Societas Europaea,

les obstacles mis sur la route de cette opération proviennent de la procédure de mise en œuvre.

Le double système d’oppositions formé tantôt par les associés tantôt par les autorités

publiques à la suite de l’adoption du projet de fusion remet en cause la faisabilité de

l’opération et la mention de l’ordre public interpelle. En effet, cette dernière notion, présente à

389 M. Menjucq, « La Société Européenne, un nouvel instrument au service des groupes de sociétés », Chron.

Sociétés, Dalloz 2007, n° 1, p. 30. 390 R. Dammann et M. Fronty, Op. Cit., p. 98.

191

l’article 8 paragraphe 14 du Règlement, constitue le motif de l’opposition des autorités

publiques. Or, ce concept nous semble plus large et flou que celui des « raisons impérieuses

d’intérêt général » développés par la C.J.C.E dans l’arrêt Sevic Systems. Cela appelle deux

observations. D’une part, force est de constater que le législateur européen n’a pas encore

précisé les contours de la définition de l’ordre public : celle-ci fluctue selon les Etats

membres. Cela confirme donc aisément que le rattachement de l’opération de fusion réalisée

par la Société Européenne est davantage tourné vers une localisation casuiste et donc réelle

que vers le siège statutaire, critère unique et formel. Cet aspect est cause d’insécurité

juridique. D’autre part, la notion d’ordre public nous semble vaste dans ce cas, voire trop

étendue. Selon l’analyse du professeur Michel Menjucq relative à ce moyen d’opposition, ce

dernier peut confiner à l’évasion fiscale ou du moins à la « préservation de l’emploi

national »391. Par conséquent, les Etats opposés à la mobilité vont arguer de la contrariété à

l’ordre public de ladite fusion afin de protéger les entreprises constituées sur leur sol. 296. Aussi, la fusion intra communautaire par l’intermédiaire de la Société Européenne ne

relève plus du mythe mais de la réalité, ce qui était souhaitable. Cette dernière apparaît

comme novatrice car elle est la première structure transnationale tournée vers la mobilité. En

outre, elle réalise la transmission universelle de patrimoine, effet attendu par la doctrine.

297. Néanmoins, bien qu’il permette une grande avancée sur ce point au bénéfice des

personnes morales, le statut de la Societas Europaea génère des entraves aux possibilités de

déplacements géographiques. En effet, le rattachement au siège réel, n’est, nous l’avons

constaté, que peu propice à la réalisation de cet objectif puisqu’il impose de concentrer les

sièges statutaire et réel au même endroit. Une telle disposition est très restrictive et limite

considérablement, pour une entité, les possibilités de se mouvoir au sein de l’Union. De

surcroît, freine t-elle le phénomène d’optimisation juridique. Aussi, ce régime est susceptible

d’être concurrencé par les dispositions plus souples de la 10e directive, cette dernière ayant été

transposée en France. C’est pourquoi, sur 69 sociétés européennes crées au 1er mars 2007, 11

l’ont été par ce mode à égalité avec le nombre de S.E constitués par transformation alors

même que le premier est, par principe, plus attractif392.

391 M. Menjucq, « Régime juridique et fiscal du transfert de siège de la société européenne », Dalloz 2003, p.

211. 392 N. Lenoir, Op. Cit., p. 167 et ss

192

298. A la lumière de nos observations, force est de constater que la Société Européenne

concrétise les espoirs des partisans de la mobilité des sociétés. En effet, elle est la première

entité juridique à consacrer textuellement les opérations de transfert de siège et de fusion intra

communautaire, lesquelles n’ont connu pour l’instant que des développements

jurisprudentiels, la 10e directive n’étant toujours pas transposée en droit interne. Aussi, l’ordre

communautaire se met au diapason de la mondialisation des échanges en instituant un régime

juridique destiné à la mobilité des sociétés. En effet, la Règlement 2157 relatif à la Societas

Europaea consacre t-il, au profit de cette dernière, les procédures de transferts de siège et les

fusions transfrontalières dans l’Union européenne. En ce sens, la S.E. constitue le fer de lance

de ces opérations puisque avant 2001, d’une part, il n’existe aucun texte ne le permettant la

concrétisation d’un besoin ressenti très tôt par les entreprises. De surcroît, à cette époque, la

jurisprudence demeurait encore marquée par l’arrêt Daily Mail de la C.J.C.E, lequel ne

conférait aucun droit au transfert de siège social. Certes, l’année 1999 fut marquée par

l’espèce Centros, laquelle contribue à infléchir la position de la C.J.C.E sur ce point mais cet

arrêt apparaissait encore isolé. En outre, les projets communautaires successifs de fusions

transfrontalières se soldèrent par des échecs. C’est pourquoi, l’initiative du législateur

communautaire relative à la Société Européenne nous semble opportune. Elle peut s’avérer

annonciatrice d’une plus grande prise en compte du besoin de restructuration des entreprises

en droit international privé. En revanche, le règlement prévoit des règles matérielles facilitant

lesdites opérations, les contours de la définition du siège social leur étant applicable posent

problème. En effet, le rattachement envisagé dans le cadre du transfert et de la fusion est celui

de la société européenne en général, soit celui du siège réel. Or, ce dernier, parce que trop

rigide semble priori inadapté à la mobilité des sociétés. En outre, la 10e directive du 26 juin

2005 relative aux fusions transfrontalières de sociétés nationales prévoit-elle un rattachement

alternatif au bénéfice de la société. Parmi les critères énumérés, figure notamment le siège

statutaire. Il n’est donc pas illégitime d’imaginer une concurrence entre les deux instruments

juridiques. Par conséquent, il semble légitime de s’interroger sur la pertinence du

rattachement opéré par le texte communautaire de 2001. Tel que cela a été constaté

antérieurement, les sociétés souhaitant procéder à de telles opérations aspirant à une souplesse

organisationnelle. Dès lors, elle peuvent être freinées par le rattachement trop rigide

gouvernant les fusions intra communautaires et le transfert de siège. En réalité, au-delà de ces

opérations, c’est du rattachement même de la société européenne que provient le paradoxe

193

entre la volonté de mobilité manifestée par les pères fondateurs du projet et la réalité juridique

de cette entité communautaire. Ainsi l’apport de l’ordre juridique communautaire à la

définition du siège social est réel, mais dans cette hypothèse, la question de sa légitimité se

pose (section II).

Section II : Le rattachement apparemment paradoxal de la Societas Europaea au

siège réel

299. Rappelons d’emblée que la Société Européenne consacrée par le Règlement du 8

octobre 2001 est à première vue une structure juridique de droit communautaire. C’est du

moins l’idée initiale des initiateurs du projet. A ce titre, il eut été légitime que le règlement

fondateur consacre un mode de rattachement favorisant la mobilité de la Société Européenne.

Plus précisément et suivant l’évolution du droit communautaire prétorien, la logique

commandait à instituer le critère du siège statutaire au détriment de celui réel. Pourtant, le

Règlement 2157/ 2000 entame une nage à contre-courant, en ce sens qu’il impose que soient

situés au même lieu le siège statutaire et l’administration centrale de ladite société. Une telle

situation peut sembler paradoxale voire incompréhensible dans la mesure où tant la trilogie

jurisprudentielle que le traité de Rome permettent le recours au critère d’incorporation et

relèguent le rattachement réel au rang d’exceptions. Pour autant, cette solution trouve sa

justification dans la chaotique histoire de la Societas Europaea (I) et manifeste la subsistance

du critère du siège réel comme critère essentiel de définition du siège social dans l’ordre

juridique communautaire et en droit international privé (II).

I) Un rattachement au siège réel justifié par des raisons historiques et politiques

300. Tel que nous l’avons entrevu, la Société Européenne est le fruit d’une longue gestation

communautaire de près de 40 ans. Or, de façon plus ou moins directe, la question du

rattachement a été l’une des causes de cette lenteur. C’est pourquoi, il nous semble légitime

de nous focaliser un instant sur le passé de la S.E : le recours au siège réel est justifié par le

législateur communautaire par des raisons historiques (A) et politiques (B).

194

A) Le rattachement strict de la Société Européenne au siège réel justifié par une Histoire

tumultueuse

301. D’une façon schématique et en empruntant un raccourci, on peut affirmer que la

Société Européenne est marquée par un « avant et un après » octobre 2001 ou du moins

décembre 2000 (date de son adoption lors du Traité de Nice). Tel que cela a été abordé dans

nos propos, celle-ci a longtemps fait l’objet de railleries émanant de la doctrine, laquelle

qualifiait cette forme sociétaire de « serpent des mers » ou d’ « arlésienne du droit

communautaire ». La point de certitude réside dans le fait que la Societas Europaea fut bien

souvent un sujet source d’incompréhensions, de peurs, de discordes et enfin de réussite au

sein de l’Union.

1°) Des premiers pas difficiles en raison de la participation des travailleurs et de l’opposition

entre siège réel et statutaire

302. L’origine même de la Societas Europaea divise la doctrine. En effet, pour le

professeur Michel Menjucq, le concept est antérieur à la Communauté Européenne car il

remonte à « l’immédiat après- guerre » : l’idée germa dans les deux projets du Conseil de

l’Europe en 1949 et 1952 relatifs à la création d’une Compagnie Européenne393. Pour

d’autres, l’initiative de d’élaborer une société relevant du droit communautaire provient du

57e Congrès des notaires de France de 1959394. D’emblée, la Société Européenne génère la

controverse et attise les tensions. Véritablement, il semble que ce soit la France qui, par une

note de son gouvernement en date du 15 mars 1965 pris l’initiative de suggérer aux cinq

autres Etats membres la création s’une société de type européen395. Par conséquent, en 1966,

le professeur néerlandais Pieter Sanders élabore un avant-projet de statut de société anonyme

européenne avec l’aide d’éminents experts des cinq autres Etats membres: Maître Arendt,

avocat à Luxembourg, Messieurs Ersnt Von Caemmere, professeur de droit de l’Université de

393 M. Menjucq, Op. Cit., p. 116, n° 86. 394 J-L. Colombani et M. Favero, Op. Cit., p. 5. 395 B. Goldman, A. Lyon-Caen et L. Vogel, Op. Cit., p. 186, n° 243.

195

Fribourg et Brigsau, Léon Dabin, professeur à la Faculté de Droit de Lièges, Gabriel Marty,

Doyen de la Faculté de Droit de Toulouse et Gustavo Minervini, professeur de droit

commercial à la Faculté d’Economie et de Commerce de l’Université de Naples396. Cet avant-

projet fut transmis au Conseil en 1967. Il s’agissait, en effet, selon le professeur Sanders de

« présenter à côté des formes nationales de sociétés existantes un nouveau type uniforme

d’une société donnée, la Société Européenne et d’offrir aux entreprises du Marché commun

une forme leur permettant de choisir leur implantation à l’intérieur de la communauté en

fonction des seules nécessités économiques, abstraction faite de considérations juridiques. »397

En d’autres termes, la volonté des initiateurs était de constituer une société capable de

rivaliser avec les grandes entreprises nord-américaines398. Egalement, cette société serait

dotée de la personnalité juridique afin de promouvoir l’activité économique au sein de

l’Union sans passer par le biais des établissements secondaires que sont les filiales et les

succursales399. En 1970, la Commission prépare elle même un projet de Règlement, dont elle

propose l’adoption au Conseil des Ministres le 30 juin 1970. Le 30 avril 1975, la Commission

transmet au Conseil une version amendée pour tenir compte en particulier de l’avis du

Parlement européen et du Comité économique et social. Cependant, les travaux s’enlisent au

Conseil et sont interrompus en 1982. Pourtant, cette proposition semblait novatrice par

rapport à la plupart des droits des Etats membres et contenait un véritable droit européen des

sociétés, sans oublier l’instauration du Comité Européen d’Entreprise. Elle avait vocation à

promouvoir un droit unique, directement applicable dans les Etats membres. En réalité, ledit

texte de 1975 essuya le refus des Etats membres car ceux-ci n’étaient pas encore prêt à

imposer des contraintes entravant la gestion des groupes de société. Tel était le cas de

participation des salariés dans les organes de la société, système qui n’était alors en vigueur

qu’en Allemagne et évoqué sous le nom de Mittbestimmung. La discorde entre les Etats

membres naquis de ce que l’Allemagne conditionnait son adhésion au respect de ce système.

A l’opposé, l’Espagne le refusait. Nous l’avons constaté, l’Allemagne craignait que, à défaut 396 J-P. Bertrel, Op. Cit., p. 50. 397 P. Sanders, « Etudes sur un projet des sociétés anonymes européennes », Commission des Communautés

européennes, Série Concurrence, 1967, p. 6. 398 J. Boucourechliev, Op. Cit., p. 40. 399 S. Ebert, « La S.A. européenne sur le level playing field de la Communauté », Les Petites Affiches 1er déc.

2005, n° 239, p. 5.

196

de dispositions à propos de la participation dans le statut de la Societas Europaea, les

entreprises de son chef ne profitent de la mobilité offerte par cette forme sociétaire nouvelle

pour échapper aux textes germaniques plus contraignants.

303. En outre, le débat en droit international privé relatif au critère de détermination du

siège social de la personne morale se transposa dans une certaine mesure au sein de l’ordre

juridique communautaire. En effet, lors de cette phase de préparation, l’opposition entre la

conception institutionnelle du droit des sociétés allemand et celle contractualiste du droit

anglo-saxon s’exacerbait. Les conditions d’un consensus autour d’une société unique de droit

communautaire n’était, et cela est peu dire, pas réunies.

304. Enfin, à titre plus anecdotique, ce projet fut malmené en raison de sa trop grande

rigidité et son nombre trop important d’articles ( soit 284 articles).

2°) Un projet relancé mais avorté

305. A la suite de l’institution du GEIE en 1985, le projet de Société Européenne fut

relancé par l’Acte Unique Européen de 1986, sous l’impulsion notamment du Président

français de la Commission européenne de l’époque, Jacques Delors. En juillet 1988, la

Commission décida d’étudier à nouveau les possibilités de création d’une telle société, ce que

le Parlement approuva le 16 mars 1989. La Commission présenta ensuite au Conseil, le 29

août 1989, une nouvelle proposition en deux volets: un règlement portant statut de société

européenne en vertu de l’article 100 A et une directive distincte en vertu de l’article 54,

complétant le statut pour ce qui concerne la place des travailleurs dans la S.E. Cette nouvelle

proposition a eu le mérite de corriger les erreurs du projet précédent. En effet, le texte fut

considérablement allégé (137 articles), et permit de nombreux renvois au droit national des

Etats membres. Enfin, la proposition de 1989 éluda des sujets donnant lieu à controverse, tels

le droit des groupes de sociétés. A la lumière de ces considérations, la Société Européenne

devenait une sorte d’hybride, fruit d’un croisement entre droit communautaire et droits

nationaux. La S.E apparaissait concrètement pour la première fois comme un instrument

communautaire de coopération transfrontalière mis à la disposition des entreprises qui

souhaitent l’utiliser pour des restructurations hors frontières, développer des filiales ou

holding dans plusieurs Etats membres et enfin afin d’aider les petites et moyennes entreprises.

197

Cette version a été amendée en 1991 en tenant compte des avis formulés par le Parlement

Européen et le Comité Economique et Social. Les amendements envisageaient la place des

travailleurs encore dénommée participation dans la Societas Europaea : ce sujet n’était pas

des moindres puisque, on l’a abordé, l’Allemagne, Etat de siège réel, conditionnait son accord

à cette réalisation. Les salariés seraient, selon cette proposition, consultés sur les grandes

décisions stratégiques de la société: fermeture ou déplacements d’établissements, restrictions,

extensions ou modifications importantes de l’activité de la société, ou encore création de

filiales ou d’une société holding400. Tel qu’on le conçoit, la Commission européenne a voulu

ici lier cet aspect participatif à la mise en œuvre d’un instrument juridique de coopération et

de circulation des sociétés. En témoigne la déclaration du Vice- Président Bangemann du 6

février 1991 dans laquelle celui-ci affirmait qu’il n’y aurait pas « de Société Européenne sans

participation des travailleurs. »401 C’est pourquoi l’organe de proposition de Bruxelles soumit

aux douze de l’époque un système optionnel à trois branches permettant de définir la place

des travailleurs dans la S.E : en effet, ce schéma consistait en premier lieu, au choix de la

représentation des travailleurs dans l’organe de surveillance ou l’organe d’administration

(système de cogestion ou Mittbestimmung). En outre, les Etats membres pouvaient opter pour

la création d’un organe distinct représentant les travailleurs, tel un comité d’entreprise. Enfin,

était possible le choix d’autres modèles établis par voie d’accord entre les dirigeants des

sociétés fondatrices et les travailleurs ou leurs représentants dans ces sociétés. Dans les trois

cas, les Etats membres devaient prendre des modèles de participation équivalents », en

d’autres termes, prévoir des mesures nécessaires pour la mise en œuvre de ce système402. Or,

c’est bien cette notion de participation qui causa de graves divergences de vue entre les Etats

membres. En effet, certains Etats, tels l’Allemagne, en faisaient une condition sine qua non,

tandis que d’autres comme l’Espagne, Etat de siège statutaire, refusaient farouchement ce

système. Dès lors, en 1993, les travaux du Conseil furent, par conséquent, à nouveau

suspendus. On le constate, la question de la Cogestion s’avérait délicate jusqu’à l’initiative du

Vicomte Davignon en 1997.

400 H. Synvet, Op. Cit., p. 253. 401 Déclaration de M. Bangemann, Vice- Président de la Commission européenne, cité par Michel Menjucq,

Droit International et Européen des Sociétés, Coll. Domat Droit Privé, Ed. Montchrestien 2001, p 121, n° 90 402 J.L. Colombani et M. Favero, Op. Cit., p. 9.

198

3°) La relance du projet par l’initiative Davignon puis le compromis de Nice sur la Cogestion

306. Si l’avenir de la Société Européenne s’annonçait sombre au début des années 1990,

cela ne découragea pas pour autant les initiatives des industriels faveur d’un statut de société

de droit européen. En juin 1995, surtout, le Competitiveness Advisory Group, présidé par

Carlo Ciampi, considéra que le marché intérieur ne serait pas réalisé tant que les sociétés ne

pourraient opérer dans l’Union d’une manière « plus souple et plus efficace » et qu’une

avance majeure dans ce sens serait l’adoption du statut de S.E. Selon ce rapport, cette société

allait permettre aux entreprises, quelque soit leur taille, de développer leur activité dans

l’ensemble de l’Union et d’augmenter la souplesse et la rapidité du processus décisionnel au

sein de celles-ci403. En novembre 1995, la Commission se fit le porte-parole de ces appels à la

création de la S.E. Son importance a été notamment défendue lors du sommet européen de

Cannes par Carlo Ciampi. Une résolution du conflit idéologique entre Etats membres relatif à

la participation des salariés semblait concevable. Elle fut entreprise en 1997 par le rapport

Davignon.

307. En effet, dès 1996, la Commission européenne invita le Vicomte Etienne Davignon,

Président de la Société Générale de Belgique et ancien Vice-président de la Commission à

présider un groupe d’experts de haut niveau. Cela aboutit au rapport dit Davignon de mai

1997, rapport non publié intitulé “ European Systems of Workers Involvement; with regards

to the European Company statute and the other pending proposals.”404 Selon ce dernier,

l’intérêt de la Société Européenne « apparaissait encore plus clairement aujourd’hui en raison

notamment de l’accomplissement du marché intérieur; de l’imminence de création de l’Union

économique et monétaire; de l’approfondissement de processus d’internationalisation et de

concentration des entreprises associé à une compétition accrue pour la recherche du capital et

du décalage grandissant entre la réalité économique et la réalité juridique des sociétés de

dimension européenne. » Les conclusions du rapport Davignon permirent de débloquer la

situation. En effet, s’agissant de la participation des salariés, elles préconisaient l’application

403 Rapport du Competitiveness Advisory Report, “First Report to the President of the Commission, the Prime

Minister and Head of State”, juin 1995, p. 9. 404 Pour une analyse du rapport Davignon : voir J. Béguin, « Quel avenir pour la Société Européenne ? »,

Mélanges Terré, Co-ed Dalloz, PUF et Juris-cl., 1999, p 307

199

de plein droit de « dispositions de référence en cas d’échec des négociations entre les

dirigeants des entreprises participant à la constitution de la société européenne et les

représentants des salariés concernés. Ceci fut ressenti négativement par certains Etats

membres, l’Allemagne estimant le seuil de représentation (1/ 5 des salariés et au moins 2

membres) trop minoritaire, d’autres pays sans participation refusant d’avoir à intégrer dans

toute S.E un système étranger à leurs traditions405.

308. La solution fut trouvée en 1998 par la Commission qui institua le système dit Avant-

Après. En d’autres termes, s’il n’y avait pas de participation avant la constitution d’une

Société Européenne, il n’y avait pas lieu de l’organiser dans cette dernière. En revanche, si ce

processus préexistait à la S.E, il fallait l’instituer dans celle-ci selon les pratiques nationales

les plus avancées pour préserver les droits acquis des salariés. Néanmoins, un blocage subsista

en cas de fusion. Les dispositions de référence s’appliquaient impérativement, lors de la

constitution par cette voie, lorsque 25% des salariés des entreprises participant à l’opération

avaient bénéficiés d’un régime de participation dans leur société nationale, sauf décision

contraire à une majorité des deux tiers des salariés situés dans au moins deux Etats membres.

Cette règle rendant le rejet de la cogestion improbable suscita le refus de l’Espagne, cet Etat

considérant qu’il était inacceptable qu’une minorité de salariés impose son système de

participation à l’ensemble des salariés406. Une fois de plus, l’introduction dans le paysage

juridique communautaire de ladite S.E. semblait totalement compromise. Le sort de cette

forme sociale de droit communautaire était-il scellé ?

309. A la surprise générale407, le sommet européen de Nice de décembre 2000 a permis de

dégager un accord des Etats membres sur la S.E. A l’issue du sommet de Nice, le consensus

exprimé entre Etats fut mis en forme par le comité des représentants permanents de l’Union

Européenne et présenté au Conseil de l’Union. Ainsi, un motus vivendi a été trouvé sur le

volet social de la S.E conférant existence juridique à cette dernière et permettant de dégager

une architecture globale du texte formée par un Règlement 2157/ 2000 et une directive 83/

405 J-L. Colombani et M. Favero, Op. Cit., p. 13. 406 F. Fortin, « La Société Anonyme Européenne repoussée aux calendes…espagnoles », Droit et Patrimoine

1999, n° 73, p. 12. 407 Le professeur Jacques Béguin évoque même une « divine surprise » s’agissant de cet accord autour de la

participation : J. Béguin, « L’avènement de la Société Européenne », Mélanges Lagarde, Dalloz 2005, p. 75

200

2000. Observons tout d’abord, qu’afin d’éviter les difficultés rencontrées précédemment,

notamment liées à la longueur des texte proposés, le règlement précité ne contient-il que 70

articles. Il s’agit, en effet, de promouvoir la souplesse de fonctionnement de cette société et

d’assurer une certaine liberté contractuelle408. Afin d’obtenir l’accord de l’Espagne sur la

question de la S.E constituée sous forme de fusion, il fut accepté à Nice qu’un Etat puisse,

dans cette hypothèse, ne pas transposer dans son droit national la règle rendant applicable les

dispositions de référence relatives à la participation. Cette dernière, nous l’avons constaté,

avait été source de nombreux blocages. Cet ultime compromis permit enfin d’obtenir

l’unanimité. Il est notamment à souligner le caractère pragmatique de l’accord de Nice qui

tient compte de la diversité des situations des Etats membres en matière de relations

sociales. Notons que la Societas Europaea ne doit pas être considérée comme un instrument

de flexibilité sociale au niveau européen car la directive de 2001 contient des garanties

sociales qui constituent des « gardes fous », selon Maître Francis Collin, en imposant aux

Etats membres des règles minimales et des obligations de résultat409. De même, la création

d’une S.E ne pourra faire échec aux dispositions impératives du droit du travail interne. Aussi,

constate t-on que le consensus autour de la participation s’est réalisé à la suite d’âpres

négociations et compromis. En schématisant un peu le propos, nous estimons que

l’Allemagne a été le grand vainqueur de ces discussions puisque les autres Etats membres,

conscient de l’importance jouée par ce pays au sein de l’Union, se sont rangés derrière elle

s’agissant des dispositions sociales. Rappelons à ce titre, que l’Allemagne se réclame

traditionnellement de la conception réaliste du siège social, ce qui laisse présager la nature du

rattachement de la Société Européenne.

310. En outre, ce dernier trouve des justifications plus politiques lesquelles ne sont pas

négligeables.

408 E. Mathey, « La Société Européenne: un nouvel instrument juridique pour les entreprises, un progrès

politique pour l’Europe », site Internet www.robert-schuman.org/Synth111.htm, p. 1 à 9. 409 F. Collin, « Aspect de Droit Social », Dossier La Société Européenne, entre son passé et son avenir, Droit et

Patrimoine 2004, n° 125, p. 89.

201

B) Les justifications politiques au refus de la Societas Europaea

311. La lenteur de l’adoption du statut de la Société Européenne ne s’explique pas

uniquement par des raisons historiques. En effet, les causes de ce long blocage sont également

politiques.

312. Ainsi, tel qu’il a été observé, l’une des grandes craintes exprimées s’agissant de la

mobilité des sociétés est le law shopping. Il existe une tendance naturelle au sein des Etats

membres à considérer qu’un rattachement souple et une structure favorisant la mobilité des

sociétés sont des facteurs propices au développement de ce phénomène. Cette analyse est en

effet fondée en ce sens qu’une entreprise pouvant facilement se déplacer au sein de l’Union et

choisir l’Etat de son rattachement optera très certainement pour le for dont la loi est la moins

contraignante. Néanmoins, nous apporterons une nuance à ce propos. En effet, celui-ci tiens

dans l’hypothèse d’une mobilité non encadrée textuellement, comme cela est le cas pour

l’instant s’agissant du transfert de siège social en droit international privé. En effet, dans cette

hypothèse, la mobilité apparaît, comme le souligne Maître Jean-Luc Calisti « débridée »410 ou

déréglementée puisqu’elle est essentiellement issue de la jurisprudence de la C.J.C.E. Or, l’un

des desseins de la Societas Europaea est précisément de fournir un cadre légal à celle-ci.

Ainsi, tel qu’on le verra ci-dessous, le statut de cette dernière prévoit-il de façon claire un

rattachement strict, lequel tente de limiter le law shopping et l’effet delaware.

313. Par ailleurs, une des craintes exprimées par les détracteurs de la Société Européenne et

de son éventuel rattachement trop souple est relative au phénomène précédemment évoqué de

la délocalisation. En effet, notamment en France, la crainte de démantèlements des entreprises

au nom de la mobilité et de l’optimisation juridique est sérieusement ressentie411. Ainsi, selon

un sondage réalisé en mai 2005 (soit au moment du référendum rejeté sur le Traité établissant

une Constitution pour l’Europe) démontre que près de 75% des français, ce qui est le chiffre

le plus élevé en Europe, considèrent la globalisation de l’économie comme une menace pour

410 J-L. Calisti, Op. Cit., p. 55. 411 N. Lenoir et M. Menjucq, Op. Cit., p. 62.

202

l’emploi412. Pourtant, les industriels français avaient, à l’origine, appelés de leurs vœux la

création de cette société de droit européen. Naturellement, cette crainte est légitime. Pour

autant, la Societas Europaea peut, notamment parce que son statut contient des règles

protectrices, constituer un rempart ou un pare-feu contre une mondialisation effrénée.

314. Enfin, pour les Etats emprunts de la Sitztheorie, une société ne relevant pas de la loi du

for mais du droit communautaire peut s’avérer déroutant. En effet, plus que le déplacement

d’une société, c’est la souveraineté du pays d’origine qui est remise en cause. Ainsi, les

réticences de l’Allemagne relatives à la co-gestion, notamment, s’inscrivent dans cette

perspective.

315. Dès lors, aux cotés des raisons historiques cœxistent des justifications politiques à la

difficile concrétisation de la Société Européenne, lesquelles concourent à la qualification peu

flatteuse en doctrine d’Arlésienne du droit communautaire. C’est également ces éléments qui,

entre autre, imposent un rattachement strict de cette entité communautaire, lequel peut

sembler paradoxal eu égard aux avancées du droit prétorien évoquées dans nos propos.

II) Le rattachement à priori paradoxal de la Societas Europaea au siège réel exprimé par

l’article 7 du Règlement 2157/2000

316. D’emblée, il est un paradoxe indéniable à souligner: la Société Européenne (S.E), qui

est, pour l’heure, le seul outil de mobilité intracommunautaire dédié aux entreprises, est

soumise pour son rattachement étatique à des conditions plus sévères que n’importe quelle

autre société nationale. En effet, à la lumière de l’article 7-1 du Règlement communautaire

relatif à cette dernière, le texte consacre t-il le siège social réel comme rattachement de

principe, ce qui est en inadéquation totale avec le corpus jurisprudentiel formé par les arrêts

Centros, Überseering et Inspire Art (A). Par conséquent, cette situation a des répercutions sur

le droit applicable à ladite société (B).

412 V.P. Auer, G. Besse et D. Meda, „Offshoring and the internationalization of Employement, a challenge for a

fair globalization, Symposium de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), Annecy 2005,

www.ilo.org/public/english/bureau/inst/download/annecy06.pdf.

203

A) Une situation contradictoire dans l’ordre juridique communautaire entre deux modes de

rattachement distincts s’agissant de la Société Européenne et des sociétés nationales

317. Si la concrétisation du statut de la Société Européenne constitue une véritable surprise

tant les écueils dressés sur sa route furent nombreux, le choix du rattachement opéré par le

législateur est également inhabituel, certes il semble connaître une série de justifications.

1°) Un rattachement surprenant au siège réel

318. Le mode de rattachement de la Société Européenne est surprenant, et ce à double titre.

Rappelons nous, en effet, d’une part que le Traité de Rome de 1957 mentionne, en son article

48, le rattachement alternatif entre le siège statutaire, le siège réel ou le principal

établissement. A ce titre, cette disposition admet implicitement qu’une société puisse donc

appliquer le critère de l’incorporation. Pourtant, au même moment, en droit international

privé, le siège réel semblait jusqu’alors symboliser le critère de localisation du siège par

excellence. D’autre part, c’est sur ce fondement exposé de l’article 48 du Traité que la

C.J.C.E va développer une jurisprudence favorisant le critère du siège statutaire. Aussi, tel

que nous l’avons constaté à travers la trilogie des arrêts Centros, Überseering et Inspire Art,

une tendance de domination du rattachement incorporatiste s’affirme, reléguant le siège réel

au second plan. Ce courant s’est notamment prolongé dans le cadre du droit des fusions

transfrontalières avec l’arrêt Sevic System de décembre 2005, à tel point que certains auteurs

évoquent à ce sujet une domination excessive413.

319. Or, le règlement 2157/2000 rompt brutalement avec l’analyse décrite ci-dessus. A la

surprise générale, peut-on affirmer, le présent texte consacre un mode de rattachement moins

libéral que celui relatif aux sociétés anonymes nationales. Néanmoins, il est, à première vue

possible de douter de cette affirmation dans la mesure où l’article 13 du présent texte affirme

que la Société Européenne doit être immatriculée dans l’Etat membre de son siège

statutaire414. Néanmoins, l’article 7-1 de la norme communautaire du 8 octobre 2001, lequel

traite précisément du siège de la S.E, impose aux associés désirant d’établir sous la forme de

413 Supra, p. 79. 414 J. Béguin et M. Menjucq, Op. Cit., p. 210, n° 546.

204

la Société Européenne de maintenir le siège statutaire et l’administration centrale de la société

dans le même Etat, voire dans un même lieu si la loi de l’Etat concerné l’exige415. Une

précision est à apporter s’agissant de l’administration centrale. Quoique imprécise, celle-ci

équivaut au centre de direction effective de la société, lequel corresponds au critère du siège

réel. Observons cependant qu’une doctrine très minoritaire considère que le règlement

2157/2000 suivrait plutôt la théorie de l’incorporation. Pour cette dernière, l’impact du

mouvement jurisprudentiel Centros, Überseering et Inspire Art est à relativiser car il ne remet

pas en cause la validité de la théorie du siège réel en droit international privé mais se contente

d’assurer la reconnaissance des sociétés crées en conformité avec le droit d’un autre Etat

membre416. Une telle assertion nous paraît contestable sur trois points. D’une part, nous avons

constaté que le critère de l’administration centrale s’avère similaire à celui de la direction

effective de la société, laquelle se rapproche du siège réel. En outre, suivant une interprétation

téléologique, il est légitime de s’interroger sur la nécessité d’introduire dans l’article 7, aux

côtés du siège statutaire un lieu de localisation similaire au premier. Enfin, s’agissant de la

portée de la trilogie jurisprudentielle, si celle-ci ne consacre pas expressément la conception

statutaire, elle ne se borne pas uniquement à affirmer la reconnaissance mutuelle mais

également la dissociation des sièges, ce qui revient à admettre la validité su seul critère

d’incorporation.

320. En définitive, le rattachement contenu dans le texte de 2001 semble dès lors plus

exigeant que celui du siège social statutaire évoqué dans les propos précédents, en ce qu’il ne

confère qu’une très étroite marge de manœuvre aux fondateurs de la S.E. Précisément, les

sociétés ne pourront, dans le cadre de la S.E. pratiquer la pleine optimisation juridique car la

dissociation entre les deux lieux d’implantation, l’un correspondant au lieu d’immatriculation

et l’autre à celui de l’activité économique de l’entreprise, n’est pas permise par le législateur

communautaire. En cas de non respect de cette prescription, ladite société est liquidée. Nous

415 M. Menjucq, « Un modèle de mobilité: la Société Européenne », Cahiers de droit de l’entreprise 2006, n° 2 ,

p. 37. 416 M. Benedettelli et G. Rescio, Op. Cit., p. 276. Ces auteurs expliquent, en effet, que l’opposition entre le siège

statutaire et celui réel est un faux débat. L’incorporation serait retenue dans la mesure, où en cas de manquement

à la règle de distinction entre siège statutaire et administration centrale, l’article 64 du règlement donne

compétence à l’Etat du siège statutaire et non celui de l’administration centrale pour règlementer les

conséquences de la dissociation.

205

l’avouons, cette conception n’est plus en phase avec l’organisation actuelle des sociétés et se

déconnecte totalement de la tendance dominante consacrant le siège statutaire pour les

sociétés de droit national. Une doctrine majoritaire, tel le professeur Michel Menjucq, estime

que ce rattachement s’avère trop sévère eu égard à la spectaculaire avancée réalisée par la

trilogie des arrêts Centros, Überseering et Inspire Art417. Le paradoxe voire la divergence est

donc flagrante : la Societas Europaea, entité conçue pour la mobilité intra communautaire

connaît un rattachement plus sévère que les sociétés de droit interne dont le transfert de siège

est, pour l’instant interdit418. La contradiction émanant du Règlement du 8 octobre 2001 se

situe également en ce qu’un droit précaire car évolutif, la jurisprudence, semble ici plus

protecteur que le hard law. Un auteur, le professeur Véronique Magnier analyse les

répercutions d’une telle divergence : selon cette dernière, le pouvoir d’attractivité de la

Societas Europaea va décroître au profit de la mobilité déréglementée proposée par la C.J.C.E

dans le cadre de la liberté d’établissement des sociétés nationales419. En effet, celle-ci tolère le

law shopping sous réserve de fraude ou d’abus : les sociétés nationales peuvent donc choisir

leur rattachement alors cela est exclu pour les sociétés européennes. L’article 7 du règlement

communautaire est dès lors handicapant et préjudiciable au succès de cette nouvelle entité. Au

mieux, le statut de cette dernière offrira, après modification, les possibilités juridiques déjà

existantes pour les sociétés anonymes. En outre, le développement croissant de la conception

statutaire marginalise et rends inopérante celle du siège réel : c’est pourquoi le choix du

second quant au rattachement de la S.E nous semble inapproprié, en ce qu’il n’anticipe pas

l’avenir du siège social. En outre, la notion même d’administration semble particulièrement

inappropriée et dénuée de sens dans le cadre des fusions transfrontalières dans la mesure où

une telle opération suppose en soi plusieurs lieux de prise de décision.

321. De façon générale, ces propos font écho aux nuances apportées par les professeurs

Auterne, Bosly et Menjucq, quant à la domination du critère d’incorporation en droit

communautaire. De façon globale, il est donc envisageable d’affirmer que si le siège statutaire 417 M. Menjucq, « Premiers pas et premier bilan de la Société Européenne en France », Rev. Sociétés 2007, n° 2,

p. 277. 418 M. Menjucq, « Rattachement de la Société Européenne et jurisprudence communautaire sur la liberté

d’établissement : incompatibilité ou paradoxe ? », Dalloz 2003, n° 42, p. 2876. 419 V. Magnier, « Les Droits des Sociétés dans l’Union européenne : entre concurrence et équivalence »,

Entreprise et Droit Communautaire : quel bilan pour un cinquantenaire ? , PUF 2007, p. 75.

206

semble exercer une influence grandissante depuis une dizaine d’années, le siège réel, que l’on

taxait de moribond, demeure. Il semble même revigoré par l’apport du statut de la S.E. Dès

lors, il émerge un droit communautaire des affaires à deux vitesses, l’un très souple lié aux

sociétés nationales, l’autre plus strict relatif à la Societas Europaea.

Ajoutons également que ce paradoxe d’un rattachement plus strict est toutefois conforme au

droit communautaire, en ce sens que l’article 48 du Traité de Rome n’établit pas de

préférences de lieu d’implantation. Cependant, sur le plan de la technique juridique, il est

souhaitable d’harmoniser ces différents cas afin d’éviter des incohérences voire des blocages,

lesquels se révèleront, in fine, néfastes la compétitivité des entreprises.

322. Par ailleurs, afin de bien appréhender la situation présente, il convient de se focaliser

sur les arguments qui fondent ce rattachement restrictif.

2°) Des raisons évidentes au rattachement paradoxal au siège réel

323. Si le rattachement de la Société Européenne est manifestement plus sévère que celui

relatif aux personnes morales de droit interne, cette constatation d’accompagne de

justifications liées, notamment, aux réticences des Etats membres.

324. En effet, le rattachement strict de la Société Européenne imposant une coïncidence

entre le siège statutaire et le lieu de l’administration, laquelle confine au siège réel a été

souhaité par les Etats craignant une vague massive de délocalisations420. Nous l’avons

observé, cette inquiétude préexistait déjà à la constitution de ladite société. Elle était

notamment exprimée par la France ou l’Allemagne421. De surcroît, cette crainte des

délocalisation s’accentue dans le contexte où les sociétés de droit national bénéficient, dans le

cadre de la jurisprudence de la C.J.C.E, d’une grande liberté de choix d’implantation du siège

social. Si tôt encouragé par le droit prétorien de la Cour, le law shopping engendrerait un

dumping fiscal et social422. Les sociétés ainsi Aussi, le phénomène d’optimisation juridique

toléré par ces arrêts libéraux s’avère néfaste et redoutée par les Etats membres dont la

420 M. Bouloukos, Op. Cit., p. 493. 421 Voir supra, p. 183. 422 N. Lenoir, Op. Cit., p. 85.

207

législation interne n’est pas très attractive. C’est pourquoi, ces derniers ont ardemment milité

pour le maintien du critère du siège réel en qualité de rattachement de la Societas Europaea.

325. Or, pour certains auteurs, il semblerait que les Etats membres rétifs aient, à tort,

assimilés une délocalisation, laquelle existe réellement avec la désindustrialisation d’un

pays423. En effet, la Société Européenne exprime, à première vue, un ancrage communautaire

et met l’accent sur l’importance du commerce entre les vingt-sept pour concurrencer les

entreprises américaines. Un rattachement souple laissant libre cours à l’optimisation juridique,

serait pour ces auteurs, bénéfique car vecteur de compétitivité. Dès lors, le critère du siège

réel constitue, dans une certaine mesure, une entrave. Cette opinion doctrinale n’a pas été

suivie par le législateur européen puisque ce dernier a considéré que le critère de

l’administration centrale était le plus représentatif de l’ancrage communautaire. Certainement,

l’ordre juridique communautaire a-t-il souhaité opérer un rééquilibrage de situation afin de

limiter les effets néfastes d’une suprématie à outrance du siège statutaire. Or, à la lumière de

l’évolution jurisprudentielle fondée sur l’article 48 du Traité de Rome, il apparaît que ce

rattachement a été marginalisé par celui du siège statutaire. Dès lors, loin de son objectif

initial, la Société Européenne immobilise.

326. Par ailleurs, observons que la théorie du siège réel a longtemps été prédominante dans

la majorité des pays continentaux tels la France et l’Allemagne. En effet, il s’agissait de

protéger les associés minoritaires, les créanciers et les tiers : dès lors un rattachement strict

empêchant la personne morale n’éluder ses obligations semblait adéquat. Notons que

l’élaboration du statut moderne de la Societas Europaea remonte également aux années 1970.

C’est donc tout naturellement que les rédacteurs successifs du projet se sont référé au critère

de la Sitztheorie424.

327. En outre, tel qu’il a été sous-entendu dans les propos précédents, le rattachement au

siège réel s’agissant de la Societas Europaea s’est imposé dans un contexte de compromis

politique. En effet, le projet d’instituer une société de droit européen a subi de nombreux

échecs dus notamment à l’écueil de la participation des salariés puisque l’Allemagne et

l’Espagne s’affrontaient à ce sujet. Afin de mettre fin à ces difficultés lors du Traité de Nice,

423 N. Lenoir et M. Menjucq, Op. Cit., p. 63. 424 M. Menjucq, « Un modèle de Société Européenne : la Société Européenne » , Cahiers de Droit de l’Entreprise

2006, n° 2, p. 38.

208

les rédacteurs du Règlement 2157/2000 optèrent donc pour le rattachement au siège réel. Il est

dès lors légitime de s’interroger sur la situation d’incohérence entre le choix de la C.J.C.E et

celui du règlement communautaire. En réalité, la Cour de Luxembourg n’avait pas les soucis

du compromis comme le législateur européen425. Elle pu ainsi encourager et soutenir la

domination de la théorie d’incorporation. Dans le cadre des négociations entre Etats relatives

à la Société Européenne, Bruxelles, dans un soucis de cohérence avec le droit prétorien, a

certainement souhaité imposer le critère du siège statutaire. Or, au nom du consensus, le

législateur européen a du se raviser426.

328. Ces raisons expliquent sans doute le choix de deux rattachements opposés par l’ordre

juridique communautaire, celui-ci consacrant un critère strict s’agissant de la Société

Européenne et un plus souple quant aux sociétés anonymes nationales. Néanmoins, on ne

saurait se satisfaire d’une telle argumentation. Les faits sont éloquents : il est plus aisé de

déplacer une société de droit interne que l’entité dédiée à l’espace communautaire. Au niveau

de l’Union, ce paradoxe donne l’impression d’une incohérence et d’un manque

d’harmonisation auxquels la doctrine et les milieux professionnels des affaires désire, tel que

nous l’aborderons, mettre fin. En outre, ce rattachement suscite une interrogation sur la nature

même de la Societas Europaea.

B) Les interrogations légitimes relatives aux règles applicables à la Société Européenne

329. L’avènement de la Société Européenne a été salué par la doctrine avec une grande

surprise et beaucoup d’engouement. Elle constitue, en effet, la première forme sociétaire de

droit communautaire. Dans les projets initiaux, il était formé le vœux que cette dernière

constitue une société anonyme détachée des droits nationaux des Etats membres et dont la

nationalité427 ne serait qu’européenne. Or, à l’aune du Règlement 2157/2000 consacré près de

quarante ans après, il semble légitime de douter de la réalisation de ce souhait. En effet, à

première vue, la S.E possède les vertus d’une société de droit communautaire en ce qu’elle 425 M. Menjucq, idem. 426 J. Béguin, « Le rattachement de la Société Européenne », sous la dir. K. J. Hopt, M. Menjucq et E.

Wymeersch, La Société Européenne, Coll. Thèmes et Commentaires, Dalloz 2003, p. 37. 427 Voir pour la question de la nationalité des sociétés en général : supra, p. 5- 6.

209

institue, outre la constitution de holding transnationaux, les opérations de transfert de siège

social et de fusion transfrontalières. Ledit texte est également complété par une directive

86/2000, laquelle régit habilement le cas de la participation qui constituait le point épineux

dans les débats. Ces avantages ont conduit un auteur à affirmer que la « Société Européenne

est partout chez elle »428. Pour autant, les règles juridiques lui étant applicables témoignent, au

contraire, d’un rattachement national plus qu’européen puisque outre la consécration du siège

social réel ancrant durablement celle-ci dans l’Etat membre de constitution, le législateur

communautaire opère t-il de nombreux renvois aux droits nationaux.

1°) Le rattachement au siège réel de la Société Européenne ou la cause d’un immobilisme

latent

330. En premier lieu, tel que nous l’avons constaté, l’article 7 du Règlement 2157/2000

impose aux sociétés désirant constituer une S.E une concordance entre leur siège social

statutaire et leur administration centrale. Aussi, comme le souligne fort justement le

professeur Véronique Magnier, les fondateurs d’une telle entité n’ont pas le choix du lieu de

la constitution de celle-ci429. Tel que nous l’avons constaté, le critère du siège réel entraîne

une extrême territorialité de la lex societatis. En effet, cette conception tiens compte de la

situation effective de l’activité de la personne morale visée : elle est donc fluctuante par

essence et maintient un lien très fort entre l’entreprise et l’Etat d’accueil d’origine. En outre,

le rattachement issu de la Sitztheorie allemande est considéré par les auteurs comme statique

et contraire à l’idée de mobilité des sociétés. Pour preuve, il est utilisé par les détracteurs du

law shopping et constitue le critère d’exception dans l’hypothèse d’un siège statutaire fictif,

comme cela a été précisé dans les arrêts Centros et Inspire Art. C’est cette mobilité limitée qui

freine notamment le développement de la Société Européenne, dans la mesure où la doctrine

admet que « les Etats qui imposeraient aux S.E. d’avoir leur siège social au même endroit que

leur administration centrale se verront ignorés par les grandes restructurations à venir »430.

428 M.A. Frison- Roche, « La Société Européenne », Dalloz 2001, p. 290. 429 V. Magnier, Chron. Droit Européen des Sociétés, 430 J.L. Colombani et M. Favero, Op. Cit., p. 66, n° 234.

210

Notons que le rapport final du groupe d’experts en droit des sociétés du 4 novembre 2002

affirme notamment que « l’application systématique de la théorie du siège effectif peut avoir

un effet paralysant » et se révéler disproportionné eu égard aux objectifs du Traité de

Rome431. En ce sens, le rattachement strict de la S.E. ne nous semble pas approprié.

2°) Une société au corps de règles applicables à coloration nationale et non communautaire

331. Outre les dispositions relatives au rattachement de la Société Européenne, le règlement

2157/2000 prévoit-il un socle de règles lui étant applicables. Force est de constater, selon

Monsieur Jean-Pierre Brouillaud, que ce dernier fait « douter de [son] véritable caractère

européen »432. Sur ce point, le Règlement, complexe, mérite quelques explications.

Précisément, le droit applicable à la Societas Europaea est composé de trois strates décrites à

l’article 9-1 et dont le but est, par un ensemble hiérarchisé, d’éviter les conflits de loi.

Ce dernier dispose en effet que les S.E sont régies par « a) Les dispositions du Règlement, b)

Lorsque le Règlement l’autorise expressément, par les dispositions des statuts de la S.E .»

Ceci constitue le premier pan de la lex societatis de la Société Européenne. Ainsi, selon le a)

de l’article précité, on peut penser que le rattachement sera communautaire dans le sens où la

règle issue du règlement constitue la disposition la plus importante dans la pyramide des

normes de la Societas Europaea. Précisons notamment que le principe communautaire de

subsidiarité de l’article 5 du Traité est ici inversé : généralement, la règle européenne

s’applique à défaut de norme nationale plus performante. Or, dans le cas présent, le droit

national intervient pour compléter, si besoin est, le Règlement 2157/2000433. Aussi,

l’expression consacrée par Madame Marie-Anne Frison-Roche peut, de prime abord, sembler

adéquate434. Or, dès la suite, ces espoirs s’amenuisent. En effet, le point b) du texte effectue t-

il un premier renvoi, celui-ci au statuts de ladite société. En soi, cela ne constitue pas un point

négatif car cette disposition affirme une certaine liberté statutaire des associés et semble dès

lors en harmonie avec l’ensemble jurisprudentiel relatif à la liberté d’établissement qui 431 Voir www.http://ec.europa.eu/internal_market/company:docs/modern/report_fr.pdf, p. 118. 432 J-P. Brouillaud, Op. Cit., p. 39. 433 G. Blanc, « La Société Européenne : la pluralité de rattachements », Dalloz 2002, p. 1052. 434 Supra, p. 190.

211

institue une véritable conception contractualiste de la société fondée sur le libre choix

d’implantation du siège de la personne morale. En réalité, le rattachement européen perd en

partie de sons sens avec le point c) de l’article 9-1 du texte, lequel affirme que « pour les

matières non réglées par le présent règlement ou, lorsqu’une matière l’est partiellement, pour

les aspects non couverts par le présent règlement », il appartient à la société d’appliquer les

dispositions nationales de son lieu d’implantation. Précisément, le législateur effectue un

double renvoi, d’une part aux lois que va se donner chaque Etat membre pour régir

spécifiquement les S.E, d’autre part vers celles existant déjà relatives aux sociétés anonymes.

332. En témoigne notamment l’article 10 du texte, lequel précise que « sous réserve des

dispositions du règlement, une S.E est traitée comme une société anonyme constituée selon le

droit de l’Etat membre dans lequel elle a son siège statutaire. » Par conséquent, à la l’aune de

ces dispositions, on conçoit aisément que le législateur communautaire opère des renvois

impératifs et hiérarchisés : bien fréquemment la Societas Europaea sera donc traitée comme

une société anonyme constituée conformément à la législation de l’Etat membre dans lequel

elle aura son siège. Outre sa complexité, le statut de ladite société a pour effet, selon le

professeur Véronique Magnier, de lui faire perdre son identité communautaire 435. Ainsi,

d’une personne morale à vocation européenne entraînant dans son sillage les Etats membres,

glisse t-on de façon latente vers une entité dotée d’un rayonnement très local. Il est peu dire

que la situation actuelle contraste avec les souhaits formulés par le groupe de travail Sanders à

l’origine. Cette assertion est corroborée par le fait qu’outre les dispositions relatives au

rattachement, il est de nombreux domaines, « oubliés » par le Règlement, selon l’expression

de Monsieur Jean-Pierre Brouillaud, et qui ont donc vocation à être régis par le droit national

de l’Etat dans lequel la S.E a son siège statutaire. De manière non exhaustive, nous citerons, à

titre illustratif, les règles de protection des actionnaires minoritaires dans l’hypothèse d’un

transfert de siège social (article 8-5 du texte) ou les règles relatives au capital436. De même et

435 V. Magnier, « Les droits des sociétés dans l’Union européenne : entre concurrence et équivalence »,

Entreprise et Droit communautaire : quel bilan pour un cinquantenaire ?, PUF 2007, p. 167 et ss. L’auteur,

s’interrogeant sur la hiérarchie des règles émanant du Règlement 2157/2000 doute en effet du caractère

communautaire de la Societas Europaea 436 S’agissant des règles relatives au capital social de la S.E., le Règlement impose, en son article 4, un seuil

minimum de 120 000 Euros. En revanche, l’article 4-3 du texte dispose que le droit des Etats membres peut

212

malgré l’avènement du Règlement 1346/2000 relatif aux procédures d’insolvabilité

communautaires, l’article 63 prévoit que le droit des entreprises en difficulté demeure

gouverné par le droit interne. De surcroît, et cette lacune a valu les railleries de nombreux

auteurs, la présente norme est très lacunaire au niveau fiscal, à tel point que l’on qualifie la

S.E. de « Titanic fiscal »437. En effet, aucun aménagement n’a été prévu par le législateur

communautaire dans cette matière bien que celle-ci soit d’importance essentielle pour les

entreprises. Là encore, il s’agira de s’en remettre aux dispositions fiscales de l’Etat du siège

de la personne morale. Aussi, dans des domaines dits sensibles, le règlement communautaire

se borne à opérer des renvois au législations nationales. Pour une société à vocation

communautaire, une telle orientation nous semble curieuse et n’est pas exempte de

conséquences, les une indirectes, les autres directes.

333. D’une part, rappelons nous que la discorde relative au rattachement de la Societas

Europaea portait notamment sur la crainte du law shopping intra communautaire et de la mise

en concurrence des droits nationaux en découlant. Cette potentialité de difficulté a notamment

été l’un des arguments pour retenir le critère du siège réel comme rattachement de la Société

Européenne. Or, force est de constater que, indirectement, c’est l’effet inverse qui risque de se

produire. Un renvoi quasi systématique aux dispositions de droit interne engendre une

nouvelle mise en concurrence des lois nationales intéressant le droit des sociétés438. Pis

encore, il n’est pas inenvisageable que les Etats membres procèdent, pour ce faire, à une

course à la disposition la moins contraignante, telle que décrite antérieurement439. Eu égard

aux réticences allemandes manifestées dans le volet social de la S.E, nous doutons que ce

phénomène eut été recherché par les rédacteurs du texte.

334. Par ailleurs, il convient d’analyser le statut de la Société à la lumière des dispositions

du Traité de Rome relatives à la liberté d’établissement. Ce dernier, en son article 48, prohibe

les discriminations et les entraves à ce principe s’agissant des personnes morales. Or, de

manière indirecte également, le rattachement complexe de la Société Européenne ne constitue

prévoir un montant plus élevé. En effet, en Droit français, le Code de commerce impose un capital minimum de

225 000 pour les sociétés anonymes faisant appel public à l’épargne. 437 T. Schimitt, « Les aspects fiscaux de la Société Européenne », Les Petites Affiches 16 avr. 2002, p. 31. 438 Voir sur ce point : V. Magnier, Op. Cit., p. 76. 439 Supra, p. 153-154.

213

t-il dans une certaine mesure une entrave aux prescriptions de la disposition communautaire

précitée ? En effet, comme le souligne Maître Sabine Ebert, « le statut de réglementation très

hétérogène de la S.E rendra plus difficile l’exercice du droit de liberté d’établissement des

sociétés au sein du territoire communautaire. »440 Dès lors, aussi surprenant et incongru que

cela puisse paraître, le statut de la Societas Europaea, à travers notamment le fréquent renvoi

au droit des Etats membres peut constituer le moyen d’un dévoiement de la liberté

d’établissement. En effet, la superposition, en trois niveaux, de règles relatives à la Société

Européenne est complexe et ne brille pas par sa clarté. Outre le fait que cette pluralité de

rattachements constitue, selon le professeur Hervé Synvet une source de difficultés résultant

« d’éventuelles disharmonies techniques »441, un tel mécanisme est perçu comme un frein

pour les entreprises désirant opérer sur un marché plus vaste que leur simple territoire. Le

siège réel devient dès lors l’instrument de cette entreprise puisqu’il est celui est le critère

d’excellence pour favorise un rattachement local et non l’un global. De surcroît, si l’on

pousse cette analyse à son paroxysme, les Etats membres réfractaires à une trop grande

mobilité des sociétés dans le cadre de la S.E. durciront volontairement leur législation afin de

rendre plus difficiles les conditions d’établissement. Hors la Societas Europaea, la

jurisprudence de la C.J.C.E sanctionne de telles pratiques, notamment dans les arrêts Centros,

Überseering et Inspire Art. Au contraire, aucune disposition ne prévoit ce cas s’agissant de la

S.E. A l’inverse, ceux désirant accueillir des sociétés ressortissantes de l’Union vont rendre

leur législation particulièrement attrayante et souple. Au regard de la volonté d’intégration

fondant la construction européenne, cela n’est peut être pas opportun.

335. Observons également qu’un tel ensemble de règles est incohérent avec l’esprit

d’harmonisation dont est mu le droit communautaire. En effet, loin de former un corps de

règles homogènes et unifiées, le risque induit par les dispositions du Règlement 2157/2000 est

celui d’aboutir à un maintien des particularismes nationaux. En effet, le présent texte laisse

trop fréquemment le soin aux Etats membres de prévoir des dispositions applicables aux S.E,

et ce dans des domaines essentiels, tel la protection des associés minoritaires ou encore la

440 S. Ebert, « La société anonyme européenne sur le level playing field de la communauté », Les Petites

Affiches 1er déc. 2005, n° 239, p. 7. 441 Cité par G. Blanc, Op. Cit., p. 1057.

214

fiscalité. De ce fait, les Etats membres sont tentés de renforcer leurs particularisme législatifs

nationaux.

336. Enfin, s’agissant toujours de la coloration locale des règles applicables à la Societas

Europaea, cette dernière suscite en réalité une interrogation dont la doctrine s’est fait l’écho.

Légitimement, il est permis de douter de la nationalité européenne de ladite entité. Rappelons

nous qu’en 1970, la proposition de règlement relatif à celle-ci recommandait que son statut

soit non seulement détaché des droits nationaux mais également « soustrait à leur application

pour toutes les matières que le statut régit, même sur les points qu’il ne règle pas

expressément. »442 En effet, l’objectif des instigateurs du projet était de créer, une véritable

société de droit communautaire échappant à un rattachement national avec un siège social

délocalisé et à la « mesure du grand marché unique »443. Or, les échecs répétés des travaux ont

eu raison de cette volonté novatrice. Aussi, à la lumière des dispositions du Règlement

2157/2000 régissant la Société Européenne dans sa version aboutie du 8 octobre 2001, le

caractère européen de celle-ci n’est plus une évidence. Au contraire, les multiples renvois aux

dispositions nationales sont les prémices de l’échec de cet objectif. D’un droit communautaire

glisse t-on vers un ensemble de vingt sept droits nationaux distincts emprunts, dans une

certaine mesure, des principes du premier. Dès lors, la S.E ne peut avoir stricto sensu la

nationalité européenne. C’est d’ailleurs ce que confirme implicitement le texte du 8 octobre

2001, en ce qu’il ne mentionne aucunement ce caractère. Cette assertion est corroborée par

l’article 12-1 du Règlement 2157/2000, lequel affirme que « Toute S.E. est immatriculée dans

son Etat membre de son siège statutaire dans un registre désigné par la législation de cet Etat

membre. » En d’autres termes, l’immatriculation de la Societas Europaea ne dépends que des

Etats membres. Pour le symbole, il eut été plus opportun de créer une procédure particulière

faisant ressortir le caractère communautaire de ladite entité. Dès lors, la S.E ne serait plus

qu’une « société anonyme nationale de type communautaire », selon le professeur Michel

442 Cité par J. Boucourechliev, Op. Cit., p. 41. 443 M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, Op. Cit., p. 575, n° 1316.

215

Menjucq444. Un auteur, déplore cette situation et qualifie non sans ironie, ladite entité de

« société approximativement européenne.»445

337. Quant à la définition du siège social à proprement parler par le législateur

communautaire, il est à préciser que les différents renvois au droit interne des Etats membres

mentionnent le siège statutaire. En témoigne notamment l’article 12-1 du règlement précité

relatif à l’immatriculation de la S.E. A première vue, il ne serait pas impossible d’imaginer

qu’il s’agit d’une réminiscence de la théorie de l’incorporation défendue par la Cour de

Luxembourg dans ses arrêts relatifs à la liberté d’établissement. De ce fait, une cohérence

serait rétablie entre le droit de la Société Européenne et celui des sociétés anonymes évoluant

sur le marché européen. Pour autant, il est entendu que le siège statutaire est, selon l’article 7

du même texte, un terme générique désignant le lieu d’immatriculation de la société mais

auquel il est associé le critère de l’administration centrale, c'est-à-dire le centre de décision

effective de la société. Ainsi, le rattachement proposé par le législateur communautaire, quant

aux domaines de compétences réservés des Etats membres, demeure celui du siège réel. C’est

donc de façon générale que l’ordre juridique communautaire affirme le rattachement à cette

dernière conception. Dès lors, eu égard au développement accru de la conception statutaire, il

s’exprime, dans le statut de la S.E, une volonté de rééquilibrage en faveur du siège

traditionnel, certainement par soucis de consensus avec les Etats hostiles de prime abord à

l’idée de promouvoir une société de droit européen dotée d’une forte capacité de mobilité.

Cependant, la Société Européenne n’est pas l’unique instrument juridique communautaire

favorisant le rattachement au siège réel. En effet, dans une moindre mesure, il en va de même

pour la Société Coopérative Européenne et le Groupement Européen d’Intérêt Economique

(ci-après GEIE). Aussi, l’ordre juridique communautaire marque t-il une cohérence de critère

s’agissant des différentes formes sociales proposées.

444 M. Menjucq, Droit International et Européen des Sociétés, Coll. Domat Droit Privé, Montchrestien 2001, p.

127, n° 97. 445 J-P. Brouillaud, Op. Cit., p. 39.

216

C) Un rattachement au siège réel également présent dans le cadre de la Société Coopérative

Européenne et du Groupement Européen d’Intérêt Economique

338. Si la Société Européenne est l’exemple patent du choix actuel du législateur

communautaire du rattachement au siège réel, le cas n’apparaît pas isolé. En effet, il existe

deux autres structures dépassant les frontières des vingt sept Etats membres, l’une récente

dénommée la Société Coopérative Européenne, l’autre plus ancienne, le Groupement

Européen d’Intérêt Economique. Toutes deux retiennent en effet la conception de la

Sitztheorie.

1°) La Société Coopérative Européenne influencée par le rattachement au siège réel de la

Societas Europaea

339. Fort de la consécration de la Société Européenne le 8 octobre 2001, le Conseil a

adopté le Règlement 1435/2003 le 22 juillet 2003 créant la Société Coopérative Européenne

(ci-après SEC). Ce dernier texte a été récemment assorti, par la loi du 30 janvier 2008, par la

mise en œuvre en droit français des dispositions communautaires relatives au statut de la

SCE. En réalité, trois précédentes tentatives en ce sens avaient échouées446, preuve si il en est

que la construction du droit communautaire se réalise encore relativement lentement. Le

besoin d’une telle entité était, en effet, réel car d’une part les coopératives occupent une place

non négligeable dans l’économie moderne et d’autre part elles sont présentes dans la quasi-

totalité des pays européens447. Cette entité nouvellement consacrée par l’ordre juridique

communautaire se définit comme une société dotée de la personnalité morale et dont le capital

souscrit par ses membres est divisé en parts. Dans une logique différente de celle de la S.E.,

446 K. Rodriguez, « La Société Coopérative Européenne : tenants et aboutissants », Dalloz 2004, n° 17, p. 1219.

L’auteur constate, en effet, qu’entre 1991 et 1993 trois propositions de règlement relatives à la Société

Coopérative Européenne virent le jour mais n’aboutirent pas en raison du désaccord sur l’implication des

salariés. 447 G. Damy, « Les Groupements d’affaires européens : une évolution décisive pour le XXIe siècle », Doctrine

Droit des sociétés, Les Petites Affiches 2 janvier 2006, n° 1, p. 11.

217

son objet est la satisfaction des besoins ou le développement des activités économiques et

sociales de ses membres, notamment par la conclusion d’accord avec ces derniers.

340. Mentionnons qu’elle connaît, à l’instar de la Société Européenne, des modes de

constitution distincts. Ceux-ci sont au nombre de cinq, selon l’article 2-1 dudit règlement448.

D’une part, la SCE peut être crée par au moins cinq personnes physiques résidant dans au

moins deux Etats membres. D’autre part, cette faculté est également prévue pour au moins

cinq personnes physiques et morales relevant d’au moins deux Etats membres ou par des

personnes morales relevant d’au moins deux Etats membres différents. Egalement, la SCE se

constitue par fusion de deux coopératives relevants d’Etats différents de l’Union. Enfin, la

Société Coopérative Européenne peut résulter de la transformation d’une société coopérative

disposant d’un établissement ou d’une filiale dans un autre Etat membre. Rappelons

également que le capital social minimum exigé est de 30 000 Euros : le législateur

communautaire a très certainement tenu compte des critiques de la doctrine liées au montant

trop élevé du montant minimum pour la S.E, soit 180 000 Euros. En effet, les dispositions en

la matière rendaient cette dernière relativement inaccessible aux sociétés d’une taille

raisonnable.

341. Calquée sur la Société Européenne, la SCE connaît un régime de participation des

salariés. En effet, au sein de cette entité, le Groupe Spécial de Négociation, lequel a été

abordé précédemment, mène les négociation relatives à l’implication des travailleurs de

concert avec les dirigeants.

342. Surtout, des similitudes entre ladite entité et la Societas Europaea s’observent

s’agissant du rattachement. En effet, en son article 2-1 à portée générale, le Règlement

1435/2003 impose une coïncidence entre le siège statutaire de la SCE et son administration

centrale dans les hypothèses de constitution par fusion et par transformation449. Aussi, si les

conditions d’accès à la SCE, notamment en terme de capital social sembles plus favorables

aux fondateurs, la conception du lieu d’implantation de ladite société demeure rigide. En

effet, tel que cela a été observé antérieurement, la combinaison des deux critères conduit

irrémédiablement à l’application du siège réel, lequel est le rattachement de principe de la

448 Voir notamment sur ce point : A. Decocq et G. Decocq, Op. Cit., p. 122, n° 130. 449 M. Parmentier, « Droit Communautaire des Sociétés : quelles nouveautés », Lexbase Hebdo 18 sept. 2003,

Ed. Affaires, www.4lexabase/fr/lexbase/SilverStream/Pages/Ibshownews.html/NEWSNUM=8766.

218

S.E. Dès lors, il convient de s’interroger sur la capacité de la Société Coopérative Européenne

à se mouvoir à l’intérieur de l’Union. Cette coïncidence a d’ailleurs été consacrée par la loi du

30 janvier 2008 précitée quant à la mise en œuvre, en droit français, du statut de la SCE et de

l’implication des salariés450. En ce sens, l’article L 439- 15 du Code du travail affirme que

ladite entité doit avoir son siège statutaire et son administration centrale dans le même Etat

membre. Cette dernière disposition reprends ainsi à la lettre les critères stricts du règlement.

343. De surcroît, à l’instar du texte de 2001, le présent règlement renvoie t-il fréquemment

aux dispositions de droit interne soit relatives aux SCE ou aux société anonymes classiques.

En témoigne notamment les domaines non abordés par le texte tels la fiscalité ou encore le

droit de la concurrence. Egalement, le règlement opère t-il un renvoi aux statuts de la SCE451.

Si le rattachement de cette dernière nous apparaît strict et contraignant car lié à l’Etat de

réalisation effective de son activité, le règlement prévoit que la Société Coopérative

Européenne puisse transférer son siège social. Cette possibilité nous semble positive dans la

mesure où elle favorise les regroupements de moyens intra communautaires en tenant compte

de l’échelle européenne de l’ économie. Néanmoins, du fait du rattachement handicapant

évoqué ci-dessus, cette faculté se retrouve, d’après nous, en partie vidée de sa substance,

d’autant plus que le domaine du règlement demeure très limité452.

344. Aussi, partageant le sort de sa prédécesseur la Société Européenne, la SCE se trouve

confrontée à un paradoxe : cette structure, fondamentalement animée par un esprit de

mobilité, demeure statique dans la mesure où son rattachement contraignant au siège réel

l’immobilise. Une telle situation ne nous semble pas conforme à l’esprit actuel du droit

communautaire, notamment prétorien, lequel retient une conception très souple du lien

unissant la société avec son lieu d’implantation. Rappelons, en effet, que l’adoption du

Règlement 1435/2003 se trouve intercalée dans le temps entre les arrêts Überseering de

novembre 2002 et Inspire Art de septembre 2003. Le législateur communautaire ne pouvait,

450 A. Lecourt, « Adaptation du droit des sociétés au droit communautaire », Bull. Joly. Sociétés 2008, n° 3, p.

173. 451 K. Rodriguez, Op. Cit., p. 1221. 452 Voir sur ce point : G. Parleani, « Le Règlement relatif à la société coopérative européenne et la subtile

articulation du droit communautaire et des droits nationaux », Le Droit des Sociétés pour 2005, Coll. Dossiers,

Dalloz 2005, p. 850.

219

dès lors, ignorer le sens probable de l’évolution de la notion du siège social telle qu’abordée

par les juges de la C.J.C.E.

345. En revanche, ce qui pu animer les instigateurs du présent texte est peut être la lutte

contre le law shopping car ce phénomène qui se développe dans l’ordre juridique

communautaire est très fortement associé au siège statutaire. Or, retenir le critère du siège réel

combiné à une technique de renvois aux droits des Etats membres, accentue encore cette

tendance. Il risque, en effet, d’aboutir à un law shopping, en ce sens que les personnes

morales choisiront leur lieu d’établissement en considération de la loi interne la moins

contraignante453. Non néfaste par essence, ce phénomène peut, à l’extrême, engendrer une

course vers le bas des législations, ce qui s’avère contestable. En effet, le fait de « brader » un

ensemble normatif ne va pas dans le sens d’une harmonisation communautaire mais laisse

subsister un agrégat de législations se concurrençant au mépris de la protection de certains.

Aussi, bien qu’il puisse consister en un rétablissement d’équilibre avec la domination

éclatante du siège statutaire, le rattachement au siège réel s’agissant de la SCE nous semble

particulièrement inopportun.

2°) Le rattachement au siège réel du Groupement Européen d’Intérêt Economique

346. Le Règlement 2137/ 85 du Conseil des Communautés européennes du 25 juillet

1985454 a institué le Groupement Européen d’Intérêt Economique (ci-après GEIE). Inspiré par

l’exemple français du Groupement d’Intérêt Economique (GIE)455, celui-ci a été conçu à

défaut d’aboutissement de la Société Européenne. Néanmoins, il diffère de cette dernière en

ce sens qu’il est destiné à des entités économiques plus restreintes en taille et dont l’objectif

n’est pas particulièrement les restructurations du droit communautaire456. Il était, avant que le

Traité de Nice de 2000 ne crée la Société Européenne, le seul instrument de coopération

transfrontalière entre entreprises de pays membres. Le but du GEIE consiste à favorise

l’adaptation des activités des entreprises des Etats membres au cadre communautaire. Il est un 453 Voir notamment sur ce point : J. Béguin et M. Menjucq, Op. Cit., p. 227, n° 611. 454 Règlement du Conseil 2137/ 85 du 25 juillet 1985, JOCE, n° L. 199, 31 juillet 1985, p. 1. 455 C. Gavalda et G. Parleani, Op. Cit., p. 169, n° 237. 456 J. Shapira, G. Le Tallec, J-B. Blaise, L. Idot, Op. Cit., p. 669.

220

instrument neutre et souple car non régi principalement par le droit d’un Etat membre. Ainsi,

le règlement laisse une grande liberté contractuelle aux membres pour aménager leurs

rapports ainsi que le fonctionnement du groupement. Notamment, ledit groupement peut

constituer le cadre juridique de joint-ventures européens. Néanmoins, le GEIE offre un cadre

limité d’intervention par son objet: l’article 3 du Règlement de 1985 affirme, en effet, que son

but est de faciliter ou de développer l’activité économique de ses membres. Les bénéfices

réalisés par le groupement ne peuvent être appropriés par lui, mais uniquement par ses

membres. Aussi la présente entité n’est pas une structure d’intégration, telle une société, mais

de coopération. Le GEIE ne comble dès lors que partiellement l’absence de véritable société

trans-européenne. Dès lors on conçoit aisément que la réalisation de la Société Européenne

eut été indispensable. Cependant, il fut la première structure à envisager le transfert du siège

puisque le Règlement 2137/85 en son article 13 prévoit que « le siège du groupement peut

être transféré à l’intérieur de la Communauté ». Un changement de loi applicable aura lieu si

le transfert est réalisé dans un autre Etat membre. Cette décision doit être prise à l’unanimité

par les associés des sociétés composant le GEIE.

347. Quant au rattachement du groupement, celui-ci apparaît en termes plus complexes que

la SCE ou la S.E. En effet, il est tout d’abord précisé que le Groupement Européen d’Intérêt

Economique doit être constitué au minimum par deux membres ayant leur siège dans des

Etats membres différents457. Aussi, cette structure semble t-elle adaptée à la mobilité des

sociétés et à une dissociation des sièges. A première vue, le GEIE pourrait donc constituer un

terrain d’application de la conception du siège statutaire. En réalité, tel n’est pas le cas

puisque l’article 12 précise que le siège de cette entité est situé au lieu de l’administration

centrale du groupement ou de l’un de ses membres. Egalement, le groupement peut être

localisé au lieu de son activité principale et réelle. Aussi, le système de rattachement demeure

fondé sur la Sitztheorie. En effet, la mention d’activité réelle et de l’administration centrale

font apparaître clairement la préférence du législateur communautaire pour le siège réel. Cela

est d’ailleurs fort compréhensible puisqu’en 1985, c’est bien ce dernier qui domine la scène

juridique en droit international privé des sociétés. En effet, quelques années après, intervient

l’arrêt Daily Mail458, lequel refuse le transfert de siège social à une société au nom notamment

457 C. Nourissat, Op. Cit., p. 136, n° 180. 458 Voir supra, p. 51.

221

de la conception réaliste du siège. Dès lors, la problématique est identique à celle de la

Société Européenne est de la Société Coopérative Européenne. Il existe une inadéquation

entre le choix de son rattachement à coloration locale et sa vocation européenne.

348. Ainsi, tel que nous l’avons observé, l’ordre juridique communautaire laisse entrevoir

un paradoxe flagrant entre la volonté de créer des instruments juridiques dédiés à la mobilité

des entreprises et la réalité d’un rattachement contraignant. De façon salutaire, la Societas

Europaea consacre t-elle le transfert de siège social ainsi que les fusions transfrontalières. Eu

égard à l’évolution jurisprudentielle initiée par l’arrêt Centros et poursuivie par les espèces

précitées, il eut été logique que les normes successives s’alignent sur la conception majoritaire

du siège statutaire. Or, tel n’est pas le cas. En effet, à l’issue des différents textes évoqués, la

conception du siège qui l’emporte est celle du siège réel. Ce décalage, observé tant au travers

de la Société Européenne, de la Société Coopérative Européenne mais aussi du Groupement

Européen d’Intérêt Economique, témoigne d’une farouche résistance à la domination du siège

statutaire. Une telle réticence s’explique notamment par la crainte éprouvée par les Etats

membres d’un law shopping non maîtrisé. Ces derniers ont alors envisagé de consacrer la

Sitztheorie afin d’enrayer ce phénomène. Or, d’une mobilité ardemment souhaitée à l’origine

a-t-on glissé vers un immobilisme préjudiciable à l’heure de la mondialisation de l’économie

et des échanges. C’est pourquoi, hors le cas du GEIE, ces entités de droit communautaire

n’ont pas rencontré le succès escompté. En effet, il apparaît clairement que les associés

désirant opérer hors de leurs frontières privilégieront la voie d’accès jurisprudentielle à la

mobilité, c'est-à-dire par le biais de sociétés anonymes nationales. En effet, tel que cela a été

constaté, celles-ci offrent un statut plus avantageux que les personnes morales de droit

communautaire. Si les freins ou gardes fous opposés à l’encontre d’un effet Delaware poussé

à son paroxysme nous semblent légitimes, il eut été préférable de ne pas directement porter

atteinte au rattachement du siège statutaire mais plutôt de renforcer les exceptions en faveur

du siège réel fondées sur des situations abusives ou frauduleuses. En outre, instituer un

rattachement réaliste induit une coloration locale au droit applicable à la Société Européenne

alors même que celle-ci a vocation à dépasser les frontières. Cette sphère d’intervention

étriquée ne semble pas convenir aux objectifs assignés, à l’origine, par les pères fondateurs de

ladite entité. Dès lors, observe t-on l’émergence d’un droit communautaire à deux vitesses,

l’un consacrant, au nom de la liberté d’établissement et de la mobilité des entreprises, le

222

critère dominant du siège statutaire, l’autre privilégiant une conception destinée à enrayer le

phénomène du law shopping. Or, il nous semble que ces deux tendances sont excessives en ce

sens qu’elles s’opposent trop radicalement et ne laissent que très peu de recoupements entre

les situations. Parallèlement, en droit international privé, les exceptions connaissent une

portée restreinte, laquelle paraît encore plus affaiblie par le droit communautaire (chapitre 2).

Chapitre 2 : Les exceptions de protection au siège statutaire à faible

portée juridique en droit international privé et communautaire ou la

tentative de rééquilibrage opérée au profit du siège réel

349. Si la conception statutaire du siège provient de fondements tels la liberté

d’établissement ou encore la volonté de mobilité des sociétés, il en va de même s’agissant du

rattachement au siège réel. Le droit international privé, traditionnellement orienté vers cette

dernière tendance, fait apparaître une série de fondements permettant de retenir cette dernière.

Pour autant, l’ordre juridique communautaire amenuise t-il, par l’apport de ses jurisprudences

récentes, la portée de celles-ci (section I). Par ailleurs, parmi les exceptions permettant de

retenir le critère dérivé de la Sitztheorie, l’une semble surclasser les autres : il s’agit de la

notion de fraude, laquelle n’est pas pour autant définie précisément. Dès lors, s’engouffrant

dans la brèche, le droit communautaire, en ses arrêts Centros, Überseering et Inspire Art,

réduit également son influence à une portion congrue (section II).

Section I : Les moyens juridiques existants mais restreints des lois de police et

de fictivité du siège

350. Classiquement, confronté aux deux systèmes de rattachement, le droit international

privé favorise la définition rigide du siège social. Pour ce faire, il a recours à diverses

exceptions permettant d’aboutir à l’application du siège réel, lesquels sont constitués par les

lois de police et la fictivité du siège. Or, force est de constater que suite à l’évolution

jurisprudentielle réalisée par la C.J.C.E., ces fondements agissant tels des remparts contre la

223

domination du siège statutaire sont progressivement devenus inefficients. (I). Surtout, l’ordre

juridique international puis communautaire utilisaient, afin d’écarter le rattachement à ce

dernier, la notion de fraude, laquelle, dans une situation voisine aux exceptions mentionnées

ci-dessus s’est retrouvée progressivement vidée de son contenu en devenant une notion suis-

generis par l’intervention de la Cour en ce sens (II).

I) La définition réelle du siège social par le biais de fondements devenus inefficients depuis

l’intervention de la C.J.C.E.

351. A l’origine, le droit international privilégiant la théorie du siège réel, se base sur des

arguments militant en faveur de celui-ci et écartant toute interaction avec le siège statutaire

dans des hypothèses précises et regroupées autour des notions de lois de police (A) ainsi que

de fictivité du siège (B).

A) Le recours au siège réel opportunément fondé par l’application des lois de police

352. Si l’application des lois de police justifie le fait de définir le siège social comme siège

réel, cette notion mérite des précisions quant à ses contours et sa localisation textuelle et

jurisprudentielle s’agissant du siège social.

1°) Essai de définition des lois de police

353. Il est un trait essentiel du droit international privé. Celui-ci est fortement marqué,

notamment grâce aux travaux de Savigny, par le conflit de loi, ce dernier consistant en la

confrontation entre la loi étrangère et celle du for. Or, il est des cas ou la première ayant

vocation à s’appliquer selon la méthode conflictuelle, c’est pourtant la seconde qui s’impose

pour des raisons impérieuses. Tel est notamment le cas des lois de police.

354. L’expression provient notamment de l’article 3 alinéa 1er du Code civil, lequel dispose

que « Les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire » sans autre

224

précision. Egalement présente dans le Code de commerce, la notion est liée au siège social de

la société à l’article L 210-3. En effet, selon les termes de cette disposition, « Les sociétés

dont le siège social est situé en France sont soumises à la loi française. Les tiers peuvent se

prévaloir du siège statutaire, mais celui-ci ne leur est pas opposable par la société, si son siège

réel est situé en un autre lieu ». En d’autres termes, la loi de police relative au siège permet de

retenir le critère issu de la Sitztheorie en cas de dissociation entre ce dernier et le siège

d’incorporation. En réalité, l’éclosion de ce phénomène est récente puisqu’elle est liée à

l’intervention croissante de l’Etat en droit privé interne. Aussi, ledit concept nous semble flou.

Si d’emblée, il apparaît qu’il « n’existe pas de réels critères indiscutables à même de

permettre de dire que telle ou telle disposition nationale est ou non une loi de police dans

l’ordre international » selon le professeur Cyril Nourissat459, une tentative de clarification de

la notion peut se révéler nécessaire afin de déterminer sa capacité d’intervention dans

l’appréhension par le droit du siège social.

355. Si la notion de loi de police demeure quelque peu imprécise, d’après certains auteurs,

tels le professeur Pierre Mayer460, elle serait proche de celle d’ordre public international,

lequel a pour fonction d’assurer la sauvegarde de certaines politiques législatives. Pour

d’autres, elle en serait très éloignée. Cependant, l’objectif assigné à cette norme est certain.

Selon le professeur Bernard Audit, la loi de police traduit ainsi le fait que l’autorité saisie

considère que les intérêts dont elle a connaissance sont trop étroitement liés à sa loi pour que

cette dernière soit écartée par le jeu normal du conflit de loi461. Un autre auteur, Francescakis

précise que ce type de disposition dérogatoire au jeu du conflit de loi est nécessaire pour la

sauvegarde de l’organisation politique, sociale ou économique du pays. Elle peut, dès lors,

constituer une limite à la lex societatis applicable à la société. La loi de police détermine son

champs d’application sans prendre en considération l’éventuelle application d’une autre loi

étrangère car elle a priorité sur ces dernières. Se manifestant dans deux hypothèses

distinctes462, cette notion appartient à la catégorie des lois d’application immédiate463 et 459 C. Nourissat, « Retour sur les lois de police en matière de contrats internationaux », Rev. Lamy Droit des

Affaires 2006, n° 10, p. 69. 460 P. Mayer, Les lois de police étrangères, JDI (Clunet) 1981, p. 277. 461 B. Audit, Op. Cit., p. 98, n° 118. 462 En effet, les lois de police émanent d’une part de l’ordre juridique du for et d’autre part des lois étrangères.

Depuis peu, il existerait des lois de police dites communautaires résultant de l’avènement de l’Union

225

poursuit la réalisation de certains objectifs. La loi de police est notamment destinée à

supplanter la loi désignée par le conflit de loi dans le but de préserver des intérêts

fondamentaux dont le contenu évolue avec le temps. Cette conception est notamment celle

exprimée au sein de la proposition de Règlement communautaire Rome I, laquelle mentionne

le caractère crucial de la loi de police pour la sauvegarde de son organisation politique,

sociale ou économique. Ce dernier texte, adopté le 17 juin 2008, reprend également, en son

article 9, la définition « doctrinale et jurisprudentielle », selon le Professeur Louis d’Avout464.

Précisons que l’ordre juridique français tends t-il à réglementer le droit du travail et de la

sécurité sociale tout comme le secteur de la santé465, matières privatistes par essence qui vont,

de ce fait, avoir tendance à se publiciser. En somme, la loi de police suppose la réunion de

deux éléments constitutifs : d’une part, l‘existence d’un lien étroit entre cette disposition et la

situation donnée et d’autre part la nécessité de sauvegarder une catégorie d’intérêts.

356. Indifféremment, la loi de police concerne les intérêts collectifs et individuels.

Nécessairement, cette disposition provient d’un lien entre le rapport de droit envisagé et l’Etat

du for : le rattachement est dès lors indispensable car il constitue le support géographique de

la loi de police. En effet, son application n’est assurée que par les autorités de l’Etat qui

l’édicte. On conçoit dès lors, en filigrane, le rôle que joue le siège social. Ce dernier exprime

le rattachement d’une société. Dès lors, sa définition peut être l’objet d’une loi de police si les

intérêts de l’Etat considéré l’exigent.

357. Tel que nous l’avons deviné, la loi de police entre généralement en conflit avec une

norme de droit étranger. Pour autant, elle peut également se confronter à une autre loi de

police d’un autre Etat. Certes, cette dernière hypothèse demeure relativement marginale,

européenne. Voir sur ce point : Y. Loussouarn, P. Bourel et P. Vareilles-Sommières, Op. Cit., p. 150 à 157, n°

132 à 133. 463 Voir sur ce point : D. Bureau et H. Muir-Watt, Op. Cit., p. 560, n° 553. Selon ces auteurs, les lois

d’application immédiate se définissent comme celles qui revendiquent un champ d’application sans tolérer

l’intermédiation du mécanisme du conflit de lois bilatérales. Elles sont assorties de critères d’applicabilité

spatiale propres. 464 L. D’Avout, « Le sort des règles impératives dans le sort règlement Rome I », Dossier Le Règlement n° 593/

2008 du 17 juin 2008 sur loi applicable aux obligations contractuelles, dit « Rome I », Dalloz 15 sept 2008, n°

31, p. 2168. 465 T. Vignal, Droit International Privé, Coll. Université, A. Collin 2005, p. 46, n° 65.

226

notamment grâce à l’action de l’article 7 de la Convention de Rome. En effet, d’après la

doctrine, si ce texte a vocation première à s’appliquer aux cas d’opposition d’une seule loi de

police et d’une norme interne, rien ne semble l’exclure s’agissant du conflit entre deux lois de

police étrangères466. Afin de solutionner le litige, le juge tiendra alors compte des liens avec le

contrat et de la nature et objet desdites normes en présence. Notons enfin que la Convention

de Rome a fait l’objet d’une modification de l’article 7 susvisé (dénommé article 8), lequel

consacre une nouvelle définition de la loi de police. Celle-ci est, en effet « une disposition

impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de son organisation

politique, sociale ou économique, au point d’en exiger l’application à toute situation entrant

dans son champ d’application, quelque soit par ailleurs la loi applicable au contrat ». Aussi,

comme le souligne le professeur Cyril Nourissat, il existe des similitudes avec la définition

donnée par Francescakis467. En effet, le critère du caractère essentiel de la disposition pour

l’organisation politique et sociale est directement emprunté aux mots de cet auteur

internationaliste.

358. Dès lors, on le conçoit aisément, les lois de police sont un possible fondement utilisé

par les droits nationaux afin de limiter les mouvements du siège social. Elles ont d’ailleurs fait

l’objet de la jurisprudence de la C.J.C.E dans le cadre de la trilogie évoquée dans nos propos,

laquelle se révèle riche d’enseignements sur ce point.

2°) L’application des lois de police en droit international des sociétés et en droit

communautaire

359. Puisque la loi de police constitue une notion juridique vague et malléable, les

applications, faisant suite à la tentative préalable de définition n’ont pas manqué en droit

international privé ainsi qu’en droit communautaire. Celles-ci, impliquant le siège social de la

personne morale sont notamment relatives au droit du travail. A ce titre, mentionne t-on

l’existence, en droit international privé français, du célèbre arrêt Syndicat général du

466 T. Vignal, Op. Cit., p. 49, n° 70. 467 C. Nourissat, Op. Cit., p. 71.

227

personnel de la Compagnie des Wagons-lits rendu le 29 juin 1973 par le Conseil d’Etat468.

Les faits de l’espèce étaient les suivants. Fondée en 1876 en Belgique, cette société possède

son siège social à Bruxelles et par conséquent est régie par le droit des société belge.

Egalement, elle localise en France sa direction générale. Ladite entreprise, dont la

dénomination sociale comportait la mention « internationale » avait crée pour son personnel,

outre cinq comités d’établissement en France, un comité central ayant pour objet la

coordination des œuvres sociales dans le même Etat. Rappelons qu’en droit français,

l’ordonnance du 22 février 1945 prescrit l’institution dans toutes les entreprises d’au moins 50

salariés d’un comité d’entreprise doté de la personnalité morale. Or, ladite compagnie s’était

refusée à créer un comité d’entreprise conformément aux dispositions évoquées ci-dessus en

arguant de la non application de celles-ci à une société dont le siège est en Belgique et donc

non soumise au droit français. C’est pourquoi le Syndicat général du personnel français a

demandé l’institution d’un véritable comité d’entreprise en conformité avec l’ordonnance de

1945. Ce cas soumet le Conseil d’Etat à deux difficultés. D’emblée, il incombe à ce dernier

d’apprécier la nature des dispositions provenant du présent texte traitant du comité

d’entreprise. Suivant l’avis du Commissaire du Gouvernement Madame Questiaux, le juge

administratif considère que, eu égard au préambule de la Constitution de 1946 instituant le

principe de la participation par le travailleur à la détermination des conditions de travail dans

l’entreprise, il s’agit de promouvoir la création d’organes tels les comités d’entreprise. Dès

lors, il est affirmé que l’ordonnance susvisée est une loi de police, en ce sens qu’elle

manifeste la volonté d’encourager « l’organisation étatique »469 selon Francescakis. C’est

donc le droit public, suppléant le droit du travail, qui permet notamment de retenir cette

qualification puisque la disposition de 1945 intéresse, outre les rapports sociaux dans

l’entreprise, l’organisation politique de l’Etat. En d’autres termes, l’arrêt Syndicat général de

la Compagnie des Wagons-lits fait de la nécessité de créer des comités d’entreprise une loi de

police. Par conséquent, la seconde difficulté provient de la hiérarchie entre les normes en

conflit, la l’ordonnance de 1985 s’opposant à la loi Belge. Or, pour Conseil d’Etat ici saisit, la

468 C.E 29 juin 1973, Ass., Syndicat général du personnel de la Compagnie des wagons-lits, concl. Questiaux,

Rev. Crit. DIP 1974, p. 344 et ss. 469 Ph. Francescakis, « Loi d’application immédiate et droit du travail », Note sous C.E 29 juin 1973, Rev. Crit.

DIP 1974, p. 288.

228

disposition de 1945 va s’appliquer immédiatement à la situation , peu importe que le droit

belge n’ait pas prévu un tel régime participatif. Aussi, le juge administratif s’affranchit-il des

frontières pour imposer le respect d’une norme bénéficiant aux travailleurs français à la

société Belge dont le siège social statutaire est situé à Bruxelles mais dont une grande partie

de l’activité est générée par la France. Dès lors, la loi de police intervient-elle sur le

rattachement dans la mesure où dans l’espèce présente, c’est la conception du siège réel ou

effectif qui l’emporte sur le critère de l’incorporation. Une telle solution nous semble ici

opportune, en ce sens qu’elle contribue à l’amélioration des conditions de travail des salariés

et qu’elle leur est dès lors favorable et protectrice.

360. Si le droit international privé s’est montré préoccupé par l’incidence des lois de police

sur la détermination du siège social, l’ordre juridique communautaire s’est progressivement

focalisé sur la question. Constituant la première décision d’origine communautaire en la

matière, l’arrêt Arblade a été rendu par la C.J.C.E le 23 novembre 1999470. Dans cette espèce,

un entrepreneur français de travaux de construction avait détaché temporairement à Wanze, en

Belgique une équipe de travailleurs471. Par la suite, l’intéressé refusa de respecter la

législation belge sur le salaire minimal et le paiement de cotisations sociales. Aussi le litige

met en présence un conflit de loi entre les dispositions belges et la celles françaises. La

question préjudicielle soumise au juges de Luxembourg consiste à déterminer si la loi de

police du lieu de l’activité effective des salariés ne constituait pas une entrave aux échanges

sanctionnées par les articles 59 et 60 du Traité de Rome relatifs à la liberté de prestation de

service. La Cour affirme ici la primauté du droit communautaire, en ce sens qu’elle estime

que les articles 59 et 60 s’imposent sur une éventuelle loin de police interne contraignante

« dès lors que la protection sociale des travailleurs susceptibles de justifier les exigences est

déjà sauvegardée par la production des documents sociaux (…) ». Pour ce faire, la Cour de

Luxembourg effectue t-elle un contrôle de la proportionnalité entre la légitimité

communautaire et la loi de police nationale, la condition de sauvegarde de l’intérêt général

n’étant pas suffisante en soi selon le professeur Marc Fallon472. En effet, la C.J.C.E effectue

dans l’espèce présente un test d’efficacité de la mesure restrictive de droit interne d’accueil

470 C.J.C.E, 23 nov. 1999, Arblade, Rev. Crit. DIP 2000, p. 710, note M. Fallon. 471 M-L. Niboyet et G. De Geouffre de La Pradelle, Op. Cit., p. 124, n° 196. 472 M. Fallon, Op. Cit., p. 734.

229

par rapport aux dispositions du pays de départ. Or, à la lumière des faits, lesdites dispositions

belges sont superfétatoires, en ce sens que le droit français comporte des mesures de

protection des salariés détachés. Aussi, la loi de police belge ne peut-elle, à première vue,

surmonter le principe d’interdiction des entraves. Sur ce point, nous admettons que l’arrêt

n’est pas novateur en ce sens qu’il ne fait que reprendre un principe dégagé par cette même

Cour dans l’arrêt Costa contre Enel du 15 juillet 1964473. Par conséquent, si l’on se projette

dans un contexte de dissociation de sièges s’agissant d’une société opérant dans plusieurs

Etats, il est loisible de considérer que le siège statutaire domine le siège réel dont la loi de

police est rendue ineffective.

361. Certes, une nuance s’impose dans l’analyse. En effet, si il est fait échec à l’application

de la loi de police locale en cette espèce, les juges de Bruxelles ne rejettent pas cette dernière

par principe. Ainsi, est-il admis qu’une telle disposition puisse déroger au droit

communautaire dans la mesure où « elle est nécessaire (…) et justifiée par sauvegarde de la

protection sociale des travailleurs ». Dès lors, la portée essentielle de l’arrêt présent réside

dans cette nouvelle définition de la loi de police émanant du droit communautaire prétorien.

Plus précisément, cette conception, si elle correspond globalement à celle proposée par les

auteurs de droit international privé, nous semble moins large que cette dernière. En effet,

l’accent est mis sur les besoins d’organisation en évoquant le « détachement » des salariés

justifiés par « des raisons impérieuses d’intérêt général ». Certes, cette notion n’est pas

expressément définie par la Cour mais elle renvoie aux théories exposées précédemment par

Francescakis474.

362. Aussi, à la l’aune de cet arrêt, constate t-on que le droit prétorien communautaire

apporte une contribution utile à la définition des lois de police, dans l’hypothèse notamment

d’un conflit de loi. Pour autant, cette conception, si elle demeure admise, nous paraît plus

restrictive puisque la Cour fait primer le droit communautaire sur cette dernière. Pour autant,

cette initiative, globalement saluée par la doctrine, ne reçoit pas les suffrages du professeur

Pierre Mayer semble circonspect quant à cette solution qu’il estime « pleine de périls »475.

473 Voir sur ce point : C. Nourissat, Op. Cit., p. 66, n° 99. 474 J-B. Racine et F. Siiriaen, Droit du Commerce International, Coll. Cours, Dalloz 2007, p. 185, n° 285. 475 P. Mayer et V. Heuzé, Op. Cit., p. 92, n° 110-1. En effet, pour les auteurs, la solution développée par la

C.J.C.E dans l’espèce Arblade ne contient aucun critère susceptible d’apprécier la proportionnalité de la loi de

230

Retenons en définitive que s’agissant du siège social, une telle évolution conduit à privilégier

le critère du siège statutaire à celui réel, symbolisé par l’application des lois de police.

363. Par la suite, l’ordre juridique communautaire a confirmé sa volonté de construire un

régime juridique des lois de police dans l’Union. En effet, en son arrêt Mazzoleni du 15 mars

2001476, la Cour de Luxembourg se prononce, une nouvelle fois, à propos de l’application

d’une loi de police interne relative à la législation sociale. En l’espèce, la société française

Inter Surveillance Assistance dont le siège social est situé à Mont-Saint-Martin (soit en

France) a affecté du personnel détaché depuis la France à la surveillance d’une galerie

marchande belge localisée à Messancy. Or, à la suite d’un contrôle des autorités belges, il

s’avéra que la société française, employeur en l’occurrence, n’avait pas respecté les exigences

de la loi belge relative au salaire minimum. Par conséquent, la première fut soumise à des

sanctions pénales qu’elle contesta dans la mesure où lesdits salariés n’effectuaient qu’une

mission temporaire en Belgique et que l’employeur était localisé en France : seul le droit

français devait dès lors régir le contrat. Dès lors, dans la perspective de la détermination du

siège social, s’opposent le lieu de constitution de la société et celui de la réalisation de

l’activité de surveillance. La question préjudicielle se pose en ces termes : les dispositions de

la loi nationales belges qualifiée de loi de police contreviennent-elles au principe de libre

prestation de service des article 49 et 50 précités du Traité de Rome? Rappelons que l’intérêt

dont argue les autorités belges était pris en charge par la société française. La Cour réponds

par la négative, en ce sens qu’elle estime que les articles susvisé ne s’opposent pas à ce que la

loi de police belge impose une rémunération minimale aux salariés français. Aussi, la solution

s’avère quelque peu différente de celle consacrée par l’arrêt Arblade. En effet, dans ce

dernier, tel que nous l’avons observé, la C.J.C.E fait primer, au nom de la liberté de

circulation, le droit communautaire sur la loi de police en retenant une définition restrictive de

celle-ci. Dès lors, l’espèce de 2000 se situait dans une logique de rattachement unique et

propice au siège statutaire Au contraire, le présent arrêt semble marquer un retour à la

domination des lois de police. Cependant, à l’instar de l’affaire Arblade, nos propos doivent

être nuancés. En effet, d’emblée, la Cour soumet, au point 25 de l’arrêt, cette solution à la

police visée. En outre, la règle à laquelle s’oppose la loi de police n’est pas contenue dans le Traité : la question

de la légitimité de l’examen de proportionnalité se pose donc selon Pierre Mayer et Vincent Heuzé. 476 CJCE 15 mars 2001, A. Mazzoleni et Inter Surveillance Assistance SARL, RTD Eur., p. 749, obs. J.G. Huglo.

231

justification par l’Etat membre de « raisons impérieuses d’intérêt général », notion classique

de la définition des lois de police. En d’autres termes, les juges de Luxembourg reprennent-ils

la conception de la loi de police initiée par Francescakis et prolongée par l’arrêt de 1999

précité privilégiant l’aspect collectif de la mesure de protection à celui strictement

individuel477. Surtout, il est réalisé un contrôle de proportionnalité entre l’atteinte à la liberté

de circulation imposée par le Traité et les impératifs de protection déclinés dans la loi de

police. En effet, la Cour mentionne t-elle que « L’application de telles règles pourrait

cependant s’avérer disproportionnée lorsqu’il s’agit de salariés d’une entreprise établie dans

une région frontalière (…). Il incombe aux autorités de l’Etat membre d’accueil d’établir si, et

dans quelle mesure, l’application d’une réglementation nationale (…) est nécessaire et

proportionnée pour assurer la protection » des intéressés. En définitive, les juges considèrent

que ce contrôle est validé, or dans les faits c’est la loi d’un pays membre qui est en

concurrence avec la loi de police. En ce sens, la solution surprends quelque peu sur ce point.

Il n’en demeure pas moins qu’elle consacre la prédominance de la loi de police.

Dès lors, à l’aube des arrêts Centros, Überseering et Inspire Art, l’ordre juridique

communautaire oscille entre deux tendances opposées, l’une privilégiant le droit issu de

l’Union européenne, l’autre accordant une place plus importante aux lois de police internes.

On conçoit ainsi la légitimité d’une clarification sur ce point par le droit communautaire. En

effet, tel que nous l’avons esquissé, les lois de police ont une incidence sur la définition du

siège social en ce qu’elles constituent un fondement pour retenir la conception réelle. Aussi,

plus l’ordre juridique communautaire restreint la possibilité pour les Etats membres d’user des

lois de police dans le cadre de la liberté de circulation, plus il encourage la dissociation des

sièges sociaux et la conception statutaire de ceux-ci. Cette interdépendance n’existe pas

uniquement s’agissant des lois de police. En effet, les Etats membres rétifs au critère

d’incorporation se fondent également sur la fictivité du siège.

477 E. Pataut, note sous CJCE 15 mars 2001, Rev. Crit. DIP 2001, p. 508.

232

B) Le fondement de la fictivité du siège invoqué à l’encontre de la domination du siège

statutaire

364. Tel qu’il a été constaté dans nos propos, la loi de constitution ou encore du siège

statutaire est la plus favorable à la mobilité des sociétés. Pour autant, bien que de nombreux

Etats se rallient à cette solution, la conception réelle demeure en droit international privé,

notamment à travers le recours à la fictivité du siège. En effet, cette situation implique de

cerner précisément ses contours, de déterminer ses bénéficiaires et enfin de la placer dans la

perspective des opérations de transfert su siège et de fusion transfrontalière.

1°) Essai de définition de la fictivité du siège social

365. La fictivité concerne l’hypothèse d’une personne morale dont la vie juridique n’est pas

concentrée au lieu du siège statutaire. A l’extrême, il s’agit pour une associés d’opter pour le

choix d’une domiciliation de type société boite aux lettres. Du moins, la fictivité sera

caractérisée si l’on ne rencontre pas à cet endroit le « véritable foyer de l’activité » de la

société selon l’expression du professeur Michel Menjucq478. Son origine proviendrait

notamment de la théorie de l’apparence, bien que cela soit désormais sujet à contestation. En

effet, selon cette dernière, les tiers concernés ont pu légitimement croire que la société

fonctionnait selon le droit de l’Etat du siège fictif ou statutaire. Dès lors, de nombreux auteurs

se sont ralliés à cette hypothèse et considèrent qu’il s’agit d’un privilège absolu pour les tiers

indépendamment de leur comportement. »479. En revanche, il s’agit d’isoler la fictivité de la

simulation car elle n’envisage pas les hypothèses de transfert de fait dans lequel ce dernier est

effectué sans le concours des associés de la société. En outre, il n’est, dans le cas présent pas

question de contre-lettre, or cette dernière demeure un élément constitutif de la simulation.

Une fois les origines juridiques de la notion établies il convient de s’interroger sur les

conséquences d’un telle exception au siège statutaire.

478 M. Menjucq, « La Mobilité des sociétés dans l’espace européen », 479 M- N. Jobard- Bachelier, “L’apparence en droit international privé », thèse, LGDJ 1979, p. 262 et ss.

233

366. L’objectif de ce fondement, tant usité en droit international privé qu’en droit interne,

est de permettre un recours au siège réel lorsque celui statutaire est le rattachement de

principe. En témoignent les articles L 210-3 du Code de commerce et 1837 du Code civil,

lesquels considèrent, tel que nous l’avons vu précédemment480 que le siège réel aura les

faveurs du rattachement en cas de fraude ou de siège fictif. Les alinéas 1 des deux textes

susvisés ne traitant uniquement que du siège social, il est plausible d’envisager que le

rattachement de principe soit bien celui de l’incorporation et celui réel est résiduel. Cette

conception a notamment été prolongée par la jurisprudence de la Cour administrative d’appel

de Paris en son arrêt Romantic Music Corporation du 2 juillet 1991481. Dans cette espèce, le

juge confère, en effet, un droit d’option pur et simple aux tiers entre le siège statutaire et le

siège réel alors que le premier était situé à New York et le second à Paris. En définitive, il a

été jugé que le siège américain était fictif.

367. Toutefois, bien qu’existant, le pertinence du fondement de la fictivité du siège social

se trouve amoindri par l’émergence actuelle du phénomène de mondialisation des échanges. Il

est difficile d’arguer d’un tel fondement lorsque une personne morale exerce son activité

économique dans plusieurs Etats. C’est pourquoi, si elle est présente dans les textes susvisés,

la notion n’est que peu développée en jurisprudence. Celle-ci avait, jadis, recours à la fictivité

« si la vie juridique de la société ne s’y retrouve pas concentrée »482. En d’autres termes, cette

notion était caractérisée dès lors les sièges de la personne morale dissociés, ce qui nous

semble excessif. En effet, d’une part, cela est rendre difficile la capacité de mobilité de la

société : il s’agit d’un système du « tout ou rien » entraînant la personne morale désirant se

restructurer à déplacer l’intégralité de ses organes dans le pays d’accueil. D’autre part, dans

une perspective à plus long terme, tel que nous l’avons observé s’agissant des sociétés

anonymes, l’évolution de la jurisprudence a rendu conforme au droit le fait que le siège

statutaire et celui réel ne coincident pas. Dès lors, force est de constater que le droit prétorien

est relativement réticent à utiliser la notion de fictivité du siège malgré l’existence d’autres 480 Supra, p. 30 et ss. L’auteur estime notamment que ce jeu de l’apparence se manifeste par la croyance erronée

des tiers nécessaire. Or, selon une autre opinion doctrinale, dont celle de Messieurs les professeurs Synvet puis

Menjucq, les textes en vigueur ne mentionnent aucunement cette exigence. Voir notamment en ce sens : H.

Synvet, Op. Cit., p. 214 ; M. Menjucq, Op. Cit., p. 136, n° 191. 481 CAA Paris, 2e. Ch. 2 juillet 1991, SA Romantic Music Corporation, Bull. Joly 1991, p. 858. 482 Tri. Com. Seine, 17 nov. 1955, JCP Ed. C.I, 1956, n° 58090.

234

centres opérationnels de la société. En ce sens, l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 19

mars 1992 témoigne du fait que le juge se contente de peu d’éléments pour valider la

localisation du siège au lieu d’immatriculation, à savoir un centre de domiciliation483. Dans

cette hypothèse, ladite société avait son siège statutaire à Paris mais ses activités en

Angleterre en vertu d’un contrat de domiciliation conclu avec une société lui transmettant

notamment le courrier de Paris à Londres. L’appelant contestait dès lors la réalité du siège

parisien. En d’autres termes, le fait pour une entreprise de localiser son siège statutaire dans

un centre de domiciliation est insuffisant pour établir le caractère fictif du premier. Au

contraire, la réalité du siège en France est avérée car manifestée par l’existence de ce dernier

et par la tenue de l’assemblée générale. A ce stade de l’analyse, il n’est pas inutile de préciser

que la domiciliation commerciale est l’opération par laquelle une société dépourvue de locaux

en propre a recours au louage de bureaux afin d’y installer son siège social (domiciliation

auprès d’une agence notamment). Or, le droit français a toujours considéré cette pratique avec

beaucoup de suspicion en l’assimilant aux sociétés « boites aux lettres » décrites dans nos

propos484, lesquelles n’offrent qu’un rattachement formel de complaisance. En effet,

s’agissant de la domiciliation, celle-ci bénéficiant à une personne morale n’équivaut pas

exactement à son siège social, puisqu’une société déjà constituée peut recourir à cette

technique alors même que son siège social se trouve à une adresse autre que l’agence. Pour

autant, dans l’affaire présente, la Cour d’appel estime que l’assignation a bien été délivrée au

lieu du siège statutaire parisien. Par conséquent, le siège de cette société ne saurait être fictif.

Si l’on raisonne a contrario, il est légitime d’estimer que, tentant d’appréhender ce concept et

en délimiter les contours, la jurisprudence485 va avoir recours à un faisceau d’indices. En effet,

à titre non exhaustif, les éléments retenus afin de privilégier la conception réelle du siège (soit

la conséquence de la fictivité) concernent notamment le lieu de réunion des assemblées et des

organes d’administration, celui où la société entre en rapports avec les tiers ou encore celui où

elle effectue ses déclarations fiscales et paye ses impôts. Aussi, la fictivité du siège implique

t-elle une définition très casuiste et factuelle. Afin d’être employée à bon escient, il eut peut

483 Lamy Sociétés Commerciales 2008, Lamy 2008, p. 234, n° 508. 484 Y. Reboul, « L’opération de domiciliation des sociétés », Rev . Sociétés, p. 392 et 393. 485 Voir notamment sur ce point : CA Paris, 3e. Ch., 30 janv. 1970, SA Genty Cathiard/ SARL de Rugle et Cie.,

Bull. Joly 1971, p. 661.

235

être fallu adopter une conception commune, du moins harmonisée de cette notion. A défaut, et

c’est la situation actuelle, le fondement de fictivité manque t-il de clarté et son régime

juridique apparaît peu détaillé. Dès lors, nous estimons que cette exception ne peut constituer,

en l’état, une alternative sérieuse au critère de principe du siège statutaire. Il appartient

notamment à l’ordre juridique communautaire soucieux de ne pas alimenter la controverse

relative à l’effet Delaware, de proposer une nouvelle définition de la notion.

368. En revanche, s’agissant des personnes ayant qualité pour soulever ce moyen, les

choses semblent plus claires.

2°) Les personnes ayant qualité pour soulever la fictivité

369. En effet, identifier les personnes susceptibles de soulever la fictivité du siège afin de

faire appliquer le critère du siège réel est une question d’importance. Or, selon le professeur

Michel Menjucq, « la jurisprudence réserve au seuls tiers »486 le pouvoir d’invoquer la

fictivité du siège. En effet, dans un célèbre arrêt Banque Ottomane évoqué précédemment du

19 octobre 1982, le Tribunal de commerce de Paris a considéré que le critère de principe

demeure, à l’égard des actionnaires, le siège statutaire, celui réel ne soumettrait la société à la

loi du lieu de l’activité économique effective seulement à l’égard des tiers. Cette solution est

d’ailleurs corroborée par les articles 1837 et L 210-3, respectivement issus du Code civil et du

Code de commerce. En effet, ces deux textes mentionnent clairement que seuls les tiers

peuvent bénéficier du droit d’option susvisé et dès lors invoquer le siège réel en cas de

fictivité ou de fraude. Cependant, il n’est pas procédé à une définition précise des titulaires de

cette action : les textes excluent tout naturellement les associés, certes la question peut se

poser quant aux créanciers. Eu égard aux termes employés par les arrêts ci-dessous de 1958 et

de 1988, cette dernière catégorie est bel et bien incluse dans la notion de tiers.

486 M. Menjucq, Op. Cit., p. 141, n° 194.

236

3°) La manifestation de la fictivité dans le cadre de la mobilité du siège social

370. La fictivité du siège peut se manifester indirectement par celle de la mobilité. Cette

dernière influe également sur la conception du siège social. En effet, tel que nous l’avions

envisagé s’agissant de l’optimisation juridique, celle-ci consiste en « l’art des choix

intelligents »487, selon l’expression fort à propos du professeur Maurice Cozian. Aussi, la

mobilité des sociétés peut- elle constituer un instrument de la stratégie fiscale et juridique de

la société. En effet, elle consisterait en la réalisation apparente d’une opération de transfert ou

de fusion ne respectant pas la réalité de l’intention des associés488. Elle se distingue de la

fraude en ce qu’elle n’est pas un moyen d’éluder la règle applicable. Concrètement,

notamment dans le cadre d’une opération de transfert de siège, la fictivité concerne

l’hypothèse du changement de localisation effectué par l’assemblée générale des actionnaires

alors même que dans les faits le siège effectif ou le centre des décisions demeure celui initial,

soit le siège réel. Or, la Cour de cassation, dans un arrêt désormais ancien, argue

essentiellement de la fraude afin de maintenir la compétence de ce dernier. En effet, dans la

présente espèce du 5 mai 1952 relative à la faillite d’une société, la Chambre commerciale

affirme t-elle que le « transfert précité (…) en fraude aux droits des créanciers en fait ressortir

le caractère fictif. »489 Cette solution a d’ailleurs été confirmée plus récemment par un arrêt du

8 mars 1988, lequel a notamment relevé que « le transfert…était intervenu en fraude des

droits des créanciers et a fait ressortir le caractère fictif du siège. »490 Notons également que

cette instance intervenait dans le cadre d’un redressement judiciaire. Aussi, il est légitime de

penser que la haute juridiction a assimilé la fraude à la fictivité du siège, or tel que nous

l’avons mentionné, des différences sensibles entre les deux notions existent. Dès lors, il serait

opportun, dans un contexte d’européanisation des échanges, que la C.J.C.E se prononce sur ce

point si toutefois une question préjudicielle en ce sens lui est posée.

487 M. Cozian, Op. Cit., p. 6. 488 M. Menjucq, Op. Cit., p. 370, n° 486. 489 C. Cass. Com., 5 mai 1952, Dalloz 1952, p. 507. 490 C. Cass. Com. 8 mars 1988, SRBB/ Lebrun- Busquet et autres, Rev. Sociétés 1988, p. 287, note A. Honorat.

237

371. Ainsi, à la lumière de nos observations, il est loisible de noter que le droit international

privé a développé les notions de lois de police et de fictivité afin de contrecarrer l’essor du

siège statutaire. En effet, ces instruments juridiques permettent-ils le recours, à titre

d’exception au siège réel, critère qui se délite peu à peu. Or, ces fondements, si ils ont connus

quelques applications jurisprudentielles semblent désormais en recul ou du moins leur

évolution paraît incertaine. De surcroît, actuellement, l’influence du droit communautaire se

fait également intervient sur l’application de ces exceptions au siège statutaire. En d’autre

termes, on observe une tendance dans l’ordre juridique précité à une réduction de la portée ou

de l’effectivité de ces fondements : leur rayonnement est obéré (II).

II) Des fondements portant exception au siège statutaire au rayonnement réduit par le droit

prétorien communautaire

372. Si la portée des fondements précités conduisant à l’application du siège réel par le juge

semble peu à peu se réduire, l’influence croissante du droit communautaire, loin de redonner

vigueur à celles-ci, obère davantage leur effectivité. En effet, les concepts de lois de police

(A) et également d’usage abusif du droit communautaire (B) sont affaiblis notamment

conséquemment à l’évolution jurisprudentielle libérale opérée par la C.J.C.E au nom de la

liberté d’établissement. Au terme de cette dernière, les deux fondements évoqués ne semblent

plus en mesure d’imposer le siège réel sur le siège statutaire.

A) Le fondement de loi de police considérablement affaibli par le droit prétorien

communautaire

373. Force est de constater que les lois de polices occupent, en droit international une

position particulière, en ce sens qu’elles permettent de déroger à la règle du conflit de loi et

d’imposer la norme issue du for. Au contraire, elles font partie intégrante des normes

d’application immédiate. Indirectement, les lois de police concourent au maintien du critère

du siège réel puisqu’elles permettent à l’Etat de ce rattachement d’imposer des prescriptions

aux sociétés situées sur son territoire. Dans un contexte général de mobilité des sociétés, leur

incidence n’est donc pas des moindres.

238

374. Or, partant du constat que cette situation peut freiner l’essor de la liberté

d’établissement dans la cadre de l’Union européenne, le droit communautaire a, par

l’intermédiaire de la jurisprudence de la C.J.C.E, considérablement restreint les possibilités

d’invoquer ce moyen d’exception au siège statutaire. Cependant, notons que cette démarche

demeure relativement tardive, dans la mesure où elle a été initiée par l’arrêt Inspire Art de

septembre 2003, lequel constitue le dernière illustration en date de l’application de la liberté

d’établissement par les juges de Luxembourg après les espèces Centros et Überseering. Sans

reprendre l’intégralité des faits développés dans nos propos491, il semble néanmoins

nécessaire de revenir sur certains éléments essentiels de l’affaire. Rappelons, en effet, que

dans cette espèce, la chambre de commerce d’Amsterdam souhaitait imposer à la société

Inspire Art dont le siège statutaire est situé en Angleterre l’application d’obligations destinées

aux « sociétés de pure forme ». Cette autorité argue notamment que cette ladite entreprise

exerçait par le biais de sa succursale sise aux Pays-Bas, une grande partie de son activité

économique dans cet Etat. De ce fait, devait-elle se soumettre à la Wet op de formeel

buitenlandse vennootschappen de 1997 (ci-après WFBV) précitée, celle-ci consistant en une

loi de police dont la vocation est de régir la situation de ces entités constituées aux Pays-Bas

mais ne présentant pas de lien avec ces derniers492.

375. Il convient d’analyser l’argumentation de l’autorité néerlandaise précitée. Selon cette

dernière, la WFBV avait pour but la lutte contre la fraude, la protection des créanciers, la

garantie de l’efficacité des contrôles fiscaux ou encore la loyauté des transactions

commerciales. En d’autres termes, il s’agissait pour le législateur néerlandais de sanctionner

l’incorporation fictive. C’est pourquoi, ladite Chambre de commerce qualifie ce dispositif de

loi de police jusqu’à lors protégé par le droit communautaire à la condition de constituer « des

raisons impérieuses d’intérêt général » initiée par l’arrêt Arblade de 1999493. Dès lors, et ce

491 Supra, p. 77 à 80. 492 Voir notamment sur ce point : J-P. Dom, « La liberté d’établissement des succursales : principes et limites,

note sous CJCE, 30 sept. 2003, Inspire Art, Rev. Sociétés 2004, p. 142. L’auteur précise, en effet, que ladite loi

néerlandaise a été conçue dans le but de lutter contre le phénomène croissant de succursalisation aux Pays-Bas.

Il est notamment observé que nombre de structures constitués par cette voie faisaient l’objet de procédures

collectives. 493 Supra, p. 208.

239

conformément à la jurisprudence précitée dite Mazzoleni du 15 mars 2001494, il semblait que

la loi de police puisse constituer une entrave tolérée au principe de la liberté d’établissement

des personnes morales. Observons également que la 11ème directive 89/666 du Conseil en date

21 décembre 1989 prévoit que des obligations de publicité en droit interne puissent être

consacrées495. Or, à l’égard de cette disposition communautaire, l’autorité néerlandaise

paraissait fondée à obtenir l’application de la loi de police et donc la maintien de la lex

societatis issue du siège réel. Aussi, est-il permis de penser qu’en soi la VFBV n’était pas

contraire à la liberté d’établissement des personnes morales instituée par les articles 43 et 48

du Traité de Rome. Pour autant, la Cour de Luxembourg estime que les dispositions précitées

« s’opposent à une législation nationale, telle la [WFBV], qui soumet l’exercice de la liberté

d’établissement à titre secondaire dans cet Etat, par une société constituée en conformité avec

la législation d’un autre Etat membre, à certaines conditions prévues en droit interne des

sociétés (…).» En d’autres termes, la C.J.C.E fait primer la liberté d’établissement sur les lois

de police internes. Or, il ressort de cette espèce une conséquence touchant au siège social. En

effet, le triomphe des principes des articles 43 et 48 du Traité corroboré par les jurisprudences

Centros et Überseering tends naturellement à imposer le critère d’incorporation dans la

mesure où rien ne semble s’opposer- pas même une loi de police- à ce qu’une société

s’immatricule dans un Etat donné pour ensuite exercer la réalité de son activité économique

dans un autre pays496. Tel que cela a été constaté, la Cour de Luxembourg permet la

dissociation de sièges. De ce fait, le fondement de la loi de police est réduit à une portion

congrue.

376. Plus précisément, les juges de Luxembourg se sont-ils basés sur le contrôle de

proportionnalité évoqué dans nos propos afin de déterminer si la loi de police néerlandaise

constituait une entrave à la liberté d’établissement des personnes morales. Adoptant la

494 Supra, p. 209. 495 Voir sur ce point : J. Rault, Le Statut Européen des sociétés, le registre européen du commerce, Rapport,

Annuario di diritto comparato e di studi legislativi 1960, p. 93 et ss. Bien avant la directive de 1989,

l’Association des Juristes Européens avait, en effet, prévu de créer un registre européen des sociétés imposant à

ces dernières de répondre à des formalités de publicité. 496 M. Menjucq, « Rattachement de la Société Européenne et jurisprudence communautaire sur la liberté

d’établissement : incompatibilité ou paradoxe ? », Le Droit des Sociétés pour 2005, Coll. Dossiers, Dalloz 2005,

p. 604.

240

démarche des arrêts Arblade et Mazzoleni, la Cour examine la teneur de la disposition

litigieuse. Or, en soi, les règles contenues dans la loi WFBV ne sont pas constitutives d’une

restriction en ce sens qu’elles sont légitimés par la directive de 1989 précitée. Leur application

est, selon monsieur le professeur Etienne Pataud, « ni discriminatoire ni déraisonnable. »497

En effet, les règles issues de la WFBV, notamment celles relatives à la publicité imposée à la

succursale Inspire Art anglaise, étaient également prévues pour les sociétés hollandaises de

droit interne. Néanmoins, pour la Cour de Luxembourg, c’est l’impérativité de cette

disposition interne qui la rend critiquable. En réalité, le contrôle de la C.J.C.E porte davantage

sur la motivation fournie par la Chambre de commerce d’Amsterdam au soutien de

l’application de la loi de police WFBV que sur le contenu de cette dernière, lequel semble

validé par les juges de Luxembourg. Or, force est de constater que les autorités néerlandaises

n’ont pas convaincu s’agissant des justifications de l’atteinte. Dès lors, cette dernière causée

par la loi de police néerlandaise est-elle disproportionnée par rapport aux principes relatifs à

la liberté d’établissement contenus dans le Traité de Rome. Par conséquent, les barrières à

l’entrée opposées par la pays d’accueil à la société désirant établir une succursale sont

interdites. On en conviendra, comme le suggère à juste titre le professeur Etienne Pataut, que

l’application du droit communautaire a pris le pas sur celle d’une loi de police bien qu’en

l’occurrence elle semblait peu perturbatrice des principes dégagés par les articles 43 et 48

dudit Traité498. C’est notamment pour cette raison que certains auteurs estiment qu’une telle

décision peut apparaître excessive. En effet, comme le note le professeur Monique Luby, cette

jurisprudence qualifiée de « militante » s’évertue à étendre de façon inéluctable le libre

établissement des sociétés. »499 Or, tel que cela a été abordé, en légitimant la dissociation de

sièges, la C.J.C.E permet-elle le law shopping et une mise en concurrence des droits

nationaux, laquelle peut se révéler néfaste. Au lieu de réduire sensiblement le champs

d’application des lois de police, l’ordre juridique communautaire aurait peut être du œuvrer

davantage à l’harmonisation du droit des sociétés au sein des différents Etats membres. En 497 E. Pataud, sous la dir. A. Fuchs, H. Muir-Watt et E. Pataud, Conflits de lois et système juridique

communautaire, Coll. Thèmes et Commentaires, Dalloz 2004, p. 124. 498 E. Pataud, « Liberté d’établissement et droit international privé des sociétés : un pas de plus », Le Droit des

Sociétés pour 2005, Coll. Dossiers, Dalloz 2005, p. 611. 499 M. Luby, « Le libre établissement des sociétés : le mot de la fin », note sous C.J.C.E, 30 sept. 2003, Inspire

Art, JCP G 2004, II n° 10 002, p. 34.

241

effet, cette dernière fait cruellement défaut et génère des tensions quant au siège social car les

deux critères subsistent.

377. A contrario, il est légitime de s’interroger sur les contours actuels des lois de polices,

telles que définies par le droit communautaire. En effet, à l’aune de l’espèce Inspire Art, on

peut considérer que la loi de police se définit principalement par des raisons impérieuses

d’intérêt général. Notamment, cette notion est présente dans les motifs de l’arrêt présent.

Aussi, la définition demeure t-elle classique en ce sens qu’elle rappelle celle proposée par

Francescakis. Néanmoins, ce qui diffère de l’appréhension initiale de cette notion est que le

droit communautaire exige des justifications précises pour y recourir. Ainsi, peut-on

légitimement imaginer que si la loi de police est suffisamment étayée par des raisons dites

d’intérêt général, cette dernière devrait être en capacité de faire échec à la loi du siège

statutaire. Outre cette exigence, trois conditions doivent être réunies : d’une part, la loi de

police doit s’appliquer de façon non discriminatoire, d ’autre part il lui incombe de garantir la

réalisation de l’objectif qu’elle poursuit. Enfin, cette disposition ne doit pas aller au-delà de ce

qui est nécessaire pour l’atteindre500. Force est de noter qu’il résulte de ces conditions une

exigence particulièrement forte de l’ordre juridique communautaire à l’égard des lois de

police. En outre, la potentialité de succès dudit fondement demeure bien mince dans la mesure

où, dans l’affaire Inspire Art, la loi interne néerlandaise semble légitimement justifiée. Pour

autant, elle s’incline finalement devant les dispositions du Traité. Ainsi, il semble, selon le

professeur Jean-Philippe Dom, que la Cour, en son arrêt Inspire Art, ait privilégié une telle

interprétation restrictive afin « d’imposer une conception absolutiste de la liberté

d’établissement. »501 Dès lors, l’influence des lois de police s’amenuise considérablement au

contact du droit communautaire. Cette assertion est corroborée par le Règlement Rome I du

17 juin 2008, lequel « bride résolument», selon l’expression du professeur Louis d’Avout, la

portée de ces dernières502. Or, tel que nous l’avons observé, les lois de police ont bien souvent

constitué un solide fondement à la théorie du siège réel. A travers l’espèce présente, c’est

donc également cette conception du lieu d’implantation de la société qui est mis à mal par les

juges de Luxembourg, lesquels favorisent-ils l’émergence du siège statutaire. Notons que

500 J. Béguin et M. Menjucq, Op. Cit., p. 284, n° 749. 501 J- P. Dom, Op. Cit., p. 145. 502 L. D’Avout, Op. Cit., p. 2168.

242

cette situation ne se limite pas aux lois de police mais concerne aussi l’usage abusif du droit

communautaire.

B) Le fondement de l’usage abusif de la liberté d’établissement fortement limité par

l’intervention de l’ordre juridique communautaire

378. Si les lois de police subissent de plein fouet la volonté d’émergence des règles issues

du droit communautaire, cette tendance n’est pas exclusive à cette matière. En effet, un autre

recours au siège réel, le fondement de l’usage abusif du droit d’établissement est également

mis à mal par la C.J.C.E, au nom de la domination du siège statutaire, depuis quelques années.

1°) L’usage abusif d’une liberté communautaire constituant un éventuel fondement au siège

réel

379. En effet, antérieurement à l’affaire Inspire Art, la Cour de Luxembourg a eu l’occasion

de se prononcer sur le sort de cette exception au siège statutaire dans le non moins célèbre

arrêt Centros, véritable rampe de lancement de la trilogie jurisprudentielle en faveur de

l’incorporation. Les faits de l’espèce sont connus. Les autorités danoises refusaient de

reconnaître dans cet Etat une société britannique laquelle exerce dans le premier pays la

réalité de son activité économique par l’intermédiaire d’une succursale. Or, au soutien de son

refus, l’Etat danois argue notamment du contournement l’application des règles issues de la

loi danoise relative à la constitution de société503. En d’autres termes, le refus est motivé par

un usage abusif de la liberté d’établissement de la part des époux Bryde, fondateurs de

Centros. En effet, le principe de primauté du droit communautaire dégagé à partir de l’arrêt

Costa contre Enel contrevient à la restriction par les Etats membres des libertés dégagées du

Traité de la Communauté européenne. Néanmoins, tel que cela a été abordé s’agissant des lois

de police, il subsiste des exceptions permettant aux Etats membres de refuser aux requérants

503 Voir notamment motif n° 23, CJCE 9 mars 1999, aff. C- 212/97, Centros, concl. A. La Pergola.

243

le bénéfice d’une disposition communautaire504. A ce titre, figue l’usage abusif des

dispositions prévues par le Traité. Il est également précisé que cette exception, dont le but

indirect est de faire obstacle au rattachement souple du siège statutaire, est considéré comme

l’application d’une disposition nationale selon le droit prétorien communautaire. En effet,

dans un arrêt du 12 mai 1998 dit Kefalas, la C.J.C.E a estimé que « le droit communautaire ne

s’oppose pas à ce que les juridictions nationales appliquent une disposition du droit

communautaire afin d’apprécier si un droit découlant d’une disposition communautaire est

exercée de manière abusive. »505 En réalité, il s’agit pour les juges, et l’exemple est patent

dans cette affaire, d’apprécier le comportement abusif ou les agissements du requérant et non

le fait que ce dernier se prévale des dispositions communautaires506. En l’espèce, l’OAE, un

organisme public grec dont l’objet est de contribuer au développement économique et social

du pays a lancé une procédure d’assainissement des finances de la société Chartopoiia et a

décidé une augmentation de capital de cette dernière. Or, certains associés, après avoir refusé

de faire valoir leur droit préférentiel de souscription, contestent la validité de cette opération

en se fondant sur le texte communautaire de l’article 25 paragraphe 1 de la 2e directive. Quant

à lui, l’Etat grec soulève l’exception d’abus de droit. En définitive, la Cour de Luxembourg

statue en faveur de la société précitée en considérant que, après examen du comportement de

cette dernière, l’abus n’est pas caractérisé. Aussi, l’usage abusif d’une disposition

communautaire est-elle envisageable. Une fois retenu, ce fondement peut dès lors constituer

un moyen de faire subsister la règle de rattachement au siège réel, en ce sens que le Traité de

Rome rends quant à lui possible le choix du siège statutaire.

380. Néanmoins, le présent arrêt Kefalas comporte un tempérament et non des moindres. Il

admet en effet que si l’abus de droit communautaire existe, il ne saurait constituer un principe

général507. Au contraire, les juges de Luxembourg précisent-ils qu’une « disposition nationale

ne peut porter atteinte au plein effet et à l’application des règles communautaires. » En

d’autres termes, la portée de cette exception demeure relative et soumise, au cas par cas, à 504 M. Menjucq, Droit International et Européen des Sociétés, Coll. Domat Droit Privé, Montchrestien 2001, p.

338, n° 275. 505 C.J.C.E, 12 mai 1998, aff. C 367/96, A. Kefalas e.a, Rec. I-2843. 506 Voir notamment pour une analyse en ce sens : S. Dana- Démaret, note sous C.J.C.E, 12 mai 1998, Kefalas,

Rev. Sociétés 1998, n° 4, p. 800. 507 C.J.C.E, 12 mai 1988, Kefalas, obs. M. Luby, RTD Com. 1998, p. 1001.

244

l’appréciation de la C.J.C.E. Une telle solution fait présager une issue future moins favorable

à la théorie de l’abus telle qu’invoquée par les Etats membres rétifs à la liberté

d’établissement et à la conception souple du siège social. Rappelons également que dès 1986,

l’arrêt Segers508 de cette même Cour évoqué dans nos propos avait² considéré que le fait pour

une société de n’exercer une activité sociale uniquement dans l’Etat de sa succursale ne

caractérisait pas pour autant un abus des dispositions des articles 52 et 58 du Traité de Rome.

Dès lors, l’arrêt Centros était légitimement attendu afin de clarifier la situation.

2°) L’arrêt Centros amenuisant la portée de l’exception d’usage abusif de la liberté

d’établissement

381. Concrètement, dans l’affaire Centros, les autorités danoises reprochaient à ladite

société de vouloir constituer une succursale et non un établissement principal dans l’Etat

d’accueil nordique afin d’échapper à sa législation plus contraignante. Saisie d’une question

préjudicielle afin de déterminer si le refus d’immatriculation opposé par l’Etat du siège réel

était contraire au principe de liberté d’établissement communautaire garanti par les articles 43

et 46 du Traité de Rome. Dans le présent arrêt, la Cour rappelle, en son point 24, la

jurisprudence antérieure qui reconnaît le droit, tel que nous l’avons abordé précédemment,

« le droit de prendre des mesures destinées à empêcher que, à la faveur des facilités crées en

vertu du Traité, certains de ses ressortissants ne tentent de se soustraire abusivement ou

frauduleusement se prévaloir des normes communautaires. » En d’autres termes, les juges de

la C.J.C.E se focalisent très clairement, dans cette affaire, sur l’usage abusif du droit

d’établissement. Traditionnellement, dans sa démarche, la Cour de Luxembourg examine le

comportement du requérant afin d’apprécier si l’entrave aux principes communautaires est

fondée. Or, la situation semble d’emblée différente dans le cas présent. Si la Cour a pu, à

travers les affaires, privilégier l’usage abusif d’une disposition communautaire, dans cette

dernière, elle relève notamment que l’exercice de cette liberté consiste à permettre aux

sociétés constituées dans un Etat de s’établir, à titre secondaire, dans un autre Etat509. En

outre, au fondement de l’usage abusif, la Cour associe t-elle l’exception de la fraude, ce qui

508 C.J.C.E, 10 juillet 1986, aff. 79/85, Segers, Rec. I-2375, concl. M. Darmon. 509 M. Menjucq, Op. Cit., p. 339, n° 275.

245

semble original. Quant à l’appréciation du comportement abusif, laquelle était, dans l’espèce

Kefalas, isolée de l’exercice d’une disposition et rattachée uniquement au comportement du

requérant, les juges la relient-ils directement aux objectifs communautaires en cause. La Cour

estime, en effet, en son point 27, que l’usage du droit d’établissement par la société Centros

vise à éviter « l’application des règles régissant la constitution de sociétés et non des règles

relatives à l’exercice de certaines activités professionnelles. ». Or, pour la haute juridiction,

cette faculté est valable car inhérente à la liberté d’établissement510. Par conséquent, le fait de

s’établir dans un Etat disposant d’une législation favorable et ce afin d’éviter l’application de

règles issues de la lex societatis du siège réel plus contraignantes n’est pas constitutif d’un

usage abusif au libre établissement mais du simple exercice du droit d’établissement. Les

dispositions néerlandaises litigieuses portent, selon la Cour, une atteinte directe à ce dernier

principe et ne peuvent dès lors recevoir application. Cette dernière donne également des

précisions sur les hypothèses où le fondement de l’abus est recevable. Notamment, ce dernier

aurait été caractérisé si le fait de dissocier les deux sièges avait conduit à rendre la protection

des créanciers moins efficace. Or, tel n’est pas le cas selon la C.J.C.E puisque ces derniers

seraient dans la même situation si la société avait une activité réelle en Angleterre et si ils

étaient informés que la société est régie par des règles autres que celles danoises511.

Egalement, l’usage abusif aurait été envisageable si le fait d’appliquer la loi de constitution de

la société eut porté atteinte à des règles nationales relatives à l’exercice de certaines activité

professionnelles. Plus précisément, l’arrêt Centros est riche en enseignement en ce sens qu’il

est, à sa lecture, envisageable de dégager quatre exigences rendant légitimes l’application de

la loi du siège réel en cas d’abus de la liberté d’établissement. D’une part, ladite mesure doit,

selon le point 34 de l’espèce présente, être non discriminatoire et justifiée par des raisons

impérieuses d’intérêt général. D’autre part, il est exigé que ces dernières soient propres à

garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et proportionnées à ce dernier. En somme,

l’acceptation du fondement de l’abus, si elle demeure un argument invocable devant la Cour,

se trouve très fortement amoindri par l’intervention de la jurisprudence présente. En effet,

cette dernière affirme t-elle la prédominance de la liberté d’établissement au détriment des

510 G. Jazotte, M. Luby et S. Poillot-Peruzzeto, note sous CJCE, 9 mars 1999, Centros, RTD Com. 2000, n° 53,

p. 225. 511 M. Menjucq, Op. Cit., p. 340, n° 275.

246

exceptions du siège réel évoquées par l’Etat membre considéré, tel l’usage abusif d’une

disposition du Traité. Les raisons de cette orientation sont simples : le droit prétorien

communautaire souhaite encourager la mobilité des sociétés au sein de l’Union européenne et

par là- même il favorise la conception souple et statutaire du siège. Aussi, de l’usage abusif

développé dans la jurisprudence Kefalas insistant davantage sur le comportement du requérant

glisse t-on vers un contrôle plus restreint focalisé sur les objectifs fixés par le Traité. Eu égard

à ces derniers, l’affaiblissent de cette restriction semblait, à première vue, inéluctable. Dès

lors, du fait même du recul de ces fondements limitant le rattachement au siège statutaire,

l’application du siège réel devient-elle superfétatoire. Pour autant que le rattachement au

critère de l’incorporation soit opportun, il convient de s’interroger sur l’opportunité d’affaiblir

à ce point l’exception de l’usage abusif d’un droit communautaire. En effet, il n’eut peut être

pas inutile de faire effectivement subsister plus vigoureusement ce moyen de protection

destiné aux tiers afin d’éviter les débordements512 d’un law shopping effréné.

382. Aussi, à la lumière de nos observations, le droit international privé et celui

communautaire disposaient-ils d’exceptions opposables au principe du rattachement du siège

statutaire. En effet, tant les notions d’ordre public, de fictivité du siège ou encore d’usage

abusif d’une disposition du Traité inoculaient une conception réelle au sein de la définition

incorporatiste de principe. Cependant, fort des jurisprudences Centros et Inspire Art, l’ordre

juridique communautaire marque t-il désormais davantage de préférence pour la conception

de l’ incorporation et contribue à affaiblir ces différents fondements. En effet, si ils subsistent

tous trois, c’est selon des conditions particulièrement restrictives et avec une portée

considérablement réduite. Tel que nous l’avons remarqué, cette évolution va de pair avec

l’essor de la mobilité des sociétés. Pour autant, un tel affaiblissement ne va pas dans le sens

d’une meilleure protection des tiers puisque le but de tels fondements était précisément ce

dernier. En outre, consacrant le law shopping, le phénomène remarqué tends à accroître la

concurrence entre les droits des Etats membres. Dans une perspective souhaitée

d’harmonisation des textes nationaux par le droit communautaire et dans un esprit de

d’identité européenne, une telle position. Néanmoins, la C.J.C.E retient une solution similaire

avec l’exception bien connue du droit international privé, la fraude (section II).

512 Voir notamment les interrogations à ce sujet des professeurs

247

Section II : La fraude, une exception au siège statutaire vidée de son contenu par

l’ordre juridique communautaire

383. Parmi les mécanismes classiques issus du droit international privé et permettant de

retenir la conception du siège réel figure la notion de fraude à la loi. Cette dernière est, en

effet, bien connue des auteurs et des praticiens du droit. En effet, le vieil adage fraus omnia

corrumpit513 s’est particulièrement illustré dans cette matière car cette dernière fournit aux

individus, par la multiplicité des système juridiques qu’elle met en cause, le moyen de se

soustraire artificiellement à la loi qui leur est normalement applicable514. En témoigne

notamment la célèbre affaire Princesse de Bauffremont jugée par la Cour de cassation dès

1878 relative au statut personnel515. En effet, une princesse française, laquelle était

judiciairement séparée de son époux, souhaitait épouser le prince allemand de Bibesco. Or, à

cette époque, la loi française prohibait le divorce. C’est pourquoi Madame de Bauffremont

tenta, avec succès d’obtenir sa naturalisation allemande : en effet la loi de cet Etat, lui étant

désormais applicable, permet une séparation de corps équivalente dans ses effets au divorce.

Or, le mariage des deux fut reconnu sans effets en France car la Cour de cassation estimait

que la nationalité de la princesse avait été obtenue dans une intention frauduleuse et afin de se

soustraire à la loi française. Selon l’adage évoqué, constatant la fraude, le juge applique alors

la loi initiale et contournée. Depuis lors, cette technique d’intervention du droit international

privé, a connu de nombreux développements jurisprudentiels. Surtout, elle doit être isolée de

notions voisines. Notamment, s’oppose t-elle, tel qu’il a été mentionné antérieurement, au

forum shopping. En effet, dans cette dernière hypothèse, il s’agit uniquement de manipuler les

critères de compétence juridictionnelle : les parties font le choix de la plus favorable parmi

celles qui s’offre à eux. Or, en cas de fraude, la personne intéressée ne bénéficie pas de cette

option. Bien au contraire, par l’emploi stratagème, cette dernière va évincer l’application de la

513 Adage latin signifiant « La fraude corrompt tout ». Cela implique que l’acte juridique entaché de fraude peut

être l’objet d’une action en nullité. 514 P. Mayer et V. Heuzé, Op. Cit., p. 190, n° 267. 515 C. Cass. Ch. Civ., 18 mars 1978, Princesse de Bauffremont c/ Prince de Bauffremont, Grands arrêts de la

Jurisprudence du Droit International Privé 2006, 5e. Ed., n° 6, p. 47 et ss.

248

loi désignée par le conflit de loi afin de recevoir application d’une norme plus favorable516. En

outre, les auteurs opèrent-ils la distinction entre la fraude à la compétence, au jugement et à la

loi. Si la première est semblable au forum shopping décrit ci-dessus, la seconde concerne

l’hypothèse de l’application par une juridiction de la loi illégitime. La contestation porte alors

sur la régularité de la décision dans le ressort de la loi évincée. Surtout, la fraude est-elle celle

à la loi, du for ou de la loi étrangère. Le but de celle-ci est de parvenir à l’application de la

norme désirée par l’intermédiaire d’un rattachement donné517. Or, il est intéressant de

constater que la fraude à la loi est une notion connue du droit international des sociétés. Elle

intervient, notamment, dans le cadre de la mobilité des personnes morales et ce notamment au

titre d’exception au siège statutaire. En effet, comme le souligne le professeur Michel

Menjucq, « la mobilité des sociétés est clairement illégale lorsqu’elle constitue un moyen

intentionnel de violation de la loi.»518 A ce titre, figure l’hypothèse de la fraude à la loi,

laquelle constitue un des fondements du siège réel. Dès lors, invoquer cette dernière permet

d’écarter le rattachement du siège statutaire. Or, force est de constater que cette notion n’est

pas homogène en ce sens qu’elle se manifeste sous la forme de deux définitions différentes,

l’une classique et l’autre issue du droit communautaire (I). Or, ce phénomène explique en

partie la tendance actuelle à l’affaiblissement de la notion au profit du siège statutaire (II).

I) Une notion affaiblie par l’émergence d’une fraude communautaire

384. A l’origine, la notion générale de fraude provient, tel que cela a été abordé, de la

jurisprudence de droit international privé et de droit interne. Parallèlement, au fil des année

s’est-elle développée plus spécifiquement hors de ces champs originels et notamment en droit

des sociétés et en matière fiscale. Tel que nous l’avons esquissé, cette notion constitue en effet

un fondement, à titre d’exception, au recours du siège réel en ce sens qu’elle est invocable par

les parties pour combattre le rattachement au siège statutaire. Pour autant, la fraude à la loi ne

connaît pas de définition unitaire, ce qui peut, en définitive, se révéler préjudiciable au

516 Supra, p. 134 et 135 ; voir également pour cette distinction: F. Sagaut et Marc Cagniart, Op. Cit., p.51. 517 B. Audit, Op. Cit., p. 197, n° 239. 518 M. Menjucq, « La Mobilité des sociétés dans l’espace européen, Thèse, LGDJ 1997, p. 359, n° 474.

249

dessein susvisé. En effet, dans de telles circonstances, le siège réel ne peut-il pas s’imposer

durablement (A). En outre, la notion a, sous l’influence du droit prétorien communautaire,

subi une nouvelle fois des bouleversements dans la mesure les arrêts Centros et Inspire Art

ont consacré une conception très restrictive de celle-ci afin de marquer davantage la

prédominance du siège statutaire (B).

A) L’absence d’une définition unitaire de la fraude à la loi préjudiciable au recours au siège

réel

385. Notion internationaliste par excellence, la fraude se caractérise par la réunion de trois

éléments, l’un matériel, l’autre intentionnel. Enfin, elle suppose qu’une loi ait été fraudée. En

préalable, il convient de d’appréhender, par une définition a priori, cette exception au critère

d’incorporation.

1°) Une tentative de définition a priori de la fraude à la loi en matière de siège social

386. Notion, protéiforme, la fraude revêt deux significations. D’une part, au sens large du

terme, la fraude à la loi signifie notamment « toute tromperie accomplie dans le dessein de

préjudicier à des droits que l’on doit respecter. »519 . On en conviendra que si cette définition

éclaire un peu nos propos- notamment sur le fait qu’il s’agit bien de porter atteinte aux droits

d’autrui par une manœuvre- elle demeure vague. D’autre part, apparaît un sens plus restrictif

du concept, comme en témoigne les nombreuses précisions en ce sens émanant de la doctrine.

En effet, elle constitue, « un procédé plus subtil », en ce sens qu’elle consiste à « modifier, par

des artifices, les circonstances de fait d’après lesquelles est déterminée la règle de conflit de

loi. »520. Egalement, selon l’expression du professeur Pierre Mayer, la fraude à la loi implique,

pour une partie, de « de chercher à tirer profit de la diversité des systèmes de droit interne, en

519 G. Cornu, Op. Cit., p. 430. 520 Lexique des termes juridiques, Dalloz 2007, 16e. Ed., p. 320.

250

manipulant les règles de compétence législative du for envisagé 521 ». Pour les professeurs

Dominique Bureau et Horatia Muir- Watt, cette situation survient lorsque les parties

souhaitent se « soustraire à la loi normalement compétente. »522. Dès lors, on conviendra

aisément que la fraude à la loi suppose une utilisation voire une manipulation intentionnelle

de la règle de conflit de façon à éluder l’application de la loi normalement compétente pour en

privilégier une autre plus favorable aux intérêts de la partie considérée. Appliquée aux

sociétés et à leur mobilité, la fraude consiste donc dans la modification de localisation du

siège social dans le but d’éluder la loi d’origine contraignante : la personne morale déplace le

lien de son implantation dans un Etat réputé pour sa législation sociétaire et ou fiscale souple.

Précisons, enfin, que cette opération peut s’effectuer uniquement à l’égard d’une loi : le cas

est alors simple puisqu’il s’agit de contourner l’application de celle-ci. Ou encore, dans

l’hypothèse où il existe la volonté de porter préjudice à une personne déterminée : cette

modalité, certes absente du droit international privé se nomme la fraude aux droits des tiers.

Par conséquent, il est aisé d’entrevoir l’enjeu de la question et son impact sur le siège social.

Une conception souple et statutaire peut, dans une certaine mesure, encourager indirectement

le phénomène de fraude à la loi applicable à la société. Au contraire, l’un des objectifs de la

Sitztheorie est de lutter contre des mouvements de siège frauduleux. L’opération de définition

étant un préalable, l’essentiel de l’enjeu de la détermination de la fraude réside dans ses

éléments constitutifs.

2°) Les éléments constitutifs de la fraude à la lex societatis

387. Tel qu’il a été esquissé précédemment, la fraude, selon les critères du droit

international privé est composée de trois éléments cumulatifs qu’il convient d’aborder.

521 P. Mayer et V. Heuzé, Op. Cit., p. 190, n° 268. 522 D. Bureau et H. Muir- Watt, Op. Cit., p. 422, n° 428.

251

a) L’acte matériel de manipulation de la règle de conflit

388. D’une part, il s’agit de constater la présence d’un acte matériel dit de manipulation de

l’élément de rattachement et de la règle de conflit de loi. Quant au siège social, cette volonté

peut se rencontrer notamment dans les hypothèses de dissociation de siège. Notamment, elle

se concrétise par l’immatriculation de l’établissement principal dans un Etat à la législation

souple suivi de la création d’établissement secondaire dans un second pays dont le droit

interne apparaît plus contraignant. Or, il est constaté que ladite personne morale n’exerce

aucune activité dans l’Etat du siège statutaire, l’essentiel de l’activité économique se

déroulant dans celui de l’établissement secondaire. Dès lors, puisqu’il regroupe les flux

financiers et le centre de décision de la société, ce dernier est qualifié de siège réel. Celui

statutaire demeure un rattachement de pure forme destiné à contourner l’application de la loi

de l’Etat où l’essentiel de l’activité est concentrée. Tel qu’il sera abordé dans nos propos, ce

cas s’est notamment illustré dans les arrêts Centros et Inspire Art. Aussi, on en déduit que la

définition du siège social influe sur la potentialité de réalisation d’un tel phénomène. En effet,

une conception stricte et donc réaliste du lieu d’implantation de la personne morale rends

moins aisée la concrétisation de cette manipulation. En revanche, une difficulté

supplémentaire apparaît sur ce point, en ce sens que la frontière entre la manipulation

constitutive d’une fraude et l’habilité se révèle souvent tenue. Précisément, tel le souligne le

professeur Michel Menjucq, cette problématique concerne souvent le cas du droit fiscal,

notamment s’agissant du phénomène d’évasion fiscale523. Il convient dès lors de pouvoir

distinguer l’optimisation juridique décrite dans nos propos524 et qui constitue un des éléments

de la mobilité moderne des sociétés de la fraude répréhensible. C’est là tout l’objet de

l’élément intentionnel de cette notion.

523 M. Menjucq, Op. Cit., p. 381, n° 499. 524 Supra, p. 153 et 154.

252

b) Une mobilité frauduleuse intentionnelle

389. La présence d’un élément intentionnel nous semble fondamental afin de déterminer

l’éventuelle mobilité frauduleuse. Notons, à titre anecdotique, que certains auteurs avaient

émis le vœux de recentrer l’analyse uniquement autour de l’élément matériel au détriment de

la recherche des motifs des auteurs de la fraude. Ceux-ci se rattachaient à la conception dite

objective de la fraude. Or, il apparaît, à la lumière de nos observations précédentes que

l’intention d’échapper à la loi est une donnée fondamentale bien que les frontières entre ce qui

est accepté et ce qui ne l’est pas soient tenues. En réalité, cet aspect consiste à changer

l’élément de rattachement dont dépends la loi applicable dans un dessein bien précis, à savoir

éluder les conséquences attachées à la loi désignée par le mécanisme du conflit. C’est

pourquoi le droit international privé a notamment admis la conception subjective de la fraude.

390. Dans cette recherche, le juge prends en compte la finalité de l’acte, comme en

témoigne, dans un autre domaine, l’arrêt Princesse Bauffremont. En effet, dans ce dernier il

est fait état de la volonté qui a mu le changement de nationalité de ladite personne : il

s’agissait, pour elle, d’ « échapper aux prohibitions du divorce et de la loi française.

391. Egalement et plus récemment, le droit communautaire s’est prononcé pour une telle

solution dans l’affaire TV 10 SA de 1994 puisque la C.J.C.E retient la que la fraude est

caractérisée par la réunion des éléments matériel et intentionnel, ce dernier étant constitué par

une localisation choisie « en vue de permettre à l’organisme de se soustraire aux règles du

principe applicable. »525 Or, identifier précisément la volonté d’une partie, à l’instar du cas de

l’erreur en droit des contrats, n’est pas chose aisée. En effet, celle-ci nécessite d’être

démontrée, cette fois, par des circonstances objectives. En témoigne ainsi la concomitance des

différentes étapes de la manœuvre ou encore la particularité même du montage destiné à ladite

éviction526. En somme, la fraude à la loi en matière de siège social est révélée par le

déséquilibre527 ou encore la contradiction528 entre la manipulation évoquée ci-dessus et le

comportement ultérieur de la personne. Concrètement, cela implique que la société dont le

525 C.J.C.E, 5 oct. 1994, aff. C-23/93, Rec. , p. I-4811. 526 D. Bureau et H. Muir- Watt, Op. Cit., p. 423, n° 431. 527 B. Audit, Op. Cit., p. 200, n° 240. 528 T. Vignal, Op. Cit., p. 186, n° 116.

253

siège statutaire est situé dans un Etat donné n’y exerce, en définitive, aucune activité et

maintien des liens économiques forts avec l’Etat de son établissement secondaire. C’est

notamment la raison pour laquelle la dissociation de sièges a longtemps été sanctionnée par le

droit international et le droit communautaire, comme en témoigne le célèbre arrêt Daily Mail

ne donnant pas droit au transfert de siège. En effet, elle constituait un indice matériel laissant

supposer l’intention frauduleuse des associés. Tel qu’il sera exposé par la suite, ce moyen fut

bien souvent utilisé par les autorités des Etat membres afin de retenir le fondement de fraude

destiné à combattre le rattachement statutaire du siège.

c) Une loi originairement désignée par le conflit de loi détournée

392. La présent exception à la théorie de l’incorporation suppose l’existence d’une loi dont

la compétence est protégée et qui pourtant a été contournée par l’auteur de l’acte litigieux. En

d’autres termes, il incombera au juge saisi de démontrer la présence de l’élément légal de la

fraude. Quant à celle relative à la lex societatis, il conviendra de démontrer que par le jeu

d’une manipulation modifiant le rattachement de la personne morale, une disposition

sociétaire n’a pu recevoir application. Surtout, l’enjeu concerne celui de l’origine de la loi

écartée illégalement. En effet, sur cette question, les auteurs internationalistes distinguent la

fraude à la loi du siège social d’origine de celle à la loi étrangère, la première ne soulevant

aucune difficulté. Quant à la seconde hypothèse, si une large part de la doctrine y est

favorable529, le droit des Etats membres de l’Union européenne semble plus rétif du moins

hésitant. En effet, observons notamment que le droit prétorien français des sociétés retient

traditionnellement une conception interne de la fraude et ne prends donc pas en compte

l’origine étrangère de cette notion. En effet, c’est la conception soutenue dans l’arrêt Mancini

rendu en 1929530 par la Cour de cassation à propos d’une ressortissante italienne naturalisée

française afin d’échapper à la prohibition du divorce dans son pays de naissance. En l’espèce,

les juges de la haute juridiction considèrent-ils que seule la loi française est susceptible d’être

confrontée à la fraude en ce sens que la prise en considération de ce concept eut impliqué une

529 Voir notamment : Y. Loussouan, P. Bourel et P. de Vareilles- Sommieres, Op. Cit., p. 367, n° 268. 530 C. Cass. civ., 5 fév. 1929, Sirey 1930., I, p. 181, note Audinet.

254

appréciation de l’acte administratif de naturalisation. Cependant, dans des décisions plus

récentes, la Cour de cassation a-t-elle abandonnée la distinction dans ses motivations selon

l’origine française ou étrangère de la loi fraudée531. S’agissant de la mobilité des personnes

morales, l’enjeu demeure limité puisque le phénomène de dissociation des sièges implique

qu’une société possède son siège statutaire dans un Etat donné et un établissement secondaire

dans un autre pays. Son activité est réalisée dans ce dernier et pour autant sa loi ne s’applique

pas. Dans une telle hypothèse, les intéressés soulèveront la fraude à la loi du for, c'est-à-dire

celle du siège réel. La solution est similaire en matière de transfert du siège social.

393. Dès lors les trois conditions réunies, l’exception de la fraude à la loi est invocable

devant les juridictions compétentes. Néanmoins, une précision quant à la qualité des

requérants s’impose. Les articles 1837 et L 210-3, respectivement issus du Code civil et du

Code de commerce disposent très clairement que seuls les tiers peuvent bénéficier du droit

d’option susvisé et dès lors invoquer le siège réel en cas de fraude ou de fictivité. Comme cela

a été précisé, un apport jurisprudentiel identifie ces personnes titulaires de cette action : les

associés de l’Etat de la loi évincée sont inclus dans ladite catégorie.

394. Aussi, à la lumière des propos précédents, le constat de l’existence d’une définition

précise de la fraude est dressé. Celle-ci réponds, selon les critères du droit international privé,

à l’addition des trois éléments cumulatifs évoqués. Notons que le droit communautaire

souscrivait également à une telle conception explicite quant à son degré d’exigence. La dite

notion nécessite en effet la réunion d’éléments matériel, intentionnel et légal demeurant

souples quant à leur contours. Dès lors, un tiers a la faculté de demander l’application du

critère du siège réel afin de combattre celui statutaire. Cependant, à partir de l’évolution

jurisprudentielle des arrêts Centros et Inspire Art, la donne se modifie sensiblement. En effet,

l’ordre juridique communautaire, au nom de la liberté d’établissement et de la domination du

siège statutaire, consacre t-il une définition plus restrictive de la fraude. Désormais, il est

d’usage d’évoquer à ce sujet la fraude communautaire, laquelle constitue un véritable

affaiblissement de ce fondement invoqué par les requérants à l’encontre du siège statutaire.

Au contraire, ce dernier en ressort renforcé (B).

531 C. Cass. civ. 1ère., 20 mars 1985, Lemaire, Rev. Crit. DIP 1986, p. 67, obs. Lequette.

255

B) La fraude communautaire marquant le renforcement de la conception statutaire du siège

par l’ordre juridique communautaire

395. Tel qu’il vient d’être abordé, il apparaît que la fraude à la lex societatis n’est pas une

hypothèse d’école car réservée au strict cadre du statut personnel des personnes privée mais

une réalité à laquelle sont confrontés les Etats membres de l’Union européenne. En effet, en

raison du besoin de compétitivité et de réactivité des entreprises dans le cadre d’une économie

mondialisée, certaines sociétés ont tenté d’optimiser leur organisation en dissociant

notamment leur siège statutaire du lieu effectif de leur activité économique. Or, les Etats

membres ont, par le biais d’exceptions au rattachement d’incorporation telle la fraude, tenté

d’enrayer ce phénomène. L’enjeu soumis à l’ordre juridique communautaire était ainsi de

taille et se décomposait en deux branches. D’une part, ce dernier pouvait limiter le law

shopping en consacrant une définition de la fraude relativement large permettant ainsi de

prolonger le recours au siège réel. Dans ce cas, la conception du lieu d’implantation de la

personne morale demeurait-elle fidèle à la conception traditionnelle du droit international

privé. D’autre part, l’action du droit communautaire était susceptible de s’orienter vers une

plus grande prise en compte de la liberté d’établissement se manifestant par l’essor de la

conception statutaire du siège et donc par un durcissement de la fraude. En définitive, il

apparaît, à la lumière des jurisprudences Centros et Inspire Art de la C.J.C.E, que l’ordre

juridique communautaire ait opté pour la seconde branche de l’alternative. Cette évolution

vers l’adoption d’une fraude communautaire s’est réalisée progressivement autour de ces deux

arrêts.

1°) L’arrêt Centros consacrant une définition mesurée de la fraude à la loi

396. L’arrêt Centros, tel que nous l’avons abordé, concerne les deux volets interdépendants

de la liberté d’établissement par le siège social et de sa limite, la fraude à la loi. Or, en cette

espèce, la C.J.C.E adopte t-elle une solution novatrice. S’agissant plus particulièrement de

cette dernière, la Cour de Luxembourg s’exprime sur la situation des époux Bryde qui ont

constitué leur société au Royaume-Uni et décident ensuite de créer un établissement

secondaire au Danemark afin d’être soumis à la loi d’incorporation anglaise moins

256

contraignante. En effet, la norme danoise impose, au moment des faits, la libération d’un

capital social minimum de 200 000 couronnes. Or cette exigence spécifique ne figure pas dans

le droit britannique532. En définitive, la société Centros décide de ne pas tenir compte de cette

prescription émanant de l’Etat d’accueil de sa succursale. Surtout, ce dernier reproche à ladite

société de n’avoir développé aucune activité dans l’Etat de son siège statutaire anglais mais

bel et bien au Danemark. Or, toujours selon l’Etat danois, ledit montage n’avait comme

unique but que de contourner l’application du droit national régissant la constitution de

sociétés à responsabilité limitée. C’est la raison pour laquelle l’exception de fraude à la loi fut

soulevée par le Danemark. En effet, les trois éléments constitutifs de celle-ci semblaient

réunis puisque la loi danoise est écartée par le rattachement formel au siège statutaire alors

que celui réel concentre l’activité de la société. Quant à l’élément intentionnel, celui-ci peut

être déduit du fait que les règles éludées sont plus exigeantes que celles de la loi anglaise

d’incorporation. En outre, la dissociation des sièges, nous l’avons constaté, était bien souvent

pour les Etats hostiles à la mobilité des sociétés un révélateur de la fraude. C’est pourquoi les

autorités danoises refusèrent de donner droit à la demande d’enregistrement de ladite filiale533.

Outre, les bornes de la liberté d’établissement, la question préjudicielle posée soulève ainsi

l’éventualité qualification de fraude s’agissant du contournement d’une loi nationale effectué

lors de la constitution de la personne morale dans un autre Etat membre. Rappelons à cet

égard que la position antérieure de la Cour était, s’agissant de la mobilité des sociétés,

marquée par l’affaire Daily Mail, laquelle ne conférait aucun droit au transfert selon une

lecture restrictive des anciens articles 52 et 58 du Traité de Rome. Egalement, la C.J.C.E

semblait admettre l’exception de fraude dans l’affaire TV 10 SA534 car elle reprenait à son

compte les trois critères énumérés par le droit international privé.

397. Or, la solution consacrée en l’espèce par la Cour est novatrice, du moins s’agissant

d’un élément. En effet, dans son dispositif, elle considère notamment que « les articles 52 et

58 dudit Traité s’opposent à ce qu’un Etat membre refuse l’immatriculation d’une succursale

d’une société (…) » lorsque cette dernière pratique la dissociation de sièges et exerce

« l’ensemble de son activité dans l’Etat où cette succursale sera située » sans pour autant s’y

532 M. Menjucq, « La mobilité des entreprises », Rev. Societés 2001, n° 2, p. 218. 533 G. Parleani, Op. Cit., p. 391. 534 Supra, p. 246.

257

constituer. Aussi, en l’espèce, le fait pour l’entreprise Centros d’avoir tiré parti de la

législation souple d’incorporation ne justifie pas le refus d’immatriculation opposé par l’Etat

danois En d’autres termes, la Cour affirme que contourner une loi nationale en réalisant un tel

montage n’est pas constitutif d’une fraude. Pour ce faire, elle fonde sa décision sur les articles

évoqués ci-dessus. L’application de ces derniers implique, en effet, que chaque société puisse

choisir le lieu à partir duquel elle va exercer son activité. Aussi surprenant que ce soit au

premier abord, opter pour un rattachement favorable n’est donc pas constitutif d’une fraude à

la loi535. En effet, la reconnaissance mutuelle des sociétés supplante, dans cette affaire, les

moyens introduits par l’autorité de la loi contournée. Une telle position favorise

indéniablement le law shopping et la mise en concurrence des droits nationaux. Cependant, si

il semble affaiblir l’exception de fraude, le présent arrêt lui consacre tout de même une

existence. En effet, nombre d’auteurs, évoquant cette jurisprudence, affirment que celle-ci

développe le principe de fraude communautaire536. Cette assertion se démontre notamment

par le dispositif de l’arrêt lequel affirme « Le fait qu’un Etat membre ne puisse refuser

l’immatriculation d’une succursale (…) n’exclue pas qu’il puisse prendre toute mesure de

nature à prévenir ou à sanctionner les fraudes, soit à l’égard de la société elle-même (…) soit

à l’égard des associés. » Ainsi, s’il est « établi que ces derniers cherchent en réalité, par le

biais de la constitution d’une société, à échapper à leurs obligations vis-à-vis des créanciers

privés ou publics. » Cette tentative de définition prouve, en effet, la tentative d’appropriation

par le juge communautaire d’une notion auparavant d’origine interne et internationale. C’est

pourquoi la Cour de Bruxelles interprète l’exception de fraude à l’aune des articles 43 et 48

du Traité de Rome.

398. Il s’agit dès lors de tenter de délimiter les contours de cette conception novatrice issue

de l’espèce Centros. Nous l’avons constaté, les articles du Traité évoqués ci-dessus affirment-

ils la prééminence de la liberté d’établissement des personne morales, laquelle ne peut

supporter des entraves exercées par les Etats membres accueillant ces dernières

Concrètement, la fraude semble être érigée par la C.J.C.E en principe de droit communautaire

535 J. Béguin et M. Menjucq, Op. Cit., p. 282, n° 747. 536 Voir notamment : M. Menjucq, Op. Cit., p. 219. ; M. Boizard, « Incidence des normes européennes sur la

liberté de constitution des sociétés en droit français », Rev. Sociétés 2005, n° 1, p. 11. ; G. Jazottes, M. Luby et

S. Poillot Peruzzetto, note sous C.J.C.E., 9 mars 1999, Centros, RTD Com. 2000, n° 53, p. 226.

258

en ce qu’elle apparaît ici reconnue à contrario. Elle consiste donc à tenter d’éluder à des

obligations légales et permet dès lors aux Etats membres d’adopter des dispositions

dissuasives et répressives envers lesdites sociétés. La fraude est entendue largement

puisqu’elle concerne la personne morale et ses associés. Quant à la notion de tiers, cette

dernière semble quelque peu expliciter la conception française car mentionnant uniquement

cette première catégorie. Dès lors, est-il possible d’envisager que la Cour associe la fraude à

la loi à celle aux droits des tiers537. Cette tentative de définition prouve, en effet, la tentative

d’appropriation par le juge communautaire d’une notion auparavant d’origine interne et

internationale. Observons que les juges de Luxembourg ne vérifie pas les trois conditions

rendant recevable la présente exception. Néanmoins cette dernière demeure t-elle floue538 car

l’amalgame réalisé entre fraude à la loi et fraude aux droits des tiers suggère que l’exception

invocable soit en réalité proche de l’abus pourtant mis à mal par d’anciennes jurisprudences

communautaires. Cette assertion semble envisageable dans la mesure où, tel que cela a été

analysé précédemment, l’arrêt présent évoque expressément cette notion.

399. En outre, une telle conception pose le problème de la sanction applicable dans

l’hypothèse de constatation de ce phénomène. Selon les règles du droit international privé,

cette dernière ne peut être que l’inopposabilité de l’acte dans la mesure où la fraude requiert

l’intervention, selon le professeur Bernard Audit, d’une autorité publique étrangère539. En

effet, il n’appartient pas, selon cet auteur, de déclarer nuls les actes réalisés dans un autre Etat.

La question est ainsi légitime s’agissant de l’ordre juridique communautaire. D’une part, la

nullité de l’acte de constitution de la succursale nous paraît inapproprié en vertu de l’article 11

de la Directive 68/151 du 9 mars 1968, lequel limite les causes de cette sanction. Ce propos

est corroboré par la jurisprudence Marleasing540 rendue par la même Cour. D’autre part, il est

possible de recourir à l’inopposabilité de l’acte, selon la doctrine. Ainsi, ce système implique

que la société constituée en fraude des droits des tiers n’existera pas à l’égard de ces derniers.

Une telle sanction nous semble opportune en ce sens qu’elle est compatible avec la liberté

537 J. Béguin et M. Menjucq, Op. Cit., p. 288, n° 756. 538 G. Parléani, Op. Cit., p. 398. 539 B. Audit, Op. Cit., p. 202, n° 243. 540 C.J.C.E, 13 nov. 1999, Marleasing, Bull. Joly Sociétés 1991, p. 190, note B. Saintourens. Cet arrêt opère une

délimitation limitative des causes de nullité en cas de violation d’une disposition du Traité de Rome.

259

d’établissement. En effet, elle constitue une sanction moins radicale et plus adaptée que la

nullité selon les professeurs Jacques Béguin et Michel Menjucq541. Nous souscrivons à cette

analyse dans la mesure où l’inopposabilité concentre ses effets aux parties au litige. Pour

autant, en l’espèce cette opinion, pour le professeur Gilbert Parléani, doit être nuancée. Selon

l’auteur, si la clause de l’objet social camoufle une constitution frauduleuse de société, alors

est-elle susceptible d’être frappée par la nullité.

400. A l’issue de l’affaire Centros, l’enseignement semble clair. Le refus d’immatriculer

ladite société par les autorités danoises semble disproportionné par rapport aux exigences de

l’intérêt général. Si les mesures de protection accordées aux tiers par les Etats peuvent

justifier le recours à l’exception de fraude in fine, dès l’angle d’attaque ouvert, celui-ci est

partiellement refermé par la Cour de Luxembourg. En effet, cette dernière énonce, en son

considérant 38, « En tout état de cause, la lutte contre la fraude ne saurait justifier une

pratique de refus d’immatriculation d’une succursale de société ayant son siège dans un autre

Etat membre. » Une telle affirmation atteste du fait que dans l’espèce présente, la C.J.C.E

reconnaît-elle existence juridique à la fraude, laquelle devient communautarisée mais la limite

aussitôt. Ainsi, le recours au siège réel ne peut être que marginalisé puisqu’il s’agit ici

d’imposer le principe de liberté d’établissement des sociétés malmené par l’affaire Daily

Mail. En outre, tel que l’analyse à juste titre la doctrine, l’application de la fraude, demeure

pour certains auteurs « à préciser »542 voire, de façon plus tranchée est-elle qualifiée

d’ « incertaine ».543 En effet, si il est mentionné que les Etats membres, par le biais

d’ « autorités » peuvent soulever l’exception de fraude, l’arrêt ne donne aucune définition ou

indication de ces dernières544. De même, le dispositif évoque t-il une coopération entre Etats

membres dans la lutte contre la fraude, cependant cette intention reste lettre morte à l’issue de

l’arrêt.

401. En définitive, si l’arrêt Centros mentionne l’invocabilité de l’exception de fraude afin

d’enrayer la domination du siège statutaire, la première laisse perplexe en ce sens qu’elle n’est

541 J. Béguin et M. Menjucq, Op. Cit., p. 289, n° 757. 542 M. Menjucq, Op. Cit., p. 221. 543 G. Parleani, Op. Cit., p. 398. 544 Voir sur ce point : M. Menjucq, « Droit international et européen des sociétés », Coll. Domat Droit Privé,

Montchrestien 2001, p. 342, n° 278.

260

pas précise quant à ses conditions d’applications. Dès lors, est-il opportun de s’interroger sur

l’intention des juges de Luxembourg. Faut-il y voir une manière indirecte de limiter

davantage le recours à cette notion ? A la lumière de l’affaire Inspire Art, c’est du moins ce

qu’il est permis de concevoir.

2°) Le principe de fraude communautaire vidé de son sens par l’arrêt Inspire Art

402. Indéniablement, l’arrêt Inspire Art rendu le 30 septembre 2003 par la C.J.C.E marque

t-il, comme le souligne le professeur Etienne Pataut, « un pas de plus » vers la domination du

siège statutaire. A ce titre, il se situe notamment dans le prolongement de l’espèce Centros

évoquée ci-dessus. En effet, l’arrêt de 2003 revient-il sur la notion de fraude communautaire

et affaibli encore davantage cette dernière. Les faits sont également connus qui mettent en

présence la chambre de commerce d’Amsterdam arguant du contournement de la loi

hollandaise pour opposer à ladite société le siège réel. En effet, cette dernière possédait son

siège statutaire en Angleterre mais exerçait l’intégralité de son activité économique aux Pays-

Bas. Or, de façon surprenante, la présent affaire n’évoque pas expressement la notion de

fraude mais celle d’abus. En raison de cette évolution, cet arrêt « complique l’interprétation

de la notion de fraude, alors qu’elle n’était pas déjà très simple » selon les professeurs Jacques

Béguin et Michel Menjucq545. En effet, l’affaire Centros permet t-elle le recours à la fraude

telle qu’elle est définie par la Cour, cependant cette exception est semble t-il vidée de sens

dans la mesure où la Cour indique que la liberté d’établissement n’est pas susceptible d’abus

au regard du droit communautaire. Or, l’arrêt Inspire Art apparaît-il encore plus en retrait

quant à l’admission d’une éventuelle exception au siège statutaire par rapport à l’espèce

précitée. De surcroît, l’amalgame entre l’abus et la fraude rends l’ensemble plus opaque et

moins lisible. En effet, dans son considérant 133 la C.J.C.E rappelle t-elle uniquement les

quatre conditions de constitution de l’usage abusif d’une disposition communautaire, telle que

celles-ci ont été abordées dans l’affaire Centros. Par la suite, les juges de Luxembourg

évoquent-ils expressément « que le fait qu’une société n’exerce aucune activité dans l’Etat

membre où elle a son siège et exerce uniquement ou principalement ses activités dans l’Etat

545 J. Béguin et M. Menjucq, Op. Cit., p. 287, n° 754.

261

membre de sa succursale ne suffit pas à démontrer l’existence d’un comportement abusif et

frauduleux. » Deux enseignements sont à tirer de ce considérant. D’une part, il confirme

clairement que les deux concepts d’abus et de fraude, pourtant différenciés en 1999 par cette

même juridictions, sont ici associés et non alternatifs l’un à l’autre. En outre, l’espèce

prolonge t-elle la solution en ce qu’elle affirme que la dissociation de siège statutaire et réel

est légitime, ou du moins largement tolérée. Il en résulte clairement que la marge de

manœuvre d’un tempérament à la logique incorporatiste développée depuis l’arrêt Centros

demeure réduite.

403. S’agissant plus particulièrement des notions de fraude et d’abus, le dispositif du

présent arrêt ne mentionne que la seconde. En effet, la Cour affirme t-elle que « Les raisons

pour lesquelles la société a été constituée dans le premier Etat ainsi que la circonstance (…)

ne la privent pas, sauf à établir au cas par cas l’existence d’un abus. » Aussi, les limites de la

liberté l’établissement sont simplifiées à l’extrême en l’espèce puisque les deux conceptions

de fraude et d’abus présentes dans l’arrêt Centros ont ici disparues au profit de la seconde. Il

peut être légitime de s’interroger sur les raisons de cette absence. Sur ce point, deux

interprétations sont concevables. D’une part, il semblerait que la fraude à la loi s’accommode

mal des exigences du droit des sociétés546. En effet, nous rappellerons le constat avéré d’une

difficulté d’application de la fraude au droit communautaire de la liberté d’établissement : les

incertitudes en la matière sont légion547. C’est pourquoi, suppose t-on, la C.J.C.E se fonde

uniquement sur l’abus pour contrecarrer le rattachement au siège statutaire. Dès lors, il est

possible d’envisager le phénomène de recul du principe général de fraude en droit

communautaire548. Or, dans l’hypothèse où seul le fondement de l’abus semblait résister, les

juges de Luxembourg se montrent t-il plus strict s’agissant de cette exception, laquelle semble

vaine. En effet, tel que nous l’avons constaté, la C.J.C.E considère t-elle que le contournement

d’une législation par la dissociation de sièges ne constitue pas un abus susceptible d’être

sanctionné ou du moins entravé par une mesure nationale plus restrictive. Par conséquent, à

l’aune de l’espèce présente, note t-on, d’une part, que l’exception de fraude disparaît du

546 J- P. Dom., Op. Cit., p. 148. 547 Supra, p. 254; J-P. Dom, note sous C.J.C.E., 9 mars 1999, Centros, Bull. Joly Sociétés 1999, p. 710. 548 M. Luby, « Libre établissement des sociétés : le mot de la fin », note sous C.J.C.E, 30 sept. 2003, JCP G

2004, n° 1- 2, p. 35.

262

champs communautaire et d’autre part celle relative à l’usage abusif d’une disposition semble

t-elle très affaiblie au nom de la liberté d’établissement. D’autre part, certains auteurs, tels les

professeurs Jacques Béguin et Michel Menjucq ou encore Etienne Pataut, le glissement

terminologique de la notion de fraude vers celle d’abus s’explique également par le fait que la

Cour a tout simplement assimilée les deux notions. En effet, la fraude serait l’utilisation

abusive d’un droit subjectif reconnu »549 par l’ordre juridique communautaire. Dès lors, la

confusion est totale alors même que cette notion se définit par rapport aux droits nationaux.

En définitive et eu égard à ce manque de lisibilité, il serait souhaitable que la Cour fasse un

effort de clarification.

404. Au terme de cette analyse, les fondements relatifs au siège réel semblent réduits à une

peau de chagrin car sacrifiés sur l’autel de la liberté d’établissement lequel s’étends, selon le

professeur Monique Luby, de façon « inéluctable. »550 Tel que nous l’avions démontré,

l’ordre juridique opte clairement pour la dissociation de sièges, terreau favorable à la

conception d’incorporation. En somme, sur les différents fondements évoqués dans notre

analyse, il ne semble que l’exception de l’usage abusif du droit d’établissement puisse faire

obstacle à la théorie du siège statutaire. Du moins, à première vue puisque en réalité, la Cour

restreint considérablement celle-ci : ni l’abus ni la fraude ne sont caractérisés lorsqu’une

société élude, par un rattachement statutaire plus favorable, les dispositions nationales de

l’Etat où elle exerce la réalité de son activité.

405. A la lumière de nos observations, il est loisible de constater l’émergence de deux

mouvement contradictoires au sein de l’ordre juridique communautaire concernant le siège

social.

406. D’une part, le droit international privé avait consacré l’existence de fondements dédiés

au rattachement du siège réel. Or, au fur et à mesure de la construction d’un marché européen

commun et libre, le droit prétorien communautaire a progressivement réduit la portée de

l’abus de droit et de la fraude. En 2003, la liberté d’établissement et la conception statutaire

du siège domine la scène juridique européenne. Au contraire, les dispositions prévoyant le

549 E. Pataut, Op. Cit., p. 493. 550 M. Luby, Idem.

263

recours au siège réel deviennent en partie inefficace puisque sanctionnées par la C.J.C.E. Dès

lors, une telle solution offre une place non négligeable au phénomène du law shopping et

engendre une mise en concurrence des droits nationaux. A son paroxysme, cette situation

aboutit à la course des législations internes vers le bas, laquelle n’est pas souhaitable en ce

sens qu’elle nuit à la sécurité juridique des tiers et abaisse leur seuil de protection par le droit.

Cette tendance est notamment à l’origine des réticences de certains Etats à admettre la

création de la Société Européenne. C’est pourquoi, d’autre part, l’ordre juridique

communautaire, d’origine légale cette fois-ci, a tenté de prévenir ce phénomène en limitant le

recours à la théorie de l’incorporation. En effet, le rattachement de la Societas Europaea,

structure de droit européen, est celui du siège réel, comme l’exprime l’article 7 du règlement

2157/2000 la régissant. En ce sens, le législateur communautaire fait obligation aux sociétés

désirant constituer une S.E de concentrer leur siège statutaire et leur administration centrale

en un lieu identique. Aussi, peut-on évoquer quant au rattachement de l’entité européenne

dédiée à la mobilité des personnes morales la prééminence de la conception issue de la

Sitztheorie.

407. Dès lors, il existe ainsi une différence patente de situation entre les correctifs apportés

à la domination du siège statutaire, lesquels sont très fortement réduits s’agissant des sociétés

de droit national et font l’objet d’un rattachement quant à la Société Européenne. Pour nombre

d’auteurs, il s’agit d’un paradoxe.

408. Pour autant, celui-ci peut notamment s’expliquer par la légitimité de réguler les excès

du law shopping non maîtrisés par la jurisprudence de la C.J.C.E relative aux exceptions

mentionnées ci-dessus. Aussi, à l’aune de ces observations, le lecteur fera le constat d’une

nécessité d’améliorer encore davantage la définition du siège social par le droit

communautaire. En effet, il nous semble souhaitable d’encourager la domination du système

d’incorporation en ce sens qu’il est le vecteur de la mobilité des sociétés, élément essentiel

dans un ensemble économique mondialisé et concurrentiel. Pour autant, aussi légitime que

soit cette domination, cette dernière ne doit pas être excessive mais au contraire mesurée. En

effet, il semble essentiel que le rattachement de principe soit, en droit communautaire

prétorien, celui du siège statutaire pour les raisons évoquées de mobilité des sociétés et de

possibilité de restructuration des groupes intra communautaires. Néanmoins, le risque de

détérioration des législations internes induit par le phénomène de la course vers le bas pose

problème. D’une vocation unificatrice exprimée par une politique économique commune

264

glisse t-on vers la concurrence des Etats entre eux. En outre, se pose le problème des sociétés

boîtes aux lettres, lesquelles n’ont aucun lien économique avec l’Etat hébergeant le siège de

cette dernière. Ce sont notamment les raison pour lesquelles il convient d’adjoindre, à la

conception incorporatiste des tempéraments marquant le retour du siège réel. Plus

précisément, il incombe à l’ordre juridique communautaire la réalisation de deux objectifs.

D’une part, l’unification de la notion de siège autour de celle statutaire réclamée par la

doctrine et les praticiens nous semble aujourd’hui incontournable. D’autre part, il s’agit de

revitaliser les fondements au siège réel évoqués ci-dessus afin que ceux-ci constituent un

garde fou aux dérives absolutistes du siège statutaire. Dès lors, si l’apport de l’ordre juridique

communautaire quant à la clarification de la notion de siège est indéniable et dans sa globalité

positif, une évolution semble encore toutefois souhaitable (titre II).

265

Titre II : Les évolutions souhaitables de la définition du

siège social, une domination du siège statutaire associée

au siège réel

409. Tel qu’il a été constaté, l’ordre juridique communautaire a, depuis les arrêts Centros,

Überseering et Inspire Art, favorisé la définition statutaire du siège social. En effet, la

C..J.C.E souhaite promouvoir la mobilité ainsi que la souplesse d’organisation des sociétés.

Fondée sur la liberté d’établissement ainsi que sur le règlement 1346/ 2000 relatif aux

procédure d’insolvabilité communautaires, cette conception tends à s’imposer, ce que nous

saluons. Néanmoins, les dérives de la domination du critère de l’incorporation sont bien

réelles, telles qu’exprimées notamment à travers le phénomène de dumping législatif pratiqué

dans certains Etats ou encore la mobilité fictive ou frauduleuse. Dès lors, une évolution

sensible de la matière semble souhaitable, notamment dans le sens d’une concrétisation

expresse de la notion de siège statutaire mais également vers une plus grande prise en compte

des exceptions dédiées au siège réel telles la fraude ou la fictivité du siège. En effet, la

domination du siège statutaire demeure précaire dans la mesure où elle ne trouve actuellement

trop peu voire aucun fondement légal. En outre, le rattachement strict de la Société

Européenne semble en totale contradiction avec le mouvement jurisprudentiel et libéral des

arrêts Centros, Überseering et Inspire Art. Notons, cependant que le droit communautaire a

déjà entrepris cet effort en soutenant l’harmonisation de la notion tout en concevant une

articulation des différents droits en présence, ce qui est opportun (chapitre I). Cependant, la

situation ne nous semble pas entièrement satisfaisante en ce sens qu’une définition dont les

contours sont davantage affinés et harmonisés est souhaitable. En outre, une fois le critère de

l’incorporation imposé, il incombe à l’ordre juridique communautaire de redynamiser les

exceptions dont la portée a été vidée par la trilogie évoquée (chapitre II).

266

Chapitre I : Des évolutions opportunes et favorables au siège

statutaire envisagées par l’ordre juridique communautaire

410. Fort des jurisprudences précédemment évoquées dans nos propos, les acteurs du droit

communautaire ont abordé la question du siège social et ses évolutions vers une conception

souple statutaire. En effet, bien que fortement ancrée depuis l’arrêt Inspire Art, la théorie de

l’incorporation n’est pas textuellement consacrée (hors le cas du règlement 1346/ 2000) relatif

aux procédures d’insolvabilité communautaire) car elle tient ses origines du droit prétorien.

Dès lors, le statut d’une telle solution demeure précaire. Par conséquent, une harmonisation de

la notion de siège social au profit de la conception statutaire est légitime (section I). Par

ailleurs, s’agit-il de coordonner l’action de la société européenne et celle du droit des sociétés

nationales s’agissant de la définition du siège (section II).

Section I : Une harmonisation communautaire souhaitée de la définition du siège

en faveur du rattachement statutaire

411. Actuellement, le droit international privé des sociétés se trouve confronté à une

difficulté essentielle, en ce sens que cœxistent les deux conceptions opposées. L’une, dite

d’incorporation est très présente au Royaume Uni et a été plus récemment consacrée, dans une

certaine mesure, par l’ensemble jurisprudentiel Centros, Überseering et Inspire Art. L’autre,

plus rigide consiste en un rattachement au siège réel, soit le lieu de l’activité économique de la

personne morale. Cette dernière est, nous l’avons constaté, en recul depuis le mouvement

prétorien évoqué ci-dessus. Pour autant, cette conception n’a pas disparue de la scène

juridique puisque certains Etats, tels l’Allemagne, optent encore pour celle-ci et le droit des

procédures collectives communautaires a fait connu des résistances étatiques à appliquer un

critère statutaire unique prescrit par le règlement de 2000. Aussi, deux approchent divergentes

s’opposent pour une seule et même notion. Dès lors, une harmonisation de la notion par

l’ordre juridique communautaire est essentielle, soit au profit du siège réel, ce qui est

opportunément rejeté (I) soit bénéficiant au siège statutaire, laquelle constitue la voie

privilégiée (II).

267

I) Le rejet de l’éventuelle unification du siège autour de la conception réelle

412. Indéniablement, la C.J.C.E, par le biais de la trilogie jurisprudentielle abondamment

commentée, réalise un tour de force en imposant le principe de liberté d’établissement. Ce

dernier connaît des implications s’agissant de la définition du siège social avec une orientation

favorable au siège statutaire qu’à celui réel. Pour autant, le droit matériel de la Société

Européenne retient cette dernière. Dès lors, convient-il de s’interroger sur une éventuelle

unification de ladite notion au profit tantôt de la conception de Sitztheorie (A) pour, en

définitive, l’écarter (B).

A) L’hypothèse de l’unification autour de la conception réelle du siège

413. La Sitztheorie d’origine allemande impose que la société soit constituée dans l’Etat où

elle a son siège réel, c'est-à-dire son centre de décision effective ou encore lieu de réunion des

organes de celle-ci. Telle était également la position exprimée dans le célèbre arrêt Daily Mail

rendu par la Cour de Luxembourg en 1988551, lequel déniait à ladite société le droit au

transfert de son siège social.

414. Or, nous l’avons constaté, ce rattachement en lien direct avec l’activité économique de

ladite personne morale a été remis en cause par la jurisprudence de la C.J.C.E à partir de

l’arrêt Centros. Du moins, c’est ce que les apparences laissent préfigurer. En effet, rien n'est

moins sûr puisque pour le professeur Cyril Nourissat, les juges de Luxembourg n’ont opté

expressément pour aucun des deux critères en présence552, ces derniers leur demeurant

« indifférent ». Cette opinion paraît tout à fait envisageable en ce sens qu’il semblerait que cet

ensemble jurisprudentiel ne traite pas spécifiquement du siège mais surtout de la liberté

d’établissement. Dès lors, s’agissant du droit communautaire des affaires, la question légitime

concerne l’unification du rattachement. En d’autres termes, quelle conception peut-elle

légitimement prévaloir sur l’autre ? La dualité exposée étant inutile et source de complexité, il

551 Supra, p. 52. 552 C. Nourissat, Op. Cit., p. 132, n° 175.

268

convient de s’interroger sur la pertinence du rôle joué par le siège réel alors même que celui-

ci semble affaibli, en apparence, par la portée des jurisprudences susvisées553. Dès 1957, le

législateur communautaire n’avait pas souhaité trancher entre le siège réel et celui

statutaire554. En réalité, si le droit prétorien, a favorisé conception statutaire du siège, le droit

communautaire matériel a , quant à lui, choisit un rattachement plus strict à travers l’article 7

du règlement 2157/ 2000 relatif à la Société Européenne555. En effet, ce dernier réponds à des

objectifs louables, c'est-à-dire protéger la sécurité juridique des acteurs économiques. Le

critère d’incorporation ne prendrai pas en compte les intérêts des tiers et ne permet pas de

lutter efficacement contre la fraude. En outre, ne conduit-il pas, comme le craint Loussouarn,

quant à l’application du critère incorporatiste, à une situation de laxisme et de désordre avéré.

En d’autres termes, choisir d’unifier les règles de rattachement des personnes morales au

profit du siège réel, c’est opter pour une situation dans laquelle les liens entre l’Etat d’accueil

et la société sont effectifs. Ledit critère permet également d’éviter des délocalisations ou du

moins des restructurations mal acceptées dans les Etats membres. En effet, tel que nous

l’avons constaté, le siège statutaire permettant la dissociation des lieux d’implantation de la

personne morale est notamment observé avec beaucoup de circonspection en ce qu’il

implique, selon Maître Jean-Luc Calisti « une mobilité déréglementée »556. Précisons que ce

critère est toujours celui retenu en Belgique, au Luxembourg et en Grèce557. Tel qu’il sera

abordé, l’Allemagne, instigateur et farouche symbole de la Sitztheorie a été jusqu’alors l’un

des grand défenseurs de la conception réelle et stricte : les données factuelles de localisation

du siège l’emportaient sur le lien formel de l’incorporation. Pourtant, précisons que cet Etat a

changé d’orientation en 2006 et se situe désormais en faveur du siège statutaire, ce qui sera

l’objet de notre attention. Quant à la France, tels que nos propos l’ont suggéré, celle-ci est

placée dans une situation intermédiaire puisqu’elle admet les deux systèmes proposés558.

553 Supra, p. 68 à 89. 554 V. Magnier, Op. Cit., p. 77. 555 Supra, p. 190. 556 J-L. Calisti, Op. Cit., p. 55. 557 A. Autenne et T. Bosly, Op. Cit., p. 365 et 366. 558 Notons cependant qu’il est désormais une opinion doctrinale qui considère, au terme des articles que le droit

français des sociétés confère au siège statutaire le rattachement de principe. Voir sur ce point : supra, p. 36. ; H.

Synvet., « L’organisation juridique du groupe international de sociétés », Thèse Rennes 1979, p. 162, n° 184.

269

Observons également que les raisons énoncés ci-dessus ont pu jouer dans l’orientation prise

par l’article 7 du Règlement relatif à la Société Européenne, ce dernier imposant une

coïncidence entre le siège statutaire et le lieu d’administration centrale. La différence de

situation entre les deux, nous l’avons constaté, s’explique par le fait que cette dernière est le

fruit d’un compromis politique entre les Etats membres et est empreinte d’une grande rigidité

alors que la C.J.C.E possède une plus grande latitude d’action559. Par ailleurs, si les arrêts

Centros et Überseering ont pu infléchir la portée de l’arrêt Daily Mail s’agissant du transfert

des établissements secondaires, des incertitudes demeurent quant à celui principal. Une

interprétation doctrinale à laquelle nous souscrivons estime que l’arrêt de 1988 serait remis en

cause par les espèces de 1999 et de 2002. Cependant, aucune décision n’atteste pour l’instant

de ce fait. Aussi, l’articulation entre le droit de la S.E. et celui des sociétés anonymes opérant

sur le marché européen confine au paradoxe voire à l’incompatibilité puisque deux systèmes

de rattachement s’opposent alors même que le fondement juridique de l’article 48 du Traité

est présent dans les présents cas560. Dès lors, la confusion règne au sein de l’espace juridique

de l’Union européenne. Notons qu’un récent rapport du Sénat a notamment émis l’hypothèse

du rattachement au siège réel pour ensuite l’écarter au nom du besoin de mobilité des sociétés.

En effet, selon l’expression de Maîtres Reinhard Dammann et Mélanie Fronty, « cette théorie

n’est plus en phase avec l’organisation actuelle des sociétés »561 dans la mesure où elle

apparaît en contradiction avec la jurisprudence communautaire précitée. Par conséquent, si

l’ordre juridique communautaire doit réaliser l’harmonisation du siège, cela ne suppose pas de

retenir la conception réelle. Cette solution mérite approbation dans le sens où retenir la

conception réaliste à l’heure de la mondialisation des échanges économiques serait un frein à

la compétitivité des entreprises. En effet, cette solution conduit à restreindre les possibilités de

mobilité des personnes morales puisqu’elle impose la réunion des organes décisionnels et du

centre d’activité économique au sein du même Etat. Dès lors, la faculté de déplacement ne

peut être que limitée. Eu égard aux objectifs fixés par le Traité de Rome, nier ce besoin de

mobilité ne peut aller qu’à l’encontre de la réalisation de l’Union économique.

559 R. Dammann et M. Fronty, Op. Cit., p. 97. 560 M. Menjucq, « Rattachement de la Société Européenne et jurisprudence communautaire sur la liberté

d’établissement : incompatibilité ou paradoxe ? », Dalloz 2003, p. 2874. 561 R. Dammann et M. Fronty, Op. Cit., p. 103.

270

C’est pourquoi la doctrine rejette en grande majorité l’unification du siège social au profit du

siège réel et lui préfère la conception souple et libérale issue de l’incorporation anglaise.

II) Le choix satisfaisant d’une uniformisation de la notion au profit de la conception statutaire

415. Tel que nous venons de le relever, une uniformisation ou une recodification au profit

du siège réel n’est pas souhaitée par la doctrine. Nous approuvons cette solution. En effet, si

notre choix se porte plus vers l’uniformisation de la notion incombant à l’ordre juridique

communautaire (A), celle-ci doit être effectuée au profit de la conception statutaire du siège

(B)

A) Le débat préalable portant sur le choix entre une uniformisation communautaire des règles

de droit international privé relatives au siège social et une codification nationale

416. En préalable à toute orientation vers le siège statutaire ou celui réel, il convient de

s’interroger sur la méthode employée afin de mettre fin à la dualité de rattachement constatée.

La question est simple : s’agit-il pour l’ordre juridique communautaire de privilégier une

uniformisation des règles en matière de détermination du siège social ou au contraire

d’encourager les initiatives nationales de codification ? Selon Maître Reinhard Dammann et le

professeur Michel Menjucq, la première branche de l’alternative est « probablement

préférable » en ce sens que cela affecte de façon concomitante les vingt sept Etats de

l’Union562. En effet, les auteurs estiment que les décisions de la C.J.C.E s’appliquent à tous

les Etats membres : une solution identique doit dès lors être envisagée au profit de l’un ou

l’autre critère, en l’occurrence le siège statutaire, comme cela sera démontré ci-dessous. Pour

ce faire et selon un aspect formel, ces deux auteurs suggèrent de retenir l’instrument juridique

communautaire du règlement. Le fondement adéquat semble être l’article 65 b) du Traité

562 R. Dammann et M. Menjucq, « Contribution de Maître Dammann et du professeur Menjucq : L’Union devrait

ranger parmi ses priorités l’unification des règles de droit international privé concernant les sociétés

commerciales », Rapport de Noëlle Lenoir, La Societas Europaea ou SE, Pour une Citoyenneté européenne de

l’entreprise, La Documentation française 2007, p. 271

271

relatif aux mesures nécessaires au bon fonctionnement du marché intérieur. En outre, l’article

44 du même texte (ancien article 54), lequel précise que les autorités communautaires

« tendent à coordonner, pour les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les

Etats membres, des sociétés, au sens de l’article 58, alinéa 2 du Traité, pour protéger les

intérêts tant des associés que des tiers », constitue le fer de lance en faveur de cette

initiative563. Le présent article reçoit, selon le professeur Michel Menjucq, deux

interprétations différentes. En effet, d’une part, selon la plus restrictive, la coordination

demeure limitée puisque le texte la borne au « nécessaire » et dans le but « de rendre

équivalentes les garanties (…). »564 En d’autres termes, cet effort uniquement fonctionnel, en

ce sens qu’il ne devrait permettre qu’à concrétiser des objectifs d’intégration économique

européenne. D’autre part, une analyse plus générale retient l’importance du lien entre la

coordination des droits des sociétés et la liberté d’établissement. C’est notamment l’idée sous

tendue dans l’arrêt Daily Mail de 1988, celui-ci dressant le constat d’une absence de

coordination au sein du droit communautaire du transfert de siège. En effet, de trop grandes

divergences entre la conception du siège social au sein des vingt sept peut se révéler, tel que

nous l’avons constaté, préjudiciable pour les associés et les tiers. Dans cette logique, la

coordination du droit par le législateur européen réponds alors au soucis de réaliser le marché

unique. Quelque soit l’interprétation retenue, celle-ci semble davantage praticable que la re-

codification interne. C’est pourquoi, nous souscrivons à cette démarche.

417. Néanmoins, et ce à titre subsidiaire, en cas d’échec d’une harmonisation

communautaire, il est envisageable, comme l’affirme le professeur Véronique Magnier, de

laisser aux Etats membres le choix du rattachement leur paraissant le plus adapté565. Il s’agit

également de l’opinion de Maître Dammann et du professeur Michel Menjucq, lesquels

estiment que « l’évolution des règles de droit international privé pourrait s’opérer à l’échelon

national, notamment au moyen d’une codification de nouvelles solutions. »566 En effet, selon

ces derniers, cette orientation aurait le mérite de la clarté et du réalisme. Observons que cette

démarche doit être réalisée dans une perspective de droit comparé afin de tenir compte des

563 A. Decocq et G. Decocq, Op. Cit., p. 72. 564 M. Menjucq, La Mobilité des sociétés dans l’espace européen, Thèse Bordeaux, LGDJ 1997, p. 312, n° 419. 565 V. Magnier, Op. Cit., p. 77. 566 R. Dammann et M. Menjucq, Op. Cit., p. 297.

272

solutions élaborées dans les autres Etats membres567. Néanmoins, à cet égard, une telle

possibilité ne nous paraît pas évidente dans la mesure où elle suppose que les Etats membres

effectuent simultanément ce travail de codification interne des normes sociétaires. En outre,

l’apport des arrêts précités rendus par la Cour de Luxembourg témoignent d’une tendance, du

moins jurisprudentielle, à l’unification à l’échelon communautaire de la notion de siège

social. Cette orientation a été, par ailleurs, confirmée plus récemment par les espèces Sevic

System et Eurofood, respectivement relatives aux fusions transfrontalières et aux procédures

d’insolvabilité communautaire. C’est pourquoi, il semble, dans un premier temps, plus aisé de

raisonner dans le sens d’une unification de la notion de siège social par l’ordre juridique

communautaire.

B) Une unification souhaitable de la notion de siège social au profit du siège statutaire

418. Si le critère du siège réel est écarté dans une perspective d’unification de la notion de

siège social, la majorité des auteurs privilégient actuellement, le critère formel et libéral du

lieu d’incorporation568. En effet, en préalable, notons qu’une telle évolution va dans le sens

d’un contexte général favorable à la conception issue du droit anglo-saxon. Ainsi, l’ensemble

jurisprudentiel évoqué affirme le recul du siège réel et l’éventuelle domination de celui

statutaire, en ce sens que les résistances au premier critère tombent. En outre, l’Allemagne,

pourtant très attachée au critère du siège réel, a opté depuis 2006 pour un rattachement au

siège statutaire, tel que nous l’expliciteront dans nos propos.

419. Quant à la trilogie jurisprudentielle des arrêts Centros, Überseering et Inspire Art,

celle-ci s’inscrit pleinement dans une perspective de mobilité des personnes morales. A ce

titre, la doctrine, dans sa majorité démontre que peu à peu s’instaure un terrain très favorable

à la théorie de l’incorporation au sein de l’Union européenne puisque selon l’expression de

567 En effet, tel qu’il sera abordé, l’Allemagne a déjà débuté sa réflexion en la matière. 568 Voir notamment : V. Magnier, « Mobilité des sociétés et liberté d’établissement : le point de vue

communautaire », Dossier « La mobilité internationale des sociétés », Cahiers de droit de l’entreprise 2006, n°

2, p. 30.

273

madame Martine Boizard569, la première est vivifié par la position très ferme de la C.J.C.E.

Surtout, l’affaire Inspire Art semble marquer « un pas de plus » selon le professeur Etienne

Pataut vers l’acception de ce critère, ce qui laisse « une marge de manœuvre très restrictive au

siège réel. »570 En effet, les exceptions d’usage abusif du droit communautaire et de la fraude,

instruments privilégiés du siège réel, sont reléguées par les juges de Luxembourg, à un rôle

plus que secondaire. Les conditions d’applications de ces fondements, sont en effet, tel que

cela a été analysé, restrictives. Dès lors, il semble que retenir de façon uniformisée la

conception statutaire en lieu et place de celle réelle est opportune. En outre, cette tendance a

retenir une définition plus souple du siège social s’accentue encore par l’apport de l’arrêt

Sevic System rendu par la C.J.C.E s’agissant des fusions transfrontalières des établissements

secondaires571. En effet, cette espèce du 13 décembre 2005 admet la validité des opérations de

fusions transfrontalières au titre de la liberté d’établissement et se saisit des contours de la

définition du siège social. Tel que nous l’avons évoqué, au terme du point 30 de l’exposé des

motifs, la Cour évoque la dissociation des sièges dans le cadre d’une telle opération s’agissant

de la société absorbante et de celle absorbée. Les faits démontrent la dissociation entre les

siège réel et le siège statutaire puisque le premier se situe en Allemagne tandis que le second

est localisé au Luxembourg, Etat législativement attractif. Or, dans son dispositif, la Cour de

Bruxelles affirme t-elle que « Les articles 43 et 48 » s’opposent à cette attitude « lorsque l’une

des deux sociétés a son siège dans un autre Etat membre alors qu’une telle inscription est

possible dès lors que certaines conditions sont respectées ». A l’aune de ces observations,

deux éléments sont à noter : d’une part, la Cour de Luxembourg admet-elle, dans la continuité

de l’affaire Inspire Art, la dissociation du siège social, ce qui tends, d’autre part à privilégier

la théorie du siège statutaire. Ajoutons que cette conception souple du rattachement s’accorde

particulièrement avec la définition donnée dans la 10e directive relative aux fusions

transfrontalières, adoptée peu de temps auparavant et permettant aux établissement

secondaires d’entreprises de l’Union de se restructurer et de se mouvoir En effet, ledit texte

communautaire affirme le principe d’un rattachement alternatif entre le siège statutaire,

569 M. Boizard, « Incidence des normes européennes sur la liberté de constitution des sociétés en droit français »,

Rev. Sociétés 2005, n° 1, p. 11. 570 E. Pataut, Op. Cit., p. 491. 571 Supra, p. 133 à 136.

274

l’administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de la Communauté.572

Aussi, la 10e directive consacre le libre choix de rattachement pour les sociétés désirant s’unir,

et la possibilité de dissociation des sièges statutaires et réels. C’est pourquoi, comme en

attestent les propos du professeur Steef Bartman, la règle de non dissociation découlant du

siège réel et de l’article 7 du règlement relatif à la Société Européenne « devrait être

modifiée » en ce sens qu’elle est en « contradiction et incompatible » avec les arrêts

précités573. Dès lors, l’unification de la notion de siège social en droit communautaire doit se

réaliser au profit du critère d’incorporation.

420. Par ailleurs, nous l’avons constaté, la conception statutaire du lieu d’implantation de la

personne morale s’applique également s’agissant des procédures d’insolvabilité

communautaire. En effet, le Règlement 1346/2000 pose le principe, en son article 3, d’un

rattachement de la procédure principale au critère du centre des intérêts principaux du

débiteur, lequel est présumé se situer au lieu du siège statutaire de la société574. Une telle

orientation institue le principe d’universalité de la faillite. Pour autant, les Etats membres ont

tenté de dévoyer l’application des dispositions édictées par ledit texte en tenant compte de la

situation réelle des biens du débiteur personne morale, comme en témoigne notamment l’arrêt

Isa Daisyteck rendu par une juridiction anglaise. Fort heureusement, la Cour de Luxembourg

a mis fin à cette persistance du critère réel dans la désormais célèbre affaire Eurofood,

laquelle imprime de sa marque la conception souple du siège social dans le cadre des

procédures collectives intra communautaires575. Désormais, la présomption de situation du

centre des intérêts principaux du débiteur est d’une vigueur plus forte qu’à l’origine. Aussi, le

parallèle avec la situation relative à la liberté d’établissement peut être dressé. Aux termes de

cette analyse, il nous semble que le siège statutaire bénéficie d’une tendance jurisprudentielle

lui étant favorable. Or, tel que nous observé, lesdites espèces n’imposent pas pour autant, à

572 M. Menjucq, « Les Fusions transfrontalières de capitaux », Rev. Lamy Droit des Affaires 2006, n° 5, p. 11. 573 S. Bartman, « Contribution du professeur Bartman sous la forme de réponses au questionnaire sur la S.E »,

Rapport de Noelle Lenoir La Societas Europaea ou SE, Pour une Citoyenneté européenne de l’entreprise, La

Documentation française 2007, p. 271. 574 Voir sur cette notion : Supra, p. 67 à 70. 575 Supra, p. 102 à 107.

275

l’instar du Traité de Rome, expressément la théorie de l’incorporation576. Eu égard à cette

situation, Maître Reinhard Dammann fait également le constat de la nécessité d’une

réglementation européenne cohérente : selon l’auteur le rattachement des personnes morales

doit tenir compte de l’évolution de l’économie et d’exercer le commerce hors des

frontières577. Dès lors, nous ne pouvons que souscrire à l’opinion doctrinale qui consiste à

privilégier l’uniformisation de la notion de siège au profit de l’incorporation.

421. Cette assertion est notamment corroborée par l’avis de nombreux praticiens du droit

des entreprises. En effet, ces derniers s’expriment en très grande majorité en faveur du critère

du siège statutaire578. Ainsi, Madame Minna Aila, Directeur de projet au sein de la société

Elcoteq SE estime qu’il incombe, plus particulièrement s’agissant de la Société Européenne,

à l’ordre juridique communautaire de ne plus faire de distinction entre le siège statutaire et le

lieu d’administration centrale en ce sens que ce dernier a « dans l’environnement économique

mondial actuel (…) beaucoup moins d’importance. » On supposera que l’auteur fait

implicitement référence au contexte d’économie mondialisée et à la nécessité de mobilité

ressentie par les sociétés issues de l’Union afin de pouvoir demeurer concurrentielles à l’égard

de celles nord-américaines notamment. Madame Minna Aila ajoute que si le law shopping

doit être encouragé car il constitue un vecteur de concurrence entre les Etats membres, une

uniformisation du critère du siège est nécessaire. Egalement, Monsieur Gérard Gardella,

Directeur des affaires juridiques de la holding Société Générale estime qu’il s’agit de

« favoriser la théorie de l’incorporation » car celle-ci, de nature souple, permet de réaliser des

rapprochements transfrontaliers d’entreprises579. Cependant, ce dernier n’estime pas

nécessaire une harmonisation du droit des sociétés au niveau de chaque Etat membre. Enfin,

quant à l’une des premières Société Européenne, la SE Allianz, les Docteurs Hemeling et

Ress, respectivement Directeur juridique et Chef du service juridique affirment que la liberté

576 P. Lagarde, « La formation progressive du droit international privé communautaire », Rep. Defrénois 2005, n°

1, p. 31. 577 R. Dammann, Op. Cit., p. 47. 578 Ces contributions sont issues du rapport précité de Noëlle Lenoir remis au Garde des Seaux et Ministre de la

Justice, « La Societas Europaea ou SE. Pour une citoyenneté européenne de l’entreprise », La Documentation

française 2007, p. 269 à 310. 579 G. Gardella, Op. Cit., p. 242.

276

d’établissement et la conception statutaire qui en découle doit primer sur le droit

communautaire dérivé, tel le Règlement 2157/2000 relatif à la Societas Europaea580.

422. Ainsi, à la lumière de ces témoignages non exhaustifs, il est loisible de constater une

préférence des acteurs du monde économique pour le critère du siège statutaire, lesquels

arguent notamment à cette fin du fondement de la liberté d’établissement.

423. Par conséquent et afin de tenir compte de ces aspirations, l’uniformisation au profit de

cette conception souple et libérale du siège doit être réalisée par l’ordre juridique

communautaire dans les prochaines années. A défaut, le triomphe de l’incorporation et de la

mobilité des personnes morales demeurera précaire. Or, une telle situation d’instabilité ne

serait pas concevable eu égard à l’actuelle concurrence économique en provenance des Etats-

Unis et du marché asiatique.

424. Ainsi, si l’on constate, à la faveur du droit communautaire prétorien, une tendance plus

propice à la conception statutaire du siège social, une certaine instabilité demeure en raison

même de la source favorisant cette approche. Dès lors, il est à souhaiter une uniformisation

émanant de l’ordre juridique matériel au profit de cette notion d’incorporation. C’est du moins

le vœux exprimé par les praticiens et la doctrine du droit économique international en ce que

ce mouvement sera le garant de la mobilité des sociétés. En effet, il existe actuellement, et ce

notamment au sein du statut de la Société Européenne, une tendance minoritaire privilégiant

le rattachement de principe au siège réel, laquelle freine les possibilités de déplacements des

entreprises. Il est ainsi impératif de réaliser une meilleure articulation entre le droit spécial de

la Societas Europaea et celui général des sociétés anonymes de droit interne dont le

rattachement est statutaire (Section II) car bien que le statut de la première offre des

aménagements futurs possibles, l’ensemble demeure perfectible.

580 P. Hemeling et H- K. Ress, Op. Cit., p. 216.

277

Section II : Promouvoir une meilleure articulation en droit communautaire entre

le rattachement de la Société Européenne et celui des sociétés anonymes de droit

interne

425. Tel que le constat vient d'être effectué, l’ordre juridique communautaire souffre d’un

manque de cohésion s’agissant des rattachements respectifs de la Société Européenne et des

sociétés anonymes de droit national. En effet, si la jurisprudence de la C.J.C.E se contente

d’un lien formel de la personne morale avec l’Etat d’accueil, les dispositions du Règlement

2157/2000 imposent un rattachement plus strict en ce sens que prohibition est faite à la

dissociation de lieux entre le siège statutaire et celui réel. Pour autant, la situation paradoxale

décriée s’accompagne d’une possibilité d’aménagement futur dans le cadre du statut de la S.E.

En effet, l’article 69 dudit Règlement offre d’intéressantes perspectives relatives à l’évolution

de la conception du siège social de la Societas Europaea (I). En outre, depuis quelques

années, une réflexion s’est construite autour d’un projet de petite société européenne. Or, il

semble nécessaire que cette structure adopte une conception statutaire du siège social, ce qui

n’est pour l’instant, pas le cas (II).

I) Des perspectives d’évolution du rattachement de la Société Européenne à la faveur de

l’article 69 du Règlement 2157/2000

426. Tel que nous l’avons observé, le Règlement 2157/2000 relatif à la Société Européenne

impose, en son article 7, une concordance entre le siège statutaire de la société et le lieu de

l’administration centrale. Par conséquent, le rattachement de cette structure est soumis au

système du siège réel. Une telle conception, l’on s’en souvient, correspond à la volonté de

limiter le law shopping émanant de certains Etats membres, tels l’Allemagne. En outre, le

professeur Michel Menjucq note que « les propositions successives de règlement se

278

déterminent depuis 1989 en faveur de [celui-ci]. »581 Ainsi, apparaît une décalage flagrant au

sein de l’ordre juridique communautaire entre une grande latitude offerte aux sociétés

anonymes de droit interne et un rattachement restrictif et dépassé s’agissant de l’entité

pourtant dédiée à la mobilité des personnes morales. Néanmoins, une disposition de ce même

texte, l’article 69, permet des aménagements à venir effectués par la Commission. A ce titre,

le rattachement de ladite entité est visé. Il convient dès lors d’envisager la signification de cet

article (A) puis d’en dégager la portée (B).

A) L’existence de l’article 69 du Règlement 2157/2000 où l’éventuelle évolution du

rattachement de la Societas Europaea

427. Selon les professeurs Duncan Fairgrieve et Faria Medjouba, il existe, à l’aune du

rattachement de la S.E et de celui des sociétés anonymes de droit national, un « chiasme »

fondamental » au sein de l’ordre juridique communautaire582. Le professeur Michel Menjucq,

lequel souligne préalablement le paradoxe évident de la situation, note la présence de l’article

69 au sein du Règlement 2157/2000583. Ce dernier dispose en effet que « Au plus tard cinq

ans après l’entrée en vigueur du présent texte, la Commission présente au Conseil et au

Parlement européen un rapport sur l’application du règlement, et, le cas échéant, des

propositions de modification. Le rapport examine en particulier s’il convient : a) de permettre

à une S.E. d’avoir son administration centrale et son siège statutaire dans des Etats membres

différents. » En d’autres termes, une telle possibilité réglementaire laisse le champs à

d’éventuelles améliorations des règles actuelles. Concrètement, l’entrée en vigueur du statut

de la Société Européenne était prévue pour 8 octobre 2004584, toutefois elle était conditionnée

581 M. Menjucq, « Droit international et européen des sociétés », Coll. Domat Droit Privé, Montchrestien 2001,

p. 129, n° 99. 582 D. Fairgrieve et F. Medjouba, «La Societas Europaea », Contribution au Rapport de Noëlle Lenoir, Op. Cit.,

p. 300. 583 M. Menjucq, « Rattachement de la Société Européenne et jurisprudence communautaire sur la liberté

d’établissement : incompatibilité ou paradoxe ? », Dalloz 2003, n° 42, p. 2876. 584 L. Julien- Saint- Amand, « Le futur rôle de la Société Européenne dans le monde des affaires en France et en

Allemagne », Les Petites Affiches 17 août 2006, n° 164, p. 43 et ss. L’auteur note, en effet, que la Societas

279

par la transposition de la directive sociale évoquée dans nos propos. Ainsi, celle-ci fut

retardée, notamment en France puisque ce dernier texte a été transposé le 26 juillet 2005 puis

complété par les décrets n° 2006-448 du 14 avril 2006 et n° 2006-1360 du 9 novembre

2006585. Par conséquent, les éventuelles modifications devraient avoir lieu en 2009 ou 2010.

En raison du Traité de Nice et des difficultés politiques afférentes à la création de cette entité,

on comprendra aisément que le législateur communautaire ait souhaité marquer un temps

d’observations afin d’apprécier ce que les Etats membres, les sociétés et les praticiens du droit

feront de cet instrument. Entre autres choses, rappelons nous que le débat relatif à la S.E. a

notamment porté sur la définition du siège social, certains Etats, notamment continentaux,

souhaitant conserver un rattachement traditionnel au siège réel, les autres privilégiant les

applications de la théorie de l’incorporation. Le sommet de Nice de décembre 2000 a opté

pour une solution concertée et de compromis, en ce sens que les Etats membres ont tranché en

faveur du siège réel, cette volonté étant traduite juridiquement par l’article 7 du Règlement

2157/2000. Notons, en outre, s’agissant du transfert du siège social de la S.E. que l’article 14

autorise les Etats membres à prévoir un droit d’opposition à cette opération. Aussi, se situe t-

on actuellement dans un cas de figure de mobilité restreinte de la personne morale selon la

conception traditionnelle du droit international privé.

428. Toutefois, il est à supposer que le législateur communautaire a souhaité, par le biais de

la disposition précité, tenir compte de l’évolution jurisprudentielle intervenue en 1999 dans

l’arrêt Centros et anticiper la réflexion sur la liberté d’établissement des personnes morales.

Dès lors, l’article 69 dudit texte nous semble des plus légitimes. En effet, selon l’expression

de Monsieur Jean-Pierre Brouillaud, « il faudra attendre encore quelques mois, voire quelques

années, pour dresser un premier bilan significatif du retentissement de la S.E., et voir si le

caractère fortement national de son régime juridique constitue ou non un frein diriment à son

épanouissement. »586 Il est à préciser que d’après les termes employés dans la présente

disposition, la modification ne constitue pas une simple éventualité mais bien un impératif

Europaea a effectivement vu le jour le 8 octobre 2004. Cependant, à cette date, seuls 6 Etats sur les 27 avaient

intégré les textes la concernant dans leur législation. 585 Voir sur ce point : G. Notté, « Rapport Noëlle Lenoir : la Societas Europaea ou SE. Pour une citoyenneté

européenne de l’entreprise », Aperçu rapide, JCP E 2007, n° 13, p. 3. 586 J-P. Brouillaud, Op. Cit., p. 44.

280

que se fixe le législateur communautaire. En témoigne, l’expression « la Commission

présente ». Dès lors, on conçoit l’importance d’un tel processus.

429. Admettons que l’évolution potentielle se fasse en faveur du siège statutaire, celle-ci

irait dans le sens d’une plus grande prise en compte des droits des Etats membres, lesquels

privilégient désormais en majorité le système d’incorporation587. En outre, revoir la

conception du siège au sein de la Societas Europaea aurait le mérite de mettre en adéquation

le droit spécial de cette dernière avec le régime des sociétés anonymes nationales conféré par

le droit prétorien communautaire588. En effet, il s’agit de saluer la clairvoyance du législateur

européen, lequel a anticipé les arrêts confirmatifs Überseering, Inspire Art et plus récemment

Sevic System, lesquels rendent incontournables la possibilité de dissocier le siège statutaire du

siège réel de la personne morale. Eu égard aux résultats « peu laborieux »589 du démarrage de

la S.E. sur la scène juridique communautaire, l’initiative proposée par l’article 69 du

Règlement 2157/2000 nous semble être de bon aloi. Par conséquent, il convient de

s’interroger sur le sens donné à la présente modification (B).

B) Une réflexion légitime sur l’éventuelle issue de l’article 69 du Règlement relatif à la

Société Européenne

430. Si l’article 69 du Règlement communautaire 2157/2000 impose, pour 2009, une

réflexion de la Commission européenne relative à la conception du siège social au sein de la

Société Européenne, l’issue de ce travail demeure pour l’instant incertaine. La question a été

abordée dans le cadre plus général de notre étude590, il s’agit donc ici de déterminer

précisément vers quel critère peut s’orienter ladite institution européenne chargée de la remise

à plat du rattachement de la S.E. Des éléments de réponse nous sont cependant donnés. En

premier lieu, si l’on s’en tient à la lettre même de l’article 69, ce dernier mentionne t-il

expressément s’il convient de «de permettre à une S.E. d’avoir son administration centrale et

son siège statutaire dans des Etats membres différents ». En d’autres termes, le texte prévoit la 587 J-P. Bertrel, Op. Cit., p. 68. 588 N. Lenoir, Op. Cit., p. 123. 589 J-P. Brouillaud, idem. 590 Supra, p. 266 à 270.

281

dissociation de sièges au sein de ladite structure. Une telle solution nous semble opportune

dans le sens où elle se rapproche notamment de la portée des arrêts Centros, Überseering et

Inspire Art relatifs à la liberté d’établissement des personnes morales, lesquels sanctionnent

les Etats membres pratiquant une telle mesure591.

431. En outre, pour la doctrine, fort de l’apport de la présente disposition, le décalage entre

la conception souple du rattachement régissant les sociétés anonymes de droit national et celui

plus strict gouvernant la S.E. n’est peut être que « temporaire », selon l’expression du

professeur Véronique Magnier592. En effet, un alignement entre le rattachement de la S.E. et

des sociétés anonymes de droit interne est souhaité par nombre d’auteurs. En effet, si pour le

professeur Evanghélos Pérakis, l’article 69 du Règlement est une perspective, il est également

« une promesse. »593 Ainsi, l’alignement au critère du siège statutaire entre les sociétés de

droit national et la Société Européenne est-il légitimement souhaité. En outre, il s’agit

également du vœu formulé par le professeur Michel Menjucq594, lequel perçoit également,

dans l’article 69 du Règlement 2157/2000, la possibilité de mettre fin au paradoxe

précédemment évoqué. De même, l’auteur regrette t-il la rigidité qu’offre le statut de la

Société Européenne s’agissant de sa capacité à se mouvoir au sein de l’Union européenne. En

ce sens, établir le rattachement de cette entité au siège statutaire est salutaire puisque ce

dernier permet, avec plus de simplicité procédurale, les déplacements d’une personne morale.

Par ailleurs, selon l’expression de madame Noëlle Lenoir, « l’évolution de la jurisprudence de

la C.J.C.E rends inopérante la théorie du siège réel. » Aussi, poursuit-elle, « il faut franchir ce

pas »595. De tels propos doivent être approuvés. En effet, ainsi que nous l’avons observé,

l’évolution actuelle de la réflexion relative au siège social va dans le sens d’une

modernisation générale du droit des sociétés communautaire et peut, dans une certaine

mesure, influer sur le mode de rattachement en droit international privé. Empreinte du

« militantisme » de la Cour de Luxembourg, selon l’expression du professeur Michel

591 Voir sur ce point : J-M. Jacquet, P. Delebecque, S. Corneloup, Op. Cit., p. 168 et 169, n° 300. 592 V. Magnier, « Droit Européen des sociétés », Le Droit des Sociétés pour 2005, Dalloz, p. 533. 593 E. Perakis, « SE : une société pour quelles entreprises », Sous la dir. de K. J. Hopt, M. Menjucq et E.

Wymeersch, La Société Européenne, Op. Cit., p. 232. 594 M. Menjucq, « Un modèle de mobilité : la Société Européenne. », Dossier La Mobilité Internationale des

Sociétés, Cahiers de droit de l’entreprise 2006, p. 38. 595 N. Lenoir, idem.

282

Menjucq596, elle ne peut, dès lors, se poursuivre sans l’apport d’un fondement textuel

communautaire favorable au critère d’incorporation. De surcroît, cette orientation favorable à

cette dernière notion s’est poursuivie en 2005, dans le cadre des fusions transfrontalières, au

sein de l’arrêt Sevic System précédemment évoqué. Or, cette opération est-elle également

envisagée par le Règlement 2157/2000 : aussi, eu égard à la volonté affichée de promouvoir et

de faciliter ce mode de mobilité des sociétés, un correctif s’agissant de l’article 8 dudit texte

est-il nécessaire. De surcroît, cette tendance au critère de l’incorporation comme rattachement

de principe est, nous l’avons mentionné, présente en droit communautaire des procédures

d’insolvabilité, que ce soit par le biais de règles matérielles que de celles issues de la

jurisprudence de la C.J.C.E. Aussi, le législateur communautaire se doit de repenser le régime

actuel présidant aux destinées de la Société Européenne.

432. A contrario, selon les auteurs susvisés le maintien du système du siège réel au sein de

la Societas Europaea ne serait que source de nouveaux blocages voire de régression. Par

conséquent, privilégier la voie de la conception statutaire à travers l’article 69 de la norme du

8 octobre 2001 est-elle opportune afin de passer de la « société approximativement

européenne à celle « absolument européenne », selon les mots forts opportuns de Monsieur

Jean-Pierre Brouillaud597. Par ailleurs, s’agit-il de prévoir la constitution, outre la forme

modifiée de la S.E., une structure communautaire capable d’accueillir de plus petites sociétés

que celles susceptible d’intégrer la première et basant son rattachement sur le siège statutaire

(II).

II) L’orientation opportune de l’ordre juridique communautaire vers une Société Privée

Européenne fondée sur le rattachement au siège statutaire

433. Si l’initiative de constituer une entité de droit communautaire dotée de mobilité

réponds à un réel besoin des entreprises, l’actuelle Société Européenne souffre de multiples

carences qui la rendent impopulaire auprès de ces dernières. Parmi ces lacunes, il est

fréquemment évoqué le fait que cette structure porte en elle « un corpus suranné de règles de

596 M. Menjucq, « L’Europe et le droit de l’entreprise », JCP E 2007, n° 14-15, p. 36. 597 J-P. Brouillaud, Op. Cit., p. 44.

283

droit des sociétés »598. En d’autres termes, puisque cette entité provient d’une réflexion

débutée il y a plus de quarante ans, elle apparaît inadaptée aux réalité économiques du

moment. La S.E été conçue comme une technique d’ingénierie juridique transfrontalière, or

dans les montages qu’elle permet, la flexibilité recherchée est masquée par une trop grande

rigidité procédurale doublée d’un capacité insuffisante à se mouvoir (A). Dès lors, depuis

1988, doctrine et praticiens ont élaboré de concert un projet de Société Privée Européenne,

cette dernière étant plus adapté aux besoins des entreprises, permettant une grande liberté

statutaire et surtout adoptant le rattachement du siège statutaire (B).

A) La Société Européenne, une structure figée car inadaptée à la réalité économique et peu

propice à la mobilité des sociétés

434. Bien qu'adoptée à la suite du Traité de Nice de décembre 2000 et entrée en vigueur en

octobre 2004, la Societas Europaea ne semble plus paradoxalement, selon certains auteurs,

correspondre aux besoins actuels des entreprises599. En effet, selon l’expression de Madame

Nathalie Huet et de Monsieur Aristide Levi, respectivement juriste et Directeur du CREDA,

« fortement inspirées par des conceptions de droit des sociétés qui n’ont plus guère cours en

Europe, les dispositions régissant l’organisation et le fonctionnement de la S.E. puisent pour

une trop grande part, à la source d’un droit communautaire largement fossilisé. »600 Bien que

cette observation se doive d’être nuancée, nous admettons volontiers que le droit

communautaire des sociétés a, en effet, évolué depuis le projet Sanders de 1966, vers une plus

grande souplesse et une logique de mobilité des personnes morales. Pour preuve, considérons

la 10ème directive relatives aux fusions transfrontalières de 2005, laquelle facilite

considérablement la réalisation de telles opération au sein de l’Union européenne.

Naturellement, il en va de même pour les droits internes des sociétés, tels la loi française de la

même année relative aux sociétés anonymes, laquelle a connu des adaptations au fil du temps

(lois NRE de 2000 et TEPA de 2007 notamment). Or, s’agissant de la Societas Europaea, la

598 M. Menjucq, Op. Cit., p. 37. 599 Voir notamment l’étude de M. Menjucq, « La Société Européenne », Rev. Sociétés 2002, n° 2, p. 225 à 246. 600 A. Levi et N. Huet, « De la S.E…à la SPE », suppl. Rev. Lamy Droit des Affaires 2002, n° 48, p. 32 et 33.

284

structure semble bien archaique car, hors la possibilité de réaliser le transfert de siège et les

fusions transfrontalières, le texte de 2001 n’offre aucun aspect novateur tant au niveau du

schéma organisationnel proposé que des possibilités données par le législateur

communautaire. A titre illustratif, il sera fait état de la lourdeur des structures que ce dernier

impose puisque la présence d’une assemblée générale et d’un organe de direction ou d’un

conseil de surveillance sur option. En d’autres termes, il s’agit d’un statut demeuré figé depuis

les premiers projets le concernant et calqué sur les droits français et allemand de

l’Actiengezetz (société anonyme)601. En effet, le point sur lequel les débats se sont cristallisés

et qui a donc connu une évolution concerne essentiellement le cas de la participation des

salariés, soit l’aspect social de la S.E. Il était donc légitime que le législateur se focalise sur ce

point lors de la rédaction du Règlement 2157/2000, ce qui a donné lieu à la directive dite

Travailleurs adjointe au premier et consacrant le principe « avant/ après». Aussi, sans

beaucoup d’originalité, c’est le modèle sociétaire de la société anonyme française qui a été

retenu quant à la détermination du socle commun de fonctionnement de la Societas Europaea.

C’est pourquoi, il n’est pas inopportun de qualifier l’entité de droit communautaire présente

de structure rigide. On le conçoit, ce trait caractéristique n’est peut être pas adéquat lorsqu’au

contraire les entreprises réclament de plus en plus de souplesse s’agissant du droit leur étant

applicable afin de pouvoir s’adapter aux contraintes de l’économie moderne. C’est également

l’analyse que retient le professeur Benoît Lecourt, lequel souligne, que le défit lancé à l’ordre

juridique communautaire consiste à « offrir aux entreprises européennes un droit des sociétés

moderne, souple, transparent et tirant parti des nouvelles technologies. »602

2°) une entité juridique jugée trop institutionnelle et rigide par la doctrine et les praticiens

435. Par ailleurs, selon la doctrine, la tendance actuelle du droit des sociétés réside dans la

contractualisation croissante des liens unissant l’entreprise et sa lex societatis. Il s’agit, en

effet de promouvoir un terrain plus favorable à la souplesse et à l’adaptabilité demandées

601 J- P. Bertrel, Op. Cit., p. 65. 602 B. Lecourt, « L’avenir du droit français des sociétés : que peut-on encore attendre du législateur européen »,

Rev. Sociétés 2004, n° 2, p. 227.

285

conformément au vœu émis par les associés des Petites et Moyennes Entreprises (ci-après

PME) selon le professeur Jeanne Boucourechliev. Or, tel que cela a été abordé, la

Commission s’est bornée, en 2000, à reprendre les propositions faites par les groupes de

travail intervenus successivement au profit du projet de société européenne alors même qu’il

eut été préférable de s’interroger sur la forme sociale adaptée au plus grand nombre de

sociétés603. Or, celle-ci conserve une forte coloration institutionnelle puisque l’article 3 du

Règlement de 2001 énonce avec clarté que la S.E doit être considérée comme une société

anonyme relevant du droit de l’Etat membre de son siège statutaire. Appliquée au droit

français des sociétés, cette assertion signifie que la forme sociale retenue pour la Societas

Europaea est la S.A, laquelle constitue, pour nombre d’auteurs, le type même de société dite

institutionnelle, en ce sens qu’elle demeure précisément réglementée par le législateur et ne

laisse subsister qu’une faible part de contractualisation émanant des associés604. Notons,

cependant, afin de nuancer cette assertion, que la loi du 26 juillet 2005 introduisant la Société

Européenne en droit français a, sous l’impulsion de la proposition de loi du sénateur Philippe

Marini, accordé aux S.E. non côtées une plus grande liberté statutaire605. Les autres formes de

société ne pourraient dès lors constituer des S.E., ce qui semble réducteur eu égard à la

volonté affichée par l’article 48 du Traité de Rome considérant que bénéficient du libre

établissement « les sociétés de droit civil et de droit commercial (… ).» En d’autres termes, il

n’est pas incohérent de supposer que le Règlement 2157/2000 aurait pu comprendre d’autres

formes de sociétés que la société anonyme : on pense notamment à la SAS606 ou encore à la

SARL, lesquelles sont des personnes morales laissant une plus grande part à la volonté des

associés. C’est notamment la raison pour laquelle la proposition de loi des Sénateurs Branger

et Hyest en date du 20 janvier 2004607 instaurait, dans le cadre de la S.E, un système de

passerelle entre la Société anonyme originaire d’accueil structure originaire d’accueil de

première, et la S.A.S. Pour les parlementaires, cette dernière respectait les impératifs de la

603 J. Boucourechliev, Op. Cit., p. 66. 604 Voir notamment : M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, Op. Cit., p. 228. 605 N. Lenoir, Op. Cit., p. 39. 606 Le professeur Maurice Cozian qualifie notamment la SAS de « société contrat » et affirme qu’elle permet la

coopération entre entreprises : Voir sur ce point, M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, Op. Cit., pps. 491 et

499. 607 Supra, p. 165.

286

première et bénéficierait de la souplesse de l’organisation de la S.A.S. Cette société passerelle

pouvait donc être qualifiée de « société anonyme simplifiée »608.

436. De surcroît, rappelons que le capital social minimum afin de constituer une Société

Européenne s’élève à 120 000 Euros, ce qui représente une barrière d’accès pour les

entreprises familiales ou à taille restreinte. Cela conduit notamment madame Noëlle Lenoir à

affirmer qu’ « il n’est pas normal que tant de verrous soient posés pour limiter les possibilités

de création d’une S.E. »609 Aussi, la S.E. demeure t-elle réservée aux personnes morales d’une

certaine envergure et se caractérise par un fort aspect institutionnel.

437. Or, ce qualificatif se ressent, par ailleurs, s’agissant de son rattachement. En effet,

quant à sa mobilité, nous avons constaté que la Societas Europaea, pour autant qu’elle soit la

première véritable entité économique de droit communautaire, souffre d’une trop grande

rigidité. En effet, la disposition de l’article 7 du Règlement 2157/2000 imposant une

concordance entre le lieu du siège réel et celui du siège statutaire engendre une remise en

cause de sa capacité à se mouvoir au sein de l’Union. Pis encore, la présente disposition

permet aux Etats membres le désirant d’imposer, non uniquement une identité d’Etats

s’agissant du siège mais de lieu610. Interdite, la dissociation entre les deux lieux d’impulsion

de l’entreprise est également sanctionnée par la dissolution de ladite S.E. Or, cette solution

nous semble d’une rigueur excessive tant elle méconnaît la nécessité de mobilité éprouvée par

les entreprises et va au-delà des dispositions de l’article 48 du Traité de Rome. Par ailleurs, ce

mode de rattachement rigide ne s’accorde pas avec l’émergence du phénomène de

contractualisation des sociétés observé ci-dessus, lequel tends à faire prévaloir une logique

incorporatiste.

438. Eu égard à l’ensemble de ces considérations, plusieurs voix se sont élevées pour

proposer, parallèlement à la S.E, la création d’une structure offrant davantage de souplesse : la

Société Privée Européenne (dénommée ci-après SPE). Cette dernière a peut être vocation à

constituer le renouveau du droit communautaire des sociétés. En ce sens, est-elle est 608 D. Poracchia, « La Société Européenne. Enjeux pour le Droit Français », Dossier La Société Européenne

entre son passé et son avenir, Droit et Patrimoine 2004, n° 125, p. 73. 609 N. Lenoir, Op. Cit., p. 121. 610 Voir sur ce point : N. Lenoir, Op. Cit., p. 55. Observons que c’est notamment la solution prévue le droit

français depuis la loi NRE de 2001. Pour autant, il ne s’agit pas d’une obligation prévue par le Règlement

2157/2000.

287

susceptible de tenir compte de l’évolution jurisprudentielle intervenue depuis l’arrêt Centros

et d’appliquer le critère du siège statutaire.

B) La création de la Société Privée Européenne, une structure adaptée aux contraintes des

entreprises et bénéficiant éventuellement d’un rattachement souple au siège statutaire

439. Si l’effort de concrétisation réalisé par l’ordre juridique communautaire en faveur de la

Societas Europaea est à saluer, notons également que cette dernière souffre d’un trop grand

universalisme et ne parvient dès lors à pleinement s’imposer sur la scène juridique611. En

effet, ladite entité semble réservée aux grosses structures sociétaires et souffre d’une rigidité

organisationnelle. Observons également que les Petites et Moyennes Entreprises (ci-après

PME) forment, selon l’expression du Commissaire européen Charlie McCreevy, « la colonne

vertébrale de l’économie européenne »612, en ce sens qu’elles représentent, à elles seules,

90% des entreprises et deux tiers des emplois totaux. Ces chiffres, on l’admet, sont

considérables et significatifs : ils ne font qu’accroître le décalage ressenti entre les attentes des

sociétés et les possibilités offertes par la S.E. Dès lors, une autre voie de mobilité doit être

recherchée pour les sociétés de taille moyenne désirant opérer hors des frontières de leur Etat

d’origine. Or, pour ces dernières, la constitution de filiales à l’étranger est bien souvent

coûteuse et compliquée. En effet, si l’on considère qu’une entreprise de type PME souhaitant

s’établir hors du territoire de son Etat d’origine se trouve dès lors confrontée à vingt cinq

droits des sociétés différents, ladite opération nécessite d’importants coûts en matière de

conseils juridiques613 (relatifs à la constitution de la personne morale et à la conformité au

611 Rappelons quelques soixante dix S.E. ont été constitué au sein de l’Union européenne depuis octobre 2004.

Néanmoins, cette entité est bien souvent observée avec circonspection par les entreprises. 612 C. McCreevy, « Allocution d’ouverture », Et Maintenant, le projet de Société Privée Européenne…Un atout

pour la compétitivité des PME et la croissance du marché intérieur, Symposium Bruxelles 15 mai 2007,

www.creda.ccip.fr/colloques/2007-SPE-actes.html, p. 4. 613 Il est ainsi estimé que le coût du conseil s’élève entre 14 000 et 15 000 Euros, auquel se rajoutent des coûts

administratifs dont le montant est évalué selon une fourchette de 1200 à 5000 Euros. Naturellement, il convient

également d’imputer à cette somme les dépenses de déplacement et de personnel : voir sur ce point : K. Schunk,

extraits table ronde, Et Maintenant, le projet de Société Privée Européenne, Op. Cit., p. 16.

288

droit local). Ces points d’achoppement ont donné lieu à une réflexion, émanant de la doctrine,

des organisation professionnelles ainsi que des praticiens du droit, relative à l’élaboration

d’un statut de Société Privée Européenne. En 1998, le dossier de la Société Européenne alors

dans l’impasse, le CNPF (aujourd’hui le MEDEF) et la Chambre de Commerce et de

l’Industrie de Paris (CCIP) prennent l’initiative de présenter un palliatif au défaut d’adoption

du règlement relatif à la première614. Surtout, il est proposé de créer une forme sociale

fédératrice car souple et adaptée à la liberté statutaire de ses associés. En réalité, ledit projet

trouve son origine dans l’étude réalisée, en 1997, par le Centre de Recherche en Droit des

Affaires (CREDA)615, dépendant de la CCIP, laquelle démontra que les PME étaient

négligées par le Droit communautaire des sociétés au profit de structures dont la typologie

corresponds aux sociétés anonymes. Aussi, cette initiative a t-elle séduit les associations

d’entreprises, les avocats et les instances européennes. Pour autant, l’adoption en 2001 de la

S.E. a mis momentanément en sommeil la réflexion en faveur des PME. Or, les débats furent

relancés par une communication de la Commission destinée au Conseil et au Parlement en

date du 21 mai 2003, dans laquelle celle-ci affirme vouloir réaliser, sous l’égide du professeur

Winter, une étude de faisabilité relative à la création d’une société communautaire pour les

entreprises de taille restreinte616. Celle-ci a été présentée en décembre 2005 et depuis

novembre 2006 la Commission dispose d’un rapport d’initiative législative fondé sur les

propositions du MEDEF et de la CCIP. Le 1er février 2007, le Parlement européen a adopté

une résolution invitant la Commission à présenter une proposition de règlement sur le statut

de la SPE617 : une issue favorable à sa création est donc envisageable courant 2008.

Observons en effet que les PME, dont la présente entité à vocation à régir, sont au centre du

614 Voir notamment : J. Simon et B. Field, « Faut-il une société par actions simplifiée européenne ? Les

avantages comparatifs de la Société Privée Européenne », sous la dir. de K. J. Hopt, M. Menjucq et E.

Wymeersch, La Société Européenne, Coll. Thèmes et Commentaires, Dalloz 2003, p. 249. 615 Voir sur ce point : J. Boucourechliev, Proposition pour une société fermée européenne, Etude du CREDA,

Office des publications officielles des Communautés européennes, déc. 1997. 616 Communication de la Commission, Modernisation du droit des sociétés et renforcement du gouvernement

d’entreprise dans l’Union européenne. Un plan pour avancer, COM (2003) 284, 21 mai 2003, 3.5, p. 20. 617 P. Merle, Op. Cit., p. 37.

289

Traité de Lisbonne618. Dès lors, il convient de brosser brièvement un tableau du

fonctionnement de celle-ci avant de se focaliser sur le rattachement envisagé par le législateur

européen, lequel apparaît encore lié au siège réel.

1°) Une société particulièrement adaptée aux exigences de souplesse et de liberté

contractuelle

440. Le projet de Société Privée Européenne, est née, nous l’avons constaté, en réponse aux

carences comprises dans le statut de la Societas Europaea. Dès lors, c’est tout naturellement

que les règles qui gouvernent son fonctionnement semblent différentes de celles de sa grande

sœur. S’agissant, de prime abord, de ses destinataires, la SPE a vocation à une application

plus universelle que la SE, en ce sens qu’elle peut être constituée, ex nihilo619, par une ou

plusieurs personnes morales de droit privé ressortissantes de l’Union européenne620. On se

souvient, en effet, que la S.E. ne peut être crée qu’à partir de sociétés anonymes déjà

existantes. En outre, il ne serait pas non plus inenvisageable qu’elle ne soit pas destinée aux

personnes privées, comme le soulignent Joëlle Simon et Bernard Field621, respectivement

Directrice des affaires juridiques du MEDEF et Secrétaire général de la Compagnie de Saint-

Gobain. Notons également que le montant minimum du capital social exigé va dans ce sens

puisqu’il il est fixé à 25 000 Euros, ce qui permet une condition d’accès à la SPE plus large

que celle relative à la Société Européenne, laquelle requiert 120 000 Euros à ce titre. Dès lors,

ledit projet prends en compte les besoins réels de l’économie moderne dans laquelle les PME

jouent un rôle majeur.

441. En outre, nous l’avions constaté, la Societas Europaea est dénuée de la notion

d’intuitus personae et d’aspect contractuel, ces traits caractéristiques étant critiqués par la

doctrine en raison de l’émergence croissante de la contractualisation du droit des sociétés

618 Au moment où sont écrites ces lignes, le Traité de Lisbonne connaît une grande incertitude juridique puisque

l’Irlande a rejeté sa ratification par un référendum du 20 juin 2008. Or, cette dernière est nécessaire à l’entrée en

vigueur du texte. 619 K. H. Lehne, « Exposé introductif », Et maintenant, le projet de Société Privée Européenne, Op. Cit., p. 13. 620 N. Huet et A. Levi, Op. Cit., p. 37. 621 J. Simon et B. Field, Op. Cit, p. 253.

290

moderne. Au contraire, au sein du présent projet, il ressort notamment que la SPE est une

société de partenaires. En effet, si l’on se focalise sur le régime des titres, on constate d’une

part que ce sont les statuts qui le fixent et que d’autre part, toute cession peut être soumise à

agrément. L’affectio societatis apparaît également fort car, au terme des articles 14 à 19 dudit

texte, les associés bénéficient d’une grande souplesse dans l’organisation des relations

internes et de la vie sociale en général. A titre illustratif, il est à noter qu’il est laissé au soin

des statuts d’une SPE de fixer notamment les conditions de désignation ainsi que les pouvoirs

des organes sociaux de ladite entité alors que s’agissant d’une Société Européenne, le

Règlement 2157/2000 détaille très précisément les règles présidant à l’organisation interne et

externe de cette dernière. C’est pourquoi, il est possible d’affirmer que l’actuel projet de SPE

confère une grande liberté aux associés pour réaliser la société dont ils ont besoin. Cependant,

comme toute personne morale comportant une importante dose d’intuitus personae, la SPE ne

peut, contrairement à la Société Européenne, faire appel public à l’épargne ni émettre de titre

au porteur622. Néanmoins, quant aux entreprises d’une certaine taille n’ayant pas l’intention de

faire appel public à l’épargne mais souhaitant davantage de souplesse que sous la forme S.E.,

celles-ci pourront tout de même se constituer en SPE puisqu’en la matière le projet ne semble

pas l’exclure623.

442. Par ailleurs, s’agissant de sa mobilité, la Société Privée Européenne doit offrir des

possibilités identiques à son homologue S.E. En d’autres termes, le projet relatif à ladite entité

prévoit que celle-ci pourra réaliser des opérations de fusions transfrontalières ainsi que des

transferts de siège sans dissolution et perte de sa personnalité morale624. De telles possibilités

renforcent le caractère européen de la SPE. Egalement, cette dernière une personne morale

ouverte aux filialisations, coopérations via une holding ou filiale commune ainsi qu’aux

transformations625, de manière à répondre à une large palette de développements que peut

envisager une société.

622 N. Huet et A. Lévi, Op. Cit., p. 36. 623 Voir notamment sur ce point : J. Boucourechliev, Op. Cit., p. 78. 624 K. H. Lehne, Op. Cit., p. 14. 625 Il est en effet envisagé par le projet d’adoption de la SPE que celle-ci puisse se transformer, à l’instar de la

SE, en société de droit national sans dissolution ni création de personne morale nouvelle. Cette dernière prendra

alors une des formes juridiques énumérées en annexe du texte constituant. Il est ainsi souhaité que la SPE

291

443. Aussi, la SPE constitue une structure juridique moderne, davantage adaptée aux

exigences de la liberté contractuelle des associés et soucieuse de la compétitivité des

entreprises, en ce qu’elle leur permet de se mouvoir au sein de l’Union européenne. Une telle

assertion amène à la question de la nationalité et du rattachement de la présente société.

2°) La Société Privée Européenne, une entité au statut de droit européen accompagnée d’un

mode de rattachement restrictif

444. Eu égard aux souhaits et aux observations formulées dans nos propos, la question de la

nationalité et du rattachement de la Société Privée Européenne offre des résultats contrastés,

lesquels seront abordés successivement.

445. D’une part, contrairement à la Société Européenne dont le caractère européen nous

semble relatif en raison de nombreux renvois aux droits nationaux626, la SPE présente-elle un

véritable visage de droit communautaire. En effet, contrairement à son homologue, laquelle

apparaît davantage comme une société nationale à coloration européenne, la Société Privée

Européenne ne permet que très peu l’application du droit national à titre subsidiaire627. Elle ne

serait régie que par le Règlement lui étant applicable et les dispositions des statuts

compatibles avec celui-ci. L’avantage procuré par une telle orientation est que non seulement

ladite structure est véritablement européenne mais qu’elle permet également de conférer un

rôle important à la C.J.C.E. En effet, cette dernière, saisie de questions préjudicielles, aura à

interpréter uniquement le droit communautaire issu du texte régissant la SPE. En outre, le

principe du renvoi au droit interne engendre, nous l’avons constaté, des distorsions de

concurrence patentes entre les sociétés de droit national et celles de droit européen. Pour

autant, pour certains, le fait pour la présente entité de fonctionner en dehors de tout

rattachement à un droit national peut susciter des difficultés628.

446. Néanmoins, pour notre part, le statut d’une SPE constituée par un mélange entre

application du droit issu du Règlement et renvoi aux dispositions nationales est à proscrire. En 626 Supra, p. 206à 211. 627 K. Rodriguez, Op. Cit., p. 565. 628 Voir notamment : J. Simon et B. Field, Op. Cit., p. 254. Les auteurs font état des objections à l’application du

seul droit communautaire à la SPE.

292

effet, une telle solution générerait, à l’instar de l’expérience produite dans le cadre de la S.E,

de sérieuses difficultés d’appréhension, éprouvées par les entreprises, du droit applicable. Dès

lors, le recours au conseil juridique serait accru alors même que l’un des objectifs constant du

législateur européen est la réduction des coûts pour les entreprises ressortissantes. Or, il

ressort des études et des consultations précédemment mentionnées que les PME souhaitent un

la création d’une entité européenne leur offrant davantage de clarté et de simplicité que la

Societas Europaea. En effet, selon l’opinion de Madame Nathalie Huet et de Monsieur

Aristide Lévy à laquelle nous souscrivons, cette pluralité de rattachements est l’un des écueils

majeurs de cette dernière629. C’est pourquoi, une enquête menée auprès de la Verband

Deutscher Maschinen und Anlagenbau (la fédération allemande de construction mécanique)

par Christian Steinberger, son Directeur du pôle juridique, a démontré que les sociétés

appellent de leur vœux l’exclusion de dispositions de droit national au profit de l’application

de règles à caractère uniquement communautaires issues du statut de la SPE630.

447. D’autre part, l’adoption d’un projet relatif à la Société Privée Européenne soulève

l’épineuse question du rattachement de ladite entité. En effet, tel que cela a été constaté,

l’ordre juridique communautaire, bien que promouvant par l’intermédiaire de la Cour de

Luxembourg une définition du siège social proche de l’incorporation, impose un rattachement

au siège réel en combinant le critère statutaire à l’administration centrale. Or, s’agissant de la

SPE, les rédacteurs du présent projet avaient l’opportunité de retenir une conception

davantage en adéquation avec les jurisprudences initiées par la C.J.C.E. Tel n’est pas le cas,

puisque dans leur majorité, les auteurs du projet souhaitent maintenir un rattachement au siège

réel. Ainsi, il a été considéré, à l’instar du système prévalant dan le cadre de la Société

Européenne, qu’il doit y avoir coïncidence, entre le siège statutaire et celui issu de la

Sitztheorie631. Plus précisément, l’article 6 du texte ainsi ébauché dispose que le siège

statutaire correspond nécessairement à son administration centrale. On comprend dès lors

aisément que les instigateurs dudit texte aient privilégié un système de rattachement

629 N. Huet et A. Lévi, Op. Cit., p. 35. 630 C. Steinberger, « La praxis des PME et la Société Fermée européenne », La Proposition de création d’une

Société Fermée Européenne, Les Petites et Moyennes Entreprises et les réformes du droit des sociétés dans

l’Union européenne, Colloque Madrid 4 et 5 fév. 2004, www.creda.ccip.fr/colloque 631 Voir sur point : article 6 du projet de règlement relatif à la SPE.

293

équivalent à celui régissant la Societas Europaea. Cela peut notamment expliquer la

persistance, quoique faible au sein du statut proposé, de renvois au droit des Etats membres.

Pour autant qu’elle soit témoin d’une volonté de stabilité au sein du droit communautaire

matériel, cette solution ne nous paraît que peu opportune et convaincante. En effet, la

conception d’incorporation provient non pas d’une volonté de délocalisation du siège mais

davantage de l’exercice de la liberté d’établissement et de l’optimisation juridique. Selon

l’expression de Maître Christian Roth, ancien Président de l’Union des avocats européens, le

mouvement initié par l’ensemble jurisprudentiel Centros, Überseering et Inspire Art au profit

de l’incorporation est vecteur de « facilitation » de ces dernières632. En effet, tel que cela a été

constaté, ladite trilogie complétée par l’arrêt Sevic System met fin à la pratique interdisant la

dissociation entre le siège statutaire et correspondant à la réalité de l’activité économique de

la personne morale. Or, c’est bien cette approche traditionnelle issue de la Sitztheorie et de

l’arrêt Daily Mail, dont les limites ont été démontrées, que souhaitent promouvoir les auteurs

du projet de Société Privée Européenne. Dès lors, il eut été plus opportun de privilégier au

sein d’une structure qui se veut le correctif moderne de la Société Européenne, une définition

souple de la notion de siège social. Si la SPE se veut adaptée aux besoins des entreprises,

c’est, en effet, vers la conception statutaire du siège que doit s’orienter son rattachement. Les

arguments en faveur de ce dernier provenant du dernier colloque relatif à la présente société,

il n’est pas inenvisageable que le législateur communautaire ne procède en ce sens. C’est du

moins le vœux que nous formons. Rappelons nous ainsi les propos tenus au Comité

économique et social européen, le 8 avril 1999, par l’ancien Commissaire européen à la

Concurrence Mario Monti, lequel considérait alors que « la société privée européenne peut

représenter une solution à mettre au point, non pas à la place mais à côté de la S.E. afin de

donner à toutes les entreprises de l’Union les outils dont elles ont besoin pour évoluer dans

l’Union économique et monétaire. »633. Mentionnons également que le 25 juin 2008, la

Commission européenne a présenté un texte intitulé « Penser aux petits d’abord » consistant

en une loi sur les petites entreprises européennes proposant une série de mesures relatives à

632 C. Roth, « Discussion », Et maintenant, le projet de Société Privée Européenne, Op. Cit., p. 32. 633 M. Monti, cité par N. Huet et A. Lévi, Op. Cit., p. 37.

294

l’accès des PME au marché européen634. Or, s’agissant du siège de la S.P.E, le texte propose

de permettre aux entreprises le libre choix du lieu d’implantation. La dissociation possible

depuis la trilogie jurisprudentielle aurait, en effet, vocation à s’appliquer, aux personnes

morales de taille plus réduite.

448. Par conséquent, à la lumière de la présente étude, il est constaté que le projet de

Société Privée Européenne, présente, sous ses différents aspects, le mérite d’envisager une

entité véritablement européenne et dont les règles de fonctionnement sont empreintes de

liberté contractuelle. De surcroît, ladite structure possède l’intérêt d’être destinée à un plus

grand nombre de sociétés que la S.E, ce qui constitue une avancée indéniable quant à la

construction d’un droit communautaire des entreprises adapté aux contraintes économiques

actuelles. Néanmoins, tel qu’il a été abordé, des réajustements relatifs au rattachement de la

Société Privée Européenne s’imposent si cette dernière veut effectivement rencontrer le

succès escompté et permettre aux structures ayant fait le choix de cette forme sociale d’être

plus compétitives par rapport à celles extra-communautaires.

449. Indéniablement, quatre ans après l’entrée en vigueur du statut de la Société

Européenne et fort du mouvement jurisprudentiel relatif à la liberté d’établissement, l’ordre

juridique communautaire a pris conscience que le premier peut, dans une certaine mesure, être

repensé, notamment par le biais de l’article 69 du Règlement 2157/2000. En effet, de

nombreuses voix émanant de la doctrine et des organisations représentatives des entreprises

militent en faveur de l’alignement du rattachement de ladite société avec celui appartenant

aux entités de droit interne. En outre, hors cette structure de droit européen, il est

légitimement proposé une harmonisation, au sein de l’ordre juridique communautaire, de la

notion de siège social faisant ressortir le siège statutaire. En effet, au nom de la mobilité des

sociétés au sein de l’Union, ce dernier semble avantageux, en ce qu’il permet les

déplacements de siège à moindre coûts et les nécessaires restructurations des entreprises. Par

ailleurs, l’enjeu pour le droit communautaire réside également dans l’adoption de ce mode de

rattachement, emprunt de la théorie de l’incorporation, au profit de la Société Privée

Européenne.

634 L’Entreprise.com, « Bruxelles crée un nouveau statut de société pour les PME », 26 juin 2008,

www.lentreprise.com.

295

450. Pour autant, la définition du siège social demeure encore perfectible, en ce sens que

celle proposée par l’ordre juridique communautaire n’est pas unifiée. En effet, elle oscille

tantôt entre une conception prétorienne souple et moderne s’appliquant au libre établissement

des sociétés et aux procédures d’insolvabilité communautaires et un système de rattachement

rigide et peu adapté au contexte de mondialisation de l’économie pourtant consacré au sein

des statuts de la Société Européenne, de la Société Coopérative Européenne et de la Société

Privée Européenne. Egalement, il semblerait que les Etats membres dits de tradition réaliste

mènent une réflexion en faveur du siège statutaire qu’il s’agit de poursuivre afin de réaliser

une harmonisation interne des règles de rattachement.

451. Parallèlement à cette démarche opportune consacrant la conception libérale de

l’incorporation au sein de l’ordre juridique communautaire, il convient cependant que celui-ci

effectue un travail de redynamisation des exceptions à ce principe afin de prévenir les

éventuelles dérives de celui-ci (Chapitre II).

Chapitre 2 : Une définition du siège social par l’ordre juridique

communautaire perfectible quant à son unification et à ses

tempéraments

452. Tel que nous l’avons constaté, l’ordre juridique communautaire a, depuis le Traité de

Rome, construit un système de rattachement plus adapté aux contraintes de l’économie

mondialisée et concurrentielle actuelle. Un grand pas en avant a été réalisé. En effet, les

articles 43 et 48 dudit texte avaient ouverts une brèche dans la conception réelle du siège,

laquelle prévalait en droit international privé, en permettant aux sociétés de choisir un des

trois critères de rattachement mentionnés. Parmi ceux- ci figurait notamment celui du siège

statutaire, certes ce dernier n’a pu, trouver d’application concrète que tardivement puisque la

jurisprudence de la C.J.C.E, bien que reconnaissant le principe de liberté d’établissement en

son arrêt Daily Mail, ne semblait pas souhaiter consacrer la définition incorporatiste du siège,

notamment par crainte de certains Etats d’une optimisation juridique effrénée. De surcroît, les

projets de directives fusions et transfert de siège social semblaient demeurer dans l’impasse.

Egalement, le droit européen des procédures d’insolvabilité consacrait davantage le principe

296

de territorialité de la faillite et donc le système de la Sitzthéorie. C’est dans ce contexte peu

favorable à la mobilité des sociétés qu’intervint, en 1999, l’arrêt Centros, prolongé par les

espèces Überseering, Inspire Art et Sevic System, lequel réalisé une grande avancée en la

matière en permettant la dissociation entre le lieu d’incorporation ou d’immatriculation de la

personne morale et celui de l’exercice effectif de son activité. Ce fut ensuite au droit des

entreprises en difficulté européen d’initier le Règlement 1346/2000, lequel affirme le principe

de l’ouverture de la procédure principale au lieu du siège statutaire : ce dernier bénéficia du

soutien de la Cour de Luxembourg dans l’arrêt Eurofood de 2006 alors même que les Etats

membres tentaient de détourner l’application de la règle de l’article 3 dudit texte. Enfin,

s’agissant des opérations de fusions transfrontalières et de transfert de siège, celles-ci furent

facilités par l’apport du droit prétorien communautaire évoqué ci-dessus puis quant aux

premières consacrées par la 10e directive du 26 octobre 2005, laquelle permet également le

libre choix du rattachement.

453. Pour autant, si la conception statutaire du siège semble peu à peu prendre ses marques

en droit international privé sous l’impulsion du droit communautaire, la domination légitime

de celle-ci est loin d’être assurée puisque le statut de la Société Européenne issu du

Règlement du 4 octobre 2001 ainsi que celui de la Société Coopérative Européenne

privilégient un rattachement au siège réel. Or, ce paradoxe est dénoncé par la doctrine dans

une grande majorité, laquelle appelle de ses vœux, tel que cela a été observé, une

uniformisation de la notion de siège social. En outre, il est souhaitable que le législateur

européen use de la possibilité conférée par l’article 69 du Règlement 2157/2000 pour

substituer au critère rigide et immobiliste du siège réel celui de l’incorporation. Ainsi, les

pistes de réflexion en ce sens ont été initié au sein de l’ordre juridique communautaire. En

revanche, l’intensité de ces dernières n’est est peut être pas suffisante afin de consacrer de

manière pérenne la conception de siège statutaire dans le droit de l’Union européenne et plus

largement dans l’ordre juridique international privé. En effet, tant que demeurera la situation

paradoxale évoquée ci-dessus d’une conception communautaire du siège à deux vitesses, les

incertitudes s’agissant du sort d’une part du rattachement incorporatiste et d'autre part de la

mobilité des sociétés feront long feu.

454. C’est pourquoi, il est plus que souhaitable d’aboutir à la définition uniformisée du

siège social mentionnée précédemment, laquelle intervient tant au niveau communautaire

qu’au sein des droits internes (section I). En effet, en la matière, l’absence de texte d’origine

297

supra nationale, hors les cas de la directive fusions de 2005 et du droit des S.E et S.C.E,

statuant quant à la conception de ce dernier est patente. Par conséquent, certains auteurs

militent désormais en faveur de la tenue d’états généraux du droit international privé, les Etats

membres traditionnellement ancrés au siège réel débutent une réflexion en faveur du critère

statutaire. Aussi, ce dernier connaîtra sa véritable consécration, celle-ci étant désormais

nécessaire. Pour autant, si la domination de la conception de l’incorporation nous semble

opportune et souhaitable, elle doit s’accompagner de garde fous. En effet, tel que nous l’avons

constaté, si la portée de la trilogie jurisprudentielle précitée a été saluée par la doctrine, cette

dernière ainsi que les Etats membres demeurent circonspects voire rétifs quant aux effets

éventuellement induits par la conception statutaire du siège, à savoir notamment le

nivellement par le bas des législations internes puis la concurrence entre les Etats membres.

455. En d’autres termes, il serait opportun de revitaliser les fondements juridiques faisant

exception à l’application de ce critère malmenés par le droit prétorien communautaire, en

opposant le siège réel à la société (section II).

Section I : Œuvrer pour une définition unique du siège dans l’ordre juridique

communautaire et une uniformisation subséquente du droit des Etats membres

456. Les arrêts Centros, Überseering et Inspire Art ont bénéficié d’un impact notable en

droit communautaire des affaires. En effet, pour la première fois, l’ordre juridique

communautaire s’est précisément exprimé en faveur d’un des deux critères définissant le

siège social en droit international privé. Aussi, explicite t-il, tel il a été abordé dans nos

propos, la disposition de l’article 48 du Traité de Rome, laquelle se prononçait pour un

rattachement optionnel entre les critères du siège statutaire, de l’administration centrale ou du

principal établissement635. Par conséquent, le droit prétorien communautaire a vu émerger une

définition du siège social issue de la théorie de l’incorporation. Pour autant, l’orientation

choisie n’est pas clairement établie en ce sens qu’il n’existe, pour l’heure, aucun texte

émanant de l’ordre juridique de l’Union témoignant de cette volonté, si bien que certains

appellent de leurs vœux la constitution d’Etats généraux du droit international privé (I). Par

635 Supra, p. 53 et 54.

298

ailleurs, une réflexion a été entamée au sein des Etats membres en faveur du rattachement au

siège statutaire, à tel point que l’Allemagne, farouche partisan de la Sitztheorie a opté pour

l’abandon de cette conception au profit de celle de l’incorporation (II).

I) Une définition insuffisante du siège en droit positif et matériel en raison de l’inexistence

d’un texte de coordination

457. Au fil de nos propos, le lecteur a pu observer le militantisme de la Cour de

Luxembourg en faveur du siège social statutaire. Ce phénomène se manifeste notamment en

réponse à l’absence d’ « harmonisation par le haut »636, selon l’expression du professeur

Michel Menjucq. En d’autres termes, force est de constater la pauvreté actuelle des textes

communautaires traitant du siège social en dépit de l’évolution jurisprudentielle évoquée ,

hors le cas de la 10e directive relative aux fusions transfrontalières (A). C’est pourquoi la

doctrine et certains Etats membres souhaitent une remise à plat de la conception du

rattachement en droit communautaire et plus largement en droit international privé : il s’agit

des Etats généraux du droit international privé (B).

A) Des textes communautaires d’harmonisation relatifs au rattachement des personnes

morales lacunaires

458. Dès 1997, Madame Jeanne Boucourechliev, alors Directeur du CREDA, exposait les

lacunes du droit communautaire des sociétés. En effet, soulignait-elle de manière opportune

que « l’œuvre d’harmonisation de ce dernier n’est pas achevée même si elle a touché sur

certains points les limites de son champs de compétence (…). »637 Ainsi, le législateur

communautaire n’est-il pas parvenu à imposer une unification du droit des sociétés aux vingt

sept Etats membres, bien que la 10e directive dite fusions transfrontalières facilite grandement

ce type d’opération et propose une définition du siège conforme à la conception

636 M. Menjucq, « L’Europe et le droit de l’entreprise », JCP G, n° 12, p. 35 637 J. Boucourechliev, Op. Cit., p. 36.

299

d’incorporation638. L’on se souvient également de la formule de l’arrêt Daily Mail, lequel

retenait pour refuser le transfert de siège d’une société anglaise vers les Pays-Bas, que

« contrairement aux personnes physiques, les sociétés sont des entités crées en vertu d’un

ordre juridique et, en l’état actuel du droit communautaire, d’un ordre juridique national. »639

La Cour poursuit en affirmant que l’article 43 du Traité de Rome ne donne pas droit au

transfert en l’absence de disposition communautaire précise le permettant. De même, l’espèce

Marleasing du 13 novembre 1990 révèle également que le juge national doit interpréter son

droit à la lumière des directives en vigueur640. Aussi relève t-on l’importance essentielle

conférée aux normes émanant de l’ordre juridique communautaire et à la nécessaire

unification du droit des sociétés. Concrètement, pour le premier, la satisfaction de cet objectif

assigné se réalise par le biais de directives. Au sens large, l’objectif de cette coordination

communautaire favorable à la liberté d’établissement des personnes morales est de contribuer

à l’édification du marché unique et donc de gommer peu à peu les différences entre

législations internes en réalisant une harmonisation par le « haut. » Dès lors, il convient

d’examiner brièvement cet ensemble Or, un constat s’impose : si les directives en la matière

sont existantes, nombreuses et témoignent de la volonté de l’ordre juridique communautaire

de concrétiser ce but assigné, aucune d’elle ne concerne le siège social.

459. Pourtant, dès 1968, date de la 1ère directive, la Commission européenne fit du

programme d’harmonisation du droit des société l’un de ses principaux chantiers. Fondée sur

l’ancien l’article 54 du Traité de Rome (devenu article 44 depuis la re-codification

d’Amsterdam), celle-ci porte sur la coordination des règles relatives à la publicité, à la validité

des engagements sociaux et à la nullité de la société641 . Aussi, ce texte est-il relatif à la

structure des sociétés mais ne traite aucunement du siège social, objet de notre étude. La 1ère

Directive de 1968 fut suivie de huit textes également fondés sur l’article 54 du Traité et

s’appliquant aux sociétés anonymes et dans une mesure plus restreinte aux société à

responsabilité limitée ou en commandite par action. Mentionnons ainsi la 2ème directive

77/91/CEE du 13 décembre 1976 concernant la constitution de la société anonyme et les

638 Supra, p. 137 et 138. 639 Cité par A. Decocq et G. Decocq, Op. Cit., p. 70. 640 640 C.J.C.E, 10 juillet 1986, aff. 79/85, Segers, Bull. Joly. 1991, p. 123, note B. Saintourens. 641 B. Goldman, A. Lyon-Caen, L. Vogel, Op. Cit., p. 137, n° 128.

300

modifications de son capital ou encore la 11ème directive 89/666/CEE du 21 décembre 1989

concernant la publicité des succursales crées dans un Etat membre par certaines formes de

sociétés relevant du droit d’un autre Etat. Outre le fondement de l’article 44 du Traité susvisé,

notons également la présence de directives édictées en vertu à la fois des articles 94, 95 et 44

dudit texte642. Celles-ci ont d’une part trait aux valeurs mobilières et sont destinées à satisfaire

un besoin de sécurité juridique. En effet, elles obligent ceux qui émettent de telles valeurs à

fournir aux différents marchés des informations précises. D’autre part, on évoquera à nouveau

le cas des deux directives fiscales du 23 juillet 1990 relatives aux fusions, scissions et apports

partiels d’actifs s’appliquant aux personnes morales de droit interne. Ces textes, consacrant un

régime fiscal favorable à de telles opérations, eurent le mérite de préfigurer l’évolution de

2005 s’agissant des fusions transfrontalières.

460. Par conséquent, tel que l’on peut le constater, la liste des directives prises par le

Conseil afin de parvenir à une harmonisation du droit des sociétés est longue et, dans notre

cas, non exhaustive643. Certes, selon l’expression du professeur Michel Menjucq, « le résultat

n’est pas négligeable »644. Pour autant, comme nous l’avons suggéré, aucun de ces texte

n’évoque la situation du siège social, au point que le bilan a été jugé nuancé645. Dès lors peut-

on regretter cette absence de dispositions relatives à notre sujet alors même que celui-ci

demeure un point très sensible du droit communautaire des affaires et du droit international

privé. En effet, si la jurisprudence issue des arrêts Centros, Überseering et Inspire Art

témoigne d’une tendance à la domination du siège statutaire, il n’est que la doctrine et

l’opinion majoritaire des entrepreneurs qui souhaite voir s’opérer une rationalisation du critère

de rattachement des sociétés par le biais d’une harmonisation communautaire. Notons que

cette dernière a certainement achoppée pour des raisons identiques à celles des anciens projets

de Société Européenne et de fusions transfrontalières. Outre le sort incertain auquel est

soumis la 14ème Directive concernant le transfert de siège646, le cas est patent s’agissant du

projet avorté de 5ème directive de 1972 du 9 octobre 1972 tant au regard de la méthode adoptée 642 A. Decocq et G. Decocq, Op. Cit., p. 73. 643 Voir pour une étude détaillée : A. Decocq et G. Decocq, Op. Cit., p. 70 à 78. 644 M. Menjucq, Op. Cit., p. 33. 645 Voir notamment sur ce point : Y. Guyon, « La coordination communautaire en droit français des sociétés »,

RTD E 1990, p. 241. 646 Supra, pps. 113 à 114.

301

que du fonds. D’une part, les 65 articles dudit texte ne laissent, selon l’opinion de Jeanne

Boucourechliev, aucune latitude aux Etats membres647. A la lumière de la présente norme, le

système d’organisation dualiste de la personne morale était notamment imposé. Dès lors, eu

égard à l’émergence du désir de contractualisation du droit ressenti par les entreprises, on

conviendra que cet aspect tel que présent dans le texte de 1972 issu du modèle rhénan n’était

que peu engageant pour ces dernières648. La manière de concevoir la société et les rapports

internes à celle-ci avaient changés sans que le droit communautaire n’y prête attention. Pour

autant, une version modifiée du texte fut présentée par le Conseil en 1983649. D’autre part, tel

que cela a été constaté s’agissant de la Société Européenne et des fusions transfrontalières,

l’ordre juridique communautaire s’est heurté, à cette occasion à l’épineux problème de la

participation. En effet, la 5ème directive imposait, sans aménagement aucun, le régime social

de la participation des salariés tel que réclamé par l’Allemagne. En effet, le texte proposait la

présence obligatoire de représentants des travailleurs dans l’organe de surveillance de la

société lorsque cette dernière comprends plus de 500 salariés. Or, nous l’avons observé, bien

des Etats membres étaient opposés à un tel régime650 : l’échec d’adoption d’un tel texte ne fut

donc pas surprenant. En revanche, il témoigne bien de la méthode et de l’angle d’attaque trop

technique abordé par l’ordre juridique communautaire. En effet, les différentes directives se

bornent-elles à tenter de résoudre des écueils liés à l’organisation et à la structure de la

personne morale sans même envisager le cas du rattachement. Dans une certaine mesure, cela

ne semble pas si illogique dans la mesure où les instances européennes redoutent un nouveau

point de divergence sur cette question tant les deux conceptions du siège s’opposent dans

l’ordre juridique international.

461. C’est notamment pour cette raison que, récemment, une partie de la doctrine et des

professionnels du droit communautaire des affaires, ont appelé de leurs vœux la tenue d’Etats

généraux du droit international privé.

647 J. Boucourechliev, Op. Cit., p. 33. 648 M. Menjucq, idem. 649 B. Goldman, A. Lyon-Caen, L. Vogel, Op. Cit., p. 173, n° 217. 650 S’agissant des fusions transfrontalières et de la cogestion, voir supra, p. 122. Quant à la participation des

salariés dans la S.E., voir supra, pps. 197 et 198.

302

B) La perspective des Etats généraux du droit international privé pour repenser le système de

rattachement des personnes morales

462. Force est de constater que l’ordre juridique communautaire a, hors le cas de la 10ème

directive relative aux fusions transfrontalières, échoué dans sa démarche pourtant légitime

d’harmonisation du droit des sociétés à l’échelle européenne. Or, tel que cela a été abordé, il

est nécessaire de réaliser l’unification de la notion du siège social, et ce au profit de la

conception statutaire de ce dernier651. Revenons également sur l’article 69 du Règlement

2157/2000 relatif à la Societas Europaea. Ce dernier institue en effet la possibilité de repenser

le rattachement de cette structure avant fin 2009. Au nom de la cohérence avec la conception

souple que permet la C.J.C.E. aux sociétés de droit interne, cette évolution doit également

prendre le chemin de l’incorporation.

463. A cette fin, une part non négligeable de la doctrine a estimé qu’un travail de

rénovation du rattachement des personnes morales est nécessaire. Outre la mise en œuvre

d’un plan de modernisation du droit des sociétés intervenue dès 2003652, une réflexion autour

de la réunion d’Etats généraux du droit international privé s’est progressivement construite

sous l’impulsion de la doctrine d’abord, puis de certains Etats membres, tel l’Allemagne.

464. Ainsi, d’une part, Madame Noëlle Lenoir propose, dans son rapport remis le19 mars

2007 à Monsieur Pascal Clément, alors Garde des sceaux, la tenue d’un « forum du droit

international privé. ». Concrètement, la démarche vise à instituer un organe consultatif auprès

de la Commission européenne en vue de rapprocher les diverses conceptions sur la loi

applicable aux sociétés et le juge compétente en cas de conflit de loi653. Précisons que la

présente initiative est en lien avec la réflexion menée à l’aune de l’article 69 du Règlement

651 Supra, pps. 266 à 269. 652 Notons, en effet, que le droit communautaire des sociétés a fait récemment l’objet de différents toilettages.

Ainsi, dans une recommandation du 21 mai 2003, la Commission a instauré un plan d’action visant à moderniser

ladite matière : en ce sens le gouvernement d’entreprise a été renforcé comme cela a été abordé antérieurement.

Egalement, une recommandation du 6 octobre 2004 enjoint les Etats membres à renforcer la présence au sein des

conseils d’administration et de surveillance de membres dits indépendants. Voir sur ce point : V. Magnier, Op.

Cit., p. 540. 653 G. Notté, Op. Cit., p. 4.

303

relatif à la Société Européenne654. L’ancienne Ministre déléguée aux Affaires Européennes

revient sur la nécessité d’une « bonne coordination » s’agissant du droit communautaire des

sociétés655. Il s’agit de simplifier et d’uniformiser les règles de conflit de lois et de juridiction

tant le besoin s’en fait ressentir depuis l’élaboration du Règlement communautaire du 22

décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des

décisions en matière civile et commerciale. En effet, l’ambition de ce dernier consiste en

l’unification des règles des en la matière. Or, quant au présent Forum, Madame Noëlle Lenoir

suggère, dans le cadre de la Société Européenne, de rapprocher autant que possible les

conceptions entre Etats membres concernant la loi applicable et le juge compétent.

Néanmoins, si l’auteur évoque notamment la première, conséquence du rattachement, elle ne

mentionne aucunement le dernier. Or, plus que jamais, celui-ci est au centre des débats du

droit communautaire des sociétés. Tel que nous l’avons suggéré quant à l’uniformisation de la

notion de siège social, le défi pour l’ordre juridique communautaire est aujourd’hui de réaliser

celle-ci au profit de l’incorporation. Cela nécessite une remise en question générale de la

conception que se font les Etats membres du lieu d’implantation des entreprises et de la

mobilité de ces dernières. En d’autres termes, selon l’expression de Maîtres Reinhard

Damman et Mélany Fronty, le législateur européen doit tirer les conséquences de la

jurisprudence de la C.J.C.E. qui fait triompher la théorie du siège statutaire»656, ce à quoi nous

adhérons.

465. Egalement, d’un point de vue des organisations professionnelles, telle la

Confederation of British Industry (Confédération de l’Industrie Britannique), le droit

communautaire des affaires doit davantage tenir compte du besoin de compétitivité exprimé

par les entreprises et à ce titre favoriser les mesures « moins normatives »657. N’est-ce pas le

cas du rattachement au système d’incorporation ? Il serait dès lors opportun de réunir des

experts des Etats membres afin de statuer sur ce sujet.

654 Supra, pps. 271 à 281. 655 N. Lenoir, Op. Cit., p. 129. 656 R. Dammann et M. Fronty, Op. Cit., p. 101. 657 Confederation of British Industry, « Réponses de la CBI au questionnaire sur la SE », Rapport N. Lenoir, Op.

Cit., p. 183.

304

466. D’autre part, l’orientation proposée par les deux auteurs précédents est corroborée par

la prise de position récente de l’Allemagne et plus précisément du Haut Conseil consultatif du

gouvernement allemand en matière de droit international privé (Deutscher Rat für

Internationales Privaterecht) en faveur de l’unification le droit international privé658. Pour ce

faire, cette instance a adopté le 9 février 2006 une proposition de règlement européen659.

Concrètement, cette initiative allemande tends à tirer, comme cela était suggéré dans nos

précédents propos, les conséquences de l’ensemble jurisprudentiel Centros, Überseering,

Inspire Art et Sevic System, celui-ci militant en faveur du siège statutaire et de la liberté de

choix du rattachement pour les sociétés. En d’autres termes, tel l’affirme avec justesse

Madame Noëlle Lenoir, ladite proposition valide de façon normative la pratique des acteurs

économiques de dissociation du siège, laquelle est tolérée par les arrêts de la C.J.C.E susvisés.

En effet, notamment les espèces Centros et Inspire Art s’élevaient-ils contre la sanction d’une

telle pratique opérée par les Etats membres hostiles à la théorie du siège statutaire660. En

outre, s’inscrit-elle dans la logique de la 10ème directive relative aux fusions transfrontalières

et du Règlement 1346/2000 lesquels retiennent également la conception de l’incorporation en

qualité de critère de rattachement de principe au détriment de celui réel. Quant aux Etats

membres appliquant ce dernier, il leur incombe, précise la proposition, de modifier leurs

règles à l’égard des sociétés relevant du critère de l’incorporation. En revanche, quid des

sociétés adoptant le rattachement issu de la Sitztheorie au sein d’Etats membres également liés

à cette dernière ? Il est à supposer que la liberté de choix de rattachement étant garantie par le

Traité de Rome, l’ensemble jurisprudentiel évoqué ci-dessus et la présente proposition, une

telle option, n’est, dans l’absolu, pas inenvisageable. Le tout est que cela ne porte pas

préjudice à une société bénéficiant du système plus souple.

467. S’agissant plus spécifiquement de la mobilité des personnes morales, l’initiative

rhénane favorise les restructurations transfrontalières, en ce sens que d’une part que la lex

societatis de chaque société partie à l’opération de fusion détermine les conditions, la

658 Il s’agit d’un organe consultatif indépendant de juristes 659 Voir notamment pour l’intégralité du texte : H.J. Sonnenberger et M. Bauer, Rev. Crit. DIP 2006, pps. 712 et

ss. 660 Supra, pps. 77 et 78, 86.

305

procédure et la protection des tiers661. D’autre part, quant au transfert de siège, la présente

proposition allemande semble en adéquation avec le projet de 14e directive et les

jurisprudences Centros et Uberseering, dans la mesure où elle permet de déplacer le lieu

d’implantation de la société sans pour autant procéder à sa dissolution. Aussi réussit-elle la

synthèse du droit communautaire matériel et du droit prétorien communautaires. Pour autant,

si son champ d’application est vaste puisqu’il comprends les sociétés civiles et commerciales,

celles coopératives ainsi que les associations et les fondations, le projet de règlement ne vise

pas expressément la Société Européenne. Il faut donc en convenir que cette dernière se verra

appliquer le régime de l’article 69 du règlement la concernant.

468. Aussi, la proposition émanant du Haut conseil allemand de droit international privé

nous semble t-elle de bon aloi en ce sens qu’elle reprends les diverses propositions formulées

par la doctrine et les entreprises s’agissant du rattachement des personnes morales en droit

international privé. De surcroît, elle privilégie la voie de l’unification du droit supranational

davantage que celle consistant à se focaliser les vingt-sept droits internes : la solution possède

le mérite de la simplicité. Ladite proposition revêt, en outre, une importance essentielle car, à

supposer qu’elle aboutisse, elle constituerait ainsi le premier texte communautaire sociétaire

général consacrant le rattachement au siège statutaire. Nous ne pouvons, dès lors, que

souscrire à la démarche germanique. Certes, cette dernière semble, à première vue,

surprenante de la part d’un Etat membre qui défendait farouchement la conception du siège

réel. En réalité, l’Allemagne semble avoir décidé de se rallier à la théorie de l’incorporation.

Aussi, il ne resterait plus grand-chose de Sitztheorie.

II) La nécessité d’une réflexion des Etats membres en faveur du siège statutaire ou l’exemple

allemand

469. Au stade de notre réflexion, il paraît légitime de s’interroger sur le sort réservé à la

conception réelle du siège social, laquelle a traditionnellement prévalu en droit international

privé des sociétés voire même en droit communautaire avec l’arrêt Daily Mail. Celle-ci n’était

guère favorable à la mobilité des sociétés dans l’espace européen. Or, les décisions récentes

661 N. Lenoir, Op. Cit., p. 296.

306

de la C.J.C.E ont véritablement modifié la donne en affirmant, au nom notamment de la

liberté d’établissement, la liberté de choix du rattachement offert aux personnes morales : dès

lors la conception du siège statutaire s’est peu à peu substituée à celle évoquée ci-dessus. Par

ailleurs, tel que nous l’avons abordé dans nos propos, une nouvelle réflexion tant au niveau

communautaire qu’au sein des Etats membres a émergé privilégiant l’uniformisation de la

notion de siège au profit de l’incorporation. Aussi, l’Allemagne, instigateur principal de la

Sitztheorie (A) a récemment opté pour un rattachement au siège statutaire, ce qui doit être

salué comme un signe fort en faveur de la mobilité des sociétés et de la modernisation du lien

entre l’Etat d’accueil et l’entreprise (B).

A) Une modification de système de rattachement inattendue de l’Allemagne, Etat

emblématique de la Sitztheorie

470. Indéniablement, la récente décision gouvernementale allemande, fin 2006, relative au

rattachement des personnes morales en droit des société a surpris. En effet, rappelons que nos

voisins d’Outre-Rhin ont été les principaux instigateurs et de la Sitztheorie. Dès lors, dans

l’ordre juridique international, l’Allemagne a longtemps fait figure d’ardant défenseur de la

conception réelle du siège social. En d’autres termes, comme nous l’avons noté, les règles du

droit international privé allemand imposent la coïncidence entre le lieu d’immatriculation ou

d’enregistrement de l’entité et celui de l’exercice d’activité économique par l’entité

considérée. Celles-ci, autrement nommées théorie du siège réel, proviennent, à l’origine, non

du droit écrit mais de la jurisprudence, comme nous l’avions observé à titre liminaire662. En

effet, ces règles de rattachement particulièrement strictes ont ensuite été codifiées dans

différentes parties du Bundesgezetzblatt. Ainsi, la Sitztheorie est-elle notamment présente aux

articles 25, 53 et 78663. De cette conception découlent des conséquences évidentes sur la

constitution, la capacité juridique et la représentation des salariés au sein des entreprises

concernées. Tous ces domaines répondent à des conditions strictes s’agissant du

662 Supra, p. 28 et 29. 663 Voir notamment : Dr. Hoek, « Le Droit International Privé allemand actuel » www.dr-

hoek.de/FR/beitag/spt?=ledroit-International-Privé-allemand-actuel, p. 19.

307

rattachement. Notons que la loi allemande s’accommode fort mal des sociétés de pure forme

puisque ces dernières peuvent notamment être assignées devant des tribunaux nationaux. A

titre anecdotique, le droit germanique des sociétés consacre une conception éloignée de

l’autonomie des parties ou de la thèse contractualiste apparue en Angleterre664. Au-delà du

simple aspect matériel des règles, c’est donc aussi d’un point de vue philosophique du droit

que l’Allemagne diverge des Etats de siège statutaire.

471. Enfin, quant au transfert du siège d’un Etat à un autre, dans l’hypothèse où

l’Allemagne fait figure d’Etat d’accueil, il s’opère un changement de loi applicable avec

obligation, pour ladite société, de se ré-immatriculer.

472. Or, dans le cadre de la mobilité des sociétés et de la liberté d’établissement telle que

promeut par l’ordre juridique communautaire, ladite définition rigide et factuelle peut poser

des difficultés. Ainsi, dans l’arrêt Überseering de 2002, la C.J.C.E a été confrontée au cas

suivant exposé dans nos propos : en l’espèce, il a été soumise à celle-ci la question de

l’impact d’une dissociation entre les deux sièges statutaire et réel quant à l’exercice du droit

d’agir en justice665. Précisément, l’Etat rhénan d’accueil déniait ce dernier à la société

Überseering néerlandaise en arguant de la situation de celle-ci ne respectant pas l’unicité de

siège imposée par le droit local666. La solution est connue et privilégie la liberté

d’établissement sur les règles nationales allemandes restrictives : il est permis, au regard du

Traité de Rome, de procéder, dans le cadre de l’opération de transfert, à une dichotomie de

sièges au sein de l’Union européenne. Tel qu’il apparaît dans nos propos, cet arrêt figure

parmi les trois espèces encourageant l’émergence de la conception statutaire du siège. Dès

lors, les règles du droit international privé allemand semblent t-elles en inadéquation tant

avec celles des rattachements pratiqués dans les autres Etats tant au niveau communautaire.

En effet, d’une part, les solutions issues du Bundesgezetzblatt sont en rupture avec celles

notamment préconisés par le droit anglais épris de la théorie de l’incorporation. Mentionnons

également le fait que certains Etats optant traditionnellement pour le siège réel, tel les Pays-

664 W-H. Roth, Op. Cit., p. 181. 665 C. Nourissat, note sous C.J.C.E 5 nov. 2002, Überseering BV, Procédures 2003, comm. 10, p. 13. 666 G. Leutner, France-Allemagne. Lettre bimestrielle d’information sur l’actualité juridique et fiscale allemande,

CMS Bureau Francis Lefebvre, Sept. Oct. 2006, www-cms-

f//.com/site/myhjahiesite/shard/publication/lettre_Allemagne/France_III_057.pdf

308

Bas667, ont modifié leurs règles de rattachement en faveur du siège statutaire. Par ailleurs,

rappelons que le droit français propose une conception mixte du système de localisation du

siège social, si bien qu’une partie de la doctrine analyse les règles des articles 1837 du Code

civil et 210-3 du Code de commerce comme posant le principe du siège statutaire668. Cela est

également le cas en droit des entreprises en difficulté669. D’autre part, le droit prétorien

communautaire a, depuis l’arrêt Daily Mail, considérablement marqué sa volonté de

consacrer, par le biais de la liberté d’établissement, la mobilité des personnes morales au sein

de l’Union européenne. L’espèce Inspire Art de 2003, à laquelle s’ajoute celle dite Sevic

System rendue par la C.J.C.E en 2005, est venue ancrer davantage encore cette tendance. Ne

nous y trompons pas, l’impact de cet ensemble jurisprudentiel a été très fort en Allemagne et a

engendré une réflexion sur la pertinence actuelle du critère du siège réel en qualité de

rattachement de principe de droit international privé allemand670. En effet, une telle situation

ne nous semblait plus, eu égard aux éléments développés ci-dessus, tenable.

473. Dès lors, l’évolution vers le siège statutaire outre- Rhin semble mois surprenante qu’à

première vue.

B) Le changement de critère de rattachement en droit allemand traduisant la prise en compte

de la mobilité des sociétés

474. Suite au mouvement prétorien initié par l’arrêt Centros de la Cour de Luxembourg, le

droit allemand a pris conscience de l’extrême nécessité de repenser les règles de rattachement

relatives aux sociétés. Notons d’ailleurs que cette volonté s’est également exprimée au niveau

communautaire puisque le Haut Conseil consultatif du gouvernement allemand en matière de

droit international privé a initié, le 9 février 2006, la proposition de règlement européen visant

à unifier les règles de rattachement au profit de la conception statutaire671. Aussi, il n’est pas

improbable que cette démarche ait influencé le législateur germanique.

667 H Hoge Raad Supra, p. 39. Voir supra, p. 32. 668 Supra, pps. 40 à 42. 669 Supra, pps. 56 à 57. 670 W-H. Roth, Op. Cit., p. 177. 671 Supra, p. 296.

309

475. En effet, quelques mois après ladite proposition, le gouvernement allemand a accompli

un bouleversement majeur en abandonnant le critère de principe du siège réel en droit alors

que celui-ci s’imposait, depuis le XIXème siècle, dans son droit international privé. Notons

que cette hypothèse était par ailleurs souhaitée par les praticiens rhénans du droit des affaires,

lesquels soutenaient, à juste titre, qu’elle serait favorable à une plus grande compétitivité et

attractivité des sociétés allemandes au sein de l’Union européenne672.

476. Une telle solution met donc fin au paradoxe que connaissait l’Allemagne jusqu’en

2006. A cette occasion, le législateur de cet Etat a substitué le critère de rattachement issu de

la Sitztheorie par celui du siège statutaire673.

477. Une telle orientation emporte des conséquences, lesquelles sont bien connues, et

jouent directement et indirectement. Ainsi, de prime abord, les entreprises rhénanes auront la

liberté de choix de rattachement : elles pourront dissocier leur siège statutaire du siège réel, ce

dernier n’étant plus la condition sine qua non de la reconnaissance allemande d’une personne

morale. En outre, il est fort à parier que les règles régissant le transfert du siège social seront

assouplies, notamment en ce qui concerne l’actuelle obligation de dissolution de la société.

Naturellement, le choix récent de l’incorporation par le législateur allemand permettra une

meilleure mobilité de ses entreprises au sein de l’Union européenne dont ce pays est l’un des

pères fondateurs. Ainsi, pour faire écho aux observations des praticiens du droit des affaires

allemand cités précédemment, la compétitivité des opérateurs économiques germaniques n’en

sera qu’accrue.

478. Indirectement, le choix allemand est également lourd de conséquences. En effet, nous

estimons qu’il traduit une évolution inéluctable et nécessaire du critère de rattachement

s’agissant de la Société Européenne. Ainsi, l’initiative allemande est l’occasion

d’expérimenter, dans le cadre de l’article 69 du Règlement 2157/2000, le rattachement au

siège statutaire dans un cadre hostile à l’origine, les rédacteurs des projets successifs relatifs à

la S.E s’étant montrés rétifs à l’égard de l’incorporation. La présente modification a le mérite

de se combiner idéalement avec la proposition du Haut Conseil allemand pour le droit

international privé, laquelle pour Noëlle Lenoir, suggère que cette dernière constitue un

672 G. Leutner, idem. 673 N. Lenoir, Op. Cit., p. 124.

310

« véhicule expérimental »674 susceptible d’inciter les Etats membres encore peu favorables à

la conception du siège statutaire de l’adopter. En effet, si l’Allemagne a opté pour une

nouvelle acception interne du siège social, il est peut être souhaitable que la France clarifie

également définition du lien de rattachement avec les sociétés car pour l’instant le droit

français des sociétés ne parvient à trancher entre les deux critères objet de notre étude. De

surcroît, pour ces Etats craignant la concurrence de pays aux législations attractives induite

par le law shopping, un tel rapprochement peut amenuiser les tensions actuelles.

479. Par conséquent, la modification de la conception du siège en droit allemand, pourtant

fervent militant de la Sitztheorie, témoigne un signe fort en faveur d’une nouvelle étape à

franchir en droit communautaire et plus largement en droit international privé. C’est du moins

le vœu que nous formulons.

480. Ainsi, à la lumière de nos observations, le lecteur constatera que l’évolution de la

notion de siège social en droit communautaire des affaires est en marche depuis l’apport

significatif des arrêts Centros, Überseering et Inspire Art. Cependant, des doutes subsistent

quant à la domination de la théorie de l’incorporation puisque d’une part le droit prétorien est

par nature mouvant et d’autre part le législateur européen a entamé une nage à contre courant

s’agissant du rattachement de la Société Européenne. C’est pourquoi, aux progrès réalisés par

la jurisprudence s’ajoute une double réflexion doctrinale générale sur les modes de

rattachement. En effet, cette dernière consiste tant à consacrer, au sein de l’ordre juridique

communautaire, la conception du siège statutaire, et ce notamment au profit de la S.E, qu’à

promouvoir ce critère en droit international privé. Saluons à ce titre, la double initiative

allemande. D’une part, la proposition de ce dernier Etat en faveur d’un règlement

communautaire rationalisant la définition du siège. D’autre part, fin 2006, le changement de

mode de rattachement émanant du législateur germanique consacre le net recul du siège réel

au profit d’une conception plus souple et moderne du lieu d’implantation des sociétés. Nous

ne saurons trop souhaiter que cette démarche influe, au sein du droit international privé, sur

les Etats encore rétifs à la notion de siège statutaire, l’adhésion du pays initiateur de la

Sitztheorie marquant un signe fort en ce sens. Par ailleurs, le droit des entreprises en difficulté

européen et celui des fusions transfrontalières accordent également prévalence à ce dernier

674 N. Lenoir, Op. Cit., p. 125.

311

mode de rattachement Ainsi, il est vrai qu’un « pas de plus », selon l’expression de nombreux

auteurs, a été franchi sous l’impulsion de l’ordre juridique communautaire.

481. Néanmoins, s’agissant de ce dernier, les incertitudes demeurent puisque d’une part

l’uniformisation de la notion de siège s’agissant du droit général des sociétés n’est qu’au

stade du projet et que d’autre part il s’agit, dans le cadre de l’article 69 du Règlement

2157/2000, de consacrer la « promesse » de modification675. En effet, si le droit prétorien est

indépendant des pressions politiques exercées par les Etats membres, le statut de la Société

Européenne demeure sujet à la conjoncture au sein de l’Union européenne. Plus précisément,

la C.J.C.E a concrétisé l’évolution en faveur du siège statutaire car elle n’est pas soumise aux

impératifs de consensus et de négociation que connaît pour sa part le législateur

communautaire. Il a notamment été remarqué que le point d’achoppement de la Société

Européenne a été la définition du siège social et ses conséquences, les Etats continentaux ne

souhaitant pas une acception souple de la notion favorisant le law shopping676. Dès lors, si

l’on suppose que la Commission européenne entame une réflexion en ce sens, rien ne garantit

que l’unanimité des Etats membres se fera au profit de l’incorporation. En outre, quant au

transfert du siège social, celui-ci, bien qu’initié par les arrêts Centros et Überseering, ne

connaît aucune concrétisation textuelle comprenant une référence au siège statutaire. Certes,

un des marqueurs annonciateurs de l’évolution souhaitée peut notamment résider dans la

modification du rattachement de la Société Européenne prévue par l’article 69 du règlement

la régissant. Quoiqu’il en soit, s’agissant du siège social, le point final n’est peut être pas

encore pour 2009 tant bien des aspects évoqués demeurent perfectibles.

482. En outre, si nous soutenons la conception statutaire du lieu d’implantation des

sociétés, celle-ci ne doit pas triompher au mépris de la sécurité juridique et de la protection

des tiers. Ainsi, s’agit-il de parvenir à un équilibre permettant d’allier, aux côté du

rattachement de principe du siège statutaire des gardes fous matérialisés par l’emploi du siège

réel. Pour ce faire, il convient de revitaliser les fondements de ce dernier que les récents

développements jurisprudentiels ont mis à mal (section II).

675 E. Perakis, Op. Cit., p. 232 ; Supra, p. 255. 676 Supra, pps. 204 et 205.

312

Section II : Un rééquilibrage du rattachement des sociétés opéré par une

revitalisation des exceptions au siège statutaire

483. Tel que nous l’avons abordé au fil de nos développements, la conception du siège

statutaire s’est progressivement imposée en droit communautaire des sociétés au point de

pouvoir influer sur le système de rattachement de l’ordre juridique international. Aussi, le

droit prétorien entreprit d’écarter, tant que possible, la conception du siège réel. Pour ce faire,

la C.J.C.E a notamment progressivement refusé d’accueillir les fondements relatifs à la fraude

et à la fictivité du siège légitimant auparavant le recours à la Sitztheorie. Cette tendance,

laquelle trouve son aboutissement dans l’arrêt Inspire Art de 2003, est parfois jugée excessive

par certains auteurs en ce qu’elle peut porter préjudice à la protection des tiers677. Plus

largement, à son paroxysme, l’acceptation du siège statutaire se révèle également

annonciatrice de l’effet Delaware et d’un nivellement par le bas des législations internes.

484. Notre propos suggère, dès lors, de procéder à un relatif rééquilibrage entre les deux

conceptions du siège, à savoir consacrer le principe de celle statutaire et l’assortir, le cas

échéant des présentes exceptions revitalisées. Dans cette perspective, il incombe à l’ordre

juridique communautaire de permettre un emploi plus souple de la fraude communautaire (I)

et de reconnaître l’exception de fictivité du siège (II).

I) Le fondement juridique de la fraude, une notion à revitaliser

485. Outre son acception communautaire depuis les arrêts Centros et Inspire Art, la fraude

est une notion classiquement issue du droit international privé. Appliquée aux droit des

sociétés, la fraude consiste, tel que cela a été abordé, dans la modification de localisation du

siège social dans le but d’éluder la loi d’origine contraignante : la personne morale déplace le 677 Supra, p. 86.

313

lien de son implantation dans un Etat réputé pour sa législation sociétaire et ou fiscale

souple678. Lorsque décelée par un Etat membre, elle permettait à ce dernier de combattre la

présomption d’identification des siège statutaire et réel. Néanmoins, amenuisée par l’arrêt

Centros, la fraude connut, avec l’espèce Inspire Art une définition communautaire vidée de

toute consistance juridique puisqu’il s’agissait surtout pour la Cour d’affirmer la liberté

d’établissement des sociétés679. Or, si cette intention est louable, nous estimons qu’elle est

peut être trop radicale, en ce sens que les Etats membres ne peuvent que lutter théoriquement

contre la fraude, cette dernière se manifestant notamment à travers le prisme de la liberté

d’établissement (A) et s’agissant des procédures d’insolvabilité communautaire (B).

A) Re-dynamiser l’exception de fraude dans le cadre de la liberté d’établissement

486. Tel qu’il a été constaté, la fraude est un fondement invoqué par les Etats membres afin

d’appliquer à une société le siège réel. Cette exception au siège statutaire apparaît dans deux

espèces évoquées dans notre étude, Centros et Inspire Art. Pour autant, si ces cas présentent

des similitudes quant à la solution en faveur du siège statutaire, la C.J.C.E n’y délivre pas une

définition de fraude identique puisque l’arrêt de 2003 est restrictif. C’est pourquoi, il nous

semble opportun que le droit communautaire en revienne à une conception plus large de la

fraude.

1° ) Une définition trop restrictive de la fraude au sens de l’arrêt Inspire Art

487. Indéniablement, les conceptions de l’exception de fraude, fondant un recours, par

l’Etat membre hostile à une trop grande liberté d’établissement, divergent. En effet, dans

l’affaire de 1999, la Cour affirme notamment que « Le fait qu’un Etat membre ne puisse

refuser l’immatriculation d’une succursale (…) n’exclue pas qu’il puisse prendre toute

mesure de nature à prévenir ou à sanctionner les fraudes, soit à l’égard de la société elle-

678 Supra, p. 244. 679 Supra, pps. 253 à 255.

314

même (…) soit à l’égard des associés. ». En d’autres termes, le recours à cette exception reste

envisageable si il n’est pas contraire au principe posé par les articles 43 et 48 du Traité de

Rome. Or, en 2003, cette même juridiction énonce « que le fait qu’une société n’exerce

aucune activité dans l’Etat membre où elle a son siège et exerce uniquement ou

principalement ses activités dans l’Etat membre de sa succursale ne suffit pas à démontrer

l’existence d’un comportement abusif et frauduleux. » Aussi, de prime abord, pour reprendre

l’expression de certains auteurs, si la fraude est dès l’origine une notion difficile à cerner,

l’ensemble non harmonieux de ces arrêts complexifie davantage la compréhension de cette

dernière680. Or, pour les Etats membres, la fraude constitue traditionnellement bel et bien l’un

des derniers remparts contre les situations litigieuses d’établissement des sociétés : aussi un

minimum de clarté aurait été souhaitable.

488. Surtout, à la lecture de l’espèce Inspire Art, l’exception de fraude est quasiment

réduite à néant, en ce sens que s’impose à l’Etat requérant l’interdiction de sanctionner la

société pratiquant la dissociation entre les sièges et le principe de liberté d’établissement.

Rappelons qu’au sein des propositions allemandes de règlement communautaire unifiant la

définition du siège social, il est suggéré d’inscrire le principe de dissociation681, pour autant,

admettre celui-ci ne doit pas conduire à une attitude prétorienne envers le mode de

rattachement choisi que Loussouarn qualifiait de laxiste. En effet, si la liberté d’établissement

est aujourd’hui le vecteur incontournable de la mobilité des sociétés, ses effets peuvent se

révéler pernicieux, si l’on pense notamment au nivellement par le bas des législations : les

Etats membres vont avoir à cœur de présenter un régime juridique attractif pour les

entreprises, lequel ne le sera pas nécessairement s’agissant des créanciers, des salariés et des

tiers en général.

489. En réalité, tel que cela a été constaté, la C.J.C.E développe à travers les arrêts Centros

et surtout Inspire Art une conception communautaire de la notion, comme l’admettent les

professeurs Jacques Béguin et Michel Menjucq682. Dans la dernière espèce notamment, il est

expressément affirmé que la fraude n’est matériellement pas constituée par l’évitement d’une

législation sociétaire défavorable à une entreprise. Tel que nous l’avons constaté, la démarche

680 J-P. Dom, note sous C.J.C.E., 9 mars 1999, Centros, Bull. Joly Sociétés 1999, p. 710 681 Supra, p. 296. 682 J. Béguin et M. Menjucq, Op. Cit., p. 288.

315

de la Cour de Luxembourg conduit, en 2003, à un glissement terminologique de la notion de

fraude vers celle d’abus : la C.J.C.E réalise l’amalgame entre les deux pourtant analysées

différemment au sein de l’espèce Centros de 1999683. En effet, la fraude serait ici

« l’utilisation abusive d’un droit subjectif reconnu »684 par l’ordre juridique communautaire et

non l’évitement, par une manœuvre, d’un rattachement restrictif. Au final, la notion est très

faiblement invocable par les Etats membres au soutien d’une application du siège réel. Dès

lors, il semble légitime de s’interroger sur les éventuelles possibilités de retenir une définition

moins restrictive de la fraude.

2°) Rétablir l’équilibre présenté dans l’arrêt Centros

490. Selon notre analyse, la C.J.C.E a, en effet, marqué, à l’aune de l’arrêt Inspire Art, un

pas de plus vers l’admission du siège statutaire en droit communautaire, ce qui est légitime eu

égard aux enjeux posés par la mondialisation de l’économie. Pour autant, l’une des solutions

permettant d’éviter les situations délicates et excessives dans lesquelles une entité n’aurait

aucun lien avec l’Etat d’accueil de son siège statutaire consiste probablement à revenir à la

solution consacrée par l’affaire Centros. En effet, si cette dernière constitue le premier arrêt

clairement en faveur de la théorie de l’incorporation, elle opère toutefois clairement la

distinction entre l’abus de droit communautaire et la fraude. Aussi, l’arrêt Centros possède t-

il le mérite d’offrir une alternative d’exceptions bénéficiant au requérant puisqu’il peut, d’une

part, agir, sur le fondement de l’abus du droit. En outre, il nous semble que l’espèce de 1999

présente une définition de la fraude classique en ce sens où l’interprétation que est faite de la

liberté d’établissement permet tout de même de sanctionner ceux qui cherchent à échapper à

leurs obligations. Aussi, retrouve t-on ici l’un des éléments constitutifs de la notion fondant le

recours au siège réel. C’est pourquoi, nous souscrivons à l’analyse du professeur Etienne

Pataut, lequel affirme que « la fraude envisagée n’est pas très éloignée de la conception

classique que s’en fait le droit international privé685 ». Or, de toute évidence, cette dernière est

683 Supra, p. 255. 684 E. Pataut, Op. Cit., p. 493. 685 E. Pataut, Op. Cit., p. 611.

316

moins restrictive que celle développée au sein de l’arrêt Inspire Art. Egalement, le présent

arrêt de 2003 laisse perplexe tant la fraude se définit par rapport aux droits nationaux,

lesquels sont contournés. Or, pour les juges de Luxembourg, il s’agirait ici de l’utilisation

abusive d’un droit communautaire. Une telle conception nous semble confuse dans la mesure

où elle manque d’unicité.

491. Dès lors, l’enjeu pour l’ordre juridique communautaire consisterait à revenir à la

conception e de la fraude telle que présente dans l’affaire Centros car elle s’inspire des règles

du droit international privé. C’est, pour l’occasion, à ce dernier qu’il revient d’influencer le

droit communautaire. Une telle solution aurait sans nier la suprématie de la liberté

d’établissement et dès lors du rattachement au siège statutaire, le mérite de redonner des

garanties et des moyens juridiques de protection aux tiers. C’est d’ailleurs l’esprit des articles

1843 du Code civil et L 210-3 du Code de commerce puisque il est plausible que ces deux

derniers textes posent, selon l’analyse des professeurs Hervé Synvet et Michel Menjucq686, le

principe du rattachement au siège statutaire, sous réserve de fraude ou d’abus de droit. Les

deux hypothèses ne sont donc pas confondues et ne doivent pas l’être par le droit prétorien

communautaire. Si l’exception de fraude est généralement présente s’agissant de la liberté

d’établissement, elle concerne également les procédures d’insolvabilité communautaire.

B) L’exception de fraude minimisée par l’arrêt Eurofood en droit des procédures collectives

communautaires

492. Tel que nous l’avons constaté, le droit des procédures d’insolvabilité communautaire a

affirmé, dans l’arrêt Eurofood rendu par la C.J.C.E le 2 mai 2006, la conception du siège

statutaire s’agissant du mode de rattachement applicable. Cette évolution jurisprudentielle fait

suite aux dévoiements de la notion de centre des intérêts principaux du débiteur avérés dans

les affaires Isa Daisytek et Rover687. En effet, dans ces dernières, les tribunaux des Etats

membres avaient tenté de contourner la règle du rattachement du siège statutaire instauré par

le règlement 1346/2000. Le dessein résidait ainsi en la non application du principe

686 Supra, pps. 41 et 42. 687 J-P. Rémery, Op. Cit., p. 380.

317

d’universalité de la faillite. Or, dans l’affaire précitée de 2006, la Cour de Luxembourg

redonne toute sa vigueur au texte de l’article 3 du Règlement du 29 mai 2000. A ce titre, la

Cour mentionne l’hypothèse de la fraude, laquelle nous semble cependant réduite à la portion

congrue, ce qui n’apparaît pas opportun.

493. En effet, dans sa solution, la Cour affirme que « lorsqu’un débiteur est une filiale

dont le siège statutaire et celui de la société mère sont situés dans deux Etats membres

différents, la présomption (…) ne peut être réfutée que si des éléments objectifs et vérifiables

par les tiers permettent d’établir l’existence d’une situation réelle différente de celle que la

localisation audit siège statutaire est censée refléter. » La C.J.C.E poursuit notamment son

propos en l’illustrant de l’hypothèse d’une société boîtes aux lettres.

494. Si le premier enseignement de l’espèce est connu, le second concerne l’exception de la

fraude. En effet, pour le professeur Laurence Idot, la « principale » exception au rattachement

du siège social statutaire doit être la fraude688. L’hypothèse de la situation décrite ci-dessus

évoquant une différence entre la réalité de la localisation de l’entreprise et celle décrite dans

les statuts de cette dernière peut, nous le concevons, s’apparenter à notre sujet. En ce sens, la

fraude corresponds à la manipulation intentionnelle d’un critère de rattachement689, à savoir

ici s’immatriculer, volontairement, sous une loi plus favorable ou bénéficier sciemment de la

compétence juridictionnelle d’un Etat. Pour autant, et c’est à cet instant que le bât blesse, cette

notion suppose qu’il n’y ait pas, tel que le rappelle la Cour dans sa formule « une société qui

n’exercerait aucune activité réelle sur le territoire de l’Etat » de son siège statutaire, un

quelconque flux économique en provenance de ce lieu. Or, dans l’arrêt Eurofood de 2006,

cette condition n’est pas validée dans la mesure où la il est mentionné dans celui-ci que la

société filiale possède une activité sur le sol français. Dès lors, la compétence des juridictions

italiennes ne saurait être fondée. L’exception de fraude est donc irrecevable et semble

reléguée au second plan par le juge, lequel privilégie le principe d’universalité de la faillite et

donc la théorie du siège statutaire présente à travers le centre des intérêts principaux du

débiteur.

688 L. Idot, « Détermination de la juridiction compétente pour ouvrir la procédure d’insolvabilité principale d’une

filiale d’un groupe, note sous C.J.C.E, 2 mai 2006, Eurofood, Europe 2006, n° 230, p. 32. 689 Supra, pps. 245 et 246.

318

495. Néanmoins, cette solution nous semble aller au-delà des prescriptions de l’article 3 du

Règlement 1346/2000 du 29 mai 2000, lequel n’évoque que l’éventualité de l’exception au

rattachement incorporatiste par son moyen, soit la « preuve contraire. »690 Aussi, il est permis

d’interpréter le peu de précision du texte par la volonté de laisser subsister une notion plus

large de la fraude. C’est du moins ce que nous souhaitons car si les juges de Luxembourg

répriment dans le cas présent la pratique des sociétés de pure forme, la frontière entre ce qui

est toléré et ce qui ne l’est pas manque de lisibilité. Dès lors, à l’instar de l’arrêt Inspire Art en

matière de liberté d’établissement, l’espèce Eurofood a-t-elle franchi un pas de trop.

496. C’est pourquoi, il semblerait opportun de substituer à l’absence totale d’activité une

activité très faible. Aussi, sans pour autant effectuer un retour aux arrêts Daisytek et Rover

consacrant une large part aux exceptions relatives au siège réel, la Cour offrirait-elle une

possibilité plus étendue eux Etats membres de lutter contre des pratiques proches de la

domiciliation de pure complaisance.

497. Ainsi, tel qu’il a été abordé dans nos propos, l’exception de fraude issue du droit

international privé est fréquemment invoquée par les Etats rétifs à la théorie du siège

statutaire. Cependant, elle trouve aujourd’hui ses limites en droit prétorien communautaire

tant en ce qui concerne la liberté d’établissement que le droit des entreprises en difficulté. En

effet, s’agissant de la première, la notion de fraude apparaît-elle considérablement affaiblie

dans l’espèce Inspire Art, laquelle va au-delà de la solution de l’arrêt Centros en

l’amalgamant à l’exception d’abus. Par ailleurs, s’agissant des procédures d’insolvabilité

communautaire, l’arrêt Eurofood, s’il a le mérite de mettre fin au dévoiement du Règlement

1346/2000 pratiqué par les Etats membres en rétablissant toute son autorité à la présomption

de localisation du centre des intérêts principaux du débiteur au siège statutaire de ladite

société, amoindri davantage la force de la présente exception. A cette dernière est en effet

privilégiée la mobilité des personnes morales et l’universalité de la faillite, ce qui semble

satisfaisant.

498. Pour autant, nous suggérons un léger rééquilibrage en faveur de la notion de fraude

afin de permettre aux tiers concernés et plus largement aux Etats membres de contester des

rattachements de pure forme. Si l’optimisation juridique induite par la théorie d’incorporation

est, en effet, bénéfique, elle peut conduire, tel que nous l’avons observé, à des excès néfastes à

690 Supra, p. 70.

319

la cohésion européenne691. Loin de remettre en cause le chemin parcouru depuis, d’une part

les arrêts Daily Mail et d’autre part Daisyteck, il serait peut être opportun, pour l’ordre

juridique communautaire de retenir une acception un peu plus large de la fraude. Il en va de

même pour les fondements de l’abus du droit communautaire et la fictivité du siège social.

II) Le rétablissement d’une conception plus large de l’abus de droit communautaire et de la

fictivité du siège social

499. Tel que cela a été observé précédemment, les fondements juridiques de l’abus de droit

communautaire et de fictivité du siège ont été employés, avec plus ou moins de succès, par les

Etats membres afin de lutter contre le rattachement au siège statutaire. Néanmoins,

l’évolution jurisprudentielle avérée au sein de l’ordre juridique communautaire a mis en

lumière la conception statutaire du siège sociale. En effet, il s’agissait d’encourager la liberté

d’établissement et la mobilité des sociétés nécessaire à l’accroissement de compétitivité des

entreprises européennes face à celles outre-atlantique et asiatiques. Pour ce faire, le juge

communautaire de la C.J.C.E a privilégié les notions évoquées ci-dessus au détriment des

éléments permettant d’invoquer le rattachement au siège réel. Précisément, on note le net

recul des exceptions d’abus de droit communautaire et de fictivité du siège social. Or, à

l’instar de la fraude, la première, si elle doit demeurer des tempéraments, est susceptibles de

constituer des gardes fous utiles en cas d’utilisation dévoyée du critère de l’incorporation par

les sociétés (A). Il en va de même pour le fondement de la fictivité du siège social (B).

A) L’usage abusif du droit communautaire, un fondement à revigorer

Notamment développée en droit français692 à l’occasion de l’arrêt Clément Bayard rendu par

la Cour de cassation en 1915693, la théorie de l’abus de droit a connu de nombreuses

applications tant en droit interne que, par la suite, en droit communautaire.

691 Nous pensons notamment au risque de concurrence entre les législations des Etats membres induit par le law

shopping : voir sur ce point : supra, pps. 156 à 158. 692 Voir notamment sur ce point : P. Malaurie, L. Aynes et P. Stoffel-Munck, Les Obligations, Coll. Droit Civil,

Defrénois 2005, 2e. Ed., pps. 56 à 58.

320

500. Au fil de nos propos, une constatation s’impose s’agissant de ce fondement. Si l’arrêt

Centros de 1999 avait, à juste titre, privilégié l’application de la conception au lieu de retenir

l’usage abusif de la liberté d’établissement alors invoqué par les autorités danoises694, l’espèce

Inspire Art est allée beaucoup plus loin en assimilant cette notion à l’exception précédemment

décrite de fraude. Bien évidemment, une telle situation n’apparaît pas confortable, en ce sens

qu’elle rajoute à la confusion déjà existante. Rappelons nous, en effet, des solutions élaborées

dans ces deux décisions fondatrices. D’une part, s’agissant de l’affaire Centros, tel que cela a

été abordé, la Cour de Luxembourg évoque l’usage abusif de la liberté d’établissement en

confirmant la direction prise dans l’arrêt Kefalas précédemment cité. Ainsi, il est reconnu aux

Etats membres le pouvoir de lutter contre des comportements abusifs de sociétés695, ce qui

atteste de l’existence, en tant que telle, de la présente exception. Néanmoins, les juges

communautaires poursuivent en affirmant que cette dernière ne saurait ni modifier la portée

de la disposition communautaire ni « compromettre les objectifs qu’elle poursuit. » Aussi, la

C.J.C.E admet-elle la présence, au titre des fondements au siège réel, de l’usage abusif de la

liberté d’établissement. Pour autant, fidèle à la conception développée dans l’affaire Kefalas,

elle ne l’érige pas en principe général du droit communautaire. En d’autres termes, si la Cour

de Luxembourg reconnaît l’existence juridique de l’usage abusif du droit communautaire, elle

estime que le fait, pour une société, d’opter en faveur une législation sociétaire peu

contraignante n’est pas constitutif de celui-ci. Or, la notion d’abus, nous l’avons souligné, est

toute autre dans l’arrêt Inspire Art puisque ce dernier est confondu avec la fraude. Pis encore,

elle semble davantage en recul puisqu’elle n’est pas admise alors même que, selon les termes

de l’espèce que « le fait qu’une société n’exerce aucune activité dans l’Etat membre où elle a

son siège et exerce uniquement ou principalement ses activités dans l’Etat membre de sa

succursale ne suffit pas à démontrer l’existence d’un comportement abusif (…). Aussi, le

degré d’appréhension de l’abus a évolué en l’espace de quatre ans puisque sa conception

semble plus floue et restrictive en 2003 qu’en 1999. Dès lors, outre la confusion que l’on peut

déplorer, force est de constater qu’il ne subsiste que peu chance au plaideur de voir son action

693 Req. 3 août 1915, aff. Clément Bayard, DP 1917.1.79. 694 Supra, p. 239. 695 M. Menjucq, Droit International et européen des sociétés, Coll. Domat Droit Privé, Montchrestien 2001, p.

338, n° 275.

321

fondée sur l’usage abusif prospérer. C’est pourquoi, à l’instar du professeur Etienne Pataut,

« on peut se demander si la Cour de justice permet encore la sanction »696.

501. Dès lors, deux enseignements sont à tirer de cet ensemble jurisprudentiel. D’une part,

le recours à l’abus, nous l’admettons, doit rester mesuré en ce sens que le siège statutaire, au

nom notamment de la mobilité des sociétés, est le rattachement incontournable au sein de

l’ordre juridique communautaire. Tel que nos propos l’ont démontré, conserver le critère de

principe du siège réel- et donc promouvoir ses fondements, dont l’usage abusif d’un droit- est

inopportun. Pour autant et d’autre part, dans un soucis de sécurité juridique des tiers, il n’est

pas souhaitable de réduire à néant ce moyen. Là encore, une des alternative serait de revenir à

la solution exprimée dans l’affaire Centros, à savoir reconnaître la vigueur du rattachement de

principe de l’incorporation et la non sanction de la dissociation des sièges sociaux697. En

outre, dans la mesure où l’arrêt de 1999 cite la présente notion, il s’agirait d’admettre

l’existence de l’abus dans la mesure son usage se trouve limité. Il appartient ainsi au droit

communautaire de restaurer, à la suite de l’espèce Inspire Art, une conception revigorée de

l’usage abusif de la présente norme sans pour autant en revenir à la notion développée dans

l’arrêt Kefalas. Pour ce faire, eu égard aux développements consacrés à la présente notion698,

il serait souhaitable que le juge communautaire conserve un contrôle sur l’admission de l’abus

au titre des exceptions de rattachement au siège statutaire. A cette fin, comme cela a été

souligné dans nos propos, la mesure nationale destinée à lutter contre un abus doit être non

discriminatoire et justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général. Egalement, le juge de

Luxembourg exige que ces dernières soient propres à garantir la réalisation de l’objectif

poursuivi et proportionnées à ce dernier. L’appréciation de l’abus porte ainsi davantage sur sa

proportionnalité aux textes communautaires qu’au seul comportement de la société désirant

s’établir dans hors de son Etat d’origine. Aussi, le siège réel ne serait plus un obstacle à la

mobilité des sociétés mais davantage un garde fou aux excès du law shopping et de l’effet

Delaware critiqué tant par la doctrine que les Etats membres. Outre la notion d’abus, se pose

la question du devenir de la fictivité du siège social et des lois de police.

696 E. Pataut, Op. Cit., p. 609. 697 G. Jazottes, M. Luby et S. Poillot Peruzetto, Op. Cit., p. 225. 698 Supra, p. 239.

322

B) Encourager l’élaboration d’une définition plus souple de la fictivité du siège et de l’ordre

public

502. Outre son intérêt relatif aux notions de fraude et d’abus, l’analyse de la trilogie

prétorienne intervenue entre 1999 et 2003, démontre un net recul de deux fondements

juridiques alors en faveur du siège réel : la fictivité et les lois de police. Cette tendance

marque un passage essentiel vers la domination du siège statutaire au sein de l’ordre juridique

communautaire. Notons, par ailleurs, que la fictivité et les lois de police ne sont pas

également traitées dans les différentes espèces, le dénominateur commun résidant en

l’affaiblissement avéré desdits fondements. Toutefois, dans un sens identique à celui

développé s’agissant des deux exceptions précédemment évoquées dans nos propos, nous

suggérons de nuancer l’orientation prise récemment afin de faire bénéficier les tiers de plus de

sécurité juridique.

1°) L’éventuelle renaissance de l’exception de la fictivité du siège

503. Tel qu’il a été constaté à l’aune de nos propos, la fictivité du siège est un moyen

juridique destiné à lutter contre la dissociation des lieux d’implantation des sociétés.

Fondement différent de la fraude, il conduit cependant à un objectif identique : nier le siège

statutaire et lui privilégier la Sitztheorie. Envisagé antérieurement par le droit international

privé, cette conception a notamment été consacré par la jurisprudence de la Cour

administrative d’appel de Paris en son arrêt Romantic Music Corporation du 2 juillet 1991699,

dans lequel le juge confère, en effet, un droit d’option pur et simple aux tiers entre le siège

statutaire et le siège réel, le premier étant situé à New- York et le second à Paris. La Cour

tranche le litige en estimant que le siège New-Yorkais est fictif. Une telle solution est

également rendue possible par la combinaison des articles L 210-3 du Code de commerce et

1837 du Code civil, lesquels mentionnent au titre des exceptions au siège statutaire le cas de

la fictivité. Cette dernière consisterait, tel que cela a été abordé précédemment, pour une

699 CAA Paris, 2e. Ch. 2 juillet 1991, SA Romantic Music Corporation, Bull. Joly 1991, p. 858.

323

société à s’immatriculer dans un Etat sans qu’en ce lieu se trouve le « véritable foyer de

l’activité » de la société selon l’expression du professeur Michel Menjucq700.

504. L’exemple patent de cette pratique réside dans l’hypothèse d’une société dite boîtes

aux lettres. La sanction permet aux tiers et aux associés d’invoquer le rattachement au siège

réel. Toutefois, notons que la frontière séparant la situation d’une personne morale procédant

à la configuration ci-dessus décrite d’une entité n’exerçant qu’une activité a minima, laquelle

est tolérée par certaines législations701 est mince. La distinction s’est encore amenuisée par

apport des arrêts Centros, Überseering et Inspire Art relatifs à la liberté d’établissement. Tel

que nous l’avons noté, ces derniers évoquent davantage la fraude, l’usage abusif du droit

communautaire que la présente exception. Plus précisément, il semble que celle-ci soit

comprise ou confondue dans les fondements évoqués. Or, l’espèce Eurofood intervenue en

mai 2006 dans le cadre du contentieux relatif aux procédures d’insolvabilité communautaires.

En effet, si l’argument n’a pas été soutenu lors des affaires précédemment citées, au sein de la

présente espèce, la Cour de Luxembourg cite expressément, au titre des exceptions faisant

tomber la présomption de centre des intérêts du débiteur au siège statutaire, les « sociétés

boites aux lettres ». Ceci peut, selon notre analyse, correspondre à la situation d’entités

économiques n’ayant aucun lien avec l’Etat d’accueil car animées par une mobilité fictive.

Ainsi, il incombe à l’ordre juridique communautaire d’apporter une clarification entre les

notions de fraude, d’abus et de fictivité du siège social. A l’instar des deux premières, nous

suggérons que le législateur communautaire ou du moins le droit prétorien de la C.J.C.E

redonne une vigueur à la dernière exception, en ce sens que celle-ci apporte également une

réponse appropriée aux hypothèses flagrantes dans lesquelles la société ne recherche la

mobilité que dans l’unique but de bénéficier d’une immatriculation formelle favorable. Par

ailleurs, conférer, dans une certaine mesure certes, un nouveau souffle à une telle exception

permettrait de donner plus de crédit à la conception statutaire, dans la mesure où cette

dernière ne serait plus considérée comme un vecteur de dévoiement mais le simple exercice

d’une liberté communautaire. Dès lors, cette notion peut s’affirmer comme un corollaire du

700 Supra, p. 238 et 239. 701 Voir sur ce point la loi néerlandaise du 17 décembre 1997 dite Wet op de formeel buitenlandse

vennotschappen relative aux sociétés étrangères de pure forme ou « pseudo foreign companies. ». Cette dernière

légitime les entités de pure forme sous condition du respect de formalités : supra, p. 90.

324

critère de l’incorporation. Aussi, tel qu’on le constate, conférer une existence juridique à

l’exception de fictivité du siège permet un certain rééquilibrage et évite les dérives du tout ou

trop statutaire. Egalement, ce raisonnement s’applique aux lois de police issues du droit

international privé.

2°) Un rééquilibrage entre la domination du siège statutaire et la survivance des lois de police

505. Destiné à lutter contre la mobilité frauduleuse des sociétés, le mécanisme issu du droit

international privé des lois de police retient ici notre attention. En effet, tel que nous l’avons

noté, la particularité de ces dernières réside en l’évitement de l’application de la solution

dégagée par la méthode conflictuelle au nom de raisons impérieuses702. Une deuxième norme

est, dès lors, privilégiée. S’agissant du siège social et du droit des sociétés, elle consiste en la

prévalence du critère issu de la Sitztheorie en cas de dissociation entre ce dernier et le siège

d’incorporation. Naturellement, outre sa présence en droit international privé, la présente

notion a connu des développements importants en droit communautaire via notamment les

arrêts Arblade rendu par la C.J.C.E et Mazzoleni respectivement du 23 novembre 1999703 et

du 15 mars 2001. Ainsi qu’il a été observé dans nos propos antérieurs, la question

préjudicielle soumise au juges de Luxembourg consiste à déterminer si la loi de police du lieu

de l’activité effective des salariés ne constituait pas une entrave aux échanges sanctionnées

par les articles 59 et 60 du Traité de Rome relatifs à la liberté de prestation de service704. La

Cour affirme ici la primauté du droit communautaire, en ce sens qu’elle estime que les articles

59 et 60 s’imposent sur une éventuelle loi de police interne contraignante. En effet, lesdites

dispositions litigieuses belges sont superfétatoires, en ce sens que le droit français comporte

des mesures de protection des salariés détachés. Or, quelques années après, dans l’affaire

Inspire Art, la Cour emprunte, envers les lois de police, une posture plus radicale. En effet, il

s’agissait ici pour l’Etat néerlandais de sanctionner l’incorporation fictive notamment par

l’application de la disposition litigieuse WFBV Ainsi, ce dispositif est qualifié par la Chambre

702 Supra, p. 219. 703 C.J.C.E, 23 nov. 1999, Arblade, Rev. Crit. DIP 2000, p. 710, note M. Fallon. 704 Supra, p. 222.

325

de commerce d’Amsterdam de loi de police jusqu’à lors protégé par le droit communautaire.

En effet, et ce conformément à la jurisprudence précitée dite Mazzoleni du 15 mars 2001705, il

semblait que la loi de police puisse constituer une entrave tolérée au principe de la liberté

d’établissement des personnes morales. Or, en l’espèce présente, il n’en fut pas ainsi puisque

les juges de Luxembourg, c’est l’impérativité de la loi WFBV qui rend cette dernière

critiquable. Le contrôle émanant de la C.J.C.E porte davantage sur la motivation fournie par la

Chambre de commerce d’Amsterdam au soutien de l’application de la présente loi de police

que sur le contenu de celle-ci, lequel semble validé par les juges de Luxembourg. Dès lors, la

C.J.C.E affaiblit la portée de cette exception au siège statutaire : ce dernier ne s’en trouve que

renforcé. En effet, la haute juridiction fonde sa solution sur le respect du principe de la liberté

d’établissement, lequel ne saurait, selon elle, souffrir d’entraves injustifiées car impératives.

Cette issue favorable à la société Inspire Art marque donc le recul des lois de police pourtant

tolérées jusqu’à lors par le juge communautaire et les partisans l’incorporation.

506. Or, dans le présent cas, si nous approuvons le renforcement de la conception du siège

social, nous souhaiterions, à l’instar des observations relatives à la fraude et à la fictivité du

siège, que celui-ci soit davantage relatif et tempéré par des exceptions salutaires pour les tiers.

En effet, notre propos s’accorde à conférer à la fraude le caractère qui était le sien lors des

affaires Arblade et Mazzoleni. En d’autres termes, il serait peut être souhaitable que la Cour

revienne à une appréciation proportionnelle quant au caractère justifié ou non de ladite loi de

police. En effet, une telle orientation, bien souvent pratiquée par le droit prétorien

communautaire, permet de concilier les intérêts de la mobilité des sociétés (en favorisant les

règles de rattachement souple de la personne morale) et ceux des tiers lésés par une

immatriculation contraire aux intérêts généraux de l’Etat membre. Une telle conception des

lois de police, assurant cette protection, a le mérite de se placer dans la continuité de la théorie

élaborée par Franceskakis.

507. Rappelons également à titre anecdotique que le critère de la proportionnalité est, en

effet, l’un des maîtres mots du droit communautaire, lequel ne se substitue au droit national

dans la mesure du nécessaire. Tel qu’il en est le cas s’agissant de la fictivité du siège social et

de la fraude, une revalorisation légère du concept de loi de police ne peut aller que dans le

sens d’une meilleure perception de la théorie du siège statutaire par les partisans traditionnels

705 Supra, p. 225.

326

de la Sitztheorie, à savoir, outre les tiers, les Etats membres dits continentaux : aussi, la

mobilité des sociétés ne serait plus envisagée avec méfiance. En effet, les éventuelles

situations de contournement flagrant de normes impératives pourront être sanctionnés dans la

limite du respect de la liberté d’établissement. En schématisant le propos, il peut aussi bien

s’agir d’un compromis entre les deux conceptions : rappelons notamment que l’Union

européenne fonde souvent son légitimité de la concertation entre les Etats membres.

508. Ainsi, à la lumière de nos observations, il est loisible de constater que les différents

fondements permettant de retenir la définition du siège réel sont balayés par la C.J.C.E. En

effet, le dessein de cette dernière consiste à assurer, semble t-il, la liberté d’établissement des

personnes morales et, dans une certaine mesure, la domination de la théorie anglo-saxonne de

l’incorporation, cette dernière étant propice aux déplacements de sociétés. Corrélativement,

ce mouvement s’accompagne d’un net affaiblissement des notions de fraude à la loi, de

fictivité du siège social mais encore des lois de police, exceptions destinées à combattre la

présomption de siège statutaire au profit du système réel. Aussi, la situation apparaît-elle

déséquilibrée, ce qui peut engendrer des travers ou excès tels la course effrénée d’Etats

membres vers la législation sociétaire la moins contraignante voire la plus laxiste. La

propension au dumping juridique semble donc devenir une réalité en droit des affaires

communautaires. Dès lors, il convient, en redonnant aux notions précités une certaine

vigueur, de rétablir un équilibre, lequel nous paraît essentiel en vue de promouvoir

durablement la conception d’incorporation dans les Etats membres lui préférant la

Sitztheorie.

327

Conclusion générale

509. A l’aune de la présente analyse, le lecteur a pu saisir l’enjeu de la nécessaire

clarification de la définition du siège social en droit international privé des sociétés. Ainsi,

au sein de ce dernier, deux conceptions prévalent : l’une dite formelle se satisfaisant du seul

lien d’immatriculation avec l’Etat membre d’accueil, l’autre exigeant que ladite entité

économique exerce dans celui-ci une activité effective. En d’autres termes, tout semble

opposer la conception statutaire du siège de celle réelle. Cette distinction se traduit

concrètement au sein du droit comparé dans le fait que certains pays, notamment ceux anglo-

saxons, optent pour la définition plus souple de l’incorporation, d’autres demeurant attachés à

la Sitztheorie.

510. Or, cette situation génère des difficultés tant la notion même de siège social est

essentielle. En effet, ce dernier détermine, si l’on considère qu’elle existe en droit, la

nationalité des sociétés et la lex societatis. Aussi, le lieu d’implantation de la personne morale

conditionne notamment les règles présidant à sa constitution et à son fonctionnement. Par

conséquent, selon leur système de rattachement, les sociétés bénéficieront d’un droit plus

favorable ou au contraire très exigent. En d’autres termes, il règne, au sein du droit

international privé un désordre notionnel quant à l’appréhension juridique du siège social.

511. C’est pourquoi, le droit communautaire s’est saisi, dès le Traité de Rome de la

question, au travers notamment de ses articles 43 et 48 relatifs à la liberté d’établissement puis

plus récemment par l’intermédiaire du règlement 1346/2000 traitant des procédures

d’insolvabilité communautaire. Pour autant, les définitions proposées de la présente notion

demeurent vagues, ce qui emporte une prise de liberté de certains Etats membres par rapport

aux prescriptions légales. Cela est notamment le cas s’agissant des procédures collectives

communautaires. Dès lors, et dans le but d’encourager la mobilité des sociétés, le droit

prétorien de la C.J.C.E est intervenu récemment en faveur du siège statutaire. Il s’agit de la

trilogie jurisprudentielle formée par les arrêts Centros, Überseering et Inspire Art et complété

328

par l’espèce Sevic System. Le mouvement présent initié dès 1999 se fonde notamment sur le

respect de la liberté d’établissement et l’interdiction de sanctionner la dissociation entre le

siège réel et celui statutaire. Par conséquent, la tendance observée démontre toute

l’importance que prend progressivement le critère statutaire dans l’appréhension de la

définition du siège. En outre, à travers les présent arrêts, la Cour de Luxembourg tolère t-elle

la pratique de l’optimisation juridique et fiscale engendrée par le phénomène de law shopping.

Or ce dernier, lequel est en relation directe avec la conception d’incorporation, ne fait pas

l’unanimité au sein de l’Union européenne, certains Etats craignant l’éventuel effet Delaware

provoqué par une définition souple du siège de plus en plus prédominante dans l’Union. Or,

c’est précisément cette réticence qui a conduit le législateur communautaire à consacrer un

rattachement particulièrement strict applicable à la Société Européenne, pourtant première

structure juridique communautaire dotée de la faculté de mobilité par l’intermédiaire du

transfert de siège social et de la fusion transfrontalière. Précisément, l’article 7 du Règlement

2157/2000 impose une concordance entre le lieu d’incorporation de la personne morale et

celui où elle développe son activité économique. Aussi, le législateur communautaire donne

prévalence au siège réel au moment même où la tendance à favoriser le système statutaire

s’accroît au sein du droit prétorien commun aux 27 Etats membres. Dès lors, tel que nous

l’avons souligné, il appert un paradoxe étonnant lequel réside dans ce décalage de

rattachement entre les sociétés anonymes nationales et celui des S.E. Pour certains auteurs,

cette situation bloque toute possibilité d’avenir à la structure sociétaire communautaire

pourtant déjà éprouvée par de nombreux projets avortés. Egalement, elle vide de sens l’idée

de mobilité que porte la Societas Europaea. Le constat est donc clair et procède d’un

mouvement dé-coordonné et à contre courant de l’évolution effectuée depuis 1999 et soutenue

par les Etats membres, lesquels traditionnellement réticents à l’incorporation, semblent se

tourner depuis peu vers cette dernière706.

512. Par conséquent, il est à souligner l’étendue du chemin parcourue par le droit

communautaire s’agissant de la définition du siège social : on mesure, en effet, les avancées

réalisées depuis le très restrictif arrêt Daily Mail et initiées par l’espèce Centros. Néanmoins,

nous ne pouvons nous satisfaire d’une telle situation. Ainsi, la présente tendance ne se traduit

706 On pense notamment à l’exemple allemand. Voir sur ce point : supra, p. 277.

329

pas encore en droit matériel et pose également le problème de la nécessaire harmonisation tant

au niveau de l’Union que des Etats membres de la définition du siège. Enfin, désirant

promouvoir la conception statutaire du siège, la jurisprudence de la C.J.C.E a

considérablement affaibli les exceptions existantes de recours au siège réel, ce qui, dans une

certaine mesure est peut être excessif. Apparaissent alors au sein de l’ordre juridique

communautaire de nouveaux défis.

513. Indéniablement, si la définition actuelle du siège social en droit international des

sociétés a le mérite d’avoir connue une clarification grâce à l’apport substantiel du droit

communautaire matériel et surtout prétorien, la situation demeure encore source

d’incertitudes. En d’autres termes, l’Europe a encore rendez vous avec de nouveaux défis

s’agissant cette fois non pas de sa construction institutionnelle mais de son droit des affaires.

En effet, deux aspects essentiels constituent des perspectives d’évolution de la notion de siège

social.

514. D’une part, tel que le lecteur a pu le constater, la domination du critère d’incorporation

se fait de plus en plus forte en droit jurisprudentiel communautaire. Gageons, en effet, qu’il

existe bien un avant et un après Inspire Art. Pour autant, ce mouvement ne s’est pas

accompagné d’une traduction effective en droit matériel, hormis s’agissant de la 10e Directive

relative aux fusions transfrontalières et du Règlement 1346/2000 traitant des procédures

d’insolvabilité communautaires. Or, une harmonisation, davantage au niveau européen que

interne, nous semble plus que nécessaire dans la mesure où l’avancée présentée dans nos

travaux demeure précaire car jurisprudentielle. Dès lors, l’Allemagne a souhaité organiser la

tenue d’un haut conseil pour le droit international privé, lequel constitue l’opportunité de

réaliser ce chantier. En effet, il est plus que souhaitable de procéder à une unification du

concept de siège social au profit de sa définition statutaire tant cette dernière est désormais

majoritaire au sein des Etats membres. L’illustration la plus significative de ce propos réside

dans l’abandon allemand du système du siège réel au profit de celui statutaire. Dès lors, au

nom de la mobilité des sociétés, cette dernière conception doit s’imposer sur la scène

juridique communautaire.

330

515. Pour autant, assurer la prédominance de l’incorporation de telle sorte que les

entreprises issues de l’Union puisse être plus concurrentielles ne sous-entends pas d’instaurer

un règne sans partage de celle-ci. Au contraire, il convient de redonner de la vigueur aux

exceptions permettant, dans des situations excessives et caractérisées, de combattre le principe

de rattachement au siège statutaire. Ces dernières, matérialisées par la fraude ou encore

l’usage des lois de police ont été considérablement réduites par l’ensemble jurisprudentiel

évoqué dans notre analyse. Si le fait que la C.J.C.E réduise leur usage au nom de la supériorité

de la liberté d’établissement notamment est à approuver, nous estimons que l’affaiblissement

substantiel desdits fondements peut se révéler néfaste à la sécurité juridique et à la protection

des droits des tiers, lesquels ne pourront que théoriquement lutter contre des déplacements

abusifs ou frauduleux. Il s’agit donc de fixer un seuil marquant un équilibre entre ces

différends intérêts en présence, à savoir la possibilité pour les sociétés de déplacer librement

leur siège tout en respectant certaines limites sous le contrôle des Etats membres et de la

C.J.C.E. C’est à ce prix que la conception statutaire gagnera du crédit parmi ceux qui lui

préfèrent encore la Sitztheorie. Rappelons nous enfin que la construction de l’Europe, qu’elle

soit institutionnelle, judiciaire ou économique s’est fondée sur le dialogue, les différences, la

concertation et le compromis. Gageons que, s’agissant du siège social, il en sera de même.

331

Table chronologique des principaux jugements, arrêts,

avis et décisions citées

Droit interne

C. Cass. Ch. Civ., 18 mars 1978, Princesse de Bauffremont c/ Prince de Bauffremont.

Tribunal des conflits, 23 novembre 1959, Société Mayol, Arbona et Cie.

Conseil d’Etat, 29 juin 1973, Ass., Syndicat général du personnel de la Compagnie des

wagons-lits.

Tribunal de commerce Paris, 19 oct. 1982, Banque Ottomane.

Cour administrative d’appel Paris, 2e. Ch. 2 juillet 1991, SA Romantic Music Corporation.

C. Cass. 1ère. Civ. 19 nov. 2002, Banque Worms.

Tribunal de commerce Nanterre, 19 mai 2005, Rover France.

C. Cass. Com., 26 mars 2006, Khalifa airways.

Droit communautaire

C.J.C.E, 21 juin 1974, Reyners, aff. 2/74.

C.J.C.E, 10 juillet 1986, aff. 79/85, Segers.

332

C.J.C.E, 27 septembre 1988, aff. 81/ 87, The Queen C. H.M Treasury and Commissionners of

Irland Revenue, ex parte Daily Mail and General Trust PLC.

C.J.C.E, 9 mars 1999, Centros Ltd./ Erhvervs-og Selskabsstyrelsen.

C.J.C.E, 23 nov. 1999, Arblade.

CJCE 15 mars 2001, A. Mazzoleni et Inter Surveillance Assistance SARL.

CJCE, 5 novembre 2002, Überseering BV c/ Nordic Construction Company Baumanagement

GmbH.

C.J.C.E 30 sept. 2003, Inspire Art, C-167/01.

C.J.C.E., 13 déc. 2005, Sevic systems AG.

C.J.C.E, 17 janv. 2006, aff. C- 1/ 04, Staubitz-Schreiber.

C.J.C.E, 2 mai 2006, Aff. C-341/04, Eurofood IFSC Ltd.

333

Index alphabétique

(Les chiffres renvoient aux numéros des paragraphes)

A

Abus du droit communautaire : 380 et s, 502 et s.

C

Centre des intérêts principaux du débiteur : 100 et s., 106 et s., 142 et s.

Conflit de loi : 13, 109, 118, 186, 355 (loi de police), 385 (fraude).

Conflit de juridiction : 78, 107, 142.

Cogestion : 307 et s, 329 et s.

Convention :

-de Bruxelles (13/11/1995) sur les procédures d’insolvabilité : 97.

-d’Istanbul : 92 et s.

D

Delaware (effet) : 251 et s.

Directive

-10e : 192 et s.

-14e : 161 et s., 173 et s.

Droit d’établissement (voir liberté d’établissement)

334

F

Faillite internationale : 80 et s.

Fictivité du siège social : 30, 366 et s., 507 et s.

Fiction (théorie de la) : 21.

Fraude : 385 et s., 488 et s.

Fusion :

-Transfrontalières (général) : 179 et s.

-Société Européenne : 279 et s.

-10e directive (voir 10e directive).

G

Groupe Spécial de Négociation (GSN) : 204.

Groupement Européen d’Intérêt Economique (GEIE) : 348 et s.

H

Harmonisation : 413 et s., 420 et s., 460 et s., 472 et s.

I

Immatriculation : 10.

Incorporation (système de) : 46 et s.

Insolvabilité (procédure communautaire) : 77 et s., 99 et s., 140 et s., 495 (fraude)

228 et s.

335

L

Law shopping : 211 et s., 314 et s.

Lex societatis : 13 et s.

Liberté d’établissement : 66 et s., 112 et s.,

Loi de police : 356 et s., 375 et s., 509 et s.

M Mittbestimmung

Mobilité des sociétés : 16 et s., 269 et s., 477 et s.

N

Nationalité des sociétés : 3 et s.

O

Ordre public : 102 (procédure d’insolvabilité communautaire).

Optimisation juridique et fiscale (voir law shopping).

P

Participation des salariés (voir Cogestion et Mittbestimmung).

Personnalité morale : 17 et s, 120 (arrêt Centros), 168 (transfert du siège social).

Procédures d’insolvabilité communautaire (voir insolvabilité)

Pseudo foreign companies: 126, 508.

336

R

Race to the bottom : 256 et s.

Reconnaissance des sociétés : 480.

S

Siège social

-Général : 10, 11, 25 et s.

-Réel : 295 et s., 332 et s., 415 et s.

-Statutaire : 52 et s., 86 et s., 417 et s., 460 e s., 472 et s.

Société Européenne :

-Article 69 (Règlement 2157/2000) : 428 et s.

-Histoire : 302 et s.

-Rattachement : 318 et s.,

-Règles applicables : 333 et s.

Société Coopérative Européenne : 341.

Société Privée Européenne : 436 et s.

T

Transfert du siège social :

-Général : 15 et s, 132 et s., 161 et s.

-Etablissement principal :172 et s.

-Etablissement secondaire : 170 et s.

-Société Européenne : 270 et s.

-Société Privée Européenne : 445.

Territorialité de la faillite : 81, 83, 87.

337

U

Universalité de la faillite : 80, 84.

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