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Tous droits réservés © Cahiers de théâtre Jeu inc., 1988 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 28 nov. 2020 07:15 Jeu Revue de théâtre La Chine Vers l’art dramatique moderne du monde Ding Luonan Orient - Occident Numéro 49, 1988 URI : https://id.erudit.org/iderudit/249ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Cahiers de théâtre Jeu inc. ISSN 0382-0335 (imprimé) 1923-2578 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Luonan, D. (1988). La Chine : vers l’art dramatique moderne du monde. Jeu, (49), 69–80.

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Tous droits réservés © Cahiers de théâtre Jeu inc., 1988 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation desservices d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politiqued’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

Cet article est diffusé et préservé par Érudit.Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé del’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec àMontréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.https://www.erudit.org/fr/

Document généré le 28 nov. 2020 07:15

JeuRevue de théâtre

La ChineVers l’art dramatique moderne du mondeDing Luonan

Orient - OccidentNuméro 49, 1988

URI : https://id.erudit.org/iderudit/249ac

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s)Cahiers de théâtre Jeu inc.

ISSN0382-0335 (imprimé)1923-2578 (numérique)

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Citer cet articleLuonan, D. (1988). La Chine : vers l’art dramatique moderne du monde. Jeu,(49), 69–80.

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la chine: vers l'art dramatique moderne

du monde l'enfance du théâtre moderne chinois C'est au début de notre siècle que le théâtre chinois a passé du classique au moderne. Ce passage a été caraaérisé par l'apparition du théâtre moderne, un tout nouveau type de drame qui, né sous l'influence du théâtre étranger au cours des réformes théâtrales pendant la dernière période de la dynastie des Qing, se distingue de l'opéra traditionnel chinois par le dialogue et le réalisme des actions. Vers la fin du XIXe siècle, les intellectuels progressistes chinois lançaient un appel de plus en plus pressant à la réforme de la société face à l'agression sans vergogne des puissances impéria­listes et à la corruption et à l'impuissance du gouvernement des Qing. Ils déclenchèrent un grand mouvement idéologique sans précédent dans l'Histoire, en vue de s'ouvrir à la civilisation occidentale et d'éveiller l'esprit des Chinois. C'est dans ce contexte que le théâtre étranger fut introduit en Chine. Il fut pour la première fois cité en 1903, dans un article intitulé «Récit devant l'interprétation d'une pièce de théâtre» dans lequel l'auteur exaltait le théâtre français et japonais. On en fit également mention en 1904, dans une revue dramatique : le XXe siècle, qui avait pour objectif d'introduire et promouvoir une réforme dans le domaine théâtral. Ses rédacteurs en chef, Chen Peiren et Liu Yaxi, propa­geaient avec passion l'idée de la transformation du théâtre tradi­tionnel chinois, en présentant le théâtre étranger et en soutenant Wang Xlaonong dans la réforme de l'opéra de Pékin. À l'époque, beaucoup d'intellectuels chinois, notamment beaucoup d'étu­diants chinois faisant leurs études au Japon, insatisfaits du théâtre traditionnel, préconisaient ouvertement la transformation du théâtre classique, qui ne représentait que la vie de l'ancienne cour impériale; ils souhaitaient la transformation des procédés stéréoty­pés de la scène de telle sorte que le théâtre puisse refléter le réel. Quand les premières pièces transformées — désignées comme «les pièces d'actualité de l'opéra pékinois» — ne satisfaisaient pas le public, on se tournait vers le théâtre étranger pour y puiser des éléments positifs. Le théoricien Chen Duxiu, animateur du Mouve­ment culturel du 4 mai 1919 et l'un des fondateurs du Parti

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communiste chinois, fut le premier à lancer, dans son article «À propos du théâtre», publié en 1904, un appel retentissant concer­nant l'adoption des procédés occidentaux. Cependant, aucune mesure ne fut alors avancée quant à la manière de les adopter.

La présentation des théories dramatiques étrangères et l'expé­rience acquise dans la pratique aboutirent enfin à la formation d'un théâtre dialogué nouveau, dans l'histoire du théâtre chinois et étroitement lié à l'introduction en Chine de la civilisation occidentale et du théâtre occidental. Ce genre fut alors nommé «nouveau théâtre civilisé». L'influence du théâtre étranger sur le théâtre chinois s'exerça d'abord par l'intermédiaire des élèves des écoles religieuses créées à Shanghai par certains étrangers vers la fin du siècle dernier. Ils interprétèrent, sous la direaion de leurs professeurs de langues étrangères, des fragments de certaines pièces classiques renommées de Shakespeare et de Molière. Caractérisé par un dialogue sans chants et par une interprétation empruntée aux aaions réelles, ce type de théâtre inspira beaucoup les élèves de Shanghai qui furent intéressés plus tard à jouer du théâtre «civilisé». Par ailleurs, des étudiants chinois qui faisaient leurs études au Japon imitaient le nouveau théâtre japonais et ses pièces modelées sur le théâtre romantique en vogue en Europe au XIXe siècle. L'influence de cette imitation fut encore plus directe et plus profonde sur le théâtre chinois.

On considère l'année 1907 comme celle de la naissance du théâtre moderne chinois. C'est en juin, cette année-là, qu'un groupe d'étudiants chinois au Japon porta à la scène une adaptation du

Action scénique dans une commune du peuple. Dessin tiré de l'ouvrage Teati-o de Cesare Molinari, Milano, Arnoldo Mondadori Edittore, 1972, p. 277.

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roman Uncle Tom's Cabin de Harriet Beecher, auteur féminin américain. L'interprétation de cette pièce eut d'énormes répercus­sions, tant au Japon qu'en Chine; elle produisit un effet favorable à la formation du théâtre moderne chinois.

Cependant, le théâtre moderne chinois naissant ne constituait pas une pure copie du théâtre étranger. Du point de vue artistique, il se présentait comme un combiné du nouveau théâtre japonais, du théâtre européen et du théâtre chinois.

Si le nouveau théâtre japonais influait sur le théâtre moderne chinois, c'était qu'un grand nombre d'étudiants chinois poursui­vant leurs études au Japon le connaissaient et l'appréciaient. Les membres du Club des Saules Printaniers l'étudiaient auprès de l'acteur japonais bien connu, Fujizawa Senjiko, qui les guidait dans leurs interprétations. Au début de notre siècle, le nouveau théâtre japonais se trouvait à son apogée, tandis que le théâtre moderne chinois, modelé sur le théâtre réaliste occidental, était encore peu défini. En fait, le nouveau théâtre n'était qu'un genre d'opéra amélioré qui provenait, d'un côté, des réformes introduites dans l'opéra traditionnel par les intelleauels se vouant au mouvement du Droit de l'Homme après l'ère Meiji et, de l'autre côté, de l'adaptation des jeux de scènes du théâtre romantique occidental. Il en résulta que les aaeurs chinois purent révéler les éléments communs au nouveau théâtre japonais et au théâtre traditionnel chinois et s'initier, à travers le nouveau théâtre japonais, au théâtre européen. Pendant cette période, on montait fréquemment la Dame aux camélias d'Alexandre Dumas fils, la Tosca de Victorien Sardou et les pièces de Shakespeare.

Le théâtre moderne chinois, dans sa première phase, n'était pas coupé de la tradition nationale, dont il assimilait plusieurs éléments : intrigue de la comédie satirique traditionnelle, heureux dénouement du drame, récit romanesque d'une histoire du début à la fin, actes divisés selon le temps et l'espace sans respecter les règles des trois unités de la période classique. En ce qui concerne les jeux de scène, on conservait des traces des procédés théâtraux traditionnels. Les rôles étaient répartis, suivant le caractère des personnages, en divers types tels que «damoiseau», «damoiselle», etc. Toutefois, si la différence des rôles ne se manifestait pas par la classification rigide de leurs figures et par le ton distinct de leurs répliques, le dialogue des personnages restait marqué par certaines nuances en fonction du caractère d'un personnage. L'expression était emphatique, et la gestuelle occupait une place importante dans l'interprétation des rôles.

En outre, à ses débuts, le théâtre moderne chinois s'interprétait non à partir d'une pièce formelle, mais suivant une histoire générale. Les acteurs pouvaient improviser les dialogues, tout particulièrement les comédiens qui adoptaient les jeux humoristi-

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ques du rôle du «clown» de l'opéra traditionnel et lançaient librement des remarques contre la politique d'alors, sans aucun lien avec la pièce jouée. Bref, les jeux du théâtre moderne étaient alors familiers, d'un caractère national et aptes au goût habituel des spectateurs chinois. Ouyang Yuqian, pionnier du théâtre moderne chinois et acteur célèbre de l'époque, dit: «Le théâtre moderne chinois à ses débuts a adopté les jeux du théâtre romanesque chinois d'une part et, d'autre part, a subi l'influence des pièces de théâtre japonaises. C'est pourquoi il est naturelle­ment teinté de romantisme1.»

Ce genre de théâtre, étroitement lié au courant idéologique des réformes sociales, atteint son apogée à la veille de la Révolution de 1911. Les troupes de théâtre, très actives dans différentes régions, composaient et jouaient à qui mieux mieux des pièces caricaturant la pourriture et la dégringolade de la dynastie des Qing, acclamant la victoire de la révolution et appelant le peuple à soutenir la nouvelle République. Cependant, avec l'usurpation du pouvoir par les Seigneurs de guerre et à la suite de la défaite de la Révolution de 1911 s'amorça la décadence de ce premier moment du théâtre moderne: la propagande révolutionnaire fut interdite. Ce théâtre, en collusion avec la culture féodale et coloniale, mit en scène des mélodrames vulgaires au goût des petits bourgeois, dans la seule recherche de profits. La plupart des spectateurs en furent déçus, voire écoeurés.

le modèle réaliste Dans le mouvement de culture nouvelle qui s'ensuivit, dès le 4 mai 1919, le théâtre moderne de la première époque et le théâtre traditionnel furent l'objet d'une critique violente. Il s'agissait d'un mouvement d'émancipation spirituelle sans précédent. Le milieu intellectuel progressiste s'efforçait de promouvoir le fait que le théâtre chinois devait non seulement s'inspirer de l'esprit démocratique du théâtre occidental pour lutter contre le féoda-lisme, mais aussi imiter le théâtre occidental, dont la mise en scène, les procédés et la forme scénique même devenaient des modèles. Ce nouveau courant idéologique et culturel révéla d'une part le désir ardent et la ferme volonté qu'éprouvaient ses promoteurs de nantir leur nation de «démocratie» et de «science» pour marcher vers le monde extérieur; d'autre part, il entraîna des conséquences néfastes, caractérisées par la négation et le rejet total de la tradition culturelle chinoise, le théâtre traditionnel y compris.

Quoi qu'il en fût, la présentation et l'introduction du théâtre étranger exercèrent une influence déterminante sur l'évolution du théâtre moderne chinois. Grâce à la Nouvelle Jeunesse, revue

1. Ouyang Yuqian, «Du théâtre civilisé», dans Documents du mouvement du théâtre moderne chinois depuis 50 ans, tome 1, Éditions des Dramaturges de Chine, 1958.

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La Fille aux cheveux blancs, drame musical original présenté à Yenan, en 1945, par l'Académie Lu Hsun. Photo tirée de l'ouvrage de Roger Howard, le TÏKâtre chinois contem­porain, la Renaissance du livre, 1978.

d'autorité du mouvement de culture nouvelle, la traduction en chinois des pièces et des théories dramatiques occidentales connut un grand essor. Les grands dramaturges tels qu'Ibsen, Shaw, Zola, Cotton, etc., furent révélés aux auteurs chinois, et la présentation de la Maison de poupée ainsi que d'autres pièces mettant en scène des problèmes sociaux firent d'Ibsen un des auteurs étrangers les plus considérés en Chine. Les auteurs russes, tels que Tchékhov et Gorki, commencèrent à y jouir également d'un grand renom. Furent aussi présentés en Chine le théâtre grec, le théâtre classique de Shakespeare et de Molière, ainsi que des oeuvres des divers courants théâtraux en vogue en Europe et en Amérique (le symbolisme, l'expressionnisme et l'esthétisme) ainsi que des pièces de Maeterlinck, Strindberg, O'Neill, Pirandello et Wilde.

Cette percée de l'Occident fut d'une telle envergure qu'elle aboutit à une création florissante des pièces de théâtre moderne en Chine, sur lesquelles les dramaturges étrangers exerçaient une influence qu'on ne peut pas sous-estimer (surtout les pièces de théâtre réalistes). L'héroïne type Nala figurait bien souvent dans les pièces prônant l'émancipation des femmes dans les années vingt. La dénonciation des ténèbres de la réalité sociale constituait un des thèmes principaux des oeuvres de la première génération de dramaturges chinois, comme Tian Han, Guo Moro, Din Xilin. Cet esprit et ce style réalistes atteignirent leur maturité dans les pièces de Cao Yu, Xia Yan et d'autres dramaturges des années trente.

Le théâtre réaliste européen donna certes une orientation générale

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à l'évolution du théâtre moderne chinois au début des années vingt et obtint de premiers succès sur le plan littéraire; mais la restructuration complète de l'art théâtral ne pouvait s'établir aussi facilement. La forme dramatique du «théâtre moderne» qui se distinguait de celle de la première époque se développait au sein du mouvement théâtral «amateur», fortement influencé par le mouvement du «minithéâtre» occidental dont l'objet essentiel était de lutter contre la commercialisation du théâtre. Mais au début, les aaeurs non professionnels (des groupes amateurs de Beijing et de Shanghai) ne se débarrassèrent pas complètement des procédés théâtraux caractéristiques de la première époque, loin d'abandonner le travestissement de l'acteur, les gestes exagérés et le goût vulgaire et immodéré pour la prédication inutile et l'excitation sensorielle. Cette situation ne put s'améliorer qu'au milieu des années vingt, après le retour au pays d'artistes ayant fait leurs études dramatiques en Occident.

Hong Shen en fut un des représentants les plus importants. Il fit ses études en théâtre aux États-Unis de 1919 à 1922. Il étudia la dramaturgie sous la direction du professeur G.B. Baker à l'Université de Harvard, où fut formé O'Neill, en même temps qu'il s'initia au jeu théâtral à l'École d'interprétation de Boston, créée par le docteur S.S. Curry. Hong Shen, riche en connaissances du théâtre et en expériences scéniques, adhéra immédiatement après son retour à Shanghai à la Société des troupes de théâtre et parvint à influencer le théâtre moderne du pays et à le transformer avec les méthodes et les procédés théâtraux qu'il avait appris aux États-Unis. Il établit d'abord une série de règlements pour assurer une formation stricte et régulière aux acteurs, en leur interdisant toute interprétation sans avoir subi d'abord une sérieuse préparation. Puis il abandonna la vieille habitude de travestir les acteurs en proposant aux acteurs et aux actrices de jouer sur la même scène. Grâce à ces efforts, la représentation de l'Éventail de Madame Windermere, qu'il adapta et mit en scène d'après la pièce d'Oscar Wilde, remporta un succès décisif en 1924. Mao Dun, homme de lettres d'un genre nouveau et qui s'intéressait vivement au théâtre, assista à la représentation de cette pièce et en fit l'éloge en ces termes dans ses mémoires: «C'est la première représentation qu'on donne en Chine en observant strictement le modèle du théâtre moderne européen et américain, avec un décor construit, des accessoires, un metteur en scène et un régisseur. C'est aussi la première fois que nous entendons parler du «metteur en scène». J'ai trouvé vraiment formidable la représentation de cette pièce, mise en scène par Hong Shen, à laquelle j'avais assisté. Elle a eu un grand retentissement à Shanghai à l'époque2.» À Beijing, un autre haut lieu du théâtre moderne, les dramaturges qui avaient fait leurs études aux États-Unis, comme Yu Shenhan, Zao Taimou, Xiong Fuoxi, se mirent à faire connaître les procédés du théâtre

2. Mao Dun, La voie que j ' a i traversée (1), Éditions des Lettres du Peuple, 1981.

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moderne occidental. À partir de 1925, les étudiants de la Faculté de théâtre de l'École artistique de Beijing commencèrent à recevoir une formation assez régulière, quant aux principes de la dramaturgie à l'art de la mise en scène et aux procédés d'interpré­tation, à l'instar du modèle réaliste européen et américain, et à les mettre en pratique aussi bien en répétition que pendant la représentation. Il va de soi que ce qu'apportèrent à la scène chinoise ces dramaturges fut essentiellement le style théâtral américain en vogue dans les années vingt. De Hong Shen à Zhang Juoxiang (un autre metteur en scène revenant des États-Unis dans les années trente), ils acceptèrent sans exception l'influence du théâtre américain dit «orthodoxe» ayant pour représentant Alexander Dean et de chercher ainsi des formes régulières du jeu scénique, de pratiquer un art d'interprétation essentiellement réaliste, pourtant différent de celui de Stanislavski. Par exemple, Hong Shen demandait aux acteurs de chercher une impression réelle d'une part, et de s'attacher à l'esthétique et aux normes des gestes d'autre part. Dans l'une de ses études sur l'interprétation, il écrivit: «Il existe nécessairement des gestes essentiels appropriés à l'expression d'un certain type de sentiment3.» Il donna comme exemple «la marche scénique» en précisant: «La marche scénique reste également indispensable à l'interprétation du théâtre moderne et à la représentation du théâtre d'ombres, mais elle n'est pas invariable... Ce qu'exige chaque pièce de théâtre, c'est de trouver de façon interdépendante une marche scénique appro­priée à l'intrigue et aux personnages de cette oeuvre. Cette forme de marche étant trouvée et considérée applicable, on doit la fixer plus ou moins, sans la modifier à la légère.» Bref, «les difficultés de la représentation des pièces de théâtre moderne et du théâtre d'ombres résident dans le fait qu'elles n'ont pas de normes toutes faites comme l'opéra pékinois; chaque pièce et chaque person­nage posent un problème particulier qu'on doit essayer de résoudre, et de ces nombreux éléments doit être tirée une certaine formule appropriée4».

D'autres tentatives et recherches se poursuivaient au sujet de la forme d'interprétation, au moins dans les pièces de théâtre représentées dans les années vingt et trente. Les pièces jouées par l'Ensemble du pays du Sud, dirigé par le dramaturge renommé Tian Han et en pleine activité vers la fin des années vingt, témoignaient particulièrement du romantisme et de «l'essentia-lisme» par rapport à celles présentées par d'autres groupes de théâtre. Avec un décor scénique en toile foncée et des accessoires bien simples, l'Ensemble du pays du Sud utilisait surtout les lumières pour faire varier l'atmosphère et pour créer «des mirages implicites, mais beaux et passionnants, au lieu d'adopter un style

3. Hong Shen, «Comment jouer la pièce de théâtre», dans Recueil des études théâtrales de Hong Shen, Éditions du Cheval Céleste, 1934. 4. Ibid.

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réaliste pompeux5»; l'Ensemble théâtral et artistique, avant-garde des troupes de théâtre de gauche dans les années trente, essayait pour sa part de mettre en pratique les formes d'interprétation théâtrales en rupture avec la tradition et proposées par Vsevolod Meyerhold, en vue de jouer des pièces révolutionnaires. Par exemple, en 1930, pour la production de Rien à signaler au front de l'Ouest, pièce adaptée d'après le roman allemand du même titre, la technique de la «scène tournante» fut employée pour résoudre les problèmes posés par la diversité des scènes dans la pièce; de plus, un documentaire sur la Première Guerre mondiale fut projeté, de même que certains textes, avant la représentation, ce qui était vraiment nouveau sur la scène chinoise.

La Danse des tisseurs. par l'équipe propagan­diste d'amateurs de l'usine Vinylon à Pékin (Beijing): la révolution culturelle touche le théâtre. Photo tirée de l'ouvrage de Roger Howard, le Tlxâtre chinois contemporain, la Renaissance du livre, 1978, p. 72.

Le système d'interprétation de Stanislavski commença à être présenté et propagé en Chine vers la fin de la troisième décennie de ce siècle. Huang Zuolin, dramaturge revenant d'Angleterre, et son épouse Danny, actrice bien connue, furent les premiers à utiliser les méthodes de Stanislavski dans la formation des acteurs. Ils recoururent aux procédés tels que les «éléments» et les «bluettes» pour former les étudiants à l'École nationale de théâtre qui s'était déplacée à Congqing, à cause de la Guerre de Résistance contre le Japon. Mais leur pédagogie n'exerça pas une profonde influence, du fait qu'ils quittèrent aussitôt l'école. À la même

5. Tian Han, «Notre auto-critique», Revue Mensuelle du Pays du Sud, nf> 1, tome II, 1930.

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époque, le premier tome de An Actor Prepares de Stanislavski fut traduit en chinois (à partir de l'anglais). À vrai dire, le système stanislavskien était compris de façon plus ou moins partielle, d'autant plus que n'étaient introduites en Chine que ses premières théories. Certains prenaient «l'expérience spirituelle» pour un principe unique du système de Stanislavski, de telle sorte que les acteurs chinois, habitués aux gestes précis pour camper les personnages, se sentirent confus et embarrassés et que la relation interpendante entre «l'expression extérieure et le sentiment intérieur» sembla être rompue de façon artificielle. De plus, les guerres incessantes dans les années quarante causèrent de grands bouleversements sociaux; il manqua aux dramaturges l'occasion d'étudier les théories dramatiques et d'approfondir la recherche des techniques d'interprétation, si bien que des acteurs étaient obligés d'imiter l'interprétation des acteurs étrangers, d'après les quelques films de Hollywood qu'ils pouvaient encore regarder. Par conséquent, il n'est pas étonnant que se produisirent alors, en quelque sorte, un aveuglement et un trouble chez les aaeurs du théâtre moderne sur les plans idéologique et artistique. Cela ne minimise en rien, toutefois, les succès obtenus dans l'art scénique à cette époque. Tout au contraire, pendant la Guerre de Résistance contre le Japon (1937-1945), le théâtre moderne chinois connut un essor sans précédent, grâce à un contingent d'acteurs, de metteurs en scène et de concepteurs scéniques, qui devinrent plus tard promoteurs du théâtre moderne dans la Chine nouvelle.

décloisonnement L'introduction méthodique et complète du système d'interpréta­tion de Stanislavski marqua les années cinquante. Les artistes du théâtre moderne chinois reçurent chaleureusement les dramatur­ges soviétiques à Beijing et à Shanghai. Ces dramaturges dispensè­rent des cours sur le système de Stanislavski dans certaines écoles de théâtre et dans des troupes importantes de théâtre moderne, expliquant au cours des répétitions des pièces les principes fondamentaux du système autant que les méthodes stanislavskien-nes. Cela améliora l'art dramatique et l'enseignement de l'inter­prétation en Chine et produisit un effet si profond que l'influence de Stanislavski ne put pas être effacée même quand son système fit l'objet d'une attaque mal intentionnée durant la révolution culturelle (1966-1976). Il est pourtant à noter que le respect des acteurs chinois à l'égard du système stanislavskien dans les années cinquante renforça la conception dramatique qui dominait depuis longtemps le théâtre chinois, selon laquelle seul le théâtre réaliste est considéré comme orthodoxe.

Enfin, après dix années catastrophiques pour le peuple chinois, le théâtre a pu connaître une renaissance comme d'autres domaines culturels en 1976, au moment de la réforme politique et économi­que. L'ouverture du pays vers l'étranger donna un essor considé­rable à la présentation, à l'étude et à la mise en valeur des modèles

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dramatiques étrangers. Stanislavski fut réhabilité; les différents courants, les diverses écoles de théâtre étranger et même le théâtre moderniste occidental attirèrent l'attention du public chinois. Quand le théâtre chinois, longtemps coupé du monde extérieur, se remit à faire face à un monde multicolore, il lui fut nécessaire de se frayer un chemin qui puisse bien correspondre à la variété des arts dramatiques et à la tradition théâtrale nationale. Cette tendance fut particulièrement manifeste dans le grand débat sur la «conception théâtrale» qui a eu lieu au début des années quatre-vingt et dans le nouveau courant visant à la réforme des formes théâtrales.

Le problème de la «conception théâtrale» fut pour la première fois soulevé par Huang Zuolin en 1962, lors d'un colloque national sur le théâtre. Ce metteur en scène souligna, dans sa communication, que la conception du théâtre moderne chinois était étroite et figée : le théâtre réaliste de type stanislavskien — qui consiste à croire à l'existence du «quatrième mur» et à imiter la vie pour créer des «hallucinations réelles» sur la scène — était considéré comme le seul principe et la seule forme théâtrale, sans que l'on tienne compte que tant du point de vue historique que régional, il existe au moins, dans le monde, le système «essentialiste» du théâtre chinois ayant comme représentant Mei Lanfang, et le système du théâtre épique de Brecht qui s'est inspiré, pour développer sa théorie, du théâtre traditionnel chinois. En fait, bien avant d'exprimer son point de vue, Huang Zuolin avait commencé, dès les années cinquante, à faire jouer du théâtre épique calqué sur le modèle de Brecht. Il mit en scène Mère Courage en 1957 et Aller à contre-courant en 1963. La représentation de cette dernière pièce obtint un succès retentissant.

Pourtant, les représentations dont le but essentiel était de détruire le «quatrième mur» ne furent ni comprises ni soutenues par le grand public. Pas plus que ne furent considérés la Maison de thé et Cai Wenji, mis en scène par Jiao Juying, dans le but de fondre l'esprit esthétique du théâtre chinois et le système stanislavskien. À cette époque, il était difficile de vaincre la sclérose de la conception théâtrale, malgré les efforts de certains artistes. L'horizon des artistes se trouvait bouché, et leur force créatrice entravée. On se limitait au théâtre réaliste, tant dans l'interpréta­tion que dans l'écriture des pièces. Les pièces réalistes structurées en fonction des «trois unités» furent attribuées à tort au style d'Ibsen et, ce qui est pis, associées au style de tout le théâtre occi­dental.

Le développement du théâtre chinois des dix dernières années témoigne des efforts déployés par le milieu théâtral pour se détacher de cette conception arbitraire et figée. Il s'en est établi une nouvelle situation, caractérisée par une grande diversité de formes scéniques. Brecht est le premier à gagner l'estime du

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Un théâtre à Shangai au XIXe siècle. Photo tirée de Illustrated Encyclo­paedia of World Tlxatre, New York, Charles Scribner's Sons, 1977, p. 63.

public chinois (la Vie de Galilée représentée en 1978 à Beijing a connu un succès sans précédent), et sa théorie sur l'effet de distanciation est de plus en plus comprise. Shakespeare est aussi devenu un auteur favori, d'autant que le style et la forme de ses pièces ressemblent à ceux du théâtre traditionnel chinois. Le théâtre occidental moderne de toutes formes, de Strindberg à O'Neill, a de nouveau attiré une attention particulière des artistes et du vaste public chinois (la pièce En attendant Godot présentée à Shanghai en 1986 a été beaucoup plus appréciée qu'on ne l'aurait pensé). Un grand nombre de dramaturges et d'artistes se sont livrés à toutes sortes d'expérimentations quant aux formes scéniques, à la lumière de différentes écoles théâtrales étrangères. Un point semble rallier ces formes nouvelles qui cherchent toutes à briser la contrainte du «quatrième mur» et du théâtre de l'illusion afin de rétablir, conformément à la nature même du théâtre, d'étroites relations entre les acteurs et les spectateurs. La théorie de la «supposition scénique» (le «si magique» de Stanislavski) est bien reconnue et largement pratiquée; la scène a acquis une dimension «essentialiste» encore plus frappante grâce aux équipements de scène, aux lumières, aux accessoires, aux costumes et à l'art d'interprétation. Les procédés théâtraux consistant à «remplacer le concret par l'abstrait» et à «se détacher

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de la forme pour mieux exprimer l'esprit» ont justement pour but de dépasser la beauté formelle du réel superficiel et de dévoiler profondément la nature de la vie. Ainsi surgit-il un phénomène fort significatif: ce que les dramaturges chinois ont trouvé dans les courants et les écoles du théâtre moderne occidental, ce n'est pas une «conception étrangère» mais une tradition de l'esprit artistique oriental et du théâtre de la nation chinoise. Par exemple, l'effet de distanciation du théâtre épique de Brecht correspond parfaitement aux caractéristiques de l'art théâtral chinois de paroles et de chants — source et composante du théâtre traditionnel chinois. C'est justement en ayant admiré l'interprétation du théâtre traditionnel chinois que Brecht a pu développer sa propre théorie. En outre, la forme non réaliste de l'art du théâtre moderne occidental se distingue généralement, comme le théâtre traditionnel chinois, par une mobilité du temps et de l'espace. L'interprétation traditionnelle chinoise comporte en outre des points communs avec l'interprétation symboliste et expressionniste: le décor hautement simplifié et les gestes chorégraphiques sont pleinement symboliques, et les valeurs esthétiques de la forme et la comparaison imagée permettent non seulement de produire un effet poétique sur la scène, mais aussi de fournir aux spectateurs de quoi imaginer et penser. Sur la scène théâtrale chinoise, les procédés artistiques utilisés, tels que l'hyperbole, la métamorphose et la mimique — par exemple, à travers le regard de l'aaeur, les spectateurs se croiraient en présence de fantômes et de rêves, etc. — montrent une tendance «expressionniste», en accordant plus d'importance à l'expression du sentiment et à la description psychologique qu'au récit et qu'à l'imitation de la réalité. De plus, l'assimilation de différentes formes artistiques, telles que musique, chorégraphie, plastique et déclamation des vers, correspond dans une certaine mesure à la forme théâtrale chinoise, qui synthétise divers éléments artistiques : chant, action, parole et combat...

Les dramaturges et les spectateurs chinois se sentent donc beaucoup plus à l'aise devant le théâtre occidental introduit en Chine ces dernières années, et ils sont soulagés d'avoir pu retracer dans le processus même de cette introduction la tradition perdue. Depuis presque un siècle, le théâtre chinois a ainsi parcouru une voie sinueuse, qui l'a enfin conduit à retrouver sa propre tradition, après un long égarement au moment de son ouverture vers le monde extérieur. Récemment, la notion de «théâtre total» a été formulée; dans un désir d'unifier l'esprit du théâtre moderne et celui du théâtre traditionnel chinois, on met ainsi fin à une situation anormale où se trouvent séparés totalement mais arbitrairement ces deux types de théâtre. Par le contenu comme par le style, ce théâtre total s'oriente justement vers le monde moderne, tout en préservant les riches couleurs nationales. Les dramaturges chinois poursuivent cette exploration.

ding luonan texte traduit du chinois par chen zongbao, professeur à l'université de nankin

Ding Luonan est maître de conférences à l'Institut de théâtre de Shanghaï où il enseigne l'histoire du théâtre traditionnel et du théâtre moderne. Monsieur Ding Luonan connaît bien la dramaturgie chinoise qui a constitué l'objet de ses nombreuses recherches et publications. Monsieur Chen Zongbao, traducteur du texte chinois, est lui-même professeur au département de Langues et Littératures étrangères à l'Université de Nankin. Il a également traduit en chinois de nombreux romans de Stendhal, de Marguerite Duras et de G.E. Clancier.

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