la campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

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1 La campagne présidentielle française de 2012 s’est-elle jouée sur le web ? Présenté par Astrid THINS Travail encadré par Monsieur Paquot en vue de l’obtention du grade de Bachelier en Communication Tournai - Année académique 2011 - 2012

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La campagne présidentielle française de 2012 s’est-elle jouée sur le web ? Présenté par

Astrid THINS

Travail encadré par Monsieur Paquot

en vue de l’obtention du grade de

Bachelier en Communication

Tournai - Année académique 2011 - 2012

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Table  des  matières  :  Introduction  :  .......................................................................................................................................  1  Avant-­‐propos  :  Les  Etats-­‐Unis  à  l’avant  garde  du  numérique  ........................................  5  

I)  LES  INNOVATIONS  DES  MEDIAS  EN  LIGNE  .................................................................  8  A.  LA  COUVERTURE  WEB  DE  LA  CAMPAGNE  PRESIDENTIELLE  FRANÇAISE  PAR  LE  MONDE  ET  FRANCE  TELEVISIONS  ............................................................................................................................................  8  1)  La  newsroom  bi-­‐média  du  Monde  .........................................................................................  8  2)  Les  dispositifs  numériques  chez  France  Télévisions  ...................................................  13  

B.  LE  PARI  DU  JOURNALISME  LOCAL  ..................................................................................................  16  1)  «  Une  année    en  France  »  :  un  projet  bi-­‐média  stagnant  au  long  cours  .............  17  2)  «  La  campagne  à  vélo  »  :  Le  web  documentaire  itinérant  100%  réseaux  sociaux  19  3)  Course  de  fond  Versus  sprint  ................................................................................................  21  

C.  LE  VERITOMETRE  D’OWNI  .............................................................................................................  22  1)  Le  pure  player  de  pointe  Owni  .............................................................................................  22  2)  Le  fact-­‐checking  :  définition  ..................................................................................................  25  3)  Le  Véritomètre  ............................................................................................................................  26  4)  La  collaboration  entre  Owni  et  i>TELE  ...........................................................................  29  

II)  LA  CAMPAGNE  PRESIDENTIELLE  SUR  LES  RESEAUX  SOCIAUX  .......................  31  A.  TWITTER  :  LA  NOUVELLE  ARME  DES  CANDIDATS  .......................................................................  31  1)  Le  comportement  des  candidats  sur  Twitter  .................................................................  31  2)  La  guerre  des  hashtags  de  ralliement  ..............................................................................  33  

B.  LE  DEBAT  D’ENTRE-­‐DEUX  TOURS  SUR  TWITTER  ........................................................................  35  1)  Live  fact-­‐checking  du  débat  ..................................................................................................  35  

C.  LE  CONTOURNEMENT  DU  CODE  ELECTORAL  ................................................................................  37  1)  La  loi  de  l’embargo  de  20  heures  ........................................................................................  37  2.  Un  usage  remis  en  cause  par  le  numérique  .....................................................................  39  3.  Le  langage  codé  de  Twitter  ....................................................................................................  41  

III)  ECHECS  ET  VICTOIRES  DE  LA  CAMPAGNE  NUMERIQUE  DE  2012  .................  44  A.  LES  FAILLES  NUMERIQUES  DES  CANDIDATS  ................................................................................  44  1)  Une  campagne  d’affichage  sur  le  web  et  un  maigre  budget  ...................................  44  2)  Le  flop  des  sites  de  campagne  ..............................................................................................  47  3.  L’absence  d’un  débat  2.0  .........................................................................................................  49  

B.  UNE  OPPORTUNITE  POUR  LES  MEDIAS  EN  LIGNE  ........................................................................  50  1)  Forte  fréquentation  les  jours  de  scrutin  ..........................................................................  50  2.  Un  regain  de  confiance  du  citoyen  ......................................................................................  52  Bibliographie  :  ..................................................................................................................................  58  

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Introduction  :  

Nombreux sont les journalistes et les professionnels de la communication qui

ont pronostiqué que le web allait jouer un rôle déterminant dans la campagne

présidentielle française. Un souhait en partie alimenté par l’élection américaine

de 2008, dont la facette numérique sera exposée dans un avant-propos. Barack

Obama a incarné le candidat 2.0 grâce à une stratégie numérique bien rodée.

En 2012, les candidats à la présidence de la France ne pouvaient plus faire

abstraction du web et de ses internautes, celui-ci étant un terrain d’échange

important avec les électeurs potentiels.

Dès lors, il convient de se demander si le web fut l’un des champs de bataille de

la campagne présidentielle française. L’Internet est doué d’une mémoire

collective ; toutes les dérives de langages y sont permises. Le citoyen lambda

peut y interpeller l’homme politique et il est aisé de contourner les règles strictes

du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel1 .

Les médias en ligne ont, quant à eux, dégainé leurs dernières innovations pour

impliquer davantage les internautes dans cette campagne, susciter chez eux le

débat, leur faire vivre la campagne différemment. Ont-ils pu tirer leur épingle du

jeu et se poser en réels rivaux des médias traditionnels ?

Exaltée par l’échéance présidentielle et curieuse d’oberver toute cette agitation

en ligne, je décide de me lancer dans un sujet de Travail de Fin d’Étude on ne

peut plus brûlant d’actualité.

La problématique à laquelle il tentera de répondre est celle-ci: la campagne

présidentielle française s’est-elle jouée sur le web ? Mes recherches ne se

sont donc pas basées sur des ouvrages, mais sur mon investigation associée à

l’observation de journalistes web et de consultants. L’impartialité et l’objectivité

ont été les mots d’ordre que je me suis efforcée de respecter tout au long de ce

Travail de Fin d’Étude.

Je me suis ainsi positionnée du côté de l’électeur internaute, davantage

intéressée par ce qui allait m’aider à comprendre la campagne, les programmes

                                                                                                               1  telles que l’égalité du temps de parole des candidats entre les deux scrutins.  

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et, in fine à faire mon choix. J’ai donc procédé à une veille éditoriale de longue

haleine, scrutant les innovations des sites d’information, les réseaux sociaux et

les sites de campagne. J’ai délibéremment attribué moins d’importance à

l’aspect visualisation des candidats, aux coûts de la campagne en ligne et à la

stratégie web qui relèvent plutôt de la communication politique.

Dans un premier temps, j’ai souhaité faire état du paysage web français, porté à

vive ébullition par l’approche de l’élection présidentielle. Ainsi, une partie sera

consacrée aux innovations et aux forces engagées par trois médias en ligne –

Le Monde, France Télévision et Owni – dans le but de rendre compte de cette

campagne, d’aider à la comprendre et de dynamiser le débat citoyen. Trois

phénomènes émergents seront mis en évidence : les applications interactives

comme « le comparateur de programmes » ; le prisme local adopté par le

Monde avec « Une année en France » et France Télévisions avec « La

campagne à vélo » ; et enfin le fact-checking développé par le pure player Owni

et mis à l’antenne par i>TELE.

Une seconde partie portera sur les réseaux sociaux, l’implication des candidats

à la présidentielle et, en parallèle, la réactivité des internautes. Twitter a-t-il été

un outil de mobilisation, de conviction ? Les réseaux sociaux ont-ils modifié les

usages, brisé l’embargo de vingt heures 2 ? Ont-ils été des lieux de

débats cruciaux ou alternatifs ? Nous verrons que les familles politiques se sont

livrées à une véritable guerre de hashtags3. Ensuite, nous revivrons le moment

du débat de l’entre-deux tours sur Twitter. Enfin, nous analyserons comment les

réseaux sociaux ont permis de contourner le code électoral et l’embargo,

notamment grâce au langage codé des internautes.

La dernière partie résoudra la problématique et permettra de savoir dans quelle

mesure la campagne s’est jouée ou ne s’est pas jouée sur le web. Pour ce faire,

nous étudierons les failles des candidats comme le manque d’interaction avec

les citoyens, le maigre budget consacré au numérique, le flop des sites de

campagne et le débat 2.0 avorté. A contrario, nous verrons également certaines

                                                                                                               2  L’embargo a été instauré en 1977, il oblige les journalistes à ne pas divulguer les résultats partiels ou finaux du scrutin présidentiel avant 20 heures sous peine d’amende.  3  Hashtag signifie « mot clé » sur Twitter.  

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enquêtes et sondages pointent un regain de confiance des citoyens pour le web

et les journalistes.

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J’adresse  mes  remerciements  au  promoteur  de  ce  Travail  de  fin  d’Etude,  

Monsieur  Pacquot,   pour   le   temps   et   l’aide   qu’il  m’a   consacré  ainsi   que  

pour   m’avoir   aiguillé   dans   mes   recherches.   Je   remercie   également   les  

journalistes   qui   se   sont   montrés   disponibles   pour   répondre   à   mes  

questions,   malgré   leur   cadence   de   travail   durant   cette   campagne  

présidentielle.   Je   n’oublie   pas   non   plus   les   personnes   qui   ont   pu   me  

guider  dans  ce  travail  grâce  à  leur  regard  critique.  

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Avant-­‐propos  :  Les  Etats-­‐Unis  à  l’avant  garde  du  numérique   2008 demeurera une année clé, l’année où la campagne présidentielle

américaine a basculé vers le numérique. L’artisan de cette petite révolution est

Barack Obama, à l’époque candidat du parti démocrate. La campagne

présidentielle américaine s’est ainsi déplacée et axée vers le web. Barack

Obama s’est emparé des outils web pour élargir son spectre électoral, paraître

plus humanisé dans sa relation avec l’électorat, récolter plus de dons et au final

remporter l’élection. Ce fut une prise de conscience du potentiel mobilisateur et

conversationnel du web. On considère aujourd’hui que cet investissement de la

Toile a contribué à son élection. Ce modèle a fait des émules en France. Le

think tank Terra Nova a par exemple rédigé un rapport édifiant sur la campagne

présidentielle américaine de 2008 sur la stratégie web déployée par Barack

Obama intitulé « Moderniser la vie politique : innovations américaines, leçons

pour la France »4.

On y apprend notamment que cette campagne de 2008 fut la première à faire

fusionner l’Internet et le terrain. La campagne de Barack Obama a marqué une

rupture avec les campagnes plus classiques, faites de spots télévisés, d’affiches

et de meetings. L’enjeu présidentiel s’est déplacé sur la Toile pour démultiplier

les résultats des actions de terrain. La campagne du candidat démocrate a ainsi

gagné en efficacité et en organisation. Elle a permis de mettre à profit les

diverses interactions rendues possibles par le web, notamment grâce aux

plateformes comme Facebook, Myspace, ou Twitter. Les réseaux sociaux sont

devenus des terrains de recrutement. La stratégie d’Obama a bouleversé la

démarche classique, en démontrant qu’ il ne fallait pas attendre que les

supporters viennent à la campagne mais aller directement vers eux,

spécialement au moyen des réseaux sociaux. Il a fallu trouver un terrain unique

pour fédérer tous les militants en faveur de Barack Obama ; leur activité a donc

été organisée et coordonnée par un réseau social interne, directement mis à

disposition de chacun par le parti démocrate.

Le site de campagne mybarackobama.com est ainsi devenu un outil                                                                                                                4  http://www.tnova.fr/essai/moderniser-la-vie-politique-innovations-am-ricaines-le-ons-pour-la-france, consulté le 15/05/12

 

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incontournable, conçu comme un réseau social propre et fédérant la

communauté Obama. Sylvain Lapoix, journaliste politique pour Marianne 2 en

2008 a observé les raisons de ce succès numérique :

Le militantisme de terrain s’est structuré autour d’outils web déployés par le parti Démocrate et MoveOn.org. Le site Mybarackobama.com a été un véritable succès en permettant une organisation optimum des activités militantes. La méthodologie de terrain était mise à disposition sur le site avec des argumentaires prédéfinis, des objectifs de porte-à-porte à remplir suivant la géolocalisation des militants, ce qui permettait de quadriller l’immense territoire américain. (…) « Utiliser les outils du XXIe siècle pour appliquer les méthodes politiques du XIXe siècle. », voilà comment le think tank en vogue « terra nova » a synthétisé la campagne 2.0 d’Obama dans un rapport5.

Le candidat démocrate a utilisé la technique du micro-targetting : il s’agit

d’étoffer les bases de données existantes (bases électorales, commerciales,

politiques) pour obtenir des données individuelles sur les électeurs. Cette

technique a permis d’affiner les informations et d’organiser plus efficacement le

porte-à-porte, par exemple. Grâce aux militants, le candidat a pu acheter des

fichiers et collecter des informations. Une immense base de données a été

créée, Catalist, qui a permis de répertorier près de 220 millions d’Américains,

avec parfois jusqu’à 600 informations par personne.

Cette campagne numérique a été largement scrutée et commentée en France

où il fut communément admis qu’Obama fut capable de remporter la

présidence, partiellement grâce à sa présence sur la Toile. Sa force de

conviction sur les Américains a séduit les candidats français, qui se sont alors

investis pour l’électeur sensible au 2.0. L’un des premiers indicateurs de cette

émulation en France est fut la création par le Parti Socialiste, peu après, d’un

réseau social nommé LaCoolPol

Frédéric Lefebvre, porte-parole de l’UMP en charge du projet web, énonçait

déjà ses ambitions en 2009, en vue de l’élection de 2012 :

En 2007, les gens étaient massivement sur Google, donc nous avons acheté des mots clés, rappelle le porte-parole. Désormais, nous faisons de la publicité sur Facebook et nous allons consolider notre présence sur ce réseau car les Français y sont aujourd’hui massivement. Nous

                                                                                                               5  Extrait de l’entretien avec Sylvain Lapoix disponible en annexe  

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connaissons les autres communautés (Twitter, Seesmic…) mais, tant que les internautes n’y sont pas, ça ne sert à rien d’y investir6.

Le Monde.fr a analysé l’implication des citoyens Américains dans la campagne

présidentielle de 2008 au moyen d’une étude de l’institut non partisan Pew

Internet and American Life Project :

46 % des Américains ont utilisé le Web ou la fonction SMS de leur téléphone portable pour s'informer sur la campagne présidentielle 2008(… ). Malgré l'augmentation du pourcentage d'Américains impliqués dans la campagne Web, les internautes restent ambivalents quant au rôle du nouveau média : 28 % des internautes américains se sentent plus impliqués personnellement dans la campagne grâce au média, et 22 % affirment qu'ils ne se seraient pas autant impliqués dans la campagne sans Internet. Mais 60 % des interrogés estiment qu'Internet est un espace plein de propagande que trop d'électeurs prennent pour argent comptant7.

                                                                                                               6  http://www.marianne2.fr/Sur-le-web-Sarkozy-prepare-2012-en-copiant-

Obama_a174441.html, consulté le 20/04/12

7  http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2008/06/16/internet-l-incontournable-outil-de-

la-campagne-americaine_1058963_3222.html, consulté le 21/04/12

 

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I)  Les  innovations  des  médias  en  ligne  

A.  La  couverture  web  de  la  campagne  présidentielle  française  par  Le  Monde  et  France  Télévisions  

 

1)  La  newsroom  bi-­‐média  du  Monde  

1.1  Newsroom  :  terme  indéfinissable  

La newsroom est un terme anglophone se traduisant simplement par « salle de

rédaction », mais recouvrant divers modes de gestion qui diffèrent suivant la

rédaction. Chaque rédaction de presse a sa propre conception d’une newsroom

ainsi qu’une organisation propre. Le magazine suisse online EDITO est peut-

être celui qui en apporte la définition la plus précise :

Contactés par EDITO, plusieurs spécialistes des médias avouent sécher sur ce concept. Pourtant, tout le monde a sa newsroom: 10 Downing Street, l’Elysée, Roche, Novartis, Nestlé, etc. „Newsroom” désigne ici l’espace dévolu à la communication des groupes ou des instances politiques. Terme anglais, forcément à la mode, „newsroom” fait des émules… et se vide de son sens. (…) En fait, le concept a énormément évolué au cours de ces dernières années comme l’explique Jean-Christophe Liechti8: „On parle d’abord de Newsroom 1.0 pour désigner les rédactions dans lesquelles le web et le papier sont clairement séparés. Vient ensuite la Newsroom 2.0 que nous expérimentons actuellement. Différentes plate-formes comme le web, le papier et les services d’application pour les téléphones portables se concertent et collaborent pour essayer de respecter l’image du journal. Dans le futur, on parlera de 3.0., une newsroom au sein de laquelle on travaillera indépendamment des types de support.9

Le 18 mai 2011, Erik Izraelewicz, le directeur de publication du journal Le

Monde expose ses nouveaux projets éditoriaux pour le papier et le web dans un

article10. L’un d’eux concerne le rapprochement des rédactions du Monde et du

                                                                                                               8  Jean-Christophe Liechti est une grande personnalité des médias suisse, aujourd’hui propriétaire de quotidiens en ligne.  9  http://www.edito-online.ch/archiv/edito0110/edito0110f/newsroomjetaimemoinonplus.html, consulté le 04/03/12 10  http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2011/05/15/le-monde-lance-une-redaction-bi-media-pour-la-presidentielle_1522354_3236.html, consulté le 04/03/12

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Monde.fr. Dès la mi-juin, le quotidien Le Monde a mis en place un dispositif bi-

média de regroupement des journalistes papier et web au sein d’un large

service politique appelé « newsroom » pour couvrir la campagne présidentielle

française. Antonin Sabot, journaliste au Monde.fr explique la structure complexe

de la newsroom :

La newsroom était divisée en différentes sections pour une couverture optimale de la campagne présidentielle. Un desk, principalement occupé par les anciens du web, devait traiter rapidement le tout venant et les dépêches. Parmi eux, s’est créé un dispositif particulier de live permanent politique : les journalistes commentent l’actualité politique en temps réel et doivent gérer l’interaction avec les internautes susceptibles de les interpeller et les interroger à tout moment. Les « rubricarts » fonctionnaient comme dans une rédaction papier, ils assuraient chacun le suivi d’un parti politique… Une équipe s’occupait du décryptage, du fact-checking qui consistait à traiter le journalisme de données, la vérification des discours politiques… Quelques applications étaient proposées aux lecteurs pour les aider à comprendre la campagne. (…) Nous voulions aussi montrer une autre vision de la campagne présidentielle, une vision à hauteur d’hommes. Nous avons pris le pouls des Français dans huit villes de France pour connaître leurs modes de vie et la façon dont ils avaient vécu cette élection11.

Le Monde a pensé la couverture des élections autour de trois axes, explique

Alexandre Piquard, chef adjoint du service politique du Monde et Monde.fr, dans

les ateliers des médias de RFI12. Le premier axe s’est organisé autour des lieux

de pouvoir en utilisant l’expertise du titre. Mais, celui-ci a été complété par un

pôle décryptage en utilisant les outils de fact-checking et le décodeur13. Le fact-

checking a été utilisé lors des couvertures télévisuelles en direct des débats,

afin de stimuler la réactivité. Le dernier axe fut le reportage au long cours avec

le projet « Une année en France ». Le Monde a posé ses valises dans huit villes

de France ; cette délocalisation et cette proximité avec le Français lambda a

permis aux journalistes de connaître le terrain et de mieux ressentir ce qui se

déroule au dehors, en parallèle de l’agenda médiatique, et des meetings.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                             11 Extrait de l’entretien avec Antonin Sabot disponible en annexe. 12 http://atelier.rfi.fr/profiles/blogs/presidentielle-2012, consulté le 04/03/12 13 Blog affilié au Monde.fr chargé du fact-checking soit à la vérification des données et déclarations des personnalités publiques.  

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1.2  Le  comparateur  de  programmes  

Le Monde.fr a mis en place un module permettant aux citoyens de consulter et

de comparer les programmes des candidats à la présidentielle14. Il s’agit d’un

outil pédagogique et personnalisable qui permet d’isoler facilement les choses

qui nous intéressent, de les déplacer ou d’aller en profondeur sur un sujet. Les

thématiques proposées telle que le chômage, l’éducation sont réparties en

quatre sujets majeurs : Economie, Société, Institutions et Planète. Un mode

d’emploi apparaît avant l’utilisation du module. Le pictogramme de la loupe

permet de rechercher une mesure sur un sujet précis et la croix permet

d’éliminer un candidat ou une mesure de sa recherche. Il est ainsi possible de

comparer des mesures de deux candidats en vis-à-vis, voire des dix candidats

sur le sujet ou sur la thématique précise souhaitée. Ce comparateur a

l’avantage de représenter les dix candidats et s’adresse donc à tous les

électeurs potentiels. Mis en ligne pour la première fois le 20 mars 2012, il a été

sans cesse réactualisé car les mesures des candidats s’additionnent à

l’approche de l’échéance. La dernière actualisation date du 19 avril, 11 473

personnes ont recommandé ce module sur leur mur Facebook à ce jour15.

© http://programmes.lemonde.fr/

                                                                                                               14  http://programmes.lemonde.fr/, consulté 14/04/12 15  Nombre de recommandations le 15/08/12  

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Le Monde.fr a renouvelé son module en vue du second tour en comparant les

programmes de François Hollande et Nicolas Sarkozy suivant les mêmes sujets

et thématiques que précédemment.

1.3  Le  simulateur  de  report  de  voix  

Le 23 avril, au lendemain du 1er tour, le Monde.fr proposait une nouvelle

interface. Le simulateur de report de voix16 entre les deux tours permettait à

chacun d’estimer le taux de report des voix en faveur de François Hollande ou

de Nicolas Sarkozy. Le fonctionnement était simple, il suffisait de déplacer le

curseur vers l’un des deux candidats, arborant leurs couleurs emblématiques, le

bleu pour Nicolas Sarkozy, le rose pour François Hollande. Chacun pouvait

ainsi imaginer le pourcentage de l’électorat de François Bayrou qui allait se

reporter vers Nicolas Sarkozy ou François Hollande. Le Monde.fr prenait aussi

des abstentionnistes en compte dans l’estimation pour l’électorat de chaque

candidat au 1er tour. Après avoir encodé les pronostics pour tous les candidats,

le simulateur effectuait les calculs, et faisait apparaître le nom du prochain

président ainsi que son pourcentage au second tour, selon vos estimations

calculées.

©http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2012/article/2012/04/23/simulez-le-

report-de-voix-au-second-tour_1689349_1471069.html

 1.4  Le  pôle  décryptage  et  «  les  décodeurs  »  

Le pôle décryptage du Monde.fr fait la part belle au fact-checking qui est à

l’origine une tradition du journalisme anglo-saxon. Le fact-checking consiste en

la vérification de discours d’hommes politiques en fonction de leurs déclarations

antérieures, pour voir s’ils sont cohérents ou ont tenu leurs promesses. La                                                                                                                16  http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2012/article/2012/04/23/simulez-le-report-de-voix-au-second-tour_1689349_1471069.html, consulté le 14/04/12  

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vérification des arguments de campagne est aussi permise par la diffusion en

ligne de chiffres publics émanant d’institutions comme l’INSEE17, l’OCDE18, etc.

Tous les grands médias en ligne ont développé leur rubrique de fact-checking

durant cette présidentielle, où des journalistes souvent spécialisés veillaient à

détecter les contre-vérités dans les discours publics, à les analyser avec l’aide

des internautes parfois, pour rétablir la vérité. Ce pôle créé spécifiquement pour

l’échéance présidentielle renforce « les décodeurs », un blog dédié au fact-

checking crée en 2008 déjà. Seuls le Monde.fr et Libération.fr avec sa rubrique

Désintox disposaient d’un service de fact-checking en France avant la

présidentielle. Le 23 octobre 2011, les Inrock.com évoquent les expériences des

deux précurseurs :

Pour s’y retrouver, l’arsenal journalistique dispose d’une arme encore

relativement méconnue en France : le fact checking. Politi Fact, le site

de référence du genre a même reçu un Pulitzer pour sa couverture

attentive de l’élection présidentielle de 2008. En France c’est avec plus

de confidentialité que Le Monde et Libération se sont lancés (depuis

2008) dans l’aventure de vérification labellisée fact-checking de la parole

politique19.

Le blog des « Décodeurs »20 sollicite dans son mode d’emploi la participation

des citoyens au processus de vérification, en envoyant des questions sur les

discours publics voire en proposant un fact-checking par email ou sur le Twitter

du blog. Dans une publication datée du 12 avril intitulée « IVG : Quand Marine

Le Pen noircit le tableau », le chapô salue l’intervention d’un internaute :

Les Décodeurs retrouvent leur dimension participative avec l’envoi de

Rémy Demichelis, un internaute qui s’est intéressé de près aux

                                                                                                               17  Institut National des Statistiques d’Etudes Economiques  18  Organisation Mondiale de la Santé  19 http://www.lesinrocks.com/2011/10/23/medias/internet/avec-le-fact-checking-les-mensonges-des-politiques-demasques-117980, consulté le 11/04/12. 20  Les blogs du Monde sont alimentés par des journalistes.  

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déclarations de Marine Le Pen sur l’IVG, mercredi sur France 221. Nous

avons vérifié et validé son décryptage que nous reproduisons ici22.

Le fact-checking porte sur cette déclaration : « Il y a une explosion de l’IVG chez

les mineures. » Celle-ci vient appuyer le bien-fondé d’une de ses propositions :

« Début mars, sur le plateau de TF1, la candidate du Front national déclare tout

de go que, présidente, elle prendrait la décision de dérembourser l'avortement

en cas de besoins budgétaires. 23»

« Les décodeurs » apposent dessous leur verdict illustré par le cachet : « plutôt

faux ». Ces chiffres énoncés sont repris dans un graphique permettant de

visualiser l’augmentation avec des courbes. Cette vérification tend à prouver

que l’on n’a pas affaire à une explosion des IVG sur les mineures mais à une

« hausse limitée », selon l’auteur de l’article.

2)  Les  dispositifs  numériques  chez  France  Télévisions  

2.1  francetv.fr/2012     Le site francetv.fr/2012 a été mis en ligne en septembre 2011 pour la couverture

de toute l’actualité électorale de 2011 et 2012, de la primaire socialiste aux

législatives.

« Nous avons (…) eu le plaisir d'avoir le fil Twitter consacré à la présidentielle le

plus suivi en France24 », se targue Erwann Gaucher qui a participé à l’évolution

du site.

Le site francetv.fr/2012 n’est aujourd’hui plus alimenté, ce qui relève du choix

d’en faire un site éphémère uniquement dédié aux échéances électorales que

sont la primaire socialiste, la présidentielle et les législatives.

                                                                                                               21  Marine Le Pen était invitée à l’émission « Des paroles et des actes » le mercredi 11 avril 2012  22decodeurs.blog.lemonde.fr/2012/04/12/ivg-quand-marine-le-pen-noircit-le-tableau/, consulté le 16/04/12  23 http://www.liberation.fr/societe/2012/04/17/marine-le-pen-et-livg-les-feministes-lui-

disent-merci_812258, consulté le 16/04/12 24  Extrait de l’entretien avec Erwann Gaucher disponible en annexe.  

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Le 17 juillet, Hervé Brusini, directeur de l’information en ligne de France

Télévisions publiait ses adieux aux internautes :

Le site politique francetv.fr/2012 de France Télévisions qui a "couvert"

les élections présidentielles et législatives ferme "son fil d'infos" après 10

mois de "bons et loyaux services". Des millions de visites et de pages

vues. Contrat rempli. Adieu25.

2.2  «  Mots  croisés  »  et  Facebook  

Le 16 avril, France Télévisions propose un dernier rendez-vous télévisé avec

les candidats à la présidentielle ou leurs représentants avant le premier tour du

22 avril. Une spéciale « Mots croisés » se tient exceptionnellement en

partenariat avec le réseau social Facebook, une première en Europe. Il s’agit

d’une expérience de télévision connectée. L’action des internautes sur le web

bondit dans votre téléviseur.

Le 10 avril, une application Facebook à la fois disponible sur le web et sur

mobile a été créée spécifiquement pour l’émission afin que les internautes

puissent poser leurs questions aux candidats26. Dix questions ont été choisies et

posées à l’antenne par Yves Calvi, le présentateur de l’émission ; donc une par

candidat, à laquelle le principal intéressé a dû répondre en direct. L’émission

était visionnable également sur Facebook et les internautes pouvaient réagir au

débat en direct, les meilleurs commentaires étant retransmis à l’antenne27.

Erwann Gaucher, qui a participé à la mise en place de cette émission, explique :

Lorsque je vois qu’une émission comme Mots croisés en partenariat

avec Facebook qui n’a pas pu convier les grands candidats sur le

plateau, suscite 8 000 réactions sur la page Facebook dans la soirée,

entre 22h et 00h30, je me dis que visiblement les citoyens débattent et

                                                                                                               25  http://www.francetv.fr/2012/maintenant-cest-lheure-de-vous-remerci-e-r-159889, consulté le 1/08/12  26  L’application a été développée par « Brainsonic », une agence labellisée Facebook Preferred Developper Consultant.  27  http://www.erwanngaucher.com/12042012France-Televisions-et-Facebook-organisent-le-debat-des-candidats-agrave-la-presidentielle.media?a=864, consulté le 20/04/12

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c’est très encourageant28.

2.3  France  TV  Info      

Le 15 novembre 2011, soit un mois après la primaire socialiste, France

Télévisions lance une nouvelle plateforme d’information sous la houlette de

Bruno Patino, rédacteur en chef qui a mis en place le pôle numérique et

Thibaud Vuitton, rédacteur en chef adjoint. On peut qualifier France TV Info de

site précurseur et innovant au vu de l’ancien site à la technologie datée. France

TV Info offre une information généraliste mais peut profiter de la présidentielle

comme rampe de lancement. Le service public est innovant et prend des

risques avec la sortie de son application iPhone avant même celle du site, lancé

le lendemain. La plateforme est composée de divers ingrédients journalistiques

qui font son originalité : du direct, de la curation et des réseaux. Une rubrique du

site est consacrée au direct où à chaque minute des sujets - sous forme de

dépêches -tombent, ainsi que les questions des internautes pouvant porter sur

n’importe quel sujet. Des journalistes se relaient pour alimenter ce direct et

répondre au plus vite aux internautes, en analysant, contextualisant et en

indiquant un lien hypertexte29 pour en savoir plus sur l’information demandée.

France TV Info pratique également la curation. Thibaud Vuitton, rédacteur en

chef adjoint de France TV Info, voit en cette pratique un rôle du service public :

La curation consiste à faire le tri, montrer l’information intéressante qui se trouve ailleurs, remettre du contexte. Le média revient vers son rôle essentiel de médiateur, de filtre pour le citoyen. C’est une mission journalistique qui reprend du contenu. Une revue de presse avancée est plus intéressante que Google Actu pour les personnes non habilitées à trier les bonnes sources. Avec la curation, on entre dans notre rôle de service public30.

Le site de France TV Info s’adapte sur tous les supports indifféremment, en

appréhendant l’explosion de la vente de smartphones 31 et tablettes 32 qui

                                                                                                               28  Extrait de l’entretien avec Erwann Gaucher disponible en annexe  29 Un lien HTML qui lorsqu’on clique renvoie vers une autre page 30  Extrait d’un entretien réalisé avec Thibaut Vuitton, non disponible en annexe  31  Téléphone mobile intelligent qui a des fonctions d’assistant numérique personnel    

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devance déjà celle des ordinateurs33, selon Bruno Patino, le rédacteur en chef.

Placer la mobilité au premier plan et respecter les usages des gens pour leur

apporter l’information, sont les priorités de France TV Info. Le site apporte une

grande variété d’informations en format court, que l’on peut partager, twitter à

volonté. La prise en main par l’internaute est facile, respecte ses modes de

discussion sur le web, de consultation sur tout support, où que l’on soit. Pour

ceux qui ne s’accommodent pas du direct, on peut facilement retrouver les

grands titres dans une autre rubrique. La navigation sur le site se fait sur cinq

flux à sélectionner à gauche de l’écran : en direct, les titres, les tops, les

régions, les images.

Une autre grande révolution technologique en cette année présidentielle a été le

widget de France Télévisions. En véritable outil de service public vous pouviez

facilement installer ce module sur votre site pour connaître les résultats de la

présidentielle et des législatives en direct. Le widget se présentait comme une

petite carte de France interactive. En l’installant, vos visiteurs pouvaient

connaître les résultats en direct par région, par département et même par

commune. France Télévisions a même pensé à inclure les résultats de la

présidentielle de 2007 pour établir des comparaisons. Pour installer ce widget, il

fallait se rendre sur : http://www.francetv.fr/info/elections/widget. Puis, il était

possible le configurer selon nos envies en choisissant la taille sur l’écran, la

traduction proposée en six langues, etc. Ensuite le code HTLM devait être

embeddé 34 pour apparaître sur votre site. France Télévisions a conclu un

partenariat avec l’institut de sondage Ipsos, et son flux de résultats émanait du

ministère de l’Intérieur. Le widget affichait également les données sur la

participation, les estimations et les résultats au fur et à mesure du dépouillement

dans toutes les communes de France35.

B.  Le  pari  du  journalisme  local  

                                                                                                                                                                                                                                                                                                           32  Une tablette est mobile, tactile et a les compétences d’un ordinateur comme la lecture de mails, etc  33  http://www.erwanngaucher.com/16112011Bruno-Patino--Aujourd39hui--personne-n39informe-comme-cela-dans-le-monde.media?a=751, consulté 20/04/12 34  Embedded se traduit littéralement en français par « encastrer » mais le terme relève d’avantage d’une manipulation informatique qui permet de reproduire un widget, une vidéo… à l’aide d’un code HTML sur votre propre site ou blog.  35  http://www.erwanngaucher.com/16112011Bruno-Patino--Aujourd39hui--personne-n39informe-comme-cela-dans-le-monde.media?a=751, consulté 20/04/12  

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Des mastodontes de la presse nationale sont allés à contre-courant de leurs

habitudes éditoriales et ont choisi la formule de l’immersion locale, au plus près

des Français. On ne les imaginait pas sur ce terrain, Le Monde, France

Télévisions, Radio France sont allés là où on ne les attendait pas, en

campagne, dans la banlieue, chez l’habitant. Sentir le pouls des Français,

cerner leurs préoccupations en dehors des QG de campagne, voilà une

nouvelle manière d’aborder cette campagne présidentielle sur la Toile.

1)  «  Une  année    en  France  »  :  un  projet  bi-­‐média  stagnant  au  long  cours  

Le reportage d’immersion dans les villes et villages de France a été

expérimenté dès l’été 2010 au Monde. La série d’été axée sur la thématique de

la frontière a conduit deux journalistes36 de la rédaction à créer ensemble une

frontière entre la réalité d’une banlieue de la Courneuve et celle d’un village de

Mézères. Un an plus tard, ils ont relancé la machine et ont repris leurs blogs

respectifs, bien plus que pour une durée estivale, cette fois c’était pour une

année. Antonin Sabot, responsable du blog de Mézères depuis l’été 2010 nous

explique ce choix éditorial pour la campagne présidentielle :

Le directeur adjoint des rédactions en charge du rapprochement des rédactions web et papier récemment nommé, Serge Michel, était attiré par les blogs de proximité. Boris Razon, rédacteur en chef du Monde.fr cherchait une manière de traiter la campagne de manière inhabituelle37.

Le Monde a choisi la tactique du blogging en envoyant des journalistes-

bloggeurs se poster confortablement dans huit villes de France durant une

année entière. Les journalistes du Monde devaient faire face aux réalités du

métier de localier38, puisque demeurant dans la ville ils devaient rendre des

comptes aux habitants s’ils commettaient des erreurs. C’est la première fois

qu’un journal national français se penchait autant sur des réalités locales pour

un enjeu national d’envergure tel que l’élection présidentielle française. Les

blogueurs ont tenté aussi de souligner les ressemblances et dissemblances

entre leurs différents points de mire en France, pour fixer le portrait d’une

France mouvante. Ce dispositif bi-média a nécessité une collaboration entre

                                                                                                               36  Antonin Sabot et Aline Leclerc  37  Extrait de l’entretien avec Antonin Sabot disponible en annexe  38  Journaliste à l’échele locale d’une commune  

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journalistes affiliés au papier et les journalistes web. Conjuguer les supports et

les compétences a également été le pari de la rédaction du Monde. Le

reportage photographique a aussi eu une place de choix dans ce projet puisque

deux photographes ont sillonné les huit villes pour rendre compte de la réalité

de terrain. Antonin Sabot nous expose les fruits de cette initiative bi-média :

Le projet d’« Une année en France » a créé une véritable dynamique de travail entre les journalistes web et papier. Le contenu rédactionnel des blogs allait être transposé, ajusté, compilé pour figurer aussi dans le journal papier. Cela a contribué à apporter de la crédibilité aux sujets locaux et au support Internet. On est entré dans un processus de création différent et la liberté d’écriture sur le blog a pu transparaître sur le papier. Le fait que certaines plumes du journal soient des auteurs de billets de blogs a permis de s’ouvrir à des articles qui, habituellement, n’ont pas leur place dans le journal39.

En revanche, Le Monde ne se contentait pas de copier-coller du site vers le

papier. Un travail à posteriori a parfois été nécessaire pour publier de longues

enquêtes. L’avantage était que les observations des journalistes du Monde aux

huit coins de la France pouvaient refléter une situation nationale avec des

nuances diverses. Les journalistes-blogueurs pouvaient également faire

remonter des thématiques grâce aux constats locaux.

Le travail d’immersion nécessite du temps, un rapport de confiance avec les

habitants et de ne pas être intrusif afin qu’à force de persévérance, ceux-ci

confient leurs opinions politiques. C’est cette approche qu’a expérimenté

Antonin Sabot, journaliste-bloggeur à Mézères dans la Loire :

Ce n’est pas tant les candidats qui les intéressent que les thématiques. L’objectif premier du blog est que les gens nous parlent de leur quotidien, même si la finalité est d’éclairer la facette politique, mais pas forcément de manière politicienne avec des partis derrière. Je parle avec des personnes que je connais déjà, que le lecteur connaît peut-être à travers d’autres articles, dans un contexte différent. Il faut d’abord s’ancrer dans le local, discuter des intérêts personnels et ensuite extrapoler avec la politique.

Antonin Sabot, lui, est resté une année entière à Mézères, un village de 140

habitants. Sa prestigieuse carte de presse du Monde n’a pas été un laissez-

passer et aurait pu être un handicap pour se faire accepter, comme ça a été le

                                                                                                               39  Extrait de l’entretien avec Antonin Sabot disponible en annexe  

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cas dans d’autres villes françaises méfiantes à l’égard des journalistes. Dans un

article rédigé collectivement à la fin de l’expérience, les bloggeurs expriment

leurs difficultés quant à l’accueil reçu :

Il faut d'ailleurs s'arrêter un instant sur la question de l'accueil que nous

avons reçu. Notre carte de visite du Monde est d'ordinaire un précieux

sésame. (…)"Le Monde? C'est un journal imprimé ? Comme La Tribune-

Le Progrès ?", s'étonnait-on à Mézères. Il était autrement plus efficace

de dire "je suis le fils Sabot, de Vioches", l'un des hameaux du village,

pour s'asseoir autour de la table et recueillir les confidences d'un paysan

sur la précarité financière dans laquelle se trouve son exploitation40.

2)  «  La  campagne  à  vélo  »  :  Le  web  documentaire  itinérant  100%  réseaux  sociaux  

Du 6 février au 6 mai, deux reporters ont enfourché leur vélo, parcourant 4058

kilomètres à travers la France en 90 jours, équipés de 50 kilos de bagages et de

cinq caméras pour aller à la rencontre des Français. Leurs tribulations étaient

relatées sur France TV info, Rue 89, Radio France, et France Télévisions en

partenariat, sans oublier les réseaux sociaux. Les journalistes Alexis Monchovet

et Raphaël Krafft se sont lancés dans cette aventure après s’être rencontrés au

Moyen-Orient. Alexis Monchauvet est l’auteur d’un documentaire sur Gaza qui a

reçu le prix Albert Londres41 en 2008. Raphaël Krafft, quant à lui avait déjà deux

tours de France au compteur en 2002 et 2007 pour France Culture. Leur road

movie compte 17 épisodes que l’on peut retrouver sur France TV Info et Rue

89. Le choix du vélo comme mode de locomotion n’est pas dû au hasard, il

s’avère même être un faiseur de rencontres inopinées. D’ailleurs, les deux

baroudeurs n’ont pas respecté le parcours prévu initialement pour provoquer le

hasard, nous explique le community manager 42de la « campagne à vélo » Marc

Pédeau :

                                                                                                               40  http://www.lemonde.fr/a-la-une/article/2012/08/07/les-francais-derriere-le-cliche_1742905_3208.html?fb_action_ids=3698678541413&fb_action_types=og.recommends&fb_source=aggregation&fb_aggregation_id=288381481237582, consulté le 09/04/12 41    Le prix Albert Londres descerne le plus grand prix du reportage en presse audiovisuelle et écrite en France.    42    Gestionnaire de communauté dont le rôle est expliqué plus bas.  

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Les journalistes n’avaient pas d’impératifs de temps, étaient accessibles aux gens, ce qui a favorisé les rencontres fortuites. La spontanéité était un ingrédient important pour cette « campagne à vélo ». D’ailleurs, le plan que nous avions établi au préalable avec des étapes a été chamboulé, et nous avons été ravis que cela change en cours de route. Cela évitait les contraintes et nous avions confiance en l’instinct de nos journalistes. En fin de compte, « La campagne à vélo » c’est une somme de portraits glanés au hasard des rencontres43.

Ils ont fait escale aussi bien dans les grandes villes comme Nice ou Lyon que

dans des lieux ruraux comme Hénin-Beaumont ou Sarrebruck. Les deux cyclo-

journalistes cherchaient l’hospitalité au gré du hasard et ont abordé le sujet de

la présidentielle une fois le seuil franchi. Marc Pédeau affirme que :

Ces témoignages accumulés ont constitué une sorte de panel représentatif par pur hasard, mais pas dans le sens où l’entendent les instituts de sondage. Nos reporters à vélo ont par exemple pu rencontrer des rastafaris, un conspirationniste…44

Pour ce road movie 100% réseaux sociaux, Marc Pédeau, un community

manager était chargé de faire vivre ce projet sur la Toile et les réseaux. Son rôle

était de modérer, gérer, animer les discussions sur les réseaux sociaux d’une

communauté d’internautes et d’utiliser tout le potentiel du web pour faire parler

de « la campagne à vélo ». Celle-ci s’est propagée sur Twitter, Facebook,

Instagram, Dailymotion, France TV info, Rue 89 et encore bien d’autres sites et

blogs. L’objectif du community manager est de susciter le débat, de parler de

l’aventure humaine que vivent les reporters et aussi de faire s’intéresser les

communautés aux thématiques de campagne. Les observations et

constatations d’Alexis Monchovet et Raphaël Krafft faisaient écho à des

situations nationales. Alors pour chaque thématique, le community manager

tentait d’extrapoler en postant un article d’analyse pour en savoir plus. Or, selon

Marc Pédeau ce fut un réel challenge :

La première difficulté à laquelle je me suis heurté a été que nos premiers fans et followers étaient des inconditionnels du vélo, davantage intéressés par l’aventure humaine que par l’enjeu présidentiel. Je postais des articles en commentaire mais ça n’ouvrait pas au débat. A force de persévérance, en continuant à poster des articles d’analyse pour aller plus loin sur des thématiques, nos fans de vélos se sont pris au jeu de la

                                                                                                               43    Extrait de l’entretien avec Marc Pédeau disponible en annexe.  44  Extrait de l’entretien avec Marc Pédeau disponible en annexe  

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politique et réclamaient même parfois des liens hypertexte, des clarifications45.

Cette « campagne à vélo » a apporté beaucoup de concret à la campagne

présidentielle et en a donné une vision plus humaine. Des thématiques sous-

développées par les candidats et les médias se sont avérées préoccupantes

pour des Français. L’environnement, par exemple, a été perçu comme la grande

thématique absente de cette campagne, ce qu’explique Marc Pédeau :

Beaucoup de personnes se sont indignées que l’environnement soit la grande thématique absente de cette campagne présidentielle. Les habitants de la commune de Bure dans la Meuse se disaient par exemple, très préoccupés par le projet d’un site d’enfouissement de déchets nucléaires46.

Des interrogations largement diffusées dans les médias ont également trouvé une part de réponse grâce à ces rencontres inopinées à vélo. On se demandait par exemple s’il était possible que des sympathisants du Front National, se rangent du côté de l’extrême gauche et pourquoi.

Dans le Nord de la France, des personnes nous disaient : « j’ai voté Le Pen en 2002, en 2007 et cette année, je vais voter Mélenchon ». Cela fait ressortir cette réalité ouvrière du Nord de la France ancrée dans le communisme pendant très longtemps. Ces personnes ont été séduites par le vote extrême-droite et ont vu cette année une autre alternative avec Mélenchon.

France 2 a réalisé un documentaire retraçant cette « campagne à vélo » qui a

été diffusé dans « Infrarouge » le 8 mai à 23 heures 30.

3)  Course  de  fond  Versus  sprint  

« Une année en France » et « La campagne à vélo » ont pour point commun ce

prisme local permettant de connaître des bribes de vie, d’apporter des

témoignages, de connaître les intentions et surtout les motivations de vote des

citoyens en cette année présidentielle. Le rapport de confiance entre

journalistes et citoyens a été mis à l’épreuve et parfois consolidé par le fait que

les citoyens pouvaient enfin faire entendre leurs voix ailleurs que dans les

journaux locaux. Chacune de ces opérations a été un succès, salué par des

                                                                                                               45  Extrait de l’entretien avec Marc Pédeau disponible en annexe  46  Extrait de l’entretien avec Marc Pédeau disponible en annexe  

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commentaires de reconnaissance. Toutefois, ce qui différencie ces deux

expériences, c’est la durée, les moyens et la mobilité. Le Monde a privilégié la

course de fond et la stagnation des journalistes dans une ville pendant toute

une année. A l’inverse, pour « la campagne à vélo » on a préféré le sprint de

trois mois et la mobilité dans de nombreuses villes avec 4058 kilomètres au

compteur. Le nombre de personnes affectées à chaque opération diffère aussi.

Le Monde n’a pas fait de partenariat et a envoyé huit journalistes sur le terrain

ainsi que deux photographes. Dans les locaux, d’autres journalistes de la

newsroom bi-média se sont chargés de transposer et modifier les articles pour

la parution dans le quotidien. A l’inverse, « la campagne à vélo » a été le fruit

d’une collaboration entre plusieurs médias. Seuls deux journalistes se rendaient

sur le terrain mais un community manager était chargé de la présence sur le

web et de l’interactivité sur les réseaux sociaux. Les équipes de France TV Info

et Rue 89 devaient également publier les billets.

C.  Le  Véritomètre  d’Owni  

1)  Le  pure  player  de  pointe  Owni  

               1.1  Qu’est-­‐ce  qu’un  pure  player  ?   On distingue deux grands types de sites d’information dans le grand paysage

web. A côté des sites d’information traditionnels main stream adossés au

support papier, reprenant le même nom comme le Monde.fr, Libération.fr et

appartenant à de grands groupes de presse, un autre type d’information est né

en proposant un autre modèle. Autrefois appelés webzines, ces sites adoptent

aujourd’hui le qualificatif de pure players. Leur nombre a littéralement explosé

peu de temps avant la présidentielle, y voyant l’opportunité de se faire

connaître. Le panel de possibilités offertes aux journalistes s’est

considérablement élargi avec l’arrivée de ces pure players et leur explosion

stratégique en 2011 pour couvrir l’élection présidentielle. Les pure players sont

nés sur la toile et n’ont pas d’équivalent papier. Pour se démarquer, beaucoup

ont surfé sur la vague du participatif en engageant le dialogue avec l’internaute

ou en l’associant directement à la recherche de l’information. Les pure players

sont des sites d’information indépendants qui peuvent avoir une lecture

spécifique de l’actualité. Réputés innovants et à la pointe, ils ont des

spécialisations, des créneaux, un positionnement pour séduire leur lectorat. Ils

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revendiquent une liberté éditoriale et sont libres sur le fond comme dans la

forme. Leur modèle de rentabilité demeure à l’heure actuelle instable. La

montée en puissance des réseaux sociaux est à mettre en lien avec la création

des sites participatifs47.

1.2  Owni  et  la  religion  du  datajournalisme  

Owni est donc un pure player qui entend livrer une « information augmentée » à

ses lecteurs. Pour cela, les journalistes de la rédaction ont tous une

spécialisation, une expertise dans un domaine. L’information délivrée sur le site

n’est pas généraliste, Owni s’intéresse en priorité aux thématiques liées à la

culture numérique, à la liberté numérique. Owni s’est d’ailleurs érigé contre la loi

Hadopi48 adoptée par le gouvernement de Nicolas Sarkozy. Les thématiques

environnementales sont également beaucoup traitées avec des enquêtes de

longue haleine sur les centrales nucléaires, les gaz de schiste, les partis

politiques, etc. Damien Van Achter, développeur éditorial chez Owni nous

éclaire sur la ligne éditoriale puis sur sa profession :

Owni signifie Objet Web Non Identifié. Le nom de notre média est à l’image des personnes qui composent cette soucoupe, et de notre état d’esprit. Dans le paysage médiatique, nous sommes un ovni. Dans notre formule, on ne traite pas avec les annonceurs, on cherche à avoir un site et des articles esthétiques, on ne craint pas de proposer des dossiers et des articles longs. On n'avait pas envie de se laisser enfermer dans des logiques qui ne nous semblaient pas être porteuses de sens. Sur le plan du financement, en revanche, c’est assez compliqué de financer un média qui ne gagne pas d’argent. Tout ce qui est en périphérie du média a vocation à générer des profits.

Développeur éditorial, c'est un mot valise que j'ai été contraint de porter, faute de mieux pour qualifier mon métier. C'est une manière de dire qu'on est à la frontière entre le développement informatique et la stratégie éditoriale. Un média en ligne doit développer à un moment donné une stratégie éditoriale. On a besoin d'outils informatiques, de codes pour réussir à la transcrire visuellement, avec des fonctionnalités précises. (…) Je fais aussi de la stratégie éditoriale dans divers médias. Je savais pertinemment

                                                                                                               47  http://www.telerama.fr/medias/les-pure-players-ou-le-pari-de-la-presse-en-ligne,74902.php, consulté le 20/03/12  48  La loi Hadopi renvoie à la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet. L’Hadopi contrôle et punit le téléchargement illégal.  

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que pour financer le mien, j'allais devoir former dans d'autres médias et travailler pour d'autres entreprises qui ne sont pas médias mais qui voudraient le devenir. On a fait du laboratoire.49.

Le pure player Owni voue un culte au data-journalisme. Il porte le data-journalisme en opposition à la presse d’opinion :

À l’opposé des intentions de la presse d’opinion, celle qui dicte une

manière de penser le monde, une nouvelle presse émerge, désireuse de

transmettre toutes les données susceptibles de lire le monde

différemment, de nourrir toutes les pensées critiques, sans tenter d’en

imposer une. Pour cette presse là, le journalisme de données (ou Data

Journalism à l’anglo-saxonne) s’apparente à une nouvelle profession de

foi50.

Le data-journalisme se traduit littéralement par journalisme de données mais est

plus souvent employé en anglais. Il est remis au goût du jour grâce aux vertus

du numérique. Le data-journalisme consiste à investiguer dans des bases de

données, des listings, des fichiers Excel, parfois accessibles en ligne, et d’en

extraire la moelle pour informer autrement. L’essentiel de ces données est

rendu accessible en ligne par les institutions gouvernementales comme l’Open

Data 51 (www.data.gouv.fr) ou les organismes comme l’INSEE, l’OCDE. Les

journalistes ou graphistes réalisent une infographie qui peut prendre la forme

d’un graphique, d’une carte souvent interactive. L’internaute y pêche les

informations qu’il souhaite en observant l’infographie ou en jouant avec elle.

L’internaute doit être actif, sélectionner des éléments ou en encoder. L’intérêt

final est de comprendre l’information par le visuel et de donner les clés de

lecture aux citoyens qui peuvent ensuite avoir leur propre interprétation des

données, des courbes, de l’infographie réalisée par le journaliste. Damien Van

Achter expose l’intérêt du data-journalisme.

A l'autre bout de la chaîne du data-journalisme, il y a la visualisation des données. Un fichier Excel n'est pas sexy à voir. Pour que le public s'intéresse à l'enquête, il faut pouvoir montrer les données de manière interactive et avec une certaine esthétique. Il est aussi important de donner la possibilité aux gens de changer des variables. Par exemple dans une

                                                                                                               49  Extrait de l’entretien avec Damien Van Achter disponible en annexe  50  http://owni.fr/2011/08/30/le-datajournalisme-notre-religion/, consulté le 14/04/12  51  Plateforme d’ouverture des données publiques en France sous licence libre.  

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 25  

présentation, pouvoir voir des courbes qui bougent, voir l’effet direct de son action sur la présentation. Le data-journalisme chez Owni, c'est un accouplement de métiers pour en créer un nouveau. Les journalistes qui côtoient des développeurs, des graphistes, des designers et qui se créent un métier particulier. Pour vous donner un exemple, Owni a réalisé un datajournalisme sur les migrants en Europe reconduits à la frontière de leur pays et décédés lors de leur rapatriement. L’OCDE nous a permis d’élaborer une base de données de ces décès. Nous avons transposé ces données sur une carte avec la possibilité de choisir le pays, de choisir la date et surtout de voir la cause du décès. L’expérience ouverte aux utilisateurs était de choisir le pays, d’avoir une ligne du temps et de lire le résumé des circonstances dans lesquelles un migrant avait trouvé la mort. Le datajournalisme est souvent à vocation pédagogique52.

2)  Le  fact-­‐checking  :  définition    

La campagne présidentielle de 2007 a vu naître la mode du storytelling qui

s’appuie sur une narration. Le storytelling permet de se pencher sur un cas isolé

pour qu’il rejaillisse sur le plan émotionnel. Aujourd’hui les chiffres se substituent

au storytelling. Nous ne sommes plus dans des dynamiques de récit mais dans

l’argumentation chiffrée. Selon Damien Van Achter, développeur éditorial53

d’Owni, le fact-checking c’est :

Utiliser les archives, les données pour confronter en temps réel les paroles d’un homme politique à la réalité des faits et à l’antériorité de ses propres propos. (…) Fact-checker, cela fait partie des basics pour un journaliste à part que l’on utilise aujourd’hui les outils du web pour être collaboratif avec les audiences qui nous aident à contrôler, à fact-checker les politiques. Le fact-checking a un bel avenir devant lui, à condition de le crowd-sourcer avec les gens, le faire seul n’a aucun sens. Le crowd-sourcing54 avant tout c’est faire confiance aux gens, avoir une attitude bienveillante par rapport aux individus interconnectés qui, qu’on le veuille ou non quand on est journaliste, critiquent notre travail55.

                                                                                                               52  Extrait de l’entretien avec Damien Van Achter disponible en annexe  53  Métier qui fait le lien entre le développement informatique et la stratégie éditoriale 54  Le crowd-sourcing c’est mettre à disposition des internautes la source d’information pour qu’ils puissent à leur tour vérifier et peut-être interpeler le journaliste sur ses éventuelles erreurs.  55  Extrait de l’entretien avec Damien Van Achter disponible en annexe  

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 26  

Dans le cadre de mon stage au Vif.be, j’ai rédigé un article sur l’intérêt du fact-checking combiné au web :

Le web graisse les rouages du fact-checking en usant de ses principaux

atouts : l’instantanéité et le participatif. C’est peut-être cette pratique qui

donnera ses lettres de noblesse au web journalisme. L’internet,

généralement accusé de propager des rumeurs, aurait là le pouvoir

d’arrêter l’hémorragie mensongère des politiques grâce à une utilisation

plus responsable. Et pour cela, nul besoin d’être un statisticien. Chaque

internaute peut contribuer à la vérification des faits. Il suffit qu’il ait

quelques outils à sa disposition. Pour le Véritomètre par exemple : une

base de données publiques bien fournie (INSEE 56 , OMS… 57 ), un

journaliste – médiateur et un espace pour s’exprimer suffisent58.

Le fact-checking c’est le journalisme d’antan réappliqué avec les méthodes du

XXIème siècle : l’Open Data59, le datajournalisme utilisé par exemple pour le

Véritomètre. »

3)  Le  Véritomètre  

Le 17 février, la plateforme interactive d’Owni et i>TELE nommée le

Véritomètre, voit le jour. Sylvain Lapoix, fact-checkeur pour le Véritomètre

d’Owni, nous explique son objectif :

Le Véritomètre est un outil de fact-checking, de vérification des discours publics issus d’une collaboration entre Owni et i>TELE, dans le cadre de la campagne présidentielle française. Durant trois mois, des journalistiques ont vérifié les déclarations, interviews où se trouvaient des données chiffrées, des déclarations chiffrables. Nous nous sommes concentrés sur les six principaux candidats que sont François Hollande, Eva Joly, François Bayrou, Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen, Nicolas Sarkozy. Puis, nous avons donné au fact-checking une dimension sociale en impliquant les citoyens dans le processus de vérification. Ils peuvent ainsi améliorer ou critiquer notre travail60.

                                                                                                               56  Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques 57  L’Organisation Mondiale de la Santé 58  http://www.levif.be/info/actualite/technologie/le-fact-checking-un-bouclier-contre-les-mensonges-des-politiques/article-4000047971084.htm, consulté le 27/04/12 59  Plateforme d’ouverture des données publiques en France sous licence libre.  60  Extrait de l’entretien avec Sylvain Lapoix disponible en annexe  

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 27  

Le Véritomètre est une combinaison du fact-checking pour le fond et du

datajournalisme pour la forme qu’il arbore. Les avantages du Véritomètre sont la

transparence absolue sur la méthodologie et la possibilité pour le lectorat de

recalculer la totalité des chiffres et rectifier, si maladresse il y a. Le Véritomètre

se base sur des bilans donc des chiffres finaux et non pas sur des spéculations.

Il fournit des éléments d’objectivation des discours politiques.

En sélectionnant le nom d’un candidat, nous avons accès à tous ses discours

publics. Ensuite, chacun est invité à revisionner ou à réécouter les discours ; à

en extraire les déclarations chiffrables ou les données chiffrées, les vérifier et

publier directement notre fact-checking sur le site. Celui-ci est soumis à la

contre-vérification d’Owni qui appose son verdict à côté de la vérification, en

écrivant : correct, incorrect, imprécis.

Régulièrement, à partir de ces vérifications, un classement de la crédibilité des

candidats est établi. Là est l’une des failles du Véritomètre car parfois, peu

d’internautes se sont prêtés à la vérification. S’il n’y en a qu’une pour un

discours, indiquant un mensonge, elle pèse sur la balance de la crédibilité.

Les données chiffrées et les sources pour se prêter au jeu de la vérification sont

disponibles sur le site d’Owni. Les données sont classifiées selon des

thématiques pour aider les citoyens à vérifier eux-mêmes les discours

politiques. Par exemple, en cliquant sur « immigration », le Véritomètre nous

propose sept sous-thématiques, en choisissant « naturalisation » on peut

sélectionner soit « acquisition de la nationalité française », soit « acquisition de

la nationalité française par mariage ».

© http://itele.owni.fr/#!/donnees-de-verification-par-themes

Page 30: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 28  

En choisissant « acquisition de la nationalité française », on peut voir ce

graphique. Ce graphique est aussi un exemple de data-journalisme où

l’internaute doit être actif et sélectionner les informations qu’il souhaite :

© http://itele.owni.fr/#!/fiche/nombre-de-personnes-ayant-acquis-la-nationalite-francaise/

Suivi d’une description et de l’indication de la source de l’information avec un

lien vers celui-ci, invitant à revérifier l’information :

Il y a "acquisition" de la nationalité française lorsque l'on devient français

après la naissance. L'acquisition de la nationalité française s'opère dans

des conditions fixées par la loi. On distingue deux modes d'acquisition

de la nationalité française : - par déclaration à la suite d'évènements

personnels (essentiellement en raison du mariage avec un ressortissant

Français et l'acquisition anticipée pour les jeunes étrangers nés et

résidant en France) ; - par décision de l'autorité publique

(naturalisation). Source : Rapport au Parlement du ministère de

l'Intérieur, mars 201161.

Crowd-sourcez vous même cette information en consultant :

http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/104000087/index.shtml

                                                                                                               61  http://itele.owni.fr/#!/fiche/nombre-de-personnes-ayant-acquis-la-nationalite-

francaise/, consulté le 14/04/12

 

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 29  

Le Véritomètre est un détecteur de mensonges à vertu pédagogique pour

l’internaute et le candidat. En période électorale, nous sommes confrontés à

une nuée de chiffres, le fact-checking fait donc office de bouclier contre les

mensonges des candidats. Le Véritomètre et par le même biais les initiatives de

fact-checking pour couvrir cette campagne présidentielle ont eu pour but

d’assainir les propos des politiques, de rectifier de graves erreurs qui pouvaient

être intégrées et constituer un argumentaire politique. A ceux qui croient que le

fact-checking prône une religion des chiffres, Sylvain Lapoix d’Owni rétorque

lors d’une conférence post-élection :

Notre but est à l’inverse que les débats politiques ne soient pas pollués de chiffres, qu’ils ne constituent pas des argumentaires où chacun s’y perd. Etre conscient que les erreurs chiffrables sont épinglées et vérifiées pourrait permettre aux politiques d’assainir le débat et d’avoir un réel débat de fond sur leurs mesures. Concrètement, ça a un intérêt politique d’avoir des journalistes qui soient capable de dire : « Non, Monsieur Hollande, la dette a augmenté de 505 milliards sur l’exercice clos et projette à 600 milliards à la fin 2012 mais l’année n’est pas encore finie donc n’extrapolez pas »62.

4)  La  collaboration  entre  Owni  et  i>TELE  

Ce qui rend cette innovation spectaculaire est aussi qu’une chaîne de télévision

s’y soit associée en mettant le Véritomètre à l’écran le temps d’une

présidentielle. La chaîne de télévision i>TELE a consacré une chronique au

Véritomètre chaque mercredi à 22h45, deux ou trois déclarations phares et

chiffrables y étaient disséquées et la crédibilité des candidats était mesurée en

pourcentage. Un classement de la crédibilité des candidats était régulièrement

mis à jour. Une entreprise périlleuse de télévision connectée qui a porté ses

fruits puisque les deux médias ont été satisfaits de l’audience et de la notoriété

glanées avec le Véritomètre. Le nom du site associe d’ailleurs les noms des

deux médias. Sylvain Lapoix, notre fact-checkeur d’Owni a été désigné pour

être chroniqueur du Véritomètre. Une chronique hebdomadaire où les dernières

vérifications de déclarations de candidats étaient expliquées, avec iPad et

graphique à l’appui. Sylvain Lapoix nous explique les termes du contrat liant

Owni à i>TELE.

                                                                                                               62  Conférence sur le rôle du fact-checking dans le débat de l’entre-deux tours, la Lunette à Bruxelles, le 8 mai à 19 H, Sylvain Lapoix, Damien Van Achter, etc.  

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 30  

Le partenariat avec I>TELE a été le pari d’associer un pure player innovant à la pointe avec une audience de niche, à une chaîne de la TNT63 grand public. J’ai été choisi comme lien entre les deux médias et comme chroniqueur pour la chaîne car je suis le journaliste politique maison chez Owni et j’avais déjà des expériences télé et radio. Par chronique, je fact-checkais en moyenne 2 à 3 éléments et je mettais à jour le classement des candidats du moins crédible au plus crédible64.

                                                                                                               63  Télévision Numérique Terrestre  64  Extrait de l’entretien avec Sylvain Lapoix  

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 31  

II)  La  campagne  présidentielle  sur  les  réseaux  sociaux  

A.  Twitter  :  la  nouvelle  arme  des  candidats

                     1)  Le  comportement  des  candidats  sur  Twitter    

La présence sur les réseaux sociaux est devenue presque une nécessité des

candidats à la présidentielle. Twitter, toujours numéro deux en France, prend

peu à peu de l’importance et se peuple de curieux. Twitter est avant tout un

réseau d’influence puisque les « influenceurs » y sont présents en nombre : les

journalistes, les personnalités politiques, les universitaires… La communauté de

Twitter surnommés les Twittos sont en majorité jeunes constate Louis-Serge

Real Del Sarte : « Twitter rassemble 70% d’utilisateurs âgés de moins de 45

ans et touche une majorité élective plutôt masculine ainsi qu’une population plus

urbaine puisque 30% sont localisés en Île-de-France.65 »

La caractéristique principale d’un réseau social est l’interactivité, l’échange et la

désintermédiation. Sur Twitter, le politicien doit distinguer sphère

professionnelle et sphère privée car chacun de ses messages est un buzz en

devenir et il est en tous cas commenté. Un tweet est un message très court, de

140 caractères qui peut être repris. Plus, il est retweeté66, plus il a d’impact, de

raisonnance et peut faire surface dans les médias. Les frasques, les intimités,

les polémiques, les clashs sur Twitter ont l’effet d’une déflagration et ont un

impact sur la sympathie des personnalités politiques. A côté de ça, il y a l’aspect

affichage, propagande, image lisse que certains cherchent à véhiculer. Ce

deuxième aspect passe par l’exhibition de l’agenda politique, des interventions

médiatiques, des meetings, etc. L’objectif sous-jacent des candidats est aussi

d’accumuler le plus grand nombre de followers, terme qui signifie « abonnés ».

C’est un indice d’influence, de sympathie du politicien. La question qui taraude

les internautes est de savoir qui se cache derrière les messages. Est-ce que le

politique délègue l’administration de son compte Twitter à ses communicants ou

prend-il le temps d’écrire lui-même ses tweets ? Owni a demandé l’intérêt d’un

investissement sur Twitter à Edouard Gassin, directeur de l’agence de

communication politique Mille Watts.                                                                                                                65  http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/03/01/twitter-­‐gadget-­‐electoral-­‐ou-­‐outil-­‐de-­‐democratie-­‐numerique_1650057_3232.html#xtor=AL-­‐32280258,  consulté  le  20/05/12 66  Faire suivre le message de quelqu’un d’autre sur Twitter en l’état.  

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 32  

Est-ce qu’il faut vraiment être sur Twitter quand on est un homme politique ? Nous, la réflexion que l’on a, c’est de savoir si c’est pertinent de déployer [le politique NDLR] sur Twitter. C’est un outil très chronophage qui nécessite un investissement important. Si l’on parle des campagnes présidentielles de Hollande et Sarkozy, des dizaines de personnes travaillent dessus. Mais c’est une évidence, les résultats sont bien meilleurs en terme d’audience quand ce sont les vrais élus qui s’investissent personnellement67.

Le 1er juin 2011, alors qu’il est encore candidat à la primaire socialiste, François

Hollande est le premier invité sur la plateforme You Tube/élections 2012.

Elections 2012 est un des forums de l’élection présidentielle où les internautes

sont invités à interpeler, questionner les hommes politiques. L’initiative est

signée You Tube, AFP, Twitter, et le centre de formation des journalistes (CFJ)

de Paris. François Hollande se fait interroger par un élève du CFJ, Benoît

Toussaint.

[Benoît Toussaint :] J’ai lu que vous étiez très présent sur les réseaux sociaux, sur Twitter ça doit être contraignant à gérer avec votre emploi du temps. Comment vous vous organisez pour gérer tweets, les réactions sur les réseaux sociaux ? [François Hollande :] J’ai des amis qui m’aident et puis je peux le faire lorsque j’ai un moment. Mais c’est vrai que c’est très demandeur de temps, il faut l’admettre, si on s’engage dans ce processus, on risque d’y passer toute sa journée de campagne. Donc, il faut un moment se retenir, il faut donner des informations, il faut donner des impressions mais il ne faut pas imaginer que l’on va pouvoir dialoguer avec le pays simplement avec l’usage de l’Internet ou des réseaux sociaux68.

La tactique de Nicolas Sarkozy a été de faire coïncider les moments phares de

sa candidature avec son activité sur les réseaux sociaux. Ainsi, son arrivée sur

Twitter s’est fait le jour de son passage sur TF1 pour annoncer sa candidature

officielle à l’élection présidentielle. Cet effet d’annonce a été relaté dans tous les

médias. Sa Timeline Facebook a également été restructurée par l’agence

Emakina et n’est même pas ouverte aux commentaires, contrairement à celle

de son rival socialiste. Celle-ci a fait office de vitrine parfaite où Nicolas Sarkozy

                                                                                                               67  http://owni.fr/2012/03/29/twitter-change-le-marketing-politique/, consulté le 06/06/12

68  http://www.youtube.com/watch?v=h4t5YsljYAY, consultée le 23/05/12  

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 33  

exposait les grands succès de sa mandature, publiait ses photos de meetings,

de rencontre en tant que chef de l’Etat, etc.

François Bayrou se distingue des autres candidats et se prête à une véritable

« twitt-interview » avec les citoyens le 6 décembre. Ainsi, juste après s’être

déclaré officiellement candidat, il se met à nu face aux internautes, préférant

cette confontation à une banale conférence de presse. La semaine précédente,

François Bayrou confiait à des journalistes que « la campagne se joue à la

télévision et sur Internet », apprend-t-on sur lejdd.fr69.

2)  La  guerre  des  hashtags  de  ralliement     Le terme hashtag est associé à la sphère Twitter et signifie « mot-clé ». Twitter

est un réseau social d’influence, très codifié. Le hashtag peut être utilisé comme

un symbole de ralliement, de solidarité, de soutien. Sur Twitter, un hashtag est

reconnaissable car il est toujours précédé d’un dièse (#). Les équipes

numériques des candidats se sont imprégnées de cette logique de ralliement

pour décupler la force et l’impact sur le réseau social. Les soutiens des

candidats doivent donc écrire leur message personnel suivi du hashtag de

référence qui sera de ce fait visible en tapant le mot clé (hashtag) dans la barre

de recherche et pour être comptabilisé dans les études réalisées par Topsy ou

encore la Sofres et Semiocast. Cette nouvelle mode s’est rapidement muée en

véritable rivalité entre candidats à coups de hashtags. Ce ralliement est aussi

encadré et orchestré par les équipes web qui se chargent de diffuser le nouveau

mot de clan qu’il faut diffuser pour soutenir son candidat. Ce hashtag est

véhiculé par mailing, sur les sites de campagne des candidats. Le but recherché

était d’être en tête des sujets les plus discutés du moment, dans les trending

topic, dans le langage de Twitter.

Voici à titre d’exemple, l’email adressé aux abonnés de la newsletter de

François Hollande et rédigé par son responsable de campagne numérique,

Vincent Feltesse, le 26 avril :

                                                                                                               69  http://www.lejdd.fr/Election-presidentielle-2012/Actualite/Les-twitt-interview-de-Francois-Bayrou-une-image-de-modernite-435025, consulté le 10/07/12  

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 34  

Cher-e-s activistes, Ce soir, à partir de 20h35, François Hollande est l’invité de l’émission de France 2, Des Paroles et Des Actes. Le candidat-président prendra ensuite la parole. Nous comptons donc sur vous pour diffuser largement les propos de notre candidat sur la Toile. Suivez et commentez l’intervention de François Hollande sur France 2 à partir de 20h35 et invitez vos amis à faire de même en diffusant ce lien sur les réseaux sociaux, par mails et sur les forums : http://francoishollande.fr/actualites/des-20h35-suivez-francois-hollande-sur-france/. Sur Twitter, ajoutez le hashtag #HollandeDPDA à vos messages. Désintox : répondez aux mensonges de nos adversaires sur le web ! Dans cette dernière ligne droite avant le second tour, nos adversaires multiplient l’envoi de mails mensongers concernant notre candidat. Voici les arguments pour leur répondre si vous y êtes confrontés. http://toushollande.fr/desintox-repondez-au-spam-mensonger-sur-francois-hollande.70

La tendance du live-tweet des émissions politiques a favorisé la guerre des

hashtags. En effet, commenter une émission se déroulant à la télévision en

direct, pendant sa diffusion, a été une tendance très en vogue. L’émission la

plus emblématique de ce phénomène a été « Des paroles et des actes ». Le

hashtag #dpda a été l’un des plus utilisés au monde pendant la campagne.

Dans ce cas-ci, il s’agissait d’un hashtag de reconnaissance permettant de

réunir les conversations sur l’émission. En tapant #dpda dans la barre de

recherche de Twitter, vous pouviez suivre tous les commentaires associés à

l’émission.

Interviewé par Owni, Arnaud Mercier71 évoque le phénomène du live-tweet:

Le commentaire en live tweet des émissions politiques deviendra probablement un phénomène social. Il permet de nourrir un regard critique sur les stratégies de communication politique à grands coups de hashtag. Vous avez, en direct-live, de la contre communication politique72.

                                                                                                               70  Expéditeur : [email protected], obj : ACTION J-10 : Mobilisation générale : François Hollande est l'invité de Des Paroles et Des Actes à partir de 20h35 !, le 26/04/12, Vincent Feltesse  71  Chercheur associé au Laboratoire Communication et Politique (LCP) du CNRS et professeur en sciences de l’information et communication à l’Université Paul Verlaine de Metz.  72  http://owni.fr/2012/03/29/twitter-change-le-marketing-politique/, consulté le 06/06/12

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Le point culminant de cette guerre de hashtags s’est déroulé bien évidemment

lors du débat de l’entre-deux tours. « Pendant le débat de l’entre-deux tours, on

a ainsi enregistré 2 000 tweets par minutes ! 73», peut-on lire sur le blog

d’Erwann Gaucher.

B.  Le  débat  d’entre-­‐deux  tours  sur  Twitter  

1)  Live  fact-­‐checking  du  débat   Au vu de son expansion dans les médias, il était normal que le fact-checking

soit invité au débat de l’entre-deux tours mais là encore uniquement sur le web.

Il n’a pas eu sa place sur les chaînes de télévision refusant l’intervention des

journalistes du débat et même d’un bandeau écrit avec des propos vérifiés au

bas de votre téléviseur. Alors les médias en ligne se sont émancipés des

grandes chaînes et ont compté sur les réseaux sociaux pour faire venir à eux

les citoyens demandeurs de fact-checking dans un débat riche en chiffres. Pas

moins de 137 chiffres ont été brandis par les deux candidats réunis à l’antenne,

tantôt pour défendre ou critiquer le mandat précédent, tantôt pour arguer en

faveur de leurs mesures. Le média Owni a été surpris de cette inflation de

chiffres dans un débat d’entre-deux tours :

Confiants, nous croyions être soumis à de maigres escarmouches statistiques entre François Hollande et Nicolas Sarkozy. Mais le face-à-face des candidats UMP et PS a été un déluge de données sous lequel Laurence Ferrari et David Pujadas sont restés cois. (…) Durant leur temps de parole de 72 minutes et 12 secondes, les candidats ont livré une quantité considérable de chiffres : 92 pour le Président sortant et 45 pour son challenger socialiste, soit un chiffre toutes les 47 secondes pour Nicolas Sarkozy et un toutes les 1 minute et 36 secondes pour François Hollande74.

Nombre de médias ont alimenté leur fil Twitter de déclarations fact-checkées,

beaucoup étaient préparées à l’avance, sachant les habitudes de chacun et les

thèmes présentés. Or, certains médias ne nous ont pas facilité la tâche en

mettant une forme de teasing en 140 caractères ne débouchant pas sur la

réponse que l’on attendait, et il fallait se rendre sur leur site pour enfin en

                                                                                                               73  http://www.erwanngaucher.com/09052012La-presidentielle-s39est-elle-jouee-en-ligne--vrai-ou-faux-,.media?a=897, consulté le 16/05/12  74  http://owni.fr/2012/05/03/veritometre-debat-hollande-sarkozy/, consulté le 10/05/12

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découdre. Les journalistes du Véritomètre étaient eux parés depuis trois mois à

cet exercice ultime et difficile en direct. Sylvain Lapoix était l’un d’eux, il explique

dans une conférence post-élection l’orchestration du débat avec le

Véritomètre et les difficultés auxquelles ils ont été confrontés :

Il y eut la mise en place d’un live fact-checké minute par minute. Il était techniquement possible de le faire en direct à l’antenne. Ça consistait en un live-checking et un flux dans un bandeau. Cette expérience inédite n’a pas été acceptée par les chaînes qui produisaient l’image. TF1 et France Télévisions, les détenteurs des droits d’antenne de l’entre-deux tours, ont refusé l’altération du flux d’images avec du fact-checking à 19h57. Puis, il y eût la proposition d'un site avec le live streaming75 d'i>TELE d'un côté et le fact-checking sur Twitter de l'autre. TF1 et France 2 ont interdit la retransmission en streaming76.

La seconde proposition avait l’avantage de tout rassembler sur une même

interface et que le citoyen n’ait pas à avoir les yeux rivés sur deux écrans. Or,

c’est ce qui a dû se produire.

Laurence Ferrari, qui a animé le débat aux côtés de David Pujadas s’est vu

interrogée par le site du Journal du Dimanche sur ce refus d’altération du flux

d’images avec du fact-checking :

Je trouve préférable que le fact-checking se fasse après, avec un peu de recul et de distance. Je ne suis pas pour introduire de l'interactivité dans cet exercice. Il y a d'autres émissions pour cela. Le débat, c'est la rencontre entre deux candidats et les Français." Avoir une oreillette reliée à une équipe qui travaille derrière vous à vérifier les faits, est-ce imaginable? A ce niveau là d'une campagne électorale, je pars du principe que les candidats s'appuient sur des chiffres dont ils sont sûrs l'un et l'autre, même s'il y a toujours une zone grise entre les deux estimations77.

Le Twitter du Véritomètre a explosé le soir du débat de l’entre deux tours avec

un très grand nombre de retweets et de followers. Le Tweeter du Véritomètre

comptait 2 300 followers au commencement du débat et a atteint 15 000 à sa

                                                                                                               75  Diffusion en direct du débat sur le site d’i>TELE  76  Conférence sur le rôle du fact-checking dans le débat de l’entre-deux tours, la Lunette à Bruxelles, le 8 mai à 19 H, Sylvain Lapoix, Damien Van Achter, etc.  77  http://www.lejdd.fr/Medias/Television/Actualite/Laurence-Ferrari-revient-sur-le-debat-entre-Sarkozy-et-Hollande-interview-508117?from=cover, consulté le 12/05/12  

Page 39: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 37  

fin, donc en quatre heures ! Ces résultats fructueux ont littéralement fait

exploser le trafic d’Owni, le site a même été inaccessible un temps car les

tweets renvoyaient vers des graphiques préétablis. Les tweets reprenaient ce

modèle : hashtag du candidat, déclaration coupée, verdict : correct-incorrect-

imprécis, lien avec la source d’information. Cela a permis d’établir un

classement de la crédibilité.

© Capture d’écran du fil Twitter “LeVeritometre”

© Capture d’écran du fil Twitter “LeVeritometre”

C.  Le  contournement  du  code  électoral     Le 22 avril et le 6 mai à 20 heures, c’est l’heure des plus grandes messes

médiatiques du pays où la France est scotchée devant son téléviseur ou son

poste de radio et retient sa respiration pour connaître le nom de son président.

Pourtant, en 2012 beaucoup de citoyens n’ont pas eu autant de patience et se

sont rués sur le web.

1)  La  loi  de  l’embargo  de  20  heures  

L’embargo de 20 heures renvoie à l’article L.52-2 du Code électoral qui prévoit

qu’«aucun résultat d'élection, partiel ou définitif, ne peut être communiqué au

public […] avant la fermeture du dernier bureau de vote sur le territoire

Page 40: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 38  

métropolitain78». Il oblige les journalistes à ne pas divulguer les résultats partiels

ou finaux du scrutin présidentiel avant 20 heures sous peine d’amende. La

presse française est tenue baillonnée jusqu’à l’heure fatidique de 20 heures où

le visage du nouveau Président est dévoilé au journal télévisé. Cette loi veille à

garantir l’égalité des citoyens, de préserver des rumeurs et de ne pas fausser

l’issue du scrutin. Le fait est que l’horaire de fermeture des bureaux de vote

diffère selon les villes. Les habitants des métropoles disposent de deux heures

de plus que les autres villes pour voter, soit jusque 20 heures. Pour les autres

villes, les bureaux ferment à 18 heures.

Or, divers obstacles viennent compromettre le respect de l’embargo. En premier

lieu, la presse étrangère qui n’est, en théorie, pas tenue de respecter la loi

française peut révéler les résultats des scrutins bien avant 20 heures. Bien que

n’ayant pas les résultats définitifs, les premiers sondages et estimations

permettent de connaître le nom du Président vers 18 heures - 18 heures 30,

même s’il y a bien sûr une marge d’erreur. Le deuxième obstacle vient de

l’Internet, de sa liberté prônée et de la difficulté de le réguler.

Pour cette élection présidentielle qui a fait un bond dans le numérique, pas de

compromis de l’Etat qui a réitéré ses menaces dissuasives et a réaffirmé le

bien-fondé de cette loi. Un dispositif de la Commission des sondages a été

adopté pour empêcher les fuites :

Neuf instituts de sondages79 se sont engagés à ne pas réaliser de

sondage "sortie des urnes" le 22 avril et à respecter un embargo sur les

premières estimations jusqu'à 20 heures. Ils se sont également engagés

à ne pas fournir d'estimations aux médias étrangers. "80

L’amende est de 75 000 euros et peut s’élever jusqu’à l’astronomique somme

de 375 000 euros si la divulgation émane d’entreprises ou de médias. Les

Belges ou les Suisses se trouvant et diffusant depuis le territoire français seront

logés à la même enseigne, apprend-t-on de la part de la Commission des

                                                                                                               78  http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/election-presidentielle-2012/textes-applicables/code-electoral.104274.html, consulté le 12/05/12  79  BVA, CSA, Harris interactive, Ifop, Ipsos, LH2, OpinionWay, TNS Sofres et Via-voice  80  http://lexpansion.lexpress.fr/high-tech/resultats-avant-20h-black-out-des-sondeurs-et-fuites-sur-facebook_291952.html, consulté le 12/05/12

Page 41: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 39  

sondages, dans un article du Point.fr : « À partir du moment où l'information est

diffusée sur le territoire français, l'infraction est constituée. Les médias belges et

suisses sont susceptibles de poursuites. 81»

2.  Un  usage  remis  en  cause  par  le  numérique  

A l’heure du numérique et des réseaux sociaux, on peut s’interroger sur la

légitimité d’une telle législation qualifiée d’archaïque, d’anachronique par de

nombreux médias. Concrètement, comment en effet contrer la force des

réseaux sociaux et de ses millions d’utilisateurs. Me Sabine Lipovetsky, avocate

spécialisée en nouvelles technologies, ne croit pas en une distribution massive

de sanctions :

La menace de la diffusion anticipée des résultats des élections provient (…) principalement des médias étrangers et des utilisateurs de réseaux sociaux. Les internautes sont à cet égard moins menacés de poursuites pénales que les médias. En effet, l’explosion des réseaux sociaux rend la sanction de l’ensemble des actes de diffusion des internautes théorique et démontre que la loi n’est plus adaptée aux nouveaux modes de communication82.

Nicolas Sarkozy a affirmé jeudi 19 avril sur Europe 1 qu’il ne serait pas choqué

par une publication des résultats du 1er tour de l’élection présidentielle,

dimanche avant 20 heures. « On ne va quand même pas faire une frontière

numérique entre la France et tous les autres pays du monde pour interdire les

autres de communiquer avec la France 83», a-t-il déclaré.

De nombreux journalistes se sont insurgés contre cette loi archaïque et désuète

à l’heure du numérique. Une France mise sous cloche le jour des résultats alors

que ses voisins européens peuvent connaître le nom du chef de l’Etat Français

                                                                                                               81 http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/emmanuel-berretta/sondage-les-medias-suisses-et-belges-menaces-de-poursuite-16-04-2012-1451956_52.php, consulté le 12/05/12 82  http://www.journaldunet.com/ebusiness/expert/51443/elections-presidentielles---les-medias-etrangers-et-les-utilisateurs-de-reseaux-sociaux-vont-ils-etre-condamnes.shtml, consulté le 12/05/12

83 http://www.europe1.fr/Politique/Sarkozy-pas-choque-par-des-fuites-avant-20h-1044053/, consulté le 13/05/12

 

Page 42: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 40  

avant eux, semble absurde pour de nombreux médias. Libération.fr a été le

premier média audacieux à afficher sa volonté de défier la loi et « se réserve le

droit » de publier les estimations dès 18 heures 30 mais à plusieurs conditions :

« si l'écart est net et les sources fiables 84», a déclaré Nicolas Demorand, le

directeur de la rédaction.

Erwann Gaucher, consultant chez France Télévisions et fin observateur des

évolutions du numérique en France, explique que les réseaux sociaux

pourraient influer sur le résultat final :

Personne n’a anticipé que les réseaux sociaux pourraient avoir une quelconque influence sur le vote et c’est potentiellement grave. Imaginez ce cas de figure : nous sommes dimanche, il est 18 heures et nous apprenons que Marine Le Pen est devant Nicolas Sarkozy, de quelques dizaines de milliers de voix. Cette information se répandrait comme une trainée de poudre auprès de millions d’internautes en quelques minutes et il resterait deux heures pour aller voter dans les grandes villes. Les sondeurs répondent à cet argument que ça ne toucherait pas suffisamment de monde n’ayant pas encore voté pour changer l’issue du vote. Je rappelle qu’en 2002, l’écart de voix entre Jean-Marie Le Pen et Lionel Jospin était de 198 000 voix. Il y a 28 millions de comptes Facebook en France et 5 millions de comptes Twitter. Je pense qu’aujourd’hui, en deux heures, la puissance des réseaux est telle qu’elle peut mobiliser 200 000 personnes. Si nous étions cette année dans la configuration de 2002, et le sociologue Dominique Caron le pointait aussi dans Libération, cela pourrait fausser le scrutin85.

Me Sabine Lipovetsky, avocate spécialisée en nouvelles technologies évoque

même dans un article du NouvelObs.com, une possible annulation de l’élection

en cas de plainte d’un candidat :

Si les internautes diffusent en masse les résultats avant 20h, on peut imaginer des sympathisants se ruant dans les bureaux de vote pour tenter d'inverser une tendance. D'où une crainte des autorités que "la sincérité du scrutin soit altérée". Un candidat mal placé pourrait ainsi déposer plainte, voire saisir le Conseil constitutionnel pour réclamer l'annulation de l'élection, en particulier si les résultats s'avéraient serrés. « Il faudra toutefois prouver le véritable effet des messages postés, ce

                                                                                                               84  http://www.liberation.fr/depeches/2012/04/21/premieres-estimations-l-interdit-tiendra-t-il-jusqu-a-20h00_813338, consulté le 21/04/12  85  Extrait de l’entretien avec Erwann Gaucher disponible en annexe  

Page 43: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 41  

qui sera compliqué... Mais c'est possible"86.

3.  Le  langage  codé  de  Twitter  

« Le flan est au four, je répète le flan est au four »87. Radio Londres ressuscite

sur Twitter pour fuiter les résultats du scrutin présidentiel en messages codés.

Une ruse savamment orchestrée pour échapper aux sanctions de la

Commission des sondages. La twittosphère a vu fleurir les jours de scrutins

d’innombrables tweets comportant le hashtag #Radio Londres. Les Twittos ont

donc rivalisé d’imagination pour transformer les candidats en couleurs,

symboles et objets divers ; et livrer les pourcentages. #Radio Londres a inondé

Twitter dès 15 heures où les résultats des Dom-Tom filtraient déjà.

A 18 heures, alors que les chaînes de télévisions nous montraient les

personnalités politiques votant dans les bureaux de votes et ne parlaient que du

taux d’abstention, les comptes Twitter livraient déjà les estimations et sondages

de sortie d’urne.

Par « le nain chausse du 26 », vous deviez interpréter : Nicolas Sarkozy obtient

26 % des votes. «Le pédalo avance à 27 nœuds » signifiait que François

Hollande en obtenait, quant à lui, 27%. Ou encore ce joli langage alimentaire ou

ce bulletin météorologique :

© capture d’écran du fil Tweeter de Stéphane Berthelot

                                                                                                               86  http://tempsreel.nouvelobs.com/election-presidentielle-2012/20120413.OBS6093/et-si-la-presidentielle-etait-annulee-a-cause-de-twitter-et-facebook.html, consulté 18/05/12  87  Exemple maintes fois tweeté par les internautes  

Page 44: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 42  

© capture d’écran du fil Twitter de Justin Bridou

Les chaînes belges et suisses entonnaient dès 16 heures leurs émissions, dont

une grande part d’audience sera évidemment française :

A partir de 16h sur Internet, les médias belges et suisses se faisaient l'échos de ces rumeurs, en y apportant leur crédibilité journalistique. A 17h, la RTBF commençait son émission spéciale, en direct depuis l'ambassade de Belgique à Paris. Malgré la promesse faite par les chaînes de télévision et les instituts de sondage de ne pas communiquer de résultats, ces médias étrangers ont eu accès à des enquêtes datées d'aujourd'hui88.

Quant au site de Libération.fr, il a fait volte-face et n’a pas honoré son rendez-

vous à 18 heures 30 pour l’annonce précoce des résultats. Le quotidien a

néanmoins livré une justification liée à l’amende encourue trop disuasive. A

18h47, Nicolas Demorand, abrège le suspens :

Le risque encouru est au minimum de 375 000 euros pour une entreprise de presse, sans parler d'autres conséquences économiques, réelles et sérieuses, qui fragiliseraient Libération. L'ensemble de ces sommes nous semble disproportionné par rapport à l'intérêt d'une information rendue publique à 20h89.

En revanche, il en est une qui a brisé l’embargo, c’est l’Agence France Presse

(AFP) qui, à 18 heures 17, a envoyé les estimations à ses abonnés. Précisant,

par ailleurs, qu’elle endossait la responsabilité de la diffusion de ces chiffres. Le

PDG de l’Agence France Presse, Emmanuel Hoog en a expliqué les raisons,

relatées dans le Figaro.fr :

                                                                                                               88  http://archives.lesechos.fr/archives/2012/lesechos.fr/04/22/0202024491823.htm, consulté le 16/05/12 89  http://www.liberation.fr/politiques/2012/04/22/nous-vous-avions-donne-rendez-vous-a-18h30_813475, consulté le 23/04/12  

Page 45: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 43  

L'AFP est internationale et française. Comment imaginer que nos clients puissent recevoir de nos concurrents internationaux des informations sur l'élection présidentielle française avant d'être informés par l'AFP (...) faire autrement serait un non-sens journalistique90.

Quelques sanctions exemplaires sont tombées à la suite de la propagation des

résultats. Un bien mince filet comparativement au tsunami de fuites :

A 19h46, la Commission des sondages annonce que le parquet a été saisi de la publication anticipée des résultats. 'Des médias et des particuliers' sont concernés explique-t-elle laconiquement aux Echos. Il s'agit de l'AFP, de deux médias belges, d'un média suisse, d'un journaliste belge qui aurait donné les résultats sur Twitter et du blog Résultats201291.

                                                                                                               90  http://elections.lefigaro.fr/flash-presidentielle/2012/04/23/97006-20120423FILWWW00419-enquetesur-la-diffusion-des-resultats.php, consulté le 10/05/12  91  http://archives.lesechos.fr/archives/2012/lesechos.fr/04/22/0202024491823.htm, consulté le 14/05/12

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 44  

 III)  Echecs  et  victoires  de  la  campagne  numérique  de  2012  

 A.  Les  failles  numériques  des  candidats  

Malgré leurs efforts de présence et de visibilité tous azimuts sur les sites de

campagne, les web TV et web Radio personnelles, les réseaux sociaux… les

candidats à la présidentielle n’affichent pas grand succès. D’ailleurs, le

responsable de la campagne numérique de François Hollande et le

communicant en chef de Nicolas Sarkozy ne se faisaient guère d’illusions : le

premier a déclaré : « Ce n'est pas en consultant le web que les Français vont

changer leur intention de vote », le second n’est pas plus optimiste : « la vraie

révolution, ce n'est pas Internet, mais la TNT ». A qui la faute ? Peut-être au

maigre budget consacré au numérique, à la campagne d’affichage et sans

interaction sur le web, aux sites trop partisans, à la non-maîtrise des codes de

l’Internet ou encore à l’absence d’un débat 2.0…

1)  Une  campagne  d’affichage  sur  le  web  et  un  maigre  budget  

Interactive, la campagne web des candidats ne l’est assurément pas. Nous

avons assisté à l’étalage de leurs succès, de leurs agendas, de leurs meetings

sans pouvoir leur glisser une question. Pas même sur les réseaux sociaux

pourtant calibrés pour l’interaction. Ceux-ci leur ont surtout servi à l’observation

de l’opinion : combien de followers sur Twitter, de fans sur Facebook les

suivent ; combien de comptes et de pages les plagient ; comment s’organisent

leurs adversaires ; qui a gagné la guerre des hashtags pour telle émission...

Des indicateurs, certes intéressants pour les candidats, mais l’internaute peut

se sentir frustré de se voir adresser des messages à sens unique. Erwann

Gaucher voit dans les activités numériques des candidats, un simple

changement de terrain :

Il y a trente ans, les équipes de campagne se battaient lors de la

distribution de tracts, du collage d’affiches et à la sortie des meetings.

Maintenant, ils se chambrent sur le web. Je ne pense pas que qui que

ce soit ait changé d’avis ou d’intention de vote en fonction de ce que les

équipes de campagne ont fait sur le web. Par contre, c’est un très bon

outil de mobilisation des militants et partisans, pour faire passer un

message dans la journée partout en France.

Page 47: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 45  

Dans un article intitulé « Twitter : gadget électoral ou outil de démocratie

numérique », Le Monde.fr observe une communication verticale des élus vers le

peuple déniant l’égalité supposée sur les réseaux sociaux :

Habitués qu'ils sont de décennies de media training 92 et de communication télévisuelle, leur conception du Web est encore très "1.0", dans une logique "top-down"93 qui passe par la délivrance d'un message en faisant l'impasse sur toute interaction avec les autres. Autrement dit, leur communication demeure très verticale sur un outil horizontal94.

Cette communication verticale et hiérarchique s’explique aussi par une non-

maîtrise des codes de l’Internet. Ceci amène les candidats à se tourner vers les

médias traditionnels qu’ils maîtrisent à merveille. Erwann Gaucher analyse ce

choix :

François Hollande et Marine Le Pen ne connaissent pas les codes du web et ne savent pas comment se comporter face à ce média. Par contre, ils connaissent par cœur les codes des médias traditionnels et restent sur du rapport investissement/rentabilité. Il vaut mieux se rendre dans les médias où l’on est à l’aise et où l’on touche encore la masse de la population plutôt que de se mettre en danger dans un média que l’on connaît peu95.

Le 1er août, le dossier des dépenses pour la campagne présidentielle paraît et

permet de mettre en évidence la part du budget dédiée au numérique.

Nicolas Sarkozy s’est avéré être le plus dépensier en ayant consacré la somme

de 1 331 846 aux « sites internet et services télématiques ». Petit passage en

revue relevés par Erwann Gaucher des contenus web investis par Nicolas

Sarkozy et son équipe de campagne : les deux réseaux sociaux mondiaux

Facebook et Twitter ; les communautés vidéo Dailymotion et You Tube, les sites

d’écoute Deezer et SoudCloud; les sites de partage de photos Flick’r et

                                                                                                               92  Le media training sont des cours pour apprendre comment communiquer avec les médias.  93  La communication « top down » fait écho à une hiérarchie supposée entre un élu et le citoyen. Elle s’oppose à la communication horizontale où tout le monde s’exprime sur un même pied d’égalité.  94  http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/03/01/twitter-gadget-electoral-ou-outil-de-democratie-numerique_1650057_3232.html#xtor=AL-32280258, consulté le 14/05/12 95  Extrait d’entretien avec Erwann Gaucher disponible en annexe  

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 46  

Instagram, et enfin le site de géolocalisation Foursquare96. La gestion de ces

contenus est évidemment déléguée à des administrateurs chargés de poster

des photos, répondre aux messages… Même si pour tout internaute,

l’inscription à Facebook est gratuite, Nicolas Sarkozy a confié la mise en ligne

de sa parfaite timeline -constituant une mini biographie- à l’agence de

renommée mondiale Emakina, spécialisée dans le marketing et le numérique.

François Hollande se classe, quant à lui, à la 4ème position devancé par Jean-

Luc Mélenchon et François Bayrou.

Pour avoir une vision juste de l’ampleur du poste de dépense numérique, il faut

ramener cette somme au budget total de campagne de chaque candidat. Ainsi,

François Bayrou a été celui qui a le plus cru en la force du numérique, au vu du

pourcentage de son budget (8,6 %) de campagne consacré au numérique.

François Hollande affiche un taux très bas de 2,5% et Nicolas Sarkozy, 6,2 %.

© http://www.flickr.com/photos/78900399@N08/7690098056/

                                                                                                               96  http://www.erwanngaucher.com/26022012Nicolas-Sarkozy-20.media?a=824, consulté le 18/04/12  

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 47  

© http://www.flickr.com/photos/78900399@N08/7689800622/

Les dix candidats à la Présidence ont donc, au total, dépensé 3 557 349 euros

pour la facette numérique de leur campagne. Ce qui représente globalement

4,79 % de ce qu’a coûté l’élection présidentielle ; 74 158 256 euros au total.

Un journaliste de Télérama endosse le temps d’un article le rôle d’un candidat et

évoque les sommes affectées au numérique. Il ose une comparaison avec

Barack Obama : « Tous mes adversaires veulent faire comme Barack Obama.

Mais face à son milliard de dollars de fonds de campagne, dont un tiers pour le

numérique, on a tous l'air de Minitel face à un supercalculateur de la Nasa97 ».

2)  Le  flop  des  sites  de  campagne  

Chacun des candidats a évidemment créé un site de campagne, voire plusieurs,

affichant leurs mesures, leurs promesses, leurs agendas. Les chiffres de

fréquentation montre le manque d’attrait pour les internautes de ces sites de

campagne, ce que pointe LeNouvelObs.com:

Rien d'étonnant aux chiffres médiocres des sites de campagne des candidats : environ 650.000 visiteurs uniques par mois pour francoishollande.fr, 330.000 pour lafranceforte.fr, site de Nicolas

                                                                                                               97  http://www.telerama.fr/medias/tweetez-pour-moi-ma-campagne-sur-le-net,78654.php, consulté le 05/07/12

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Sarkozy, 220.000 pour bayrou.fr, 18.000 pour marinelepen2012.fr98.

Encadrés par des professionnels de la communication et des médias, François

Hollande et Nicolas Sarkozy, ont créé leur propre programme à un moment clé

de la campagne. Alors que le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel obligeait les

médias traditionnels à une stricte répartition et égalité du temps de parole dès le

19 mars, les deux principaux candidats se sont tournés vers l’Internet libre qui

échappe au CSA. Une opportunité pour eux de lancer leur programme

divulguant leurs bonnes paroles, mais là encore ils ont fait un flop car ils ont été

vite catégorisés comme partisans et ne laissaient pas assez la parole aux

citoyens.

La Web radio baptisée Radio Hollande a été diffusée durant une heure et demi

quotidiennement et en direct sur le site de François Hollande. Conçue comme

une émission classique, Radio Hollande est présentée par un ancien d’Europe 1

et un animateur de Skyrock. Une originalité à noter : la séquence « Allo

François » dans laquelle ont été diffusées des questions d’internautes

enregistrées sur un répondeur, auxquelles ont répondu des experts, des

socialistes… « La critique du bilan de Nicolas Sarkozy est omniprésente »,

selon le Figaro.fr99 . « Pour son premier numéro, la Webradio de François

Hollande n’a pas dépassé le cap symbolique des 1 000 auditeurs », toujours

d’après le quotidien.

L’UMP a donc riposté avec un petit programme appelé « les Experts »

retransmise sur son site Lafranceforte.fr. Quotidiennement, un élu –expert dans

un domaine- de la famille UMP analysait un thème de campagne et parlait

autour des propositions du président-candidat. Avec deux minutes par thème, le

format s’exportait aisément sur les réseaux sociaux.

Jean-Luc Mélenchon, quant à lui, a rivalisé d’imagination en lançant une Web-

série ambitieuse. « Le dernier épisode, consacré à la « prise la Bastille » du 18

mars, a été visionné plus de 20.000 fois sur Dailymotion en deux jours. Un

                                                                                                               98  http://tempsreel.nouvelobs.com/presidentielle-la-bataille-du-web/20120504.OBS4713/la-campagne-web-2012-n-a-pas-tenu-ses-promesses.html, consulté le 18/05/12  99  http://elections.lefigaro.fr/presidentielle-2012/2012/03/28/01039-20120328ARTFIG00576-le-web-astuce-des-politiques-pour-plus-de-temps-de-parole.php, consulté le 08/06/12  

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 49  

score élevé par rapport aux vidéos des autres candidats », rapporte Le

Figaro.fr.

3.  L’absence  d’un  débat  2.0  

Le 5 avril 2012, un agrégat100 de médias se réveillait enfin en proposant un

débat sur le web aux dix candidats autour d’un même plateau. Le rendez-vous

devait être diffusé en direct et même en vidéo. Les candidats auraient pu ainsi

se livrer à des matchs virtuels sans contrainte de durée. Les questions devaient

être posées à la fois par les journalistes et les citoyens connectés qui, grâce à

un dispositif spécial sur les réseaux sociaux, pouvaient interroger leurs

candidats. Le jour même de l’annonce sur leurs sites, Dailymotion, Le Lab101

d’Europe 1, Yahoo, LeNouvelObs.com et LeParisien.fr lançaient l’assaut pour

convaincre les candidats de débattre non seulement à dix, mais également avec

les internautes. Un vrai débat participatif avec des politiques seuls face à leur

clavier. Une initiative d’autant plus intéressante qu’elle fut lancée quand le CSA

a contraint les médias traditionnels à une stricte égalité du temps de parole.

« Des paroles et des actes » avaient dû renoncer à convier les dix candidats

pour une même émission, mais sur le web, un tel dispositif semble plus facile à

réaliser et plus libre.

Cependant, l’exercice est périlleux puisque le hors-sujet et la langue de bois

n’auraient pas leur place et seraient vite repérés par un citoyen qui ne

manquerait pas d’interpeller le politique. Les candidats auraient l’exigence

d’abréger leurs longues tirades audibles uniquement à la télévision ou à la

radio.

L’agrégat de médias a reçu six « oui » et un « non » des candidats en réponse à

leurs interpellations. Ils diffusaient le jour-même –le 5 avril- leurs invitations

directement. La plupart d’entre eux s’enthousiasmait de l’organisation de ce

débat. François Bayrou, Nicolas Dupont Aignan et Jacques Cheminade ont

répondu « Oui » sur Twitter. Philippe Poutou, Eva Joly et Marine Le Pen,

interrogés sur Europe 1 sur leurs intentions de participer au débat sur le web,

disaient un grand « Oui » à leur tour. Seul Nicolas Sarkozy a décliné l’invitation

le 8 avril dans une interview au Journal du Dimanche, déclarant ne pas

souhaiter débattre avant le premier tour. « Le président de la République pointe                                                                                                                100  Un ensemble de médias  101  Pure player crée par la radio Europe 1  

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 50  

la difficile organisation d’un tel débat et le fait que ce n’est pas d’usage en

France 102», indique lelab.europe1.fr.

L’initiative proposée d’un débat de dix candidats sur le web a donc été avortée.

François Hollande et Jean-Luc Mélenchon ne semblaient pas avoir daigné

répondre puisqu’ils ne sont pas mentionnés dans l’article du Lab.

 B.  Une  opportunité  pour  les  médias  en  ligne  

1)  Forte  fréquentation  les  jours  de  scrutin  

L'OJD Numérique, en charge de la publication de la fréquentation des sites

Internet et Applications Mobile, a publié un classement des 20 premiers sites

Internet d’actualité et information ayant enregistré une fréquentation record lors

du second tour de l’élection présidentielle, le 6 mai103. A titre comparatif, l’OJD

Numérique nous indique la progression du taux de fréquentation par rapport au

29 avril.

                                                                                                               102  http://lelab.europe1.fr/t/candidats-que-diriez-vous-d-organiser-ledebat-1722/6807, consulté le 16/04/12  103  http://www.lesblogsmedias.fr/wp-content/uploads/2012/05/CP-OJD-SPECIAL-PRESIDENTIELLE-2012.pdf, consulté le 08/06/12  

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 51  

© http://www.lesblogsmedias.fr/wp-content/uploads/2012/05/CP-OJD-SPECIAL-PRESIDENTIELLE-2012.pdf

On peut observer que les deux seuls pure players ayant leur place dans ce

classement sont Rue 89 et le Huffingtonpost.

En 2007, l’OJD Numérique publiait un classement de « 12 sites majeurs

d’information qu’il cerficie ». Dans ce tableau, on peut observer la progression

de la fréquentation du 6 mai mise en parallèle avec celle du 29 avril.

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 52  

© http://www.ojd-internet.com/article/actualites,elections-presidentielles-frequentation-exceptionnelle-des-sites-internet-d-information

D’après ces deux tableaux, on peut remarquer que l’OJD Numérique a élargi le

nombre de sites d’information et que le nombre de visites a augmenté,

probablement parce que l’usage d’Internet s’est démocratisé et parce que les

sites d’information sont devenus une source d’information importante pour les

Français et se crédibilisent.

2.  Un  regain  de  confiance  du  citoyen  

A travers les projets entrepris et les évolutions journalistes qu’a vu naître la

campagne présidentielle, les médias ont cherché à être au plus près des

citoyens et à se crédibiliser à leurs yeux. La volonté de montrer la campagne

autrement, à travers les bribes de vie rencontrées par le plus pur hasard à la

campagne ou en ville, le prouve. Il y a eu une place importante attribuée aux

réseaux sociaux, au direct et au débat dans les dispositifs numériques de

campagne.

L’ère du fact-checking étroitement mêlée au crowd-sourcing a aussi permis au

citoyen d’avoir un regard et même des critiques, qu’il pouvait faire prévaloir

auprès des journalistes. Le lien renoué entre citoyens et médias a peut-être été

l’une des victoires de cette campagne présidentielle. Même s’ils n’ont pas eu la

Page 55: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 53  

proximité escomptée avec les candidats, les médias leur ont parfois cédé le

micro. Marianne 2 a décelé dans un article cette tentative de reconquête de la

légitimité journalistique :

A l’heure où le public se méfie des journalistes et des politiques, les émissions doivent renouveler le format plan-plan des débats façon Elkabbach contre Marchais. Ayant perdu son prestige intellectuel, le journaliste doit chercher ailleurs sa légitimité en se faisant le porte-parole du « Français lambda ». Le Web a accéléré et facilité cette interaction avec le public. Mais surtout il n’aide pas seulement au débat lui-même mais crée aussi un débat sur le débat, une caisse de résonnance pour l’émission. Chacun derrière son écran ou son smartphone commente l’émission, discute avec ses amis virtuels, corrige les déclarations des politiques, tacle les mauvaises questions des journalistes104.

Peu avant la présidentielle, Newsring a fait son apparition sur la Toile. Il s’agit

d’un pure player exclusivement réservé aux débats auxquels tout le monde peut

prendre part sous réserve de décliner son identité. Les internautes ayant un

compte sur Newsring peuvent voter pour donner leur avis sur un débat, ainsi

que poster leurs arguments ou réactions sur le site. Ils peuvent également

indiquer s’ils sont d’accord ou non avec les arguments déployés. Des extraits

d’opinions de quelques internautes nous éclairerons sur ce sujet qui les

concerne directement : le fact-checking peut-il restaurer la crédibilité des

médias105 ?

© http://www.newsring.fr/medias-tech/276-le-fact-checking-peut-il-restaurer-la-credibilite-des-medias

                                                                                                               104  http://www.marianne2.fr/Web-les-candidats-veulent-debattre-sauf-Sarkozy-et-Hollande_a216882.html, consulté le 18/05/12  105  http://www.newsring.fr/medias-tech/276-le-fact-checking-peut-il-restaurer-la-credibilite-des-medias, consulté le 22/05/12  

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 54  

© http://www.newsring.fr/medias-tech/276-le-fact-checking-peut-il-restaurer-la-credibilite-des-medias/3722-le-fact-checking-est-aussi-outil-citoyen-pour-checker-les-medias

Le fact-checking, ce n'est pas juste une nouvelle technique journalistique ! Son aspect le plus intéressant, et le plus disruptif, est son appropriation directe par les citoyens. Citons par exemple FactCheck.org, très lié à l'université de Pennsylvanie. On y trouve de nombreux anciens journalistes, mais le projet dépend d'une fondation, pas d'un journal. Plus près d'ici, la Vigie 2012 regroupe une cinquantaine de bénévoles qui décryptent les propos européens de tous les candidats à la présidentielle [disclaimer : je suis président de l'association gérant le projet]. Et analyse la couverture des journaux sur les sujets européens, avec des classements mensuels des quotidiens traitant le plus les sujets européens. Ainsi, le fact-checking peut 'checker' les médias, et pas simplement les politiques106.

©  http://www.newsring.fr/medias-tech/276-le-fact-checking-peut-il-restaurer-la-credibilite-des-medias/4057-le-fact-checking-comme-volet-necessaire-du-role-de-contre-pouvoir-des-medias

Le fact-checking est l'une des composantes du rôle de contre-pouvoir des médias en démocratie. Il était logique qu'il émerge dans les contextes anglo-saxons où cette notion de contre-pouvoir est inscrite historiquement et culturellement comme composante nécessaire de la démocratie (1er amendement), Il s'impose à un moment précis où l'évolution des modèles économiques met sous tension les rédactions dont les effectifs vont décroissant. (…) En politique, le Fact checking c'est la réponse nécessaire à une communication dévorante qui voit un candidat socialiste vouloir produire lui-même ses images de télévision, comme l'avait fait en 2007 l'actuel président de la République. Il paraît logique que dans son évolution le fact checking fasse contribuer le

                                                                                                               106  http://www.newsring.fr/medias-tech/276-le-fact-checking-peut-il-restaurer-la-credibilite-des-medias, consulté le 22/05/12  

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 55  

public, celui qui peut apporter expertise ou témoignage, sachant qu'en dernier ressort la main reste à la rédaction, en l'occurrence son équipe de fact-checkers107.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                               107  http://www.newsring.fr/medias-tech/276-le-fact-checking-peut-il-restaurer-la-credibilite-des-medias, consulté le 22/05/12  

Page 58: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 56  

Conclusion  : A travers ce Travail de fin d’Etude, nous avons tenté de savoir si la

campagne présidentielle française de 2012 s’était jouée sur le web. Une

interrogation qui n’aura pas de réponse figée étant donné que l’échéance

présidentielle est à peine franchie et que les spécialistes du web continuent de

débattre sur le sujet. De nombreux journalistes se sont livrés à des essais

d’articles en concluant que cette campagne était une désillusion du point de vue

numérique car l’Internet n’avait pas modifié les intentions de vote et que les

candidats ne se sont pas impliqués à la manière de Barack Obama, le prodige

du web. Néanmoins, il faut souligner les avancées numériques, car il y en a eu

depuis la campagne de 2007, où la place du web était quasi-inexistante. J’ai

ainsi choisi de scinder ce Travail de Fin d’Etude en trois grands chapitres.

Le premier était consacré aux innovations dont les médias en ligne ont fait

preuve pour couvrir la présidentielle. Deux évolutions journalistiques étaient

mises en évidence : le prisme local adopté par deux poids lourds du paysage

médiatique français et le fact-checking. Ceux-ci mettent en évidence

l’implication et le regard des citoyens auxquels les journalistes prêtent de plus

en plus attention. Avoir un prisme local permet donc d’être concret, de palper

les préoccupations des citoyens ; alors qu’ils prennent leur destin en main en

élisant un nouveau président.

Les réseaux sociaux ont également eu une place de choix dans cette

campagne. La seconde partie était donc consacrée à leur rôle. Twitter s’est

illustré dans la campagne présidentielle comme un terrain de militance active où

l’on soutien son candidat à coup de hashtags. Il devenait un lieu de débat lors

des émissions télévisées où les internautes commentaient en temps réel les

arguments de chacun. Le web a également brillé dans l’analyse des discours

des candidats La démonstration s’est faite avec le Véritomètre dont le but était

de corriger les contre-vérités des hommes politiques. Une vérification secondée

par le citoyen appelé à manier lui-même l’outil.

Un troisième chapitre venait amorcer une réponse à la problématique posée.

Sans vouloir être dichotomique, il semble que les candidats aient une part de

responsabilité dans l’échec de cette campagne numérique. J’ai donc choisi de

pointer ce qui fait défaut à cette campagne. Je me suis largement inspirée des

réponses des entretiens réalisés. Elles pointaient unanimement les failles des

Page 59: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 57  

candidats telles que le manque de connaissance des codes numériques,

l’absence d’un débat sur la Toile, la campagne d’affichage privilégiée au

dialogue avec les internautes. Au contraire, côté médias j’ai décelé une timide

victoire : quelques indicateur objectifs permettaient d’observer un regain de

confiance entre les journalistes et les citoyens, ou du moins une quête de

légitimité de la part des médias. Difficile d’estimer la satisfaction ou

l’insatisfaction des citoyens pour la couverture de cette campagne, alors j’ai

décidé de recourir à des chiffres de fréquentation et arguments de débat.

Page 60: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 58  

Bibliographie  :   Sites Internet :  Site  de  TERRA  NOVA  http://www.tnova.fr/essai/moderniser-la-vie-politique-innovations-am-ricaines-le-ons-pour-la-france, consulté le 15/05/12, consulté le 15/05/12

Site  de  MARIANNE  2  http://www.marianne2.fr/Sur-le-web-Sarkozy-prepare-2012-en-copiant-Obama_a174441.html, consulté le 20/04/12, consulté le 20/04/12

Site  du  MONDE  http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2008/06/16/internet-l-incontournable-outil-de-la-campagne-americaine_1058963_3222.html, consulté le 21/04/12

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Site  du  MONDE  http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2011/05/15/le-monde-lance-une-redaction-bi-media-pour-la-presidentielle_1522354_3236.html, consulté le 04/03/12  

Site  de  RFI  http://atelier.rfi.fr/profiles/blogs/presidentielle-2012, consulté le

04/03/12

Site  du  MONDE  http://programmes.lemonde.fr/, consulté 14/04/12

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Site du MONDE decodeurs.blog.lemonde.fr/2012/04/12/ivg-quand-marine-le-pen-noircit-le-tableau/, consulté le 16/04/12

Site  de  LIBERATION  http://www.liberation.fr/societe/2012/04/17/marine-le-pen-et-livg-les-feministes-lui-disent-merci_812258, consulté le 16/04/12

Page 61: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 59  

Site  de  FRANCE  TV  http://www.francetv.fr/2012/maintenant-cest-lheure-de-vous-remerci-e-r-159889, consulté le 1/08/12

Blog  d’Erwann  Gaucher  http://www.erwanngaucher.com/12042012France-Televisions-et-Facebook-organisent-le-debat-des-candidats-agrave-la-presidentielle.media?a=864, consulté le 20/04/12

Blog  d’Erwann  Gaucher  http://www.erwanngaucher.com/16112011Bruno-Patino--Aujourd39hui--personne-n39informe-comme-cela-dans-le-monde.media?a=751, consulté 20/04/12

Blog  d’Erwann  Gaucher  http://www.erwanngaucher.com/16112011Bruno-Patino--Aujourd39hui--personne-n39informe-comme-cela-dans-le-monde.media?a=751, consulté 20/04/12

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Site  de  TELERAMA  http://www.telerama.fr/medias/les-pure-players-ou-le-pari-de-la-presse-en-ligne,74902.php, consulté le 20/03/12

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Site  du  VIF  http://www.levif.be/info/actualite/technologie/le-fact-checking-un-bouclier-contre-les-mensonges-des-politiques/article-4000047971084.htm, consulté le 27/04/12 Site  de  OWNI  http://itele.owni.fr/#!/fiche/nombre-de-personnes-ayant-acquis-la-nationalite-francaise/, consulté le 14/04/12

Site  du  JOURNAL  DU  DIMANCHE    http://www.lejdd.fr/Election-presidentielle-

2012/Actualite/Les-twitt-interview-de-Francois-Bayrou-une-image-de-modernite-

435025, consulté le 10/07/12  

 

Site  de  OWNI  http://owni.fr/2012/03/29/twitter-change-le-marketing-politique/,

consulté le 06/06/12  

 

Site  de  OWNI  http://owni.fr/2012/05/03/veritometre-debat-hollande-sarkozy/, consulté le 10/05/12

Page 62: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 60  

Site  du  JOURNAL  DU  DIMANCHE      http://www.lejdd.fr/Medias/Television/Actualite/Laurence-Ferrari-revient-sur-le-debat-entre-Sarkozy-et-Hollande-interview-508117?from=cover, consulté le 12/05/12

Site  du  CONSEIL  CONSTITIONNEL http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/election-presidentielle-2012/textes-applicables/code-electoral.104274.html, consulté le 12/05/12    

Site  de  l’EXPANSION  http://lexpansion.lexpress.fr/high-tech/resultats-avant-20h-black-out-des-sondeurs-et-fuites-sur-facebook_291952.html, consulté le 12/05/12    

Site  du  POINT  http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/emmanuel-berretta/sondage-les-medias-suisses-et-belges-menaces-de-poursuite-16-04-2012-1451956_52.php, consulté le 12/05/12

Site  LE  FIGARO  http://elections.lefigaro.fr/flash-presidentielle/2012/04/23/97006-20120423FILWWW00419-enquetesur-la-diffusion-des-resultats.php, consulté le 10/05/12

Site  du  JOURNAL  DU  NET  http://www.journaldunet.com/ebusiness/expert/51443/elections-presidentielles---les-medias-etrangers-et-les-utilisateurs-de-reseaux-sociaux-vont-ils-etre-condamnes.shtml, consulté le 12/05/12

Site  de  EUROPE  1  http://www.europe1.fr/Politique/Sarkozy-pas-choque-par-des-fuites-avant-20h-1044053/, consulté le 13/05/12    

Site  de  LIBERATION  http://www.liberation.fr/depeches/2012/04/21/premieres-estimations-l-interdit-tiendra-t-il-jusqu-a-20h00_813338, consulté le 21/04/12    

Site  du  NOUVEL  OBSERVATEUR  http://tempsreel.nouvelobs.com/election-presidentielle-2012/20120413.OBS6093/et-si-la-presidentielle-etait-annulee-a-cause-de-twitter-et-facebook.html, consulté 18/05/12    

Site  des  ECHOS  http://archives.lesechos.fr/archives/2012/lesechos.fr/04/22/0202024491823.htm, consulté le 16/05/12    

Site  de  LIBERATION  http://www.liberation.fr/politiques/2012/04/22/nous-vous-avions-donne-rendez-vous-a-18h30_813475, consulté le 23/04/12

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 61  

Site  des  ECHOS  http://archives.lesechos.fr/archives/2012/lesechos.fr/04/22/0202024491823.htm, consulté le 14/05/12    

Site  du  MONDE  http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/03/01/twitter-gadget-electoral-ou-outil-de-democratie-numerique_1650057_3232.html#xtor=AL-32280258, consulté le 14/05/12

Blog  d’Erwann  Gaucher  http://www.erwanngaucher.com/26022012Nicolas-Sarkozy-20.media?a=824, consulté le 18/04/12    

Site  de  TELERAMA  http://www.telerama.fr/medias/tweetez-pour-moi-ma-campagne-sur-le-net,78654.php, consulté le 05/07/12    

Site  du  NOUVEL  OBSERVATEUR  http://tempsreel.nouvelobs.com/presidentielle-la-bataille-du-web/20120504.OBS4713/la-campagne-web-2012-n-a-pas-tenu-ses-promesses.html, consulté le 18/05/12

Site du FIGARO http://elections.lefigaro.fr/presidentielle-2012/2012/03/28/01039-20120328ARTFIG00576-le-web-astuce-des-politiques-pour-plus-de-temps-de-parole.php, consulté le 08/06/12

Site  de  OJD  Numérique http://www.lesblogsmedias.fr/wp-content/uploads/2012/05/CP-OJD-SPECIAL-PRESIDENTIELLE-2012.pdf Site  de  OJD  Numérique http://www.ojd-internet.com/article/actualites,elections-presidentielles-frequentation-exceptionnelle-des-sites-internet-d-information, consulté le 03/07/12

Site  de  NEWSRING  http://www.newsring.fr/medias-tech/276-le-fact-checking-peut-il-restaurer-la-credibilite-des-medias, consulté le 22/05/1 Conférence : Conférence sur le rôle du fact-checking dans le débat de l’entre-deux tours, la Lunette à Bruxelles, le 8 mai à 19 H, Sylvain Lapoix, Damien Van Achter, etc.  

Vidéo : http://www.youtube.com/watch?v=h4t5YsljYAY, consultée le 23/05/12

Email : Expéditeur : [email protected], obj : ACTION J-10 :

Mobilisation générale : François Hollande est l'invité de Des Paroles et Des

Actes à partir de 20h35 !, le 26/04/12, Vincent Feltesse

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 62  

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 63  

Dimanche 8 avril 2012, via Skype

 

Antonin Sabot est journaliste au Monde.fr depuis 2009. Dans le cadre de cette

année présidentielle, il a quitté Paris pour Mézères en Auvergne afin de

travailler sur le projet « Une année en France ».

De quels dispositifs s’est doté Le Monde pour la couverture de cette

campagne présidentielle ? Quelles innovations numériques ont été mises

en place ?

La rumeur affirmant que la campagne présidentielle française allait peut-être se

jouer sur Internet ou du moins en temps réel s’est répandue très rapidement. Le

Monde s’est donc mis en ordre de bataille dès juin 2011. Les services politiques

des supports papier et web, auparavant distincts, ont été fusionnés pour créer

une newsroom bi-média regroupant des journalistes web et papier. La

newsroom était divisée en différentes sections pour une couverture optimale de

la campagne présidentielle. Un desk, principalement occupé par les anciens du

web, devait traiter rapidement le tout venant et les dépêches. Parmi eux, s’est

créé un dispositif particulier de live permanent politique : les journalistes

commentent l’actualité politique en temps réel et doivent gérer l’interaction avec

les internautes susceptibles de les interpeller et les interroger à tout moment.

Les « rubricarts » fonctionnaient comme dans une rédaction papier, ils

assuraient chacun le suivi d’un parti politique… Une équipe s’occupait du

décryptage, du fact-checking qui consistait à traiter le journalisme de données,

la vérification des discours politiques... Quelques applications étaient proposées

aux lecteurs pour les aider à comprendre la campagne : le comparateur de

programmes pour les dix candidats, l’explorateur de discours, le comparateur de

sondages. Le Monde.fr proposait encore un quizz par thématique pour voir quel

candidat proposait les idées les plus proches de vos réponses. Nous voulions

aussi montrer une autre vision de la campagne présidentielle, une vision à

hauteur d’hommes. Nous avons pris le pouls des Français dans huit villes de

France pour connaître leurs modes de vie et la façon dont ils avaient vécu cette

élection. J’ai pris part au projet « une année en France » avec sept autres

journalistes en gérant un blog sur le village de Mézères appelé « la récolte

d’après » pour une période d’un an.

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 64  

Comment a germé le projet « une année en France » qui vous occupe en

ce moment ? Qui est à l’initiative du projet et en quoi consiste-t-il ? Le projet de reportage d’immersion qui m’occupe aujourd’hui a germé à l’été

2010. Il n’a pas été conçu en prévision de cette échéance présidentielle de

prime abord mais pour occuper la période estivale. Chaque été, les journalistes

présents dans les rédactions web et papier du Monde doivent trouver des idées

pour égayer une période pauvre en actualité avec des séries d’été et des sujets

légers. Pour l’été de 2010, l’idée était de mobiliser des journalistes pour des

blogs de reportage axés sur la thématique de la frontière. Quand il y a eu cet

appel d’offre, j’ai proposé de passer trois semaines en été dans un village à la

campagne pour parler des agriculteurs et de la vie du village. Après quelques

péripéties, mon idée a été acceptée à la condition de la lier à la thématique de

la frontière sélectionnée cette année-là pour les blogs. Une autre journaliste

souhaitait s’installer à la Courneuve, en banlieue parisienne. Notre idée

commune était de parler d’un quotidien dont on ne parle pas d’habitude et qui

subit des clichés. Nous avons donc créé la frontière ville/campagne. J’ai passé

tout l’été dans le village de Mézères en Auvergne et j’y suis retourné en hiver

pour continuer mon travail de reporter local. Puis, mon CDI s’est terminé et j’ai

quitté un temps Le Monde. Pendant mon absence on a proposé l’idée de

prolonger le projet et de l’élargir. Le directeur adjoint des rédactions en charge

du rapprochement des rédactions web et papier récemment nommé, Serge

Michel, était attiré par les blogs de proximité. Des conjonctions ont fait que le

projet « Une année en France » était mûr. Deux blogs locaux existaient déjà,

Serge Michel croyait en cette initiative de blog local et Boris Razon, rédacteur

en chef du Monde.fr cherchait une manière de traiter la campagne de manière

inhabituelle. Le Monde allait poser ses valises pendant un an dans huit villes et

villages. Après deux saisons à Mézères, l’aventure a recommencé pour moi dès

la fin juin et se prolongera jusqu’aux législatives.

Comment les contenus des blogs ont-ils été intégrés dans la rédaction bi-

média rassemblant le web et le papier ? Combien de personnes ont été

mobilisées pour le projet « une année en France »?

Le projet a mobilisé huit journalistes, deux photographes permanents et trois

photographes qui ont été recrutés pour le dernier mois de la campagne et

jusqu’aux législatives. Le projet d’« Une année en France » a créé une véritable

Page 67: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 65  

dynamique de travail entre les journalistes web et papier. Le contenu

rédactionnel des blogs allait être transposé, ajusté, compilé pour figurer aussi

dans le journal papier. Cela a contribué à apporter de la crédibilité aux sujets

locaux et au support Internet. On est entré dans un processus de création

différent et la liberté d’écriture sur le blog a pu transparaître sur le papier. Le fait

que certaines plumes du journal soient des auteurs de billets de blogs a permis

de s’ouvrir à des articles qui, habituellement, n’ont pas leur place dans le

journal. De fait, ils en sont venus à faire la même chose pour les articles rédigés

par des journalistes web qui leur étaient inconnus. Les articles de blogs sont

apparus sur le papier dans différentes formes. Certains étaient publiés in

extenso. Je suis parvenu à faire passer un article sous forme de dialogue sur la

reconversion professionnelle, démontrant qu’il était possible de se passer de

chiffres. Les auteurs des blogs ont aussi fait remonter des thématiques à traiter

dans le journal sous la forme d’une longue enquête par exemple. Lorsque l’on

observait les mêmes phénomènes depuis nos huit points de mire en France, on

rédigeait des articles généraux. Chacun de nous a rédigé un article sur la police

municipale par exemple pour réaliser au final une grande enquête. Il y avait

enfin des articles de commande où le journal était demandeur de nos

observations de terrain. Cela permettait d’éclairer une situation nationale perçue

même à Paris avec nos observations de terrain, comme le chômage ou la

sécheresse.

Quel intérêt les habitants de Mézères manifestent-ils pour la campagne

présidentielle ?

Il y a eu une bascule au mois de mars, les habitants de Mézères ont commencé

à parler de la campagne présidentielle. D'abord en s'interrogeant si Nicolas

Sarkozy allait encore rester à la présidence. Il faut savoir que les gens parlent

d’abord de leurs problèmes quotidiens et quelques-uns font le lien avec la

politique, mais ce n'est pas leur premier réflexe. Beaucoup parlent du système

ou de l’Etat responsable de leur situation. L’étape suivante, c’est de parler

politique. Quand on les interroge en revanche, c’est différent car ils s’expriment

plus mais avant cela il faut gagner leur confiance, nous ne voulions pas être

intrusifs. Ce sont plutôt les thèmes qui intéressent en premier lieu. Les gens

vont parler du chômage, du pouvoir d’achat, de sécurité. Ce n’est pas tant les

candidats qui les intéressent que les thématiques. L’objectif premier du blog est

que les gens nous parlent de leur quotidien, même si la finalité est d’éclairer la

Page 68: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 66  

facette politique, mais pas forcément de manière politicienne avec des partis

derrière. Je parle avec des personnes que je connais déjà, que le lecteur

connaît peut-être à travers d’autres articles, dans un contexte différent. Il faut

d’abord s’ancrer dans le local, discuter des intérêts personnels et ensuite

extrapoler avec la politique.

Jouer la carte du journalisme local sur des blogs pour un quotidien

national est une entreprise risquée. Est-ce que l’audience a suivi ce choix

éditorial ?

L’audience varie beaucoup d'un blog à l'autre, d'une journée à l'autre. Elle

dépend beaucoup de l'exposition en Une du site. Si le papier n’est pas en Une

du site, les audiences sont faibles. Le site du Monde.fr se structure de la façon

suivante : il y a le gros titre, quatre ou cinq titres intermédiaires et, une dizaine

de petits titres dans la Une du Monde. Quand on était dans cette dizaine de

titres on atteignait souvent de 6 000 à 8 000 vues. Quand un sujet est assez

intéressant pour être dans la zone titre, on atteint facilement 20 000 vues. Les

sujets les plus attractifs pouvaient atteindre les 40 000, 60 000 vues. Les sujets

qui attirent le plus de visiteurs sont : le RER, l’agriculture, le quotidien d’une

famille nombreuse. La Une du Monde est une véritable machine, un rouleau-

compresseur.

De votre point de vue, la campagne présidentielle va-t-elle se jouer sur le

web ?

Avant que la campagne ne commence, beaucoup de personnes influentes

disaient que le web allait tirer son épingle du jeu grâce aux petites phrases, aux

dérapages, aux vidéos qui ne pouvaient pas passer à la télévision. En pleine

campagne, cet aspect a été relativisé car nous n’avons pas assisté à de

véritables révélations qui ont chamboulé la donne. Selon moi, la couverture en

continu des télévisions a joué un rôle bien plus important car le moindre

déplacement des candidats a été filmé par les chaînes de télévision en continu.

Ces chaînes influencent l’action directe, les politiciens font beaucoup plus

attention à ce qu’ils font à l’antenne car la moindre gaffe est passée au crible.

Twitter aide aussi à détecter les faux pas en temps réel, on a vu beaucoup de

« off » être propulsés dans la minute sur Twitter. Par contre, on remarque

clairement que les politiques ne twittent pas, du moins ils délèguent cette

Page 69: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 67  

fonction à leurs communicants. J’ai une anecdote édifiante à ce sujet. Les

journalistes d’ « une année en France » ont été invités sur le plateau de la

Matinale de Canal + et Ségolène Royal suivait notre chronique. En sortant, nous

croisons sa chargée de communication qui l’interpelle en lui demandant quelle

était sa pensée du jour pour que quelqu’un du bureau de la permanence le

tweete. C’est un effet de mode pour les politiciens et nous savons pertinemment

qu’en adressant un message à Ségolène Royal sur Tweeter, elle ne nous

répondra jamais alors que Tweeter sert beaucoup à la conversation. Aux yeux

des journalistes parisiens branchés 24 heures sur 24, la campagne doit sembler

importante sur Internet mais cela concerne peu de monde. Les gens visionnent

principalement le journal télévisé pour écouter les propositions des candidats.

Page 70: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 68  

Marc Pédeau, gestionnaire de communautés pour « La campagne à vélo »,

assure la visibilité, l’interaction, le débat sur les réseaux sociaux.

Comment a germé le projet « Une campagne à vélo » ? Qui est à l’initiative

du projet et en quoi est-ce qu’il consiste ? Alexis Monchovet et Raphaël Krafft, qui allaient devenir les journalistes-cyclistes

de cette campagne à vélo se sont d’abord rencontrés au Moyen-Orient. Tous

deux avaient des parcours atypiques, Alexis avait obtenu en 2008 un prix

Albert-Londres pour un documentaire sur Gaza. Raphaël a quant à lui déjà fait

le tour de France pour les élections présidentielles à deux reprises, en 2002 et

2007. Au lieu de le rendre compte de ce tour sur les ondes France Culture, les

deux acolytes ont décidé de le faire sur le web avec la boîte de production

PlayProd. Les partenaires étaient multiples, France TV info, France Bleu,

France Télévisions, Radio France et Rue 89 ont pris part à ce

webdocumentaire. Cette aventure allait durer trois mois, du 6 février au 6 mai,

jusqu’à ce que l’on découvre le visage du nouveau Président.

Pourquoi avoir choisi le vélo comme moyen de transport et non pas la

voiture ? Est-ce pour gagner un peu de la notoriété du Tour de France

sportif ? Nous avons constaté sur le terrain que le vélo est un moyen de rencontre qui

attire la sympathie des habitants. C’est un moyen de locomotion qui interpelle,

donne envie aux gens de discuter. Et puis, les habitants sont intrigués par les

énormes sacoches avec le matériel transporté. A l’inverse, quand on est en

voiture, cela instaure une barrière qui empêche de se faire alpaguer. En vélo, on

est attentif à tout ce qui se passe autour de soi, on peut s’arrêter à tout moment.

Les journalistes n’avaient pas d’impératifs de temps, étaient accessibles aux

gens, ce qui a favorisé les rencontres fortuites. La spontanéité était un

ingrédient important pour cette « campagne à vélo ». D’ailleurs, le plan que

nous avions établi au préalable avec des étapes a été chamboulé, et nous

avons été ravis que cela change en cours de route. Cela évitait les contraintes

et nous avions confiance en l’instinct de nos journalistes. En fin de compte, « La

campagne à vélo » c’est une somme de portraits au hasard des rencontres. Ces

témoignages accumulés ont constitué une sorte de panel représentatif par pur

hasard, mais pas dans le sens où l’entendent les instituts de sondage. Nos

Page 71: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 69  

reporters à vélo ont par exemple pu rencontrer des rastafaris, un

conspirationniste…

Quel a été votre rôle au sein de ce projet ? On a fait appel à moi en tant que community manager pour la partie web qui

était très importante puisque l’on présente « la campagne à vélo » comme un

road-movie 100% réseaux sociaux. Quand on m’a proposé ce projet, je me suis

d’emblée dit que ça allait être passionnant. Mon travail a consisté à gérer les

communautés d’internautes, à organiser notre présence sur le web. Il fallait

gérer les différentes plateformes, faire des passerelles entre elles, utiliser toutes

les potentialités du web. Notre présence s’organisait sur Facebook, Twitter,

Dailymotion, Instangramme, France TV Info et Rue 89 où l’on renvoyait vers les

billets et vidéos. La mission la plus importante était de susciter l’interactivité, le

débat, de répondre aux questions concernant à la fois l’aventure humaine et la

campagne présidentielle. Pour engager le débat, amener les internautes sur des

thématiques, je cherchais des articles d’analyse chez les médias partenaires

pour extrapoler sur des situations locales vécues par nos reporters à vélo. Dès

qu’il y avait un post sur Facebook concernant une vidéo ; j’essayais de réagir,

d’entretenir le débat en postant des constats locaux renvoyaient ou avaient des

répercussions à l’échelle nationale. La première difficulté à laquelle je me suis

heurté a été que nos premiers fans et followers étaient des inconditionnels du

vélo, davantage intéressés par l’aventure humaine que par l’enjeu présidentiel.

Je postais des articles en commentaire mais ça n’ouvrait pas au débat. A force

de persévérance, en continuant à poster des articles d’analyse pour aller plus

loin sur des thématiques, nos fans de vélos se sont pris au jeu de la politique et

réclamaient même parfois des liens hypertexte, des clarifications. Ils nous ont à

plusieurs reprises remercié de les avoir fait découvrir la campagne autrement.

Le ton léger adopté a permis aussi une familiarité, une proximité. Nous

souhaitions réellement nous émanciper des grands médias institutionnels et de

leur façon de traiter la campagne présidentielle.

Quel est l’intérêt d’avoir un prisme aussi local de la

campagne présidentielle?

Nous avons apporté du concret à cette campagne. Pour vous illustrer l’intérêt

d’un prisme local par un exemple concret, on a pu percevoir le revirement de

Page 72: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 70  

l’électorat du Front National vers l’extrême-gauche et les motivations de cette

frange électorale. Dans le Nord de la France, des personnes nous disaient :

« j’ai voté Le Pen en 2002, en 2007 et cette année, je vais voter Mélenchon ».

Cela fait ressortir cette réalité ouvrière du Nord de la France ancrée dans le

communisme pendant très longtemps. Ces personnes ont été séduites par le

vote extrême-droite et ont vu cette année une autre alternative avec Mélenchon.

Cette approche locale a amené du concret, du vécu, des témoignages qui

éclairent des questions générales que tout le monde se pose. Mon travail en

tant que Community Manager était de faire ressortir une situation locale. Tous

les jours, il y avait une thématique ressortant d’une situation vécue localement.

Je tentais d’extrapoler un peu en me disant que cette commune-ci du Nord de la

France pour qui le score du FN était assez élevé en 2007 risque de répercuter

ses votes sur le Front de Gauche de Jean-Luc Mélenchon. J’avais trouvé le bon

article d’analyse montrant que Le Pen et Mélenchon draguaient tous deux le

vote populiste.

Y a-t-il eu des préoccupations, des avis prégnants qui se sont manifestés

lors de ce tour à vélo et dont on n’a pas beaucoup entendu parler dans les

médias ? Beaucoup de personnes se sont indignées que l’environnement soit la grande

thématique absente de cette campagne présidentielle. Les habitants de la

commune de Bure dans la Meuse se disaient par exemple, très préoccupés par

le projet d’un site d’enfouissement de déchets nucléaires. Une maison de la

résistance à la poubelle nucléaire y a été créée. Même son de cloche chez les

personnes à proximité des centrales nucléaires ou encore en Bretagne où les

algues vertes pullulent à côté des éoliennes.

Quelle différence y a-t-il entre cette campagne et celle de 2007 ? Je pense que pour cette campagne on a voulu sortir du schéma de 2007 très

basé sur la personne politique. La personne de Nicolas Sarkozy a aussi amené

cela, il a beaucoup usé du storytelling et les journalistes s’y sont conformés. Le

couple Hollande-Royal atypique mis en avant. La personnalité des candidats a

joué. Mélenchon cette année on l’a vu dans Paris Match. La politique rénovée

par Nicolas Sarkozy fait qu’aujourd’hui les gens attendaient plus de pudeur dans

la vie politique. Durant la campagne à vélo, des gens nous ont interpellés en

disant : « moi, j’aurai voté Strauss-Khan. Je me fiche de ce qu’il fait à côté. Bon

Page 73: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 71  

je vais voter Hollande mais un peu par défaut. » C’est relativement nouveau, il

me semble que cette campagne s’est faite sur les idées.

Quels sont les dispositifs numériques dont s'est doté France Télévisions

pour couvrir la campagne ?

France Télévisions a voulu multiplier les portes d’entrée à cette campagne à

travers divers angles, prismes.... Tout ceci dans un souci de complémentarité.

Pour le site France TV info amorcé en octobre, en pleine primaire socialiste, la

campagne présidentielle a été une rampe de lancement et un moteur. Ce site

généraliste à l’architecture innovante a lancé un outil phare : un widget avec la

carte de la France. Ce widget permet de cerner l’importance de l’échelle locale,

la diversité et les problématiques du territoire. Les gens étaient curieux de

savoir comment on votait chez eux, dans leur département, région, commune…

Et puis, il était possible de l’importer sur n’importe quel site ou blog. Elections

2012 a été un site dédié uniquement à la campagne et aux législatives et voué à

disparaître de la Toile ensuite. France Télévisions a mis en avant le côté

participatif, en incluant vraiment les citoyens. Quels sont les liens que France Télévisions a tissé entre la télévision et le

web ?

France Télévisions a intégré la complémentarité de ces deux médias en

proposant dans le cadre de ses émissions de ne plus être passif devant la

télévision. Les messages, twitts et questions pouvaient apparaître à l’écran. On

a vu aussi cette tentative de télévision connectée avec une émission spéciale

de Mots Croisés avec Facebook où les internautes pouvaient poster leurs

questions aux invités politiques qui débattaient. Puis, beaucoup de citoyens,

notamment les jeunes avaient un regard sur deux écrans, celui de leur

télévision et celui de leur ordinateur. Débattre sur les réseaux sociaux d’une

émission en train de se dérouler, cela a été également la nouveauté de cette

campagne.

 

Page 74: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 72  

16 février 2012, interview de Damien van Achter

Moi qui suis une de vos followers sur Twitter, j'ai trouvé votre petite

biographie originale. Comment avez-vous résumé votre vie en 140

caractères?

Développeur éditorial chez OWNI, 22 mars, professeur invité à l’IHECS, young

advisor Commission Européenne, digital agenda, ex-Belga, ex-RTBF, papa 3

fois.

Vous avez travaillé pour la RTBF et Belga avant de vous lancer chez Owni.

Pourquoi avoir quitté les médias traditionnels pour les nouveaux médias?

Quelle a été la transition?

A mon sens, je n'ai pas quitté quoi que ce soit. Même si j'ai changé plusieurs

fois de métier, cela a toujours été dans une forme naturelle de transition vers de

nouvelles manières de faire mon métier. J'ai voulu me tester et voir jusqu'où je

pouvais aller dans ce métier. Mais, il faut croire que je ne suis pas fait pour

entrer dans des cases, je n'aime pas que l'on me colle des étiquettes. J'ai

toujours pris beaucoup de plaisir à innover, à tester, à expérimenter. Cela

suppose de prendre des grandes claques à un moment donné aussi, d'aller

dans le mur. C'est peut-être mon côté un peu anarchiste qui fait que je n'ai pas

tellement peur de bousculer l'ordre établi. Mais à un moment donné il faut en

vivre. J'ai donc essayé de trouver la meilleure manière de concilier ma passion

pour l'expérimentation, les nouvelles technologies et travailler avec des

structures qui ont des moyens pour pouvoir me donner la possibilité d'en vivre.

J'ai commencé par la radio, la télévision, puis le web ; et maintenant je fais tout

en même temps.

Vous êtes développeur éditorial chez Owni. En quoi consiste votre métier?

D'où vient le nom Owni et quelle est sa ligne éditoriale?

Développeur éditorial, c'est un mot valise que j'ai été contraint de porter, faute

de mieux pour qualifier mon métier. C'est une manière de dire qu'on est à la

frontière entre le développement informatique et la stratégie éditoriale. Un

média en ligne doit développer à un moment donné une stratégie éditoriale. On

a besoin d'outils informatiques, de codes pour réussir à la transcrire

Page 75: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 73  

visuellement, avec des fonctionnalités précises. Je ne suis pas développeur, je

ne suis pas éditorialiste, je suis entre les deux. Pour le moment, c'est le meilleur

mot valise que j'ai trouvé pour décrire ce que je faisais au quotidien. Je participe

à l'effort de guerre du financement du média. Je suis employé par 22 Mars qui

est la société mère, qui est celle qui finance le média Owni qui ne génère pas

de profit jusqu'à présent. Owni signifie Objet Web Non Identifié. Le nom de notre

média est à l’image des personnes qui composent cette soucoupe, et de notre

état d’esprit. Dans le paysage médiatique, nous sommes un ovni. Dans notre

formule, on ne traite pas avec les annonceurs, on cherche à avoir un site et des

articles esthétiques, on ne craint pas de proposer des dossiers et des articles

longs. On n'avait pas envie de se laisser enfermer dans des logiques qui ne

nous semblaient pas être porteuses de sens. Sur le plan du financement, en

revanche, c’est assez compliqué de financer un média qui ne gagne pas

d’argent. Tout ce qui est en périphérie du média a vocation à générer des

profits. Nous vendons des objets dérivés comme des e-books par exemple. Je

fais aussi de la stratégie éditoriale dans divers médias. Je savais pertinemment

que pour financer le mien, j'allais devoir former dans d'autres médias et

travailler pour d'autres entreprises qui ne sont pas médias mais qui voudraient

le devenir. On a fait du laboratoire.

A en croire l’un de vos billets parus, le data-journalisme est une religion

pour Owni. Qu'est-ce que le data-journalisme et quelles sont ses forces?

Le data-journalisme n'est pas fondamentalement neuf. C'est une technique

d'investigation remise au goût du jour grâce au numérique. Aller fouiller dans

des données, des listings, des fichiers remplis de chiffres qui, à première vue

sont imbuvables, n’est pas neuf. Tous les journalistes d'investigation ont

l'habitude d'aller dans des bibliothèques, dans les salles obscures pendant des

heures pour trouver le chiffre qui fait dire qu'à un moment donné, il y a eu un

dysfonctionnement dans un service public, dans une entreprise ou même dans

le système. Le data-journalisme tel qu'on le comprend à l'heure actuelle se fait

essentiellement dans de l'investigation dans des bases de données qui sont

rendues accessibles en ligne. Il y a un grand mouvement naturel de remise à

disposition des citoyens des données publiques de la part des institutions. Mais

c'est aussi le fait de considérer que le web est un terrain à part entière sur

lequel on peut trouver de l'information en scrapant des bases de données. Le

scraping, c'est le fait d'aspirer des pages entières pour analyser son contenu et

Page 76: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 74  

faire en sorte de récolter des données permettant de recouper des sources. A

l'autre bout de la chaîne du data-journalisme, il y a la visualisation des données.

Un fichier Excel n'est pas sexy à voir. Pour que le public s'intéresse à l'enquête,

il faut pouvoir montrer les données de manière interactive et avec une certaine

esthétique. Il est aussi important de donner la possibilité aux gens de changer

des variables. Par exemple dans une présentation, pouvoir voir des courbes qui

bougent, voir l’effet direct de son action sur la présentation. Le data-journalisme

chez Owni, c'est un accouplement de métiers pour en créer un nouveau. Les

journalistes qui côtoient des développeurs, des graphistes, des designers et qui

se créent un métier particulier. Le data-journalisme fonctionne bien parce qu'on

se rend compte que le public apprécie.

Pour vous donner un exemple, Owni a réalisé un data-journalisme sur les

migrants en Europe reconduits à la frontière de leur pays et décédés lors de leur

rapatriement. L’OCDE nous a permis d’élaborer une base de données de ces

décès. Nous avons transposé ces données sur une carte avec la possibilité de

choisir le pays, de choisir la date et surtout de voir la cause du décès.

L’expérience ouverte aux utilisateurs était de choisir le pays, d’avoir une ligne

du temps et de lire le résumé des circonstances dans lesquelles un migrant

avait trouvé la mort. Le data-journalisme est souvent à vocation pédagogique.

Ça vous étonne de savoir que selon une étude de la Croix, les français

font de plus en plus confiance aux médias en ligne et sont quasiment à

même hauteur que la presse écrite?

Ce n’est pas le support qui est important, c’est la dynamique. Le web est

sûrement un des supports qui recueille un indice de confiance plus élevé parce

que justement on est dans l’échange, dans la conversation. On n’est pas dans

des processus « top down » où il y a les savants et les ignorants. Le web a

tendance à mettre à plat les structures hiérarchiques traditionnelles. Les

journalistes capables de faire cette transition regagnent de la confiance auprès

des gens. Ça ne me surprend pas du tout que le web soit redevenu un support

de confiance, cela me réjouis plutôt d’ailleurs. Ce que l'on peut apprendre des

logiques conversationnelles sur le web, c'est qu'il n'y a jamais rien d'acquis.

C'est peut-être un des grands défauts des journalistes de la télévision

notamment, qui s'adressent à des caméras et non pas à des êtres humains

lorsqu’ils sont à l'antenne. On n'a plus conscience qu'on s'adresse à des gens

Page 77: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 75  

et, à contrario, en se mettant face au web on entre facilement en contact avec

eux. S'ils n'aiment pas ce qu'on raconte, ils nous le font sentir tout de suite.

C'est une forme d'humilité qu'il faut peut-être réapprendre de la part des

journalistes. Quand on assume ses erreurs, ses ignorances ça permet de jouir

de manière beaucoup plus décontractée de ses succès, et de les assumer eux

aussi pleinement pour ce qu'ils sont.

OWNI s’apprête à sortir son Véritomètre en partenariat avec i<TELE. En

quoi est-ce que ça consiste le fact-checking ?

Le fact-checking est un peu dans la même veine que le data-journalisme. C’est

utiliser les archives, les données pour confronter en temps réel les paroles d’un

homme politique à la réalité des faits et à l’antériorité de ses propres propos.

Techniquement parlant, c’est difficile à agencer, surtout d’accéder en temps réel

à des bases de données en fonction de ce qui vient d’être dit. Le fact-checking a

plus de chances de se mettre au rythme de croisière quand on sera dans une

durée un peu plus longue et qu’on sera dans une actualité plus froide que

l’élection qui se vit en temps réel. Fact-checker, ça fait partie des basics pour un

journaliste à part que l’on utilise aujourd’hui les outils du web pour être

collaboratif avec les audiences qui nous aident à contrôler, à fact-checker les

politiques. Le fact-checking a un bel avenir devant lui, à condition de le crowd-

sourcer avec les gens, le faire seul n’a aucun sens. Le crowd-sourcing avant

tout c’est faire confiance aux gens, avoir une attitude bienveillante par rapport

aux individus interconnectés qui, qu’on le veuille ou non quand on est

journaliste, critiquent notre travail. Quitte à être critiqué, autant être attentif à la

critique. Plutôt que de nier la critique négative, écoutons-la, elle peut enrichir

notre travail. Pour que les critiques soient constructives, le meilleur moyen est

d’impliquer les citoyens dans la recherche d’information.

Comment voyez-vous l’avenir du web journalisme, en terme d’objectif de

rentabilité, de nouveau modèle économique qui pour le moment a du mal à

émerger ?

La seule chose dont je suis profondément convaincu c’est que l’on a besoin de

journalistes. Le numérique n’a jamais rendu ce travail aussi facile que

maintenant dans le sens où l’on peut faire circuler l’information à la vitesse VV’,

où la parole est libre, où les systèmes s’ouvrent les uns après les autres. Si les

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systèmes se ferment sur eux-mêmes, ils s’asphyxient et s’ils tendent de faire en

sorte que l’information ne circule pas, ces systèmes meurent. L’entropie de nos

systèmes, qu’ils soient économiques, politiques, sociaux vient du fait que l’on

cherche à ce que l’information ne circule pas. La nature même du réseau fait

que l’information circule et que tôt ou tard, il y a de la valeur ajoutée apportée à

la circulation de l’information. Cette valeur ajoutée a un prix à un moment

donné. Que ce soit via la publicité, les abonnements, le non-profit, la

philanthropie, on trouvera toujours les moyens de rémunérer des

professionnels. Ce qui veut dire qu’il y aura peut-être des morts. Quand on

regarde aux Etats-Unis, le cimetière des journaux et des journalistes laissés sur

le carreau l’année dernière, c’est considérable. Peut-être y aura-t-il la même

chose en Europe, je ne le souhaite pas. Mais je constate juste qu’il n’y a peut-

être pas la place pour tous les groupes médias, pour autant de journalistes.

Pourtant, plus que jamais on en a besoin. Il suffira de trouver des adéquations

entre les impératifs économiques et les impératifs démocratiques.

Est-ce que la campagne présidentielle française se fera sur le web?

Je pense que ce serait un leurre de penser que la campagne va se décider en

ligne. Par contre, les communicants des candidats ont déjà minutieusement

préparé le terrain. Nicolas Sarkozy débarque sur Twitter le jour où il annonce

sur TF1 qu'il est candidat, le lendemain son site de campagne est lancé, sa

timeline Facebook est ré-agencée avant qu'il ne se déclare candidat. L'agence

Emakina est derrière ces actions de communication et elle sait très bien ce

qu'elle fait en agissant de cette manière-là. J'ai la faiblesse de croire que le web

va avoir, dans les années à venir, un rôle de plus en plus important dans les

campagnes. Mais, à la limite on ne l'appellera même plus campagne parce

qu’elle va être permanente, et que les candidats ou élus vont être de plus en

plus présents en ligne, en dehors même des périodes électorales. Et ce, parce

qu'ils auront compris l'intérêt d'entretenir des conversations avec les gens en

dehors des périodes d'opportunisme crasse où on les voit arriver comme des

éléphants dans un couloir avec leurs équipes de communicants quinze jours

avant une élection. Puis le lendemain de l'élection, disparaître de la circulation

de la Toile. C'est ce qui se passe encore dans beaucoup de cas. Étant donné

que les médias commencent à être de plus en plus actifs et présents sur le web,

les candidats perçoivent ça aussi comme des opportunités supplémentaires de

briller, d'avoir de l'attention médiatique. Mais indéniablement, le fait qu'il y ait de

Page 79: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 77  

plus en plus d'internautes, que les gens soient de plus en plus quotidiennement

connectés en mobilité, risque de changer beaucoup de choses dans les années

à venir. Là où le web pourrait jouer un rôle conséquent dans la campagne

actuelle, c'est dans les dérapages, dans les saillies verbales des uns et des

autres, dans les cassages de figure, dans les petites phrases assassines que

l’on peut désormais dérober par image grâce aux GSM. On ne pourra plus

empêcher les gens de prendre des photos, des vidéos dans un meeting d'un

candidat qui fait une syncope, tombe ou injurie. Au vu de l'exposition médiatique

et de l'utilisation des nouvelles technologies à l'heure actuelle, les hommes

politiques doivent faire de plus en plus attention à leurs faits et gestes en public.

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 78  

Le jeudi 19 avril 2012, via Skype

Doit-on définir votre site Erwanngaucher.com comme un pure player ou

comme un blog ? Vous êtes à la fois journaliste et consultant, quelle est

votre activité principale ?

Je suis le rédacteur d’un blog sans modèle économique et qui a une existence

propre. Vous pouvez y trouver des revues de web hebdomadaires, l’actualité

numérique des médias, des billets d’humeur et des reportages. Depuis juin

2011, je suis consultant à quasi temps plein chez France Télévisions. J’ai mis

en place le plan de formation numérique du groupe. Il a pour but de former les

journalistes dans toutes les antennes régionales de France Télévision, en

Outre-Mer et dans certaines rédactions nationales aux pratiques du journalisme

numérique. Je les ai également accompagnés sur la mise en place et le

développement du site consacré à la présidentielle et aux législatives. Il a été

mis en ligne en septembre 2011. C’est le site de toute l'actualité électorale

2011-2012 : les primaires socialistes, la présidentielle et les législatives. J'ai

accompagné l'équipe en travaillant à la fois sur la mise en place et l'évolution du

site et de ses fonctionnalités, la ligne éditoriale et le développement des

réseaux. Nous avons ainsi eu le plaisir d'avoir le fil Twitter consacré à la

présidentielle le plus suivi en France. Je les ai assisté également pour quelques

émissions dont la spéciale de « Mots croisés » du lundi 16 avril qui était la

première émission de télévision en Europe à se tenir en partenariat avec

Facebook.

Quel regard portez-vous sur les moyens déployés par les rédactions web

pour décrypter la campagne ?

Beaucoup de moyens ont été alloués aux rédactions web pour travailler et

essayer d’inventer de nouveaux formats pour cette campagne. Nous avons

assisté à la confirmation de l’explosion du format live dans l’information web qui

s’est aussi bien appliqué à la présidentielle, qu’aux autres informations. On a pu

observer la mise en place, dans quasiment tous les médias en ligne,

d’opérations de fact-checking très intéressantes. C’est aussi la première

présidentielle où l’on voit émerger la tyrannie de la cohérence, théorisée

intelligemment par Thomas Legrand dans un édito sur France Inter et sur

Slate.fr. Aujourd’hui, un candidat à la présidentielle se doit d’être extrêmement

Page 81: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 79  

cohérent parce que la mémoire collective d’Internet permettra de retrouver

toutes ses prises de parole et de déceler toutes ses contradictions. La réactivité

est très importante. Elle l’était déjà de par les utilisateurs du web, mais elle a

pris de l’ampleur au vu du renforcement des rédactions web et de la rapidité de

la recherche. C’est sans doute une des influences du journalisme web les moins

visibles de prime abord mais aussi l’une des plus profondes pour le traitement

d’une élection présidentielle.

Vous avez écrit sur votre blog que le fact-checking pouvait redonner ses

lettres de noblesse au journalisme en ligne. Comment définissez-vous le

fact-checking et dans quelle mesure le web peut-il en tirer parti ?

Le concept de fact-checking est une tradition du journalisme anglo-saxon. C’est

la vérification systématique des faits et surtout des propos que tiennent les

hommes politiques, chose que les journalistes français négligeaient

contrairement à leurs confrères d’outre-Atlantique. A partir du moment où une

personnalité politique lance un chiffre ou une affirmation, ils sont vérifiés et

recoupés. Le fact-checking existe depuis assez longtemps aux Etats-Unis. En

France, Le Monde.fr le fait depuis 2008, Libération.fr le fait dans « Libé

Désintox » depuis 2009 ; ce n’est donc pas totalement récent. Mais évidemment

en période électorale, c’est d’autant plus lu et le web permet d’avoir une

temporalité beaucoup plus rapide entre le moment de l’affirmation et celui de la

vérification. Les personnalités politiques, pour certaines, en sont tout à fait

conscientes lorsqu’elles disent une contre-vérité ou lorsqu’elles citent un chiffre

qui est faux et qui les arrange. Jusqu’ici le système était fait de sorte que :

quand vous dites dans une émission politique à 21 heures 30 que le coût du

travail est deux fois plus important en France qu’en Allemagne, vous êtes

écouté par trois millions de personnes ; et vous serez peut-être contredits le

lendemain dans un journal comme Libération par exemple, vendu environ à 120

000 exemplaires. Le gain entre le fait de citer sciemment une fausse donnée

entendue par des millions de personnes et la contradiction révélée en différé qui

sera lue et intégrée par beaucoup moins de personnes est évident. En revanche

avec le web, je pense réellement qu’il y a quelque chose à jouer pour les

médias parce que la contradiction peut arriver dans la même journée que

l’énonciation de l’erreur. Elle peut être énormément et très rapidement reprise et

elle aura donc beaucoup de poids, au moins davantage que dans un quotidien.

Page 82: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 80  

Le fact-checking est-il conciliable avec la télévision et les conditions de

l’antenne ? Pourrait-on imaginer un journaliste muni d’une oreillette dans

laquelle on lui détecterait l’erreur d’un invité et une rectification immédiate

?

C’est une chose sur laquelle je me suis penché. J’étais de prime abord

convaincu qu’il n’était pas particulièrement compliqué de mettre du fact-

checking en place à la télévision. Mais c’est beaucoup plus compliqué qu’il n’y

paraît à mettre en œuvre. En effet, on se dit qu’il suffirait d’avoir une équipe de

journalistes aguerris, capables de recouper très rapidement une information sur

le web. Ce qui n’est pas forcément évident, parce qu’il y a des données difficiles

à obtenir. Les données du chômage sont symptomatiques de cela parce qu’il

existe beaucoup de chiffres comparatifs, il faut connaître les catégories de

chômeurs par exemple. La grande complication est qu’il ne suffit pas d’avoir une

oreillette pour leur donner les informations parce que quand les personnalités

politiques font une contre-vérité, ils ne font pas, à quelques exceptions près, de

grosses erreurs. Ils orientent, ils manipulent les chiffres en leur faveur. Il faut

donc pouvoir argumenter. Or, il est totalement impossible de mener une

interview tout en écoutant les explications parvenues dans les oreillettes. Si le

journaliste devait juste trancher entre vrai ou faux, ce serait possible mais

souvent on n’est pas dans ce cas de figure. Il faudrait qu’il y ait la possibilité que

des journalistes interrompent le cours de l’émission, interviennent en plateau et

reviennent en profondeur sur un point. Ce n’est pas impossible mais ce n’est

surtout pas l’habitude de la télévision, qui a des moyens de production lourds.

Pour autant, je pense que c’est faisable et c’est une direction dans laquelle il

faut absolument travailler. Concrètement, il faudrait trouver une autre formule

sur laquelle nous sommes quelques uns à réfléchir actuellement.

Est-ce que les pure players sont parvenus à se faire une place importante

dans la campagne présidentielle ?

J’ai été un peu déçu. Je pensais qu’ils seraient plus à la pointe, qu’ils se

démarqueraient plus des médias traditionnels. C’est évidemment plus difficile de

se démarquer quand la concurrence s’organise, met beaucoup de moyens et

tire des leçons de ce que les pure players faisaient avant la présidentielle. Le

paysage des pure players a aussi bougé avant la présidentielle. Je pense

évidemment au rachat de Rue 89 par le Nouvel Obs, au lancement du Huffigton

Page 83: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 81  

Post... Pour la plupart des pure players c’est la première campagne

présidentielle qu’ils traitaient, mis à part Rue 89. C’est un contexte et une façon

de travailler particulière, cela a sans doute pu relativiser l’innovation qu’ils

pouvaient proposer dans cette campagne. Il y a eu tout de même de beaux

exemples, je suis assez enthousiasmé par l’expérimentation d’Europe 1 avec le

LaB, un pure player qui m’a séduit pendant la campagne. Ils ont fait de la

curation108, et puis ils ont cette habitude d’aller rechercher dans les archives du

web, d’aller comparer. C’est la première présidentielle pour laquelle on met

autant de moyens pour la couverture sur le web en tous cas.

Pensez-vous que le web a aidé les citoyens à davantage s’impliquer dans

la campagne ? Soit en termes de militantisme ou d’intéressement à l’enjeu

présidentiel ?

Globalement, oui. Il y a eu un fort investissement de la part des équipes

militantes des partis sur le web. Leur efficacité est totalement approuvée

aujourd’hui parce que ça n’a été que le déplacement sur un nouveau terrain de

l’opposition habituelle des équipes et des supporters de chacun des candidats.

Il y a trente ans, les équipes de campagne se battaient lors de la distribution de

tracts, du collage d’affiches et à la sortie des meetings. Maintenant, ils se

chambrent sur le web. Je ne pense pas que qui que ce soit ait changé d’avis ou

d’intention de vote en fonction de ce que les équipes de campagne ont fait sur

le web. Par contre, c’est un très bon outil de mobilisation des militants et

partisans, pour faire passer un message dans la journée partout en France.

Quand Nicolas Sarkozy dévoile son affiche de campagne, une heure après les

jeunes socialistes ont mis en place un site qui permet de caricaturer cette image

à volonté. On a une réactivité beaucoup plus importante de la part des

supporters. Il me semble que leur action a une influence très marginale sur les

intentions de vote des internautes. En revanche, ce que beaucoup de médias

traditionnels et hommes politiques n’ont pas pris en compte, c’est que les gens

se sont beaucoup saisis du débat en en parlant, sur les réseaux notamment. Il

n’y a qu’à observer les bons scores des vidéos des meetings retransmis en

direct sur Dailymotion ou le nombre de conversations sur les réseaux qu’ont

provoquées les émissions politiques de télévision, comme Des paroles et des

actes ou Mots croisés. Lorsque je vois qu’une émission comme Mots croisés en

                                                                                                                 

Page 84: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 82  

partenariat avec Facebook qui n’a pas pu convier les grands candidats sur le

plateau, suscite 8 000 réactions sur la page Facebook dans la soirée, entre 22h

et 00h30, je me dis que visiblement les citoyens débattent et c’est très

encourageant. Le web et les réseaux ont redonné une nouvelle vitalité à la

discussion politique dans cette présidentielle. Les réseaux sociaux sont des

lieux de conversation simples qui correspondent aux usages des gens.

Selon vous, cette campagne va-t-elle se jouer sur le web ?

Nombre de confrères disaient que l’impulsion de vote se ferait en fonction de ce

que les partis politiques allaient faire sur Internet. Ils reviennent petit à petit sur

leurs déclarations car nous n’avons pas vu de gros candidats s’exposer sur le

web. Prenons les trois candidats qui ont le plus de chances d’être au second

tour : Nicolas Sarkozy, François Hollande et Marine Le Pen ne connaissent pas

les codes du web et ne savent pas comment se comporter face à ce média. Par

contre, ils connaissent par cœur les codes des médias traditionnels et restent

sur du rapport investissement/rentabilité. Il vaut mieux se rendre dans les

médias où l’on est à l’aise et où l’on touche encore la masse de la population

plutôt que de se mettre en danger dans un média que l’on connaît peu.

Cependant, il y a eu un fort investissement des partis sur le web : les budgets

de l’UMP et du PS tournent autour de 2 millions d’euros chacun cette année.

Mais cela reste de l’affichage. La page Facebook de Nicolas Sarkozy est une

belle vitrine bien lisse mais ce n’est pas une page sur laquelle on peut interagir.

Par rapport à la campagne de 2007 il y a beaucoup moins d’amateurisme ; les

équipes sont plus performantes, elles savent être sur tous les réseaux. On a dit

que ce que les candidats feraient sur Internet et sur les réseaux ferait basculer

une part des intentions de votes. Mais c’était une erreur. Cela provient de la

comparaison avec la campagne présidentielle de Barack Obama en 2008 qui

est pour moi un péché originel. On s’est dit, cette fois-ci, en France, on va avoir

la même campagne qu’Obama, il va se passer la même chose sur la Toile…

Sauf qu’il y a eu un oubli de taille, outre qu’Obama et ses équipes ont une

culture numérique plus développée que nos hommes politiques : Les candidats

américains ont besoin d’argent pour financer leurs campagnes, ce qui n’est pas

le cas en France. Pour récolter de l’argent vous êtes beaucoup plus inventifs et

vous investissez tous les terrains possibles. C’est moins la préoccupation de

nos politiciens qui ne passent pas par ce prisme de financement. En France,

nous avons eu une belle campagne d’affichage. Le pressentiment que j’avais en

Page 85: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 83  

écrivant un billet à ce sujet en septembre 2011 dans mon blog s’est confirmé. Il

ne s’est rien passé sur le web qui ait fait basculer une part significative des

intentions de vote.

Quels sont les ingrédients qui ont manqués ?

Il a manqué la présence des candidats sur la Toile. On n’a pas vu de format

spécifique sur le web avec les gros candidats. Nous n’avons pas pu assister à

des lives avec les candidats comme invités pour répondre aux questions des

internautes en direct. Enfin, le thème du numérique n’a quasiment pas été

abordé pendant la campagne. Ce thème, pourtant fondamental aujourd’hui

puisque l’économie numérique en France commence à peser réellement, n’a

pas été abordé mis à part un peu sous le prisme d’Hadopi.

Un agrégat de médias a proposé un débat rassemblant les dix candidats

sur le web, trois jours avant le premier tour. Quelle aurait été la plus-value

d’un tel débat? Qu’est-ce qui pourrait faire la différence par rapport à un

débat télévisé ?

La plus value aurait été l’interaction avec les internautes, le fait que les gens

puissent interroger et interpeler directement les candidats. Ce qui n’est pas le

cas à la télévision, ou en tous cas n’était pas le cas avant l’émission « Mots

croisés ». Nous avons pu poser dix questions d’internautes et donner leurs

commentaires, mais c’est une exception. Le web n’est pas concerné par la loi

d’égalité du temps de parole. Il serait donc très intéressant de passer par le

web, qui n’est pas assujetti aux lois du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et a la

possibilité simple de permettre l’interaction avec les internautes. On aurait été

sur un format beaucoup plus libre. Qu’un internaute puisse intervenir en quasi

direct via Twitter pour poser une question à laquelle un journaliste n’a pas

pensé, ce serait un apport. Les interpellations des internautes passent sur

Twitter, puis elles sont filtrées par un journaliste qui anime et sélectionne les

tweets. C’est précisément ce dispositif que proposent le Lab, Dailymotion, le

Nouvel Obs pour ce débat à dix candidats. Cette mise en relation aussi proche

n’a jamais pu être réalisée, même lors d’émissions comme « Parole de

candidat » sur TF1 où le dispositif est très scénarisé avec un casting de

personnes représentatives.

Page 86: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 84  

Que pensez-vous de l’embargo imposé aux médias français qui les oblige

à ne pas divulguer les résultats des deux tours de la présidentielle avant

20 heures ?

Je suis d’abord atterré que voir que personne n’a pris en compte la nouvelle

réalité du web et des réseaux sociaux. Tout le monde sait pertinemment que les

tendances et les sondages sous embargo vont filtrer sur les réseaux sociaux

avant l’heure. Je trouve que l’on a cette détestable habitude en France, pour

tout ce qui concerne les usages numériques, d’attendre qu’une loi soit rendue

inapplicable par les usages numériques pour commencer à faire autrement.

Personne n’a anticipé que les réseaux sociaux pourraient avoir une quelconque

influence sur le vote et c’est potentiellement grave. Imaginez ce cas de figure :

nous sommes dimanche, il est 18 heures et nous apprenons que Marine Le Pen

est devant Nicolas Sarkozy, de quelques dizaines de milliers de voix. Cette

information se répandrait comme une trainée de poudre auprès de millions

d’internautes en quelques minutes et il resterait deux heures pour aller voter

dans les grandes villes. Les sondeurs répondent à cet argument que ça ne

toucherait pas suffisamment de monde n’ayant pas encore voté pour changer

l’issue du vote. Je rappelle qu’en 2002, l’écart de voix entre Jean-Marie Le Pen

et Lionel Jospin était de 198 000 voix. Il y a 28 millions de comptes Facebook

en France et 5 millions de comptes Twitter. Je pense qu’aujourd’hui, en deux

heures, la puissance des réseaux est telle qu’elle peut mobiliser 200 000

personnes. Si nous étions cette année dans la configuration de 2002, et le

sociologue Dominique Caron le pointait aussi dans Libération, cela pourrait

fausser le scrutin. De la part de la France, c’est une non prise en compte des

usages ; on se reporte à 2007. On se dit qu’en 2007 déjà on pouvait consulter

les journaux belges ou suisses pour connaître les résultats à l’avance. Mais il

fallait avoir la démarche d’aller se connecter sur leurs sites pour le voir.

Aujourd’hui il y a deux phénomènes, les réseaux sociaux et les smartphones. Je

peux ne pas chercher à avoir cette information, elle viendra vers moi via les

réseaux sociaux, sur mon smartphone, que je le veuille ou non. D’autant plus

que cette année, les DOM TOM votent le samedi et il est évident que les

résultats de ces votes filtreront. S’il devait y avoir une grosse surprise, on

l’apprendrait. Un dispositif est en cours d’élaboration. Le gouvernement a pris

contact avec Tweeter pour filtrer les messages. Est-ce que Twitter va censurer

quelqu’un qui va twitter par métaphore du genre : « attention, le pédalo est en

retard » ? Non, assurément. Pour préserver cet embargo de 20 heures, il y a

Page 87: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 85  

des solutions plus simples. Il faudrait fermer tous les bureaux de votes à la

même heure pour ne pas plus avoir d’estimations des votes, ou alors interdire

les sondages du samedi sous embargo. Ou encore faudrait-il qu’on interdise

aux instituts de sondage de faire des tendances de sorties d’urnes qui ne

servent qu’à une chose, permettre aux télévisions de préparer à l’avance leurs

soirées électorales. Peut-on prendre le risque infime de fausser une élection

parce qu’il faut permettre aux médias et aux éditorialistes de préparer leur

plateau de 20 heures ? Evidemment non. L’argument de l’égalité face au

scrutin est une hypocrisie. Ce n’est pas égalitaire puisque des milliers de

personnes connaissent le nom du Président de la République à 18 heures alors

que le vote n’est pas encore clos. Faisons donc une véritable égalité afin que

personne ne puisse savoir quel sera le résultat avant 20 heures.

Page 88: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 86  

Interview réalisée le 15 mai 2012

Sylvain Lapoix a été journaliste politique pour Marianne2.fr de 2006 à 2009 en

se spécialisant pour les questions numériques et le suivi du parti du Front

National. Il est l’auteur d’articles sur la campagne américaine de 2008. En 2010,

il intègre le pure player Owni et devient fact-checkeur pour la campagne

présidentielle française à la fois pour OWNI et la chaîne i>TELE.

Alors journaliste politique à Marianne 2 au moment de la campagne

présidentielle américaine de 2008, comment avez-vous vu l’enjeu

présidentiel se déplacer sur le web ?

En marge des actions du candidat Barack Obama, je pense que le lobbying a

contribué à l’essor d’une campagne numérique. Après l’explosion de la bulle

Internet, on a assisté au retour en grâce des entrepreneurs du web avec le e-

commerce, les réseaux sociaux… Pour avoir un développement technologique

intégré à un événement d’ampleur, il faut que les influenceurs aient un rapport

de proximité avec les décideurs. Quand Facebook, Amazone, Google vous

informe que négliger les nouvelles cultures web est une erreur, vous assimilez

ces conseils pour mettre les chances de votre côté. Il y a également les

communicants qui, dans leur veille technologique, ont pris conscience du poids

de la discussion sur le web. L’enjeu a été de savoir comment entrer dans la

conversation des citoyens, les interpeller dans leurs échanges sur le web.

Barack Obama visait en 2008 un électorat jeune et démocrate. Son cœur de

cible s’intéressait déjà au numérique, aux réseaux sociaux. C’est aussi une

question de clientèle car chaque démarche de communication politique a pour

but de cibler un électorat.

Quelles ont été les actions phares menées par Barack Obama sur la

Toile ?

Le militantisme de terrain s’est structuré autour d’outils web déployés par le parti

Démocrate et MoveOn.org. Le site Mybarackobama.com a été un véritable

succès en permettant une organisation optimum des activités militantes. La

méthodologie de terrain était mise à disposition sur le site avec des

argumentaires prédéfinis, des objectifs de porte-à-porte à remplir suivant la

géolocalisation des militants, ce qui permettait de quadriller l’immense territoire

Page 89: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 87  

américain. Le site donnait par exemple accès à des listes de téléphone de

sympathisants recueillis pendant la primaire démocrate notamment. « Utiliser

les outils du XXIè siècle pour appliquer les méthodes politiques du XIXè siècle.

», voilà comment le think tank en vogue « terra nova » a synthétisé la

campagne 2.0 d’Obama dans un rapport.

Y a-t-il des similitudes avec la campagne web menée par le nouveau

Président de la République François Hollande ?

Des membres du Parti Socialiste ont été en observation de la stratégie

d’Obama. Certains sont allés voir MoveOn dans son QG à New York. Ils en ont

tiré quelques enseignements. A travers les sites de campagne mis en ligne par

le parti Socialiste on peut observer des points communs avec celui du parti

Démocrate. La façon dont le parti Socialiste a mis en avant le porte-à-porte

avec un compteur de portes frappées et leur objectif d’ailleurs atteint de 5

millions, c’était totalement Obamesque. Le Parti Socialiste a mis en place des

outils numériques servant à organiser des meetings, réunions d’information, du

phoning, du porte-à-porte. Les militants PS ont aussi bénéficié d’outils web de

mobilisation et de coaching du même type que ceux mis à disposition des

militants démocrates. Au final, le Parti Socialiste s’est beaucoup inspiré du

rapport du think tank « terra nova » pour se moderniser et investir le web.

La comparaison peut-elle aussi se faire du côté des médias en ligne

français et américains ?

Le Véritomètre d’Owni pour lequel j’officie comme fact-checker s’inspire de

façon transparente du Truth-or-Meter de Politifact développé en 2008 pour faire

du fact-checking. Mais hormis notre expérimentation, ce n’est pas évident de

voir se dégager des tendances dans la couverture web. Il me semble que les

médias français se sont inspirés de sites comme America blog, Dailykos,

Politico, Huffigton Post… En France, le problème est que le poids du web est

celui d’un média de complément, à part pour les moins de trente ans. Ce n’est

pas encore un média d’information primaire que sont la télévision, la radio et la

presse écrite. Le web est le lieu de la discussion, du commentaire, du

complément. Le débat et l’éditorial y ont une grande place. On suit un chemin

classique qui est celui des pays occidentaux sur le web. Je pense que de part et

Page 90: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 88  

d’autre de l’Atlantique, on n’a pas vu grand-chose de très original proposé par

les médias en ligne en période de campagne. On est restés conformes aux

médias en ligne américains, nous n’étions pas dans une innovation folle.

Qui a véhiculé le mythe d’une campagne présidentielle 2.0 selon vous ?

Ce sont les groupes de communication comme Publicis Consultant, Euro RSCG

qui apportent à n’importe quel candidat un package communication institutionnel

et un bagage d’outils d’utilisation web. Ce sont ceux qui investissent de l’argent

sur le web. Les jeunes aussi ont pu y croire du fait de leur consommation du

web qui leur sert de cinéma, de média, de console de jeu…Ce sont les lobbyiste

naturels. C’était aussi une illusion journalistique émanant de ceux qui avaient un

micro système dans la tête. Il est exagéré de dire que tout le monde a pensé

que le web allait être un élément clé. Les télévisions détenaient un rôle crucial,

on a retardé ou avancé des meetings en fonction de certaines diffusions sur le

web, c’est dire leur importance.

Dans le cadre de la campagne présidentielle, le média Owni pour lequel

vous travaillez a lancé outil de fact-checking appelé le Véritomètre.

Expliquez-nous son fonctionnement.

Le Véritomètre est un outil de fact-checking, de vérification des discours

publiques issus d’une collaboration entre Owni et i>TELE, dans le cadre de la

campagne présidentielle française. Durant trois mois, des journalistiques ont

vérifié les déclarations, interviews où se trouvaient des données chiffrées, des

déclarations chiffrables. Nous nous sommes concentrés sur les six principaux

candidats que sont François Hollande, Eva Joly, François Bayrou, Jean-Luc

Mélenchon, Marine Le Pen, Nicolas Sarkozy. Nous avons donné au fact-

checking une dimension sociale en impliquant les citoyens dans le processus de

vérification. Ils peuvent ainsi améliorer ou critiquer notre travail.

Cette année, vous avez à la fois été journaliste fact-checkeur pour le pure

player Owni et dirigé une chronique sur i>TELE. Comment cette

collaboration a-t-elle pu voir le jour et comment s’est faite votre

désignation en tant que chroniqueur?

Page 91: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 89  

Guillaume Dasquié, directeur de la rédaction d'Owni, avait déjà travaillé avec un

des directeurs de la rédaction de i>TELE. Au départ, nous voulions proposer

quelque chose d'innovant pour la présidentielle. Un brainstorming a eu lieu chez

Owni où ont été envisagées différentes hypothèses sur le coeur de métier

(datajournalisme, crowdsourcing, etc.). Le factchecking s'est imposé comme

l'hypothèse la plus viable et la plus intéressante pour apporter au débat. Et pour

une chaîne comme i>TELE également. Avant le Véritomètre, il n’y avait pas

d’initiative de fact-checking de cette ampleur et avec une telle régularité. Il s’agit

d’une déclinaison améliorée du Truth-or-Meter de Politifact mis en place lors de

la campagne présidentielle américaine de 2008. Depuis un an, OWNI réfléchit à

un laboratoire d’outils web, de géolocalisation et de crowd-sourcing. Le

Véritomètre se veut être un outil viable et ambitieux. Le partenariat avec I>TELE

a été le pari d’associer un pure player innovant à la pointe avec une audience

de niche, à une chaîne de la TNT grand public. J’ai été choisi comme lien entre

les deux médias et comme chroniqueur pour la chaîne car je suis le journaliste

politique maison chez Owni et j’avais déjà des expériences télé et radio. Par

chronique, je fact-checkais en moyenne 2 à 3 éléments et je mettais à jour le

classement des candidats du moins crédible au plus crédible.

Quelles relations ont noué la télévision et le web dans cette campagne ? Le web a eu un rôle de catalyseur pour les journalistes. Nous entendions en

boucle les expressions : « ça fait la polémique sur le web », « ça s’est dit sur la

Toile ». Il semble que dans l’univers mental des journalistes grand public, le web

est un lieu indépendant de la réalité, un pays étranger où ont lieu des débats

marginaux ou originaux. Or, les internautes sont des citoyens comme les autres

qui ont accès à un navigateur ou un téléphone portable. L’émergence d’un

débat sur Internet est traité comme un événement par les médias traditionnels.

Le web n’est qu’un miroir grossissant où les phénomènes de viralité, de

propagation d’une information ou d’une polémique sont démultipliés par rapport

à la vie réelle par des moyens techniques. La seule chose qui change est le

support. On abordait les internautes comme une autre sorte d’individu. Alors

que le web est une caisse de résonnance où le citoyen est prescripteur de

débat, est libre.

Cet autre terrain s’avère gênant pour les journalistes traditionnels car il ne fait

que souligner et révéler leur manque de veille, d’exhaustivité. L’avantage du

web est de développer des thématiques considérées comme mineures. Les

Page 92: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 90  

médias traditionnels arbitrent froidement sur le traitement de l’info et la

hiérarchie de l’information. Pour évoquer la « planète web », on invite des

chroniqueurs qui dirigent une chronique, de même qu’il y a le correspondant de

Kaboul ou le journal des sports. On oublie que l’internaute est par ailleurs un

électeur, un consommateur.

Quelles ont été les forces et les faiblesses des réseaux sociaux dans cette

campagne ? Quels ont été les comportements des candidats sur ces

réseaux ?

Twitter est encore à l’heure actuelle un média de niche. En France, Twitter n’est

pas aussi important qu’aux Etats-Unis où ce réseau de micro-blogging est une

béquille, voire un concurrent à Facebook. Encore une fois, les échanges entre

les politiques étaient traités comme des événements de la planète Internet. La

faiblesse de Twitter est que ses utilisateurs en font un média de niche avec

leurs private jokes, une mythologie interne. Alors que Facebook est un média

ultra grand public. En dehors des militants, la campagne a été très

déconnectée. Les gens qui s’exprimaient étaient des personnes déjà

convaincues. Les internautes se sont comportés comme des électeurs

normaux, ils ont soutenu leur candidat. Facebook a été le royaume de

l’indécision, ceux qui parlaient le plus étaient les convaincus et Twitter, le

royaume des influenceurs essentiellement peuplé par les journalistes et

communicants. Selon moi, les candidats qui ont réellement fait parler d’eux sur

les réseaux sociaux ont été François Bayrou et surtout Jean-Luc Mélenchon. Il y

a eu beaucoup de commentaires sur les meetings, les apparitions télévisuelles

sur Internet et des systèmes de riposte de hashtags sur Twitter. Les partis se

concurrençaient pour le plus grand nombre de hashtags associés à leur

candidat. Le citoyen internaute n’aime pas qu’on lui impose un débat, il préfère

être prescripteur de débat sur les réseaux sociaux. Il est arraché aux mains des

journalistes, car le citoyen peut choisir son terrain de débat dont notamment les

réseaux sociaux. En revanche, la tentative d’appropriation des réseaux par les

candidats a été un flop. Chacun a des conditions très strictes, les candidats

détestent perdre le contrôle des images, des paroles. Ils ne connaissent pas les

codes communicationnels du web et ne se sont pas confrontés directement au

débat avec les internautes.

Page 93: La campagne présidentielle française de 2012 s'est-elle jouée sur le web?

 91  

Le fact-checking est-il conciliable avec la télévision et les conditions de

l’antenne ? Pourquoi ne s'est-il pas invité cette année sur les plateaux

télévisés quand il y avait des débats?

C'est techniquement parfaitement possible mais la limite est psychologique. Le

blocage est davantage corporatiste que technique car cela induit une nouvelle

vision du journalisme, plus dans la confrontation, dans la contradiction de la

parole politique. Le fact-checking s’est fait en dehors des débats avec des

personnalités politiques parce que ça remettrait en cause l'autorité des

journalistes. Beaucoup d'animateurs vedettes sont attachés au « storytelling »

de l'antenne. L'idée de critiquer les politiques ouvertement remettrait en cause

le rapport entre certains journalistes et certains hommes politiques. Or, je pense

qu’il est nécessaire pour un journaliste de maîtriser les éléments techniques qui

sous-tendent un débat, de développer une forme d’expertise sans faire appel

nécessairement à des experts extérieurs.