la capacidad en domat y pothier

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    LA FORMATION DU CONTRAT DEPUIS LE CODE CIVIL DE 1804 : UN RGIME EN MOUVEMENT SOUS UNE LETTRE FIGE

    par

    tienne MONTERO

    Professeur aux Facults Universitaires Notre-Dame de la Paix Namur

    et

    Marie DEMOULIN

    Assistante aux Facults Universitaires Notre-Dame de la Paix Namur Chercheuse au Centre de Recherches Informatique et Droit (CRID)

    Lorsque Pothier parut, il fallait rsumer le droit ; aujourdhui, il faut ltendre

    TROPLONG , 18471.

    Loffice des juristes, depuis 1804, a t dtendre le droit des contrats ; il doit tre maintenant de le rsumer

    CADIET, 19872.

    INTRODUCTION 1. A laube du 19e sicle, la socit qui assiste la naissance du Code civil est essentiellement rurale, artisanale et bourgeoise. Les grands propritaires terriens, redoutant la concurrence trangre, prnent le maintien des barrires douanires. Lindustrie houillre et mtallurgique en est alors ses balbutiements. La ralit conomique de 1804 et de la premire moiti du sicle est celle du petit commerce et du petit patronat en face de la petite main-duvre 3. Il y avait alors une galit au moins approximative de situation conomique entre les hommes. Mais le 19e sicle se rvle vite comme celui de la rvolution industrielle, de la vapeur triomphante, des grandes industries extractives, des chemins de fer et des grandes usines. Les capitaux circulent, les socits actions pullulent, et les grandes transactions internationales ne portent plus seulement sur le bl ou le btail, mais aussi sur les produits de lindustrie. Avec le dveloppement colossal des entreprises, lapparition des monopoles, lavnement de la production et de la distribution de masse, lcart se creuse inexorablement entre le patron et louvrier, entre le vendeur et le consommateur. Alors que les ngociations se complexifient entre dirigeants des plus hautes sphres industrielles pour llaboration de montages financiers sophistiqus, on assiste, inversement, une standardisation des contrats destins au public, o les conditions proposes sont prendre o laisser. Face cette ingalit conomique, les ractions ne tardent pas, sous linfluence de nouveaux courants de penses. Les faibles sassocient, crant une force par leur union : dabord, les

    1 TROPLONG, Le droit civil expliqu suivant lordre des articles du Code, t. XIX, Du nantissement, du gage et de lantichrse, Paris, Ch. Hingray, 1847, prface p. XLI. 2 L. CADIET, Interrogations sur le droit contemporain des contrats , in Le droit contemporain des contrats, Paris, Economica, 1987, p. 28, n 31. 3 G. MORIN, La loi et le contrat. La dcadence de leur souverainet, Paris, Alcan, 1927, p. 57.

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    travailleurs, plus tard, les consommateurs. Peu peu, les pouvoirs publics se mobilisent et, au fil des gouvernements, multiplient les interventions en vue de rtablir lquilibre. Pendant ce temps, les inventions succdent aux inventions : de la vapeur llectronique, du train aux autoroutes de linformation , du tlgraphe le-mail, le progrs scientifique et technique triomphe et ne cesse de modifier le visage conomique, social et juridique de la socit. 2. Tmoin de la diversit des relations qui se nouent entre les hommes, le contrat na pas chapp cette volution, malgr une remarquable stabilit des textes4. Pendant prs dun sicle, la formation du contrat a t envisage selon un rgime cohrent, et fidle la lettre du Code Napolon. Nous tcherons den dessiner les contours, en retournant aux sources. Ainsi, nous partirons des travaux prparatoires du Code et des crits de Domat5 et de Pothier6, considrs par beaucoup comme les pres du Code civil7. Pothier surtout, brillant vulgarisateur des travaux de ses prdcesseurs8, reprsente bel et bien le dernier tat de la doctrine juridique avant le Code9, et les rdacteurs du titre des Obligations semblent avoir puis abondamment dans ses oeuvres10. Nous suivrons galement les pas des premiers commentateurs tels que Merlin, Toullier, Duvergier et Duranton , sans oublier les thories originales de Demolombe ou la rigueur des principes dAubry et de Rau, pour aboutir enfin aux volumineux travaux de Laurent (section 1). Ce dernier constitue en quelque sorte lauteur charnire, une poque o le rgime traditionnel de la formation du contrat commence rvler ses propres limites, sous linfluence de la rvolution industrielle. Nous examinerons alors comment ce rgime a d sajuster la diversification des modes de formation du contrat, en dgageant les tendances de limportant mouvement jurisprudentiel et lgislatif qui sest dvelopp au-del du Code, voire en marge de celui-ci (section 2). 3. Dans les limites de la prsente tude, il ntait naturellement pas possible de procder lexamen dtaill de toutes les approches traditionnelles de la formation du contrat, tendu sur deux sicles dvolution. Il est certain que ltude de la formation du contrat de 1804 nos jours aurait pu tre structure de bien dautres faons. Un fil conducteur possible eut t dvaluer le sort des principes essentiels de lautonomie de la volont et du consensualisme au

    4 Ainsi, en ce qui concerne la formation des contrats en gnral (art. 1108 1133), on relve que seuls ont t modifis les articles 1124 et 1125, relatifs la capacit des parties, afin de supprimer les femmes de la liste des incapables de contracter (cf. art. 7, 5 et 6, de la loi du 30 avril 1958 relative aux droits et devoirs respectifs des poux, M.B., 10 mai 1958). 5 J. DOMAT, Les loi civiles dans leur ordre naturel, publi pour la premire fois en 1689. 6 R.-J. POTHIER, Traits sur diffrentes matires de droit civil, 2e d., Paris, Debure, 1781. 7 Selon Laurent, ils sont les vritables auteurs du titre des Obligations (F. LAURENT, Principes de droit civil, Bruxelles, Bruylant, 1875, t. XV, p. 473, n 420). Pour de plus amples dveloppements concernant les origines historiques du Code civil de 1804, voy., not., J. IMBERT, Histoire du droit priv, Paris, P.U.F., 1950 ; A. ARNAUD, Les origines doctrinales du Code civil franais, Paris, L.G.D.J., 1969 ; J. GHESTIN et G. GOUBEAUX, Trait de droit civil Introduction gnrale, 4e d., Paris, L.G.D.J., 1994, pp. 89-99, nos 118-138. 8 J. IMBERT caractrise les uvres de Pothier par ces deux traits significatifs : leur manque doriginalit et leur clart : Pothier a pill les uvres de ces prdcesseurs () Mais ces emprunts aux juristes antrieurs devaient justement contribuer au succs de son uvre : reprsentant dune tradition plusieurs fois sculaire, il tait un guide excellent la fois pour la thorie et pour la pratique, dautant plus que chacun de ses petits traits est un modle de clart et de prcision juridiques (Histoire du droit priv, op. cit., p. 69). 9 A travers ses traits, dune clart et dune prcision juridique remarquables, cest en ralit un sicle et demi defforts doctrinaux qui apparat en filigrane. A ce sujet, voy. A. ARNAUD, Les origines doctrinales du Code civil franais, op. cit., spc. p. 218-220 ; J. IMBERT, Histoire du droit priv, op. cit., p. 69. 10 Voy. lexpos des motifs de Bigot-Prameneu, ainsi que le rapport du tribun Favart, in P. A. FENET, Recueil complet des travaux prparatoires du Code civil, Paris, 1827, t. XIII, p. 217 et p. 313. Aussi ne stonnera-t-on pas de retrouver, dans le titre relatif aux contrats et aux obligations conventionnelles en gnral, toute la trame du Trait des obligations de Pothier.

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    gr des dveloppements de lordre public de protection. Une approche encore diffrente eut t de dcrire lirrsistible mouvement de spcialisation qui na cess de saccentuer jusqu nos jours. Cependant, ces volutions ont t souvent dcrites, dans des tudes aussi fouilles que savantes. Conformment aux vux de nos commanditaires, nous avons privilgi, pour notre part, un plan permettant des dveloppements moins abstraits, en replaant la formation du contrat dans un contexte socio-conomique en perptuel mouvement. Dans un souci dunit du propos, nous avons focalis lattention sur la pierre angulaire du contrat, qui nest autre que le consentement, dans ses diffrentes acceptions.

    SECTION 1 DE POTHIER LAURENT : UN MODLE UNIQUE ET COHRENT

    4. Dans le Code civil de 1804, la formation des conventions est domine par un modle contractuel unique et cohrent correspondant la situation conomique et sociale de son temps et qui, grands traits, pourrait se rsumer comme suit : libert, galit et instantanit. A lpoque en effet, dans la majorit des contrats issus du petit commerce et de lindustrie naissante, les parties ngocient librement, sur pied dgalit, en prsence lune de lautre et sans dautres palabres quun marchandage rituel. Le postulat de libert et dgalit des parties contractantes domine toute la formation du contrat, travers les fameux principes de la libert contractuelle et du consensualisme, rassembls sous le dogme de lautonomie de la volont (sous-section 1). Le Code ne sintresse nullement un quelconque processus de formation du contrat, ce dernier tant envisag comme un difice statique, bti instantanment sur la runion de quelques lments essentiels, au sommet desquels trne le consentement (sous-section 2). Sous-section 1. Libert et galit des parties contractantes 5. On sait linfluence exerce sur le Code par la philosophie individualiste et la doctrine conomique librale de lpoque. En effet, selon les philosophes du 18e sicle, les hommes, libres et gaux par nature, ne peuvent se lier que volontairement, cest--dire contractuellement11. Sur le plan conomique, cette ide se traduit dans le libre jeu des initiatives individuelles. Cette libert quont les hommes de rgler leurs activits est ainsi considre comme le meilleur moyen dtablir entre eux les rapports les plus justes et socialement les plus utiles. Les plus justes, car le contrat librement consenti par une partie sauvegarde ncessairement ses intrts. En effet, nul homme raisonnable ne consentirait un engagement qui lui serait prjudiciable. Les plus utiles socialement, car la loi de loffre et de la demande rpond lintrt gnral, en assurant spontanment la prosprit et lquilibre conomique.

    11 Cest sur ce fondement volontaire, ou contractuel, que doivent sorganiser toutes les relations sociales entre les individus. On trouve dj cette ide chez Hobbes, Locke ou Rousseau. Sur le plan des ides politiques, le principe sest rsum dans laffirmation des droits individuels contre lEtat, affirmation coule dans la Dclaration universelle des droits de lhomme et du citoyen de 1789.

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    Cest sur base de ces ides que serait n le concept dautonomie de la volont : lobligation contractuelle repose exclusivement sur la volont des parties, considre la fois comme la source et la mesure des droits et des obligations de ceux qui lont exprime12. On relve que lexpression dautonomie de la volont est absente des travaux prparatoires du Code et de tous les traits du 19e sicle. Paradoxalement, alors que lide dautonomie de la volont est au cur de toute la doctrine civiliste depuis llaboration du Code, la formule mme ne serait apparue quau 20e sicle dans les ouvrages de droit civil sous la plume dauteurs hostiles la conception quelle traduit. Depuis, le dogme de lautonomie de la volont est rgulirement remis en question en tant que fondement de la thorie du contrat13. Malgr tout, sil est aujourdhui cribl dexceptions (infra, section 2), il demeure la rgle pour une majorit de la doctrine contemporaine, qui le considre encore comme un pilier du Code14. Toujours est-il que lon dduit traditionnellement de cette notion centrale les quatre principes lmentaires du droit des contrats : la libert contractuelle, le consensualisme, la convention-loi et leffet relatif des conventions. Dans le cadre de notre tude, seuls les deux premiers retiennent lattention. 1. La libert contractuelle 6. Le principe de la libert contractuelle postule que lhomme est libre de sengager ou non, de choisir son cocontractant, de discuter avec lui, dgal gal, les conditions du contrat, et de lui donner lobjet et le contenu quil estime convenables, sous rserve du respect de lordre public et des bonnes murs15. On retrouve dj cette ide dans les uvres de Domat, o la libert revient comme un leitmotiv en matire de conventions : il est libre toutes personnes capables des engagements, de se lier par toutes sortes de conventions, comme bon leur semble, et de les diversifier selon les diffrentes affaires de toute nature (), pourvu seulement que la convention nait rien de contraire [aux lois et aux bonnes murs] 16. A lorigine, il existait peu de lois impratives susceptibles de brider la libert des parties contractantes. Par la suite, le lgislateur a multipli les interventions lgislatives visant protger lordre public, de sorte que le principe mme de libert contractuelle a t srieusement battu en brche (infra, n 46).

    12 J. FLOUR et J.-L. AUBERT, Droit civil Les obligations, Paris, Masson & Armand Colin, 1996, t. I, 7e d. par J.-L. AUBERT, p. 60, n 94. 13 Pour plus de dveloppements sur lorigine du principe, ses volutions et les critiques dont il a fait lobjet, voy., notamment, E. GOUNOT, Le principe de lautonomie de la volont en droit priv : contribution ltude critique de lindividualisme juridique, Paris, Rousseau, 1912 ; M. PLANIOL et G. RIPERT, Trait pratique de droit civil franais, t. VI, Obligations, 2e d. par P. EISMEIN, Paris, L.G.D.J., 1952, pp. 19 et s., nos 14 et s. ; H. DE PAGE, Trait lmentaire de droit civil belge, t. II, 3e d., Bruxelles, Bruylant, 1964, pp. 436 et s., nos 462 et s. ; V. RANOUIL, Lautonomie de la volont. Naissance et volution dun concept, Paris, P.U.F., 1980 ; J. GHESTIN, Lutile et le juste dans les contrats , Arch. phil. dr., t. 26, 1981, pp. 35-57 ; J. GHESTIN, Le contrat : formation, Trait de droit civil sous la direction de J. GHESTIN, t. II, 2e d., Paris, L.G.D.J., 1988, p. 20 et s., spc. p. 24 ; H. et L. MAZEAUD, J. MAZEAUD et F. CHABAS, Leons de droit civil Obligations, t. II, vol. 1, 9e d. par F. CHABAS, Paris, Montchrestien, 1998, pp. 101 et s. ; J. FLOUR et J.-L. AUBERT, Droit civil Les obligations, op. cit., t. I, 7e d., pp. 60-78, nos 94-128. 14 J. GHESTIN, Lutile et le juste dans les contrats , op. cit., p. 39. 15 M. PLANIOL et G. RIPERT, Trait pratique de droit civil franais, op. cit., t. VI, 2e d., pp. 19-20, n 14. 16 J. DOMAT, Les lois civiles dans leur ordre naturel, le droit public, et legum delectus, spc. le Trait des lois, V, 9. Voy. aussi Les lois civiles, Partie 1, Liv. I, I, II, 1.

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    Dans la thorie classique, la libert contractuelle culmine au stade de la formation du contrat. A linverse, au stade de lexcution, la libert reflue au profit de la scurit contractuelle : le contrat devient alors intangible et irrvocable. Cest ainsi que le Code prserve lquilibre entre les impratifs de libert et de scurit : la libert existe pour entrer dans le contrat, non pour en sortir17 (comp. infra, n 47). 7. Mais la libert contractuelle serait incomplte sans un autre postulat : celui de lgalit absolue des parties dans llaboration du contrat. Cette galit est envisage de manire purement abstraite, indpendamment de lingalit qui peut exister en fait. Pareille ingalit de fait a dailleurs toujours exist dans la socit : dune faon gnrale, celui qui contracte afin de satisfaire un besoin vital est toujours en situation dinfriorit ; de mme, le vendeur est ncessairement avantag par rapport lacheteur, parce quil connat mieux lobjet vendu18. Dans le systme du Code, lingalit conomique des parties importe peu : lgalit juridique suffit19. Malgr tout, cette conception de lgalit, pour abstraite quelle soit, correspond dans une large mesure la socit pr-industrielle de 180420. 2. Le consensualisme 8. Dans un systme consensualiste, le contrat se forme par le seul change des consentements (solo consensu). Ce principe ne doit pas se comprendre comme labsence de forme, mais plutt comme la libert de la forme21. Pour certains auteurs, le consensualisme dcoulerait de la rgle, plus large, de libert contractuelle22. Nanmoins, selon J. Flour, il est plus exact de les considrer, toutes deux, comme des applications particulires, mais distinctes, de lautonomie de la volont. Le consensualisme concerne la forme des contrats. La libert contractuelle est une rgle de fond. Thoriquement, on conoit quun systme juridique consacre lune de ces rgles sans lautre 23. Dun point de vue moral, le consensualisme serait suprieur au formalisme, en ce sens que le premier assure le respect de la parole donne, alors que le second permet de nier son obligation la faveur dune irrgularit purement matrielle. Dun point de vue conomique, il rend les oprations juridiques plus simples, plus rapides et moins coteuses, ce qui savre particulirement utile dans les oprations commerciales courantes. Cette absence de formalit

    17 C. THIBIERGE-GUELFUCCI, Libres propos sur la transformation du droit des contrats , Rev. trim. dr. civ., 1997, pp. 375-376, n 24. 18 Ibidem, p. 38. 19 H. DE PAGE, Trait lmentaire de droit civil belge, t. II, 3e d., Bruxelles, Bruylant, 1964, p. 439, n 462.B. et p. 446, n 263ter. 20 G. BERLIOZ, Le contrat dadhsion, Paris, L.G.D.J., 1973, p. 15, n 15. 21 Pour entrer dans le domaine du droit, la volont, mouvement de pense purement intrieur, requiert un minimum dextriorisation, sous une forme ou lautre. Le consensualisme demeure tant que le choix de ce mode dexpression reste libre. A ce sujet, voy. F. GENY, Science et technique en droit priv positif, t. III, Paris, Sirey, 1921, pp. 103-104, n 204 ; J. FLOUR, Quelques remarques sur lvolution du formalisme , in Le droit priv franais au milieu du XXe sicle. Etudes offertes Georges Ripert, Paris, L.G.D.J., 1950, t. I, p. 96, n 4 ; B. NUYTEN et L. LESAGE, Formation des contrats : regards sur les notions de consensualisme et de formalisme , Rp. Defrnois, 1998, p. 500, n 10. 22 J. GHESTIN, Le contrat : formation, op. cit., 2e d., p. 28, n 40. 23 J. FLOUR, Quelques remarques sur lvolution du formalisme , in Le droit priv franais au milieu du XXe sicle. Etudes offertes Georges Ripert, Paris, L.G.D.J., 1950, t. I, p. 95, n 3, note 4. En ce sens galement, voy. H. DE PAGE, Trait lmentaire de droit civil belge, op. cit., t. II, 3e d., p. 451, n 464.

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    facilite en outre la conclusion des contrats entre absents et permet daccorder une valeur la volont tacite24. Ainsi, tant que lon demeure dans un rgime de libert contractuelle et dgalit des parties contractantes, le consensualisme est pourvu davantages pour le moins apprciables. Cependant, les abus de la pratique vont peu peu aggraver lingalit de fait entre les parties contractantes et rvler les effets pervers dun systme consensuel, ce qui conduira par la suite un phnomne de renaissance du formalisme (infra, n 50). 9. Le principe du consensualisme est antrieur au Code civil. On le retrouve dj chez Loysel, dans sa clbre formule On lie les bufs par les cornes et les hommes par les paroles et autant vaut une simple promesse ou convenance que les stipulations du droit romain 25. On le rencontre plusieurs reprises dans les uvres de Domat, pour qui Les conventions saccomplissent par le consentement mutuel donn et arrt rciproquement. Ainsi la vente est accomplie par le seul consentement, quoique la marchandise ne soit pas dlivre, ni le prix pay 26. Quant Pothier, il divise les contrats entre ceux qui se forment par le seul consentement des parties, et qui, pour cela, sont appels consensuels () et ceux o il est ncessaire quil intervienne quelque chose, outre le consentement 27, qui sont les contrats rels et quelques contrats solennels28. Le principe du consensualisme tait, semble-t-il, tellement bien acquis dans lAncien droit que le Code civil na pas jug utile de le consacrer expressment. Il nest dailleurs proclam nulle part dans les travaux prparatoires. On le dduit, a contrario, de larticle 1101 qui dfinit le contrat sans rfrence la forme, et de larticle 1108 qui, pour la validit des conventions, ne requiert aucune condition de forme. Il serait galement sous-entendu dans la reconnaissance des contrats innomms (art. 1107) et, plus directement, de leffet suffisant et immdiat du seul consentement des parties contractantes pour la formation des contrats en gnral (art. 1138) et de la vente en particulier (art. 1583)29. 10. Si le Code est consensualiste, il nen est pas pour autant anti-formaliste. On trouve, et l dans le Code civil, des solennits entourant la conclusion de certains contrats nomms, en particulier, la donation, le contrat de mariage et la constitution dhypothque30. Davantage que

    24 M. PLANIOL et G. RIPERT, Trait pratique de droit civil franais, op. cit., t. VI, 2e d., p. 100, n 95 ; J. FLOUR et J.-L. AUBERT, Droit civil Les obligations, op. cit., t. I, 7e d., pp. 215-216, nos 310-311 ; P. BRASSEUR, Le formalisme dans la formation des contrats. Approches de droit compar , in M. FONTAINE (sous la dir. de), Le processus de formation du contrat. Contributions comparatives et interdisciplinaires lharmonisation du droit europen, Bruxelles-Paris, Bruylant-L.G.D.J., 2002, pp. 605-606, n 1. 25 LOYSEL, Institutes coutumires, 1607, liv. III, I, 2. 26 J. DOMAT, Les lois civiles dans leur ordre naturel, le droit public, et legum delectus, Partie 1, Liv. 1, I, I, 8. 27 R.-J. POTHIER, Trait des obligations, n 10. 28 Le contrat de mariage, de donation, de lettre de change et de constitution de rente (R.-J. POTHIER, Trait des obligations, n 15). 29 B. NUYTEN et L. LESAGE, Formation des contrats : regards sur les notions de consensualisme et de formalisme , Rp. Defrnois, 1998, p. 502, n 16. Voy. aussi M. PLANIOL et G. RIPERT, Trait pratique de droit civil franais, op. cit., t. VI, 2e d., p. 100, n 95, note 2 ; J. FLOUR et J.-L. AUBERT, Droit civil Les obligations, op. cit., t. I, 7e d., p. 215, n 309. 30 Il convient denvisager sparment les contrats rels (le gage, le prt usage ou commodat, le prt de consommation et le dpt), catgorie en marge du consensualisme, construite sur le formalisme de la tradition. En ralit, selon X. Lagarde, moins quune rgle de forme, lexigence dune tradition rvlerait lexistence dune rgle de fond dont lobjet est dempcher une partie de contraindre lautre lui dlivrer un bien quin fine elle devra lui restituer, alors surtout que le remettant ne peut pas prtendre plus que la restitution ( Observations critiques sur la renaissance du formalisme , J.C.P., G, 1999, doctr. I 170, p. 1771).

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    des exceptions au principe du consensualisme, ces formalits sont plutt regardes comme des solutions marginales31. Sur le plan technique, les formes du Code civil se caractrisent par leur simplicit (obligation de sadresser un notaire ou de rdiger un crit) et leur globalit (un mme instrumentum rpercute dordinaire lacte dans tous ses aspects : protection du consentement, preuve, publicit). Il sagit essentiellement dun formalisme instituant , qui se situe la frontire entre le droit des biens et le droit des personnes : rserv aux actes graves qui engagent la personne autant que son patrimoine , il sexplique plus prcisment en raison de laltration du statut personnel que ceux-ci supposent (le mariage implique une modification de ltat des personnes et leur impose un nouveau statut ; un certain effet daffiliation sattache aux donations ; quant lhypothque, elle revient prcisment hypothquer le statut social du propritaire immobilier)32. Etant donn limportance de ces diffrents actes juridiques, lon conoit sans peine quils fassent lobjet dexigences formelles. Nous verrons par la suite quel point ce formalisme classique diffre des formes modernes, dans ses caractristiques et dans ses objectifs (infra, n 50). Selon la conception traditionnelle du formalisme, on considre quil ne peut y avoir dquipollent une forme solennelle33. Lorsque la loi prescrit laccomplissement dune formalit, il nest pas possible dchapper son application en prtendant que le rsultat attendu a t atteint par un autre moyen34. Ainsi, formalisme ne signifie pas forme complique, mais forme imprative, cest--dire impose, sans quivalent possible 35. Cette approche rigide a rcemment subi une profonde mutation (infra, nos 55 et s.). Sous-section 2. Une conception statique et instantaniste de la formation du contrat 11. Pour la majorit des auteurs, le consentement est au cur de la formation du contrat. Selon Domat, le consentement fait la convention 36. De mme, pour Pothier, lessence de la convention consiste dans le consentement37. Les deux jurisconsultes dfinissent dailleurs la convention par seule rfrence au consentement38. Dans le Code civil, on le retrouve larticle 1108, comme le premier lment essentiel de la convention, devant la capacit,

    31 X. LAGARDE, Observations critiques sur la renaissance du formalisme , op. cit., p. 1170. 32 Ibidem, pp. 1769-1773. 33 A ce sujet, voy. G. COUTURIER, Les finalits et les sanctions du formalisme , Rp. Defrnois, 2000, p. 880 ; J. FLOUR, Quelques remarques sur lvolution du formalisme , in Le droit priv franais au milieu du XXe sicle. Etudes offertes Georges Ripert, Paris, L.G.D.J., 1950, t. I, p. 101, n 9 ; M.-A. GUERRIERO, Lacte juridique solennel, Paris, L.G.D.J., 1975, pp. 103 et s. 34 G. COUTURIER, Les finalits et les sanctions du formalisme , op. cit., p. 886. 35 J. FLOUR, Quelques remarques sur lvolution du formalisme , op. cit., p. 101, n 9. 36 J. DOMAT, Les lois civiles dans leur ordre naturel, le droit public, et legum delectus, Partie 1, Liv. 1, I, I, 8 et 10. 37 R.-J. POTHIER, Trait des obligations, nos 17, 21 et 49 ; Trait du contrat de vente, n 31. 38 Les conventions sont les engagements qui se forment par le consentement mutuel de deux ou plusieurs personnes qui se font entre eux une loi dexcuter ce quils promettent (J. DOMAT, Les lois civiles dans leur ordre naturel, le droit public, et legum delectus, Partie 1, Liv. 1, initio) ; Une convention () est le consentement de deux ou de plusieurs personnes, pour former entre elles quelque engagement, ou pour en rsoudre un prcdent, ou pour le modifier (R.-J. POTHIER, Trait des obligations, n 3).

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    lobjet et la cause39. Ce caractre primordial du consentement est encore rappel par Laurent : Il ny a point de convention sans consentement, par lexcellente raison que le contrat nest autre chose quun concours de consentements ; l o personne ne consent, il ne peut tre question dune obligation : il ny a rien, cest le nant 40. Dans un systme aussi centr sur le consentement, les autres lments constitutifs du contrat sont rattachs la volont des parties, ou perdent toute vritable porte41. Ainsi, la capacit dcoule tout naturellement de lexigence dun consentement : lessence de la convention consistant dans le consentement, il sensuit quil faut tre capable de consentir 42. Lobjet est dtermin par linterprtation du contrat, qui se rduit la recherche de lintention vritable des parties 43. Quant la cause, on sait que les dveloppements de Domat44 et de Pothier45 sont lorigine dune conception objective de la notion, envisage comme un mobile abstrait, toujours le mme selon le type de contrat46. Cette dfinition abstraite de la cause, suivie par la majorit de la doctrine du 19e sicle, sera par la suite vivement critique par le mouvement anti-causaliste, qui lui niera toute utilit relle47. Laurent fut ainsi parmi les premiers remettre en question la thorie de la cause, en affirmant que la loi a tort de distinguer la cause de lobjet et den faire une quatrime condition essentielle pour la validit des contrats 48.

    39 Commentant le texte de cette disposition devant le corps lgislatif, Mouricault insiste sur ce point : Le consentement des parties contractantes est mis la tte et avec raison, puisque toute convention suppose la runion des volonts de ceux qui y interviennent (P. A. FENET, op. cit., t. XIII, p. 416). 40 Principes de droit civil, Bruxelles, Bruylant, 1875, t. XV, p. 531, n 463. 41 J. GHESTIN, Le contrat : formation, op. cit., 2e d., p. 30, n 43. 42 R.-J. POTHIER, Trait des obligations, n 49. 43 J. GHESTIN, Le contrat : formation, op. cit., 2e d., p. 30, n 43. 44 J. DOMAT, Les lois civiles dans leur ordre naturel, le droit public, et legum delectus, Partie 1, Liv. 1, I, I, 5 et 6 ; Partie 1, Liv. 1, I, II, 5 et 6. 45 R.-J. POTHIER, Trait des obligations, nos 42-46. 46 Ainsi, dans les contrats synallagmatiques, la cause de lobligation de chacune des parties est lobligation de lautre ; dans les contrats rels, il sagit de la prestation effectue titre de dpt, de gage ou de prt ; dans les donations, la cause nest autre que lintention librale. 47 Voy. not., la clbre critique de la thorie de la cause par M. PLANIOL, Trait lmentaire de droit civil, t. II, 3e d., Paris, L.G.D.J., 1905, p. 348 et s., nos 1037 et s. Concernant la thorie de la cause en France et en Belgique, voy., notamment, J. DABIN, La thorie de la cause : tude dhistoire et de jurisprudence, Bruxelles, Van Fleteren, 1919 ; H. CAPITANT, De la cause des obligations, 3e d., Paris, Dalloz, 1927 ; L. JOSSERAND, Les mobiles dans les actes juridiques de droit priv, Paris, Dalloz, 1928 ; H. DE PAGE, Trait lmentaire de droit civil belge, op. cit., t. II, 3e d., pp. 462-487, nos 471-494 ; P. VAN OMMESLAGHE, Observations sur la thorie de la cause dans la jurisprudence et dans la doctrine moderne , note sous Cass., 13 nov. 1969, R.C.J.B., 1970, pp. 326-367 ; P.-A. FORIERS, Lobjet et la cause du contrat , in Les obligations contractuelles, Bruxelles, Ed. du Jeune Barreau, 1984, pp. 99-161 ; P. VAN OMMESLAGHE, Examen de jurisprudence (1974-1982) Les obligations , R.C.J.B., 1986, p. 87-95, nos 31-36 ; P.-A. FORIERS, Observations sur la caducit des contrats par suite de la disparition de leur objet ou de leur cause , note sous Cass., 28 nov. 1980, R.C.J.B., 1987, pp. 74-113 ; J. GHESTIN, Le contrat : formation, op. cit., 2e d., pp. 741-858, nos 629-722 ; P.-A. FORIERS, La caducit revisite. A propos de larrt de cassation du 21 janvier 2000 , J.T., 2000, pp. 676-679 ; J. FLOUR et J.-L. AUBERT, Droit civil Les obligations, op. cit., t. I, 7e d., pp. 178-194, nos 260-282. 48 F. LAURENT, Principes de droit civil, op. cit., t. XVI, pp. 150-151, n 111. En ralit, PLANIOL relve que la premire critique srieuse de la thorie de la cause remonte 1826, en Belgique, avec un article de ERNST, La cause est-elle une condition essentielle pour la validit des conventions ? , Bibliothque du jurisconsulte et du publiciste, 1826, p. 250. A lpoque, cette tude aurait t vivement critique en Belgique, puis serait tombe dans loubli, avant dtre reprise par LAURENT. En France, o lopinion de Ernst tait passe compltement inaperue, lapparition de louvrage de Laurent a t le signal des attaques (M. PLANIOL, Trait lmentaire de droit civil, t. II, 3e d., Paris, L.G.D.J., 1905, p. 348, note 4).

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    Traditionnellement, on prte au terme consentement une double signification. Etymologiquement, le consentement (cum sentire) est le concours des volonts des parties sur le contrat projet. Dans un sens plus restreint, il dsigne ladhsion individuelle de chacune des parties au contrat projet, avec la volont de faire natre des effets de droit49. Cest uniquement cet aspect individualiste de la notion qui est envisag par larticle 1108 du Code, lorsquil exige curieusement le consentement de la partie qui soblige 50. Nulle part la formation du contrat nest aborde comme le produit de deux volonts convergentes51. Le Code nexamine que la partie statique du problme, les matriaux grce auxquels va se construire ldifice , sans rechercher comment la construction sopre, comment le contrat se forme dans sa phase dynamique 52. 1. La protection du consentement 12. Dans la mesure o le consentement est le fait gnrateur de lobligation, il doit prsenter un certain degr de qualit et tre le produit dune dtermination libre autant que rflchie53. Domat soulignait dj que Les conventions tant des engagements volontaires, qui se forment par le consentement, elles doivent tre faites avec connaissance et avec libert, et si elles manquent de lun ou de lautre de ces caractres, comme si elles sont faites par erreur ou par force, elles sont nulles 54. Dun autre ct, le souci de scurit juridique conduit assurer la solidit des conventions et vient limiter les effets dduits du rle de la volont. Par ailleurs, la question nest pas exempte de proccupations morales, lies un souci de justice distributive : il faut, dune part, protger les contractants qui, sans avoir commis de ngligence, ont t victimes de leur faiblesse ou de leur ignorance ; dautre part, sanctionner les contractants de mauvaise foi qui ont fait preuve de dloyaut55. Ces trois ordres de proccupation se retrouvent, des degrs divers, dans la manire dont le Code sanctionne les vices du consentement (art. 1109-1118) et dans linterprtation qui en a t faite. Nous en brossons ici un tableau sommaire, afin de dgager les grandes volutions de la thorie des vices du consentement au 19e sicle. 13. Selon Pothier, lerreur annule la convention, non seulement lorsquelle porte sur la chose mme, mais aussi lorsquelle tombe sur la qualit de la chose que les contractants ont eu principalement en vue, et qui fait la substance de cette chose 56. Domat allait plus loin, 49 M. PLANIOL et G. RIPERT, Trait pratique de droit civil franais, op. cit., t. VI, 2e d., p. 99, n 94. 50 Cette formulation a dailleurs suscit la critique, certains auteurs estimant quil aurait t plus juste dexiger le consentement des parties, car mme dans les contrats unilatraux, le consentement de toutes les parties est ncessaire la formation du contrat. A ce sujet, voy. notamment V. MARCADE, Explication thorique et pratique du Code Napolon, Paris, Cotillon, 1859, t. IV, 5e d., p. 340, n 394 ; F. LAURENT, Principes de droit civil, op. cit., t. XV, p. 538, n 466 ; R. NERSON, La volont de contracter , in Mlanges Roger Secrtan, Montreux, Corbez, 1964, pp. 209-210. 51 On relve que, dans le 3e projet de Code civil prsent par Cambacrs en 1798, un article 709 prvoyait que Sans consentement et sans concours de volonts, point de convention (soulign par nous), in P. A. FENET, op. cit., t. I, p. 278. 52 H. DE PAGE, Trait lmentaire de droit civil belge, op. cit., t. II, 3e d., p. 487, n 495. 53 Voy. le discours du tribun Mouricault devant le Corps lgislatif, P. A. FENET, op. cit., t. XIII, p. 416 54 J. DOMAT, Les lois civiles dans leur ordre naturel, le droit public, et legum delectus, Partie 1, Liv. 1, I, II, 2. 55 J. GHESTIN, Le contrat : formation, op. cit., 2e d., p. 398, n 362. 56 R.-J. POTHIER, Trait des obligations, n 18. Lauteur illustre toutefois son propos laide dun exemple centr sur les qualits matrielles de la chose : lachat de chandeliers que lon croit en argent alors quils sont en cuivre.

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    estimant que pour entraner la nullit, lerreur devait avoir dtermin les parties contracter57. Les travaux prparatoires du Code semblent sinspirer de cette ide : il faut que le juge puisse tre convaincu que la partie ne se serait point oblige si elle navait pas t dans cette erreur 58. Pourtant, premire vue, la formulation de larticle 1110 du Code parat plus troite et inspire par le souci dassurer la solidit des conventions : Lerreur nest une cause de nullit de la convention que lorsquelle tombe sur la substance mme de la chose qui en est lobjet 59. Cette notion de substance a dabord t interprte strictement par les premiers commentateurs, qui semblent la limiter lerreur sur la matire60. Cependant, les auteurs du 19e sicle, sappuyant sur la bonne foi et lquit, vont rapidement assimiler lerreur sur la substance lerreur sur les qualits substantielles61. Par substance de la chose, on doit entendre, non seulement les lments matriels qui la composent, mais encore les proprits dont la runion dtermine sa nature spcifique, et la distingue, daprs les notions communes, des choses de toute autre espce 62. Laurent conteste cette conception, quil juge encore trop matrialiste. Revenant aux sources du Code, il prfre sattacher lintention des parties contractantes pour voir si lerreur a t dterminante de leur consentement63. Par ailleurs, des auteurs estimrent, de prime abord, que lerreur devait tre commune aux deux parties, cest--dire que les deux parties devaient stre trompes, excluant ainsi la nullit pour erreur unilatrale64. Par la suite, cette interprtation fut rfute : la rciprocit de lerreur ntant pas une condition exprime dans le Code, on admit la nullit pour erreur unilatrale, ce qui nempchait pas de tenir compte dune ventuelle faute de lerrans pour lui rclamer des dommages et intrts en cas dannulation du contrat65. On aboutit ainsi vers la fin du 19e sicle une interprtation extensive de la notion derreur (comp. infra, n 42). 14. Pothier dfinit la violence comme le fait dinspirer une crainte atteignant le consentement dans son lment de libert. Aussi nest-ce pas la violence qui vicie le consentement, mais la crainte ne de cette violence66. Larticle 1112 marque nettement une dualit de conception dans lapprciation de la violence. Dans un premier alina, il semble exiger que la violence soit de nature faire impression sur une personne raisonnable, critre 57 Si lerreur de fait est telle, quil soit vident que celui qui a err na consenti la convention que pour avoir ignor la vrit dun fait et de sorte que la convention se trouve navoir pas dautre fondement quun fait contraire cette vrit qui tait inconnue, cette erreur suffira pour annuler la convention (J. DOMAT, Les lois civiles dans leur ordre naturel, le droit public, et legum delectus, Partie 1, Liv. 1, XVIII, I, 7). 58 Expos des motifs de Bigot-Prameneu, P. A. FENET, op. cit., t. XIII, p. 223. 59 Soulign par nous. 60 Voy. C.-B.-M. TOULLIER, Le droit civil franais suivant lordre du Code, 5e d., t. VI, Paris, Wahlen, 1830, pp. 60-61, nos 55-56 ; J.-B. DURANTON, Cours de droit civil franais, 3e d., t. VI, Bruxelles, Tarlier, 1833, pp. 33-34, nos 114-116. 61 La formule semble tre de C. DEMOLOMBE, Cours de Code civil, t. XII, Bruxelles, Stienon, 1868, pp. 32-33, nos 87-88. T. HUC estime, pour sa part, que cette formule est contraire au texte, qui parle de substance et non de qualit (Commentaire thorique et pratique du Code civil, t. VII, Paris, Cotillon, 1894, pp. 35 et s., nos 22 et s.). 62 C. AUBRY et C. RAU, Cours de droit civil franais, t. VI, 6e d., Paris, Ed. Techniques, p. 433, 343bis. 63 F. LAURENT, Principes de droit civil, op. cit., t. XV, pp. 562-564, n 489. 64 LAROMBIERE, cit par C. DEMOLOMBE, Cours de Code civil, op. cit., t. XII, pp. 36-37, n 100. 65 C. DEMOLOMBE, op. cit., pp. 37 et s., nos 101 et s., spc. n 103. Comp. F. LAURENT, Principes de droit civil, op. cit., t. XV, pp. 575 et s., nos 502 et s. 66 R.-J. POTHIER, Trait des obligations, nos 21 et 25.

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    absolu et objectif, considr par les auteurs comme une rminiscence du droit romain qui exigeait que la violence soit atroce et de nature faire impression sur une personne trs courageuse 67. Laurent critique la manire de son temps cette conception stocienne de la violence : La loi a tort de dire en termes absolus que la menace ne sera pas violence, si elle nest pas de nature faire impression sur une personne raisonnable ; la fin de larticle dit le contraire. Est-ce quun vieillard affaibli par lge est encore une personne raisonnable ? Est-ce quune femme enceinte jouit de la plnitude de sa volont et a-t-elle la force de caractre quelle possde dordinaire ? 68. Aussi, lalina 2 tempre-t-il lamorce de larticle 1112, en prcisant qu on a gard, en cette matire, lge, au sexe et la condition des personnes . Autrement dit, le Code adopte en fin de compte un point de vue subjectif de la violence, directement dduit du rle de la volont dans la formation du contrat, en considrant linfluence effectivement exerce sur le consentement69. Larticle 1113, qui prvoit que la violence est une cause de nullit du contrat, non seulement lorsquelle a t exerce sur la partie contractante, mais encore lorsquelle la t sur son poux ou sur son pouse, sur ses descendants ou ses ascendants 70, a t largement interprt par Demolombe. Selon lauteur, cette numration nest pas limitative, car la conscience se soulve la pense que le lgislateur ait dcrt un article duquel il rsulterait que, en prsence dun parent, dun alli, dun ami, ou mme dun tranger, menac de prir sous le fer dun assassin, si je ne moblige pas, je suis nanmoins libre de ne pas mobliger ! Non, certes, je ne suis pas libre ; il est incontestable quun tel consentement mest extorqu par la violence 71. Simplement, dit-il, la violence exerce contre les personnes dsignes par larticle 1113 est prsume de plein droit avoir t exerce contre la partie contractante elle-mme, sans quaucune preuve soit faire de leurs relations damiti ou autres ; alors quen cas de violence exerce contre dautres personnes, le contractant doit faire la preuve de lexistence, entre eux, de rapports tels quil a pu ressentir cette violence comme si elle avait t exerce directement contre lui. Cette opinion particulirement tranche fut vivement critique par la majorit des auteurs de lpoque72, avant de trouver un cho favorable dans la doctrine du 20e sicle73.

    67 Voy. C.-B.-M. TOULLIER, Le droit civil franais suivant lordre du Code, op. cit., 5e d., t. VI, p.83, n 79, note 1 ; C. DEMOLOMBE, Cours de Code civil, op. cit., t. XII, p. 45, n 134 ; F. LAURENT, Principes de droit civil, op. cit., t. XV, pp. 589-590, n 513. 68 F. LAURENT, Principes de droit civil, op. cit., t. XV, p. 589, n 513. 69 J. GHESTIN, Le contrat : formation, op. cit., 2e d., p. 399, n 363. 70 Bien que larticle 1113 semble inspir de Pothier, notons que ce dernier tait moins restrictif dans son numration des victimes de la violence : il faut que la partie ait t intimide par la crainte dun grand mal, soit en sa propre personne, soit en celle de ses enfants ou de quelque autre de ses proches (Trait des obligations, n 25, soulign par nous). 71 C. DEMOLOMBE, Cours de Code civil, op. cit., t. XII, pp. 53-54, n 162. 72 Selon F. LAURENT, On conoit que lon arrache le consentement du dbiteur, en le menaant lui et les siens dun mal considrable et prsent ; mais qui donc peut songer extorquer le consentement en violentant un parent quelconque, un ami ou un tranger ? (Principes de droit civil, op. cit., t. XV, pp. 596-598, n 520). T. HUC estime pour sa part que la position dfendue par Demolombe quivaudrait admettre que la violence exerce dailleurs contre nimporte qui sera une cause de nullit si la partie qui sest oblige tablit quelle a t motionne par le danger couru par nimporte qui ! (Commentaire thorique et pratique du Code civil, op. cit., t. VII, p. 49, n 31). Voy. aussi C. AUBRY et C. RAU, Cours de droit civil franais, op. cit., t. VI, 6e d., p. 440, note 14. 73 R. DEMOGUE, Trait des obligations en gnral, t. I, Paris, Rousseau, 1923, pp. 520-521, n 323 ; M. PLANIOL et G. RIPERT, Trait pratique de droit civil franais, op. cit., t. VI, 1952, p. 233, n 193 ; H. DE PAGE, Trait lmentaire de droit civil belge, t. I, Bruxelles, Bruylant, 1962, pp. 76-77, n 61.

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    Larticle 1111 prvoit que la violence est une cause de nullit, quelle soit exerce par le cocontractant ou par un tiers. Par contre, la nullit pour violence manant des circonstances (naufrage, incendie, attaque de bandits) est rejete par les auteurs du 19e sicle74. Selon eux, la violence admise par le Code doit sentendre dune voie de fait pratique avec intention, par une personne sur une autre, dans le but dextorquer son consentement 75. Pothier tait de cet avis, tout en estimant que si javais promis une somme excessive [pour que lon vint mon secours], je pourrais faire rduire mon obligation la somme laquelle on apprcierait la juste rcompense du service qui ma t rendu 76. La majorit des auteurs subsquents ont fermement combattu cette opinion, au motif que la lsion pour violence nest pas admise par le Code et que le juge na pas le pouvoir de modifier la convention des parties77. Il faudra attendre la fin du 19e sicle pour que la jurisprudence, puis le lgislateur, admettent que la violence puisse rsulter des circonstances (voy. infra, n 42). 15. Larticle 1116 du Code, relatif au dol, vise sanctionner la dloyaut du cocontractant. Par ailleurs, cette disposition fait une place au rle de la volont, sans ngliger pour autant limpratif de scurit juridique. En effet, on tient compte de linfluence exerce par le dol sur le consentement, tout en exigeant que cette influence ait t dcisive pour autoriser lannulation. Dans lesprit des auteurs du Code, le dol semble envisag sous une forme active et positive, comme lemploi dartifices dans le but de tromper78. Cela nempche pas les premiers commentateurs du Code de distinguer demble le dol positif, qui consiste faire soi-mme, ou faire faire par autrui des choses qui donnent lieu de croire ce qui nest pas et le dol ngatif, qui consiste faire ou dissimuler certaines choses pour faire natre ou pour entretenir lerreur de lautre partie 79. Ainsi, Toullier admet expressment quon peut commettre un dol par une simple dissimulation ou par une rticence80. Demolombe reconnat lui-mme quil importe peu que le dol consiste dans des affirmations mensongres ou dans des dissimulations ou des rticences fallacieuses, condition quil y ait intention dloyale et que le dol ait dtermin lautre partie contracter81. Nanmoins, la porte du dol ngatif reste fortement discute en doctrine tout au long du 19e sicle. On relve en effet une indulgence particulire de la doctrine lgard de certains comportements indlicats, voire mme de mauvaise foi. Ainsi, selon Pothier, si la dissimulation est rprouve par la morale, elle ne constitue cependant pas un vrai dol . Dans le for intrieur, on doit regarder comme contraire [la] bonne foi tout ce qui scarte un tant soit peu de la sincrit la plus exacte et la plus scrupuleuse : la seule dissimulation sur 74 Voy. C.-B.-M. TOULLIER, Le droit civil franais suivant lordre du Code, op. cit., 5e d., t. VI, pp. 87-88, n 85 ; C. DEMOLOMBE, Cours de Code civil, op. cit., t. XII, pp. 50-52, nos 150-151 ; F. LAURENT, Principes de droit civil, op. cit., t. XV, p. 596, n 519 ; T. HUC, Commentaire thorique et pratique du Code civil, op. cit., t. VII, pp. 44-47, n 30. 75 C. DEMOLOMBE, Cours de Code civil, op. cit., t. XII, p. 51, n 150 (soulign par nous). Dans le mme sens, T. HUC, Commentaire thorique et pratique du Code civil, op. cit., t. VII, pp. 44-45, n 30 76 R.-J. POTHIER, Trait des obligations, n 24. 77 C.-B.-M. TOULLIER, Le droit civil franais suivant lordre du Code, op. cit., 5e d., t. VI, p. 88, n 85 ; C. DEMOLOMBE, Cours de Code civil, op. cit., t. XII, p. 51, n 151 ; F. LAURENT, Principes de droit civil, op. cit., t. XV, p. 596, n 519 ; T. HUC, Commentaire thorique et pratique du Code civil, t. VII, Paris, Cotillon, 1894, pp. 45 et 47, n 30. 78 Expos des motifs de Bigot-Prameneu, P. A. FENET, op. cit., t. XIII, p. 224. 79 C.-B.-M. TOULLIER, Le droit civil franais suivant lordre du Code, op. cit., 5e d., t. VI, p. 90, n 88. 80 Ibidem. 81 C. DEMOLOMBE, Cours de Code civil, op. cit., t. XII, p. 57, n 172.

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    ce qui concerne la chose qui fait lobjet du march, et que la partie, avec qui je contracte, aurait intrt de savoir, est contraire cette bonne foi (). Dans le for extrieur, une partie ne serait pas coute se plaindre de ces lgres atteintes, que celui, avec qui [elle] a contract, aurait donnes la bonne foi ; autrement, il y aurait un trop grand nombre de conventions qui serait dans le cas de la rescision, ce qui donnerait lieu trop de procs, et causerait un drangement dans le commerce 82. Une majorit de la doctrine du 19e sicle se range cette ide, estimant quil y a des dols qui, sans tre licites, sont tolrs et ne donnent lieu aucune action, ni en nullit, ni en dommage et intrts, moins de prsenter un caractre exceptionnel de fourberie83. Ce dol tolr, qui voque le dolus bonus du droit romain, dcoule de la libert du commerce et du postulat dgalit des parties contractantes, dont il rsulte ncessairement que chacune des parties semploie faire la meilleure affaire possible : de l ces procds par lesquels le plus souvent le vendeur exalte la qualit de sa chose, dissimule ou attnue ses dfauts ; tandis que lacheteur ne se fait pas de faute de la dprcier, afin dobtenir, chacun de son ct, un march plus avantageux 84. On estime en effet que ces procds habituels ne trompent personne, nempchent aucune vrification et ne conduisent pas ncessairement lerreur85. Il appartient lacheteur consciencieux de se tenir sur ses gardes et de se renseigner sur lopportunit de conclure le contrat86. Le vendeur ne saurait tre oblig de fournir des informations de nature dissuader lacheteur (sur lvolution de cette opinion, voy. infra, n 43). Laurent se rvolte cependant contre cette doctrine, qui admet si ouvertement que la tromperie est une ncessit du commerce, ce qui reviendrait dire que la place dun honnte homme nest pas dans une boutique 87. Estimant quil faut admettre que toute tromperie causant un prjudice donne droit une rparation, sur la base des articles 1382 et 1383 du Code, il exhorte les juges user du pouvoir discrtionnaire qui leur appartient pour donner des leons de moralit aux parties contractantes, en attendant que lducation morale dveloppe la dlicatesse de conscience qui devrait rgner dans tous les rapports des hommes 88. Nous verrons par la suite que son appel a t entendu, dabord par la jurisprudence (infra, nos 42-43), puis par le lgislateur lui-mme (infra, n 49). 16. Cest avant tout dans le but dassurer la scurit des conventions que le Code civil carte la lsion comme cause gnrale de nullit des contrats : Toute lsion pratique sciemment est un acte dinjustice aux yeux de la morale, mais ne saurait tre un moyen de restitution aux yeux de la loi. La vertu est lobjet de la morale, la loi a plus pour objet la paix que la vertu. Si la moindre lsion suffisait pour rsoudre la vente, il y aurait parmi les hommes presque autant de procs quil se fait dacquisitions 89. Ainsi, la lsion nest admise qu titre exceptionnel, pour certaines personnes, cest--dire les mineurs (art. 1305), ou dans certains cas particuliers, cest--dire en matire de successions (art. 783 et 887) et pour les ventes amiables 82 R.-J. POTHIER, Trait des obligations, n 29. 83 C. AUBRY et C. RAU, Cours de droit civil franais, op. cit., t. VI, 6e d., pp. 442-443 ; C. DEMOLOMBE, Cours de Code civil, op. cit., t. XII, p. 59, n 180. 84 C. DEMOLOMBE, Cours de Code civil, op. cit., t. XII, p. 58, n 178. 85 T. HUC, Commentaire thorique et pratique du Code civil, op. cit., t. VII, p. 54, n 36. 86 Lacheteur sait quil se doit tenir en garde contre les prospectus, les annonces et les exagrations du vendeur, et quil doit chercher ailleurs et dans un examen personnel de lobjet vendu les motifs dterminants de son achat (Paris, 29 janvier 1861, D. 1862, I.429 ; S. 1862, I.849). 87 F. LAURENT (citant Cicron), Principes de droit civil, op. cit., t. XV, p. 604, n 528. 88 Ibidem. 89 Expos des motifs de Portalis, P. A. FENET, op. cit., t. XIV, p. 136.

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    dimmeubles, dans lintrt du vendeur seulement (art. 1674). Dans ces hypothses, le rle de la volont nest pas mis compltement lcart, car alors la lsion procde dun vice du consentement, savoir une sorte de pression morale rsultant des circonstances imprieuses, ou lentranement de quelque passion aveugle, impatiente de se satisfaire90. Malgr la rigueur du principe, on note, ds 1850, un frmissement de la jurisprudence face certaines situations inquitables. Ainsi, Demolombe relate que des conseils de prudhommes ont dclar nulles des conventions entre le matre et louvrier sur le taux des salaires, au motif que ces conventions taient lsionnaires et devaient tre considres en consquence comme frauduleuses et contraires lordre public. Demolombe sinsurge avec vhmence contre une telle dcision : Est-ce que ce nest pas la libre volont des deux parties contractantes quil appartient souverainement de dcider entre elles [ce que vaut le salaire] ? Evidemment oui ! Qui naperoit, en effet, tous les dangers dune telle doctrine, et quen violant les textes mmes de notre code en matire de rescision pour cause de lsion (art. 1118), elle viole galement deux principes essentiels et dordre public aussi, savoir : linviolabilit des conventions et la libert du commerce et de lindustrie 91. Aussi ces jugements ont-ils t casss par la cour suprme. Il est vrai quau regard de la pure doctrine librale, la lsion est simplement inconcevable : Il ny a pas dautre juste prix que celui dont les parties ont convenu 92. En effet, les parties tant libres et gales, du moment o le dbiteur sest li, cest que le contrat quil a conclu sauvegardait ses intrts. Cest la clbre formule de Fouille : Qui dit contractuel, dit juste 93. Lexprience ne devait pas tarder infliger de cruels dmentis ce bel optimisme et plaider pour ladoption de mesures protectrices (infra, n 42). 17. Malgr cet largissement progressif des vices du consentement traditionnels, ceux-ci sont apparus insuffisants pour assurer de faon adquate la protection de la volont et, travers celle-ci, la justice contractuelle94. Do le dveloppement ultrieur dautres modes de protection du consentement (infra, nos 43 et s.). 2. Lchange des consentements 18. Aucune disposition du Code nest consacre lchange des consentements, la concordance des volonts en prsence, cest--dire en dfinitive au processus mme de formation du contrat. A fortiori, les notions doffre et dacceptation y sont passes sous silence95. Pourtant, dans un projet de Code civil prcdent, Cambacrs avait envisag de 90 C. DEMOLOMBE, Cours de Code civil, op. cit., t. XII, p. 67, n 202 ; T. HUC, Commentaire thorique et pratique du Code civil, op. cit., t. VII, p. 60, n 40. 91 C. DEMOLOMBE, Cours de Code civil, op. cit., t. XII, p. 66, n 200. 92 La formule serait de Jourdan, conomiste de la fin du 19e sicle, cit par E. GOUNOT, Le principe de lautonomie de la volont en droit priv : contribution ltude critique de lindividualisme juridique, Paris, Rousseau, 1912, p. 74. 93 Cit par E. GOUNOT, Le principe de lautonomie de la volont en droit priv : contribution ltude critique de lindividualisme juridique, Paris, Rousseau, 1912, p. 73. 94 J. GHESTIN, Le contrat : formation, op. cit., 2e d., pp. 400-401, n 365. 95 On relve cependant dans le Code, propos de la formation de certains contrats spciaux, lutilisation du terme acceptation : pour les donations (art. 894, art. 932 et s.) et pour le contrat de mandat (art. 1984, al. 2, art. 1985, al. 2, et art. 1990 (dans sa rdaction initiale)). On serait tent dy ajouter le dpt (art. 1925), mais lacceptation du dpt dont parle le texte devrait plutt sentendre de la chose dpose que du contrat lui-mme, et le dpositaire est envisag comme laccipiens et non comme lacceptant (cf. art. 1928, 1). Le terme offre ,

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    faire expressment allusion ces notions. Le projet comportait ainsi un article disposant que La promesse dun seul non accepte nest point une convention 96. Dans le silence du Code, les auteurs anciens se sont efforcs de rsoudre la question de la formation du contrat sur base de lautonomie de la volont. Pour quil y ait engagement, il faut et il suffit que deux volonts concordantes aient t exprimes et se soient rencontres. Le contrat est ainsi conclu linstant prcis o les volonts concourent. Par la force des choses, lune des manifestations de volont prcde lautre : une partie prend linitiative, en formulant une offre (ou pollicitation), et lautre partie marque son accord par une acceptation, soit demble, soit aprs une discussion comportant une srie de contre-offres. Pothier ne disait pas autre chose, lorsquil dfinissait la convention comme le concours des volonts de deux personnes, dont lune promet quelque chose lautre, et lautre accepte la promesse qui lui est faite 97. Le schma classique de la formation du contrat repose ainsi sur deux postulats98 : les parties ont pu, dune part, individualiser leur accord, en dterminant le dtail de leurs obligations, dautre part, dbattre de leur accord, par un jeu de propositions et de contre-propositions si loffre na pas t accepte demble. Nous verrons par la suite que ces postulats ne correspondent pas toujours la ralit (infra, nos 39 et s.). 19. Selon la doctrine classique, puisque le fait gnrateur dobligation est laccord de deux volonts, il sensuit que la volont dun seul ne saurait suffire lengager : loffre non accepte est donc librement rvocable. Ainsi, pour Pothier, la pollicitation ne produit aucune obligation proprement dite ; et celui qui a fait cette promesse peut sen ddire tant quelle na pas t accepte par celui qui elle a t faite 99. Par contre, une fois loffre accepte, le contrat est dfinitivement scell et aucune des parties ne peut revenir sur son engagement (comp. infra, n 51). Durant tout le 19e sicle, cette opinion a t largement suivie par la doctrine100. Cependant, chez certains auteurs isols, lide que loffre pourrait tre en soi un acte juridique gnrateur dobligation sest peu peu dveloppe. Ainsi, dans sa thorie de lavant-contrat, Demolombe considre que si loffre est assortie dun dlai implicite ou explicite , il existe dj une convention gnrant, dans le chef du pollicitant, lobligation de ne pas retirer son offre avant lexpiration du dlai et, dans le chef du destinataire de loffre, le droit de former, dans ce dlai et par son acceptation, le contrat (principal) propos101. Ds 1891, Worms, quant lui, nintervient qu propos du paiement ( offres relles , art. 1257 et s.). G. Rouhette estime, juste titre, que cette terminologie ambigu et incolore constitue tout au plus les rudiments dune typologie des contrats en considration de leur structure, et ne saurait fournir une explication unique de la naissance du lien obligatoire dans les diverses catgories de contrat (G. ROUHETTE, Droit de la consommation et thorie gnrale du contrat , in Etudes offertes R. Rodire, Paris, Dalloz, 1981, p. 260, n 15). 96 Soulign par nous. Art. 710 du 3e projet de Code civil prsent par Cambacrs en 1798, P. A. FENET, op. cit., t. I, p. 278. 97 R.-J. POTHIER, Trait des obligations, n 4. 98 J. FLOUR et J.-L. AUBERT, Droit civil Les obligations, op. cit., t. I, 7e d., p. 113, n 181. 99 R.-J. POTHIER, Trait des obligations, n 4. 100 Voy. C.-B.-M. TOULLIER, Le droit civil franais suivant lordre du Code, op. cit., 5e d., t. VI, pp. 25-27, nos 24-25 ; C. AUBRY et C. RAU, Cours de droit civil franais, op. cit., t. IV, 6e d., p. 126 ; F. LAURENT, Principes de droit civil, op. cit., t. XV, pp. 539-543, nos 468-471. Pour une tude fouille de lvolution des thories de loffre, voy. J.-L. AUBERT, Notions et rles de loffre et de lacceptation dans la formation du contrat, Paris, L.G.D.J., 1970, pp. 79-121. 101 C. DEMOLOMBE, Cours de Code civil, op. cit., t. XII, pp. 22-23, nos 64-66.

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    sappuyant sur le droit romain et plusieurs cas de jurisprudence, va sattacher dmontrer que la tradition juridique ninterdit pas de poser en principe quune simple dclaration unilatrale de volont puisse donner naissance une obligation pesant sur son auteur102. 20. La question de la rvocation de loffre tant plus aigu dans lhypothse de contrats conclus entre absents, cest sur ce terrain que sest concentr le dbat. A lorigine, les contrats entre absents se concluaient uniquement par change de lettres missives. Vu la lenteur des communications postales, un laps de temps important pouvait scouler entre lexpdition et la rception dune offre, et entre lexpdition et la rception de lacceptation. Durant cette priode, loffrant (voire lacceptant) pouvait changer davis, dcder ou devenir incapable. La ncessit de dgager un critre pertinent pour la dtermination du moment prcis de formation du contrat est ainsi apparue en raison de la lenteur des communications postales et de limportance de lintervalle de temps pouvant sparer volont exprime et volont connue de lautre partie (comp. infra, n 62). Ainsi, Pothier dcide que pour que le consentement intervienne en ce cas, il faut que la volont de la partie, qui a crit lautre pour lui proposer le march, ait persvr jusquau temps auquel sa lettre sera parvenue lautre partie, et auquel lautre partie aura dclar quelle acceptait le march 103. Si, avant que la proposition ne parvienne au destinataire, son auteur se rtractait, mourait, ou perdait la raison, il ny aurait pas de contrat, mme si le destinataire, ignorant ce changement de circonstances, avait dj accept le march. On notera que, malgr la distance sparant les parties et le temps ncessaire lacheminement du courrier, Pothier ne sintresse gure la localisation du contrat dans lespace ou dans le temps, mais plutt au maintien de la proposition jusqu son acceptation. 21. On sait que, par la suite, la question du moment de formation du contrat a donn lieu de vives controverses entre, dune part, les auteurs qui sattachent la manifestation de lacceptation (thorie de la dclaration et thorie de lmission), dautre part, ceux qui accordent la primaut la notification de lacceptation (thorie de la rception et thorie de linformation)104. Pour les premiers, la conclusion du contrat sopre par la coexistence105 dune offre et dune acceptation. Pour les seconds, le concours des volonts nest pas la seule coexistence de celles-ci, mais leur connaissance rciproque106. Sans entrer dans la controverse, examinons les principaux arguments des auteurs du 19e sicle ce sujet. Baudry-Lacantinerie estime quil y a contrat aussitt que loffre est agre, sans quil soit ncessaire que cette acceptation ait t connue de celui qui a fait loffre. Nanmoins, le concours purement mtaphysique des volonts ne suffit pas : il faut quil y ait trace de lacceptation. Cest la thorie de la dclaration. Demolombe, pour sa part, estime quil doit y avoir en outre une manifestation irrvocable de lacceptation107. Duvergier partage cette opinion : Si la lettre par laquelle on accepte est remise la poste, dpt public o il nest

    102 R. WORMS, De la volont unilatrale considre comme source dobligations, Paris, 1891, cit et examin par G. BAUDRY-LACANTINERIE, Trait thorique et pratique de droit civil Des obligations, t. I, Paris, 1897, pp. 24-28, n 28 ; T. HUC, Commentaire thorique et pratique du Code civil, op. cit., t. VII, pp. 22-23, n 12 ; J.-L. AUBERT, Notions et rles de loffre et de lacceptation dans la formation du contrat, op. cit., pp. 105 et s. 103 R.-J. POTHIER, Trait du contrat de vente, t. I, Paris, Debure, 1781, n 32. 104 Pour un expos dtaill de ces thories, voy. J.-L. AUBERT, Notions et rles de loffre et de lacceptation dans la formation du contrat, op. cit., pp. 346-392. 105 C. DEMOLOMBE, Cours de Code civil, op. cit., t. XII, p. 27, n 75, 2. 106 F. LAURENT, Principes de droit civil, op. cit., t. XV, p. 551, n 479. 107 C. DEMOLOMBE, Cours de Code civil, op. cit., t. XII, pp. 26-27, nos 72 et 75.

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    plus possible de la retirer, o elle cesse sur-le-champ dtre la proprit du souscripteur, pour devenir la proprit du destinataire, ds lors le consentement est irrvocable, il est acquis celui qui il sadresse ; car cest en quelque sorte lui-mme quil est remis. Quimporte que lacceptation ne lui soit pas connue linstant mme, puisquelle le sera ncessairement plus tard 108. Cest la thorie de lexpdition. Troplong estime au contraire quil doit y avoir rciprocit entre les volonts : lacceptation ne contient pas de lien de droit tant quelle nest pas parvenue loffrant109 (thorie de la rception). Merlin dfend avec ardeur cette ide, estimant que si la promesse peut tre rtracte tant quelle nest pas parvenue son destinataire, il va de soi que lacceptation aussi. A lappui de cette thse, il recourt des exemples aussi savoureux qutonnants, tels que lhypothse dun sourd qui nentendrait pas lacceptation dune offre quil a faite, ou encore celle de la conclusion dun contrat par le biais dune vote acoustique110. Dans la rigueur mme du principe, il ne peut y avoir un rel concours de volonts tant que loffrant na pas effectivement pris connaissance de lacceptation (thorie de linformation). Nanmoins, la plupart des auteurs saccordent carter cette conception, qui ferait dpendre la conclusion du contrat du bon vouloir de loffrant111. Quelle que soit la thorie soutenue, il est piquant de constater que Pothier, qui ne sintressait gure lacceptation, fut cit comme argument dautorit, aussi bien lappui des premires thories112 que des secondes113. Le dveloppement des transactions internationales, en particulier entre entreprises, a soulev la question du lieu de formation du contrat. Traditionnellement, cette question est rsolue de

    108 J.-B. DUVERGIER, Le droit civil franais, t. I, Paris, Renouard, 1835, p. 57, n 61. En ce sens galement, A. DURANTON, Le droit civil franais, t. IX, Bruxelles, Tarlier, 1833, pp. 19-21, n 45 ; C. AUBRY et C. RAU, Cours de droit civil franais, op. cit., t. IV, 5e d., 343, p. 486. 109 TROPLONG, De la vente, Bruxelles, Wahlen, 1844, nos 25-26. 110 Nous ne rsistons pas la tentation de reproduire intgralement ce dernier exemple, pour le moins alambiqu : un homme a dans son cabinet une vote acoustique, organise de manire que, daprs les sinuosits diverses et extrmement multiplies des tuyaux qui la composent, les paroles transmises par lune des extrmits, narrivent lautre que dans un espace de cinq minutes. Je me trouve en prsence de cet homme, et dans son cabinet mme. L, aprs mavoir dit : Voulez-vous macheter telle chose, moyennant telle somme, il ajoute : Rpondez-moi par ma vote acoustique. L-dessus, nous nous plaons, moi lune des extrmits de sa vote, lui lautre, et je lui dis, par ce porte-voix : Je le veux bien. Mais, une minute aprs, je change de rsolution, je cours lui, et, avant quil ait pu entendre ma rponse, je lui dis : Je ne le veux pas. Pourra-t-il, aprs avoir entendu la rponse que je lui ai dabord faite par sa vote acoustique, prtendre que cette rponse lui ayant t transmise par des tuyaux dont il est propritaire, et tant par consquent devenue sa proprit linstant mme o elle est sortie de ma bouche, je nai pas pu la rtracter avant quelle et frapp son oreille ? Non, videmment non, cent fois non. Donc, par la mme raison, lobligation que je contracte par une lettre envers un absent ne me lie pas, tant que labsent qui jai adress cette lettre ne la pas reue (MERLIN, Rpertoire, Bruxelles, Tarlier, 1828, t. 36, V Vente, 1er, art. III, n XIbis, pp. 52-53). 111 Certains auteurs estiment en outre, que la thorie de linformation, prise la lettre, conduirait un cercle vicieux : lacceptant devrait son tour tre inform du fait que loffrant a bien reu son acceptation, et ainsi de suite (G. BAUDRY-LACANTINERIE, Trait thorique et pratique de droit civil Des obligations, t. I, Paris, 1897, p. 46, n 37). 112 A. DURANTON, Le droit civil franais, op. cit., t. IX, n 45 ; J.-B. DUVERGIER, De la vente, op. cit., t. I, n 61 113 MERLIN, qui dfend la thorie de la rception, estime au contraire que si, selon Pothier, la promesse peut tre rtracte tant quelle nest pas parvenue son destinataire, il va de soi que lacceptation aussi (Rpertoire, Bruxelles, Tarlier, 1828, t. 36, V Vente, 1er, art. III, nos XI et XIbis). TROPLONG, pour sa part, estime que Pothier na sans doute pas donn sa pense tout le dveloppement ncessaire, et quil ne faut pas en dduire ncessairement quil pense que la vente est parfaite mme si loffrant na pas connaissance de lacceptation (De la vente, op. cit., n 25).

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    la mme faon que celle du moment de formation. Ce nest que par la suite, notamment avec linvention du tlphone, que certains auteurs envisageront la localisation du contrat dans lespace et dans le temps de manire distincte114.

    SECTION 2

    DE LA SOCIT INDUSTRIELLE LA SOCIT DE LINFORMATION : VERS UN MIETTEMENT DES RGLES

    22. Lavnement de la rvolution industrielle a fait voler en clats le modle issu du Code civil de 1804 qui, durant prs dun sicle, a domin sans partage la formation du contrat. Lindustrialisation a profondment boulevers le paysage socio-conomique. Sur le plan contractuel, deux tendances de signe contraire caractrisent cette volution. Dune part, lon assiste la multiplication doprations industrielles ou financires de plus en plus sophistiques, qui ncessitent la mise au point de contrats sur mesure , ngocis, pied pied, entre partenaires commerciaux. Dautre part, le machinisme, joint aux progrs du transport, rend possible une production et une distribution de masse ; la rptition linfini doprations similaires se traduit par une standardisation des contrats, accepter tels quels sans possibilit de ngociation. Vers la fin du 20e sicle, le prodigieux dveloppement des technologies de linformation et de la communication a permis une multiplication des contrats conclus distance, par le biais des rseaux lectroniques. Ce mode nouveau de formation du contrat soulve, lui aussi, de multiples interrogations, naturellement indites au temps de Napolon. En dfinitive, dans chacune des situations voques, il a fallu prendre la mesure de besoins nouveaux et faire face de nouveaux risques et dfis. Ainsi, la faveur de multiples mouvements jurisprudentiels et interventions lgislatives, le rgime juridique de formation des contrats sest progressivement adapt aux procdures de ngociation des contrats complexes (sous-section 1), la standardisation des contrats de consommation (sous-section 2) et aux particularits des contrats conclus par voie lectronique (sous-section 3). Sous-section 1. La ngociation de contrats complexes 23. Dans la thorie classique, tout se passe comme si le contrat tait form en un instant de raison, celui auquel les parties se sont dtermines et ont chang leur consentement (supra, n 18). Les contrats simples (achat de la main la main, contrats relatifs des enjeux de faible valeur ou portant sur des fournitures standardises115, etc.) saccommodent de cette conception instantaniste de lchange des consentements. En revanche, la pratique des affaires rvle combien des contrats importants peuvent tre prement ngocis. Une longue priode peut ainsi scouler entre lentre en pourparlers et la conclusion proprement dite du

    114 A ce sujet, G. BAUDRY-LACANTINERIE, Trait thorique et pratique de droit civil Des obligations, op. cit., t. I, pp. 54-55. J.-L. Aubert dsigne les deux approches sous les noms de thories monistes et thories dualistes (Notions et rles de loffre et de lacceptation dans la formation du contrat, Paris, L.G.D.J., 1970, pp. 348-378, nos 379-409). 115 Sur ce dernier point, voy. infra, sous-section 2.

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    contrat. Une srie de runions, divers contacts et une correspondance nourrie contribuent, le plus souvent, dessiner progressivement les termes de laccord scell entre les parties. Cette priode prcontractuelle est parseme de nombreux documents (lettres dintention, procs-verbaux de runion, accords de principe, protocoles daccord) sur la porte desquels les prsentations classiques ne soufflent mot. Ils tmoignent de ce que les ngociateurs ont besoin la fois dune grande souplesse pour rserver jusquau dernier moment leur facult de conclure ou, au contraire, de rompre les pourparlers et de scurit juridique il sagit dorganiser la ngociation, dimposer certaines rgles respecter au cours des pourparlers ou de pouvoir entriner certains acquis de la ngociation. Quil sagisse de grands contrats internationaux116, doprations dingnierie ou doutsourcing117, de montages financiers ou de linformatisation dune entreprise118, la priode prcontractuelle est une ralit, qui apparat de plus en plus dcisive et qui, fort heureusement, fait lobjet dune attention grandissante119. On souligne combien la prise en considration et lanalyse des pratiques contractuelles contribuent lenrichissement de la thorie gnrale du contrat. Il sen dgage une nouvelle apprhension de linscription du contrat dans le temps 120. 24. Envisag, au dpart, sous un angle essentiellement statique, le rgime de la formation du contrat est pens dsormais dans une perspective nettement plus dynamique. Celle-ci se marque sur plusieurs plans. Dabord, on a pris conscience que, dans bien des cas, le consentement se forme progressivement, au cours des changes et des discussions qui prcdent la conclusion du contrat. Durant cette priode, plus ou moins longue, de pourparlers , des devoirs psent dj sur les ngociateurs ( 1er). Ensuite, on observe que les principes rgissant cette phase prcontractuelle sont frquemment amnags, complts, voire contredits, par lun ou lautre des nombreux documents qui maillent les ngociations ( 2). Enfin, ce double ordre dobservations et danalyses invitent reconsidrer la prsentation des squences qui, dans lanalyse classique, rythment le processus contractuel ( 3). Avant de commenter ces trois points, rappelons combien le Code Napolon est indigent en dispositions relatives la formation des contrats, spcialement si lon se place dans une perspective dynamique. On ny trouve pas la moindre disposition relative la rupture des ngociations, ni la porte des documents prcontractuels Au contraire, le juriste-lgiste contemporain a manifestement intgr le facteur de dure dans la rgulation du contrat. En tmoignent divers instruments de porte internationale, qui ne sont pas avares de dispositions concernant le processus de formation du contrat. Lon songe, en particulier, la Convention

    116 M. FONTAINE et F. DE LY, Droit des contrats internationaux Analyse et rdaction de clauses, 2e d., Coll. De la Feduci, Bruxelles-Paris, Bruylant-FEC, 2003. 117 M. FONTAINE, D. PHILIPPE et C. DELFORGE (sous la dir. de), Les aspects juridiques de l outsourcing , Bruxelles, Bruylant, 2002. Voy., en particulier, la contribution de C. DELFORGE, Le contrat doutsourcing Aspects lis la dure et au caractre intgratif , pp. 53-153, spc. pp. 69-71, nos 38-46. 118 CRID, Le droit des contrats informatiques Principes et applications, Bruxelles, Larcier, 1983, spc. pp. 144-203 (titre III intitul La priode prparatoire ). 119 J.M. MOUSSERON, M. GUIBAL et D. MAINGUY, Lavant-contrat, Ed. Francis Lefebvre, 2001, et limportante bibliographie recense aux pages 15 20. 120 M. FONTAINE, Fertilisations croises du droit des contrats , in tudes offertes J. Ghestin Le contrat au dbut du XXIe sicle, Paris, L.G.D.J., 2001, pp. 347-361, spc. n 13. Voy. aussi J.M. MOUSSERON, La dure dans la formation des contrats, in tudes offertes Alfred Jauffret, ditions de la Facult de droit et de science politique dAix-Marseille, 1974, pp. 509-524.

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    de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de marchandises121, aux Principes dUnidroit relatifs aux contrats du commerce international122 et aux Principes de droit europen des contrats123. On ne manquera pas dy faire des allusions au cours des dveloppements qui vont suivre. 1er. La police de lavant-contrat 25. Sous laction de la jurisprudence, paule par la doctrine, le droit positif contemporain dessine les contours dune vritable dontologie de la ngociation ou police de lavant-contrat 124. Divers principes rgissent cette phase pendant laquelle les ngociateurs ne sont pas encore lis par un contrat et ne le seront peut tre jamais , tout en ntant plus vraiment des tiers lun par rapport lautre. Dans le silence du Code civil, ces principes ont t labors autour de deux dispositions gnrales : les articles 1134 et 1382125. 26. On relve, tout dabord, le principe fondamental de libert de ngociation. Les parties en pourparlers ont la libert de conclure ou de ne pas conclure. Jusquau dernier moment, elles ont la libert de rompre les pourparlers entrepris avec certains pour entamer ou poursuivre une ngociation, et ventuellement conclure, avec un autre. 27. Cela tant, la libert de ngociation qui inclut celle de rompre les pourparlers nest pas absolue : elle est tempre par un devoir de bonne foi. Un second principe est ainsi mis en vidence : le devoir de bonne foi dans la conduite des ngociations. Autrement dit, la bonne foi prside non seulement la phase dexcution du contrat, mais aussi sa formation126. Du principe de bonne foi dpos dans larticle 1134, alina 3, du Code civil, se dduisent des

    121 Approuve en Belgique par la loi du 4 septembre 1996 (M.B., 1er juillet 1997). Pour un commentaire, M. FALLON et D. PHILIPPE, La convention de Vienne sur les contrats de vente internationale de marchandises , J.T., 1998, pp. 17-35. 122 On peut trouver la version intgrale des Principes assortis de leurs commentaires ladresse www.unidroit.org. 123 O. LANDO et H. BEALE (ds), Principles of European Contract Law, The Hague-London-Boston, Kluwer Law International, 2000. 124 Cette dernire expression est de J.M. MOUSSERON, M. GUIBAL et D. MAINGUY, dans leur ouvrage prcit (voy., p. ex., lintitul de la premire partie). 125 Voy., not., B. DE CONINCK, Le droit commun de la rupture des ngociations prcontractuelles , in M. FONTAINE (sous la dir. de), Le processus de formation du contrat Contributions comparatives et interdisciplinaires lharmonisation du droit europen, Bruxelles-Paris, Bruylant-L.G.D.J., 2002, pp. 17-137 ; P. MOUSSERON, Conduite des ngociations contractuelles et responsabilit civile dlictuelle , Rev. trim. dr. com., 1998, pp. 243-271 ; M. FORGES, Principes applicables la rupture et lamnagement conventionnel des pourparlers en droit belge , Ann. dr. Louvain, 1995, pp. 439-462 ; W. DE BONDT, Precontractuele aansprakelijkheid , R.G.D.C., 1993, pp. 99 et s. ; L. CORNELIS, La responsabilit prcontractuelle, consquence ventuelle du processus contractuel , R.G.D.C., 1990, pp. 391 et s. ; F. T KINT, Ngociation et conclusion du contrat , in Les obligations contractuelles, Bruxelles, Ed. du Jeune Barreau, 1984, pp. 9-51 ; M. VANWIJK-ALEXANDRE, La rparation du dommage dans la ngociation et la formation des contrats , Ann. dr. Lige, 1980, pp. 17-83 ; J. SCHMIDT, La sanction de la faute prcontractuelle , Rev. trim. dr. civ., 1974, pp. 46-73. 126 Voy., not., J. HERBOTS, De goede trouw in de pre-contractuele rechtsverhoudingen , in Le contrat en formation, Bruxelles, Ed. du Jeune Barreau, 1993, pp. 31 et s. ; P. VAN OMMESLAGHE, La bonne foi dans les relations entre particuliers. A.- Dans la formation du contrat (rapport gnral) , in La bonne foi, Travaux de l'association Henri Capitant, Tome XLIII, Paris, Litec, 1992 ; J.-L. FAGNART, L'excution de bonne foi des conventions: un principe en expansion , note sous Cass., 19 septembre 1983, R.CJ.B., 1986, pp. 289 et s.

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    normes objectives de comportement127. Ainsi, les parties sont-elles tenues une obligation gnrale de rectitude, de loyaut et de collaboration dans la conduite de leur ngociation128. Soit dit en passant, contrairement ce que pourrait laisser croire le libell de larticle 1134, les rdacteurs du Code civil nentendaient pas limiter le rle de la bonne foi la phase dexcution ; cest du moins limpression qui se dgage des travaux prparatoires du Code129. Toujours est-il que, ds louverture des pourparlers, les parties ont l'obligation de se comporter selon les normes de la bonne foi, dfaut de quoi la rupture ventuelle sera fautive. Encore faut-il que pareille faute soit dmontre, ds lors que le seul fait de rompre des pourparlers nest pas fautif en soi. Ainsi, la responsabilit de lauteur de la rupture est carte si celle-ci est justifie par un motif conomique valable, notamment la dcision de conclure avec un tiers qui offre des conditions plus avantageuses. Une rupture de pourparlers peut tre constitutive de faute seulement si les circonstances qui lentourent rvlent un manque de loyaut ou de prudence de son auteur. Ainsi, la jurisprudence considre que commet une faute celui qui entame et poursuit des ngociations sans intention srieuse de conclure, ou en sachant quil ne pourra rencontrer les besoins de lautre partie, dans le seul but de tirer profit de ces ngociations ou dliminer des concurrents130. Est galement fautive, la rupture unilatrale, brutale et sans motif lgitime de pourparlers avancs131, ou celle qui cause un prjudice grave au cocontractant, sans proportion avec l'avantage retir par l'auteur de la rupture132. En rsum, la faute apparat surtout, indpendamment de toute intention de nuire, comme le fait de crer, sciemment ou par ngligence, une fausse apparence de nature tromper la lgitime confiance de l'autre partie 133. Pareille confiance sera dautant plus lgitime que les tractations sont avances, quelles ont permis denregistrer certains acquis,

    127 Voy., not., S. DAVID-CONSTANT, La bonne foi : une mer sans rivages , in La bonne foi, Lige, Ed. du Jeune Barreau, 1990, p. 11. Le fondement de la solution est controvers. Pour les uns, le principe stend la phase prcontractuelle. Pour dautres, lon ne saurait trouver dans larticle 1134, alina 3, du Code civil le fondement des obligations tires de la bonne foi dans la phase prcontractuelle ; en revanche, on pourrait affirmer lexistence dun principe gnral de droit dexcution de bonne foi en considrant que la disposition concerne ne constitue que le reflet, sur le terrain de lexcution du contrat, dun principe qui le dpasse. Sur la question, voy. et comp. P. VAN OMMESLAGHE, Lexcution de bonne foi, principe gnral de droit ? , R.G.D.C., 1987, pp. 101 et s. ; A. DE BERSAQUES, L'abus de droit en matire contractuelle , note sous Lige, 14 fvrier 1964, R.C.J.B., 1967, pp. 497 et s. ; et du mme auteur, La lsion qualifie et sa sanction , note sous Comm. Bruxelles, 20 fvrier 1970, R.C.J.B., 1977, p. 29, n 24. Pour une synthse rcente (et brve), B. DE CONINCK, op. cit., spc. n 17 et s., et les rf. Adde : J.-F. ROMAIN, Thorie critique du principe gnral de bonne foi en droit priv, Bruxelles, Bruylant, 2000. 128 Dautres devoirs se greffent sur le principe de bonne foi qui gouverne la formation du contrat, notamment une obligation dinformation, envisage sous diffrentes facettes (devoir de renseignement, de conseil, de mise en garde). A ce sujet, infra, n 43. 129 Voy., par exemple, la prsentation au Corps lgislatif et expos des motifs, par M. Bigot-Prameneu, in P. A. FENET, op. cit., t. XIII, p. 229 (commentaire de larticle 1134) : () Les conventions lgalement formes tiennent lieu de loi ceux qui les ont faites. () Elles doivent tre contractes et excutes de bonne foi. Elles obligent non seulement ce qui est exprim, mais encore toutes les suites que lquit, lusage ou la loi donnent lobligation daprs sa nature () . Soulign par nous. Sur la question, voy. J.-F. ROMAIN, Thorie critique, op. cit., pp. 13 et s. 130 D. PHILIPPE, La bonne foi dans les relations entre particuliers. A.- Dans la formation du contrat (rapport belge) , in La bonne foi, op. cit., p. 66. Voy. galement, parmi dautres, M. VANWIJK-ALEXANDRE, op. cit., spc. pp. 19-23 et S. STIJNS, Abus, mais de quel(s) droit(s) ? Rflexions sur lexcution de bonne foi des contrats et labus des droits contractuels , J.T., 1990, pp. 98-109. 131 J. SCHMIDT, La sancion de la faute prcontractuelle , op. cit., p. 53. 132 Pour une synthse des critres gnralement retenus par les cours et tribunaux pour caractriser la faute commise dans la rupture des pourparlers, voy., not., W. DE BONDT, op. cit., spc. pp. 102 et s. 133 M. VANWIJK-ALEXANDRE, op. cit., p. 23, et les rf.

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    voire quelles ont donn lieu la rdaction de documents prparatoires (cf. infra, 2), qui augurent de la bonne fin des ngociations. 28. Ds lors, si la libert de rompre est reconnue, elle nempche pas que la rupture peut savrer fautive dans certaines circonstances. Conformment un troisime principe et en dpit de limportance accorde au devoir de bonne foi , toute faute commise au cours des pourparlers (rupture abusive, transgression du devoir de renseignement) est sanctionne par la responsabilit dlictuelle (art. 1382 ou 1383 C. civ.)134, mme sils ont dbouch sur la conclusion dun contrat135. Si les conditions de la responsabilit sont runies, la victime de la rupture a droit la rparation intgrale du dommage subi. En principe, la faute de lauteur de la rupture ne peut tre sanctionne que par des dommages et intrts, lexclusion dune rparation en nature qui consisterait forcer la conclusion du contrat. Quant au dommage rparable, il est dtermin, lui aussi, suivant les rgles du droit commun de la responsabilit aquilienne. Au fil des cas despce, les cours et tribunaux ont eu loccasion dlaborer des solutions nuances. Lon retient ici que les pertes subies (damnum emergens) font en principe partie du dommage rparable. Ainsi, tous les frais exposs (devis, tudes pralables, dplacements, temps perdus dans les ngociations ) pourront tre rembourss pourvu, dune part, quils aient t causs par la faute de lauteur de la rupture, dautre part, quils naient pas t engags la lgre par la victime. Par contre, le manque gagner (lucrum cessans) nest que partiellement pris en compte. Suivant une terminologie issue du droit allemand, il est permis de distinguer le dommage ngatif et le dommage positif. Il est admis que fait partie du dommage rparable le bnfice perdu dun contrat qui aurait certainement t conclu avec un tiers si la victime des pourparlers rompus ne stait pas sentie engage par ceux-ci (dommage ngatif). Il sagit, en effet, de replacer la victime dans la situation qui aurait t la sienne si elle ne stait pas engage dans une ngociation avec lauteur de la rupture fautive. Par contre, on considre gnralement que ne peut constituer un dommage rparable la perte des avantages escompts du contrat qui aurait t conclu si les ngociations avaient abouti (dommage positif). En effet, argumente-t-on, les pourparlers nont pas pour effet de faire natre un droit au contrat136. Cette dernire solution est nanmoins discutable et discute137. 29. A la diffrence du Code civil, divers instruments contemporains, de porte internationale, sintressent la priode des pourparlers prcdant la formation du contrat. Dans les Principes dUnidroit, deux dispositions sont consacres la responsabilit prcontractuelle. Il sagit de larticle 2.15, qui traite de la mauvaise foi dans les ngociations138, et de larticle 2.16, qui traite du devoir de confidentialit. Les Principes du droit europen des contrats contiennent des dispositions trs similaires (cf. surtout lart. 2:301, 134 Ce principe est acquis de longue date en jurisprudence et en doctrine. A ce sujet, S. STIJNS, D. VAN GERVEN et P. WRY, Chronique de jurisprudence. Les obligations : les sources (1985-1995) , J.T., 1996, p. 708, n 48, et les rf. cites. Certains auteurs ont vu dans la rupture abusive des pourparlers une application spcifique de la thorie de labus de droit, mais cette opinion ne semble pas avoir perc en jurisprudence. Sur la question, voy., not., B. DE CONINCK, op. cit., spc. p. 27, n 11 et la note 33. Pour une comparaison des critres respectifs de la faute aquilienne et de labus des droits contractuels, voy. T. KINSHOTS, De precontractuele aansprakelijkheid van de verzekeraar bij het aangaan van een dading , R.G.D.C., 1997, pp. 181 et s.; S. STIJNS, Abus, mais de quel(s) droit(s) ? , op. cit., pp. 98 et s. 135 Auquel cas, la victime pourra parfois obtenir la nullit du contrat (pour vice de consentement), sans prjudice dventuels dommages et intrts. 136 M. VANWIJK-ALEXANDRE, op. cit., p. 33. 137 B. DE CONINCK, op. cit., pp. 35 et s., spc. n 27, et les rf. cites. 138 Cette disposition est mettre en rapport avec le principe de bonne foi dpos dans larticle 1.7.

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    qui traite des agissements contraires aux exigences de la bonne foi dans les ngociations)139. Tant les commentaires dUnidroit que ceux des Principes de droit europen apportent, en outre, des prcisions concernant la dtermination du dommage rparable. Par contre, aucune disposition de la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises ne vise expressment la conduite (et la rupture) des ngociations, ce qui nexclut pas quelle puisse trouver sappliquer dans cette hypothse140. 2. La porte des documents prcontractuels 30. La doctrine contemporaine sattache galement mieux cerner le phnomne des accords prparatoires qui jalonnent les ngociations dune certaine ampleur141. Elle tente de dfinir et de classer les diffrents documents, non sans peine tant donn lhtrognit des pratiques et lemploi dune terminologie particulirement fluctuante. Elle sefforce galement de dterminer la valeur juridique de ces documents. Diverses questions se posent cet gard. En cas de rupture des pourparlers, peuvent-ils servir, le cas chant, tablir qui incombe la r