la calle et son histoire

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La Calle Et son histoire Document Fournie: Bechainia Nader Organisé et révisé: Ati Ala

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l'histoire d'El-Kala, nord-est algérien

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La

Calle Et son histoire

Document Fournie: Bechainia Nader

Organisé et révisé: Ati Ala

Nous remercions l'auteur de ce livre et

a également le fournisseur du

document M. Nader Bechainia

Pour tous les Algériens et spécialement les Callois(e)s édition juin 2010 by Ati Ala

INTRODUCTION

La Calle n'est pas, comme beaucoup de centres algériens, née de l'expédition de 1830. Son origine remonte très haut dans le temps. Les monuments mégalithiques, les stèles puniques, les vestiges romains que l'on trouve dans la région en témoignent.

L'agglomération occupe en partie l'emplacement de Tuniha ou Tuniza ville qui figure sur la carte des voies de l'empire romain dressée au 3e siècle et dite « Table de Peutinger », du nom du célèbre archéologue allemand du XVIe siècle.

Malgré un destin mouvementé, notre petite ville connut à différentes reprises, au cours de sa longue histoire, des périodes de grande prospérité. Mais ses principales sources de richesse se sont taries les unes après les autres et aujourd'hui elle a bien perdu de son importance.

Ce berceau de notre Afrique du Nord mériterait un meilleur sort, digne de son passé. Le tourisme pourrait le lui donner ; il suffirait de mettre en valeur ces dons de la nature qui ont fait du pays un chef d'œuvre d'harmonieux décors.

Toute la région nous pénètre de son charme.

Nul n'est insensible à tant de beauté et le souvenir en est inoubliable. Nombreux sont ceux qui viennent chercher ici, l'été surtout le repos dans un climat tempéré, dans un cadre qui est une fête perpétuelle pour les yeux.

C'est pour attirer encore un plus grand nombre de visiteurs et rendre à notre cité, par le tourisme, sa prospérité de jadis que nous avons conçu le dessein d'éditer une brochure sur La Calle et ses environs afin de les mieux faire connaître. Notre projet a pu se réaliser grâce à l'obligeance de M. E. Piquois et de M. Marcel Emerit, professeur à la Faculté d'Alger qui nous ont permis de disposer : le premier de ses articles parus dans l' « ALGERIA » de Février-Mars 1950 et Janvier-Février 1951, Le second d'une conférence faite à La Calle en décembre 1950 publiée dans la « Revue de la Méditerranée » N° 41, Janvier-Février 1951.

Grâces leur soient rendues. Nos remerciements vont aussi à l'OFALAC qui a mis à notre disposition plusieurs clichés pour l'illustration de notre livret.

Voici donc comblée une lacune regrettable dans les archives de la ville : le manque de renseignements sur son passé. Nos lecteurs trouveront ici un résumé des éléments essentiels de l'histoire de La Calle dont les détails nous sont bien connus grâce à de nombreux et précieux documents conservés dans les archives d'Alger, Marseille, Paris, Constantine, etc... L'histoire de La Calle n'intéresse pas seulement notre petit port ; elle met également en évidence l'importance du centre de pêche et de commerce qu'il a été, dans les relations générales de la France et de l'Afrique du Nord depuis le XVIe siècle.

Le blason qui orne la couverture a été dessiné par M. E. Piquois. Le Phénix qui en forme le motif principal ainsi que la devise nous ont été inspirés par une phrase de « La Calle vieille terre française » : « ...Péril dans les flammes et renaître comme le phénix des Egyptiens, tel nous apparaît le sort de La Calle dans le passé ». Le corail qui fit la renommée et la richesse de notre ville pendant des siècles devait figurer dans ses armes. Enfin, la fleur de lys sur la couronne murale rappelle la lointaine appartenance française de La Calle.

H. SERIOT, Président du Syndicat d'initiative.

UN VŒU

L'histoire du bastion de France devrait être connue de tous les Algériens.

La Calle a été la première ville française de l'Afrique du Nord. Depuis le XVIe

siècle, des Français y sont venus, y ont lutté, travaillé, étendant leur activité

sur toute la côte orientale de l'Algérie sous l’égide des rois de France.

Une stèle a été élevée sur le cours principal de la ville à la mémoire de

Sanson Napollon, gouverneur du Bastion qui succomba pour son pays.

Ce modeste monument que nous devons à la piété des Corses d'Algérie ne

nous parait pas suffisamment évocateur du soutenir et de la reconnaissance

que nous devons aux fondateurs de La Calle. C'est en partie grâce à eux et aux

services qu'ils ont rendu à la Métropole que s'est imposée la présence

française en ce payes. Nous voudrions que l'Algérie toute entière vienne

honorer leur mémoire en élevant à La Calle un monument digne de notre

vieille cité. H.S.

La Calle - Le Poissonnerie (Cour de Barbis)

LA CALLE

OU SONT LES CORAILLEURS D'ANTAN !

Site historique, centre touristique méconnu, La Calle est un coin

délicieux dont les merveilles sont encore réservées à la joie de quelques

initiés.

Sol riche en souvenirs, le pays recèle d'innombrables vestiges de

civilisations éteintes. Le Gourra cache dans ses forêts une multitude de

monuments mégalithiques ; les stèles puniques de La Cheffia sont depuis

longtemps célèbres et, un peu partout, des traces peu importantes à vrai

dire, rappellent l'occupation romaine.

Cependant, ce sont d'autres témoins d'un passé moins éloigné, mais

bien plus cher à tout Français, qui nous attirent à La Calle : les restes des

Etablissements créent en divers points de la côte, il y a plus de 400 ans, par

les pionniers de l'installation française en Algérie : les pêcheurs de corail.

Il en subsiste au Cap Rosa et au Cap Roux ; mais les plus nombreux et

les plus remarquables sont ceux de La Calle et du Bastion de France.

Les ruines de ce « Bastion » célèbre dans les annales de notre

commerce avec la Berbérie réclament notre visite, j'allais dire notre

pèlerinage. Elles ont une importance qui surprend à première vue et leur

isolement sur cette côte sauvage, entourée de hautes dunes couvertes de

maquis, nous oblige à penser avec admiration à la ténacité et au courage

que durent déployer nos précurseurs pour se maintenir dans un tel lieu,

malgré l'hostilité du pays, des populations, du climat, enfin, qui finit par les

vaincre ; car ces ruines sont, en définitive, le résultat d'une victoire des

anophèles !...

Deux voies permettent de se rendre au Bastion : la route et la mer. Par

terre, la distancé à parcourir depuis La Calle est de 19 kilomètres environ,

dont 7 de piste sablonneuse qu'il faut couvrir à pied ou sur une monture.

C'est par mer que l'accès est le plus facile ; après une petite traversée de

moins de 5 milles, on atterrit sur la plage du Bastion, où les corailleurs

accostaient jadis. De là, la vue embrasse l'ensemble des ruines qui

s'étendent à l'Est et au Sud de la baie. II est facile d'y reconnaître des

magasins, des fours à pain, des maisons d'officiers au sol recouvert en

carreaux de faïence, l'église et divers autres bâtiments.

Les ruines de la forteresse dominent l'ensemble, de leur masse

imposante. Ses énormes murailles descendent jusqu'à la mer ; elles n'ont

cédé que peu à peu à l'action des éléments. Le vent des tempêtes, le sel et

les sables les usent et les démolissent lentement mais sûrement : des blocs

considérables s'en détachent et encombrent les abords.

Un peu à l'écart, dans l'Est, une tour cylindrique, ancien moulin, a

bénéficié en 1930 d'une restauration partielle qui lui assure une nouvelle

réserve de résistance.

De la plupart des bâtiments, il ne reste que des pans de murs envahis,

surtout au sud de la forteresse, par une végétation arbustive très dense qui

rend la circulation difficile.

L'état actuel ne diffère pas beaucoup de la description que l'abbé Poiret

faisait des lieux à la fin du XVIIIe siècle ; mais les lions et panthères qu'il

signalait ont disparu...

La forteresse du Cap Roux a pour nous moins d'intérêt que le Bastion

de France, ayant été construite et utilisée par les Gênois jusqu'au milieu du

XVIIIe siècle ; Mais le spectacle de cette construction extraordinaire doit

attirer tous les amateurs de pittoresque.

Le fort est bâti à l'extrême pointe du cap, sur un piton à peu près isolé

de la montagne par une coupure verticale qu'il faut franchir sur un pont

élevé. Les constructions coiffent le sommet et font corps avec lui, au point

que maçonnerie et rocher se confondent à distance. Une telle forteresse ne

pouvait être réduite que par la famine.

Le Cap Roux est situé à une vingtaine de kilomètres de La Calle. On s'y

rend par la belle route côtière de Tabarka, puis par un chemin forestier qui

s'arrête à une centaine de mètres de hauteur, au-dessus d'une plage de

galets que le cap abrite des vents d'Ouest. C'est une ravissante excursion

qui, agrémentée d'un bon bain, d'une partie de pêche, laisse le plus agréable

souvenir.

En arrivant à La Calle par la route de Bône, du haut de la colline qui domine la ville d'une centaine de mètres, la mer apparaît brusquement. Le cap Gros enserre la rade des Romains toute proche, avec sa plage si gracieusement arrondie et son « Ile Maudite » En descendant, nous voyons bientôt, sur la droite, s'élever une construction monumentale : tour montée sur une plateforme surélevée qui a l'allure d'un fortin. C'est un vieux moulin à vent légèrement fortifié. Les « Puissances » d'Alger autorisèrent la Compagnie du Bastion de France à le construire en 1694.

Traversant la ville, nous arrivons sur un cours spacieux planté de hauts palmiers, dont la mairie et l'église sont les principaux ornements, avec un monument élevé, en 1930, au souvenir de Samson Napollon.

De là, nous dominons le port, ancienne crique abritée du large par une presqu'île formée d'un îlot rocheux parallèle, au rivage et dont la pointe orientale est reliée à la terre par une digue moderne.

Le plan d'eau, tout en longueur, est étroit (150 à 80 mètres). Comme il suit les contours du mur d'enceinte, il fait penser au fossé protecteur qui entourait les anciens châteaux forts.

La Calle - Fête de Mont Carmel (Le Port de Pêche)

Vue de l’église d’après l’usine de la crevette

Au lever du jour, le soleil inonde de lumière les maisons de la presqu’île, la mer, les palmiers... quelle clarté ! Quelle transparence ! Dans le miroir des eaux, le reflet des murs blancs et roses, les formes arrondies des bateaux ; leurs mâtures, enfléchures et filets suspendus s'agitent sans arrêt au gré du mouvement invisible des ondes.

Tout le bleu du ciel, tout l'or du grand soleil et toute la séduction de la mer ondulante et assoiffée de couleurs s'unissent pour nous charmer.

A notre gauche, sur un promontoire abrupt de cinquante mètres de haut le vieux moulin fortifié que nous avons aperçu en arrivant domine l'entrée du port. Jadis ses canons en défendaient l'accès et protégeaient le Sud et l'Ouest de la capitale des Concessions françaises.

Cette capitale n'occupait que la presqu'île allongée sous nos yeux. Après avoir été l'un des trois bastions de nos Etablissements, elle en devint le centre principal lorsqu'en 1679 il fallut abandonner le Bastion de France à cause de son insalubrité.

La presqu'île a conservé l'allure d'une citadelle ; mais d'un caractère original. Dans les vieilles forteresses, les maisons se blottissent derrière les remparts et l'on n'aperçoit guère de loin que des toitures et les flèches des églises qui les dépassent. Ici, au contraire, les maisons jaillissent au niveau du sommet de la muraille qui paraît leur servir de piédestal.

Un grand bâtiment, dont les assises formant bloc avec le mur. D’enceinte descendent jusqu'au quai, attire notre attention. C'est l'ancienne résidence des gouverneurs des concessions françaises d'Afrique qui est actuellement, une énorme inscription nous l'apprend, occupé par le commandant de la garnison.

Il masque la vielle église que la Compagnie construisit ou XVIIe siècle. Elle s'aperçoit en avançant jusqu'à la partie Ouest du cours ; mais il faut passer dans la presqu'île pour la voir en entier. Depuis qu'une grande église a été construite en bordure du cours, ce pauvre petit monument où les corailleurs d'autrefois venaient s'agenouiller a été abandonné ; ce n'est plus maintenant qu'un hangar où s'accumulent toutes sortes de choses hétéroclites. Elle est délabrée, sa toiture surtout ; mais la façade peut être facilement restaurée.

Cette vieille église ne connaissait ni mariages ni baptêmes, car la Cie interdisait la présence de femmes à La Calle où elles ne pouvaient être, l'expérience l'avait prouvé, qu'un sujet de discordes et de désordres. Cependant, leur absence elle-même ne laissait pas d'être aussi néfaste.

C'est que la vie monacale à laquelle se trouvaient condamnés les membres de la garnison ne leur convenait guère... « La tristesse et l'ennui, nous dit l'abbé Poiret qui visita La Calle en 1785, engendraient les vices les plus abominables et des horreurs dont on ne peut avoir idée que dans ce pays ».

Sur le cours lui-même, voici une survivance du passé un puits que l'on appelle « Puits de Tunis », de l'ancien nom de La Calle : « Tuniza ». Il se trouvait jadis sur la plage que l'actuelle promenade a recouverte et servait à l'approvisionnement du Bastion où l'eau était transportée sur des charrettes. Deux autres puits existaient dans le voisinage. Tous les trois étaient protégés contre les méfaits des indigènes par une garde vigilante et une enceinte qui, partant de l'anse St-Martin, allait se souder à la falaise du moulin, englobant un certain nombre de constructions dont une petite mosquée et des chantiers de radoub.

Jadis, le port ne voyait que corallines aux voiles gonflées par le vent ou bien enlevées au rythme des avirons que six rame debout poussaient en cadence.

Mais où sont les corailleurs d'antan ?...

Les bancs de coraux ont été épuisés. Et puis la mode s'est désintéressée de ces magnifiques produits de la mer.

La Calle – Vue Générale

Aujourd'hui, La Calle est devenue un port de pêche semblable à ceux de France et d'Algérie. Dès le matin, les bateaux à moteur qui vont et viennent rompent la sérénité de l'atmosphère et troublent la calme surface des eaux.

Les produits de la mer ne sont pas la seule source de prospérité du pays. Il a ses forêts où domine le chêne-liège, d'innombrables troupeaux, ses vallées où poussent, avec les céréales, la vigne, l'arachide, le tabac, le coton, ses lacs poissonneux... Il a enfin la richesse impérissable de ses paysages : rivages aux eaux calmes ou tempétueuses découpés en plages voluptueuses et promontoires inaccessibles par la fureur des vagues... montagnes chevelues dont les flancs parfois dénudés laissent percer leur squelette de roches stratifiées aux formes étrangement tourmentées... Oueds fleuris de lauriers... forêts... lacs.

La région bénéficie des pluies les plus abondantes en Algérie Les sources sont nombreuses et l'humidité entretient une verdure qui ne craint pas les midis d'août ou de septembre. Les forêts sont touffues, remplies d'arbres splendides et de taillis inquiétants où foisonne le gibier.

De nombreuses plages s'offrent aux estiveurs et en particulier aux baigneurs. Deux d'entre elles, à proximité de la ville, sont principalement

fréquentées ; celle de l'Ouest a plus d'un kilomètre de longueur. Les autres marquent, de distance en distance, le littoral de leurs courbes lumineuses entre les massifs rocheux, les promontoires et les caps auxquels des colorations chaudes ou tendres ont valu des noms caractéristiques : Cap Roux, Cap Rosa...

Le plus souvent, ces plages s'agrémentent de rochers, d'isthmes, qui donnent à chacune une physionomie et un charme propres. Il en est de très grandes comme celle de Messida et d'autres minuscules jusqu'où viennent se pencher les thuyas d'un maquis impénétrable qui les domine.

On s'y trouve en pleine nature, entre le ciel, la mer, les broussailles ou la forêt. Aux environs, pas d'agglomérations, pas de villas. L'eau y est limpide et attirante ; le sable fin et blond, parsemé de coquillages nacrés et souvent de débris rouges de corail, invite à la fois aux jeux et à la sieste. Les amateurs y font de jolies pêches.

La Calle – Vue de Port et l’église

La Calle – l’ancien Port de Pêche

La Calle offre à ses hôtes de multiples promenades. Il y en a pour les piétons, comme le chemin des crêtes et le Boulif ; d'autres nous entraînent à quelques dizaines de kilomètres.

Il est facile de suivre le bord de la mer aussi loin qu'on le veut, par les sentiers qui serpentent en bordure du maquis et de la côte, à travers le chaos des rochers et le sable des plages. On y trouve des coins mystérieux comme le « Ravin du Trésor », où personne n'a peut-être jamais trouvé d'autre trésor que les fonds transparents et calmes de cette ravissante petite crique encaissée entre des murailles cyclopéennes, abri tentant pour les pirates d'autrefois, ou bien comme l' « Ile Maudite » dont vous chercherez vainement la triste histoire...

Le chemin du Boulif est une voie enchantée. Il serpente en corniche sur le flanc des hauteurs qui ferment à l'Ouest la rade des Romains, domine de haut la mer et traverse une belle forêt de chênes-lièges, puis d'arbres d'essences variées sous lesquels s'enfoncent de mystérieux sentiers au milieu des lianes grimpantes et retombantes.

Vers l'Est, de l'autre côté de la baie, le port de La Calle se dégage peu à peu de la colline du moulin et, au delà, la côte s'en va rejoindre le Cap Roux, Tabarca et enfin le Cap Nègre, à la limite de l'horizon. C'est toute la partie orientale des anciennes Concessions françaises qui s'étend sous les yeux.

La Calle – vue du Port

La beauté des arbres, leur fraîche verdure, les parfums de la forêt, le bruit du ressac tout au fond de l'abîme, l'immensité du panorama, les vives couleurs ocre et rouge de la côte, les longues ondulations des cimes éloignées et leurs sombres forêts, mille autres impressions vous transportent. Quand, dans les belles soirées de juillet, le soleil couchant vient sur ce tableau jeter l'or, le vermillon et toute la gamme des roses de ses feux, le peintre saisi d'admiration et d'impuissance abandonne sa palette.

De cette route du Boulif, apparaît en contrebas sur la plage, étrange curiosité, un cimetière de ces blocs maçonnés utilisés pour la construction des digues maritimes. Il y en a 400 à 500 biens rangés en longues files qui dorment là depuis 1878. Auprès d'eux subsistent les murs de bâtiments en ruines, anciens bureaux et logements de l'entreprise qui travaillait à la construction d'un grand port dont le projet fut abandonné au profit de Bizerte.

Il existe à proximité un embryon de jetée. Quant aux blocs, ils tendent à disparaître sous la verdure des figuiers sauvages, des tamaris, chênes verts et lentisques ; un certain nombre sont complètement ensevelis sous les apports des petits torrents qui descendent de la montagne.

Depuis plusieurs années, il est question de les employer à l'amélioration de l'entrée du port de La Calle.

Parmi les excursions possibles dans les environs de La Calle, celle de Tabarca s'impose. La route côtoie le lac Tonga qui a été asséché et conduit d'abord à Oum-Teboul, siège d'une mine de plomb argentifère actuellement en sommeil.

Elle bifurque ensuite, se dirigeant d'un côté vers la mer, de l'autre vers Lacroix. Le chemin côtier, plus pittoresque, s'élève à travers les montagnes richement boisées de Kroumirie et ses lacets découvrent à tout instant de magnifiques points de vue sur la plaine, les lacs, les montagnes et la mer qu'il domine de 400 mètres. Il réserve au touriste une arrivée sensationnelle sur Tabarca.

La Calle – vue de l’usine de crevette

L'autre route, un peu moins accidentée, est cependant très belle. Elle entre en Tunisie après le poste frontière de Lacroix. De là, en tournant à gauche, on se dirige vers Tabarca à travers bois et plaines ; en prenant à droite, la route mène à Aïn-Draham, station estivale tunisienne justement réputée pour ses bois et sa fraîcheur.

En rentrant à La Calle en fin de journée à l'heure du coucher du soleil, un spectacle magnifique se déploie des hauteurs jusqu'à l'horizon occidental, symphonie où le ciel, la mer, les bois, les rochers, la brume des vallées et les lacs jouent chacun sa partie. De là le lac Oubeira est un immense réservoir d'or fondu, une nappe étincelante qui semble embraser le paysage... Si vous allez là-bas, revenez au soleil couchant...

A La Calle, de tous côtés, si peu que l'on s'éloigne, on rentre dans la forêt, cette belle forêt puissante, vivante qui caractérise la région. Elle attire irrésistiblement avec ses clairs obscurs, sa fraîcheur, son silence et ses bruits mystérieux, ses sentiers incertains, ses fourrés inquiétants qui font désirer l'éclaircie, la clairière avec son grand soleil et les horizons lointains.

L'ancienne route de Bône, qui chemine entre lacs et forêts, est particulièrement attrayante. A la sortie de La Calle, elle s'oriente vers l'Ouest et descend dans la dépression où s'étale le lac Obéira, au milieu de la forêt qui y plonge ses racines. Une immense paix émane de cette surface immobile à peine troublée à de longs intervalles par le saut d'un mulet, le plongeon d'une rainette ou la chute d'une feuille morte.

Toute invite au repos, à la contemplation, ou rêve oublieux des heures...

Plus loin, la route passe sur un seuil, entre les deux lacs Obéira et Mellah.

Celui-ci s'étend vers le Nord. Il est isolé de la mer par un cordon de dunes que traverse un chenal soigneusement entretenu. C'est grâce à lui que mulets, dorades, loups, anguilles, etc... Pénètrent dans le lac.

De temps à autres, des hydravions de la Marine viennent s’y poser.

La route descend jusqu'au niveau du lac, au pont de la République et ne

tarde pas à pénétrer dans une région de magnifiques forêts que les Romains

avaient mises sous la protection de la grande déesse Diane, dont le

sanctuaire dominait la contrée du sommet du Cap Rosa.

Ces bois qui abritèrent les derniers lions et panthères sont très

giboyeux. C'est la dernière réserve de cerfs de l'Algérie dont il n'est pas rare

d'apercevoir quelques silhouettes fugitives.

C'est une promenade parmi tant d'autres... La richesse du pays permet

de découvrir chaque jour de nouveaux sites pittoresques. Les passants ne

trouveront pas à La Calle —pas encore— les divertissements des stations

balnéaires en vogue ; mais, par contre, ils seront assurés d'y jouir

paisiblement des charmes de la nature sous des aspects infiniment variés.

La Calle – Vue de l’ancien Port de Pêche

LA CALLE VIEILLE TERRE FRANÇAISE

La Calle s'est appelée autrefois Tuniza, puis Marsa-el Kharaz, nom qui, déformé par les Provençaux, deviendra Massacarès. On dira alors La Calle de Massacarès et finalement La Calle.

Que fut Tuniza dans l'antiquité Punique et Romaine ?

Ibn Haoukal et El Bekri nous ont donné quelques renseignements sur Marsa-el-Kharaz (Le Port aux Breloques). La ville d'ors florissante disparaît à la fin du XIIIe siècle et nous la voyons revivre au XVIe avec le Bastion de France.

Son existence sera mouvementée car elle subira le contrecoup des avatars nombreux des relations franco-algériennes qui se traduiront alternativement par des périodes de prospérité et des catastrophes.

Marquons d'une croix les années 1586,1604, 1637, 1658, 1683, 1744, 1798, 1807, 1837 qui virent pillages, destructions, incendies, captivité de sa population.

Périr dans les flemmes et renaître comme le phénix des Egyptiens qu'elle pourrait prendre pour symbole tel nous apparaît le sort de La Calle dans le passé.

La Calle – Le Kiosque et la Marie

LOINTAINS BRUMEUX

Tuniza, vient du nom berbère Tounes qui signifie « bivouac ». Cette désignation est donnée à des sites comme celui de La Calle qui sont des points de passage fréquentés où l'on peut s'arrêter grâce à la disposition des lieux, à leurs ressources notamment en eau et à la sécurité qu'ils présentent.

Tuniza était un lieu de passage obligatoire entre les lacs et la mer. Son eau abondante, son rocher facile à défendre en faisaient une excellente étape et un site tout désigné pour une agglomération humaine.

La Calle était également marquée par le Destin pour servir de havre aux navires grâce à sa presqu'île allongée parallèlement au rivage qui en faisait un abri naturel que la Providence paraissait avoir aménagé spécialement pour les navigateurs au milieu d'une côte inhospitalière.

Aussi ce refuge a-t-il été fréquenté dès l'antiquité par les marins ; mais il ne semble pas que l’on n’y ait jamais construit une ville importante. Nous n'y avons trouvé aucun vestige notable ni de la ville Punique, ni de la ville Romaine, ni même de la ville Arabe détruite en 1286 par Roger de Loria. Dans un de ses croquis Sanson Napolon situe un tombeau romain dans la partie Ouest de la presqu'île. Dans une gravure de 1727, Jean Bignonnet représente des éléments de jetée romaine dans l'axe de l'isthme ; mais ces témoins du passé ont disparu depuis longtemps.

Aucun travail important ne paraît avoir été effectué pour améliorer l'abri naturel avant le XIXe siècle. Le plan d'eau actuel du port englobe la vieille crique, l'isthme qui reliait le rocher à la terre et, à l'Est de celui-ci, l'anse de Saint-artin.

Au moyen-âge, les coraux de Marsa-el-Kharaz avaient répandu la renommée de la petite ville dans tous les marchés de l'Orient et de l'Extrême Orient où ils faisaient primes. On y appréciait l'éclat et la vivacité de leur « sang », leur dureté, leur poli.

Le commerce en était actif et la pêche donnait au « Port-aux-Breloques» une prospérité que notent les voyageurs.

Malheureusement, les corsaires barbaresques vinrent y construire leurs bateaux.

Il est dangereux de mêler les industries de guerre à celles de la paix ; Roger de Loria le démontra en venant assiéger, pour le compte du roi d'Aragon, ce nid de corsaires qu'il pilla, brûla et dont il détruisit la forteresse.

Ceci se passait en 1286 et ce n'est, qu'au XVe ou au XVIe siècle que les Français, arrachant les figuiers sauvages, les épineux et les ronces,

chassant serpents et lézards, rendirent la vie au vieux rocher en y construisant les logements et les magasins qui furent le berceau de La Calle.

Dans la seconde moitié du XVe siècle, les Français se firent octroyer, par les chefs riverains, des concessions sur le littoral. Est-ce en 1450 comme l'indique Léon Bourgues ? Plantet donne la date de 1478 pour cette cession de côtes qui se serait étendue sur 12 lieues.

LE BASTION DE FRANCE

Nous ne possédons pas de renseignements sur les entreprises qui ont pu s'établir dans la région de La Calle dès le XVe siècle. « La Nostra Compania Delle Pesca Da Coralli Da Buona » créée par Thomas Lenches (Thomasso Lincio) vers 1550 est la première sur laquelle nous soyons bien documentés. Elle fut solidement organisée. Ses membres avaient été recrutés parmi l'élite de la Société Marseillaise. Ils étaient onze en 1564, parmi lesquels nous retrouvons les noms de Jean Richetti, ancêtre de Mirabeau, Albertas, seigneur de St-Chamas, Jean Daysac, seigneur de Venelles, P.Bausset, seigneur de Roquefort, Carlin-Didier, etc...

Thomas Lenches était un marseillais d'origine corse, ancien patron de bateau, riche négociant : il avait déjà vraisemblablement trafiqué sur la côte de Barbarie.

Des Puissances d'Alger, il avait obtenu l'autorisation de pêcher le corail à l'Ouest du Cap Roux et d'y fonder des établissements ; il obtint également des commandements du Sultan et le Roi de France lui donna en 1553 des lettres patentes qui l'autorisèrent à aller s'établir sur la côte Barbaresque avec les bateaux, le matériel et tous les approvisionnements utiles.

D'autres compagnies françaises s'étaient installées au cap Nègre (Tunisie) de sorte que les concessions françaises sur la côte barbaresque s'étendirent depuis le cap Nègre et même plus loin dans l'Est (de la Fiumara Salada) jusqu'à Bône. Par la suite, leur activité s'étendit jusqu'à Bougie.

Nos établissements d'Algérie furent connus d'abord sous le nom de Concessions de la Mazoule, puis de Bastion de France, du nom de leur comptoir principal.

Ils étaient séparés des comptoirs tunisiens par l'établissement Gênois de Tabarque-Cap Roux que le roi d'Aragon avait reçu comme rançon du

célèbre corsaire Dragut capturé en 1540 par André Doria et qu'il concéda aux frères Lomellini (gênois) qui construisirent sur l'îlot une puissante forteresse.

Bône où Th. Lenches avait envisagé d'établir le centre de son activité était trop éloignée des bancs de corail pour servir de port d'attache aux bateaux de pêche, ce qui le conduisit à chercher un endroit plus propice.

L'installation principale qui prit le nom de Bastion de Massacarès, puis de Bastion de France vers la fin du XVle siècle, fut construite entre le port de Bône et l'ancienne Marsa-el-Kharaz.

Les ruines du Bastion s'élèvent sur un promontoire rocheux entouré de hautes dunes de sable recouvertes d'un épais maquis. Le lieu était désert d'un accès difficile tant par terre que par mer, peu exposé à des attaques inopinées des tribus voisines non plus que des corsaires. Les bateaux pouvaient aborder dans une anse voisine abritée des vents d'Est et d'Ouest et hiverner dans le lac Mellah qui se trouvait à proximité immédiate, derrière l'éminence du Bou-Malek.

La Calle était le seul endroit où les réparations des bateaux (corailleurs, frégates, etc...) pouvaient être effectuées ; on y installa des chantiers de radoub qui assurèrent l'entretien de la flotte de la compagnie.

La Compagnie s'établit également au cap Rosa.

La Calle – Vue Générale

La Calle – Vue du port

Au début, les installations ne comportaient que des logements et des magasins à l'exclusion de forteresses dont la construction était interdite. Cependant, des travaux de défense furent exécutés dès le XVe siècle contre les pillards et les corsaires ; les places reçurent de l'artillerie et une petite garnison.

La compagnie créée par Th. Lenches fut périodiquement renouvelée, à intervalles de 3 à 5 ans jusqu'en 1597. Elle, fit d'excellentes affaires. Son succès (on l'appelait La Magnifique compagnie du corail) provoqua la création de sociétés concurrentes qui essayèrent de lui enlever les concessions d'Afrique.

Pour mettre un terme à ces compétitions et consolider sa position, Thomas de Lenches, seigneur de Moissac, neveu du fondateur de la compagnie, obtint du roi, en janvier 1597, des lettres patentes qui lui donnèrent une véritable investiture de gouverneur. De nouvelles lettres patentes, délivrées par Henri IV le 26 novembre 1602, manifestèrent l'importance que la Royauté attachait désormais aux concessions d'Afrique : elles devenaient « affaire d'Etat ». Par la suite, l'intervention de l'autorité royale ne fit que s'accentuer.

Ce ne fut cependant pas la fin des intrigues qui ne cassèrent pas de se multiplier en France au cours du XVIIe siècle. En 1568, les concessions avaient été pillées par les indigènes.

En 1604, le Bastion fut détruit sur l'ordre du dey, à l'instigation des corsaires, sous prétexte que les exportations de blé de la compagnie avaient provoqué la famine et que les redevances qui lui étaient imposées n'avaient pas été acquittées depuis trois ans.

La Calla – Fort du Moulin

DE SAMSON NAPOLLON A 1807

Suivit une période d'hostilités, puis de guerre déclarée entre la France et les Algériens et ce n'est qu'en 1628 que Samson Napollon, chargé de négocier avec les Puissances d'Alger put enfin obtenir la signature de la paix et ta reconstruction du Bastion.

Samson Napollon gentilhomme de la Chambre du Roi, Corse d'origine et Marseillais d'adoption, avait rendu dans le proche Orient des services appréciés, notamment comme consul à Alep et au cours de missions à Constantinople. Ses relations avec les hautes personnalités turques devaient lui faciliter les négociations dont il fut chargé en 1626 ; cependant, ce n'est qu'au bout de 2 ans d'efforts qu'il put réussir grâce à son habileté et à de nombreux cadeaux sans lesquels rien rte pouvait jamais aboutir dans ce pays.

La paix ayant été conclue le 19 septembre 1628, il obtenait le 29 du même mois la signature d'une convention lui accordant à titre personnel, l'autorisation de reconstruire les établissements du Bastion t e s'y livrer à la pêche du corail ainsi qu'au commençant des marchandises autorisées.

Cette convention devait servir de base à tous les contrats ultérieurs, notamment celui de 1694 où revient constamment comme un leitmotiv « comme au temps de Samson.»

Mais Samson Napollon non seulement dut solliciter du Roi l'autorisation d'exploiter les concessions ; il lui fallut de plus prêter serment à Louis XIII et reconnaître qu'il tenait de lui le commandement du Bastion.

Les capitaux étaient fournis par le Duc de Guise. Samson participait pour un tiers dans les bénéfices.

Samson Napollon déploya une grande activité. Les murs et murailles des Etablissements furent rapidement relevés et sérieusement renforcés, la pêche rétablie et le commerce reçut une vive impulsion.

Les bénéfices couronnèrent les efforts. Mais les affairas n'étaient pas les seules préoccupations de Samson Napollon qui, secondant les vues du duc de Guise et du Roi, envisageait de faire du Bastion de France une tête de pont en vue d'un débarquement de troupes en Barbarie.

L'heure était favorable car les Arabes se montraient impatients de secouer le joug des Turcs. La réussite du projet paraissait liée à la possession de Tabarque, citadelle puissante et port commode : Samson Napollon décida de s'en emparer.

La Calle – Le Cour de Barbis

C'est au cours des préparatifs qu'il fit dans ce but ou, suivant une autre version, en donnant un assaut qu'il trouva la mort, le 11 mai 1633. Le chef de la garnison fit jeter son corps à la mer et clouer sa tête sur une porte de la forteresse.

Sanson Lepage succéda à Samson Napollon jusqu'en 1637 et, après lui, Coquel (1640 à 1643), Picquet (1643-1658), J. Arnaud (1666-1674), De la Font (1674-1678), Dusault (1678-1683 et 1684-1687), Pierre Hely (1691-1706), fondèrent successivement de nouvelles compagnies et gouvernèrent le Bastion. A la suite de destructions, celui-ci fut inoccupé à diverses reprises : de 1637 à 1640, de 1658 à 1662, en 1683, de 1687 à 1691.

En 1637, sur l'ordre du Divan, le corsaire Ali Bitchnin avait démoli le bastion qui ne devait jamais être reconstruit. Mais cela ne faisait pas l'affaire des tribus locales qui commerçaient avec les concessions françaises. Elles participèrent à une révolte que les troupes turques ne purent pas réprimer et le chef des Hanenchas ne fit sa soumission qu'à la condition de voir le Bastion rétabli. Ce qui fut fait à la suite de la convention du 7 juillet 1640.

En d'autres circonstances, au XVIIIe siècle, des menaces qui planaient sur le Bastion furent également écartées grâce à l'attitude des tribus.

En 1658, la destruction du Bastion fut la conséquence de la conduite déplorable du Directeur Picquet.

En 1683 et 1687, l'abandon et le pillage du Bastion eurent pour cause les hostilités franco-algériennes.

C'est en 1679 que le Bastion fut abandonné pour cause d'insalubrité (dans une année, les fièvres y auraient fait 400 victimes). La Calle devint l'établissement principal et même le seul centre de pêche permanent en Algérie, le Cap Rosa ayant été délaissé en même temps que le Bastion.

Les Compagnies qui se succédèrent à partir de 1640 firent de mauvaises affaires, si bien qu'à la fin du XVIIe siècle les Marseillais ne voulaient plus aventurer de fonds dans de nouvelles entreprises.

DE LA REVOLUTION A 1827

La Révolution apporta un grand trouble dans la situation.

Conséquence de l'abolition des privilèges, la pèche fut déclarée libre dans les concessions. C'était un coup terrible pour la Cie Royale ; elle tenta cependant de se maintenir ; mais ne put éviter de se voir supprimer en 1794 (19 pluviôse, an III).

« L'Agence d'Afrique » organisme d'Etat, prit la suite, se préoccupant principalement d'achats de céréales pour le ravitaillement de la Métropole.

C'est alors que se développèrent les intrigues de Busnah et Bakri qui accaparaient le commerce des grains dans la Régence et dont les créances furent à l'origine du « coup d'éventail » en 1827.

La Calle fut détruite en 1798 à la suite de l'entrée de Bonaparte en Egypte. La pêche reprit en 1802 avec une grande activité par les pêcheurs corses et italiens (en 1806, il y eut plus de 400 bateaux) qui firent des pêches abondantes et lucratives car le corail était à la mode.

Mais la ville ne fut pas reconstruite et en 1807 elle passait entre les mains des Anglais qui obtenaient les concessions d'Algérie pour dix ans.

Ces nouveaux occupants avaient en vue l'établissement d'une place forte ; mais comme ils en reçurent l'interdiction, ils se désintéressèrent de la restauration des lieux et, lorsque nous nous y installâmes de nouveau en 1817, La Calle avait toujours l'aspect d'une ville incendiée. A l'intérieur du Bastion, les bâtiments étaient debout, les murs noircis, sans portes ni fenêtres, ni toitures.

Le concessionnaire qui fut nommé en 1822, M. Paret, ne put envisager qu'une reconstruction partielle et par étapes échelonnées. La convention de 1817 interdisait formellement l'édification de fortifications et l'artillerie. On disposa cependant quelques canons de faible calibre au poste du Moulin et à l'entrée du Bastion.

Ces travaux excitèrent la colère du Dey, qui lors de la scène historique du coup d'éventail en fit grief au consul Deval.

La scène avait eu lieu le 30 avril 1827, nos demandes de réparation étant restées sans résultat, le blocus des côtes commença le 15 juin. En riposte, Hussein Pacha donna l'ordre de détruire les concessions, ce qui fut fait aussitôt.

L'ALGERIE FRANÇAISE

L'histoire de La Calle ne devait pas s'arrêter en 1827.

C'est sur les ruines de 1286 que les corailleurs s'établirent au XVIe siècle et c'est encore les ruines d'un incendie que nous eûmes à relever en 1836.

Le retour des Français à La Calle, le 14 juillet 1836, est émouvant. C'est Berthier de Savigny qui, venant du camp de Clauzel, y arrive avec 40 cavaliers. Ils ont fait le voyage sans coup férir ; ils ont traversé de grandes étendues autrefois cultivées et restées en friche depuis le départ des Français. La petite troupe arrive dans une ville détruite par le feu et complètement abandonnée.

Sur les ruines, des Arabes paisiblement assis attendent le retour des anciens maîtres des lieux. Ils regardent avec émotion monter au dessus du vieux moulin qui, pendant 200 ans, broya les blés de La Mazoule, les trois couleurs de France, gage de la paix qui va désormais régner sur le sol de l'Algérie.

Ce même jour, 60 bateaux corailleurs aux aguets entraient dans le port sous la protection de notre pavillon.

Une fois de plus, les cendres s'envolaient au vent d'une vie nouvelle. E.PIQUOIS

La Calle – chalutier ou repos (port du pêche)

L'ANCIENNE CAPITALE DU CORAIL

LA CALLE

Sur la côte dangereuse, qui s'étend de Bône à Bizerte, les mouillages sont rares. Presque à la frontière algéro-tunisienne, une presqu'île s'allonge parallèlement au rivage auquel elle ne tient que par une langue de sable, aujourd'hui endiguée. Couverte de maisons où s'harmonisent sous le soleil des tons délicats ocres et roses pâles, elle constitue la cité des pêcheurs de La Calle. Dans l'étroit fourreau qui sert de port, les bateaux pénètrent difficilement, l'entrée étant encombrée de brisants. Si le temps est mauvais, les marins qui connaissent le mieux la passe préfèrent se réfugier à Bône, à quelque 80 kilomètres à l'ouest. Mais les hommes des siècles passés étaient plus téméraires et s'estimaient heureux de pouvoir haler leurs barques sur la plage qui formait le fond du refuge. Ils avaient fait de la presqu'île une bonne cassette pour le produit de leurs peines.

D'ailleurs la région, bien isolée du monde barbaresque par une auréole de lacs (le Melah, l'Oubeira, le Tonga), était peuplée de faibles tribus qui échappaient aux dangereuses passions politiques et religieuses des deux Régences. Mais surtout on tirait des hauts fonds de cette côte les capricieuses frondaisons d'un corail très estimé, blanc, rose ou rouge vif, depuis longtemps connu des marins italiens, corses et provençaux.

La Calle – derrière la presqu’île

L'ANCIENNE CAPITALE DE LA COMPAGNIE D'AFRIQUE

La pêche au corail était faite par des balancelles, mon tées par huit à douze hommes d'équipage et un ou deux mousses chargés de la réparation des filets. Ces bateaux avaient un seul mât, une voile latine, basse et une brigantine. L'instrument de pêche était formé de deux forts madriers, longs de 1 m 50, disposés en croix, à leur jonction on attachait une grosse pierre et un câble assez long pour descendre l'engin jusqu'à 80 brasses. Aux extrémités des madriers étaient fixés des réseaux de grosses ficelles. Le filet cassait les branches de coraux, qui restaient attachés aux paquets de ficelle, puis on levait au cabestan. On triait ce qui était vendable et on transportait la marchandise au centre industriel, Marseille surtout au XVIe et XVIIe siècles, Livourne à la fin du XVIIIe où on la payait 30 à 50 francs la livre Le travail de l'équipage était pénible et il fallait embaucher des matelots particulièrement robustes et sobres. L'armateur dépensait 6 à 2000 francs pour une vente qui n'atteignait que 10 à 12000 francs. Mais, au temps où les grandes compagnies se chargeaient elles-mêmes des opérations de pêche, la variété des autres marchandises transportées et le mouvement d'échange alimenté par ces opérations procuraient des bénéfices considérables.

Nous saisissons mal aujourd'hui l'importance du corail dans la vie économique du monde depuis le XVIe siècle. Si ce n'est pour la confection de chapelets, ces belles grappes rouges n'étaient pas très recherchées en France et la clientèle italienne ne suffit pas à expliquer l'âpre lutte qui s'est livrée autour des bancs de Barbarie pendant plus de deux siècles entre Français Italiens et Anglais. On trouve la solution du problème dans l'étude des relations avec l'Orient. Le corail était une monnaie d'échange : c'était l'un des bijoux que convoitaient le plus les riches Hindous et on l'échangeait commodément contre les épices et les fines étoffes. Les meilleurs clients des corailleurs ou des fabricants utilisant leur marchandise étaient les compagnies de navigation qui trafiquaient dans l'Océan Indien.

Tout au moins jusqu'à la seconde moitié du XVIIIe siècle. Car, de plus en plus, l'Est de la Régence d'Alger prit de l'importance comme fournisseur de céréales. La Provence lui demandait du blé à meilleur marché que celui qu'elle pouvait recevoir des provinces françaises capables d'en exporter. Marseile, qui ne comprenait pas l'intérêt national comme les ministres de Versailles, préférait alors les sûrs profits du commerce des denrées alimentaires.

Dès le milieu du XVIe siècle, Gênois et marseillais avaient convoité les revenus de cette côte. Pendant que les premiers s'établissaient dans l'îlot de Tabarca, les seconds négociaient avec Alger, et, l'un d'eux, d'origine corse,

Thomas Linche, associé avec plusieurs marchands dont un, Riquetti, ancêtre de Mirabeau, obtint, vers 1560, le droit de s'établir au Bastion de Massacarès, entre Bône et La Calle. Simple entrepôt de corail au début, cette concession, dont La Calle fut une succursale, lui servit à exporter le blé, de l'orge et divers autres produits de la province de Constantine. Activité dangereuse parce que, les années de famine, on accusait les Français d'avoir par leurs achats de céréales, causé la misère du peuple. A plusieurs reprises l'établissement fut détruit par la fureur des Bônois.

Une autre concession, obtenue vers 1581 en Tunisie, au Cap Nègre, vivait d'une vie aussi mouvementée, étant menacée à la fois par les indigènes et par les Gênois.

Pendant 50 ans, la Compagnie fondée par Lenche fit cependant de très gros bénéfices. Des dissensions l'amenèrent à se dissoudre sous Henri IV, qui fit gouverner le « Bastion de France » par un de ses capitaines.

Il fallut attendre 1638 pour assister à un nouvel essor. A cette date, le corse Sanson Napollon, avec le secours de Richelieu, protecteur de l'expansion outre-mer, obtint le monopole de la pêche du corail moyennant redevance et osa fortifier plus solidement le Bastion, La Calle et le Cap Nègre. Il fit de bonnes affaires jusqu'au moment où, cherchant à joindre Tabarca à ses concessions, il fut tué par une balle Gênoise. Son successeur fut considéré par les Algériens comme un affameur et le Bastion fut de nouveau détruit, ainsi que le poste tunisien du Cap Nègre, en 1637. Une nouvelle convention rétablit les affaires des Français en 1640, à la demande du chef de la tribu des Hanencha, qui tirait profit du commerce avec les Chrétiens.

Après bien des vicissitudes, causées par l'activité guerrière de Louis XIV à l'égard des pirates barbaresques, en 1694 la concession de côte fut donnée à la Compagnie Hély, de Marseille. Le Bastion de France, difficile à défendre, fut abandonné et les affaires concentrées dans la presqu'île de La Calle, qui devint une petite ville de 500 habitants, dont 300 pêcheurs. Le corail était vendu à la Compagnie des Indes, qui le payait jusqu'à 1700 livres la caisse. Pensant l'avoir à meilleur marché si elle se passait d'intermédiaire, celle-ci acheta l'affaire à Hély mais, dirigée de trop loin, la concession ne fut pas rentable et fut de nouveau vendue à une maison marseillaise, la Société Auriol, qui la céda à son tour à la Compagnie Royale d'Afrique en 1741.

Cette dernière s'intéressait surtout au commerce du blé, source de bénéfices considérables et accessoirement aux peaux, à la laine, à l'huile, au miel. Quand le gouvernement révolutionnaire la supprima, l'établissement

fut étatisé et la Convention envoya des agents commerciaux à La Calle et à Tabarca. Mais les guerres du Directoire ruinèrent la pêche. Elle ne reprit que lorsque les marins Gênois purent se faire considérer comme Français, leur pays ayant été annexé par Napoléon en 1806. L'année suivante ce fut le tour des Napolitains : 400 de leurs balancelles vinrent draguer les fonds de La Calle.

Bientôt un nouveau concurrent se présenta : l'Angleterre, maîtresse de la Méditerranée qui, en 1807, se fit donner la concession. Les Algériens saisirent alors 25 bateaux napolitains, qui croisaient au large de Bône et réduisirent en esclavage les 200 hommes d'équipage. Pour comble do malheur le dey entra en guerre avec Tunis et le nombre des Italiens qui se risquèrent dans ces dangereux parages diminua rapidement. Des Siciliens restèrent seuls, l'Angleterre protégeant leur île.

La Calle – derrière l’église

La France n'a pu faire valoir ses droits anciens qu'en 1816 et elle les a conservés, jusqu'au conflit qui l'opposa au dey en 1827.

Durant cette dernière période, la côte de la province de Constantine était exploitée par une compagnie qui y faisait le commerce exclusif des grains, cuirs, laines, huiles, soies et cires. Bône, au débouché d'une plaine productrice de beau blé, était le centre des opérations commerciales, le siège d'un consulat français. La Compagnie faisait aussi des achats à Stora, Collo et Bougie. Tout cela moyennant une redevance annuelle de 200.000 francs. La région, située entre La Calle et Bône, était affectée à l'exploitation du corail mais la Compagnie ne s'en chargeait pas directement : elle vendait des patentes de pèche aux bâtiments italiens.

L'affaire était assez rémunératrice aussi bien pour la France que pour le dey d'Alger et le bey de Constantine et tous regrettèrent le conflit causé par le difficile règlement de la créance Bacri-Busnach.

Quand la France se décida à procéder au blocus de la côte algérienne, elle évacua spontanément ses établissements, par crainte de représailles. Le bey Ahmed, par le dey de détruire La Calle, trouva la ville complètement vide et se borna à mettre le feu aux maisons.

La Calle – Un naufrage en 1859 (Port De Pêche)

LA VILLE MODERNE

La création du poste militaire (1836-1848). Après la prise d'Alger, les souvenirs de la Compagnie d'Afrique et la nécessité de prouver au public français que nos établissements sur la côté barbaresque pouvaient être rémunérateurs ont attiré l'attention de l'autorité militaire sur La Calle. En Mai 1831, on envoya le capitaine d’Etat Major Saint-Hippolyte faire une reconnaissance par mer jusqu’a ce port. Il n'y trouva que des ruines et son rapport souligne le peu d'intérêt de la crique ou le plus petit brick de guerre, tirant à 6 mètres d'eau, ne pourrait entrer. La restauration de la cité serait facile mais les bancs de corail ne semblaient plus assez riches pour rendre l'entreprise intéressante.

Si le Ministre de la Guerre exprime, l'année suivante, l'intention de faire occuper La Calle, c'est pour une raison qui nous étonne aujourd'hui. On espère tirer de la région environnante du fourrage pour la cavalerie, ce précieux fourrage qu'on est obligé de faire venir, à grands frais, de la Métropole et qui attire alors dans la Mitidja les premiers colons. Mais le corps d'occupation dispose d'effectifs trop faibles pour pouvoir s'installer sur ce point de la côte. En 1836, le Mameluk Yusuf, nommé bey de Constantine, bien qu'il ne soit pas en mesure de s'aventurer loin de Bône où il commande un corps de spahis, pénètre jusqu'à La Calle avec un détachement. C'est encore une simple reconnaissance mais son rapport a donné l'impression que les tribus d'alentour nous sont favorables. C'est pourquoi on n'hésite plus à procéder le mois suivant à une occupation sans frais. Un aventurier français, Bertier de Sauvigny, entre à La Calle le 15 juillet 1836, à la tête de 40 Turcs. Il fait comprendre aux Arabes qu'il n'est pas venu pour les dépouiller et les surcharger d'impôts mais pour les enrichir en achetant leurs marchandises.

Quelques jours après un brick amena un capitaine du génie et des ouvriers, qui réparèrent quelques brèches, posèrent une porte à la ville et au moulin, consolidèrent l'ancienne maison du gouverneur pour loger les officiers et casèrent les soldats, tant bien que mal, dans les caves. Sur les 110 maisons, 40 pouvaient être réparées et servir de magasins ou de logement pour les colons. Le moulin, qui reçut l'unique pièce de canon dont on disposait, pouvait être transformé en fortin. Mais on manquait de bras pour une tâche si considérable. Il ne pouvait être question d'obtenir des renforts, au moment où s'engageait la malheureuse expédition de Constantine. Aux premières pluies, l'eau se déversa torrents dans les caves. Le biscuit pourrissait. Les Turcs se décourageaient et désertaient. On essaya d'embaucher dans les tribus voisines 50 spahis auxiliaires ; il ne vint que de pauvres diables sans qualités militaires et les tribus crurent que la

solde offerte n'était qu'un moyen pour les Français d'acheter la paix. Cette solde on n'arrivait pas à la payer. Les communications avec Bône étaient fort difficiles. On resta une fois, 40 jours sans nouvelles. A deux reprises les Arabes attaquèrent notre poste affamé, réduit à une garnison de 25 Turcs.

Quand le général Damrémant inspecta le poste, il s'émut de cette misère. Il y laissa 50 hommes, deux pièces de montagne et quatre artilleurs, un peu d'argent. Berthier fit une caserne pour ses hommes, quelques réparations aux maisons, des tronçons de route, planta 80 arbres pour une promenade et entreprit les travaux d'une fontaine destinée à alimenter régulièrement la ville en eau potable. Un inspecteur des forêts parcourut la région, dressa un plan d'exploitation.

Des colons arrivèrent à oui on loua des basses et des terrains. Ils réparèrent quelques maisons, cultivèrent jardins. En 1838 la population civile comprenait déjà 70 habitants. Berthier était fier de son petit fief : il voirait en faire, non une position militaire, mais un port du corail et des bois. Il réclamait la construction d'un hôpital civil, d'une chanelle, de maisons. pour attirer les corailleurs. L’approfondissement du chenal pour les bateaux chargeant du bois, des concessions de terrain cultivable pour les colons.

Son optimisme n'était pas partagé par l'autorité militaire qui, après la prise de Constantine, ne voulait voir en La Calle qu'un poste-frontière destiné à surveiller les agissements des Tunisiens. Le maréchal Valée y envoya le capitaine de Mirbeck avec des renforts. Ce dernier ne s'entendit pas avec Berthier qu'il accusait de désordre. Et Berthier demanda son rappel.

L'intention de Mirbeck était simplement d'établir un protectorat sur les tribus voisines : on les obligea à payer un impôt et on leur donna un caid. Mais elles ne respectèrent pas l'autorité nouvelle. Pour régler leurs différends, elles faisaient appel à un chef insoumis, Asmaoui. En 1840, un jeune et brillant officier topographe, le capitaine Saget, crut pouvoir accepter l'invitation d'un cheik de la montagne, qui l'assassina dans sa tente avec le caid et deux spahis de son escorte. Pour la politique de pénétration, c'était un coup dur.

Les corailleurs étaient très mécontents. En 1838, on avait vu venir 232 balancelles, aux guidons coloriés, chargées de vigoureux matelots italiens. Pleins d'espoir, ils sautaient à terre, débarquaient leur matériel, disposaient leurs petits cabestans et, en quelques minutes, halaient les barques sur la plage de sable. La fourmilière campait autour des bâtiments en attendant le

moment favorable pour prendre la mer. Leur enthousiasme durait peu : l'administration française n'avait aucun moyen de venir en aide aux malchanceux. Pas de magasin pour entreposer les riches cargaisons, pas d'hôpital pour les malades, pas d'église pour la prière. Le port s'ensablait, faute de machine pour le curage. Les bateaux risquaient les coups de vent, faute de jetée. L'administration ne se manifestait que pour percevoir l'impôt sur les bateaux étrangers. Et ces gens qui, en 1842, avaient déjà payé plus d'un million, n'avaient même pas obtenu un fanal.

Aussi ne sommes-nous pas étonnés de voir baisser le nombre des bateaux corailleurs : 148 en 1839 ; 83 en 1840 (dont un seul français). Le Ministre de la Marine faisait des reproches à son collègue de la Guerre. La Calle, disait-il, a un brillant passé ; pourquoi ne ferait-on pas l'effort nécessaire pour enrichir cette intéressante région ? On y peut trouver chanvre pour les filets, du blé dur pour le biscuit, du bois pour réparer les bateaux, peut-être même du fer. On pourrait essayer de fixer les corailleurs dans le pays. Pourquoi ne pas faire de La Calle une colonie de pêcheurs et de matelots travaillant pour l'industrie française?

La Calle – Le Cour de Barbis (vers le 13 siècle)

Quand des immigrants corses ont voulu s'y établi, ils sont retournés chez eux, n'ayant trouvé dans la ville aucun abri.

Le Ministre de la Guerre s'émut de ces critiques justifiées. En 1842, il donne l'ordre de construire une église, un hôpital, des magasins, la tour du fanal, alloue 100.000 frs pour le curage du port fait commencer la route menant à Bône et dresser un plan d'alignement pour le centre. Un membre de la Commission scientifique, Deshaye, est chargé d'étudier la formation du corail et les moyens de conserver les bancs. On construit les années suivantes quelques maisons offertes en concession gratuite, à des colons. On délimite 68 lots ruraux qu'on offre à des immigrants. Cependant, on estime que le rôle de La Calle doit être surtout industriel. Déjà, le général Randon a constitué une compagnie de bûcherons militaires.

La population augmente : 93 européens en 1843 ; 228 en 1844. Des pêcheurs napolitains demandent à la reine de France de s'établir dans la ville avec leurs familles, si on leur donne le terrain. Mais, depuis la délimitation du territoire civil en 1846, les conflits, entre les services du Domaine et ceux de la colonisation, entravent les progrès. En 1848, la ville reste confinée derrière les murs de l'ancienne concession de la Compagnie d'Afrique. Le projet de construction d'un port à l'usage des corailleurs et des exportateurs de liège et de minerais est resté dans les cartons. On n'a fait que consolider les vieux quais, extraire les pierres tombées et poser quelques canons de halage.

La Révolution de 1848, en instituant en Algérie un régime civil, fit naître de grands espoirs. Effectivement, c'est cette année-là, que le Ministère approuva le projet de création d'un port. Le Gouverneur Général estimait que c'était gaspiller deux millions. On passa outre. Et, ordre fut donné, le 5 août, au Directeur des Affaires civiles de Constantine de s'occuper d'urgence de la fondation de la ville moderne.

UN PORT D'ACTIVITE VARIEE

Par malheur, le Gouvernement de la République avait plus de bonne volonté que d'argent. On traça les plans d'une ville nouvelle ; il était question de fonder un centre de colonisation à Ain-Khiaz, sur la route de Bône, de faire des routes stratégiques et vicinales, un pont sur l'Oued el- Kebir, de creuser des puits et même un déversoir pour le lac du Milieu (Guerah el Oubeira) qui débordait en hiver, compromettant le poissons, de construire une jetée s'enracinant à la pointe fanal et s'avançant de 30 à 40 mètres vers l'Ouest, d'amenager un port de refuge, de fonder une madrague pour les pêcheurs de poissons, de repeupler les lacs en bonnes espèces, voire même de créer un port nouveau dans le lac Melah. Il fallut, en réalité, bien des années pour réaliser une partie de ces projets. Mais, dès 1850, l'œuvre était amorcée et les progrès furent réguliers pendant près d'un demi-siècle.

Les fonctions de la ville devinrent plus nombreuses, chacune ayant tour à tour la prépondérance et remédiant ainsi aux défaillances des autres.

La plus ancienne d'abord : la pêche du CORAIL. Une année on a vu venir 337 bateaux. Jusqu'en 1880, les pêcheurs italiens sont venus nombreux à La Calle. Ils abandonnèrent cette côte quand ils trouvèrent des bancs nouveaux en Sicile, mais ils furent remplacés par des Français. Ces derniers eux-mêmes se découragèrent quand les bancs devinrent moins riches, D'ailleurs à qui vendre le corail ? La mode de cet ornement avait passé. L'industrie dédaignait la marchandise. En 1884, il n'est plus venu que 57 bateaux, tous français. Quelques années plus tard, la pêche du corail était à peu près abandonnée.

L'exploitation du Chêne-liège et du Tan donnait de meilleurs résultats. Dès 1847, la société Boissimon, de Paris, avait construit des cabanes pour ses ouvriers et des ateliers ; elle bataillait contre l'administration du cercle pour obtenir une extension de sa concession. Le liège a fourni un frêt appréciable pour le cabotage et il existe encore aujourd'hui, dans la vieille ville, une fabrique de bouchons.

Plus considérable était le rôle de La Calle comme port d'exportation des minerais. La mine de cuivre et de plomb argentifère de « KEF-OUM-THEBOUL » fut mise en exploitation en 1850. Les débuts furent difficiles par suite des incursions des Khroumirs du territoire tunisien, tribus en fait indépendantes. Il fallut grouper nos amis Nehed, les engager à défendre leur territoire, les intéresser aux travaux de la mine. Mais on ne pouvait poursuivre les Khroumirs du territoire tunisien, les punir et les soumettre.

On sait que cette question fut l'une des causes de l'occupation de la Tunisie en 1881.

Si la position de La Calle aux confins de l'Algérie était une source de difficultés, il faut dire que, tant que le Tunisie fut indépendante, la ville bénéficia de son rôle de poste militaire. La petite garnison qui surveillait la frontière entretenait l'animation des rues. L'occupation de la Régence de Tunis ne fut pas immédiatement nuisible au port. En effet, pour éviter les protestations de certaines grandes puissances, la France avait garanti l'exécution des traités de commerce conclus par le bey. Il en résulta, jusqu'à l'expiration de ces conventions, que les produits tunisiens entrant en France payaient des droits de douane souvent plus élevés que ceux dont on taxait les étrangers. Il n'y avait qu'une seule façon de tourner la loi, c'était d'acheminer y les produits vers les ports de l'Algérie et de les faire passer pour des marchandises en provenance de ce pays. Bône profita beaucoup de cette ruse et peut-être aussi La Calle.

Enfin, après 1886, l'Algérie Se vouant à la vigne pour combler le déficit de la production française victime du phylloxéra, la colonisation de la région de La Calle se développa rapidement, Il fallut importer par cabotage l'outillage nécessaire aux planteurs de vigne. La Calle devint un marché actif et sa population augmenta rapidement.

En 1856…………………………………924 habitants

1865………………………………2.327 (avec la banlieue)

1872...…………………………….4.164

1876………………………………5.608

1881……………………………….6.465

Population variée : en 1876, le recensement indique que, sur les 5.608 habitants, il y a 544 français, 66 israélites naturalisés, 55 israélites non naturalisés et 99 musulmans. Les Européens étrangers étaient surtout des Italiens.

Le régime des Rattachements, favorable aux petits ports, a permis d'améliorer la navigation. On fit sauter les rochers à l'entrée et on dragua le fond du canal jusqu'à 4 m. La municipalité crut que la prospérité allait durer longtemps. Elle conclut des emprunts et construisit dans la nouvelle ville une mairie, une église, des marchés, des écoles. La Calle prit, vers 1890, cet aspect de cité coquette, qu'elle a conservé jusqu'à nos jours.

LE DECLIN

Viennent les années 1895-1896, commencement d'une crise grave. En quelques années, La Calle perd toutes ses sources de revenus. Les corailleurs ne viennent plus. La mine cesse ses exploitations souterraines. Le poste de défense n'a plus d'intérêt, Bizerte absorbant désormais toute l'activité militaire. Les traités de commerce italo-tunisiens sont arrivés à expiration et la France peut favoriser l'importation directe des produits de son protectorat. Le phylloxéra dévaste les vignobles de la région.

Les produits de la colonisation sont acheminés vers Bône depuis qu'il y a une bonne route et un tramway à vapeur, concurrencé de nos jours par le roulage automobile. Enfin, les sardines et les anchois qui, les années précédentes, avaient procuré de bons bénéfices aux pêcheurs, ont émigré. La récolte du liège, qui occupait une partie des sardiniers pendant les loisirs de l'hiver, a été mauvaise. Il résulte de tout cela une terrible misère. Trois cents pères de famille endettés sont sous menace de saisie. Les recettes communales ayant baissé de 140.000 à 63.000 francs, la ville ne peut plus payer les entrepreneurs de son église, qui a coûté 188.000 francs. Elle réclame le secours du Gouvernement général. Elle n'a plus qu'une chance de se tirer d'affaire : rappeler sa fidélité aux principes du libéralisme car elle n'a pas voté pour le candidat antisémite et M. Thomson, député de Constantine, plaide sa cause avec chaleur auprès des Pouvoirs Publics.

Les premières années de notre siècle ont été moins mauvaises, mais La Calle n'a jamais retrouvé la prospérité des années 80. La ville a toujours souffert de deux pôles d'attraction : Bône et Tunis. Depuis 1888, le caboteur de la Compagnie Transatlantique n'y faisait plus escale que deux fois par mois, préférant le bon refuge de Bizerte. On peut soupçonner d'ailleurs M. Pereire, qui dirigeait cette grande compagnie de navigation, de n'avoir jamais eu beaucoup de tendresse pour le débouché des mines de son vieil adversaire Talabot. Cependant la petite ville, fière de son passé n'a pas manqué de courage. Elle a surmonté ses difficultés en développant la pêche des poissons de mer et son cabotage puisque le peu de profondeur de sa crique l'empêche de commercer directement avec les ports de la métropole. Elle a importé ce qui était nécessaire aux colons et aux musulmans agriculteurs de la région et les bateaux, qui ne repartaient pas à vide, exportaient vers Bône un peu de liège de charbon de bois ou de sel.

En vain, elle a réclamé la construction d'une jetée pour se protéger des dangereux coups de mer.

Actuellement, seuls les chalutiers entretiennent quelque animation dans le port.

LA CALLE LIEU DE VILLEGIATURE

Faut-il se résigner à conserver toujours une activité si réduite ? Non certes. Car La Calle s'aperçoit qu'elle a une richesse encore inexploitée, l'extraordinaire beauté de son site.

Rarement j'ai pu voir d'aussi beaux couchers de soleil que ceux que reflètent les trois lacs. Il n'existe pas, en Algérie, de forêts aussi denses, aussi fraîches, aussi variées, avec de splendides échappées tantôt sur un étang plein d'oiseaux, tantôt sur les rochers sauvages, fouettés d'écume. Tout cela doit attirer le touriste et l'estivant.

Oui, La Calle vivra, si ses habitants ont confiance. La ville du corail se peuplera un jour de convalescents et de villégiaturiste qui lui rendront son activité tout en profitant des dons exceptionnels dont l'a dotée la nature.

Marcel EMERIT.

La Calle – Maison du Gouverneure (presqu’île)

KEF-OUM-THEBOUL

Kef-Oum-Theboul fait partie de la Commune de plein exercice de La Calle.

Son aspect désertique, ses maisons en ruine, font penser à quelque village du « front » alors que seuls la force des choses et l'oubli des hommes sont responsables de son lamentable état actuel.

A chacune des périodes d'exploitation de la mine correspond une renaissance du village et un accroissement appréciable de l'activité commerciale de La Calle.

Aussi nous a-t-il paru intéressant d'avoir des renseignements précis sur la mine. Nous en avons demandé à la Penarroya, propriétaire actuelle, qui aimablement nous a communiqué les suivants, en décembre 1950.

Le gisement de Kef-Oum-Theboul a été découvert par des indigènes qui le signalèrent, en février 1845, à M. Devoluet, commandant supérieur du Cercle de La Calle. M. Fournel, Ingénieur en Chef des Minas, à Alger, ayant examiné les échantillons, décida de visiter les affleurements accompagné d'une escorte de 20 spahis, la région étant peu sûre.

M. Roux de Fraissinet ayant eu connaissance de la découverte obtint l'autorisation de faire des recherches sous la protection des trappes détachées de La Calle et fut déclaré concessionnaire en 24 juillet 1849.

L'exploitation a présenté plusieurs périodes d'activité dont la première a duré de 1849 à 1893. Les causes de l'arrêt furent des difficultés techniques : incendie de la mine en septembre 1885 ; éboulement de la galerie des fumées en 1890 provoquant l'arrêt de l'extraction et l'inondation de la mine. Pendant cette période 285.000 tonnes de minerais marchands divers (galène, blende chalcopyrite) ont été vendus.

L'exploitation fut reprise au cours du 2e semestre 1889 par la « Société Nouvelle des Mines d'Oum-Theboul ». L'aérage fut rétabli tant bien que mal mais les opérations d'isolement du feu entraînèrent un grand nombre d'asphyxies, un nouvel arrêt de l'exploitation eut lieu en 1903.

La production de cette période fut :

5.777 tonnes de carbonate de Pb. à 650 gr. d'argent et 7 gr. d'or à la tonne ; 6.971 tonnes de chalcopyrite ; 2.294 tonnes de blende ; 23 tonnes de galène ; 3.904 tonnes de mixtes blende galène.

En 1907, le Syndicat Minier (Rochette) reprit activement les travaux.

• Tout en procédant au relevage et à l'exploitation des travaux inférieurs, il entreprit le triage des haldes laissées par ses prédécesseurs, en 1907 on recueillit dans ces haldes

1.0 tonnes de minerai à 10-20 % de plomb, 1.000 grammes d'argent et 8 grammes d'or par tonne.

En 1912-1913 on installa une laverie et un water jacket capable de traiter 50 tonnes/24 heures de minerai de cuivre. La guerre entraîna la fermeture de la mine.

De 1907 à 1914 on produisit :

429 tonnes d'oxyde de plomb ; 13 tonnes de galène ;

5.1 .112 tonnes de mixtes blende galène et 13.000 tonnes de minerai à 5 % de cuivre ont été passées à la Fonderie de la Messida.

En 1916 la concession devint la propriété de la Socié Penarroya.

La mine était noyée et les travaux éboulés. Les conditions du marché des minerais après la guerre 1914-1918 ne permirent pas de remettre la mine en exploitation. Cependant, des progrès réalisés dans les méthodes d'enrichissement des minerais et les hauts cours pratiqués en 1941 conduisirent la Société de Penarroya à reprendre les travaux avec l'aide de l'Etat. Le travers bancs Sainte-Barbe et la galerie des fumées furent remis en état et la construction d'une laverie et de maisons fut entreprise. Le débarquement allié arrêta ces travaux.

Le gîte de Kef-Oum-Theboul est constitué par un filon de direction 70° Ouest-Sud, 70° Est dont la puissance varie entre 0 m. 50 et 12 mètres.

Dons les niveaux supérieurs il contenait surtout de la galène argentifère et aurifère puis la blende, la chalcopyrite et la pyrite sont apparues et les niveaux inférieurs actuellement vierges ne contiennent plus que très peu de galène. Kef-Oum-Theboul qui, au début, était une mine de plomb est

actuellement une mine de cuivre et de zinc contenant de la pyrite et du mispickel.

La séparation des divers minerais du filon, galène, blende, chalcopyrite, pyrite, mispickel, est une opération extrêmement difficile que nous étudions dans nos laboratoires. Elle est nécessaire, les fonderies actuelles n'étant pas équipées pour traiter des minerais mixtes.

-FIN-