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CATHERINE RHEIN Sociétés Contemporaines (2003) n° 49-50 (p. 167-190) 167 L’ECOLOGIE HUMAINE, DISCIPLINE-CHIMERE RÉSUMÉ : L’écologie humaine est une discipline singulière dont le contenu varie beaucoup d’un pays à l’autre. Une première écologie humaine a été élaborée au début du XX e siècle par des sociologues de University of Chicago ; elle procède d’un transfert de modèles et de concepts de l’écologie biologique alors en plein essor. La naturalisation des faits sociaux qui en résulte présente l’avantage de faire de cette discipline une science positive, dans un contexte idéologico-politique marqué par de grands conflits sociaux, par d’importantes ten- sions interraciales, par un antisémitisme, un racialisme et un eugénisme militants et efficaces. La comparaison entre cette écologie avec d’autres écologies humaines, avec la morphologie sociale et avec la géographie humaine permet d’en préciser les contours, les problèmes épis- témologiques mais aussi les fonctions qui expliquent son succès et sa résurgence. L’écologie humaine est-elle une discipline, un champ particulier au sein d’une discipline plus ample, comme la sociologie ou la géographie qui se la disputent, ou encore une méthode ? Son statut n’est pas clair, puisque le terme d’écologie renvoie à des corpus aux contenus très différents selon les pays, selon les époques et selon les disciplines. L’écologie en tant que telle est une discipline qui s’est constituée à la fin du XIX e siècle, à partir de la biologie animale et végétale : elle relève pleinement des sciences de la vie et a développé des méthodes spécifiques qui lui confèrent une identité forte et des contours précis. En revanche, l’écologie dite « humaine » prend des contours très différents selon les pays, parce qu’il existe différentes histoires et différentes traditions dans le développement des sciences sociales. L’histoire compa- rée des géographies allemande et française le révèle ; celle des écologies humaines anglo-saxonne et française, qui leur est un peu postérieure, le confirme. Seuls les usages « scientifiques » du terme « écologie » seront ici pris en compte. Depuis plu- sieurs décennies, se sont en effet développées une « écologie politique » et une éco- logie urbaine au fondement de mouvements sociaux et politiques différents de ces disciplines que sont ou que veulent être écologies biologique et humaines. Ces liens, à la fois ténus et complexes, ne pourront être examinés ici. La question plus générale que pose l’écologie humaine est celle des dynamiques à l’œuvre dans la constitution et dans l’évolution des sciences et des disciplines. C’est une question qui a sous-tendu cette enquête sur l’écologie humaine, comme elle est au fondement des réflexions sur l’interdisciplinarité au sein des sciences so- ciales et entre sciences sociales et sciences de la vie (Robic, 1992a et 1992b ; Guillo,

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C A T H E R I N E R H E I N

Sociétés Contemporaines (2003) n° 49-50 (p. 167-190) 167

L’ECOLOGIE HUMAINE, DISCIPLINE-CHIMERE

RÉSUMÉ : L’écologie humaine est une discipline singulière dont le contenu varie beaucoup d’un pays à l’autre. Une première écologie humaine a été élaborée au début du XXe siècle par des sociologues de University of Chicago ; elle procède d’un transfert de modèles et de concepts de l’écologie biologique alors en plein essor. La naturalisation des faits sociaux qui en résulte présente l’avantage de faire de cette discipline une science positive, dans un contexte idéologico-politique marqué par de grands conflits sociaux, par d’importantes ten-sions interraciales, par un antisémitisme, un racialisme et un eugénisme militants et efficaces. La comparaison entre cette écologie avec d’autres écologies humaines, avec la morphologie sociale et avec la géographie humaine permet d’en préciser les contours, les problèmes épis-témologiques mais aussi les fonctions qui expliquent son succès et sa résurgence.

L’écologie humaine est-elle une discipline, un champ particulier au sein d’une discipline plus ample, comme la sociologie ou la géographie qui se la disputent, ou encore une méthode ? Son statut n’est pas clair, puisque le terme d’écologie renvoie à des corpus aux contenus très différents selon les pays, selon les époques et selon les disciplines. L’écologie en tant que telle est une discipline qui s’est constituée à la fin du XIXe siècle, à partir de la biologie animale et végétale : elle relève pleinement des sciences de la vie et a développé des méthodes spécifiques qui lui confèrent une identité forte et des contours précis. En revanche, l’écologie dite « humaine » prend des contours très différents selon les pays, parce qu’il existe différentes histoires et différentes traditions dans le développement des sciences sociales. L’histoire compa-rée des géographies allemande et française le révèle ; celle des écologies humaines anglo-saxonne et française, qui leur est un peu postérieure, le confirme. Seuls les usages « scientifiques » du terme « écologie » seront ici pris en compte. Depuis plu-sieurs décennies, se sont en effet développées une « écologie politique » et une éco-logie urbaine au fondement de mouvements sociaux et politiques différents de ces disciplines que sont ou que veulent être écologies biologique et humaines. Ces liens, à la fois ténus et complexes, ne pourront être examinés ici.

La question plus générale que pose l’écologie humaine est celle des dynamiques à l’œuvre dans la constitution et dans l’évolution des sciences et des disciplines. C’est une question qui a sous-tendu cette enquête sur l’écologie humaine, comme elle est au fondement des réflexions sur l’interdisciplinarité au sein des sciences so-ciales et entre sciences sociales et sciences de la vie (Robic, 1992a et 1992b ; Guillo,

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2000). Il est des façons très différentes d’envisager ces objets de recherche et de les construire. Des traditions intellectuelles différentes permettent de rendre compte de ces différences, mais d’autres facteurs interviennent aussi. Ainsi en est-il des proces-sus d’institutionnalisation des savoirs, lors de la création des systèmes universitaires et de leur agiornamento à la fin du XIXe siècle. Les cadres hérités de cette période sont robustes, alors même que les savoirs et les méthodes n’ont cessé d’évoluer de-puis lors. Aussi les querelles de frontières n’ont-elles cessé, notamment entre démo-graphie, sociologie et géographie, en particulier en ce qui concerne l’étude des popu-lations et des modes d’ancrage territorial des sociétés.

Nous aborderons deux points plus précis de ces relations tumultueuses. Le pre-mier point est celui des modes de conceptualisation des relations entre l’homme et la nature, et des relations entre nature et sociétés : ces relations concernent à la fois les sciences sociales et les sciences de la vie. La géographie française a été construite dans ce cadre, et l’écologie humaine élaborée par Maximilien Sorre est, en ce sens, une des tentatives les plus abouties. Mais l’écologie de Sorre diffère radicalement de l’écologie humaine issue de la tradition sociologique de Chicago, puisque, dans cette dernière, la nature est définie comme environnement dont la composante naturelle est réduite au strict minimum. Le second point porte sur les modes de constitution de savoirs, de thématiques et de problématiques se développant à la charnière entre connaissance et action. C’est un problème connu de l’histoire et de l’épistémologie des sciences sociales, qui se pose de façon aiguë à propos des questions d’aména-gement du territoire, d’urbanisme, à l’occasion de l’élaboration et de l’évaluation de politiques publiques : c’est à cette charnière que s’est constituée l’écologie humaine, mais de manière occulte.

Dans une première partie, nous préciserons les contours, les grandes notions et les principaux modèles caractéristiques de l’écologie humaine. La deuxième partie est consacrée à une contextualisation de cette discipline. Ainsi R.E. Park emprunte-t-il concepts et modèles à une écologie biologique alors en pleine maturation dans plusieurs universités du Middle West dont University of Chicago. Si Park procède de la sorte, c’est-à-dire par une naturalisation des grands processus sociaux, c’est que cette naturalisation lui permet de désamorcer, de dépolitiser, du moins vis-à-vis de lecteurs pressés, nombre d’enjeux alors très vifs, portant en particulier sur l’intégration des Noirs et des immigrants dans la société américaine. Enfin, dans une troisième partie, cette écologie humaine sera comparée à trois autres disciplines, à la fois proches par leur contenu et distinctes par leurs prémisses : la géographie envi-ronmentaliste américaine, la morphologie sociale d’E. Durkheim et de M. Halbwachs, enfin l’écologie humaine française, développée principalement par le géographe Max Sorre.

1. L’ECOLOGIE HUMAINE DE LA TRADITION SOCIOLOGIQUE DE CHICAGO

Le terme d’écologie humaine apparaît pour la première fois sous la plume de R.E. Park, professeur de sociologie à University of Chicago, dans l’article publié en 1916 sur « La ville » et republié dans l’ouvrage éponyme en 1925. Il apparaît à plu-sieurs reprises dans le manuel publié par E. Burgess et R.E. Park en 1921, Introduc-tion to the science of sociology, mais aussi dans le texte de E. Burgess sur la crois-sance de la ville publié dans l’ouvrage collectif sur la ville. C’est surtout au fil des

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travaux de R. McKenzie, élève de R.E. Park, puis professeur de sociologie à Univer-sity of Michigan (at Ann Arbor), que le contenu et les contours de cette écologie humaine sont précisés. Or R. McKenzie est un sociologue un peu marginal par rap-port à la tradition sociologique de Chicago, qui disparaît précocement en 1950. Telle est probablement l’une des raisons pour lesquelles l’écologie humaine peut apparaî-tre centrale à certains aujourd’hui, mais mineure pour d’autres, notamment pour les experts de cette tradition sociologique, en particulier pour M. Bulmer et pour J.M. Chapoulie 1.

1. 1. L’ECOLOGIE HUMAINE, SES NOTIONS, SES PROCESSUS ET SES MODELES

L’objet de l’écologie humaine est la construction d’une « théorie des communau-tés dans leur environnement » ; telle est du moins la définition qu’en donne Milla Alihan, dans la thèse de sciences politiques qu’elle consacre à l’écologie humaine en 1938. Cursive, cette définition est pourtant complète : elle contient deux termes fon-damentaux, aux significations complexes, en dépit de leur apparente simplicité. Cette complexité tient au fait qu’à un sens premier, relativement abstrait, se super-posent, dans les deux cas, des significations plus concrètes, ancrées – pour la com-munauté – dans l’histoire institutionnelle des Etats-Unis.

Le terme d’environnement est certes d’origine latine et française et le géographe J.L.Tissier insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un anglicisme récent 2. En anglais, ce terme est abstrait : il inclut tout ce qui « environne », ce qui entoure un objet, quelle qu’en soit la nature (individu, famille, institution) et permet de conceptualiser un mode de relation de cet objet à ce qui l’entoure, le détermine et le définit. En ce sens, le terme d’environnement est encore plus large que celui de « nature », et plus abstrait. Utilisé par les écologues britanniques et américains dès la fin du XIXe siècle pour désigner le « milieu naturel » des géographes français, le terme d’environ-nement est repris par R. E. Park dans un sens différent, celui de « milieu social ». En français, l’environnement pris dans cette acception correspond au terme de « mi-lieu », du moins tel qu’il est utilisé dans la géographie française, comme il corres-pond au terme allemand « die Umwelt », utilisé en ce sens déjà par Goethe, par A. von Humboldt, puis par F. Ratzel 3. En France, cet environment anglo-saxon est de-venu familier au public éclairé dans les années 1960, notamment par la diffusion d’ouvrages comme Le printemps silencieux, de Rachel Carson. Le terme d’environ-nement est aussi et surtout passé dans le vocabulaire politique par la voie du droit international sur la protection du milieu naturel et par les débats qui en ont précédé la mise au point dans les grandes instances internationales que sont l’Organisation des Nations Unies, dont l’UNESCO.

Mais dans les sciences sociales britanniques et américaines, le terme d’environ-nement peut tout aussi bien désigner l’ensemble des relations sociales tissées autour d’un individu que les rapports qu’entretiennent les sociétés avec la nature ou avec le milieu naturel. Enfin, aux Etats-Unis, plusieurs universités offrent des cursus d’éco-logie humaine, au sein de départements, voire de college, aux contenus surpre-

1. P. 105 in Bulmer, 1984 ; p.105-106 in Chapoulie, 2001 ; voir aussi p. 136-138 in Guillo, 2000. 2. P. 202 in Tissier, 1992. 3. P. 444 in Müller, 1992 et p. 128-134 in Robic, 1992.

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nants 4. Dans la plupart des cas, ces cursus sont en fait les héritiers de cursus de Home Economics : les programmes portent sur la diététique et la nutrition, sur l’écologie de la famille et de l’enfant, sur les problèmes d’hygiène sociale et publi-que, sur les textiles et sur la mode. Les rapports entre l’écologie humaine sociologi-que et ces programmes apparaissent désormais lointains ; le recours à l’étiquette « human ecology » est expliqué par le fait que ces programmes traitent de l’ensemble des « formes d’interactions des humains avec leurs environnements so-cial, personnel, familial et professionnel » 5.

Si la première occurrence du terme « écologie » sous la plume de R. E. Park date de 1916, c’est dans l’introduction seulement de ce texte que le terme est utilisé. R. Park y définit la ville à la fois comme unité géographique, écologique, économi-que et sociale : « il existe des forces à l’œuvre au sein des limites de la communauté urbaine – et en fait au sein des limites de toute zone naturelle de l’habitat humain – qui tend à engendrer un groupement ordonné et typique de sa population et de ses institutions » 6. Aussi définit-il l’écologie humaine, par différence avec l’écologie animale et végétale, comme « la science dont l’objet est d’isoler ces facteurs et de décrire ces constellations typiques de personnes et d’institutions que la coopération de ces forces produit » 7.

En 1936, R.E. Park publie un texte entièrement consacré à l’écologie humaine, vingt ans après cet article programmatique. Cependant, pas plus que dans son texte de 1916, Park ne fait mention, en 1936, de ses sources, c’est-à-dire de l’écologie animale et végétale, si ce n’est de manière tout à fait rapide et en considérant la chose comme allant de soi. Dans cet effort de synthèse et d’explicitation que consti-tue ce texte de 1936, Park distingue deux niveaux d’analyse des sociétés humaines : le niveau biotique et le niveau culturel. C’est à ce premier niveau que se situe l’écologie humaine, dont l’objet sera la communauté, correspondant à un ordre sym-biotique. L’objet de la sociologie proprement dite est celui de « l’ordre moral ou culturel », qui correspond à la société. Park définit la communauté comme « habitat spécifique dans lequel les sociétés se développent » : « (l’habitat) procure l’organi-sation économique et les conditions nécessaires dans lesquelles les sociétés sont en-racinées, comme à partir d’une base physique » 8. Comme « écologie » et « environ-nement », l’habitat est une notion empruntée à l’écologie animale et végétale : il a donc un sens différent de celui d’habitation ou de résidence. C’est un sens plus abs-

4. Des colleges of Human Ecology existent à Michigan State University at East Lansing, à University

of Tennesse at Knoxville, à Cornell University, à University of Minnesota at Twin Cities, à Univer-sity of Wisconsin at Madison, à Louisiana Tech University, à University of Texas at Austin, à Rut-gers University, à Kansas State University, à Ohio State University at Columbus, à University of Western Ontario ; de tels programmes existent aussi à l’université de Tokyo, à l’Université Libre de Bruxelles, en Malaisie, à l’université de Vienne. Aux Etats-Unis, qui comptent environ 1 800 insti-tutions universitaires, de tels cursus sont donc rares, puisqu’ils n’existent au mieux que dans moins de 1 % des universités.

5. Telle est la présentation du programme d’écologie humaine sur le site de Cornell University ; il y est précisé que c’est en 1969 que ce terme a été substitué à celui de Home economics, et le pro-gramme qui existe depuis un siècle, était en fait destiné à la formation d’agricultrices, au sein du New York State College of Home Economics intégré ensuite à Cornell University.

6. P. 14 in Park, 1925. 7. Idem. 8. Cit. de l’article de Park, « Sociology », in Research in the social sciences, p. 28 in Alihan, 1938.

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trait, désignant, comme pour l’environnement, le jeu de relations instauré entre un objet – individu, groupe d’individus – et ses conditions de vie, en l’espèce, de rési-dence au sens large. Quant à la notion de communauté, elle est profondément ancrée dans la culture américaine ; son équivalent français correspond mal à celle de pa-roisse, plutôt à celle de commune. Quoi qu’il en soit, dans le contexte américain, la communauté a un double sens : celui de corps social, territorialement ancré, et celui de corps politique.

Dans l’écologie humaine de R. E. Park, le processus de compétition est central. Ce processus est évoqué dès le texte de 1916, à propos de la mobilité, de l’usage des sols, des activités économiques et des groupes sociaux et ethniques. Comme les ter-mes évoqués plus haut, celui de compétition a une charge sémantique lourde, puis-qu’il a circulé, tout au long du XIXe siècle, chez les physiocrates, puis entre sciences de la vie et sciences sociales, politiques et économiques. Ainsi Darwin reconnaît-il l’avoir transposé de l’Essai sur le principe de population, que Malthus publia en 1798, aux sciences de la vie. La compétition est bien une notion fondamentale dans les courants organicistes et évolutionnistes qui ont profondément marqué sciences sociales et sciences de la vie.

Dans la constitution de son écologie, R. E. Park considère que « la compétition détermine l’organisation territoriale, parce qu’elle est le processus qui engendre la distribution (ou répartition) de la population sur les plans territorial et professionnel (vocational) dans les structures d’emploi » 9. Mais il s’agit non pas d’une compéti-tion à l’état brut, mais plutôt – et la distinction est d’importance – d’une « coopé-ration compétitive » 10 : Park prend par là même ses distances vis-à-vis d’un néo-darwinisme déclinant, du reste, dans les années 1930. L’accent mis sur la coopéra-tion le rapproche d’une part de Durkheim, par De la division du travail social, pu-blié en 1898, mais aussi, nous le montrerons plus loin, des écologues, en particulier des spécialistes d’écologie animale.

C’est de la compétition que Park déduit les deux grands principes écologiques que sont la domination 11 et la succession 12. De ces deux grands principes, en parti-culier de la dominance, sont déduites, à leur tour, beaucoup de caractéristiques des grandes métropoles contemporaines et de leur organisation interne : « Le principe de dominance, qui opère dans les limites imposées par la topographie et par les autres caractéristiques naturelles de la localisation, tend à déterminer le schéma écologique général de la ville et la relation fonctionnelle des différentes aires de la ville entre elles » 13.

Dans le cycle des relations interraciales, les quatre étapes de ce cycle constituent autant de formes d’interaction sociale, mais chacune de nature différente. Ainsi la

9. Cit. Park, p.29 in Alihan, 1938. Voir aussi le chapitre 8 de Introduction to the science of sociology,

intitulé « Competition as a social process » (504-573), dans lequel Park insiste sur l’universalité de la compétition dans le monde vivant, p.507 in Introduction …

10. P. 559 in Introduction.. 11. C’est le terme de dominance, comme processus, qui est utilisé en écologie humaine ; le terme fran-

çais de domination le traduit imparfaitement, puisqu’il caractérise plutôt l’état de rapports de force, non le processus de leur constitution.

12. P.151 in Park, 1936. 13. P. 152 in Park, 1936.

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compétition correspondrait-elle à un équilibre économique, tandis que le conflit ren-voie à l’ordre politique. La phase d’accommodation marquerait l’organisation so-ciale. Enfin le processus d’assimilation renverrait à la personnalité et à l’héritage culturel 14.

Les facteurs écologiques sont au nombre de quatre, pour R. McKenzie. Il s’agit des facteurs rendant compte de la forme et des changements des communautés. Les facteurs « géographiques » sont de nature topographique et climatique ; ils incluent aussi des « conditions de ressources » (naturelles) que McKenzie ne précise pas, mais dont il est clair, dans le vocabulaire de l’époque, qu’il s’agit principalement des productions agricoles et minières. Les facteurs économiques portent sur la « nature et l’organisation des industries locales et sur la répartition par métiers et qualifica-tions ». Les facteurs « culturels ou techniques » sont constitués des arts, des attitudes morales et des tabous ayant trait à la dimension territoriale des communautés. Enfin, dans ces facteurs, McKenzie inclut les « mesures politiques et administratives » tel-les que les lois d’immigration, les taxes, les équipements collectifs 15.

1. 2. LA PLACE ET LES FONCTIONS DE L’ECOLOGIE HUMAINE DANS LA TRADITION SOCIOLOGIQUE DE CHICAGO

Quelle est la fonction de l’écologie humaine, par rapport à la sociologie générale, pour les sociologues de University of Chicago ? À propos de quels thèmes cette éco-logie est-elle utilisée ? En quoi leur était-elle nécessaire ? Alors que l’écologie hu-maine fait l’objet de plusieurs articles à vocation programmatique et méthodologi-que écrits, pour l’essentiel par R.E. Park, R. McKenzie et L. Wirth, elle apparaîtra plutôt comme une méthode au fil de nombreux travaux de cette tradition sociologi-que. Ainsi, dans son texte de 1924, E. Burgess utilise la métaphore organique, sur la ville et son métabolisme, puis, dans son modèle des zones résidentielles concentri-ques, sur la succession des populations.

Dans la thèse que L. Wirth publie en 1927 sur le Ghetto, l’écologie humaine ap-paraît dans les premier et dernier chapitres : elle y est utilisée comme moyen de na-turaliser les enjeux du travail et de désamorcer d’éventuelles critiques racialistes et antisémites. Par ailleurs, dans les chapitres 12 et 13, sont développées les analyses du processus d’invasion-succession des communautés d’origines étrangères : une lecture plus approfondie de ces chapitres révèle que L. Wirth subvertit ce modèle simpliste en l’enrichissant d’analyses sur les formes de solidarité et sur les processus de mobilité sociale et d’intégration qui se développent au sein des communautés jui-ves 16.

Dans son article sur la succession de la population à Chicago de 1898 à 1930, Paul F. Cressey étudie l’évolution de la population de Chicago et les différentes va-gues d’immigration qui en rendent compte. Ce travail est d’une facture très classique en géographie de la population, à l’époque déjà, aujourd’hui encore, du moins dans la tradition géographique française. Cependant ce « modèle » de l’invasion/succes-sion, emprunté à l’écologie végétale constitue une mise en forme naturaliste qui est

14. P. 506 et 510 in Introduction … 15. P. 23 in McKenzie, « The scope of human ecology », 1926, republié in R. McKenzie, 1968. 16. Cette analyse est développée in Rhein, 2001.

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aussi une manière de neutraliser deux préoccupations, la première, d’ordre politique, sur l’immigration, et la seconde, d’ordre économique, sur les processus de valorisa-tion/dévalorisation foncière et immobilière liés à cette succession des différentes « communautés » dans un même quartier. C’est probablement en matière d’analyse des flux de mobilité résidentielle dans les grandes métropoles que ce modèle de l’invasion-succession a été le plus utilisé et l’a été jusqu’à son terme, de manière parfois féconde. Ainsi, en 1957, deux sociologues de University of Chicago, O.D. Duncan et B. Duncan, publient The Negro population in Chicago, portant ex-plicitement sur les processus de concentration/dispersion de la population africaine-américaine et se situant ainsi délibérément dans l’écologie humaine. Puis en 1965, Karl E. Taeuber et Alma F. Taeuber, eux aussi enseignants de sociologie à Universi-ty of Chicago, contribuent à ce courant de recherche en publiant une comparaison des formes et des degrés de ségrégation de la population dans les métropoles améri-caines 17.

Avant la seconde guerre mondiale, la critique théorique et épistémologique de l’écologie humaine reste timide. Elle est surtout le fait d’une étudiante d’origine russe, Milla Alihan, qui soutient une thèse de sciences politiques à Columbia Uni-versity en 1938, thèse intitulée Social ecology et dirigée par le Pr. Robert McIver.

Après la seconde guerre mondiale, les critiques se font plus aiguës, tandis que l’écologie humaine se diffuse. Ainsi un chapitre consacré à l’écologie humaine est publié en 1947 en anglais et en français dans un ouvrage collectif dirigé par G. Gurvitch, sociologue qui contribua à la fondation du Centre d’Etudes Sociologi-ques en France, et par Wilbert Moore, professeur de sociologie à Princeton Universi-ty. Les auteurs de ce chapitre, E.C. Llewelyn et A. Hawthorn, font peu de cas de l’écologie humaine de la tradition sociologique de Chicago, dont ils ne sont pas. En 1950, sont publiés deux manuels d’écologie humaine, dont un seul, celui publié par A. Hawley, est issu de cette tradition. L’autre manuel est dû à James Quinn, profes-seur de sociologie à University of Cincinnati (Ohio). Amos Hawley, professeur de sociologie à University of Michigan at Ann Arbor, est un ancien étudiant et un dis-ciple de R. McKenzie ; en publiant ce manuel, il mène à son terme un projet que McKenzie et lui avaient eu avant la disparition de ce dernier en 1950. D’autres ma-nuels encore sont publiés plus tard, émanant cette fois de membres des départements de sociologie et de géographie de University of Chicago. Il s’agit de l’ouvrage pu-blié par Donald J. Bogue et E. J. Bogue, Essays in human ecology,en 1976, et de l’ouvrage qu’éditent, en 1977, le géographe B. Berry et le politologue J. Kasarda, Contemporary Urban Ecology.

1. 3. ECOLOGIE HUMAINE ET/OU ECOLOGIE URBAINE ?

L’écologie humaine est souvent confondue ou dénommée « écologie ur-baine » 18. Cette confusion est due au fait que les travaux de cette tradition sociolo-gique portent à peu près tous sur des problématiques et sur des terrains urbains. Chi-cago, ses quartiers et ses banlieues constituent à la fois les champs et les objets favo-

17. Taeuber and Taeuber, 1965. 18. C’est notamment le cas dans l’intitulé de l’ouvrage édité en 1979, puis en 1998, par I. Joseph et Y.

Grafmeyer, c’est aussi le cas dans l’article de N. Blanc (1998).

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ris pour ces sociologues. Une commande sociale s’est constituée qui rend compte de certaines caractéristiques des recherches sociologiques menées, en particulier dans l’entre-deux guerres. Ainsi le rôle majeur joué par le Local Community Research Committee est-il désormais suffisamment bien exploré pour que nous n’y revenions pas ici 19.

En ce qui concerne l’écologie humaine, plus précisément, relevons que R. McKenzie se fait le théoricien de la communauté métropolitaine dans The metro-politan community, publié en 1933. Or cette recherche a été financée par le Presi-dent Hoover’s Research committee on recent social trends, comme il est indiqué dans le prière d’insérer. Dans ce comité, présidé par W. C. Mitchell, trois des six membres font partie du corps enseignant de University of Chicago : Charles E. Mer-riam, Howard W. Odum et William F. Ogburn qui œuvre aussi, dans ce cadre, en qualité de directeur de recherche 20. Cet ouvrage, comme le petit rapport que McKenzie remet à la fondation Albert Kahn en 1928 21, sont fascinants par la mo-dernité de leur terminologie : tous les thèmes dont sont aujourd’hui même porteuses les grandes organisations internationales sont déjà présents dans les écrits de McKenzie, dès 1926, de la métropolisation à la globalisation, des réseaux au déve-loppement durable 22, de la gouvernance à la flexibilité.

Les travaux de McKenzie eurent des prolongements fort nombreux dans la socio-logie urbaine et, plus généralement, dans la recherche urbaine aux Etats-Unis. C’est en particulier durant les années 1950 et 1960 qu’une conjoncture très favorable per-met le lancement de grands programmes de recherche urbaine internationale soute-nus financièrement par l’UNESCO, qui aboutit à de nombreuses publications dont un manuel de méthodologie de la recherche en sciences sociales édité, dans les an-nées 1960, par le sociologue Philip Hauser, PhD de University of Chicago (Hauser, 1965). Les caractéristiques de ces approches sont la transdisciplinarité, le compara-tisme, une définition large des problèmes, le recours à des concepts-valises dont la plupart viennent d’être énumérés, enfin et surtout un grand œcuménisme sur les plans théorique et épistémologique. Il s’agit souvent de travaux dans lesquels la di-mension méthodologique est plus importante que la dimension théorique. Ainsi, dans les grands manuels sur la ville et sur la population, édités par P. Hauser, re-trouve-t-on ces grands thèmes d’analyse développés par R. McKenzie sur les gran-des métropoles, dans une perspective d’écologie humaine (Hauser et Schware, 1955 ; Hauser et Duncan, 1959).

Enfin, dans tous ces travaux et dès les travaux pionniers de Park et de Burgess, il n’apparaît guère de différence, ni vraiment de préférence, pour l’urbain, pour la ville et pour la métropole. Simplement il se trouve que l’espace rural est, aux Etats-Unis, très différent de l’espace rural européen, marqué par plusieurs millénaires d’occupa-tion humaine. L’espace rural américain, moins marqué par l’occupation humaine, est pensé très différemment, comme simple « annexe » des régions métropolitaines,

19. Voir en particulier, sur ces questions, les travaux édités par M. Bulmer (1984) et par J. M. Chapou-

lie (2001). 20. P. iv in McKenzie, 1933 21. McKenzie, 1928. 22. Sustenance : question de l’épuisement possible des ressources ; ce terme correspond bien au terme

en usage aujourd’hui de sustainability.

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dont le développement se fait à partir des villes. En d’autres termes, son histoire est beaucoup moins épaisse, à la différence de celle du monde rural européen.

En somme, il apparaît possible de mettre en équivalence écologie humaine et écologie urbaine dans la mesure où la plupart des travaux d’écologie humaine sont menés dans des terrains urbains et traitent de questions urbaines : en ce sens, l’écologie humaine est, dans la majorité des recherches, une écologie des commu-nautés urbaines. Mais le terme d’écologie urbaine est devenu récemment plus chargé sur le plan sémantique : il recouvre à la fois l’écologie politique (en milieu urbain), mais aussi un sens, plus rare, d’une écologie biologique en milieu urbain, abordant notamment la question de la présence animale et végétale dans la ville. Les risques de confusion sont alors grands entre ces deux acceptions du terme d’écologie.

Si l’on considère à la lettre la démarche de R. McKenzie, il se dégage, de ses tra-vaux, cette idée très forte et spécifiquement américaine selon laquelle ce sont les vil-les et les métropoles qui organisent, polarisent et structurent les régions, c’est-à-dire l’essentiel de l’œcoumène, dans cette conception. Chez R. McKenzie, il n’y a pas de solution de continuité entre espaces ruraux et urbains, mais des degrés de polarisa-tion, des gradients de densité d’échanges, de populations et de moyens de communi-cation, dans une économie-monde déjà reconnue comme telle dans les années 1920. C’est là encore toute l’actualité et la modernité de cette écologie humaine. Enfin l’écologie humaine procède, certes, par naturalisation du champ social, mais elle écarte de ses préoccupations la question du milieu naturel ou tout au moins la relati-vise-t-elle et la schématise-t-elle plus que ne le font les géographes de l’époque.

2. SOURCES ET CONTEXTES D’ELABORATION DE L’ECOLOGIE HUMAINE

Quelles ont été les sources d’inspiration de R.E. Park, lorsqu’il forge l’écologie humaine ? Pour quelles raisons, et pour des raisons de quelle nature, a-t-il créé cette écologie humaine ? La réponse à la première question introduit celle qu’il est possi-ble d’apporter à la seconde question et l’éclaire. Cet épisode s’inscrit en effet dans un débat enraciné dans le développement des sciences biologiques et sociales dès le XVIIIe siècle.

2. 1. AUX SOURCES DE L’ECOLOGIE HUMAINE, L’ECOLOGIE BIOLOGIQUE

Comme il le précise dans son texte de 1936, R.E. Park justifie théoriquement son écologie humaine comme une spécification de l’écologie biologique qui en constitue bien la source. Pour lui, il existerait une économie naturelle, ou une économie de la nature, plus précisément des processus « naturels » de croissance et d’expansion, qui engendreraient une compétition et, plus généralement, l’ensemble des processus pré-sentés ci-dessus 23. De fait, le naturalisme de Park n’est pas causal, mais analogi-que 24 et c’est une différence fondamentale avec d’autres courants de sciences socia-les qui existaient alors. La naturalisation des faits sociaux qu’opère l’écologie hu-maine se démarque ainsi de celle des courants racialistes, dans lesquels l’hérédité joue un rôle fondamental. Ces courants organicistes, souvent racialistes, traversent

23. P. 147 in Park, 1936. 24. P. 5 in Guillo, 2000.

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alors les sciences de la vie comme les sciences de la société et proposent, du reste, des alliances entre ces deux grands domaines de la connaissance. Ces relations étroi-tes et ces échanges sont constants tout au long du XIXe siècle, c’est-à-dire lors de la construction de ces grands champs de la connaissance et de la recherche, de leur ins-titutionnalisation dans les universités, comme le montre D. Guillo (Guillo, 2000).

De manière générale, il est très fréquent, au cours du XIXe siècle, que la société soit considérée comme un corps, le « corps social », doté d’organes et de fonctions. Cette métaphore organique est aussi fréquente que la métaphore mécaniste, dans la-quelle la société est assimilée à une machine, à un mécanisme.

Ainsi, dans la période précédant l’apparition de l’écologie humaine et des scien-ces sociales plus généralement, il existe un constant courant d’échanges de notions, de modèles, voire de théories ou de quasi-théories, entre ces deux grands champs de la connaissance que sont les sciences de la vie et les sciences sociales. L’un des exemples les plus célèbres est celui de la notion de lutte pour la vie, de compétition pour des ressources rares, dont Malthus fait usage dans son Essai sur la population, publié en 1798. C’est la lecture de cet essai qui inspire à Darwin une partie de sa théorie en biologie, comme il a déjà été dit plus haut. Puis le sociologue britannique Herbert Spencer et d’autres s’emparent à leur tour de cette théorie darwinienne pour proposer un darwinisme social, qui constitue à la fois une transcription des thèses darwiniennes dans le champ social et une tentative de théorisation du libéralisme économique.

Aujourd’hui, l’inanité ou les dangers de certaines de ces thèses fondées sur de tels emprunts nous paraissent évidents. Tel n’était cependant pas le cas à la fin du XIXe siècle. Ainsi E. Zola 25 ou encore F. Engels semblent n’avoir pas été si hostiles au rôle de l’hérédité dans la reproduction sociale : ces positions étaient alors la mar-que de la modernité, du progrès. Ainsi F. Engels, dans le chapitre 7 de Anti-Dühring, semble plutôt favorable au darwinisme, contre Dühring, et peut-être parce que Dü-hring était contre le darwinisme 26.

Les notions et concepts empruntés à l’écologie biologique sont principalement ceux de compétition, d’invasion, de succession et de ségrégation, utilisé aussi en physico-chimie. Au sein des sciences naturelles, l’écologie se développe à la fin du XIXe siècle et prend son essor au début XXe siècle à la fois en Europe et aux Etats-Unis. C’est en particulier dans le Middle West (Wisconsin, Illinois et Michigan) que se constituent les premiers centres de recherche américains. Parmi ces centres, les départements de biologie et de géologie de University of Chicago se structurent très rapidement à partir de la fondation de cette université en 1892. Ainsi le département de botanique est-il créé en 1896 et c’est dans ce cadre que le programme d’écologie est mis en place en 1908 27.

Lors de la fondation de University of Chicago, les départements de zoologie, de botanique, de géologie et de géographie sont créés entre 1892 et 1896. L’école de Chicago d’écologie fait partie des « écologues de l’Illinois », et pratique une écolo-

25. Selon A. Morice qui cite, parmi les bons auteurs de Zola, le Traité philosophique et physiologique

de l’hérédité naturelle, publié en 1850 par le Dr Lucas (Morice, 2002). 26. P. 98 in Engels, 1971, trad. Bottigelli. 27. P.13 in Mitman, 1992.

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gie physiographique, s’intéressant à l’écologie des successions. Un véritable pôle de recherches écologiques se constitue dans le Middle West, qui englobe des départe-ments de University of Chicago, mais aussi des enseignants de University of Wis-consin (Madison) et de University of Nebraska. Les deux figures les plus marquan-tes – pour les sociologues de University of Chicago – sont Frederic E. Clements (University of Nebraska, at Lincoln) et Henry C. Cowles (University of Chicago). Ces deux derniers chercheurs développent une botanique des successions, inaugu-rant un courant d’écologie dynamique. F. Clements publie sa thèse, Phytogéogra-phie du Nebraska, en 1898-1900, puis un manuel, Research methods in ecology, en 1905, enfin Plant succession en 1916, ouvrage qui sera souvent cité par les sociolo-gues R. Park et E. Burgess, L. Wirth et R. D. McKenzie, enfin, après la deuxième guerre mondiale, par A. Hawley 28.

Lecteur de E. Warming, Henry C. Cowles soutient son Ph.D. en 1898 à Universi-ty of Chicago en botanique et géologie en 1898 sur « les relations écologiques de la végétation des dunes de sable du lac Michigan » 29 et publie, en 1901, un article im-portant sur « l’écologie physiographique de Chicago et de ses alentours ». C’est l’un des membres les plus actifs de l’école d’écologie biologique de University of Chica-go avec S.A. Forbes, McMillan, C.B. Davenport, C.C. Adams et V. Shelford 30. Ce groupe forme la première génération des écologues. C.B. Davenport quittera Uni-versity of Chicago en 1904 pour la station de Cold Spring Harbor où il développera un Institut de recherches eugéniques.

Il existe, dès le début du XXe siècle, en biologie et en écologie, un courant d’analyses des sociétés et communautés animales qui n’est d’ailleurs pas exclusive-ment américain. C’est un courant qui prend son autonomie ultérieurement sous le terme d’éthologie et qui se réfère du reste au moins autant à la psychologie qu’à la sociologie. En France, Georges Bohn publie, en 1908, une « Introduction à la psy-chologie des animaux à symétrie rayonnée », dans le Bulletin de l’Institut Général Psychologique, puis en 1911, Nouvelle psychologie animale. Le biologiste E.L. Bouvier publie, en 1921, La vie psychique des insectes, puis Le communisme chez les insectes 31.

À University of Chicago, en particulier, travaillent plusieurs écologues, spécia-listes de biologie animale, qui développent ce courant « sociologique ». Ainsi en 1927, Charles Elton publie Animal ecology, à la suite de son maître V. Shelford, spécialiste des histoires de vie de communautés animales. En 1931, W.C. Allee, di-recteur du département d’écologie, publie Animal aggregations : a study in general sociology, qu’il définit comme « champ limitrophe où la sociologie générale ren-contre et chevauche la physiologie générale et l’écologie » 32. Pour W.C. Allee, communautés animales et humaines font l’objet de « processus de développement

28. Plant succession est cité p. 217 et p. 555 dans Introduction to the science of sociology de R. Park et

E. Burgess ; dans le même manuel, un extrait de L’écologie des plantes de Warming est donné en lecture p.525-527.

29. P. 17 in Mitman, 1992. 30. P.69, in Acot, 1988. 31. Ouvrages publiés aux éditions Flammarion, Bibliothèque de philosophie scientifique, dirigée par G.

Le Bon. Côtes BNF : 8°S 16227 et 8° S 17629. 32. P. 73 in Mitman, 1992.

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comparables, gouvernés par les mêmes lois naturelles ». Ainsi est-il, très logique-ment, à la recherche d’une théorie unificatrice de la socialité, « reflétant la croyance, partagée par d’autres biologistes de sa génération, qu’un humanisme biologique pourrait révéler la source naturelle des valeurs humaines et mettre ainsi au jour la direction à venir du progrès social humain » 33. Cependant Allee semble n’avoir pas de relations directes avec les sociologues de University of Chicago : il se réfère plu-tôt au sociologue britannique néo-darwinien H. Spencer à propos des groupes pri-maires, à H. Spencer encore, mais aussi au philosophe français Alfred Espinas pour l’élaboration de sa théorie de la socialité 34. W.C. Allee rejette la famille comme « société originelle », se situant ainsi dans une mouvance proche de celle que déve-loppe alors, en anthropologie sociale, Ralph Linton. Un temps curateur du Field Mu-seum of Chicago, R. Linton est nommé, en 1928, professeur de sociologie à Univer-sity of Wisconsin (Madison) ; Allee et Linton se connaissent et échangent idées et préoccupations scientifiques et théoriques. La définition de la société que Linton propose comme « une organisation de personnalités mutuellement adaptées » inté-resse particulièrement W.C. Allee, qui avait développé des recherches sur les condi-tions dans lesquelles les animaux se regroupaient pour survivre 35.

Toujours dans le cadre de University of Chicago, le maître et collègue de W.C. Allee, Charles M.Child, élabore une « théorie évolutionniste des sociétés » compor-tant différentes étapes, d’où émergent des relations stables de domination (domi-nance) et de subordination et dont dépend le caractère ordonné de l’Etat 36. Dans la même veine, W. C. Allee croise certaines préoccupations des sociologues : « Comme groupe génétiquement distinct d’individus, la population était l’unité en évolution sur laquelle pouvaient agir à la fois le biologiste et la sélection natu-relle » 37. En d’autres termes, la population est alors constituée comme objet d’analyse, en tant qu’unité à la fois physiologique et capable d’évolution, puisque la dimension héréditaire s’impose avec le développement du mendélisme. En revan-che, Allee abandonne, dans les années 1930, le modèle de succession des gradients mis au point par F. Clements et utilisé par Park et Burgess, dès 1924.

Selon G. Mitman, au cours de l’entre-deux guerres, il n’y a pas de relations scientifiques directes entre sociologues et écologues à University of Chicago : l’absence de citations respectives le montre. Ce point est singulier, compte tenu de la démarche engagée de leur côté par les écologues, sur les sociétés animales. Il sem-blerait même que les relations aient été plutôt de méfiance réciproque, voire de compétition, comme le prouve l’épisode suivant, rapporté par G. Mitman. Le Local Community Research Committee (LCRC) finançait des recherches en sciences so-ciales. En 1927, W. C. Allee cherche des financements pour les travaux de son dé-partement et découvre que le LCRC dispose de fonds importants pour des recher-ches sur les sociétés et leurs transformations et que les chercheurs du département de sociologie en profitent largement. W.C. Allee s’était aperçu que R. E. Park et ses

33. P.74 in Mitman, 1992. 34. P. 80 in Mitman, 1992. A. Espinas (1844-1922) est notamment l’auteur de Sociétés animales, dont

la première édition date de 1877, et la quatrième de 1935. 35. P. 83, in Mitman, 1992. 36. P. 86 in Mitman, 1992. 37. P. 87, in Mitman, 1992.

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disciples n’hésitaient pas à emprunter modèles et concepts à l’écologie biologique, sans citer, cependant, les travaux des écologues, notamment ceux de Child et les siens. Aussi Allee prend-il langue, en 1927, avec le président du LCRC, Charles Merriam, pour obtenir des fonds pour ses travaux d’écologie animale sur l’agréga-tion des populations. La justification que donne alors W. C. Allee pour appuyer sa requête est intéressante : il considère que seuls des chercheurs ayant une double compétence en biologie et en statistiques sont à même de développer des méthodes d’analyse des populations efficaces et rigoureuses et C. Merriam partage cette opi-nion, même s’il n’accordera pas les fonds que W.C. Allee souhaitait obtenir 38.

En somme, il semble que ce soit en lisant les travaux de F. Clements et de H. Cowles sur l’écologie des successions végétales que R.E. Park ait l’idée de l’éco-logie humaine et de ce transfert de concepts et de modèles. Ultérieurement, en effet, non seulement les rapports de l’écologie humaine à l’écologie biologique ne se dé-veloppent pas, mais ils s’estompent définitivement. Dans les travaux de R. McKen-zie, en particulier, aucun biologiste n’est jamais cité et le corpus des termes et des modèles empruntés n’évolue plus du tout. Dans la génération suivante des écologues humains, la relation à l’écologie biologique disparaît tout à fait. La filiation et les emprunts sont alors plutôt du côté de la démographie, d’une démographie dégagée, après la seconde guerre mondiale, de tout relent eugéniste.

2. 2. LES CONTEXTES POLITIQUE ET IDEOLOGIQUE : RACIALISME, EUGENISME ET ANTISEMITISME

La réglementation stricte de l’immigration, sa restriction aux « bonnes nationali-tés » sont obtenues par le courant nativiste, proche d’un courant racialiste et eugé-niste à la fois puissant et organisé, dont C.B. Davenport est la caution scientifique et un artisan important 39.Ainsi Davenport quitte University of Chicago en 1904 pour la station de Cold Spring Harbor, où il crée un important centre de recherches eugé-nistes, Station for the experimental study of evolution, qu’il dirige jusqu’à sa retraite en 1940, et son annexe, le Eugenic Record Office, dont il confie la direction à son adjoint H.H. Laughlin. Il reçoit un soutien financier important de Mrs Harriman, de la famille Rockefeller et de la fondation Carnegie, soutien qui ne lui sera retiré qu’en 1935 40.

Dans les Etats du Sud, la législation Jim Crow correspond à l’institutionna-lisation de toutes les formes de ségrégation de la population noire, tandis que des dispositifs ségrégatifs différents, mais tout aussi efficaces, sont mis en place dans les métropoles du Nord. L’efficacité de ces dispositifs est due à la contribution des agents immobiliers et des institutions financières de prêts hypothécaires, afin de « tenir à distance » les ménages africains-américains ou bien pour tirer profit des ef-fets sur le prix des logements des changements de composition « ethnique » des quartiers. Les premières grandes émeutes des Noirs éclatent en 1919 à Chicago, et

38. P. 94-96 in Mitman, 1992. 39. Charles B. Davenport a été professeur au département de zoologie de University of Chicago de

1899 à 1904. Figure importante du racialisme et surtout de l’eugénisme américain au tournant du siècle (p. 32 in Pichot, 1995), il avait rencontré F. Galton, Weldon, K. Pearson en Grande-Bretagne (p. 36 in Mitman, 1992).

40. Dans ce paragraphe, nous suivons A. Pichot, p. 194 et 204-205 in Pichot, 2000.

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induisent la constitution d’une Chicago Race Relations Commission dont la direc-tion est confiée à Charles Johnson, l’un des étudiants de R.E. Park à University of Chicago. Par ailleurs, si le mouvement ouvrier est puissant à Chicago, il est très sé-vèrement réprimé et l’anti-communisme est virulent. Enfin ces courants, anticom-munisme, nativisme, racialisme et eugénisme, ont partie liée avec un courant anti-sémite dont l’industriel Henry Ford est alors une figure puissante par son aura et par les moyens qu’il met en œuvre pour défendre cette cause 41.

Ainsi l’intérêt de l’écologie humaine est moins d’ordre théorique que d’ordre idéologique. Cette discipline constitue une version subversive du darwinisme social ambiant, puisque la lutte pour la vie et la victoire du fort sur le faible y sont rempla-cées par l’assimilation, par la « coopération compétitive » comme hypothèses fonda-trices. Dans un contexte marqué par le regain de l’antisémitisme, par l’émergence du nativisme et de la Red Scare, une telle hypothèse constitue plutôt la marque d’un op-timisme probablement excessif et d’un engagement politique courageux. En l’état actuel de l’histoire des sciences sociales, l’hypothèse du « bouclier scientiste » appa-raît donc recevable.

3. L’ECOLOGIE HUMAINE ENTRE SOCIOLOGIES ET GEOGRAPHIES : DISCIPLINE OU METHODOLOGIE ?

Enfant naturelle de l’écologie biologique, l’écologie humaine de Chicago consti-tue une tentative peu aboutie de penser les rapports entre espace et sociétés. Ce ca-ractère tient au fait que cette discipline revendique un statut de savoir positif sur la société et sur la ville, alors qu’elle est plutôt un savoir pratique en urbanisme et aménagement du territoire, en planification urbaine et régionale. Aussi, en dépit d’un universalisme revendiqué, l’écologie humaine apparaît-elle comme une disci-pline fortement marquée par ses conditions d’émergence et profondément inscrite dans des dispositifs institutionnels américains. Ces caractéristiques apparaissent plus nettement encore lorsque l’on met en perspective écologie humaine et géographie américaine, mais aussi écologie humaine de Chicago et morphologie sociale durk-heimienne, enfin écologies humaines française et américaine.

3. 1. ECOLOGIE HUMAINE ET GEOGRAPHIE AMERICAINE

Il peut paraître contradictoire d’indiquer combien géographie universitaire et écologie humaine américaines diffèrent, alors que nous venons de postuler que les traditions nationales priment sur les traditions disciplinaires dans la construction de disciplines consacrées aux rapports entre espace et sociétés. C’est un trait qui est net aux Etats-Unis en particulier où les universités ont joué un rôle de creuset de la plu-ridisciplinarité, beaucoup plus qu’elles ne l’ont fait en Europe. Ainsi la géographie américaine est-elle particulièrement polymorphe. Dans l’entre-deux guerres, la géo-graphie y reste proche des sciences de la vie, notamment de l’écologie biologique, plus que des sciences sociales, parce qu’elle se situe dans la tradition géographique allemande plus que dans la tradition française où la géographie a été institutionnali-sée d’emblée dans les Facultés de Lettres, à l’ombre de l’histoire.

41. P.407 à 431 in L. Poliakoff, Histoire de l’antisémitisme ; p. 277 in L. Wirth, Le Ghetto, 1928.

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Cependant un géographe américain, H. Barrows, propose, en 1923, de considérer la géographie comme une écologie humaine. En tant que tel, le texte est difficile à situer dans les débats alors en cours, dont les enjeux étaient rien moins que la créa-tion de départements, de programmes et de chaires professorales. Quelques éléments biographiques permettent de préciser le statut de ce texte, ainsi que la position de H. Barrows dans le champ académique de l’époque 42. H.H.Barrows est alors, semble-t-il, professeur de géographie physique à l’Université d’Illinois, at Urbana Champaign 43.

Le discours et le texte de Barrows ne peuvent être considérés comme un pro-gramme, dans un système universitaire aussi décentralisé que le système américain. Barrows s’oppose à une définition très abstraite et très formaliste de l’espace, prô-née, semble-t-il, par des collègues géographes, notamment par Fenneman et par Ho-garth 44. L’objet de la géographie est constitué, pour H. Barrows, par l’ensemble des « relations mutuelles entre les hommes et l’environnement naturel des régions ou des aires dans lesquelles ils vivent », et non par « toute étude de la répartition spa-tiale (d’objets) à la surface de la terre » 45.

Nulle part dans son texte, H. Barrows ne se réfère à l’écologie humaine de R. E. Park, alors qu’il cite le géographe français J. Brunhes 46 pour préciser qu’à la diffé-rence de l’histoire, la géographie s’intéresse au monde contemporain. « L’histoire s’occupe de relations temporelles, la chronologie est son principe organisateur. La géographie s’occupe des relations entre lieux ; l’écologie pourrait bien être son prin-cipe organisateur » 47. L’organisation disciplinaire de la géographie proposée par H. Barrows diffère du reste assez peu de celle de la géographie française universitaire, instituée à la fin du XIXe siècle dans les universités françaises. Ainsi H. Barrows distin-gue-t-il une géographie systématique ou générale, d’une part, c’est-à-dire économi-que, politique et sociale, et une géographie régionale d’autre part 48. Il n’y a pas place pour la géographie physique qui relève plutôt, pour H. Barrows, des sciences de la vie.

Si H. Barrows ne mentionne pas l’existence d’une écologie humaine d’origine sociologique, en revanche, R.E. Park cite Barrows, pour mieux revendiquer l’autonomie de cette écologie humaine à l’égard de l’économie comme de la géo-graphie 49. Ainsi, comme avec les écologues, les relations semblent ténues, à cette époque, entre sociologues et géographes à University of Chicago et dans les univer-sités du Middle West, de manière plus générale. R. McKenzie répond, dans son texte de 1926 sur l’écologie humaine, à H. Barrows ; pour le sociologue, « la géographie a

42. Nous complétons ainsi l’analyse de ce texte de H. Barrows proposée par M.C. Robic, p. 171-173 in

Robic, 1992b. 43. À vrai dire, peu de traces existent sur le Pr. H. Barrows. Dans un texte publié dans l’ouvrage édité,

en 1965, par P. Hauser et L. Schnore, The study of urbanization, Ackerman cite un travail de H. Barrows, « Geography of the middle Illinois valley », publié en 1910 dans le Illinois State Geo-logical Survey Bulletin, 1910, n°15, Urbana, Ill.

44. P. 2 et 9 in Barrows, 1923. 45. P. 8-9 in Barrows, 1923. 46. P. 6 in Barrows, 1923. 47. P. 6 in Barrows, 1923 48. P. 7 in Barrows, 1923. 49. P. 154-155 in Park, 1936.

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pour objet le lieu (place), l’écologie le processus (process). La localisation – comme concept géographique – signifie la position sur la surface terrestre ; la localisation – comme concept écologique – signifie la position dans un groupement spatial d’êtres humains en interaction ou d’institutions humaines en interrelation » 50.

L’un des enjeux de ces débats – qui n’en étaient pas véritablement – est proba-blement la création d’un programme, voire d’un département d’écologie humaine à University of Michigan. En effet, il semble qu’en 1923, lorsqu’il prononce ce dis-cours, Harlan Barrows soit professeur de géographie dans cette université. Or c’est aussi dans cette université qu’enseigneront, au département de sociologues, les éco-logues humains Roderick D. McKenzie, Amos Hawley et Donald Bogue, après la seconde guerre mondiale.

3. 2. LA MORPHOLOGIE SOCIALE DES DURKHEIMIENS

La morphologie sociale constitue une partie, largement tombée en déshérence, de la sociologie. C’est un héritage de la sociologie durkheimienne qui englobe à peu près l’ensemble des questions de démographie et de géographie humaine. Si la concurrence entre géographes et sociologues est particulièrement vive dans l’Université française dans les années 1890 ; cet élément contextuel n’explique pas complètement l’intérêt porté par E. Durkheim, puis par M. Halbwachs, à ces rela-tions entre espaces et sociétés, aux modalités d’inscription spatiale des sociétés ainsi qu’aux dynamiques des populations à différentes échelles 51.

En fait, dès sa thèse de doctorat en philosophie publiée en 1893, De la division sociale du travail, E. Durkheim examine les facteurs du passage de la solidarité mé-canique à la solidarité organique. La division croissante du travail social constitue l’un de ces facteurs, puisque c’est par elle que s’opère la différenciation des indivi-dus et de leurs activités. Mais Durkheim tient à reconstituer, dans son intégralité, cette chaîne des causalités. Ainsi ce « mouvement historique de condensation de la masse sociale » serait à son tour déterminé par « l’accroissement du volume des so-ciétés » et notamment par celui de la « densité dynamique » 52.

Dans les Règles de la méthode sociologique, publiées en 1895, E. Durkheim dé-veloppe ce point dans le chapitre 5. D’une part, pour E. Durkheim « le fait même de l’association (étant) la condition déterminante des phénomènes sociaux », ces der-niers doivent varier avec les formes de cette association 53. D’autre part, « l’ensemble déterminé que forment, par leur réunion, les éléments de toute nature qui entrent dans la composition d’une société, en constitue le milieu interne ». De ces deux propositions, Durkheim tire la règle suivante : « l’origine première de tout processus social de quelque importance doit être recherchée dans la constitution du milieu social interne ». Ce milieu comporte deux sortes d’éléments : des personnes et des choses. Parmi les choses, Durkheim distingue « les objets matériels », ainsi que les « produits de l’activité sociale antérieure, le droit constitué, les mœurs éta-

50. P. 19-20 in McKenzie, 1968 ; il s’agit de la reprise de l’article « The scope of human ecology »

publié en 1926 dans The American Journal of Sociology, vol. 32, n°1. 51. Cette histoire est précisée in Rhein, 1982 et 1984. 52. Livre II, chap. II in Durkheim, 1893. 53. P. 111 in Règles...

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blies, les monuments littéraires, artistiques, etc. », ces choses n’étant cependant que « la matière à laquelle s’appliquent les forces vives de la société ». Quant aux per-sonnes, elles constituent ce que Durkheim désigne sous le terme de « milieu pro-prement humain », « facteur actif de l’évolution sociale », en ce que deux de ses propriétés, c’est-à-dire « le volume de la société et la densité dynamique » sont sus-ceptibles d’exercer une action sur le cours des phénomènes sociaux 54.

La morphologie sociale que propose E. Durkheim se démarque de la démogra-phie comme de la géographie humaine, parce qu’elle est fondée sur le postulat d’une coopération compétitive que l’on retrouve aussi dans les travaux écologiques de R.E. Park.

« La densité dynamique peut se définir, à volume égal, en fonction du nombre des individus qui sont effectivement en relations non pas seulement commer-ciales mais morales ; c’est-à-dire qui, non seulement échangent des services ou se font concurrence, mais vivent d’une vie commune. (…) Or la vie com-mune ne peut être affectée que par le nombre de ceux qui y collaborent effica-cement. C’est pourquoi ce qui exprime le mieux la densité dynamique d’un peuple, c’est le degré de coalescence des segments sociaux » 55.

Dans la Division du travail social, l’analyse de cette coalescence des segments sociaux n’était qu’esquissée. Durkheim y réfutait les positions libérales de H. Spencer. Pour H. Spencer, en effet, une société dans laquelle se développe la « solidarité industrielle » peut se passer, à terme, d’un « appareil coercitif », autre-ment dit d’un Etat. Durkheim montre qu’au contraire, le développement de la divi-sion du travail implique celui de l’Etat comme « système cérébro-spinal de l’organisme social » 56. L’Etat, concentrant des fonctions

« diffuses jusqu’à là, telles l’enseignement, la santé publique, se différencie et sa sphère d’action s’accroît.(…) L’Etat étend progressivement, sur toute la surface du territoire, un réseau de plus en plus serré et complexe de ramifica-tions qui se substituent aux organes locaux préexistants ou se les assimilent. Des services de statistique le tiennent au courant de tout ce qui se passe dans les profondeurs de l’organisme » 57.

À partir de 1896, les principales rubriques de cette morphologie sociale sont construites au fil des comptes-rendus de lecture publiés par Durkheim et par ses col-laborateurs, dans l’Année Sociologique fondée la même année. Le contenu de ces rubriques donne à voir, par le choix des œuvres offertes à la curiosité du lecteur, la meilleure des définitions de cette morphologie sociale.

Le premier thème s’intitule « Bases géographiques des sociétés ou de la vie so-ciale » et c’est sous cette rubrique que seront examinés les travaux des géographes

54. P. 112 in Règles... 55. P. 112-113 in Règles... 56. P. 199-200 in De la division... 57. P. 200 in Règles... Le caractère « diffus » de ces institutions tient au fait qu’ils ne sont pas ou peu

intégrés dans l’appareil d’Etat ; c’est précisément une partie de l’œuvre des législateurs de la IIIe République que cette construction d’un Etat républicain, laïc, qui prend en charge des fonctions qui étaient jusqu’alors largement assumées par différents ordres religieux, en matière d’enseignement et de santé publique en particulier.

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disciples de P. Vidal de La Blache, mais aussi les œuvres des géographes et anthro-pogéographes allemands, en particulier celles de Friedrich Ratzel.

Le deuxième thème reprend les principaux thèmes de la démographie, sous diffé-rents intitulés tels que « masse, densité sociale », « de la population en général », et « mouvement de la population (natalité, mortalité, fécondité) ». Les relations du mouvement de population avec les facteurs économiques sont aussi prises en compte sous cette rubrique, en particulier les questions de dépopulation, d’exode rural et de migrations internationales de travailleurs.

Enfin une troisième rubrique est consacrée aux « groupes urbains et ruraux » et à leurs évolutions respectives. C’est en particulier dans cette rubrique que seront exa-minés les travaux allemands d’histoire urbaine, d’ethnographie et d’histoire rurale, disciplines alors peu développées dans les Universités françaises pour des raisons a posteriori très respectables. En effet, ces travaux allemands étaient, pour nombre d’entre eux, pétris d’ethnicisme, et rassemblés sous l’étiquette de Volksgeschichte 58.

Après la disparition d’E. Durkheim, en 1918, M. Halbwachs reprend cette mor-phologie sociale, à peine ébauchée. Cette morphologie sociale diffère finalement moins qu’il n’y paraît de l’écologie humaine, mais s’inscrit dans un contexte socio-politique très différent de celui dans lequel les sociologues de University of Chicago travaillaient et se mettaient tout juste à construire leur écologie. Dans la France de l’entre-deux guerres, la « commande sociale » en planification urbaine et régionale est alors à peu près inexistante, du moins dans les termes dans lesquels cette com-mande est exprimée aux Etats-Unis. Par ailleurs, M. Halbwachs, qui était professeur à l’université de Strasbourg, fait un bref séjour à University of Chicago dans les an-nées 1930, mais ne semble pas avoir été particulièrement séduit, ou même intéressé, par l’écologie humaine de ses collègues sociologues. L’article qu’il publie dans les Annales Economie-Sociétés-Civilisations indique qu’il reste dans les cadres classi-ques de la démographie et des analyses de population en sociologie urbaine et en géographie humaine. Le petit manuel publié en 1938 sur la morphologie sociale ne constitue qu’un pâle reflet de la conception personnelle que s’était construite M. Halbwachs du travail sociologique de manière générale, de l’apport de la mor-phologie sociale plus particulièrement 59. Ainsi apparaît-il clairement, à la lecture de ce manuel, que cette morphologie qui est à la fois composée d’éléments de sociolo-gie – comme morphologie au sens large – et d’éléments de démographie – comme morphologie stricto sensu –, n’est qu’une introduction élémentaire à une sociologie halbwachsienne dans laquelle l’histoire – telle qu’elle s’inscrit dans l’espace 60 et dans la mémoire collective 61 – joue un rôle que lui dénient la majeure partie des so-ciologies.

58. Voir, sur ces questions, l’article de P. Schöttler, 2000. 59. Il s’agit du manuel de Morphologie sociale, publié en 1938 chez A. Colin. 60. Halbwachs a publié plusieurs travaux fondateurs en la matière, de sa thèse de droit sur Les expro-

priations et le prix des terrains (1909), reprise in La population et les tracés de voies à Paris depuis un siècle (1928) à son étonnante Topographie légendaire des Evangiles en Terre Sainte (1941).

61. Notamment in Les cadres sociaux de la mémoire (1925) et La mémoire collective (1950).

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3. 3. LA GEOGRAPHIE VIDALIENNE ET L’ECOLOGIE HUMAINE DE MAX SORRE

Paul Vidal de La Blache, historien et normalien, eut la lourde tache de construire une géographie scolaire et universitaire dans les années 1890. La tache est d’autant plus ardue qu’il faut que cette géographie soit distincte, voire distante, non seule-ment de la sociologie que Durkheim est en train de bâtir, mais aussi de l’histoire. Dans une telle perspective et sous de telles contraintes, l’action de l’homme sur la Terre fournit à Vidal de La Blache un thème dont la difficulté réside dans une néces-saire incursion de la géographie dans les sciences de la terre et de la vie. Telle qu’elle est formulée dans les rares textes programmatiques, plus que théoriques, que Vidal de La Blache publia, cette problématique n’apparaît d’ailleurs pas très neuve : elle est déjà présente dans l’économie politique française de la deuxième moitié du XIXe siècle, notamment chez E. Levasseur et chez P. Leroy-Beaulieu, à propos des « forces productives ». Vidal doit construire une discipline et contribuer à son insti-tutionnalisation, tout en la dégageant de certaines de ses prémisses morales, notam-ment de l’importance (forcément rédemptrice) du travail. À la charnière des sciences sociales et des sciences de la vie, la géographie scolaire et universitaire vidalienne est un corpus de connaissances positif, qui se veut politiquement neutre, et dont la diffusion est censée contribuer à la construction du sentiment patriotique. Aussi, dans cette géographie vidalienne, s’agira-t-il bien de l’Homme, donc de populations, et de leurs rapports à l’espace, et non de sociétés structurées en classes et groupes sociaux entretenant entre eux des rapports plus ou moins conflictuels. De la même manière, le développement économique est, dans cette géographie scolaire, dû à la seule action de l’Homme, sans qu’il soit question de processus tels que la formation et la circulation des capitaux, de rente foncière ou d’investissements productifs.

Pour la géographie, comme pour la sociologie, l’entre-deux guerres est une pé-riode difficile. Les deux maîtres, P. Vidal de La Blache et E. Durkheim, disparais-sent l’un en 1918, l’autre en 1917, tandis que plusieurs de leurs disciples, notam-ment les plus jeunes, sont fauchés au cours de la première guerre mondiale. Or c’est en 1913 que Sorre soutient sa thèse sur Les Pyrénées méditerranéennes, étude de géographie biologique. Il est trop jeune pour faire partie des disciples de Vidal, tels Demangeon ou E. de Martonne. La première décennie de sa carrière, entamée en 1913, est marquée par la guerre et la crise économique des années trente, qui ne contribuent pas à l’épanouissement de la recherche scientifique. Aussi la figure de Maximilien Sorre (1880-1962) est-elle aujourd’hui peu connue alors qu’il est le concepteur d’une écologie humaine différente de celle issue de la tradition sociolo-gique de Chicago, et sans doute plus riche.

Aux sources de l’écologie humaine de Max Sorre, figurent la médecine colo-niale, l’hygiénisme et une géographie médicale qui relevait, depuis le début du XIXe

siècle, de l’anthropologie biologique. De telles sources auraient pu entraîner M. Sorre sur des sentiers douteux. Pourtant M. Sorre, parce qu’il centre ses travaux sur le rôle du milieu sur l’état et sur les pathologies des populations, parvient à contour-ner les écueils les plus dangereux en la matière, ceux du rôle de la « race » ou de l’hérédité, qui étaient loin d’être considérés comme tabou avant la seconde guerre mondiale. Ainsi, dans l’entre-deux guerres, Sorre publie plusieurs articles, dont un texte sur « L’écologie de l’homme », en 1928, qui reprend la communication qu’il fait au Congrès mondial de l’Union Géographique Internationale, à Cambridge. De

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fait, c’est entre 1943 et 1952 que M. Sorre publie Les fondements de la géographie humaines, son grand œuvre édité par A. Colin en trois volumes et organisé selon la nature – biologique ou technique – de ces fondements.

L’écologie humaine de Max Sorre diffère sensiblement de celle de Chicago, puisque le géographe français la cantonne au domaine des fondements biologiques. Il a été montré plus haut que R. Park, comme R. McKenzie englobaient, dans leur écologie, les facteurs (ou fondements) techniques, mais aussi « moraux » et cultu-rels. Plus limitée, mieux circonscrite, l’écologie humaine de M. Sorre est plus appro-fondie que celle de la tradition sociologique de Chicago sur les relations entre l’Homme et le milieu naturel, dépassant notamment de beaucoup la problématique des sites et situations des villes et métropoles proposée dans l’écologie de R. McKenzie. Mais il s’agit plutôt d’une anthropologie, puisqu’en revanche, chez Max Sorre comme chez Vidal, l’Homme fait rarement société.

CONCLUSION

L’écologie humaine comme champ de connaissances a donc des sources com-plexes. L’écologie biologique en constitue la source majeure, mais il s’agit d’une version relativement peu élaborée de cette branche des sciences de la vie, vite datée et non réactualisée qui est prise en compte par R.E. Park et reprise par R. McKenzie et par les écologues humains qui lui succèdent. Par ailleurs une demande de recher-ches sociologiques contribue, dès les années 1920, à façonner l’écologie humaine. Cette demande porte sur la délinquance et sur les processus de changements sociaux urbains, en particulier sur les processus d’immigration, d’intégration, de ségrégation. Mais cette demande est relativement masquée et l’histoire de sa mise en forme reste à faire, pour ce qui concerne précisément le développement, aux Etats-Unis, de la planification urbaine et régionale, qu’elle soit publique ou privée.

Dans cette écologie humaine, les changements sociaux sont transformés en pro-cessus biotiques, observables dans la nature, opérant ainsi une naturalisation de la société et des communautés. L’écologie humaine peut être considérée comme une des résurgences, ou encore une forme réactualisée, parmi d’autres, d’une sociologie évolutionniste et organiciste. Mais cette réactualisation est, dans ce cas, hétérodoxe, parce que l’écologie humaine est timidement progressiste quand cette sociologie était fondamentalement conservatrice. Cette écologie humaine peut alors être com-prise comme une manière de subvertir ce courant conservateur, en adoptant, au moins en apparence, les mêmes prémisses naturalistes, sinon les mêmes objectifs et les mêmes valeurs. Et pour autant, cette écologie humaine de la tradition sociologi-que de Chicago n’est pas politiquement subversive : elle ne pouvait l’être dans le contexte politique et idéologique de l’entre-deux guerres aux Etats-Unis, c’était même là l’une des conditions de l’institutionnalisation de la sociologie.

Enfin une des fonctions qui assure la pérennité de cette écologie humaine est précisément cette relative neutralité. C’est la raison pour laquelle une partie de ces modèles et de la terminologie qui en relèvent sont désormais repris en recherche ur-baine, en aménagement et en urbanisme. En la matière, R. McKenzie fait figure de pionnier et de précurseur. L’actualité de son œuvre, peu connue, tient au fait que ces notions et ces modèles circulent désormais à l’échelle mondiale, qu’ils s’inscrivent dans le droit de nombreux pays : ils constituent une plate-forme commune à une

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large gamme d’organisations nationales et internationales, accessibles à tous les pays, compréhensibles par tous les experts. Il s’agit probablement là du prix épisté-mologique à payer au processus de mondialisation, mais grâce auquel peuvent être développées des politiques internationales, notamment en matière de développement durable.

Catherine RHEIN UMR LADYSS n°7533-CNRS, Universités Paris1-Paris8-Paris10

Maison Max Weber- Bât.K 200 avenue de la République

F92001 – NANTERRE cedex

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