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Journée d'étude de l'Institut des Sciences de l'Homme et de la Société-UBO

La cartographie et l'hydrographie à Brest du XVIe au XXIe siècle Conservation et transmission

Sommaire

1. Fabriquer les cartes

Hubert Michéa, commandant de marine marchande

Les cartographes du Conquet. Contexte, productions, sources, héritage

Catherine Abéguilé-Petit (IGE Patrimoine UBO, 2013-2014, Centre François Viète) Nicolas Meynen, histoire, FRAMEPA, Université de Toulouse 2

Maurice Rollet de l’Isle (1859-1943), ingénieur hydrographe et écrivain dessinateur, cartographe de fonds marins bretons

2. Faire parler les cartes

Jean-Yves Besselièvre, historien

Les cartes et les réseaux souterrains de Brest, XIXe-XXe siècles

Jean-François Simon, professeur d'ethnologie, Centre de Recherche Bretonne et Celtique (CRBC), UBO, Brest

Sur la carte de Cassini : un pont au milieu de nulle part ! L’énigmatique Pont-Blanc de Pouléder en Plouzané

3. Transmettre les cartes et conserver leur mémoire. Les fonds de cartes à Brest

Catherine Abéguilé-Petit

Les fonds de la bibliothèque de l’abbaye de Landévennec et du Service Historique de la Défense-Brest

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Les cartographes du Conquet. Contexte, productions, sources, héritage Hubert Michéa, commandant de marine marchande

Au commencement de l’histoire de la navigation était la vue des côtes, surtout lorsqu’elles étaient élevées comme c’est le cas en Mer Egée, en Crète, en Calabre, Sicile, Sardaigne, Corse, d’où on voit l’île d’Elbe, en Espagne, en Afrique du Nord. Des traversées hors de vue de terre ? Aussi, mais avec précaution. Les chemins des oiseaux indiquaient la route. Revoyez le voyage de saint Paul de Césarée à Rome, dans les Actes des Apôtres. XXVII 1-44 et XXVIII 1-13. Rome recevait ses blés d’Égypte par la flotte de l’Anone. Petits bateaux tout de même. On aurait pu faire mieux. Une kyrielle de mathématiciens avaient évalué le temps, appris à mesurer l’espace, à l’orienter aussi, sondé la mécanique céleste. Il manquait des instruments d’observation utilisables sur le pont mouvant d’un bateau. Il manquait quelque chose qui permette de se repérer en mer les nuits obscures sans étoiles. Un millénaire. Et puis ce furent les Croisades. Ce n’étaient plus des processions de petites gens portant des petites échoppes ambulantes mais de nombreuses masses humaines, des chevaliers et leurs chevaux. La route de terre avait montré combien elle était longue et difficile. La fonction crée-t-elle l’organe ?

Sans utilité nautique, s’il n’est amateloté à l’aiguille aimantée, le « marteloire » apparaît, tout armé, sur la carte Pisane. Le marteloire géométrique est une figure qui permet à un navire, n’ayant pas pu suivre une route directe vers sa destination, ayant suivi un autre rumb et parcouru dans cette direction une distance estimée, de trouver visuellement la nouvelle route à suivre pour atteindre sa destination.

Explication du Marteloire On situe la réalisation de la carte Pisane entre 1270 et 1290. Elle est la plus ancienne carte nautique attestée. Cependant, il serait surprenant que d’autres cartes de même teneur et précision ne l’aient pas précédé. Dans la Chronique latine de Guillaume de Nangis, relatant la seconde croisade de Saint-Louis, on lit en effet ce qui suit :

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« Ils furent moult ebahis et esmerveillez pour ce que il leur sembloit que il metoient trop longuement à arriver au port de Chastiau-Castre en Sardainne. Pour cette chose, furent les maistres des nez mandez devant le roy qui leur demanda et mist à raison combien d'espace il y avoit du lieu où il estoient jusques au port de Chastiau-Castre. Li marinier respondirent au roy sus parole doubtable et distrent que il creoient que il fussent prèz de terre et moult se merveilloient que il tardoient tant que ne la veoient. Lors firent aporter le papemonde devant le roy et li montrerent le siège de Chastiau-Castre et combien ils estoient prèz di rivage. Ne demoura guères auprèz que Phelippes li ainez fil le roy qui estoit en autel doubte, envoia a son pere I chevalier en une galée pour avertir le de ceste chose que il li estoit avis que les maistres mariniers sigloient en doubtance, pourquoi les maistres, derechief furent appelez à conseil... Et pour ce fu lors grant souspeçon contre les mariniers; mes ce fu à tort ».

Si cette carte montre des relèvements réciproques des ports principaux de Méditerranée, assez conformes à la réalité du champ magnétique, la côte atlantique est alors indéfinie.

Sur cette carte pisane annotée, la ligne rouge relie Gibraltar à Rhodes. Ces deux lieux sont situés sur le même parallèle géographique. Les auteurs de l’Antiquité le savaient au moins depuis Ptolémée. Cependant sur la pisane, leur ligne de relèvement est décalée de 10 degrés d’angle par rapport à l’axe Est-Ouest souligné en noir. Ceci correspond à la différence de déclinaison magnétique entre les deux lieux. C’est la preuve de l’usage de compas magnétiques ayant servi à l’élaboration de ce type de cartes. Cinquante ans plus tard, dès 1315, plusieurs cartes italiennes tracent un profil nautique des côtes atlantiques, de Gibraltar au Pas de Calais, avec une précision comparable à celle de la carte Pisane. Brouscon, deux siècles plus tard, au Conquet, ne fera pas beaucoup mieux que ces cartes italiennes.

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L’organe crée la fonction : on constate une simultanéité avec les premiers voyages à destination de Bruges, directement de Méditerranée, par la façade atlantique. Les croisades ont familiarisé les pèlerins avec les pratiques de l’Orient et son confort. Ils allaient en user une fois de retour dans leurs pays du Nord. Cela contribua à un développement des échanges. Le monde entrait de surcroît dans un épisode climatique plus frais1, en conséquence, le commerce des laines anglaises et leur travail dans les Flandres se développa. Le transit vers et en provenance de l'Italie par la vallée du Rhône et la Bourgogne était balisé de péages qui pesaient sur les coûts des produits échangés. L’avancée technologique maritime permettait, malgré les périls de la mer, de réduire ces frais. Cela ne pouvait manquer d’affecter les conflits féodaux entre les couronnes de France, d’Espagne, d’Angleterre et de Bretagne. Dans le cadre de la lutte contre la poussée turque et en vue de la contourner en recherchant l’alliance du Preste Jehan, le prince Henri de Portugal lança l’exploration systématique de la côte d’Afrique atlantique. Pour faciliter le retour des expéditions, il recommanda l’expérimentation nautique des connaissances astronomiques de l’Antiquité ptoléméenne, alors utilisées par les rédacteurs d’horoscopes. Les astronomes de ce temps établissaient, suivant les directives de Ptolémée puis d’Alphonse Le Sage, en particulier, des tables de déclinaison du soleil. Ces tables devaient permettre une évaluation de la latitude à la mer. Un observateur, au moyen d’un bâton

dit de Jacob, mesurait la hauteur du soleil au dessus de l’horizon à son passage au méridien. Il ôtait cette mesure de 90 degrés et ajoutait le résultat à la déclinaison donnée par les tables. Le résultat lui donnait sa propre latitude. Pour pouvoir faire à la mer une mesure de hauteur d’astre, les navigateurs portugais ne tardèrent pas à utiliser le bâton de Jacob. Le musée de la marine à Paris en possède un exemplaire. Cet appareil comprend trois parties : - une verge ou flèche en bois dur bien droite, de section carrée, - un ou plusieurs marteaux ou traversins, - un viseur qui se présente comme un petit traversin. La verge reçoit une à quatre graduations, une par traversin. Le traversin comprend un tronc de cône carré central ou talon et se termine par des

arêtes fines. Le talon est percé, en son centre, d’un orifice carré, donnant passage à la flèche sur laquelle on peut le faire glisser pour l’éloigner ou le rapprocher.

L’observateur place son œil au viseur, aligne l’arête inférieure du traversin sur l’horizon et le rapproche de son œil jusqu’à ce que l’arête supérieure vienne à toucher l’astre dont on mesure l’élévation sur l’horizon. Si cet astre est le soleil, l’observateur retourne l’engin et projette 1 Voir Emmanuel Le Roy-Ladurie, Histoire du climat depuis l’an mil, Paris, Flammarion, 1967.

Représentation de bâton de Jacob, in Illustration pratique de J. Sellers, 1672

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l’ombre de l’arête sur le viseur. Des essais personnels m’ont permis de remarquer que l’on pouvait observer face au soleil, à condition de bien fixer l’horizon. L’instant où l’ombre de l’arête supérieure ne tombe plus sur le viseur se perçoit très bien par une sorte de brasillement qui n’éblouit pas2. Ces découvertes facilitèrent grandement le retour d’Afrique. Les navires portugais prenaient L’alizé du Nord-Est, tribord amures, pour monter droit vers le Nord, en haute mer, jusqu’à atteindre la latitude du Portugal. Là, ils faisaient route vers l’Est, au compas, pour toucher leur destination, l’estuaire du Tage. C’est ce que l’on a appelé navigation à latitude constante. Ce trajet reçut l’appellation de « Volta ». Cette nouvelle technique de navigation permit notamment aux portugais de découvrir l’archipel des Açores. L’exploration de la côte atlantique de l’Afrique donna naissance à une entreprise commerciale puis impériale. Des hommes intrépides, aventureux, convaincus de la sphéricité de l’orbe, s’attachèrent à obtenir le soutien des rois en vue de se tailler des situations meilleures que celles qu’ils connaissaient. Christophe Colomb en Espagne, Jean Cabot en Angleterre, en sont des exemples significatifs. Dès le tournant du XVIe siècle, des banques italiennes participèrent à l’aventure financière, car ces voyages d’explorations menaçaient le quasi monopole du commerce vénitien dans ses relations avec l’Orient. Les grandes découvertes s’enchaînèrent en moins d’un siècle. Elles provoquèrent un profond bouleversement du monde occidental avec son cortège de cupidité, son lot de misères et de frustrations. Certains furent gagnants, d’autres perdants. Les négociants et les banquiers des républiques italiennes ont été du second lot. Ils cherchèrent à trouver d’autres voies de commerce, appuyant les velléités de François 1er lors de l’exploration par Verrazzano et d’Henry VIII, en Angleterre, lors du second voyage de Jean Cabot. Dans les deux cas, il s’agissait de trouver un passage vers l’Extrême-Orient en dehors des territoires qui se trouvaient sous les jurisprudences portugaise et espagnole, découlant des traités de Tordesillas. Pendant ce temps, les marins de la façade atlantique et de la Méditerranée continuaient leurs navigations processionnaires « vue par vue » au long des côtes, comme en témoignent les 56 strophes de la Sfera de Leonardo Dati, largement diffusée à partir de 1434, ou encore le routier flamand conservé à la bibliothèque communale d’Anvers (ms. 29266), ou encore le Grand routier de Pierre Garcie Ferrande. Ces expériences montrent que l’homme a toujours tendance à aller vers le moindre effort en préférant employer une technique maîtrisée plutôt qu’une autre faisant appel à des notions nouvelles, que seule une minorité d’aventuriers expérimentera. L’usage de la carte à marteloire en est une démonstration. On peut corroborer cela en examinant, entre autres, une carte de la Manche utilisée par Edmond Halley à bord de la Paramore en 1698. Bien que le canevas sur lequel elle est construite réponde aux canons définis par Mercator, avec échelle décroissante, elle porte en surimpression un marteloire. C’est une anomalie technologique. Les pilotes de la 2 Voir mes articles à ce sujet dans la Revue de l’Institut Français de Navigation.

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Paramore disposaient certainement, à bord de ce navire scientifique, des tables dites de point dans lesquelles les calculs trigonométriques étaient réalisés à l’avance. Certains d’entre eux préféraient utiliser le vieux système de repérage de la route au moyen de ce marteloire. Quant à la navigation à latitude constante, elle était encore pratiquée dans les années 1950 par les langoustiers de Camaret qui descendaient pêcher sur les côtes de Mauritanie et rentraient en faisant route au Nord jusqu’à parvenir à la latitude de l’Armorique en pratiquant des observations de hauteur du soleil à midi. L’Almanach du marin breton leur donnait la formule simple et la déclinaison du jour. Parvenus à la hauteur de Penmarch, ils faisaient cap à l’Est jusqu’à voir la terre ; une fois recalés, ils terminaient leur chemin vers le port. Routine et innovation coexistèrent. Nous constatons de fortes résistances à l’usage de technologies nouvelles qui tardèrent à trouver un usage généralisé, tant dans l’espace que dans le temps.

De Penmarch, en bas, à l’île de Batz en haut, une route presque rectiligne est balisée de repères parmi lesquels île de Sein, baie de Douarnenez à droite, puis baie de Brest, pointe Saint Mathieu « Black monkens », le Conquet-rade dessoubs du moulin, Ouessant à gauche au loin. L’acquisition, frauduleuse, pour le compte du duc de Ferrare de la carte de Cantino, en 1502, marque le début d’une collecte d’informations nautiques. Alertés par les banquiers italiens de Lyon, Français suivis des Anglais, s’attachent à rassembler toutes informations tant nautiques que commerciales concernant les terres nouvelles. André Thévet, en France, céda à Richard Hakluyt, en Angleterre, des documents pris sur des galions espagnols par des corsaires normands. C’est ainsi que le célèbre Codex de Mendoza, exposé aujourd’hui au British Museum, porte encore l’ex-libris de André Thévet. C’est grâce à cette collecte systématique que nous devons à Richard Hakluyt, la connaissance de certains documents dont les originaux ne nous sont pas

parvenus. Les monarques de Valladolid et de Lisbonne avaient

bien jeté un interdit sur la divulgation des informations à caractère nautique mais comment éviter que des transfuges, pour des raisons variées, n’enfreignent la loi ? Des dissidents passèrent en France ou en Angleterre, les uns par ressentiment contre le pouvoir royal, d’autres par l’appât du gain, d’autres encore pour échapper à des poursuites judiciaires, civiles ou religieuses. Citons le cas des Cabot, le père mais surtout le fils, Sébastien ; arrivé avec son père à Bristol, en provenance de Venise, Sébastien passa au service de la couronne d’Angleterre, puis à celle

Routier flamand du XVIe s, B 29166, Bibliothèque communale d’Anvers

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d’Espagne avant de repasser en Angleterre, où il fut à l’origine de la fondation des Merchants adventurers. Citons encore Pedro et Andres Homem, qui furent stipendiés par François 1er et Marie de Médicis, Bartolomeo Velho, qui trépassa à Nantes, en 1568, laissant quant à lui un bel inventaire d’astrolabes et de tables de navigation astronomique. Le « pilote borgne », un dénommé Borges, fut poursuivi et incarcéré en France, à la demande pressante et répétée de l’ambassadeur d’Espagne à Fontainebleau. Quant à Fernao da Oliveira, qui, capturé par une force navale française alors qu’il passait la mer en mission diplomatique, il fut attaché au baron de la Garde comme pilote. Pris une nouvelle fois par les Anglais, il fit son retour au Portugal à la fin de sa vie. En 1540, presque simultanément, une pléiade de cartographes installés aux abords de Dieppe dessinent des représentations du Monde. Toutes sont décorées à la manière portugaise. Leur nomenclature est riche de mots d’origine lusitanienne. On y remarque, au Sud de Java, une représentation de ce qui semble bien correspondre au Nord de l’Australie. En 1543, un cartographe signe d’un énigmatique GB la carte actuellement conservée à la Huntington Library, sous la cote HM 46. Un travail de même main apparaît dans un manuel de navigation qui fut conservé un temps à la bibliothèque de Notre Dame de Paris, et aujourd’hui à la Bibliothèque Nationale de France : il est signé G Brouscon. Ces deux documents, seuls manuscrits qui nous soient parvenus de Brouscon, sont décorés luxueusement, dans le style de Fontainebleau. On y trouve un calendrier perpétuel, un système d’évaluation des heures des marées selon l’âge de la lune, tirée du calendrier, une table des déclinaisons du soleil, l’exposé de la détermination de la latitude par la mesure de la hauteur du soleil à midi et une table de point baptisée scoudrille. Ce mot dérive de l’expression portugaise Punto de esquadilla. Il s’agit en fait d’une table trigonométrique qui fournit, pour les huit principaux rumbs du compas, la distance à parcourir pour s’élever d'un degré en latitude. Le principe mathématique est le même que celui sur lequel est basé le marteloire. Tout cela est pratiqué par les marins espagnols et surtout portugais depuis des décennies, comme on peut le constater dans les très nombreux documents conservés. Certains sont restés inédits, pour cause d’interdit royal, comme le Espejo de Navegantes de Alonzo Chaves, piloto mayor en 1535, jusqu’à son édition par le Museo Naval de Madrid, il y a une vingtaine d’années. Sa diffusion est cependant restée confidentielle. Malgré le risque d’attirer les foudres royales, toute cette technologie est cependant accessible, dès 1543 en particulier, dans la première édition française, imprimée à Lyon, du traité El arte de Navegar de Pierre de Medine.

G. Brouscon, carte modifiée. Ms 25374 B.N. En rouge sont indiquées les routes traditionnelles par la côte et les ras, en vert, les routes permises grâce aux nouvelles méthodes de navigation

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D’où est donc sortie cette Grande Jave, entendez l’Australie, représentée par Brouscon ? Les frères Parmentier, partis de Dieppe, s’étaient rendus à Sumatra en 1534. Jean Alfonse, Portugais

installé à La Rochelle, écrit, dans Voyages aventureux, s’y être rendu. Roger Hervé, conservateur du département des « Cartes et plans » à la Bibliothèque Nationale de France, a suggéré que l’aventure des rescapés du Santo-Lesme, caravelle de la flotte de Gaspar Jofre de Loyasa, disparue en 1526, peut-être naufragée en Nouvelle Zélande, soit à l’origine des trouvailles archéologiques sous marines de ces dernières décennies auxquelles s’intéresse l’archéologie subaquatique australienne depuis quelques décennies.

Il n’a pas été possible, à ce jour, d’élucider plus avant les circonstances qui ont permis à l’école de Dieppe, et à G. Brouscon, de faire état de cette Grande Jave, non plus que le fait que l’information ait disparu brusquement des ouvrages nautiques ultérieurs. Brouscon, pour sa part, semble ensuite, s’être fixé au Conquet. Il est possible de voir, dans les fonds documentaires français et surtout anglais, quelques almanachs imprimés à son nom. Ce sont de petits carnets, de format 10 x 7 cm, où l’on retrouve la plupart des données énumérées ci-dessus. Ces almanachs étaient imprimés, au moyen de typons de bois, sur une bande de parchemin. Cette bande était par la suite pliée, puis cousue et le tout tenait aisément dans la poche d’une vareuse. Le calendrier y est simplifié : il est adapté aux pratiques religieuses en usage en Bretagne. En un temps où les équipages n’avaient pas encore accès à la lecture, les actions devant être entreprises étaient figurées en images et symboles, de manière à être comprises par tous.

Atlas anonyme, bibliothèque municipale de Lyon. Grande Jave (Malaisie, Sumatra, Java) dont Jean Alphonse dit que c’est « Terre ferme »

Grande Jave, Brouscon, HM 46. Le nord de l'Australie et Java forment une seule terre chez Brouscon

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Tout laisse à penser que G. Brouscon, après avoir proposé ses deux premiers ouvrages à des personnalités proches du pouvoir royal, à Fontainebleau, a subvenu à ses besoins par le commerce de ces almanachs, qu’il diffusait, sous sa propre marque, depuis Le Conquet. Cette marque ressemble à celle qu’un abbé de Saint Mathieu a fait apposer sur l’autel de la chapelle Notre-Dame, ancienne église paroissiale du bourg de Saint-Marthieu. À la différence de ses « collègues » de l’école de Dieppe, Brouscon s’est montré discret. Ses almanachs ne sont identifiés que par l’alignement de lettres isolées et sans ordre, aux centres des roses servant à la lecture des marées. C’est l’assemblage qui permet de reconstituer « G BROUSCON au CONQUET ». Les successeurs de Brouscon, Yan Troadec et Lestobec, étaient installés dans le centre du bourg, lequel fut entièrement détruit par un incendie lors de l’attaque de la flotte anglo-hollandaise en 1558. On peut penser qu’un certain nombre d’almanach changèrent de main à cette occasion. Parmi les exemplaires conservés, de l’autre coté de la Manche, celui portant la cote n° 1 de la Bodleian Library, à Cambridge, porte le nom de Francis Drake.

Ex libris de F. Drake, Bodleian Library, Cambridge

Quelles raisons ont bien pu inciter G. Brouscon à changer son patronyme en Le Lyner ou Le Lyveur, selon les documents, en 1594 ? Les troupes espagnoles occupaient alors la presqu’île de Roscanvel et bloquaient Brest. Henri Waquet a relevé la contribution de Ian Troadec, associé et successeur de Brouscon, à la défense française, sous la forme d’un plan accompagné de dessins pour la réalisation duquel il reçut paiement. Y a-t-il une relation avec cette décision de G. Brouscon ? L’industrie de G Brouscon fut poursuivie par Yan Troadec, puis Christophe Troadec, qui ne modifièrent les calendriers que pour tenir compte du changement de date survenu en 1583, lors de la réforme promulguée par Grégoire XIII, et ajouter leurs propres marques d’imprimeurs3.

3 Voir H. Michéa, « Les cartographes du Conquet et le début de l’imprimerie, in Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, t. CXV, 1986.

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Marques Brouscon (A) et Troadec (B). Doc. H. Michéa

Selon le père Verjus, au début du siècle suivant, Françoise Troadec aida Dom Michel le Nobletz à réaliser les Taolennou qui sont aujourd’hui conservés dans les Archives de l’Evêché de Quimper. Ce fut la fin de l’activité cartographique au Conquet. Le progrès des méthodes de navigation, permettant le contournement par le large de l’extrémité de notre péninsule, fit perdre peu à peu au Conquet le bénéfice qu’une situation en bordure d’un passage obligé des navires, lui avait consenti pendant plusieurs siècles. C’est à Dieppe, déjà, peu avant Brouscon, que se cristallisait, sous l’impulsion d’un armateur avisé, Jehan Ango, la fine fleur de la technologie maritime française. Dieppe, point du littoral alors le plus proche de Paris et disons, pour employer un cliché familier, des « marchés ». Dieppe perdit toutefois aussi de son importance lorsque François 1er ordonna l’ouverture d’un « Havre neuf » dont le port pouvait recevoir des navires de grande capacité. Ce nouveau port du Havre devint un lieu de transit naturel entre Paris et l’outre-mer et c’est dans cette ville que s’ouvrit la première école d’hydrographie qui, après bien des avanies, transmet encore de nos jours, aux jeunes générations, les méthodes les plus avancées en matière de navigation. La fonction peut créer l’organe, l’organe permet la fonction, mais c’est la volonté d’entreprendre qui la fait.

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Maurice Rollet de l’Isle (1859-1943), ingénieur hydrographe et écrivain des-sinateur, cartographe de fonds marins bretons

Catherine Abéguilé-Petit, IGE Patrimoine (2013-2014, UBO) Nicolas Meynen, Histoire, FRAMEPA, Université de Toulouse 2

Le corps des ingénieurs hydrographes français a compté des personnalités de grande valeur reconnues au plan européen depuis le XVIIIe siècle ; il se singularise pourtant par sa formation décalée par rapport à l’École Navale dont il aurait dû faire partie mais il s’agit encore ici d’une excentricité bien fran-çaise. Formés sur le terrain, au Siècle des Lumières et au sein du Dépôt des cartes et plans de la Marine à Paris, les hydrographes doivent tous sortir, à partir de 1814, de la filière hydrographique de l’École Po-lytechnique. L’ordonnance du 2 juin 1830 fait de l’X la filière obligatoire pour tout recrutement dans le corps des ingénieurs hydrographes1. Le système est cependant loin d’être parfait : faute d’un corps assez nombreux, l’hydrographie ne dispose pas d’une école d’application contrairement à la topo-graphie qui bénéficie de l’École des ingénieurs géo-graphes. Au milieu du XIXe s, la désorganisation de l’enseignement des élèves-hydrographes est sévère-ment pointée par les hydrographes en place, les offi-ciers de Marine devraient être « les premiers à s’occuper d’hydrographie si l’on veut avoir des cartes correctes et techniques », concluait en 1914 l’ingénieur hydrographe Maurice Rollet de l’Isle2, le protagoniste de notre histoire. Au même moment, le commandant de l’École Navale lui-même, le capi-taine de vaisseau Jehenne, s’indignait également en

écrivant à Beautemps-Beaupré, l’illustre ancien patron du Service hydrographique : « Au-jourd’hui que fait-on dans cet hôtel (du Dépôt général de la marine) ? On paperasse, on ra-pièce, on compile, on compile, on compile sans qu’une œuvre complète et consciencieuse sorte de cet arsenal hydrographique ! »3 L’époque glorieuse de Beautemps-Beaupré paraissait bien révolue. Il faudra attendre 1933 pour que des officiers de Marine aient de nouveau par-tiellement accès au Service hydrographique. Maurice Rollet de l’Isle, tout au long de sa

1 Olivier Chapuis, « L’École polytechnique et les hydrographes de la Marine », in Bulletin de la Société des amis de la bibliothèque de l’École polytechnique, n° 35. Consultable en ligne : http://www.sabix.org/bulletin/b35/hydrographes.htlm 2 M. Rollet de l’Isle, Etude historique sur les ingénieurs hydrographes et le Service hydrographique de la Ma-rine (1814-1914) , Paris, Imprimerie Nationale, 1951 (texte rédigé en 1914). 3 O. Chapuis, op.cit., p. 2.  Sur Beautemps-Beaupré, voir la remarquable thèse d’Olivier Chapuis, A la mer comme au ciel. Beautemps-Beaupré et la naissance de l’hydrographie moderne (1700-1850), Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 1999.

M. Rollet de Lisle, autocaricature

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longue carrière, passée en grande partie à Brest, va lutter contre cette ségrégation contraire au bon développement de la science hydrographique.

Rollet de l’Isle est né à Paris le 19 novembre 1859. Il entre en 1878, à 19 ans, à Polytechnique dont il sort 19e sur 235.

Il est nommé dans le corps des ingénieurs hydrographes de la Marine. Élève ingénieur en 1880, sous-ingénieur de 1ère classe en 1899, il est nommé officier supérieur avec le grade d’ingénieur en chef de 2e classe en 1902, à 43 ans. En 1915, il devient ingénieur en chef de 1ère classe puis prend en 1919 la direction du Corps des ingénieurs hydrographes. Il quitte le Service hydrographique le 19 novembre 1924, comptant plus de 46 années de service, dont presque 11 à la mer. Rollet de l’Isle a servi en Extrême-Orient, dans l’escadre de l’amiral Courbet, de 1883 à 1885, il a effectué de nombreux relevés sur les côtes de France, en Bretagne et en Corse, notamment sous les directives de son maître-formateur l’ingénieur hydrographe et astronome Caspari. Il

est ensuite envoyé pour une nouvelle campagne à Madagascar. En 1902, il est désigné pour faire partie de la mission scientifique qui se rend à la Martinique à la suite de l’éruption de la Montagne Pelée : employant la photographie depuis déjà de longues années, il rapporte de cette mission douloureuse de remarquables clichés avec lesquels il composera un album de-meuré inédit. Rollet termine ses embarquements à la mer comme chef de la mission des côtes de France en diri-geant successivement les levés des abords de Penmarc’h (1904), de Concarneau (1905) puis, de 1906 à 1908, la reconnaissance détaillée de la baie de Quiberon, réguliè-rement fréquentée par les escadres françaises. Devenu chef de section au Service hydrographique, puis chef de service, il n’accomplit plus que d’occasionnelles missions à la mer. Rollet de l’Isle est désigné plusieurs fois pour représenter le ministre de la Marine aux Con-grès de l’Association française pour l’avancement des sciences ; l’Académie des Sciences l’a désigné pour faire partie de la Section d’océanographie physique du Comité national français de géodésie et géophysique dès la pre-mière réunion, le 6 mai 1920 ; il en est nommé vice-président puis président dès l’année suivante et jusqu’en 19294.

Rollet de l’Isle a laissé de très nombreux travaux : des carnets de voyage dont nous parlerons dans un instant et des publications dans la Revue Maritime et Coloniale et dans les Annales hydrographiques où il écrit en particulier sur le calcul du point à la mer et la construction des

4 L. Pélissier, « La vie et l’œuvre de Charles-Dominique Maurice Rollet de l’Isle », in Annales hydrographiques, 1947, p. 1-6.

Mission Dufour, levé des abords de Molène, 1887. SHOM

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stations de topographie. C’est surtout au Service des Marées, dont il a assuré la direction pen-dant 18 ans (1902-1920) que sa production scientifique est importante. Il refond tous les ta-bleaux de concordance permettant la prédiction des marées des divers ports de France à partir du calcul de la marée à Brest. Rollet devient également un collaborateur actif de l’Institut Scientifique et Technique des Pêches Maritimes (ISTPM) dès sa création en 1919. Désireux de rendre service aux voyageurs souhaitant rapporter des renseignements utiles au point de vue géographique (l’époque est en effet riche en explorateurs amateurs), Rollet publie en 1899, en collaboration avec l’ingénieur des Ponts et Chaussées Blim un Manuel de l’explorateur. Un autre trait original de cet homme à l’esprit fertile et profondément huma-niste a été de contribuer à la diffusion de l’esperanto dont il souhaitait faire la langue de diffu-sion de la paix mais aussi des savoirs scientifiques et techniques.

Ce sont les travaux de Rollet sur les relevés aériens5 qui vont en particulier retenir notre atten-tion, travaux particulièrement novateurs à la fin du XIXe siècle, pour lesquels il prend comme point de départ les recherches menées par son collègue, l’ingénieur en chef Renaud, sur les levées hydrographiques aux abords de Brest. Les ballons dirigeables sont alors employés de-puis un certain nombre d’années par la Marine de guerre pour ses missions de surveillance. L’ingénieur Renaud avait découvert, grâce à ses stations en ballons au large de Brest, un grand nombre de roches très dangereuses pour la navigation qui avaient échappé aux relevés antérieurs qui se faisaient par sondes, en suivant des lignes très rapprochées : les roches dan-gereuses pouvaient être repérées mais, suivant leur disposition, elles pouvaient aussi être ignorées. Une autre technique consistait à observer les changements de couleur de l’eau, à observer les remous. Ces moyens étaient tous deux aléatoires et très insuffisants et c’était sur-tout l’étude détaillée et systématique du relief du fond sur la carte où avaient été inscrites les cotes fournies par la sonde qui permettait de relever les endroits où il y avait lieu de présumer la présence de hauts-fonds dangereux. Les ingénieurs hydrographes menaient ensuite les re-cherches en se guidant au moyen de la sonde et des observations visuelles ou encore parfois par des dragages. Mais même avec une application systématique de ces méthodes, un certain nombre de redoutables aiguilles rocheuses échappaient aux recherches et, bien souvent, c’était les renseignements des pêcheurs qui alertaient les ingénieurs hydrographes sur les dangers sous-marins.

L’ingénieur hydrographe Renaud s’appuyait sur le fait que les hauts-fonds étaient plus faci-lement visibles quand l’observateur dominait de suffisamment haut la mer ; il proposa en con-séquence l’emploi d’un ballon dans la nacelle duquel prenait place un technicien équipé de moyens de relevé. Suivant ses observations, il était possible de revenir par la suite sur les lieux où de probables hauts-fonds avaient été notés pour affiner les relevés. C’était là une économie considérable de temps et de travail et cette technique se révéla être aussi parfois la seule utilisable pour des régions où les courants ne permettaient pas d’effectuer des sondages avec une embarcation.

5 M.Rollet de l’Isle, Note au sujet de l’emploi des aérostats dans la recherche des dangers sous-marins, Paris, lib. Militaire R. Chapelot et cie, 1902 ; Utilisation des photographies aériennes prises par avion pour compléter une carte, 1916, s.l.  

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Rollet compléta les relevés aériens de l’ingénieur Renaud en affinant l’exploration ultérieure par sondage avec une embarcation, ces deux procédés pouvaient même, dans le but d'obtenir davantage de précision, être couplés : le navigateur qui se trouvait à bord du ballon envoyait des signaux aériens aux sondeurs placés en-dessous mais le plus simple et le plus rapide con-sistait à effectuer les observations directement à bord du ballon à partir d’une carte des hauts-fonds repérés.

Rollet va étudier en particulier les questions suivantes :

-­‐ Comment déterminer la position de l’observateur aérien, à quelle hauteur doit-il s’élever pour voir le plus distinctement possible le fond de la mer par diverses profon-deurs ?

-­‐ Quelle est l’approximation d’altitude que l’observation du baromètre peut fournir ?

Ainsi, le cartographe des fonds sous-marins devient ingénieur du ciel et des courants aé-riens…

Rollet va créer aussi des techniques graphiques pour affiner les relevés par aérostat, les obser-vations à faire comportent des mesures d’angles et de hauteurs barométriques, cela en utilisant des instruments existants et d’usage courant mais avec la perspective de créer de nouveaux instruments de mesure.

La plus grande difficulté était de déterminer l’altitude atteinte par le ballon : il était bien sûr possible de mesurer la hauteur du câble qui le reliait au rivage, en prenant en compte le poids de celui-ci et son inclinaison mais c’étaient des données trop changeantes à cause de la varia-tion des courants aériens. Pour affiner ses relevés, Rollet se sert des instruments utilisés tradi-tionnellement, notamment d’un théodolite.

Lors d’une première étude, un observateur, muni de l’instrument de relevé, se place dans une position connue et mesure la distance zénithale fournie par la nacelle du ballon qui est prise comme un lieu géométrique. L’intersection des deux surfaces détermine la position dans l’espace de la droite joignant l’observateur à cette nacelle.

Dans un deuxième cas, le ballon peut être remorqué par un bâtiment : l’observateur placé à bord du ballon, après avoir déterminé sa position par les méthodes habituelles, prend l’angle entre ce ballon et un point de position connu. À bord de la nacelle, une lecture du baromètre donne la hauteur au-dessus du niveau de la mer ; au moyen, d’un dépressiomètre, on peut me-surer la dépression de l’horizon à la mer mais les difficultés, provenant régulièrement du manque de netteté de l’horizon de la mer vu en altitude, rendent cette méthode assez res-treinte. Les conclusions de l’étude de Rollet sont les suivantes : il s’avère que la façon la plus commode d’opérer consiste à se servir d’un ballon remorqué par un bâtiment ; la détermina-tion de la position du ballon doit se faire par la combinaison des observations réalisées au point d’attache inférieur du câble (avec relèvement du ballon au compas déterminant sa hau-teur angulaire) et de l’observation effectuée de la nacelle de l’angle sous-tendu par une base placée sur le bateau. La détermination de la position depuis la nacelle devait se faire, en em-ployant les instruments existants, par l’observation des angles entre ce point et deux points déjà connus dont l’un est le point d’attache inférieur du câble retenant le ballon.

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Rollet estime nécessaire de concevoir un compas permettant de relever, depuis la nacelle, les points situés au-dessous de l’horizon jusqu’au point le plus bas appelé le nadir.

Rollet songe déjà à l’utilisation de photographies prises depuis le ballon mais il n’approfondit pas la question dans l’immédiat, tout en en laissant néanmoins une possibilité pour l’avenir. Il va exploiter cette possibilité une dizaine d’années plus tard, en effectuant des travaux, publiés de nouveau dans les Annales hydrographiques, sur « L’utilisation des photographies prises en avion pour compléter une carte » (publié en 1917), un volume des Annales hydrographiques où il se consacre, avec trois confrères, à des études sur l’utilisation de la photographie en car-tographie. Son travail date de 1916 et la date est d’importance car pendant la Première Guerre mondiale, la photographie aérienne d’observation a pris un essor très important avec le déve-loppement combiné des ballons d’observation et de l’aéroplane. Mais l’idée d’un renouvelle-ment de la cartographie et de l’hydrographie par la photographie aérienne s’est déjà manifes-tée de façon concrète dans le brevet déposé par Nadar le 23 octobre 1858. Nadar tente le procédé dans un ballon dirigeable dont il a transformé la nacelle en chambre de développe-ment, afin de pouvoir employer la technique photographique la plus précise, celle du collo-dion humide : les résultats apparurent satisfaisants, mais le développement dans une nacelle en mouvement s’avérait particulièrement périlleux6. Le procédé au gélatino-bromure d’argent, qui s’impose en France dans les années 1880, apporte une solution aux problèmes de la pho-tographie aérienne car le procédé est d’une rapidité supérieure à celle du collodion humide et, surtout, l’émulsion reste à l’état sec.

Pour Rollet de l’Isle et ses confrères hydrographes les questions soulevées sont techniques, bien plus que lors des photographies aériennes de la Grande Guerre, car il ne s’agit pas pour eux uniquement d’observation : il faut déterminer en particulier la distance focale de l’appareil et la position, sur la photographie, du pied de la perpendiculaire abaissée du centre optique sur la plaque.

On découvre qu’une photographie d’une région, dans laquelle on connaît un certain nombre de points en position et en hauteur, permet de déterminer la position des autres points quand on connaît leur hauteur ou leur hauteur quand on connaît leur position.

Il faut souligner que les méthodes de levé de points cartographiques employées par les ingé-nieurs hydrographes en ce début de XXe siècle ont été en grande partie mises au point par Beautemps-Beaupré au XVIIIe siècle : l’observateur se plaçait successivement en un certain nombre de points de la région étudiée et analysait sur chacun d’eux les angles du point du canevas de relevé et des points du détail topographique à placer. Lorsque des points topogra-phiques avaient été ainsi déterminés en nombre suffisant, les ingénieurs complétaient les élé-ments nécessaires à la représentation du terrain par un dessin des détails, exécuté à vue et à main levée : il faut que ces points topographiques soient assez rapprochés et aient été bien

6 Gervais Thierry, « Un basculement du regard, les débuts de la photographie aérienne (1855-1914 » in Etudes photographiques, DSFP, mai, 2001, disponible en ligne : www.etudesphotographiques.revues.org/916

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choisis pour que le pourcentage d’erreur du dessin soit minime. C’est là que les relevés pho-tographiques aériens, en avion ou en dirigeable, prennent leur importance : la photographie aérienne, dite instantanée, donne une infinité de détails supplémentaires à placer dans le cane-vas des points topographiques qui est ainsi particulièrement bien complété et avec plus de précision qu’avec le dessin à vue, la principale complication avec ce mode de relevé moderne étant de définir avec précision la position de la plaque photographique dans l’espace. Rollet travaille à résoudre ce problème qui est, écrit-il, « de trouver la position (projection horizon-tale et hauteur) d’une station où l’on a observé les angles des droites joignant cette station à trois points connus du terrain »7. Rollet veut parvenir à ce que les photographies prises par voie aérienne puissent être pleine-ment utilisées comme des stations faites sur le terrain, la position de la plaque photogra-phique, horizontale ou inclinée, est alors fondamentale pour établir la précision des relevés et elle donne lieu à des calculs de grande précision : des lignes de relevés sont marquées à l’encre de chine sur la plaque de verre, au développement, la photographie est lavée au cya-nure pour les faire ressortir.

Rollet va démontrer également qu’il est possible de combiner les relevés de deux stations aé-riennes, ce qui permet d’obtenir des photographies correspondant non pas à deux stations mais à trois, la dernière étant placée à l’infini dans une direction perpendiculaire à la ligne qui joint les projections horizontales des deux stations8. La précision des relevés augmentait si les deux stations étaient placées sur la même ligne horizontale, ce qui était possible non pas en utilisant deux aéronefs mais simplement en prenant deux photographies du même avion ou dirigeable en lui faisant suivre une trajectoire horizontale avec un appareil photographique à escamotage rapide, appareil disposé de manière à ce que la plaque soit horizontale au moment de la prise de vue. Grâce à cette technique, il n’était plus nécessaire de faire appel à un stéréo-comparateur qui seul auparavant permettait d’obtenir des résultats précis.

Par ses travaux très pointus, fruit d’échanges incessants avec ses confrères de différents corps, Rollet de l’Isle lance résolument la cartographie et l’hydrographie modernes permettant la production de bases de données géographiques.

Au contact des terres où ses missions de topographie, de sondes et de mise en place de si-gnaux le conduisent, Rollet de l’Isle se fait le plus souvent à la fois écrivain et illustrateur pour en saisir les univers. Ce ne sont pas ses récits rapportés des colonies9 qui retiennent notre propos mais un carnet de voyage et un journal de souvenirs, qu’il a consacrés aux côtes bre-tonnes entre 1887 et 1889.

7 Rollet, op.cit., p. 15 8 Op. cit., p. 18. 9 « Journal de mon voyage sur la Flore, 1881-1882 », « 15 jours dans la brousse-Madagascar, Cap d’Ambre, 1894 », dépôt du SHOM au SHD-Marine de Brest. Voir l’article de l’auteur : « Maurice Rollet de l’Isle (1859-1943), Ingénieur hydrographe et dessinateur-illustrateur aux colonies », Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, décembre 2013.

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Rollet vient embarquer une quinzaine de fois à Brest, entre 1881 et 190810. Trois missions l’y amènent en tant que responsable, en 1887, 1888 et 1889, pour lever les plans des récifs les plus dangereux des côtes bretonnes et normandes11.

À l’occasion de la Mission Dufour dans l’été 1887 à bord du petit aviso La Chimère, ses travaux lui permettent de découvrir12 le morceau de côte bretonne compris entre Ouessant, Molène, le Conquet et Douarnenez en passant par Camaret : « (…) sous cette limpidité de lieu calme se cachent des quantités de roches aiguës comme des aiguilles, restes de la vieille carcasse de granit autrefois recouverte de sable et de terre du pays breton et que les courants formi-dables ont mis à nu comme les os de cette terre décharnée »13.

10 La première fois, c’était pour une campagne d’instruction, en avril 1881, avec les aspirants de l’Ecole navale sur le navire-école La Cigale. 11 Rollet inclut Saint-Malo et l’archipel des Minquiers dans la côte nord de Bretagne. 12 Rollet reviendra faire plusieurs embarcations en Bretagne : comme chef de la mission des côtes de France, il dirigea les levés d’ensembles des abords de Penmarc’h (1904), Concarneau (1905) et de Quiberon (1906-1908). 13 Mission Dufour, p.5.

Mission Dufour, cabine des ingénieurs hydrographes à bord de La Chimère

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Tout au long de l’itinéraire, il réalise un journal illustré de plus de 60 dessins et aquarelles. La Mission des Minquiers, réalisée en deux campagnes, la première de mai à octobre 1888 et la seconde d’août à septembre 1889, lui offre un nouveau territoire d’exercice et de décou-verte incluant une partie de la Normandie. Entre Dinard et Granville, La Chimère parcourt l’archipel des Minquiers14constellé d’une multitude d’écueils qui découvrent uniquement à marée basse et révèlent un chaos granitique alors considéré comme un « trou noir » par les pilotes15. Le navire fait escale à Saint-Malo, au Mont-Saint-Michel et à Grandville, où Rollet assiste à des régates. Le carnet de voyage qu’il rapporte de ces deux missions est différent des autres que nous lui connaissons. En effet, il s’agit d’un recueil de planches incluant un court texte introductif ina-chevé16 intitulé « Souvenirs des deux missions des Minquiers. 1888-1889. I » et un tableau récapitulant, au jour le jour, de courts renseignements sur les étapes de la navigation en août et septembre 1889, le temps qu’il faisait, les coordonnées géographiques, le type de travail

14 Dans son dernier roman « Quatre vingt-treize » paru en 1874, Victor Hugo mentionne assez longuement les Minquiers. Il note, en particulier, combien les récifs sont y traîtres. 15 Une seule île de moins de 1 km2, appelée Maîtresse-Île, reste apparente à marée haute. Quelques refuges de pêcheur y ont été bâtis. 16 Rollet est en train de rapporter que la mission a soulevé une question de propriété entre la France et l’Angleterre qui revendiquait la possession des Minquiers : « En réalité, c’était une affaire commerciale, surtout de la part de Jersey et voici pourquoi ». Son explication, à peine commencée, se perd dans une phrase laissée inachevée.

Mission Dufour, abords de Camaret

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réalisé. Ainsi, la partie iconographique domine avec 45 dessins au crayon, 29 aquarelles, 28 photographies en noir et blanc, 9 dessins à l’encre noire, 6 dessins aquarellés, 1 photographie en noir et blanc rehaussée de couleur. À quelques exceptions près, chaque représentation porte une légende indiquant la date, le lieu et le nom de la personne lorsqu’il s’agit d’un portrait. L’ordre des planches ne relevant pas d’un classement chronologique respectueux, leur re-groupement ne peut être attribué à l’auteur17. L’iconographie et les texte relatifs à ces deux missions en Bretagne et en Normandie nous permettent de percevoir de brillantes aptitudes professionnelles en même temps que des quali-tés d’observation tôt repérées chez Rollet par ses supérieurs dont le capitaine de vaisseau de Boissoudy en 1882 : « Intelligent d’élite – nature fine – goût artistique – excellente tenue – jeune homme d’un rare mérite, d’un tact et d’un jugement parfaits – très aimé à bord – pas-sionné pour l’étude – a suivi avec la plus grande assiduité toutes les conférences, tous les exercices – est, peut-être, celui de nos élèves qui a le plus appris et est devenu le plus marin – dessinateur habile et spirituel – fera, à n’en pas douter, un homme des plus complets et des plus distingués ». Fidèle à ses habitudes, Rollet n’aborde pas ou si peu ses activités quotidiennes en lien avec son travail d’ingénieur-hydrographe. S’il le fait dans le journal de sa mission des Minquiers, c’est à travers le court texte introductif et quelques photographies où il est représenté par deux fois en topographe, par trois fois sur une balei-nière à la sonde ou en train d’observer l’heure.

Généralement, il préfère s’épancher sur la beauté de la mer devant la baie des Trépassés ou devant Molène qui lui inspire ce poème de trois quatrains :

17 Deux autres arguments peuvent être avancés : deux dessins datant du 14 septembre 1883 pour l’un et du 15 pour l’autre sont antérieurs à ces missions. En outre, la reliure en demi-cuir est neuve.

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« Molène. Sur son bord caillouteux, semé de larges roches, Brunes avec le pied jaune de goémon, Se dresse comme un phare où manque le rayon Son clocher gris pointu où frissonnent les cloches. La fumée âcre et lourde aux tourbillons épais, Lui fait toute l’année une écharpe de brume, Son sol reste tout nu sous l’océan qui fume Et la course de ses fureurs aux cris mauvais. Sur elle la tempête absurde se répand, Et sur elle l’embrun étend son aile blanche, Couvrant de sel et d’eau la maison où se penche La tête de la mère inquiète et pleurant ».

Réalisées depuis le pont du navire, les repré-sentations de paysages ponctuent le propos au fur et à mesure que les terres apparaissent. Ce goût pour les paysages est sans doute né de l’application du dessin à la navigation que Rollet a reçue durant sa formation en mer en 1881. En effet, à l’approche des terres, les aspirants s’arment d’albums et de crayons afin d’en relever les premiers aspects. Au-delà de la familia-risation des débuts avec la reproduction rapide d’une vue, ces dessins, qui se veulent assez

fidèles, ont pour but de servir de re-pères à « ceux qui viendront après eux se rendre un peu compte du pays avant de mettre pied dessus et évitent ainsi des surprises parfois désa-gréables »18. Ses supérieurs recon-naissaient au jeune Rollet un « re-marquable talent de dessinateur » doté d’une « réelle » valeur littéraire, qualités que ses carnets de souvenirs ne démentent pas. La maîtrise tech-nique de ses dessins est très appré-ciable, avec les caractéristiques de la

18 Six mois à travers l’Atlantique, dépôt du SHOM, SHD-Marine, Brest, p. 27.

Mission des Minquiers, Molène

Régate à Cancale

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gravure comme l’attestent l’assurance du trait et le procédé des hachures qui créent l’intensité des ombres. Avec habileté, le crayon peut se faire très léger, laissant la forme inachevée par endroit. Il devient parfois stylisé, touchant presque à l’abstraction. Si sa première impression d’un pays n’est que rarement complaisante, en mer bretonne, lors de sa première mission, le regard semble se faire plus dur que dans les mers des colonies, qu’il a pu parcourir jusqu’ici. À Brest, en octobre 1881 déjà, alors que La Flore est en cours d’armement, Rollet ne descend pas à terre :

« Cette permission (…) m’a à peu près été indifférente (…). En fait de port, il faut avouer que Brest ne représente absolument rien de remarquable. C’est une ville construite en pente dont les rues sont parallèles et perpendiculaires, qui a l’air entièrement fortifiée et où l’on rencontre quelques rares costumes bretons conservés à peu près intacts. Mais quand on a vu le cours d’Ajot,, une ou deux églises et le port de commerce, on a tout vu et l’on connaît Brest »19.

Rollet est un voyageur « pas du tout théorique », pour reprendre son expression. Il ne prête pas d’intérêt au nombre d’habitants, à l’histoire d’une ville, à ses églises ou ses monuments. Il a une « sainte et profonde horreur pour ces détails circonstanciés et réglementaires que l’on retrouve dans tous les traités de géographie qui se respectent »20. En s’égarant dans une ville, il lui arrive ainsi de ne pas voir des curiosités cataloguées et de voir d’autres choses que per-sonne n’a jamais eu l’idée de regarder. Comme il l’écrit lui-même en 1881, ses narrations descriptives craignent la comparaison avec les relations complètes et savantes des explora-teurs qui l’ont précédé. Et de préciser que

« pour les pays moins fréquemment visités, je peux encore me permettre d’apporter ma note modeste au concert des impressions, sans crainte de détoner trop fortement ; et c’est ce que je tâcherai de faire en demandant toute indulgence de l’auditoire »21.

En visitant l’île de Molène, il a une

« impression de sauvagesse et de tristesse qui (…) rend ce coin de terre inoubliable. L’aspect barbare du pays augmente quand on s’évade à travers les îles, dans les étroits chenaux qui lais-sent entre elles ces roches découpées, bordées à mer basse d’une frange de roches plus petites (…) ; les noms bretons aux résonances étranges donnent l’impression d’une contrée très vieille et inconnue que l’on croit découvrir : le Gondiloch, le Belvegnou… »

Son regard s’attendrit par contre au Conquet sans doute parce qu’il y trouve des accents de vie civilisée22. Il consacre d’ailleurs à ce village en mutation initiée par la vogue du balnéaire une longue description qui relève presque du guide du voyageur aux bains :

« Cette énorme baie à laquelle il ne manque rien pour en faire le rendez-vous de tous nos gen-tlemen et de leurs familles (…) est un des plus beaux coins de cette côte de Bretagne si fournie en points de vue pittoresques »23.

19 Journal de mon voyage sur La Flore. 1881-1882, Manuscrit non coté, p. 2. Dépôt du SHOM, SHD-Marine Brest.. 20 Six mois à travers l’Atlantique, Lettre du 6 octobre 1881, p.3, manuscrit non coté, dépôt du SHOM, SHD-Marine Brest. 21 Op.cit. 22 Il en sera de même pour Saint-Malo, lors de la seconde mission. 23 Comme toute station balnéaire qui avait quelque prétention, Le Conquet possédait un casino.

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Ce pittoresque, Rollet le rencontre dans les costumes variés de la population bretonne, le Par-don de Sainte-Anne La Palud, la baignade des enfants dans le port de commerce de Brest…

Port de commerce de Brest

"Olympias" du café Le Beuglant de Brest

Douarnenistes en costume traditionnel

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L’anthropos Rollet s’intéresse à l’être humain pétri de traditions, sous ses aspects à la fois physiques (ana-tomiques, morphologiques) et culturels. Il en transcrit les données24 par le dessin, l’aquarelle et la photographie à une époque où elle est encore peu pratiquée. Il met ainsi en vis-à-vis deux représentations aquarellées, l’une de quatre « Olympias » du café brestois « Le Beuglant de Brest » et l’autre de cinq Douarnenistes en costumes tradition-nels, deux mondes bien différents volontairement mis en confrontation25. Le Cours d’Ajot lui sert de cadre pour une autre scène où les différentes couches de la société brestoise se croisent lors de la promenade du dimanche. Il appuie son regard sur l’étude comparative des diffé-rentes sociétés et ethnies qu’il a pu rencontrer jusqu’ici et qu’il a décrites dans ses carnets de voyage aux colonies notamment. Dans la mission Dufour, il portraiture en pied ou en buste tout l’équipage en identifiant cha-cun des hommes qui le composent par un titre en plus du nom. S’il paraît ainsi plus proche d’eux, certaines notices individuelles posent sans artifice l’analyse du caractère et la psycho-logie de manière caricaturale. Parmi les trois seconds maîtres, le chef Jules Le Gwen est une de ses cibles :

24 Rollet n’est pas Loti qui utilisait la collecte d’objets. 25 Il fait de même à Saint-Malo en confrontant la Malouine et les femmes du Café-concert de Saint-Malo. Voir : Mission des Minquiers.

Cours d'Ajot, Brest

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« Une moule (on dirait l’expression inventée pour lui). Sans autorité sur ses hommes que ça vexe d’être sous les ordres d’un pareil imbécile ; quand il est de service rien ne va ; les hommes lui répon-dent comme à un calfat et ne dit mot ; prend le parti de faire lui-même ce qu’il devrait comman-der de faire aux autres ; rappelle Auguste du Cirque en ce qu’il se donne beaucoup de mal pour n’arriver à rien : oubli le plus important pour le moins ; a d’ailleurs un air solennel et empressé et se précipite après un ordre donné, toujours du mauvais côté. Bref, inutile, encombrant et aga-çant »26 Dans un propos qui ne lui est pas coutumier, Rollet surnomme le quartier-maître Penhouet « l’homme-chien » et signe sur lui un portait dur : « (…) laid comme deux ou trois péchés capi-taux ; peu intelligent mais actif et zélé en diable ; exécute les ordres sans y comprendre un mot mais ponctuellement ; timide avec les supérieurs mais sait tenir les hommes (…) ».

Le clairon et cuisinier, coiffeur et ténor aussi, Jules Mortimort est croqué avec humour. Le cuisinier de « Messieurs les officiers » n’est pas épargné mais le ton verse dans l’humour :

« Veuf ; a ses enfants à Brest ; demande souvent à aller les embrasser et revient toujours dans un état d’attendrissement voisin de l’ébriété ; prétend qu’il ne boit pas (bien qu’il introduise à bord des bouteilles plus ou moins alcooliques) et que, s’il ne marche pas droit, c’est qu’il a un accès de fièvre qu’il a attrapée en voyageant ; sujet à des promenades nocturnes sur le pont en caleçon et en gilet de flanelle ; se pocharde quelques fois à bord et a du mal à embarquer dans le Ber-ton ».27

La surprenante invention de Monsieur Berton

26 Mission Dufour, p.6. 27 Mission Dufour, p.7.

Portraits des seconds maîtres

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Prolongeant sa pratique de l’illustration associée au texte descriptif, Rollet verse naturellement, pourrait-on dire, dans le 9ème art28 en réalisant sa première bande dessinée qu’il intitule « Essai sur le Berton ». La succession d’images est organisée pour raconter une histoire humoristique qu’un texte descriptif assez long vient éclairer. La scène imaginaire se déroule à Brest où le héros, le jeune Jules Berton, s’est oublié sur un rocher à marée basse quand la mer vint à mon-ter : « Ayant appartenu à la Marine, il avait avec lui son parapluie (…), un vrai parapluie comme les gens de Brest seuls peuvent en comprendre l’utilité. Il n’hésita pas, les moments étaient précieux, il l’ouvrit et revint à terre sain et sauf ». Ce personnage qui est d’un esprit suggestif va tirer de son aventure les déductions « les plus intéressantes et les plus scientifiques » : « Il s’enferma pendant plusieurs jours dans le silence de son cabinet (ce qui arrive quelque fois, n’en déplaise à Monsieur Zola) et n’en sortit qu’avec sa nouvelle dé-couverte destinée à révolutionner la marine en particu-lier tous les gens qui sont sur l’eau en général ».

L’invention consiste en un parapluie pratique transformable en bateau :

« Porté sous le bras, en deux morceaux, le mât sert de canne et l’ensemble vous donne assez l’air d’un ministre vu la ressemblance de l’appareil avec un portefeuille (…). Si Noé avait pos-sédé un objet de cette ingéniosité, il n’aurait pas eu à faire de la construction navale pour son arche et tous ses malheureux contemporains auraient pu braver la colère céleste rien qu’en ou-vrant leurs parapluies. Ainsi soit-il ».

Avec un humour enjoué, Rollet produit d’autres historiettes : le baiser volé29, la surprise désa-gréable ou l’improbable secours. Ces deux manuscrits inédits viennent enrichir abondamment l’iconographie disponible sur le Finistère. Rollet dont le caractère était connu pour être discret se fait plus dur dans son analyse de cette frange côtière de Bretagne. Une raison majeure nous semble pouvoir expliquer ce changement d’attitude surprenant. Rollet n’avait pas la sensibilité d’un Gauguin qui, fuyant Paris peu de temps avant lui, en juillet 1886, était venu chercher l’Eden primitif peut-être le plus réelle-ment rustique qu’il ait jamais connu30. C’est ainsi qu’il n’a pas réalisé de portraits de Molè-nais. Nous entr'apercevons une deuxième raison : ces deux carnets « bretons », sans autre des-tination que privée, sont l’expression d’un libre penseur tandis que le chercheur, au même moment, faisait de ce territoire le terrain de quelques-unes de ses plus importants travaux.

28 La bande dessinée est un art à la croisée de l’écriture littéraire et de l’écriture graphique. Elle est apparue en Suisse au début des années 1830 avec la parution des premiers albums de Rodolphe Töpffer, et s’est diffusée au cours du XIXe siècle dans le monde entier via les revues et journaux satiriques. À la fin de ce siècle, ce médium de masse assez diversifié aux Etats-Unis est de plus en plus restreint à l'humour et aux enfants en Europe. 29 « Missions des Minquiers ». 30 Gauguin s’était installé dans le petit bourg de Pont-Aven. À partir de 1891, les Tahitiens, qu’il découvrit dans une colonie tenue par des fonctionnaires et des missionnaires, étaient beaucoup moins rustiques.

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Les cartes et les réseaux souterrains de Brest, XIXe-XXe siècles Jean-Yves Besselièvre, historien Parmi les mythes liés à la ville de Brest, il en est un de particulièrement vivace : celui des souterrains. Ce sujet fait régulièrement l’objet d’articles ou de publications et alimente divers sites Internet1. Si la construction d’une ville nouvelle dans les années 1950 efface les traces du Vieux Brest, celui-ci ne disparaît pas totalement des mémoires malgré le deuil collectif. En de nombreux endroits, la nouvelle cité est bâtie sur des remblais importants lorsque sont comblés les vallons descendant vers les rives de la Penfeld. Des immeubles, des façades, des fortifica-tions sont ainsi ensevelies. Dès lors, pour certains, deux villes coexistent : l’ancienne enseve-lie et la nouvelle en surface. Cette situation particulière a probablement contribué à nourrir le mythe du Brest souterrain. Elle est remarquablement illustrée par le tableau de Pierre Péron, Brest dont il ne reste… rien. Au-delà de la « ville morte »2 ensevelie, les souterrains corres-pondent-ils à une réalité de la cité du Ponant ? Tunnels ferroviaires En l’absence de données pour les époques préhistorique, antique et médiévale, les souterrains brestois les plus anciens remontent au XIXe siècle3. L’arrivée du chemin de fer, en 1865, ouvre de nouvelles perspectives pour la Marine. Passée à l’ère industrielle de la propulsion à la va-peur et de la construction de navires cuirassés, ce nouveau mode de transport lui permet l'acheminement terrestre de charges lourdes et en volumes plus importants que par navires ou chalands via la rivière Penfeld. Pour ce faire, une jonction ferroviaire doit être réalisée entre le réseau ferré civil, aboutissant à l’extérieur de l’enceinte fortifiée, et les rives de la Penfeld. Un tunnel est ainsi percé sous le front bastionné Est du château, décrivant une large courbe abou-tissant près du bassin Tourville de l’arsenal. Afin d’acheminer les éléments véhiculés plus en avant dans la base navale, sans encombrer les quais étroits de la Penfeld, les ingénieurs mili-taires ont recours au percement de nouveaux tunnels. L’étroitesse de la Penfeld n’est en effet pas compatible avec le rayon de giration nécessaire au passage de convois ferroviaires. Un ensemble de 2 500 mètres de tunnels est alors percé afin de permettre le transport depuis les voies civiles, rive gauche, jusqu’au terre-plein de Laninon, rive droite. Un premier tunnel dé-bouche près du bassin Tourville, passant sous l'actuel boulevard des Français Libres ; un se-

                                                                                                                         1 Cf., entre autres, Le Point, 28/06/2012 ; Sept jours à Brest, 18/09/2013 ; Les Cahiers de l’Iroise, hors-série n° 1, Mystères du sous-sol brestois et vestiges d’autrefois, septembre 2013, 116 p. ; www.urbexbrest.discutbb.com (consulté le 04/12/2013) ; www.skyscrapercity.com/showthread.php ?t =740774&page =92. 2 Pierre Le Goïc, Brest en reconstruction : Antimémoires d’une ville, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2001, 352 p. 3 Le château, édifié principalement aux XVe et XVIe siècles, abrite des souterrains qui en fait n’en sont pas ! Il s’agit en effet de magasins aux orifices fermés par l’aveuglement de niveaux médiévaux en rez-de-chaussée à l’occasion des travaux d’aménagement de l’édifice, ou de casemates aménagées à l’intérieur du bastion Sour-déac. Voir Jean-Yves Besselièvre, « Les souterrains du château », in Les Cahiers de l’Iroise, hors-série n° 1, op.cit., p. 59-71.

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cond chemine sous les corderies, l’ancien bagne et l’hôpital maritime, débouchant près de la Brasserie ; un troisième est ouvert sous le plateau du Bouguen ; un quatrième relie l’Arrière-Garde à la Montagne du Salou en passant sous les fortifications de Quéliverzan ; un cin-quième chemine sous le plateau des Capucins, débouchant près des formes de radoub de Pon-taniou ; quant au dernier, long de plus de 500 mètres, il relie les formes de Pontaniou à Lani-non où se trouve le port hors Penfeld. Cet important réseau ferré souterrain est utilisé jusqu’au XXe siècle, il est aujourd’hui abandonné. Situés en zone militaire, ces souterrains ont pour particularité de n’être pas accessibles au public4. Cette situation a probablement contribué à les rendre mystérieux à ceux qui n’en connaissaient pas l’usage, ainsi qu’à ceux qui n’en per-çoivent aujourd’hui que les ouvertures pénétrant dans le sous-sol de la ville. Seconde guerre mondiale L’un des tunnels ferroviaires de la cité connaît un nouvel usage lors de la Seconde Guerre mondiale, marqué à Brest par de nombreux bombardements aériens de 1940 à 19445. Face aux effets dévastateurs des bombardements britanniques contre les croiseurs allemands Scharnhorst et Gneisenau, en 1941-1942, la construction de grands abris de Défense passive est envisagée6. La construction de quatre abris est programmée afin d’accueillir 80 % de la population mais, face au coût d’un tel projet, le gouvernement de Vichy n’autorise la cons-

                                                                                                                         4 Sur ces tunnels ferroviaires, voir http://patrimoine.region-bretagne.fr/sdx/sribzh/main.xsp?execute=show_document&id=MERIMEEIA29004698 et http://www.tunnels-ferroviaires.org/inventaire.htm#29 (consultés le 05/12/2013). 5 Jean-Yves Besselièvre, « Les bombardements de Brest (1940-1944) », in collectif, Les bombardements sur la France durant la Seconde Guerre mondiale : stratégies, bilans matériels et humains, Cahiers du Centre d’étude d’histoire de la Défense, n° 37, Vincennes, 2009, p. 103-124. 6 Jean-Yves Besselièvre, « La Défense passive en France (1930-1944). L’exemple de Brest », in Revue histo-rique des armées, n° 4, 1998, p. 97-103.

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truction que de deux abris pour 40 % de la population. Il s’agit des abris Sadi Carnot et Wil-son. La Marine décide alors d’ouvrir le tunnel ferroviaire de Recouvrance à la population ci-vile ; un nouvel accès est ouvert à cet effet, communiquant avec la ville côté Recouvrance. Lors de la guerre, l’occupant allemand réalise le percement de plusieurs ensembles souterrains destinés à abriter personnels et installations. Parmi ceux-ci, deux retiennent l’attention en rai-son de leur importance. Le premier est percé sous l’École Navale (actuel Centre d’Instruction Naval)7 dominant la rade-abri de Laninon ; il abrite notamment un vaste hôpital souterrain en liaison avec les ouvrages défensifs du point d’appui de l’École Navale. Le second est aména-gé sous le plateau du château. Quatre grands souterrains sont en effet creusés depuis le terre-plein édifié au pied du château. Ces souterrains sont constitués d’alvéoles rayonnant autour d’un tunnel central ; au total, ces espaces représentent 8 000 m² au sol8. Guerre froide Dans les années qui suivent la fin de la Seconde Guerre mondiale, les souterrains allemands du château sont occupés et aménagés par la Marine Nationale qui recherche les moyens de

                                                                                                                         7 Glad, Ensemble fortifié (Stützpunkt « Marineschule » ou « U-Boot Haffen ») (B 113-119), www.patrimoine.region-bretagne.fr/sdx/sribzh/main.xsp ?execute =show_document&id =MERIMEEIA29001593, voir également Guillaume Lécuillier (dir.), Jean-Yves Besselièvre, Alain Boulaire, Didier Cadiou, Christian Corvisier, Patrick Jadé, Les fortifications de la rade de Brest : défense d’une ville-arsenal, collection « Cahiers du Patrimoine », Presses Universitaires de Rennes, 2011, 392 p. 8 Jean-Yves Besselièvre, « Les souterrains du château », art.cit., p. 59-71.

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protéger ses installations vitales face aux effets des bombardements aériens et notamment des bombardements par l’arme atomique. Depuis, ils accueillent le poste de commandement de la Marine pour l’Atlantique et, après 2000, le poste de commandement de la Force Océanique Stratégique9. De même, l’abri Sadi Carnot est aménagé dans les années 1960 pour constituer un abri antiaérien capable de résister à un bombardement atomique. L’aménagement le plus représentatif de cette époque est celui des imposantes portes anti-souffle toujours en place. Les Travaux Maritimes, qui ont joué un rôle prépondérant dans la construc-tion des grands abris de Défense pas-sive10 lors de la guerre, étudient l’enterrement des infrastructures en profondeur. En 1946, 1948 et 1951, une série de plans révèle les projets de la Marine Nationale et leur évolution. Dans la version de 1946 de ce projet, l’élément souterrain principal se com-pose d’un tunnel de plus de sept kilo-mètres reliant l’Arrière-Garde au Port-zic. À partir de cet axe de communication, plusieurs milliers de mètres carrés d’ateliers et de magasins sont creusés sous le plateau de Saint-Pierre, entre Le Rouisan à l’Est et Kerastel à l’Ouest. L’autre installation souterraine majeure concerne le Portzic où sont envisagés deux bassins sous roc ainsi qu’un parc à mazout et à huile. Le plan de 1951 est beaucoup plus mo-deste et ne semble pas avoir été mis en application dans sa totalité. Parmi les installations ef-fectivement réalisées figure la station de pompage des bassins de Laninon et la centrale élec-trique souterraine du Portzic11 destinée à alimenter la base navale en temps de guerre12. Les quelques exemples présentés ici attestent l’existence d’un Brest souterrain sous la ville reconstruite. Ces espaces sont absents de la cartographie de la cité car inaccessibles et secrets pour nombre d’entre eux du fait de leur fonction. Le mythe rejoint donc la réalité, même si celle-ci n’est pratiquée que par un nombre limité de personnes. Parmi les souterrains évoqués, seul l’abri Sadi Carnot est en effet accessible au public. Il abrite depuis 2010 un mémorial pour la paix qui évoque la vie des brestois sous l’occupation, les bombardements et la catas-trophe de septembre 194413. Il offre ainsi une plongée dans la vieille ville enfouie, ainsi que dans sa mémoire.                                                                                                                          9 Stanislas Du Guerny, « Sous le château de Brest, le PC des sous-marins nucléaires », in Les Échos, 12 août 2010, www.lesechos.fr/12/08/2010/lesechos.fr/020734368903_sous-le-chateau-de-brest--le-pc-des-sous-marins-nucleaires.htm (consulté le 05/12/2013). 10 Jean-Yves Besselièvre, « La Défense passive en France : l’exemple de Brest », op. cit. 11 J.-P. Madec, R. Ropars , « Un grand chantier : la centrale du Portzic », in L’Écho de Saint-Pierre, n° 52, mars 1993, et n° 53, avril 1953, J.-P. Madec, R. Ropars, « La centrale électrique souterraine du Portzic », in L’Écho de Saint-Pierre, n° 195, septembre 2007. 12 Michelle Bennetot, « Problèmes de l’industrialisation de la région de Brest », in L’information géographique, volume 29, n° 3, 1965, pp. 104-110. 13 www.brest.fr/culture/patrimoine/labri-sadi-carnot.html (consulté le 28/05/2014).  

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Les  réseaux  souterrains  repérés  à  Brest  

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Sur la carte de Cassini : un pont au milieu de nulle part ! L’énigmatique Pont-Blanc de Pouléder en Plouzané

Jean-François Simon, ethnologue, Centre de Recherche Bretonne et Celtique, UBO, Brest

Sur la carte de Cassini n°175, au beau milieu de la vaste zone dépressionnaire située entre les communes actuelles de Guilers et de Plouzané, apparaît un signe conventionnel qui révèle l’existence d’un pont sur la partie supérieure du cours de l’Aber Ildut. Le peu de déclivité de ce fond de vallée fait que les eaux s’en échappent

Sur  la  carte  de  Cassini  n°  175  :  sur  le  cours  supérieur  de  l'Aber  Ildut,  un  pont  au  milieu  de  nulle  part.  Col.  CRBC-­‐UBO  

Carte des ingénieurs géographes du Roi, le nom du pont est indiqué. IGN

Plan directeur de Brest, 1910, col. CRBC-UBO. Le pont a disparu, il n'a plus de raison d'être depuis la capture supérieure de l'Aber Ildut, dirigé vers la Penfeld

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difficilement, accentuant le caractère humide de la zone, la rendant finalement assez répulsive : un pont à cet endroit qu’aucune route ne paraît joindre, ne manque pas d’interroger.

L’examen d’une carte détaillée dressée par les géographes du roi dans les années 1772 révèle que ce pont est à l’époque dénommé « Pont-Blanc ».

Il s’agit ici de questionner une telle désignation et de chercher à l’expliquer, en avançant l’hypothèse que cette "couleur" donnée au pont, ne ferait pas état d’une coloration effective mais agirait plutôt comme un signal renforcé de l’idée du passage.

C’est entendu : les ponts permettent de passer, physiquement, d’une rive d’un cours d’eau à l’autre mais ils n’ont pas cette seule fonction pratique ; ils autorisent aussi, symboliquement, le "passage" entre deux mondes qui habituellement ne se rencontrent guère : l’ici-bas et l’au-delà. De fait, l’idée de mort n’en est jamais bien éloignée… Celle-ci peut évidemment y survenir, matériellement, et les rappels d’accidents et surtout de suicides sont là pour en témoigner ; ne dit-on pas,

par exemple, qu’à Plougastel « avant [la construction du pont de l’Iroise] l’espérance de vie sur le pont [Albert-

Louppe] était de sept minutes » !1 Évidemment une telle assertion s’avère difficilement vérifiable d’un point de vue expérimental : dans ces conditions, maintenir l’affirmation révèle que l’on est déjà passé dans le champ du légendaire, lequel est manifeste quand il est question de la nécessité d’emmurer des sacrifiés pour assurer la solidité des ponts. Des récits qui mentionnent le fait ont été collectés en Bretagne comme partout en Europe.

Le motif légendaire de la victime emmurée

L. F. Sauvé rapporte, par exemple, comment il a fallu consentir au sacrifice d’un jeune garçon pour assurer la pérennité du pont de Rosporden2. René Kerviler signale un fait comparable à propos du Pont-Callec, « situé entre Caudan et Le Faouët »3. François Marquer fait état d’un

                                                                                                                         1 Chantal Degardin, Chemins, circuits et paysages. Acteurs des lieux : état des liens, Mémoire de maîtrise, Brest, Université de Bretagne Occidentale, 1999, p. 44. 2 L. F. Sauvé, « Le Pont de Rosporden », Mélusine. Revue de mythologie, littérature populaire, traditions et usages, tome IV, n° 1, janvier 1888, colonne 117. Toutefois, C. du Chalard, dans « Le Pont de Rosporden », Revue de Bretagne et de Vendée, tome VIII, 1860, p. 40-43, parle de la nécessité de ce « sacrifice » pour consolider une digue dont la construction a été décidée pour contenir l’étang. 3 René Kerviler, « Le Pont Callec », Revue des traditions populaires, tome VI, 1891, p. 288.

La vallée de l'Aber Ildut un matin d'automne. Le Pont Blanc était situé, entre Plouzané et Guilers, à proximité du bosquet d'arbres émergeant de la brume. Cliché J.-F. Simon

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récit du même ordre, relatif à la construction d’un pont qu’il ne localise pas avec précision, mais dont il assure cependant qu’il se situe « dans les environs de Pontivy »4.

Les folkloristes ont fait de ces récits une interprétation inspirée des théories évolutionnistes de leur temps. Ils les ont expliqués en s’appuyant sur le concept de survivance : ils se sont fondés sur l’idée que la culture populaire aurait pu garder le souvenir d’usages anciens dont elle aurait cependant perdu la signification première, les relatant par conséquent avec la plus grande fantaisie.

Ils ont donc collecté de tels récits, avec l’intention d’y mettre (leur) bon ordre, conjecturant à leur sujet une mise en perspective chronologique, laquelle ne manquerait pas de leur donner du sens, de dépasser leurs manifestes invraisemblances. La construction théorique qui devait étayer une telle proposition était fondée sur un indubitable adoucissement progressif des mœurs, dû, pensaient-ils, à l’évolution globale de l’humanité, au progrès incontestable de la civilisation5.

En mettent l’accent sur la nécessité de procéder au décodage symbolique des récits de ce type, l’ethnologie contemporaine en propose une tout autre exégèse. Ainsi, Jean Cuisenier qui s’interroge : « Peut-on […] traiter la légende comme le simple récit de ce qui se serait autrefois passé ? » À cette question, il répond par la négative :

« [La légende] prend les formes qui lui sont propres, celle d’un genre littéraire, et non celles d’un genre pragmatique. […] [Elle] dit que, pour durer, une construction [un pont par exemple] doit être animée, qu’elle doit recevoir une âme et une vie »6.

C’est en effet une idée qui existe par exemple en Léon où je l’ai entendue, exprimée sous une autre forme littéraire, en l’occurrence un proverbe. Au moment de prendre possession d’une maison neuve, ne dit-on pas en effet : Pep ti nevez e-neus e damm, « Chaque maison neuve à son morceau », c’est-à-dire son premier mort…

Pour en revenir aux ponts, il peut aussi exister dans leur voisinage d’autres manifestations du monde supra-sensible : je veux parler des revenants qui semblent s’y manifester volontiers.

                                                                                                                         4 François Marquer « Les Ponts (suite). Rites de la construction », Revue des traditions populaires, tome VII, n° 2, 1892, p. 65-66. 5 Cf. par exemple Paul Sebillot, Les travaux publics et les mines dans les traditions et les superstitions de tous les pays, Paris, J. Rothschild, 1894, p. 175. 6 Jean Cuisenier, La maison rustique, Paris, PUF, 1991, p. 200-201.

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Le pont : un lieu de rencontre avec les revenants

Plusieurs ponts du Morbihan, rapporte Paul Sébillot, passent pour être hantés par des esprits qui se plaisent à jouer de méchants tours à ceux qui y passent à certaines heures de la nuit7. Une illustration probante d’une telle croyance est fournie par le recensement exhaustif que Zacharie Le Rouzic a fait à Carnac, au début du 20e siècle8. Il identifie ainsi 79 revenants, expressément référencés par rapport aux lieux où ils sont supposés sévir : ils « se tenaient sur ou dans le voisinage immédiat des passages à gué ou à pont de nos petits ruisseaux, près des mares d’eau et dans les chemins creux ». Pour être plus précis, un comptage minutieux des occurrences relevées par Z. Le Rouzic fait apparaître que 38 de ces 79 revenants se tiennent aux abords d’un gué ou sur un pont dont le franchissement s’avère du coup hasardeux.

Le plus souvent désigné par spontailh, « revenant » ou par paotr, « garçon », ils sont, à l’instar des lutinet et autres viltañsoù dont on entend parler ailleurs en Bretagne bretonnante, des êtres protéiformes et polymorphes, c’est-à-

dire pouvant changer et de forme et de taille, même s’ils apparaissent le plus souvent sous l’allure d’un animal, surtout et dans un ordre décroissant d’importance : d’un chien, d’un mouton, d’un lièvre, d’un chat, d’un cheval, etc. Ainsi « Pautr-pon-er-Meneh. - Garçon du Pont du Moine. […] [qui apparaissait] sous forme de mouton, de chèvre blanche, de chien et de chat. Il aimait jeter les passants attardés dans le ruisseau »9. Car tel est le genre de désagrément auquel s’exposent les passants, quand ils ne doivent les prendre en charge et qu’ils les sentent alors peser lourdement sur leurs épaules !

La couleur que revêtent ces spontailhoù et paotred est rarement indiquée par Z. Le Rouzic : cinq fois seulement ! Mais dans quatre cas, il s’agit de la couleur blanche, la couleur habituelle des revenants, la couleur qui, par définition, caractérise aussi la dame blanche… Celle du pont de Plougastel par exemple, dont tout le monde dans la région brestoise a entendu parler. Ou encore celle du pont du Moros à Concarneau dont Fañch Postic me signale qu’elle a défrayé la chronique locale en 1978. Il s’agit là d’un motif légendaire ancien mais son actualisation en fait aujourd’hui une légende dite urbaine ou contemporaine, largement

                                                                                                                         7 Cf. Paul Sébillot, Les travaux publics…, op. cit., p. 197. 8 Zacharie Le Rouzic, Carnac. Légendes, traditions, coutumes et contes du pays, Nantes, Dugas, 1909. 9 Zacharie Le Rouzic, Carnac. Légendes…, op. cit., p. 83.

La quête d'un folkloriste, Zacharie Le Rouzic, dont la collecte exhaustive à Carnac nous renseigne sur les représentations liées au pont, au début du XXe siècle

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répandue, connue, cataloguée E 332.3.3.1 et étudiée sous le nom de l’histoire de « L’auto-stoppeur fantôme »10.

Ainsi, les ponts sont-ils, pour reprendre une expression d’Audrey Lima-Dubos, des « lieux d’extrême marge »11, des lieux où tout est possible, à savoir :

• la traversée prosaïque vers l’autre rive, ce qu’il advient – heureusement – le plus souvent ;

• mais aussi, pour les vivants, un passage possible vers l’au-delà ;

• et, pour les morts, un retour éventuel vers l’en-deçà.

Pas trop de surprise que, dans de telles conditions, le pont puisse revêtir à l’occasion, symboliquement, la parure blanche qui caractérise habituellement les manifestations liées aux passages et aux rites de passages : que, par conséquent, le pont lui-même puisse être qualifié de « blanc » !

Les Pont-Blanc, signaux renforcés de l’idée de passage ?

L’examen de la Nomenclature des hameaux, écarts et lieux-dits des départements bretons éditée par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSÉÉ), permet de repérer en Bretagne l’existence d’un certain nombre de ponts « colorés ». Il existe en effet des Pont-Blanc ou Pont-Guen, des Pont-Rouge, des Pont-Noir ou Pont-Du, des Pont-Vert et même un Pont-Rose, à Theix, près de Vannes. Les Pont-Glaz, Pontchou-Glaz et autres Pontyglas posent question. De tels toponymes sont composés du mot pont « pont » et d’une forme issue du mot glas, lequel peut être traduit par « vert », « bleu » ou « gris », mais aussi par « schiste, ardoise ». Comme il existe effectivement des Pont-Men ou Pont-Min, c’est-à-dire des ponts de pierre, les Pont-Glaz renvoient plus vraisemblablement à la manière de leur construction qu’à une volonté de qualifier la construction d’une indication chromatique. En conséquence, de tels toponymes n’ont pas été retenus, pas plus que les Pont-à-Guen et Pont-ar-Guen que j’ai hypothétiquement considérés comme faisant référence à un patronyme, un dénommé Le Guen.

                                                                                                                         10 Cf. Véronique Campion-Vincent et Jean-Bruno Renard, Légendes urbaines. Rumeurs d’aujourd’hui, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2002 [1992]. 11Audrey Lima-Dubos, Essai d’interprétation ethnologique de la référence au "blanc" dans l’imaginaire collectif de nos sociétés occidentales, Mémoire de maîtrise, Université de Bretagne Occidentale, Brest, 2003, p. 84.

Pont Guen, le "Pont Blanc" sur le Stein à Quéménéven. Cliché J.-F. Simon

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Dans le cadre précis de mon intervention, je me suis limité à une enquête concernant les Pont-Blanc ou encore Pont-Guen, une enquête bien incomplète à vrai dire, puisque, dans l’état actuel des choses, je n’ai recensé que deux Pont-Blanc qui soient supports de motifs

légendaires : pas de surprise cependant car ils cristallisent à leur endroit toutes les croyances que nous avons mentionnées précédemment. Ainsi, le Pont-Blanc qui enjambe l’Ellé au Faouët : « On aurait », rapporte Donatien Laurent, « enfermé dans la maçonnerie un enfant muni d’un pain et d’une chandelle allumée »12. Il en va de même du Pont-Guen qui franchit le Steir à Quéménéven : une dame blanche y aurait sévi qui noyait les passants s’y aventurant nuitamment13.

Il existe bien d’autres Pont-Blanc : ils sont plus nombreux à être ainsi "colorés" que tous les autres réunis : ils sont particulièrement bien représentés dans la toponymie, en Trégor, entre Finistère et Côtes-d’Armor… À vrai dire, je n’ai pas mené l’enquête, sinon de très loin et n’ai rien trouvé pour l’instant les concernant : je suis évidemment preneur de toute information éventuelle à leur sujet…

                                                                                                                         12 Donatien Laurent, Récits et contes populaires de Bretagne/1, Paris, Gallimard, 1978, p. 19. 13 Georges-Michel Thomas, « Coutumes, croyances, légendes bretonnes », Arts et traditions populaires, 1965, p. 62-63.

Ponts colorés de Bretagne, d'après la toponymie. Carte dressée avec l'aide de Gilles Couix

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Enfin, que dire du Pont-Blanc qui nous retient plus particulièrement aujourd’hui, celui de Plouzané ? Il apparaît curieusement au milieu de nulle part sur la carte de Cassini, et ce sont donc les relevés effectués par les ingénieurs géographes du roi, vers 1772, qui lui fournissent un nom… Il a aujourd’hui totalement disparu, englouti depuis longtemps dans les bouleversements que ce fond de vallée a connus depuis la fin du 18e siècle : ainsi, il n’existe plus au début du 20e, sur la carte au 1/10 000e du Plan directeur de Brest. Le cours supérieur de l’Aber Ildut a été capturé pour alimenter les forges de la Villeneuve du côté de Penfeld. Ainsi donc, au sujet de ce Pont-Blanc de Pouléder, nous n’avons d’autre témoignage que celui donné par la carte, aucun récit légendaire qui puisse venir argumenter mon interprétation de la "couleur"» blanche donnée aux ponts…

Cependant, si l’on remonte le cours du ruisseau, celui qui a été détourné vers la Penfeld, on pénètre très vite dans une zone qui paraît ouvrir plus que toute autre, sur le monde de l’au-delà : on arrive ainsi à un moulin à eau dit de Coadénès, où, dans les

A l'emplacement du Pont Blanc, la rigole de Castel-an-Daol, capture provoquée du cours supérieur de l'Aber Ildut vers la Penfeld. Cliché J.-F. Simon

Cadastre de 1842, section F, mairie de Plouzané. Le moulin de Coadenez ou "moulin du diable"

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années 1830, Jean-François Brousmiche nous invite à nous arrêter un instant :

Reposez-vous avec moi au Moulin du Diable, lieu presque désert que la crédulité populaire peuple d’habitants des séjours infernaux. C’est une grande preuve de fermeté d’âme, de courage, que d’oser passer, à nuit close, près de ce moulin. Lucifer, Asmodée, les farfadets, les lutins s’y donnent rendez-vous ; ils vous guettent et, si dans les soirées orageuses de l’été, quelques gaz délétères se dégagent des marais de Bodonnou [village situé en aval], s’ils viennent briller aux yeux de nos simples agriculteurs, ils recommandent leurs âmes à la miséricorde divine et ne cessent de prier le ciel que quand ils ont franchi ce redoutable passage.14

Si l’on remonte encore un peu plus le ruisseau, on arrive alors au manoir de Coadénès,

connu dans le pays sous l’appellation, ô combien suggestive, de ti an diaoul, la « maison du diable »… je ne m’attarde pas ici sur tout ce que l’on peut raconter dans le pays à son sujet. Quelques dizaines de mètres encore, et on arrive à la source dont le réceptacle se cache aujourd’hui sous des pierres tombales et qui porte le nom évocateur de… « fontaine du diable » !

Jean-François Brousmiche n’a vraisemblablement pas entendu les habitants du coin lui parler de farfadets ni de lutins : par contre, si du moins il a porté attention aux propos des indigènes, sans doute les a-t-il entendu évoquer les viltañsoù : c’étaient dans l’extrême Bas-Léon, des créatures maléfiques qui, pensait-on, attiraient vers les poulloù-dour, « trous d’eau » et autres toulloù-kirin, « fondrières », l’infortuné jouet de leurs enchantements, lequel y risquait alors sa vie, que ce fut par noyade dans les « trous d’eau » ou par engloutissement dans les « fondrières »…

                                                                                                                         14 Jean-François Brousmiche, Voyage dans le Finistère en 1829, 1830 et 1831, Quimper, Morvran, p. 12. Cf. Jean-François Simon, « Aux sources de l’Aber Ildut, les marécages fascinants de la "Petite-Russie" », dans Marais en Bretagne (Gaël Milin, dir.), Brest, Centre de Recherche Bretonne et Celtique, 1998, p. 163-189.

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Plus que tout autre espace, ces marais de Coadénès, et ceux de Bodonou qui leur font suite, plus en aval, étaient considérés comme des lieux redoutables qui justifient qu’aujourd’hui ils soient qualifiés de « Petite Russie », tant leur aspect demeure… « sauvage » : c’étaient des lieux qui paraissaient se situer aux marges du monde humain et où, sans être mort, il arrivait que l’on côtoyât le monde des morts ou du moins celui des puissances de l’au-delà, notamment celle du diable puisqu’on y trouvait, on vient de le voir, sa maison, son moulin et même sa fontaine. D’autres images mentales, sans doute moins spectaculaires, mais en fait tout aussi impressionnantes pour celles et ceux à qui elles parlaient, ont dû faire que, fut un temps, le diable était représenté, "planant" véritablement au-dessus de cette zone... Selon A. Croix, les 16e et 17e siècles ont « une vision profondément manichéenne du monde qui interprète le Bien et le Mal, le danger, en termes de Bon esprit et Mauvais esprit, lisons, en termes plus orthodoxes, Dieu et le diable »15. Les contemporains conçoivent, explique-t-il par exemple, la foudre, l’orage et le tonnerre comme étant des manifestations du Mal personnifié... De telles conceptions, affirme-t-il, perdurent encore aux siècles suivants. Ne dit-on pas en effet, à Coadénès précisément, que quand le tonnerre gronde, c’est le diable qui joue aux boules sur le toit ?

En 1835, A. Bouët rapporte la croyance, d’après lui répandue en Bretagne, selon laquelle, dans le « perfide marécage » les fondrières ont été creusées par le tonnerre : chacun de ces

                                                                                                                         15 Alain Croix, La Bretagne aux 16e et 17e siècles. La vie - La mort - La foi, Paris, Maloine, 1981, p. 1070-1071.  

Entre Plouzané et Guilers, la vallée de l'Aber Ildut : une vaste zone humide et "sauvage" qui lui vaut d'être aujourd'hui gratifiée du nom de Petite Russie, une appellation non cadastrée qui est en elle même évocatrice des constructions de l'imaginaire dont cette zone est porteuse

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trous, précise-t-il, est en conséquence appelé « toul ar gurun », littéralement un « trou de tonnerre ». Il ajoute :

Lorsque gronde un orage, c’est, croient les paysans, parce que l’âme d’un méchant, échappée de la fondrière, parcourt les airs sur les vents déchaînés. Ils ne manquent pas alors de dire, effrayés par ce sinistre présage : É ma guillou och ober he dro, neventi a vo ! Voilà le diable qui fait sa tournée, il y aura du nouveau16.

Ainsi, les toulloù-kirin sont-ils plus exactement des toulloù-kurun, ou du moins ont-ils pu, naguère, avoir été pensés de la sorte. Même s’ils ne sont plus compris comme tels aujourd’hui, ni même dans un passé proche, ils témoignent de la manière dont on pouvait concevoir, dans les marécages, les manifestations de la présence satanique : autour de Coadénès bien sûr, mais pareillement, par extension, partout où pouvaient exister de telles formations naturelles.

On l’aura compris : une charge symbolique extrêmement lourde pèse sur toute cette zone et on peut concevoir que des moyens ont été envisagés pour se garantir des effets néfastes qui pourraient en résulter : c’est possiblement la coloration blanche donnée symboliquement au pont de Pouléder, qui pourrait donc en de tels lieux agir comme un signal renforcé de l’idée du passage et donc potentiellement de danger.

Si l’on ne peut, en l’état actuel des connaissances, évaluer l’importance de ce pont à la fin du 18e siècle, ni justifier son rôle en tant qu’infrastructure d’une route qui paraît à peine fixée dans sa traversée d’une terre vaine et vague, on peut plus généralement s’interroger sur la « fonction taxinomique de la couleur »17 quand elle vise à organiser les espaces de circulation : en d’autres termes et pour rester dans la thématique de cette journée d’étude, il est permis de concevoir l’existence d’une cartographie mentale colorée, une sorte de codification routière dont la découverte, à l’instar de ce que je viens de proposer pour les ponts « blancs », permettrait aussi de comprendre pourquoi, en toponymie, faut-il que certaines croix soient « rouges » et certains poteaux, « verts » ?

Nous exprimons nos sincères remerciements au professeur Yannick Lageat pour nous avoir procuré le document original de la carte de Cassini

 

                                                                                                                         16 Alexandre Bouët et Olivier Perrin, Breiz-izel ou vie des Bretons de l’Armorique, Quimper, Société Archéologique du Finistère, 1977 (1ère édit. : 1835), p. 28.  17 Michel Pastoureau, Couleurs, images, symboles. Études d’histoire et d’anthropologie, Paris, Le Léopard d’Or, 1989, p. 66.

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Les fonds de la bibliothèque de l’abbaye de Landévennec et du Service His-torique de la Défense-Brest Catherine Abéguilé-Petit, IGE (2013-2014), UBO

Les bibliothèques et services d’archives du Finistère (Bibliothèque d’Étude à Brest, Centre de Recherche Bretonne et Celtique de l’UBO, entre autres) conservent de magnifiques fonds de cartes historiques ayant parfois fait l’objet d’expositions mais qui demeurent malheureuse-ment bien souvent trop peu connus du grand public. Nous avons fait le choix de présenter deux de ces fonds, un peu secrets et pourtant ouverts à tous.

L’abbaye de Landévennec

Le fonds cartographique de l’abbaye de Landévennec se compose d’atlas anciens, de cartes terrestres et maritimes. L’atlas le plus ancien a été réalisé par les auteurs, graveurs et impri-meurs hollandais Kaspar et Matthaus Merian et il est intitulé Topographia Galliae, ses quatre tomes présentent une géographie de la France entière avec des cartes et des gravures de nom-breuses villes dont Brest, Concarneau, Nantes, Saint-Malo…

K.  et  M.  Merian,  Topographia  galliae,  1660-­‐1663  

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Plus récent, l’Atlas itinéraire de Bretagne de l’ingénieur-géographe Jean-Baptiste Ogée (1728-1789), qui est paru en 1769, permet à l'auteur de poursuivre son travail par le Diction-naire historique et géographique de la province de Bretagne, publié en quatre tomes de 1778 à 1780 et réédité au milieu du XIXe siècle.

D’autres atlas permettent d’élargir les horizons, tel celui du père Paulin de Saint-Barthélémy (1748-1806), intitulé Atlas pour servir au voyage aux Indes orientales, publié en 1808. Cer-taines publications ont un caractère historique plus marqué, comme l’Atlas de l’histoire du Consulat et de l’Empire dressé et dessiné sous la direction d'Adolphe Thiers, en 1875.

Ogée,  Atlas  itinéraire  de  Bretagne,  1769  

A.  Thiers,  Atlas  de  l'histoire  du  Consultat  et  de  l'Empire,  1875  

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La plupart des cartes de la bibliothèque sont sur des feuilles volantes, souvent extraites d’atlas. Les trois plus anciennes cartes sont de la main du pilote hollandais Lucas Waghenaer (vers 1533-v.1663). Rehaussées de couleur, elles furent publiées dans l’édition latine du Spieghel der Zeevaerd, en 1586.

L.  Waghener,  Spieghel  der  Zeevaerd  

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R. Bonne, Atlas encyclopédique... 1787-1788

La bibliothèque conserve également 120 cartes de l’ingénieur hydrographe Rigobert Bonne (1727-1795) parmi les 140 qui composent son Atlas encyclopédique, contenant la géographie ancienne, et quelques cartes sur la géographie du Moyen-Age, la géographie moderne et les cartes relatives à la géographie physique (1787-1788).

Citons rapidement quelques autres cartographes dont les travaux enrichissent le fonds de l’abbaye :

-­‐ Guillaume Blaeu (1571-1638) -­‐ l’ingénieur hydrographe Jacques Bellin (1703-1772) et son Essai géographique sur les

isles britanniques contenant une description de l’Angleterre, l’Ecosse et l’Irlande… (1757) ou son Petit atlas maritime, recueil de cartes et plans des quatre parties du monde, tome III de 1764

-­‐ César-François de Cassini de Thury (1714-1784), avec la deuxième édition (début XIXe siècle) de son œuvre monumentale intitulée Carte générale de la France, qui a donné naissance aux cartes d’État-major

-­‐ Charles-François Beautemps-Beaupré (1766-1854), ingénieur hydrographe de la Ma-rine française et son Pilote français (environs de Brest) de 1822.

Il faut souligner que la plupart de ces cartes font partie d’un don très important effectué par le docteur Louis Lebreton, bibliophile averti, qui décida, dès 1951, de léguer par contrat sa bi-bliothèque à l’Abbaye de Landévennec du nouveau monastère de laquelle la construction était

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en cours. Le docteur Lebreton a continué jusqu’à la fin de ses jours, en 1991, à apporter de nouveaux ouvrages, de nouveaux documents et à aider à leur classement. Le fonds cartographique du Service Historique de la Défense Les fonds de cartes et d’atlas anciens du Service Historique de la Défense de Brest doivent essentiellement leur richesse à l’héritage de l’Académie de Marine : sous les règnes de Louis XV et Louis XVI, rois savants et promoteurs des sciences, la France a connu un engouement exceptionnel pour le domaine scientifique. L’Académie de Marine, créée en 1746 à l’initiative du capitaine d’artillerie Sébastien Bigot de Morogues, fait participer Brest à la recherche scientifique la plus avancée de son temps, dans tous les domaines, bien au-delà des cabinets du port de Brest, pour une véritable universalité des sciences. Mais contrairement aux autres académies du pays, l’Académie de Marine ne sera pas rétablie après la Révolution.

En l’An III de la République, Jacques Cambry, président du district de Quimperlé, assiste, impuissant et consterné aux pillages des collections artistiques et des bibliothèques du nou-veau département du Finistère par des maraudeurs de tous poils.

« Les crimes de l’ignorance, d’une insouciance inconcevable succédaient à ceux de la brutalité de quelques écoliers féroces. J’aurais voulu me trouver sur tous les points de la République, sauver tant de monuments précieux à l’histoire, aux bons cœurs »,

écrivit-il1. Mais il ne put rien faire de plus que consigner ce qu’il voyait disparaître. Le 3 fri-maire An III, rentré dans l’enceinte du port militaire de Brest, après avoir obtenu un billet de l’agent maritime de faction, il visite les salles désertes de l’Académie de Marine. Un décret de la Convention du 27 pluviôse An II avait déterminé que les bibliothèques et les instruments relatifs à la Marine resteraient dans les ports où ils étaient rassemblés : interdits au public, les locaux de l’Académie de Marine furent préservés. Cambry observe les instruments de naviga-tion et de relevés des plus grands explorateurs de son temps : La Pérouse, d’Entrecasteaux… Dans les rayonnages de la bibliothèque, il découvre les ouvrages scientifiques contemporains et ceux des époques passées : 1800 ouvrages, 3600 volumes, en français, latin et grec. Que reste-t-il aujourd’hui de l’activité déployée par l’académie des Lumières ? Une centaine de registres manuscrits (dont les registres des séances et les mémoires) conservés au Service His-torique de la Défense à Vincennes et l’essentiel de la bibliothèque, 1436 ouvrages représen-tant 3683 volumes conservés au SHD-Brest. Quelques instruments scientifiques et modèles de machines sont déposés au musée de la Marine à Paris.

De tous les auteurs, si nombreux, deux ont retenu notre attention

                                                                                                                         1 Jacques Cambry, Catalogue des objets échappés au vandalisme dans le Finistère, publié par ordre de l’administration du département, éd. H. Caillière, Rennes, 1889. Ouvrage consultable sur Gallica :http://catalogue.bnf.fr/ark:/1148/cb30188747q

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Le cartographe néerlandais Abraham Ortell, dit Ortélius, est né en 1527 et mort en 1598, il est considéré comme l’un des fondateurs de la science cartographique. L’Académie de Marine avait acquis son Theatrum orbis terrarum, seconde édition de 1589, c’était un ouvrage qui eut un grand succès à la Renaissance, où il fut consi-déré comme le livre le plus cher de son temps, 32 florins, mais au siècle des Lumières il était devenu surtout un ouvrage de curiosité.

A.  Ortell,  portrait  par  P.  P.  Rubens  

Theatrum  orbis  terrarum,  carte  de  France  

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Theatrum  orbis  terrarum,  carte  de  l'Islande  

Theatrum  orbis  terrarum,  monstres  marins  

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Jean-Baptiste d’Après de Mannevillette, né au Havre en 1707, est résolument un homme du XVIIIe siècle, le jeune garçon se passionne pour les mathématiques et il embarque à 12 ans

sur le vaisseau de son père, capitaine de la Compa-gnie des Indes orientales, il va poursuivre ses études aux Indes. Ses qualités d’hydrographe se manifestent très tôt et il note dans son journal tout ce qu’il ob-serve lors de ses expéditions. D’Après de Mannevil-lette est le premier navigateur français à utiliser l’octant : un instrument de navigation mis au point en 1731 par l’astronome britannique John Hadley pour calculer la latitude et la longitude avec la méthode des distances lunaires : d’Après va entreprendre de recartographier les cartes existantes avec davantage de précision ; il achète avec ses propres deniers tous les ouvrages et les cartes lui permettant de recueillir la documentation existante sur les côtes de l’Inde, de l’Afrique et de la Chine : il travaille d’arrache-pied

sur ce projet de 1735 à 1745. La première édition du Neptune Oriental, recueil de cartes et d’instructions nautiques de la route des Indes et de la Chine paraît en 1745 et il atteint rapi-dement une renommée internationale. D'Après de Mannevillette est membre de l’Académie de Marine dès sa fondation en 1752 et avec l’appui des autres membres, il perfectionne ses travaux en vue d’une nouvelle édition à laquelle il travaille jusqu’à l’épuisement. Il finance personnellement une partie des plaques de cuivre gravées, à sa mort, en 1780, il doit encore 20 000 livres à son imprimeur.

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Je voudrais adresser mes plus chaleureux remerciements à Isabelle Berthou, respon-sable de la bibliothèque bretonne de l’abbaye de Landévennec et à Sarah Yvon, biblio-thécaire du Service Historique de la Défense, département Marine à Brest, pour leur accueil et leurs informations documentaires.