jervolino domenico, « pour une philosophie de la traduction, à l'École de ricoeur »

11
POUR UNE PHILOSOPHIE DE LA TRADUCTION, À L'ÉCOLE DE RICOEUR Domenico Jervolino P.U.F. | Revue de métaphysique et de morale 2006/2 - n° 50 pages 229 à 238 ISSN 0035-1571 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-de-metaphysique-et-de-morale-2006-2-page-229.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Jervolino Domenico, « Pour une philosophie de la traduction, à l'école de Ricoeur », Revue de métaphysique et de morale, 2006/2 n° 50, p. 229-238. DOI : 10.3917/rmm.062.0229 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour P.U.F.. © P.U.F.. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Laval - - 132.203.227.62 - 20/04/2014 06h51. © P.U.F. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Laval - - 132.203.227.62 - 20/04/2014 06h51. © P.U.F.

Upload: radu-toma

Post on 09-Feb-2016

8 views

Category:

Documents


0 download

DESCRIPTION

Article

TRANSCRIPT

Page 1: Jervolino Domenico, « Pour Une Philosophie de La Traduction, à l'École de Ricoeur »

POUR UNE PHILOSOPHIE DE LA TRADUCTION, À L'ÉCOLE DERICOEUR Domenico Jervolino P.U.F. | Revue de métaphysique et de morale 2006/2 - n° 50pages 229 à 238

ISSN 0035-1571

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-de-metaphysique-et-de-morale-2006-2-page-229.htm

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Jervolino Domenico, « Pour une philosophie de la traduction, à l'école de Ricoeur »,

Revue de métaphysique et de morale, 2006/2 n° 50, p. 229-238. DOI : 10.3917/rmm.062.0229

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour P.U.F..

© P.U.F.. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

1 / 1

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

ité d

e La

val -

-

132.

203.

227.

62 -

20/

04/2

014

06h5

1. ©

P.U

.F.

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - U

niversité de Laval - - 132.203.227.62 - 20/04/2014 06h51. © P

.U.F

.

Page 2: Jervolino Domenico, « Pour Une Philosophie de La Traduction, à l'École de Ricoeur »

Dossier : f20593 Fichier : meta02-06 Date : 11/6/2007 Heure : 14 : 47 Page : 229

Pour une philosophie de la traduction,à l’école de Ricœur

RÉSUMÉ. — Cette réflexion s’inscrit dans l’héritage de Paul Ricœur, à la recherched’une philosophie de la traduction. Langage, langues, traduction entrant dans le jeu duprocessus de la constitution du sens, la traduction devient le moment privilégié d’unereconstruction de l’unité plurielle du discours humain et ouvre la voie à une éthique del’hospitalité langagière et de la convivialité. Le don de la langue et des langues introduitun élément de gratuité qui corrige l’obsession contemporaine pour la marchandisationgénéralisée des mondes vitaux et laisse entrevoir un possible fondement non violent dulien social dans une perspective de solidarité et de sollicitude pour les personnes concrè-tes. Je propose d’établir une relation entre le don des langues en tant qu’élémentconstitutif de la communauté des parlants et la dette de l’hospitalité langagière impli-quant une forme de responsabilité envers les autres à la fois spécifique et exemplaire.Au don gratuit de la langue et des langues qui nous permet d’accéder au monde et denous rencontrer avec autrui, en réalisant entièrement nous-mêmes, correspond la detted’exercer et de développer notre humanité dans le langage et à travers le langage.

ABSTRACT. — This study reflects on the philosophy of translation in light of the heritageof Paul Ricœur. Language, languages and translation all belong to the process of consti-tution of sense and here translation is of particular importance for the reconstitution ofthe plurality of human discourse in its unity and opens the way to an ethics of linguistichospitality and sociability. The gift of language and of languages introduces an elementof gratuity to correct the contemporary obsession with the general commercialization ofthe life world and suggests a possible non-violent foundation for the social bond in theperspective of solidarity and sollicitude for concrete persons. I propose to establish arelation between the gift of languages as a constitutive element of the community ofspeakers and the linguistic hospitality which implies responsibility toward others that isboth specific and exemplary. Our debt to use and develop our humanity in and throughlanguage corresponds to the free gift of language and of languages which provides uswith access to the world and to others in permitting us to fully realize our own possibilities.

Cette réflexion s’inscrit dans l’héritage de Paul Ricœur, dont la longue routea traversé tout l’univers du langage jusqu’au niveau d’une philosophie deslangues et de la traduction 1. À l’école de l’herméneutique ricœurienne, je pro-

1. Cf. Paul RICŒUR, Sur la traduction, Paris, Bayard, 2004, et les pages que Ricœur consacre àla traduction dans sa préface à Le juste 2, Paris, Esprit, 2001, p. 32-40. Je me permets aussi de

Revue de Métaphysique et de Morale, No 2/2006

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

ité d

e La

val -

-

132.

203.

227.

62 -

20/

04/2

014

06h5

1. ©

P.U

.F.

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - U

niversité de Laval - - 132.203.227.62 - 20/04/2014 06h51. © P

.U.F

.

Page 3: Jervolino Domenico, « Pour Une Philosophie de La Traduction, à l'École de Ricoeur »

Dossier : f20593 Fichier : meta02-06 Date : 11/6/2007 Heure : 14 : 47 Page : 230

pose ici d’établir une relation entre le don des langues en tant qu’élémentconstitutif de la communauté des parlants et la dette de l’hospitalité langagièreimpliquant une forme de responsabilité envers les autres à la fois spécifique etexemplaire 2.

LA PLURALITÉ DES LANGUES ET LA BÉNÉDICTION DE BABEL

La philosophie contemporaine, de façons diverses et à travers différentesvoies, a affirmé la centralité du langage. Mais le langage, discours vivant danslequel se manifestent à la fois le « pouvoir être dit » des choses et le « pouvoirdire » de l’homme, n’existe pas en dehors d’une pluralité de langues qui seprésente à première vue comme une dispersion désarmante et irrémédiable.C’est ici, dans ce décalage entre le langage et les langues que s’insère la pratiqueet la problématique (ainsi que la nature problématique) de la traduction, qui estdevenue, dans ces dernières décennies, le domaine de recherche d’une grandesérie de disciplines.

Le phénomène se donne..., s’offre..., mais quel rôle le langage joue-t-il dansce se-donner ? Et quel genre de difficultés et de perspectives est introduit parla pluralité des langues ? Du point de vue méthodologique dans lequel je mesitue, il n’y a pas de donation du phénomène qui ne soit pas donation dans lelangage ni donation du langage en dehors de la pluralité, voire de la diversitédes langues. La pluralité des langues, dans leur diversité, sur laquelle Humboldtméditait déjà dans les premières années du XIXe siècle, ainsi que « l’air defamille » des langues entre elles – car toute langue est quand même une langue –,constituent, pris dans leur ensemble et dans leur tension dialectique, les pré-supposés du travail de traduction. Langage, langues, traduction entrent dans lejeu du processus de la constitution du sens.

La diversité des langues a été longuement considérée un obstacle, une diffi-culté, et même, en termes éthico-religieux, une condamnation ou une malédic-tion, puisqu’elle s’oppose à l’unité du discours humain et à la libre communi-

renvoyer à mes travaux précédents : Herméneutique et traduction. L’autre, l’étranger, l’hôte,« Archives de philosophie », nº 1, 2000, p. 79-93, et La question de l’unité de l’œuvre de Ricœurà la lumière de ses derniers développements. Le paradigme de la traduction, « Archives de philo-sophie », no 4, 2004, p. 659-668. Dans ce dernier article, mon hypothèse de travail est que latraversée ricœurienne du langage progresse selon « la succession à la fois historique (selon l’ordrede la découverte) et théorique (selon un certain ordre herméneutique) de trois paradigmes : symbole,texte, traduction » (p. 663). Des deux premiers paradigmes, la mention est explicite chez l’auteur :ce qui est nouveau et fait l’objet de mon hypothèse, c’est l’indication de la traduction en tant quetroisième paradigme et l’essai d’articuler de façon systématique les trois paradigmes.

2. Sur le thème du don et de la dette, voir : Le don et la dette, textes réunis par Marco M. Olivetti,Padoue, Cedam, 2004.

230 Domenico Jervolino

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

ité d

e La

val -

-

132.

203.

227.

62 -

20/

04/2

014

06h5

1. ©

P.U

.F.

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - U

niversité de Laval - - 132.203.227.62 - 20/04/2014 06h51. © P

.U.F

.

Page 4: Jervolino Domenico, « Pour Une Philosophie de La Traduction, à l'École de Ricoeur »

Dossier : f20593 Fichier : meta02-06 Date : 11/6/2007 Heure : 14 : 47 Page : 231

cation entre les hommes. C’est même l’interprétation du mythe de Babel la plusrépandue. Une exégèse plus attentive et moderne, au contraire, a voulu voirdans l’intervention divine dont parle le mythe la reconnaissance d’une pluralitéessentielle à l’humain en tant que tel – le titanisme du projet de la tour étantplus conforme à l’idée (elle aussi fréquente dans l’histoire des idées linguisti-ques) d’une langue unique et uniforme. L’anéantissement de ce projet s’avéreraitalors une bénédiction et non une malédiction 3. La bénédiction de Babel, vuesous cet angle, serait la préfiguration du don des langues de la Pentecôte, dontparle le fameux épisode des Actes des Apôtres, qui exalte au contraire l’utopied’une communication transparente entre des parlants de langues différentes :comme une synthèse accomplie entre l’universel et le particulier 4.

Et pourtant, considérée en termes plus appropriés à la finitude humaine,une telle synthèse ne peut être qu’entrevue comme un résultat difficile et tou-jours précaire et partiel au sein d’une pratique qui est celle de la traduction. Laméditation biblique et théologique peut montrer le but d’une humanité récon-ciliée et réunifiée dans le respect des différences constitutives. Tout en récusantde mélanger les genres, entre discours philosophique et discours théologiqueou biblique, nous pouvons supposer une certaine convergence entre cet horizonpoétique et l’éthique immanente au rude travail de l’humanité se constituant àla fois en tant qu’une et plurale.

UNE PHÉNOMÉNOLOGIE DU DON

Par rapport à une phénoménologie du don – que je veux reprendre ici avecla sobriété de celui qui veut écarter le risque (le « beau risque » peut-être, maistoujours périlleux) de ce qui a été appelé le tournant théologique de la phéno-ménologie –, j’aimerais remarquer que le mot « don », dans sa significationla plus générale, tirée du langage ordinaire, se prête à une triple utilisation àl’intérieur de notre discours : une première fois à propos du phénomène – ou,si l’on préfère, de la vie ; une deuxième fois à propos du langage, dans lequelle phénomène se manifeste comme ce-qui-peut-être-dit ; et une troisième fois,à propos de la pluralité des langues dans lesquelles le langage se concrétise.

3. Cf. François MARTY, La bénédiction de Babel. Vérité et communication, Paris, Éd. du Cerf,1990.

4. Ibid., en part., p. 197 sq. « La langue unique de Babel, dans l’uniformité des langages deprogramme, promettait la pire des confusions, celle du nom que l’on se donne, impuissant de cefait à indiquer une origine, avec l’histoire unique qu’elle institue. Aussi fallait-il repartir, reprenantla dispersion des peuples sur la surface de la Terre, avec les langues qui se brouillent, pour qu’ilne soit plus possible de croire à une unité immédiatement accessible. Le récit de la Pentecôte, audébut des Actes des Apôtres, rapporte l’aboutissement de cette voie longue vers l’unité » (p. 198).

231Pour une philosophie de la traduction

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

ité d

e La

val -

-

132.

203.

227.

62 -

20/

04/2

014

06h5

1. ©

P.U

.F.

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - U

niversité de Laval - - 132.203.227.62 - 20/04/2014 06h51. © P

.U.F

.

Page 5: Jervolino Domenico, « Pour Une Philosophie de La Traduction, à l'École de Ricoeur »

Dossier : f20593 Fichier : meta02-06 Date : 11/6/2007 Heure : 14 : 47 Page : 232

Don, car nous nous retrouvons en vie, ouverts à l’apparition du monde ; don,car les phénomènes nous apparaissent dans l’horizon du dire, en tant que déjàdits et pouvant être dits autrement ; don, car ils se montrent dans leur natureverbale, comme ce-qui-peut-être-dit dans plusieurs langues que nous pouvonscomprendre, dans leur possibilité, sinon dans leur effectivité que nous arrivonsà peine à atteindre, à partir de la nôtre, qui nous a été donnée gratuitement.

Dans tous ces cas, nous pouvons parler de « don », au sens où – croyants ounon – nous pouvons affirmer que la vie est un don... Cette remarque peut êtrespécifiée et approfondie davantage – impliquant elle, en tout cas, même dansl’usage le plus ordinaire du terme, les notions de gratuité, de passivité, deréceptivité... Ces concepts appartiennent à une phénoménologie de ce qui estessentiel dans l’humain, donc à une anthropologie philosophique qui peut béné-ficier des multiples études anthropologiques du don et du donner, mais quin’arrive jamais, à mon avis, à la « pureté » absolue d’une phénoménologie dela donation, pour la simple raison que la donation du phénomène ne fait jamaisabstraction du langage, qui est « impur » dans son essence.

Marion lui-même, dès les premières pages d’Étant donné, ne peut pas éviterde faire appel à la capacité de dire de la langue française, tout en en évoquantbeaucoup d’autres, telles que le grec, le latin, l’allemand, l’anglais 5... Faireappel à la langue ou bien aux langues ne signifie pas se renfermer dans lesparticularités, dans l’idiotisme de chacune d’elles, mais au contraire celasignifie assumer que le langage montre et que les langues, même si différentes,ont le pouvoir de se traduire l’une dans l’autre. Donc non pas une phénomé-nologie pure, mais une phénoménologie herméneutique, une phénoménologielinguistique et interprétante du don et du donner. Ces trois formes de dona-tion – de la vie, du langage et des langues – renvoient l’une à l’autre et sesoutiennent mutuellement. Il me semble important de souligner que la troi-sième forme, le don des langues, présuppose et clarifie les deux premières :le don de la vie (c’est-à-dire l’ouverture essentielle au monde en tant quephénomène, en tant qu’apparaître) et le don du langage en tant que logos,grâce auquel nous sommes des vivants pourvus de la capacité de dire. Dansle don de la langue maternelle convergent les deux aspects (avoir un mondeet pouvoir le nommer), mais est implicite aussi, grâce à l’appartenance dechaque langue à l’univers du langage, et au fait que toutes les langues sonten principe traduisibles, le fait que nous soyons introduits dans un mondecommun à tous les parlants : la langue maternelle, à cette condition, ne nous

5. Cf. Jean-Luc MARION, Étant donné. Essai d’une phénoménologie de la donation, Paris, PUF,1997, p. 5-7. On pourrait se demander jusqu’à quel point la philosophie de Marion n’est pasconditionnée par le fait que le verbe français donner dit avec un seul mot ce que le latin (et l’italien)disent avec deux mots : dare et donare.

232 Domenico Jervolino

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

ité d

e La

val -

-

132.

203.

227.

62 -

20/

04/2

014

06h5

1. ©

P.U

.F.

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - U

niversité de Laval - - 132.203.227.62 - 20/04/2014 06h51. © P

.U.F

.

Page 6: Jervolino Domenico, « Pour Une Philosophie de La Traduction, à l'École de Ricoeur »

Dossier : f20593 Fichier : meta02-06 Date : 11/6/2007 Heure : 14 : 47 Page : 233

referme pas dans une appartenance ethnique exclusive mais nous ouvre poten-tiellement à l’humanité dans son ensemble.

LA TRADUCTION ET L’UNITÉ PLURIELLEDU DISCOURS HUMAIN

Le langage comme aspect fondamental de la condition finie et corporelle del’homme, la constitution du sens dans le lien phénomène-langage, la tensionentre universalité et finitude qui résulte de cette duplicité constitutive del’humain et, enfin, la traduction en tant que moment de résolution de cettetension dans sa pratique concrète et en tant que paradigme des multiples formesd’interaction et de communication parmi les personnes : ce sont tous les thèmesqui placent la problématique linguistique et anthropologique de la traductiondans le cadre d’un débat philosophique très vaste.

La traduction devient ainsi le moment privilégié d’une reconstruction del’unité plurielle du discours humain ouvrant la voie à une éthique de l’hospitalitélangagière et de la convivialité 6. Le don de la langue et des langues devientparadigme d’un élément de gratuité qui corrige l’obsession contemporaine pourla marchandisation généralisée des mondes vitaux et laisse entrevoir un possiblefondement du lien social dans une perspective de solidarité et de sollicitudepour les personnes concrètes.

Aujourd’hui plus que jamais, dans le cadre d’une mondialisation où s’entre-voient des grandes opportunités ainsi que des grands dangers et des nouvellessouffrances pour l’humanité dans son entier, nous avons besoin d’une penséeforte qui soutienne cet engagement et oriente cette recherche. L’un des nœudsde fond est celui d’une alternative radicale à la violence, que jusqu’à présentl’idéologie et la pratique politique ont trop souvent considérée comme un pas-sage obligé également pour ceux qui s’opposent aux formes d’organisationsociale existante. Une alternative qui ne soit pas seulement une aspiration debelles âmes, mais qui soit fondée sur la théorie et confirmée par la praxis.

Comment nier qu’un regard qui se borne simplement à photographier la réalitétrouve des milliers de preuves à la triste science qui affirme : homo hominilupus ? Un homme naturellement agressif vis-à-vis de l’autre homme, et doncnécessitant d’être gouverné par la poigne de fer d’un pouvoir dur et terrible telque celui du mythique Léviathan ? Et que les voix discordantes, qui avec lepoète Caecilius Statius répliquent : homo homini deus, n’appartiennent pas seu-lement à l’ordre de l’imaginaire poétique, mais qu’elles aient quelques chances

6. Cf. Paul RICŒUR, Sur la traduction, op. cit., p. 19-20, p. 42-43.

233Pour une philosophie de la traduction

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

ité d

e La

val -

-

132.

203.

227.

62 -

20/

04/2

014

06h5

1. ©

P.U

.F.

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - U

niversité de Laval - - 132.203.227.62 - 20/04/2014 06h51. © P

.U.F

.

Page 7: Jervolino Domenico, « Pour Une Philosophie de La Traduction, à l'École de Ricoeur »

Dossier : f20593 Fichier : meta02-06 Date : 11/6/2007 Heure : 14 : 47 Page : 234

d’inspirer la sagesse pratique menant l’action dans la vie quotidienne et cetteforme d’action qui devrait exprimer au maximum le caractère raisonnable desêtres humains à l’intérieur de l’autogouvernement des vies par elles-mêmesqu’est la politique ?

À LA RECHERCHE D’UN FONDEMENT NON VIOLENTDU LIEN SOCIAL

C’est justement la politique qui est perdue, d’après l’analyse de MarcoRevelli 7, à cause de l’épuisement du paradigme moderne de la politique, fondésur l’idée que l’usage monopolistique de la force, concentré dans les mains dusouverain, puisse engendrer, de malo bonum, le bénéfice collectif de la paix, dela sûreté, de l’ordre social.

L’enjeu est la possibilité de penser, au contraire, à un fondement non violentdu lien social. Or, certaines indications décisives dans ce sens nous viennent deRicœur dans Parcours de la reconnaissance 8. Ricœur propose de lier le grandthème hégélien de la lutte pour la reconnaissance mutuelle des sujets à celui del’économie du don. Le conflit entre les sujets n’est pas posé nécessairement sousle signe d’une agressivité irréductible, au contraire c’est du conflit que naît lareconnaissance mutuelle. Ce thème hégélien est bien connu (il s’agit du célèbrepassage de la dialectique du maître et de l’esclave dans la Phénoménologie del’esprit de 1807). Le maître a besoin de l’esclave et dépend de lui pour pouvoirsatisfaire ses besoins, de sorte qu’à la fin il n’y a plus de différence entre les deuxconsciences : c’est pourquoi l’issue de la lutte pour la reconnaissance, dans laPhénoménologie, est le stoïcisme ; dans le stoïcisme, un empereur et un esclavesont tous les deux philosophes, les deux disent « nous pensons », mais dans cetteindifférence le réel se dissout, et donc du stoïcisme on passe au scepticisme. Cettefaçon de penser est fascinante pour les ressources d’esprit que Hegel met en place,toutefois elle a le défaut non seulement de demeurer à l’intérieur d’une dialectiquede figures purement idéales, mais aussi de mener à une sorte d’impasse, ou encoreen langage hégélien à une sorte de revendication infinie, à une conscience mal-heureuse, jamais satisfaite se cherchant tout le temps sans jamais se trouver.

Cette quête d’identité et de reconnaissance est malgré tout incontournable,au point qu’elle est reprise et mise à jour dans les derniers développements de

7. Marco REVELLI, La politica perduta, Turin, Einaudi, 2003.8. Paul RICŒUR, Parcours de la reconnaissance, Paris, Stock, 2004, troisième étude. Voir aussi

de RICŒUR, « La lutte pour la reconnaissance et l’économie du don », in Hermenéutica y respon-sabilidad. Homenaje a Paul Ricœur, dir. Marcelino Agís Villaverde et al., Universidade de Santiagode Compostela, 2005, p. 17-27.

234 Domenico Jervolino

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

ité d

e La

val -

-

132.

203.

227.

62 -

20/

04/2

014

06h5

1. ©

P.U

.F.

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - U

niversité de Laval - - 132.203.227.62 - 20/04/2014 06h51. © P

.U.F

.

Page 8: Jervolino Domenico, « Pour Une Philosophie de La Traduction, à l'École de Ricoeur »

Dossier : f20593 Fichier : meta02-06 Date : 11/6/2007 Heure : 14 : 47 Page : 235

l’École de Francfort 9. L’intuition de Ricœur consiste à dire : le conflit entre lessubjectivités n’est pas le dernier mot, la reconnaissance mutuelle peut êtrerecherchée ailleurs, du coté du don 10. En effet, comme une vaste littératureanthropologique, à l’instar de Marcel Mauss, l’a mis en évidence, au sein dessociétés primitives le don et son échange contribuent à la formation d’un com-plexe réseau de liens sociaux. Pourquoi le don doit-il être rendu ? Les anthro-pologues répondent que le don symbolise une force magique qui doit être miseen circulation. Cette réponse est insuffisante, d’après Ricœur, car elle condam-nerait le discours sur le don à rester dans un cadre prémoderne. Ce qu’il fautchercher au contraire, c’est un sens non magique du don, qui est justement lareconnaissance mutuelle ; je donne, car en donnant j’offre quelque chose demoi-même et je m’attends à être reconnu par celui auquel je donne. Le don esttoujours symbole, mais non plus dans un sens magique, au contraire il estsymbole d’une humanité s’exprimant en autrui et en moi, et dans notre rapportmutuel. Le don exemplaire est alors celui qui n’a pas de prix, tout comme lavérité que Socrate, à la différence des sophistes, enseignait gratuitement 11. Dansun autre langage, cette gratuité du don nous rappelle qu’il y a des biens communsde l’humanité, qui n’appartiennent pas seulement à l’ordre physique (par exem-ple, l’eau que nous buvons ou l’air que nous respirons, plus généralementl’environnement qui représente le présupposé – aujourd’hui menacé – d’une« vie bonne » sur notre planète, pour nous-mêmes et pour les générations àvenir), mais aussi à l’ordre moral, tels que la vérité et le langage.

9. Cf. Axel HONNETH, Kampf um Anerkennung. Grammatik sozialer Konflikte, Frankfurt u. M.,Suhrkamp, 1992 ; trad. fr. de Pierre Rusch, La lutte pour la reconnaissance. Grammaire moraledes conflits sociaux, Paris, Cerf, 2000.

10. « Remontant plus haut que cet ouvrage très achevé, admirable de la Phénoménologie del’esprit, à la période de Iéna [écrit Ricœur], j’ai alors suivi les travaux d’une autre génération dechercheurs [par rapport à la lecture classique de Kojève] qui, dans des ouvrages fragmentairesinachevés, mettent en chantier l’idée de la lutte pour la reconnaissance, mais avec un horizonbeaucoup plus prometteur de développements ultérieurs que cette espèce de fermeture dont je viensde parler sur le stoïcisme et le scepticisme. Dans ces écrits et surtout dans leur réactualisation enAllemagne principalement autour de jeunes chercheurs, et aussi à Louvain-la-Neuve autour deTaminiaux, l’idée généralement exposée est la suivante : si nous restons seulement dans l’horizonde la lutte pour la reconnaissance, nous créerons une demande insatiable, une sorte de nouvelleconscience malheureuse, une revendication sans fin. C’est pourquoi je me suis demandé si nousn’avions pas par ailleurs, dans notre expérience quotidienne, l’expérience d’être reconnus dans uneéchange qui est précisément l’échange du don. Je fais donc une tentative dont j’ignore le succès,mais dont je suis certain qu’elle est féconde, pour compléter et corriger l’idée finalement violentede lutte par l’idée non violente de don » (La lutte pour la reconnaissance et l’économie du don,op. cit., p. 18). Cf. aussi Jacques TAMINIAUX, Naissance de la philosophie hégélienne de l’État,commentaires et traduction de la Realphilosophie de Iéna, 1805-1806, Paris, Payot, 1984.

11. Cf. Marcel HENAFF, Le prix de la vérité. Le don, l’argent, la philosophie, Paris, Éd. du Seuil,2002.

235Pour une philosophie de la traduction

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

ité d

e La

val -

-

132.

203.

227.

62 -

20/

04/2

014

06h5

1. ©

P.U

.F.

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - U

niversité de Laval - - 132.203.227.62 - 20/04/2014 06h51. © P

.U.F

.

Page 9: Jervolino Domenico, « Pour Une Philosophie de La Traduction, à l'École de Ricoeur »

Dossier : f20593 Fichier : meta02-06 Date : 11/6/2007 Heure : 14 : 47 Page : 236

LE DON DES LANGUES ET L’HOSPITALITÉ LANGAGIÈRE

En revenant au thème du fondement non violent du lien social, nous pourrionsaffirmer que ce fondement est le don des langues, qui nous permet de fairepartie du genre humain sous la double forme du don de la langue maternelleet du don mutuel des langues, étrangères les unes aux autres, qui se réalise dansla traduction, grâce à la pratique de l’hospitalité langagière.

Don originaire, car il nous est offert gratuitement avec notre insertion parmiles humains, avant même tout contrat social : pour établir un contrat, il fautévidemment l’entendement mutuel. Il s’agit, à l’évidence, d’un « avant » ausens transcendantal, en tant que condition de possibilité a priori. Un avant quin’implique pas une vision irénique de la vie en commun, mais qui au contrairese heurte à la douloureuse facticité de la violence et de la domination, et quiatteste dans sa primauté une égale dignité en principe des êtres humains en tantque tels, permettant à la parole de s’opposer à la violence et à la domination.C’est un avant qui ne nie pas le conflit, ni vise à le supprimer : son ambition,haute et humble à la fois, dépourvue de garanties de succès, mais nécessairemoralement pour conserver un espoir de sens au vivre en commun des hommes,c’est celle de rendre possible une gestion non violente des conflits qui fontpartie de la vie, de combattre, pour utiliser un langage avec des échos kantiens,le mal radical qui est la violence agissante dans l’histoire et de revendiquercontre elle la dignité morale originaire de l’humain en tant que tel, l’humanitédes humains en tant que vivants pourvus de logos.

Don originaire qui nous est donné sous la forme de la langue maternelle, àpropos de laquelle, parmi les multiples références possibles, je me plais spé-cialement à citer l’étude Langage et conscience de Pierre Thévenaz 12, qui, dansl’esprit de la première phénoménologie de langue française, développe leconcept du langage en tant que « corps verbal ». La langue maternelle est lelieu de la conscience naissante, ce n’est pas un ensemble de signes purementinstrumentaux ; dans la langue maternelle, les mots font corps avec la réalitéelle-même, nous pourrions même affirmer qu’en elle les mots sont colorés, douxou amères comme les choses mêmes, c’est grâce à elle que le monde « naît ànotre conscience ». Toutefois, on ne peut pas s’arrêter là. Le rapport entreconscience et langue, ainsi que la métaphore de la langue maternelle en tantque corps verbal nous permettent d’aller plus loin.

12. Cf. Pierre THÉVENAZ, L’homme et sa raison, Neuchâtel, La Baconnière, 1956, vol. II, p. 49-72.Voir aussi mon livre, Pierre Thévenaz e la filosofia senza assoluto, Rome, Studium, 2003, et monessai Entre Thévenaz et Ricœur : la « philosophie sans absolu », in Le souci du passage. Mélangesofferts à Jean Greisch, dir. Philippe Capelle et al., Paris, Beauchesne, 2004, p. 180-190.

236 Domenico Jervolino

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

ité d

e La

val -

-

132.

203.

227.

62 -

20/

04/2

014

06h5

1. ©

P.U

.F.

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - U

niversité de Laval - - 132.203.227.62 - 20/04/2014 06h51. © P

.U.F

.

Page 10: Jervolino Domenico, « Pour Une Philosophie de La Traduction, à l'École de Ricoeur »

Dossier : f20593 Fichier : meta02-06 Date : 11/6/2007 Heure : 14 : 47 Page : 237

En effet, nous sommes et ne sommes pas notre corps, nous adhérons à lalangue maternelle, mais en même temps elle a une certaine autonomie : entrenous et le monde se creuse le monde du langage, avec tout ce que cette distancecomporte – le dire et le non-dire, la possibilité de l’équivoque et de la tromperie,un monde de significations implicites ou cachées qu’il faut réactiver ou redé-couvrir. Une telle ambiguïté du langage, qui a pourtant ses racines dans la languematernelle, permet que nous, qui naissons au monde grâce à cette dernière,soyons aussi en mesure d’en prendre les distances, nous pouvons et nous devonségalement la re-prendre sans cesse. La conscience du monde, et de nous-mêmes,n’est pas seulement donnée, mais elle doit être toujours reconquise. Ici se situe,à mon sens, l’espace pour le travail de l’interprétation, ainsi que pour une éthiquede la réponse au don reçu (à cause de la responsabilité de la dette). Le vocable« herméneutique » n’apparaît pas dans le texte de Thévenaz, mais l’on peutaffirmer aisément que dans ces pages vient efficacement décrite la « chose »correspondante ; de même, le rapport entre la langue maternelle et les autreslangues, ainsi que ce qu’on appelle « culture », trouvent ici une fondation trèsconvaincante.

La langue maternelle, qui est mon corps verbal, ne me renferme pas enmoi-même, mais elle m’ouvre aux autres langues, puisqu’elle m’ouvre à l’huma-nité et à son histoire. Tout comme, en partant de mon propre corps, je découvrele corps d’autrui et j’en tire une connaissance plus riche de moi-même, de mêmele rapport entre langue maternelle et langue étrangère se déroule de façonanalogue. La langue maternelle demeure en tout cas l’unique lieu de laconscience, même si elle s’enrichit et devient progressivement l’espace de la« conscience cultivée » 13. Il n’est pas vrai que, comme l’affirmait Charles V, jedeviens homme autant de fois que les langues que je connais. Je ne suis hommequ’une seule fois, tout comme je n’ai qu’un corps, et c’est dans la languematernelle et à partir d’elle que la rencontre avec l’autre devient possible. Dansle plurilinguisme, au contraire, Thévenaz voit plutôt le risque d’une chute dansune vision purement instrumentale du langage.

De façon implicite, on trouve ici une justification de la traduction, qu’uneemphase unilatérale sur la langue maternelle risquerait de rendre impossible,grâce notamment à cette attitude qu’avec Ricœur on pourrait appeler l’hospitalitélangagière. Mais c’est remarquable que dans sa phénoménologie du langage quiest aussi, in nuce, une phénoménologie herméneutique, en s’éloignant de tousces penseurs qui proposent une origine transcendante du langage, Thévenazsouligne résolument la nature humaine, radicalement humaine du langage.J’ajouterais que cette position est d’ailleurs cohérente avec l’inspiration de fond

13. Pierre THÉVENAZ, op. cit., p. 64-65.

237Pour une philosophie de la traduction

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

ité d

e La

val -

-

132.

203.

227.

62 -

20/

04/2

014

06h5

1. ©

P.U

.F.

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - U

niversité de Laval - - 132.203.227.62 - 20/04/2014 06h51. © P

.U.F

.

Page 11: Jervolino Domenico, « Pour Une Philosophie de La Traduction, à l'École de Ricoeur »

Dossier : f20593 Fichier : meta02-06 Date : 11/6/2007 Heure : 14 : 47 Page : 238

de la « philosophie sans absolu » que le « croyant philosophe » Thévenaz voitcomme l’issue la plus cohérente de la rencontre entre christianisme et philoso-phie, à l’intérieur d’une perspective qui met en valeur la désacralisation dumonde et la « sécularisation » de la raison philosophique.

Il fait sienne la position de Maine de Biran vis-à-vis de De Bonald à proposd’une présumée révélation divine du langage, et il s’écarte également de Jasperset de Heidegger. Le langage est la demeure de l’homme et non pas de l’Être,nous ne sommes pas les « grands-prêtres » du langage, c’est l’homme qui parle,ce n’est pas la langue qui parle en nous. D’autre part, dans une longue note, ilindique dans la conception chrétienne de l’Incarnation (Verbum caro) l’expres-sion la plus nette de la radicale humanité du langage 14. En ce sens, il peutrécupérer également le thème du « dépaysement » que le langage produit ennous ainsi que celui de la responsabilité de correspondre au don de la languepar la responsabilité du parler, au sein de la communauté des parlants.

« Le langage nous jette hors de nous-même, au-dehors vers les choses ; ilnous livre au réel, il nous lance dans la bataille des mots où il faut payer de sapersonne si l’on ne veut pas se payer de mots. [...] Oui, le langage nous dépayseet il faut peut-être consentir à se perdre, à se lancer dans l’océan sans rivagedes mots, pour prendre conscience de sa réelle situation d’homme et de la réellesignification du langage. Prendre conscience de soi, ce n’est pas retrouver unhavre bien calme où cultiver son moi en paix, c’est s’exposer et se livrer à laperpétuelle contestation des hommes. Mais en acceptant sans illusion et enpleine lucidité de jour notre vie d’homme dans et par le langage, nous acceptonsque la culture soit communautaire et qu’elle soit par là même exposée et contes-tée. Mais précisément parce que le langage relève de notre conscience et denotre responsabilité, il est ce que nous le ferons, et nous ferons ce que nousdirons. Gardons donc précieusement ce mot de Platon : “Nos paroles sont lesvoies de l’espérance.” » 15

Au don gratuit de la langue et des langues qui nous permet d’accéder aumonde et de nous rencontrer avec autrui, en réalisant entièrement nous-mêmes,correspond la dette d’exercer et de développer notre humanité dans le langageet à travers le langage.

Domenico JERVOLINO

Université de Naples Federico II

14. Ibid., p. 71, note.15. Ibid., p. 72. La citation de Platon correspond à Philèbe, 40 a.

238 Domenico Jervolino

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

ité d

e La

val -

-

132.

203.

227.

62 -

20/

04/2

014

06h5

1. ©

P.U

.F.

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - U

niversité de Laval - - 132.203.227.62 - 20/04/2014 06h51. © P

.U.F

.