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Jean-Michel Plane THÉORIE DES ORGANISATIONS 3 e édition

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Jean-MichelPlane

THÉORIE DES ORGANISATIONS

Éco/Gestion

3e édition

3e édition

6497481ISBN 978-2-10-051325-3 www.dunod.com

Jean-Michel Plane

THÉORIE DES ORGANISATIONS

La théorie des organisations est constituée d’unensemble de concepts, méthodes et outils trèsdisparates provenant de diverses disciplinestelles que l’économie, la sociologie, lapsychologie, l’histoire ou encore les sciencesde gestion.L’auteur cherche à rendre compte de cettediversité à partir de grandes expériences quifont encore aujourd’hui autorité et référencemais aussi à partir de nouvelles approchesplus contemporaines comme l’hypocrisieorganisationnelle ou encore l’hypermodernitédu management. Claire et pédagogique, cette 3e éditionpermettra aux étudiants de connaître différentesgrilles d’analyse afin de mieux appréhender ladiversité des situations de gestion.

JEAN-MICHEL PLANE

est Professeur agrégé desUniversités à l’UniversitéPaul Valéry – MontpellierIII et chercheur au groupeORHA (Organisation,Ressources Humaines et Activités).

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THÉORIEDES ORGANISATIONS

organisations.book Page A Mardi, 17. juin 2008 12:11 12

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© Dunod, Paris, 2003, 2008

Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consente-ment de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite selon le Code de lapropriété intellectuelle (Art L 122-4) et constitue une contrefaçon réprimée par leCode pénal. • Seules sont autorisées (Art L 122-5) les copies ou reproductionsstrictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisationcollective, ainsi que les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique,pédagogique ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées, sousréserve, toutefois, du respect des dispositions des articles L 122-10 à L 122-12 dumême Code, relative à la reproduction par reprographie.

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ISBN 978-2-10-054428-8

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ommaire

Avant-propos

7

C

hapitre

1

L’école classique de l’organisation

I.

F.W. Taylor et le taylorisme 10

1. Les fondements de la pensée de F.W. Taylor

10

2. Les principes de la direction scientifique des entreprises

11

3. Les apports et les limites du modèle taylorien

12

II.

H. Ford et le fordisme 13

1. L’état d’esprit et la méthode de H. Ford

13

2. Les principes du modèle fordiste

14

3. Portée et limites du modèle fordiste de production

16

III.

H. Fayol et l’administration industrielle 18

1. Les fondements de la pensée de H. Fayol

18

2. Les concepts et les principes de commandement

19

3. Les apports et les limitesde l’administration industrielle

21

IV.

M. Weber et la rationalisation de l’organisation 22

1. L’œuvre de M. Weber

22

2. Les fondements de l’autoritéet du pouvoir dans les organisations

23

3. La théorie de la bureaucratie

24

C

hapitre

2

Le mouvement des relations humaines

I.

Origine et développement de l’école des relations humaines 29

1. George Elton Mayo (1880-1949) et les expériences de la Western Electric de Chicago

29

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4

THÉORIE DES ORGANISATIONS

2. La théorie des relations humaines

31

3. Portée et limites de la théoriedes relations humaines

33

II.

Les styles de commandementet la dynamique des groupes 34

1. Les travaux de K. Lewin (1890-1947)

34

2. Les différentes approches du leadership

34

3. La problématique de la dynamique des groupes

35

4. R. Likert (1903-1981)et le principe des relations intégrées

36

III.

La théorie des besoins et des motivations 38

1. L’apport de H. Maslow

38

2. D. Mc Gregor et la dimension humainede l’entreprise

39

3. F. Herzberg et la théorie des deux facteurs

41

4. C. Argyris et le développement du potentielde l’individu dans l’organisation

42

C

hapitre

3

Les théories managériales des organisations

I.

Les théories de la contingence structurelle 48

1. Les recherches et les apports de Burns et Stalker

48

2. Les travaux de Lawrence et Lorschet la théorie de la contingence

50

3. J. Woodward et l’impact de la technologiesur la structure des organisations

52

4. A. Chandler et l’histoire des entreprises

54

II.

L’approche socio-techniquedes organisations 55

1. Les fondements de l’école socio-technique

55

2. Les expériences de Emery et Tristdu Tavistok Institute de Londres

56

III.

La théorie de la décision 57

1. Le modèle décisionnel classique

58

2. H.A. Simon et la théorie de la rationalité limitée

60

3. C. Linblom et le modèle politique

61

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SOMMAIRE

5

IV.

Les nouvelles théories économiquesde l’entreprise 63

1. La firme comme nœud de contrats

63

2. La théorie de la nature de la firme de R. Coase

64

3. La théorie des coûts de transactionde O. Williamson

65

4. La théorie des droits de propriétéet la théorie de l’agence

66

5. Les approches évolutionnistes de la firme

67

V.

H. Mintzberg et la structurationdes organisations 69

1. L’œuvre de H. Mintzberg

69

2. Les paramètres de conception de l’organisation

72

3. Les facteurs de contingence

73

4. Les configurations organisationnellesde Mintzberg

75

C

hapitre

4

Les approches contemporainesdes organisations

I.

Les approches sociologiquesdes organisations 82

1. L’analyse stratégique des organisationsde M. Crozier et E. Friedberg

82

2. Les concepts de l’analyse stratégique des organisations

84

3. La théorie de la régulation conjointe de J.-D. Reynaud

85

4. R. Sainsaulieu et l’identité au travail

86

II.

Les nouvelles théories sociologiquede l’entreprise 88

1. L’école des conventions

88

2. La théorie de la traduction du Centre de Sociologie de l’Innovation

90

3. La théorie des logiques d’action de P. Bernoux

92

4. La théorie de la structuration de A. Giddens

93

5. L’analyse ethnométhodologique de A. Garfinkel

95

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6

THÉORIE DES ORGANISATIONS

III.

La théorie socio-économique des organisationset l’intervention en management 97

1. Les fondements de l’analyse socio-économique des organisations

97

2. Les outils de l’approche socio-économiquedes organisations

99

3. La théorie de l’intervention en management dans les organisations

101

4. L’essor du

Knowledge Management

ou le Management des savoirs 103

IV. De nouvelles approches des organisations 1061. Les mutations du travail et le modèle

de la compétence 1062. Le modèle de l’organisation qualifiante 1083. L’organisation hypocrite de N. Brunsson 1114. Le management des hommes dans le contexte

émergent de la société hypermoderne 113

Conclusion 119

Bibliographie 121

Index 125

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Avant-propos

La théorie des organisations constitue un champ de connais-sances fondamentales pour des étudiants de premier cyclequi suivent, pour l’essentiel, un cursus d’économie, de ges-tion ou de sciences sociales. Ce corpus de connaissances,constitué par un ensemble de théories, de concepts, deméthodes ou encore d’outils, est singulièrement disparatecar les notions clés proviennent de disciplines différentes. End’autres termes, les grilles d’analyse proposées dans ce livreintroductif sont principalement issues de travaux de recher-che en sciences économiques, en sociologie, psychologie,histoire ou encore en sciences de gestion. Le présent ouvrages’efforce de rendre compte d’une telle richesse de la penséeet, malgré la diversité des approches, vise à exposer les gran-des problématiques et les notions centrales de la théorie desorganisations.

À partir de la seconde révolution industrielle, différentesapproches de l’organisation se sont développées, chacunecorrespondant en réalité à une conception différente del’action humaine organisée. Ces apports se rattachent à dif-férents courants de pensée qui se sont constitués au fur et àmesure de l’évolution économique et sociale et du dévelop-pement scientifique des différentes disciplines de rattache-ment. Ces écoles de pensée se différencient entre elles par laconception qu’elles ont des caractéristiques de l’organisationet de ses composantes. En ce sens, il n’existe pas une défini-tion unifiée et synthétique de ce qu’est une organisation. Siaucune définition ne fait l’unanimité car l’organisation est unobjet d’analyse dont se sont saisies plusieurs disciplines, ilconvient aussi d’ajouter les paradoxes et les ambiguïtés mis

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8 THÉORIE DES ORGANISATIONS

en évidence par les spécialistes. Une organisation apparaîtainsi comme une réponse structurée à l’action collective, unensemble relativement contraignant pour les personnes et,simultanément, comme une construction collective dynami-que favorisant l’accomplissement de projets communs. Ellepeut aussi être appréhendée comme un lieu de réalisation desoi, d’accomplissement et d’épanouissement mais aussicomme un lieu conflictuel au sein duquel s’exercent souventla domination et le pouvoir.

Depuis quelques années, on observe un développement sansprécédent de la compétition et de la concurrence entre lesentreprises et les organisations mais aussi une exacerbationdes rivalités entre les personnes au travail. Ce contexted’hypercompétition caractéristique de la société hypermo-derne émergente bouleverse les approches managériales. Destravaux récents portent sur l’influence des traits caractéristi-ques de l’hypermodernité (l’excès, l’urgence, l’éphémère, lacréativité, le dépassement de soi, etc.) qui semble pénétrerprogressivement les organisations et leur mode de manage-ment. L’ouvrage vise à éclairer la réalité organisationnelle àpartir de quelques grandes expériences qui font encoreaujourd’hui autorité et référence. Celles-ci aident le lecteurà ne pas perdre de vue que ces différentes approches s’inscri-vent toutes dans une perspective d’action et de changementorganisationnel. La portée opérationnelle des différentesthéories et des concepts n’est pas occultée puisqu’elle cons-titue une des finalités poursuivies par de nombreux auteursen quête de changement. Le but d’un tel ouvrage est finale-ment d’aider les étudiants à connaître différentes grilles delecture et d’analyse en vue de les conduire à mieux appréhen-der des situations de gestion et de prise de décision au seind’organisations confrontées à des problèmes de plus en pluscomplexes.

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Chapitre 1

L ’ éco le c lass ique de l ’ o rgan isa t i on

La société industrielle est née de découvertes techniques, decréations de richesses mais aussi d’un mouvement d’idéesnouvelles qui se sont propagées progressivement dans lesorganisations. Au XIXe siècle, le lieu de création de richesses estsymbolisé par l’usine considérée comme la principale sourcede valeur ajoutée. Le fonctionnement de l’usine et ses ateliersreposent sur une discipline particulière, une organisationrationnelle du travail, une manière spécifique de voir les rela-tions sociales. Aujourd’hui, les organisations de notre sociétésont héritières de ces changements. L’une des évolutions lesplus significatives au début du siècle est constituée par l’intro-duction du courant scientifique en matière d’organisation dutravail. La science triomphe ainsi au début du siècle avecl’introduction dans les usines d’une volonté d’une gestionscientifique du travail, de calculs rationnels et d’une logiquede rationalisation de la production. C’est dans un tel contexteque s’est développée l’école classique de l’organisation portéepar un tel mouvement d’idées probablement influencé par lestravaux d’économistes précurseurs. En effet, les économistesclassiques ont proposé au cours du XIXe siècle des concepts uti-lisables en matière d’organisation des entreprises. Adam Smith(1776) a notamment introduit la nécessité d’une division dutravail, David Ricardo (1817) préconise très tôt la spécialisa-tion des tâches et Jean-Baptiste Say (1803) suggère d’inclureles activités de services dans les activités productives.Aujourd’hui, force est de reconnaître que la pensée économi-que classique a manifestement influencé le courant rationnelde la théorie des organisations, en particulier F.W. Taylor,H. Ford, H. Fayol ou encore M. Weber.

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10 THÉORIE DES ORGANISATIONS

I. F.W. TAYLOR ET LE TAYLORISME

1. Les fondements de la pensée de F.W. Taylor

Frederick Winslow Taylor, né en 1856, est mort en 1915.Taylor est d’une famille aisée. De graves ennuis de santé (unegrande faiblesse des yeux) l’empêchent de continuer des étu-des plus poussées. Il entre comme apprenti dans une usine etpasse par tous les échelons professionnels par son ardeur autravail et son légendaire esprit méthodique. Il s’élève ainsi aurang de contremaître puis à celui d’ingénieur. Il effectueraune grande partie de sa carrière à la Midvale Steel Companypuis exercera le métier de conseil en organisation. En 1893,il publie un mémoire technique sur les courroies, en 1906 unouvrage sur la coupe des aciers. Il réfléchit en même temps àl’organisation du travail et notamment à la gestion de la pro-duction dans des ateliers industriels. Taylor publie en 1895un mémoire sur les salaires aux pièces puis, en 1903 sur ladirection des ateliers. Enfin, il écrit et publie en 1911 unouvrage qui fera date, Les Principes de la direction scientifi-que. La méthode de direction scientifique prônée par Taylorimplique une révolution complète de l’état d’esprit desdirections d’entreprises et des ouvriers. Relisons Taylor :

Dans son essence, le système de direction scientifique impliqueune révolution complète de l’état d’esprit des ouvriers, une révo-lution complète en ce qui concerne la façon dont ils envisagentleurs devoirs vis-à-vis de leurs employeurs. Le système impliqueégalement une révolution complète d’état d’esprit chez ceux quisont du côté de la direction (p. 54).

Sur la problématique de l’organisation de la production,Taylor a la profonde conviction que les intérêts des diri-geants et des exécutants peuvent être convergents. La révo-lution d’état d’esprit qu’il propose suppose qu’au lieu

de se disputer au sujet du partage de la valeur ajoutée et d’agir les unsvis-à-vis des autres en ennemis, patrons et ouvriers joignent leurs ef-forts pour augmenter l’importance de la valeur ajoutée (p. 55).

L’une des intentions les plus louables de Taylor à travers sonœuvre est d’avoir recherché les conditions de compatibilitéentre dirigeants et exécutants pour une plus grande prospé-rité et une paix sociale durable.

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2. Les principes de la direction scientifique des entreprises

L’apport de Taylor fut de suggérer que si l’on est en mesure demaîtriser parfaitement un certain nombre de techniques et derègles sur les problèmes de l’administration du personnel(décomposition des tâches, définition du contenu d’un poste,capacité maximale de contrôle, etc.), alors les difficultés ren-contrées dans la direction de larges groupes de travailleurs sonten grande partie résolues. Cela suppose une étude scientifiquedu travail, débouchant sur une Organisation scientifique dutravail (OST). À partir de cette organisation de la production,Taylor a la profonde conviction que les intérêts des dirigeantset des exécutants peuvent être convergents. La révolutiond’état d’esprit qu’il propose suppose que patrons et ouvriersjoignent leurs efforts pour augmenter l’importance de la valeurajoutée. Les quatre principes fondamentaux de la directionscientifique des entreprises selon l’auteur, sont les suivants :

L’étude de toutes les connaissances traditionnelles, leur enregistre-ment, leur classement et la transformation de ces connaissances enlois scientifiques. La sélection scientifique des ouvriers et le perfec-tionnement de leurs qualités et connaissances. La mise en applica-tion de la science du travail par des ouvriers scientifiquemententraînés. La répartition presque égale du travail exécuté dans l’en-treprise entre les ouvriers et les membres de la direction (p. 70).

En définitive, on peut synthétiser les apports fondamentauxde Taylor à partir de quatre principes d’organisation ayantune portée générale.

• La division horizontale du travail

Elle conduit à la parcellisation du travail, à la spécialisationdes tâches, et à l’étude des temps d’exécution en vue dedéterminer the one best way, la meilleure façon de faire.

• La division verticale du travail

Elle vise à distinguer strictement les exécutants des concep-teurs du travail. Dans cette logique, cette approche a conduità dissocier les « cols bleus » des « cols blancs » tel que l’on les acommunément nommés en milieu industriel. Ce principeincite à placer the right man on the right place, la meilleurepersonne à la bonne place.

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12 THÉORIE DES ORGANISATIONS

• Un système de salaire au rendement

Ce système fondé sur des primes de productivité au travail,cherche à développer la motivation de l’homme au travail.Outre une standardisation des tâches poussée à son maxi-mum, Taylor souhaitait l’établissement du salaire à la pièce,censé constituer une motivation importante pour lesouvriers qu’il considérait comme des agents rationnels maxi-misant de manière consciente leurs gains monétaires.

• Un système de contrôle du travail

À partir de ce principe d’action, chaque geste de l’ouvrier exécu-tant est surveillé. Cela a conduit à mettre en place dans les usinesdes contremaîtres chargés de réaliser cette activité de contrôle.

Ces principes d’organisation du travail reposent fondamentale-ment sur l’idée qu’il est possible d’appliquer à l’activité humaineun raisonnement courant en science expérimentale puisqu’ils’agit d’observer, de classer les faits, de les analyser et d’en tirerdes lois ayant une portée générale sur le savoir-faire ouvrier.Cette approche du travail humain constitue en réalité la force dusystème taylorien car le développement des connaissances et destechniques industrielles continue à se propager de cette manière.Par exemple, l’informatique ou la robotique reposent sur uneanalyse systématique de l’existant et une étude minutieuse desconditions d’application de nouvelles technologies. Pour autant,le taylorisme tel qu’il a été mis en application en milieu industriela conduit à de nombreuses discussions notamment en ce quiconcerne la conception de l’homme en situation de travail.

3. Les apports et les limites du modèle taylorien

Finalement, on peut considérer que l’un des plus grands méri-tes de Taylor est d’avoir cherché à concevoir, à travers l’étudescientifique du travail humain dans les organisations, un modèled’organisation visant l’amélioration de la gestion de la produc-tion en vue de l’augmentation de la productivité. Il fut incon-testablement le premier théoricien connu à avoir mis en placeune méthode opérationnelle visant à accroître de manière signi-ficative le niveau de production des organisations. À propos dela contribution de Taylor à la transformation et à la modernisa-tion des organisations, H. Savall (1974) note à juste titre que

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Taylor eut l’idée judicieuse de s’attaquer au gaspillage : de matiè-res, de temps, de gestes […] La principale conséquence positive àlong terme a été que l’analyse du travail humain a facilité sontransfert en travail machine (p. 28).

La rationalité scientifique constitue bien le paradigme dumodèle taylorien. Le modèle d’organisation du travail qu’ilpréconise est rationnel puisque l’autorité s’exerce au traversde la science du travail. De plus, Taylor a recherché lesconditions de compatibilité d’intérêts entre l’entreprise et lessalariés se définissant en conséquence comme un humanisteà la recherche d’une paix sociale durable. Le dessein dumodèle taylorien a bien conduit à l’augmentation à la fois dela productivité et à la rétribution au mérite des ouvriers.

Malgré les vives critiques dont elle a été l’objet au début dusiècle, l’œuvre de Taylor a eu un impact considérable dans ledéveloppement de l’industrie. En France, la diffusion desméthodes tayloriennes de rationalisation du travail s’est lar-gement opérée dans les entreprises industrielles. Les princi-pes tayloriens restent de nos jours largement discutés etconstituent toujours un élément central des débats sur lesnouvelles formes d’organisation du travail. On peut encoreobserver aujourd’hui de très nombreuses formes de retaylo-risation, notamment dans les activités de services.

Pour autant, la conception de Taylor de l’homme au travailrepose sur une vision très appauvrie du potentiel humain. Eneffet, Taylor a cru que l’on peut rationaliser le travail en rédui-sant ou en supprimant l’initiative et l’autonomie au travail.Finalement, la principale critique que l’on peut aujourd’huiformuler aux fondements de la théorie taylorienne est que l’undes postulats implicite repose sur l’idée d’une dichotomiestricte entre le cerveau et les mains humaines.

II. H. FORD ET LE FORDISME

1. L’état d’esprit et la méthode de H. Ford

Industriel américain au début du siècle, Henry Ford est né en1863 et décède en 1947. Ford est devenu célèbre pour avoirintroduit dans ses usines le travail à la chaîne en adaptant à

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14 THÉORIE DES ORGANISATIONS

l’automobile les principes de rationalisation de Taylor. En cesens, il est un continuateur de Taylor : le travail une fois par-cellisé peut être mécanisé par la chaîne. Cela conduit à faire unpas de plus dans la logique de contrôle strict du travail ouvrier.

Mais, c’est désormais la machine elle-même, à travers ledéroulement de convoyeurs de pièces, qui dicte à l’hommeson rythme de travail et de production. Le modèle industrieldu XXe siècle s’est développé à partir du mode de productionfordiste lequel a très largement contribué à l’accroissementde la croissance économique mondiale.

Fondamentalement, le but était de réduire, en les rationali-sant, les temps opératoires élémentaires, grâce à une mécani-sation poussée synchronisant les flux productifs. Un secondprincipe organisait une stricte hiérarchie entre la conception,puis l’organisation de la production, enfin la vente, selon unprincipe de pilotage par l’amont : les marchandises produitesen longue série et à bas coûts finissaient toujours par trouverpreneur, même si leur qualité n’était pas nécessairement jugéeexcellente. Finalement, le mode de production fordiste s’estdéveloppé suivant l’esprit de la fameuse loi libérale des débou-chés élaborée par J.-B. Say et suivant laquelle l’offre crée sapropre demande. Le mode de production fordiste vise bien labaisse des prix pour développer une consommation de masse.Si H. Ford fut souvent qualifié de visionnaire et qu’il a autantmarqué le système productif mondial, c’est parce qu’il a sufaire preuve d’innovation dans l’organisation de la productionde masse tout en contribuant à l’élévation du pouvoir d’achatdes ouvriers dans les entreprises industrielles.

2. Les principes du modèle fordiste

La notion de modèle fordiste d’organisation de la produc-tion s’est imposée du fait de son caractère pragmatique etinnovant au début du siècle. On peut distinguer trois princi-pales innovations apportées par Ford dans la constructionautomobile aux États-Unis.

• Le travail à la chaîne

Ford poursuit l’œuvre de Taylor en accentuant la divisionhorizontale du travail. Cette parcellisation, facteur de déqua-

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lification du travail, se traduit pour l’ouvrier de base par unerépétition sans fin des mêmes gestes. De plus, Ford introduittrès vite dans ses usines la mécanisation. Alors que Taylorpropose de rationaliser les outils et l’activité de travail, Forda recours de plus en plus souvent à la machine. En substi-tuant le capital au travail, il remplace progressivement le tra-vail vivant par le travail mort. Au sein des unités deproduction, la circulation des pièces assurée par unconvoyeur assure une production à flux continu. Le principedu travail à la chaîne repose sur l’idée que ce n’est plusl’ouvrier qui circule autour du produit qu’il fabrique mais leproduit qui circule sur la ligne de montage devant une séried’ouvriers fixés à leur poste de travail. Cette mécanisationprésente l’avantage de supprimer une grande partie du travailde manutention par la circulation automatique des pièces.Cela favorise aussi une gestion plus rigoureuse des stocks.

Finalement, le travail à la chaîne a conduit à déposséderl’ouvrier du contrôle du rythme de son travail car la chaînedicte désormais la cadence à suivre.

• Le principe de standardisation des biens de production

Il s’agit de réaliser en milieu industriel une production degrandes séries grâce à des pièces interchangeables et standar-disées. L’accroissement de la production par l’améliorationde la productivité conduit également à l’abaissement descoûts unitaires de production et donc à la réalisation d’éco-nomies d’échelle. Suivant, cette logique, la première voitureproduite en grande série, la Ford T peut être commercialiséeà un prix compétitif grâce à l’obtention d’économiesd’échelle. Cela va conduire H. Ford à un célèbre adage sui-vant lequel « tout le monde aura une voiture de la couleurqu’il souhaite, pourvu qu’elle soit noire ».

• Le principe du five dollars a day

À partir du 1er janvier 1914, Ford innove au niveau salarial endoublant quasiment les salaires de l’époque par l’instaurationd’une rémunération journalière de cinq dollars par jour. Faceà une certaine instabilité ouvrière dans les usines, il s’agit alorsde fidéliser les travailleurs par un système de rémunérationattractif pour l’époque. Le second objectif poursuivit par ce

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16 THÉORIE DES ORGANISATIONS

système de rémunération est de permettre aux ouvriers depouvoir acquérir progressivement les voitures qu’ils produi-sent par l’élévation de leur pouvoir d’achat. Dans cette pers-pective, on peut dire que l’idée fondamentale de Ford estd’avoir cherché à associer la production de masse à uneconsommation de masse. En ce sens, les ouvriers Ford peu-vent aussi être considérés comme des clients potentiels. C’estle développement de la production de masse associée à uneconsommation de masse qui a permis de créer les conditionsde la croissance économique durant la majeure partie duXXe siècle.

3. Portée et limites du modèle fordiste de production

La logique du fordisme repose avant tout sur la recherche del’augmentation de la productivité dans les unités de produc-tion. Cela se traduit concrètement par trois effets complé-mentaires : la baisse des prix de vente, la hausse des salaireset l’élévation des profits. Ce mécanisme a favorisé alors l’avè-nement d’une production de masse stimulée par le dévelop-pement d’une consommation de masse. Le génie de Ford àl’époque est d’avoir eu cette vision, avant Keynes, de lanécessité d’agir sur le pouvoir d’achat de salariés au contratde travail stable pour dynamiser l’économie nationale.

Il est important d’insister sur l’importance du rapport salarialqui est associé au fordisme. Dans beaucoup de pays, une forteconflictualité du travail aboutit en général à un compromissalarial sur un double niveau. Dans l’entreprise, les syndicatsacceptent les prérogatives des directions en matière d’organi-sation, de technologie et de politique de produits, en contre-partie d’avantages financiers, portant soit sur le salaire directsoit sur les avantages sociaux. Au niveau du secteur industrielou de la nation, la négociation de conventions collectivescodifie les principes généraux d’évolution des salaires qui sediffusent ensuite au reste de l’économie, ne serait-ce que grâceau plein emploi qui prévaut à cette époque. En d’autres ter-mes, le compromis salarial fordiste associe acceptation de larationalisation, de la mécanisation de la production et l’insti-tutionnalisation d’une formule salariale stable garantissant uneprogression du niveau de vie en relation avec la productivité.

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Pour autant, la crise économique, révélée par les deux chocspétroliers successifs de 1973 et de 1979, a mis en évidencel’incapacité du modèle fordiste de s’adapter aux nouvellesrègles de l’environnement concurrentiel et à la donne mon-diale émergente. Les entreprises ont progressivement cherchéà développer l’automatisation et la robotisation pour accroîtrela productivité et éliminer les tâches les plus pénibles. L’impé-ratif de compétitivité les a incités à baisser les coûts de produc-tion par le recours à une main d’œuvre peu qualifiée et àamorcer un mouvement de délocalisation vers des pays où lescoûts salariaux sont plus faibles.

Cette logique fordienne de production de masse de biensstandardisés et de recherche d’économies d’échelle ne cor-respondait déjà plus aux exigences des marchés dans lesannées 80. Les évolutions rapides de la demande de produitsindustriels, en volume et en variété et la réduction des délaisde production ont parfois conduit à l’incapacité à suivre ceschangements. Le poids excessif de la hiérarchie et la com-plexité des organisations ont entraîné des lourdeurs de ges-tion incompatibles avec les impératifs de réactivité aumarché. Enfin, le modèle fordiste porte trop sur la baisse descoûts de production alors que dans le même temps apparais-sent de nouvelles attentes chez les consommateurs en termesde qualité, sécurité, variété de l’offre et des prestations deservices associées aux produits. Pour toutes ces raisons, uneprise de conscience des limites de ce modèle d’organisationest apparue dans les années 80 face à l’adversité constituéepar la nouvelle concurrence japonaise fondée sur d’autresprincipes organisationnels. Ces entreprises industrielles japo-naises ont su résoudre le problème d’une production demasse de biens différenciés et de qualité à des coûts compé-titifs et fortement décroissants. Elles ont montré à l’Occi-dent qu’il était possible de produire en séries courtes, sansstocks intermédiaires avec des niveaux de qualité et de pro-ductivité élevés.

Au total, le succès d’entreprises comme Toyota par exemplerepose sur quelques innovations en matière d’organisationmais aussi de structures internes. Celles-ci conduiront lesoccidentaux à adapter leur modèle de production en inté-

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grant les fonctions recherche et développement, productionet marketing. Ces évolutions industrielles conduiront aussi àun travail en groupe, fondé sur la gestion de projet et lamobilisation des compétences nécessitant des salariés plusqualifiés ainsi que la participation active des ouvriers à l’amé-lioration de la qualité et de la productivité.

Progressivement, l’industrie occidentale encouragera l’auto-nomie au sein d’équipes de travail, la responsabilité des sala-riés ainsi que la prise d’initiatives et de responsabilités dans lesouci d’une plus grande flexibilité organisationnelle et d’unemeilleure réactivité dans une perspective d’accroissement deleur compétitivité.

III. H. FAYOL ET L’ADMINISTRATION INDUSTRIELLE

1. Les fondements de la pensée de H. Fayol

Ingénieur français, diplômé de l’École des Mines de Saint-Étienne, Henri Fayol est considéré comme le premier théori-cien à s’être préoccupé de l’administration des entreprises et desproblèmes de commandement. En ce sens, sa pensée est com-plémentaire à celle de Taylor puisqu’il analyse la nature de lafonction de direction dans les entreprises. Il formule ainsi unethéorie complète à l’usage des dirigeants en se fondant sur sapropre expérience à la direction d’une compagnie minière.

Dans un ouvrage publié en 1916, Administration indus-trielle et générale, H. Fayol insiste sur la nécessité de faireévoluer la fonction de commandement dans les grandesentreprises et de développer les qualités de leadership. Il dis-tingue cinq fonctions clés propres au management applica-bles selon lui à toute organisation. Ces cinq principes ditsuniversels sont les suivants :

– prévoir et planifier, c’est-à-dire préparer de manière ration-nelle l’avenir ;– organiser, c’est-à-dire allouer différentes ressources indis-pensables au fonctionnement de l’entreprise : les matériaux,l’outillage, les capitaux et le personnel ;– commander, c’est-à-dire tirer le meilleur parti possible desagents qui composent l’entreprise ;

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– coordonner, c’est-à-dire synchroniser l’ensemble desactions de l’entreprise pour garantir cohérence et efficacité ;– contrôler, ce qui revient à vérifier si tout se passe confor-mément au programme adopté, aux principes admis.

Ces principes d’administration et de commandement ont étéédictés par H. Fayol car il est parti du constat que la très grandemajorité des dirigeants de l’époque ont été formés dans lesgrandes écoles françaises d’ingénieurs. Les programmes et lescours sont alors exclusivement consacrés à l’étude des mathé-matiques et à des aspects techniques et algorithmiques. Il sou-haite que l’administration, le commerce et la finance puissentêtre intégrés dans les programmes de formation des dirigeants.

2. Les concepts et les principes de commandement

H. Fayol est parti du constat qu’il n’existait pas en France devéritable doctrine administrative ce qui le conduit à formulerdes propositions en vue d’élaborer une théorie de l’organisa-tion qui puisse être utilisable par les dirigeants de grandesorganisations.

Selon ces principes d’administration, une organisation éla-bore un plan stratégique et définit ses objectifs, met en placeune structure adaptée à la réalisation de ses plans et progressegrâce au contrôle de l’activité. La finalité des travaux deH. Fayol est de montrer qu’un dirigeant peut obtenir lesmeilleures performances de son personnel par ses qualités decommandement des hommes et d’administration des cho-ses. Dans cette optique, il formule onze principes générauxd’administration.

• L’unité de commandement

Chaque employé ne doit avoir qu’un seul chef et il ne peutdonc pas exister de dualité de commandement.

• La division du travail

Ce principe implique une forte spécialisation des travailleurspour être davantage productifs.

• Le principe d’autorité

Celle-ci est envisagée comme étant à la fois statutaire et per-sonnelle, accompagnée des responsabilités correspondantes.

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• Le principe de discipline

Cela correspond à l’obéissance, l’assiduité, les signes exté-rieurs de respect réalisés conformément aux conventions éta-blies entre l’entreprise et ses salariés.

• L’unité de direction

Cela conduit à considérer qu’un seul leader et qu’un pro-gramme unique pour un ensemble d’opérations poursuiventle même but. Il s’agit d’une condition nécessaire à l’unitéd’action, à la coordination et à la concentration des forces envue d’une convergence d’effort.

• L’autorité de la hiérarchie

Selon H. Fayol, tout leader doit être capable d’assumer desresponsabilités hiérarchiques, de répandre autour de lui lecourage et de prendre des initiatives.

• La clarté de la hiérarchie

Il existe une chaîne hiérarchique qui est un cheminementimposé par le besoin d’une unité de commandement, il s’agitdu principe d’administration hiérarchique.

• Le sens de l’esprit de corps

Pour l’auteur, il faut un réel talent pour coordonner lesefforts, stimuler le zèle, utiliser la faculté de tous et récom-penser le mérite sans troubler l’harmonie des relations.

• Un système de rémunération équitable

Les modes de rétribution doivent encourager la création devaleur et le sort du personnel.

• Le principe d’équité

La manière dont sont gérés les salariés doit susciter un senti-ment de justice sociale.

• La stabilité du personnel

H. Fayol part du principe que les salariés des entreprises pros-pères doivent être stables. L’instabilité du personnel est envi-sagée comme la conséquence de dysfonctionnements sociaux.

Au total, les idées formulées par H. Fayol associent stratégieet théorie organisationnelle et montrent la nécessité de faireévoluer la fonction de commandement par le développement

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de qualités de leadership. En réalité, l’apport de Fayol, trèsen avance sur son temps, est considérable, car sa théorie anti-cipe, de manière inventive à l’époque, la plupart des analysesplus récentes de la pratique moderne du management desentreprises.

3. Les apports et les limitesde l’administration industrielle

La pensée de H. Fayol est souvent associée à tord à celle de Tay-lor. Dans son livre, il consacre pourtant plusieurs pages à unediscussion du système taylorien. Il critique en particulier la vio-lation par Taylor du principe d’unité de commandement.

Selon lui, Taylor commet une erreur considérable en recom-mandant plusieurs autorités d’experts au-dessus des ouvrierset regrette l’abandon de l’ancienne méthode qui consiste àpasser par le chef d’équipe. De plus, Fayol ne partageait pasl’idée d’une nécessité d’un contrôle étroit du travail. Aucontraire, il estimait que rien ne valait l’organisation libre deséquipes d’ouvriers et qu’il fallait leur laisser le choix de laméthode et de l’outillage. Il voyait même dans tout cela unesalutaire autosélection des ouvriers et une source supplémen-taire de bonne entente et d’émulation. L’histoire du manage-ment a probablement donné raison à Fayol. Pour autant, il estvraisemblable que Taylor et Fayol se complètent largement,l’un étudiant et organisant le travail depuis le poste del’ouvrier, et l’autre faisant la même chose depuis le directeurgénéral jusqu’à l’atelier de production. L’apport de Fayol estd’avoir introduit notamment la notion de prévoyance, c’est-à-dire la planification stricte, générale, autoritaire et contrôlée.

Au total, lorsqu’on relit les principes d’administration indus-trielle et générale, on mesure le remarquable modernismedont il a su faire preuve en particulier par ses mises en gardecontre l’excès de spécialisation et d’organisation du travail,ses appels à motiver par l’initiative et ses encouragements àla communication directe.

Finalement, l’œuvre de Fayol est encore riche d’enseigne-ments pour le management, ne serait-ce que lorsqu’onconsidère qu’il avait vu juste de promouvoir une plus grande

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culture générale du gestionnaire et pour une moindremathématisation dans la formation de ceux qu’il voyait alorscomme des administrateurs. Dans le même esprit, la penséedense et complexe d’un auteur comme Max Weber apportedes éclairages complémentaires pour le management.

IV. M. WEBER ET LA RATIONALISATION DE L’ORGANISATION

1. L’œuvre de M. Weber

Sociologue allemand et juriste de formation, Max Weber fitses études à l’Université de Berlin avant de devenir profes-seur d’économie politique. Il convient d’abord de savoir queles travaux de Weber n’ont été que très tardivement accessi-bles aux États-Unis et en France. Ainsi le premier textepublié par lui en Amérique est la traduction de L’Éthiqueprotestante et l’esprit du capitalisme. Les textes de Webersont très largement utilisés en sciences humaines et sociales.De manière générale, on peut considérer que L’Éthique pro-testante et l’esprit du capitalisme, publié en 1905, (ou encoreLe Savant et le Politique) intéressent principalement lessociologues des organisations. C’est surtout Économie etSociété (1922) qui concerne le champ du management.

À partir de cet ouvrage, il est le premier auteur à avoir analyséle rôle du leader dans une organisation et à examiner com-ment et pourquoi les individus réagissent à des formes diver-ses d’autorité. Par exemple, il est ainsi le premier auteur àutiliser le terme charisme dans son acception moderne carac-térisant les qualités personnelles d’ascendant sur les autresque peut posséder un individu. En fait, on peut aujourd’huiaffirmer que l’œuvre de Weber est considérable et qu’elles’articule pour l’essentiel autour de trois grands axes.

Le premier est philosophique puisqu’il s’interroge sur ledevenir d’une société européenne en proie aux éclatementsidéologiques et à la montée de l’individualisme et de la ratio-nalité. Il montre en ce sens les dangers de la rationalité crois-sante due à la capacité de calcul et pouvant conduire à limiterles capacités de créativité et d’innovation qui ne sont possi-

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bles, selon lui, que par des actes déviants et irrationnels. Lesecond axe concerne une théorie des sciences humaines àpartir d’une étude des conditions scientifiques de la connais-sance des faits humains. C’est à partir de là que Weber pro-pose le recours à ses fameux idéaux types qui ne sont riend’autre qu’une construction intellectuelle que le savant éla-bore « en accentuant par la pensée » des données et des faitsdu réel « mais dont on ne rencontre jamais d’équivalent dansl’empirie ». Pour Weber, la bureaucratie telle qu’il l’a décritest par exemple un idéal type, un concept singulier dont lerôle et l’usage sont de mener, par comparaison entre idéaltype et réalité, à la compréhension de situations réelles.Enfin, le troisième axe, et probablement le plus importantchez Weber, c’est l’axe sociologique. En effet, Max Weberest aujourd’hui considéré par les sociologues comme le maî-tre de la sociologie compréhensive. Il s’agit d’une sociologiequi cherche à comprendre la réalité sociale par la pénétrationet l’interprétation des significations que les personnes don-nent à leurs actes. « Il n’est pas nécessaire d’être César pourcomprendre César », écrit-il dans Économie et Société.

2. Les fondements de l’autoritéet du pouvoir dans les organisations

Le point de départ de l’apport de Weber à la théorie desorganisations réside dans une analyse des formes d’adminis-tration au sens large du terme. Ces travaux s’intéressent à lamanière dont les hommes gouvernent en particulier pourimposer une autorité et faire en sorte que la légitimité decelle-ci soit reconnue par tous. Selon Weber, on peut distin-guer trois types d’autorités légitimes : l’autorité à caractèrerationnel, de laquelle se rapproche le plus l’administrationmoderne, l’autorité traditionnelle et l’autorité à caractèrecharismatique.

• L’autorité rationnelle ou légale

Il considère cette forme d’autorité comme la forme domi-nante des sociétés modernes. Celle-ci repose sur un systèmede buts et de fonctions étudiés rationnellement, conçu pourmaximiser la performance d’une organisation et mis à exécu-tion par certaines règles et procédures. L’essentiel des déci-

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sions et des dispositions est écrit. C’est la fonction ici plutôtque l’individu qui est investi de l’autorité. Ce système imper-sonnel correspond pour Weber à la bureaucratie qui est pourlui la forme d’administration des choses la plus efficace car ellene tient pas compte des qualités personnelles des individus.

• L’autorité traditionnelle

Celle-ci est davantage liée à la personne qu’à la fonction enparticulier au sein des entreprises familiales. Le nouveau leaderse voit confier son mandat par son prédécesseur. Ce conceptde tradition peut également se trouver dans les cultures de cer-taines entreprises où l’attitude dominante consiste à dire« nous avons toujours fait comme cela ». Cette forme d’autoritérepose ainsi sur l’adhésion au bien-fondé de dispositions trans-mises par le temps. L’obéissance est fondée sur une relationpersonnalisée et le droit est un droit coutumier.

• L’autorité charismatique

Celle-ci repose sur les qualités personnelles d’un individu etne peut se transmettre car elle tient exclusivement à sa per-sonnalité. Il s’agit d’une relation de prophète à adeptes quiimplique la révélation d’un héros et sa vénération. Cepen-dant, celle-ci est assez instable car si le détenteur du pouvoirest abandonné par la grâce, son autorité s’effrite. Le groupefonctionne ainsi comme une communauté émotionnelle.

Pour comprendre cette typologie de l’autorité et de sa légi-timité à l’exercer, il convient de ne pas perdre de vue queWeber n’entend pas faire une description de la réalité empi-rique. Les trois formes d’autorité dont il rend compte sontplutôt des idéaux types, c’est-à-dire des constructions théo-riques qui visent à opérer des comparaisons avec la réalitéobservée et à analyser des écarts. On insiste particulièrementsur cette notion d’idéal type car elle est bien centrale dans lapensée de Max Weber. On retrouve cette logique intellec-tuelle dans son élaboration d’une théorie de la bureaucratie.

3. La théorie de la bureaucratie

Selon Max Weber, le système rationnel est le pilier d’uneadministration efficace. Les grandes caractéristiques de ladirection administrative bureaucratique la rapproche forte-

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ment de l’idéal type de l’autorité à caractère rationnel-légal.Weber indique que cette forme d’organisation se retrouvedans toutes sortes d’entreprises. Il pense qu’une telle formed’organisation présente une logique de fonctionnement laplus rationnelle sur le plan formel, de par son exigence deconformité réglementaire, de par sa prévisibilité et en raisonde sa précision technique. La nécessité de l’administration demasse, tant des biens que des personnes, rend la bureaucratieinévitable. Selon sa pensée, une bureaucratie performanteapplique principalement les idées suivantes :

– les agents sont personnellement libres, soumis à une auto-rité seulement dans le cadre officiel de leur fonction ;– ils sont organisés dans une hiérarchie d’emplois clairementdéfinie ;– chaque emploi a une sphère de compétences légales for-mellement définie ;– l’emploi est occupé sur la base d’une libre relation contrac-tuelle ;– les candidats sont sélectionnés sur la base de leurs qualifi-cations techniques ;– ils sont rémunérés par un salaire fixe et ont droit à uneretraite ;– la promotion dépend de l’ancienneté et du jugement dessupérieurs ;– chaque agent est soumis à une discipline et à un contrôlestrict et systématique de son travail.

Ces critères, bien que largement critiqués par les théoriciensdu management, sont en vigueur dans beaucoup d’organisa-tions. Il y a près d’un siècle, Weber était convaincu de leursupériorité pour conjuguer les efforts des individus au travail.Selon lui, le capitalisme a joué un rôle majeur dans le déve-loppement de la bureaucratie puisque c’est un système éco-nomique fondé sur le calcul rationnel du gain à long terme.Il établit également un lien entre organisation et religion àtravers sa thèse consacrée aux relations étroites selon luientre l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme. Fonda-mentalement, il pense que l’essor du capitalisme et de labureaucratie est favorisé par une attitude morale particu-lière : la religion protestante qui favorise l’accumulation du

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capital avec sa croyance dans une rédemption fondée sur uneactivité créatrice sur terre. Pour Max Weber, le système capi-taliste repose sur l’entreprise rationnelle, industrielle dont lebut est de faire du profit par le calcul économique et la pro-duction. C’est la jonction du désir du profit et la rationalitéqui constitue l’originalité du capitalisme occidental. Mais il ya bien une mentalité particulière, une éthique protestanteselon laquelle les biens et les richesses accumulés ne doiventpas être dépensés de manière somptuaire. Au contraire, cetteaccumulation de richesses va de pair avec une morale austère,méfiante vis-à-vis du monde et de la jouissance qu’il pourraitprocurer. Cette vision du monde se développe dans un cli-mat individualiste, chacun est seul face à Dieu. Cette affinitéspirituelle entre l’état d’esprit protestant et le capitalismerepose sur une organisation rationnelle et légale du travail envue de produire toujours davantage dans l’intérêt général.

Ce chapitre, consacré à l’examen des théories classiques desorganisations, correspond en réalité à une première vague deréflexion qui a dominé la pensée scientifique et managérialedes années 1900 à 1930. Elle peut se définir comme lavolonté de mettre de l’ordre dans les organisations par l’éta-blissement de règles strictes. L’organisation étant conçuecomme un mécanisme destiné à produire des biens ou desservices dans lequel chaque individu est un rouage.

Cette période correspond également à des contextes écono-miques et sociaux bien déterminés. Le taylorisme est avanttout une réponse aux contradictions soulevées par le modede production artisanal, dominant à la fin du siècle dernier.À cette époque, l’organisation scientifique du travail a faitpreuve d’une incontestable efficacité, en raison des gains deproductivité qu’elle a générés. Le taylorisme a aussi permis,grâce à la réduction des temps d’apprentissage d’intégrerdans l’industrie en plein essor une main d’œuvre nouvellepeu qualifiée, d’origine rurale ou immigrée. La décomposi-tion du travail en tâches élémentaires a accéléré le dévelop-pement de la mécanisation et un mode de productionfordiste, fondé sur la production de biens standardisés. Cari-caturée par Chaplin dans Les Temps modernes, la chaîne demontage accroît l’intensité du travail et élimine les temps

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improductifs. Le modèle industriel occidental mis en œuvredans les grandes entreprises combine ainsi plusieurs apportsthéoriques complémentaires : le taylorisme qui fait référenceà des concepts organisationnels de base, le fordisme dési-gnant le travail sur les lignes d’assemblage et de standardisa-tion de produits, la contribution de Fayol vers une unité decommandement, de direction, de prévoyance et de coordi-nation dans les organisations.

L’œuvre de Weber à travers sa théorie de l’action rationnellevient alors renforcer l’idée dominante selon laquelle il estimportant de dépersonnaliser les relations de travail en vuede renforcer l’équité dans les organisations. Si, incontesta-blement, les apports de cette école classique ont contribuéactivement à la création de richesses, de nombreuses criti-ques apparaissent progressivement dans les organisations. Ils’agit alors de chercher à humaniser les relations de travail,cela constitue le champ d’action principal de l’école des rela-tions humaines.

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Chapitre 2

Le m ouvem en t d es r e l a t i o ns hum a i nes

L’effort de rationalisation a fortement contribué au dévelop-pement industriel. Pour autant, l’application de l’idéologietaylorienne et du modèle fordiste de production va déclen-cher une double réaction. D’une part, un mouvement va sedévelopper contre les excès de la division du travail. D’autrepart, l’idée de rationalisation correspondant en fait à unesacralisation des solutions proposées par les auteurs classi-ques va être remise en cause. Le label scientifique mis enavant par les ingénieurs et techniciens, les directions et lesbureaux des méthodes sera de plus en plus discuté. Les prin-cipes d’organisation du travail définis par Taylor et les réor-ganisations menées par Ford ont été étendus à denombreuses usines au cours de la première guerre mondiale.Les conditions matérielles et humaines de la productionindustrielle ont été ainsi transformées de manière radicale etirréversible. Le machinisme industriel a poussé les entreprisesà porter une attention soutenue à l’individu dans le systèmede production, ce qui a eu pour principale conséquence dedéshumaniser les relations de travail. La psychologie indus-trielle et la psychosociologie naissantes s’intéressent à la fati-gue au travail et vont orienter les organisations dans ladirection d’une meilleure connaissance des individus et desgroupes au travail. Concrètement, l’effort de rationalisationet d’efficacité amorcé par Taylor, Fayol et Weber s’est rapi-dement heurté à de fortes résistances : elles ont été globale-ment attribuées au facteur humain que les chercheurs ensciences sociales ont tenté de valoriser.

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L’idée selon laquelle les connaissances dans les entreprisespeuvent être aussi détenues par tous les acteurs sociauxémerge et s’impose progressivement. À partir des années 30,la vision de l’homme au travail change de perspective. Lemouvement des relations humaines apparaît en contestationde l’approche classique des organisations et s’intéresse auxaspects psychosociologiques, à la vie des groupes humainsainsi qu’à la dimension relationnelle au sein de l’organisa-tion. Il est aujourd’hui symbolisé par la pensée d’auteurs telsque E. Mayo, K. Lewin, R. Likert, H. Maslow, D. Mc Gre-gor, F. Herzberg et C. Argyris qui sont en réalité les précur-seurs de ce que sera plus tardivement la gestion desressources humaines.

I. ORIGINE ET DÉVELOPPEMENT DE L’ÉCOLE DES RELATIONS HUMAINES

1. George Elton Mayo (1880-1949) et les expériences de la Western Electric de Chicago

Né en Australie, il s’établit en 1922 aux États-Unis où ildevient professeur de psychologie industrielle à la WhartonSchool de Philadelphie, puis à Harvard (1926-1947). Aprèsavoir effectué de brèves études de médecine à Edimbourg enÉcosse, il étudie la philosophie et la psychologie en Australieoù il enseigne la logique. Il s’intéresse très tôt à la questionde la répétition des tâches et ses conséquences sur l’hommeet mène des recherches sur la fatigue et la psychologie médi-cale. Aux États-Unis, il réalise des recherches plus approfon-dies sur l’homme au travail au sein du Harvard FatigueLaboratory et du Laboratory Department of IndustrialResearch créés en 1926.

La recherche la plus connue est celle réalisée au sein des ate-liers Hawthorne de la Western Electric Company de Chi-cago démarrée en 1924. Cette compagnie s’intéresseparticulièrement aux effets de l’amélioration de l’éclairagesur la production ouvrière au travail. Les résultats de l’étudemontrent que la productivité augmente avec l’améliorationde l’éclairage mais les responsables de l’expérience se ren-dent compte que les facteurs à l’origine de cette constatation

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ne sont pas de nature strictement physiologique. Ils fontainsi appel aux chercheurs de Harvard, et plus particulière-ment à E. Mayo qui était connu pour ses travaux sur la fati-gue et sa critique des conceptions tayloriennes du travailpréconisant entre autre, l’introduction de pauses dans le pro-cessus de production. La recherche est réalisée à Ciceronprès de Chicago à l’usine de Hawthorne. E. Mayo et sonéquipe commencent leurs investigations à partir de 1927,l’étude de terrain durera environ 5 ans jusqu’en 1932. Leschercheurs modifient radicalement l’esprit des expériencesantérieures. Les nouvelles expériences ne portent plus surl’éclairage mais sur la fatigue, l’intérêt du travail, les effets del’introduction de pauses et, d’une manière générale, la trans-formation des conditions de travail.

Ces recherches expérimentales conduisent à observer pro-gressivement des effets autour de l’influence des attitudes etdes relations de travail sur la qualité de la production, sansaboutir pour autant à une interprétation satisfaisante. Ladirection générale de l’usine, suite à cette première vagued’expériences, décide de poursuivre la recherche.

Dans une seconde vague, plus de 1 600 entretiens sont réa-lisés auprès d’employés appartenant à différents services etniveaux de responsabilité de l’usine. Ces entretiens montrentl’importance des opinions du personnel et suggèrent auxchercheurs de distinguer deux dimensions au travail. En pre-mier lieu, il existe un système formel d’organisation du tra-vail bien connu par le bureau des méthodes. En deuxièmelieu, et cela est essentiel, il existe aussi un système informelconstitué par les sentiments, les attitudes et les relationsentre les membres du personnel. Ces observations condui-sent alors à une recherche d’approfondissements sur lanature de ce système informel ce qui amène à une troisièmephase d’investigations. De nouvelles observations sont alorsréalisées dans une perspective plus anthropologique demanière à chercher à appréhender le poids de cette construc-tion sociale informelle sur la production.

Cette série d’expériences visait à modifier les conditions detravail au sens large pour en mesurer les effets sur la produc-tivité humaine au travail. Chemin faisant, E. Mayo et son

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équipe ont progressivement découvert le célèbre effetHawthorne qui est une réaction positive du groupe de travailobservé liée à la prise en compte de facteurs psychosociolo-giques en situation de travail.

Fondamentalement, ce n’est pas tant l’amélioration desconditions objectives de travail que l’attention aux relationshumaines qui permet l’accroissement de la productivité.Dans ces travaux, E. Mayo parle d’une illumination fonda-mentale puisque l’ensemble des ouvriers non soumis auxexpériences, et ne bénéficiant d’aucun changement, ont aug-menté et maintenu un haut niveau de productivité. De plus,lorsqu’il a l’idée géniale de supprimer toutes les améliora-tions apportées jusque-là auprès de l’atelier d’assemblage, ilobserve un maintien global du niveau de productivité.Comment expliquer ce mystère ? Que s’est-il donc produit ?Finalement, la grande découverte des chercheurs àHawthorne réside dans l’idée que le seul fait de montrerconcrètement aux ouvriers, par les expériences et par la pré-sence des chercheurs, que l’on s’intéresse à eux et à leur sort,a provoqué un regain de motivation et d’intérêt au travail.

Tout ceci a conduit E. Mayo à élaborer une théorie des rela-tions humaines publiée pour l’essentiel dans un ouvrage paruen 1933, The Social Problems of an Industrial Civilization.

2. La théorie des relations humaines

Le principe de l’effet Hawthorne a été mis en évidence demanière fortuite puisque les premières études visant à mesu-rer les impacts de l’illumination des ateliers de productionsur la productivité reposaient en réalité sur un postulat tay-lorien. Il s’agissait de créer les meilleures conditions maté-rielles possibles de travail pour améliorer son efficacité.

La première conclusion fut la découverte d’autres facteurs destimulation humaine que les seules conditions physiques detravail. Cela a conduit à plusieurs enseignements riches deconséquences pour l’organisation industrielle. En premièreanalyse, la simple connaissance par l’individu du fait qu’il estsujet d’observation et d’attention modifie son comporte-ment productif. En l’occurrence, c’est l’intérêt de la direc-

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tion de la compagnie pour les ouvriers qui fait que laproductivité augmente. Il s’agit bien d’une réaction positiveen rupture avec les savoirs traditionnels sur la connaissanceclassique du comportement humain en situation de travail.

En seconde analyse, E. Mayo a mesuré à quel point les rela-tions interpersonnelles à l’intérieur des groupes sont impor-tantes au sein des ateliers de production. Ce qui prime, c’estla cohésion globale au sein d’un groupe. La dimension grou-pale ignorée par Taylor et ses continuateurs s’avère décisivesur la productivité d’une usine.

En troisième analyse, les groupes de travail créent en leursein un système social de relations interpersonnelles puisque,par exemple, des leaders d’opinions apparaissent. Les grou-pes produisent ainsi des normes et des règles sociales infor-melles de comportement auxquelles l’ensemble desindividus se conforme. L’identification de ces normes decomportement informelles indique l’importance du facteurhumain sur la production. Par exemple, il ne fallait jamaisproduire trop et éliminer les casseurs de cadence. Il ne fallaitjamais dire à un contremaître quoi que ce soit au détrimentdu groupe et réprimander les mouchards.

En définitive, l’apport essentiel de l’école des relationshumaines est d’avoir démontré l’effet du groupe et de sesrelations interpersonnelles, affectives, émotionnelles sur lecomportement des ouvriers et leur productivité au travail.Une telle organisation humaine renvoie à l’individu dans sesémotions, mais aussi au réseau complexe de relations entreindividus et groupes dans l’usine.

Cette organisation informelle mais active est une construc-tion sociale puisqu’elle est le produit des relations entre lesmembres du groupe et du système industriel au sens large.Enfin, les chercheurs ont découvert la dimension idéologi-que à travers leurs expériences en observant que l’usine estun lieu d’idées, de croyances, de valeurs partagées quis’expriment à travers des logiques d’action très différentes decelles des coûts ou de l’efficacité.

Au total, on peut dire que Mayo et son équipe ont mis enévidence la dimension systémique et complexe de la ques-

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tion de l’homme en situation de travail industriel. Cettevision interactionniste des rapports humains et des relationssociales dans le monde du travail, constitue l’un des fonde-ments de la théorie des relations humaines qui sera à l’ori-gine de nouvelles expériences en matière de gestion dupersonnel.

3. Portée et limites de la théoriedes relations humaines

Fondamentalement, les travaux de E. Mayo et de l’écoledes relations humaines ne remettent pas en cause le sys-tème d’organisation industrielle au sein duquel ils se sontdéveloppés. Ils introduisent néanmoins un enrichissementnotable dans l’analyse des organisations en mettant en évi-dence le rôle de la dimension sociale. Ils sont aussi à l’ori-gine de réflexions et d’expériences sur la motivation del’homme au travail et incitent les entreprises à valoriser lesystème humain dans la recherche de la performance éco-nomique.

L’équipe de recherche à Hawthorne visait une connaissanceplus intime de l’employé et de ses attentes pour lui assurerun meilleur moral, lui-même nécessaire à un rendementaccru. La volonté de faire du profit en minimisant les coûts,caractéristique de la logique managériale traditionnelle, aentraîné une série de mesures manipulatrices qui ont trans-formé les résultats originels du mouvement des relationshumaines en recettes de gestion des hommes.

Cela explique le peu de réussite opérationnelle du mouve-ment qui a davantage amené une sensibilisation à la questionsociale dans l’organisation. Il ne faut pas perdre de vue queles travaux de Elton Mayo vont faire en sorte qu’un pro-blème essentiellement de pouvoir, de rapports de forces, dedomination économique va être occulté et traité de manièrequasi exclusive par la psychologie et la dimension socio-affective. Cela a d’ailleurs été largement utilisé par les équi-pes dirigeantes de grandes organisations industrielles. Cescritiques n’enlèvent rien aux acquis du mouvement mais enlimitent en réalité la portée opérationnelle.

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II. LES STYLES DE COMMANDEMENTET LA DYNAMIQUE DES GROUPES

1. Les travaux de K. Lewin (1890-1947)

Né en Allemagne, docteur en philosophie, il effectue desrecherches en psychologie à l’Université de Berlin avantd’émigrer aux États-Unis où il devient professeur à l’Univer-sité de Stanford (Californie). En 1935, il publie un ouvragede référence : A Dynamic Theory of Personality. Au niveau deses recherches, K. Lewin s’intéressera pour l’essentiel à deuxquestions : le mode d’exercice de l’autorité et de leardershipainsi que la dynamique des groupes.

Les travaux de Lewin sont essentiellement consacrés aux phé-nomènes de groupes humains restreints, aux problèmes deleadership, de climat social, de comportements de groupe.

2. Les différentes approches du leadership

À partir de recherches expérimentales réalisées sur des groupesd’enfants, K. Lewin distingue trois formes de leadership ou demode d’exercice du commandement. En premier lieu, le lea-dership autoritaire qui se tient à distance du groupe et use desordres pour diriger les activités du groupe. En second lieu, leleadership démocratique qui s’appuie sur des méthodes semi-directives visant à encourager les membres du groupe à faire dessuggestions, à participer à une discussion ou encore à fairepreuve de créativité. Enfin, le leadership du laisser-faire qui nes’implique pas dans la vie du groupe et qui participe au strictminimum aux différentes activités. Les observations réalisées surdes groupes d’enfants à partir de ces trois modes d’exercice dupouvoir conduisent aux conclusions suivantes.

Au sein du premier groupe dirigé autoritairement, le rende-ment est manifestement plus élevé que dans les autres grou-pes. Pour autant, la pression portée sur le groupe fait qu’iln’y a pas de véritable relation de confiance, ce qui se traduitparfois par des actes de défiance ou de rébellion. Certainsenfants ont parfois adopté une attitude agressive au sein dugroupe ce qui a eu des conséquences en particulier surl’ambiance de travail et le climat social.

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Au sein du deuxième groupe, il apparaît que la mise en placed’un système d’animation du groupe fondé sur la démocratiene s’est faite que progressivement. En effet, l’acquisition par legroupe de règles de fonctionnement subtiles a nécessité un cer-tain temps d’apprentissage. Pour autant, Lewin observe que lesmembres du groupe avec un leader démocratique manifestaientdes relations plus chaleureuses et amicales, participaient beau-coup plus aux activités du groupe et, une fois le leader parti,continuaient le travail et faisaient preuve d’autonomie dans letravail. Les expériences montrent les difficultés inhérentes à lamise en place de ce mode d’exercice de l’autorité qui conduit àdes résultats intéressants à moyen terme.

Enfin, le laisser-faire semble constituer la pire des méthodes.Le groupe n’obtient pas de résultats satisfaisants, reste para-doxalement très dépendant d’un leader peu impliqué etdemeure constamment en quête d’informations et de consi-gnes. En définitive, ces recherches montrent la supérioritéd’un mode de management démocratique, fondé sur desméthodes semi-directives, sur d’autres approches du com-mandement. Néanmoins, ces travaux indiquent égalementles conditions inhérentes à la mise en place d’un tel système :l’importance du dialogue, de la confiance dans les relationspédagogiques ainsi que de la logique de responsabilisationd’un groupe face à des activités à réaliser.

3. La problématique de la dynamique des groupes

Kurt Lewin est l’inventeur du terme dynamique de groupe(dynamic group) en 1944. À partir de 1943, le gouvernementaméricain demande à l’équipe de recherche d’étudier la possibi-lité de changer les habitudes de consommation des ménagèresaméricaines. Il s’agit d’examiner les conditions de remplacementde la consommation de viandes par des abats, les pouvoirs publicscraignant alors une menace de pénurie en période de guerre.

Lewin et son équipe décident de mettre en place deux groupesexpérimentaux composés de ménagères. Les deux groupes sontrelativement homogènes quant à leur composition mais vontêtre animés de manière très différente. Au sein du premiergroupe, il est décidé d’organiser une conférence réalisée par unmédecin, spécialiste en nutrition, en vue de persuader les ména-

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gères des vertus pour la santé de la consommation d’abats. Laconférence est réalisée sous couvert d’un certain patriotisme etsemble tout à fait convaincante. À l’issu de celle-ci, un nombreimportant de ménagères manifeste leur intention de consom-mer des abats. Dans le second groupe, l’approche retenue enmatière d’animation du groupe est très différente. En effet, lespsychologues organisent une discussion entre les ménagèresautour de la question de la consommation d’abats de viande.Ces discussions s’avèrent être particulièrement animées, voirevives dans certains cas, et conduisent à des prises de positionface à cette question. À l’issu de la séance, on observe que legroupe est finalement beaucoup plus partagé que dans le pre-mier cas, quant aux intentions de consommation d’abats. Quel-ques temps après, les chercheurs se sont efforcés de mesurer ausein de chaque groupe le niveau réel de passage à l’acte. Finale-ment, l’enquête montre que davantage de personnes ont con-sommé des abats de viande dans le second groupe que dans lepremier. Que s’est-il donc passé ?

K. Lewin expliquera le phénomène à partir du concept dedynamique de groupe. Dans le premier cas, les ménagèressont passives face à un exposé qui n’implique pas leur parti-cipation, la plupart d’entre elles n’ont pas mémorisé le mes-sage clé. Cela n’a pas eu de véritables impacts sur leurshabitudes de consommation. Dans le second cas, les mem-bres du groupe ont remis collectivement en cause leurs habi-tudes et leurs normes de consommation. Les ménagères ontdébattu de la question, parfois en s’opposant. Cela a mani-festement renforcé la mémorisation et l’implication face auproblème posé. C’est en réalité cette forte interaction entreménagères sur le sujet qui les a conduits au passage à l’acte.

Au final, cette célèbre expérience montre l’importance de lavie d’un groupe, des échanges interpersonnels, des remisesen cause collectives qui peuvent finalement favoriser unchangement de consommation.

4. R. Likert (1903-1981)et le principe des relations intégrées

Professeur de psychologie industrielle à l’Université duMichigan aux États-Unis, Rensis Likert conduit des recher-

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ches sur les attitudes et les comportements humains au tra-vail. Dans cette perspective, il est un continuateur de Mayoet Lewin puisqu’il cherche à comprendre dans quelle mesurela nature des relations entre supérieur et subordonné peutconduire à des résultats très différents dans un contexteorganisationnel identique. Les résultats de ses recherchessont publiés en 1961 dans un ouvrage intitulé Le Gouverne-ment participatif de l’entreprise.

À partir d’enquêtes auprès de directeurs de grandes compa-gnies d’assurances, il observe que ceux qui ont les résultatsles plus médiocres présentent des traits communs. Leurconception du commandement les conduit à se focaliser surles tâches à accomplir ; leur mission est avant tout orientéevers la surveillance et le contrôle ; ils adoptent les principesde l’organisation taylorienne du travail (travail prescrit,aucune autonomie, salaire au rendement, etc.). Ce mode demanagement est dominant après la Deuxième Guerre mon-diale aux États-Unis.

Pour autant, il révèle que certains dirigeants semblent obte-nir de meilleurs résultats car ils ont une autre attitude vis-à-vis des hommes en situation de travail. En effet, ils ont laconviction qu’il est nécessaire de comprendre les attentes etles valeurs personnelles des salariés afin d’améliorer leurdegré de motivation et d’implication au travail. Pour ce faire,leur mode de commandement vise, pour l’essentiel, à établirune relation de confiance durable dans l’organisation, enadoptant un comportement fondé sur l’empathie, c’est-à-dire l’écoute et la prise en considération des capacités de cha-cun et des difficultés rencontrées. Cette grande enquête apermis à Likert de poser le principe des relations intégrées,selon lequel les relations entre les membres d’une organisa-tion intègrent les valeurs personnelles de chacun. Cela con-duit à considérer que dans une organisation, toute personnedoit se sentir considérée et nécessaire dans l’entreprise pourtravailler efficacement.

Selon Likert, l’efficacité au travail passe par l’abandon de larelation man-to-man (homme contre homme) et nécessite lamise en œuvre d’une organisation par groupe de travail ausein duquel les problèmes rencontrés sont abordés et résolus

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collectivement. Il développe l’idée d’un mode de manage-ment participatif par groupe de travail. Les enquêtes réali-sées, indiquent que ce mode d’organisation semble plusefficace, car il s’appuie sur des attitudes plus coopératives etsur des relations de confiance. Pour autant, Likert note quece mode de management est complexe à mettre en place caril nécessite l’acquisition par les salariés de règles de fonction-nement subtiles, ainsi qu’un niveau de convergence suffisantentre les valeurs personnelles des membres du groupe.

III. LA THÉORIE DES BESOINS ET DES MOTIVATIONS

1. L’apport de H. Maslow

Psychologue de formation et spécialiste du comportementhumain, H. Maslow (1908-1970) est l’un des premiersthéoriciens à s’intéresser explicitement à la motivation del’homme au travail. En 1954, il publie un ouvrage qui feraréférence sur la question de la motivation au travail : Motiva-tion and Personality. La théorie de H. Maslow a connu unvéritable retentissement en milieu industriel. Ses recherches,en particulier sa fameuse pyramide des besoins humains, sontuniversellement connues.

Dans le prolongement des travaux de Mayo, Maslow metl’accent sur l’analyse des besoins de l’homme pour mieuxcomprendre ce qu’il recherche à travers son activité profes-sionnelle. Il formule l’idée directrice selon laquelle le com-portement humain au travail est d’autant plus coopératif etproductif qu’il trouve dans l’organisation une occasion deréalisation de soi et d’épanouissement personnel. Il inventele concept de hiérarchie des besoins, des plus élémentairesaux plus complexes, pour définir les origines de la motivationhumaine. Pour ce faire, Maslow distingue cinq catégories debesoins hiérarchisés :

– les besoins physiologiques (se nourrir, se désaltérer, etc.) ;– les besoins de sécurité (se protéger, être protégé, etc.) ;– les besoins d’appartenance et d’affection (être accepté,écouté par les autres, etc.) ;– les besoins d’estime et de prestige (être reconnu, valorisé, etc.) ;

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– les besoins de réalisation ou d’accomplissement (utiliser etdévelopper ses capacités, s’épanouir dans son travail, etc.).

L’hypothèse centrale de Maslow est qu’une fois que lesbesoins physiologiques et de sécurité fondamentaux d’unindividu sont satisfaits, les besoins sociaux ou supérieurspourront l’être à leur tour. Suivant l’auteur, un besoin deniveau supérieur ne peut être perçu que lorsque les besoinsde niveau inférieur sont suffisamment satisfaits. Maslowdéveloppe également l’idée qu’aucun de ces besoins n’estabsolu puisque dès que l’un d’eux est satisfait, il cesse d’êtreimportant. Finalement, un besoin satisfait ne constitue pasune motivation en soi.

Ces travaux s’opposent aux idées de Taylor qui ne prenait enconsidération que les deux premiers niveaux de besoins. Eneffet, Maslow identifie des besoins et des motivations socia-les plus profonds au travail tels que l’identité, la reconnais-sance, la considération ou encore la réalisation de soi.

2. D. Mc Gregor et la dimension humainede l’entreprise

Professeur de psychologie industrielle aux États-Unis (MITà Harvard), Douglas Mc Gregor (1906-1964) va plus loinque Maslow et élabore une véritable théorie de manage-ment, c’est-à-dire une manière de conduire les hommes.Celle-ci est publiée dans un ouvrage de référence paru en1960 : La Dimension humaine de l’entreprise.

Il part du constat qu’il n’existe pas de théorie satisfaisante dela fonction de management du fait qu’aucune ne rendcompte du potentiel que représentent les ressources humai-nes dans l’entreprise. En comparant les programmes de for-mation des dirigeants de grandes entreprises américaines, ilen conclut que les résultats de la formation ont peu d’effetssur les pratiques. Selon lui, les dirigeants changent leur men-talité, leur comportement et leur style de management nonpas en fonction du contenu de la formation, mais de laconception qu’ils se font de leur rôle de dirigeant. Il formulel’idée qu’ils font des hypothèses implicites sur la naturehumaine au travail qui guident leur conception du manage-

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ment. D. Mc Gregor oppose deux conceptions de l’hommeau travail qu’ils appellent la théorie X et la théorie Y.

• La théorie X

Cette conception de l’homme au travail est pour lui large-ment dominante aux États-Unis et repose sur trois hypothè-ses implicites :

– l’individu moyen éprouve une aversion innée pour le tra-vail qu’il fera tout pour éviter ;– à cause de cette aversion à l’égard du travail, les individusdoivent être contraints, contrôlés, dirigés, menacés de sanc-tion, si l’on veut qu’ils fournissent les efforts nécessaires à laréalisation des objectifs organisationnels ;– l’individu moyen préfère être dirigé, désire éviter les respon-sabilités, a peu d’ambition et recherche la sécurité avant tout.

À travers la théorie X, Mc Gregor montre que ces hypothèsessont en réalité de véritables postulats pour les dirigeants etconstituent une idéologie dominante. À partir de ce dia-gnostic, il propose de nouvelles hypothèses, de nouveauxpostulats opposés à la théorie X : la théorie Y présentéecomme une réelle alternative en termes de conception dumode de management.

• La théorie Y

Elle repose sur quatre principes :

– la dépense physique est aussi naturelle que le jeu ou le repospour l’homme. Il peut s’autodiriger et s’autocontrôler ;– l’engagement personnel est en fait le résultat d’une recher-che de satisfaction de besoins sociaux. L’homme apprend àrechercher les responsabilités ;– la capacité d’exercer son imagination, sa créativité au ser-vice d’une organisation est largement répandue parmi leshommes ;– dans beaucoup de conditions de travail, les possibilitésintellectuelles des hommes sont largement inutilisées.

Pour Mc Gregor, ces deux approches induisent deux stylesde gestion et de management différenciés. Il développe lathèse suivant laquelle la théorie Y et le style de gestion qui enrésulte sont plus adaptés à la nature humaine car ils reposent

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sur des motivations plus profondes. En effet, cette concep-tion du management permet d’intégrer les buts de l’individuet de l’organisation à travers le mode de management. Lesalarié doit pouvoir remplir ses propres besoins en accom-plissant les objectifs de l’organisation. Finalement, Mc Gre-gor pense que les individus peuvent révéler des potentielsbeaucoup plus importants que l’encadrement actuel desentreprises ne peut l’imaginer. Si la théorie X nie l’existenced’un tel potentiel, la théorie Y donne la possibilité à l’enca-drement d’innover, de découvrir de nouveaux moyensd’organiser et de diriger l’effort humain.

3. F. Herzberg et la théorie des deux facteurs

Né en 1923, Frederick Herzberg, psychologue clinicien, estaujourd’hui professeur de management à l’Université de l’Utahaux États-Unis. Ses travaux portent pour l’essentiel sur la ques-tion de la motivation humaine au travail. En 1959, il publie unouvrage de référence : Le Travail et la Nature de l’homme.

L’idée principale de Herzberg est que les circonstances quiconduisent à la satisfaction et à la motivation au travail nesont pas de même nature que celles qui conduisent à l’insa-tisfaction et au mécontentement. Il élabore ainsi une théoriedite des deux facteurs ou bifactorielle, et part du constat queles réponses des individus sont différentes selon qu’on leurdemande ce qui provoque leur motivation au travail et ce quidéclenche leur insatisfaction.

Pour élaborer sa théorie, Herzberg a utilisé la méthode desincidents critiques qui consiste, lors d’entretiens avec dessalariés, à leur demander de relater des événements concretsdans le passé au cours desquels les salariés se sont sentisexceptionnellement satisfaits ou insatisfaits de leur travail. Àtravers l’analyse des réponses, il observe que ce ne sont pasles mêmes facteurs qui causent les souvenirs agréables et lessouvenirs désagréables. Il est progressivement amené à dis-tinguer deux grandes catégories de facteurs.

• Les facteurs de satisfaction

Ils sont appréhendés comme de réels facteurs de motivationde l’homme au travail. Ce sont des facteurs intrinsèques au

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travail qui sont exclusivement motivants pour Herzberg : laréalisation de soi, la reconnaissance, l’intérêt au travail, soncontenu, les responsabilités, les possibilités de promotion etde développement.

• Les facteurs d’insatisfaction au travail

Ils sont envisagés comme des facteurs d’hygiène ou demécontentement. Ils correspondent à des facteurs extrinsè-ques au travail : la politique de personnel, la politique del’entreprise et son système de gestion, le système de supervi-sion, les relations interpersonnelles entre salariés, les condi-tions de travail et le salaire.

Suivant la théorie de Herzberg, les deux sentiments satisfac-tion et insatisfaction ne sont pas opposés. Cela signifie que lamotivation ne peut pas venir de l’élimination des facteursd’insatisfaction. De même, si les facteurs de satisfaction dansle travail sont absents, les salariés ne feront pas preuve d’insa-tisfaction ou de mécontentement mais ne seront pas moti-vés. L’impact essentiel de ces travaux de recherche sur lamotivation va se faire dans les organisations à travers le mou-vement pour l’amélioration de la qualité de vie au travail.

Finalement, Herzberg distingue les différents éléments d’unemploi en deux catégories : ceux qui servent des besoins éco-nomiques ou vitaux, les besoins d’hygiène ou de mainte-nance, et ceux qui satisfont des motivations plus profondes,les facteurs de motivation. Il tire comme conclusion, que lesdirections d’entreprises doivent individuellement, élargir etenrichir le travail de chacun. Ce mouvement connaîtra enFrance son apogée dans les années 1970 à travers notam-ment les travaux de l’Agence nationale pour l’améliorationdes conditions de travail (ANACT). De nombreuses entre-prises industrielles s’efforceront d’améliorer le contenu dutravail fournit aux salariés en recherchant à développer l’inté-rêt, l’autonomie et la responsabilité des hommes au travail.

4. C. Argyris et le développement du potentielde l’individu dans l’organisation

Né en 1923 aux États-Unis, Chris Argyris est Professeur demanagement à Harvard où il enseigne l’administration des

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entreprises. Spécialiste en psychologie industrielle, il déve-loppe comme K. Lewin une méthode de recherche-interven-tion en milieu industriel. Il a publié de nombreux ouvrages surle management dont Personality and Organization en 1957.Pour Argyris, chaque individu a un potentiel qui peut êtredéveloppé ou infirmé par l’organisation et l’environnementparticulier du groupe pour lequel il travaille. Le développe-ment du potentiel de l’individu ne peut se faire qu’au bénéficemutuel de l’individu et de l’organisation mais les managersmanquent souvent de confiance interpersonnelle pour per-mettre un tel développement. À partir de l’étude de six socié-tés, Argyris conclut que la manière dont sont prises lesdécisions crée souvent une atmosphère de défiance etd’inflexibilité, alors que les managers concernés considèrentque la confiance et l’innovation sont essentielles pour uneprise de décision satisfaisante. Il préconise donc que les diri-geants s’efforcent de poser les questions importantes, suscep-tibles de produire des réponses, en période de tranquillité etse remettent en cause à partir d’enregistrements de leurs réu-nions pour entrer activement dans un processus d’apprentis-sage de leur comportement et de celui du groupe managé.

Dans ses recherches, Argyris identifie trois valeurs de basequi affectent les groupes de travail :

– les seuls rapports humains intéressants sont ceux qui ontpour résultat l’accomplissement des objectifs de l’organisa-tion. En d’autres termes, si les cadres concentrent leursefforts sur l’accomplissement des tâches, c’est souvent pouréviter d’approfondir les facteurs relationnels entre employéset le mécanisme de fonctionnement des groupes entre eux ;– il faut accentuer la rationalité cognitive, et minimiser lessentiments et les émotions. C’est ainsi que les relations inter-personnelles sont considérées comme hors de propos dans lecadre de l’entreprise et ne concernent pas le travail ;– les rapports humains sont plus utiles lorsqu’ils sont orien-tés par un système de direction, de coercition et de contrôleunilatéraux, ainsi que par des primes et des amendes. Argyrisconstate que l’autorité et le contrôle sont acceptés commeétant inévitables, inhérents et indissociables de la chaîne hié-rarchique.

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• Le concept de succès psychologiqueÀ partir de ce diagnostic, Argyris réalise une véritable criti-que de l’efficacité dans les entreprises. Pour la plupart desmanagers, une organisation efficace concourt à l’atteinte desobjectifs qu’elle s’est fixée. Cette définition est beaucouptrop restrictive selon lui. Il développe l’idée qu’une organi-sation efficace doit aussi utiliser toutes les ressources dontelle dispose, en particulier l’énergie humaine. Il souligne quel’énergie humaine a pour principale composante l’énergiepsychologique qui peut se développer sous la confiance etpropose le concept de succès psychologique.

Suivant Argyris, une organisation est efficace si elle permetfondamentalement à tous ses membres d’arriver au succèspsychologique. Pour ce faire, elle doit donner à tout un cha-cun la possibilité de développer son efficacité personnelle.Cela implique pour l’essentiel deux conditions. D’une part,les individus doivent s’accorder de la valeur et aspirer à unsentiment croissant de compétence notamment en se fixantdes défis à relever. D’autre part, l’entreprise doit favoriser lacompétence et l’estime de soi ce qui va à l’encontre de cul-tures organisationnelles favorisant au contraire l’apathie oule fatalisme. Le fonctionnement des organisations doit êtremodifié pour permettre aux individus d’atteindre le succèspsychologique.

Le modèle d’organisation suggéré par Argyris s’appuie ainsisur plusieurs principes d’actions : les interrelations entre lescomposantes de l’organisation peuvent favoriser sa direc-tion ; il doit exister une conscience globale de l’organisa-tion ; les objectifs réalisés doivent être ceux de l’ensemble del’organisation. Argyris ajoute l’idée qu’il doit exister au seindes organisations une capacité de modifier les activités inter-nes (restructurer les emplois, les services, etc.) et les activitésexternes (s’adapter à de nouvelles demandes, à de nouveauxclients, etc.). Enfin, il propose une vision élargie de l’avenirdes organisations puisqu’il insiste sur l’idée que les dirigeantset les managers doivent avoir une vision prospective et cher-cher à anticiper les grandes évolutions.

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Le mode de management préconisé pour accroître les chan-ces de développement du succès psychologique repose surles principes suivants :

– l’élargissement et l’enrichissement du travail par une parti-cipation au processus de prise de décision, une participationà la conception du travail et des informations sur les résultatsatteints ;– le changement de valeurs et de comportements des mana-gers davantage orienté vers la confiance et un managementrelationnel ;– la décentralisation du contrôle de gestion et la sensibilisa-tion des salariés aux aspects économiques de leur activité ;– l’évolution des systèmes de rémunération et d’évaluationdes employés. Ces derniers doivent être davantage orientésvers l’encouragement à une contribution au maintien du sys-tème d’organisation interne et à l’adaptation à l’environne-ment de l’entreprise. Ces systèmes doivent chercher àfavoriser le développement du potentiel des individus enaccordant plus d’attention aux facteurs émotionnels et à lacompétence interpersonnelle pour se rapprocher des valeursfondamentales de l’organisation.

• La théorie de l’apprentissage organisationnel

Les recherches de C. Argyris insistent particulièrement surl’idée que les organisations efficaces du futur seront cellesqui sauront capables de développer leur faculté d’adaptationgrâce à leur capacité d’apprentissage. Le développementd’organisations apprenantes semble être une nécessité pourles sociétés modernes. Selon l’auteur, il est indispensable queles routines défensives faisant obstacles au changement et àl’apprentissage soient maîtrisées. Argyris avance la thèse sui-vant laquelle c’est en aidant les membres de l’organisation àmodifier leur manière de raisonner et à faire l’apprentissaged’un raisonnement constructif que l’organisation deviendraapprenante. Les salariés doivent savoir non seulement résou-dre les problèmes routiniers liés à l’apprentissage qu’ilappelle en simple boucle. Ils doivent aussi être capables defaire face à des problèmes plus complexes lorsqu’ils sontconfrontés à des situations de travail difficiles, cela nécessitealors, suivant Argyris, un apprentissage en double boucle.

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L’apprentissage en double boucle permet de rendre l’entre-prise apprenante. Ce processus de modification des routinesengage l’organisation « à apprendre à apprendre », donc àaccroître sa capacité à mener des enquêtes organisationnellesafin de faire disparaître les erreurs et les incohérences quiapparaissent normalement quand le système organisation/environnement se transforme.

Ce chapitre était consacré au mouvement des relationshumaines qui s’est finalement développé assez tôt dans lesentreprises industrielles à partir des années 30. À partir decette période, le regard porté sur les organisations change denature. Ce courant s’intéresse alors aux dimensions affecti-ves, émotionnelle et relationnelle des situations de travailainsi qu’à la complexité des motivations humaines. Le cou-rant des relations humaines va aussi s’enrichir progressive-ment de l’analyse des groupes restreints et des formes depouvoir en leur sein en particulier à partir des travaux élabo-rés sur le leadership. Dans la perspective de ces différents tra-vaux de recherche, de nombreux auteurs ont cherché àdonner à l’organisation une dimension humaine.

À partir de 1960 par exemple, Chris Argyris souhaite accroî-tre les responsabilités des salariés et formule l’idée quel’homme cherche à donner un sens à sa vie et qu’il le fait autravers de l’action. L’approche des relations humaines a éga-lement connu d’autres prolongements dans les années 50 et60 au Tavistock Institute of Human Relations de Londres,comme cela sera développé dans le chapitre suivant. Malgréses apports féconds et abondants, le mouvement des rela-tions humaines sera particulièrement critiqué aux États-Uniset en France à partir des années 60. Pour l’essentiel, on luireproche son manque d’adaptation au contexte de la criseéconomique mais aussi d’être trop « psychologisant » enmatière d’analyse des organisations. Les travaux de recher-che s’orienteront alors vers l’analyse de la structurationinterne des organisations.

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Chapitre 3

Les t h éo r i e s m anagé r i a l e s des o r g an i s a t i o ns

Les organisations sont influencées par leur environnementsocio-économique. Un tel constat a été le point de départ detrès nombreuses recherches, dont certaines ont eu l’ambi-tion de créer une véritable science des organisations, établis-sant des lois complexes reliant un état de l’environnementdonné avec les structures des organisations. On peut distin-guer plusieurs facteurs de l’environnement présentés commeexerçant une influence sur les organisations dans une appro-che que l’on appelle l’école de la contingence.

La contingence est un concept clé en matière d’analyse desorganisations et se définit comme une situation spécifique etévolutive qui conduit à rejeter des prescriptions uniques etstandards. Pour les organisations, cette contingence eststructurelle car les changements dans les variables externes(technologies, marchés, etc.) provoquent des évolutionsdans la structure des organisations.

Au-delà même de cette contingence, d’autres recherches éta-blissent un parallèle biologique et considèrent que les orga-nisations, comme les espèces, croissent et disparaissent seloncertaines lois. La volonté de la plupart de ces recherches estde mesurer l’influence de variables d’environnement sur lescaractéristiques des organisations.

En 1970, un groupe de chercheurs britanniques, le groupeAston, a identifié les cinq dimensions clés d’une organisation :

– le degré de spécialisation de la structure,

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– le degré de standardisation du travail,– le degré de formalisation du fonctionnement,– le degré de centralisation des décisions,– la configuration de l’organisation.

Inspirés par ces recherches britaniques, la plupart des travauxprésentés dans ce chapitre portent sur la relation environne-ment/structure d’entreprise et permettent ainsi d’identifierdes configurations organisationnelles.

I. LES THÉORIES DE LA CONTINGENCE STRUCTURELLE

1. Les recherches et les apports de Burns et Stalker

À partir de 1963, T. Burns et G. Stalker étudient l’impact del’environnement sur le fonctionnement de vingt firmes enGrande-Bretagne. Les résultats de leurs travaux seront publiésen 1966 dans un ouvrage précurseur du courant de la contin-gence : The Management of Innovation. Leurs recherchesmontrent que la structure d’une organisation dépend de fac-teurs externes, en particulier de l’incertitude et de la com-plexité de l’environnement dont la mesure se fait à partir destaux de changement de la technologie et du marché. Burns etStalker suggèrent de distinguer deux types d’organisation etde structures d’entreprises : les organisations mécanistes adap-tées à des environnements stables et les organisations organi-ques liées à des environnements plus instables.

• Les structures mécanistes

Selon Burns et Stalker, les structures mécanistes sont com-plexes, formalisées et centralisées. Elles réalisent des tâchesde routine et d’exécution, recourent massivement à la pro-grammation des comportements et ont un potentiel limitépour répondre aux situations qui ne leur sont pas familières.Le travail est rationalisé, spécialisé, standardisé et la résolu-tion des conflits s’effectue par la voie hiérarchique. Lesdécisions se prennent au sommet de la structure et la com-munication se fait sous forme de directives. Le prestige etla valorisation des individus sont essentiellement liés au sta-tut social de chaque personne et au système de qualification

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(ingénieur, informaticien, etc.). Finalement, l’organisationmécaniste est une organisation de type bureaucratiquecomparable à celle déjà décrite par M. Weber au premierchapitre.

• Les structures organiques

Celles-ci sont plus flexibles et adaptatives que les précéden-tes. Les communications latérales sont essentielles,l’influence et le système d’autorité sont davantage basés surl’expertise et les connaissances plutôt que sur l’autorité de laposition hiérarchique. Les responsabilités sont définies demanière assez large et la communication est basée surl’échange d’informations plutôt que sur des directives.

Au sein de ce type d’organisation, on observe une faible spé-cialisation et standardisation du travail et un système de réso-lution des conflits davantage basé sur des échanges. Lesystème de prise de décision et d’autorité est plus décentra-lisé puisque les décisions doivent être prises sur le lieu où setrouvent les compétences et l’action collective. Le mode decommunication est orienté sur la recherche de coopérationet vise à apporter des informations et des conseils aux per-sonnes concernées. Enfin, la valorisation et le prestige au seinde ce type de structure sont liés à la contribution personnelleet à la loyauté de tout un chacun à un groupe et à un projet.

À travers ces recherches sur la structure des organisations,Burns et Stalker ne considèrent pas pour autant qu’un typed’organisation soit supérieur à l’autre mais que la structuremécaniste est mieux adaptée aux environnements stables etque la structure organique l’est concernant les environne-ments instables. Les chercheurs précisent aussi que la plupartdes organisations ne sont ni totalement mécanistes, ni tota-lement organiques mais tendent à se situer vers un pôle oul’autre. Ils insistent en particulier sur l’idée que des problè-mes de fonctionnement et de compétitivité peuvent apparaî-tre lorsqu’une organisation a adopté une structure inadaptéeà son environnement ou lorsque son environnement change.Ces travaux indiquent aussi qu’il existe bien une dynamiquedes structures organisationnelles liées aux évolutions et auxmutations de l’environnement socio-économique.

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2. Les travaux de Lawrence et Lorschet la théorie de la contingence

Dans la mouvance des recherches sur la relation environne-ment/structure, les travaux de Paul Lawrence et Jay Lorsch(1967) méritent une attention particulière. Professeursd’organisation à l’Université de Harvard, ils ont créé les fon-dements de la théorie de la contingence structurelle publiésdans un ouvrage de référence en 1967 et traduit en françaisAdapter les structures de l’entreprise.

Ils cherchent à démontrer que le degré d’instabilité del’environnement scientifique, technologique, économiqueet commercial joue un rôle important sur la structurationdes organisations. Leur approche est basée sur l’étude dedix firmes dans trois secteurs d’activité. Les industries étu-diées présentaient des environnements très divers. Ils sesont efforçés de savoir quelles sortes d’organisations sontnécessaires pour faire face aux différents environnements dela firme. Ils considèrent aussi que les travaux précédents desthéoriciens des organisations (l’école classique et celle desrelations humaines) ne résolvent pas le problème de la con-ception, que les Anglo-Saxons appellent le design, desstructures d’organisation.

Ils vont donc s’efforcer d’analyser l’incertitude de l’environ-nement d’une organisation et sa structure interne : plus fortest le degré de certitude d’un sous-environnement (techno-logique, concurrentiel, etc.), plus formalisée devra être lastructure. La démarche de Lawrence et Lorsch est fondée surdeux concepts clés pour analyser les organisations : la diffé-renciation et l’intégration.

• La différenciation de l’organisation

Elle désigne le degré de différence de comportement et defonctionnement qu’elle va adopter en son sein pour répon-dre aux demandes de l’environnement. Cette analyse montreque plus l’environnement est instable, plus l’entreprise sedifférencie. Cette différenciation conduit à un état de seg-mentation de l’organisation en sous-systèmes relativementautonomes quant à leur fonctionnement.

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• L’intégration dans l’organisation

Il s’agit d’un processus destiné à instaurer une unité d’effortsentre les différentes attitudes au sein de l’entreprise et entreles unités de travail distinctes. L’intégration s’intéresse à toutle cycle complet de transformation des matières premières enproduits, incluant la création, la production et la distributionde biens et de services. Lawrence et Lorsch observent queplus les unités de travail sont différenciées pour satisfaire leurenvironnement, plus il y aura besoin d’intégration. L’entre-prise devra ainsi trouver les solutions adaptées à son degré dedifférenciation par l’intermédiaire par exemple d’une fonc-tion de liaison et de coordination. Par contre, les firmessituées en environnement stable sont généralement faible-ment différenciées. A contrario, plus l’environnement estturbulent, complexe, incertain et divers, plus les organisa-tions doivent être différenciées sur le plan interne en dépar-tements. Dès lors qu’il y a une diversité de départements detravail, l’entreprise a besoin de mécanismes d’intégrationinternes importants pour coordonner leur action.

Les travaux de recherche de Lawrence et Lorsch ont eu unénorme retentissement, car ils ont le mérite de démontrer ceque beaucoup de praticiens sentaient intuitivement. Uneforme d’organisation est bien contingente à des donnéesexternes et internes qui peuvent varier mais elle n’est pashomogène et à un moment donné, l’environnement peutprésenter des facettes différentes à divers parties ou départe-ments de la structure. Ces conclusions sont proches de cellesde Burns et Stalker pour qui les organisations organiquessont plus différenciées, car elles sont plus flexibles, moinsformalisées et hiérarchisées mais elles ont besoin d’impor-tants mécanismes de coordination pour assurer une unitéd’effort et une cohésion globale de l’action collective. Àl’inverse, les organisations mécanistes sont plus hiérarchi-sées, moins différenciées et nécessitent moins de mécanismesd’intégration. Au-delà même de ces conclusions, les travauxde Laurence et Lorsch ont ouvert trois grandes orientationset perspectives d’actions :

– en premier lieu, cette approche conduit à la reconnaissancede différences souhaitables de comportements organisation-

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nels, de structures et de modes de fonctionnement entre uni-tés de travail ou départements ;– en second lieu, les résultats de ces recherches montrentl’importance accordée aux processus d’intégration des hom-mes. Cela conduit à de nouvelles réflexions sur les moyensd’intégration et sur les mécanismes à mettre en place. Lesfonctions de chef de projet, les structures dites matriciellesorientées vers la conduite de projet correspondent largementà ce besoin ;– enfin, il s’agit aussi de la reconnaissance du fait que lesmodes d’intégration ne se font pas de la même manière selonles secteurs d’activité. En pratique, l’intégration doit souventêtre réalisée autour de la fonction primordiale comme parexemple la recherche-développement ou encore à partir de laculture de l’entreprise.

En définitive, Lawrence et Lorsch ont élaboré une théorierelativiste qui explique la contingence des structures d’entre-prises au degré de variation de l’environnement scientifique,concurrentiel et technico-économique.

3. J. Woodward et l’impact de la technologiesur la structure des organisations

Professeur à l’Université de Londres, Joan Woodward(1916-1971) créa un cours de management du personnel àOxford. Entre 1953 et 1957, elle a réalisé une rechercheimportante auprès de 100 firmes qui lui a permis de conclureque ce sont les similitudes des systèmes technologiques et deproduction qui permettent d’expliquer les similitudesd’organisation des entreprises. Les résultats de ces travauxsont publiés dans un ouvrage paru en 1965 : IndustrialOrganization. Theory and Practice.

Woodward observe que ce sont les différences de technolo-gie développées qui expliquent les différences organisation-nelles et non pas la taille des entreprises, leur histoire oumême leur branche industrielle. En d’autres termes, lesentreprises ayant des systèmes de production semblables ontglobalement des modes d’organisation semblables. À traversses recherches, elle distingue trois modes d’organisation dela production à travers la technologie.

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• La production unitaire ou de petites séries

Il s’agit d’une production d’unité spécifique à chaque client,de prototypes, de petites séries spécifiques, etc. Elle s’exerceau sein d’entreprises flexibles au sein desquelles la communi-cation est informelle et le poids de la hiérarchie relatif.

• La production en grande série

Pour l’essentiel, cela désigne le mode de production demasse fordiste. La structure organisationnelle est plus hiérar-chisée et le taux d’encadrement plus élevé.

• Le processus continu de production

Il s’agit d’une production continue de gaz, de liquides, deproduits chimiques, généralement dans des usines polyvalen-tes. L’organisation repose sur des relations de travail hori-zontales, fondées sur la compétence et l’expertise et unfonctionnement par projet.

L’étude des rapports entre l’organisation et la technologiepermet d’aboutir à quelques conclusions. La productionunitaire repose sur une ligne hiérarchique très réduite, unfaible contrôle du travail et un enrichissement du travail pourl’ouvrier. La production de masse privilégie la fonction deproduction et vise à développer des économies d’échelle per-mettant de réduire les coûts unitaires de fabrication. Enfin,la production en continue nécessite un management par pro-jets ce qui implique la maîtrise de compétences managérialeset d’animation d’équipes de travail. Par ailleurs, les travauxde Woodward montrent que, suivant le mode d’organisationde la production adopté, les entreprises vont privilégier unefonction prépondérante.

La production de petites séries implique de placer au premierplan la fonction marketing puisque c’est le client qui définitle produit. La production de grandes séries place la fonctionde production et les ingénieurs véritablement au cœur del’organisation. Le processus de production en continuconduit à privilégier une approche produits puisqu’ils vontdéterminer la mise en place d’une organisation par processuset par projets.

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En définitive, les travaux de Joan Woodward, une des raresthéoriciennes des organisations, s’inscrivent dans la lignée dela théorie de la contingence structurelle. Elle développe bienl’idée que l’on ne peut pas dire qu’il existe une structure quisoit la plus performante pour toutes les organisations.

4. A. Chandler et l’histoire des entreprises

Alfred D. Chandler, né en 1918, est depuis 1971 professeurd’histoire du management à l’Université de Harvard. Il aétudié l’histoire des plus grandes et des plus puissantes com-pagnies américaines entre 1850 et 1920. Il en déduit que leschangements de stratégies précèdent et sont les causes deschangements de structures d’entreprises.

La thèse qu’il développe est que la stratégie de l’organisationdétermine sa structure puisqu’il montre que les entreprisesqui offrent une gamme et une quantité limitée de produitsétaient à l’origine des structures centralisées. Les stratégiesde croissance et de diversification ont donné naissance auxstructures divisionnalisées.

Dans son ouvrage fondamental, Stratégie et Structure del’entreprise (1962), il considère qu’il est important que lesentreprises mettent en œuvre une logique de planificationstratégique avant la construction de la structure organisa-tionnelle. La théorie de Chandler a contribué à une restruc-turation générale des grandes entreprises américaines enorganisation en départements, cette organisation devenantune norme de structure pour les firmes fabricant de nom-breux produits pour des marchés multiples. Sa principalecontribution à la théorie des organisations est d’avoir expli-qué les relations entre la stratégie et la structure des entrepri-ses. Il fut le premier théoricien à indiquer l’importance duprincipe de décentralisation dans une grande compagnie etpose l’idée de la nécessaire coordination de la planificationstratégique pour favoriser la croissance, tout en donnant lapossibilité aux unités opérationnelles et aux divisions d’appli-quer des tactiques quotidiennement.

L’approche de Chandler s’inscrit dans le courant de la con-tingence, car il part du principe que les évolutions de l’envi-

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ronnement des firmes conduisent les entreprises à setransformer en grandes organisations hiérarchisées et divi-sionnalisées. La stratégie est envisagée comme la détermina-tion des buts et des objectifs à moyen et long termes àatteindre, les moyens d’action et les ressources allouées. Lastructure correspond à la façon dont l’organisation estassemblée pour appliquer la stratégie adoptée. Au total, sonapport est de dire que la stratégie doit déterminer les choixstructurels des dirigeants pour une plus grande efficacité etl’amélioration des performances à long terme.

II. L’APPROCHE SOCIO-TECHNIQUEDES ORGANISATIONS

1. Les fondements de l’école socio-technique

La théorie sociotechnique de l’entreprise est née de la ren-contre de trois grands courants de pensée : la psychologieindustrielle, la sociologie du travail et les sciences de l’ingé-nieur. À partir des années 50, F. Emery et E. Trist réalisentdes recherches au Tavistok Institute de Londres et fondentla théorie sociotechnique de l’organisation.

En 1969, F. Emery publie un ouvrage de synthèse intituléSystems Thinking. Cette école est influencée par les travauxmenés pendant la Seconde Guerre mondiale par des psycho-sociologues chargés d’analyser les composantes du moral desarmées allemandes, en particulier avant le débarquement du6 juin 1944. Ces observations placent au premier plan le rôledu petit groupe, cellule de base de l’organisation de l’arméeallemande. Simultanément, les chercheurs du Tavistok Insti-tute sont également influencés par les résultats de l’équiped’Elton Mayo et l’école des relations humaines. Conformé-ment à ces influences théoriques, les travaux des chercheurslondoniens mettent l’accent sur le rôle des groupes res-treints, des équipes de travail et sur l’interdépendance desfacteurs techniques et humains dans le travail.

Les recherches de Emery et Trist démontrent que l’entre-prise est un système sociotechnique. L’organisation est envi-sagée comme un système ouvert, composée d’un système

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technique et d’un système social. Son efficacité dépend del’optimisation conjointe des dimensions technique etsociale. L’approche sociotechnique dépasse les visions dutravail industriel de Taylor et Mayo car elle soutient l’idéequ’il peut exister plusieurs manières de s’organiser, parmilesquelles certaines s’appuient sur des combinaisons socio-productives plus efficientes que d’autres. La conceptionsociotechnique tend donc à optimiser conjointement cesdeux systèmes, dans la conception des équipements, l’orga-nisation de la production et la structure d’entreprise. Elleconduit à un réel bouleversement des pratiques de manage-ment courantes et elle constitue une véritable approche glo-bale de l’entreprise.

2. Les expériences de Emery et Tristdu Tavistok Institute de Londres

L’équipe de recherche réalise une expérience sur le fonction-nement des mines de charbon britanniques. Dans cecontexte, de nouvelles machines sont introduites dans le tra-vail ce qui doit multiplier par deux la production de charbonen théorie.

Or, la production a sensiblement baissé, en particulier ausein d’une équipe de travail. Les chercheurs observent lefonctionnement de deux équipes de travail structurées etorganisées différemment. Au sein de la première équipe, lefonctionnement est organisé à partir des principes de mana-gement édictés par Taylor. Les salariés expriment beaucoupd’insatisfaction et de nombreux conflits avec les agents demaîtrise se posent. L’absentéisme est également importantdans cette équipe. Au sein de la deuxième équipe, qui dis-pose des mêmes moyens que la première, l’organisation dutravail est différente puisqu’elle repose sur un élargissementet un enrichissement du travail. L’activité des salariés leurdonne une vision plus globale de la production et l’équipe detravail est encouragée collectivement par des objectifs deproduction à atteindre.

Finalement, il semble que ce soient les paramètres de fonc-tionnement du groupe de travail qui exercent une influen-cent positive sur les salariés, c’est-à-dire la notion d’équipe et

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l’entraide. Devant les dysfonctionnements observés concer-nant la première équipe de travail, les chercheurs ont pro-posé de généraliser la recomposition du travail : chaquegroupe devra réaliser la totalité des tâches à effectuer à partird’objectifs de production. Une prime globale de producti-vité sera distribuée dès l’achèvement de tous les travaux ducycle de production. La mise en œuvre de cette expérienceet d’un tel projet constituent la première expérience de tra-vail en équipes semi-autonomes.

Les travaux du Tavistock Institute de Londres sont à l’ori-gine des nombreuses expériences industrielles d’organisationdu travail en groupes semi-autonomes à partir des années1970, qualifiées souvent comme de Nouvelles formesd’organisation du travail (NFOT). Ces équipes sont consti-tuées par des groupes de salariés sans responsable hiérarchi-que, chargées de réaliser la production de tout ou partie d’unproduit, en ayant la responsabilité d’organiser et de répartiren son sein le travail.

L’exemple le plus significatif, est celui de l’entreprise Volvoqui donna naissance à ce que l’on a appelé le modèle suédoisd’organisation du travail, par opposition au modèle améri-cain fordiste. En définitive, la théorie sociotechnique montreque, pour une technologie donnée, il peut exister plusieursorganisations possibles de la production, et non pas uneseule comme le préconisaient Taylor et Ford. Cette école depensée s’appuie également sur une plus grande expression etparticipation des salariés dans l’entreprise que celle envisagéepar Mayo et le mouvement des relations humaines.

III. LA THÉORIE DE LA DÉCISION

La décision est la partie la plus intangible d’une politiquegénérale d’entreprise ou d’une organisation. Elle constituepourtant l’une de ses principales ressources puisqu’à traverselle la vision, les idées et les projets des personnes peuvent setransformer en actions stratégiques. La décision stratégiquepeut être définie comme un processus par lequel une entre-prise passe d’une position stratégique à une autre. La décisionconstitue bien un choix en termes de stratégie, de structure

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ou de management d’entreprise. On peut distinguer troisconceptions fondamentales de la prise de décision dans lesorganisations : le modèle décisionnel classique, le modèleorganisationnel développé par H.A. Simon et le modèle poli-tique. Chaque modèle repose sur plusieurs théories de ladécision qui seront explicitées.

1. Le modèle décisionnel classique

Il s’agit de l’approche de la prise de décision développée parl’économie classique au sein de laquelle l’homme effectuedes choix rationnels. La décision est assimilée au raisonne-ment d’un acteur unique qui cherche à maximiser ses finsavec les moyens dont il dispose. Cette logique de rationalitéconduit l’acteur à examiner toutes les possibilités d’actionssusceptibles de lui permettre d’atteindre ses objectifs. Danscette perspective, les objectifs sont clairement et précisémentdéfinis, les préférences sont stables et exhaustives. Le déci-deur effectue le choix de la solution qui va maximiser sonrésultat. Il est bien à la recherche de l’optimum, c’est-à-direde la solution optimale. Les entreprises américaines ontlongtemps utilisé implicitement ce modèle en particulierdans un certain nombre de cas.

En premier lieu, cette approche de la prise de décision a long-temps été privilégiée concernant les choix des investissements.En effet, la procédure de choix des investissements tellequ’elle est formulée par les spécialistes de la gestion financièrese découpe en trois phases : la détermination des objectifsprioritaires de la politique d’investissements en fonction de lastratégie, l’évaluation de chaque projet d’investissements et lechoix d’un projet. En second lieu, le modèle dit de Harvardde formulation de la stratégie d’une entreprise élaboré par lesprofesseurs Learned, Christensen, Andrews et Guth (1969)repose sur cette conception de la prise de décision. Le modèlede Harvard considère la firme comme un système qui agitcomme un acteur parfaitement rationnel.

L’approche consiste en une double analyse de l’environne-ment de la firme et de ses ressources internes pour dégager,dans un premier temps, des facteurs clés de succès et des com-pétences distinctives. Dans cette optique, l’analyse des oppor-

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tunités et des contraintes de l’environnement et des forces etfaiblesses internes à l’organisation permet de déterminer unensemble de possibilités d’actions stratégiques. Dans unsecond temps, ces possibilités, elles-mêmes confrontées auxvaleurs personnelles des dirigeants et à leur conception deleurs responsabilités sociales, permettront d’élaborer une stra-tégie d’entreprise à partir de laquelle sera élaboré un pro-gramme d’actions à entreprendre.

Au total, cette approche de la stratégie peut être découpéeen quatre séquences : diagnostic du problème, repérage etexplicitation de toutes les actions possibles, évaluation dechaque éventualité par des critères dérivés des objectifs et despréférences et choix de la solution qui maximise le résultat.Ces modèles rationnels de prise de décision stratégique oufinancière, tel qu’ils ont été formulés à l’Université de Har-vard, reposent sur un certain nombre de postulats implicitesparfois illusoires en pratique :

– le décideur a des préférences claires et reste seul à déciderdes objectifs à atteindre ;– il dispose d’une information parfaite sur son environne-ment et sur les conséquences de ses choix. Le coût d’accès àl’information est donc considéré comme négligeable ;– la décision précède l’action et aucune décision en prove-nance de l’action stratégique n’est, a priori, prise en considé-ration ;– suivant cette conception, le changement du système nedépend que de la volonté délibérée d’un décideur unique etrationnel.

Cette approche de la prise de décision en management sup-pose que celle-ci soit l’adaptation logique et simultanée d’unacteur unique doté de préférences cohérentes et stables à desévénements extérieurs. Le modèle n’envisage pas l’existencede conflits d’intérêts et de pouvoir dans les organisationsainsi que les stratégies des individus et des groupes par rap-port aux événements. En réalité, l’analyse de décisions stra-tégiques prises par de grands groupes industriels montre queles principes sous-jacents à cette approche rationnelle sontsouvent infirmés par les faits.

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2. H.A. Simon et la théorie de la rationalité limitée

Né en 1916 dans le Wisconsin aux États-Unis, HerbertA. Simon fait ses études à l’Université de Chicago, s’inté-resse très tôt aux problèmes relatifs aux sciences économi-ques et politiques et s’occupe aussi des questions soulevéespar la gestion municipale. Professeur d’administration et depsychologie à l’Université de Pittsburg, il exerce de nom-breuses activités de conseil auprès de plusieurs organisations.Le sujet de sa thèse de doctorat consacré à des recherches surla mesure des activités administratives deviendra son premiergrand livre publié en 1945 et intitulé Administrative Beha-vior, a Study of Decision-Making Processes in AdministrativeOrganization, lui vaudra le prix Nobel de sciences économi-ques en 1978.

Son œuvre consacrée à la théorie des organisations et à laprise décision est aujourd’hui considérée comme majeurepar tous les spécialistes du management. À propos de lathéorie de la décision, Simon va s’opposer au postulat derationalité parfaite développé par les chercheurs de Harvardet propose le concept de rationalité limitée ou rationalitéprocédurale pour analyser le comportement organisationnelet la prise de décision. Cette approche se situe bien àl’opposé de la démarche rationnelle, puisque l’organisationest envisagée comme un système composé par de multiplesacteurs qui évoluent en situation de rationalité limitée. Plusréaliste que le précédent, ce modèle part de l’observation descomportements humains et correspond à une analyse cogni-tive du décideur. Suivant la pensée de Simon, le décideurprésente trois grandes caractéristiques :

– le décideur n’a pas une vision globale de l’environnementde l’entreprise et ne peut pas traiter la totalité de l’informa-tion disponible ;– l’homme n’a pas de préférences claires, hiérarchisées maisplutôt des aspirations variables selon les moments ;– le décideur ne cherche pas à maximiser les conséquences deses choix mais est plutôt en quête d’un certain niveau desatisfaction. Pour Simon, l’optimum est une utopie.

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Dans ce modèle de prise de décision, le concept de rationa-lité limitée est central. Herbert A. Simon remet fortement encause l’idée d’optimum dans la prise de décision et montre,à travers des recherches empiriques, que ce qui déclenchefréquemment la décision, ce sont des problèmes organisa-tionnels. Dans ce sens, si un problème connu se pose, le déci-deur va appliquer à celui-ci le processus qu’il connaît pourtenter de le résoudre. Si le problème n’est pas connu, l’acteurva alors chercher à voir s’il ne peut pas le rapprocher d’unautre problème de manière à lui appliquer une solution rou-tinière par proximité. C’est seulement s’il n’y parvient pasque le décideur cherchera une solution nouvelle ce qui estrelativement peu fréquent en pratique. Finalement, Simondémontre que les processus de résolution de problèmesobéissent à des solutions satisfaisantes et, en aucun cas, à dessolutions optimales. En outre, les travaux de Simon indi-quent que le décideur est fortement influencé par son envi-ronnement organisationnel, par des règles de gestionpropres à l’entreprise et par des jeux d’influence au sein de lahiérarchie organisationnelle.

La prise de décision dans le modèle organisationnel élaborépar Simon, peut être définie comme une situation de ratio-nalité limitée par une recherche d’un niveau minimum desatisfaction dans un cadre organisationnel contraignant.Cependant, si cette approche présente l’avantage d’êtrepragmatique, elle est discutable sur trois points.

En premier lieu, le modèle n’envisage pas suffisamment lessolutions innovantes ou les décisions de rupture qui peuventparfois se produire. En second lieu, il ne montre pas dansquelle mesure le processus de négociation et d’influencedans l’organisation détermine la prise de décision. Enfin, lesjeux d’acteurs dans l’organisation ne sont pas suffisammentenvisagés comme de véritables jeux de pouvoir ayant souventun impact déterminant sur les décisions qui seront prises.

3. C. Linblom et le modèle politique

Le politologue Charles Lindblom (1959) propose un modèled’analyse de la prise de décision qui, selon lui, est bien plusemployé que les précédents que la méthode rationnelle. Son

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approche est construite autour des intérêts propres aux diffé-rents acteurs d’une organisation. Ces derniers sont tous dotésd’intérêts et d’objectifs propres et contrôlent différentes res-sources telles que l’autorité, le statut, les idées, les informations,le temps, etc. La conception de Lindblom suppose que les déci-sions sont prises par des acteurs relativement indépendants pou-vant avoir des intérêts divergeants. Les acteurs négocient doncentre eux des solutions pour lesquelles ils analysent les avanta-ges et les inconvénients. Cela revient à dire qu’ils se mettentd’accord sur de petites décisions négociées sans nécessairementêtre en phase sur de grands objectifs.

On peut penser que cette approche de la décision est relati-vement pessimiste, voire médiocre, mais face à des problè-mes complexes, on ne peut procéder que par tâtonnements.Les décisions mises en œuvre correspondent ainsi à de peti-tes décisions très opérationnelles et ne sont que très rare-ment des décisions de rupture. Ce modèle politique de laprise de décision est qualifié d’incrémentaliste par les théori-ciens de l’organisation car le choix des actions se fait suivantune stratégie de petits pas, où l’on évite avant tout les bou-leversements et les changements radicaux. Les décideursprocèdent par petites décisions en tenant compte des objec-tifs contradictoires des acteurs de l’organisation et des jeuxde pouvoir et d’influence.

Cependant, si ce modèle politique semble réaliste, il présenteun certain nombre de limites. En effet, si l’apport de cetteconception de la décision est d’attirer l’attention sur les rela-tions de pouvoir, elle tend à masquer le fait que les règles et lesstructures, dans le cadre desquelles s’exercent les jeux d’acteurs,sont aussi des instruments de pouvoir. Le modèle politiquenéglige également l’existence d’éléments qui dépassent les jeuxet les stratégies d’acteurs : la culture de l’organisation, lesvaleurs communes, le projet et l’identité organisationnelle.

En définitive, l’intérêt des différentes approches de la prisede décision réside dans l’idée que l’évolution des modèlesindique que l’on est passé progressivement d’une conceptionpurement rationnelle à des modèles plus sociaux incluant lepoids des acteurs et les rapports de pouvoir ainsi que le rôlesouvent capital des structures organisationnelles.

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IV. LES NOUVELLES THÉORIES ÉCONOMIQUESDE L’ENTREPRISE

Dans la théorie économique, l’entreprise n’a occupé qu’uneplace marginale jusqu’à une date récente. Historiquement, lascience économique a toujours eu des difficultés à appréhenderles organisations et a dû, pour y parvenir, abandonner progres-sivement les postulats de l’économie classique. En effet, lavision de la firme, par exemple dans la théorie de l’équilibregénéral en économie, est réduite à peu de chose : elle est assimi-lée à un agent individuel, sans prise en considération de sonorganisation interne, ni de ses ressources propres. Longtemps,la science économique a considéré l’entreprise comme uneboîte noire et n’a disposé pour penser le comportement desentreprises, que d’un modèle unique : la maximisation des pro-fits, c’est-à-dire, l’utilisation optimale du capital technique et deshommes pour en tirer le meilleur bénéfice. Cela correspond aumodèle largement répandu dans les manuels d’économie qualifiéd’approche néoclassique.

Cependant, un certain nombre de travaux d’économistes(B. Coriat, O. Weinstein, 1995) s’accordent à dire que cetteapproche uniforme ne rend pas compte de conduites organi-sationnelles plus complexes.

1. La firme comme nœud de contrats

Une des premières analyses majeures de l’entreprisemoderne réalisée par des économistes est celle de Adolf Berleet Gardiner Means qui vont considérer la firme comme unnœud de contrats. En 1932, ils publient un ouvrage remar-qué et intitulé L’Entreprise moderne et la propriété privée.L’idée centrale de l’ouvrage est que le développement de lasociété par actions génère la séparation de la propriété et ducontrôle de l’entreprise. Le pouvoir décisionnel passe doncdes actionnaires, propriétaires de l’entreprise, à des managersen charge de sa gestion.

• L’approche de Berle et Means

La théorie de l’entreprise de Berle et Means s’articule à partirde l’idée que le comportement de la firme peut s’analyser encomprenant les rapports entre différents groupes aux intérêts

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propres : actionnaires, dirigeants, salariés ou encore fournis-seurs de crédit. Suivant Berle et Means, il est fondamental dechercher à comprendre qui contrôle effectivement l’entrepriseet de quelle manière. Dans leurs travaux précurseurs enmatière de gouvernement des entreprises, ils montrent que lesystème de la grande société par actions et les marchés finan-ciers, jouent un rôle essentiel dans la structuration de la firme.

• La théorie de Cyert et March

En 1963, R.M. Cyert et J.G. March publient un ouvrage inti-tulé A Behaviourial Theory of the Firm. Ils sont parmi les pre-miers à poser la firme en tant qu’organisation complexe,constituée de groupes d’acteurs aux intérêts divers, qui se trou-vent dans des rapports simultanés de coopération et de conflits.

Cyert et March posent également l’idée novatrice alors, quel’entreprise peut être appréhendée comme un lieu d’appren-tissage collectif. Ils montrent comment la présence de routi-nes organisationnelles contribue à soulager les membres del’entreprise qui peuvent, dès lors, consacrer leur attention autraitement de problèmes inattendus.

Finalement, cet ouvrage est majeur, puisqu’il soulève deuxdimensions clés autour desquelles vont s’élaborer les théo-ries de la firme : d’une part, l’étude des modes de gestion desconflits individuels, et d’autre part, les conditions de consti-tution d’une capacité collective à produire.

2. La théorie de la nature de la firme de R. Coase

À partir des années 1970, le développement de la théorieéconomique de l’entreprise va connaître un nouvel élan avecla redécouverte d’un célèbre article de Ronald Coase datantde 1937 : The Nature of the Firm.

Dans ses analyses, Coase soulève la question centrale de lanature de la firme : pourquoi existe-t-elle ? Sa thèse résidedans l’idée que l’entreprise constitue un mode de coordina-tion économique alternatif au marché.

En effet, la coordination sur le marché des agents est assuréepar le système des prix alors que la coordination au seind’une organisation s’effectue à partir de la hiérarchie. Le

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recours à la firme et à la coordination par la hiérarchie n’estutile que dans la mesure où la coordination par le marché etles prix génère des coûts supplémentaires. Ces coûts serontdénommés, plus tardivement, les coûts de transaction parl’économiste Oliver Williamson (1975).

Lorsque ces coûts semblent supérieurs aux coûts d’organisa-tion interne à l’entreprise, la coordination par la hiérarchieorganisationnelle s’impose. La pensée de Ronald Coaseattire l’attention sur le fait que marché et firme constituentdeux modes de coordination profondément différents. Sestravaux posent les fondements de la vision contractuelle del’entreprise, puisqu’il analyse la firme comme un système derelations contractuelles spécifiques entre agents, un nœud decontrats. Il souligne également, et cela est essentiel, le faitque l’entreprise se caractérise par l’existence d’un pouvoird’autorité en tant que moyen de coordination, la hiérarchie.

Finalement, les apports de Coase à l’analyse de la firme rési-dent dans l’idée qu’il est primordial d’élaborer un systèmecontractuel efficient, tenant compte des contraintes techni-ques auxquelles sont soumis les agents ainsi que de la naturedes informations détenues par ceux-ci en vue d’une plusgrande convergence d’intérêts.

3. La théorie des coûts de transactionde O. Williamson

L’apport de Oliver Williamson se situe directement dans leprolongement de Coase. En 1975 est publié un ouvrage deWilliamson intitulé : Market and Hierarchies : Analysis andAntitrust Implications. Il part de la théorie de la rationalitélimitée de Simon et, en conséquence, souligne que lescontrats sont par essence incomplets, puisqu’ils ne peuventpas envisager toutes les éventualités possibles. L’incomplé-tude de ces contrats donne une marge de manœuvre auxacteurs et favorise les comportements de type opportuniste.

Williamson démontre que les choix organisationnels peu-vent contribuer à éviter les comportements opportunistes.Selon la théorie des coûts de transaction qu’il a élaborée, lacoordination dans l’entreprise est préférable à celle par le

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marché, dans la mesure où la hiérarchie permet de limiter cescomportements opportunistes.

Au total, le choix entre marché et hiérarchie repose sur unarbitrage entre les forces incitatives du marché, et l’adaptabi-lité qu’apporte le pouvoir discrétionnaire de la hiérarchie.

Dans ses travaux, Williamson insiste également sur l’impor-tance des formes hybrides d’organisation de l’entreprise,empruntant aux mécanismes du marché et à ceux de la hié-rarchie : alliances, réseaux d’entreprises, franchises, joint-ventures, etc. Ces nouvelles formes d’organisation, qui sonten quelque sorte des associations d’entreprises, ont contri-bué à replacer au cœur des raisonnements la théorie descoûts de transactions. Celle-ci interroge la relation d’emploidans l’entreprise et ses avantages, le recours à la sous-traitance, l’intégration de telle ou telle activité, etc.

4. La théorie des droits de propriétéet la théorie de l’agence

• Les droits de propriété

La théorie des droits de propriété, développée par ArmenAlchian et Harold Demsetz (1972), pose l’idée que l’entre-prise est caractérisée par une structure particulière de droitsde propriété définis par un ensemble de contrats. Un systèmede propriété efficace doit permettre de profiter des avantagesde la spécialisation et assurer un système efficace d’incitation.Pour ces auteurs, l’entreprise individuelle capitaliste consti-tue la forme d’organisation la plus efficiente, quand la tech-nologie impose le travail en équipe. La théorie de l’agencecomplète celle des droits de propriété. Elle cherche la déter-mination de contrats incitatifs adaptés aux situations les plusdiverses.

• La théorie de l’agence

Dans un article célèbre exposant les fondements de la théoriede l’agence, Michaël Jensen et William Meckling (1976) ontproposé de démontrer l’efficience des formes organisation-nelles.

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À partir de cette théorie, de nombreuses analyses se sontdéveloppées sur le gouvernement des entreprises. Inspiréepar l’économie libérale, cette vision repose sur l’idée qu’il n’ya au sein de la firme que des rapports libres contractuels etqu’il n’y a pas lieu d’opposer la firme au marché, puisqu’ellen’est pas très différente de ce dernier. La firme est envisagéecomme un marché privé et le contrat de travail, suivant cettethéorie, est appréhendé comme un contrat commercial. Onparle de relation d’agence quand une entreprise ou une per-sonne confie la gestion de ses intérêts à un tiers. Jensen etMeckling définissent une relation d’agence comme uncontrat par lequel une ou plusieurs personnes engagent unagent, pour exécuter en son nom une tâche quelconque quiimplique une délégation d’un certain pouvoir de décision àl’agent. La théorie de l’agence envisage la possibilité d’unedivergence entre le principal et l’agent, et part du principeque l’agent dispose d’informations que ne possède pas leprincipal. Cette théorie est couramment illustrée par la rela-tion d’agence entre propriétaires du capital, les actionnaires,et les dirigeants de l’entreprise, les managers. Les différentstravaux présentés convergent tous vers l’idée que l’entreprisea une dimension contractuelle fondamentale à gérer puisqueles acteurs peuvent avoir des intérêts divergents. Pourautant, la firme doit aussi produire des richesses et innoverdans une perspective de compétitivité.

5. Les approches évolutionnistes de la firme

• La théorie évolutionniste

Depuis quelques années, les théories de la firme fondées surles compétences se développent. La théorie évolutionnistede la firme, développée par Sidney Winter et Richard Nelsonen 1985, s’inscrit dans cette perspective.

L’école évolutionniste part du principe que le moteur del’entreprise n’est pas constitué par le profit mais par savolonté biologique de survie, comme tout être vivant dans lathéorie darwinienne de l’évolution des espèces. Il suggèredonc d’étudier les mécanismes d’adaptation au milieu desentreprises, leurs capacités d’innovation, d’apprentissage etd’auto-organisation.

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La firme évolutionniste est définie par Winter et Nelsoncomme un ensemble dynamique de compétences. Les entre-prises se différencient entre elles par la nature de leur savoir-faire qu’elles ont accumulé depuis des années. Les cher-cheurs se demandent pourquoi les entreprises diffèrent dura-blement dans leurs caractéristiques, leurs comportements etleurs performances. La réponse à cette problématique va êtrerecherchée dans l’analyse des dynamiques d’accumulation deconnaissances et de compétences spécifiques par les entrepri-ses. La compétence foncière de l’entreprise est fondée surdes routines, des savoir-faire organisationnels et technologi-ques tacites et non transférables en général. Cette approcheévolutionniste de l’entreprise se pose bien en rupture théori-que avec les conceptions des économistes précédents.

• La théorie de l’apprentissage organisationnel

Les travaux sur la firme évolutionniste peuvent être complé-tés par la théorie de l’apprentissage organisationnel suggéréenotamment par G.B Richardson (1972) qui montre dansquelle mesure des apprentissages collectifs se réalisent et descompétences collectives se constituent dans les entreprises.

• L’analyse de la firme de Aoki

Pour terminer, les travaux récents de l’économiste japonaisMasahito Aoki (1988) ont également contribué à élargir lathéorie économique de l’entreprise.

Aoki part du constat que les entreprises américaines et japo-naises fonctionnent différemment. Suivant ses analyses, cequi les différencie fondamentalement, c’est la structure deséchanges d’information. L’entreprise américaine se caracté-rise par une forte spécialisation, un mode hiérarchique etautoritaire de la répartition des fonctions et des rôles, etc. Àl’inverse, l’entreprise japonaise a une division du travail plusflexible, une coordination basée sur des méthodes incitati-ves, un plus grand partage du pouvoir entre les acteurs.

À partir de ces observations, Aoki développera l’idée quel’on peut distinguer deux types de formes fondamentalesd’entreprises : la firme hiérarchique et la firme horizontale.Suivant ses analyses, la firme horizontale est mieux adaptée àl’environnement contemporain car elle est beaucoup plus

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flexible et plus propice à l’innovation. En définitive, la théo-rie économique de l’entreprise cesse de considérer cette der-nière comme une boîte noire impénétrable et apporte uncorpus de connaissances utiles à une meilleure compréhen-sion du fonctionnement des organisations.

V. H. MINTZBERG ET LA STRUCTURATIONDES ORGANISATIONS

1. L’œuvre de H. Mintzberg

Né en 1939 et professeur de management à l’UniversitéMc Gill à Montréal au Canada, Henry Mintzberg estaujourd’hui considéré comme l’un des plus riches théori-ciens des organisations. Ses travaux de recherche sur lemanagement et les organisations peuvent être sommaire-ment structurés autour de trois axes complémentaires :l’analyse du rôle des managers, l’élaboration de la straté-gie des entreprises et la structuration des organisations.

Le style alerte et très pédagogique de Mintzberg et la pro-fondeur de ses analyses ont contribué à une très large diffu-sion de ses recherches. Ses travaux sur la structure desorganisations ont été publiés dans un ouvrage qui a faitdate : Structure et Dynamique des organisations (1982). Leconcept de structure est défini comme la somme totale desmoyens employés pour diviser le travail en tâches distincteset pour, ensuite, assurer la coordination nécessaire entre cestâches. Suivant Mintzberg, on ne peut pas à proprement par-ler de l’organisation en général car il existe, selon lui, unegrande diversité d’organisations. Son essai de classificationdes organisations s’est concentré d’une part, dans la perspec-tive des structures, puis d’autre part, dans celle du pouvoirtel qu’il se constitue.

Henry Mintzberg propose une modélisation du fonctionne-ment organisationnel à partir de six parties de base.

• Le sommet stratégique

Il représente l’organe de direction de l’entreprise et d’élabo-ration de sa stratégie. Il permet d’avoir une vue d’ensembledu système organisationnel.

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• La ligne hiérarchique

Elle correspond à une hiérarchie d’autorité composée demanagers, qui sont en réalité des cadres opérationnels, char-gés d’animer des équipes de travail directement productives.La ligne hiérarchique assure la coordination entre le sommetstratégique et le centre opérationnel.

• Le centre opérationnel

Il constitue la base de toute organisation au sein de laquelleon trouve ceux qui effectuent le travail directement produc-tif.

• La technostructure

Elle est composée d’analystes, d’experts composant en quel-que sorte le staff de l’entreprise réalisant des activités ditesindirectement productives. La plupart des cadres fonction-nels tels que des analystes financiers, marketing, informati-ciens, etc., se trouvent dans la technostructure.

Par exemple, la direction des ressources humaines a bien unefonction d’aide à la décision et de conseil interne auprès dusommet stratégique en élaborant des méthodes et des outilsd’animation et de gestion des hommes, qui seront proposésà la ligne hiérarchique, c’est-à-dire aux managers d’équipede travail.

• Le support logistique

Il fournit différents services internes à l’organisation qui peu-vent aller d’une cafétéria à un service postal ou à un serviced’entretien des locaux.

• L’idéologie de l’organisation

Ce concept est très proche, dans l’esprit de Mintzberg, duconcept de culture d’entreprise. L’idéologie se nourrit destraditions, des normes et des valeurs dominantes, descroyances de l’organisation… c’est-à-dire tout ce qui la dis-tingue d’une autre et qui insuffle une certaine existence à lastructure organisationnelle.

Pour H. Mintzberg, toute activité humaine, de la créationd’une poterie à l’envoi d’un homme sur la lune, donne nais-sance à deux besoins fondamentaux et contradictoires : la

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division du travail entre différentes tâches et la coordinationde ces tâches pour accomplir une activité. Dans cette opti-que, il distingue des mécanismes de coordination par les-quels les organisations peuvent coordonner leur travail.

• L’ajustement mutuel

Il consiste à réaliser le travail par le biais d’un simple proces-sus de communication informelle, comme par exemple entredeux employés au niveau opérateur.

• La supervision directe

Elle réalise la coordination du travail par l’intermédiaired’une seule personne qui donne des ordres et des instruc-tions à plusieurs autres qui travaillent en interrelations. Parexemple, un patron explique à ses employés ce qu’ils doiventfaire étape par étape.

• La standardisation des procédés de travail

Elle réalise la coordination en spécifiant les procédés de tra-vail de ceux qui doivent effectuer des tâches intermédiaires.Ces standards sont habituellement établis au niveau de latechnostructure pour être exécutés au niveau du centre opé-rationnel. C’est par exemple le cas du bureau des méthodesdans l’organisation scientifique du travail.

• La standardisation des résultats

Elle assure la coordination du travail en spécifiant les résul-tats des différents types de travail. Les standards sont établispar la technostructure, comme c’est par exemple le cas de ladirection financière, qui spécifie les objectifs de ventes àatteindre à une unité opérationnelle.

• La standardisation des qualifications et du savoir

Elle effectue la coordination de différents types de travail parle biais de la formation spécifique de celui qui exécute le tra-vail. Par exemple, un chirurgien et un anesthésiste du mêmebloc opératoire se répondent presque automatiquementdans le cadre de procédures standardisées.

• La standardisation des normes

Dans ce cas, ce sont les normes qui dictent le travail. Celles-ci sont contrôlées et, en règle générale, sont établies pour

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l’organisation dans sa globalité, de sorte que chacun tra-vaille à partir d’un même ensemble de données ou decroyances. C’est par exemple le cas en ce qui concerne lesordres religieux.

Ces six mécanismes de coordination peuvent être considéréscomme les éléments les plus fondamentaux de la structure.Mintzberg considère que ces mécanismes constituent leciment qui tient toutes les pierres de la bâtisse de l’organisa-tion. Au fur à mesure que le travail devient plus compliqué,les moyens favoris de coordination semblent passer de l’ajus-tement mutuel, mécanisme le plus simple, à la supervisiondirecte, puis à la standardisation des procédés de travail oudes normes, mais aussi des résultats ou des qualifications.Selon l’auteur, il n’existe pas d’organisation qui n’emploie-rait qu’un seul de ces mécanismes de coordination. L’ajuste-ment mutuel et la supervision directe sont les mécanismes lesplus courants dans les organisations contemporaines.

2. Les paramètres de conception de l’organisation

À travers ses recherches sur les structures d’entreprise,H. Mintzberg insiste sur l’idée que l’essence de la concep-tion organisationnelle se trouve dans une série de paramè-tres qui déterminent la division du travail et la réalisation dela coordination. Certains de ces paramètres concernent laconception des postes, d’autres la conception de la supers-tructure, c’est-à-dire le réseau de sous-unités qui apparaîtdans l’organigramme. Finalement, il distingue un certainnombre de paramètres de conception de l’organisation.

• La spécialisation du travail

Elle prend en compte le nombre de tâches qui composent untravail donné et le contrôle qui est exercé sur ces tâches.

• La formalisation du comportement

Elle est liée à la standardisation des procédés de travail, enimposant les instructions opérationnelles, la description dutravail, les règles et le règlement. On considère qu’une struc-ture qui repose sur une forme de standardisation est bureau-cratique, et organique dans le cas contraire.

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• La formation

Elle consiste en l’utilisation de programmes d’instructionsformalisés qui établissent et standardisent chez ceux qui lessuivent les qualifications et les connaissances requises pourfaire un travail dans une organisation. La formation est unparamètre de conception clé concernant les organisations,que Mintzberg qualifie de professionnelles.

• L’endoctrinement

Ce processus repose sur les programmes et les procédurespar lesquels les normes des membres d’une organisation sontstandardisées de façon à répondre à ses besoins idéologiqueset à constituer la base de référence pour la prise de décisionou l’exécution d’une action.

• Le regroupement en unités

Il s’effectue en fonction d’une base de regroupement. Il existedifférentes bases de regroupement par produit, par client, parprocessus de travail, par zone géographique, etc. En fait, ellespeuvent souvent être réduites à deux types fondamentaux : leregroupement par fonction et le regroupement par marché.

• La taille des unités de travail

Cela pose pour Mintzberg la question du nombre de postes.

• Les systèmes de planification et de contrôle

Ils sont surtout développés au sein des organisations degrande taille.

• La décentralisation

Elle concerne principalement la diffusion du pouvoir de prisede décision.

Ces paramètres de conception sont importants car ils sontdéterminants en ce qui concerne la structuration de l’organi-sation.

3. Les facteurs de contingence

Au même titre que les paramètres de conception, les facteursde contingence influencent le choix final de la structureorganisationnelle. Pour ce faire, Mintzberg identifie quatrefacteurs de contingence essentiels.

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• L’âge et la taille de la structurePlus une organisation est ancienne, plus son comportementrisque d’être formalisé. En effet, une organisation qui vieillittend à répéter ses comportements et donc à devenir plus pré-visible et plus facile à formaliser.

En outre, plus une organisation est de grande taille, plus sastructure est élaborée et son comportement formalisé. Celasignifie également que les tâches seront davantage spéciali-sées, que les unités de travail seront différenciées et que sacomposante administrative sera développée. La structured’une organisation reflète donc l’âge de la fondation de sonactivité. En effet, celle-ci peut être en conformité avec l’épo-que industrielle de sa création.

• Le système techniqueIl s’intéresse aux procédés développés au niveau du centre opé-rationnel pour produire les biens et les services. En règle géné-rale, plus le contrôle du travail des opérateurs est important,plus le travail opérationnel est formalisé et bureaucratique. Enoutre, un système technique développé implique de posséderune fonction de support logistique élaborée et qualifiée.

• L’environnementIl représente les caractéristiques du contexte extérieur del’organisation : les marchés, les conditions économiques, leclimat politique, etc. En règle générale, plus l’environne-ment est dynamique, plus la structure est organique. Dansune telle optique, l’organisation ne peut se standardiser, elledoit, au contraire, devenir très flexible au moyen de l’ajuste-ment mutuel pour assurer sa coordination, ce qui conduit àune structure plus organique au sens de Burns et Stalker. Ledegré de décentralisation de la structure est étroitement lié àla complexité de l’environnement de l’entreprise. La pre-mière raison qui amène une organisation à se décentraliser,c’est lorsque toutes les informations nécessaires à une prisede décision ne peuvent être réunies par une seule personne.

Par ailleurs, une organisation ayant des marchés diversifiés atendance à se scinder en unités organisées sur la base de sesmarchés, que l’on qualifie souvent de divisions, dans lamesure où les économies d’échelle le permettent. Une hos-

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tilité extrême de son environnement peut conduire uneorganisation à centraliser sa structure de façon temporaire.Dans ce cas de figure, elle aura tendance à centraliser sonpouvoir en retenant parmi les moyens de coordination leplus rapide et puissant, la supervision directe. Dans un telcas, seul le leader de l’organisation peut assurer une réponsecoordonnée rapide et puissante à la menace.

• Le pouvoir

Il constitue le quatrième facteur de contingence. En règlegénérale, plus le contrôle externe de l’actionnariat s’exercesur l’organisation de manière importante, plus la structurede l’organisation est centralisée et formalisée. Cette idéemontre qu’avec un contrôle extérieur, une organisation tendà centraliser le pouvoir au niveau du sommet stratégique età formaliser son comportement.

En définitive, ces facteurs de contingence constituent de vérita-bles déterminants de la structure organisationnelle. Ces détermi-nants tels que l’âge, la taille, le système technique, le pouvoir ouencore le mode de coordination des activités dominant sont deséléments de structuration de l’entreprise ou de l’organisation.

4. Les configurations organisationnellesde Mintzberg

Les recherches réalisées par Mintzberg en matière de struc-ture et dynamique des organisations (1982) l’ont conduit àsuggérer une théorie et une approche par les configurationsde la structure des organisations. Suivant cette logique derecherche, il a identifié sept configurations structurelles auxdifférents modes de coordination.

• La structure simple

Elle désigne une organisation entrepreneuriale. Ces organi-sations sont sous l’autorité ferme et personnelle d’un leaderet sont souvent à la base des histoires les plus fantastiques surla création de grands empires. Elles sont le lieu où la visionstratégique d’un dirigeant se manifeste avec le plus d’inten-sité. Il s’agit d’une structure généralement de petite ou demoyenne taille, informelle, flexible au sein de laquelle laligne hiérarchique reste peu développée. Son environnement

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peut être qualifié de simple mais dynamique et concurrentiel.Le leadership est parfois de type charismatique et le mode deformulation de la stratégie dépend de la vision du dirigeantet peut être relativement flexible et adaptatif.

Dans cette configuration, les décisions concernant à la fois lastratégie et les aspects opérationnels tendent à être concen-trées dans le bureau du dirigeant. Cette centralisation pré-sente l’avantage d’enraciner les réponses stratégiques dansune profonde connaissance des opérations. En effet, le lea-dership prend le pas dans la configuration entrepreneuriale,ce qui peut être aussi très risqué car tout repose finalementsur une seule personne, le propriétaire-dirigeant.

• La bureaucratie mécaniste

L’esprit de la bureaucratie est de créer une voie et de rester surcelle-ci en s’assurant que tout ce qui peut en résulter a étévoulu. Ce qui veut dire que le terme bureaucratie est utilisé icidans le sens de chercher à rendre tout prévisible. Cette confi-guration se caractérise par des procédures formalisées, un tra-vail spécialisé, une division du travail accentuée, une lignehiérarchique développée et un regroupement des activités enunités ou en fonctions. La technostructure constitue la clé devoûte du système, elle est chargée de standardiser les procédésde travail. Elle est clairement séparée de la ligne hiérarchiqueet est composée de spécialistes chargés de concevoir, pourl’essentiel, des procédures de travail.

Les bureaucraties mécanistes évoluent en général dans unenvironnement simple et stable. Il s’agit le plus souvent d’usi-nes et d’unités de production industrielle de grande taille rela-tivement âgées. Le travail est rationalisé et le contrôle externeexercé par les actionnaires est assez fort. Cette configurationest adaptée à la production de biens et de services de masses’appuyant sur la recherche d’économies d’échelle, mais aussidans des administrations et des entreprises de contrôle et desécurité. Le processus d’élaboration de la stratégie s’appuie surune logique de planification et de programmation stratégique.Suivant cette logique d’action, ce sont des organisations à larecherche d’efficacité, d’efficience et de précision. Néan-

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moins, cette configuration semble peu propice à l’innovationet à l’adaptabilité à des changements.

• La structure divisionnelle

Elle se caractérise avant tout par une structuration par divi-sions fondées sur le marché, couplée de manière très soupleavec le contrôle du centre administratif du siège. Les divi-sions sont autonomes dans la conduite de leurs activités maisrestent soumises au système de contrôle des performancesqui entraîne une standardisation des résultats. Cette formestructurelle est adaptée à des marchés diversifiés, particuliè-rement en ce qui concerne les produits et les services. Lesiège définit la stratégie du groupe sous la forme de la ges-tion d’un portefeuille d’affaires, les divisions définissent leurpropre stratégie. La structure divisionnelle constitue unesolution à certains problèmes de management stratégiquetels que la répartition des risques économiques et financiers,l’adaptation des produits par pays, la suppression d’activités,etc. Cependant, la diversification du conglomérat peut êtrecoûteuse et décourager l’innovation. Des entreprises parte-naires et indépendantes peuvent parfois être plus rentablesque des divisions.

• La bureaucratie professionnelle

Cette structure est bureaucratique bien que décentralisée,dépendante de la formation de standards de qualification debeaucoup d’opérateurs professionnels. La clé du fonctionne-ment réside dans la création d’un système de classement desemplois à l’intérieur desquels les professionnels peuvent tra-vailler de façon autonome, en étant sujets au contrôle de leurprofession. Par exemple, les médecins ou les chirurgiens ausein d’un hôpital doivent respecter les ordres de leur profes-sion. Ces organisations évoluent dans un contexte qui secaractérise par un environnement complexe mais relative-ment stable. Plusieurs stratégies peuvent être adoptées parjugements professionnels et par choix collectifs, certaines parautorisation administrative. Cette configuration présentel’avantage d’offrir aux acteurs davantage de démocratie etd’autonomie, mais des problèmes de coordination entre lesdifférentes catégories de personnel peuvent se poser.

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• L’organisation innovatrice ou l’adhocratie

Selon Mintzberg, la structure innovatrice est une adhocratie,c’est-à-dire, une organisation plate, fluide, organique etdécentralisée. Cette structure est composée d’experts fonc-tionnels répartis en équipes pluridisciplinaires, de spécialistesde fonction de support logistique, d’opérateurs et de mana-gers pour réaliser des projets innovants. La coordination estréalisée par ajustement mutuel entre les salariés et les mana-gers qui ont, avant tout, une fonction d’intégration des hom-mes au sein de différents projets. En règle générale,l’environnement de ces entreprises est complexe et dynami-que, comprenant les technologies de pointe, les changementsfréquents de produits dus à une concurrence sévère, les projetstemporaires. Cette organisation est jeune, relativement insta-ble et reste susceptible de connaître de fortes évolutions enfonction des circonstances de marché notamment. La straté-gie des configurations adhocratiques est, pour l’essentiel, unestratégie émergente dans le sens où elle repose sur les capacitésd’apprentissage de ses dirigeants. Il existe une grande diversitéde processus partant de la base jusqu’au sommet stratégiquepermettant d’adapter la stratégie aux circonstances et à lademande. La structure innovatrice repose sur un systèmedémocratique et d’expression des acteurs souvent très quali-fiés et cherche à limiter tant que possible la bureaucratie enson sein. Il s’agit d’une organisation efficace en termes d’inno-vation, de capacité d’adaptation au changement. Néanmoins,des problèmes humains peuvent se poser en son sein, prove-nant de l’ambiguïté et des risques liés à une trop forte concen-tration d’experts à forte personnalité.

• L’organisation missionnaire ou idéologique

Pendant longtemps H. Mintzberg a fait état de l’existence decinq configurations de base. Depuis 1989, il a ajouté deuxautres configurations visant à compléter sa typologie des struc-tures. L’organisation missionnaire repose avant tout sur uneidéologie dominante, c’est-à-dire sur un système de valeurs, denormes et de croyances auquel adhèrent tous les acteurs. Cesystème idéologique se substitue aux standards et procéduresque l’on peut trouver par exemple au sein des structures méca-niste ou professionnelle. L’organisation missionnaire prend son

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origine dans le sens d’une mission associée à un leadership cha-rismatique, développé à travers des traditions et renforcé par unprocessus de ritualisation et d’identification.

Suivant la pensée de Mintzberg, l’idéologie existe dans tou-tes les organisations mais dans ce cas de figure elle est vérita-blement dominante. La mission est claire, explicitée,concentrée et porteuse d’inspirations. Le mécanisme decoordination des acteurs est la standardisation des normesqui renforce la sélection, la socialisation et surtout l’endoc-trinement des membres. Parfois, un puissant contrôle nor-matif peut s’exercer sur les membres de cette organisation. Ils’agit le plus souvent d’associations qui reposent sur uneforte mobilisation de leurs membres afin de promouvoir unemission et un projet donné. Cette forme de structure pré-sente l’avantage d’être mobilisatrice et impliquante pour sesmembres mais peut, dans certains cas, conduire à l’isolationvis-à-vis de l’environnement, ainsi qu’à des risques d’assimi-lation à l’autre pouvant se traduire par des pertes de person-nalité dans des cas extrêmes, comme par exemple les sectes.

• L’organisation politique

C’est la seule organisation transitoire suivant Mintzberg.Elle désigne une organisation temporairement en crise etconfrontée à un conflit ouvert tel que par exemple une grève.Au sein de chaque configuration, on peut observer une acti-vité politique des membres cherchant à exercer une influencesur les autres. En effet, il semble qu’au sein de chaque orga-nisation humaine, la politique existe et constitue un moyende pouvoir, techniquement illégitime, exercé le plus souventdans un intérêt personnel, résultant d’un conflit où les indi-vidus utilisent des forces divergentes. Concrètement, celapeut s’exprimer à travers des jeux politiques qui tantôtcoexistent, tantôt s’opposent ou encore se substituent ausystème légitime de pouvoir. La politique se présente géné-ralement comme une sorte de verni sur l’organisation tradi-tionnelle mais peut, parfois, être assez puissante pour créertemporairement et en période de crise, sa propre configura-tion. Les notions traditionnelles de coordination etd’influence sont alors remplacées par le jeu d’un pouvoirinformel. Le conflit persiste, devient envahissant pour don-

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ner naissance à l’organisation politique qui peut avoir, danscertains cas, des effets favorables à la négociation et au chan-gement. En effet, une organisation devenue politique peutêtre l’occasion d’impulser un changement durable, des bou-leversements importants et des innovations. Cela peut aussiconduire à des situations bloquées qui vont alors conduire audurcissement du conflit ouvert.

En guise de conclusion, l’approche des configurations deMintzberg montre la très grande relativité des structuresd’entreprises par rapport à des paramètres complexes tels quel’environnement, la technologie, la stratégie, etc. Les travaux deMintzberg et sa théorie sur la structuration des organisationsont connu un véritable retentissement à partir des années 80 ausein du monde des affaires et des écoles de management.Mintzberg considère les organisations du point de vue de leurstructure et de leur dynamique, il envisage les jeux de pouvoircomme des coalitions internes et externes dans lesquelles diffé-rents joueurs, appelés détenteurs d’influence, cherchent àcontrôler les décisions et les actions entreprises.

Actuellement, les travaux sur la structure des entreprises sontencore dominés par une vision contingente des organisa-tions. Parmi les chercheurs contemporains, Henry Mintz-berg cherche à avoir une conception plus synthétique.D’autres travaux de recherche, comme ceux de Michaël Por-ter dans le domaine de la stratégie d’entreprise, adoptent uneapproche contingente analogue, au sens où ils recherchent laperformance des entreprises par une meilleure adaptationaux caractéristiques de leurs marchés et de leur environne-ment concurrentiel. En définitive, les théoriciens de lacontingence ont démontré que le concept de différenciationdes activités, c’est-à-dire une conception plus ou moinsrationnelle de l’organisation, et de l’autre la notion d’inté-gration des personnes, à savoir la manière dont leur coordi-nation et leur implication seront réalisées, constituentfinalement un des rôles les plus fondamentaux de la structu-ration des organisations et du management des hommes.

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Chapitre 4

L e s app r o c hes c on t em po r a i n esdes o r g an i s a t i o ns

Après la Seconde Guerre mondiale, les questions de la qualitédu management mais aussi du pouvoir tel qu’il se joue dansles organisations ont fait l’objet de travaux approfondis. Peuà peu, l’analyse des jeux de pouvoir est devenue une tendancedominante de la sociologie dès la fin des années 70. La socio-logie des organisations, sortant de l’opposition traditionnellede la sociologie du travail, entre exécutants et dirigeants,place les acteurs et l’analyse de leurs systèmes de relations aucentre de la réflexion sur l’efficacité et la performance desentreprises. Progressivement, la notion d’organisation s’estsubstituée à celle de bureaucratie. Ceci ne signifie pas pourautant un changement de perspective théorique. En ef fet, lestravaux sur les organisations formelles, puis sur l’action orga-nisée, prolongent ceux qui s’efforçaient de comprendre lesdysfonctionnements et les paradoxes de la bureaucratie.

Les recherches en sociologie des organisations sont symbo-lisées principalement par les travaux de Michel Crozier et deErhard Friedberg (1977) dans un ouvrage notoirementconnu L’acteur et le système. Le management, à travers lapensée de James March et Herbert Simon, se penche sur lescomportements productifs et coopératifs des membresd’une organisation. En 1958, ils publient un ouvrage fonda-teur intitulé sobrement Organizations et proposent unerelecture de tous les travaux antérieurs ayant produit des élé-ments de connaissance sur les organisations. Ce travail demise en perspective des recherches antérieures conduit lesauteurs à poser l’idée que toute théorie de l’organisation

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s’accompagne inévitablement d’une philosophie de l’êtrehumain puisque les organisations sont composées demembres qu’il faut bien prendre en considération d’unemanière ou d’une autre.

L’analyse de March et Simon vise à identifier trois grandesconceptions des comportements humains : la premièreconception est avant tout préoccupée par la rationalisationdu travail et a donné naissance à l’école dite classique del’organisation, la deuxième conception insiste sur l’impor-tance des rapports sociaux et correspond au mouvement desrelations humaines, la troisième conception privilégie le faitque les membres d’une organisation doivent prendre desdécisions et résoudre des problèmes. Les approches qui par-tent de cette hypothèse mettent l’accent sur les processuscognitifs, les modes de raisonnement et d’analyse pourrendre compte des comportements humains. March etSimon vont finalement montrer que seule une théorie par-tant de l’hypothèse que les acteurs des organisations opèrentdes choix et prennent des décisions permet de renouvelerl’analyse des organisations. Leur apport au management estd’avoir démontré que les acteurs des organisations agissentsuivant une logique de rationalité limitée, les choix opérés etles décisions prises sont soumis à des contraintes provenantde certaines caractéristiques de l’être humain mais sont tou-jours sensés. Cette théorie de la décision orientée sur lescapacités cognitives des acteurs influencera de manière déci-sive différentes conceptions du management.

I. LES APPROCHES SOCIOLOGIQUES DES ORGANISATIONS

1. L’analyse stratégique des organisations de M. Crozier et E. Friedberg

En France, Michel Crozier, né en 1922, a créé au début desannées 60 le Centre de Sociologie des Organisations (CSO)et travaille, pour l’essentiel, dans des administrations et desorganisations publiques. La sociologie des organisations aconnu un essor tardif en France et l’on doit à M. Crozier lefait d’avoir importé les travaux de recherche américains sur

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les organisations. Sa réflexion et ses recherches s’inscriventdirectement dans le prolongement de ces travaux, en parti-culier ceux de March et Simon.

Deux ouvrages marquant de Crozier illustrent la richesse deses recherches sur le fonctionnement des organisations : Lephénomène bureaucratique publié en 1964, L’acteur et le sys-tème publié en 1977 en collaboration avec Erhard Frieberg.Le premier ouvrage de Crozier porte essentiellement surl’importance des phénomènes de pouvoir dans les organisa-tions, phénomène relativement négligé par les travauxAnglo-Saxons. Cet ouvrage propose une reconceptualisationde la thématique des relations de pouvoir analysée principa-lement à travers deux cas de grandes organisations : laSEITA et l’administration des chèques postaux.

Crozier montre à travers l’analyse des relations de travailentre différents groupes professionnels qu’il s’agit de rela-tions de pouvoir dont la manifestation la plus importante estproduite par l’événement qui les met fonctionnellement enrapport, à savoir les pannes. L’analyse des relations de pou-voir ne peut pas se limiter aux rapports hiérarchiques etréside dans la capacité des acteurs, quelle que soit leur placedans l’organisation, à repérer et à se saisir des sourcesd’incertitude qui s’y trouvent pour chercher à exercer uneinfluence sur les autres catégories professionnelles.

Crozier insiste donc particulièrement sur la dimension activedes acteurs sociaux et sur leur stratégie respective dansl’organisation. Le deuxième ouvrage fonde véritablementl’analyse stratégique des organisations. L’objectif de Crozieret Friedberg est d’élaborer le corpus théorique de l’analysestratégique et vise à dépasser l’opposition traditionnelleentre la liberté individuelle des acteurs et le déterminismedes structures sociales.

En réalité, Crozier et Friedberg considèrent que l’acteurpossède toujours une marge de manœuvre relative dans uneorganisation qu’il va chercher à exercer. Cette liberté n’estpas absolue, elle est soumise à des contraintes, des contin-gences ce qui conduit les acteurs à structurer le champ deleur action. Cette marge de manœuvre, utilisée dans l’action

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par les acteurs, peut leur conférer une réelle influence ainsique du pouvoir dans le système organisationnel. Enfin, leurrationalité est une rationalité limitée au sens de March etSimon ce qui conduit à considérer que les acteurs effectuentdes choix sensés compte tenu de leurs objectifs spécifiques.

En 1993, Erhard Friedberg proposera une actualisation decette théorie à travers un ouvrage intitulé Le pouvoir et larègle. Il montre que le pouvoir ne peut pas être seulementdéfini comme une capacité à faire faire mais qu’il structuredes relations dans l’organisation et, en particulier, qu’il estcréateur de règles.

2. Les concepts de l’analyse stratégique des organisations

• La stratégie de l’acteur

Ce premier concept est central dans l’analyse. Il permet dene pas dissocier les actions des acteurs du contexte organisa-tionnel, considéré comme un construit social contingent.Suivant cette analyse, les hommes n’acceptent jamais d’êtreconsidérés comme des moyens au service de fins que la direc-tion fixe. Chaque acteur a donc bien des objectifs propres etune stratégie pour les atteindre. Cette liberté relative del’acteur lui confère une certaine autonomie qui va s’exercerà travers des jeux de pouvoir au sein de l’organisation.

• Le système d’action concret

Il désigne l’ensemble des relations qui se constituent et senouent entre les membres d’une organisation et qui servent àrésoudre les problèmes concrets quotidiens. Ces relations nesont pas prévues par l’organisation formelle et les définitionsde fonction. Ces règles informelles sont néanmoins nécessairesau fonctionnement du système et sont, en règle générale, bienconnues. Le système d’action concret est bien un construitsocial qui correspond au jeu structuré et mouvant des relationsde pouvoir qui s’établissent dans les rapports sociaux.

• Les zones d’incertitude

Le troisième concept de l’analyse stratégique est la notion dezone d’incertitude. Toute organisation est soumise à desmasses d’incertitudes plus ou moins élevées : techniques,

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commerciales, financières, humaines, etc. L’acteur qui lesmaîtrise le mieux par ses compétences, son réseau decommunication et de relations et son niveau d’expertise peutdonc prévoir ces incertitudes et détient ainsi la plus granderessource du pouvoir. L’incertitude constitue une zone quidonne de l’autonomie à l’acteur, une certaine influence dansle système organisationnel et, in fine, du pouvoir.

• Le pouvoir

Le concept de pouvoir – central dans l’approche – constituele quatrième concept clé de l’analyse stratégique. Il désignela capacité d’un acteur de se rendre capable de faire agir unautre acteur suivant une orientation souhaitée. Il n’est pasautomatiquement lié aux ressources de contrainte que peutdonner une position hiérarchique supérieure. Généralement,les principales ressources de pouvoir sont la compétence, lamaîtrise de relation à l’environnement, la maîtrise descommunications ainsi que la connaissance précise des règles,souvent complexes, de fonctionnement.

En définitive, l’analyse stratégique des organisations montrequ’il existe une dialectique entre l’acteur et le système puis-que l’acteur crée le système qui est un construit social et enaucun cas une donnée naturelle figée, mais complètementdynamique et évolutive.

3. La théorie de la régulation conjointe de J.-D. Reynaud

Selon la théorie de la régulation conjointe du sociologuefrançais Jean-Daniel Reynaud publiée en 1989 dans unouvrage intitulé Les règles du jeu. Action collective et régula-tion sociale, la structuration des jeux d’acteurs se conçoitmieux à partir de la construction des règles dans l’ensembleorganisé qu’est l’organisation. Le point de départ de sa théo-rie converge avec les considérations de Crozier et Friedbergsuivant lesquelles il y a une difficulté de construction del’action collective. Les recherches de Reynaud visent à mon-trer que la production de règles est le fruit d’une longueconstruction. Cette construction de règles n’est pas donnéeune fois pour toutes, elle se construit et se reconstruit en per-

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manence. Cette théorie des règles du jeu est centrale pourcomprendre comment dans l’activité de travail s’élaborentles règles, comment un groupe social se structure et devientcapable d’actions collectives. Dans cette approche, le rôle deconstruction du groupe de travail par la construction derègles semble premier. En effet, si les règles du jeu servent àconstruire l’action collective, elles sont aussi le signe del’existence du groupe et ont comme fonction de le définir etde le faire exister. Finalement, l’apport de Reynaud à lasociologie des organisations est de préconiser une observa-tion rigoureuse et minutieuse des situations de travail, de laconstruction des régulations autonomes, de leur combinai-son avec les régulations de contrôle pour donner les régula-tions conjointes. En d’autres termes, cette théorie rendcompte de la façon dont les acteurs agencent les contraintespour produire leurs propres règles.

4. R. Sainsaulieu et l’identité au travail

Professeur de Sociologie à l’Institut d’Études Politiques deParis, Renaud Sainsaulieu a développé, dès 1977, dans unouvrage connu, L’identité au travail, un courant de penséefondé sur un mode de structuration de l’organisation oùl’expérience de la socialisation joue un rôle central. End’autres termes, Sainsaulieu met l’accent sur les dimensionsaffectives, sur les positions idéologiques des acteurs et surleur mode de calcul des possibilités de gains ou de pertes. Ilfonde les identités collectives sur le fait que les individus onten commun une même logique d’acteurs. L’identité fondeainsi la communauté, au sens où celle-ci se définit par uneaction commune. En sociologie, le concept d’identité est àla base des théories de l’action. Sainsaulieu envisage doncl’acteur du point de vue stratégique mais aussi sous l’anglede la stabilité de ses relations de travail. L’auteur repère ainsides situations de travail particulières, des identités au travail.Quatre identités au travail sont ainsi identifiées : la fusion, lanégociation, les affinités et le retrait.

• Le modèle de la fusion

On trouve le modèle de la fusion dans un contexte de travailoù les tâches sont répétitives et les travaux peu qualifiés. Les

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acteurs ne peuvent mobiliser que de faibles ressources straté-giques. Sainsaulieu parle de fusion dans le sens où l’individun’a pas d’autre choix que de se fondre dans le groupe de tra-vail, car il n’a guère d’autres ressources que le collectif.

• Le modèle de la négociation

On peut trouver ce type d’identité au sein de groupes de tra-vail où les acteurs sont qualifiés, peuvent accéder à desniveaux hiérarchiques supérieurs et acceptent entre eux desdifférences. Sainsaulieu utilise le terme négociation carcomme acteurs collectifs, ces groupes utilisent la négociationavec une capacité importante à entrer dans le conflit et à levivre.

• Le modèle des affinités

Il apparaît dans des situations de mobilité professionnelle, depromotion, où l’évolution individuelle a conduit à la perted’appartenance à un groupe de travail. C’est généralement lecas des cadres ou des ingénieurs et des techniciens pour quile rapport au chef prend une place considérable. Les straté-gies d’acteurs sont orientées autour de la carrière et la réus-site personnelle occupe une place importante. Cette identitéplace l’acteur dans une logique plus individualiste à la recher-che de conquêtes professionnelles.

• Le modèle du retrait

Le retrait signifie que l’individu au travail a peu d’amis, peud’intégration à un groupe et son rapport au chef, particuliè-rement fort, se manifeste par de la dépendance. Dans cetteoptique, le travail est davantage une nécessité économiquequ’une valeur et l’individu est très faiblement investi dans sesrelations personnelles au travail.

En définitive, R. Sainsaulieu défend la thèse que l’expériencequotidienne des relations de travail alimente des représenta-tions collectives et des valeurs communes qui la dépassenttout comme elle façonne les personnalités individuelles dansleurs choix et jugements. Il montre que les rapports sociauxau travail structurent l’identité individuelle et collective. Lesquatre identités au travail, précédemment discutées, indi-quent que le travail devient, dans les sociétés industrielles

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contemporaines, un nouveau lieu d’apprentissage culturelcomme le furent en d’autres temps l’église catholique ouencore la famille bourgeoise.

II. LES NOUVELLES THÉORIES SOCIOLOGIQUES DE L’ENTREPRISE

Depuis la fin des années 80, la sociologie des organisationsconnaît un véritable succès au sein des Universités et desécoles de management françaises. La sociologie des organi-sations apporte une véritable grille d’analyse et un corpusthéorique solide aux chercheurs ainsi qu’aux praticiens.Depuis quelques années, un certain nombre de chercheursont tenté de renouveler les théories sociologiques en fonc-tion des préoccupations des praticiens du management. Ondistinguera principalement trois courants de pensée qui con-tribuent activement à un tel renouvellement : l’école de laconvention, la théorie de la traduction et la théorie deslogiques d’action conceptualisée par P. Bernoux.

1. L’école des conventions

La théorie sociologique des conventions est apparue enFrance en 1987 avec un ouvrage fondateur, Les économies dela grandeur, rédigé par L. Boltanski et L. Thévenot. Ce cou-rant de pensée regroupe des économistes et des sociologues,L. Boltanski, L. Thévenot, A. Orléan, R. Salais, qui sug-gèrent un modèle des relations sociales qui vise à répondre àla problématique de la coordination des actions individuellesafin de comprendre dans quelle mesure se constitue uneaction collective. Ils interrogent la question des ressources àmobiliser pour stabiliser l’action des acteurs ainsi que lesbases constitutives d’un accord collectif. Ces auteurscherchent les fondements et les voies de construction dusocial dans le choix de l’accord qui résulte d’une convention.La régularité des conduites et des normes de comportementrésulte, suivant leur théorie, d’une contrainte d’accord qu’ilsappellent une convention. À travers leur ouvrage majeur,Boltanski et Thévenot démontrent qu’il existe plusieurs légi-timités qui s’affrontent dans une entreprise et qui président

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à la justification des actions. Ils appellent ces principes citésou mondes et distinguent finalement six cités :

– la cité inspirée désigne le principe de créativité, l’action estalors guidée par la volonté d’innover ;

– la cité domestique renvoie au respect de la tradition et àl’attachement aux règles d’un collectif de travail ;

– la cité du renom vise à la reconnaissance sociale par un sys-tème de relations publiques ;

– la cité civique justifie une action par la recherche de l’inté-rêt général ;

– la cité marchande justifie le recours au contrat commercial ;

– la cité industrielle correspond à une logique de producti-vité et de performance.

Boltanski et Thévenot démontrent que lorsque ces cités sonten contradiction, il est nécessaire, pour assurer la cohésion ducollectif de travail, de trouver des accords fondés sur descompromis. Par exemple concernant un accord d’entreprisepour le passage négocié aux 35 heures hebdomadaires de tra-vail, la contradiction potentielle entre la légitimité civique,celle de l’intérêt des salariés, et la légitimité industrielle cor-respondant à l’impératif de performance, peut se résoudre àtravers l’établissement d’une convention contractuelle, unaccord d’entreprise entre les partenaires sociaux.

Suivant R. Salais, une convention correspond à un ensembled’éléments qui, pour les participants à la convention, vontensemble et pour lesquels ils partagent un accord commun.La convention désigne donc bien un ensemble d’attentesréciproques sur les comportements et les compétences, éla-boré comme allant de soi et pour aller de soi.

Dans ces conditions, une convention peut être véritablementefficace. Le concept de convention provient de convenir etpermet de coordonner des intérêts d’acteurs contradictoires,relevant de logiques d’action opposées, mais qui ont besoind’être ensemble pour satisfaire leurs besoins. En définitive,les conventions sont des accords implicites permettant à lavie sociale de prendre tout son sens. La théorie des conven-

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tions montre qu’à l’intérieur de chaque cité, les justificationspermettent de faire apparaître des désaccords puis decomprendre sur quoi se fondent les compromis dans la négo-ciation. Les théoriciens de convention s’inscrivent dans lesthéories de l’acteur car ils soulignent que les justificationssont, en réalité, des construits sociaux. Ils insistent sur lanécessité d’observer la réalité sociale à partir des compromiset ils démontrent dans quelle mesure la dynamique des rap-ports sociaux résulte de nouveaux compromis et de nou-velles conventions.

2. La théorie de la traduction du Centre de Sociologie de l’Innovation

Dès les années 80, Michel Callon et Bruno Latour ont déve-loppé le Centre de Sociologie de l’Innovation (CSI) àl’École nationale supérieure des Mines de Paris. À partir d’unensemble de recherches de terrain, ils ont élaboré une socio-logie des sciences et des techniques. Leur approche les a pro-gressivement conduits à un renouvellement de l’analyse desinnovations et montre le caractère dynamique des organisa-tions dans la mesure où leur développement réside dans leurcapacité à innover.

La théorie de la traduction fondée par Callon et Latour viseà dégager les conditions de production et de circulation desinnovations techniques et des connaissances scientifiques. Ilscherchent à montrer que l’élaboration des innovationsignore les frontières organisationnelles. Pour ce faire, ladémonstration de leur théorie applicable à l’analyse desorganisations s’appuie principalement sur le cas de la réim-plantation des coquilles Saint-Jacques dans la baie de Saint-Brieuc élaborée par M. Callon.

Au début des années 70, on s’aperçoit d’un phénomènenouveau, celui de la disparition progressive des coquillesSaint-Jacques dans la baie de Saint-Brieuc, qui ont déjà dis-paru en rade de Brest, du fait des prédateurs et d’une pêcheexcessive. Le centre national d’exploitation des océans lanceun vaste programme de recherche destiné à étudier dansquelles conditions une technique d’élevage japonaise descoquilles Saint-Jacques peut être adaptée en France.

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C’est dans ce contexte que M. Callon montre, en 1986, quele succès de ce programme dépend de la réussite d’une asso-ciation inédite entre des acteurs multiples et différents : lesscientifiques, les marins-pêcheurs, les pouvoirs publics et lescoquilles Saint-Jacques elles-mêmes ! La production de nou-velles connaissances sur les coquilles Saint-Jacques et la per-formance du programme de recherche sont, en réalité, liéesaux capacités de mobilisation et de coopération de toutes lescatégories d’acteurs humains et non humains.

Afin de mobiliser tout un chacun, les chercheurs vont opérerce que Callon va appeler une série de traductions. Le con-cept de traduction signifie que ce qui pour les chercheurs estune question de connaissances fondamentales sur lescoquilles Saint-Jacques doit être retraduit en terme de survieéconomique pour les pêcheurs, en question de perpétuationde l’espèce pour les coquilles et en terme d’image de marquepour les pouvoirs publics. C’est à cette condition que le pro-gramme de recherche est légitime et essentiel pour toutes cescatégories d’acteurs puisqu’il devient intelligible pour eux.Les chercheurs sont ainsi devenus les porte-parole de cetensemble hétérogène car ils permettent à ces différentescatégories de communiquer entre elles. Ils ont ainsi fait del’existence des coquilles Saint-Jacques dans la baie de Saint-Brieuc un passage obligé.

La traduction, suivant la démonstration de Callon, c’est aussile déplacement des logiques d’action initiales des acteurs versdes redéfinitions de rôle. Par exemple, les pêcheurs devien-nent à la demande des chercheurs des observateurs attentifsdes mouvements de larves et effectuent des prélèvements. Ilsdeviendront progressivement des éleveurs. Ces opérationsde traduction ou chaînes de traduction, passant par des asso-ciations inédites, favorisent l’émergence d’un réseau socio-technique qui peut être défini comme un ensemble decheminement entre des acteurs humains et non humains quise trouvent inter reliés. Le concept de réseau sociotechniqueindique que la production des innovations nécessite uneextension considérable des relations et des associations indis-pensables de catégories d’acteurs aux rationalités différentes.

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Ce cas montre bien l’importance de dépasser les frontièresorganisationnelles pour introduire de nouvelles catégoriesd’acteurs afin de permettre les conditions d’émergenced’une innovation. L’originalité de la démarche proposéeréside aussi dans le fait d’introduire dans la réflexion des enti-tés non humaines reliées aux humains par des relationsvariées. Callon souligne que ces différentes entités contri-buent à s’entre-définir, c’est-à-dire à qualifier mutuellementleur identité, leurs relations et leurs intérêts qui ne sont pasfigés.

Le concept de réseau sociotechnique de Callon et Latourpermet de repenser la question des innovations en milieuorganisationnel en mettant fortement en évidence l’impor-tance de l’hétérogénéité et de la diversité des acteurs néces-saires à la production d’innovations.

3. La théorie des logiques d’action de P. Bernoux

Sociologue spécialisé en matière d’analyse des organisations,Philippe Bernoux, à travers un ouvrage intitulé La sociologiedes entreprises (1995), cherche à élaborer une grille d’analysedes logiques d’action dans les organisations pour rendrecompte de la diversité des interprétations possibles de phé-nomènes observés.

Il suggère, d’une part, une posture de recherche heuristique,par tâtonnements intellectuels, à partir de laquelle le cher-cheur peut utiliser des concepts issus de différentes théoriesqui s’excluent habituellement. D’autre part, Bernoux pro-pose d’identifier les logiques d’action car elles sont unemanière possible de définir le sens qu’un acteur donne à sonaction.

Pour l’auteur, la construction de conventions, la reconstruc-tion des identités, la production de normes, les comporte-ments d’ajustement résultent de la manière dont les acteursinterprètent leur rôle et leur place dans les organisations,compte tenu de leurs parcours antérieurs et de la situationd’action dans laquelle ils se trouvent. Le sens donné àl’action a été créé à travers les systèmes de représentationsdes individus mais aussi par les situations sociales. En

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d’autres termes, l’acteur n’agit pas seulement en fonction dela situation mais aussi compte tenu de ses expériences et desa mémoire. En résumé, la logique d’action d’un acteur estfinalement le produit de son passé mais aussi de l’exerciceconcret de son métier à travers des situations de travail. Leconcept de logique d’action de Bernoux permet de fairecomprendre que les conflits entre acteurs sont générés pardes représentations différentes des contraintes et des situa-tions sociales.

Au total, la thèse de l’auteur réside dans l’idée que l’interpré-tation en termes de logiques d’action permet de comprendrela manière dont chacun se situe face à un problème, non seu-lement en fonction de l’action dans laquelle il est, mais ausside ses jeux de pouvoir, de ses cités et de son passé constitutifde ses propres représentations.

4. La théorie de la structuration de A. Giddens

Professeur de sociologie et directeur de la London School ofEconomics, Antony Giddens est un chercheur dont les tra-vaux et les apports sont actuellement très discutés en sciencesde gestion. Son ouvrage fondateur La constitution de lasociété. Éléments de la théorie de la structuration publié en1984, a été traduit en français en 1987. Son œuvre est essen-tiellement théorique et vise à combiner une double sociolo-gie des structures sociales et de l’action des acteurs.

• Le concept de structuration et le structurel

Il vise à faire appréhender les structures sociales sous l’angledu mouvement. Giddens suggère de dépasser le dualismeclassique entre le point de vue de l’individu et celui descontraintes structurelles. Il propose de considérer ces deuxpoints de vue comme deux pôles solidaires d’une même dua-lité dialectique. Giddens définit le concept de structurationcomme « procès des relations sociales qui se structurent dans letemps et dans l’espace via la dualité du structurel » (p. 444).La dualité du structurel correspond à une vision circulaire dela construction du monde social, où ses dimensions structu-rantes sont à la fois situées avant l’action, comme ses condi-tions, et après l’action, comme des produits de celle-ci.

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• La dualité du structurel

Cela désigne l’idée que le structurel est pour Giddens habi-litant et contraignant et qu’il renvoie donc aux notions decompétence et de contrainte. Par exemple, l’apprentissagede notre langue maternelle contraint nos capacités d’expres-sion mais, en même temps, nous donne une compétence etrend possible tout un ensemble d’actions et d’échanges.Intégrant une sociologie de l’action, la théorie de la structu-ration présente des acteurs sociaux compétents, c’est-à-dire :

« Tout ce que les acteurs connaissent, de façon tacite ou discursive,sur les circonstances de leur action et de celle des autres, et qu’ils uti-lisent dans la production et la reproduction de l’action » (p. 440).

Cette compétence repose sur une capacité réflexive desacteurs engagés dans des conduites quotidiennes, c’est-à-dire qu’ils sont « capables de comprendre ce qu’ils font pen-dant qu’ils le font » (p. 33). Ce modèle de la structuration deGiddens implique une réinterprétation des notions decontraintes structurelles et de compétences des acteurs. Lacontrainte structurelle n’explique le comportement del’acteur que dans la mesure où celui-ci y conforme sonaction, ce qui nécessite d’introduire une notion de compé-tence des acteurs pour expliquer les raisons qui amènent àfaire ce qu’ils font.

• Le concept de compétence sociale

Pour Giddens, la compétence sociale est surtout d’ordre pra-tique et l’analyse et l’explication des conduites stratégiquesnécessitent l’observation de l’action des acteurs. En matièred’analyse des organisations, cette thèse signifie qu’il est fon-damental de contextualiser l’action des acteurs pour enmesurer effectivement la portée et le sens.

• Les conséquences non intentionnelles de l’action sociale

Anthony Giddens insiste également sur les conséquencesnon intentionnelles de l’action de l’acteur dans certains cas.Cela constitue pour lui une des limites principales de lacompétence des acteurs sociaux. C’est alors une véritabledialectique entre l’intentionnel et le non intentionnel quepropose Giddens, les actes intentionnels étant pris dans desséquences d’actions complexes qui tendent à lui échapper et

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à porter l’action plus loin que lui. Pour illustrer cette idéefondamentale, Giddens prend l’exemple simple du cambrio-leur et de la lumière. L’acteur qui allume la lumière de sonappartement en rentrant chez lui alerte le cambrioleur quiprend alors la fuite. Celui-ci est arrêté par la police et finit enprison. Or, l’intention de l’acteur n’était que d’allumer lapièce. Pourtant, il y a une série de conséquences non inten-tionnelles de l’action : le fait banal d’actionner un interrup-teur a finalement conduit un cambrioleur en prison !

Finalement, le propos de Giddens est de souligner qu’il estfondamental d’envisager les actions du point de vue d’unensemble. En définitive, la théorie de la structuration est undépassement de l’opposition en position structuraliste envi-sageant la vie sociale comme déterminée par des structuressociales impersonnelles, objectives, et position humaniste,existentialiste, la considérant comme le produit subjectif del’acteur individuel.

• Le renouvellement du débat action/structure

L’apport fondamental de la théorie de la structuration à lathéorie des organisations est de renouveler et de repenser ledébat action/structure portant sur la conception même del’organisation. En effet, l’une des propositions les plus sti-mulantes de la théorie de la structuration réside dans l’idéede dualité du structurel. Les règles et les ressources utiliséespar les acteurs dans leur action sont en même temps lesmoyens de reproduction du système social concerné. End’autres termes, les structures organisationnelles sont à lafois le medium et le produit de la conduite des acteurs. Lesacteurs produisent les structures mais sont en même tempsguidés par elles.

5. L’analyse ethnométhodologique de A. Garfinkel

Né en 1917, Harold Garfinkel est Professeur de sociologie àl’Université de Californie à Los Angeles aux États-Unis. En1967, Garfinkel publie un ouvrage intitulé Studies in Ethno-methodology – Recherches en ethnométhodologie traduit en2007 - considéré comme fondateur de la théorie ethnomé-thodologique qui est une théorie de l’action attentive aux

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motivations des acteurs. Dans le concept même d’ethnomé-thodologie, ethno suggère qu’un acteur dispose du savoir desens commun de sa société et méthodologie vise la mise enœuvre de méthodes ordinaires par ce même acteur. Les con-cepts et les savoirs de l’ethnométhodologie peuvent êtreéclairants pour la gestion et le management des organisa-tions.

• Le concept d’ethnométhodes

L’approche ethnométhodologique des organisations conduitainsi à envisager leur fonctionnement du point de vue des eth-nométhodes qui désignent les méthodes et les savoirs profa-nes utilisés par les acteurs pour gérer leurs pratiques sociales.

• Le concept d’accomplissement pratique

Ce concept conduit à considérer que les faits sociaux nes’imposent pas objectivement de l’extérieur aux individus. Ilsse constituent dans les interactions pratiques des individusqui les accomplissent. Par exemple, au sein d’une petiteentreprise, on a pu relever l’importance pour les acteurs desfiches événements. En effet, la formalisation d’événementssinguliers et aléatoires s’inscrivait pour les acteurs dans unelogique qualifiante. Finalement, cette maîtrise d’événementsaléatoires constitue une source de renouvellement descompétences au sein d’une organisation confrontée au défide la qualité.

• La réflexivité

Elle peut être définie comme la manière dont les acteurs ren-dent compte de leurs activités. Autrement dit, c’est cettecompétence qu’il s’agit de découvrir sans surimposer un senssavant au sens ordinaire. Par exemple, la collecte d’incidentspeut être très mobilisatrice pour les acteurs à condition qu’ilsperçoivent les effets de cette formalisation en termesd’accroissement de leurs capacités de régulation d’incidentssimilaires.

• Les savoirs et les ressources tacites

Pour comprendre la signification réelle des accomplisse-ments pratiques, il s’agit de mettre en évidence les savoirs etles ressources qui sous-tendent la réalisation des actions.

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Pour revenir à l’exemple précédent, on a observé une déter-mination ouvrière à consacrer du temps apparemment nonproductif afin de collecter des méthodes de résolution d’inci-dents techniques.

• L’indexicalité

Ce concept conduit à considérer que la signification du lan-gage ne peut être perçue qu’en le rapportant aux situationsconcrètes de son utilisation. En définitive, les mots sont enquelque sorte indexés sur le contexte spécifique de leurexpression. Au sein de la petite entreprise étudiée, il étaitremarquable de constater l’importance des communicationset de formes de coopérations horizontales.

Ainsi, on a été confronté à la difficulté de comprendrel’intersubjectivité entre les acteurs, c’est-à-dire le sens donnéà des actions de régulation collective fondées sur l’échangeverbal. À titre d’exemple, le simple fait qu’un ouvrier neremplisse pas le cahier incident pouvait être interprétécomme une intention manifeste de ne pas vouloir coopérer.

En définitive, la grille d’analyse proposée par Garfinkel estutilisable en matière d’analyse des organisations puisqu’ilsuggère de porter une attention accrue aux actions pratiquesdes acteurs, aux interactions, aux méthodes de raisonnementpratique et de résolution de problèmes.

III. LA THÉORIE SOCIO-ÉCONOMIQUE DES ORGANISATIONS ET L’INTERVENTION EN MANAGEMENT

1. Les fondements de l’analyse socio-économique des organisations

Face aux défis des années 90, la qualité du management deshommes est considérée comme un facteur de compétitivitédes entreprises. En France, les travaux de recherches con-duits par Henri Savall, Professeur de sciences de gestion àl’Université de Lyon (IAE) et son équipe de recherche l’Ins-titut de Socio-Économie des Entreprises et des ORganisa-tions (ISEOR) montrent que l’accroissement de laperformance économique des organisations passe par le

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développement de son potentiel humain. Dès 1974, Savallpublie un ouvrage, fondateur de l’approche socio-économi-que, intitulé Enrichir le travail humain. La démarche et leprogramme de recherche des chercheurs de l’ISEOR sont deréaliser dans les organisations des expérimentations en pro-fondeur et de longue durée en vue d’élaborer, de tester puisde stabiliser des concepts, méthodes et outils de manage-ment.

• Une approche de l’entreprise par le potentiel humain

De nombreux résultats issus de ces recherches expérimenta-les ou recherches interventions ont été publiés à partir de1987 par Henri Savall et Véronique Zardet dans l’ouvrageMaîtriser les coûts et les performances cachés publié aux États-Unis en 2008. Cette approche propose un mode de mana-gement innovant et repose sur l’idée selon laquelle touteorganisation produit des dysfonctionnements, sources decoûts cachés. L’approche socio-économique s’inscrit dansun courant de pensée novateur remettant en cause la dicho-tomie existante entre l’efficacité économique et la perfor-mance sociale des organisations. Les recherches ont pourprincipal objectif la démonstration, par l’expérimentation,de zones de compatibilité entre la performance sociale etl’efficacité économique.

Ce courant de pensée propose un mode de managementinnovant s’appuyant sur le développement de tout le poten-tiel humain des entreprises et des organisations et intégrantla performance sociale et la performance économique.L’hypothèse fondamentale de l’approche est d’ordre explica-tive et prescriptive sur le fonctionnement général des organi-sations. Cette hypothèse présente une organisation commeun ensemble de structures et de comportements en interac-tion et déterminant la qualité de son fonctionnement.

• Une approche des organisationspar les dysfonctionnements

L’interaction des structures et des comportements, maisaussi des structures entre elles et des comportements entreeux, provoque des dysfonctionnements, c’est-à-dire desécarts entre les résultats attendus et les résultats obtenus. Les

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• La grille d’auto-analyse du temps

Elle permet la recherche d’une structure plus efficace del’emploi du temps en développant la programmation indivi-duelle et collective ainsi que la délégation concertée.

• Le plan d’actions stratégiques internes et externes

Il clarifie la stratégie de l’entreprise à trois ans, voire cinq ans,aussi bien vis-à-vis de ses cibles externes (clients, fournis-seurs…) que de ses cibles internes (du PDG à l’employé etouvrier). Il est réactualisé chaque année pour tenir comptede l’évolution de son environnement externe pertinent et deson personnel.

En définitive, la mise en œuvre et l’évaluation de ces outilsde management contribuent à l’amélioration des performan-ces économique et sociale de l’entreprise par la réduction descoûts cachés ainsi que par le développement des compéten-ces managériales et du potentiel humain de l’organisation.

3. La théorie de l’intervention en management dans les organisations

Depuis quelques années, la théorie des organisations s’estenrichie par de nouveaux apports issus d’expériences réali-sées le plus souvent en milieu industriel comme par exemplecelles relatives à l’introduction d’un mode d’organisationqualifiant. Ces apports conduisent à reconsidérer les prati-ques de gestion en intégrant de nouvelles conceptions del’homme au travail. Dans cette optique, il apparaît importantd’expliciter les concepts résultant de ces travaux de recher-che et leurs implications pour le management des hommes.Il est intéressant de développer une théorie de l’interventionen management et des éléments de méthodes visant l’intro-duction de nouvelles pratiques de gestion des hommes dansles entreprises. Cette approche conduit à mettre en évidenceune stratégie de développement du potentiel humain desorganisations ainsi que les apports potentiels de ce que lesAnglo-Saxons appellent le

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• Le processus d’intervention en management des hommes

Le processus d’intervention en management dans les organi-sations est souvent difficile car le diagnostic et le changement

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La théorie des coûts cachés est centrale dans les recherchesde l’ISEOR. Les coûts cachés s’opposent aux coûts visiblescaractérisés par une dénomination précise, une mesure et unsystème de surveillance. Les conséquences économiques desdysfonctionnements, appelées donc coûts cachés, peuventêtre mesurées par l’évaluation de cinq indicateurs : l’absen-téisme, les accidents du travail, la rotation du personnel, laqualité des produits, les écarts de productivité directe. Pourréduire ces coûts cachés, un processus général d’améliora-tion du management et du fonctionnement de l’organisationpermet de dynamiser l’entreprise en s’appuyant sur six outilsopérationnels progressivement intégrés par l’ensemble dupersonnel.

• Le contrat d’activité périodiquement négociable (CAPN)

Il formalise les objectifs prioritaires et les moyens mis à dis-position pour chaque personne au travers d’un double dia-logue semestriel personnalisé avec le supérieur hiérarchiquedirect. Il lui est attaché un complément de rémunération liéà l’atteinte des objectifs collectifs, d’équipe et individuels,autofinancé par la baisse des coûts cachés.

• La grille de compétences

Il s’agit d’un tableau permettant de visualiser les compé-tences effectives disponibles d’une équipe et de son organi-sation. Elle permet d’élaborer un plan de formation intégréeparticulièrement bien adapté à chaque personne et auxbesoins évolutifs de l’unité.

• Le plan d’actions prioritaires

Il constitue l’inventaire concerté des actions à réaliser dansun semestre pour atteindre les objectifs prioritaires aprèsarbitrage sur les priorités et test de faisabilité.

• Le tableau de bord de pilotage

Il regroupe les indicateurs qualitatifs, quantitatifs ou finan-ciers utilisés par chaque membre de l’encadrement pourpiloter concrètement les personnes ou les activités de sa zonede responsabilité. Il permet de mesurer, d’évaluer, de suivrela réalisation des actions et de surveiller les paramètres sensi-bles des activités opérationnelles et stratégiques.

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Elle permet la recherche d’une structure plus efficace del’emploi du temps en développant la programmation indivi-duelle et collective ainsi que la délégation concertée.La grilled’auto-analyse du temps ou gestion du temps

• Le plan d’actions stratégiques internes et externes

Il clarifie la stratégie de l’entreprise à trois ans, voire cinq ans,aussi bien vis-à-vis de ses cibles externes (clients, fournis-seurs…) que de ses cibles internes (du PDG à l’employé etouvrier). Il est réactualisé chaque année pour tenir comptede l’évolution de son environnement externe pertinent et deson personnel.

En définitive, la mise en œuvre et l’évaluation de ces outilsde management contribuent à l’amélioration des performan-ces économique et sociale de l’entreprise par la réduction descoûts cachés ainsi que par le développement des compéten-ces managériales et du potentiel humain de l’organisation.

3. La théorie de l’intervention en management dans les organisations

Depuis quelques années, la théorie des organisations s’estenrichie par de nouveaux apports issus d’expériences réali-sées le plus souvent en milieu industriel comme par exemplecelles relatives à l’introduction d’un mode d’organisationqualifiant. Ces apports conduisent à reconsidérer les prati-ques de gestion en intégrant de nouvelles conceptions del’homme au travail. Dans cette optique, il apparaît importantd’expliciter les concepts résultant de ces travaux de recher-che et leurs implications pour le management des hommes.Il est intéressant de développer une théorie de l’interventionen management et des éléments de méthodes visant l’intro-duction de nouvelles pratiques de gestion des hommes dansles entreprises. Cette approche conduit à mettre en évidenceune stratégie de développement du potentiel humain desorganisations ainsi que les apports potentiels de ce que lesAnglo-Saxons appellent le Knowledge Management.

• Le processus d’intervention en management des hommes

Le processus d’intervention en management dans les organi-sations est souvent difficile car le diagnostic et le changement

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y sont complexes. De nombreux travaux de recherchemontrent qu’en management, on ne peut intervenir qu’encomprenant ce qui se passe vraiment, c’est-à-dire en étudiantles acteurs influents, leurs stratégies de pouvoir, leurs objec-tifs ainsi que l’ensemble des pratiques qui en résultent.L’intervention en management requiert donc des compé-tences multiples, d’ordre technique, politique et relationnel.L’intervenant peut contribuer activement au développementorganisationnel de l’entreprise à partir de relations de travailqui se caractérisent par de fortes interactions qui produisentdes transformations, sources de développement du potentielhumain. Il peut aussi se heurter à des paradoxes ou encore àdes mythes organisationnels comme le mythe taylorienencore agissant de la staticité des compétences et des com-portements. L’intervention en management suppose descompétences d’expert en management mais aussi et surtoutde facilitateur et de catalyseur. Néanmoins, le simple fait dedemander de l’aide induit dès le départ une situation socialedéséquilibrée dans notre société où l’autonomie est parti-culièrement importante.

Dès que le demandeur de prestations se place, dansl’échange social, en position de dépendance vis-à-vis de celuiqui va l’aider, cela crée un déséquilibre et une vulnérabilité.Cette situation nécessite que l’intervenant opère rapidementun rééquilibrage sous peine de se faire rejeter. En ce sens, ilest important d’insister sur l’idée selon laquelle le prestatairede services en management s’efforce de s’inspirer tant quepossible d’une approche générale de l’acte d’aider. L’inter-venant se voit confier un rôle social dans l’entreprise mais ilpeut aussi apparaître aux salariés comme l’envoyé et doncl’agent de la direction. Ces représentations impliquent qu’iln’est pas pensable pour les acteurs de confier toutes leursopinions sur le fonctionnement de leur organisation à unintervenant.

• L’apport de la psychanalyse

La psychanalyse propose un certain nombre de concepts quine manquent pas d’intérêt lorsque l’on s’intéresse à la rela-tion de consultation. Il est donc important de considérer lesphénomènes de transfert et de contre-transfert dans l’inter-

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vention en management. Il apparaît ainsi utile de détecter etde traiter les projections faites par les membres de l’entre-prise sur l’intervenant (analyse en termes de transfert) ainsique les projections faites par celui-ci sur les membres du ter-rain d’investigation (analyse en termes de contre-transfert).Par conséquent, l’ampleur de ce phénomène constitue ceque le psychanalyste et ethnologue Georges Devereux, dansun ouvrage célèbre intitulé De l’angoisse à la méthode dans lessciences du comportement (1980), appelle l’angoisse del’observateur devant la richesse et la diversité de ses observa-tions. Il semble que dès qu’il y a des processus d’interactions,cela produit des réactions d’acteurs qui peuvent constituerdes enseignements suffisamment signifiants et solides pourun analyste extérieur en quête de connaissances. Celui-cidoit probablement intégrer ces données dans ses analysesmême si l’objectif est de contribuer par une méthode inte-ractive à la transformation du fonctionnement de l’organisa-tion observée.

Finalement, l’expérimentation d’outils de management dansde nombreuses organisations a permis de progresser quant àla qualité des prestations apportées par les intervenants ainsique de mettre en évidence la possibilité d’élaborer progres-sivement des zones de compatibilité suffisantes entre l’effica-cité économique et la performance sociale. Par exemple, uneintervention réalisée dans une PME sur l’analyse des compé-tences des salariés a fourni au dirigeant une représentationinstructive de l’état de son potentiel humain particulière-ment utile pour le lancement de nouveaux produits.

4. L’essor du Knowledge Management ou le Management des savoirs

Aux États-Unis, le mouvement du Knowledge Managementest en plein essor comme l’indique le célèbre article de PeterDrucker publié en 1999 dans California ManagementReview consacré au management des savoirs. Il développel’idée que les travailleurs hautement qualifiés doivent êtretraités comme des actifs de l’organisation à entretenir et àdévelopper puisqu’ils possèdent les moyens de productiongrâce à leur savoir et leur expérience. On les appelle souvent

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des knowledge workers. En France, on parle également deplus en plus d’une nouvelle productivité par le savoir et lesconnaissances dans le cadre d’une économie de l’immatérielen pleine croissance. Suivant cette logique d’action, le travailest repensé et certaines directions des ressources humainescherchent à introduire un mode de gestion visant le mana-gement des savoirs.

Dans cette perspective, il est important de redéfinir le modede management de l’entreprise et les instruments de mesuredes performances. Cela passe aussi par l’introduction denouveaux modes d’organisation et de nouvelles connais-sances en management dans les entreprises. Cette logique dediffusion de connaissances dans les organisations intéresse lesacteurs souvent en quête de nouveaux savoirs. Selon cettelogique d’apprentissage, il apparaît fondamental que les sala-riés se penchent sur des connaissances tacites et sur desconnaissances explicites existantes dans l’organisation. Lesconnaissances tacites s’acquièrent par apprentissage informelet par socialisation de l’individu dans un groupe. Elles pour-ront faire l’objet d’une formalisation, qui permettra de lesobjectiver et de les diffuser. Les connaissances explicites, àl’inverse, peuvent être intériorisées par des individus, qui lespartageront au sein de leur groupe d’appartenance. L’orga-nisation taylorienne classique bloque généralement le pas-sage des savoirs explicites de l’individu au groupe puisqu’ellene favorise pas l’expression individuelle et les communica-tions. Elle empêche également la transmission de savoirstacites en savoirs explicites car le salarié n’y a pas nécessaire-ment intérêt et préfère garder sa zone d’autonomie.

Dans ce cadre organisationnel, la transmission des savoirscollectifs se fait principalement sur le mode de l’impositiondans la mesure où l’on standardise les savoirs et on lesimpose autoritairement. À partir d’une démarche visant unchangement organisationnel par de nouveaux apports engestion des ressources humaines, plusieurs activités inno-vantes vont se développer par des actes de gestion conceptifs.En premier lieu, la résolution de problèmes en groupe à par-tir d’équipes de travail est encouragée. En second lieu,l’organisation favorise une logique d’expérimentation visant

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à lancer des expériences pilotes, des projets innovants. Ce quiest fondamental, c’est de conduire les acteurs à tirer lesleçons des expériences, ce qui suppose qu’ils acceptentd’examiner les succès mais aussi les échecs en consacrant dutemps à cela. En troisième lieu, le changement organisation-nel doit favoriser l’apprentissage des salariés avec leurs prin-cipaux partenaires (clients, fournisseurs, prestataires deservices, etc.). Enfin, il s’agit de stimuler le transfert desconnaissances par une nécessaire explicitation favorisantcette transmission des savoirs. Cela conduit à développer laformalisation par de la formation, des documents, de systè-mes experts mais aussi par une politique de gestion des res-sources humaines plus dynamique considérant par exemplela mobilité des personnes comme un moyen de transferts deconnaissances.

Concrètement, l’analyse de plusieurs expériences réalisées enmilieu industriel montre qu’une logique de développementorganisationnel s’articule autour des axes suivants :

– la mise en place de principes organisationnels fondés surl’autonomie et la responsabilité des équipes de travail,

– l’enrichissement du travail humain et le développement dupotentiel humain par des actions de formation,

– de nouvelles connaissances en gestion et une plus grandepolyvalence, le développement du pilotage par la mise enplace de tableaux de bord sociaux et d’instruments de ges-tion des compétences,

– la mise en place de dispositifs de communication et l’amé-lioration de la qualité du dialogue professionnel par desentretiens d’évaluation.

Face à la conjoncture économique et sociale et aux difficultéscroissantes des entreprises et des organisations, l’idée qu’il ya lieu de porter de nouveaux regards sur les théories et lesméthodes opératoires en management se développe. C’estdans une telle perspective que ce sont développés des travauxde recherche visant à renouveler l’analyse organisationnelle.

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IV. DE NOUVELLES APPROCHES DES ORGANISATIONS

Le contexte socio-économique auquel les entreprises et lesorganisations sont actuellement confrontées s’est complexi-fié. Pour l’essentiel, cette complexité est liée aux effets de lamondialisation des économies et à l’émergence des technolo-gies de l’information et de la communication. Ces change-ments majeurs affectent les choix stratégiques des entreprises,les configurations organisationnelles et interrogent la naturemême du travail humain. Dans cette optique, un certainnombre d’options organisationnelles peuvent être prises :quelles sont les relations qui s’instaurent entre l’organisationet les individus qui la composent ? Au-delà du travail, qu’est-ce qui est attendu des salariés : de la fidélité, de la motivation,de l’implication ? Qu’en est-il de l’idée d’évolution profes-sionnelle ? Existe-t-il toujours un sentiment d’appartenanceet un lien social durable ? C’est à partir des réponses donnéesà ce type de questions que l’on peut s’interroger sur l’avenirdu travail et l’évolution des organisations.

1. Les mutations du travail et le modèle de la compétence

Ces dernières années, le contenu même du travail s’est pro-fondément transformé. Philippe Zarifian, Professeur deSociologie à l’Université de Marne la Vallée et auteur d’unouvrage intitulé Le modèle de la compétence (2004), résumecette mutation principalement à partir de deux notions clés :les événements et la communication.

• La logique compétence

La thèse de Zarifian consiste à dire que le travaild’aujourd’hui consiste à se confronter à des événementspouvant se produire de manière aléatoire, imprévue etvenant troubler le fonctionnement normal d’une usine auto-matisée. Ces événements sont constitués par des problèmesde qualité, de respect des délais, des pannes ou encore desréclamations clients. Le travail industriel consiste alors à faireface à ces événements, à les anticiper dans la surveillanceactive des systèmes de production. Le salarié est ainsi placé

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dans une situation de gestion nécessitant une capacité nou-velle de régulation face à l’aléa et d’initiative au travail. Ce nesont plus les capacités physiques de production qui sontmobilisées mais bien l’intelligence dans l’action dans uneperspective d’anticipation et de résolution de problèmesvariés et complexes. En même temps, ce même salarié estaujourd’hui sollicité pour faire face aux exigences de rénova-tion et d’innovation dans la production ou le service rendu.Le travail humain nécessite davantage d’ingéniosité et depertinence dans la capacité à faire face à des situations événe-mentielles dans un contexte concurrentiel qui exige de plusen plus des innovations ou tout au moins des capacités dedifférentiation.

• La gestion des compétences comme mode d’organisation

L’apparition et le questionnement quant à la nature descompétences humaines à développer ont émergé corrélative-ment à la société postfordiste au sein de laquelle apparaissentde nouvelles problématiques d’actions. Depuis quelquesannées, on assiste à une crise des organisations dites prescrip-tives dans le sens où les organisations fondées sur le modèlefordiste ou bureaucratique semblent largement remises encause. Cette crise de légitimité de la prescription a des réper-cussions considérables sur le travail humain et les compé-tences désormais requises. En conséquence, la notion deposte de travail n’est plus adaptée aux nouvelles contraintesde production. Le mode de production fordiste qui se carac-térisait par une conception procédurale du travail obéissait àune démarche prescriptive, individualiste et relativement sta-ble conformément aux approches développées successive-ment par Taylor et Ford. Ce modèle instrumental est tout demême devenu obsolète dès lors que l’on parle de dépasse-ment du taylorisme, d’une économie de l’immatériel et del’émergence d’une logique compétence dans les organisa-tions. Les organisations industrielles contemporaines sontcaractérisées par le développement de nouvelles formes decoopération. Le développement de cette coopération hori-zontale, fondée sur le partage d’informations entre salariésaux métiers différents, s’explique par la montée de l’exigence

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de réactivité aux mouvements d’un environnement écono-mique et social instable.

Dans une usine de production industrielle, les différentesactivités de travail sont de plus en plus interdépendantes. Lesréseaux horizontaux paraissent être ainsi les plus appropriésaujourd’hui pour faire face à la montée de la complexité desperformances à atteindre du point de vue de la qualité, desdélais, des coûts, de la variété ou encore de l’innovation. Lacoopération est donc envisagée comme une intercompré-hension, voire une intersubjectivité, entre les acteurs dès lorsque l’on parle de décloisonnement entre les fonctions, degestion des interactions, de logiques de projet ou encore decommunication entre services.

Dans ce nouveau contexte de production, la formation pro-fessionnelle a pour partie changé de nature dès lors que l’onadmet qu’elle n’a plus pour principal objet l’acquisition d’unsavoir ou l’adaptation d’un salarié à une tâche spécialisée. Ence sens, elle s’inscrit plus largement dans une perspectived’investissement immatériel visant à développer notammentdes connaissances en communication ou en ingénierie dumanagement.

En définitive, l’évolution des modes de travail vers l’abstrac-tion, l’autonomie en même temps que le travail en équipemet au premier plan des compétences qui s’expérimententautant sinon plus qu’elles s’enseignent. D’une certainemanière, on peut penser qu’il s’agit de compétences interac-tives qui s’acquièrent et se développent dans une logiquecognitive fondée sur un nouveau mode d’apprentissage.

2. Le modèle de l’organisation qualifiante

Le concept d’organisation qualifiante s’est développé presqueconcomitamment avec celui d’organisation apprenante enmanagement stratégique. L’organisation qualifiante s’inscritdans une perspective de changement d’organisation et dumode de gestion des ressources humaines et annonce ainsiune nouvelle représentation de la professionnalité desacteurs. C’est à Antoine Riboud (1987) que revient la pater-nité de l’expression organisation qualifiante à l’occasion de

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son rapport Modernisation mode d’emploi adressé au premierministre même si le concept a été discuté et enrichi par plu-sieurs chercheurs en sciences de gestion.

L’enjeu alors affiché est double : sur le plan économique, ils’agit d’accroître la compétitivité des entreprises en favori-sant l’appropriation des nouvelles technologies par lessalariés ; sur le plan social, il s’agit de faire en sorte que cesnouvelles technologies soient pour les salariés des occasionsd’apprentissage, de construction et de développement descompétences. Le concept d’organisation qualifiante est bienun idéal type au sens de Max Weber, une sorte d’organisa-tion cible qui permettrait de faire de l’organisation le lieu deproduction de nouvelles compétences et de nouveauxsavoirs, de leur appropriation reconnue par tous les salariésde l’entreprise aux données changeantes du contexte.

Au fond, une organisation qualifiante vise le développementde l’employabilité de tous les salariés et repose sur trois prin-cipes essentiels. D’une part, l’entreprise cherche à structurerson organisation en mettant en œuvre des compétences deceux qui œuvrent à l’inverse de l’attitude qui consiste à ajus-ter les ressources humaines une fois les choix organisation-nels arrêtés. Selon ce principe, l’organisation ne se définit paspar sa structure interne mais bien par les compétences collec-tives qu’il faut être à même de mobiliser pour réaliser lesobjectifs. D’autre part, le caractère formateur des situationsde travail et de gestion est privilégié. En ce sens, les incidentset les aléas qui surviennent en cours d’activité sont appréhen-dés comme des moments privilégiés d’apprentissage. Cetteplace considérable accordée à la gestion des aléas et des dys-fonctionnements traduit l’évolution des systèmes industrielsdans la mesure où les situations routinières sont de plus enplus incorporées dans les dispositifs techniques. Enfin, letroisième principe essentiel est celui de la recherche decoopération dans le travail, ce qui conduit à considérer l’acti-vité de communication et d’échange d’informations entreacteurs comme intense. Cette coopération est censée faciliterl’élaboration de référentiels opératoires communs entre lesindividus et conduit essentiellement à la définition conjointe

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des objectifs de production, des problèmes à résoudre, desmoyens à mobiliser, etc.

Finalement, l’organisation qualifiante est une organisationévolutive, conçue en fonction des compétences présentes despersonnes qu’elle emploie mais également en vue de trans-former en gain de performance l’augmentation du potentielde compétences des salariés. Il est intéressant de relever quela logique envisagée est heuristique, émergente dans le sensoù elle s’appuie sur des réalités organisationnelles en évolu-tion plutôt que sur une approche planificatrice centraliséelargement mise en cause aujourd’hui. Cette conception del’organisation conduit à mettre en avant plusieurs enjeuxcomplémentaires : un enjeu de requalification des acteurscompte tenu des mutations, la nécessité de rendre évolutiveles structures ainsi que la nécessité de développer la perfor-mance de l’organisation elle-même. L’apprentissage indivi-duel et collectif est fondé sur la maîtrise des régulations deflux et d’événements complexes. Le changement se jouedonc aujourd’hui dans l’autonomie des acteurs et leur capa-cité à prendre des responsabilités dans un contexte où l’acti-vité de travail devient plus abstraite. Cette démarcheinnovante implique inévitablement une nouvelle approchedu rôle des cadres qui s’est déplacé compte tenu des nou-velles contraintes et d’enjeux émergents. En ce sens, il estindispensable de stimuler la fonction de coordination descadres et leur aptitude à transmettre des messages pédagogi-ques en particulier quant à l’explicitation de la stratégie del’entreprise. De nombreuses expériences dans les organisa-tions montrent que les entreprises cherchent à redéfinir lerôle de leurs cadres et plus généralement la fonction d’enca-drement dans une logique compétence.

En définitive, de nombreux signes indiquent que l’on estconfronté à des évolutions très nettes au sein de certainesorganisations même si, parallèlement, l’on trouve de nom-breuses formes de retaylorisation en particulier dans les acti-vités de service.

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3. L’organisation hypocrite de N. Brunsson

Professeur en analyse des organisations et en managementpublic à la Stockholm School of Economics, Nils Brunsson estl’auteur de nombreux travaux et ouvrages sur la place del’irrationalité dans certaines organisations. Après desrecherches sur l’irrationnel dans les organisations (1986), ilpublie en 1989 un ouvrage de référence dans le domaine :The Organization of Hypocrisy. L’ouvrage fera l’objet d’uneseconde édition en 2002 mais surtout de travaux complé-mentaires apportant des éléments de réponse aux questionsposées par le modèle de l’organisation hypocrite. C’est danscette perspective que l’on reçoit la parution de Mechanismsof Hope en 2006. L’ouvrage donne des pistes d’action auxmanagers confrontés à la gestion des contradictions et sur-tout à de nouvelles formes de désenchantement dans lesorganisations. Il indique des raisons d’espérer et prône fina-lement un retour aux organisations rationnelles sources destabilité et de dynamisme. D’une certaine manière, il semblepossible de rattacher les travaux de Brunsson au courant ins-titutionnel impulsé au départ par les travaux de Selznick. Dès1957 dans un ouvrage intitulé Leadership in Administration,P. Selznick définit l’institution comme une communautéchargée de valeurs et orientée autant par sa propre survie quepar sa finalité. De façon plus radicale, il a également démon-tré à travers le célèbre cas de la Tennessee Valley Authority(TVA) dans quelle mesure un environnement peut pénétrerune organisation.

• L’hypocrisie comme nécessité organisationnelle

L’analyse de Brunsson qui s’appuie sur de nombreux casd’observations repose sur les raisons et les moyens qu’ont lesorganisations d’être hypocrites, c’est-à-dire de traiter del’incohérence entre leurs discours, leurs décisions et leursactions. En d’autres termes, il soutient l’idée que le rapportentre le dire et le faire est loin d’être évident dans les organi-sations. Brunsson montre notamment que les organisationsne doivent pas nécessairement être rationnelles et, au fond,qu’au contraire l’irrationalité lie souvent la décision àl’action, en mobilisant les acteurs ou en faisant peser une cer-taine responsabilité sur eux. Selon lui, la décision est d’abord

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un processus symbolique dans lequel le responsable n’est pastoujours l’acteur influent. D’après son analyse, il a même leplus souvent des pouvoirs restreints et donc une influencefinalement assez réduite. Par contre, le manager est souventamené à mettre en discours plus qu’à mettre en œuvre ce quipeut le conduire à créer de l’idéologie que Brunsson définitcomme un corpus de valeurs partagées et d’idées communesaux membres d’une organisation. Au total, l’hypocrisie orga-nisationnelle est bien cet écart important et grandissant entrele dire et le faire, le mettre en discours et le mettre en œuvre.Au sein des organisations, les actions sont contrôlées etcompensées par l’idéologie qui les précèdent et les cir-conscrivent. Brunsson invite finalement les managers àaccepter davantage les incohérences, le caractère irrationnelde certaines actions entreprises.

• Le manager performant : un hypocrite au sens moral inné

Selon l’analyse parfois caustique de Brunsson, le managerperformant est celui qui arrive à trouver des équilibres entremise en œuvre des décisions et légitimation. D’une certainemanière, il s’agit de soutenir des actions d’une part, etd’autre part, de compenser des actions défaillantes par unemise en discours. C’est dans une telle perspective quel’auteur de la théorie de l’hypocrisie organisationnelle sug-gère quatre principes à la fois abstraits et pragmatiques.

– La responsabilité du manager qui doit l’amener à souteniravec force sa raison d’être de façon rationnelle.

– La distance que tout manager doit se ménager vis-à-vis desactions entreprises. Celle-ci donne de fait une certaine légi-timité en interne mais aussi par rapport à l’environnement.

– La moralité du décideur dans le sens où ses décisions doi-vent refléter l’idéologie dominante dans l’organisationcomme par exemple le zéro défaut dans l’industrie automo-bile ou encore la qualité de science dans un centre derecherche.

– La réforme qui apporte à un manager une crédibilité ren-forcée surtout si elle s’appuie sur de l’idéologie et sur unlabel extérieur. En ce sens, Brunsson conseille aux décideurs

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d’avoir toujours une réforme formelle en cours qui aura unimpact certain sur la vie quotidienne des acteurs.

La portée des principes d’action proposés par Nils Brunssonsemble d’autant plus pertinente aujourd’hui que les organi-sations sont plus que jamais traversées par des contradictionsd’intérêts, des paradoxes à gérer, des dilemmes à résoudre. Sil’on fait complètement abstraction de la connotation mani-chéenne généralement apportée à l’idée d’hypocrisie, forceest de reconnaître que ces travaux amènent à reconsidérer lerapport entre le dire et le faire mais aussi entre le formel etl’informel dans les organisations. Dans son dernier ouvrage(2006), l’auteur invite les managers à maintenir le rêve d’uneorganisation rationnelle comme source de cohésion et deperformance. Dans un contexte hyperconcurrentiel et mon-dialisé en pleine turbulence, maintaining the dream of therational organization produit une certaine stabilité néces-saire à toute réforme ainsi que des raisons d’espérer en unavenir meilleur.

4. Le management des hommes dans le contexte émergent de la société hypermoderne

La question du management des hommes tel qu’il se jouedans les organisations contemporaines ne peut pas être trai-tée sans prendre en considération les mutations émergentes.L’une des principales à notre sens est l’apparition d’unesociété dite hypermoderne au sens notamment deG. Lipovetsky (2004). Au fond, les individus en milieuurbain évoluent au sein d’une société qui se métamorphoseà grande vitesse. Ces transformations semblent avoir unimpact important sur le comportement humain au travailpour le meilleur et pour le pire. On retrouve ainsi l’éternelleet insoluble question : le travail est-il un lieu d’épanouisse-ment, de réalisation de soi ou bien de souffrance ?

• La société hypermoderne émergente

En première analyse, on tend à observer au sein des organi-sations de nouvelles formes de désenchantement (parfoisradicales) provoquées par un excès de rationalisation ainsique par l’exacerbation de la compétition et des rivalités.

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À l’excès de rationalisation, on tend à chercher à substituerdes émotions, des sensations et même de l’irrationnel d’unecertaine façon. Plus globalement, il s’agit bien d’une sociétéqui ne s’intéresse qu’à l’immédiat, où sont valorisées lescapacités de changement et d’adaptation. On peut aussi par-ler avec les tenants de ce courant d’analyse du développe-ment de la fluidité (ou de comportements plus fluides)caractérisé par un effacement net des contraintes et des bar-rières spatio-temporelles. Dans ce contexte émergent, onpeut tenter de faire l’hypothèse plutôt audacieuse que l’ontente désespérément en ce moment de ré-enchanter les orga-nisations, voire même d’y introduire du merveilleux (les casde Apple ou de Google sont significatifs de ce point de vue).Au fond, on peut légitimement se demander dans quellemesure les mutations sociales mais aussi anthropologiquesrejaillissent sur le management des ressources humaines.Qu’est-ce qui se joue entre des structures organisationnellesmanifestement plus ambiguës et des comportements indivi-duels plus libres ? Quels sont les grands traits caractéristiquesde l’individu contemporain au travail ?

En seconde analyse, le rôle du manager change car la sociétéelle-même se transforme. Celui-ci devient un agent média-teur, capable de développer des compromis entre des indivi-dus aux aspirations plus complexes impliqués dans desprojets aux contours souvent incertains. Actuellement, ilexiste toujours une très grande diversité de pratiques mana-gériales malgré une tendance à l’homogénéisation des outils.Ce sont surtout les rapports sociaux qui évoluent et la naturedu travail change vers l’accentuation des formes de travailimmatériel dans certains domaines. Les cas de très nombreu-ses entreprises l’attestent aujourd’hui. Des entreprisescomme IBM, Orange ou encore Yahoo développent le tra-vail salarié en équipe (les Business Units) qui exige surtout etavant tout beaucoup de coopération entre les salariés. La dif-ficulté réside néanmoins dans le fait que les outils de mana-gement des ressources humaines tendent à être trèsindividualisant. Il y a donc bien un paradoxe entre d’un cotéla nature intrinsèque du travail qui exige probablementdavantage que dans le passé de la coopération entre les

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acteurs et de l’autre le développement d’outils de manage-ment fondés en partie sur de nouvelles aspirations des per-sonnes. Au fond, il convient d’insister sur ce que l’oncommence à appeler l’hypermodernité du managementcaractérisée entre autres par l’exacerbation de la compétitionet de nouvelles aspirations individuelles (développement desoi, excès, créativité, comportements déviants notamment).

• De nouvelles aspirations individuelles

L’analyse du management tel qu’il est produit dans les orga-nisations suppose pour être peut-être plus pertinente uneplus grande prise en compte des traits caractéristiques del’individu contemporain au travail. D’une certaine manière,il s’agit de comprendre la rationalité complexe de l’individuhypermoderne qu’il s’agira de manager au mieux. Mais est-il vraiment gérable ? Parler d’hypermodernité, cela consisteà mettre l’accent sur les notions de déviance, d’excès,d’éphémère, de dépassement de soi, de créativité, de plura-lité des rôles dans un contexte instable. D’une certainemanière, il s’agit d’une exacerbation de la modernité quiarriverait à saturation au sens de la sociologie de l’imaginaire(Maffesoli, 2003). À la recherche d’absolu, sollicité en per-manence, cet acteur d’un nouveau type semble présenter desfacettes contradictoires (Aubert, 2004). D’une certainemanière, il s’agit du passage d’une période où l’homme étaitsoumis au temps à une période où il ne cesse de violenter letemps pour en tirer le maximum de profit et de plaisir. Dansune telle optique, la presse spécialisée parle aussi d’une« chrono compétition ». En quête de performance toujoursplus élevée mais aussi de sensations fortes, l’individucontemporain hypermoderne est à l’opposé de l’hommemoderne, rationnel et raisonnable (Lipovetsky, 2004). Saquête de sens, toujours dans l’excès, ne se réalise pas dans« l’ici et maintenant » (Maffesoli, 2003) : la source de sens,c’est soi-même, ce qui explique le regain d’intérêt depuisquelques années pour le développement personnel et lesdémarches de coaching. Par ailleurs, les rencontres éphé-mères et interchangeables tendent à se substituer aux enga-gements durables. Au total, les liens sociaux sont plusnombreux qu’auparavant, plus faciles à établir plutôt, mais

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ils sont plus fragiles (Marchand, 2006). Les théoriciens del’hypermodernité avancent ainsi l’audacieuse thèse del’éphémérisation des relations qui paraît profondémentreprésentative de la relation à l’autre dans une ère nouvelle.L’accent est mis non pas sur la rupture avec les fondementsde la modernité mais sur l’exacerbation et la radicalisation decelle-ci. La fragilisation des liens tissés semble inévitable. Autotal, l’homme contemporain présente de multiples facettescontradictoires : centré sur la satisfaction immédiate de sesdésirs, en quête d’absolu par le dépassement et la réalisationde soi. D’une certaine manière, le haut de la pyramide deMaslow revient au goût du jour ! La multiplicité des sollici-tations, les injonctions bruyantes à la performance, l’omni-présence de l’urgence, l’essor de comportements pulsionnelsvisant à donner à chaque instant un maximum d’intensité.

Face à cette mutation anthropologique encore incertaine, lesrapports sociaux entre les individus évoluent, la question dupouvoir devient essentielle mais reste finalement assez peuexplicitée dans la littérature sur la critique de la modernité.À travers ses analyses sur l’expérience de la vie quotidienne,Maffesoli insiste implicitement sur le pouvoir imaginairemais aussi sur l’imaginaire du pouvoir (de la place des rites,du symbolique, des idoles dans les organisations). En défini-tive, ces traits caractéristiques de l’hypermodernisme enplein essor rejaillissent sur le management des ressourceshumaines.

• Une conception renouvelée du management des organisations

Dans le contexte de l’hypercompétition, le thème de la trans-formation devient progressivement prioritaire et central ausein de nombreux grands groupes comme l’Oréal, AirFrance ou encore Bouygues Télécom dans un autre registre.Tout ceci montre à quel point la conception d’une organisa-tion de l’entreprise flexible et adaptative est inscrite dans lesesprits. En même temps, il y a bien coexistence de pratiquesadministratives (il faut bien faire des contrats de travail et desbulletins de salaires) à côté de tendances plus actuelles, plus« hypermodernes » (coaching, méthodes d’évaluation per-sonnalisées, management des compétences et des connais-

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sances, détection des jeunes talents, rémunération à la carte,etc.). Plus que jamais, il semble que le rôle des managersd’équipe est de contribuer au développement du potentielhumain dans les organisations. Le pouvoir des managerspeut ainsi s’analyser comme des contributeurs à la conduitedu changement. Il vise à articuler les problèmes humains(emploi, qualification, évolution, motivation) aux autresproblèmes de l’entreprise (notamment les problèmes organi-sationnels et de compétitivité). On est bien dans la perspec-tive d’un management de la transformation et duchangement (Ulrich, 1997).

On le sait, de nombreux travaux récents ont exploré les pos-sibilités de compatibilité entre les impératifs de compétitivité(capacité à soutenir durablement la concurrence) et les poli-tiques d’emploi des entreprises, remettant en question lesmodes de gouvernement des entreprises, les choix straté-giques, les modes d’organisation et les investissements socia-lement responsables dans une perspective de développementdurable et de performance (Saint-Onge, Haines, 2007,Pérez et al., 2004). Il semble que pour intégrer les problè-mes posés par la mondialisation des entreprises et les muta-tions du travail, les directions des ressources humainesdevront davantage prendre en compte les contradictions, lesclivages et les conflits potentiels entre parties prenantes.Cette approche suppose la négociation et l’élaboration demodes d’organisation du travail visant à faciliter l’appropria-tion et la production de connaissances par les acteurs. Celarevient à préconiser de laisser aux salariés la possibilité de réa-liser des ajustements souples et évolutifs permettant demieux gérer les conflits, les incertitudes et le changement.Cela repose ainsi sur une certaine marge de manœuvre lais-sée aux acteurs devant ainsi faire preuve d’autonomie et decapacités de négociation. Finalement, il s’agit de promou-voir davantage l’empowerment (le pouvoir faire) de tous dansles organisations.

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B ibliographie

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I

ndex

acteur : 84, 89, 92, 117aspirations individuelles : 123

bureaucratie : 23, 24, 76

compétence : 18, 49, 67, 94, 107, 112, 114

compétitivité : 17condition de travail : 30confiance : 37configuration : 75, 80conflit : 64connaissance : 90, 108contingence : 47, 54, 75convention : 88coopération : 64, 115coordination : 65, 68, 71culture d’entreprise : 70

direction scientifique des entreprises : 11

dysfonctionnement : 98

économie d’échelle : 15, 17effet Hawthorne : 31

gestion de la production : 10gestion de projet : 18gestion scientifique du

travail : 9groupe semi-autonome : 57

hypocrisie organisationnelle : 111

hypermodernité : 113

idéal type : 23, 24identité : 86innovation : 90intervention : 104

knowledge management : 103

knowledge workers : 104

leadership : 18, 21, 34

management : 39, 59, 97mondialisation : 111motivation : 12, 31, 37, 38, 96mutations anthropologiques :

114

organisation apprenante : 45organisation hypocrite : 111organisation qualifiante : 116organisation scientifique du

travail : 11

paradigme : 13parcellisation : 14parcellisation du travail : 11participation : 36poste de travail : 15, 73, 115potentiel humain : 43, 98, 103pouvoir : 63, 75, 80, 83productivité : 12, 15, 18, 26,

10psychanalyse : 102

qualité : 14, 115

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126

THÉORIE DE ORGANISATIONS

rationalisationde la production : 9

règle : 86

satisfaction : 41, 61savoir : 96, 108, 116sens moral : 112société hypermoderne : 113spécialisation des tâches : 11standardisation : 12

stratégie : 54, 58, 62, 80structuration : 50, 64, 73,

85, 93structure : 54, 69, 74, 93succès psychologique : 44

travail à la chaîne : 13, 15

visionnaire : 14

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J.-M. PLA

NE

THÉO

RIE D

ES OR

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NISA

TION

S

LES TOPOS

Jean-MichelPlane

THÉORIE DES ORGANISATIONS

Éco/Gestion

3e édition

3e édition

www.dunod.com

Jean-Michel Plane

THÉORIE DES ORGANISATIONS

La théorie des organisations est constituée d’unensemble de concepts, méthodes et outils trèsdisparates provenant de diverses disciplinestelles que l’économie, la sociologie, lapsychologie, l’histoire ou encore les sciencesde gestion.L’auteur cherche à rendre compte de cettediversité à partir de grandes expériences quifont encore aujourd’hui autorité et référencemais aussi à partir de nouvelles approchesplus contemporaines comme l’hypocrisieorganisationnelle ou encore l’hypermodernitédu management. Claire et pédagogique, cette 3e éditionpermettra aux étudiants de connaître différentesgrilles d’analyse afin de mieux appréhender ladiversité des situations de gestion.

JEAN-MICHEL PLANE

est Professeur agrégé desUniversités à l’UniversitéPaul Valéry – MontpellierIII et chercheur au groupeORHA (Organisation,Ressources Humaines et Activités).

ISBN 978-2-10-054428-8