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Page de droite. Tour défensive nuragique de Su Nuraxi (Barumini, Sardaigne). Vue partielle de la cour intérieure. Photo © akg-images / Electa Ci-dessous. Nuraghe Su Nuraxi inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco (Barumini, Sardaigne). Photo © Cuboimages, Leemage 20 Italie La Sardaigne semble avoir été balayée, au II e millénaire av. J.-C. par une formidable “gifle de Poséidon”, comme l’ont écrit les Anciens. En témoigneraient ses milliers de constructions mégalithiques, les nuraghes, qui gisent sous des mètres de boue le long d’une dépression pénétrant dans l’île. Située aux limites du monde connu des Grecs, les fameuses Colonnes d’Hercule, l’île pourrait alors apparaître comme la fameuse Atlante mentionnée par Platon. Rencontre avec Sergio Frau. Par Daniela Fuganti La Sardaigne atlante Une île ou un mythe ?

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Page 1: Italie La Sardaigne atlanteSecure Site  · La Sardaigne semble avoir été balayée, au IIe millénaire av. J.-C. par une formidable “gifle de Poséidon”, comme l’ont écrit

Page de droite. Tour défensive nuragiquede Su Nuraxi (Barumini, Sardaigne). Vuepartielle de la cour intérieure. Photo © akg-images / Electa

Ci-dessous. Nuraghe Su Nuraxi inscrit aupatrimoine mondial de l’Unesco (Barumini,Sardaigne). Photo © Cuboimages, Leemage

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Italie

La Sardaigne semble avoir été balayée, au IIe millénaireav. J.-C. par une formidable “gifle de Poséidon”,comme l’ont écrit les Anciens. En témoigneraient sesmilliers de constructions mégalithiques, les nuraghes,qui gisent sous des mètres de boue le long d’unedépression pénétrant dans l’île. Située aux limitesdu monde connu des Grecs, les fameuses Colonnesd’Hercule, l’île pourrait alors apparaître commela fameuse Atlante mentionnée par Platon.Rencontre avec Sergio Frau. Par Daniela Fuganti

La Sardaigne atlanteUne île ou un mythe ?

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LA SARDAIGNE ATLANTE

EN octobre 2005, Archéologiapubliait un article de DanielaFuganti, en collaboration avec le

professeur Azedine Beschaouch, oùelle exposait les thèses de Sergio Frau,remettant en cause les certitudes traditionnelles sur l’évolution de la géo-graphie antique et proposant une inter-prétation nouvelle… Aujourd’hui, elleinterroge Sergio Frau, journaliste de LaRepubblica et auteur du livre LeColonne d’Ercole, un’inchiesta, surl’avancée de ses recherches.

Au-delà des Colonnes d’HerculeOù se trouvait la “frontière” mythiquequi divisait la Méditerranée entre lemonde grec et celui des Phéniciens ?Quand Pindare évoque pour la premièrefois, au Ve siècle av. J.-C. les Colonnesd’Hercule marquant le bout du mondeconnu des Grecs vers l’ouest, signifie-t-il vraiment le détroit de Gibraltar... ou leCanal de Sicile ? En effet, n’est-il pasprobable, d’un point de vue géopoli-tique, que jadis – avant le IIIe siècle av.J.-C., quand le savant grec Ératosthène,après que les conquêtes d’Alexandreeurent “agrandi” le monde connu, lesplaça dans le détroit de Gibraltar –, lesColonnes d’Hercule se situaient plutôtdans le Canal de Sicile ? Précisément làoù le grand spécialiste de Carthage et del’histoire punique, Sabatino Moscati, aplacé le véritable “rideau de fer del’Antiquité”, la frontière.Sergio Frau a mené une enquête minu-tieuse, rassemblé des preuves, con -fronté des témoignages, utilisé aussiparfois de simples indices. Il est revenuaux sources des textes classiques, aexaminé la Protohistoire européenne et

interrogé non seulement les Grecs etles Phéniciens, mais aussi les mysté-rieux “Peuples de la mer”.Depuis les colloques qui se sont tenusà Paris, au siège de l’Unesco, et àRome, à l’Accademia dei Lincei (l’insti-tution culturelle la plus importanted’Italie), le téméraire journaliste italiena définitivement gagné la bataille de larestitution des “premières” Colonnesd’Hercule dans le Canal de Sicile.

Une relecture de la géographie mythiqueQu’en est-il en revanche de l’autrehypothèse qui s’est peu à peu imposéeà Sergio Frau au fil de ses travaux derecherche et de ses relectures destextes antiques ? Placer les Colonnes

entre la Tunisie et la Sicile, aux limitesde la Méditerranée connue des Grecs,éclaire en effet d’une lumière nouvellede nombreux textes : le fameux récit dePlaton sur l’Atlantide prend soudainune dimension plus réaliste.Platon raconte en effet qu’en sortant desColonnes d’Hercule, on arrivait à l’im-mense Île d’Atlante – terre du Couchant,sœur du Rocher de Pro méthée, leCaucase de l’Aube grecque ; de là, onatteignait d’autres îles et “la terre quitout entoure”. Le philosophe raconte enoutre que cette île avait été riche de res-sources métallifères, heureuse, jusqu’àce qu’elle soit ravagée par des cata-clysmes maritimes que Zeus lui envoyapour châtier ses habitants.Était-ce la Sardaigne ? La géographiedu IVe siècle av. J.-C., l’époque dePlaton donc, semble le confirmer.L’article paru en 2005 s’achevait surcette question.

Enquête sur un tsunamiprotohistoriqueAu mois de novembre dernier, enSardaigne justement, cette hypothèsea fait l’objet d’un colloque réunissantdes chercheurs de plusieurs disciplines

Ci-dessous. Atlante et Prométhée : deux frèresmalheureux qui symbolisaient les frontières dumonde grec, à l’aube (au Caucase) et “au milieude la mer de l’Ouest”, avec Delphes pour centre.Vase du VIe siècle av. J.-C., musée étrusque du Vatican

Canal de Sicile

Delphes

Méditerranéemer

Détroit de Gibraltar Sardaigne

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– archéologues, minéralogistes, géo-logues, géophysiciens, vulcanologues –qui a donné le coup d’envoi à une cam-pagne de recherches sur le terrain. Ils’agit de chercher les traces d’un raz-de-marée et de déterminer ainsi, pardes analyses rigoureuses, si la puis-sance méditerranéenne soudainementbalayée par une “gifle de Poséidon” aucours du IIe millénaire av. J.-C., lamythique île d’Atlante à demi recou-verte par une inondation terrifiante,était véritablement la Sardaigne, l’îleaux 20 000 nuraghes.

Archéologia. Nous voici donc, SergioFrau, au début d’une nouvelle aventure.Sur quels éléments fondamentaux sefonde l’hypothèse de l’identificationentre la Sardaigne et l’Atlantide ?Sergio Frau. D’abord sur les motsmêmes de Platon. Il a recueilli destémoignages très anciens de l’Égypteet de ses archives. Un prêtre de Saïs lesavait rapportés à Solon et Solon les aracontés au grand-père d’un de ses dis-ciples, Critias, qui les a transmis encouchant noir sur blanc la triste histoired’une île occidentale : jadis paradisopulent, elle conçut un tel orgueil de sarichesse que Zeus décida de la punirpar des cataclysmes maritimes qui lais-

sèrent derrière eux une terre désolée,un enfer de malaria. Les mots du philosophe – qui racontecette histoire dans les dialogues quiprécèdent de peu l’empoisonnementde Socrate, son maître – doivent être,selon moi, considérés comme justes etinterprétés avec le respect dont fontpreuve les historiens de l’Unescoquand ils étudient l’histoire del’Afrique : ils vérifient attentivement cequi se dessine quand on reconsidèreles traditions orales africaines. Si unsavant tel que Platon – qui avait faitgraver sur le fronton de son Académie“Que nul n’entre ici s’il n’est géomè-tre !” – nous laisse un témoignageaussi précis, il est de notre devoir de levérifier, n’est-ce pas ?

Et la Sardaigne archéologique tient lerôle capital de l’île mythique que lesrécits attribuent à l’Atlantide ?La Sardaigne du IIe millénaire av. J.-C.– avec ses milliers de tours mégali-thiques qui hérissent le territoire dunord au sud – était une espèce deManhattan de la Méditerranée : quil’avait vue en parlait partout. Lesnuraghes, les puits sacrés, si com-plexes et encore intacts aujourd’hui, lesgigantesques tombes collectives, l’ur-

banisation diffuse qui reste en grandepartie à exhumer suggèrent que l’ondevait très bien vivre dans cette île pro-tégée par la mer, offrant abondance depoissons, gibiers, métaux, une île auxéternels printemps. Comment tout cela a-t-il pris fin ?Pourquoi des centaines de tours, et seu-lement là où la mer a pu les atteindrepar une de ces vagues dont elle a lesecret, sont-elles aujourd’hui enterréessous des collines de boue ? Pourquoiencore les nuraghes construits sur leshauteurs n’ont-ils pas été abîmés ? Moi,les textes de Platon, je les crois mainte-nant ! De même que je crois Homère quiparle de la Schérie des Phéaciens, uneîle jumelle de celle qu’évoque Platon,comme elle située à l’Occident, riche, etrecouverte elle aussi par la boue dePoséidon. Ou encore Ramsès III qui, surles murs de Médinet Habou, à l’endroitprécis où est racontée l’épopée desShardanes et des Peuples de la mer, faitécrire : “Les étrangers venus du Nordvoient leur terre trembler : leur pays estdétruit, leurs âmes sont dans la peine…

Ci-dessus. Le nuraghe S’Urachi à San Vero Milis,dans la région du Sinis est l’un des plusemblématiques : la moitié de la surface – du côtéqui regardait la mer – est aujourd’hui recouvertepar la boue. Photo © F. Cubeddu 23

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Les Peuples du Nord complotaient dansleurs îles, mais, pendant ce temps, latempête engloutissait leur pays : leurcapitale est détruite… Noun (l’océanchez les Égyptiens, Ndr) est sorti de sonlit et a projeté une vague énorme qui aenglouti villes et villages…” Trois témoi-gnages concordants, il faut les vérifier !

La catastrophe vue des cieuxMaintenant, c’est donc la terre de laSardaigne qui doit nous raconter sonhistoire : ce sera une sorte d’autobio-graphie de l’île qui, grâce aux analysesgéologiques, révèlera comment s’estterminé l’âge d’or des nuraghes et sic’est vraiment un tsunami qui a frappéà mort celle que les Anciens tenaientpour la plus grande île du monde.

Où en sont ces recherches qui tiennentde l’archéologie et de la géologie ?À l’occasion d’une exposition au PalaisBoyl de Milis, un magnifique village dela région d’Oristano, au centre de lacôte occidentale de la Sardaigne, nousavons réuni et soumis aux géologuesune très riche documentation sur desdizaines et des dizaines de nuraghesrecouverts par la boue. Ce sont pourl’essentiel des photographies aérien -nes, magnifiques et inquiétantes :

canyon, traverse la moitié de l’île. Il a réussi à mettre en évidence uneespèce de Pompéi de la mer, qui n’estvisible et compréhensible que du ciel oudepuis les sommets de ces étrangeséminences qui semblent naturellesquand on les longe mais qui dissimulenten réalité des constructions colossales.

Et qu’en ont dit les géologues ?Ils ont été stupéfaits par le double-fondque cache la Sardaigne et que nousleur avons fait découvrir : on peine à

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Francesco Cubeddu, le photographe, asurvolé en ULM les sites de la côte etaussi ceux de la Marmilla, au bout de laplaine du Campidano qui, comme un

Ci-dessus. Le nuraghe Villamar, en pleineMarmilla, là où la plaine du Campidano finit et la Sardaigne prend de la hauteur. On distingueles contours des tours désormais enfouies. Photo © F. Cubeddu

Ci-dessous. Casa Zapata (Barumini) : pendantles travaux devant mener à sa transformation enmusée, on a découvert sous le sol d’une villa demaître du XVIIe siècle un énorme nuraghe. Il estdésormais visible à travers un sol transparent etun système de passerelles. Photo © F. Cubeddu

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imaginer aujourd’hui qu’une construc-tion aussi colossale que la forteressenuragique de Barumini, qui appartientdésormais au patrimoine mondial del’Unesco, était une colline de boue il y aencore cinquante ans, quand GiovanniLilliu a commencé les fouilles. Il n’y apas longtemps, toujours à Barumini,lors de travaux de transformation d’unemaison de maître du XVIIIe siècle, laCasa Zapata, en musée, on a eu la sur-prise de découvrir en sous-sol un autrenuraghe, énorme, qui est visible désor-mais grâce à un pavement transparentet un système de passerelles aériennes. Voilà qui montre bien que la Sardaignerecèle encore des merveilles incon-nues. Ainsi, après avoir vu des dizainesde collines-nuraghes, les géologuessont tous tombés d’accord : “Il y a bienun mort ! Et c’est la civilisation nura-gique”, ont-ils conclu. Il s’agit à présentde comprendre ce qui a étouffé sousdes couches de boue une civilisationaussi florissante. Nous avons réalisédes micro-carottages pour analyser lesous-sol : c’est lui qui nous parlera.Dans le même temps, le plus grandspécialiste européen des raz-de-marée,le professeur Stefano Tinti del’Université de Bologne, travaille sur lescauses possibles d’un gigantesque tsu-

nami qui aurait pu frapper la Sardaigneet lui infliger une terrible blessure.

Quelles sont les hypothèses ?La plus probable est celle que Tinti lui-même a avancée au colloque d’ouver-ture de l’exposition : une météorite qui,tombant dans la mer du golfe deCagliari, aurait provoqué une vagueinouïe, un “méga-tsunami”, suscepti-ble de balayer à la fois les constructionset tout ce qui faisait le bonheur de l’île.

Bien que ce soient des récits fantas-tiques, les mythes méditerranéensplongent leurs racines dans la réalité,beaucoup de savants l’admettentdésormais. Dans le Chant XIII del’Odyssée, Homère écrit que Poséidonfrappe les Phéaciens et Schérie, leur îled’Occident, “du plat de la main”. Sicette île est vraiment la Sardaigne,comme vous le supposez, la référenceà l’inondation semble très claire.Pas seulement chez Homère… EnGrèce, on trouve des témoignages surcette île malheureuse aussi chez lesauteurs tragiques : là on rencontre un

Prométhée qui, dans son Caucase, sedit torturé par le sort d’Atlante, sonfrère d’Occident.

Pour en finir avec l’AtlantideC’est pourquoi, à mon avis, il faudraitutiliser l’expression “île d’Atlante” etnon Atlantide, que chacun a localisée àson gré au point d’en faire la patried’élection des ufologues… En lui ren-dant le nom que lui donne Platon, l’îled’Atlante, non seulement on rend à laMéditerranée son ancienne symétrieentre est et ouest, mais on débarrassele récit de toutes les scories et lesmalentendus qui l’ont rendu invrai-semblable jusqu’à aujourd’hui.

Au XIIe siècle av. J.-C., la Sardaigne sevide et c’est la fin, comme l’affirme aussile grand archéologue sarde GiovanniLilliu, de l’âge d’or des nuraghes. À présent, les savants qui analysent le solvont devoir émettre leur verdict. Quellesenquêtes supplémentaires seront néces-saires, selon vous, pour démontrer lacorrespondance entre la Sardaigne etl’île d’Atlante ?Disons que si leurs analyses confir-maient la “Gifle de la mer” dont parlentles Anciens, tous les éléments prouvantcette correspondance seraient réunis.

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Ci-dessus. La forteresse nuragique de Barumini,qui appartient désormais au patrimoine mondialde l’Unesco, était une colline de boue il y a encore50 ans, quand Giovanni Lilliu a commencé lesfouilles. Photo © F. Cubeddu

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Pour moi, j’en serais satisfait. Du reste,c’est Platon qui, à propos de son récit surl’île d’Atlante, fait dire à Timée – je citede mémoire : “Si nous ne pouvons pasoffrir des raisonnements parfaitementlogiques, cohérents et exacts, ne t’enétonne pas ; mais, afin que nos discoursne soient pas moins vraisemblables deceux que tiennent les autres, conten-tons-nous en et souvenons-nous que,

moi qui parle et vous qui jugez, nousavons une nature humaine : de sortequ’il nous suffit, sur ces sujets, d’accep-ter un mythe vraisemblable sans cher-cher plus loin…” Ainsi, le problèmeserait désormais de croire, ou pas, cessavants de l’Antiquité qui nous ont trans-mis toutes ces histoires. Moi, j’ai déjàchoisi mon camp : confiance absoluedans ce qu’écrivent les Anciens !

Il est vrai que la région du Campidano enSardaigne, celle des nuraghes recou-verts, est parsemée d’étangs qui, commevous l’expliquez très bien, ont été à l’ori-gine de la malaria, cette plaie de l’îledepuis des temps immémoriaux…Pas seulement des étangs : on trouveaussi des lacs salés dans l’intérieur desterres ! Il a fallu attendre le DDT desAméricains, au milieu du siècle dernier,pour éradiquer cette malaria qui, pen-dant des millénaires, a saigné l’île et lui avalu sa réputation de terre pestilente. Ona oublié que jusqu’au Moyen Âge, etmême à la Renaissance, à Pise et àFlorence, on appelait sardigna l’endroitimmonde où toute la communauté jetaitles charognes. Cette maladie a épou-vanté des générations entières d’archéo-logues aux XIXe et XXe siècles ; ils étaientpeu disposés à risquer leur vie pourl’amour des nuraghes… Et les consé-quences perdurent, au point qu’au-jourd’hui encore, comme à l’époque, laSardaigne est peu présente dans lesétudes d’archéologie malgré son extra-ordinaire richesse dans ce domaine.

Votre “enquête” éclaire par contre-coup un autre mystère de l’Antiquité,celui de l’origine des Étrusques…Réfléchissons ensemble, sans a priori. LaSardaigne nuragique se termine auXIIe siècle av. J.-C. : elle se vide, on aban-donne les implantations sur la côte etc’est la fin de l’âge du Bronze. Or sou-dain, à partir du XIe siècle, sur les crêtesdes Apennins, apparaissent de nouveauxindividus, les premiers Étrusques – unpeuple de la mer, des pirates et desmarins – qui s’installent sur des picsrocheux, en altitude, le plus loin possiblede la mer : Villanova, Orte, Orvieto,Pérouse, Arezzo, Sienne… Nous som -mes maintenant au cœur du Dark Age,l’âge obscur qui mélange et déplace lespeuples souvent loin des côtes. Tout cecise fait de manière assez confuse.

Les Étrusques, une diaspora sarde ?Ce qui est sûr, c’est que ces Étrusques– que les Grecs, comme Strabon,

Ci-contre. Statuette en bronze de déesse mèreavec son fils, VIIIe-VIIe siecle av. J.-C.(culture nuragique). Cagliari, Museo NazionaleArcheologico (Sardaigne, Italie). Photo © L. Ricciarini, Leemage

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Plutarque et d’autres encore appelaientTyrrhéniens (de Tyrsenoi, les bâtisseursde tours) – dans leurs nécropoles consti-tuées de tombeaux assez semblablesaux nuraghes enterrés, des tombes àtholos, rêvaient d’une nouvelle vie dansl’Île des Pères, au point qu’ils payaientCharon pour la rejoindre.Pour affronter ce long voyage maritimevers l’au-delà, ils se sont toujours entou-rés de symboles ethniques sardes : lamoitié des bronzes nuragiques que l’onconnaît a été trouvée précisément dansles tombes étrusques, des objets sardesqui tenaient compagnie aux mortsétrusques ! Pourquoi ? Peut-être que làencore il faudra prêter attention, puisfaire confiance à ce que racontent lesAnciens sur le sujet…

Qui en parle ? Que disent-ils ?Hésiode en premier lieu, qui après nousavoir parlé d’Agrios et Latinos dans leLatium, écrit : “Les héros puissants etaccomplis qui, bien loin, au fond desîles divines, régnaient sur tout le paysdes illustres Tyrrhéniens”. Il y a aussiStra bon, qui nous jure : “On prétendque Iolaos (compagnon d’Héraclès, Ndr)visita ces parages (la Sardaigne, Ndr) encompagnie de quelques Héraclides etqu’il s’établit au milieu des populationsbarbares de l’île, toutes d’origine tyr-rhénienne. Par la suite, ces peuplesfurent assujettis par les Phéniciens deCar thage…” Plutarque, à la fin de sa Viede Romu lus, rapporte que, pour célé-brer l’anniversaire de sa victoire surVéies, Rome vendait aux enchères desesclaves sardes. Il le justifie ensuite :“parce qu’on dit que les Étrusquesétaient des colons des Sardes ; et Véiesest, justement, une ville d’Étrurie”. Tous les témoignages, tous les indicesconcordent donc pour réfléchir sérieu-sement et attentivement sur l’hypo-thèse d’une diaspora de la Sardaigneaprès son grand malheur. Et c’est pré-cisément un des points du nouveaulivre que j’essaie de mener à bien enattendant ces résultats géologiques quiseuls pourront confirmer cette autrehypothèse. Daniela Fuganti

Traduction de l’italien par Carole Cavallera

Sauf mention contraire, les photos sont extraites del’exposition Isola mito ? Preguntas présentée jusqu’àla fin du mois de mars au Palazzo Boyl de Milis (Italie).

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POUR EN SAVOIR PLUS

447. Archéologia. “Sardaigne : les guerriers de bronze”, par J.-L. Costa. 6 €428. Archéologia. “Les nuraghi : forteresses de l’âge du Bronze”, par J.-L. Costa. 6 €426. Archéologia. “Les Colonnes d’Hercule”, par D. Fuganti. 6 €Pour obtenir les revues ci-dessus, veuillez vous reporter à la p. 11.FRAU S., 2010, Le Colonne d’Ercole, un’inchiesta, Nur Neon, Rome.

Ci-dessus. Statuette d’archer en bronze, VIIIe-VIIe siecle av. J.-C. (culture nuragique). Cagliari, Museo Nazionale Archeologico (Sardaigne, Italie). Photo © L. Ricciarini, Leemage