denis léon 01 tunis et l'ile de la sardaigne 1880 jys.doc

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TUNISETL'ILE DE SARDAIGNE(Souvenirs de voyage)PAR

Lon DENISSECRETAIRE DU CERCLE TOURANGEAU

DE LA

LIGUE DE L'ENSEIGNEMENT

TOURS

IMPRIMERIE E. ARRAULT ET Cie26, rue Royale, 26.

Tables des matiresBiographie: LEON DENIS

4

Tunis

7LIle de Sardaigne

16

Synthse du livre de Gaston LUCEpar Lucette DAMICO sur Lon Denis

29LEON DENIS

1erjanvier1846 - 12 avril 1927

Auteur et porte-parole duspiritisme

Lon Denis(n Foug le1er janvier 1846 dcd Tours, le12 avril 1927 fut un philosophespiriteet, aux cts deGabriel DelanneetCamille Flammarion, un des principaux continuateurs duspiritismeaprs le dcs d'Allan Kardec. Il fit des confrences travers toute l'Europe dans des congrs internationauxspiriteset spiritualistes, dfendant activement l'ide de lasurvie de l'meet ses consquences dans le domaine de l'thiquedans les relations humaines.Ayant t oblig d'abandonner ses tudes pour travailler, il ne cessa pas pour autant de lire et, ds l'ge de 18 ans, son contact avecLe Livre des Esprits, fit de lui un adepte convaincu duspiritisme. Il avait vingt-trois ans lors de la dsincarnation du matreAllan Kardecdont il aurait reu les inspirations. Pendant laguerre de 1870il servit comme sous-lieutenant et, quand il tait l'arrire du front, il organisait des sances de spiritisme l'intention de quelques camarades. Aprs la guerre il devint reprsentant de commerce et voyagea dans de nombreux pays.

Il joua un rle important dans la diffusion duspiritisme, affrontant les partisans des philosophies opposes comme lematrialisme, l'athismeet certaines ractions hostiles desreligions. Il fut, affirme-t-on, soutenu dans sa lutte parJrme de Pragueet celui qu'on appelle l'Esprit bleu.

Autodidacte, dot d'une rare intelligence, Denis crivit des textes d'une profondeur remarquable, qui montrent une perspicacit peu commune. Il fut, par ailleurs, un membre actif de lafranc-maonnerie.

partir de 1910 sa vue ne cessa de baisser, ce qui ne l'empcha pas de continuer travailler dfendre l'existence et lasurvie de l'me. Peu aprs laPremire Guerre mondiale, il apprit lebraille.

L'abondance de sa production dans la littrature spirite, ainsi que l'affabilit de son caractre et son dvouement, lui ont valu le surnom d'Aptre du Spiritisme.Liste des publications de Lon Denis

1. 1880:Tunis et l'le de Sardaigne(brochure)

2. 1880:Le Mdecin de Catane(nouvelle)

3. 1880:Giovanna(nouvelle)

4. 1885:Le Pourquoi de la Vie

5. 1889 :Aprs la Mort(dernire dition revue et corrige : 1920)

6. 1898 :Christianisme et Spiritisme(dernire dition revue et corrige : 1920)

7. 1901:L'Au-del et la Survivance de l'tre(brochure)

8. 1903:Dans l'Invisible(dernire dition revue et corrige: 1924)

9. 1905 :Le Problme de l'Etre et de la Destine(dernire dition: 1922)

10. 1910 :Jeanne d'Arc Mdium(dernire dition revue et corrige : 1926)

11. 1911:La Grande nigme(dernire dition revue et corrige: 1921)

12. 1919:Le Monde Invisible et la Guerre

13. 1921 :Esprits et Mdiums(brochure)

14. 1921:Synthse doctrinale et pratique du Spiritualisme

15. 1921:Le Spiritualisme et le Clerg Catholique

16. 1922: Le Spiritisme dans lart

17. 1923Le Spiritisme et les forces radiantes

18. 1924: Socialisme et Spiritisme (article deLa Revue spirite)

19. 1924:Jaurs Spiritualiste

20. 1924:La Question Celtique et le Spiritisme

21. 1927 :Le Gnie Celtique et le Monde Invisible

1. 1923: Le Progrs (La confrence faite Tours dans la Salle du Cirque le 29 fvrier 1880 et Orlans dans la Salle de lInstitut le 4 avril 18002. 1905: Confrence donne au congrs de Lige en 1905

3. 1925 : Discours prononc au Congrs mondial de 1925

4. ???? : Prires et allocution lintention des groupes spirites

Rouge Inexistant numriquementCertains livres de Lon Denis sont continuellement rdits par de multiples diteurs. La liste suivante n'est qu'un exemple:

Christianisme et Spiritisme, ditions Philman, Le Peck, 2006

Aprs la mort, ditions Philman, Le Peck, 2005,

Dans l'invisible: spiritisme et mdiumnit, ditions Philman, Le Peck, 2005

La Grande nigme, ditions Philman, 2005

Le Gnie Celtique et le Monde Invisible, 2006

Le Problme de l'tre et de la Destine, 2005

Traduction en portugais.

1. 1880 Tunis e a Ilha de Sardenha

2. 1880 O medico de Catana

3. 1880 Giovanna (Numrico)

4. 1885 Porqu da Vida (FEB)5. 1889 Depois da Morte (FEB)

6. 1898 Cristianismo e Espiritismo (FEB)7. 1901 Alm e a Sobrevivncia do Ser (FEB)

8. 1903 No Invisvel (FEB)

9. 1905 Problema do Ser, do Destino e da Dor (FEB)10. 1910 Joana D'Arc, Mdium (FEB)11. 1911 Grande Enigma (FEB)12. 1919 Mundo Invisvel e a Guerra (CELD)

13. 1921 Espritos e Mdiuns (CELD)14. 1921 Sntese Doutrinria e Prtica do Espiritismo (Instituto mmaria) Resumo ???

15. 1921 Espiritismo e o Clero Catlico (CELD)

16. 1922 Espiritismo na Arte (Lachtre)

17. 1923 Espiritismo e as Foras radiantes (CELD)

18. 1924 Socialismo e Espiritismo (O Clarim)

19. 1924 Jaurs espiritualista

20. 1924 A questo celtica e o Espiritismo

21. 1927 Gnio Cltico e o Mundo Invisvel (CELD)1. 1923 Progresso (CELD) (Confrencia) 1880

2. 1905 Conferencia pronuncida ao Congreso de Lige 1905

3. 1925 Conferencia pronunciada ao Congreso mundial 1925

******Provas Experimentais da Sobrevivncia (Clarim)

Catecismo espirita (Numrico)

1905 Problema da Dor Lon Denis (Editora Petit)

1905 Problema do Destino (EditorRa Petit)

1905 Problema do Ser Lon Denis (Editora Petit)

Vermelho: No existe numericamente

TUNIS(Souvenirs le voyage)Le dme obscur des nuits, sem d'astres sans nombre,

Se mire dans la mer resplendissante et sombre. La riante cit, le front d'ombre voil

Semble, couche un bord du golfe qui linonde

Entre les feux du ciel et les reflets de londeDormir dans un globe toil.victor HUGO,

(Les Orientales}.Me trouvant il y a deux ans Cagliari, dans l'le de Sardaigne, le voisinage de la Barbaresque, l'annonce d'un prochain dpart pour Tunis m'inspirrent le dsir de considrer de prs cet trange pays, qui runit sous les yeux du voyageur les fantasmagories de lAfrique aux merveilles de l'Orient,Par un beau soir dautomne je pris donc passage bord de la Sicilia, paquebot vapeur de la compagnie gnoise Rubattino. Quelques minutes aprs ma prise de possession d'une cabine quatre lits que j'occupais seul avec un rabbin juif de Tripoli, personnage bizarre et muet, la Sicilia levait l'ancre, et nous voguions vers la terre de lIslam.La traverse fut courte, exempte d'incidents. Le jour naissait, et je venais de monter sur le pont quand la terre d'Afrique mapparut pour la premire fois sous la forme d'une cte escarpe, couverte de broussailles. Nous la longemes de prs, puis, ayant doubl le cap Blanc, laiss droite prs de son lac la blanche ville de Bizerte, nous entrmes dans le golfe de Tunis. Le soleil radieux, dj haut sur l'horizon, mondait d'une lumire ardente la terre et les eaux. La mer brillait comme un miroir d'acier, et dans la transparente atmosphre les grands rocs, les montagnes qui encadrent au loin le golfe laissaient distinguer leurs formes svres leurs crtes pres et denteles. Un frais vent d'ouest droulait les plis du drapeau italien aux trois couleurs, rouge, blanc et vert, qui flottait la poupe de la Sicilia. Dans le sillage du vapeur, des marsouins, des souffleurs prenaient leurs bats, se poursuivant de vague en vague.Nous passons devant une srie de falaises rougetres, ronges par la mer, parsemes de dbris informes, de portiques ruins, d'arches croules ; c'est l tout ce qui reste de l'antique Carthage, dont les murailles cyclopennes, les temples et les palais s'levaient firement en ces lieux, aujourd'hui dserts. Plus loin, sur une colline, la coupole d'une chapelle byzantine abrite le tombeau de saint Louis, gard par des prtres de l'ordre de Notre-Dame-d'Afrique.Nous jetons l'ancre en face d'un petit mle dfendu par un fortin chtif et une batterie compose de pices de tout ge et de toutes formes, depuis la couleuvrine vnitienne jusqu'au canon moderne se chargeant par la culasse. Telle est lartillerie du bey. Des bateliers maltais s'empressent autour du vapeur, et cinq minutes aprs nous posons le pied sur le quai de La Goulette, port de Tunis, Aussitt se droulent sous nos yeux une suite de scnes originales. Une foule dautochtones grimaants, d'Arabes couverts de loques cachant mal leurs corps dcharns, aux tons de cuivre, se jette sur nos bagages, vocifrant et se disputant qui mieux mieux. Sans demander notre assentiment, ils s'emparent, qui d'une valise, qui d'un carton chapeau et les emportent vers la douane en poussant des cris gutturaux. Un convoi de chameaux chargs de charbon, de couffins de dattes, dfile sur le quai conduit par des chameliers d'un type sauvage.Une large rue s'ouvre devant nous, borde de maisons de bois peintes de couleurs vives que des auvents garantissent du soleil. Devant les portes, des groupes d'hommes sont accroupis sur leurs talons : marchands juifs, vtus dtoffes claires, coiffs de la rouge chchia, officiers aux uniformes rps, buvant du caf dans des tasses microscopiques ou fumant la pipe orientale. Des Mauresques enveloppes de longs hacks blancs qui ne laissent voir que les yeux, des juives normes, aux pantalons blancs collant sur la cuisse, aux doigts chargs de bagues, passent, tenant des enfants nus par la main. Un cercle de curieux, Arabes basans, Maltais, matelots europens, s'est form sous un grand figuier ; de ce groupe s'lvent des bruits tranges, Je regarde par-dessus lpaule d'un Maure au teint fleuri, et dans l'espace vide je vois un autochtone dansant avec force contorsions, autour d'un sac qui me parat vide. Des Arabes accroupis frappent sur un tambourin ou tirent d'une flte de roseau des sons tristes et doux. A un signe de lautochtone ngre les musiciens prcipitent la cadence; la flte jette des notes stridentes; le sac semble s'agiter. Bientt, en effet; trois ttes plates, hideuses, en surgissent, et trois serpents normes, de deux mtres de longueur, se dressent lentement sur leur queue, se dandinent au son des instruments. Lautochtone les stimule par des attouchements et des chants sauvages, puis, les prenant dans ses mains, il les roule en turban autour de son front, les caresse, les embrasse. A cette vue, un sentiment de dgot m'envahit, et je fuis sans tourner les yeux,Je parcours les rues de La Goulette, parsemes de tas d'immondices et de flaques de boue. A droite, gauche s'lvent des constructions de forme cubique, blanchies la chaux, aux rares fentres grilles ou garnies de moucharabys, aux portes basses, d'un joli travail de menuiserie, dcores d'arabesques et de festons. Des terrasses garnies de plantes et d'arbustes remplacent les toits, inutiles dans ces contres privilgies. Le long d'un canal fangeux, de vieilles carcasses de navire sont choues; elles composent toute la marine militaire du bey. Une lumire clatante et pure enveloppe la ville. Sous ce ciel, d'un bleu intense, les murailles, les vgtaux, les costumes des passants revtent mille teintes dlicates. Le soleil d'Afrique est un enchanteur qui transforme et idalise les choses les plus vulgaires.IITunis ne communique avec la mer que par un canal de deux trois lieues de longueur, pratiqu travers le lac Bahira, canal que son tat d'ensablement rend impraticable aux gros navires. Les paquebots s'arrtent l'entre du lac , devant la petite ville de La Goulette, relie Tunis par un chemin de fer. La ligne, mal construite et peu sre, a t rcemment achete par la compagnie italienne Rubattino, qui n'en a gure, parait-il, amlior l'exploitation. La gare, simple vote blanchie la chaux, est envahie par une cohue d'Arabes, de Juifs, de Mauresques voiles, d'enfants aux costumes multicolores. Il nous faut veiller nous-mme au chargement de nos bagages, que nul employ n'enregistre ni ne garde. Ce n'est pas sans apprhension que lon voit des Arabes dguenills pntrer dans le fourgon qui les contient. De mme, l'arrive, il nous faudra procder au dchargement, car la compagnie ne s'occupe pas de ces dtails. Une petite locomotive, remorquant des wagons galerie extrieure, sur laquelle on peut circuler, compose le train qui nous emporte vers Tunis. Le trajet est court. A travers des champs bien cultivs, bords d'alos et de cactus pineux, la voie longe le lac. Des nues d'oiseaux se baignent dans les eaux transparentes et sur la rive, de grands chassiers, des flamants roses, des grbes immobiles guettent le poisson du haut de leurs longs cous.Bientt vers la droite se dploie, sur le fond bleu du ciel, le merveilleux panorama de Tunis, ville considrable, de cent cinquante mille habitants, qui se dveloppe en amphithtre dans la plaine et sur deux hauteurs. Que lon se figure une masse compacte de cubes blanchis, en forme de ds, d'o mergent des minarets innombrables, les coupoles des mosques et parmi les palmiers gigantesques les koubas saintes, tombeaux des marabouts. La grande tour carre de la Kasbah ou citadelle domine ce ple-mle de constructions, de murailles, de terrasses nues, d'une blancheur que l'implacable lumire du soleil africain, tombant flots d'un ciel sans nuages, rend plus crue, plus blouissante encore,Mais les villes musulmanes, si enchanteresses de loin, n'offrent souvent de prs au voyageur que dsillusion. Un ddale inextricable de ruelles troites, malpropres, de places trangles, tel est Tunis en ralit. Mais dans ce ddale que de scnes curieuses, changeantes ! Quels contrastes tonnants, quelle varit de costumes parmi la population affaire qui s'y presse ! Debout, au coin d'un carrefour, prs d'un caf maure, d'o sortent des chants d'un rythme sauvage, semblables des plaintes, je vois dfiler devant moi ces types varis et bizarres. Voici de grands vieillards teint bistr, barbe blanche, draps majestueusement dans leurs longs burnous ; des Juifs aux costumes somptueux et multicolores, aux regards fourbes; des Maures au teint blanc, la barbe de jais, vtus de vestes de soie, de pantalons larges de couleur tendre, envelopps de caftans qui retombent en moelleux replis ; des officiers en tunique bleue, sales, crasseux, le fez rouge sur l'occiput, chausss de sandales, la poitrine orne de ferblanterie et de chamarrures grotesques. Des autochtones hideuses portant des piles de galettes ou des corbeilles de fruits passent en criant : Balek ; des enfants maltais jouent et vaguent ; des portefaix kabyles ou autochtones chassent devant eux des bourriquets chtifs et pels, des mules charges de ballots qu'ils stimulent par des cris stridents ; des Mauresques, enveloppes des pieds la tte de leurs longs haks lianes, glissent silencieusement le long des murailles en se rendant au bain. Puis ce sont des juives obses aux serre-tte noirs, aux vtements sordides, aux allures de fouines ; des mollahs, prtres musulmans, en turbans verts; des soldats en haillons; de jeunes et jolies dames europennes vtues la dernire mode de Paris ; des Maltaises au teint brun, aux gestes vulgaires ; enfin une foule ondoyante, bigarre de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, tel est le tableau mobile qui se droule dans les rues de Tunis, tableau que lil ne peut se lasser de voir et que la plume est impuissante dcrire,

IIIPrs de la porte de la Marine s'ouvrent deux ou trois rues larges, bordes de belles maisons europennes, habites par les consuls, les ngociants et les banquiers. C'est l que se trouve l'htel de Paris o descendent les Franais, En dehors de ce quartier, Tunis nous l'avons dit se compose d'un fouillis inextricable de ruelles troites, tortueuses, o le soleil pntre peu. J'aimais parcourir au hasard ce ddale trange, qui rserve mille surprises l'Europen. Les constructions maures, hautes et larges, aux portes massives, aux rares fentres garnies de treillages peints en vert, ne laissent entre elles qu'un troit passage, impraticable aux voitures, presque toujours encombr par une foule grouillante d'hommes et d'animaux.Parfois les tages suprieurs des maisons se rejoignent, et la rue se change en une vote sombre, sous laquelle on hsite pntrer. A chaque instant il faut monter ou descendre, gravir des escaliers, s'engager dans des dtours innombrables, revenir sur ses pas aprs avoir parcouru des carrefours sans issues. Sur des places troites qu'ombragent de grands palmiers, des autochtones sont accroupies derrire des tas de fruits : dattes, grenades, oranges et bananes. Une odeur pntrante d'aromates flotte dans l'air. Certains passages obscurs sont garnis de deux ranges de boutiques, au seuil lev, en forme de niches, claires par des lampes fumeuses. Dans la demi obscurit on entrevoit des formes vagues, des Maures courbs sur un travail invisible, parmi des monceaux de haillons et de ferraille, de vieilles armes rouilles et des hacks pendus aux murs.Au centre d'un carrefour bord de cafs indignes un grand figuier s'lve prs d'un puits. Un cercle de badauds, d'enfants, de femmes voiles, entoure un Arabe, conteur de profession, qui, assis sur la margelle, dbite quelque histoire avec force gestes et inflexions de voix gutturales.De temps en temps, au coin d'une rue, un corps de garde sordide. Des soldats en veste et pantalons bleus rps, uss jusqu' la corde, sont assis sur leurs talons dans le ruisseau. Il y a parmi eux des vieillards barbe blanche et de tout jeunes gens. Tous sont occups tricoter de menus vtements de laine. Le gouvernement du bey n'est pas gnreux. Souvent la solde est en retard de plusieurs annes et en attendant il faut bien vivre. La sentinelle, galement accroupie, tient entre ses jambes croises un fusil chien, tout rouill, baonnette tordue. C'est un spectacle peu fait pour donner une haute opinion de l'arme tunisienne que la vue de ces soldats dguenills, aux joues creuses, d'une maigreur idale, occups un mtier de femmes.

Plus loin, un chur de voix nasillardes sort d'une fentre basse. Je regarde par cette ouverture, et dans une salle basse blanchie au lait de chaux je vois une quarantaine de bambins qui un vieillard en turban, arm d'un long bambou, fait rciter des versets du Coran. C'est une medresseh , cole musulmane. Je pntre dans une rue un peu plus large que les autres, pleine de monde et o la circulation est des plus difficile, A chaque instant il faut se ranger contre la muraille pour laisser passer des Arabes cheval, des chameaux portant des femmes voiles, des troupes de mulets chargs de marchandises que des autochtones presque nus chassent devant eux avec des cris perants.Quelle est cette foule encapuchonne, silencieuse, qui se glisse sous une vote laquelle est suspendue une grosse lanterne de cuivre d'un travail dlicat! C'est l'heure de la prire. Du haut du minaret voisin le muezzin a jet trois fois sa mlope plaintive. Les fidles se pressent rentre de la mosque de Sidi Ma'hrez. J'aperois une vaste cour dalle, entoure de galeries arcades peintes, ornes d'arabesques et de mille festons. Au centre une fontaine, dcore de mosaques rosaces, laisse jaillir son mince filet d'eau, qui retombe en bruissant dans une vaste coupe de marbre. Sous la vote encombre d'un monceau de babouches est le bassin aux ablutions. Les fidles s'y arrtent un instant puis, traversant la cour vont soulever un pais rideau derrire lequel j'entrevois des nefs basses supportes par une fort de colonnes, claires par une douce et mystrieuse lumire. De longues files d'hommes vtus de blanc se prosternent et se redressent tour tour avec ensemble. Touchant les nattes du front, ils prient et tendent leurs mains vers l'Orient.Un soir, en compagnie de plusieurs Europens, escorts d'un autochtone, portant une lanterne de papier et un gros bton pour chasser les chiens errants, nous sommes alls visiter un tam-tam ou caf chantant maure. Le quartier europen seul est clair ; les autres rues de Tunis sont noires comme des portes de four, et chaque passant est muni de sa lanterne. D'ailleurs, la ville est parfaitement sre. Aprs avoir longtemps chemin travers des dtours sans fin, nous entrons dans une vaste salle encombre d'indignes accroupis sur des nattes. Au bas des murailles nues rgne un banc de pierre sur lequel nous nous installons. Au fond de la salle, sur une sorte d'estrade trois femmes composent un orchestre des plus simples. L'une joue d'un norme accordon ; l'autre tient un large vase couvert d'une peau sur laquelle elle frappe en mesure, ce qui produit un son sourd, lugubre; la troisime se sert d'un instrument cordes appel darbouha. Elles chantent en s'accompagnant un air lent, sauvage, modul, qui meut, pntre, enivre. Cette musique, ce chant barbare veillent au fond de l'me des impressions indfinissables, comme des souvenirs d'existences disparues, des rminiscences d'un monde oubli. Cela vous saisit comme le vertige, vous attire, vous affole.Au bruit des instruments et des voix une jeune femme dansait. Son corps, envelopp d'une toffe de soie rose, se cambrait frntiquement, se tordait en contorsions voluptueuses. Ses yeux brillaient d'un clat mtallique; tout son corps frmissait. Ses pieds restant presque immobiles, le buste seul s'inflchissait en mouvements fivreux, puis elle s'lanait tout coup et pirouettait en agitant deux lambeaux d'toffe,La nuit tait profonde quand nous rentrmes l'htel. La lanterne de Mouchi, notre guide, s'tant teinte, nous marchions ttons au milieu d'un labyrinthe de rues, de passages couverts, dans le silence de la ville endormie pataugeant parmi les flaques d'eau et heurtant des tas dordures chaque pas,IV

Chaque matin je suis rveill par un concert de voix nasillardes, de cris assourdissants. Au-dessous de ma fentre, de l'autre ct de la rue, s'tend un caravansrail, sorte d'auberge arabe, compose de hangars encadrant une vaste cour. Cette cour, pleine d'indignes, de chameaux accroupis, de mulets chargs, offre un spectacle singulier, bien fait pour captiver un peintre. Des Arabes du dsert, en burnous sales et trous, la barbe rare, au teint fauve, s'interpellent, se bousculent parmi les ballots. Quelques-uns se disputent avec des clats de voix rauques et des gestes frntiques. Les appels se croisent dans l'air : O Mohammed ! O Ibrahim ! O Suleiman!Plus loin, sur la terrasse d'une riche maison maure, des autochtones disposent, l'aide de cordes tendues, du linge et des vtements: caftans roses brods d'argent, toffes d'un bleu clair ou d'un vert tendre. Le soleil rend plus vives encore ces teintes flamboyantes, semblables celles des pavillons qu'arborent les navires un jour de fte.

J'aime m'enfoncer au hasard dans les quartiers arabes de Tunis, cherchant les recoins les plus solitaires, les plus silencieux. Les habitations, masses compactes de maonnerie, ressemblent autant de spulcres. La vie s'y dissimule; il n'en sort que des bruits vagues et fugitifs. Sur la rue troite de grandes faades nues, perces seulement tous les vingt mtres d'une fentre garnie de barreaux et de moucharabys ; une seule porte avec un guichet, tel est l'aspect extrieur de ces tranges demeures qui ne semblent habites que par le mystre. C'est dans ces forteresses impntrables que l'Arabe et le Maure cachent leurs trsors, leurs femmes. Mais au milieu de ces blocs de pierre s'ouvrent quelquefois des cours, des jardins dlicieux.

Dans le champ limit que laisse au regard l'entrebillement d'une porte aussitt referme, j'ai pu voir de petites cours ornes de fontaines, de bosquets de mimosas, d'acacias, des rduits pleins de fracheur, anims par le murmure des eaux.Ce que l'tranger ne peut se lasser de voir, ce sont les bazars, lieux o se concentre toute la vie extrieure, toute l'activit de la ville. Les bazars, vritable forum de Tunis, sont immenses, Ils se composent de longues sries de galeries couvertes, affectes chacune un commerce distinct. Ces galeries sont divises en petites boutiques basses, obscures, innombrables o se vendent et mme se fabriquent les objets les plus divers, les bibelots indispensables la vie orientale. L'on y voit des cases d'un mtre carr servir d'atelier trois, quatre ouvriers courbs sur des nattes, brodant avec des fils d'or des selles ou des harnais en maroquin. Des Maures au teint mat, des Mozabites en burnous rays de noir sont accroupis entre les piles de marchandises, attendant les visiteurs. Les uns sommeillent, les autres rvent en fumant du tabac odorant. Des changeurs, assis terre, ont des monceaux de monnaie accumuls devant eux. Partout il y a foule.A l'entre du bazar s'ouvre le souk ou march aux fruits et la cire, encombr de paniers de dattes, pistaches, bananes, de sacs de caroubes, d'alos ou d'pices. Aux odeurs suaves qui flottent dans l'air se rvle ensuite le souk aux essences et parfums. On y dbite dans des flacons minuscules lessence dite de rose de Kairouan, fabrique avec des graniums, ou dans des botes de nacre le henneh, dont les Mauresques se teignent les ongles. Cette galerie, forme de jolies colonnades relies par des arceaux, est celle des tailleurs. Dans les troites boutiques sont suspendus des vtements de femmes et d'enfants, de couleur tendre, tisss de fils d'argent et d'or, vestes charges d'orfvrerie, garnies de gros boutons, gilets, serre-tte, ceintures barioles. A laide de mtiers fonctionnant sous nos yeux on fabrique de jolis foulas, mouchoirs de soie raies de couleurs tranchantes.

Voici le souk aux babouches et pantoufles, interminable, peupl d'une lsion de cordonniers kabyles ; puis celui des joailliers, presque entirement occup par des Juifs qui vous offrent ces mille bijoux communs dont se parent les femmes arabes, bracelets, anneaux de jambe, colliers de mdailles. Cette autre galerie est consacre aux menuisiers. On y voit des meubles de toutes dimensions et de toutes formes depuis les jolis coffrets sculpts, orns d'arabesques, ferrure de cuivre, jusqu'aux cercueils peints de couleurs tendres, fort lgants, si on les compare aux affreuses boites destines au mme usage dans nos pays, Sous ces arcades allonges s'entassent des monceaux de coiffures en drap rouge, fez, chchias, tarbouchs, de tapis de Smyrne et d'Alep aux dessins varis, de pipes, de miroirs de main manches. Voici des selles de maroquin et de velours, puis des poteries de forme bizarre, des faences persanes, des vases d'argent niell, des ornements en mtal. Plus loin encore sont les armes damasquines, longs fusils incrusts de nacre, yatagans barbaresques. Le soleil jette ses paillettes blouissantes sur ces amas d'toffes broches d'or, sur les armes et les instruments de cuivre.

Au milieu du bazar, entre quatre colonnes, se balance un grand croissant de cuivre, des toiles de mtal et les armes du bey. C'est l que se voyait autrefois la cage servant l'exhibition des esclaves. Sous la pression des puissances europennes ce commerce a t aboli officiellement en Tunisie, Prs de cet endroit, sous une galerie, s'lve un petit monument de forme ronde et de quatre pieds de haut sur lequel brlent des centaines de bougies roses. Aucun musulman ne lapproche sans se prosterner et baiser dvotement la calotte passe la chaux qui le recouvre. C'est la spulture d'un saint. Mais pourquoi est-elle place dans ce lieu bruyant et encombr? Mystre!V.

Je suis all visiter une charmante villa, appartenant un banquier franais, situe aux portes de Tunis, dans la valle de la Medjerdah. En m'y rendant un soir j'ai pu jouir du magnifique spectacle d'un coucher de soleil en Afrique. Au loin, les cimes de l'Atlas se dessinaient dans la limpide atmosphre. Devant moi se dployait la plaine immense, ondule, que sillonnent d'innombrables sentiers bords d'alos, que parsment des bouquets de cyprs, de caroubiers, de palmiers balanant leur verte chevelure au-dessus du dme cras des koubas. Les ruines imposantes d'un aqueduc antique se montrent a et l.

Autour de la porte Bah-el-Djerid, garnie de fortifications de thtre dfendues par quelques vieux canons, une foule bigarre se presse. De longues files de chameaux s'en vont d'un pas lent et cadenc, chargs de charbon et de fruits secs. Des Bdouins au large chapeau, au long fusil en bandoulire les escortent. Des portefaix kabyles, calottes de cuir, couverts de burnous rays poussent devant eux coups de matraques une troupe d'nes la tte basse, au dos pel. Des femmes arabes, semblables sous leurs hacks une lgion de blancs fantmes, rentrent du cimetire voisin ; elles me croisent et jettent en passant au roumi un regard qui glisse travers leurs voiles comme une lame d'acier. Des nues d'oiseaux : flamants, mouettes, des compagnies d'outardes et de perdrix fuient rapidement dans le ciel en poussant des cris aigus.

La nuit s'approche, le soleil, dj bas sur l'horizon, jette ses derniers rayons sur Tunis, dont il empourpre les murailles et les difices. Au loin les montagnes se teignent de couleurs changeantes, passant successivement du bleu d'azur au rose tendre et au violet. A mesure que le disque du soleil s'abaisse, les teintes s'adoucissent, se noient dans le crpuscule. Bientt les cimes les plus lointaines s'clairent et se dorent seules sous les feux du couchant.

La villa des Myrtes est une dlicieuse construction mauresque arcades et terrasse enfouie dans un nid de verdure qu'animent des eaux pures et jaillissantes. Rien n'est plus doux que d'y reposer l'heure brlante de midi, alors que tout fait silence dans la plaine chauffe blanc, sous l'ombre des orangers aux branches parfumes, aux fleurs d'argent et aux fruits d'or. Tous les spcimens de la flore africaine sont groups dans ce jardin merveilleux ; nopals aux feuilles luisantes comme du vernis, caroubiers la forte verdure, oliviers centenaires, dattiers aux troncs sveltes, aux gracieux rameaux ; puis des myrtes gants, des lentisques, des pistachiers de l'Atlas, des chnes yeuses et des gommiers bleus ; le yucca, l'eucalyptus, des arbres de forme bizarre, aux branches noueuses, lcorce caille comme une peau de serpent. La vigne vierge enlace de ses festons le tronc des mriers. Des palmiers aux tiges lances tendent leurs lgants parasols autour d'une exquise fontaine arabe, dont les eaux murmurantes s'lancent en jet et retombent dans une vasque de porphyre. Un calme profond, une douce fracheur rgnent sous ces bosquets touffus.

La nuit est venue, et dans le ciel sans nuages la lune s'est leve. Elle rpand sa ple lumire sur Tunis endormie. Elle fait briller les eaux jaillissantes des fontaines, les coupoles aux croissants de cuivre. Elle glisse sous les arcades des portiques, se rflchit sur les colonnes de marbre, tend sur la campagne les grandes ombres des minarets et des palmiers. Ses rayons d'argent pntrent comme des flches travers les votes de verdure et se jouent sur le sable. Pas un bruit, pas un souffle ne trouble la paix du soir.C'est dans de tels moments que lon peut comprendre le sentiment d'abandon, de langueur que ressentent les Orientaux au milieu d'une nature incomparable, sous le charme d'une nuit toile, lorsque s'allument les ternels flambeaux, qu'autour de vous tout est parfums, tides effluves, murmures enivrants. Alors l'me se sent envahie par mille impressions voluptueuses qui la bercent, l'endorment au sein d'une flicit qui ressemble au nant. Comme les heures se succdent rapides, insensibles, dans ces rgions privilgies! La vie y passe et s'coule semblable un fleuve aux eaux limpides, sans rides, sans secousses, presque sans besoins, comme un rve agrable, comme un songe enchanteur. Mais ces charmes amollissants je prfre encore les vents pres de ma patrie, je prfre son ciel souvent brumeux, ce climat changeant qui stimule l'homme, lui impose des besoins multiples, le pousse vers l'accomplissement de sa vritable tche. Le but de l'homme sur la terre n'est pas un voluptueux repos, c'est le travail, c'est le dveloppement de ses qualits physiques, intellectuelles, morales, l'amlioration de lui-mme, de .sa race, de tout ce qui l'entoure, en un mot, le Progrs, loi par excellence, loi sainte, que tous les peuples doivent accomplir sous peine de dchance et de mort.

TUNISETL'ILE DE SARDAIGNE(Souvenirs de voyage)PAR

Lon DENISSECRETAIRE DU CERCLE TOURANGEAU

DE LA

LIGUE DE L'ENSEIGNEMENT

TOURS

IMPRIMERIE E. ARRAULT ET Cie26, rue Royale, 26.L'ILE DE SARDAIGNEQuand vous verrai-je, Espagne, Et Venise et son golfe, et Rome et sa campagne, Toi, Sicile, que ronge un volcan souterrain, Grce qu'on connat trop, Sardaigne qu'on ignore, Monte au Septentrion, du couchant, de l'aurore?...victor HUGO.

(Feuilles d'automne)I

LArchipel toscan, la Corse,

les bouches de BonifacioLe 21 octobre 1879, aprs avoir djeun la hte au restaurant del Giappone Livourne, je montais bord du vapeur lltalia, de la compagnie Rubattino en partance pour la Corse et la Sardaigne. La chaleur tait aussi forte qu'en France au cur de l't. Une vive lumire clairait la mer radieuse, les blanches maisons de Livourne, les formes denteles des collines pisanes, ainsi que les lointains sommets des monts de Carrare, se profilant l'horizon. Sur le pont du vapeur s'entassaient par centaines des paysans lucquois, allant en Corse pour la rcolte des chtaignes. Munis d'normes besaces et de parapluies gants, ces hommes sales, dguenills, aux regards cauteleux et sombres, ressemblaient plutt des brigands qu' d'honntes travailleurs. Quelques-uns d'entre eux jouaient la morra avec de bruyants clats de voix et des gestes frntiques. De l'arrire s'levaient des bruits d'instruments cordes, des lambeaux de chansons, des trpignements faire trembler le navire. Trois musiciens rps jouaient les airs populaires italiens. Au son des violons et de la harpe, des jeunes gens, hommes et filles, dansaient avec des cris de joie, des rires clatants. Les autres passagers rangs en cercle frappaient en mesure dans leurs mains en guise d'accompagnement. Les jeunes femmes, vtues de costumes aux vives couleurs agrments de pompons et de torsades, la tte nue, les cheveux bouriffs, descendant sur le front, se pendaient langoureusement aux bras de leurs cavaliers. Le plaisir mettait un clair dans leurs yeux.

Le vapeur avait drap. La proue fendait l'eau et traait un sillage qui s'allongeait bien loin derrire nous. A droite, gauche, la mer s'talait immense et bleue, comme le ciel. La cte .d'Italie semblait fuir. Les difices, les hautes maisons de Livourne, la gigantesque tour de la Lanterna, qui marque l'entre du port, toutes ces choses s'effaaient insensiblement. Les les nombreuses qui composent l'archipel toscan surgissaient une une du sein des flots, semblables des Titans demi submergs. C'taient la Gorgona, la Capraja, la cime arrondie et pele, au port troit encaiss, que domine un bourg pittoresque ; l'orient, l'le d'Elbe et ses grandes falaises rougetres, puis le promontoire abrupt de Piombino.

Rien n'est mieux fait pour enivrer l'me et charmer les yeux qu'une telle traverse faite par un beau jour. Cette mer, si limpide et si bleue, les jeux de la lumire et des ombres qui revtent les les de mille teintes fondues, un parfum de myrtes sauvages, que la brise dtache de la cte et amne jusque sur le pont du vapeur, les barques aux voiles latines qui volent lgres, effleurant la surface des eaux, tous ces enchantements font natre dans l'me du voyageur une impression dlicieuse et ineffaable.

Longtemps avant d'avoir doubl Capraja on distingue la Corse et ses montagnes bleutres, qui se prolongent en ligne droite au loin vers le sud. On se rapproche peu peu, et ces masses confuses se dessinent ; leurs contours s'clairent. Sur les pentes raides qui fuient et se cachent sous les eaux, des villages sont bizarrement groups. Des ptres ont allum un feu sur les crtes, et une blanche colonne de fume monte en spirale dans l'air.Bien tt apparat Bastia et ses maisons massives s'tageant en amphithtre jusqu' des hauteurs couronnes de vieux forts gnois sur les ruines desquels nopals et figuiers pineux poussent l'envi. Le vapeur jette l'ancre au large, et des barques nombreuses se pressent autour de ses flancs. Les Lucquois s'y amonclent et leur dbarquement donne lieu des incidents comiques. La douane franaise, souponneuse, bouleverse leurs besaces et les force en taler le contenu sur les dalles du quai.Nous repartons, aprs deux heures d'escale, et longeons jusqu'au soir la cte orientale de la Corse, cte plate, marcageuse, o la fivre rgne en souveraine.De loin en loin, du milieu des tangs, s'lve une vieille tour lzarde et solitaire, poste d'observation bti par les Gnois. Toute cette cte, aujourd'hui strile, tait un des greniers de Rome. Des colonies puissantes y florissaient. C'taient Mariana, Alria, villes de quarante ou cinquante mille habitants. Puis vinrent les barbares ; Goths et Vandales dtruisirent les villes et chassrent les habitants dans les montagnes. La nature reconquit peu peu son domaine sur l'homme. Les eaux des torrents n'tant plus retenues par les digues se rpandirent sur la plaine et formrent de vastes nappes d'une eau stagnante dont les miasmes empestrent la contre. Cet tat de choses, aggrav par les longues guerres que la Corse soutint contre Gnes, subsiste depuis des sicles, et encore aujourd'hui la partie de lile la plus cultivable, la plus riche en humus est abandonne durant six mois de lanne. Pendant lt, la voiture de poste qui dessert la longue route de Bonifacio Bastia ne traverse que des villages dserts. C'est peine si on aperoit, de temps autre, debout sur le seuil d'une masure, quelque malheureux au visage jauni, la face de spectre, grelottant de fivre et jetant sur la diligence un regard hbt par la souffrance et la misre.

Il suffirait seulement de quelques travaux pour assainir la plaine orientale et la rendre l'agriculture. Mais les insulaires sont pauvres, les capitaux manquent, et les Franais du continent ne songent gure la Corse. N'est-ce pas ici le cas de constater combien cette le a t longtemps tenue en disgrce et particulirement nglige sous le rgime imprial, rgime que les Corses soutenaient cependant par tous moyens ? C'est une trange anomalie et qui pourrait faire le sujet d'une curieuse tude.Les Corses, dont l'empire avait fait ses sbires ont t enrichis par lui ; quant l'le elle-mme, elle est reste pendant un demi-sicle dans un tat d'abandon complet. Jusqu'en 1830, une seule route traversait la Corse, reliant Ajaccio et Bastia ; les autres centres de populations ne communiquaient entre eux que par des sentiers pierreux, accessibles seulement aux mulets. Pas d'autres ports que ceux forms par la nature. Ce n'est que sous le rgne de Louis-Philippe que le rseau des routes fut commenc, Le deuxime empire ne fit gure plus que le premier pour la Corse. Depuis quelques annes, le gouvernement rpublicain a plus fait pour ce pays que tous ceux qui lont prcd. On travaille actuellement l'agrandissement du port de Bastia ; on trace dans le centre de l'Ile des routes forestires qui permettront d'en exploiter les bois et les carrires. Dans son gigantesque projet d'excution du troisime rseau des chemins de fer, M. de Freyeinet n'a pas non plus oubli la Corse, et les habitants dAjaccio viennent de clbrer par une fte l'inauguration des travaux de la ligne de Corte-Bastia.

La nuit tait venue quand lltalia pntra dans les bouches de Bonifacio. De gros nuages couraient dans le ciel et l'assombrissaient, mais tout coup, vers le milieu du dtroit, ces nuages s'cartant, le disque entier de la lune apparut, et de longues tranes d'une blanche lumire s'tendirent sur la mer et sur les les. Les crtes des vagues s'argentrent : caps, rochers, promontoires sortirent en foule de l'ombre. A notre droite, nous distinguions Bonifacio, perch sur de hauts rochers sous lesquels la vague, par un incessant travail, a creus de profondes cavernes. Plus prs de nous, les cueils de Lavezzi, de sinistre mmoire. C'est l qu'en 1854 se perdit la frgate la Smillante, par une tempte affreuse. Mille hommes, marins et soldats, furent engloutis pendant cette nuit, sans qu'un seul d'entre eux survct pour rapporter les dtails de la terrible catastrophe. A gauche, se montrait la cte escarpe de Caprera, sjour de Garibaldi, puis, au deuxime plan, les montagnes de la Gallura, nom que porte la rgion septentrionale de la Sardaigne, rgion pre, dsole, hrisse de monts nus aux flancs ravins par les orages, et si sauvage que son aspect veille la pense des paysages lunaires. Trois phares clairent ces eaux dangereuses : ceux de Bonifacio, de la Maddalna et du cap Dalla Testa. Leurs feux intermittents brillaient tour tour; l'un d'entre eux venait-il s'clipser qu'un autre voil un instant, reparaissait aussitt, appelant lui les regards. Plus haut, entre les nues, resplendissaient les feux du ciel, innombrables fanaux jets comme une poussire lumineuse dans l'insondable infini. Le jeu des phares qui clairent les bouches,le calme de la nuit, peine troubl par le bruit de l'hlice trouant les eaux et par le chant monotone d'un matelot debout la barre, me retenaient sur le pont. Mais le vent du nord-ouest frachit soudain, le roulis devint plus fort et secoua violemment le vapeur. Il fallut regagner ma cabine jusqu'au jour.

IIPorto-Torres, Sassari et les SardesLa mobilit extrme des vents qui rgnent sur toute l'tendue du bassin de la Mditerrane fait de celle-ci une des plus dangereuses mers du globe. Il n'est pas rare d'y voir souffler successivement les quatre vents de la boussole au cours d'une traverse d'un jour.Par un calme relatif, nous avions franchi les passes prilleuses de Bonifacio et nous allions longer la cte sarde, quand la sortie des bouches, lItalia, assaillie par un puissant maestrale ou vent du nord-ouest, se mit excuter une danse folle. Peu charge de marchandises, elle offrait d'autant plus de prise aux vagues, qui, dans leurs bats, se la renvoyaient comme une coquille de noix. A chaque coup de tangage, il fallait se cramponner avec force aux rebords de sa couchette pour ne pas tre projet au milieu de la cabine. Les meubles roulaient qui mieux mieux, les ustensiles, la vaisselle, se heurtaient avec fracas sur les dressoirs. Le bruit des lames couchant le vapeur et lanant leur cume, qui retombait en pluie, jusque dans les coutilles, les matelots passant en courant sur le pont, qui tremblait sous leurs pieds, les tintements de la cloche du bord, les cris des femmes et des enfants effrays, tous ces sons se mlaient en un sauvage concert, dont les grondements du vent dans les agrs formaient la basse continue, d'une harmonie lugubre, menaante.

Ce moment dsagrable dura peu. Un demi-cercle d'les, dites dell Asinara, s'allonge comme un cran au nord-ouest de la Sardaigne. A peine avions-nous dpass la premire de ces les, que nous nous trouvmes a couvert du vent dans des eaux paisibles.A laube, nous jetons l'ancre Porto-Torres, au milieu de btiments voile, ct d'un vapeur, le Pie monte, qui chauffe, prt partir pour Civita-Vecchia. Un quai bord de hautes maisons, d'aspect pauvre et dlabr, aux fentres desquelles schent des guirlandes de loques ; des marais, un ruisseau fangeux, et a et l, parmi les roseaux, des ruines de constructions romaines, des colonnes, les arcades d'un aqueduc, voil ce qui s'offre notre vue. Ces vestiges rappellent qu'une antique et puissante cit maritime s'leva l o nous ne voyons plus qu'un port misrable.

Nous abordons, et une lgion de portefaix famliques, moiti nus, se prcipite sur les bagages. Aprs une visite la Dogana, on gagne en courant une baraque en planches situe lextrmit du quai et devant laquelle un train de chemin de fer se prpare partir pour Sassari. Cette baraque est la stazione de la Cie della Ferrovia reale Sarde. J'offre une pice dor de vingt francs pour payer mon billet de deuxime classe, et aussitt les employs se pressent, tonns, autour du guichet. Le receveur fait sonner dix fois la pice sur le carreau pour s'assurer qu'elle est de bon aloi. On comprendra cet tonnement, en apprenant combien l'argent monnay est rare en Italie. Le papier seul y circule et, aux guichets des Compagnies, on ne voit gure que billets crasseux et monnaie de bronze. La pninsule et les les sont inondes de billets de banque de toutes valeurs, depuis celle de cinquante centimes. Non seulement la banque nationale et lEtat lui-mme mettent du papier-monnaie, mais il n'est pas de petite ville pourvue d'une banque qui n'en mette galement. C'est ainsi qu'en Sardaigne on voit des billets de la banque sarde, de la banque agricole, de la banque de Cagliari, de Sassari, etc. Il ne faut pas saviser d'emporter ces valeurs avec soi hors du lieu d'mission ; dans la localit voisine, on ne les accepte plus. De l une grande gne dans les transactions. Pour cent francs d'or ou de valeurs franaises on reoit aujourd'hui cent dix francs de papier italien. Ce chiffre s'est lev un moment cent vingt francs. Les valeurs franaises sont recherches, et les espces d'or et d'argent refluent vers notre pays. Le peu qui reste dans le pays est cach soigneusement. De l, la satisfaction non dissimule, de l'italien qui reoit une pice d'or en payement.

Le prix des billets de place est moins lev en Italie, gal parcours, que sur nos chemins de fer. Eu revanche, on n'y obtient aucune remise pour les bagages. C'est en Sardaigne que j'ai vu pour la premire fois des voitures de quatrime classe pour voyageurs. Ces voitures sont semblables nos wagons couverts marchandises. On s'y tient debout. Une tringle en fer horizontale, qui rgne lintrieur du vhicule, permet seule de garder son quilibre lors des chocs. Une population bruyante et couverte de haillons s'entasse habituellement dans ces voitures peu confortables.La distance qui spare Porto-Torres de Sassari n'est que de vingt kilomtres. La ligne traverse au dpart une rgion dserte et marcageuse, gravit des pentes et aborde un plateau couvert de riants vergers et d'olivettes. La vigne enlace amoureusement le trne des ormes et des mriers, Dos bouquets d'orangers, de citronniers, de grenadiers se succdent. D'innombrables oliviers penchent vers le sud leur feuillage gristre, que le maestrale courbe et secoue avec fureur.

Bientt apparaissent les murailles ruines et les faubourgs poudreux de Sassari. La descente du train s'effectue au milieu d'une cohue de mendiants qui envahissent les voies et se pressent autour de nous en poussant des cris lamentables. Pas un seul omnibus. Suivi d'un facchino portant ma valise, je traverse le champ de foire qui spare la gare de la ville et dont le vent soulve la poussire en longs tourbillons. Nous gagnons le Corso Vittorio-Emanuele, principale rue de Sassari, borde de deux rangs de hautes maisons ornes de magasins. Le pav, comme celui de toutes les villes italiennes, est form de larges dalles de granit. De petits drapeaux flottent au-dessus de nombreuses buvettes o se dbite le vernaccia vin nouveau du pays.Une jolie place orne de la statue d'zuni, une illustration locale, occupe le centre de Sassari. Des btiments officiels, municipe, poste, casa provinciale, la bordent de leurs vastes faades. Cette place, traverse par la rue centrale, sous le nom de Via-Cavour, continue jusqu'au vieux castello aragonais qui tombe en ruines. Au del les faubourgs recommencent.

Prs du vieux chteau transform on caserne est situ lhtel Bertrand, tenu par un franais qui m'installe dans une chambre o lon pourrait bien loger vingt personnes. Ma fentre close, en forme de moucharaby et garnie de rideaux pais, donne sur la Via-Cavour, dserte et silencieuse l'heure de midi, mais qui, une heure aprs, redevient peuple et bourdonnante.Mon installation termine, je parcours la ville pour examiner les physionomies et les costumes locaux. Le moment est on ne peut plus favorable. J'arrive, en effet, un dimanche, et ce jour-l les habitants de la campagne se rendent en foule Bassari. Les hommes sont monts sur de petits chevaux pleins d'ardeur. Ils portent tous le bonnet de laine noire long et rabattu sur la nuque. L'extrmit, bourre d'objets inconnus, forme une grosse boule qui tressaute chaque mouvement du cavalier. Ils sont vtus d'un sarreau noir sans manches, bras de chemise et culotte large en toile blanche, gutres noires montant jusqu'aux genoux. D'autres sont affubls d'une peau de mouton retourne, la laine en dedans, et serre la ceinture. Ce costume, fort incommode par la chaleur, leur donne un air trange. C'est, parat-il, un prservatif contre la fivre qui rgne sur toute l'tendue de l'le. Les femmes sont vtues d'toffes de couleurs clatantes. Leurs corsages sont brods d'argent et de soies de teintes varies, d'un joli dessin. Ce corsage est ouvert jusqu' la ceinture, et sous la chemisette, laisse voir toutes les formes. Les jupes sont rouges ou vertes pour les jeunes filles, bleues pour les femmes maries. Un capulet attach au sommet de la tte et retombant sur les paules, la plupart du temps noir ou bleu, raies jaunes, complte le costume qui souvent est d'un grand prix et que lon ne porte que les dimanches ou les jours de fte.

Les Sardes, tous d'une taille, exigu, sont laids et sales. Leur teint est brun fonc et leurs cheveux d'un noir d'bne. Leurs traits durs ont quelque chose d'africain. Le sang arabe circule eu effet dans leurs veines ; les Sarrasins ont possd lle, et sur diffrents points ou retrouve encore les dbris de leurs forteresses. Le langage de limmense majorit des insulaires n'est pas l'italien. Les habitants des villes se servent seuls de la langue nationale. Les paysans sardes usent d'un patois rude et guttural qui participe de l'arabe et de lespagnole, les Aragonais ayant galement soumis l'le leur domination. La population de la Sardaigne diffre donc essentiellement de celle de la Pninsule. Au lieu de la mobilit et de la faconde italienne, elle a quelque chose de grave, de mlancolique, qui frappe premire vue. Cette mlancolie, exprime par l'attitude du sarde, persiste jusque dans ses chants qui s'chappent sur un rythme lent et monotone des buvettes de vernaccia. On reconnat de suite que l'on se trouve en prsence d'une autre race; celle des Ibres, que les Latins et les Celtes ont presque dtruite et qui n'existe plus qu' l'tat de dbris dans des les cartes et sur quelques points de l'Espagne, par exemple dans les valles basques. La Sardaigne est peut-tre la seule contre qui possde encore des monuments btis par les Ibres dans les Ages prhistoriques, bien avant que Romains ou Carthaginois aient apparu dans lle. Ces btiments bizarres, nomms nuraghes sont des tours normes deux ou trois tages qui s'arrondissent on vote au sommet et que flanquent des tours plus petites; ils sont forms de blocs cyclopens assembls sans ciment, et servaient a la fois d'habitations et de spultures. Ces constructions ruines datent bien de trente sicles. Quel abme est le temps ! D'innombrables gnrations ont pass, semant la poussire de leurs os sur la terre, notre grande aeule, et ces difices sont encore debout, nous parlant d'une histoire que les hommes ont jamais oublie.IIILa Barbagia, le Campidano,

OristanoLes chemins de fer sardes qui doivent, dans un temps donn, desservir l'le entire en reliant ses deux principaux centres : Sassari et Cagliari, ne se composent actuellement que de deux tronons situs aux extrmits nord et sud de la Sardaigne, et spars par la rgion accidente qui s'tend de Sassari Oristano. Une voiture de poste franchit en vingt heures cet intervalle de trente lieues. Le dpart s'opre le soir, la nuit tombante. Au moment o la voiture m'emportant, seul voyageur, se mit en mouvement travers les rues de Sassari, au bruit des grelots de ses six chevaux et des claquements de fouet du postillon, deux carabinieri, au long habit noir boutons de mtal blanc, le chapeau noir en bataille et la carabine allonge sur la cuisse, se lancrent notre suite au galop de leurs chevaux. Ils se relayrent de poste en poste, nous escortant ainsi pendant tout le trajet. Ces prcautions taient devenues ncessaires la suite d'une arrestation main arme de la diligence qui avait eu lieu, une poque rcente, au milieu de la rgion montagneuse et sauvage qui avoisine Macomer. Des bandits aposts avaient tu deux chevaux et dvalis trois franais dont deux dames. Celles-ci, dpouilles de leurs vtements, furent laisses demi-nues sur la route dserte, au milieu d'une nuit froide, trois lieues de toute habitation. Les bandits avaient t presque aussitt arrts, mais le chef de la bande trouva le moyen de s'chapper avec les menottes et la chane aux pieds.

A travers la nuit sombre, la lanterne claire d'une lueur vague et tremblante le postillon couvert d'une peau de chvre, qui se dmne furieusement sur son sige et interpelle ses rosses avec des cris rauques. Les murs de jardin, les arbres, les ravins pierreux, les coteaux dcharns dfilent de chaque ct de la route. De temps autre, une masure apparat et, par la porte ouverte, on voit des paysans dguenills se chauffant devant un grand feu clair.Nous atteignons Macomer, point de bifurcation de plusieurs routes, o la voiture fait une longue station. Je me rfugie dans le bureau de la diligence, au sol de terre battue, dont la chemine gigantesque, o flamboie un tronc d'olivier, pourrait bien abriter cinquante personnes. Les carabinieri envelopps dans leurs grands manteaux, prsentent leurs mains la flamme. Des sardes en longs bonnets jettent sur moi des regards curieux. Nous repartons l'aube et descendons fond de train la longue srie des lacets tracs par la route aux flancs de la Catena del Marghine, montagne qui domine la vaste plaine ou campidano d'Oristano. Bien loin, vers l'Orient, l'autre extrmit de la plaine, les premiers reflets de pourpre du jour naissant embrasent le liant sommet neigeux du Genargentu ou cime d'argent. Les feux augmentent peu peu de puissance jusqu' ce que le disque du soleil, semblable une fournaise ardente, apparaisse enfin au-dessus de la longue ligne des hauteurs et illumine de ses rayons les crtes aigus et les gorges sauvages. Le sombre profil des monts do la Barbagia se dcoupe alors dans la lumire du matin comme une scie gante aux dents innombrables. La Barbagia est la partie la plus Apre, la plus recule de lile. Ses habitants se distinguent des autres sardes par un caractre particulier de sauvagerie. Ils descendent des aborignes ou premiers peuples qui ont occup la Sardaigne avant l'histoire et ne se sont jamais soumis, dt-on, aux dominations romaine et carthaginoise. Une partie de la Barbagia est occupe par les descendants de tribus berbres immigres au cours, des premiers sicles de notre re et qui, la suite de longues luttes avec les premiers occupants, ont t refoules dans ces rgions inhospitalires. Ces populations ont conserv le cachet de leur origine. Leurs murs, leur langage, jusqu'aux chants et improvisations en usage parmi eux, tout rappelle les berbres d'Afrique.

Entre les deux chanes de montagnes de la Marghine et de la Barbagia, s'tend le campidano, plaine crales, que la route principale de lle coupe en deux. Tout autour de nous se succdent les champs dpouills de leur parure. Les tiges de paille, coupes peu de distance du sol, s'lvent seules sur leur surface monotone o paissent, et la, de petits bufs trapus longues cornes. Nous traversons aussi de vastes landes, grises et mornes cette poque de l'anne, mais qui se couvrent l't de cistes et d'asphodles,On franchit des lieues et des lieues sans rencontrer un village, sans apercevoir une figure humaine. Enfin, quelques habitations misrables se groupent au bord de la route, prs d'un fiume ou torrent dont le lit encaiss laisse voir des flaques d'eau bourbeuse, miroitant parmi des buissons d'alos et de lauriers-roses.Des vapeurs dltres rampent sur le sol, vierge de toute vgtation. La voiture sarrte ; on change de chevaux. Des enfants sales, dguenills, les cheveux eu broussaille, des vieillards, des femmes a peine vtues, viennent tendre la main en poussant de petits cris plaintifs. Tout est sordide. Les huttes, porte basse, laissent chapper une odeur mphitique d'huile rance et corrompue. Par des ouvertures pratiques au niveau du sol, le regard plonge dans des taudis peine dignes d'abriter les animaux les plus immondes, et o couchent ple-mle hommes, femmes, jeunes filles et garons. Au milieu de ces loques de cette misre, nos carabinieri, draps dans leurs uniformes, semblent des seigneurs. Au dpart, nous longeons les escarpements du Monte-Ferru, volcan teint depuis des sicles, dont les roches noires et brles contrastent par leurs teintes fauves avec la verte foret d'orangers qui s'allonge sur ses flancs. Cette foret clbre est celle de Millis, el ses fruits parfums se vendent dans toute lle. Au del, recommence la plaine monotone, interminable, travers laquelle la route droule son long ruban poudreux. Enfin, aprs avoir travers sur un pont de bois une rivire aux eaux paisses, aux manations fivreuses, l'extrmit d'une avenue o les roues de la diligence s'enfoncent jusqu' lessieu dans des amas de poussire, Oristano montre les coupoles crases de ses glises.

Oristano est une petite ville de six mille habitants, noye dans des flots de poussire, sous une temprature de feu. A travers la plaine nue, le sirocco brlant d'Afrique souffle en effet sans obstacle sur la pauvre cit. A part quelques hautes maisons de pierre qui s'lvent au centre de la ville, aux abords de la place del Mereato, toutes les constructions sont en briques crues et creuses, et les murs de clture dos jardins en boue sche, mlange de paille. Ces habitation sont un aspect dlabr et lamentable qui serre le cur.

Sur la grande place une foule de paysans en guenilles, bonnets et vestes noires, culottes larges en toile blanche, descendant la hauteur du genou, avec des allures de jupons, les pieds nus, les jambes crasseuses, pitinent sur la terre battue et conversent dans un patois guttural et incomprhensible. De petite stature, avec leurs barbes d'un noir de jais, leur feint bistr, leur rire muet laissant voir entre des lvres paisses un double rang de dents aigus, ces sardes ont lair de vritables bandits, un aspect farouche faire reculer. Ce sont cependant, parait-il, d'excellentes gens, mais qui ne paient pas de mine. Des enfants, de grandes filles, cachant peine leur nudit sous des haillons graisseux, se roulent devant les portes. Les chariots massifs aux roues pleines passent chaque instant, trans par des bufs maigres et chtifs que des bouviers d'un type sauvage aiguillonnent en poussant des cris rauques. Les roues pleines grincent d'une manire horrible.Sur la place, des pcheurs se sont installs avec leur marchandise: rougets, lamproies, dorades, que se disputent des nues de mouches qu'ils s'efforcent en vain de chasser l'aide de longues palmes. Un prtre en soutane rpe, coiff d'un chapeau haute forme, rouge de vieillesse, marchande des lamproies et finit par les emporter sous son bras dans un lambeau de papier.

L'auberge qui m'a reu, malgr son nom prtentieux d'htel du Commerce, n'est qu'une osteria vulgaire, aux salles immenses et nues. Un lit en fer et une chaise, voil tout l'ameublement de la chambre que j'occupe. Pas un tapis, pas de rideaux ; on revanche, une malpropret repoussante, des myriades de puces et de moustiques.

Les seuls difices d'Oristano sont les glises. Cette ville, quoique petite et misrable, est le sige d'un archevch. Il est vrai qu'il n'est pas une bourgade de Sardaigne qui ne possde son vque. La cathdrale d'Oristano, de style romano-byzantin, lve sa faade mignarde, enjolive de sculptures, au fond d'une place dserte o l'herbe pousse entre les pavs disjoints. Au fond de l'difice vide, des chanoines gravement assis dans leurs stalles font entendre un chant nasillard dont les votes se renvoient les notes discordantes. Tandis qu'au dehors tout respire le dnuement, on ne voit l qu'or et toffes prcieuses. L'autel est de marbre ; des peintures de prix ornent les murailles ; des chapelles encombres d'ornements senfoncent sous les nefs latrales; vous foulez un pav en mosaque. Toutes les richesses du pays semblent rserves au culte, culte vain et pompeux qui rappelle les religions antiques de la Grce et de Rome, tout, fait pour parler aux sens et non au cur ou la raison.

IV

Cagliari

La ligne de chemin de fer qui relie Oristano Cagliari, capitale de l'le, traverse la rgion la plus riche et la plus populeuse de la Sardaigne. Les villages y apparaissent nombreux, dressant au-dessus des maisons basses, couvertes en tuiles rouges, le svelte campanile de leur glise arrondi en forme de d coudre. Les terres en friches deviennent rares, et les cultures se succdent presque sans interruption. De chaque ct de cette plaine, appele Campidano maggiore, l'il dcouvre des sommets lointains. Plusieurs sont couronns de ruines majestueuses.Au moment o nous quittions Oristano, le ciel se chargeait de gros nuages pousss par la brise de mer vers l'intrieur de lle. En atteignant les premires cimes, ces nues se dchirrent et lorage clata. Une pluie abondante vint rafrachir l'atmosphre, puis le soleil se prit sourire de nouveau, transformant les gouttelettes suspendues aux arbres et aux fils du tlgraphe en autant de perles aux teintes clatantes. C'tait un curieux spectacle, fait pour merveiller un peintre, que de voir, aprs l'orage, les montagnes lointaines lever leurs crtes d'un noir d'bne au-dessus des nuages argents qui flottaient mi-cte sur leurs flancs.

Cagliari, la plus importante ville Sarde, est btie en amphithtre, au bord de la mer, sur une colline entoure d'tangs. Ses maisons, aux fentres garnies de moucharabys, chelonnent leurs terrasses en gradins jusqu'au Casteddu, vaste forteresse qui domine la cit entire et commande ses abords. Prs des bastions s'tend la promenade de Buon-Camino, d'o la vue embrasse un panorama immense. On distingue de l la plaine fconde de Cagliari avec ses blancs villages, ses routes, ses sentiers et les haies de figuiers de Barbarie dont les longues raquettes pineuses se cramponnent aux rochers et envahissent les moindres coins de terre. Plus prs, un cercle de jardins enserre la ville ; les longs panaches des dattiers et des palmiers nains s'levant de toutes parts donnent ce paysage un aspect oriental. Au loin, vers l'intrieur, comme cadre, des montagnes bleutres et du ct du sud, les salines, les tangs, le golfe inond de lumire, peupl de voiles et de bateaux pcheurs, 1horizon sans fin de la mer se confondant avec le ciel. De la forteresse, occupe par les bataillons de cacciatori franchi (chasseurs francs), compagnies de discipline de l'arme italienne, convergent les rues de Cagliari tortueuses mais propres, et descendant jusqu'au port. A Cagliari, on se retrouve en pleine civilisation. Le commerce, la navigation y sont actifs. Des services rguliers de bateaux vapeur font communiquer cette ville avec les principaux ports italiens et mme avec Tunis. Mais l'industrie y est nulle et l'instruction peu dveloppe. Cagliari possde cependant une universit presque aussi riche en professeurs qu'en lves. Cinquante tudiants en suivent les cours. Signe caractristique : il n'y a, dans cette ville de trente mille habitants, qu'un seul libraire. Encore sa boutique est-elle fort exigu et ferme tous les jours de onze heures du matin quatre heures du soir. En revanche, on y imprime quantit de journaux, que les gamins crient dans les rues avec d'tranges inflexions de voix*****En rsum, Vile de Sardaigne, quoique moins pittoresque que la Corse, n'est pas dnue d'intrt. Sa population surtout est curieuse voir, tudier. L'observateur, lamateur de couleur locale y rencontrera de ces types primitifs et sauvages qui ont disparu presque partout ailleurs. La civilisation a peine effleur cette grande le. Elle n'a rellement tabli son empire que dans ses deux villes principales ; l'intrieur et particulirement les pays de montagne sont occups par un peuple arrir et barbare, vou l'ignorance et la superstition. Cette le est cependant plus fertile que la Corse, sa voisine. Ses plaines produisent du grain en abondance ; des troupeaux innombrables parcourent ses pturages et chaque printemps l'on charge Porto-Torres vingt ou trente btiments de bestiaux en destination de Marseille. L'huile et le vin y abondent. Des forts de pins, de mlzes, de chnes verts escaladent les pentes de ses montagnes et les gorges recules reclent des mines d'une grande richesse. Un certain nombre de compagnies trangres, franaises et anglaises s'y sont tablies et exploitent le prcieux minerai de fer sarde que connaissaient dj les Romains et qui est un des plus beaux du monde.Mais malgr tout, ce pays est rest un des plus arrirs, des plus abandonns de l'Italie et mme de l'Europe. Les communications y sont difficiles et les routes manquent pour amener les produits de l'intrieur aux ports d'embarquement. La mthode de culture est tout fait lmentaire. On y laboure encore la terre comme au temps des patriarches. Un soc de bois au bout d'une perche, telle est la charrue sarde ; les instruments aratoires de fer ou d'acier y sont des plus rares. Muni d'engins grossiers, le paysan sue sang et eau de l'aube la nuit pour gratter la surface d'une terre fconde qui, mieux cultive, produirait d'abondantes moissons.

Une ceinture ininterrompue d'tangs insalubres borde l'Ile et les manations fivreuses qu'ils exhalent empoisonnent l'atmosphre et sment au loin la maladie et la mort. Aussi la population est chtive, malingre, et la moyenne de l'existence peu leve. La Sardaigne est, un lieu de punition et d'exil pour les fonctionnaires. Elle possde le seul bagne de lItalie.Au point de vue intellectuel et moral, l'le n'est pas plus favorise. C'est la dernire rgion du royaume en matire d'instruction. Elle vient mme aprs la Sicile et le pays napolitain. Sur cent sardes on en compte quatre-vingt-huit qui ne savent ni lire ni crire. En vain le gouvernement fonde des coles, la population indiffrente les fuit. On sait quels maux engendre l'ignorance ; la superstition n'est pas le moindre. Le sarde est en proie aux prjugs et la routine. Il pratique encore la vendetta et le banditisme, teint en Calabre, comprim on Sicile, reparat encore de temps autre dans lle tyrrhnienne.

L'Avvenire di Sardgna du 24 octobre annonce qu' Nurri, gros bourg situ quelques lieues de Cagliari, vingt-cinq hommes ont cern pendant la nuit la maison d'un notable, ont maltrait celui-ci et lui ont vol douze cents lires. Nous avons dj parl des arrestations de diligences main anne sur la route de Sassari. Le naturel du sarde n'est cependant pas mchant. Il est moins violent, moins dur que son voisin de Sicile: la misre seule le pousse au crime. Depuis longtemps les produits du pays se vendent mal. Les vins, les grains, les huiles ne s'coulent qu' des prix peu rmunrateurs. De l une gne profonde qui s'tend sur toute la population de lle.En outre, le pays est accabl d'impts nombreux et excessifs. Le gouvernement italien, pour faire face des dpenses considrables, causes par l'entretien d'une arme de prs de 500 mille hommes, d'une administration aux multiples rouages, par des travaux publics de premire ncessit, le gouvernement, en prsence d'un budget mal quilibr, et d'accord avec les Chambres, a d crer des taxes crasantes : impts sur le sel, sur la mouture, sur les transports, les voitures, impt foncier norme, etc. Les Sardes, pauvres d'avance, sont accabls par ces taxes et ne peuvent payer ; les dettes s'accumulent, le besoin les pousse au vol et au brigandage.

*****

L'Italie, avec ces boulets attachs ses pieds : Sardaigne, Sicile, pays napolitain, lItalie avance difficilement dans la voie pre que tracent aux peuples les rudes exigences de la vie moderne. Sa situation financire oscille sans cesse entre l'augmentation de la dette et l'impt sur les objets de premire ncessit. Ses cabinets, impuissants constituer une majorit durable au sein du Parlement, chouent les uns aprs les autres. Des lections continuelles agitent le pays, dj en butte aux menes des clricaux. L'ignorance profonde des classes populaires ne permet pas encore d'y tablir le suffrage universel, seule base d'un rgime dmocratique, mais qui cette heure ne serait en Italie qu'un instrument de domination pour les prtres et de mort pour l'unit nationale. Cependant, le gouvernement du roi Humbert est libral dans la plus large acception du mot. Les ministres sont adroits, et des progrs importants sont en voie de ralisation. Si l'Italie mridionale est en retard de deux sicles lhorloge de la civilisation, la vitalit des populations du nord est si puissante, qu'elles sauront entraner leur suite ces surs arrires du sud dans la vaste arne du travail et de l'unification. Dj, sous l'influence claire de la maison de Savoie, 1industrie italienne se dveloppe, les universits se multiplient, les voies ferres sillonnent en tous sens la pninsule, reliant aux grandes cits les rgions les plus recules et les plus sauvages. Que l'Italie sache imposer silence l'esprit d'aventure et de militarisme outrance, et, la paix aidant, la situation financire s'amliorant, le banditisme et la mendicit tant rprims, l'instruction se rpandant partout, la patrie de Dante et d'Alfieri verra s'ouvrir une re meilleure et prospre.

LEON DENISLAPTRE DU SPIRITISMESA VIE, SON UVRESynthse du livre de Gaston LUCEpar Lucette DAMICO

Lon DENIS est n le premier janvier 1846 FOUG, localit de larrondissement de TOUL. Son pre, Joseph DENIS, tait maon. Sa mre, Anne-Lucie LIOUVILLE, de souche paysanne, tait ne MENIL LA HORGNE, commune de GONDREVILLE. Les noces eurent lieu FOUG le 3 avril 1845.

A lge de neuf ans, il vient se fixer STRASBOURG avec sa famille. Cest donc STRASBOURG, au cours priv de Monsieur HAAS, que le petit Lon fait ses dbuts dcolier.

Nouveau dmnagement BORDEAUX, o Lon doit interrompre ses tudes pour aider son pre. En 1857, celui-ci obtient un poste de chef de station de MORCENX dans les LANDES et Lon reprend le chemin de lcole.

Son nouveau matre, disciple de Jean Jacques ROUSSEAU, instruit son lve en lemmenant en promenade : celui-ci devait garder toute sa vie un souvenir mu de ce contact direct avec les choses.

Nouveau dmnagement MOUX. Lon supple aux manquements paternels, laissant les chers livres quil affectionne. Il soccupera des tlgrammes et de la comptabilit.

En 1862, la famille sinstalle TOURS. Lon travaille dans une faencerie ; il passe dans une autre maison de commerce o il travaille aux critures. Menant de front sa tche du jour et ses tudes, notre Lon na de loisirs que pour la plus austre des matresses, celle qui veille sous la lampe devant les pages des livres. Le problme que dordinaire lhomme ne se pose que dans les heures daffliction ou de maladie grave et quil sempresse doublier ds que le destin lui sourit, Lon en saisit limportance capitale. Lhomme se rue au plaisir, senivre de sensualit pour chapper lide de la mort sans arriver jamais lluder.

Quest-ce que la sagesse ? Cest apprendre mourir, dit PLATON.

Quest-ce que la vie ? Cest une mditation de la mort, dit SENEQUE.

Ainsi le jeune tudiant aborde de front lnigme o tant de hautes spculations se sont heurtes.

Au cours de sa dix-huitime anne, le hasard qui fait bien les choses dsigne un jour son intention un ouvrage au titre inusit, troublant. Cest LE LIVRE DES ESPRITS dAllan KARDEC.

Rencontre providentielle.

Aprs avoir men quelques expriences avec des amis, il commence chercher des preuves, des faits prcis. Ceux-ci sont loin de le satisfaire, et il aurait renonc sil navait t soutenu par une thorie solide et des principes levs. Et il ajoute ces mots quapprcieront les vrais spirites :

Il semble en effet, que linvisible veuille nous prouver, mesurer notre degr de persvrance, exiger une certaine maturit desprit avant de nous livrer ses secrets.

Lon DENIS en est l de ses travaux et recherches lorsquun vnement important se produit dans sa vie. Allan KARDEC tait venu passer quelques jours chez des amis, et tous les spirites tourangeaux avaient t convis venir le saluer. Ctait en 1867. Il devait le revoir deux fois encore, en son logement rue Sainte Anne PARIS, puis BONNEVAL.

Cest aprs le passage du Matre que sera fond, TOURS, le groupe de LA RUE DU CYGNE, dont il deviendra secrtaire.

Jappris par l, combien il est dangereux de se livrer lexprimentation spirite sans prparation, sans protection efficace et ces exemples me rendirent circonspect.

Lon DENIS a 24 ans en 1870, cest alors la guerre. Dabord exempt du service cause de sa mauvaise vue, il doit quand mme rejoindre les rservistes auxquels le pays fait appel aprs des combats dsastreux. Il rejoint alors la ROCHELLE le 26me corps darme. De suite, il est nomm sergent au 1er bataillon et dira :

Dans lespace de six mois, je devins successivement sous-officier, major, sous-lieutenant et je serais encore mont en grade si la paix ntait survenue.

Un sergent de sa compagnie tant mdium, en fvrier 1871 il convie celui-ci et quelques camarades venir exprimenter. Le 24 du mois le groupe reoit la communication suivante :

LAllemagne et la France attendent avec anxit le rsultat des ngociations, elles attendent lheure tant espre de la paix o toutes les familles connatront ceux qui manquent lappel du cur dune mre ou dun frre. Ceux-ci maudiront, dans les deux nations, les tyrans qui leur ont enlev leur soutien et leur seul espoir. Alors vous de profiter de ces choses pour clairer vos frres. Faites leur voir la grandeur de Dieu. Priez, consolez la souffrance. En un mot, faites le bien.

Le 28, un message sur les mondes clestes se termine par cette phrase prophtique qui a mis un demi sicle se raliser :

Mes amis, un fait solennel saccomplit en ce moment selon le dsir des hommes. Cest la paix qui vient dtre signe et dans quelques jours vos familles vous tendront les bras. Avant peu dannes, la Prusse son tour sera anantie, humilie. Priez, priez.

Servi par un don naturel pour llocution, il sentrane la parole ; orateur cout de la Loge Maonnique des Dmophiles, il y effectue un travail considrable.

Le groupe de LA RUE DU CYGNE TOURS sest renforc dune recrue notoire : le Capitaine HARMANT. Les sances reprennent avec un nouvel entrain chez le Docteur AGUZOLY. A son contact, Lon DENIS, qui tait dj mdium crivain, devient voyant. Il reconstitue ltat de veille des scnes impressionnantes de lhistoire mdivale et de lhistoire ancienne.

SORELLA est le bon gnie. DURAND, lEsprit contrle .

Les belles sances de LA RUE DU CYGNE devaient continuer chaque semaine jusquen 1877. Dans la nuit du 31 dcembre au 1er janvier 1873, une assemble nombreuse desprits emplit tout coup la salle dont les murs et le plafond se couvrent dtincelles fluidiques.

Cest le 19 fvrier 1873 que Lon subit ses premiers examens devant cinq matres spirites. Assist par SORELLA, il lit son deuxime discours. Tout est bien, lui dit-on, part quelques points de dtails. Les progrs accomplis sont sensibles et justifient les espoirs que lon a mis en toi.

Le 17 mars, il parle du matrialisme en sance prive devant les Dmophiles ; son prcdent discours traitait du patriotisme, le troisime sera une apologie du spiritisme.

Malheureusement, avec le temps ses ides spiritualistes ne seront plus suivies.

Autour de Lon DENIS, cest partout, jusque dans sa famille, lincomprhension, lhostilit mme. Lui-mme voit de plus en plus difficilement et sa sant saffaiblit. Heureusement, lange consolateur lui verse le baume dont il a tant besoin et lencourage. Son fidle guide, son tour, lui apportera son secours moral : On narrive la foi pleine et entire, dira-t-il, que par une lente et douloureuse initiation.

Le 31 juillet 1873, une rvlation lui est faite. Dans ses vies antrieures, il pntre le secret qui doit illuminer toute sa destine : il retrouve dans SORELLA une incarnation de Jeanne DARC laquelle il consacrera une majeure partie de sa vie et de son oeuvre.

Le 20 aot de la mme anne, Lon DENIS et ses amis, AGUZOLY et le Capitaine HARMANT, apprennent dans quelles circonstances se fit jadis leur premire rencontre, lissue dun combat naval sous Louis XIV.

A partir de 1876, Lon DENIS va beaucoup voyager.

Il effectue de multiples voyages pour affaires commerciales, ce qui lui permet de rencontrer comme il lavait toujours dsir dautres paysages, dautres hommes, dautres moeurs. Cest pied, bton la main tel un plerin quil traverse la France ; il visite aussi la KABYLIE, la TUNISIE, la SARDAIGNE, la CORSE, lITALIE.

Il publiera dintressants rcits tirs de ses voyages.

Ses premires publications datent de 1880 : dabord TUNIS ET LILE DE SARDAIGNE, puis deux nouvelles : LE MEDECIN DE CATANE et GIOVANNA.

Lopuscule LE PROGRES publie, sous les auspices de la ligue de lenseignement, le texte dune de ses premires confrences ; cette thse, Loi de solidarit qui relie tous les temps et toutes les races, demande tre claire.

Le 31 mars 1881, on lui demande de prononcer lhommage traditionnel sur la tombe DAllan KARDEC au cimetire du Pre Lachaise.

Le 2 novembre 1882, jour des morts, un vnement capital se produit dans sa vie. Celui qui devait tre son guide pendant un demi sicle, son pre spirituel Jrme De PRAGUE, se communique lui pour la premire fois dans un faubourg du MANS, o Lon se trouve de passage. Au mois de mars suivant, Jrme lassure dune assistance qui ne devait pas se dmentir un seul jour :

Va, mon fils, dans le sentier ouvert devant toi, je marche derrire toi pour te soutenir.

En dcembre 1882 il prend part aux travaux du congrs charg denregistrer la fondation de la socit des tudes spirites.

Le Docteur JOSSET prside la runion, assist de Messieurs CHAIGNEAU et DELANNE pre, comme secrtaires ; Monsieur LEYMARIE en est lanimateur.

Le Docteur JOSSET souligne combien la prsence de Lon DENIS est prcieuse en un tel jour o devait saffirmer la solidarit des spirites provinciaux et parisiens : ce que nous pouvons rendre, en crivant, dit le compte-rendu de la sance, cest la chaleur, linspiration, la majest du langage de lminent confrencier.

Les dirigeants, on le devine, dsirent sattacher un orateur de cette envergure.

En novembre 1883, il est au groupe rgional du MANS pour la fte des morts. A ROCHEFORT, le 14, il parle des existences progressives des tres . Les confrences se poursuivent, COGNAC le 16, puis AGEN.

En 1885, dans LE POURQUOI DE LA VIE, il dit :

Cest vous, mes frres et soeurs en humanit, vous tous que le fardeau de la vie a courbs, vous que les pres luttes, les soucis, les preuves ont accabls que je ddie ces pages.

La brochure remporte un grand succs.

Ds le mois de Mai 1885, il est vice-prsident de lUnion Spirite Franaise, fonde le 24/12/1882 et Membre dHonneur de multiples socits, notamment de lUnion Spirite de Catalogne.

1886 : dcs de son pre, Joseph DENIS.

En 1889, pour le congrs spiritualiste international, les principales coles spiritualistes sont runies : les KARDECISTES, les SWEDENBORGIENS, les THEOSOPHES, les KABALISTES et les ROSES CROIX.

Au cours de discussions fort animes, le jeune matre apparat pour la premire fois comme le plus sr mainteneur de la thse kardciste. Il est prsident du comit de propagande.

Dans son compte-rendu de la revue LETOILE, que dirige alors Ren CAILLE, LAbb ROCCA, cur brlant de foi christique, sexprime ainsi :

Je dois mentionner les chaleureuses improvisations de Monsieur DENIS de TOURS qui a pris la parole plus de trente fois, toujours avec le mme bonheur. Je me rappelle, en lcoutant, cette promesse de Jsus-Christ : Quand vous aurez rendre tmoignage de moi, ne vous proccupez pas de ce que vous devez dire. Lesprit sera l qui vous suggrera tous vos discours.

Lon fait paratre fin 1890 un texte intitul APRES LA MORT. Malgr de louables efforts, il na pu condenser le tout en 300 pages comme il avait prvu de le faire, mais personne na jamais song sen plaindre.

Les critiques seront logieuses, par exemple cet extrait des registres des messages par incorporation TOURS :

Je veux parler du temps qui scoule entre les preuves imposes et la rcompense. Je dois le redire, tout charme dans ces pages malgr la gravit du sujet.

Monsieur DUCASSE-HARISPE dit galement :

Tout livre est bon qui nous incite devenir meilleur. Lisez ce livre. Il est dune philosophie sereine et profonde. Cest un livre quon garde et quon relit.

On peut noter encore le tmoignage de cet homme qui vient de perdre sa femme, athe comme lui. Il rentre en lui-mme et mdite, scrute les mystres, les religions, lit les philosophes et crit :

Je ntais pas sans savoir, dune faon gnrale en quoi consistait le spiritisme, mais lorsquon est bien portant avec devant soi des annes, pourquoi sembarrasser de ces questions de lau-del ? On a parfois, devant limmensit des mondes, lintuition dune intelligence cratrice. Dieu ne fait en nous que de fugitives apparitions. On pense vivre et tout coup, la Mort. Jai lu Allan KARDEC, dautres traitant des questions spirites. Jai lu APRES LA MORT et jai pleur les plus douces larmes de ma vie. On nous a dit, des crivains, des journalistes, des penseurs vous ont crit que ctait l un trs beau livre. Ce nest pas cela. Ce livre, je voudrais tre riche pour lditer par millions et le voir dans toutes les mains, sur toute la terre. Rien ne sera jamais crit dans aucune langue qui soit si grand et si beau.

A partir de 1889 commencent de grandes tournes de confrences.

En 1890, il prpare un nouvel ouvrage : LE MATERIALISME ET LE SPIRITUALISME EXPERIMENTAL DEVANT LA SCIENCE ET DEVANT LA RAISON.

En 1891, autre tourne de confrences dans le midi, puis en Normandie.

Jean JAURES, alors professeur de philosophie et adjoint au Maire de Toulouse, lui ouvre la salle de confrences de la facult des lettres.

En 1892, La Duchesse De POMAR linvite pour parler de spiritisme ses matines clbres qui runissent le Tout-Paris. Lon DENIS accepte : lauteur dAPRES LA MORT est maintenant class comme un crivain de premier ordre.

Suit un cycle de confrences en Belgique en 1893.

La mme anne, LYON, il dveloppe le thmes des croyances et des ngations de son poque : LE SPIRITISME DEVANT LA RAISON. Cette mme anne BORDEAUX, la presse locale refuse dannoncer les confrences. Elles eurent lieu tout de mme dans la salle des ftes de la brasserie des chemins de fer, devant un millier dauditeurs dont beaucoup de Magistrats, de Prtres.

En 1894, les mmes confrences remportent un clatant succs, toujours BORDEAUX, mais cette fois dans la salle de lAthne.

Rien ne rebute Lon DENIS, soldat dune cause quil a faite sienne.

Au dbut de 1895, on lui demande de parler de spiritisme dans le BORINAGE devant un auditoire compos de mineurs. Il aborde pour la premire fois le SPIRITISME SOCIAL. Lon DENIS aime ces populations minires, frustres mais non dnues de solides qualits.

Entre 1895 et 1896, il se consacre diffrents exposs :

DU PROBLEME DE LA VIE ET DE LA DESTINEE

LIDEE DE DIEU

LE MIRACLE DE JEANNE DARC.

1897 : Anne record, puisquil effectue vingt-cinq confrences sur ces sujets.

1898 : A loccasion du cinquantenaire du spiritisme, il largit son champ daction en parlant la HAYE.

1899 : Encore quatorze confrences sur LE SPIRITISME DANS LE MONDE ET LIDEE DE DIEU.

En 1900 il prend sept fois la parole ALGER et continuera ensuite ses confrences en France avec toujours un norme succs.

En 1903 : son sujet de prdilection sera Jeanne DARC.

Sa mre dcdera cette anne-l et ses obsques auront lieu TOURS le 19 novembre. Lon DENIS ne manquait jamais de lui crire au cours de ses voyages pour la tenir au courant de ses succs ou de ses checs oratoires. Lorsquil rentrait TOURS rue de lAlma il retrouvait grce elle lambiance paisible qui lui tait ncessaire.

A VALENCE, quelques jours aprs, Henri BRUN et Henri SAUSSE, les dvous dirigeants de la fdration lyonnaise, viennent lui exprimer la profonde sympathie de leurs adhrents.

Ainsi, chaque anne Lon DENIS simpose la fatigue de ces tournes continuelles, au sein dauditoires mls o il doit rpondre aux sarcasmes dadversaires plus ou moins loyaux.

Cinq confrences en 1905, six lanne suivante, huit en 1907.

1908 marque la fin de cette longue tape oratoire rpartie sur trente-cinq annes, et comprenait prs de trois cents confrences.

Le pays tout entier avait donc t mme de cueillir le bon grain de la rvlation.

En 1890, Monsieur PERINNE, Magistrat la cour dappel dALGER et LEJEUNE, intendant de larme METZ, viennent sinstaller TOURS. Tous deux sont spirites. Cest avec leur concours que Lon DENIS forme le groupe de LA RUE DU REMPART. Bien des guides se rvlrent au groupe, anonymes ou intimes, mais les deux principaux inspirateurs du groupe sont Jrme De PRAGUE et LESPRIT BLEU.

Jrme fournit au groupe les enseignements philosophiques, lucide les points obscurs, explique les contradictions apparentes de notre doctrine. Son dsir est de voir fusionner le spiritisme avec le christianisme rgnr, dbarrass de ses dogmes.

LESPRIT BLEU (ainsi nomm parce que les mdiums le voient invariablement envelopp dun voile bleu) possde un rayonnement intense et remplace, au soir de la vie du Matre, la lumire qui se retire de son regard. Il donne des enseignements gnraux relatifs surtout la famille et lducation des enfants.

Lensemble constitue un enseignement complet, philosophique et moral, conforme aux principes exposs par Allan KARDEC, mais revtant une forme plus loquente et plus persuasive.

En aot 1898, parution du livreCHRISTIANISME ET SPIRITISME.

Nous savons, dit lauteur dans sa premire prface, tout ce que la doctrine du Christ contient de sublime ; nous savons quelle est par excellence une doctrine damour, une religion de piti, de misricorde, de fraternit parmi les hommes. Mais est-ce bien cette doctrine quenseigne lEglise romaine ? La parole du Nazaren nous a-t-elle t transmise pure et sans mlange, et linterprtation que lEglise nous donne est-elle exempte de tout lment tranger et parasite ?

Tels sont les points que lauteur se propose dlucider en toute bonne foi.

Louvrage comprend quatre parties :

* Les vicissitudes de lvangile ;* La doctrine secrte du christianisme ;* Relations avec les esprits des morts ;* La nouvelle rvlation.

Son tude impartiale ne tend qu jeter un peu de lumire dans une question dun intrt capital. Pourtant les attaques lui viennent du ct catholique et protestant.

En exposant sa thse, Lon DENIS nobit aucun calcul, il sert lide quil croit vraie.

Du ct catholique on sest mpris sur les intentions de lauteur. Pourtant il a expressment dclar ds lintroduction :

Ce nest pas un sentiment dhostilit ou de malveillance qui a dict ces pages. De la malveillance, nous nen avons aucune ide, pour aucune personne. Quelles que soient les erreurs ou les fautes de ceux qui se recommandent au nom de Jsus et de sa doctrine, ils ne peuvent diminuer le profond respect et la sincre admiration que nous avons pour la pense du Christ.

Il crit plus tard :

Le christianisme porte en lui des lments de progrs, des germes de vie sociale et de moralit qui, en se dveloppant, peuvent produire de grandes choses, soyons donc chrtiens mais en nous levant au-dessus des confessions diverses, jusqu la source pure do lvangile est sortie. Le christianisme ne peut-tre ni jsuite, ni jansniste, ni huguenot ; ses bras sont largement ouverts toute lhumanit.

Si de telles paroles ne peuvent satisfaire, dans son ensemble, le clerg catholique ou protestant, elles sont susceptibles de rallier un grand nombre de chrtiens.

Les journalistes de LA FRONDE et de LA REVUE DE LA FRANCE MODERNE sont favorables au livre. Le REFORMATEUR crit :

Nous ne saurions donner au lecteur une ide, mme affaiblie, de cet ouvrage extraordinaire, de la vigueur et de lloquence de ces pages o lauteur a su dployer toute la lucidit de son me de philosophe, de penseur et dartistes et encore une fois le succs vient rcompenser lcrivain.

Au congrs du 16 septembre 1900 PARIS, Lon DENIS est nomm prsident effectif assist de Monsieur H. DURVILLE pour la section magntisme, et Monsieur GILLARD pour la thosophie. Le Docteur ENCAUSSE (Paris) est maintenu dans ses fonctions de secrtaire.

Victorien SARDOU, RUSSEL, WALLACE et AKSAKOFF participent ces deuximes assises spiritualistes, chacun au titre de prsident dhonneur.

Ds la sance douverture. Lon DENIS exprime sa confiance dans les destines du spiritualisme moderne. Il aborde les questions suivantes :

Ce caractre particulier du spiritisme, quel est-il ?

Quelle sera laction du spiritisme dans le domaine de la pense ?

Monsieur Firmin NEGRE fait dintressantes dclarations sur les facults mdiumniques communes tous les hommes. Lon DENIS, le Matre de Tours, a apport sur ce point une contribution des plus prcieuses. Le Docteur MOUTIN, prsident de la Socit Franaise dtude des phnomnes psychiques, apporte toute une srie dobjections relatives la thse rincarnationiste. Lon DENIS dploie toutes les ressources de sa conviction sappuyant sur la thse kardciste, quil estime capitale.

Il examine ensuite les thories contraires, ne laissant aucune objection sans rponses.

La doctrine de linitiateur nest pas sans subir des atteintes assez brutales, mais le disciple a tenu prciser sa propre pense devant tous.

Ce qui caractrise aujourdhui le spiritisme, cest le maintien des principes fixs par Allan KARDEC et son dveloppement constant par les mthodes exprimentales.Cependant, pour nous le spiritisme nest pas tout en KARDEC ; le spiritisme cest une doctrine universelle et ternelle, qui a t proclame par toutes les grandes voix d