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  • 7/26/2019 issue nr. 13: 10. Le pouvoir civil chez Machiavel, entre Tite-Live et le droit romain Romain Descendre (cole No

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    Rivista semestrale online /Biannual online journal

    http://www.parolerubate.unipr.it

    Fascicolo n. 13 / Issue no. 13Giugno 2016 / June 2016

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    Direttore/EditorRinaldo Rinaldi (Universit di Parma)

    Comitato scientifico/Research Committee

    Mariolina Bongiovanni Bertini (Universit di Parma)Dominique Budor (Universit de la Sorbonne Nouvelle Paris III)Roberto Greci (Universit di Parma)Heinz Hofmann (Universitt Tbingen)Bert W. Meijer (Nederlands Kunsthistorisch Instituut Firenze / Rijksuniversiteit Utrecht)Mara de las Nieves Muiz Muiz (Universitat de Barcelona)Diego Saglia (Universit di Parma)Francesco Spera (Universit di Milano)

    Segreteria di redazione/Editorial StaffMaria Elena Capitani (Universit di Parma)

    Nicola Catelli (Universit di Parma)Chiara Rolli (Universit di Parma)

    Esperti esterni (fascicolo n. 13)/External referees (issue no. 13)Guglielmo Barucci Universit Statale di MilanoJean-Louis Fournel Universit de Paris VIII Vincennes Saint-DenisGiorgio Inglese Universit di Roma La SapienzaPasquale Stoppelli Universit di Roma La Sapienza

    Maurizio Viroli Princeton University

    Progetto grafico/Graphic design

    Jelena Radojev (Universit di Parma)

    Direttore responsabile: Rinaldo RinaldiAutorizzazione Tribunale di Parma n. 14 del 27 maggio 2010 Copyright 2016 ISSN: 2039-0114

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    INDEX / CONTENTS

    Speciale MachiavelliADDURRE ANTICHI ESEMPI.MACHIAVELLI LETTORE DEI CLASSICI

    a cura di Jean-Jacques Marchand

    Presentazione 3-15

    Paradigmi machiavelliani. Citazioni, allusioni e riscritture

    di classici nel PrincipeANNA MARIA CABRINI(Universit Statale di Milano) 17-32

    Da Livio a Machiavelli. Annibale e Scipione in Principe, XVII

    JEAN-JACQUES MARCHAND (Universit de Lausanne) 33-49

    Tessere virgilianeGIULIO FERRONI (Universit di Roma La Sapienza) 51-64

    Le ragioni della forzatura. Laltro Livio di MachiavelliRINALDO RINALDI (Universit di Parma) 65-75

    Veritas filia temporis. Machiavelli e le citazioni

    a chilometro zero

    FRANCESCO BAUSI(Universit della Calabria) 77-87

    Machiavelli plautino. Qualche scheda teatrale

    MARIA CRISTINA FIGORILLI (Universit della Calabria) 89-104

    Asino e asini. Una lunga storia

    GIAN MARIO ANSELMI(Universit di Bologna) 105-117

    Machiavel, la guerre, les anciens. Les antichi scrittori

    dans lArte della guerra

    JEAN-CLAUDE ZANCARINI (cole Normale Suprieure de Lyon) 119-151

    Le pouvoir civil chez Machiavel, entre Tite-Live et le droit romainROMAIN DESCENDRE(cole Normale Suprieure de Lyon) 153-169

    MATERIALI /MATERIALS

    Una riscrittura ovidiana. Schede per la Fabula di Narciso

    ALESSANDRA ORIGGI (Freie Universitt Berlin) 173-185

    Due ipotesti per un testo. La settima novella di Francesco MariaMolzaARMANDO BISANTI (Universit di Palermo) 187-197

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    Parole Rubate / Purloined Letters

    http://www.parolerubate.unipr.it

    Fascicolo n. 13 / Issue no. 13 Giugno 2016 / June 2016

    ROMAIN DESCENDRE

    LE POUVOIR CIVIL CHEZ MACHIAVEL,

    ENTRE TITE-LIVE ET LE DROIT ROMAIN

    La continua lezione des choses antiques qui, indissociablement

    jointe la lunga esperienzia delle cose moderne,1

    est au fondement delcriture et du savoir machiavliens, dtermine des formes dintertextualit

    varies qui ne se rsument pas des citations explicites. Le plus souvent,

    Machiavel cite de manire voile, sans faire directement rfrence aux

    textes ou aux auteurs qui nourrissent sa rflexion. Le fait mme que les

    Discorsi sopra la prima Deca di Tito Livio soient conus comme une glose

    de Tite-Live et, par del Tite-Live, dune large part de lhistoire romaine

    y rend le plus souvent inutiles les citations de ce quil considre comme

    linfra-texte de son uvre et qui, par ailleurs, appartient au patrimoine

    commun des lettrs de cette poque. Plus gnralement, suivant une

    pratique alors commune, plutt qu de vritables citations Machiavel

    procde des remplois ou des rcritures qui conduisent souvent laisser

    1Cf. N. Machiavelli, Il Principe, dans Id., Opere, a cura di C. Vivanti, Torino,Einaudi Gallimard, 1997, vol. I, p. 117 (Dedica).

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    dans lombre le titre ou lauteur de sa source. Ce procd a pu conduire les

    lecteurs modernes ne plus reconnatre ces sources, a fortioriquand elles

    paraissent moins videntes pour la rflexion machiavlienne, ce qui estnotamment le cas du corpus du droit romain. De la sorte, les raisons des

    choix et des modalits dusage de certains termes ou concepts centraux de

    luvre machiavlienne ont pu devenir obscurs. Il en a longtemps t ainsi

    dun adjectif aussi dcisif que civile, qui peut donner lieu dans le cas des

    deux principales locutions au sein desquelles il apparat, principe civileet

    vivere civile des interprtations errones ou partielles sil nest pas reliaux citations pour ainsi dire indirectes sur lesquelles ces locutions prennent

    appui.

    1.Le bon prince auxenfers

    La forte attraction exerce par Il Principea contribu un oubli dufait que Machiavel a propos dans dautres textes un modle de principat

    trs diffrent de celui quil prsente dans son clbre trait. Ds quil sort

    de la problmatique des principats nouveaux, marque par une qualit de

    tempi2qui oblige laisser de ct el ragionare delle legge pour ne parler

    que delle arme,3 la rflexion quil mne sur le principat prsente un

    aspect tout fait diffrent. Plus traditionnelle, cette rflexion engage

    directement la question des limites de la souverainet et exprime une

    position fondamentalement lgalitaire. On peut ainsi distinguer entre

    plusieurs types danalyses politiques, selon que Machiavel se place du

    point de vue des armes ou du point de vue des lois : une distinction de

    points de vue qui est au moins aussi pertinente que lopposition entre

    2Cf. ibidem, p. 187 (XXV).3Cf. ibidem, p. 150 (XII).

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    Romain Descendre,Le pouvoir civil chez Machiavel 155

    principat et rpublique, gnralement utilise pour rendre compte des

    diffrences entre Il Principe et les Discorsi. Il convient cependant de

    prciser demble que je nidentifie en aucun cas cette position plusmodre avec le rpublicanisme prsum de Machiavel. Il sagit plutt de

    reconnatre dans le corpus machiavlien la prsence dune ligne de pense

    plus proche de la tradition juridico-politique, dont la validit nest

    aucunement circonscrite aux contextes rpublicains. Une ligne quil faut

    rattacher au lien entre Machiavel et la langue du droit, sur lequel Diego

    Quaglioni a attir lattention des chercheurs.4

    Tout oriente quelle est vers la vrit effettuale5 des processus

    historiques, la pense politique de Machiavel, contrairement celle de bien

    de ses prdcesseurs et contemporains, ne se donne certes pas pour but

    doffrir un modle thico-politique qui permettrait didentifier quels

    seraient les traits permanents dun bon prince et dun pouvoir juste. Il

    existe nanmoins dans le corpus machiavlien au moins un cas degouvernement suffisamment exemplaire pour avoir les traits dun idal-

    type. Pour le trouver il faut cependant laisser de ct le genus narrativum

    de lhistoria et opter pour le contexte ironique dun exemplum mdival

    devenu fabula, la Favola, prcisment (intitule aussi Belfagor

    arcidiavolo), dont les premires pages sont occupes par le discours de

    Pluton, roi des enfers.

    Les principaux commentateurs de la nouvelle ont fait de Pluton la

    figure idale dun prince libral, rationnel, clair, utopique, voire celle

    dun parfait rpublicain ; en un autre lieu, jai linverse voulu mettre en

    vidence le fond juridique trs prcis qui permettait mon sens de saisir

    4 Voir D. Quaglioni, Machiavelli e la lingua della giurisprudenza, dans Ilpensiero politico, XXXII, 1999, p. 171-185.

    5Cf. N. Machiavelli,Il Principe, cit., p. 159 (XV).

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    bien mieux le sens de son discours.6 Ce dernier nest en effet quune

    rcriture de ce qui constituait, lpoque du droit commun, la communis

    opiniodes juristes en matire de thorie de la souverainet. Plutonconvoque en conseil les diables de sa cour infernale pour les consulter au

    sujet des accusations que les damns portent contre leurs propres pouses,

    censes tre responsables de leurs pchs. Le roi sadresse eux en ces

    termes :

    Ancora che io [] possegga questo regno, e che per questo io non possa essereobligato ad alcuno iudicio [] nondimeno, perch gli maggiore prudenza di quelli chepossono pi, sottomettersi pi alle leggi e pi stimare laltrui iudizio, ho deliberato esserconsigliato da voi come [] io mi debba governare.7

    Dans ce que le Pluton de Machiavel appelle la prudenza di quelli

    che possono pi est en jeu une question centrale du droit public pr-

    moderne, larticulation ncessaire entre les principes opposs du caractre

    absolu ou limit de la souverainet. Pluton prsente son propre pouvoir ense rappropriant la solution apporte par la pense juridique mdivale au

    problme de la souverainet : lacceptation pacifie de la division entre les

    deux visages du pouvoir.8 Il sagit de la mise en concordance, propre

    lcole bolonaise de droit civil, de deux motifs antithtiques mais prsents

    part gale dans le Corpus iuris civilis: la formule dUlpien princeps

    legibus solutus et le principe inverse du prince plac au-dessous du droit.Labsolutio legibus est affirme ds le premier livre du Digeste (1.3.31) ;

    6 Voir R. Descendre, La prudenza di Plutone. Principe, leggi e consiglio inMachiavelli, dans Il pensiero della crisi. Niccol Machiavelli e Il Principe,Convegno Internazionale Roma 24-25 gennaio 2013, a cura di G. Pedull, sous presse.

    7

    N. Machiavelli, Favola, in Id., Opere, cit., 2005, vol. III, p. 81-82.8Voir E. Cortese,Il problema della sovranit nel pensiero giuridico medioevale,Roma, Bulzoni, 1966, p. 71-154 ; D. Quaglioni, La sovranit, Bari-Roma, Laterza,2002.

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    Romain Descendre,Le pouvoir civil chez Machiavel 157

    linstance lgalitaire est prcise par la constitution Digna vox au premier

    livre du Code. Dans cette dernire, les empereurs affirment que :

    Digna vox est maiestate regnantis legibus alligatum se principem profiteri: adeode auctoritate iuris nostra pendet auctoritas. Et revera maius imperio est submitterelegibusprincipatum.9

    En tant que souverain prudent, Pluton se soucie de citer lun et

    lautre de ces deux principes, absolutiste et lgalitaire, au sein dune seule

    et mme phrase qui, dans sa syntaxe mme, entend faire concorder deux

    rgles discordantes. La parole de Pluton se prsente donc elle-mme

    comme digna vox, parole digne de la majest de celui qui rgne, tout en

    rappelant le fait quelle ne peut tre obligata.

    Pluton citant le Corpus iuris civilis : un cas ajouter tous ceux qui

    permettent de montrer que Machiavel tait familier de la langue du droit,

    qui ntait autre que la langue mme du pouvoir.10 Parmi de nombreux

    exemples probants se dtache en particulier le binme justice et armes(ou

    lois et armes), emblmatique de lensemble de la pense machiavlienne,

    emprunt directement la constitutionImperatoriam maiestatem qui ouvre

    lesInstitutionesde Justinien.11Cit plusieurs reprises et rig en principe

    fondateur de toute forme de pouvoir politique (en particulier au dbut deLa

    cagione dellordinanzaet du chapitre XII du Principe), ce binme propre

    au droit public romain acquiert un rle structurel dans la Favola de

    Belfagor : si dun ct les bonnes lois sont personnifies par Pluton (le

    souverain de la cour infernale paenne est juste et respecte les normes de

    droit), les bonnes armes sont propres au travailleur Gianmatteo del Brica :

    9

    Codex1.14.4.10Voir D. Quaglioni,Machiavelli e la lingua della giurisprudenza, cit., p. 65.11VoirJustice et armes au XVIesicle, dossier coordonn par D. Quaglioni et J.-

    C. Zancarini, dans Laboratoire Italien. Politique et Socit, 10, 2010.

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    Parole Rubate / Purloined Letters158

    un ouvrier agricole du contado, au mme titre que les membres de la milice

    de lordinanza cre par le Secrtaire florentin ; un homme imptueux qui,

    afin de se dbarrasser du diable a tent sa fortune et a conu, au moyen desarmes de sa propre vertu, un stratagme qui lui permet de vaincre le

    malin.12

    Mais la digna voxde Pluton ne tmoigne pas seulement du fait que

    Machiavel hrite de la langue juridique et quil fasse un usage conscient

    des sources traditionnelles du droit savant. Ce passage qui ouvre la Favola

    donne un contenu prcis ce quest lexercice dun pouvoir juste. Dansdautres textes, Machiavel donne ce type de pouvoir une qualification

    prcise et lassimile la notion de civilt. Dans les Discorsi, il qualifie de

    civiletoute configuration de pouvoir fonde sur la lgalit, o les lois et les

    ordres sont respects aussi et surtout par celui qui exerce le

    commandement. Le vivere civile, loin dtre identifi au rgime rpublicain

    et dtre dfini par la participation active et vertueuse des citoyens augouvernement (comme le voudraient les interprtes qui plaquent la pense

    machiavlienne sur les paradigmes du rpublicanisme classique ou de

    lhumanisme civique), est une certaine articulation entre le pouvoir, le droit

    et les institutions ; ou encore, comme dans le discours de Pluton, entre

    gouvernement, lois et conseils.13

    2. A quella ora ei cominciano a perdere lo stato che cominciano a

    rompere leleggi

    Les Discorsi dcrivent en ces mmes termes aussi bien les ordini

    originaires de Rome que ceux du royaume de France, les deux tats qui, de

    12Voir N. Machiavelli, Favola, cit., p. 85-89.13 Voir R. Descendre, Quest-ce que la vie civile? Machiavel et le vivere

    civile, dans Transalpina, 17, 2014, p. 21-40.

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    Romain Descendre,Le pouvoir civil chez Machiavel 159

    tous temps, ont t les mieux ordonns aux yeux de Machiavel. Dans le

    chapitre 9 du premier livre, la violence originaire de Romulus est justifie

    dans la mesure o elle sert les fins poursuivies par le prudent ordonnateurdune rpublique, cest--dire la fondation dun viverecivil et libre, et non

    pas absolu et tyrannique, comme le dmontre sa soumission aux conseils

    du snat quil a lui-mme immdiatement cr :

    E [] che quello che fece, fusse per il bene comune, e non per ambizionepropria, lo dimostra lo avere quello subito ordinato uno Senato, con il quale si

    consigliasse, e secondo la opinione del quale deliberasse.14

    Non seulement le pouvoir royal nest pas contradictoire avec le

    vivere civile, mais pour fonder ce dernier il est prfrable dtre roi. Au

    niveau des institutions la diffrence entre lordre monarchique civil et

    lordre rpublicain est de toute faon des plus rduites :

    Il che si vide poi quando Roma divenne libera per la cacciata de Tarquini,dove da Romani non fu innovato alcun ordine dello antico, se non che, in luogo dunoRe perpetuo, fossero due Consoli annuali; il che testifica, tutti gli ordini primi di quellacitt essere stati pi conformi a uno vivere civile e libero, che a uno assoluto etirannico.15

    Pour Machiavel, lalternative la plus dcisive nest pas entre le

    principat et la rpublique, mais entre vivere civil et vivere absolu, vivere

    libre et vivere tyrannique.16 Assimiler absolutisme et tyrannie ne revient

    pas prendre une position que lon pourrait gnriquement dfinir comme

    rpublicaine, mais correspond une exigence lgalitaire typique du

    patrimoine juridico-politique de la fin du Moyen ge. Une exigence qui

    14N. Machiavelli,Discorsi sopra la prima deca di Tito-Livio, in Id., Opere, cit.,

    vol. I, p. 224 (I, 9).15Ibidem (I, 9).16Voir G. Inglese, Per Machiavelli. Larte dello stato, la cognizione delle storie,

    Roma, Carocci, 2006, p. 137.

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    Parole Rubate / Purloined Letters160

    sexprime la fois dans linstitution dun snat comme organe de conseil et

    dans la soumission volontaire du prince aux lois, mise en vidence ds le

    chapitre suivant des Discorsi. Machiavel y enjoint celui qui diventatoprincipe in una republica on pense bien sr la Florence de ces annes

    l considrer quanta laude, poich Roma fu diventata imperio,

    meritarono pi quelli imperadori che vissero sotto le leggi e come principi

    buoni, che quelli che vissero al contrario.17Civil est tout pouvoir que lon

    exerce dans les limites des lois et des ordres ; absolu, tout pouvoir

    extraordinaire, que lon acquiert et que lon conserve sans tenir compte desordres. La dictature romaine neut jamais deffet nuisible sur la vie civile

    parce quelle tait instaure par des voies ordinaires ; ce fut le contraire

    dans le cas des Dcemvirs, institus par des voies extraordinaires, puisque

    dans ce cas furent abolis les pouvoirs de toutes les autres magistratures

    snat, consuls, tribuns.18

    La rflexion sur le royaume de France est riche denseignementsquant lexigence lgalitaire qui traverse la pense de Machiavel sur le

    pouvoir monarchique. Au chapitre 16 du premier livre, il donne ainsi en

    exemple la fidlit des rois franais au principe de lobligation volontaire

    du prince la loi le principe mme de la constitution Digna vox : In

    esemplo ci il regno di Francia, il quale non vive sicuro per altro che per

    essersi quelli re obligati a infinite leggi, nelle quali si comprende la sicurt

    di tutti i suoi popoli.19Au chapitre 58 est envisage la question du frein

    des lois en France. Lorsquil est dli des lois, le prince nest pas moins fou

    que la multitude, il lest mme plus encore. linverse, la France ce

    royaume plus modr par les lois que tout autre royaume offre lexemple

    17

    Cf. N. Machiavelli, Discorsi sopra la prima deca di Tito-Livio, cit.,p. 226-227 (I, 10).18Voir ibidem, p. 271-275 (I, 34-35).19Cf. ibidem, p. 242 (I, 16).

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    Romain Descendre,Le pouvoir civil chez Machiavel 161

    de rois dont la bont provient du fait quils ne peuvent rompere quel freno

    che gli pu correggere.20 Si les rois ne peuvent le faire, le mrite en

    revient principalement au parlement, qui devient lobjet des attentions duFlorentin au chapitre 1 du troisime livre. Dans le cadre de la rflexion sur

    la ncessit, a volere che una stta o una republica viva lungamente, de

    ritirarla spesso verso il suo principio,21 le parlement parisien apparat

    comme la traduction institutionnelle de cette mme thse, de la mme

    faon que lavaient t, pour la rpublique romaine, i tribuni della plebe, i

    censori, e tutte laltre leggi che venivano contro allambizione ed allainsolenzia degli uomini.22 Ici, la fonction anti-absolutiste du parlement

    apparat vidente ; le royaume, dont les parlementaires sont les gardiens

    institutionnels, doit se protger des rois :

    E si vede quanto buono effetto fa questa parte nel regno di Francia, il qualeregno vive sotto le leggi e sotto gli ordini pi che alcuno altro regno. Delle quali leggied ordini ne sono mantenitori i parlamenti, e massime quel di Parigi; le quali sono da luirinnovate qualunque volta ei fa una esecuzione contro ad un principe di quel regno, eche ei condanna il re nelle sue sentenze.23

    Il est probable que Machiavel ait nettement survalu la capacit du

    parlement parisien condamner le roi dans ses arrts : il semble en effet

    prendre pour de pures et simples condamnations les vrifications des lois

    manes par le roi, qui contribuaient constituer la curia regiscommepars

    corporis principis, au mme titre, disaient les parlementaires, que le snat

    romain. Comme lcrivait Claude de Seyssel dans saMonarchie de France,

    le parlement autorisait les lois du roi ; il faisait partie de ses prrogatives

    de juger de la civilit ou incivilit des lettres et rcrits des rois, cest--

    20

    Cf. ibidem, p. 316 (I, 58).21Cf. ibidem, p. 416 (III, 1).22Cf. ibidem, p. 417-418 (III, 1).23Ibidem, p. 419-420 (III, 1).

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    Parole Rubate / Purloined Letters162

    dire de leur conformit aux lois et ordonnances du royaume, et ce

    prcisment parce que, encore et toujours en accord avec la constitution

    Digna vox que Seyssel rappelait explicitement, le prince devait sesoumettre aux lois.24

    Linsistance de Machiavel sur les leggi e ordini, tout comme celle de

    Seyssel sur les lois et ordonnances, tmoigne dune orientation lgalitaire

    qui connat une nette accentuation au livre troisime des Discorsi. Au

    chapitre 5 du troisime livre, il est expliqu que Tarquin le Superbe a t

    chass, et donc que le royaume est tomb, non pas en raison du viol deLucrce mais uniquement per avere rotte le leggi del regno, e governatolo

    tirannicamente; avendo tolto al Senato ogni autorit, e ridottola a s

    proprio.25Machiavel en dduit une rgle qui se situe dans le droit fil de la

    tradition juridique mdivale, toujours attentive la conservation des lois et

    des coutumes antiques :

    Sappino adunque i principi, come a quella ora ei cominciano a perdere lo statoche cominciano a rompere le leggi, e quelli modi e quelle consuetudini che sonoantiche, e sotto le quali lungo tempo gli uomini sono vivuti.26

    Il est par ailleurs si facile de gouverner, nous dit-on dans la mme

    page, pour qui se soumet aux lois et respecte les coutumes ! Ici, parat trs

    24Cf. C. de Seyssel,LaGrant Monarchie de France, Paris,Regnault-Chaudire,1519, f. Xr-XIv. Sur les affinits entre Seyssel et Machiavel, voir, outre les tudes deJack H. Hexter, J.-L. Fournel,Lcriture du gouvernement et de la force en France et en

    Italie au dbut du XVIe sicle, dans Autour de Claude de Seyssel. crire lhistoire,penser la politique en France laube des temps modernes, Rennes, PressesUniversitaires de Rennes, 2010, p. 99-116. Sur lidologie des parlementaires franaisqui, lpoque de Machiavel, articulaient troitement la rfrence la constitution

    Digna voxet la revendication des prrogatives parlementaires, voir J. Krynen,Ltat dejustice (France, XIIIe-XXe sicle), vol. I :Lidologie de la magistrature ancienne, Paris,

    Gallimard, 2010.25 Cf. N. Machiavelli, Discorsi sopra la prima Deca di Tito Livio, cit.,p. 424 (III, 5).

    26Ibidem, p. 425 (III, 5).

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    Romain Descendre,Le pouvoir civil chez Machiavel 163

    lointaine lide du caractre invitable des conflits civils, comme si les

    ordres dun royaume bien rgl suffisaient les effacer. Il ne sagit

    pourtant pas dune palinodie par rapport au Principe, prcisment parceque lopuscule soccupait des principats nouveaux et non de ceux qui

    sappuyaient sur de longues traditions coutumires ; par ailleurs, on y

    trouvait dj formul le principe selon lequel nelli stati ereditari e

    assuefatti al sangue del loro principe, sono assai minore difficult a

    mantenergli che ne nuovi, perch basta solo non preterire gli ordini de sua

    antinati.27

    Ajoutons que la nature civile du royaume de France tait enfin

    raffirme dans Dellarte della guerra. Machiavel y affirmait le caractre

    souhaitable du pouvoir absolu uniquement en contexte militaire :

    Perch i regni che hanno buoni ordini, non danno lo imperio assoluto agli lorore se non nelli eserciti; perch in questo luogo solo necessaria una subita diliberazione

    e, per questo, che vi sia una unica podest.

    28

    Le royaume de France, prcisment, limitait la guerre limperio

    assoluto du souverain.

    3.Du civilis princeps au principe civile

    Quel lien entretient avec cette conception dune royaut civile la

    notion de prince civil telle que Machiavel lemploie dans un seul et unique

    passage, le chapitre IX du Principe ? Il faut prendre acte du fait que cette

    locution est un hapax dans les crits machiavliens. Sans doute cette

    catgorie, telle quelle avait t expose dans le chapitre IX, conduisait-elle

    une aporie aux yeux de son auteur, ou lui apparaissait-elle peu

    27Cf. Id.,Il Principe, cit., p. 120 (II).28Id.,Dellarte della guerra, in Id., Opere, cit., vol. I, p. 541 (I).

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    fonctionnelle. Pour autant, concevoir un prince civil ntait ni

    particulirement ardu ni contradictoire. Comme nous lavons vu, diffrents

    princes pouvaient tre considrs comme civils : les rois de Rome, ceux deFrance ou encore Pluton, prince des enfers. La chose tait videmment

    concevable Florence aussi ; en 1514, Machiavel crit Francesco Vettori,

    propos de Laurent de Mdicis, quil ne se dpartit pas de la vie civile, afin

    de souligner justement quil ne gouverne pas de faon absolue ou

    tyrannique et quil respecte les institutions et coutumes de Florence :

    Lordine della sua casa cosi ordinato, che ancora vi si vegga assaimagnificenza e liberalit, nondimeno non si parte da la vita civile, talmente che in tutti e

    progressi suoi estrinseci et intrinseci non vi si vede cosa che offenda, o che siareprensibile; di che ciascuno pare ne resti contentissimo.29

    Mais il est dautres motifs pour rfuter lide selon laquelle

    lexpression prince civil pourrait tre considre comme oxymorique ou

    paradoxale. Les commentateurs attribuent gnralement Machiavellinvention de cette ide. tort : la notion de civilis princepsappartenait au

    patrimoine des ides juridico-politiques transmises par lhistoriographie

    romaine. La notion apparut lorsqu Rome disparaissait la Rpublique,

    quand il devint ncessaire de tracer la figure nouvelle du prince sans pour

    autant renoncer aux valeurs civiles traditionnelles. Dans les sources

    dpoque impriale, le princeps tait dit civilis cest--dire citoyen afinde mettre laccent sur le fait quil ne devait pas sloigner des coutumes

    propres la respublica. Lidal de la civilitas naissait au moment o les

    valeurs quil reprsentait risquaient de mourir, et il servait souligner la

    nature lgalitaire du nouvel imperium, la soumission du prince la loi, le

    29N. Machiavelli, Lettere, dans Id., Opere, cit., 1999, vol. II, p. 317. Il sagitdun fragment de lettre dont la date est incertaine (fvrier-mars 1514 ou 1515). Voir G.Inglese, Per Machiavelli. Larte dello stato, la cognizione delle storie, cit., p. 238.

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    respect du snat, du peuple et des magistratures.30En tant queprimus inter

    pares, citoyen dune communaut de citoyens dont il garantissait les droits,

    le princeps tait dit civilispar Sutone, Tacite ou Pline le Jeune, ds lorsque ses actes ntaient pas ceux dun monarque absolu. Tite-Live avait

    pour sa part cont des faits qui prcdaient de beaucoup linstitution du

    principat, mais il qualifiait dj de civil le respect des lois ou des tribuns de

    la part des patriciens, ou encore lexercice provisoire dun imperium.31

    Lidal juridique et lgalitaire de la civilitas ou du civilis princeps

    propre la tradition historiographique romaine chre Machiavel apparatainsi comme une source probable de son ide de vivere civile. Peut-on

    penser quil en est de mme pour sa dfinition du prince civil dans le

    Principe ? Dans ce cas, la dfinition ne porte pas sur lexercice du pouvoir

    mais sur son origine. Ce qui dtermine la civilitasdu prince civil est le fait

    davoir t conduit au pouvoir par les citoyens eux-mmes : quando uno

    privato cittadino [] con il favore delli altri sua cittadini diventa principedella sua patria, il quale si pu chiamare principato civile.32Or Rome,

    lpoque de la royaut, telle tait prcisment la voie ordinaire (conforme

    aux ordres de Rome, cest--dire aux rgles de droit public instaures

    aprs la mort de Romulus) par laquelle accder au pouvoir, selon les rgles

    dune monarchie lective dont tmoigne clairement Tite-Live.33 On

    devenait roi au moyen du iussum populi le dcret du peuple, runi en

    comices, par lequel il exprimait son consensus et donnait son suffrage ,

    30 Pour tout cela, voir I. Lana, Civilis, civiliter, civilitas in Tacito eSvetonio. Contributo alla storia del lessico politico romano nellet imperiale, dansAtti dellAccademia delle Scienze di Torino, 106, 1972, p. 465-487; A. Wallace-Hadrill, Civilis Princeps: Between Citizen and King, dans The Journal of RomanStudies, 72, 1982, p. 32-48; A. M. Pisapia, La civilitas del principe. Considerazionisu una nozione politico-giuridica antica, dans Scienza e Politica. Per una storia delle

    dottrine, 17, 1997, p. 87-102.31Voir Tite-Live,Ab Urbe Condita, VII, 5, 2 ; XXVII, 6, 4 ; XXXIII, 46, 3.32Cf. N. Machiavelli,Il Principe, cit., p. 143 (IX).33Voir Tite-Live,Ab urbe Condita, I, 17, 9.

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    confirm dans un second temps seulement par le snat.34Dans lesDiscorsi,

    Machiavel faisait prcisment allusion cette procdure, voque par Tite-

    Live pour souligner la lgitimit de laccession au pouvoir de TarquinlAncien (eum [] ingenti consensu populus Romanus regnare iussit),35

    lorsquil affirmait que Tarquin pensait possedere quel regno

    giuridicamente, essendogli stato dato dal popolo e confermato dal

    senato.36Dans le Principe, Machiavel avait en somme qualifi de civil le

    prince qui, selon lancien droit public de Rome, avait t constitu

    juridiquement selon le mot quil choisit ensuite dans les Discorsi. Dureste, cette ancienne doctrine avait par la suite donn lieu, lpoque

    impriale, la lexdite regia, en vertu de laquelle le peuple de Rome aurait

    transmis sapotestasauprinceps. Cette lex, qui sanctionnait la lgitimit du

    pouvoir du prince, resta prsente dans diffrents passages du Corpus iuris

    civilis(C. 1.17.1.7 ; D. 1.4.1 pr. ; Inst. 1.2.6) et fut constamment glose et

    commente par les lgistes du Moyen ge.Il demeure cependant vident que ces lments, bien que

    dterminants et insuffisamment pris en considration par les

    commentateurs, ne suffisent pas rendre compte eux seuls de la

    spcificit du chapitre IX du Principe. Aprs avoir donn du prince civil

    une dfinition en plein accord avec la doctrine traditionnelle, Machiavel

    sloigne de ce modle, de deux faons : en rintroduisant au cur de ce

    34Les rois illgitimes taient prcisment ceux qui navaient pas reu le iussumpopuli : voir ibidem, I, 41, 6 ; I, 46, 1 ; I, 49, 3.

    35Cf. ibidem, I, 35, 6.36Cf. N. Machiavelli, Discorsi sopra la prima Deca di Tito Livio, cit., p. 423

    (III, 4). Je souligne. Plus encore que sa source, le Florentin prend soin de relever lanature juridique de cette dlgation de pouvoir: la fois par lemploi de ladverbe et parla mention dune ratification par le snat. La nature juridique du pouvoir constituant

    tenait dans le fait que le iussumdu peuple se concrtisait dans une loi, la lex curiata deimperio, renomme plus tard, improprement, lex regia, confrant limperium, dabordau roi, plus tard auprinceps. Voir Z. Bujuklic,Leges regiae: pro et contra, dans Revueinternationale des droits de lAntiquit, XLV, p. 89-142.

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    Romain Descendre,Le pouvoir civil chez Machiavel 167

    discours le motif, chez lui fondamental, du conflit civil, et en divisant donc

    les citoyens en deux groupes, les grands et le peuple ; en laissant de ct la

    question de lorigine du pouvoir et en se concentrant sur son maintien.Devient dcisive lopposition entre le prince qui a le peuple pour ennemi et

    celui qui a pour ennemis les grands.37Or cette opposition ne concerne plus

    les seuls princes civils, mais tous les princes nouveaux et le but de

    Machiavel est uniquement de convaincre les princes de toujours conserver

    lamiti du peuple.38 Ds lors, il devient possible de donner Nabis en

    exemple, lui qui tait un tyran ex defectu titulinotoire, cest--dire lexactcontraire dun prince civil, mais qui tait sorti vainqueur dune situation

    militaire extrmement prilleuse uniquement parce quil avait su garder

    lamiti du peuple. Il nous faut donc bien reconnatre que le chapitre

    consacr aux principats civils ne soccupe rellement des princes dits civils

    qu son dbut ; linverse, le prince qui devient rapidement le sujet

    privilgi de Machiavel au cours du chapitre celui qui exerce son pouvoiren favorisant le peuple nest jamais appel civil.

    On sait quune difficult ultrieure apparat vers la fin du chapitre,

    lorsque le discours se dplace de nouveau, avec lvocation du pril

    encouru par les princes quando sono per salire da lo ordine civile allo

    assoluto.39 Civil et absolu sont ici deux catgories de nature

    constitutionnelle : il sagit des modalits de lexercice de la souverainet,

    qui peut tre partag entre le prince et les magistratures ou monopolis par

    le prince. Mme si, dans le dtail, linterprtation du passage reste

    controverse, le message quentend faire passer Machiavel est ici sans

    ambigut : si la forme constitutionnelle du principat est civile au sens o le

    37

    Voir N. Machiavelli,Il Principe, cit., p. 144 (IX).38 Cf. ibidem, p. 144-145 (IX) : Concluder solo che a uno principe necessario avere il populo amico, altrimenti non ha nelle avversit remedio.

    39Cf. ibidem, p. 145 (IX).

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    pouvoir y est partag, il est trop dangereux de le transformer dans la

    direction dun pouvoir absolu ; voil pourquoi, surtout lorsque les temps

    sont incertains, ce sera toujours au moyen dune solution purementpolitique que le prince pourra se maintenir au pouvoir (trouver uno modo

    per il quale e sua cittadini, sempre e in ogni qualit di tempo, abbino

    bisogno dello stato e di lui)40et non pas au moyen dune solution de type

    constitutionnel en changeant lordre du principat, de civil absolu.

    Comme tous les termes cl de la pense machiavlienne, lpithte

    civileprsente donc une plasticit vidente qui empche de la confiner dansune signification univoque. Selon les contextes et les substantifs dont il

    devient le prdicat, ladjectif dsigne tour tour le respect traditionnel des

    lois et des ordres de la part du souverain, une structure politique et sociale

    se distinguant par les garanties quelle assure aux droits des citoyens et par

    le respect des lois de la part des citoyens (en particulier de la part des

    grands, dont lambition doit tre contenue), la lgitimit originaire duprince conduit au pouvoir par ses propres concitoyens, un ordre

    institutionnel dfini par un pouvoir partag entre le prince et les

    magistratures. En dpit de cette extension smantique, le mot peut dans

    tous les cas tre rapport aux modalits travers lesquelles le patrimoine

    du droit romain et du droit commun est devenu la langue et la science du

    pouvoir au sein de la cit, cest--dire pour employer les mots de cette

    langue mme comme civilis scientia. Lassimilation du vivere civile la

    seule perspective rpublicaine est donc particulirement rductrice. Il est

    probable que la cit libre de lancien systme communal constitue pour

    ainsi dire la matrice de la civilt machiavlienne et reste son horizon de

    rfrence idal. Il nempche que pour lui la dimension civile du pouvoir

    transcende la bipartition entre rpubliques et principats et recouvre toute la

    40Cf. ibidem, p. 145-146 (IX).

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    question du rapport entre le pouvoir et le droit. Ce qui rend plus fluctuant et

    incertain le qualificatif dans le contexte du Princeest le fait que Machiavel

    entend y montrer que la lgitimit originaire du pouvoir ou les mutationsinstitutionnelles effectues pour en modifier lexercice comptent moins que

    les choix politiques faits pour le conserver : il ne suffit pas dtre arriv au

    pouvoir avec la faveur des citoyens et donc de possder juridiquement le

    principat (selon lexpression employe dans les Discorsi propos de ce

    prince civil quavait t Tarquin lAncien), il faut encore fonder ce pouvoir

    sur le peuple ; de la mme manire, il ne sert rien que le prince changelordre de son gouvernement, il doit agir envers les citoyens de telle sorte

    quils aient toujours besoin de lui.

    Comme il le prcisait au dbut du chapitre XII, Machiavel a dans le

    Principelaiss de ct el ragionare delle leggi pour parler delle arme.41

    Parler des armes signifiait parler du contexte politique et militaire

    ncessairement conflictuel lintrieur duquel le nouveau prince devaitassurer son propre pouvoir, et donc de la ncessit de se pourvoir de ces

    armes propres que lon ne pouvait obtenir qu condition dinstituer une

    alliance troite entre le prince et le peuple. Pour qui visait un tel objectif, le

    pouvoir civil ne suffisait plus.

    41Cf. ibidem, p. 150 (XII).

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    Parole rubate. Rivista internazionale di studi sulla citazione /

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