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Université Lyon 2 Institut d’Etudes Politiques de Lyon Les ONG de droits de l’homme sur la scène internationale : entre objectifs et résultats Cécile RUBICHON Sous la direction de M. Lahouari ADDI Séminaire « Les acteurs de la mondialisation » Année universitaire 2006-2007

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Université Lyon 2Institut d’Etudes Politiques de Lyon

Les ONG de droits de l’homme sur lascène internationale : entre objectifs etrésultats

Cécile RUBICHONSous la direction de M. Lahouari ADDISéminaire « Les acteurs de la mondialisation »

Année universitaire 2006-2007

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Table des matièresRemerciements . . 5Introduction . . 6Chapitre 1 : Les mutations de l’ordre international . . 11

A. La « société civile internationale » . . 111. La « société civile internationale », réalité ou mirage ? . . 112. La place des ONG de droits de l’homme dans la société civileinternationale. . . 13

B. La médiatisation des droits de l’homme. . . 151. Faire prendre conscience de l’inacceptable : l’information, une arme auservice des droits de l’homme. . . 152. Les limites de la médiatisation des droits de l’homme. . . 17

C. États et ONG, de faux ennemis . . 191. Les ONG ont besoin des États . . 192. Les Etats aussi ont besoin des ONG . . 20

Chapitre 2 : Les ONG de droits de l’homme et la diplomatie internationale . . 22A. Reconnues par l’ONU, les ONG ne font pas l’unanimité des Etats . . 22

1.Obtention d’un statut à l’ONU . . 222. Des ONG de droit de l’homme gênantes . . 24

B. Les ONG, co-productrices de normes internationales . . 251. L’intrusion des ONG dans l’élaboration du droit international . . 252. Une coopération nécessaire avec les Etats . . 27

C. L’universalité des droits de l’homme en question . . 281. Soupçon d’occidentalisme sur les droits de l’homme . . 292. L’homme, plus petit dénominateur commun . . 30

Chapitre 3 : Changer les pratiques nationales, un objectif des ONG de droits de l’homme . . 33

A. Les engagements cyniques ne sont pas sans risques . . 331. Signer n’engage à rien, a priori . . 332. Exploiter le différentiel entre engagements et pratiques, une arme auservice des ONG de droit de l’homme. . . 35

B. Spirale vertueuse 103

. . 361. De la répression aux concessions tactiques . . 372. De la concession tactique à l’évolution des pratiques . . 38

C. L’action des ONG, un facteur parmi d’autres . . 391. Les accélérateurs potentiels . . 392. Les ONG ne sont pas inutiles . . 41

Chapitre 4 : L’évolution des pratiques nationales, une réalité complexe et multiforme . . 43A. Afrique subsaharienne : les exemples du Kenya et de l’Ouganda . . 43

1. En Ouganda, un homme maître des droits de l’homme . . 442. Au Kenya, une évolution plus solide . . 47

B. Dans le monde arabe, les exemples du Maroc et de la Tunisie . . 50

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1. Le Maroc, un modèle pour les pays arabes ? . . 512. La Tunisie, mirage d’un régime modèle . . 53

C. La Chine, intouchable puissance . . 561. Le printemps de Pékin, espoir déçu . . 572. Les jeux olympiques : déclencheur du pire ou du meilleur ? . . 58

Conclusion . . 61BIBLIOGRAPHIE . . 62

Ouvrages de personnes physiques . . 62Ouvrages collectifs . . 62Ouvrages de personnes morales . . 63Périodiques . . 63Articles de personnes physiques . . 63Editoriaux . . 65Entretiens . . 65Sites Internet . . 65

Annexes . . 67Annexe 1 :Amnesty International, une ONG internationale en quelques chiffres . . 67Annexe 2 : Article Le Monde , 4 février 2001 . . 67Annexe 3 : Les usagers d’Internet dans le monde en 2001 . . 68Annexe 4 : Le processus de socialisation des normes et l’effet boomerang . . 70Annexe 5 : Les conventions internationales signées par l’Ouganda, le Kenya, laMaroc, la Tunisie et la Chine . . 70Annexe 6 : Extraits du rapport 2007 d’Amnesty International sur la situation des droits del’homme en Ouganda . . 71Annexe 7 : Extraits du rapport 2007 d’Amnesty International sur la situation des droits del’homme au Kenya . . 73Annexe 8 : Extraits du rapport 2007 d’Amnesty International sur la situation des droits del’homme au Maroc . . 74Annexe 9 : Extraits du rapport 2007 d’Amnesty International sur la situation des droits del’homme en Tunisie . . 75Annexe 10 : Extraits du rapport 2007 d’Amnesty International sur la situation des droits del’homme en Chine . . 76

Liste des sigles : . . 79

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Remerciements

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RemerciementsJe remercie tout d’abord M. Lahouari ADDI, pour sa disponibilité, pour avoir encadré mon travailet m’avoir conseillée.

Je remercie également M. Neil MITCHELL, professeur de relations internationalesà l’Université d’Aberdeen (Ecosse) pour m’avoir inspiré le sujet et pour ses conseilsbibliographiques.

Je remercie Marie MOSSI MOTA et Laurent KANTU, militants des droits de l’hommeen République Démocratique du Congo, résidants tous deux désormais en France et membresd’Amnesty International, pour avoir accepté de répondre à mes questions. Mais aussi pour leursourire et leur bonne humeur.

Je remercie Audrey ZAMPIERI pour m’avoir aidé à la mise en page.

Je remercie enfin mon papa et ma sœur pour leurs corrections et leurs conseils.

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Introduction

« Ouvrez votre journal n’importe quel jour et vous apprendrez que, quelque part dans lemonde, quelqu’un a été emprisonné, torturé ou exécuté parce que ses opinions politiquesou ses convictions religieuses étaient contraires à la politique de son gouvernement »1.Voilà comment Peter Benenson commence son article, The Forgotten Prisonners, publiéle 28 mai 1961 dans The Observer. Peter Benenson est un jeune avocat anglais, « undéfenseur acharné de l’humanité »2, un homme indigné par l’injustice. Celle subie par deuxétudiants portugais, arrêtés et condamnés pour avoir levé leurs verres à la liberté, sousun régime autoritaire, celui de Salazar. C’était en novembre 1960. Peter Benenson décidealors de lancer une campagne en faveur des prisonniers politiques : l’« Appel pour l’amnistie1961 ». L’injustice sévit partout, à l’Ouest, comme à l’Est, pas seulement à Lisbonne. D’oùcette campagne, qui aboutira à la création, le 22 juillet 1961, d’Amnesty International (AI).Née à Londres, l’association est aujourd’hui présente sur les cinq continents, dans 150pays. Elle compte environ 2,2 millions de membres et sympathisants.3 Ce qui fait d’elle laplus importante des organisations non gouvernementales (ONG) de défense des droits del’homme dans le monde. Un monde dans lequel les ONG de droits de l’homme se sontmultipliées. La cause a du succès. Pas bon signe pour les droits de l’homme, puisque cesONG n’ont pour seule raison d’exister que la persistance de violations. Le respect des droitsfondamentaux partout dans le monde, voilà leur objectif, objectif sans cesse renouvelé.Alors à quoi sert le combat ? Les ONG de droits de l’homme peuvent-elles rendre le mondemoins inhumain ?

L’idée qu’il faut s’organiser pour aider les pauvres, les malades, les étrangers existedans les différentes cultures depuis longtemps. C’est au Moyen-Âge qu’apparaissent lespremières institutions de charité.4 L’idée que les hommes ont des droits n’est pas non plusnée au XX siècle. Montaigne dénonce la torture, les procès en sorcellerie, la colonisationdes Indes… Tous les individus, quels que soient leur lieu de résidence, leurs croyances,ont des droits naturels, on le pressent en ce XVI siècle. Dès 1689, en Grande-Bretagne,l’Habeas Corpus reconnaît aux individus des droits politiques et civils. Un siècle plus tard,en 1787, la colonie anglaise devenue indépendante fait de même, dans la Constitutionfédérale américaine. Deux ans après, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyenest proclamée en France. Parmi les droits reconnus, la liberté d’association, élément dedémocratie souligné par Tocqueville dans De la démocratie en Amérique.5 Les individusont le droit de s’associer pour défendre un objectif commun. Cet objectif peut être laprotection de la personne humaine ou de ses droits. Les initiatives se développent. De

1 Peter Benenson, “The Forgotten Prisonners”, The Observer, 28 mai 1961, cité dans Jean-Paul Besset, Amnesty International, laconspiration de l’espoir, Paris, Edition de Félin, 1991, p.39.2 Ibid, p.37.3 Amnesty International, Rapport 2007 : la situation des droits humains dans le monde, Les Editions Francophones d’AmnestyInternational, 2007, p 393. Voir aussi annexe 1.

4 Rony Brauman, L’action humanitaire, Flammarion, 2000, chapitre 1 « De la charité à la bienfaisance ».5 Philippe Ryfman, Les ONG. Paris : Edition La Découverte, 2004, chapitre 1 « Une histoire déjà ancienne », p. 10.

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Introduction

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locales, certaines deviennent internationales : les droits de l’homme ne s’arrêtent pas auxfrontières.

« C’est la lutte pour l’interdiction de la traite puis pour l’interdiction de l’esclavage[…] qui constitue historiquement le premier exemple d’initiative non gouvernementaletransnational. »6 Le mouvement abolitionniste part de Grande-Bretagne. A partir de 1787,des britanniques se mobilisent contre le commerce d’esclaves d’Afrique subsaharienne etd’Inde. Leur action ne peut s’arrêter aux frontières des Etats. Pour cause : la traite reposesur un système international. Mettre fin à ce système suppose plus que la bonne volontéd’un ou deux Etats. Pour les abolitionnistes, les principes d’humanité et de morale devraienttranscender les intérêts politiques et économiques nationaux. Une loi devrait régir l’humanitédans son ensemble, cette loi est celle du respect de la personne humaine. Ils le répètentaux Etats, font pression sur eux. Lors du Congrès de Vienne, en 1815, une petite victoire estremportée par les abolitionnistes : dans la déclaration finale, les Etats expriment la volontéd’abolir la traite. Certes, volonté n’est pas synonyme d’actes et, souvent, « les conventionsne sont que lettres mortes » (Hobbes) faute de sanctions. Cependant, la Grande-Bretagne,qui a aboli la traite depuis 1807, n’entend pas rester seule. Pour imposer sa décisionà l’Europe et aux Etats-Unis, elle dispose d’un atout : la maîtrise des mers. C’est doncaidé d’un Etat que les abolitionnistes obtiennent une législation internationale érigée aunom de la morale et de l’humanité. La Grande-Bretagne se charge même de veiller aurespect du renoncement à la traite, grâce à sa doctrine d’intervention réciproque. Le droitde visite des navires s’applique désormais en temps de paix7. Le droit d’ingérence faitses premiers pas. Tout comme le militantisme international. Pour les abolitionnistes, ladéclaration de Vienne ne marque pas la fin du combat. A quoi sert l’abolition de la traite sides individus demeurent esclaves ? En 1826, est fondée la Birmingham Anti-slavery Society.Elle dénonce le commerce d’êtres humains et l’esclavage. Cette fois, la Grande-Bretagnefigure parmi les cibles. L’association est un véritable groupe de pression : pétitions pour deslois anti-esclavagiste, lobbying… Les modes d’action sont déjà ceux des ONG de droits del’homme actuelles. Des images d’Africains frappés, maltraités, entassés dans des cavesde bateaux circulent. Elles visent à sensibiliser l’opinion publique, à obtenir son soutien.La mobilisation de l’opinion est perçue comme une force potentielle. La Grande-Bretagneabolit l’esclavage en 1833. La Birmingham Anti-Salvery Society devient alors la British andForeign Anti-Salvery Society. De locale, l’association est rapidement devenue nationale,puis internationale.8

La lutte pour la protection et la promotion des droits de l’homme n’est pas nouvelle. Plusétonnant : les modes d’action du militantisme transnational ne semblent pas avoir changé.Lobbying, pétitions, communication, sensibilisation du public… étaient déjà au cœur del’action des associations abolitionnistes. En faisant pression sur les Etats, elles cherchaientà améliorer la législation internationale et les comportements des Etats. Agir à la fois parle haut et par le bas, c’est également ce que font les ONG de droits de l’homme modernespour tenter d’influencer les Etats.

Les associations de droits de l’homme ne sont pas les seules à militer pourl’amélioration des droits de l’homme. Depuis le XIX ème siècle, la Croix-Rouge

6 Ibid, p11.7 Françoise Vergès, Abolir l’esclavage : une utopie coloniale. Paris : Editions Albin Michel, 2001, chapitre 2 « Emergence d’un

droit humanitaire ».8 www.antislavery.org . L’association existe toujours, sous le nom d’Antislavery International et milite contre toute forme

moderne d’exploitation.

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internationale fait de même. En 1863, Henri Dunant crée un comité international et dessociétés nationales de secours aux militaires blessés, qui prendront bientôt le nom deCroix-Rouge et Croissant-Rouge. Témoin impuissant du carnage de Solferino, il voudraitpouvoir adoucir les horreurs de la guerre.9 Au-delà de l’assistance aux blessés, la Croix-Rouge participe donc à l’élaboration d’un véritable droit humanitaire international, proposantdes conventions aux Etats…10 La Première guerre mondiale va favoriser l’émergenced’autres associations internationales d’aide humanitaire. Ce sont les populations civiles,victimes nationales ou étrangères, directes et indirectes de la guerre, qu’elles secourent.Les militaires ne sont pas leur priorité. Loin de l’urgence, mais devoir de civilisation oblige,la colonisation donne naissance à des missions sanitaires et éducatives au profit descolonisés. La décolonisation sera ensuite suivie de la création d’associations d’aide audéveloppement.

Aide aux victimes de guerres, aide au développement, lutte contre la famine,l’illettrisme, le réchauffement climatique… Les initiatives privées transnationales semultiplient et se diversifient. Les droits de l’homme sont présents dans la plupart descauses défendues. Mais, dans les démocraties occidentales, des organisations se sont« spécialisées » dans la défense des droits fondamentaux.11 En France, sous la TroisièmeRépublique, en juin 1898, apparaît la Ligue des droits de l’homme (LDH). Le déclencheurest l’affaire Dreyfus ou « la condamnation d’un innocent ».12 Le régime démocratique nemet pas à l’abri des violations des libertés fondamentales. Mais, il autorise l’association.La LDH se propose de veiller au respect des droits en vigueur en France. En 1920, lemouvement s’internationalise : les Ligues se rassemblent en une Fédération internationale(des ligues) des droits de l’homme. Par la suite seront créés Amnesty International (AI),l’Association catholique pour l’abolition de la torture (ACAT), Reporters sans frontières (RSF,1985), Human Rights Watch (HRW, 1988)… Ce sont les plus connues et reconnues desorganisations non gouvernementales de défense de droits de l’homme. Toutes ont uneassise internationale. Ce sont elles qui nous intéressent. Mais, elles ne sont pas les seulesONG de droits de l’homme présentes sur la scène internationale.

Depuis la fin de la Guerre Froide, le nombre d’ONG s’est multiplié. Elles sont désormaisprésentes au Nord comme au Sud, à l’Ouest comme à l’Est. Partout où un semblantde liberté d’association a émergé, elles se sont installées, profitant des progrès de ladémocratie et des indépendances nouvellement acquises. Cette prolifération d’ONG estégalement due à la mondialisation. Le développement des techniques de l’information etde la communication a réduit les distances, facilitant la mobilisation transnationale. Lasouffrance humaine à l’autre bout du monde nous semble plus proche, plus réelle. Elle paraîtredoubler d’intensité. La Guerre Froide a libéré les antagonismes, les conflits locaux se sontmultipliés, la course à l’hégémonie est ouverte. Les ONG seraient actuellement 38 000 selonl’Union des associations internationales13, entre 20 000 et 25 000 selon des auteurs tels queFrançois Rubio ou Marie-Claude Smouts. Les chiffres varient. Pour une raison au moins :il n’existe pas de définition claire de ce qu’est une organisation non-gouvernementale. Leterme est apparu officiellement pour la première fois en 1945, dans l’article 71 de la Charte

9 Rony Brauman, L’action humanitaire, p.35.10 François Rubio, « Avant-propos », Les ONG acteurs de la mondialisation, Problèmes politiques et sociaux n° 877-878, La

documentation française, 2 août 2002.11 Philippe Ryfman, Les ONG, p12.12 www.ldh.com13 www.uia.org

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Introduction

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des Nations Unies. Auparavant, en France, on appelait ces structures des associationsinternationales.14 La définition la plus précise et la plus retenue est basée sur celle de laConvention 124, du Conseil de l’Europe, sur la reconnaissance de la personnalité juridiquedes organisations internationales non gouvernementales, adoptée le 27 avril 1986. LesONG seraient des associations, fondations ou autres institutions privées de droit national,ayant un but non lucratif d’utilité internationale et exerçant une activité dans au moins deuxEtats. Leur caractère international semblait faire l’unanimité jusque dans les années 1990.Puis, « le label « ONG » s’est transformé »15 sous le poids du succès du « concept ». Danscertains pays, n’importe quelle association peut s’autoproclamer ONG et être reconnuecomme telle, même si elle n’est pas internationale. Le caractère privé et non lucratif de cesorganisations demeure cependant essentiel.

Les grandes ONG internationales sont celles qui ont le plus de visibilité sur la scèneinternationale. Elles sont capables de faire entendre leur voix et peut-être d’exercer uneinfluence sur les Etats. En tout cas, si des acteurs non gouvernementaux peuvent avoirune influence sur les Etats, les ONG internationales en feraient partie. C’est pourquoi nousnous intéresserons aux ONG internationales de défense des droits de l’homme. Sont-ellescapables de faire progresser le respect des droits de l’homme dans le monde ? AI, HRW,la FIDH, RSF disposent de professionnels et de bénévoles presque partout dans le monde.Là où elles n’en ont pas, elles s’appuient sur leurs réseaux, essentiellement sur des ONGlocales. Elles ont des informateurs dans les gouvernements démocratiques et dans lesorganisations internationales. Tous les éléments sont donc réunis pour qu’elles puissentmener des enquêtes sérieuses. Lorsque témoignages et informations ont été recueillis etvérifiés, ils sont publiés dans des rapports, documents et communiqués de presse. Lesdénonciations sont les plus impartiales possibles. Elles se basent sur le droit international etn’épargnent aucun pays. Leur budget leur permet d’organiser des campagnes d’informationainsi que des évènements médiatiques de grande ampleur. Grâce à cela, elles sont connuesde l’opinion publique. Une opinion publique qu’elles alertent et dont elles recherchent lesoutien. Car, avec le soutien de l’opinion, la légitimité de leurs revendications augmente.Et le pouvoir de résistance des Etats s’affaiblit. La base presse les responsables politiquesde réagir. Et, dans les instances internationales, ces mêmes responsables se retrouventface aux ONG. Là, elles peuvent exprimer leurs préoccupations, délivrer des informations,peser sur l’agenda. Les ONG de droits de l’homme interviennent au deux bouts de lachaîne : elles participent à l’élaboration de la politique internationale en même tempsqu’elles veillent au respect des droits de l’homme, dénoncent les violations, tentent demobiliser l’opinion publique. Rendre le monde moins inhumain, en agissant par le haut etpar le bas, tel est l’objectif des ONG de défense des droits de l’homme. Leur expertiseleur a apporté la reconnaissance. Elles sont devenues de véritables sources d’information,pour les Etats comme pour les médias. De plus, « elles ont amené les Etats et lesOrganisations internationales à se préoccuper davantage des droits de l’homme et desquestions humanitaires »16 reconnaît Samy Cohen, se rapprochant ainsi du point de vuede Bertrand Badie, pour qui « jamais les droits de l’homme n’ont été autant célébrés sur lascène internationale ».17 Le thème s’est imposé. Pourtant, les droits de l’homme ne sont pasplus respectés aujourd’hui qu’il y a dix, vingt, trente, quarante ans. La situation paraît parfois

14 Philippe Ryfman, Les ONG, p18.15 Samy Cohen, La résistance des Etats. Les démocraties face au défi de la mondialisation, Edition du Seuil, septembre 2003,

p72.16 Samy Cohen, La résistance des Etats, p.81.17 Bertrand Badie, La diplomatie des droits de l’homme, Fayard, 2002, p.35.

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pire. La médiatisation contribue peut-être à cette impression : tous les jours des horreurss’étalent dans les journaux. Quand la situation s’améliore dans un pays, elle empire ailleurs.Le combat des ONG semble sans fin. Est-il vain ? Expertise, crédibilité, visibilité, capacitéde nuisance sont-elles des armes suffisantes pour changer le monde ? Les ONG de droitsde l’homme ont-elles la capacité de leurs ambitions ? Quelle est leur véritable influence surla situation des droits de l’homme ?

L’ordre mondial a sensiblement évolué au cours de ces vingt dernières années, quelleest la place des ONG et des droits de l’homme dans ce nouvel ordre mondial ? LesEtats ont perdu le monopole de la politique internationale. Ils ne sont plus seuls sur lascène internationale. De quelle marge les ONG disposent-elles dans le jeu international ?Peuvent-elles imposer leurs normes et leurs sanctions ? Les ONG voudraient faire évoluerles pratiques nationales. Transformer les dictatures en démocratie. Stopper les exactions.Peuvent-elles convertir un Etat au respect des droits de l’homme ? Les exemples del’Ouganda, du Kenya, du Maroc, de la Tunisie et de la Chine viendront illustrer et nuancerle pouvoir des ONG internationales de droits de l’homme.

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Chapitre 1 : Les mutations de l’ordreinternational

La mondialisation économique, le développement des techniques de transport, decommunication et d’information ont modifié la scène internationale. Les Etats ne sontplus seuls maîtres à bord. De plus en plus de problèmes, dépassant les frontières,nécessitent des solutions internationales. Ainsi, un Etat ne peut pas trouver une solutionau réchauffement climatique seul. L’interdépendance augmente. Entre des Etats quine détiennent plus le monopole de la définition de la politique internationale. Ils sontconcurrencés par des acteurs non-étatiques transnationaux. Ces acteurs ne sont pasapparus au XX siècle, mais ils se sont multipliés et ont gagné en visibilité. Ils composeraientune « société civile internationale », une évidence pour certains, un objet non identifié pourd’autres. Que recouvre cette expression ? Quelle place occupent les ONG de droits del’homme dans cette société ? Avec l’environnement, les droits de l’homme sont devenus unvéritable enjeu de politique internationale. Un enjeu médiatisé, en partie, grâce aux ONG.Et dont les Etats, sous la pression de l’opinion publique, ont dû se saisir. Sur cette nouvellescène internationale, les Etats peuvent paraître affaiblis et les ONG puissantes. Sauf quel’interdépendance ne concerne pas seulement les Etats.

A. La « société civile internationale »Les enjeux planétaires mobilisent de plus en plus de citoyens. Associations, syndicats,organisations religieuses, groupes de réflexion… Venus du monde entier, ces acteurs seretrouvent régulièrement, en marge des sommets internationaux, lors de forums sociauxmondiaux, dans des réseaux transfrontaliers… Preuves de l’émergence d’une « sociétécivile internationale » ? Le contre-sommet de l’OMC à Seattle, en 1999, aurait révélél’existence de cette société.

1. La « société civile internationale », réalité ou mirage ?« Société civile internationale »… L’expression revient souvent, parfois comme uneévidence. Pourtant, sa définition est loin de relever du simple bon sens. D’ailleurs, ladéfinition de la société civile ne fait pas l’unanimité. Pour Aristote, elle représente cequi est hors de la sphère privée, c’est-à-dire l’espace public. Un espace fait de rapportshorizontaux et contractuels entre hommes libres. Hegel voit plutôt la société civile commeune sphère sociale indépendante de l’Etat et du marché. Une sphère où le jugement dechacun peut se former. Une sphère autonome de l’Etat, qui peut influencer les choix collectifsou nationaux, selon Habermas.18 C’est cette définition que nous retiendrons. Composéed’associations, de cercles de réflexion, d’ONG, de groupes de pression… la société civile

18 Zaki Laïdi, « La société internationale existe-t-elle ? Défaillances et potentialités », Cadres-CFDT,n°410-411, juillet 2004, p. 8 et 9.

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a pour objectif de peser sur les choix politiques nationaux.19 Les acteurs de la société civilemondiale entendraient donc influencer la politique internationale.

Avec la mondialisation, l’international a fait irruption dans le national. Les individusse sentent de plus en plus concernés par ce qu’il se passe ailleurs, par les enjeuxinternationaux,20 comme l’environnement ou les droits de l’homme. Les relationstransfrontalières se multiplient, facilitées par Internet et la transmission en temps réel del’information. Paix au Darfour, lutte contre la peine de mort, contrôle du commerce desarmes… Autant de causes pour lesquels des réseaux transnationaux se forment, desrassemblements mondiaux s’organisent. Sont-ils la preuve de l’existence d’une sociétécivile internationale ? Groupes d’experts, syndicats, organisations religieuses, organisationshumanitaires, de développement, de protection de l’environnement, de défense des droitsde l’homme, réseaux de femmes… La diversité règne au sein de cette sphère autonomedes Etats. Ce qui fit dire à Hubert Védrine : « C’est sympathique, mais c’est un peu uneauberge espagnole ou un mirage cette « société civile internationale ». »21 Une « aubergeespagnole » où se côtoient ONG, entreprises, mafias, trafiquants de drogue, guérillas. Tousdes acteurs non-gouvernementaux transnationaux.22 Et pourtant, ils ne se ressemblentguère. Ils ont différents objectifs, différents projets, différentes valeurs. Ils sont une mosaïqueà l’image de l’humanité. Qui peut prétendre parler au nom d’une humanité rassemblée ?Même ceux qui s’allient pour défendre une cause commune ne partagent pas les mêmesvaleurs. Non, les cultures et identités nationales n’ont pas été remplacées par une identitéinternationale. La citoyenneté, le sentiment d’appartenance, qui structurent les sociétés,sont absents de la « société civile internationale ». C’est pourquoi, il vaudrait mieux parlerde « sociétés civiles internationales », au pluriel.23

Pour chacune de ces sociétés, comme pour la société civile nationale, se pose leproblème de la légitimité. Au nom de qui ces acteurs interviennent-ils dans le jeu politiqueinternational ? Ils n’ont aucun mandat électif. Reproche régulièrement lancé. Souvent pardes dirigeants peu vertueux et peu attachés à la démocratie, mais il n’est pas infondé :peu de groupes de la société civile fonctionnent sur le mode démocratique. L’opacité est demise. L’inégalité aussi. Les sociétés civiles du Sud sont moins bien représentées que cellesdu Nord sur la scène internationale. Celles des pays dictatoriaux sont absentes. L’inégalitéde représentation est liée à une inégalité politique et à une inégalité de ressources. Toutesles organisations n’ont pas les moyens de dépêcher des représentants à l’autre bout dumonde pour assister au forum social mondial, au contre-sommet du G8 ou à tout autrerassemblement mondial. L’accès à Internet est lui aussi inégal : parfois censuré, parfoisinexistant.24 Sociologiquement, la société civile mondiale est encore moins représentativede l’ensemble de la population mondiale. Les « nouveaux bourgeois » 25, ceux qui participentactivement au jeu international, les dirigeants et cadres des organisations transnationales,sont majoritairement issus des classes supérieures, parfois moyennes. Il faut avoir du

19 « Société civile, des contre-pouvoirs mal identifiés », Alternatives internationales, n°6, janvier-février 2003, p. 32 et 33.20 Bertrand Badie, entretien avec Jean-Marie Fareau, La revue internationale et stratégique, n° 50, été 2003, p.14.21 Hubert Védrine, dialogue avec Dominique Moïsi, « Quelle société civile internationale ? », in La crise des organisations

internationales, Cahiers Français n° 302, La Documentation française, mai-juin 2001.22 Samy Cohen, La résistance des Etats, p.179.23 Jan Aart Scholte, « C’est la lutte globale », Alternatives internationales, n°6.24 Annexe 2 : Les utilisateurs d’Internet dans le monde.25 Bertrand Badie, entretien avec Jean-Marie Fareau, p.14.

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Chapitre 1 : Les mutations de l’ordre international

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temps et de l’argent pour s’investir bénévolement. Et, les ressources culturelles et socialescomptent. D’autant que, pour espérer peser, mieux vaut avoir un bon carnet d’adresses.

A l’accusation de non légitimité, les organisations transnationales rétorquent que « lacause défendue est juste. » Juste aux yeux de qui ? De l’opinion publique du Nord ? Decelle du Sud ? Des Etats démocratiques ? Des Etats autoritaires ? La mondialisation n’a pascrée une uniformité d’opinions et de valeurs. La plupart des hommes aspirent à vivre dans ladignité et en bonne santé. Mais, au-delà, on peut être altermondialiste et ne pas cautionnerla violence comme moyen d’expression, être croyant sans être extrémiste… La discordancen’enlève néanmoins rien aux combats moralement justes, ceux qui suscitent l’approbationde la majorité. Ceux qui parviennent à bousculer l’Etat et les institutions publiques.

La notion de « société civile internationale » est trop souvent utilisée pour désigner unensemble dont l’existence ne ferait aucun doute. C’est un espace de jugement autonome,composé d’acteurs hétérogènes aux caractéristiques et objectifs divers. A ce titre, elle est unmodèle grand format des sociétés civiles nationales. Et, comme ces dernières, elle affronteles Etats, faute de disposer d’un adversaire à sa hauteur. L’absence d’autorité mondiale,c’est cela la principale limite à l’existence de la « société civile internationale ». Plus vasteet plus diverse que les sociétés civiles nationales, la « société civile internationale » affrontela même entité : l’Etat. Le combat se joue aux niveaux national et international. Dans sonviseur : plusieurs Etats. C’est ce qui la distingue de ses consœurs nationales.

2. La place des ONG de droits de l’homme dans la société civileinternationale.

La « société civile internationale » est parfois confondue avec les ONG.26 Les deuxexpressions ne possèdent pas de définition juridique claire, la confusion est aisée.Ainsi, le Conseil d’Etat, dans un rapport sur les associations27, note que « l’expression« organisation non gouvernementale » renvoie à une catégorie très vaste d’entités définiespar soustraction : elle regroupe tous les types d’organisations, à l’exception de celles issuesde la volonté de gouvernements, ce qui inclut les associations, les syndicats, mais aussiles Eglises, les centres de recherche, les universités…. ». Une telle définition pourrait aussibien valoir pour la société civile. Pourtant, on considère généralement que les ONG nesont qu’un type d’acteurs non gouvernementaux parmi d’autres, qu’une composante de la« société civile internationale ». De plus, les ONG purement nationales, même si elles sontde moins en moins nombreuses, n’appartiennent pas à cette société.

Internet et les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont facilitél’élaboration de réseaux transnationaux, qui regroupent des acteurs non étatiques, d’origineet d’importance variables, partageant un objectif commun. Les ONG de droits de l’hommeforment souvent des réseaux, moyen de peser plus lourd sur la scène internationale.L’International Campaign to Ban Landmines regroupait plus de 1200 associations. Leur but :interdire les mines antipersonnel. Le réseau « Control arm » milite pour la ratification d’untraité sur la régulation du commerce des armes. Lutte contre la torture, lutte pour l’abolitionde la peine de mort… Les ONG nationales et internationales de droits de l’homme n’hésitentpas à travailler ensemble sur des sujets fédérateurs.

26 Béatrice Pouligny, L’émergence d’une « société civile internationale » ? Processus, acteurs, enjeux. mai 2001, p.327 Conseil d’Etat, Les associations et la loi de 1901, cent ans après, rapport public, Paris, La Documentation française, 2000.

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Les ONG de droits de l’homme, à l’image de l’ensemble des ONG et de la « société civileinternationale », sont loin de former un ensemble homogène et représentatif. Quelques ONGinternationales, telle AI, HRW ou la FIDH, sont des poids-lourds de la défense des droitsde l’homme. Elles sont implantées dans de nombreux pays, ce qui leur donne crédibilitéet visibilité. Cela ne les autorise pas pour autant à parler au nom de l’humanité.28 A côtéd’elles, des milliers de petites ONG se battent elles aussi pour les droits de l’homme.ONG locales et internationales travaillent souvent ensemble. Au sein de réseaux, maispas seulement. Les ONG internationales s’appuient sur les ONG locales pour obtenirinformations et témoignages, et ainsi étayer leurs rapports. Quant aux ONG locales, ellesdépendent souvent des ressources des ONG internationales. Passer par ces dernières estpresque indispensable pour que leurs luttes soient répercutées sur la scène internationale.Le monde des ONG de défense des droits de l’homme n’est pas plus égalitaire quecelui de la société internationale. Les ONG ne bénéficient ni des mêmes ressourcesni de la même représentation sur la scène internationale. C’est un monde hiérarchisé,où les élites dominent et où l’on retrouve le clivage Nord-Sud. Envoyer des délégationsaux conférences internationales, des correspondants à l’étranger, accéder à l’information,rédiger des documents, les distribuer… Tout cela a un coût.29 Un coût qui augmente quandon milite dans une dictature. Coût physique cette fois : penser différemment peut valoir lamort.

L’inégalité n’empêche toutefois pas la solidarité transfrontalière. Solidaritécompassionnelle du Nord diront certains, mais une solidarité qui peut sauver des vies.Lorsqu’un défenseur des droits de l’homme, comme Laurent Kantou, est arrêté enRépublique Démocratique du Congo pour avoir dénoncé les conditions de détentions dansune prison du pays, les ONG les plus puissantes ne restent pas passives. AI œuvre alorsà sa libération en intervenant auprès du gouvernement, notamment. Par contre, entreONG internationales, hors négociations internationales, la concurrence supplante souventla solidarité. Survie oblige.

Peut-être plus que les inégalités de ressources, les différences de cultures divisentle monde des ONG de droits de l’homme. Les discours sur la démocratie ou les droitsde l’homme peuvent prendre des sens différents selon le lieu où ils sont prononcés.L’interdiction du travail des enfants, par exemple, n’est pas considérée pareil en Thaïlandequ’en France.30 En France, « travail des enfants » rime avec esclavagisme. En Thaïlande, ilrime avec survie de la famille et peut éviter la prostitution des enfants. Le clivage n’est pastoujours Nord-Sud. Il peut être de nature religieuse, culturelle… Les lignes évoluent selonles thèmes. Comme au sein d’une société.

Les ONG de défense des droits de l’homme participent pleinement à l’activismetransnational. Elles nouent des liens par delà les frontières. Entre elles et avec d’autresacteurs transnationaux. Ces liens peuvent être temporaires, le temps d’une action. Ou plussolides, comme entre ONG internationales et ONG locales, qui travaillent régulièrementensemble. En général, leurs actions et leurs objectifs sont perçus comme justes et légitimes,une étude réalisée en 2001 dans cinq pays occidentaux le montre. La moitié des personnesinterrogées considèrent les ONG comme représentatives des valeurs auxquelles ellescroient, alors que seulement 11% pense que leur gouvernement est porteur de leurs

28 Henri Rouillé D’Orfeuil, La diplomatie non gouvernementale : les ONG peuvent-elles changer le monde. Paris : Les Editionsde l’atelier, 2006, p.96.

29 Béatrice Pouligny, opt. citée, p.10.30 Samy Cohen, La résistance des Etats, p.181.

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valeurs.31 C’est peut-être pour cela que certains auteurs assimilent les ONG à la « sociétécivile internationale ». Elles constituent un espace de jugement autonome, de constructionde réflexions et de critiques productives.

La « société civile internationale » est peut-être une « auberge espagnole », un contre-pouvoir éclaté, mais elle est davantage qu’un mythe. Hubert Védrine, pourtant si critiqueenvers les ONG et la « société civile internationale » reconnaît que « l’émergence d’unesociété civile internationale modifie l’exercice du pouvoir et de la responsabilité politique enforçant à une prise de conscience. »32 La « société civile internationale », dont les ONGsont un élément essentiel, sera une réalité lorsqu’elle aura une autorité internationale àlaquelle imposer ses limites. Elle aura alors son identité propre. En attendant, elle pèsesur les décisions des Etats et, surtout, favorise la prise de conscience sur des enjeuxinternationaux, tels l’environnement ou les droits de l’homme. Et ce, en partie grâce àl’activisme des ONG et à leur capacité à mobiliser l’opinion publique, notamment par lerecours aux médias.

B. La médiatisation des droits de l’homme.Lorsque plus de 50% de l’opinion publique nationale supporte une décision, celle-ci devientacceptable pour le gouvernement.33 Et lorsque la majorité des responsables politiques semettent d’accord, une décision internationale a de grandes chances d’aboutir. Pour quiveut modifier les règles du jeu international et les comportements des Etats, mobiliserl’opinion publique est donc un enjeu majeur. Les ONG internationales l’ont compris, commele prouvent leurs campagnes de publicité. Il est aujourd’hui plus facile de diffuser uneinformation, notamment grâce à internet. Pour toucher l’opinion, l’objectif demeure decapter l’attention des médias traditionnels, qui restent les plus démocratisés. Les ONGdoivent donc d’abord convaincre les médias. D’où un risque de dérives : jeu de séduction,banalisation des droits de l’homme, sélection abusive des informations…

1. Faire prendre conscience de l’inacceptable : l’information, unearme au service des droits de l’homme.

Mobiliser l’opinion publique pour peser sur les gouvernements et les amener à prendreles décisions souhaitées. C’est l’un des objectifs des ONG de défense des droits del’homme. Avec l’environnement et l’humanitaire, les droits de l’homme sont entrés dansl’espace public international. Ils font partie de ces questions internationales devenuesobjets d’informations et de débats. Le scandale d’Abou Grahib, cette prison irakiennedans laquelle des soldats américains torturaient des terroristes présumés, le drame duDarfour, les massacres à la machette au Rwanda, les tueries au Timor, la répression de laplace Tienanmen… Autant d’informations qui ont fait le tour du monde ou presque, photosà l’appui. Impossibles à ignorer. L’opinion publique est touchée. Par le sang, l’horreur,l’inhumain, l’injustice. Après l’émotion, c’est l’incompréhension qui l’a saisie. Pourquoi les

31 Le Monde, 4-5 février 2001, annexe 2. L’étude ne tient cependant compte que des pays occidentaux.32 Hubert Védrine, entretien, option citée.

33 Henri Rouillé d’Orfeuil, La diplomatie non gouvernementale, p.181

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gouvernements laissent-ils faire ? Comment peuvent-ils rester passifs ? Le coût de l’inactionaugmente.34Consciente, l’opinion se fait pressante. Il aura fallu quatre ans à la France pourréagir au drame qui se joue au Darfour. Des cavaliers brûlent des villages, tuent leurshabitants, violent femmes et enfants, pillent les réserves de nourriture. Des millions depersonnes fuient. La situation, très médiatisée dans les pays anglo-saxons depuis 2004,l’est depuis moins longtemps en France. Ignorer 200 000 morts et 2,5 millions de réfugiésdevenait difficile. Les rapports des ONG, les articles de journaux sérieux peuvent êtreméprisés un temps, mais plus lorsqu’ils deviennent une information télévisée, relayée pardes images de souffrance. Face aux multiples reportages, manifestations, pétitions, qui peutdire « je ne savais pas » ? L’information a même atteint l’univers des stars. Georges Clooneyfait le déplacement. Au Festival de Cannes, il organise une soirée caritative. Le lendemain,le Soudan fait la une.35 L’ONU entre dans le jeu. La France suit : elle s’engage dans lamédiation, fait jouer ses relations avec les anciennes colonies, le Tchad et la RépubliqueCentre Africaine. La mobilisation prend de l’ampleur. Les Etats-Unis, embourbés en Irak, seréveillent. Reste à convaincre la Chine, qui soutient Khartoum.

Le développement des techniques d’information et de communication a accéléré leprocessus de prise de conscience. Il a fallu plus de temps pour que la réalité des massacresdes Grands Lacs parvienne au public. Que dire des exactions commises au Timor parl’Indonésie ? En 1975, l’administration portugaise quitte le Timor Oriental. Trois ans plustard, un tiers de la population a été exterminé. Dans l’indifférence quasi générale. Djakartaremet ça en 1983. Pas plus de réactions du côté de la communauté internationale. Horsde question d’affaiblir le régime anticommuniste du général Suharto. La fin de la GuerreFroide modifie la donne. Novembre 1991, les massacres de Dili font la une : la BBC afilmé. Les Nations-Unis enquêtent. Les ONG déclenchent une campagne. Les Timorais sesentent soutenus. Ils sont filmés. La visite de Bill Clinton en 1994 sera l’occasion d’un coupd’éclat : l’ambassade des Etats-Unis est envahie. Séminaires et réunions se multiplient.Des e-pétitions en faveur de l’autodétermination et d’un tribunal pénal international pourle Timor sont envoyées à Kofi Annan, secrétaire général de l’ONU. Le général Suhartoest renversé. Une première victoire, suivie de l’organisation, en 1999, d’un référendumd’autodétermination.36 Dans un monde multipolaire, où l’information circule plus librement,la médiatisation est une arme qui a gagné en efficacité. Médiatisation et mobilisation del’opinion publique accélèrent l’action des gouvernants, sous surveillance et sous pression.

C’est pourquoi les ONG de défense de droits de l’homme ont besoin des médias. Paspour s’informer, mais pour informer le public et peser. Les informations sur les crimes etviolations, elles les recherchent elles-mêmes. Elles peuvent être alertées par les médias,mais le plus souvent ce sont elles qui les informent. En avant première. Les ONG de droitsde l’homme internationales sont devenues des informateurs crédibles. La preuve : elles sontrégulièrement citées comme source. Il faut dire que certaines sont devenues de véritablesagences de presse. AI, HRW et RSF notamment. A Londres, la Section Internationale d’AIenregistre des informations en provenance du monde entier. Puis elle les transmet auxadhérents et au public, au travers de communiqués de presse, de journaux, de dossierset rapports.37 Les ONG ne sont pas à l’abri d’erreurs. Mais, elles manient les informationsavec plus de précautions que les médias, qui travaillent souvent dans l’urgence. Les ONG

34 Bertrand Badie, La diplomatie des droits de l’homme, p.293.35 Aurine Crémieu, « Les droits humains dans le jeu médiatique », La Chronique, juillet-août 2007.

36 Bertrand Badie, opt. citée, p.297-298.37 Jean-Paul Besset, Amnesty International, la conspiration de l’espoir, p.130

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prennent le temps de vérifier. Si des doutes existent, l’information ne sera pas publiée oule sera au conditionnel. Il en va de leur crédibilité. Et de leur existence. La communicationest essentielle à leur mission et à leur survie. Avoir fait entrer les droits de l’homme dansl’espace public signifie pour elles plus de visibilité, plus de ressources et donc plus de poidssur la scène internationale. Alors pas question de relâcher les efforts de communication.Au contraire.

Enquêtes, rapports, communiqués de presse ne sont qu’un moyen d’accéder à l’opinionpublique. Les ONG le savent et sont passées maîtres dans l’organisation d’événementsmédiatiques. Contre-sommets, concerts… sont l’occasion pour elles de rappeler leurexistence. Et de sensibiliser le public aux droits de l’homme, de l’amener à regarder autourde lui, à prendre part aux débats, sinon aux actions. La pyramide de chaussures, le Live 8,Seattle, Porto Allegre sont inscrits dans les mémoires collectives. Les droits de l’homme ontmême leur calendrier : journée contre la peine de mort, journée des femmes, des enfants,anniversaire de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen… Histoire qu’on les oubliemoins facilement.

Les Etats n’ont plus le monopole de l’information. Les médias officiels peuventêtre contournés par Internet et les réseaux de militants. Ainsi, pour faire connaître lesrevendications des Indiens du Chiapas, le commandant Marcos utilisa Internet et sesrelations.38 Pas besoin de passer par les médias nationaux pour trouver un écho sur la scèneinternationale. L’événement peut être créé par des acteurs non étatiques et même par desindividus. Les photos et vidéos d’Abou Grahib n’ont-elles pas été prises par des soldats ?La désinformation est de plus en plus difficile à organiser et le « jeu des Princes »39 de plusen plus facile à déjouer. Mais, le pouvoir de l’information, tous les groupes ne le possèdentpas. Les Occidentaux sont encore une fois privilégiés.

2. Les limites de la médiatisation des droits de l’homme.Témoignages et dénonciations sont au cœur de l’action des ONG de droits de l’homme.Elles ne peuvent donc se passer des médias. Ils sont leur haut-parleur, le lien nécessaireavec une opinion publique sans laquelle elles auraient une influence beaucoup plus limitée.La médiatisation des droits de l’homme n’est cependant pas sans dangers. Abuser de lacommunication risque de provoquer une banalisation des droits de l’homme. Banalisation,puis saturation et indifférence. Démobilisation enfin. Les anniversaires, en se multipliant,perdent leurs effets. Ils sont rapportés par les médias, mais suscitent moins d’attention dela part du public.40 Que dire des opérations de promotion ou de séduction ? Rony Braumanparle de « l’humanitaire-spectacle. »41 On pourrait tout aussi bien parler « des droits del’homme-spectacle ». Communiquer, se montrer est important pour exister. Mais, une ONGne peut pas exister que pour son nom. Derrière l’opération de communication, il faut qu’il yait un message autre que « soutenez Amnesty », par exemple. Les droits de l’homme nedoivent pas disparaître de l’espace public pour cause de sur médiatisation.

38 Isabelle Sommier, « Internet et les réseaux transnationaux », in Les ONG, acteurs de la mondialisation, Problèmes politiqueset sociaux n° 877-878, La documentation française, 2 août 2002, p117.

39 Bertrand Badie, La diplomatie des droits de l’homme, p.27240 Sean Mc Bride, cité par Jean-Paul Besset.41 Rony Brauman, L’action humanitaire, p.90.

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La médiatisation des droits de l’homme a une autre limite que le risque de banalisation :la sélectivité. Pourquoi certaines causes suscitent-elles la mobilisation internationale etpar d’autres ? Pourquoi le Darfour et pas le Zimbabwe ? Les Tibétains et pas d’autresminorités chinoises ? La sélection des faits est intrinsèque au monde des médias. Toutesles informations ne peuvent pas être traitées. Alors, chaque média retient celles qu’il jugeplus importantes. Au regard… de son lectorat. Est médiatisé ce qui est rentable, ce qui vaémouvoir, ce qui va faire vendre. La gravité des faits, le nombre de morts, l’horreur ne sontqu’un critère de sélection parmi d’autres. L’identité des victimes d’exactions, leur distancespatiale et culturelle entrent en ligne de compte. Leur capacité à s’organiser et à se faireentendre aussi. Car, pour avoir la moindre chance d’être sélectionnée, l’information doitd’abord pouvoir parvenir aux journalistes. Les ONG internationales sont des informateurs,nous l’avons vu. Elles peuvent se faire les relais de luttes locales, les projeter au niveauinternational. Elles aussi procèdent alors à une sélection42. Toutes leurs informations sontpubliées dans les rapports, mais elles ne font pas toutes l’objet d’une campagne ou decommuniqués de presse réguliers. Les ONG les plus crédibles voudraient être totalementimpartiales. Elles peuvent l’être dans leurs accusations, dans leurs rapports. Mais, au-delà,elles doivent choisir les actions à mener et donc sélectionner les causes et les individus. Quidit sélection, dit subjectivité. Au final, deux situations d’une gravité similaire au regard desviolations commises auront peu de chance d’être prises en compte de la même manièrepar les ONG et par les médias.43 Et donc par l’opinion publique. Pire : les violations les plusgraves ne seront pas nécessairement les plus médiatisées.

Les ONG internationales sont un haut-parleur possible, mais elles ne sont pasle passage obligé vers les médias. L’accès aux médias peut être direct : une actionspectaculaire et les journalistes accourent, un contact utile, Internet, sont d’autres moyensutiles. Internet favorise la globalisation des luttes, leur désenclavement. Mais, tous leshabitants de la planète ne sont pas connectés.44 Et tous ceux qui disposent de la technologiene sont pas libres de l’utiliser. Là où règnent le sous développement, la censure et/ou larépression, les faits pourront difficilement être projetés sur la scène internationale. Or, cesont peut-être eux qui mériteraient d’être le plus médiatisés, au regard de la souffrance. Lamédiatisation des droits de l’homme n’est pas égalitaire. Elle n’offre pas à toutes les victimesles mêmes chances d’obtenir le soutien de l’opinion publique mondiale.

Les acteurs non étatiques sont aujourd’hui en mesure de produire des informations etde les répercuter sur la scène internationale. De transformer des évènements nationauxen évènements transnationaux. Par la diffusion d’informations sérieuses aux médias oudirectement à l’opinion publique, les ONG de droits de l’homme contribuent à créer uneprise de conscience, de l’engagement, de la mobilisation. Or, la position et le comportementde l’opinion publique pèsent dans la prise de décision des gouvernements. La médiatisationdes droits de l’homme est une arme au service des causes défendues par les ONG dedroits de l’homme. Arme qui leur permet aussi de renforcer leur légitimité et leur visibilité.La médiatisation des droits de l’homme reste inégalitaire. Certaines situations sont passéessous silence, d’autres sont hyper médiatisées, d’autres encore déformées par rapport à laréalité. Les rapports de puissances n’ont pas disparu des relations internationales. Ils seretrouvent dans les rapports inter étatiques, entre les acteurs non-gouvernementaux. Maisaussi entre Etats et ONG.

42 Clifford Bob, The Marketing of Rebellion, Cambridge University Press, 2005.43 Ibid44 Annexe 3.

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C. États et ONG, de faux ennemisUne fois l’opinion publique informée, il faut la mobiliser. Sa mobilisation n’assure cependantpas une prise de décision. Les acteurs transnationaux et l’opinion publique peuvent fairepression sur les Etats, influencer leurs décisions, mais ce sont les gouvernements qui ontle dernier mot. L’exemple du Timor Oriental illustre le pouvoir des Etats. S’ils refusent dese saisir d’une question, celle-ci ne trouvera que difficilement une solution. C’est pourquoiles ONG ne se contentent pas de dénoncer les comportements de certains dirigeants. Ellesrecherchent également leur collaboration. Si les ONG ont besoin des Etats, les Etats aussiont besoin d’elles, comme bras accusateur.

1. Les ONG ont besoin des États« Les ONG sont reçues et parfois entendues [par les responsables politiques]. De toutefaçon ils font ensuite ce qu’ils veulent. Il ne nous reste plus qu’à rendre publique notrecritique, faire usage de notre capacité de nuisance auprès des médias ». En espérant quecela suffise, aurait pu ajouter Denys Robillard, ancien président d’Amnesty InternationalFrance.45

Les Etats répressifs n’aiment pas être dénoncés par les ONG de droits de l’homme.Mais ce qu’ils craignent par dessus tout c’est la réaction des autres Etats et notamment desEtats les plus puissants. Pour les contraindre, ces derniers peuvent prendre des sanctionsmilitaires, diplomatiques ou économiques à leur encontre. Être mis au ban de la sociétéinternationale par ses semblables est pire que d’être montré du doigt par une ONG. D’autantque les sanctions économiques peuvent avoir des conséquences bien plus importantes queles sanctions morales. Un soulèvement de la population par exemple. Ternir l’image dupays, pousser les autres Etats et la population à agir, voilà les objectifs des ONG de droitsde l’homme. Médiatisation, pétitions, campagnes, lobbying doivent amener à la fois uneréaction de la communauté internationale et une mobilisation au sein de l’Etat visé, deuxingrédients du changement. Ce qui fait dire à Samy Cohen que « loin de faire reculer l’Etatpost-moderne, les ONG internationales contribuent paradoxalement à son renforcement. »46

Elles ont besoin d’Etats interventionnistes qui fassent respecter les droits de l’homme.Les Etats sont donc à la fois la principale cible des ONG de droits de l’homme et leurs

partenaires les plus efficaces. Ils sont parfois responsables des violations, parfois capablesd’améliorer la situation des droits de l’homme. Souvent les deux en même temps, commeles Etats-Unis, à la fois puissant allié et puissant ennemi, contre lequel les ONG semblentimpuissantes. Un Etat qui ignore les violations dénoncées sera rendu coupable de passivitépar les ONG. Pas une pétition ne termine par un appel à l’intervention de la communautéinternationale, ONU et Etats compris. Le ton reste toujours diplomatique envers les Etats,même les plus despotiques. Question de politesse, de respect, d’impartialité. Mais aussid’intérêt. Il faut conserver des relations courtoises avec les gouvernements, partenairespotentiels.

Pour faire progresser les causes qu’elles soutiennent, les ONG ont donc besoind’Etats qui s’investissent dans le jeu diplomatique. Leur influence sur l’engagement desgouvernants paraît néanmoins aléatoire. Une certitude : si ses intérêts sont en cause,

45 Samy Cohen, La résistance des Etats, p. 102.46 Ibid, p.163.

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l’Etat s’engagera. Et, sur ce point, les ONG de droits de l’homme ne peuvent pas grandchose. Dès 1976 Amnesty International dénonce les exactions commises par le régime deSaddam Hussein : assassinats systématiques de kurdes, chrétiens assyriens, opposantschiites et communistes. Plus tard, elle révèlera l’utilisation de produits chimiques contreles civils du Kurdistan. Pire encore : l’introduction de mort aux rats dans des yaourts àdestination des kurdes. Qu’importe ! Tant que le régime de Saddam Hussein fait rempartcontre l’expansionnisme islamique iranien, il reste fréquentable. Les enfants des opposantspolitiques sont pris en otage, torturés devant leurs proches, massacrés. La Commission desdroits de l’homme de l’ONU n’en a cure. La question irakienne sera examinée à huit clos,le scandale évité47. Deux ans plus tard, les rapports sont ressortis. Par les Etats cette fois-ci. Ils les brandissent comme autant de preuves contre un régime qui menace leurs intérêtspétroliers. Les intérêts économiques passent avant les droits de l’homme.

Cet exemple le montre : l’inter étatique reste la clé de la politique internationale. C’estpourquoi, contre les dirigeants qui violent les droits de l’homme, les Etats sont une desarmes les plus efficaces que possèdent les ONG. Sauf que, cette arme, elles ne la maîtrisentpas totalement : les Etats agissent au nom de leurs intérêts. Parmi ces intérêts, les droitsde l’homme figurent loin de la première place. Ils ont certes progressé dans la hiérarchie,un peu grâce au travail des ONG. Mais, pour les gouvernements, ils restent des valeursrelatives.

2. Les Etats aussi ont besoin des ONGDu côté des Etats, au fil des ans, le ton semble s’être adoucit. A l’égard d’AmnestyInternational par exemple. Mike Dottridge48, ancien responsable du département Afrique duSecrétariat International en témoigne. Dans les années 1960, Sékou Touré, le chef d’Etatguinéen, n’avait pas hésité à comparer l’organisation à un moustique qu’il écraserait bien.Depuis, l’ONG a gagné en crédibilité et en pouvoir de nuisance. Les réponses aux lettressont plus circonstanciées. « Cher Monsieur, nous apprécions beaucoup votre travail, mais,dans le cas présent, vos informations ne sont pas tout à fait exactes ». On se méfie desONG.

Les ONG internationales de droits de l’homme sont des expertes. Leurs enquêtes sontfiables, les médias s’appuient sur leurs informations, l’opinion publique sait qu’elle peut leurfaire confiance. Les Etats ont beau feindre l’indifférence, la critique des ONG les agace.Certains essaient de les réduire au silence, en réprimant les défenseurs des droits del’homme locaux, en réduisant au silence des informateurs potentiels. Ou encore en achetantla loyauté d’ONG fictives pour tenter de décrédibiliser les autres, comme nous le verronsdans le chapitre suivant.

Les acteurs non gouvernementaux sont cependant parfois bien utiles aux Etats.L’expertise et le sérieux des ONG internationales de droit de l’homme n’ont pas échappé auxresponsables politiques. D’après Jean-Paul Besset, en France, les services du ministèredes affaires étrangères contactent quasi quotidiennement la section française d’AI pouréchanger des renseignements.49 Dans le domaine des droits de l’homme, comme danscelui de l’humanitaire et du développement, les ONG sont perçues comme des alliées utiles

47 Jean-Paul Besset, Amnesty International, la conspiration de l’espoir, p.134-135.48 Ibid, p.70

49 Ibid, p.69

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par les gouvernements occidentaux. Elles fournissent des informations aux gouvernements,des enquêtes fiables sur lesquelles ils peuvent s’appuyer. Elles pallient ainsi les carencesde l’administration et renforcent le dispositif de politique étrangère.

Les arrières-pensées des responsables politiques ne manquent pas. Les intérêtsnationaux, encore et toujours… Certains Etats, dont la France, voient dans les ONG unpossible instrument d’influence. Elles renforceraient la position de leur Etat de résidencedans le monde, elles en seraient de fidèles représentantes. Si la séduction, parfoisfinancière, n’empêche pas les rapports accablants, l’instrumentalisation n’est pas absente.Elle est subtile. Les dénonciations des ONG internationales peuvent être utilisées par lesEtats pour déstabiliser un adversaire, rassembler des soutiens internationaux contre lui.Ce fut le cas lorsque Saddam Hussein ou Slobodan Milosevic sont devenus les ennemispublics numéro un. Les rapports des ONG internationales étaient brandis comme autant depreuve qu’il fallait agir contre eux. Au contraire, aucune action ne sera tentée contre un Etatavec lequel les hommes politiques ont intérêt à avoir de bonnes relations.50 En visite enChine, ils se gardent bien de toute remarque. De même, lors des rencontres avec VladimirPoutine, aucun mot n’est soufflé sur la Tchétchénie. Les exactions et leurs dénonciationssont passées sous silence. Lorsque les Etats veulent conserver de bonnes relations avecun gouvernement coupable, les rapports des ONG ont pour seule utilité d’informer l’opinionpublique de ce qu’eux ne peuvent dénoncer publiquement. Il suffit ensuite de faire commesi de rien n’était. Ou bien d’agir et d’utiliser les informations comme des menaces.

Les ONG peuvent apparaître comme de précieux bras accusateurs pour les Etatsqui ne veulent pas se mouiller. De plus, les gouvernements recherchent presque tousla complaisance des ONG internationales. Chacun aimerait les avoir à ses côtés, aucunn’apprécie leurs critiques. Mais, elles sont difficilement corruptibles.

Les ONG de droits de l’homme alertent, dénoncent, tentent de mobiliser les médiaset l’opinion publique. Elles fournissent des informations aux sociétés civiles et auxEtats. « Elles se saisissent des problèmes politiques pour les retourner aux instancespolitiques ».51 Car, seuls les Etats sont capables de mettre en œuvre les mesures lesplus efficaces : les mesures militaires, économiques ou diplomatiques. Les hommespolitiques, quant à eux, s’appuient parfois sur les informations fournies par les ONG pourstructurer leur politique étrangère. Etats et ONG collaborent plus qu’ils ne se concurrencent,particulièrement en Occident. Lors des négociations internationales, on retrouve ce mélangede conflictualité et de complicité entre gouvernements et acteurs non-étatiques. Chacunveut influencer l’autre, chacun a besoin de l’autre.

50 Samy Cohen, p.10351 Ibid, p.170

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Chapitre 2 : Les ONG de droits del’homme et la diplomatie internationale

En 1945, la charte de San Francisco rend l’existence des ONG officielle. Elle est le premiertexte international à reconnaître ces organisations comme des acteurs internationaux à partentière. L’Organisation des Nations Unies (ONU) leur a ouvert les portes, les ONG ont saisil’opportunité. Utilisant les enceintes de l’ONU et les conférences internationales commedes forums, elles tentent d’influencer le cours des relations internationales, d’imposer leurspréoccupations à l’agenda et de faire évoluer le droit international.

Faire progresser les droits de l’homme dans les textes est l’un des objectifs des ONGde droits de l’homme. Or, le droit international s’est beaucoup étoffé depuis la Déclarationuniverselle des droits de l’homme de 1948. Quel rôle les ONG ont-elles joué dans cetteévolution ?

En théorie, aussitôt les conventions ratifiées par les Etats, elles deviennentcontraignantes. En pratique, faute de sanctions efficaces, elles restent souvent lettresmortes. Certains Etats les utilisent comme des façades, faux miroirs de bonnes pratiques.D’autres les dénoncent comme autant d’instruments au service de l’hégémonie occidentale.

A. Reconnues par l’ONU, les ONG ne font pasl’unanimité des Etats

Les ONG ne sont pas apparues sur la scène internationale avec l’ONU. La Société desNations (SDN), son prédécesseur, leur avait accordées une position d’« assesseur ».Elle voulait en effet s’assurer les compétences déjà reconnues de certaines associationsinternationales. La Croix-Rouge, la Ligue internationale des femmes pour la paix et laChambre de commerce internationale ont été particulièrement actives à l’intérieur de laSDN, comme à l’extérieur. Dans les instances de la SDN, les ONG travaillaient avec lesreprésentants des gouvernements et les fonctionnaires internationaux, contribuant par leursconnaissances et leur savoir-faire à la résolution de questions internationales. En dehors del’organisation, elles élaboraient des dossiers solides, espérant qu’ils soient pris en comptepar les gouvernements.52 C’est ce qu’elles continuent à faire aujourd’hui. Mais, il fallutattendre 1945 et la création de l’ONU pour que les ONG soient reconnues officiellement.

1.Obtention d’un statut à l’ONUL’article 71 de la charte des Nations Unies stipule que « le conseil économique et social peutprendre toutes dispositions utiles pour consulter les organisations non-gouvernementalesqui s’occupent de questions relevant de sa compétence. Ces dispositions peuvent

52 Steve Charnovitz, « Des organisations actives depuis la fin du XVIIIè Siècle », in Les ONG, acteurs de la mondialisation, p10 et 11.

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s’appliquer à des organisations internationales et, s’il y a lieu, à des organisations nationalesaprès consultation du Membre intéressé de l’Organisation ». Par cet article, c’est toutd’abord l’expression « organisation non gouvernementale » qui est consacrée : c’est lapremière fois que ce nom apparaît dans un document officiel. Pourquoi avoir choisi ce nomet avoir décidé de les reconnaître ? D’après les travaux préparatoires de la conférencede San Francisco, il n’y a pas eu de véritables discussions sur le sujet. En fait, lesrangs de la délégation américaine comptaient de nombreux représentants d’associationset d’organisations professionnelles. Ils ont pu exercer des pressions sur les Etats pourêtre reconnus. En effet, les organisations caritatives et professionnelles avaient activementparticipé à l’effort de guerre américain et allié. La paix revenue, elles espéraient voir leursefforts et leur rôle dans les relations internationales reconnus.53 Espoir concrétisé par l’article71. Cet article consacre l’expression ONG, mais il ne les crée pas : il existait déjà dansle vocabulaire anglo-saxon pour désigner ce qu’en France on appelait les associationsinternationales. En reconnaissant l’existence de ces organisations, leur qualité d’expertise etleur rôle dans les relations internationales, l’article 71 codifie des usages officieux courantsdu temps de la SDN.

Désormais, les ONG ont un statut consultatif auprès du Conseil économique et social(Ecosoc). Statut qui va leur ouvrir d’autres portes. L’accréditation de l’Ecosoc leur donneainsi accès à l’assemblée générale et à de nombreuses commissions de l’ONU. Si ellesne peuvent pas faire de déclarations écrites ou orales, elles peuvent suivre les débats,puis, dans les couloirs de l’ONU, transmettre leur point de vue aux autres participants. Ellespeuvent s’exprimer d’autant plus facilement qu’elles font souvent partie des délégationsnationales. Place de choix pour donner leurs avis aux représentants politiques. Les ONGde droit de l’homme ont également accès au Conseil de sécurité, en tant qu’expertes. Lerèglement intérieur du Conseil de sécurité prévoit en effet la possibilité pour lui d’inviter« toute personne qu’il considère qualifiée à lui fournir des informations ou à lui donnerassistance dans l’examen de questions relevant de sa compétence ». Ainsi, c’est sur desrapports présentés par Global Witness, que s’est engagé un débat sur les sanctions àprendre à l’égard du Libéria.54 Selon leur domaine d’activité, les ONG peuvent égalementcollaborer avec les agences spécialisées de l’ONU : FAO, Unesco, HCR, PNUE…

Une avancée de plus a eu lieu en 1996 : une résolution de l’Ecosoc a réformé lestatut des ONG. Elles ont été reconnues comme « des experts techniques, conseillers etconsultants » des Nations Unies. C’est officiel : le statut consultatif ouvre toutes les portesde l’ONU aux ONG accréditées par l’Ecosoc. Elles peuvent assister aux réunions, auxcommissions et aux conférences des Nations Unies dont les thèmes correspondent à leurdomaine d’activité. Elles peuvent même modifier l’ordre du jour.55 Or, depuis 1945, le nombred’ONG accréditées à l’ONU a explosé. Elles étaient 41 en 1945, 800 en 1990 et 2010 en2001.56

Des portes qui s’ouvrent, des rangs qui s’étoffent. Une belle évolution. Elle pourraitêtre interprétée comme une montée en puissance des ONG. Sauf que, derrière les chiffres,surgit un double problème : de « fausses » ONG parviennent à être accréditées, tandis qued’autres sont exclues car trop gênantes.

53 Dorothée Mayer « Les ONG, une catégorie vaste et multiforme », in Les ONG, acteurs de la mondialisation, p 21.54 Marie-Claude Smouts, Dario Baltistella, Pascal Venesson, Dictionnaire des relations internationales. Paris : Dalloz, 2003.55 Afsané Bassir Pour, « Plus de 2000 organisations non gouvernementales sont accréditées à l’ONU », Le Monde, 4-5 février

2001.56 Ibid

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2. Des ONG de droit de l’homme gênantesLa résolution 1996/31 de l’Ecosoc ouvre l’accréditation aux ONG nationales « aprèsconsultation du Membre intéressé », c’est-à-dire de l’Etat de « résidence » de l’ONG.Une opportunité pour les ONG locales. Mais aussi pour les dirigeants. Certains Etats,tels la Chine, la Russie, le Soudan, l’Algérie, le Pakistan ou encore Cuba font tout pourque certaines ONG indépendantes n’accèdent pas au statut consultatif. Les réticencesconcernent surtout les associations de défense des droits de l’homme.57 Les plus impartialesrisquant de nuire à l’image de leur propre gouvernement… Par contre, ces mêmes Etatsn’hésitent pas à favoriser l’accréditation d’ONG gouvernementales, qu’ils contrôlent. Ils sontassurés qu’elles appuieront les positions officielles. Ces associations n’ont d’ONG que lenom. Une caractéristique essentielle leur fait défaut : l’indépendance.

En théorie, pour être accréditées par l’Ecosoc, les ONG ne doivent pas être financées àplus de 30% par les gouvernements. Mais certaines parviennent à échapper aux contrôlesfiscaux. Selon une source de l’ONU, les ONG « de mauvaise foi » représenteraient « moinsde 1% » de l’ensemble de celles qui sont accréditées par l’ONU, « mais elles risquent deternir la réputation des autres ».58 Contrer les ONG légitimes est leur objectif et celui deleurs Etats. Une fois les accréditations pour les fausses ONG obtenues, la fronde contreles ONG indépendantes continue, au sein des commissions. A la Commission des droits del’homme, devenue Conseil des droits de l’homme, comme ailleurs. Aucune association dedroits de l’homme indépendante n’a jamais manqué une session de la Commission59. Oùpeser davantage ? Les droits de l’homme c’est leur domaine. Leurs dossiers sont à jour.Leur expertise connue. Ce sont souvent elles qui révèlent les violations ensuite discutéesà la Commission. Progressivement, les ONG se sont vues réduire leur temps de paroleet leur liberté d’action, accusées d’être à l’origine d’une surcharge de l’ordre du jour, dela politisation des débats…60 Trop gênantes ? Certains Etats ne les voient pas d’un bonoeil. En mars 1999, une ONG suisse de droits de l’homme a été exclue de la Commissionà la demande du gouvernement soudanais. Sa faute ? Avoir invité John Garang, le chefde la rébellion sudiste, à s’exprimer devant les membres de la Commission. « Les ONGsont coincées entre les régimes autoritaires et les démocraties qui veulent ménager lessusceptibilités de ces derniers ».61 La Commission a été réformée en mars 2006 pourdevenir le Conseil des droits de l’homme. Elle était jugée trop politisée et sa compositionpeu équitable. Le Conseil des droits de l’homme est composé de quarante-sept Etats éluspour trois ans à la majorité simple des membres de l’Assemblée. Sa composition doitêtre géographiquement équitable et les Etats membres doivent être soumis à un examenpériodique universel. Il n’est pas certain que le passage d’une Commission à un Conseilmodifie profondément les choses. La politisation reste à l’ordre du jour. De même que lesluttes entre certains Etats et ONG. Pour Samy Cohen, « ces luttes révèlent l’importancedes ONG comme enjeu politique international ».62 Les Etats préfèrent voir les ONG avec

57 Sara Guillet, « Les réticences de certains Etats », in Les ONG, acteurs de la mondialisation, p.57.58 Ibid59 Philippe Texier, « Droits de l’homme, une réforme en demi-teinte », Le monde diplomatique, octobre 2006.60 Sara Guillet, « Les réticences de certains Etats », opt. Citée, p.58.61 Samy Cohen, La résistance des Etats, p.68.62 Samy Cohen, La résistance des Etats, p.67.

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eux plutôt que contre eux. Signe de la puissance des ONG ? De leur pouvoir de nuisanceen tout cas.

En octroyant un statut officiel aux ONG, l’ONU a ouvert la voie à une institutionnalisationdes rapports entre les ONG et les organisations internationales. Les ONG ont, depuis,obtenu un statut consultatif auprès du Conseil de l’Europe, de l’OCDE et de sescomités. Avec l’Union Européenne s’est également construite une collaboration étroite,particulièrement dans les domaines du développement et de l’environnement, les droits del’homme étant plutôt le domaine du Conseil de l’Europe. Au fil des ans, les ONG ont acquisde la visibilité. Visibilité élaborée grâce à la reconnaissance de leur rôle. Mais aussi à leuractivisme et à leur sérieux.

B. Les ONG, co-productrices de normesinternationales

Les ONG se sont imposées comme des acteurs quasi incontournables des relationsinternationales. Les organisations internationales leur ont offert un statut, plus ou moinsimportant selon les institutions, elles en font usage. Pourquoi se priver de ces prérogatives,aussi réduites soient-elles ? Les enceintes internationales sont un lieu de rencontre, dediscussion et de prise de décision. Lieu propice au lobbying et aux propositions, ellesont permis aux ONG de participer activement à l’élaboration et à l’adoption de normesinternationales. Le pouvoir de décision finale appartient cependant aux détenteurs de lasouveraineté : les Etats.

1. L’intrusion des ONG dans l’élaboration du droit internationalLes ONG sont devenues « entrepreneurs de normes ».63 Elles interviennent à tous lesniveaux d’élaboration des politiques. Avant l’ouverture des négociations, elles organisentdes campagnes de sensibilisation, multiplient colloques, séminaires, rapports et contactsavec la presse. Objectif : mobiliser l’opinion publique et presser les Etats à sortir deleur léthargie. En parallèle elles font directement pression sur les gouvernements et lesorganisations internationales par l’envoi de pétitions, lettres, représentants… Une fois lesnégociations ouvertes, la même procédure est remise en marche. Puis il faut pousser lesEtats à accepter la décision. Campagnes de sensibilisation, réunions, lobbying sont remisà l’ordre du jour. Au cours de ces différentes étapes, les liens entre les « élites » du mondeassociatif et du monde étatique se révèlent être utiles.64 De même que les alliances entreONG, qui apportent plus de cohérence et de poids à leurs revendications.

Les ONG n’ont manqué aucune des dernières grandes conférences mondiales, cellesde Vienne sur les droits de l’homme (1993), du Caire sur la population et le développement(1994), de Copenhague sur le développement social (1995), de Beijing sur le droit desfemmes (1995)… Elles se sont illustrées par leur volonté d’imposer des avancées enmatière de droits de l’homme. Les conventions d’Ottawa, sur les mines antipersonnel, et de

63 Bertrand Badie, La diplomatie des droits de l’homme, p.283.64 Yves Dezalay et Bryant Garth, « Connivence des élites internationalisées », Le Monde diplomatique, juin 2005.

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Rome, créant la Cour pénal international (CPI), sont les plus souvent citées pour démontrerl’influence des ONG sur les négociations internationales.

Lors des préparatifs de la conférence de Rome, en juillet 1998, une coalition de huit centONG 65 bien informées et bruyantes a joué « un rôle déterminant pour que la Cour obtienneun mandat vigoureux ».66 Elles ont investi certaines délégations, fourni des arguments auxreprésentants étatiques, mais surtout, elles ont poussé les Etats à s’engager au-delà deleurs objectifs initiaux.67 La CPI n’est pas parfaite, elle n’est pas à la hauteur de toutes lesespérances, mais le résultat obtenu n’est pas négligeable. Des individus, simples citoyensou chefs d’Etat, en exercice ou non, pourront être poursuivis pour génocide, crime contrel’humanité, crime de guerre ou crime d’agression. Le procureur pourra engager une enquêteet des poursuites. Et ce de sa propre initiative, « au vue de renseignements concernantdes crimes relevant de la compétence de la Cour ». Il pourra également être saisi parles Etats parties et le Conseil de sécurité. Les ONG ne sont pas en reste. Elles pourrontintervenir dans le déclenchement de la poursuite, voire dans la conduite de l’instruction. Eneffet, le procureur pourra « rechercher des renseignements supplémentaires auprès d’Etats,d’organes de l’ONU, d’organisations internationales et non gouvernementales ou d’autressources dignes de foi » (art.15). Les ONG se voient reconnaître un pouvoir supplémentairedans la conduite des affaires du monde.

Les ONG s’étaient déjà illustrées par leur virulence dans les coulisses de laconvention d’Ottawa sur les mines antipersonnel, signée en 1997. La campagne non-gouvernementale débute en 1992, à l’initiative de six ONG, dont Handicap international etHuman Right Watch. Bientôt, elle rassemblera 1200 ONG venant de 90 pays.68 Sous lelabel International Campaign to Ban Landmines, elles organisent pétitions et évènementsmédiatiques, telle la pyramide de chaussure. Campagnes nationales et internationalessont coordonnées : les dégâts provoqués par les mines antipersonnel doivent être connusde tous. Gouvernements, citoyens, élus, journalistes, responsables d’associations sontinterpellés. Un vaste mouvement d’opinion publique se crée en faveur de l’interdiction del’usage de ces armes. Tout opposant risque la stigmatisation. Les mines antipersonnel sontinterdites par la convention d’Ottawa, signée par 182 Etats. « Les opinions publiques ontmontré qu’elles constituaient une superpuissance ».69 Pour les ONG, le combat ne s’estpas arrêté avec la signature de la convention. Un observatoire international des mines a étécrée, rassemblant des ONG et une dizaine de gouvernements. Chaque année, un rapportpar pays est publié, un moyen de faire pression sur les pays signataires et de stigmatiserles pays non signataires.

D’autres succès ont récemment été remportés dans le domaine des armes. Là encore,les ONG de droits de l’homme se sont montrées actives. Depuis 2003, une coalition d’ONGmène une campagne « Control arm » pour obtenir une régulation du commerce des armes.Or, en décembre 2006, l’assemblée générale des Nations Unies a voté pour l’élaboration

65 Henri Rouillé D’Orfeuil66 « Les droits de l’homme aujourd’hui », Document d’information des Nations Unies, publications des Nations Unies, février

1999, p. 19 et 20.67 Serge Sur, « Une place excessive pour les ONG ? », in in Les ONG, acteurs de la mondialisation, Problèmes politiques et

sociaux n° 877-878, La documentation française, 2 août 2002, p.87.68 Henri Rouillé d’Orfeuil, La diplomatie non gouvernementale.69 Philippe Chabasse, « L’interdiction des mines antipersonnel », in Les ONG dans la tempête mondiale, coordination SUD,

Edition Charles Léopold Mayer, p. 179.

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d’un traité sur le commerce des armes. De plus, une conférence sur les bombes à sous-munitions a débouché sur l’adoption, le 22 février, par quarante-six des quarante-neufspays présents, d’une déclaration par laquelle ils s’engagent à conclure un traité internationalinterdisant l’utilisation, la production, le transfert et le stockage des bombes à sous munition(BASM). Même la France et la Grande-Bretagne se sont ralliées.70 Un succès. Les ONGinternationales semblent capables d’influencer les Etats. Leur influence est cependant àrelativiser.

2. Une coopération nécessaire avec les EtatsLes Etats ont perdu le monopole de la codification du droit international. C’est ce qu’illustreles conventions d’Ottawa et de Rome. Ils doivent composer avec de nouveaux acteurs,les ONG, qui interviennent dans les négociations inter étatiques et bousculent l’agendainternational. Mais, les décisions finales dépendent toujours de la volonté des Etats, seulssouverains.

Les ONG ont joué un rôle important au cours de la préparation de la conventiond’Ottawa. Elles ont notamment participé à la prise de conscience des ravages que peuventprovoquer les mines antipersonnel. Mais, « elles ne sont pas les seules instigatrices decette convention ».71 En fait, Ottawa est le fruit d’une convergence de vue entre des ONGet des Etats conscients des méfaits de ces armes qui font une victime toutes les vingtminutes. Ainsi, les Etats-Unis et la France avaient instauré un moratoire sur les exportationsde mines respectivement en 1992 et 1993. Le Parlement belge va encore plus loin : en1995, il adopte à l’unanimité un projet de loi interdisant la production, la vente, le transfert etl’exportation de mines antipersonnel. Cette même année, la France vote un moratoire sur laproduction de mines. Le combat a déjà pénétré la sphère internationale : aux Nations-Unies,deux résolutions relatives aux moratoires sur les exportations ont été adoptées, à l’initiativedes Etats-Unis. Les puissances occidentales étaient acquises à la cause. Les ONG lespousseront néanmoins à aller plus loin qu’elles ne le souhaitaient au départ. En 1996, laConvention sur les armes conventionnelles de 1980 est révisée. Un protocole II lui estajouté. Il interdit l’emploi des mines antipersonnel les plus dangereuses, celles qui ne sontpas détectables. Les ONG exigent une interdiction totale de ces armes. Le gouvernementcanadien les soutient et organise une réunion internationale en octobre 1996. 74 Etats yparticipent. Une cinquantaine est convaincue qu’il faut interdire les mines antipersonnel.Ils constituent le « Groupe d’Ottawa ». Les Etats promettent de se réunir à nouveau en1997, cette fois pour signer une convention bannissant les mines. Le processus d’Ottawaest lancé. Les ONG ne sont pas seules à se mobiliser. C’est une coalition hétéroclited’ONG, d’Etats et d’organisations internationales qui fait campagne pour convaincre lemaximum d’Etats. Parmi les Etats actifs : l’Allemagne, la Belgique, le Canada, les Pays-Bas… La France, la Grande-Bretagne, l’Espagne, l’Italie finissent par se rallier. En France,les militaires, au départ hostiles, finissent par admettre qu’ils n’utilisent plus ce genred’armes, d’autant qu’elles peuvent se retourner contre eux. En fait, nombre des Etatssignataires d’Ottawa n’utilisaient plus de mines antipersonnel. Signer ne s’opposait doncpas à leurs intérêts. Quand à ceux qui utilisent encore ces armes, ils n’ont toujours pas signé.Les ONG ont « déminé la moitié du terrain. »72 Mais, la pression des opinions nationales

70 La chronique d’Amnesty International, avril 2007.71 Samy Cohen, La résistance des Etats, p.85.72 Samy Cohen, « Les ONG ont déminé la moitié du terrain », Alternatives internationales, n° 6, janvier-février 2003, p.40.

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et la volonté des Etats ont également contribué au succès de la Convention. Pour SamyCohen, « sans une poignée d’Etats déterminés » la convention d’Ottawa n’aurait pas étépossible.73 En tous cas, elle n’aurait pas eu le même contenu.

Obtenir la réalisation d’un projet international est plus facile avec le soutien de quelquesEtats. Sur de nombreux sujets les ONG peuvent trouver des alliés. Mais, ces alliés doiventêtre assez puissants pour contrer les opposants et les convaincre d’adopter un texte à lahauteur des espérances les plus ambitieuses. Parfois, les projets n’aboutissent pas. C’est lecas de la conférence des Nations Unies sur la lutte contre l’accumulation et le trafic d’armeslégères. Le soutien des pays européens et du Canada n’a pas suffi face à l’opposition desEtats-Unis, de la Russie et de leurs alliés importateurs. D’autres fois, les textes obtenus nesont pas aussi contraignants que l’auraient voulu les ONG. C’est le cas pour la plupart desconventions internationales. Les conventions de Rome et d’Ottawa ne font pas exception.Ainsi, les contrôles prévus par la convention d’Ottawa laissent une part de discrétionnaireaux Etats. Les rapports sur la nature et la qualité des stocks, les mesures d’applicationnationale du traité et la localisation des zones minées sont fournis au secrétaire généraldes Nations Unies par les Etats eux-mêmes74. De plus, en utilisant leur droit de veto ouen influençant ceux qui le possèdent, les Etats les plus puissants peuvent échapper auxpoursuites de la Cour pénale internationale.75 En effet, le Conseil de sécurité peut suspendrependant douze mois renouvelables un processus engagé par le procureur, les Etats peuventrécuser la compétence de la Cour pendant sept ans, invoquer la sécurité nationale pourrefuser de fournir certaines informations, les Etats-Unis ont signé des accords bilatérauxavec plusieurs Etats pour empêcher l’extradition de leurs ressortissants respectifs… « Sansla coopération des Etats, sans leur soutien actif, la CPI sera condamnée à l’impuissance ».76

Ce constat est celui de Robert Ménard, président de RSF. Et non d’un diplomate. Que diredes Etats qui ne sont même pas parties à ces conventions ? Les Etats-Unis n’ont ratifié nila convention d’Ottawa, ni la convention de Rome, préférant garder les mains libres.

Ce sont les Etats qui ont le dernier mot. Les ONG sont capables d’influer sur l’agendainternational, sur le cours des négociations internationales et le contenu des conventions.Mais, « sur les questions qui touchent au noyau dur de la souveraineté nationale, ellesn’ont d’autre pouvoir que celui que les Etats veulent bien leur céder »77. Si les responsablesnationaux ont perdu le monopole des relations internationales, la force des conventionsdépend toujours d’eux. Ils possèdent le pouvoir de ratifier les conventions et celui de lesmettre en œuvre. C’est pourquoi, pour obtenir des conventions solides et respectées, lesONG doivent à chaque fois convaincre les Etats les plus puissants. Et encore cela ne suffitpas toujours. Car, sur le droit international élaboré au sein de l’ONU pèse un soupçon, celuide l’occidentalisme. Les droits de l’homme en sont entachés.

C. L’universalité des droits de l’homme en question73 Ibid.74 Samy Cohen, La résistance des Etats, p.92.75 Bertrand Badie, La diplomatie des droits de l’homme, p.231.76 Cité dans Samy Cohen, p.113.77 Samy Cohen, « Les ONG ont déminé la moitié du terrain », Alternatives internationales, janvier-février 2003, p.41.

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Depuis 1948 et l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme, le droitinternational s’est étoffé. Les ONG de droits de l’homme participent à l’élaboration de cesnormes, qu’elles utilisent ensuite comme des armes au service des droits de l’homme. Ellestraquent les écarts entre engagements et pratiques, dénoncent les manquements des Etatssignataires des conventions, stigmatisent les Etats non signataires. Elles savent les Etatssensibles à leur image et exploitent cette faiblesse. Mais, cette arme peut aussi se retournercontre elles. Le droit international, celui de l’ONU, est proclamé universel. Pourtant, aux yeuxde certains Etats, il n’est pas légitime, il n’est que l’émanation de l’idéologie occidentale, unoutil au service de puissances qui voudraient imposer leur mode de pensée à la planète etauxquelles les ONG seraient alliées. Est-ce à dire qu’il n’existe pas de droits fondamentauxuniversels, communs à l’ensemble de l’humanité ?

1. Soupçon d’occidentalisme sur les droits de l’hommeLa Déclaration universelle de 1948 « a été élaborée par de grandes puissances qui necomprenaient pas les besoins des plus pauvres ».78 Bin Mahatir Mohamad, Premier ministrede Malaisie, n’est pas le seul à le penser. Les normes internationales « onusiennes » ont étéfaçonnées par quelques puissances. La plupart occidentales, le constat s’impose. D’ailleurs,en 1965, le rapport final de la table ronde d’Oxford, organisée par l’Unesco, souligne queles Etats qui ont participé à l’élaboration et au vote de la DUDH ne représentaient qu’unepartie du globe. Des pays industrialisés, en voie de développement, capitalistes, socialistes,pluralistes, à parti unique… étaient présents. Mais, c’est le libéralisme individualiste qui atriomphé.79 Dans la DUDH, on retrouve des dispositions similaires à celles énoncées dansles Constitutions et déclarations américaines et françaises, ainsi que dans les textes etpratiques britanniques. Parfois teintées de socialisme, elles restent centrées sur l’individu.La Seconde guerre mondiale a révélé, sous une lumière crue, l’horreur dont étaient capablesles êtres humains. En 1948, l’objectif de la communauté internationale était donc de mettreen avant les principes qui rapprochent les hommes. Mais, parce qu’ils ont été rédigés parquelques puissances, les droits de l’homme « onusiens » vont être remis en cause en mêmetemps que le colonialisme. Ils apparaissent soudain comme une expression de plus de ladomination occidentale. La preuve : ils ne prennent pas en compte la spécificité des culturesmusulmanes, bouddhistes, hindouistes ou africaines.

Le droit des peuples à la différence, qui émerge dans les années 1950 avec lesrevendications indépendantistes, va conduire au relativisme culturel. Chaque culture a sespropres valeurs. Des valeurs égales les unes aux autres, que l’on ne peut pas juger del’extérieur. C’est cela le relativisme culturel. Il existe une multitude de façon de concevoirl’homme, le cosmos, l’organisation politique et social d’un groupe. Pour les Bouddhistes,l’homme n’est qu’un des êtres doués de sensibilité qui peuplent l’univers. Ce n’est pas l’êtresouverain, doté d’entendement et pour cette raison de droits, de la société occidentale.Dans certaines cultures, l’individu est envisagé dans le cadre d’un groupe social, il est liépar des devoirs sociaux, des normes éthiques, le respect des traditions… Par exemple,le confucianisme insiste sur le respect de la hiérarchie sociale et de l’autre. Si tous leshommes respectent leurs devoirs, alors leurs droits seront automatiquement assurés.80 EnAfrique, c’est la famille qui prime sur l’individu… L’homme peut être considéré de différentes

78 Cité par Bertrand Badie, opt. citée, p.49.79 Joseph Yacoub, Les droits de l’homme sont-ils exportables ?, Ellipses Edition marketing S.A., Paris, 2005.

80 Ibid, p16 et 18.

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manières. Pour Joseph Yacoub, les droits de l’homme n’ont pas de base universelle, c’est-à-dire de signification hors du temps et de l’espace. Ils évoluent selon les sociétés et lesépoques, tout comme la vision de l’homme évolue.

Alternatives à un droit international jugé trop occidental, les textes régionaux se sontdonc multipliés. La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (1981) rappellel’importance des valeurs et traditions africaines dans la conception du droit (art. 4), elle rendles droits civils et politiques indivisibles des droits économiques et sociaux et insiste surl’importance de la famille. La Convention du Caire de 1992 soumet les droits de l’hommeau respect des principes musulmans (art 24). La Convention de Bangkok met en avantles valeurs asiatiques… Toutes font cependant référence à des principes que l’on retrouvedans la DUDH. C’est pourquoi Bertrand Badie souligne que ce n’est probablement pasl’essence des droits de l’homme qui est en cause. Mais plutôt leur mode de production.Ces droits sont soupçonnés d’être des instruments au service de l’hégémonie occidentale.Les Occidentaux voudraient imposer leur culture au monde. Il y a « présomption dedomination ».81 Présomption renforcée par l’attitude des Etats occidentaux. Combien degouvernements renversés officiellement au nom des droits de l’homme, officieusement aunom d’intérêts particuliers ? En installant Pinochet, la CIA a éloigné le spectre du socialisme,mais à quel prix ?

Le comportement des Occidentaux est loin de jouer en faveur de la légitimation desdroits de l’homme. Au contraire, il sert souvent ceux qui invoquent le relativisme culturel,les intérêts nationaux, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes… pour dissimuler oujustifier les violations les plus graves. Poussé à l’extrême, le droit à la différence amèneau relativisme radical et au « droit à l’oppression ». Il peut en effet légitimer les mutilationssexuelles des fillettes en Afrique et au Moyen-Orient, les massacres d’Intouchables en Indeet tant d’autres atrocités.82 Le droit à la différence fait partie des droits fondamentaux, SélimAbou ne le nie pas. Selon lui, c’est un droit naturel de l’homme, au même titre que le droit àla liberté d’expression, par exemple. Les valeurs particulières doivent être respectées, sauflorsqu’elles heurtent les valeurs reconnues par la presque totalité des Etats du monde83.Car, la dignité humaine, le respect de la vie, l’égalité, la liberté, la tolérance… ne sontpas des principes particularistes. Les hommes les reconnaissent, moralement au moins.Et ce, quelles que soient leurs cultures, leurs traditions, leurs religions.84 D’ailleurs, « c’estau non des droits de l’homme proclamés dans la déclaration de 1789 ou de 1948 que,dans le monde entier, des opposants ont mené la lutte contre des régimes dictatoriaux oumilitaires ».85

2. L’homme, plus petit dénominateur commun« S’il convient de ne pas perdre de vue l’importance des particularismesnationaux et régionaux et la diversité historique, culturelle et religieuse, il estdu devoir des États, quel que soit le système politique, économique et culturel

81 Bertrand Badie, opt. citée, p 50.82 Sélim Abou, Cultures et droits de l’homme, Presses de l’Université Saint-Joseph, 2002, p.300.83 Ibid, p.29884 Joseph Yacoub, opt. citée, p.26.85 Danièle Lochak, Les droits de l’homme, Editions La Découverte, Paris, 2005, p.56

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de promouvoir et de protéger tous les droits de l’homme et toutes les libertésfondamentales ».

Voici ce qui est énoncé dans l’acte final de la Convention de Vienne de 1993. Cet acte,tous les Etats présents l’ont signé.86 Ce qui équivaut à reconnaître l’existence de valeursfondamentales, de certains droits naturels de l’homme.

Ces droits ne sont pas remis en cause par l’Islam, comme le clament haut et fort certainsfondamentalistes. L’homme en Islam est doté de droits. Il est libre d’agir et doit pouvoir jouirde ses droits sans discrimination. « Les femmes sont les sœurs des hommes »87, elles aussiont des droits, comme celui d’être respectées. De plus, la dignité de la personne humaineest une valeur centrale de l’Islam, comme de la plupart des religions.

Aucune particularité culturelle ne saurait justifier la torture, la violence ou l’esclavage.Et aucun texte régional n’ose le faire. Les instruments régionaux sont semblables lesuns aux autres, malgré les distances et malgré la volonté de se distinguer. En fait, parleur régionalisation, les droits de l’homme ont été contextualisés, ils ont été insérés dansdes sociétés particulières, sans que leur universalité soit remise en cause.88 C’est laterminologie « droits de l’homme » qui est contestée. Elle est devenue synonyme devaleurs européennes. Pourtant, depuis 1948, le droit international s’est enrichi. Les Etatsnon occidentaux se sont multipliés, ils ont acquis une place au sein de l’ONU et participentdavantage à l’élaboration du droit international. Les deux pactes de 196689 ont corrigél’individualisme de la DUDH. Le droit des peuples, des minorités, des femmes, les notions dedevoirs, de famille… sont apparus. Un peu de collectif est venu compléter l’individualisme.Mais, le droit international est encore largement marqué par la philosophie occidentale. Cesont toujours les pays occidentaux qui dominent les instances de l’ONU. Et, les droits del’homme les plus fondamentaux, reconnus sur les cinq continents, restent contestés.

La critique envers les droits de l’homme vaut pour les ONG, accusées de propagerle modèle occidental. « Les ONG ont contribué au cours de ces dernières années àla propagation des conceptions politiques en vigueur dans les pays occidentaux ».90

Cette remarque c’est pas celle d’un dirigeant sanguinaire pris à partie par une ONG dedéfense des droits de l’homme. Mais celle de Pierre de Senarclens, professeur de relationsinternationales. La plupart des ONG internationales sont nées dans les pays occidentaux.Dans les années 1990, elles sont cependant allées s’installer un peu partout dans lemonde : à l’Est, à l’Ouest, au Nord, au Sud. Amnesty International est présente dans 150pays, la Fédération Internationale des droits de l’homme dans 9091, Human Rights Watchdans 70… Elles ont réussi à former des réseaux de défense des droits de l’homme surles cinq continents. Ces réseaux s’appuient sur des ONG locales. On peut douter de laneutralité d’ONG internationales fondées dans des pays occidentaux. Mais que dire desONG locale de défense des droits des femmes qui militent dans des pays islamiques, parexemple ? Qu’elles ont subi la mauvaise influence des puissants Occidentaux ? Pour qu’uneassociation de défense des droits de l’homme se forme, il faut des gens convaincus de

86 Ibid87 Sourate Al Maida, Verset 9, cité par Boubker Kadiri, « Les droits de l’homme en islam », in Le Maroc et les droits de l’homme,

L’Harmattan, 1994.88 Joseph Yacoub, p.8.89 Le pacte sur les droits civils et politiques et celui et le pacte sur les droits économiques et sociaux.90 Pierre de Senarclens, La politique internationale, Paris, Dalloz, 3ème édition, 2000, p.120.91 www.fidh.org/fidh/index.htm.

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l’universalité de certains droits. L’homme ne serait-il pas un plus petit dénominateur communentre des cultures, traditions, valeurs différentes ? A nouveau, c’est moins la nature desdroits défendus par les ONG que l’origine, et des droits et des ONG, qui est en cause. DesONG « occidentales » se permettent de dénoncer des pratiques non conformes à un droitlui aussi « occidental ». Ca agace. Et pourtant, les pays occidentaux n’échappent pas auxdénonciations des ONG internationales. Ainsi, le rapport 2006 d’Amnesty International nefaisait pas de cadeau à la France sur la situation peu reluisante des droits de l’homme dansses prisons.

Les ONG de défense des droits de l’homme font désormais partie du jeu international.Elles ont acquis un statut et une place dans les organisations internationales et auprèsdes délégations de certains pays. Ce qui leur permet de dépasser le cadre national etd’exercer leur pouvoir de nuisance par le haut. Les Etats conservent le pouvoir de décision,mais ils ne peuvent empêcher les ONG de s’exprimer et de participer à l’élaboration dudroit international. Ce droit, certains le remettent en cause : il ne serait pas universel,mais occidental. Pourtant, les signataires ne sont pas exclusivement occidentaux. Parmieux, des Etats qui ont utilisé ou qui utilisent l’argument de non universalité pour rejeter lesdroits de l’homme. La ratification d’une convention vaut acceptation de ses dispositions.Et surtout, application. Les Etats l’oublient parfois, car les mécanismes de sanction sontquasi inexistants. Mais, les ONG veillent, elles utilisent les conventions comme des armesau service des droits de l’homme, s’appuyant sur les engagements pour dénoncer lespratiques.

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Chapitre 3 : Changer les pratiquesnationales, un objectif des ONG dedroits de l’homme

Depuis 1948, le droit international s’est étoffé. A la Déclaration Universelle des Droits del’Homme et du Citoyen succédèrent les conventions sur le génocide (1948), sur les réfugiés(1951), sur le droit politique des femmes (1957), sur les discriminations raciales (1966),sur le droit humanitaire (1977), sur les discriminations (1979), sur la torture (1987), sur ledroit des enfants (1990), sur les droits de l’homme (1993)… Sans oublier le pacte sur lesdroits civils et politiques et celui sur les droits économiques, sociaux et culturels, adoptésle 16 décembre 1966 par l’Assemblée des Nations Unies. Le système international identifieet protège une large palette de droits fondamentaux. Economie, politique, social… Aucundomaine ne semble échapper à l’intrusion des droits fondamentaux dans la vie des hommes.En théorie, les droits de l’homme ont progressé. En pratique, les violations des droits del’homme se poursuivent. A quoi servent les traités s’ils ne sont pas mis en pratique ? Quepeuvent faire les ONG pour que les pratiques changent, pour que, dans la réalité, les droitsde l’homme progressent ?

A. Les engagements cyniques ne sont pas sansrisques

Les droits de l’homme se sont institutionnalisés. Normes internationales et Etats signatairesse sont multipliés, donnant à chaque fois un peu plus de légitimité aux droits de l’homme.Mais, le renforcement des droits fondamentaux n’est pas ce que recherchent les Etatslorsqu’ils ratifient un traité. Généralement, un Etat adhérera à une norme s’il a intérêt àle faire, si le coût de la ratification est nul ou inférieur aux avantages escomptés. Le coûtsera nul si l’Etat respecte déjà le contenu de la norme, puisqu’il n’aura pas à modifier salégislation, ni ses pratiques, ni à convaincre sa population du bien fondé de la décision.Les avantages seront grands pour un Etat répressif soumis à la pression internationale.La ratification peut lui apporter un peu de légitimité. Ce qui lui permettra de poursuivre sesviolations en toute tranquillité. Ou presque. Car, si les sanctions juridiques internationalessont rares, il existe d’autres catégories de sanctions. Celles de l’opinion publique et desautres Etats notamment.

1. Signer n’engage à rien, a prioriLa mondialisation a entraîné un accroissement des interdépendances entre États. Ils ontde plus en plus besoin les uns des autres, ce qui les conduit à vouloir ressembler aux plus

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puissants. Et ainsi, à tous se ressembler. « Le prix de la convergence a baissé ».92 Lepoint de convergence, c’est le système onusien et le droit international. Ne pas les accepterrevient à se mettre au banc de la société internationale, à s’isoler. Or, l’isolement a un coût deplus en plus élevé. D’où la ratification des normes internationales par un nombre croissantd'États, voie vers la reconnaissance, l’intégration, la légitimité internationale.93

La ratification des traités est d’autant plus attractive, qu’elle paraît peu coûteuse. Gagede bonne conduite, elle n’engagerait à rien ou presque. Les Etats sont libres d’adhérerou non aux conventions internationales. S’ils décident de ratifier un texte, ils s’engagentà l’appliquer. C’est le principe d’application de bonne foi des traités, rappelé dans laConvention de Vienne de 1993. Mais, le droit international demeure un droit essentiellementincantatoire. La violation des règles n’est pas toujours soumise à une sanction établie. LesEtats le savent. La Cour pénal internationale est compétente pour punir les génocides,crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crimes d’agression, et non les violations desnormes internationales. La tentation est grande de signer des traités si peu sanctionnés.Surtout s’ils peuvent atténuer critiques et pressions de la communauté internationale. Lesdroits de l’homme peuvent être utilisés comme bouclier par les dirigeants. Boucliers contreles critiques. Boucliers dissimulant parfois une intensification de la répression, comme cefut le cas au Guatemala. En 1992, le gouvernement avait ratifié les conventions contretoutes formes de discriminations raciales, contre la discrimination envers les femmes, contrela torture et les traitements inhumains ou dégradants, les conventions sur les droits desenfants, sur les droits civiques et politiques, et sur les droits économiques, sociaux etculturels. Pourtant, c’est en 1994 que l’on enregistra le plus grand nombre de violations.94

Les droits de l’homme seraient une sorte de masque légitimant, applicable sans risque. Etleur ratification un signal aux autres Etats : « Je ne suis pas un Etat déviant ». La plupart desratifications ont eu lieu pendant la Guerre Froide, ce qui a accentué le sentiment qu’ellesétaient sans conséquence. Les grands se préoccupaient alors peu des pratiques de leurssatellites. De nombreux Etats ont ainsi gagné en légitimité sans pour autant respecter leursengagements, continuant à réprimer leur population.95 Une leçon qu’ils n’ont pas oublié.S’appuyant sur une étude empirique, Emilie Hafner-Burton et Kiyoteru Tsusui observentque la ratification d’un traité aura un effet négatif lorsque l’Etat est répressif et relativementfermé, isolé du reste du monde. Pire, les Etats signataires des traités seraient plus à mêmede violer les droits de l’homme.

Mais, « cette promesse vide est souvent paradoxale » reconnaissent les deux auteurs.96

Puisqu’un nombre croissant d’Etats a ratifié un nombre croissant de traités, les droits del’homme ont gagné en légitimité. Que les souverains aient agi avec sincérité ou non nechange rien : les droits de l’homme ne peuvent plus être ignorés. Ils sont protégés par demultiples textes et sont médiatisés. Ils font partie de la vie internationale. Tout comme lesONG de droits de l’homme, qui jouent aux veilleurs. Elles sont attentives aux engagementset aux pratiques, dénoncent les violations et prennent ainsi les Etats à leur propre piège. Legain de légitimité, acquis grâce à la ratification, peut vite se réduire à peau de chagrin sousle feu des critiques. Et l’engagement devenir un piège. Car, avec la mondialisation et face

92 Bertrand Badie, La diplomatie des droits de l’homme, p. 119.93 Ibid, p.96.

94 Emilie Hafner-Burton et Kiyoteru Tsusui, “ Human rights in a globalizing world: the paradox of empty promises”, AmericanJournal of Sociology, volume 110, n° 5, mars 2005, p. 1378.

95 Ibid, p. 1384.96 Ibid, p. 1385.

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à des normes et à des acteurs devenus légitimes, le seul argument de la non-ingérencene fait plus le poids. Résister aux critiques est encore plus difficile pour les Etats ouverts,dans lesquels la population est capable de se mobiliser ou de recourir à l’opinion publiqueinternationale, par le biais des ONG internationales par exemple.

2. Exploiter le différentiel entre engagements et pratiques, une armeau service des ONG de droit de l’homme.

Les ONG internationales alertent l’opinion, participent à la construction du droit international,mais elles ont aussi pour objectif d’influencer les structures de la société, d’éradiquerles violations. Elles font un travail de veille, observent les pratiques, dénoncent lescomportements délictueux. Cela, à l’aune des traités internationaux. Au moment de laratification, le calcul l’emporte peut-être sur la conviction, mais « les textes sont au moinsla mesure qui permet d’évaluer la conformité des uns et des autres à des principes qui lestranscendent » et de critiquer.97 Les violations, quelques ONG ont décidé de les dénoncer.Une manière de sanctionner les Etats en ternissant leur image, en les décrédibilisant auxyeux de la société internationale. Voire en incitant les autres Etats à prendre des sanctionsdiplomatiques ou économiques à leur encontre.

C’est du décalage entre les pratiques des Etats et des engagements pris, toujoursplus nombreux, que les ONG internationales de droits de l’homme tirent leur vocation. Enréclamant l’application du droit tel qu’il existe et tel qu’ils se sont engagés à le respecter, ellesprennent les Etats à leur propre jeu. Parmi ces ONG, Amnesty International. Les articles18 et 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme sont ses premières armes :« toute personne à droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion » et « à laliberté d’opinion et d’expression ». « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines outraitements cruels, inhumains ou dégradants » (art.5), « nul ne peut être arbitrairement arrêtéou détenu » (art.9). Ces principes seront régulièrement rappelés, trop souvent. Le messageest clair : «Tenez votre parole, sinon nous vous dénoncerons publiquement et nous vousferons passer pour ce que vous êtes : de vulgaires menteurs. Et en perdant la face, vousavez toutes les chances de perdre le pouvoir ».98 AI aurait ainsi contribué à la chute deBokassa, le dirigeant centre africain, en révélant, en février 1979, le massacre d’enfants parla garde personnelle de « l’Empereur ». Aucun pays n’est épargné par les ONG de droitsde l’homme, pas même les démocraties.

La non-ratification d’une convention internationale ne permet pas d’échapper à lacritique.99 Ceux qui ne reconnaissent pas les normes internationales relatives aux droits del’homme sont stigmatisés, montrés du doigt avec la même vigueur que ceux qui violent leursengagements. Aujourd’hui, refuser les normes internationales revient à se mettre au bande la société internationale. Et à s’exposer aux pressions des ONG, de l’opinion publique,des organisations internationales, voire des Etats. Les Etats sont pressés de rentrer dansle rang. C’est dans leur intérêt, à moins que l’opinion publique nationale ne réclame plushaut et plus fort un repli souverainiste.100 Ratifier un texte international est un moyen deconstruire sa légitimité internationale et de trouver sa place dans le concert des nations. Ce

97 Bertrand Badie, opt. citée, p. 8498 Jean-Paul Besset, opt. citée, p.21.99 Bertrand Badie, opt. citée, p.90100 Ibid, p.96

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geste peut paraître gratuit, a priori. Redorer son blason sans rien changer de ses pratiquesest plutôt attrayant. Les sanctions juridiques sont quasi nulles, alors pourquoi se priver ?Parce que violer ses engagements entraîne un risque : celui de perdre la légitimité que l’oncroyait pouvoir acquérir si facilement. De se retrouver à nouveau avec le visage du déviant.Le tribunal de l’opinion publique n’est pas sans conséquence.101 Les Etats l’oublient parfois.Bien sûr, certains échappent aux sanctions de l’opinion. Les Etats fermés et isolés, ceuxdans lesquels la population est bâillonnée et ligotée, ceux qui n’intéressent pas.

L’accélération de la circulation de l’information augmente les risques de sanctions.Espérer passer entre les mailles du filet devient plus hasardeux. Violations desengagements, non reconnaissance des droits de l’homme, silences complices… Lesmanquements échappent de moins en moins facilement à la connaissance des ONG et dupublic. Mais, les dénonciations peuvent-elles créer un cercle vertueux ? Les pays en margecomme les puissances occidentales sont souvent réfractaires au changement. Les Etatspuissants se sentent au dessus des lois : ils veulent garder les mains libres et ne craignentaucune sanction. D’ailleurs, que pourraient bien les autres Etats contre eux ? Les scandalesde Guantanamo ou d’Abou Grahib ont été dénoncés par les ONG, condamnés par l’opinionpublique. Peu de dirigeants ont cependant osé hausser la voix. Certains préfèrent mêmesuivre le mouvement et accepter ces camps, où l’on torture en toute discrétion, sur leursterritoires. Il y en aurait au Kenya, en Egypte… La morale et les droits de l’homme ne sontque des valeurs relatives dans le jeu diplomatique. L’image compte, particulièrement lorsquel’Etat souhaite s’intégrer. Mais pour ceux qui le sont déjà, comme pour ceux qui préfèrentrester en marge, elle a moins d’importance.

L’autorité d’un Etat est le reflet de sa puissance économique et militaire, et non de lamoralité de son comportement. Les Etats-Unis en sont la preuve. Les Etats en transitiondémocratique sont les plus sensibles à leur image et donc ceux sur lesquels les pressionsdes ONG ont le plus de chance d’avoir une influence.102 Les Etats liés à la société civileinternationale seront eux aussi davantage influençables. Dans quelles circonstances lesONG internationales peuvent-elles faire évoluer les pratiques nationales, faire entrer lesdroits de l’homme dans les mœurs ? Et de quelle manière ? Dénoncer le fossé entreengagements et pratiques n’est que le premier acte, acte parfois vain.

B. Spirale vertueuse 103

Dans leur livre, Le pouvoir des droits de l’homme, Thomas Risse, Stephen Ropp et KathrynSikking travaillent sur la manière dont les traités de droits de l’homme peuvent changer lespratiques nationales, même si, au départ, ils ont été adoptés sans aucune conviction. Ilsélaborent un modèle en cinq phases (répression, déni, concessions tactiques, acceptationdes normes internationales, respect des normes dans la pratique), le « spiral model », que

101 Henri Rouillé D’Orfeuil, La diplomatie non gouvernementale, p.99.102 Bertrand Badie, opt. citée.

103 Thomas Risse, Stephen Ropp and Kathryn Sikking, The power of human rights. Internationl norms and domestic

change, Cambridge, Cambridge University Press, 1999. Voir annexe 4.

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nous allons développer dans cette partie, afin de montrer comment les comportements desdirigeants et des hommes peuvent changer en profondeur, à partir d’un acte cynique.

1. De la répression aux concessions tactiquesPour qu’un changement soit possible, il faut tout d’abord que les violations des droits del’homme soient dénoncées. Donc qu’une information soit diffusée, ce qui est difficile dansun pays où l’opinion est trop fortement réprimée. Les ONG internationales peuvent avoir desobservateurs dans le pays concerné. Des résidents ou diplomates étrangers peuvent aussiêtre témoins et rapporteurs des violations commises. Et puis, parfois, un groupe d’oppositionparvient à se former, au sein même de l’Etat répressif et à contourner les institutionspour alerter des acteurs internationaux : l’ONU, une organisation internationale, des ONGinternationales… C’est la phase répression et dénonciation. Celle-ci est généralement suiviedu déni.

Lorsque les violations des droits de l’homme sont connues et prouvées, les informationssont diffusées aux Etats, aux organisations internationales, dans les médias et l’opinionpublique. Même si elles n’organisent pas de campagne particulière, les ONG internationalesse feront souvent le relais des populations réprimées et informeront sur les violationscommises. L’objectif des défenseurs des droits de l’homme est d’inscrire la question àl’ordre du jour de l’agenda international, de convaincre les décideurs d’agir. Alors ils font dulobbying auprès des organisations internationales et des Etats. Ils jouent sur l’aspect moral,rappellent aux Etats occidentaux quelles sont leurs positions sur les droits de l’homme.Initiateurs d’une grande partie du droit international, ces derniers se présentent souventcomme leur promoteur, n’hésitant pas à condamner les violations commises par des Etatsennemis. Les ONG internationales pressent les dirigeants occidentaux : pourquoi avoir prisdes mesures contre cet Etat et pas contre celui-là ? Parce que les intérêts du pays priment.Mais, aux yeux de l’opinion publique, c’est de moins en moins acceptable, car le respectdes droits de l’homme a de plus en plus d’importance. La pression morale est loin d’êtretoujours efficace, notamment sur les Etats les plus puissants. Les ONG ont toutefois unautre moyen de pression que le lobbying : la mobilisation de l’opinion publique. Comme nousl’avons vu, si la majorité de l’opinion publique soutient une action, alors une interventionsera avantageuse pour les dirigeants.

Les hommes politiques de l’Etat répressif vont quant à eux être dans le déni. Ilsnient les accusations et, souvent, invoquent avec ferveur le principe de non-ingérence.Au nom de ce principe de droit international, ils dénoncent les interventions des ONG,des organisations internationales et des autres Etats dans les affaires intérieures de leurpays. Ils font du principe de non-ingérence un principe supérieur aux droits de l’homme, unprincipe dont l’universalité ne ferait aucun doute. Les répresseurs peuvent même persuaderleurs « sujets » que l’intégrité et la sécurité de la nation sont en danger, menacéespar des puissances étrangères, mues par le désir de domination. Du coup, l’interventioninternationale peut avoir un effet négatif dans un premier temps. La population nationalepeut être conquise par la méfiance et l’opposition naissante se voir marginalisée, voixdiscordante, soutier de l’étranger qu’il faut empêcher de nuire. Nuire, c’est l’objectif desONG internationales aussi. Et un de leur pouvoir. Les dictateurs peuvent difficilement lesbâillonner. Ils croient cependant pouvoir les faire taire en effectuant quelques concessionshypocrites, qui risquent de les entraîner plus loin qu’ils ne le pensent.

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2. De la concession tactique à l’évolution des pratiquesCampagnes de presse, informations sur les violations commises… Tout cela nuit à l’imagedu pays. Certains Etats prêtent peu d’attention à leur image, tandis que d’autres considèrentque les droits invoqués ne sont pas universels, mais occidentaux et donc illégitimes. Laplupart des Etats sont néanmoins sensibles à la représentation que les autres acteursinternationaux ont d’eux, car ils ne veulent pas être marginalisés dans le jeu international.De nombreux Etats du Sud reçoivent en effet des aides économiques ou militaires de lapart des Etats du Nord, ou de la communauté internationale. D’autres gouvernements, peulégitimes, ne survivent que grâce au soutien diplomatique d’autres Etats, souvent silencieuxsur les violations. C’est pourquoi les ONG internationales recherchent l’intervention desEtats occidentaux, qui ont des moyens de pression plus efficaces. D’où la dénonciationdes silences complices, en même temps que celle des violations. Les doutes desgouvernements qui les soutiennent, peuvent amener les dictateurs à faire des concessions.Les menaces d’interrompre aide militaire, économique ou diplomatique sont encore plusefficaces. Non seulement l’image de l’Etat est ternie, mais des risques pour sa sécurité etson développement économique commencent à apparaître.

En parallèle, la mobilisation internationale peut permettre aux groupes d’opposition dese développer, d’acquérir une plus grande assise dans l’Etat répressif et de revendiquer plushaut et plus fort leurs demandes. Ils risquent d’être massacrés, mais s’ils parviennent à serenforcer, alors l’Etat sera pris en sandwich, en quelque sorte, pressé par le haut et par le basde modifier ses pratiques. Pour retrouver un peu de légitimité internationale et/ou nationale,pour échapper aux pressions, l’Etat répressif peut être tenté de prendre des mesures enfaveur des droits de l’homme, de les reconnaître en gage d’une fausse bonne volonté. LesEtats sous-estiment souvent l’impact qu’aura cette concession. Tandis qu’ils surestimentla fidélité de leur population. La reconnaissance des droits de l’homme, par la ratificationdes traités ou par le discours, fournit une arme supplémentaire aux acteurs internationauxet transnationaux. « Vous reconnaissez la légitimité de cette norme, alors pourquoi ne larespectez-vous pas ? », tel est leur message. Les droits de l’homme apparaissent alors deplus en plus fréquemment dans les discours, volontairement ou non. Au niveau nationalcomme international. Les droits de l’homme et les violations commencent à être connusde la population, la rhétorique ne fait plus illusion. Poussé de l’intérieur et de l’extérieur,l’Etat va essayer de donner des gages supplémentaires. La ratification d’un traité ou latransposition des normes internationales en droit interne, par exemple. Les convictions desélites semblent ébranlées. De petits changements législatifs et institutionnels ont lieu, pourmontrer au monde que des efforts en faveur des droits de l’homme sont en cours. Ceschangements ne se traduisent pas de manière significative dans la réalité, au départ, maisils donnent de la légitimité et de la visibilité aux droits de l’homme. Puis, à la faveur d’unchangement de gouvernement, avec le temps et les pressions, petite concession aprèspetite concession, les comportements finissent par évoluer. Une fois institutionnalisées,les normes internationales sont internalisées, elles entrent dans les mœurs. Le combatdes militants locaux et internationaux n’est pas achevé pour autant. Il vise désormais laprogression des droits de l’homme dans d’autres domaines.

L’amélioration des droits de l’homme ne s’évalue pas aux nombres de normesinternationales existantes ou au nombre de pays les ayant ratifiées. Le développement durégime international des droits de l’homme n’a de sens que si les normes sont traduitesdans la pratique. Lorsque les droits de l’homme sont institutionnalisés, inscrits dans le droitinterne, l’internalisation peut s’effectuer. Avec le temps, ils finissent pas s’inscrire dans lepaysage local, par être connus et acceptés. Petit à petit, la socialisation se fait. Quel est le

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rôle des ONG internationales dans la socialisation des droits de l’homme, dans l’évolutiondes comportements ? De nombreux facteurs interviennent dans la réussite d’une campagneet dans l’amélioration des pratiques.

C. L’action des ONG, un facteur parmi d’autres« Les défenseurs des droits de l’homme n’avaient peut-être jamais osé imaginer que lespressions qu’ils ont exercé […] pour mettre fin à la torture allaient non seulement amenerl’adoption d’une convention internationale et des changements dans les lois nationales maiségalement entraîner l’abandon graduel de ces pratiques dans une société après l’autre »,explique, optimiste, John Foster, directeur de l’institut Nord-Sud d’Ottawa.104 La torture n’apas disparu, l’actualité en est la preuve. Guantanamo, Abou Grahib, les exactions russesen Tchétchénie sont là pour nous rappeler que non, malheureusement, la torture n’estpas devenue une pratique ancestrale, rangée au fond d’un placard poussiéreux. Certainsparviennent encore à la justifier, comme Alan Derschovitz, professeur de droit internationalà Harvard. Pour lui, la torture peut être utilisée si elle permet d’éviter un attentat et de sauverdes vies américaines. Mais, le plus souvent, elle est considérée comme un acte ignoblecondamné par le droit international et la plupart des hommes.

Le régime international des droits de l’homme et les acteurs transnationaux favorisentles changements dans les pratiques nationales, c’est certain.105 Les ONG permettent ladiffusion des droits de l’homme, leur socialisation, même Samy Cohen106 le reconnaît.Si les pressions transnationales sur les Etats sont nécessaires, elles ne sont toutefoispas suffisantes pour changer les pratiques.107 L’influence des ONG sur l’évolution descomportements est difficilement mesurable.

1. Les accélérateurs potentielsThomas Risse, Stephen Ropp and Kathryn Sikking identifient trois facteurs capablesd’accélérer ou de freiner l’évolution des pratiques d’un Etat répressif vers plus de respectdes droits de l’homme. Ce sont l’existence d’une société civile nationale, sa force ; le degréd’ouverture de la société ; et, pour les facteurs externes, la légitimité des droits de l’hommeet la réaction des acteurs transnationaux et étatiques.108

Les sociétés ouvertes sont des sociétés qui ont connu des systèmes juridiques sinondémocratiques, du moins libéraux. Des associations ont pu se développer, des partis ontpu être créées avant que des règles autoritaires aient été mises en place. Le débat entreles acteurs de la société, des acteurs aux opinions diverses, a existé. Les échanges

104 Cité par Michel Doulcin, « Retour sur le combat qui a fondé la légitimité des ONG » dans Les ONG dans la tempête mondiale,sous la direction de coordination SUD, Edition Charles Léopold Mayer, 2004, p.47.

105 Thomas Risse, Stephen Ropp and Kathryn Sikking, The power of human rights. p. 275.106 Directeur de recherche au centre d’études et de recherches internationales et professeur de relations internationales à

Sciences-Po Paris, auteur de La résistance des Etats.107 Thomas Risse, Stephen Ropp and Kathryn Sikking, The power of human rights. p. 275.

108 Ibid p. 260

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culturels, politiques et économiques avec d’autres sociétés, étaient également acceptés.La population du pays répressif a donc connu la liberté de s’exprimer, la possibilité de semobiliser, d’échanger. Des réseaux nationaux et transnationaux ont pu se former. L’exempledu Chili est souvent cité.109 Avant l’arrivée au pouvoir du général Pinochet, le Chili avaitune longue tradition de multipartisme et de démocratie. L’interdiction des partis d’opposition,le contrôle de la population, la limitation de la liberté d’expression et d’association n’ontpas éliminé les réseaux. Sous la dictature, les contacts entre locaux et étrangers sesont maintenus. Ils sont devenus des courroies de transmission des informations sur lesviolations, des porte-voix de l’horreur. Ils ont permis d’alerter l’opinion publique, tandisqu’à l’intérieur du pays, les bases de la mobilisation contre le pouvoir étaient déjà enplace. Ces deux facteurs, l’ouverture de la société et l’existence d’une société civilenationale, ont créé l’effet boomerang,110 un effet suffisamment puissant pour contrer et ladictature et son puissant allié, les Etats-Unis. Les acteurs transnationaux ont été alertéspar des Chiliens. Aussitôt, ils ont transmis les informations aux acteurs internationaux età l’opinion publique mondiale. Le soutien international à la cause chilienne s’est renforcé.Et avec lui la résistance interne. C’est cela l’effet boomerang.111 L’existence d’acteurs nongouvernementaux locaux est nécessaire. Ce sont eux qui vont lancer le boomerang, au-dessus de l’Etat, en témoignant, en transmettant rapports et informations.112 Si aucuneinformation ne peut filtrer, si aucun mouvement de résistance ne peut se former au seinde l’Etat concerné, si les ONG internationales ne disposent d’aucun informateur, d’aucuntémoin fiable, alors il n’y aura pas de rapport, pas de campagne sur les violations danscet Etat. Car, les ONG internationales tiennent à leur légitimité et ne diffusent que lesinformations sûres. L’existence d’une société civile nationale et d’ONG locales est un facteurdéterminant de changement. Lorsqu’elles préexistent au régime autoritaire, l’évolution despratiques nationales est plus rapide. Mais, les mouvements de résistance peuvent aussi sedévelopper sous la dictature. Surtout si la mobilisation internationale est forte.

La réaction des acteurs internationaux, leur indifférence ou leur intérêt vont expliquer unchangement plus ou moins rapide des pratiques. Ce sont eux qui sont chargés de récupérerle boomerang avant de le relancer. Le comportement des autres Etats est particulièrementimportant. Mais, il est imprévisible. Combien d’années de soutien français au régime deMobutu ? De soutien américain à Pinochet ? Un deuxième boomerang peut alors être lancéau sein des autres Etats, afin que les dirigeants, pressés par les ONG internationales et parla société nationale, interviennent.

Seules, les ONG internationales ne peuvent pas grand chose pour améliorer les droitsde l’homme. L’amélioration des pratiques dépend à la fois du degré de développementde la société civile locale et du soutien de la communauté internationale. Elle dépendaussi de la vulnérabilité de l’Etat répressif, soit de son autonomie militaire et économiqueet de l’importance qu’il accorde à son image. L’intervention des ONG internationales estégalement un facteur essentiel de changement. Elles sont des relais d’information souventindispensables, elles ont une forte capacité de sensibilisation de l’opinion, et une capacité denuisance qui agace les Etats. Leurs actions ont des résultats plus ou moins visibles, plus oumoins facilement mesurables. La libération d’un prisonnier d’opinion qu’une ONG soutenait,par exemple, sera interprétée comme une victoire à son actif. Réussite ponctuelle qui

109 Bertrand Badie, opt. citée, p.139 et Thomas Risse, Stephen Ropp and Kathryn Sikking, opt. citée, p. 260.110 Annexe 4.111 Margaret E. Keck et Kathryn Sikking, Activists beyond borders, Cornell University Press, 1998, p.12-13.112 Ibid, p. 117.

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rappelle aux militants du Nord comme du Sud que, si le combat ne permet pas d’éradiquertoutes les violations des droits de l’homme, il n’est pas vain pour autant.

2. Les ONG ne sont pas inutiles« L’action des membres et sympathisants d’Amnesty International contribue à changer lesort de nombreuses victimes des violations des droits de l’homme. […] Des prisonniersd’opinion sont libérés, des condamnations à mort sont commuées, des tortionnaires sonttraduits en justice, et des Etats peuvent être amenés à modifier leurs lois et leurs pratiques.Les personnes auxquelles Amnesty est venue en aide nous ont fait savoir que les pressionsexercées sur les autorités avaient eu des effets positifs ».

Voilà ce que l’on peut lire sur la page des « Bonnes nouvelles » d’AI. Suit une liste debonnes nouvelles pour les droits de l’homme. Au Soudan, deux hommes, Ahmad Harun etAli Muhammade Ali Abdelrahman, ont été inculpés de crimes de guerre et de crimes contrel’humanité pour des violations commises au Darfour. Tandis qu’Amine Sidhoum et HassibaBoumerdesi, deux avocats algériens spécialisés dans la défense des droits de l’homme,ont été acquittés. Ailleurs encore, au Burundi, Térence Nahimana, défenseur des droits del’homme a été libéré…

En 1989, 1143 des 3376 personnes adoptées comme prisonniers d’opinion parAmnesty ont été libérées.113 La seule action d’une ONG, même connue et reconnue, nesuffit pas toujours à faire libérer un prisonnier. Mais ce peut-être le petit plus qui forcera lesautorités à agir. En tout cas, les prisonniers reconnaissent souvent le rôle déterminant d’AI.Rôle déterminant sur le plan moral d’abord : les courriers encouragent à tenir le coup. Leprisonnier ne se sent pas seul. Il sait que l’on s’occupe de lui, que sa situation est connue.D’ailleurs, son environnement change parfois sous l’influence des dizaines de lettres qui luisont adressées et qui sont envoyées aux autorités. Les gardiens se sentent surveillés, lesautorités judiciaires se sentent harcelées. Le prisonnier devient un prisonnier de premièreclasse. « J’étais libre depuis un mois lorsque je me suis retrouvé face à un colonel du KGBqui avait mené l’enquête contre moi. Il m’a montré une pile de lettre sur le bureau et a dit :« faites en sorte qu’ils se calment, je veux que vous leur écriviez que vous êtes libres etqu’ils arrêtent d’envoyer des lettres ». », témoigne Victor Davydov, interné de nombreusesannées dans des hôpitaux psychiatriques russes pour avoir détenu des livres subversifs.Laurent Kantu avait été arrêté pour avoir dénoncé les conditions de détention dans lesprisons de la République démocratique du Congo, en particulier dans celle de Makala, dontle directeur n’était autre que l’oncle du ministre de la justice. Et ce, sur les ondes de l’Antennede l’Amérique, une radio internationale. Surpopulation, malnutrition, mauvais traitements, ila la preuve de ce qu’il avance. Pour avoir osé critiquer, il est envoyé à Makala, entassé dansune cellule avec 20 autres personnes. « Couchés à même le sol, on ne pouvait pas bouger.Pour se tourner, il fallait demander à son voisin… », raconte-t-il. Très vite, on l’isole desautres prisonniers. Témoin gênant. Les interrogatoires durent plusieurs heures. « Parfoisune journée », précise-t-il. Sans boire, sans manger. Dans les médias nationaux, la calomnieest de rigueur, mais les journaux de l’opposition le soutiennent. Les ONG nationales etétrangères, les ambassades sont informées par ses proches. Le « prisonnier du Président »,comme les gardiens le surnomment, devient de plus en plus dérangeant. Le bruit enfleautour de lui. Ses conditions de détention s’améliorent peu à peu, puis il est libéré, « en

113 Jean-Paul Besset, opt. citée, p.30.

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partie grâce à la pression des ONG internationales », reconnaît-il. 114 En plus des lettres, lesONG de défense des droits de l’homme fournissent une assistance juridique aux victimesde la répression. Elles mènent des enquêtes, réunissent des témoins, plaident, pour que lescrimes ne restent pas impunis. Avec plus ou moins de succès. En tous cas, ces « petites »victoires leur sont plus facilement reconnues. Que les ONG internationales permettent lalibération d’un prisonnier semble plus acceptable que le fait qu’elles puissent influencerles gouvernants. Pourtant, la libération d’un prisonnier d’opinion est une victoire sur lesautorités au pouvoir. Pour un homme politique, libérer un prisonnier peut sembler être unacte gratuit, voire avantageux : il permettra de faire cesser les critiques. Déjà, cependant,le gouvernement cède. Du côté de l’opinion, la libération ou l’arrestation d’une personnepeut paraître une goutte d’eau à l’échelle des violations et crimes commis. Mais, c’est unevictoire que l’on peut ajouter à la signature d’une convention, à la mise en œuvre du droitinternational par un Etat de plus, à la création d’une ONG locale, d’un parti d’opposition…

Il est difficile de mesurer l’influence réelle des ONG sur les pratiques. Tout comme il estdifficile d’imaginer le monde sans elles. Les droits de l’homme et les ONG font désormaispartie du jeu diplomatique international, ils l’ont bousculé. Et c’est à force de bousculer,petites avancées par petites avancées que les droits de l’homme progressent dans un pays.Au même moment, peut-être, reculent-ils dans un autre. Mais, ils sont sous surveillance.

114 interview.

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Chapitre 4 : L’évolution des pratiquesnationales, une réalité complexe etmultiforme

Alors que dans un pays les droits de l’homme progressent, dans un autre les violationsse multiplient. Alors que l’on pensait un Etat sur la bonne voie, soudain, la répressionresurgit. Le travail des ONG internationales de droit de l’homme semble sans fin, leur objectifinatteignable. Vouloir changer les pratiques, les rendre plus humaines paraît être utopique.

Par l’étude de la situation des droits de l’homme dans cinq pays, nous essayeronsde comprendre ce qui peut faire évoluer durablement les pratiques vers un plus grandrespect des droits de l’homme et quel est le rôle des ONG de droits de l’homme dansles changements observés. Le Kenya et l’Ouganda sont proches géographiquement,culturellement et historiquement. De même que la Tunisie et le Maroc. Les différencesde valeurs ne peuvent donc expliquer ni les différences dans le temps nécessaire auchangement, ni les différences dans l’ampleur de l’évolution des droits de l’homme dansces pays. Sur un autre continent, avec un tout autre contexte, la Chine. Jamais colonisée, laChine est aujourd’hui une puissance économique enviée, à laquelle les Etats occidentauxfont la cour, espérant obtenir des bénéfices. Dans chacun de ces pays, la situation desdroits de l’homme a évolué de manière différente. Des constantes peuvent cependant êtreobservées.

A. Afrique subsaharienne : les exemples du Kenya etde l’Ouganda

Le Kenya et l’Ouganda sont deux anciennes colonies britanniques de l’Afrique de l’Est. Paysfrontaliers, ils ont connu la domination d’un même Etat occidental, l’indépendance au débutdes années 1960 et l’accession au pouvoir d’hommes forts n’acceptant pas l’opposition.Dans les deux pays, la centralisation et la prépondérance de l’exécutif ont remplacé ladécentralisation si chère aux britanniques, au nom de la construction de la nation. Une partiede la société a été exclue. Les ONG se sont mobilisées, elles ont réussi à modifier l’imagedes deux régimes et à provoquer la réaction des Etats occidentaux. Pourtant, il a fallu dixans de plus à l’Ouganda qu’au Kenya pour améliorer le sort de sa population. Et la victoiremilitaire et politique d’un homme : Yoweri Museveni. Un homme providentiel… Si, à la findes années 1990, la situation était jugée meilleure en Ouganda qu’au Kenya, ce n’est plusle cas aujourd’hui. L’homme providentiel aime le pouvoir, il s’y accroche, au mépris de ladémocratie, une démocratie qu’il avait insufflée. Le peuple aussi s’accroche à son dictateuréclairé. Par peur que l’histoire se répète et, qu’à nouveau, un dictateur sanguinaire prenne

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les reines du pouvoir. Hans Peter Schmitz115 voyait juste quand il écrivait, en 1997, qu’ilfallait craindre davantage pour l’Ouganda. La suite, il l’avait devinée en observant que lesdroits de l’homme étaient portés par un homme, le dirigeant, plus que par la société civile,encore faible.

A travers les exemples du Kenya et de l’Ouganda, nous montrerons quelle influenceont eu les ONG et les acteurs transnationaux sur l’évolution des droits de l’homme et nousessaierons de comprendre pourquoi les changements ont été plus rapides et plus durablesdans un des deux Etats.

1. En Ouganda, un homme maître des droits de l’hommeL’Ouganda acquiert son indépendance en 1962. Le kabaka Mutesa II devient alors lepremier président du pays et prend Milton Obote comme premier ministre. La stabilité serade courte durée. En effet, en 1966, Milton Obote démet le roi, suspend la constitution,instaure un régime de parti unique et proclame l’état d’urgence, notamment pour mettre finà un conflit entre le gouvernement central et la plus riche des régions, la Buganda, dont leroi était issu. Mais, Obote ne reste pas longtemps au pouvoir.

En 1971, Idi Amin, le chef d’état major prend le pouvoir. Il fait libérer des milliersde prisonniers politiques, lève l’état d’urgence et fait rapatrier le corps du kabaka, morten exile en Grande-Bretagne. Toutes ces actions lui valent un bon accueil national etinternational : Obote devenait un peu trop socialiste au goût des anglo-saxons. A peine IdiAmin « couronné », les exécutions de supposés opposants sont ordonnées. Les violationsdes droits de l’homme se poursuivent et s’intensifient. Pour que les Etats protestent,il faut attendre l’expulsion des Indiens et des Britanniques du pays, expulsion qui viseà renationaliser l’économie. La Grande-Bretagne met alors fin aux programmes d’aideen faveur du pays. Les Américains deviennent le principal partenaire commercial del’Ouganda. Pourtant, des informations circulent sur la situation en Ouganda. Des ONGet des journalistes alertent l’opinion publique, l’ONU et les gouvernements. La réalité durégime est connue dès 1975. Cette année là, Amin sera élu président de l’Organisation pour

115 Hans Peter Schmitz, « Transnational activism and political change in Kenya and Uganda », in The Power of Human Rights, p.39-77.

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l’union africaine (OUA). Pour faire taire les critiques, il nomme une commission nationaled’enquête sur les droits de l’homme. La commission ne trouve pas de preuve de l’implicationdirecte d’Amin, mais elle découvre que ses services de sécurité sont coupables de meurtreset de violence. Idi Amin tente de faire disparaître le rapport, accuse publiquement lesdéfenseurs des droits de l’homme, et notamment Amnesty International, d’être des criminelsau service de l’étrangers. Ce à l’assemblée générale des Nations Unies. Pour que lespays occidentaux réagissent, il faudra une provocation de plus du dictateur sanguinaire.Elle a lieu en 1976. L’OLP détourne un avion d’Air France au départ de Tel Aviv. Aminautorise son atterrissage à l’aéroport d’Entebbe. Après cet événement très médiatisé, quicause la mort d’une otage et de plusieurs militaires israéliens, la Grande-Bretagne romptses relations commerciales avec le pays. Des groupes d’exilés en Tanzanie, au Kenya, enGrande-Bretagne, aux Etats-Unis forment une coalition et se rencontrent à Lusaka en 1977.La même année, un archevêque anglican est assassiné. La mobilisation internationales’intensifie. Amin n’en a cure. Il utilise ses positions à l’OUA et à l’ONU, où l’Ouganda a étéélu membre de la commission des droits de l’homme, pour contrer les critiques. De toutefaçon, les critiques venant d’autres dirigeants sont peu nombreuses. En 1978, le Congrèsaméricain vote un embargo commercial. Il ne sera jamais appliqué. Les avions utiliséspar Amin pour ses transports personnels restent américains. 200 000 personnes auraientété tuées, les populations acholis persécutées.116 La dictature ne prend fin qu’après unedernière folie du dictateur. Pour détourner l’attention du désastre économique et humain,il ordonne l’occupation et l’annexion d’une partie du territoire tanzanien. Le gouvernementtanzanien, qui avait vigoureusement dénoncé les atteintes aux droits de l’homme, contre-attaque et installe au pouvoir une coalition de groupes d’opposition : le Front national delibération de l’Ouganda.

Mais, en 1980, Obote remporte les élections générales. Plusieurs groupes d’opposition,notamment le National Resistance Army (NRA) de Yoweri Museveni, prennent le maquis.117

La guerre civile commence. L’opposition est réprimée. En 1981, des représentants du CICRsont témoins du massacre de la mission catholique d’Ombaci. En 1982, une délégationd’Amnesty International est invitée par Obote. Le gouvernement n’est pour rien dans cesmassacres : ce sont les rebelles qui commettent toutes ces atrocités. La réponse esttoujours la même. En trois ans, 100 à 200 000 personnes sont tuées. Le développementtechnologique favorise la mobilisation internationale. Caméras et vidéos permettent auxinformations de circuler plus vite. Les gouvernements occidentaux ne sont pas plus réactifsque face à Amin. Obote fait mine de prendre ses distances avec le socialisme, il prenddes mesures contre l’inflation, suit les recommandations occidentales. Très bon élève. LaGrande-Bretagne redevient la source principale d’aide économique et militaire. En 1984, leCongrès américain prend de nouvelles sanctions économiques contre l’Ouganda, elles neseront pas plus appliquées que celles de 1978.

Allemagne, Danemark et Hollande finissent par prendre leurs distances. La Grande-Bretagne, accusée de soutenir un dictateur dans un rapport d’AI, menace. La mobilisationinternationale a fini par payer. Mais, c’est la mobilisation nationale qui a eu raison de ladictature.118 Museveni et le NRA marche sur Kampala en 1986. Alors que l’armée brûle desvillages entiers pour couper la population des rebelles, les rebelles du NRA sont soumis àun code de conduite qui sanctionne sévèrement les exactions sur les populations civiles.

116 Bertrand Badie, La diplomatie des droits de l’homme, p. 124.117 Amnesty International, Ouganda, droits de l’homme, les premiers pas, Edition francophone d’Amnesty International, juin

1989, p. 13.118 Hans Peter Schmitz, opt. citée, p. 50.

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Les droits de l’homme étaient davantage respectés par les rebelles. Sur leur passage, ilsremplacent les systèmes de chefs par des conseils de résistance démocratiquement élus.D’où un accueil plutôt favorable.

Une fois au pouvoir, le National Resistance Movement (NRM) de Museveni prometde rétablir et de respecter les droits de l’homme. C’est une des priorités du programmeen dix points sur lequel il s’est engagé. Le code de conduite du NRM et les conseils derésistance sont généralisés, la convention internationale contre la torture est ratifiée en1986.119 Puis, la charte africaine des droits de l’homme et le pacte sur les droits politiques etsociaux de l’ONU seront signés. Une commission d’enquête sur les violations des droits del’homme est mise en place et une inspection générale, institution permanente, est chargéed’enquêter sur toutes les atteintes rapportées. Des efforts sont faits pour institutionnaliserles droits de l’homme. Pas seulement : la situation des droits de l’homme s’est améliorée.Ce sera désormais l’argument de Museveni contre les critiques des ONG de droits del’homme. Des critiques qu’il admet, ce qui constitue une autre avancée. De nombreuxjournaux, représentant toute une gamme de sensibilités politiques et religieuses, ont fleuri.Mais, ils demeurent sous surveillance. Ainsi, lors de la campagne présidentielle de 2006,la police est intervenue pour empêcher la diffusion d’émissions de radio consacrées auxcandidats et des journalistes ont été interpellés.120 Le multipartisme est une nouveautédans cette « démocratie sans partis » instaurée par Museveni, une démocratie à l’africaineselon lui. Car, l’Afrique ne pourra s’offrir une démocratie « à l’occidentale » qu’une fois sondéveloppement économique achevé, pense-t-il. Pour cela, il a accepté les lois du marché.Ce qui ne manque pas de plaire aux Occidentaux et notamment aux Etats-Unis. D’autantque l’Ouganda a contribué à la chute de Mobutu et qu’il soutient les rebelles hostilesau régime islamique soudanais121… Mais, le « nouveau modèle du dirigeant africain »122

s’est usé. Il n’est plus l’enfant chéri des bailleurs de fonds, dont dépend 47% du budgetougandais. Depuis peu : depuis 2005 et la double réforme constitutionnelle. Un référendumsur le multipartisme était prévu pour 1999. Il n’aura lieu qu’en 2005, trois jour après quele Parlement ait voté, à main levée, la fin de la limitation des mandats présidentiels, soitla présidence à vie pour Museveni. La Grande-Bretagne annonce alors le retrait de 5millions de livres d’aide, elle est suivie par la Norvège et l’Irlande. On commence à craindreque Museveni se « mugabise ». Pour faire passer la pilule, il organise le référendum,auquel seulement un cinquième des 8,5 millions d’électeurs a participé.123 Multipartisme oudémocratie sans partis, dans la pratique rien ne change. Vingt ans après son accession aupouvoir, Museveni ne semble plus si attaché à la progression des droits de l’homme qu’ill’affirmait. Peut-être la liberté d’expression n’a t-elle jamais été sa priorité. En tout cas, il a étéréélu en 2006 au cours d’une élection « transparente et relativement pacifique malgré diversproblèmes, notamment le parti pris des médias et des listes électorales incomplètes ».124

Ainsi que des actes d’intimidation envers des sympathisants de l’opposition et l’inculpationdu principal adversaire du sortant, Kizza Besigue, pour terrorisme, viol et trahison. Celaa provoqué une nouvelle colère britannique, mais Yoweri Museveni reste un « partenaire,certes peu fréquentable, mais considéré, au nom de la stabilité, comme un moindre mal ».

119 Annexe 4 : les conventions internationales et leur ratification.120 Rapport AI 2006, p. 276. Voir annexe 6.121 Frédéric Fritscer, « En dépit de rébellions actives, l’Ouganda jouit d’une relative stabilité », Le Monde, 17 juin 1998.122 Ibid123 Jean-Philippe Rémy, « Les Ougandais, indifférents, se prononcent sur le multipartisme », Le Monde, 30 juillet 2005.124 Rapport AI, p. 275, annexe 6.

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C’est aussi pour éviter le retour du chaos, promis par le chef d’Etat s’il était mis en minorité,que les Ougandais ont réélu leur homme providentiel devenu populiste et expansionniste.125 Avec l’espoir qu’il parvienne au moins à mettre fin aux vingt années de conflit dans lenord du pays. Un conflit qui a provoqué 1,7 millions de déplacés, des milliers de morts,des exécutions extrajudiciaires, des mauvais traitements, l’utilisation d’enfants-soldats parla Lord’s Resistance Army de Joseph Konny…

Prise dans la guerre civile à peine les dictateurs sanguinaires chassés, la société civilen’a pas eu le temps de beaucoup s’affirmer en Ouganda. Les premiers pas vers les droitsde l’homme ce n’est pas elle qui les a provoqués, mais un homme, Museveni. Peu attachéà la démocratie politique, il a contribué à améliorer le sort de la population civile et desprisonniers. Et puis, « tout ougandais a le droit de participer à des activités pacifiquespour influencer les politiques du gouvernement par le biais d’organisations civiques »,reconnaissait l’article 4 de la Constitution de 1995. Ce qui a permis aux organisations dela société civile de jouer un rôle de plus en plus important dans la vie politique et socialede l’Ouganda. 126 Le cessez-le-fei signé en août 2006, le multipartisme et les errements duchef d’Etat sont peut-être l’occasion pour elles de s’affirmer, de faire progresser les droitsde l’homme et de les imposer par le bas.

2. Au Kenya, une évolution plus solide

Au Kenya, la dégradation des droits de l’homme n’est pas due à la militarisation dupouvoir et à la guerre civile, mais au renforcement d’un exécutif de moins en moins tolérantface à l’opposition. Comme en Ouganda, le fédéralisme et le multipartisme ne résistentpas à l’indépendance. Novembre 1964, il ne reste plus qu’un seul parti : le Kenyan AfricanNational Union, KANU, du président Kenyatta. Les membres du seul parti d’opposition, leKanyan African Democratic Union (KADU), ont en effet rejoint la KANU, récompensés pardes postes importants. Au sein du KANU, l’opposition est tolérée. Toutefois, les décisionsreviennent à un seul homme : Kenyatta. La personnalisation du régime fait son chemin. A lamort de Kenyatta, en 1978, c’est le vice-président, Daniel arap Moi, qui prend le pouvoir. Il

125 Philippe Bernard, « Sacre électoral de l’autocrate ougandais Yoweri Museveni, au nom de la stabilité », Le Monde, 1 mars2006.

126 Guide de la liberté associative, p.95 et 98.

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ne dispose pas de la même autorité que son prédécesseur. Il ne vient pas de la tribu Kikuyu,majoritaire et dominante, celle des élites. En plus, c’est un ancien membre du KADU, leparti soutenu par les colons. Pour se faire respecter, il sème la discorde au sein des Kikuyu,remplace les élites politiques et militaires par des membres de son ethnie et renforce lesappareils de sécurité. Lorsque l’opposition annonce la création d’un nouveau parti, en 1982,Arap Moi fait appel au Parlement, et lui demande d’empêcher cette création. Désormais,dans la constitution, le Kenya est un régime à parti unique. Après un coup d’Etat manqué,en août 1982, l’opposition est encore davantage contrôlée. Détentions illégales, tortures…deviennent des moyens d’intervention classiques pour les forces de sécurité.

Dès 1984, des ONG internationales font publiquement état des violations commises auKenya.127 Les intellectuels, les minorités et les étrangers sont les principales victimes desviolations de droits de l’homme. Au Nord-Est du pays, la minorité somalie est persécutée.Trois témoins gênants vont assister aux massacres. Ce sont des Norvégiens. Ils informentl’ambassadeur, puis le ministre des affaires étrangères de leur pays de ce qu’ils ont vu.Le sujet parvient au Parlement norvégien. Au Kenya, la répression continue. Plusieurscentaines d’étudiants qui manifestaient sont arrêtés, maltraités ou disparaissent. Lesrapports des ONG se multiplient. En septembre 1986, la Norvège accorde l’asile politique àKoigi wa Wamwere, ancien député, victime de la répression. Très charismatique, il devientun personnage-clé de la mobilisation internationale. En Norvège, l’image du Kenya sedégrade. Bientôt, la mobilisation s’étend aux autres pays scandinaves, puis aux Etats-Unis.A Nairobi, Gibson Kamau Kurier, un avocat, se lance dans un procès contre les forcesde sécurité kenyanes, les accuse de torture et donne les preuves de ses accusationsau Washington Post, juste avant de disparaître. Lorsque, en février 1987, Arap Mois serend aux Etats-Unis, les tortures au Kenya font la une du Washington Post. Le Congrèsdemande une enquête et Reagan des explications sur la disparition de l’avocat. Le présidentkenyan quitte le pays. De retour, il niera les violations. Au Kenya, des coalitions se formentautour d’hommes d’Eglise, d’avocats, d’intellectuels…encouragées par la mobilisationinternationale. Face aux protestations grandissantes, la répression tend à augmenter.Des membres d’ONG étrangères sont temporairement arrêtés. Les critiques continuent.Groupes nationaux et internationaux se renforcent mutuellement. Arap Moi accuse les ONGet les acteurs transnationaux de mentir, de ne pas respecter le principe de non-ingérence, dene rien connaître des secrets de l’Afrique. A partir de 1989, l’ambassadeur américain, SmithHempstone, un civil, se fait le chantre du changement démocratique, bientôt rejoint par sonhomologue allemand, Berndt Mützelburg. Les deux hommes agissent comme s’ils étaientdes défenseurs des droits de l’homme, ils semblent se moquer des positions officielles deleur propre gouvernement.

De plus en plus, Kenya rime avec torture, corruption, insécurité. Et non plus avecdéveloppement économique et politique. En octobre 1990, le Congrès américain décidede conditionner les aides économiques au respect des droits de l’homme. Mais Bush,comme Reagan, n’en tient pas compte. Pas plus qu’il n’écoute son ambassadeur. Pourl’Occident, entretenir de bonnes relations avec le Kenya est important. Au cours des années1990, les Etats-Unis vont en effet avoir plusieurs fois besoin du Kenya : en 1991, pourl’opération Magic Carpet, destinée à évacuer des opposants au régime libyen, puis pourl’opération Restore Hope, en Somalie. Même lorsque le ministre des affaires étrangères,Ouko, relativement modéré et particulièrement apprécié des américains, est retrouvé mort,les Etats-Unis ferment les yeux. C’est en novembre 1991 que les choses commencent àévoluer. Africa watch publie un rapport complet sur la situation des droits de l’homme au

127 Hans Peter Schmitz, opt. citée, p. 43

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Kenya et, au sommet du Commonwealth, la Grande-Bretagne a fini par joindre sa voix auxcritiques, la mort du bishop Alexandre Muge, quelques mois plus tôt, et la décision despays du Commonwealth de faire de la démocratie une condition pour être membre, aidant.Quant à Smith Hempstone, il tente une médiation entre le gouvernement et l’opposition,en vain. Après cet échec, les manifestations se multiplient, elles sont réprimées et lesambassadeurs accusés. Le 26 novembre, la communauté internationale annonce qu’ellesuspend ses aides au Kenya. Le secrétaire d’Etat aux affaires africaines demande à ArapMoi d’autoriser l’opposition à se réunir et d’annoncer des élections libres. « Mêlez-vousde vos affaires et respectez les conventions », voilà ce qu’il s’entend répondre. Pourtant,le 2 décembre, le président kenyan annonce la fin du parti unique. En faisant cela, il sedébarrasse pour un temps des critiques internationales et nationales. Désormais, les procèsdes figures d’opposition ont lieu loin de Nairobi et de l’attention des médias. L’opposition estoccupée par les élections, la population semble sous contrôle.

Arap Moi et le KANU gagnent les élections de décembre 1992. L’opposition a remporté64% des voies, mais pas les élections, car elle s’est divisée. De plus, les règles étaient fixéespar le KANU. Au cours de la campagne, 2000 Kenyans auraient été tués et des dizaines demilliers déplacés.128 La plupart parmi les Kikuyus. Le gouvernement clame son innocence.Mais, maintenant qu’il a regagné de la légitimité, il laisse un peu de leste aux défenseursdes droits de l’homme. Ainsi, les ONG nationales se multiplient. Elles rédigent des rapportscontre lesquels le gouvernement ne peut plus opposer l’argument de l’ingérence. Peuà peu, l’attitude des autorités évolue. Les violations continuent, les menaces envers lesdéfenseurs des droits de l’homme aussi. Mais, le gouvernement accepte les conseils desONG, reconnaît que des évolutions sont possibles dans certains domaines, et signe mêmela convention contre la torture. Arap Moi veut être réélu. Il le sera et, après sa réélection,en octobre 1998, une commission de révision de la constitution est mise en place. Commepour faire oublier violences et fraudes, qui une fois encore ont marqué les élections. Il fautattendre 2002 pour observer un véritable changement. « Le président Moi vient d’offrir à sonpays une cascade de premières : première transition démocratique depuis l’indépendanceen 1963 ; première alternance avec la victoire écrasante de la coalition NARC ; premièresélections sans incidents sérieux, enfin, depuis le retour au multipartisme »129 écrit Jean-Philippe Rémy après les élections de décembre 2002. Des élections auxquelles Moi n’étaitmême pas candidat. La constitution lui interdisait de se représenter, il l’a respectée, cela luipermet de réussir sa sortie et de prendre une retraite tranquille. Il ne sera pas poursuivi, lesEtats-Unis l’en ont assuré. Ils espèrent ainsi éviter que leur principal allié africain dans lalutte contre le terrorisme ne sombre dans l’instabilité.

Moi avait choisi pour successeur Uhuru Kenyatta, le fils du défunt président Kenyatta,ce qui avait provoqué une crise au sein du KANU. Mais, c’est le candidat de l’oppositionqui a été élu. Une opposition, qui, pour la première fois, s’est présentée unie, autour deMwai Kibaki, un Kikuyu, comme Uhuru Kenyatta. Il a été ministre et vice-président sousDaniel arap Moi, peu importe, il représente le changement. Les groupes d’opposition ontformé un pacte : la constitution doit être réformée dans les cent jours, afin, notamment,de réduire les pouvoirs présidentiels. Trois ans plus tard, une nouvelle Constitution estproposée au peuple kenyan. Une constitution qui crée un poste de premier ministre, maislaisse l’essentiel des pouvoirs au président. Elle sera rejetée par référendum. Durant lacampagne, huit personnes ont été tués et des ministres, favorables au « non » menacés.

128 Hans Peter Schmitz, opt. citée, p. 62129 Jean-Philippe Rémy, « Alternance démocratique au Kenya, après la victoire de l’opposition », Le Monde, 31 décembre 2002.

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Le résultat est néanmoins accepté et le gouvernement dissout. La démocratie a fait desprogrès semble-t-il.

Les journalistes et défenseurs des droits de l’homme continuent à être harcelés,menacés. La liberté d’expression n’est pas assurée et les exactions policières restentimpunies.130 La société civile est cependant plus développée au Kenya qu’en Ouganda.Pour plusieurs raisons. D’abord, les Kenyans ont vécu la stabilité politique jusque dans lesannées 1980. Elle ne rimait pas avec démocratie, mais elle a permis le développementéconomique du pays et elle autorisait les opinions divergentes. De plus, certains intellectuelskenyans ont pu étudier en Occident, et revenir avec des envies de changements et descontacts, donc des ressources pour se mobiliser. Ce qu’ils ont fait lorsque les violationsont commencé. Par ailleurs, parce que c’est un pays relativement touristique, parce qu’ilprésente un intérêt stratégique pour les puissances occidentales, et parce qu’il possèdedes médias efficaces, le Kenya n’est pas inconnu de l’opinion publique internationale. Pourles acteurs transnationaux et les ONG de droits de l’homme internationales, il était plusfacile d’interpeller l’opinion publique, de la faire réagir. Et les chances de succès étaientd’autant plus grandes que les ONG internationales pouvaient s’appuyer sur des coalitionsnationales, sur des personnalités charismatiques…

La situation des droits de l’homme s’est améliorée plus rapidement au Kenya qu’enOuganda. La société civile et donc la pression nationale étaient plus fortes au Kenya,les normes internationales davantage assimilées et les médias plus développés. Lecomportement du gouvernement a évolué à la fois sous la pression internationale et sousla pression nationale. Tandis qu’en Ouganda, le changement a été le fruit d’une personne,le chef de l’Etat. La socialisation s’est faite plus lentement, en raison de la guerre civile etdu contexte international également. En Ouganda, les violations les plus graves ont eu lieupendant la Guerre Froide. Les droits de l’homme n’avaient pas autant d’importance quedans les années 1990.

B. Dans le monde arabe, les exemples du Maroc et dela Tunisie

Au Maroc comme en Tunisie, la répression prend de l’ampleur dans les années1970. Les deux pays sont alors secoués par une crise à la fois politique et économique.En Tunisie, les années 1976, 1978 et 1980 sont paralysées par des manifestations,rebellions et grèves, qui mettent en cause la légitimité du gouvernement. Au Maroc, deuxcoups d’Etat militaires sont tentés, en 1971 et en 1972. La résistance est militaire, maisaussi civile. Manifestations et rebellions répondent à la dégradation de l’économie. Lespolitiques d’ajustement structurel sont passées par là, laissant derrière elles l’inflation etle mécontentement de la population. Face aux demandes de participation politique et destabilité économique, les réponses sont les mêmes : l’armée et la police sont envoyées.Arrestations, disparitions, tortures, garde-à-vue interminables doivent rétablir la paix. Dansaucun des deux pays les normes internationales ne sont rejetées comme étant purement

130 Rapport AI, p. 218, annexe 7.

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occidentales. Elles sont considérées comme compatibles avec la culture islamique.131

Ce qui va faciliter le travail des ONG de droits de l’homme qui se forment suite à lavague de répressions. Dans les deux pays, des réformes vont avoir lieu, elles introduisentdes changements favorables aux droits de l’homme. Les similitudes entre les deux payss’arrêtent là. Dans les années 1990, alors que les pratiques s’amélioraient au Maroc, ellesse dégradaient en Tunisie. Depuis, le Maroc continue à avancer, et la Tunisie à réprimer.

1. Le Maroc, un modèle pour les pays arabes ?Le Maroc est une monarchie constitutionnelle avec séparation des pouvoirs. Dans la réalité,le roi, leader temporel et intemporel, concentre tous les pouvoirs. Et le parti qui lui estloyal gouverne. Néanmoins, le multipartisme est encouragé dès les années 1960. Un partid’opposition, Istiqual, et de nombreux partis de gauche apparaissent. Tous supportentla monarchie comme mode de gouvernement. C’est leur point commun et la conditionpour exister. Le pluralisme va favoriser l’émergence de la société civile. Juste aprèsles coups d’Etat et les répressions qui s’en suivent, les membres d’Istiqual fondent laLigue marocaine pour la défense des droits de l’homme (LMDDH). Puis, des étudiantsde gauche se réunissent au sein d’un comité de lutte contre la répression au Maroc(CLCRM). Les familles des personnes disparues commencent à former des groupes dedéfense des droits de l’homme indépendants et des contacts avec les émigrants enEurope sont établis. En France, des associations de soutien au CLCRM et aux famillesde disparus se forment. Rapidement, le mouvement devient transnational. En 1979, auMaroc, l’association marocaine des droits de l’homme (AMDH), affiliée à l’union socialistedes forces populaires, est créée. Elle a pour objectif de faire connaître les violations au-delà des frontières, de mobiliser ailleurs qu’au Maroc. Des brochures d’information sontpubliées, des manifestations et campagnes organisées, au Maroc comme en Europe. Grâceà l’activisme national, les ONG internationales ont accès à des informations précises etsûres. Les premiers rapports sur la situation des droits de l’homme sont publiés dans lesannées 1970. Hassan II les rejette comme étant de fausses accusations et une intrusiondans les affaires intérieures du pays. Critiques et débats publics sont acceptés tant qu’ilsne contestent ni la Monarchie, ni le Roi, ni l’Islam, ni l’intégrité territoriale du pays. LesONG se mobilisent pour apporter les preuves des violations et des mensonges de l’Etat,des coalitions nationales et transnationales se forment. Espérant faire taire les critiques, legouvernement signe la convention contre la torture, en 1986. Cette même année, AmnestyInternational publie un rapport et lance une campagne internationale. Deux ans plus tard,l’organisation marocaine des droits de l’homme est créée. C’est la première grosse structureindépendante de tout parti politique. Elle regroupe des intellectuels de tous bords, mêmedes hommes politiques proches du gouvernement. Elle organise séminaires et conférences,publie des rapports, fait de l’éducation aux droits de l’homme… Contre elle, les pouvoirs nepeuvent opposer le droit de non-ingérence.132

131 Sieglinde Gränzer, « Changing discourse : transnational advocacy networks in Tunisia and Marocco », in The power ofhuman rights, p. 109.132 Guilain Denoeux, « Le mouvement associatif marocain face à l’Etat : autonomie, partenariat ou instrumentalisation ? », in Pouvoirset associations dans le monde arabe, p. 34.

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La question des droits de l’homme devient de plus en plus embarrassante. Elleprovoque des tensions fréquentes avec la France, comme en 1990, après la publication deNotre ami le roi, écrit par Gilles Perrault. Le roi tente de l’interdire, mais il ne fait que rendrel’ouvrage encore plus célèbre. Les visites d’Hassan II en Europe provoquent des vagues decontestations. La CEE ne peut plus ignorer la situation . Les droits de l’homme deviennentun obstacle au rapprochement entre l’Europe et le Maroc au moment où un accord de libre-échange s’apprêtait à être signé :

« Les responsables marocains ne veulent plus que, dans les assises internationales oulorsqu’ils voyagent à l’étranger, on leur pose des questions sur les « déficits démocratiques »du royaume. Ils ne veulent plus que, comme ce fut le cas en 1992, l’aide financièreeuropéenne soit compromise par des questions comme celle des prisonniers politiques. »133

Alors, le dialogue s’instaure avec les ONG internationales. Pressions nationales etinternationales se poursuivent. Le 8 mai 1990, le roi annonce la création d’un conseilconsultatif des droits de l’homme, auquel il encourage les ONG de droits de l’homme àparticiper. Elles auront chacune un représentant. Comme Guilain Denoeux , on peut y voirune tentative de réduire les militants au silence. Il n’empêche, cette mesure en initie d’autres.En 1991, le délai de garde-à-vue est limité à six jours, sur avis du conseil. Un an plus tard, laconstitution est réformée : les droits de l’homme apparaissent désormais dans le préambule.En 1993, après la mobilisation de dizaines d’associations pour les droits de la femme, leroi intervient en faveur d’une réforme de la madawwana, le code du statut personnel de lafemme. La femme demeure inférieure, mais elle est davantage protégée face à son mari.S’appuyant sur les conventions de Copenhague et de Beijing, que le gouvernement a signé,les femmes continueront leur combat. Deuxième victoire en 2003 : Mohammed VI, qui asuccédé à Hassan II en 1999, décide de réformer le code de la famille pour le rendre pluségalitaire. Et ce dans un contexte politique international encore marqué par les attentats du11 septembre.134 Le jeune roi acceptera même que soit créée, en 2004, l’instance équité etréconciliation, organisme indépendant chargé de faire la lumière sur les violations commises

133 Ibid.134 Salima Ghezali, « Maroc, un pas de géant pour la femme », Le Monde, 23 décembre 2003.

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sous Hassan II. La constitution devrait également être réformée afin d’éviter que de telsagissements se reproduisent, le roi s’y est engagé.135

De nombreux efforts en faveur des droits de l’homme ont été réalisés au Maroc.Des conventions internationales ont été ratifiées, les institutions et la constitution ont étéréformées dans le sens de la démocratie et du respect des droits de l’homme. La sociétécivile a pu se développer et l’opposition a gagné sa place au Parlement et au gouvernement.Les partis d’opposition et les ONG marocaines sont pour beaucoup dans cette évolution. Lasociété marocaine a su se mobiliser pour faire pression sur le gouvernement. Elle a sualerter l’opinion publique internationale et notamment européenne, grâce à la constitutionde coalitions et aux relations entretenues avec les groupes d’émigrés. S’en prendre à lamonarchie, au roi ou à l’intégrité territoriale du pays comporte toujours des risques. Mais,c’est le conflit au Sahara Occidental qui provoque actuellement les violations les plusgraves.136

2. La Tunisie, mirage d’un régime modèleLa Tunisie, quant à elle est une république présidentielle. Une république séculaire, oùl’Islam est reconnu comme religion d’Etat. La tradition séculaire de la Tunisie expliqueen partie pourquoi le pays a été érigé en modèle des pays arabes par les Occidentaux.Pourtant, c’est loin d’être un modèle de démocratie. La séparation des pouvoirs n’a pas plusde réalité en Tunisie qu’au Maroc : le président possède tous les pouvoirs pour diriger cette« démocratie » socialiste à parti unique. L’opposition n’existe pas et le débat public est uneutopie. Mais, la Tunisie reconnaît très tôt les droits de l’homme, puisqu’elle signe le pacterelatif aux droits économiques et sociaux en 1969. Quelques années plus tard, en 1976,la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH) est créée. Elle agit dans la clandestinitépendant un an, jusqu’à ce qu’elle soit reconnue par l’Etat. Seule organisation reconnue dansun système à parti unique, elle devient rapidement une association melting-pot, sorte deparapluie abritant les causes les plus diverses et des groupes aux idéologies variées. Dansles années 1980, elle parvient à mobiliser la population tunisienne et pousse Bourguibaà justifier des pratiques non conformes aux droits ratifiés par le gouvernement. LesONG internationales soutiennent la LTDH, mais ne lancent pas de campagne particulière,considérant que l’ONG tunisienne se débrouille bien.137 Au printemps 1984, elle obtient dugouvernement la publication de toutes les peines de mort ayant été prononcées.

135 Jean-Pierre Tuquoi, « Mohammed VI accepte de retoucher la Constitution marocaine pour éviter le retour des « annéesnoires » », Le Monde, 8 janvier 2006.

136 Rapport AI, annexe 8.137 Sieglinde Gränzer, opt. citée, p.120

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Pour faire face aux critiques grandissantes, les élites au pouvoir organisent lerenversement de Bourguiba. Il est remplacé par Ben Ali, en 1987. Ben Ali se présentedrapé dans la rhétorique des droits de l’homme. S’il a pris le pouvoir, c’est dans le butde rétablir les droits des citoyens. Bien accueilli au niveau national comme international, ilmet immédiatement en place des mesures en faveur des droits de l’homme. Un droit desprisonniers est adopté et la branche tunisienne d’Amnesty International, qui existait depuis1981, est légalisée en 1988. La même année, le parti au pouvoir fonde l’association desdroits de l’homme et des libertés publiques. Surpris par toutes ces réformes, les militantstunisiens sont désarçonnés. Pour ne rien arranger, la LTDH est rongée par les divisionsinternes. Des divisions que Ben Ali a parfaitement su créer, notamment en intégrant deuxanciens présidents de la LTDH au gouvernement. Il a réussi à réduire les défenseurs desdroits de l’homme au silence.

A partir de 1990, les réformes vont dans le sens inverse. Ce n’est plus l’ouverture qui estrecherchée, mais le musellement. La situation des droits de l’homme se dégrade à nouveau.Les ONG internationales dénoncent les violations, mais elles n’ont aucun mouvementnational sur lequel s’appuyer : la LTDH se déchire. La mobilisation transnationale n’est pasau rendez-vous non plus. Les violations, le gouvernement ne les nie pas : il les justifie par lalutte contre le terrorisme. La crise algérienne occupe le devant de la scène internationale.A côté, la petite Tunisie est présentée comme un havre de paix.138 Il faut dire qu’elle sedonne du mal pour avoir l’air d’un modèle. Commissions et comités de droits de l’hommefleurissent, les conventions internationales sont signées à tour de bras. Le gouvernementest parvenu à monopoliser le discours sur les droits de l’homme, tout en mettant en place desmécanismes sophistiqués pour bâillonner les défenseurs des droits de l’homme. En 1992,Tunis accueille la conférence régionale africaine, préparatoire à la conférence mondiale

138 Olfa Lamloum et Bernard Ravenel, La Tunisie de Ben Ali.La société contre le régime, introduction, p.5.

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des Nations Unies sur les droits de l’homme.139 La même année, la loi sur les associationsest amendée. La LTDH a le choix entre perdre son indépendance ou disparaître. Elleopte pour la seconde solution et se dissout. Réautorisée en 1994, elle sera à nouveaususpendue en 2000, après qu’un nouveau bureau ait été élu.140 Défenseurs des droits del’homme, journalistes, étudiants sont sous contrôle. Arrestations, agressions physiques,campagnes de dénigrement, pressions sur les proches, confiscations de passeports,censure… marquent la première moitié des années 1990. La communauté internationaleferme les yeux. Ben Ali lutte contre l’islamisme avec efficacité, la situation économique dupays s’améliore, laissons le faire. Cinq ans de répression et de censure en toute impunité.Cinq ans pendant lesquels le régime s’est coupé du monde, insensible aux critiques,inconscient des évolutions du jeu international. Ben Ali n’a pas vu que les choses avaientévolué, chez son voisin algérien. Il n’a pas vu que les critiques concernant l’absence deliberté ont trouvé un écho croissant au niveau international et national. L’argument de lalutte contre l’islamisme ne fait plus autant recette. En 1998, le comité contre la torture del’ONU dénonce les dégradations des droits de l’homme en Tunisie. Timidement, quelquesEtats, dont la France suivent. Le Parlement européen vote deux résolutions condamnantles abus et la censure.

La Tunisie ne prend même plus la peine de cultiver l’image d’un pays démocratique.Ben Ali restaure la présidence à vie, qu’il avait supprimée en 1988.141 Avec seulement 94%des voix, il est réélu en 2004. Les observateurs étrangers n’ont observé aucune fraude.Personne aux urnes et pourtant 90% de participation. Tout est normal.142 En novembre2005, la Tunisie accueille le sommet mondial de la société de l’information. L’objectif :montrer qu’un petit pays dépourvu de richesses naturelles peut rivaliser avec les nationsles plus développées. Pour l’occasion, des dizaines de sites et blogs de l’opposition sontaccessibles. Un petit dérapage va cependant rappeler la véritable nature de la « doucedictature ». Christophe Boltanski, envoyé spécial de Libération, est agressé. Peut-êtreà cause d’un article décrivant la dispersion des grévistes de la faim par la police. LesEtats-Unis réagissent, soulignent que la Tunisie a fait de réels progrès dans les domaineséconomiques et sociaux, puisque c’est le pays le plus prospère du Maghreb, mais que ceserait bien que les réformes politiques et les droits de l’homme eux-aussi progressent.143 LaFrance reste silencieuse. Pire, le 12 juillet, Nicolas Sarkozy ne peut s’empêcher de lancerque la Tunisie est en « cheminement vers la démocratie ». En vertu de l’accord d’associationeuro-méditéranéen, l’Union Européenne a un droit de regard sur les droits de l’homme. Mais,si elle ne se gêne pas pour dénoncer les violations de certains pays, comme la Turquie,elle reste bien silencieuse face aux abus commis en Tunisie. Peut-être parce qu’en tant quepuissance économique du Maghreb, la Tunisie apparaît comme le meilleur atout pour cetteUnion méditerranéenne, si chère au gouvernement français notamment. Le 11 septembreest également passé par là : la Tunisie est épargnée par le terrorisme, ce qui ne manquepas d’être souligné.

139 Donatella Rovera, interview, « Les droits de l’homme : entre discours et pratique », in La Tunisie de Ben Ali.140 Il avait déclaré qu’il ne se laisserait pas intimider.141 Kamel Jendoubi, « Tunisie : M. Ben Ali s’éternise, les libertés agonisent », Le Monde, 7 janvier 2001.142 Catherine Simon et Jean-Pierre Turquoi, « Le président tunisien Ben Ali obtient sa réélection aves 94% des vois, contre

99% précédemment », Le Monde, 26 octobre 2004.143 « Sanctionner Ben Ali », éditorial, Le Monde, 15 novembre 2005.

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Torture, mauvais traitement, harcèlement, procès iniques, censure, libertésfondamentales restreintes144… En Tunisie, la situation est toujours celle des années 1970.Quelques progrès avaient été réalisés dans les années 1980, avant que la répressionne devienne à nouveau la norme. Ben Ali a réussi à museler l’opposition et les militantstunisiens, en adoptant le discours des droits de l’homme, en les manipulant, puis en lesmenaçant. La société civile n’a pas réussi à se développer, la mobilisation transnationalen’a pas réussi à émerger. C’est la principale différence avec le Maroc. En Tunisie, lesquelques progrès observés à la fin des années 1980 étaient issus de la volonté du souverain,pas de la pression nationale et internationale. Sans réseaux transnationaux, les pratiquesévoluent plus lentement. L’attitude de la communauté internationale peut aussi expliquer ladifférence entre les deux pays. Dès les années 1960, la Tunisie est considérée comme lemodèle des pays arabes, par la France notamment. C’est un pays à la tradition séculaire,épargné par l’islamisme et qui va rapidement connaître de réels succès économiques.Autant d’arguments contre les critiques sur les droits de l’homme, des droits de l’hommeque le pays a été pionnier à reconnaître. Tromper est encore plus facile avec la complicitéactive des puissants. Car, l’Occident ne se contente pas de rester silencieux, comme il lefait avec le Maroc et tant d’autres pays. Il soutient Ben Ali. Avec l’approbation muette de cesmillions de touristes venus se faire dorer au soleil dans une si « douce dictature »145.

C. La Chine, intouchable puissance

Jusqu’à la mort de son maître, Mao Zedong, la République populaire de Chine est unpays fermé au monde. Tous ceux qui pensent différemment, les intellectuels notamment,sont taxés de contre-révolutionnaires et réduits au silence. Ils sont envoyés dans desrégions reculées pour être réformés par le travail, punis publiquement, exécutés, soumisà des mauvais traitements… C’est la Guerre Froide, les droits de l’homme ne sont pas lapriorité. En 1978, Deng Xiaping lance la modernisation économique. La Chine s’ouvre. Lesbiens occidentaux font leur apparition. Et avec eux, les idéaux démocratiques. La notion dedroits de l’homme pénètre la société chinoise. Et le gouvernement, qui cherche à s’intégrer

144 Rapport AI 2007, annexe 9.145 Taoufik Ben Brik, Une si douce dictature.

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à la communauté internationale, l’accepte peu à peu comme sujet de discussion dans lesinstances internationales. Mais, à l’intérieur du pays, pas question de laisser l’oppositions’exprimer et la société civile se construire. La pensée reste contrôlée par le parti. Ainsi,alors qu’une réflexion sur les fonctions de la loi est organisée par le comité central duparti, quelques mois plus tard, L’année 1984 dans la province T, un film sur la question dela hiérarchie entre la loi et le pouvoir, est interdit. L’idée que la loi n’est pas uniquementrépressive, qu’elle peut aussi être protectrice est avancée, mais elle ne peut se développer àl’extérieur du parti. Les Chinois ne sont pas libres, la société civile est inexistante et les Etatsoccidentaux ne bougent pas. Pas de pression sur le gouvernement pour une améliorationdes droits de l’homme donc. Pour justifier leur inaction, les Occidentaux avancent souventun argument : les droits de l’homme viendront avec le développement économique. Cetargument, c’est aussi celui des dirigeants chinois : les droits économiques et sociaux avantles droits individuels et politiques.

Aujourd’hui, la Chine compte 1,3 milliards d’habitants, des taux de croissance à fairepâlir d’envie les Occidentaux… C’est une puissance économique, mais elle ne connaît ni ladémocratie ni les libertés individuelles. La communauté internationale ferme soigneusementles yeux sur les pratiques du gouvernement. Par sa taille, le marché chinois éclipse tout lereste. Les dénonciations des ONG ne trouvent pas d’échos.

1. Le printemps de Pékin, espoir déçuEn 1987, Hu Yaobang est écarté du pouvoir. Comme lui, tous les réformateurs les plusimportants sont marginalisés. Deng Xiaoping veut mettre un frein à la modernisationéconomique. L’économie libérale commence en effet à être considérée comme une menacepour le monopole du parti. C’est a la suite de la mort de Hu Yaobong, le 15 avril 1989, que desmilliers d’étudiants se regroupent sur la place Tienanmen, centre névralgique de l’activitépolitique de la Chine populaire. Ils crient des slogans favorables à la démocratie, dénoncentla corruption… Ils sont bientôt rejoints par des milliers de personnes, ouvriers, employés…Le mouvement grandit, il s’étend à Pékin et dans les campagnes. Des débrayages sontmême organisés. C’est le printemps de Pékin. Le 19 mai, la loi martiale est décrétée.L’objectif : faire évacuer la place Tienanmen. Pour cela, tous les moyens sont bons. Le 4juin, les chars s’avancent sur la place. Chars, mitraillettes et armement lourd contre desétudiants et des travailleurs désarmés, le combat est inégal. Les journalistes occidentauxsont là. Ils témoignent de la terreur, du sang, de l’injustice, de l’horreur. Qui n’a pas vula photo de cet étudiant seul devant une rangée de chars ? Elle a fait le tour du monde.S’arrêtant aux frontières chinoises.

Quelques centaines de morts selon les autorités chinoises, des milliers, on ne le saittoujours pas. Mais après ce que l’on qualifie de massacre à l’étranger, d’événement enChine, la communauté internationale se réveille et semble soudain prendre consciencede ce qu’il se passe en Chine. « Le monde occidental fut ébahi par la violence déployéepar un parti communiste chinois qui, jusqu’ici, avait fait preuve de retenue »146 considérait-on. La France ouvre ses frontières aux réformateurs pourchassés par le pouvoir. Partout,des citoyens descendent dans la rue pour protester contre tant de violence envers unmouvement en faveur de la démocratie. Les dirigeants occidentaux, pour qui la Chine allaitdans le bon sens, critiquent parfois avec virulence. Le gouvernement chinois est montrédu doigt. A l’ONU, un rapport sur la situation des droits de l’homme en Chine est lancé, enaoût 1989. C’est une première. Pour la première fois, un membre du Conseil de Sécurité

146 Jean-Philippe Béja, « N’oublions pas le massacre de Tienanmen ! », Le monde, 4 juin 2004.

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est mis en cause et sa situation soumise à examen. Un projet de résolution est présenté.Et une motion de non action déposée par le Pakistan. C’est la motion de non action qui estvotée.147 La première d’une longue série.

En 1990, le gouvernement autorise la venue de juristes étrangers. Encore unepremière. Les autorités chinoises reconnaissent que les droits de l’homme ont leur placedans le débat international. D’ailleurs, depuis le début des années 1980, la Chine participeaux travaux de sous-commissions sur ce thème. Dans le même temps, les libertés sontun peu plus étouffées. Le parti communiste prend la presse en main. Critiquer les organesdirigeants ou exprimer des opinions contraires à celles dictées par le parti est banni. Lesdéfilés, manifestations et rassemblements sont autorisés, à condition qu’ils ne portent pasatteinte à l’intérêt de l’Etat, de la société, de la collectivité et aux droits des autres citoyens.148

On veut empêcher les « criminels », tels ces étudiants et ouvriers renversés par l’armée, desévir. En Chine, il n’existe aucune organisation ayant pour mission de surveiller l’applicationdes droits de l’homme ou de formuler des propositions sur la question. Aux critiques surla situation des droits de l’homme, le gouvernement chinois crie à l’ingérence. L’Occidentveut imposer ses valeurs. Il ne respecte ni le droit international ni les différences culturelles.Les droits de l’homme ne sont pas universels, la culture chinoise ne les reconnaîtrait pas.L’individu existe comme élément d’un groupe, il a avant tout des devoirs envers les autresmembres du groupes et les autorités politiques et sociales. C’est la morale confucéenne.Mais, l’empereur aussi a des devoirs envers l’humanité, normalement. Par ailleurs, le droitn’est pas inexistant dans la tradition chinoise. Il est essentiellement pénal, inspiré de l’écolede la loi.149 La loi punit, les devoirs étouffent les droits individuels, mais la Chine traditionnellec’est aussi un Etat lointain et un humanisme internalisé, pas un pays de barbares.

L’autre argument, celui qui pèse le plus, notamment sur le comportement des autresEtats, est économique. Les droits économiques et sociaux sont proclamés supérieursaux droits individuels et politiques. Et, après la mort de Mao, la plupart des dirigeantsoccidentaux considèrent que la Chine va dans le bon sens. On est persuadé que ledéveloppement économique entraînera le libéralisme politique. Cet argument, on l’entendencore. Le libéralisme politique, les Chinois l’attendent toujours. De même que le partagedes richesses.

2. Les jeux olympiques : déclencheur du pire ou du meilleur ?L’ouverture économique n’a pas entraîné l’ouverture politique. La société civile n’a paspu se développer, pas de pression par le bas donc.150 L’irruption de Tienanmen et sesconséquences ont calmé les ardeurs. Les quelques réformateurs ont fui ou ont étéemprisonnés, les intellectuels bâillonnés, le début de prise de conscience et la flamme dela résistance recouverts par le sang et les souvenirs de l’horreur. Le mouvement de massen’a pas survécu à la répression. A l’extérieur, les ONG ont continué à crier dans le vide.Le mouvement transnational a été de courte durée. Les Etats ont interdit la vente d’armes

147 Alain Girardet, « Rôle des ONG lors de l’examen de la situation des droits de l’homme en Chine par les organes des nationsunies », La Chine et les droits de l’homme

148 Département d’Etat des Etats-Unis, rapport sur l’exercice des droits de l’homme pour 1991, in Les droits de l’homme enChine, problèmes politiques et sociaux n° 696, 22 janvier 1993.

149 Françoise Aubin, « Tradition chinoises et droits de l’homme », in La Chine et les droits de l’homme, p.16-19.150 Margaret Keck and Kathryn Sikking, Activists beyond borders, p.117.

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Chapitre 4 : L’évolution des pratiques nationales, une réalité complexe et multiforme

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à la Chine, pas plus. A l’ONU, les échecs se sont multipliés. Chaque année, des projetsde résolution sont présentés devant la commission des droits de l’homme. Et chaque fois,ils sont réduits à néant par le vote d’une motion de non action. La Chine est devenue lechef de file d’un monde opprimé par l’Occident. Elle est l’alliée économique sans conditiondes pays que le FMI et la Banque mondiale soumettent à des règles jugées par beaucoupinacceptables. La bonne gouvernance a peu d’importance pour le gouvernement chinois.En contrepartie de l’aide économique chinoise, les pays asiatiques et africains soutiennentla Chine dans les instances de l’ONU, la protégent contre les sanctions. Quant aux paysdéveloppés, ils sont loin de se présenter unis.151 Les Etats-Unis et les pays scandinavessoutiennent presque systématiquement les résolutions contre la Chine depuis les années1990. La France et l’Allemagne se sont, par contre, plusieurs fois désolidarisées de l’Europe,espérant récupérer quelques contrats.152 La Chine représente un marché potentiel et cela,personne ne l’oublie. Quelques contrats sont plus importants que les violations. Aujourd’hui,la Chine fait envie aux dirigeants occidentaux, pour sa réussite économique. Un PIB plusde deux fois plus élevé qu’en 1989 autorise quelques concessions.

Sans avoir réalisé de progrès dans le domaine politique, la Chine poursuit sonintégration dans la communauté mondiale. Elle est entrée à l’OMC en 2000. Unecommission de surveillance des droits de l’homme en Chine ainsi qu’un groupe de travailchargé d’enquêter sur les allégations de travail forcé ont été créés spécialement, pourdonner bonne conscience aux membres de l’organisation. Mais, un autre levier est encoretombé. Aucune ouverture politique, de faibles progrès dans le domaine des droits del’homme, et une « récompense » avec quelques conditions de façade. Cela n’incite guère auchangement. La Chine n’a pas besoin de l’aide économique ou militaire des Occidentaux,puisqu’elle est, elle aussi, une puissance. Quant aux menaces diplomatiques, à l’ONU, ellesn’aboutissent pas. La séduction est préférée à l’affrontement avec un pays admiré pour sesprouesses économiques. Quelles prouesses ! Elles aussi se font au détriment des droits del’homme. Travail forcé, travail des enfants, salaires de misère, expulsion, pollution… sontles dessous de la croissance.

Dans ce contexte, les Jeux olympiques de Pékin apparaissent comme l’opportunité defaire bouger les choses. « La Chine va se trouver sous les feux de l’actualité dans les quatreannées qui vont précéder 2008. De graves atteintes aux droits fondamentaux des personnesse produisent chaque jour en Chine. Ce coup de projecteur doit servir à mettre un terme àces abus et permettre que soit respecté l’engagement de « préserver la dignité humaine »,inscrit dans la Charte olympique ».153 Partout dans le monde, des hommes politiques, desstars, des citoyens se sont mobilisés contre la crise au Darfour, menaçant de boycotterles Jeux olympiques. La Chine est soudain apparue comme un acteur clé de cette crise.L’opinion publique internationale ne peut plus ignorer son rôle. En France, un collectif dehuit associations de défense des droits de l’homme, le collectif Chine JO 2008, appelle legouvernement chinois à répondre à huit demandes : libérer les prisonniers d’opinion, leverle contrôle de l’information, suspendre les exécutions, supprimer la détention administrative,mettre un terme à la torture, autoriser les syndicats indépendants, stopper la répressioncontre les avocats, arrêter les expulsions de citoyens de leurs terres ou de leurs logements.La liste est longue. Elle pourrait malheureusement être allongée. Des personnalités et descitoyens soutiennent la cause des Tibétains, des réfugiés sud-coréens, des Ouïghours…

151 Isabelle Vichniac, « Droits de l’homme en Chine : l’ONU vote la « non-action » », Le Monde, 25 avril 1996.152 Francis Deron, « Pékin impose ses vues au monde sur la question des droits de l’homme », Le Monde, avril 1997.

153 Amnesty International, « Chine, Jeux olympiques et droits humains », communiqué de presse, 27 août 2004.

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Les causes à défendre sont nombreuses, trop peut-être. Le combat se disperse, mais ilgarde une cible privilégiée : le Darfour.

Oui, les Jeux olympiques permettent de braquer les projecteurs sur la Chine, de révélerson rôle dans la crise au Darfour et dans d’autres violations. Mais, la répression desdroits de l’homme s’est accentuée affirme Amnesty International. Les défenseurs des droitsde l’homme, les avocats et journalistes sont menacés. La Chine veut donner une bonneimage d’elle-même. Ceux qui dénoncent les violations sont gênants. « En vue des JO,Pékin met un gant de velours sur une main de fer. La sécurité d’Etat travaille jour et nuitpour mettre en place un système de contrôle plus sophistiqué, moins visible et moinsouvertement répressif », affirme Nicolas Becquelin, responsable pour la Chine de HumanRights Watch.154

L’approche des Jeux olympiques entraîne peut-être une augmentation des violations.Mais elle contribue aussi à la diffusion d’informations sur la réalité de la situation des droitsde l’homme en Chine. Dans son sillage, le mouvement transnational pour les droits del’homme s’est développé. Les droits de l’homme en Chine font le 2O heures. La Chine aurabeau crier à l’ingérence, elle n’empêchera pas l’information de se diffuser dans le monde.L’opinion publique internationale se réveille, secouant les gouvernements du Nord. Oseront-ils affronter les autorités chinoises et ses soutiens dans le tiers-monde ? Le mouvementinternational parviendra-t-il à trouver des relais suffisamment puissants à l’intérieur dupays ? Le combat vers la libéralisation politique semble encore long.

Sans le soutien de la communauté internationale et de la société civile du paysrépressif, les ONG de droits de l’homme internationales ont peu de chance de faireévoluer les pratiques nationales. La pression de la communauté internationale peut être undéclencheur. Mais, pour que des pratiques conformes aux droits de l’homme se mettenten place durablement, il est nécessaire que la société civile soit impliquée dans le combatcontre la répression et qu’elle soit socialisée aux droits de l’homme.

154 Bruno Philip, « Pékin opte pour une répression plus discrète afin de désarmer les critiques internationales », Le Monde,5 juin 2007.

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Conclusion

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Conclusion

Les droits de l’homme sont devenus un enjeu de la politique internationale de ce XXI siècle.Ils sont régulièrement évoqués dans la presse écrite et de plus en plus souvent dans lesjournaux télévisés, source d’information la plus regardée. Les ONG internationales de droitde l’homme sont devenues des acteurs connus et reconnus sur la scène internationale.Elles ont contribué à « populariser » les droits de l’homme, à les faire connaître, à en faireun enjeu de politique internationale. En grande partie grâce à leur expertise, une expertisequi leur a donné légitimité et visibilité. Elles sont devenues des sources d’informationscrédibles, pour les médias et l’opinion publique comme pour les Etats et les organisationsinternationales. Elles sont capables de mobiliser l’opinion publique et de se faire entendredans les instances internationales. Elles agissent aux deux bout de la chaîne de prise dedécision : par le bas et par le haut. Mobiliser l’opinion et faire du lobbying directementauprès des Etats sont leurs deux modes d’actions principaux. Ils leur permettent de pesersur les décisions internationales et ainsi de faire évoluer les droits de l’homme dans lestextes internationaux. Mais, faire progresser les droits de l’homme en théorie n’est pasleur seul objectif. Les ONG internationales de droits de l’homme voudraient aussi rendreles rapports internationaux et les pratiques nationales moins inhumains, plus respectueuxde ce qu’elles considèrent comme des valeurs universelles. Alors, elles prennent leurshabits de veilleur. Elles montrent du doigt les Etats non signataires des grands textesinternationaux et stigmatisent ceux qui ne respectent pas leurs engagements ainsi que ceuxqui soutiennent des dirigeants sanguinaires. Autant dire qu’aucun Etat n’est épargné parleurs critiques. Et pourtant, malgré les dénonciations, malgré la médiatisation des droits del’homme, les violations continuent. Chaque jour, elles sont étalées à notre vue. Non, lespratiques ne semblent pas être devenues plus humaines. Les dictatures, la répression, lesdirigeants sanguinaires ont existé à toute époque et en tout lieu. La présence d’ONG de droitde l’homme internationales puissantes et la mondialisation n’ont pas éradiqué l’inhumain.Toutefois, elles l’ont peut-être rendu plus visible et un peu moins acceptable.

Seules, les ONG ne peuvent rien. Elles ont besoin du soutien des opinions publiquesnationales pour faire pression sur les dirigeants. Et des Etats pour influencer les décisionsinternationales et les comportements des Etats irrespectueux des droits de l’homme. Etatset ONG ne sont pas de simples ennemis. Ils collaborent. Chacun cherche à influencerl’autre. Lorsque les ONG parviennent à rallier les Etats les plus puissants à leur cause,par le lobbying ou grâce à l’opinion publique, leurs chances de succès augmentent. Lesexemples du Maroc, de la Tunisie, du Kenya, de l’Ouganda et de la Chine le montrent.Le comportement de la communauté internationale est déterminant. Pour avoir le moindreespoir d’obtenir le soutien des Etats les plus puissants, encore faut-il pouvoir les convaincre.D’où l’importance des sociétés civiles nationales. Lorsqu’elles n’existent pas, les ONGinternationales sont privées d’informateurs, mais aussi de relais pour faire pression surl’Etat par le bas. Sans les sociétés civiles et sans le soutien de quelques Etats, les ONGne peuvent pas exercer leur pouvoir de nuisance, leur atout principal. Mais, avec eux etavec de la persévérance dan la nuisance, elles ont obtenu quelques belles victoires, sur lesEtats comme sur les firmes multinationales. Des milliers de « petites » et quelques grandesvictoires. Autant de preuves que, sur les cinq continents, les droits de l’homme ne laissentplus indifférents.

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Annexes

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Annexes

Annexe 1 : Amnesty International, une ONGinternationale en quelques chiffres

En 2006, Amnesty International comptait 2,2 millions de membres et sympathisants dansplus de 150 pays et territoires.

5 000 personnes, collectivités, familles et organisations de défense des droits humainsont mené des activités dans le monde entier.

700 défenseurs des droits humains et organisations de défense de ces droits ontbénéficié de formations dispensées par Amnesty International dans toutes les régions dumonde.

473 rapports et synthèses ont été produits.330 actions urgentes ont été lancées par l'organisation, pour défendre des personnes

en danger.153 pays et territoires sont traités dans son Rapport 2007.121 projets de campagne ont été lancés.Amnesty international a effectué 120 visites dans 77 pays et territoires.Selon le Rapport 2007, les autorités de 57 pays maintiennent en détention des

prisonniers d'opinion ou des personnes susceptibles d'être considérées comme tels.

Annexe 2 : Article Le Monde , 4 février 2001Neuf fois plus « crédibles » que la presse

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Article paru dans l'édition du 04.02.01Les Occidentaux font deux fois plus confiance aux ONG qu'aux gouvernements, aux

entreprises et aux médias. Les noms des plus connues parmi elles, comme AmnestyInternational, Greenpeace ou Médecins sans frontières, sont désormais « les nouveauxlabels de confiance » pour les Européens.

En France, elles sont considérées comme trois fois plus « crédibles » que legouvernement, cinq fois et demie plus que les entreprises du secteur privé et neuf fois plusque la presse.

Ce sont certaines des conclusions d'une étude sur l'influence des ONG dans cinq paysindustrialisés, réalisée par la société américaine de relations publiques Richard Edelmanpour plusieurs grandes multinationales.

L'étude, publiée en décembre 2000, a été menée sur quatre mois aux Etats-Unis,en France, en Grande-Bretagne, en Allemagne et en Australie ; elle est basée sur desentretiens approfondis avec 500 individus « leaders d'opinion, bien éduqués et attentifs auxmédias », de 34 à 65 ans, dans chacun des cinq pays.

La moitié des personnes interrogées déclarent que les ONG représentent « des valeursauxquelles elles croient » ; 11 % seulement en disent autant de leur gouvernement.

LES SIX RAISONS DU SUCCÈSLe rapport avance six raisons au « succès phénoménal » des ONG en Occident : elles

sont toujours à l'offensive ; elles diffusent leur message directement au public ; elles sontcapables de bâtir des coalitions ; elles ont des causes claires et compréhensibles ; ellesagissent à la vitesse de l'Internet ; elles savent parler aux médias.

Ce succès ne signifie pas que les ONG « soient toutes des saintes, loin de là » , déclarel'un des auteurs de l'étude, Jonathan Wootlif : « Nous avons constaté plusieurs problèmes,et d'abord le fait que les ONG n'aient souvent pas de comptes à rendre. Les financementsde certaines sont très opaques. » « Nous leur disons, poursuit-il, que la faveur que leuraccorde pour le moment le public peut très vite disparaître si elles refusent, comme souvent,de respecter les règles de conduite qui s'imposent aux grandes sociétés, par exemple. Ilfaut qu'elles soient plus transparentes. »

AFSANE BASSIR POUR

Annexe 3 : Les usagers d’Internet dans le monde en2001

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Annexe 4 : Le processus de socialisation des normeset l’effet boomerang

Annexe 5 : Les conventions internationales signéespar l’Ouganda, le Kenya, la Maroc, la Tunisie et laChine

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source <URL : http://www.ohchr.org/frenh/law/ >

Annexe 6 : Extraits du rapport 2007 d’AmnestyInternational sur la situation des droits de l’homme enOuganda

Les négociations en faveur de la paix qui se sont tenues dans le sud du Soudan entrele gouvernement ougandais et le groupe armé Lord's Resistance Army (LRA, Armée derésistance du Seigneur) ont enregistré certaines avancées, laissant entrevoir la fin de vingtannées de conflit dans le nord de l'Ouganda. Les élections se sont déroulées de manièrerelativement pacifique. Kizza Besigye, le candidat de l'opposition à la présidence, a étéacquitté de l'accusation de viol qui pesait sur lui, mais demeurait inculpé de trahison. Les

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atteintes à la liberté d'expression et à la liberté de la presse se sont poursuivies. L'annéea de nouveau été marquée par des épisodes de torture de détenus et de harcèlementde personnes en raison de leur orientation sexuelle. Les violences contre les femmesdemeuraient endémiques. Les tribunaux militaires ont continué à prononcer des sentencescapitales.

- Contexte politiqueUne loi adoptée au mois de mai imposait aux organisations non gouvernementales

de se faire enregistrer chaque année par une commission, essentiellement composée dereprésentants de l'État.

Des élections législatives et présidentielle ont eu lieu en février: il s'agissait despremiers scrutins multipartites depuis vingt-six ans. Surveillées par plus de 500 scrutateurs,elles se sont déroulées de manière transparente et relativement pacifique malgré diversproblèmes, notamment le parti pris des médias et les listes électorales incomplètes. Leprésident sortant, Yoweri Kaguta Museveni, a remporté près de 60 p. cent des voix tandisque son principal adversaire, Kizza Besigye, du Forum for Democratic Change (FDC, Forumpour un changement démocratique), a recueilli 37 p. cent des suffrages. Le 7 mars, KizzaBesigye a déposé une requête auprès de la Cour suprême dans l'objectif de faire invaliderles résultats des élections. Son appel a été rejeté le 6 avril. […] Au cours de l'année 2006,Kizza Besigye a comparu devant les tribunaux dans le cadre de trois inculpations distinctespour terrorisme, viol et trahison. Il avait été libéré sous caution le 2 janvier. […]

Certaines informations ont fait état de violences et d'actes d'intimidation,essentiellement dirigés contre les sympathisants de l'opposition, en particulier au cours destrois dernières semaines de la campagne. Le jour des élections, la présence des forcesarmées a été observée autour de certains bureaux de vote. […]

- Conflit dans le nord de l'Ouganda[…] Le gouvernement et la LRA ont signé un cessez-le-feu le 26 août. Aux termes

de cet accord, les forces de la LRA devaient se regrouper dans deux zones situées dansle sud du Soudan. À la mi-septembre, les rebelles avaient commencé à se rassemblerdans les lieux en question, qu'ils ont par la suite quittés par crainte de violences de la partdes Uganda People's Defence Forces (UPDF, Forces de défense populaire de l'Ouganda,l'armée régulière). Bien que le cessez-le-feu ait été violé à plusieurs reprises, les deuxparties ont convenu en novembre de le prolonger et de poursuivre les négociations. Avecla poursuite du processus de paix, un certain nombre de mesures encourageantes ont étéprises à partir de ce même mois. Les autorités ont ainsi facilité les visites de proches desdirigeants de la LRA et des porte-parole des communautés du nord de l'Ouganda, afin qu'ilspuissent rencontrer les chefs de file de la LRA.[…]

- Personnes déplacéesOn recensait 1,7 million de personnes déplacées dans le nord du pays. […]- Réfugiés en OugandaEn mars, le gouvernement a fait adopter un projet de loi concernant les réfugiés. Ce

texte reprenait certaines dispositions du droit international relatif aux réfugiés. […]- Atteintes à la liberté d'expressionLes atteintes à la liberté d'expression et à la liberté de la presse se sont poursuivies,

en particulier lors de la campagne électorale. La police est intervenue pour empêcherla diffusion d'émissions de radio consacrées aux candidats à la présidence; plusieurs

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journalistes ont été interpellés à l'approche du scrutin. Les stations de radio n'ont pas étéautorisées à diffuser de débats ni d'émissions sur le procès de Kizza Besigye. […]

- Violences contre les femmesLes femmes restaient très exposées aux violences, en particulier dans le cadre

du conflit qui sévissait toujours dans le nord du pays, où de nombreuses fillettes ontété enlevées par des rebelles de la LRA afin de servir d' « épouses » et d'esclavesaux combattants. Les femmes et les jeunes filles qui se trouvaient dans les camps depersonnes déplacées couraient également un risque important de violences domestiqueset d'agressions lorsqu'elles effectuaient des tâches quotidiennes comme le ramassagede bois. […]

Annexe 7 : Extraits du rapport 2007 d’AmnestyInternational sur la situation des droits de l’homme auKenya

Les autorités ont intensifié leurs manœuvres de harcèlement et d'intimidation contreles journalistes et les défenseurs des droits humains. Des allégations de violencespolicières n'ont fait l'objet d'aucune enquête, ce qui a encore renforcé l'impunité despoliciers responsables d'atteintes aux droits humains. Malgré l'adoption d'une loi érigeanten infractions pénales différents crimes et délits à caractère sexuel, le viol et les autresviolences commises contre les femmes, les jeunes filles et les fillettes, notamment au seindu foyer, constituaient toujours un sujet de préoccupation majeur. […]

- Atteintes à la liberté de la presseLes autorités ont multiplié les actes d'intimidation et de harcèlement envers les

personnes travaillant dans la presse, dont les journalistes.• En mars, des policiers armés qui agissaient sur instruction du gouvernement ont

effectué une descente dans les locaux et dans l'imprimerie du Standard , un importantgroupe de presse, et dans les studios de la chaîne de télévision KTN. Ils ont brûlé l'éditiondu 2 mars du quotidien The Standard , endommagé du matériel dans les deux sites etconfisqué des ordinateurs. L'opération a suscité une vague de protestations dans le payset à l'étranger. Trois journalistes du Standard avaient été interpellés avant la descentede police et inculpés pour avoir écrit des articles « alarmants » faisant état de contactssecrets entre le chef de l'État et un opposant politique. Le groupe de presse a déposéune plainte contre le ministre de la Sécurité nationale et contre le chef de la police, et unecommission parlementaire a mené une enquête. En septembre, les poursuites contre lestrois journalistes ont été abandonnées. […]

- Harcèlement de défenseurs des droits humainsLes autorités ont tenté d'entraver l'action des défenseurs des droits humains.

Des organisations non gouvernementales ont accusé le gouvernement d'exercer desmanoeuvres d'intimidation contre ses détracteurs par le biais de la KACC et del'administration fiscale. […]

- Impunité

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Les autorités n'ont pas enquêté sur des allégations de violations des droits humainscommises par des policiers, notamment des cas de torture et d'homicides illégaux. À la suited'une flambée de violences interethniques en octobre, le préfet Hassan Noor Hassan auraitdonné aux policiers du district de Nakuru l'ordre de tirer sur les émeutiers. […]

En octobre, la ministre de la Justice, Martha Karua, a annoncé la création d'un nouvelorgane chargé de recevoir et d'instruire les plaintes des citoyens concernant les abuscommis par des fonctionnaires de police. […]

Annexe 8 : Extraits du rapport 2007 d’AmnestyInternational sur la situation des droits de l’homme auMaroc

Le gouvernement a commencé à examiner les recommandations formulées en 2005 parl'Instance équité et réconciliation, mais des mesures indispensables de suivi n'avaient pasété prises à la fin de l'année. Huit défenseurs des droits humains sahraouis emprisonnés en2005 ont été libérés, mais deux autres ont été incarcérés alors que les manifestations contrel'administration marocaine au Sahara occidental se poursuivaient. Quelque 200 militantsislamistes présumés ont été arrêtés et inculpés, dans bien des cas sur la base d'unedéfinition imprécise du terrorisme. Plusieurs condamnations ont été prononcées, dont deuxà la peine capitale. Plus de 500 membres d'Al Adl wal Ihsan (Justice et bienfaisance), ungroupe islamiste interdit, ont été inculpés d'appartenance à une organisation illégale aprèsque ce mouvement eut lancé une campagne de recrutement. Les expulsions illégales deréfugiés, de demandeurs d'asile et de migrants se sont poursuivies; certains auraient étévictimes de sévices sexuels infligés par des membres des forces de sécurité.

- Sahara occidental[…] Les Sahraouis continuaient de manifester contre l'administration marocaine du

Sahara occidental, sur fond d'échec persistant des tentatives visant à résoudre le conflitentre le Maroc et le Front Polisario sur le statut de ce territoire. Le Front Polisario, qui réclamela mise en place d'un État indépendant au Sahara occidental, a constitué un gouvernementen exil autoproclamé dans des camps de réfugiés du sud-ouest de l'Algérie. […]

[…] Une mission du Haut-Commissariat aux droits de l'homme [ONU] s'est rendue auSahara occidental en mai. Son rapport confidentiel, qui a été divulgué, concluait que lasituation des droits humains était profondément préoccupante. Il relevait que les Sahraouisétaient privés de leur droit à l'autodétermination et que des restrictions sévères pesaient surleurs autres droits fondamentaux, notamment le droit à la liberté d'expression, d'associationet de réunion. […]

- Instance équité et réconciliationEn janvier, le roi Mohammed VI a prononcé un discours à l'occasion de la publication

du rapport final de l'Instance équité et réconciliation (IER), qui avait terminé en novembre2005 ses investigations sur les atteintes graves aux droits humains commises entre 1956et 1999, et plus particulièrement sur les cas de disparition forcée et de détention arbitraire.Il a exprimé sa sympathie pour les victimes de ces agissements, sans toutefois présenterdes excuses.

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Le roi a chargé le Conseil consultatif des droits de l'homme (CCDH), un organismenational, d'assurer le suivi des travaux de l'IER. […] Le CCDH a commencé à communiqueraux victimes et à leurs familles les résultats des recherches effectuées sur 742 cas dedisparition forcée que l'IER indiquait avoir élucidés. Il a poursuivi les investigations sur66 cas en suspens. Mais aucun progrès n'a été accompli pour permettre aux victimesd'accéder à la justice et obliger les auteurs présumés des violations à rendre compte deleurs actes, deux questions qui n'avaient pas été abordées par l'IER.

- Droits des femmesLe ministère de la Justice a annoncé, en juin, que le Maroc envisageait de lever les

réserves formulées lors de la ratification de la Convention sur l'élimination de toutes lesformes de discrimination à l'égard des femmes.

Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels [ONU] a examiné en mai lerapport présenté par le Maroc. Tout en se félicitant des récentes réformes législatives visantà améliorer la condition des femmes, le Comité a déploré que « certaines dispositionsdiscriminatoires persistent dans la législation marocaine, particulièrement en matière desuccession et en matière pénale » . Il a reconnu les efforts accomplis par le Marocpour combattre la violence domestique, mais a noté avec préoccupation que le Codepénal ne contenait aucune disposition spécifique qui érige cette forme de violence eninfraction pénale.

Annexe 9 : Extraits du rapport 2007 d’AmnestyInternational sur la situation des droits de l’homme enTunisie

La liberté d'expression et d'association restait soumise à d'importantes restrictions. Àl'issue de procès inéquitables, au moins 12 personnes poursuivies pour activités terroristesont été condamnées à de lourdes peines d'emprisonnement. Une cinquantaine d'autresétaient toujours en procès à la fin de l'année. De nouveaux cas de torture et de mauvaistraitements ont été signalés. Condamnés les années précédentes à l'issue de procèsiniques, des centaines de prisonniers politiques, y compris des prisonniers d'opinion,restaient incarcérés. Un grand nombre d'entre eux étaient détenus depuis plus de dix ans,et leur état de santé se serait dégradé.

- Pressions internationales et contexte politiqueLes organisations de défense des droits humains ont critiqué l'élection de la Tunisie au

nouveau Conseil des droits de l'homme des Nations unies, en mai, du fait des restrictionssévères imposées aux libertés fondamentales dans le pays.

En juin, le Parlement européen a adopté une résolution réclamant l'organisation d'unesession du conseil d'association Union européenne - Tunisie, afin de discuter de la situationdes droits humains dans le pays, après le maintien de l'interdiction visant le congrès dela Ligue tunisienne pour la défense des droits de l'homme (LTDH), une organisation nongouvernementale. En octobre, l'Union européenne a de nouveau critiqué le gouvernementtunisien à la suite de l'annulation d'une conférence internationale sur le droit au travail dansl'espace euro-méditerranéen, qui devait se tenir en septembre à Tunis.

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En novembre, un groupe de parlementaires a appelé le président Ben Ali à sereprésenter à l'élection de 2009, date à laquelle il aura exercé le pouvoir pendant vingt-deux ans. Des modifications apportées à la Constitution, à la suite d'un référendum organiséen 2002, permettaient au président de se représenter sans limitation pour des mandatssuccessifs de cinq ans.

- Atteintes aux droits humains dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme »Les autorités n'ont pas répondu à la demande formulée par le rapporteur spécial

des Nations unies sur la protection et la promotion des droits de l'homme et des libertésfondamentales dans la lutte antiterroriste. Le rapporteur voulait se rendre en Tunisie pour yexaminer la situation des droits humains. Comme les années précédentes, des suspects deterrorisme ont été arrêtés, emprisonnés et jugés en vertu de la loi antiterroriste controverséequi avait été adoptée en 2003. […]

En juin et en juillet, de très nombreuses personnes soupçonnées d'activités terroristes,dont des membres présumés du GSPC, ont été arrêtées et maintenues au secret, danscertains cas pendant plusieurs semaines, avant d'être déférées à un tribunal pénal de Tunisqui devait les juger. Ces prisonniers ont, semble-t-il, été torturés pendant leur garde à vue.À la fin de l'année, ils étaient toujours en détention et le jugement n'avait pas eu lieu.Beaucoup ont été transférés dans des prisons éloignées, distantes de plusieurs centainesde kilomètres du lieu de résidence de leur famille.[…]

- Liberté d'expressionLa liberté d'expression restait soumise à d'importantes restrictions. Au moins deux

journalistes qui critiquaient le gouvernement ont été licenciés par la direction de leur journal.D'autres ont pu continuer à exercer leur profession, mais ont subi des pressions de la partdes autorités et fait l'objet de procédures judiciaires visant à les intimider.

De plus, les autorités ont intensifié le harcèlement contre les femmes portant le hijab(voile islamique). […] Certaines auraient été conduites dans des postes de police où on leuraurait demandé de s'engager par écrit à ne plus porter le hijab.

- Militants et organisations pour la défense des droits humainsLes défenseurs des droits humains continuaient d'être la cible de mesures de

harcèlement, et parfois de violences physiques. Bon nombre étaient surveillés par lesautorités, de même que leur famille et leurs amis, et leurs activités étaient fortementrestreintes. Plusieurs organisations non gouvernementales de défense des droits humains,dont la LTDH n'avaient toujours pas été reconnues légalement.[…]

- Prisonniers d'opinionComme les années précédentes, les opposants et les détracteurs du gouvernement

risquaient d'être emprisonnés, harcelés et menacés pour avoir exprimé pacifiquement leursopinions.[…]

Annexe 10 : Extraits du rapport 2007 d’AmnestyInternational sur la situation des droits de l’homme enChine

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Un nombre croissant d'avocats et de journalistes ont été harcelés, arrêtés et emprisonnéscette année. Des milliers de fidèles pratiquant leur foi en marge des Églises officiellementreconnues ont subi des manœuvres de harcèlement ; beaucoup ont été arrêtés etemprisonnés. Plusieurs milliers de personnes ont été condamnées à mort ou exécutées.Des migrants issus de zones rurales ont été privés de leurs droits fondamentaux. Dansla région autonome ouïghoure du Xinjiang, la Chine poursuivait sa sévère politique derépression envers les Ouïghours. Au Tibet et dans d'autres régions à population tibétaine,les libertés d'expression et de religion restaient très limitées.

- Communauté internationaleAvant l'élection de la Chine au nouveau Conseil des droits de l'homme [ONU], les

autorités ont pris un certain nombre d'engagements, notamment celui de ratifier le Pacteinternational relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et de coopérer activement avecl'ONU dans le domaine des droits humains.

- Défenseurs des droits humainsLes autorités chinoises ont intensifié la répression contre les avocats et les militants du

droit au logement. Un grand nombre de défenseurs des droits humains ont été soumis à delongues périodes de détention arbitraire sans inculpation et ont été harcelés par les forcesde police ou par des bandes locales de malfaiteurs, manifestement avec l'assentimentdes premières. Beaucoup étaient surveillés de manière quasi permanente ou assignés àrésidence, et les atteintes contre leurs proches se sont multipliées. De nouvelles dispositionsrestreignaient la possibilité, pour les avocats, de représenter des groupes de victimes et deformuler des requêtes collectives.[…]

- Journalistes et internautesLes autorités ont multiplié les mesures de répression contre les journalistes, les

écrivains et les internautes. De nombreux journaux et revues populaires ont été contraintsde cesser leurs activités. L'accès à plusieurs centaines de sites web internationaux restaitbloqué et des milliers de sites chinois ont été fermés. Des dizaines de journalistes ont étéappréhendés pour avoir évoqué des sujets sensibles.

Le gouvernement a renforcé les systèmes de blocage, de filtrage et de surveillancede l'information. L'entrée en vigueur de nouvelles dispositions imposait aux agences depresse étrangères d'obtenir l'approbation de l'agence officielle chinoise avant de publierune quelconque information en Chine. De nombreux journalistes étrangers ont été détenuspendant de courtes périodes.

- Violences et discrimination à l'égard des femmesCette année encore, les femmes et les jeunes filles ont fait l'objet de graves violences

et actes de discrimination. Elles subissaient des désavantages économiques et sociauxévidents dans les domaines de l'emploi, de la santé et de l'éducation. […] Malgré lerenforcement de la législation et les initiatives gouvernementales visant à combattre le traficdes êtres humains, ce fléau restait très répandu; dans 90 p. cent des cas, il s'agissait defemmes et d'enfants utilisés à des fins d'exploitation sexuelle. […]

- Répression menée contre des mouvements religieux ou spirituelsLe gouvernement a poursuivi sa politique de répression de la pratique religieuse en

dehors des circuits officiels. Des milliers de fidèles d' « églises domestiques » clandestinesprotestantes et de communautés catholiques non officielles ont été arrêtés; beaucoup ontété maltraités, voire torturés en détention. […]

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- Peine de mortL'application de la peine capitale était toujours aussi fréquente en Chine, où l'on estimait

à 68 le nombre d'infractions passibles de ce châtiment, dont des délits économiques oud'autres infractions ne relevant pas de la criminalité violente. Les estimations établies parAmnesty International à partir des données rendues publiques faisaient état d'au moins2790 condamnations à la peine capitale et au moins 1010 exécutions en 2006, mais toutportait à croire que ces chiffres étaient bien en deçà de la réalité.

L'Assemblée populaire nationale a adopté une loi réinstaurant l'examen par la Courpopulaire suprême de toutes les condamnations à mort à compter de 2007. D'aucunsont estimé que cette mesure devrait faire diminuer le nombre d'erreurs judiciaires et decondamnations à la peine capitale. […]

- Torture, détention arbitraire et procès inéquitablesLa torture et les autres formes de mauvais traitements demeuraient très répandues en

2006. Parmi les méthodes couramment utilisées figuraient les coups de pied, les passagesà tabac, les décharges électriques, la suspension par les bras, l'enchaînement dans uneposition douloureuse, les brûlures de cigarette et la privation de sommeil ou de nourriture.En novembre, un haut responsable a reconnu que, chaque année, au moins 30 personnesétaient condamnées à tort à la suite de déclarations obtenues sous la torture, mais le nombreréel d'erreurs judiciaires était vraisemblablement plus élevé. Les initiatives visant à réformerle système de « rééducation par le travail » , un régime de détention administrative sansinculpation ni procès, n'ont pas progressé. On estimait à plusieurs centaines de milliers lenombre de personnes détenues dans des camps de « rééducation par le travail » surl'ensemble du territoire chinois et risquant d'être maltraitées ou torturées. En mai 2006, lesautorités de la ville de Pékin ont annoncé leur intention d'utiliser ce mode de détention envue de réprimer différentes formes de « comportements délictueux » et d'améliorer l'imagede la ville à l'approche des Jeux olympiques. […]

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Liste des sigles :

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Liste des sigles :

ACAT : Association catholique pour l’abolition de la tortureAI : Amnesty InternationalAMDH : Association marocaine des droits de l’hommeBASM : bombes à sous-munitionsCEE : communauté économique européenneCICR : comité international de la croix rougeCLCRM : comité de lutte contre la répression au MarocCPI : cour pénale internationaleDDHC : déclaration des droits de l’homme et du citoyenDUDH: déclaration universelle des droits de l’hommeECOSOC : conseil économique et socialFAO : food and agricultural organisationFIDH : Fédération internationale des droits de l’hommeFMI : fond monétaire internationalHCR: haut commissariat aux réfugiésHRW : Human Rights WatchICBL : International campaign to ban landminesKADU Kanyan African Democratic UnionKANU Kenyan African National UnionLDH : Ligue des droits de l’hommeLMDDH : Ligue marocaine pour la défense des droits de l’hommeLTDH : Ligue tunisienne des droits de l’hommeNRA : National resistance armyNRM : National resistance movementOCDE: organisation de coopération et de développement économiqueOLP : organisation de libération de la palestineOMDH : l’organisation marocaine des droits de l’hommeONG : Organisation non gouvernementaleONU : organisation des nations uniesOUA : organisation pour l’union africaineRSF : Reporters sans frontièresSDN : société des nations

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UAI: Union des associations internationalesUNESCO: united nation economic, social and cultural organisation