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Luc Deborde – Théâtrons – Tél. 89 16 54 – [email protected] – www.theatrons.com 1 Initiation au Théâtre Stage découverte www.theatrons.com Retrouvez ces textes en ligne, ainsi que de nombreux autres sur http://www.theatrons.com Ce document peut être copié librement à condition de conserver la mention relative à l’auteur : Luc Deborde Théâtrons Tél. 89 16 54 Mail :

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Luc Deborde – Théâtrons – Tél. 89 16 54 – [email protected] – www.theatrons.com 1

Initiation au Théâtre

Stage découverte

www.theatrons.com Retrouvez ces textes en ligne, ainsi que de nombreux autres sur

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Luc Deborde Théâtrons

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Séance 1

• Présentation • Exercice "Respiration ventrale" • Le cercle du "moi" • Exercice "Bas les masques" • La peur du ridicule • Le cabotinage

Séance 2

• Exercice "Tapes amicales" • La mémoire affective de Stanislavski

avec les anecdotes d'Augusto Boal • Exercice "La promenade" • L'extrême discrétion • La rigidité

Séance 3

• Exercice "Northguard" • Faire face au public • Maîtriser le silence • Exercices sur la voix

Séance 4

• Exercice "Respiration ventrale" • L'imitation • Exercice "Frankenstein et le plongeur" • Le tic nerveux • Le rire nerveux

Séance 5

• Exercice "l'acteur sujet" • Ne pas lâcher la rampe • Le sur-jeu • Exercice "Bas les masques" • Carricature et intériorisation

Séance 6

• Exercices sur "Le miroir" • Séance de "théâtre-image" • L'improvisation

Séance 7

• La théorie du pneu • Exercices d'improvisation

Séance 8

• Le doute • Tragédie et comédie • Exercices d'improvisation

Séances 9 à 12 Passons à la pratique : répétitions d'un extrait de pièce.

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Respiration ventrale (recentrage) Détente, harmonisation et lâcher-prise

Cet exercice se pratique en début de séance afin de préparer le groupe à un partage plus intense en évacuant les stress de la journée.

Objectifs

• Détente, lâcher-prise, harmonisation • Prise de conscience du schéma corporel

Déroulement

Les participants sont disposés au hasard dans l'aire de travail, debouts,

1. les pieds bien plantés au sol, les orteils "actifs", 2. les épaules relâchées (omoplates descendant vers le bassin), 3. la nuque souple, mais droite (étirée), les mâchoires sont

desserrées, 4. les yeux sont ouverts et détendus.

On pose doucement les mains sur la zone du nombril qui doit être détendues et on porte son attention sur son souffle, sur la sensation que procure l'air qui nous traverse, sur les narines, la gorge, la poitrine, l'abdomen, et pour finir dans le bas du ventre.

On ressent alors le souffle et sa circulation dans sa globalité et dans sa verticalité. On se visualise comme une colonne d'air parfaitement droite, oscillant doucement de bas en haut, entre la

terre et le ciel.

On prend conscience de sa situation, recentrée, de sa stabilité, de sa justesse. On visualise l'espace autour de soi et on réalise que l'on est parfaitement à sa place.

Après cette première partie (environ 10 minutes), on amplifie son souffle en murmurant le son "AM" à chaque expiration.

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Le cercle du "moi" Tous les personnages existent en nous

Le "disc model"

Le "disc model" ou modèle "DISC" est issu des travaux du psychologue John Geier à partir des idées de William Moulton Marston. Il a été popularisé en France par la société Keyros management qui en a fait un outil de développement personnel à l'usage des chefs d'entreprise.

William Marston pensait que l'être humain se comporte selon deux axes, selon qu'il a tendance à être plutôt "actif" ou "passif", et selon qu'il perçoit un environnement humain ou factuel comme hostile ou favorable. En combinant ces deux axes, on obtient quatre types de comportements auxquels on peut associer une vingtaine de qualificatifs :

source des illustrations : keyros.net.

Les extrémités des quatre axes donnent les archétypes suivants :

Le manager a besoin de contrôler les situations de prendre des décisions et d'atteindre ses objectifs. Les mots "performance", "responsabilité", "objectif", "combat", "vainqueur", sont dans son vocabulaire quotidien. Les résultats l'emportent chez lui sur les sentiments. Ses postures typiques expriment la rigidité, la force et une large occupation de l'espace.

Le diplomate cherche surtout être aimé, apprécié et accepté. Les sentiments et la qualité des relations humaines sont ses premières valeurs. Il est conciliant et tolérant et sait ménager la sensibilité de ses proches. Ses postures typiques expriment la souplesse et la grâce.

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L'artiste veut être reconnu et félicité. Expressif, souvent iconoclaste, il aime emprunter les chemins de traverses en espérant qu'ils le mèneront à des découvertes. Animé par le défi et la nouveauté, il peut parfois s'engager à la légère. Ses postures typiques sont celles de l'ouverture (bras ouverts, tête levée, jambes écartées), du mouvement et de l'action, même inappropriée ou désordonnée.

L'analytique a besoin d'être sécurisé mais ne déteste pas le pouvoir quand il n'est pas associé à un risque trop important. Plutôt conformiste, il est motivé par l'expérience et la connaissance. Il est fiable mais attend qu'on vienne à lui. Ses postures typiques expriment la retenue, l'économie de mouvement et la fermeture : jambes et bras croisés, tête légèrement baissée.

Promenons-nous dans les "moi"

En fonction des situations que nous vivons, de notre santé, de notre humeur, et de l'humeur des gens qui nous entourent, nous adoptons des comportements plutôt "passifs" ou plutôt "actifs". Pour les mêmes raisons, nous nous sentons parfois dans un environnement "hostile" et d'autres fois dans un environnement "sécurisant".

Nous ne cessons donc pas de nous promener à l'intérieur du disque de Marston, même s'il est vrai que la plupart d'entre nous ont une position préférée sur ce disque, une position sur laquelle ils ont une tendance "naturelle" à se repositionner quand les circonstances ne les obligent pas à en bouger.

Notre expérience et notre éducation nous ont également amené à développer des "positions réflexes" pour la plupart des situations courantes que nous vivons. En cas d'agression, par exemple, nous pouvons basculer dans une réaction agressive, même quand notre tempérament habituel se place plutôt dans la diplomatie.

Dans le cadre du comportement, ce que l'on appelle "personnalité" est l'association de :

• Notre position "naturelle", celle à laquelle nous revenons le plus souvent, • L'ensemble de nos positions "réflexes", celles que nous avons tendance à adopter dans les

diverses situations types auxquelles la vie nous confronte.

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Le "DISC" spirituel

On peut tenter d'extrapoler l'analyse strictement comportementale de William Marston a des dimensions plus spirituelles de l'être.

Notre moi spirituel évolue entre des dimensions que certaines philosophies symbolisent, par exemple, par l'eau, la terre, l'air et le feu.

Quand j'essaye de me visualiser sur mon propre disque spirituel, j'ai le sentiment que mon "moi" n'a pas encore la liberté de s'y promener à son gré.

Je ne connais pas tous les chemins qui mènent vers les zones périphériques de mon potentiel. Mais j'avance peu à peu vers

cette sagesse et mon "moi" connu s'étend un peu plus chaque jour dans une direction ou une autre.

En acceptant d'endosser l'habit de tel ou tel personnage, je me regarde avec d'autres yeux, je découvre ou redécouvre des parties de moi que j'ai tendance à laisser en friche. Et puisque cela m'aide à mieux me connaître, je gagne en sagesse et j'étend la surface de mon "moi" du moment, à l'intérieur de mon "moi" potentiel.

Le "DISC" et l'acteur

Pour endosser la personnalité d'un personnage qui lui est étranger, l'acteur doit faire un double travail :

• Changer de position "naturelle" pendant la durée de la pièce. Il doit se conditionner pour que tous ces moments d'inaction le place dans la position qui correspond au personnage. Ses postures s'adaptent en conséquence. Pour dire les choses autrement, il s'agit de déplacer son "centre".

• Changer de "réflexes" face aux situations que propose la pièce. Certains de ses réflexes habituels peuvent correspondre à ceux du personnage, alors que d'autres seront à modifier.

Quoi qu'il en soit, il est important de comprendre que l'acteur ne "sort" jamais de son disque : il ne fait que s'y positionner différemment. Il reste donc absolument lui-même, même s'il présente au public un personnage qui semble différent de son "moi" quotidien.

J'ai entendu plusieurs fois des acteurs débutant exprimer la peur de se "perdre", de devenir quelqu'un d'autre à cause d'un trop grand investissement dans un rôle.

Il est vrai que le fait de travailler un rôle peut avoir un impact sur la personnalité apparente de l'acteur et l'on peut parfois dire qu'il n'est "plus tout à fait le même" à la suite d'une pièce de théâtre.

Mais je crois qu'il est tout bonnement impossible de "sortir" de soi-même pour "devenir" son personnage. L'acteur ne fait que travailler à l'intérieur de lui-même. Il ne peut cuisiner qu'avec

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ses propres ingrédients. Si le rôle l'amène à modifier définitivement la position de son centre, c'est tout simplement que son travail l'a fait évoluer, et cela ne peut être que pour le meilleur.

Si cette peur fait partie de vos préoccupations, je tiens à vous rassurer : depuis près de trente ans que je fréquente des acteurs, j'y ai rencontré moins de personnes en difficulté psychologique que dans tout autre milieu.

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Bas les masques Sans parole, sans geste,

être symboliquement nu devant un public

Cet exercice est à la fois l'un des plus simples qui puissent s'imaginer et l'un des plus riches en enseignement pour les élèves débutants souhaitant comprendre ce que le théâtre peut leur apporter.

Objectifs

• Donner un aperçu de ce qu'est réellement le théâtre • Consolider le groupe • Prendre conscience de ses limites

Déroulement

Le groupe est assis sur des chaises placées côte à côte afin de constituer un public. Chaque membre se met tour à tour face à ce public et reste debout, sans bouger et sans parler pendant 3 minutes minimum.

L'idée est de se présenter sans masque. La parole ou les gestes, les rires, sont autant de façon de masquer notre véritable personnalité et de nous protéger du regard de l'autre. Cet exercice permet de réaliser à quel point il est difficile de se livrer à ce regard sans aucune protection.

Si vous sentez des tensions, des tics nerveux, une gène trop importante chez l'un des membres du groupe placé dans cette situation, invitez-le à se détendre, à respirer profondément, à faire le vide en lui, et prolongez l'exercice jusqu'à ce qu'il y soit parvenu (ou abandonnez-le si la personne est trop mal à l'aise. Le cas échéant, expérimentez la variante proposée plus bas). N'hésitez pas non plus à prolonger l'exercice pour les membres qui vivent visiblement une expérience forte à cette occasion.

Le public joue un rôle important : demandez à chaque membre de porter un regard encourageant et dénué de jugement, sur la personne placée face à lui.

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Observations

Dans son livre "La formation de l'acteur", Constantin Stanislavski raconte une expérience très proche de cet exercice dont vous pouvez lire le résumé. Bien que le but de Stanislavski soit avant tout de démontrer l'importance de l'action intérieure, ce récit illustre parfaitement ce qui se produit lorsque l'on tente cette expérience avec un groupe d'étudiants.

L'acteur qui veut se rendre disponible à son personnage doit d'abord être capable de se livrer "nu", en toute simplicité et en toute sincérité au regard du public.

Vous constaterez que les personnes timides, discrètes, introverties, affrontent cet exercice avec une grande honnêteté et ne tentent pas de tricher par rapport aux consignes. A l'inverse, les "clowns", les charmeurs et les cabotins ne parviennent qu'avec la plus grande difficulté à rester immobile et silencieux pendant plus de 10 secondes. C'est surtout pour eux que l'exercice est intéressant : il leur permet de réaliser à quel point leur assurance repose sur des artifices.

Cet exercice, qui peut être réalisé lors de la toute première séance de travail avec un groupe, pourra être répété après quelques semaines, afin d'évaluer la progression de chacun dans l'acceptation de soi.

Variante

La consigne suivante peut être donnée au groupe au début de l'exercice :

• Lorsque vous êtes dans le public, pendant une minute, pensez "je t'aime, je t'aime" à l'adresse de la personne qui est debout puis, pendant une minute, pensez "je m'aime, je m'aime" en continuant à la regarder.

• Lorsque vous êtes debout, pendant une minute, pensez "je vous aime, je vous aime" à l'adresse du public puis, pendant une minute, pensez "je m'aime, je m'aime" en continuant à le regarder.

Cette consigne change de façon très significative la façon dont l'exercice se déroule.

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La peur du ridicule Moi ? Sur les planches ? Pour que tout le monde se moque de

moi ? Vous plaisantez, j’espère...

Inutile d'insister : le théâtre, c'est pas fait pour vous !

Faire le guignol devant le public en récitant des textes du moyen-âge avec un chapeau sur la tête ou un drap en guise de trench-coat, non merci, vous n'avez pas besoin de ça.

Vous vous sentez déjà ridicule, quand il vous vient l'envie saugrenue de faire un tour sur la plage, avec tous ces gens qui n'attendaient que vous pour se gausser de votre maillot, de vos rondeurs ou de votre maigreur, alors...

Tous ces regards, braqués sur moi...

Avoir peur du ridicule, c'est avoir peur du jugement, du regard de l'autre. Si ce regard vous déstabilise, c'est peut-être que vous projetez sur les gens qui vous entourent votre propre tendance à juger à l'emporte-pièce.

Travaillez votre tolérance, votre capacité à aimer et à respecter l'autre quel qu'il soit, quelle que soit son apparence et sa nature. Travaillez dans le même temps votre capacité à vous aimer vous-même, quelle que soit votre nature, vos faiblesses et vos défauts. Vous constaterez que votre appréhension diminuera peu à peu et qu'une nouvelle liberté s'offrira à vous : celle d'être à l'aise en toutes circonstances. Celle d'être vous-même et non pas "ce qu'il faut être, ce dont il faut avoir l'air".

Le théâtre est peut-être en fin de compte une voie intéressante pour vous, car cet art étrange est ridicule par son essence même. Mais d'un ridicule qui s'assume au point de ne plus l'être du tout.

Au théâtre, comme au carnaval, les règles sont inversées

Habillez-vous en carnaval au bureau et vous aurez l'air ridicule, déplacé, décalé. Habillez-vous en carnaval au Carnaval, et vous serez magnifique.

Au théâtre, comme au carnaval, les règles sont inversées. L'acteur qui sautille et fait des grimaces avec conviction et naturel n'est pas ridicule : il est a sa place. Celui qui peine à rentrer dans le personnage et qui fait des petits sourires gênés, comme pour dire "dans la réalité, je ne suis pas comme ça" est, par contre, douloureusement ridicule, déplacé, décalé.

Le théâtre est un rêve éveillé, une histoire que l'on sait fictive et à laquelle, pourtant, on accepte de croire l'espace d'un moment. C'est un mensonge honnête, qui s'affiche pour ce qu'il est et ne trahit personne. L'acteur qui met cette magie en péril, qui prétend jouer un personnage, mais s'en abstient en même temps, est le seul qui soit malhonnête sur scène. Malhonnête et ridicule, car il n'est pas à sa place.

Dans la vie comme au théâtre, celui qui s'assume totalement, qui affiche la couleur, fait ce qu'il pense et pense ce qu'il dit, n'est jamais ridicule. Sa cohérence et son intégrité le rendent respectable, même lorsque ses choix et sa façon de pensée nous dérangent.

Même le matin, avec la tronche

en biais, le caleçon qui pendouille, et mes charentaises roses, je n'ai pas l'air ridicule

aux yeux de mon chien. A condition, bien sûr, d'avoir une boite de pâtée ouverte

à la main. Alors qu'aux yeux de ma femme,

la boite de pâtée semble accentuer mon ridicule.

La notion de ridicule est donc très subjective et tient parfois à peu de chose.

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La notion de ridicule est ridiculement inconstante

Porter des pantalons à pattes d'éléphants était "formidable" en 1970, ridicule en 1980 et parfaitement "branché" en 2000.

Dire "c'est cool" était "cool" en 1980, ridicule en 2000 et se retrouve "vachement hype" (c'est à dire "mega cool") de nos jours.

Etre toujours "comme il faut", c'est-à-dire non-ridicule, est décidément une tâche harassante dont on ne voit pas le bout. Par bonheur, la mode du "n'importe comment" se généralise dans notre culture et permet à nos grands-mères, comme à nous mêmes, d'être au top de la mode, quelle que soient notre apparence et notre façon de parler.

A travers la tendance "hype", héritier du mouvement "kitch" des années 1990, c'est le ridicule lui-même, c'est-à-dire le décalage, qui devient une mode.

A ce rythme là, il sera bientôt ridicule d'être normal.

Bon, je vous laisse, je me dépêche de retourner au théâtre.

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Le cabotinage Vous devez servir votre art et non vous en servir

Ah, ah... cabotin, je vous tiens, je vous ai démasqué ! Sous le prétexte fallacieux d'une création artistique, vous cherchez à vous mettre en avant, à parader sur scène, à montrer vos belles manières, vos grandes mains, votre voix profonde et votre distinction naturelle.

N'avez-vous pas honte !

Non, sans doute, et c'est là votre force. Le culot est au cabotin ce que le cumin est au couscous royal, le soleil à l'été, la sardine à l'huile et le fier à bras : la raison d'être.

Il ne vous manque que l'essentiel

Car si le culot vous va comme un gant, il ne convient pas toujours au théâtre. Je vous rappelle, comme dans la page consacré au sur-jeu, qu'une pièce de théâtre est une œuvre collective, le résultat d'un esprit de groupe. Quand une épreuve ou une difficulté se présente, c'est au groupe tout entier de l'affronter. Votre tendance à vous mettre en avant et à occuper tout espace vacant risque de parasiter cette énergie.

Plus important encore : cette énergie de groupe se consacre à un objectif qui le dépasse : celui de servir l'auteur. Qu'il s'agisse de Shakespeare, de Molière, de Ionesco ou d'un obscur écrivaillon débutant, l'auteur reste votre guide et mérite le respect le plus absolu.

S'il a imaginé votre personnage, c'est pour servir son intrigue ou sa démonstration, par pour vous donner l'occasion d'épater votre grand-même ou votre petite-amie.

En utilisant la pièce et ce personnage à votre profit (ne serait-ce que d'une façon infime), vous vous comportez comme un usurpateur, un pirate sacrilège, qui détourne à son profit ce qui appartient à un autre. Vous trahissez le groupe auquel vous appartenez en volant l'offrande qu'il dépose sur l'autel de l'Art.

Le théâtre est une communion : ne souriez pas, je parle d'une chose sacrée. A l'origine, le théâtre était une cérémonie consacrée à Dionysos, le dieu de l'hiver, de la fête des morts et de son dépassement par la conquête de l'immortalité. C'est aujourd'hui au culte de l'Art qu'il se dédie, à la magie, au pouvoir créateur du verbe, du rêve et de l'imagination. Alors ? C'est quand même pas du boudin, tout ça !

Comme le forgeron qui immerge sa lame rougeoyante dans l'eau pure pour la durcir, la laver de ces cendres et lui donner l'éclat et la force de l'acier, il vous faut tremper votre âme dans l'essence divine de l'Art, celui auquel on peut tout offrir car il nous permet de dépasser notre condition humaine.

Bon, OK, dit comme ça, ça peut sembler vaguement effrayant. Mais rassurez-vous, ça ne fait même pas mal.

Archétype du cabotin, Aldo Maccione a le mauvais goût de plaire aux femmes qui n'ont pas de goût. Plutôt que de vous esbaudir sur ce ventre rentré et ces cuisses de poulet, ne pourriez-vous, mesdames, porter vos regards sur les vraies signes de virilité que sont la bedaine florissante et la paire de lunettes conquérante ?

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Vous avez du talent

Du moins, je le suppose. Si vous êtes un incorrigible cabotin, c'est sans doute que la nature vous a doté de quelques talents : une voix qui se place bien, quelques dons d'imitation (car vous êtes fin observateur), l'art de maîtriser ce silence étrange qui suspend le public à vos lèvres, que sais-je encore ?

Mettez tout cela au service de l'auteur, de la pièce, des acteurs qui vous entourent (et vous envient sans doute votre chance). Partagez votre savoir-faire, insufflez votre énergie au groupe.

Votre cabotinage trahit d'une certaine façon les doutes que vous avez sur vous-même. Cette façon de tourner les choses en dérision, d'en faire toujours un peu trop, de ne jamais y croire tout à fait, parle d'un manque de foi dans votre puissance intérieure, d'une fêlure profonde qui a quelque chose de tragique.

Vous pouvez donc choisir la tragédie, soigner le mal par le mal, faire de cette blessure un emblème, l'assumer enfin tout à fait, et l'exulter publiquement. Vous serez magnifique.

Vous pouvez aussi choisir la comédie, le chant de l'espoir, pour mettre du baume sur votre douleur et tenter de découvrir le plaisir de croire à la Providence.

Dans tous les cas, respectez la part de divin qui habite chaque être humain. Elle ne demande qu'à grandir en vous.

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Tapes amicales Détente musculaire et sensibilisation au toucher

Objectifs

Détente, sensibilisation

Déroulement

Tous les participants sont debout et répartis dans l'espace de travail, deux par deux. L'un se laisse mener par l'autre. Celui qui agit détend le corps de son partenaire en tapotant avec la paume de sa main chaque partie de son corps, l'une après l'autre.

Celui qui est passif peut, à sa convenance, fermer ou ouvrir les yeux, mais il doit toujours garder les pieds solidement ancrés au sol.

Le but de cet échauffement est de détendre la surface musculaire par le léger abandon auquel le passif accepte de se laisser aller. S'il résiste, la main de l'autre viendra le heurter. S'il "lâche", la main de l'autre inscrira en lui, outre l'échauffement par petits contacts répétés et vifs, l'impression d'être comme une voile légère, ballottée agréablement par un vent chaud en été.

Il n'y a pas, a priori, d'enchaînement particulier dans ces tapes amicales : on peut tapoter l'épaule et ensuite le mollet. Mais celui qui est actif doit réguler sa "frappe" afin de ne jamais crisper l'autre, même si celui-ci ne se laisse pas vraiment aller.

Observations

Cet exercice ne doit pas durer plus de 10 à 15 minutes afin de ne pas laisser le participants glisser dans une douce léthargie. Même s'il est agréable, il vis avant tout à la vigilance.

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La mémoire affective "Lorsque vous êtes en scène, jouez toujours votre propre

personnage, vos propres sentiments."

Extraits choisis de "La formation de l'acteur" de Constantin Stanislavski

L'acteur ne construit pas son rôle avec la première chose qui lui tombe sous la main. Il choisit soigneusement, parmi ses souvenirs, et trie parmi ses propres expériences, les éléments les plus séduisants. Il tisse l'âme de son personnage de sentiments qui lui sont plus chers que ceux de sa vie ordinaire. Existe-t-il terrain plus fertile pour l'inspiration ? L'artiste choisit le meilleur de lui-même pour le porter sur scène. Les formes peuvent varier, suivant les besoins de la pièces, mais les sentiments de l'artiste resteront vivant, irremplaçables.

(...)

Pensez-vous que l'acteur va imaginer toutes sortes d'impressions nouvelles, ou même s'inventer un caractère différent pour chacun de ses rôles ? Combien d'âmes devrait-il avoir ? Comment pourrait-il arracher la sienne pour lui en substituer une autre ? Où la trouverait-il ?

On peut emprunter un manteau, des bijoux, n'importe quel objet, mais on ne peut prendre à un autre ses sentiments. On peut comprendre un rôle, sympathiser avec le personnage et se placer dans les mêmes conditions que lui afin d'agir comme il le ferait. C'est ainsi que naîtront chez l'acteur des sentiments qui seront analogues à ceux du personnage, mais qui n'appartiennent qu'à l'acteur.

N'oubliez jamais que sur scène, vous restez un acteur. Ne vous éloignez pas de vous-même. Dès que vous perdrez ce contact avec vous-même, vous cessez de vivre réellement votre rôle et à votre place apparaîtra un personnage faux et ridiculement exagéré.

Aussi nombreux que soient vos rôles, ne vous permettez jamais aucune exception à cette règle. L'enfreindre reviendrait à tuer votre personnage en le privant de l'âme vivante et réelle qui doit l'animer.

Lorsque vous êtes en scène, jouez toujours votre propre personnage, vos propres sentiments. Vous découvrirez une infinie variété de combinaisons dans les divers objectifs et les circonstances proposées que vous avez élaborés pour votre rôle, et qui se sont fondus au creuset de votre mémoire affective. C'est la meilleure et la seule vraie source de création intérieure.

(...)

On ne peut pas répéter un sentiment qu'on a éprouvé accidentellement sur scène, pas plus qu'on ne faire revivre une fleur fanée. Il vaut mieux essayer de créer quelque chose de nouveau que de perdre ses efforts sur des choses mortes. Comment faire ? En premier lieu, ne vous occupez pas de la fleur ; contentez-vous d'arroser les racines, ou bien plantez de nouvelles graines.

La plupart des acteurs travaillent en sens opposé : s'ils ont accidentellement réussi un certain passage de leur rôle, ils cherchent à le répéter en s'attaquant directement à leurs sentiments. Mais c'est comme s'ils essayaient de faire pousser une fleur sans le secours de la nature et il n'y arriveront jamais à moins de se contenter d'une fleur artificielle.

- Alors que faut-il faire ?

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- Ne pas penser au sentiment en lui-même, mais vous appliquer à découvrir ce qui l'a provoqué et quelles sont les conditions qui avaient favorisé son apparition (...) Ne partez jamais du résultat. Il apparaîtra de lui-même en temps voulu, comme l'aboutissement logique de ce qui a eu lieu auparavant.

(...)

Plus grande sera votre mémoire affective, plus riche sera votre matériel de création intérieur. Je pense que cela ne nécessite aucune explication. Cependant, en plus de cette richesse de la mémoire affective, il est nécessaire d'en distinguer certaines autres particularités, à savoir : sa puissance, sa fermeté, la qualité de ce qu'elle retient, en tant que tout cela intéresse notre travail.

Notre pouvoir de création dépend de la puissance, de l'acuité et de l'exactitude de notre mémoire. Si elle est faible, les sentiments qu'elle fera naître seront pâles et sans consistance. Il seront sans valeur pour la scène, car ils ne porteront pas au-delà de la rampe.

(...)

Supposez qu'on vous ait insulté en public, peut-être même giflé, et que la joue vous en brûle encore lorsque vous y pensez. Le choc intérieur était si fort que vous en avez oublié tous les détails de l'incident. Mais il suffira d'un petit rien insignifiant pour réveiller instantanément en vous le souvenir de l'incident et faire renaître l'émotion avec une violence redoublée. Vous rougirez et votre cœur se mettra à battre.

Si vous possédez un appareil émotif subtil et facile à déclencher, il vous sera facile de transposer cette expérience dans votre jeu et de reproduire une scène analogue. Vous n'aurez besoin d'avoir recours à aucune technique : la nature s'en chargera.

(...)

Vous pourriez penser que, en théorie, l'idéal serait de savoir retenir et reproduire minutieusement des impressions ou des sentiments, de les revivre de la même façon qu'ils ont été éprouvés à l'origine. Si tel était le cas, que deviendrait notre système nerveux ? Comment pourrait-il supporter de revivre dans tous leurs détails des souvenirs atrocement pénibles ? La nature humaine n'y résisterait pas.

Heureusement, les choses se passent différemment. nos souvenirs affectifs ne sont pas une copie exacte de la réalité. Certains sont parfois plus intenses que le sentiment original, mais en général, ils sont beaucoup atténués. Parfois, certaines de ces impressions continuent de vivre en nous et à s'y développer, provoquant de nouveaux phénomènes, amenant de nouveaux détails.

(...)

Le temps est un merveilleux artiste : il choisit parmi les souvenirs, il les épure et transforme en poésie jusqu'aux détails les plus pénibles et les plus réalistes.

(...)

Nos émotions artistiques se cachent dans les profondeurs de notre être comme des bêtes sauvages. Si elles ne viennent pas d'elles-mêmes à la surface, il vous sera impossible de les faire sortir de leur repaire.

Il vous faudra trouver un piège, un "leurre" quelconque pour les attirer. C'est de cela que je viens de vous parler, ces "excitants" qui doivent éveiller la mémoire affective. Il existe entre

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l'excitant et le sentiment un lien naturel et normal. Mieux vous le connaîtrez, mieux vous pourrez juger de la qualité de votre mémoire et mieux vous pourrez la développer.

Il ne faut pas non plus négliger d'ajouter constamment de nouveaux éléments à votre "trésor". Pour cela, puisez sans cesse dans vos souvenirs, dans la littérature, l'art, la science, les musées, dans vos voyages, et surtout dans vos contacts avec les autres.

Comprenez-vous maintenant, que vous savez tout ce qu'on demande à l'acteur : la nécessité pour lui de mener une vie intense, belle, intéressante, variée.

(...)

Pour répondre aux besoins du théâtre actuel, il faut être capable d'interpréter une grande variété de personnages non seulement de l'époque présente, mais aussi du passé ou de l'avenir. L'acteur doit donc être perpétuellement à l'affût, et lorsqu'il s'agira de reconstruire ou de recréer une époque passée ou future, ou même imaginaire, il devra faire appel à ses facultés d'invention.

Notre idéal doit être de tendre vers ce qui est éternel dans l'art, ce qui ne mourra jamais et restera toujours jeune et accessible au cœur humain.

La mémoire affective Comment Boal illustre les propositions de Stanislavski

Extraits choisis de "Jeux pour acteurs et non-acteurs" d'Augusto Boal

Il n'y avait pas moyen d'arriver à faire la scène (...) qui se retrouvait toujours sans la moindre conviction. Jusqu'à ce que le metteur en scène décide de recourir à des improvisations de mémoire émotive (...) Le metteur en scène expliqua à l'actrice qui avait le rôle de Stella :

"Tu vois, le problème est le suivant : Stella s'est battue à mort avec son mari pour défendre sa sœur. Mais il s'est mis à pleurer, elle a été bouleversée de la voir si fragile : il l'a prise dans ses bras, il l'a emmenée dans sa chambre, et ils ont fait l'amour toute la nuit, ce fut une nuit de folie, et puis elle s'est endormie...

Bon la scène commence le lendemain. Elle se réveille après cette merveilleuse nuit de sexe, elle est bien un peu fatiguée, mais elle est contente, elle sourit tout le temps, elle est heureuse. C'est une femme heureuse. Et c'est précisément ça que je ne sens pas dans ton interprétation. Faisons la chose suivante : un exercice de mémoire émotive. Essaie de te souvenir de la plus belle nuit de ta vie, d'une nuit pleinement sexuelle, parce que c'est ça qui manque à la scène..."

La pauvre fille hésita un instant et avoua : "je suis vierge, monsieur."

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Personne ne sut que dire. Il semblait que dans un cas pareil, la mémoire émotive de Stanislavski était inutilisable. Alors un acteur suggéra :

"Peu importe. Elle peut se souvenir de quelque chose qui lui a donné un immense bonheur... et puis voilà... après on fait le transfert... je sais pas moi..." Le metteur en scène accepta la proposition, on fit l'exercice, puis la scène se passa merveilleusement bien.

Ce fut la joie et l'excitation générales ; on demanda à la jeune fille comment elle avait fait, comment elle était arrivée à avoir ce visage si sensuel, si heureux, si attirant. Elle répondit la vérité :

"Et bien, pendant qu'on parlait de sexe et de comment Stanley était merveilleux au lit, je me suis souvenue d'un après-midi ensoleillé où je m'étais mise à manger trois glaces à la suite, sous un cocotier sur la page d'Itapoan..."

Ces cas de "transfert" extrêmes ne sont pas rares. En réalité, il est absolument inévitable qu'il y ait différents degrés de "transfert" : quelqu'un se souvient d'une émotion qu'il a ressentie à un moment déterminé, dans des circonstances déterminées, qu'il est le seul à avoir vécues ; ce sont ces circonstances absolument uniques qui, lorsqu'elles sont transférées, changent et se modifie un peu.

Je n'ai tué personne, mais j'en ai eu envie : j'essaie de me souvenir de l'envie que j'ai eue et je fais le transfert pour Hamlet quand il tue l'oncle.

Le transfert est inévitable mais je ne crois pas qu'il doivent aller aussi loin que dans la cas rapporté par Robert Lewis : un acteur relativement célèbre faisait pleurer le public d'horreur quand, dans une scène pathétique, il sortait son revolver, le pointait sur sa tempe, le doigt sur la détente, prêt à tirer, tandis qu'il parlait de l'inutilité de sa vie. L'acteur bouleversait et était lui-même bouleversé ; les spectateurs pleuraient quand il le voyait pleurer, ils sanglotaient quand ils entendaient sa voix sanglotante.

Lorsque Lewis lui demanda comment il était arrivé à un tel impact, à un tel débordement d'émotion, à un tel choc pour le public et pour lui-même, l'acteur répondit :

- Mémoire émotive, mon vieux. Tu n'as pas lu Stanislavski ? Ça y est dedans.

- Euh, oui..., dit Lewis, il t'est arrivé un jour d'avoir envie de te tuer, alors tu utilises la mémoire émotive et voilà... Pas vrai ?

- Envie de me tuer ? Moi ? J'aime la vie, mon vieux. Pas du tout.

- Alors ?

- Voilà comment ça se passe : quand je braque le revolver sur moi, il faut que je pense à quelque chose de triste, de menaçant, de terrible. Bon. C'est ce que je fais. Tu te souviens que je lève toujours les yeux quand je vise ? La clef est là ! Je me rappelle que lorsque j'étais pauvre, je vivais dans une maison sans chauffage et sans électricité, et à chaque fois que je prenais un bain, c'était un bain d'eau glacée. Quand j'approche le revolver de ma tête, je lève les yeux vers la douche, je pense à l'eau froide qui va me tomber sur le corps... Ah, mon ami, comme je souffre, comme les larmes me montent aux yeux !

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La promenade Ecoute, travail corporel en rapport avec l’imagination

Objectifs

• Travail corporel en rapport avec l'imagination. • Adaptation du corps et des mouvements à des éléments

extérieurs

Déroulement

Les participants sont répartis sur l'aire de travail, en mouvement de marche "neutre", détendus mais concentrés. Le meneur va promener les participants qui doivent mimer les différentes marches proposées. Exemple de promenade :

Vous marchez dans la rue, sur un trottoir. La température est agréable. Un vent léger traverse la rue.

Il y a de plus en plus de monde et vous vous retrouvez à marcher au milieu d'une foule.

Il se met à pleuvoir, de grosses flaques se forment sur le trottoir.

Toute cette eau devient celle de la mer. Vous marchez avec de l'eau jusqu'au chevilles, puis jusqu'au genoux, puis jusqu'à mi-cuisse.

Vous sortez de la mer et vous errez sur une plage de sable fin.

Le sable se transforme en galets brûlants. Il fait très chaud.

Les galets deviennent des œufs qui se transforment peu à peu en une boue épaisse. La boue se transforme en goudron chaud.

Le goudron refroidi et devient compact. Vous êtes de nouveau sur un trottoir, mais il fait de plus en plus froid. Il se met à neiger.

Vous marchez à présent dans la neige.

La neige fond. Vous êtes sur un sol mouillé et glissant.

Le soleil revient, vous êtes comme au départ de cette promenade, sur un trottoir, tranquille. La température est agréable.

Observations

Le meneur peut bien entendu promener les participants au gré de sa fantaisie et le parcours proposé ici n'est qu'un exemple.

Ce parcours doit être parcouru très lentement. La voix du meneur sera posée, sans caractère trop dramatique. Laissez au participant le temps du ressenti, le temps de trouver la marche adaptée.

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Bien expliquer aux participant que c'est leur corps qui est sollicité et qu'ils doivent "sentir" le terrain imaginaire sous leurs pieds. Ils doivent avoir leur corps en éveil.

Le travail de cet exercice est autant mental que physique : les participants doivent visualiser chaque sensation jusqu'à (par l'intellectualisation) la ressentir. Ex. : "Quand il fait froid, que se passe-t-il au niveau de mes épaules ?" Il s'agit d'avoir froid, de ressentir cette sensation de froid et, de là, découlera la démarche appropriée.

Ce type d'exercice entre parfaitement dans le cadre du travail préconisé par Stanislavski pour développer la mémoire affective.

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L’extrême discrétion Vous avez l’impression d’en faire beaucoup

mais personne ne voit rien. Que se passe-t-il ?

Vous vous sentez culotté d'avoir osé parler si fort, d'avoir occupé tant de place, d'avoir fait des moulinets avec vos bras et d'avoir éclipsé - peut-être même écrasé et humilié - vos partenaires par votre grandiloquence spectaculaire.

Pourtant, quand le metteur en scène s'adresse à vous, il vous balance quelque chose comme "bon, coco, les italiennes sont finies depuis 2 mois, quand est-ce que tu commences à jouer ton rôle ?"

Mazette ! Vous voilà victime du syndrome de "l'extrême discrétion".

Les autres ne voient-ils donc pas tous les efforts que vous avez fournis ?

Il faut dire aussi que le théâtre est un peu frustrant ! Si vous aviez su qu'il fallait parler si fort, qu'il fallait à ce point "surjouer" pour se faire remarquer, vous auriez fait du cinéma !

Sous vos airs de brute épaisse, se cache un cœur d'or

C'est sans doute votre extrême sensibilité, en effet, qui vous retient d'en faire "trop"... et peut-être même d'en faire suffisamment.

Quelle richesse intérieure vous abritez ! Quels trésors de nuances et de subtilités vous gardez jalousement en vous ! Vous êtes un lac profond dont le monde ne voit que la surface.

Un monde dont vous faites peut-être partie, hélas.

Avez-vous, vous-même, conscience des richesses que vous abritez ? Et n'est-ce pas justement pour les découvrir que vous avez tenté cette expérience théâtrale ?

Alors plongez, que diable ! Explorez vos tréfonds bouillonnants et épatez-nous !

Chantez sous la douche

La première chose à faire est de vous épater vous-même. La douche est la voiture (quand vous êtes seul) sont deux endroit formidables pour chanter à tue-tête, crier de tous vos poumons et danser (en regardant la route, quand même) à vous essouffler la rate.

Expérimentez votre puissance intérieure, ouvrez-lui la voie vers l'univers, faites vibrer les vitres et, si possible, faites vous rire de tout ça.

Parlez fort, encore plus fort, allez, encore plus fort... cherchez votre limite. Quand votre tête commence à chauffer, c'est que vous êtes sur la bonne voie.

Répétez vos répliques en criant, en rugissant, en tempêtant, en éructant, en pelant l'écorce des mots. Jetez-les à la face de votre pare-brise ou de votre carrelage mural, assez fort pour qu'ils s'y brisent ou y rebondissent en cascade.

L'autre, jour, je dis à un copain : "Les japonaises sont drôlement

culottées, quand même ! T'as vu un peu tout ce qu'elles

font dans le Kamasutra ?" Ce à quoi il répondit qu'il n'avait pas vu l'ombre d'une culotte dans le Kamasutra et qu'en plus, le Kamasutra

était chinois, et pas japonais.

Depuis, j'ai changé de copain et je drague les chinoises.

J'espère avoir plus de succès

qu'avec les japonaises.

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Découpez l'air au laser de votre bras vengeur, bandez vos muscles à faire mousser le savon, balancez votre corps dans tous les sens.

Capturez l'émotion

Une fois que vous vous serez défoulé(e), reprenez vos dialogues en parlant normalement. C'est nettement mieux, non ?

Il est temps de laisser la richesse de vos émotions remonter à la surface. Soyez attentif(ve) à vous-même : la lecture du texte vous fait vivre quelque chose ? Exagérez-le légèrement. Imprégnez-vous en. Laissez-vous envahir.

Reprenez, encore et encore. Capturez l'émotion et cultivez-la. Faites-là mousser comme vous avez fait mousser le savon.

Je vous assure qu'à la prochaine répétition, le metteur en scène ne va pas en revenir.

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La rigidité Un ton sec et un balai dans le ... Que vous arrive-t-il ?

D'habitude, vous n'êtes pas comme ça. Mais, pour une raison mystérieuse, dès que vous êtes en scène, vous voilà transformé en Robocop : gestes brusques et saccadés, débit rapide et ton sec, vous ne vous reconnaissez plus.

A la troisième répétition, les autres acteurs ont commencé à vous lancer quelques remarques agacées : pour qui vous prenez-vous ? Pourquoi cet air supérieur et distant ?

Ne voient-ils pas que vous êtes aussi gêné qu'eux par cette attitude ? Ce sourire figé qui se plaque comme un tic nerveux sur votre visage est un appel au secours : souriez-moi à votre tour, détendez-moi, rassurez-moi...

Mais personne n'entend. Plus vous vous raidissez, plus vous les agacez. Plus vous percevez cet agacement, plus vous vous raidissez.

Reprenez à zéro

La façon la plus simple de casser cette machine infernale est de jouer la franchise. En demandant de l'aide au metteur en scène et aux autres acteurs, vous vous rendrez accessible, sympathique, humain.

Après tout, vous êtes là pour apprendre et pour progresser, comme tout le monde.

Commencez par pratiquer les exercices de relaxation proposés sur la page "le rire nerveux".

Après quelques respirations, expliquez en détail ce qui se passe en vous : quand je prends la parole, je sens une raideur dans la nuque, ma respiration et mes membres se bloquent. Je voudrais faire passer de la douceur, j'essaye de toutes mes forces, mais mon corps ne m'obéit pas. Je suis prisonnier de moi-même. J'ai bien compris en quoi consiste mon rôle, mais je ne parviens pas à l'exprimer. Aidez-moi.

Vous serez sans aucun doute stupéfait de constater comme cette nouvelle attitude va changer le regard que l'on portait sur vous. Ceux qui vous snobaient oseront désormais vous accorder des sourires encourageants (et sans doute admiratifs). Votre franchise et votre courage auront fait mouche.

Développez la douceur

Quitte à rencontrer, pendant un moment, les problèmes de "l'extrême discrétion", développez votre douceur. Baissez le ton, mettez-vous en retrait, enveloppez vos répliques dans le miel et dans le sucre.

Economisez-vous : votre puissance naturelle n'aura que plus d'impact si vous la distillez à petites doses. Il suffit d'une intonation appuyée dans une phrase de cinquante mot pour que l'on devine le lion qui sommeille sous l'habit soyeux du chaton.

La vraie force est une force tranquille. Soyez tranquille, votre force est là, prête à s'exprimer. Elle se devine sans qu'il soit nécessaire de la montrer.

Les gardes du Buckingham Palace ont pour principale mission d'empêcher que les

lions ne rentrent dans la Reine. Comme il n'y a pas de lions à Londres, ils ne fichent rien de la journée.

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Question sport, vous pourriez peut-être essayer le yoga ?

Investissez sur l'amour

Projetez des pensées positives sur les acteurs qui vous entourent et projetez-en sur vous-même. Quand un autre acteur réussit sa prestation, faites-lui part de votre admiration. Si l'un d'eux vous agace, cherchez ses qualités et polarisez-vous sur elles.

Quand vous progressez, constatez-le, félicitez-vous. Prenez note de chaque pas (même minuscule) qui va dans la bonne direction.

Si vous ne parvenez pas à progresser sur une réplique ou un geste, continuez à solliciter l'aide des autres et remerciez-les chaleureusement quand ils acceptent de vous aider.

Ah ! Je vois que votre sourire est plus doux, maintenant. Ça à l'air de marcher !

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Northguard Visualisation de son énergie, partage de l’énergie du groupe

Indépendamment des croyances ou des convictions que l'on peut avoir sur le "magnétisme", l'"aura" ou les "champs d'énergie" de chaque être humain, cet exercice propose avant tout une visualisation (c'est-à-dire une autre regard sur soi-même et sur les autres) de ce que l'on pourra tout simplement nommer "chaleur humaine".

Pour l'anecdote, Northguard ("Le protecteur" en français) est le nom d'un super-héros canadien capable de maîtriser l'énergie et d'envoyer des boules de plasma sur ses adversaires.

Objectifs

• Prise de conscience de son propre rayonnement et du rayonnement d'un groupe • Développement de la confiance en soi • Cohésion du groupe

Déroulement

Phase 1 :

Chaque participant s'assoie à l'emplacement de son choix dans l'aire de travail. Il veille à être dans une position confortable, à dégrafer tout vêtement pouvant le gêner. Il pratique quelques respirations abdominales en inspirant doucement (mais profondément) par le nez et en soufflant de la même façon par la bouche : en inspirant, l'abdomen se gonfle, en expulsant, il s'affaisse. L'objectif de cette première phase et d'atteindre une agréable sensation de détente.

Phase 2 :

Les yeux fermés, levez les mains perpendiculairement au corps, devant vous, l'une en face de l'autre, espacées d'environ 10 cm.

Vous êtes détendu et commencez à entrevoir un fluide qui passe à travers vos mains. Vous ressentez ce fluide qui vous traverse, comme si la main gauche l'absorbait et la main droite le dispersait. Vous ressentez un léger picotement dans vos mains qui deviennent chaudes. Vous sentez l'énergie qui les traverse et un léger engourdissement.

Vous sentez les vibrations qui s'en échappent. Vos mains deviennent chaudes, très chaudes, se rapprochent imperceptiblement l'une de l'autre, comme des aimants qui s'attirent pour se compléter. Les mains se rapprochent et vous prenez conscience de votre énergie. Puis lentement, très lentement, vous laissez retomber vos mains.

Phase 3 :

Tout le groupe est assis, mais par couple et face à face. Cette troisième phase consiste à prendre conscience de l'énergie et du magnétisme de l'autre.

Les deux membres de chaque couple vont, en contact et au même rythme, d'abord chercher à avoir une respiration abdominale lente et profonde. Lorsqu'elle est trouvée, l'un des deux ferme

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les yeux et procède à l'exercice de la phase 2. Quand il sent le moment venu, l'autre passe lentement une main entre les deux mains de son partenaire, de haut en bas, comme s'il voulait couper l'air avec le tranchant de sa main. Il sent alors l'attraction des deux mains de son partenaire et le fluide qui les traverse. Puis ils intervertissent les rôles.

Observations

Les participants doivent être très détendus, très concentrés et dans l'acceptation de ce travail.

Le meneur peut guider cet exercice en disant lentement le texte du deuxième temps d'une voix calme, détendue, posée, pour accompagner chacun dans sa recherche d'énergie.

Une musique calme et relaxante sera utilisée en fond sonore.

Cette visualisation permet aux comédiens de prendre confiance dans leur propre énergie et dans l'énergie du groupe. Une pièce de théâtre est une œuvre collective qui s'appuie sur la capacité de chaque membre à communiquer et à "sentir" les autres.

Au cours des représentations de leur spectacle, les comédiens pourront percevoir le même type d'échange entre le public et eux-mêmes.

Invitez chacun d'entre eux à refaire régulièrement cet exercice, à n'importe quel moment de la journée. Et si vous devez affronter du scepticisme par rapport au résultat, n'hésitez pas affirmer qu'il n'est pas nécessaire de croire au résultat pour que cet exercice fonctionne.

Variante : la "flamme olympique"

Les participants sont en cercle et de donnent la main.

1. Dans un premier temps, le meneur apporte détente et sérénité aux participants en leur demandant de fermer les yeux et de pratiquer 3 grandes respirations abdominales : l'air est aspiré par le nez et descend dans l'abdomen en le gonflant. Les épaules ne doivent en aucun cas se lever. Puis très lentement, l'air est expulsé par la bouche, en émettant si nécessaire un léger bruit d'expiration. Ces 3 respirations seront faites au même rythme par tout le groupe.

2. Le meneur propose ensuite de visualiser une boule jaune dans la main droite, boule qui sera appelée "boule d'énergie" et qui doit procurer de la chaleur. Les participants doivent transmettre cette boule dans la main gauche du partenaire situé à leur droite. Ainsi, chacun va recevoir l'énergie de celui qui est situé à sa gauche, s'en imprégner (l'absorber), reconstituer sa propre boule d'énergie et la transmettre au partenaire situé à sa droite. Transmise de main en main, cette boule d'énergie va contribuer à la recherche d'une énergie commune pour le groupe.

Selon le nombre de membres présents dans le groupe, le meneur peut proposer qu'une seule boule circule de participant en participant, ou que plusieurs boules circulent simultanément.

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Maîtriser le silence La maîtrise de la parole passe par celle du silence

S'il y a une chose qui m'a toujours fasciné chez les personnes charismatiques, c'est le silence extrême qui s'installe dès qu'elles ouvrent la bouche. Un simple mot murmuré au cours d'une soirée animée suffit à percer le brouhaha du groupe. Il balaye toutes les conversations en cours, étouffant jusqu'aux bruits des mouches et ouvre la voie au discours souvent simple, parfois banal, qui s'ensuit et que chacun écoute d'un silence religieux.

Mais comment diable font-elles ?

Il y le ton de voix, bien sûr. Une façon de moduler, d'articuler, qui les rend intelligibles et reconnaissables entre mille, malgré le bruit ambiant.

Il y a l'assurance extrême qui transpire de chaque mot et qui surprend par son intensité.

Il y a le choix du moment, aussi, fut-il inconscient. Ce genre de personne semble sentir "l'ange qui passe" avant qu'il n'entre dans la pièce et elles s'installent tout naturellement à sa place.

Les maîtres du silence

Ce que je retiens surtout de leur capacité remarquable, c'est leur maîtrise du silence. Le silence qu'elles imposent, mais aussi celui dont elles jouent entre chaque phrase, celui qui nous fait pendre à leurs lèvres, qui nous fait attendre, dans une impatience extatique, la suite du beau discours.

Ecoutez les dicours d'hommes politiques, grands professionnels du verbe, et notez la façon dont ils ponctuent leurs phrases : avant chaque mot ou chaque idée importante, un bref silence prépare le terrain et crée le vide nécessaire pour que le mot qui suit s'ancre profondément dans nos esprits.

A contrario, le silence (plus long, dans ce cas) peut être utilisé après une idée forte, pour faciliter sa compréhension et permettre une meilleure imprégnation. Un silence après un mot légèrement choquant ou une phrase décalée est particulièrement efficace : il prolonge l'effet obtenu.

Ce paradoxe est au cœur du secret : pour maîtriser la discours, il faut avant tout maîtriser le silence.

Jouer avec ces moments où le temps "suspend son vol" est arme fatale pour renforcer les effets dramatiques.

Le silence au théâtre

Ayant fait ce constat, vous pensez bien que n'allais pas perdre l'occasion d'utiliser cet effet au théâtre. (ni dans les soirées animées auxquelles je participe, mais ça, c'est une autre histoire).

Les âmes se pèsent dans le silence,

comme l'or et l'argent se pèsent dans l'eau pure,

et les paroles que nous prononçons

n'ont de sens que grâce au silence où elles baignent.

Maurice Maeterlinck

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L'expérimentation du silence au théâtre m'a fait remarquer les choses suivantes :

Le silence ressort en contraste par rapport au rythme de la pièce. Si vous en abusez, vous courrez le risque de casser ce rythme et du perdre du même coup l'effet de contraste : vos silences ne fonctionneront plus. Il se consomment donc avec une grande modération.

De même qu'il prépare les mots qui vont suivre, le silence lui même demande une préparation. S'il fait suite à un débit rapide et fortement modulé, il n'en aura que plus d'impact. La bonne gestion des silences demande une analyse très fine de la réplique qui en bénéficie.

Exemple :

Je ne suis pas de cet avis et je veux faire du bruit, tout mon soul. Quoi ! tu ne trouves pas que j'aie tous les sujets du monde d'être en colère ? (Argante dans "les fourberies de Scapin")

Dans cette réplique, on pourra :

• Débiter rapidement "Je ne suis pas-" en montant vivement la voix sur le "pas". • Marquer un pause après le "pas-", pour renforcer la négation qu'il exprime. • Débiter rapidement "de cet avis-", avec exactement le même ton que "Je ne suis pas" et en

marquant de la même façon une pause aprés "avis". Ce mimétisme fera retenir 2 mots au spectateur : "pas" et "avis". Ils sont suffisants pour résumer cette partie de réplique.

• "et-je-veux-faire-du-bruit" sera prononcé avec une micro-pause entre chaque mot. On dit dans ce cas que la phrase est "martelée". Ce type d'effet exprime une volonté forte, qui refuse d'être contredite. Celui qui parle veut que chaque mot soit important.

• Une pause nette sera marquée après "bruit" pour que l'affirmation qui précède s'inscrive profondément dans la conscience de l'auditeur.

• "tout mon soul" est prononcé d'une traite. Cette expression ne vise qu'à renforcer l'affirmation précédente. Son sens n'est pas capital, c'est sa présence qui compte.

• Un silence d'au moins une demi-seconde est laissé avant le "Quoi !". Pendant ce silence, on doit voir sur le visage de l'acteur que sa tension intérieure monte. La portion de réplique qui précède lui a permis de se "défouler", mais ça n'a pas été suffisant et on sent bien qu'il va remettre ça avec encore plus de puissance. On doit sentir cette violence monter au cours de ce silence.

• Le "Quoi ! " est lâché dans une explosion. Il est encore suivi d'un silence d'une demi-seconde. Ce seul mot est chargé d'un sens très important ; il veut dire "je ne veux pas qu'un me contredise", "je suis en colère", "je veux qu'on me respecte", "je suis prêt à mordre". Ce mot est le plus important de toute la réplique, il la résume à lui seul et doit donc se détacher de tout le reste. Notez bien que ce "Quoi" est suivi d'un point d'exclamation, pas d'un point d'interrogation. Argante ne demande absolument pas son avis à Scapin, il lui affirme au contraire sa colère.

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• "tu ne trouves pas" est débité d'une traite avec une minuscule pause après le "pas". Il s'agit simplement de faire un rappel du début de la réplique ("je ne suis pas"). Le ton doit être bas, sourd, inquiétant et monocorde.

• "que j'aie tous les sujets du monde" est également débité d'une traite. Le ton est toujours bas est monocorde, sauf sur le "monde" ou la voix remonte en hauteur et en force, comme si l'on disait "on se fout du monde !"

• "d'être-en-colère ?" est martelé de la même façon que "et-je-veux-faire-du-bruit". Le mot colère doit être émis avec une grande violence tout en restant dans un ton bas et inquiétant. On doit sentir une colère à peine retenue, prête à exploser avec plus de violence encore qu'elle ne le fait dans toute la réplique. Bien que cette partie de réplique se conclue par un point d'interrogation, on doit comprendre que la question est de pure forme. Cette question ne supportera qu'un seul type de réponse : l'approbation. Le mot "colère" est dit sur un ton menaçant pour prévenir Scapin : "ne me contredis pas ou ça va mal se passer".

Les propositions ci-dessus ne sont évidemment qu'une liste de suggestions qui doivent être modulées en fonction de la manière dont l'acteur souhaite interpréter le rôle. Bien que roulant des mécaniques, Argante n'est pas un vrai "dur", comme la suite de la pièce le démontrera. La faiblesse dont il fera preuve plus tard peut déjà être suggérée dans sa façon de dire cette réplique.

Adapter le rythme au personnage

Comme je le fais remarquer au premier paragraphe, la maîtrise des silences et propre aux personnes charismatiques en général et aux hommes politiques en particulier.

N'en abusez donc pas si votre rôle est celui d'un garçon lâche et timoré, vous risqueriez de créer un décalage entre le personnage et l'impression générale qu'il dégage.

Cette maîtrise restera toutefois utile dans toutes les scènes de colère ou de menace, comme pour les déclarations d'amour passionnées.

Pour vous entraînez à en user avec bonheur, rien ne vaut la lecture répétitive d'un texte, ou d'une simple réplique, en testant différentes façon possibles de "marquer le pas" entre les mots. Si vous ne vous êtes jamais essayé à ce genre de choses, vous constaterez qu'il est possible de nuancer le texte de façon considérable en jouant simplement sur ces silences.

La page comportant des exercices sur la voix vous propose également d'autres façons d'améliorer et de renforcer votre diction. L'exercice le plus adapté au travail sur le silence s'intitule "La ponctuation exagérée".

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La voix Le travail de la voix est essentiel en formation théâtrale

Les cordes vocales sont muscles. Comme tout muscle, elles demandent un échauffement. Cet avertissement est particulièrement important si vous travaillez avec de jeunes élèves qui n'en auront pas forcément conscience et qui ont facilement tendance à pousser leur organe au-delà de ses limites. Vous devrez donc veiller à ce que les exercices sur la voix augmentent progressivement en intensité.

A mon sens, l'intelligibilité du texte est la toute première condition de réussite d'un spectacle : si le spectateur doit tendre l'oreille, si, malgré cet effort (qu'il n'a sans doute pas la moindre envie de faire) il rate quelques répliques, son intérêt général pour le spectacle va rapidement chuter aux environs de zéro et tous les efforts de jeu et de mise en scène seront perdus pour de bon. De mon point de vue, il vaut mieux un texte mal joué mais intelligible, qu'un texte inaudible joué à la perfection.

Les performances vocales des acteurs dépendent de 4 paramètres :

1. La maîtrise du souffle. Il est souhaitable, avant toute séance de travail sur la voix, de pratiquer l'exercice de respiration ventrale proposé sur ce site afin de bien associer, dans l'esprit des participants, le travail du souffle et celui de la voix.

2. Le positionnement par rapport au public. A volume égal, un phrase énoncée face au public sera infiniment plus intelligible qu'une phrase prononcée de dos. En tant qu'animateur, vous devez garder cette contrainte à l'esprit en permanence et corriger sans relâche tout élève qui répête un texte sans avoir d'abord veillé à la position de son visage vis-à-vis du public. A force de travail, ce positionnement devient un réflexe pour l'acteur, mais sans vos interventions, ce réflexe ne pourra pas se mettre en place. Nous consacrons une page particulière à cette contrainte théâtrale.

3. L'articulation. Correctement articulés, un mot ou une phrase peuvent rester parfaitement intelligibles, même si l'acteur n'est pas positionné face au public. Les mots d'usage courant et les expressions toutes faites ne demandent pas forcément d'effort particulier car le public parviendra à les identifier facilement. Les mots ou les expressions non-usuels (vieux français, mots savants, etc.) doivent par contre faire l'objet d'une attention toute particulière, quitte à en faire un peu trop.

4. La ponctuation, c'est à dire l'intonation et les silences. A performances vocales identiques, un texte correctement ponctué est nettement plus intelligible qu'un texte débité platement et sans silences. Qui plus est, le travail sur la ponctuation permet d'améliorer de façon nette et rapide l'articulation des acteurs.

Tous les acteurs ne sont pas égaux en termes de performances : ceux qui sont dotés par la nature de poumons volumineux possèdent un net avantage, ceux qui sont issus d'un milieu lettré bénéficient souvent d'une maîtrise naturelle de la ponctuation, de l'intonation et de l'articulation, certains acteurs ont un voix haute ou basse, qui semble toujours couvrir les bruits ambiants, alors que d'autres ont la malchance d'avoir un registre qui se "fond" facilement dans le moindre murmure.

A vous, animateur, d'identifier les acteurs les moins performants et de les faire travailler jusqu'à ce qu'ils obtiennent des compétences satisfaisantes. En s'améliorant sur les 4 points évoqués plus haut, n'importe quel acteur peut rendre son texte intelligible, même dans une salle ayant une mauvaise acoustique.

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Les quelques exercices qui suivent pourront vous aider dans ce travail :

La bobine de fil (à faire en début de séance)

Il s'agit de souffler doucement et le plus longuement possible en faisant le geste de sortir un fil de sa bouche et en émettant un "Aaaaaaaaa" très doux. Précisez tout d'abord aux élèves que cet exercice, comme tout ceux qui concernent la voix, est là pour exercer et entraîner les cordes vocales et qu'il ne faut donc pas aller jusqu'aux limites de l'asphyxie. Au début de l'exercice, le son émis doit être à peine audible. On peut ensuite recommencer en émettant un son de plus en plus fort. Cet exercice peut connaître une variante : la lecture d'un monologue où le personnage se met progressivement en colère. Attention, même si l'élève tente de réciter la plus grande partie possible du monologue sans reprendre son souffle, il doit respecter les pauses de la ponctuation, les intonations et l'articulation du texte, car les bonnes habitudes ne souffrent pas de négligence.

Le stylo

A tour de rôle, les élèves doivent réciter un texte de quelques phrases avec un stylo dans la bouche. Quand un membre du groupe ne comprend pas quelque chose, il demande à celui qui récite de répéter son texte. Pour éviter que le texte lu ne soit trop rapidement mémorisé par le groupe, on peut faire tourner le texte d'une pièce en demandant à chacun de lire la suite de la scène entamée.

Le chef d'orchestre

Il s'agit de répartir les élèves en quatre à cinq groupes. Le chef d'orchestre (l’animateur ou un élève) se place en face des groupes et attribue à chacun un son qui sera continu ou émis à intervalles réguliers. Il sollicite ensuite chaque groupe d'"instruments" d'un mouvement de la main. Il doit faire varier les combinaisons et le niveau sonore de chaque groupe dans le but de trouver une harmonie satisfaisante.

Le ping pong vocal

Par groupe ou par binôme, il s'agit de se faire face et de répondre à une sollicitation vocale (bruits, vocalises... mais pas de paroles) par une imitation la plus exacte possible ou par une relance afin de créer l'équivalent d'une "conversation". On peut d'ailleurs combiner l'imitation et la relance dans un même exercice.

La ponctuation exagérée

Chaque élève récite un monologue ou un poème (correctement ponctué) à tour de rôle. Les virgules et les parenthèses doivent être marquées par une pause de 1 seconde. Les points doivent être marqués par une pause de 2 secondes. L'articulation et les intonations doivent également être exagérées. Le meneur doit interrompre les participants qui ne respectent pas ces règles et leur demander de reprendre la lecture depuis le début en cas de négligence.

En fin d'exercice, la lecture pourra être reprise par le groupe tout entier. C'est une excellente façon d'aider les participants en difficultés à se mettre à niveau.

Variante : "les abrutis" A tour de rôle, les élèves doivent réciter un texte de quelques phrases comme s'ils s'adressaient à un groupe d'abrutis

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A lire également : ce site comporte une page intitulée "Maîtriser le silence" qui insiste particulièrement sur l'intérêt des ponctuations et sur le travail des pauses marquées au cours d'une réplique.

La voix qui marche

Il s'agit pour l'élève d'apprendre à gérer le niveau sonore et le débit de sa voix en fonction d'une activité physique et de son positionnement par rapport au public. En s'éloignant et en parcourant une distance de quelques mètres, on lui demande d'amener sa voix du simple murmure au niveau sonore le plus important qu'il puisse atteindre. La fin du trajet doit coïncider avec l'apogée des décibels et la phase de montée en puissance doit se faire de façon régulière.

On introduit des variations en demandant de lire ou de déclamer un texte et en remplaçant la simple marche par une activité plus complexe (ranger des affaires, faire le ménage...)

On demande à l'élève de tourner en rond et de forcer la voix dès que son visage n'est plus face au public.

Le chant tribal

Cet exercice vise à développer la puissance vocale. Les participants forment un cercle fermé. Ils sont tournés vers l'intérieur. Tout le monde émet en même temps un son faible, qui constitue l'environnement sonore puis chacun s'avance tour à tour au milieu du cercle et chante en solo pendant quelques secondes, par dessus les autres participants. Le but étant de pouvoir se faire entendre malgré le bruit ambiant. Il faut bien sûr penser à utiliser la respiration ventrale pour expulser un son fort sans crier.

Articulation

Le site "La langue de chez nous" propose une très belle liste d'exercices de prononciation et d'articulation. Si cette page ne se charge pas dans votre navigateur, vous pouvez consulter notre copie de sécurité.

Le souffle

Cet exercice très simple, a surtout pour objectif de faire prendre conscience aux élèves de l'importance du souffle dans la clarté et le volume qu'il est possible de donner à une réplique.

Dans un premier temps, on leur demande de vider leurs poumons presque entièrement puis de prononcer :

"La paire de boucles d'oreille est tombée sur le sol de la cuisine."

de la façon la plus claire et en parlant le plus fort possible.

On les invite ensuite à recommencer avec les poumons pleins.

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Exercices :

1. Ton thé t'a-t-il ôté ta toux tenace ?

2. Trois très gros, gras, grands rats gris grattent.

3. Mur gâté, trou s'y fit, rat s'y mit.

4. Six slips chics, six chics slips.

5. Didon dîna, dit-on, du dos d'un dodu dindon.

6. Tadalarana - tedelerene - tidilirini -todolorono - tudulurunu

7. Donnez-lui à minuit huit fruits cuits et si ces huit fruits cuits lui nuisent, donnez-lui huit fruits crus.

8. Madame Coutufon dit à Madame Foncoutu: " Bonjour, madame Foncoutu ; y a-t-il beaucoup de Foncoutus à Coutufon ? " - " Il y a autant de Foncoutus à Coutufon qu'il y a de Coutufons à Foncoutu. "

9. Papa boit dans les pins. Papa peint dans les bois. Dans les bois, papa boit et peint.

10. Un pêcheur prépare pitance, plaid, pliant, pipe, parapluie, prend panier percé pour ne pas perdre petits poissons, place dans poche petit pot parfaite piquette, puis part pédestrement pêcher pendant période permise par police.

11. Dis-moi gros gras grand grain d'orge, quand te dégros gras grand grain d'orgeras-tu ? Je me dégros grand grain d'orgerai quand tous les gros gras grands grains d'orge se dégros gras grand grain d'orgeront.

12. Il était une fois Une marchande de Foix Qui vendait du foie Dans la Ville de Foix Elle se dit: " Ma foi, C'est la dernière fois Que je vends du foie Dans la ville de Foix, car il fait trop froid.

13. Ciel si c'est cinq sous ces six ou sept saucissons-ci, c'est cent cinq sous ces cent sept saucissons aussi.

14. Grand doreur quand redoreras-tu sûrement et d'un goût rare mes trente-trois ou trente-quatre grandes cuillers d'or trop argentées ? Je redorerai sûrement et d'un goût rare les trente-trois ou trente-quatre grandes cuillers d'or trop argentées, quand j'aurai redoré sûrement et d'un goût rare les trente-trois ou trente-quatre autres grandes cuillers d'or trop argentées.

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15. Un ange qui songeait à changer son visage pour donner le change, se vit si changé, que loin de louanger ce changement, il jugea que tous les autres anges jugeraient que jamais ange ainsi changé ne rechangerait jamais, et jamais plus ange ne songea à se changer.

16. Ces cent six sachets si chers qu'Alix à Nice exprès, tout en le sachant, chez Chasachax, choisit, sont si cher chaque, si cher, qu'ils charment peu.

17. Petit pot de beurre, quand te dépetitpodebeurreriseras-tu ? Je me dépetitpotdebeurreriserai serai quand tous les petits pots de beurre se dépetitpotdebeurreriseront. Or. comme tous les petits pots de beurre ne se dépetitpotdebeurreriseront jamais, petit pot de beurre ne se dépetitpotdebeurrerisera jamais.

18. Dis-moi, petite pomme, quand te dépetitepommeras-tu ? Je me dépetitepommerai quand toutes les petites pommes se dépetitepommeront. Or, comme toutes les petites pommes ne se dépetitepommeront jamais, petite pomme ne se dépetitepommera, jamais.

19. Six cents scies scient cent cigares, six cents scies scient six cents cigares, six cents scies scient six cent six cigares.

20. Un dragon gradé, un gradé dragon.

21. Quand un cordier cordant veut corder une corde, pour sa corde corder, trois cordon il accorde. Mais si l'un des cordons de la corde décorde, le cordon décordant fait décorder la corde.

22. Rat vit rôt, rôt tenta rat, rat mit patte à rôt, rot brûla pattes à rat, rat secoua pattes et quitta rôt.

23. J'ai un point dans mon pourpoint qui me pique et qui me pointe, si je savais celui qui a mis ce point dans mon pourpoint qui me pique et qui nie pointe, je lui mettrais un point dans son pourpoint qui le pique et qui le pointe.

24. Si l’Américain se désaméricaniserait comment le réaméricaniserions-nous, l'Américain ? On le réaméricaniserait comme on l'a désaméricanisé, l’Américain.

25. La cavale au Valaque avala l'eau du lac et l'eau du lac lava la cavale au Valaque.

26. Si la cathédrale se décathédraliserait, comment. la recathédraliserait-on, la cathédrale ? On la recathédraliserait comme on l'a décathédralisées, la cathédrale.

27. Ces fiches-ci sont à statistiquer.

28. Les grains de gros grêlons dégradent Grenade.

29. Les chemises de l'archiduchesse sont-elles sèches, archi-sèches ?

30. Ton temps têtu te tatoue

31. Lise et José, lisons ensemble et sans hésiter les usages des honnêtes indigènes de Zanzibar

32. Si ces 500 sangsues sont sur son sein sans sucer son sang, ces 500 sangsues sont sans succès.

33. Le fisc fixe exprès chaque taxe excessive exclusivement au luxe et à l'exquis.

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34. Un pêcheur péchait sous un pécher qui l'empêchait de bien pécher

35. Ciel ! Si ceci se sait, ces soins sont sans succès

36. Des poches plates, des plates poches

37. Le scout mange son casse-crotte cru

38. Mille millions de merveilleux musiciens murmurent des mélodies multiples et mirifiques

39. Un matin en prenant un bain j'ai mangé mon pain dans mon bain j'ai pris un pain j'ai pris un bain j'ai pris bain pain j'ai pain bain

40. Sans bruit Sur le miroir des lacs Profonds et calmes Le cygne chasse l'onde Et glisse

41. À dire de plus en plus vite : Allez ! allo ? aller allo ?

42. L'hallali l'hallali pour l'alouette

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L’imitation Danger ou arme fatale ? L’imitation dans le jeu de l’acteur.

Si l'on en croit Stanislavski, l'imitation est absolument à banir des techniques du comédien :

"A l'aide de grimaces, d'artifices de la voix et de geste, ces (mauvais) acteurs n'offrent au public qu'un masque inanimé, vide des sentiments qui n'existent pas chez eux. Pour cela, ils ont inventé tout un assortiment d'effets conventionnels qui prétendent représenter toutes sortes de sentiments par des moyens extérieurs." (pour plus de détail sur le point de vue de Stanislavski, lire ma page consacrée à ce thème).

L'acteur sincère ne devrait donc jouer que lui-même. Il devrait se contenter de ressentir les émotions correspondant à la situation et au personnage et son corps adopterait de lui-même (avec un naturel parfait) l'attitude correspondante.

Cet idéal est un sujet de réflexion particulièrement enrichissant. Il me semble toutefois un peu décalé dans le cadre du théâtre amateur : la plupart des comédiens ne disposent ni du temps ni de l'envie d'approfondir leurs talents à ce point.

En ce qui me concerne, et malgré mon expérience des planches, j'avoue humblement ne pas toujours réussir à éprouver le sentiment juste qui saura dicter à mon corps l'attitude correspondant au rôle ou à une scène particulière du rôle. Que faire alors ? Car il faut bien que la pièce avance ! Je vais piocher dans mes références théâtrales ou cinématographique, je pioche aussi dans mon entourage, dans mes souvenirs. Je recherche le profil de personne ou de personnage qui me semble le plus proche de ce que je crois devoir incarner... et je l'imite.

L'observation

Quelle démarche a-t-il ? Comment parle-t-il ? Que fait-il de ses mains ? Que dégage-t-il autour de lui ? L'imitation commence évidemment par une observation méticuleuse du sujet imité.

Quelles sont :

• Ses tensions (blessures physiques, blessures de l'âme, faiblesses, peurs, incompétences) • Ses forces (croyances, compétences, expérience)

Ces tensions et ces forces s'inscrivent dans son physique, dans sa posture. En quelques secondes d'observations, on repère facilement les articulations qui sont particulièrement mobiles et celles qui semblent bloquées. Si cette personne devait danser, comment bougerait-elle ? Surtout les pieds ? Surtout les jambes ? Surtout les bras ? Les mains ? La tête ? Le buste ? Tout le corps ?

La nuque est-elle rigide ? Le dos est-il cambré ou voûté ? Les épaules se placent-elles en avant ou en arrière ? Y-a-t-il une main ou une jambe qui semble plus mobile que l'autre ?

La personne est-elle statique ou agitée ? Parle-t-elle d'une voix forte ou joue-t-elle la discrétion ? Est-elle du genre à s'excuser en permanence ou à s'imposer grossièrement ?

Le Caméléon fait preuve

d'un don d'imitation absolument stupéfiant.

Regardez le spéciment ci-dessus. N'est-ce pas Robert De Niro

tout craché ? "Are you talking to me ?!"

"Are you talking to me ?!"

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Si j'attaquais cette personne, comment se défendrait-elle ? En avançant un bras ? Deux bras ? Une jambe ? En se tournant ? En fuyant ? En grognant ? En criant ? Serait-elle à l'aise ou paniquerait-elle ?

Si j'allais vers cette personne pour l'embrasser et la serrer contre moi, comment réagirait-elle ? Par un sourire ? Une surprise embarrassée ? Une réaction d'accueil ? De rejet ? Du mépris ? De la colère ? De la joie ? De l'amour ? De l'humour ?

Que mes hypothèses soient tout à fait justes importe peu, finalement, pourvu qu'elle me permettent de me construire un personnage plus solide. Je fais confiance à mon imagination pour combler les vides de mes observations. Au cours de mon existence, mon inconscient a noté des centaines de postures et d'attitudes chez les personnes que j'ai côtoyé, les acteurs que j'ai déjà vu jouer. Je sais que je vais pouvoir piocher dans ce répertoire pour y trouver les gestes qui me manquent.

L'expérimentation

Certains gestes vont me venir facilement et naturellement. D'autres me sont plus ou moins étrangers. Au stade de l'expérimentation, je ne recherche pas la vraisemblance, je me contente d'essayer de reproduire ce que j'ai pu observer, en exagérant autant que possible la voix, le geste, l'attitude.

Ce travail se fait en utilisant mon rôle comme support : je choisi les répliques qui me posaient problèmes et je les récite en caricaturant mon personnage à l'extrême.

S'il faut parler fort, je hurle, s'il faut être discret, je murmure au point d'être tout à fait inaudible. Je bloque totalement telle ou telle articulation ou j'agite en tremblant celles qui doivent être mobiles.

Tout ça ne ressemble à rien, mais ça n'a aucune importance.

L'expérimentation me permet d'inscrire le geste ou l'attitude dans ma mémoire corporelle. Ce n'est pas un travail de l'intellect, c'est un travail physique. C'est mon corps, mon inconscient, qui apprend une nouvelle façon d'être et de bouger. La répétition est donc absolument indispensable à ce type d'exercice.

Comme un joueur de tennis répète 1000 fois son coup droit ou son revers, je caricature encore et encore mes gestes et ma voix.

Ma mémoire ne fonctionne pas de la même façon le soir et le matin, le lundi et le vendredi, avant et après manger. Je répète donc mes exercices dans toutes ces situations pour ancrer plus profondément cette nouvelle façon d'être dans mon corps.

L'adaptation

Quand les gestes imités me sont devenus familiers au point d'être presque des automatismes, je reprend la lecture de mon rôle de façon plate, sans plus rien essayer de jouer.

Je suis toujours surpris de constater alors que mon personnage a pris corps. Sans aucun effort de ma part, sans que je n'ai à le solliciter, il se manifeste au cours de ma lecture. Les mots déclenchent des postures, un ton particulier de la voix, presque malgré moi. Je retrouve trace, bien entendu, des caricatures que j'ai travaillé dans la phase précédente. Mais elles sont comme gommées, adoucies et en même temps transformées par mon corps quand je le laisse réagir librement au texte. Mon corps n'a conservé que ce qui lui correspondait. Il a adapté à ma morphologie les gestes que je lui ait imposé.

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Si je suis attentif à moi-même, je constate même que le texte est à présent porteurs d'émotions. Maintenant que mon corps bouge de lui-même et que je n'ai plus besoin de m'en occuper, mon cœur commence à vivre le texte, à réagir, comme par automatisme, à ce que mon corps lui dit.

Tant que mon esprit seul essayait de parler à mon cœur, il ne se passait rien. A présent que mon corps l'accompagne, mon cœur semble capable de tout entendre. Il entend même des choses que mon esprit de lui a jamais dites.

Et mon esprit s'interroge : pourquoi suis-je donc si mélancolique dans ce passage ? Pourquoi tant de colère retenue dans celui-là ? Ces questions, bien sûr, n'ont aucun intérêt. Ce qui compte, c'est que mon personnage - quel qu'il soit - commence vraiment à vivre en moi. Et si ce personnage éprouve des émotions qui me semblent étrangères ou incompréhensibles, c'est sans doute une bonne chose pour moi, car son expérience va enrichir la mienne.

L'acceptation

Tout ce qui précède ne relève que de la technique et fonctionne à coup sûr, pourvu que j'y consacre l'énergie et le temps nécessaire.

Le plus difficile est d'accepter le personnage qui commence à vivre en moi. Il n'est pas moi, il n'a pas mes valeurs. Il est parfois violent, ou ridicule, lâche ou stupidement naïf, etc. Dieu sait que je ne voudrais pas être comme ça dans ma vie.

Il a le chic pour provoquer chez moi de la gêne ou de la honte lorsqu'il emprunte (et empreinte) mon corps.

C'est le moment de me demander ce que je veux vraiment. C'est le moment où je dois décider si je suis capable de jouer avec sincérité où si je vais me contenter de parader sur scène. Et comme j'ai une longue expérience derrière moi, je sais que je suis déjà en danger : j'ai vu tant de fois des acteurs qui fuyaient leur personnages. Comme ils m'ont semblé ridicules !

A travers ce refus, leurs peurs, leur manque d'assurance et leurs faiblesses me deviennent transparentes.

Vais-je à mon tour me laisser dominer par mes peurs ? Les qualités que je m'attribue sont-elles suffisamment solides pour que je puisse les mettre à l'épreuve ? Ou mister Hyde est-il tapi sous ma surface, prêt à jaillir comme un diable hors de sa boîte si je lui laisse le champ libre ?

Suis-je fragile est instable au point qu'une pièce de théâtre puisse remettre en question toute ma personnalité et me faire basculer du côté obscur de la Force ? Je sais bien que non, mais mon mental à beau vouloir me rassurer, les peurs sont toujours là.

Je n'ai qu'une voie pour m'en sortir : celle de la compassion pour mon personnage et pour moi-même.

La compassion pour le personnage

La page "Apologie du Méchant" illustre parfaitement ce paragraphe.

J'appelle mon intellect à la rescousse. Il me fait remarquer que chacun de nos défauts nous oblige à développer une compétence particulière. Si je suis faible, j'apprends à éviter les coups, par la fuite ou par la séduction, ou j'apprends à les encaisser, par la résistance et l'endurance. Si je suis menteur, je développe mon imagination et ma capacité de persuasion. Si je suis lâche, je suis sans doute un homme doux, peut-être même sensuel. Etc.

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Je vais donc rechercher toutes les compétences que mon personnage a du développer pour gérer ses faiblesses et ses insuffisances. Et je vais me réjouir de posséder désormais une part de ces compétences et d'avoir l'occasion de les exprimer sur scène.

Je décortique le rôle et j'identifie toutes les fois où les paroles ou les actions de mon personnage sont bénéfiques. Même si elles sont involontaires, les retombées positives des actes de mon personnage sont à verser à son crédit.

J'appelle mon cœur à la rescousse. Il me fait remarquer que mon personnage n'avait pas d'autres choix que d 'être ce qu'il est. Si le texte ne me propose pas une explication plausible à chacun de ses défauts, j'en invente une et je l'inscrit dans son histoire.

Ce que mon intellect n'est pas parvenu à excuser, mon cœur va tenter de le pardonner. Après tout, si mon personnage porte en lui des défauts que je n'ai pas, que je n'ai plus, c'est qu'il n'a pas eu ma chance. Puis-je lui en vouloir ? Ou suis-je assez généreux pour l'aimer ?

Je m'imagine en train de dialoguer, de boire un verre ou de marcher avec mon personnage. Je fraternise avec lui. Si je l'amène à se confier à moi en toute sincérité, que me dit-il sur ce qu'il est et sur ce qu'il a fait ?

J'appelle mon corps à la rescousse. Mon personnage a un "balai dans le cul" ou, au contraire, se tient voûté ? Il boite ? Il traîne les pieds ? Quelles aptitudes cela a-t-il développé en lui ? Le fait d'être raide ne lui permet-il pas de rayonner d'une autorité "naturelle" ? Le fait d'être voûté ne lui donne-t-il pas une vision plus précise de tout ce qui se passe au sol, et un certain sens de l'observation dont les autres personnages sont dépourvus ?

Si ses mains gigotent, c'est peut-être un bon joueur de carte ou, qui sait, un jongleur fabuleux. Si ses mains sont raides, c'est peut-être parce qu'il est précis et parvient à contrôler le moindre de ses mouvements de doigt.

La compassion pour moi-même

Si je ne parviens pas à accepter totalement mon personnage, c'est qu'il pourrait me faire du mal ou me mettre trop en danger.

Tout ça me prouve que je ne suis pas encore un être parfaitement accompli, que je porte toujours en moi quelques faiblesses. Rien de bien nouveau, finalement. Je n'ai jamais prétendu être le Dalaï-Lama.

Mes peurs me protègent. Si je ne peux les vaincre, je les accepte et je fais avec.

Je ne parviendrais sans doute pas à incarner parfaitement mon personnage, mais je peux quand même laisser une part de lui s'exprimer à travers mon corps et ma bouche. C'est déjà ça de gagné. J'avance pas à pas. Ce que je ne peux pas faire aujourd'hui, je saurais le faire demain.

Mon intellect se démène pour essayer de me convaincre : il ne s'agit que d'un jeu, la scène est un monde imaginaire où tout est permis, où j'ai le droit d'être détestable, méprisable, égoïste, lâche, peureux, mesquin, stupide. Personne ne m'en voudra. Tout le monde sait bien que je suis différent en tant qu'acteur et en tant que personnage. Plus j'accepterais de laisser le personnage me guider, plus je serais admirable et respectable en tant qu'acteur.

J'écoute mon intellect avec politesse, mais je n'oublie pas que je suis être humain. J'ai un cœur et un corps qui font ce qu'ils peuvent et que je respecte infiniment, car sans eux, je ne pourrais jamais être un acteur accompli.

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Frankenstein et le plongeur Travail sur les marches et les postures

Cet exercice consiste à bloquer une ou plusieurs articulations du corps au cours d'une marche afin de découvrir ce que le corps exprime lorsqu'on lui retire une partie de ses capacités.

Les masques que nous adoptons au cours de notre quotidien (autorité, soumission, peur du rejet, etc.) se traduisent souvent par des tensions à l'intérieur du corps. Ces tensions provoquent une rigidité de certaines articulations. En tentant de bloquer volontairement telle ou telle articulation, on constate qu'on reproduit des postures souvent rencontrées chez nos voisins, nos collègues ou les membres de notre famille.

A l'inverse, certains masques nous amènent à sur-exprimer certaines articulations. L'exercice de la poule, ci-dessous, permet également d'expérimenter une marche liée à ce phénomène.

Objectifs

• Prise de conscience de nos propres blocages • Développement de la capacité d'imitation • Travail sur l'expression par le corps

Déroulement

Le groupe est divisé en deux parts égales qui se placent face à face sur l'aire de travail. Les deux moitiés de groupe doivent être distantes d'environ 7 mètres.

Phase 1 : Frankenstein

Chacun doit tenter de faire 3 pas en imitant la démarche et la posture du monstre de Frankenstein. On donne les indications suivantes :

• Les genoux sont bloqués en position droite (non pliés), ce sont les hanches qui doivent pivoter pour balancer les pieds vers l'avant.

• Les articulations des pieds sont bloquées dans leurs mouvements latéraux, ils ne peuvent que s'incliner de haut en bas mais ne peuvent pas bouger de gauche à droite.

• Les épaules, le cou et les bras sont bloqués.

Le meneur propose à chaque membre de faire au moins 3 tentatives, chacun revenant à sa position initiale entre chaque tentative.

Les deux groupes étant face à face, cela permet à chacun de s'inspirer des idées ou des réussites des autres participants.

Phase 2 : Le plongeur

Le but de cette exercice consiste à imiter un plongeur équipé de palmes lorsqu'il marche sur le sable. Les chevilles sont gérées de façon à maintenir en permanence les deux pieds à l'horizontal. Pour éviter que le bout de la palme ne frotte sur le sol, les genoux sont levés assez haut à chaque pas.

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L'exercice est répété jusqu'à ce que l'un des participants retrouve une démarche évoquant de façon crédible ce type de marche. Les autres participants sont alors invités à s'inspirer de sa performance. L'exercice prend fin lorsque le meneur estime que tous les participants sont parvenus à gérer correctement leurs chevilles.

Phase 3 : La poule

Les participants placent leurs mains dans leur dos, au niveau du haut des fesses. Une main peut saisir l'autre afin de d'immobiliser entièrement les bras et les épaules.

La marche de la poule se fait en levant les genoux assez haut et en balançant la tête d'avant en arrière à chaque pas. La tête oscille en restant parfaitement verticale (le menton reste levé). Le dos est cambré, les hanches sont bloquées, ce sont les genoux qui assurent le mouvement.

Comme pour les exercices précédents, les participants observent ce que font les autres et s'inspirent de celui qui réussit le mieux l'exercice.

L'exercice prend fin lorsque le meneur estime que tous les participants sont parvenus à gérer correctement le mouvement.

Phase 4 : Marches diverses

Les participants forment un cercle de marche (les uns derrière les autres) en laissant au moins un mètre de distance entre chacun.

Chaque type de marche est pratiqué au minimum 30 secondes :

• Pieds sur les fesses : à chaque pas, le pied remonte vers l'arrière et vient frapper le bas de la fesse.

• Chevilles bloquées : les chevilles ne pouvant plus s'articuler, les participants marchent en déplaçant leur buste afin de garder l'équilibre.

• Le singe : les bras sont complètement relâchés et se balancent fortement d'avant en arrière, au rythme de la marche, les genoux restent légèrement pliés et tournés vers l'extérieur (les jambes sont donc arquées). Les épaules sont inclinées vers l'avant mais restent relâchées. Le dos est légèrement voûté, la tête un peu rentrée dans les épaules.

• La marche martiale : Comme pour le singe, les bras se balancent fortement d'avant en arrière, mais cette fois le dos est parfaitement droit, les épaules et la nuque totalement bloqués. Les genoux se lèvent très haut et marquent un légère pose en l'air avant que le pied ne se repose par terre. Les mains sont tenus à plat (tous les doigts se touchent) et fendent l'air d'avant en arrière. Variante : Le bras gauche est tendu le long du corps tandis que le bras droit est plié à 90°, comme s'il tenait un bâton de parade ou un fusil.

• Le déménageur : les épaules restent en avant, mais elles sont fortement balancés d'avant en arrière (par une rotation du buste), au rythme de la marche. Les bras sont repliés à 90°. Les jambes sont légèrement arquées, le buste incliné vers l'avant. La nuque est raide, légèrement en arrière.

• Aldo Maccione : c'est une caricature de la marche du déménageur : les épaules sont bloquées, le buste est penché en avant, les avant-bras légèrement remontés, les genoux restent toujours légèrement pliés et la

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marche se fait de façon latérale (comme un crabe) avec les jambes croisées. Le ventre est rentré, les muscles du torse contractés et les poings à demi-serrés. Les dents sont serrées.

• Travolta dans le film "Grease" : A chaque pas, on donne une impulsion brève mais très vive sur le pied en appui. Le talon ne se pose qu'une fraction de seconde au sol et on reste comme suspendu sur la pointe du pied en appui pendant que l'autre jambe avance. Les genoux remontent un peu plus que la normale. Le buste, les bras, les mains et le cou sont totalement relâchés, décontractés et bougent donc au rythme des secousses provoquées par l'impulsion du pied en appui. On peut éventuellement bloquer une main dans une poche (mais elle restera molle est détendue) et faire semblant de mâcher du chewing-gum pour accentuer la caricature.

• Le bossu : l'une des épaules est baissée à l'extrême et tournée vers l'avant, avec le bras ballant, relâché. L'autre épaule est remontée et tendue vers l'arrière, avec le bras replié et la main pendante. Le buste est incliné vers l'avant. Les pieds et les genoux sont fortement tournés vers l'intérieur. La tête est inclinée sur le côté et vers l'avant, la bouche est tordue est légèrement entre-ouverte. La marche se fait à petit pas, l'un des pied traîne au sol, comme s'il était paralysé.

Observations

Comme vous pourrez le constater lors de leur pratique, ces exercices sont extrêment ludiques. Si vous les pratiquez avec des jeunes, vous devrez faire preuve d'une certaine fermeté pour éviter que la séance ne vire au désordre complet. Cela dit, n'oubliez pas de vous amusez avec eux !

Entraînez-vous à chaque type de marche jusqu'à la maîtriser parfaitement avant de vous lancer avec des élèves : il faudra que vous soyez en mesure de donner un exemple si les participants ont des difficultés à trouver la bonne attitude.

Après la séance, proposez à chaque participant d'inventer (ou d'imiter) une marche pour la séance suivante. La préparation devra se faire à la maison. Pour obtenir un résultat intéressant, ils devront consacrer au moins une demi-heure à cette préparation.

• Pour inventer une nouvelle marche, il suffit de bloquer ou de sur-exprimer chaque articulation tour à tour, jusqu'à ressentir une émotion forte en marchant de cette façon.

• Pour imiter une marche, il suffit de se poster dans une rue passante pendant quelques minutes et d'observer très attentivement la façon dont les gens marchent : quelles sont les articulations bloquées ; quelles sont celles qui sont sur-exprimées ? Les membres de sa famille ou les personnages de films peuvent également fournir de bons exemples.

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Le tic nerveux Arrêtez de vous balancer et sortez vos mains de vos poches

Le premier metteur en scène qui essaya de faire quelque chose de moi faillit en perdre son latin : dès que j'entrais sur scène, je commençais à me balancer sur la pointe de mes pieds. Pointes, talons, pointes, talons... quoi qu'il se passe sur scène, que j'ai à répliquer ou non, ce balancement ne s'arrêtait pas.

Si ma mémoire est bonne (car tout ça remonte quand même à longtemps), j'ai commencé à me débarrasser de ce tic nerveux quand l'acteur qui jouait mon père s'est pris d'affection pour moi et m'a félicité pour mon interprétation.

Cette générosité (aveugle) a eu le mérite de calmer mon angoisse : jeune premier au sein d'une troupe expérimentée, je n'en menais pas large.

Car c'est bien ce que le tic nerveux exprime : un malaise, un mal-être, un manque d'assurance et souvent un manque de confiance en soi.

Oserais-je vous avouer qu'il m'arrive encore de ne pas trop savoir quoi faire de mes mains quand j'interprète un rôle pour la première fois ?

Si le tic est nerveux, soignez votre nervosité

Ca tombe sous le sens, mais c'est la première chose à faire : détendez-vous, relaxez-vous, respirez. Ma page sur le rire nerveux vous donnera mes meilleures recettes pour être "kiss cool" quand vous vous sentez "100 000 volts".

Essayez d'identifier votre nervosité et demandez-vous ce qui en est la cause.

Qu'en penserez votre personnage ? Serait-il nerveux dans votre situation ?

Si c'est le cas, votre tic est peut-être intéressant à conservez pour le rôle, mais veillez tout de même à ne pas répéter le même geste pendant toute la durée de la pièce, ça agacerait le public ; Inventez-vous d'autres tics et travaillez-les, ça vous débarrassera du premier.

Si ce n'est pas le cas, demandez conseil à votre personnage. En l'interrogeant (par le biais d'un dialogue imaginaire) vous aiderez votre personnage à prendre corps (le vôtre) et à imposer ses propres réflexes en lieu et place des vôtres.

Remplacez votre tic par des gestes volontaires

Quitte à en faire trop, et tant que le tic persiste, occupez-vous le corps et les mains avec des gestes adaptés au rôle. Grattez-vous, si le rôle permet ce genre de chose. Frottez-vous le nez, tirez sur les manches de votre veste, réajustez votre cravate, faites tourner un bijoux entre votre doigts, lissez-vous les ongles ou les cheveux, redressez le pli de votre pantalon, déplacez des objets sur scène (des livres, une chaise, un journal), etc.

Si votre tic est en rapport avec vos déplacements (un tic courant et de faire un pas, en avant, un pas en arrière, etc.), dessinez-vous un parcours précis correspondant à votre présence sur scène : "Je vais d'abord ici, puis là, je me tourne, etc."

Ixodes ricinus

Bien qu'ayant un flegme naturel remarquable

(ne dit-on pas : flegmatique ?) il arrive à la tique d'être nerveuse,

comme tout le monde. Cela dit, le tic nerveux n'a rien à voir avec une tique nerveuse, même mâle, et cette

illustration n'a rien à faire sur cette page.

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Si vous n'avez pas de raison de vous déplacer, asseyez-vous, quitte à vous relever sur certaines de vos répliques pour leur donner plus d'ampleur.

N'hésitez pas à demander conseil au metteur en scène : il est là pour ça.

Les tics de diction

Un "heu...", un "hum, hum..." ou un bégaiement qui revient toute les deux phrases n'a pas son pareil pour perturber votre prestation.

Les tics de diction sont ceux qui traduisent la plus grande nervosité. Ils sont d'autant plus ennuyeux à gérer qu'il n'offrent pas la possibilité d'être remplacés par autre chose : ils se manifestent "en plus" du dialogue normal.

Avec la complicité du metteur en scène, essayez de répéter une ou deux fois l'ensemble de vos répliques en vous accordant un blanc d'une seconde avant chacune d'elles. Pendant ce blanc, répétez votre réplique dans votre tête, puis dites là à voix haute.

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Le rire nerveux Il peut bloquer votre talent. Voici comment le calmer.

Le rire nerveux peut aller du ricanement involontaire jusqu'au fou rire incontrôlable (parfois en plein spectacle).

Dans tous les cas, il se manifeste à la suite d'une forte tension nerveuse (parfois inconsciente) que votre organisme "décharge" par ce moyen. Le rire a en effet un effet apaisant et relaxant très puissant grâce à la sécrétion d'hormones qu'il déclenche (l'endorphine, hormone naturelle, a des effets comparables à la morphine).

Oui, mais voilà : le rire nerveux a le chic pour débarquer au mauvais moment et contrarier cette concentration que vous avez tant de mal à obtenir. Comment le gérer ?

Accepter le message

C'est d'abord en faisant la paix avec la partie de votre psychisme qui manifeste une tension que vous pourrez maîtriser ce rire nerveux, surtout s'il est fréquent. Plus vous ferez la "sourde oreille" a cette partie de vous, plus vous accumulerez des tensions nerveuses qui se manifesteront par ces rires incontrôlés.

Le rire permet de prendre une distance par rapport à la situation du moment. Quelque chose vous dérange donc, quelque chose que vous n'acceptez pas entièrement, que vous souhaiteriez fuir.

Si vous parvenez à identifier l'origine de cette "gêne", vous allez pouvoir travailler sur elle en utilisant une ou plusieurs des méthodes proposées ci-dessous. Mais même si vous n'avez pas la moindre idée de la provenance de votre tension, tout n'est pas perdu !

Se relaxer

Puisque c'est une tension nerveuse qui est en jeu, vous pouvez commencer par quelques exercices de relaxation qui pourront, dans bien des cas, suffire à gérer la crise.

Les yeux

Si la situation le permet, le fait de fermer les yeux est un bon début. Ce simple réflexe vous permet de vous recentrer et vous aide à faire le vide en vous.

La respiration

La respiration sera votre arme fatale. En vous concentrant sur elle, vous obtenez une double bénéfice :

• Vous vous détournerez provisoirement de l'origine du stress et vous vous recentrez sur vous-même.

• Vous améliorez votre oxygénation. L'oxygène a un effet apaisant et relaxant, il est à portée de souffle et ne coûte rien.

Autrefois, le rire était le propre

de l'homme. Mais depuis la révolution féministe, les femmes ont aussi le droit de rire et de

faire pipi debout.

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Prenez des inspirations profondes en essayant d'utiliser la totalité de vos poumons. Le stress nous amène souvent à haleter (inspirations courtes et saccadées) en utilisant seulement la partie haute de nos poumons. En travaillant la respiration abdominale, vous évacuerez l'air vicié qui restait bloqué dans le bas, et vous améliorerez fortement l'absorption d'oxygène par votre organisme.

Deux ou trois inspirations profondes peuvent suffire à évacuer la majeure partie de vos tensions.

Les acteurs professionnels victimes du trac, qui survient souvent juste avant l'entrée en scène, pratiquent très souvent quelques inspirations profondes au dernier moment.

Les tensions musculaires

Votre stress se manifeste par des tensions musculaires (muscles noués) qui consomment une grande partie de votre oxygène. Détendez-vous autant que possible.

Concentrez-vous d'abord sur la nuque, puis sur les épaules, les bras, le torse, le ventre, les cuisses et les jambes. Imaginez que de l'eau chaude coule sur chacune de ces parties et qu'elle évacue toutes les tensions qui s'y étaient accumulées. Plus vous pratiquerez souvent cet exercice, plus il sera efficace. Au bout de quelques jours, le simple fait de visualiser l'eau chaude détendra l'ensemble de votre corps en quelques secondes.

Prenez vos distances

Comme je le dis plus haut, le rire est un moyen de prendre une distance par rapport à une situation qui vous stresse. Ce n'est pas le seul et vous pouvez tentez de trouver une alternative à cette forme de fuite.

Si vous pouvez, physiquement, vous éloigner quelques instants de l'endroit où le rire nerveux menace d'exploser, cela sera sans doute la façon la plus radicale de désamorcer la crise.

Mais si le rire vous guette en plein dialogue ou en pleine action, vous pouvez aussi vous obliger à prendre une distance psychologique avec la situation. En tant qu'acteur, cela vous sera d'autant plus bénéfique que votre métier vous amène en principe à conserver, en toute occasion, une attitude d'observateur par rapport à vous-même.

L'acteur n'est pas le personnage. L'acteur est plus que le personnage. Même si vous avez la chance de savoir faire naître le personnage en vous, vous ne devez pas lui livrer votre corps et votre âme en totalité (il ne saurait d'ailleurs sans doute pas quoi en faire !).

Tandis que vous versez à votre public et à vos partenaire le nectar délicieux de votre dialogue, observez-vous, sentez-vous, écoutez-vous comme quelqu'un d'autre pourrait vous observer, vous percevoir et vous écouter.

En étant l'observateur de vous-même, vous laisser d'autant plus de chance à votre personnage de faire son chemin en vous, car vous quittez provisoirement le pont du navire... tout en en restant le capitaine ! Soyez pour votre personnage un maître bienveillant et encourageant, mais ne le laissez jamais prendre votre contrôle.

Parlez-en

Le verbe est magique. Que vous parveniez ou non à comprendre ce qui crée une tension chez vous, parlez-en avec une personne de confiance. Racontez-lui dans quelles circonstances le rire vous attrape, ce que vous ressentez à ce moment là. Décrivez-lui en détail ce qui se passe.

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Ce qu'on vous répondra n'a pas une grand importance. C'est le fait de parler qui vous aidera surtout à vous libérer, à prendre une distance par rapport à ce qui provoque votre gêne.

Si vous savez précisément ce qui provoque vos crises, le fait d'en parler peut être encore plus efficace.

Réconciliez-vous avec le problème

Problème posé par votre personnage

Si vous avez identifié le personnage comme étant la cause de votre tension, vous allez pouvoir utiliser le reste de la troupe pour vous aider à gérer le problème. Demandez-vous et demandez-leur tout ce que ce personnage peut avoir de positif.

Valorisez le (à titre d'exemple, vous pouvez lire mon apologie du méchant, qui vous indiquera des pistes), cherchez toutes les retombées positives de ses actions, mêmes si elles sont involontaires.

Imaginez-lui un passé qui expliquera (à défaut d'excuser) tout ce qui vous gêne en lui. Ayez de la compassion pour lui, soyez tendre avec lui. Essayez de l'accepter comme un frère, avec tous ses défauts.

Problème posé par la situation

Si le rire survient pendant une scène d'amour (le cas est très fréquent), identifiez le sentiment réel (mépris, attirance réelle, amusement, etc.) que vous inspire la personne en face de vous. Commencez alors par amplifier ce sentiment, jouez-le de façon exagérée (mais sincère), puis faites-le évoluer progressivement vers le sentiment d'amour que vous êtes censé jouer.

Dans la mesure du possible, expliquez précisément ce que vous êtes en train de faire à votre partenaire, aussi étrange que cela puisse lui paraître.

Quelle que soit la situation qui vous pose problème, commencez par jouer le sentiment contraire à celui que vous devriez jouer, jouez la haine si vous êtes censé être amoureux(se), jouez l'amour si vous êtes censé être haineux, jouez le calme si vous êtes censé être violent ou la violence si vous êtes censé être calme. Vous pourrez ainsi, une fois pour toute, libérer les pulsions qui créaient une tension chez vous et vous serez définitivement débarrassé de votre rire nerveux.

Faites le clown

Vous pouvez aussi tenter de vous ridiculiser une bonne fois pour toute dans la situation ou dans le rôle qui vous rend nerveux.

Allez jusqu'au bout de ce rire, buvez-le jusqu'à la lie, sautez, criez, défoulez-vous, riez aux éclats, faites le clown en exagérant à l'extrême le caractère du personnage ou la situation. Jouez votre rôle en bégayant, avec la bouche pâteuse, en imitant un débile. Jouez votre rôle en débraillé, la coiffure en désordre.

Acceptez pleinement la cause de votre tension, assumez-la, et vous en serez libéré(e).

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Le "Grec" : l'acteur "sujet"

Un acteur au centre et plusieurs autres autour de lui. Il commence un mouvement et tous les autres doivent l'aider à compléter ce mouvement. Par exemple : il lève un pied, quelqu'un se met immédiatement sous ce pied pour qu'il monte sur lui. Le protagoniste fait ce qu'il veut et les autres l'aident à se lever, à rouler sur lui-même, à s'allonger, à grimper, etc.

Le protagoniste doit se mouvoir toujours lentement pour laisser aux autres (qui doivent se mouvoir vite) le temps de découvrir ses intentions, qui ne doivent pas être énoncées. Pour mieux les découvrir, tous les acteurs doivent essayer de toucher n'importe quelle partie du corps du protagoniste et de traduire les messages musculaires qu'ils recevront.

Il ne faut surtout pas manipuler l'acteur protagoniste : c'est à lui de décider de ses mouvements. Si on veut, on peut faire deux groupes simultanés ou plus, et après quelques minutes demander aux protagonistes de changer de groupe (pas au groupe de changer de protagonistes - dans ce cas, il y aurait manipulation).

L'exercice se termine quand le protagoniste revient doucement au sol. Une fois, en Italie, j'ai dit "Stop ! " et les acteurs on jeté le protagoniste par terre. Ça c'est une erreur. Grave.

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Ne pas lâcher la rampe Ne faites pas de ricochets sur vos répliques : votre personnage ne doit pas vous quitter

Je suppose que chaque acteur a sa propre recette pour tenter de créer ces "moments forts", ces moments intenses où l'on se sent entièrement habité par le personnage et où l'on parvient à vivre un moment de sincérité totale.

Personnellement, je n'y suis que rarement arrivé au cours d'un long monologue (bien que ça reste une sorte d'idéal). Je manque peut-être encore d'expérience ou de confiance en moi pour entrer en transe tout seul, facilement, sans l'aide de personne.

Mes plus grands moments, je l'ai ai vécu au cours de dialogues, et souvent même, pendant que mon personnage n'était pas impliqué dans un dialogue : il n'était là que pour réagir à se qui se disait ou à se qui se passait sur scène, entre deux autres acteurs, par exemple.

Pour peu que mes partenaires parviennent à se laisser un peu habiter par leurs personnages et me servent une prestation à laquelle je peux croire, et HOP ! je me laisse embarquer, que dis-je, je m'immerge, je plonge dans mon rôle et je le vie avec une intensité absolue. Je suis devenu le personnage, et j'y crois si fort que ma conviction se répand en vagues autour de moi et contamine tout ceux qui se trouvent là.

L'image va peut-être vous sembler bizarre, mais dans mes souvenirs, c'est comme si la scène se mettait alors à onduler sur un rythme lent. L'espace situé au-delà disparaît dans un brouillard impalpable. Le public n'existe plus que comme une très vague présence, à peine perceptible, presque comme un souvenir.

Je sais alors que nous sommes entrés dans la magie, dans un rêve qui est devenu réalité. Nous avons matérialisé notre imaginaire, nous avons établi un pont entre les deux mondes et le fait de partager ce moment sacré me permet de palper, de voir, de sentir, d'entendre que tout ça est bien en train d'avoir lieu.

Quand la scène est terminée et que nous nous retrouvons en coulisse, nous ne disons rien, à part peut-être un "Dis-donc, qu'est-ce que c'était fort !". Mais nous sentons bien qu'il est inutile de vouloir mettre des mots sur l'inexprimable.

(Vous avez vu ? Quand je suis bien chaud, j'arrive presque à écrire des trucs aussi aware que Van Damme !)

Ne faites pas de ricochets sur vos répliques

Faire des ricochets, c'est se concentrer pendant un seconde avant de lâcher votre réplique et redevenir vous-même tout de suite après qu'elle soit finie.

"Je suis fascine par l'air. Si on enlevait l'air du ciel,

tous les oiseaux tomberaient par terre....

Et les avions aussi.... En même temps l'air,

tu peux pas le toucher... Ça existe et ça existe pas... Ça nourrit l'homme sans

qu'il ait faim... It's magic... L'air c'est beau en même temps tu peux pas le voir,

c'est doux et tu peux pas le toucher... L'air c'est un peu

comme mon cerveau... ". Jean-Claude Van Damme

Voilà les gars.

Le jour ou vous serez capables de nous sortir des phrases

comme celle-là, vous pourrez peut-être prétendre au

statut d'acteur.

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On ne peut entrer et sortir d'un personnage comme d'une auberge espagnole. Votre rôle ne se limite pas aux moments où vous parlez. Votre personnage doit prendre corps quelques secondes, ou mieux, quelques minutes avant votre entrée en scène, et ne doit plus vous quitter jusqu'à ce que vous en sortiez.

Quand c'est au tour de vos partenaires de vous adresser leurs répliques, à qui croyez-vous qu'ils souhaitent parler ? A vous, ou à votre personnage ? Comment pourraient-ils eux-mêmes rester concentrés, rester vrais, si c'est un visage vaguement intéressé que vous leur offrez comme miroir ?

Les réactions physiques de votre personnage, ses mimiques, ses gestes, ses déplacements, sont absolument indispensables à la mise en place et à la préservation du monde imaginaire qui doit se créer sur scène.

Même lorsque l'action se déroule à l'autre bout de la scène, même quand tous les regards et tous les esprits sont braqués ailleurs, n'allez pas croire qu'on ne vous voit pas. D'un coup d'œil involontaire, d'un regard en coin, d'une façon plus ou moins consciente, le public et les autres acteurs qui sont sur scène vous voient, vous "sentent", car vous faites partie de l'image.

Dans tous les cas, même et surtout pendant les répétitions, ne lâchez jamais votre personnage tant que vous êtes dans l'aire de travail.

Ne laissez pas un autre acteur commettre cette erreur

Si, pendant les répétitions, vos partenaires font des ricochets, ne les laissez pas faire. Avec un peu de travail et de conviction, vous parviendrez peut-être à contrefaire votre voix et à sembler sincère en répétant Hamlet devant un pot de confiture, mais votre corps ne se laissera pas berner. Il ne recevra pas les signaux qui pourraient l'amener à réagir, il se comportera comme un boulet que votre imagination aura bien du mal à traîner derrière elle. Pour ma part, en tout cas, je n'y parviens pas. Mes pupilles ne se dilatent pas, la sueur ne vient pas à mon front, mon cœur ne s'accélère pas, mes jambes ne flageolent pas, ma gorge ne se sert pas, si la fille à qui je dis :

"Et tout cela, pour vivre dans la sueur fétide d’un lit immonde, dans une étuve d’impureté, mielleuse, et faisant l’amour sur un sale fumier!"

... se ronge les ongles pendant ma déclaration.

Le partenaire qui vous lâche dans un moment pareil sabote votre travail et vous manque de respect. Il manque de respect à son futur public et à l'art qu'il est censé défendre en tant qu'acteur.

Dites-le lui.

La magie du théâtre ne vient pas d'un coup de baguette de fée. Elle s'installe peu à peu au sein de la troupe quand l'ensemble des acteurs y met l'énergie suffisante. Si vous perdez pied pendant une réplique ou si les caprices de votre personnage amène votre regard sur un acteur situé en dehors du champ de l'action, vous devez pouvoir vous accrocher à lui, vous nourrir de sa propre conviction, quels que soient la raison et le moment pour lesquels ce contact a lieu, et même si ce contact n'avait jamais eu lieu au cours des répétitions précédentes.

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Le sur-jeu En faire des tonnes et parfois une façon de se protéger

Y aurait-il un petit côté César ou Napoléon, bref, un petit côté "m'as-tu-vu" chez vous ?

Le masque du clown

Sans doute pas. Si l'on vous reproche parfois d'en faire des tonnes et de sur-jouer votre rôle, c'est peut-être tout simplement que vous avez tendance à cacher votre timidité sous des airs de clown.

Le sur-jeu est un masque, une protection qui cache une partie de votre personnalité derrière un écran de fumée.

Il dévoile votre tendance à planquer ce que vous considérez comme "vos défauts" derrière ce que vous considérez comme "vos qualités".

En procédant de cette façon, vous appauvrissez malheureusement votre rôle qui peut finir par devenir agaçant à force d'être toujours le même.

Parallèlement, vous vous appauvrissez vous-même et vous ne profitez pas de toutes les choses merveilleuses que le théâtre peut vous apporter. Car le théâtre est là pour vous faire grandir, par pour plaquer une couche de vernis sur un tableau figé.

Ce que vous considérez comme "des défauts" n’en sont peut-être pas aux yeux des autres. Ce que vous considérez comme "des qualités" amuse sans doute la galerie, mais crée aussi une lassitude qui vous isole finalement, dans une grande solitude. Et le clown est triste quand il est seul. Snif.

La magie ne se contrôle pas

L'idéal de l'acteur, c'est d'émouvoir son public. Votre cœur est le seul qui puisse faire ce tour de magie. Laissez-le s'envoler, laissez-le saigner s'il veut saigner, laissez-le chanter s'il veut chanter, laissez-le pleurer, s'il veut pleurer, laissez-le douter, surtout. Laissez votre cœur agir à sa guise et ne lui dites pas ce qu'il doit dire, il ne parle pas la langue de votre mental et ne vous comprendra pas.

Par l'esprit, vous ne pourrez faire qu'une démonstration qui n'intéresse personne. Ne le prenez pas mal, mais le public ne vient pas pour voir ni pour admirer qui que ce soit : il vient pour vibrer, pour trembler, pour rire et pour pleurer. Il ne vient pas pour vous ni pour aucun autre acteur, il vient pour le spectacle. Si vous vous interposez entre la magie du spectacle et le public, vous déclencherez la critique et le mépris, pas l'admiration.

Le spectacle est une œuvre collective que vous devez servir humblement. C'est un mélange bizarre et hétéroclite de personnes, de lumières, de décors, d'une histoire et d'une vision que le metteur en scène aura tenté de donner à tout ça. Vous n'êtes qu'un pion, un élément parmi d'autres. Si on ne vous remarque pas, c'est peut-être que vous êtes tout simplement parfait dans votre rôle et que votre perfection contribue à cette fabuleuse magie qui emporte les spectateurs au-delà de la scène. Leur regard ne s'arrête pas sur vous, il va bien au-delà, guidé par votre personnage dans un monde imaginaire.

Comme je compte le démontrer dans cette page, et malgré le

nombre indécent de filles faciles qui lui tombaient sans doute toutes crues dans ses bras

cruels et velus, César n'était pas un homme heureux. Il paraît qu'il était triste

quand il était seul.

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La sincérité est la clé de tout

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l'acteur ne travaille pas pour le public : il travaille pour lui. Le texte est son maître, son guide, son gourou. Le texte propose des émotions, parfois difficiles à décoder, qui sont autant de graines de bonheur, d'intensité, de surprises, que l'acteur cultive égoïstement et fait pousser pour lui seul. Et c'est très bien ainsi.

S'il prend suffisamment soin de ces plantes très exotiques, elles lui donneront autant de super-pouvoirs dont il n'aura pourtant nul besoin de faire un usage conscient. Car ces super-pouvoirs ne se manifestent qu'à leur guise, et seulement quand cela est utile est nécessaire. Qu'il continue a les choyer, à les dorloter, à les laisser grandir en lui, et il grandira avec eux.

Le bonheur est à la clé. Le bonheur se trouve parfois, mais il ne se cherche pas. Il se laisse accueillir, tout simplement.

Accueillez-vous, entièrement, totalement. Aimez-vous intensément et sans partage, aimez toutes les parties de vous-même, y compris les plus sombres, les plus "méprisables", les moins présentables, les moins admirables.

Balancez ça au public et vous serez aimé tout entier, pour vous-même et pas pour votre apparence.

Allez, courage !

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Caricature et intériorisation Deux façons de jouer, deux philosophies opposées

Du masque à la méthode Stanislavski

Dans le théâtre antique et jusqu'au XVIIe siècle, les acteurs portaient des masques qui couvraient l'ensemble de leur visage. L'intériorisation du rôle n'avait de toute évidence aucun sens dans ce contexte. Les spectateurs étant très éloignés de la scène, les gestes devaient être exagérés, les voix fortes et les intonations forcées afin que les caractères puissent être perceptibles par le public.

Dans le "No" (art théâtral japonais), le masque est encore l'attribut obligé du comédien.

Le jeu de l'acteur masqué est à la fois plus subtil et plus grossier que celui de l'acteur à visage nu. Comment exprimer la joie ou la colère sous un masque ? En faisant trembler sa main, en frappant le sol avec le pied, en faisant des gestes brusques avec la tête, par exemple.

Le masque oblige l'acteur à maîtriser parfaitement son corps et fait appel à l'imagination du spectateur. Selon Arianne Mnouchkine : "Un certain type de cinéma et de télévision nous a habitués au “psychologique”, au “réalisme”, au contraire d’une forme, donc au contraire de l’art ; on dispose les acteurs dans un décor, mais le plateau ne leur appartient plus vraiment. Alors qu’avec le masque, ils créent leur univers à chaque instant."

Au XVIIe siècle, le masque est définitivement abandonné en Europe sous sa forme physique, mais on peut considérer qu'il reste présent sous sa forme symbolique car le jeu des acteurs est toujours emphatique et exagéré. Les personnages sont joués d'une façon caricaturale afin de s'assurer que le public a bien compris leur nature.

Avec l'amélioration des salles de théâtre qui bénéficient désormais d'une meilleure acoustique, le jeu se fait rapidement plus subtile. Molière, en tant qu'acteur, montra à ses contemporain qu'un jeu "naturel" pouvait mieux servir la pièce et l'histoire que le jeu caricatural qui se pratiquait jusqu'alors.

Le siècle des lumières à soif de raffinements et le soucis du réalisme s'impose au théâtre comme dans en littérature. Il triomphe avec le "naturalisme" qui tente de présenter "des tranches de vie, mise sur scène avec art", selon Jean Jullien (1854-1919).

Constantin Stanislavski apporte à ce nouveau genre une réflexion profonde sur le travail de l'acteur qui recherche "la sincérité du jeu et la vraisemblance la plus parfaite". Il propose aux acteurs d'utiliser leurs souvenirs, leur "mémoire affective" pour vivre les émotions sur scène au lieu de les singer.

D'autres écoles de la même époque (le cinéma soviétique, par exemple) sont en totale opposition avec la "méthode Stanislavski" : l'acteur y est considéré comme une sorte de machine à la disposition du metteur en scène, il doit pouvoir contrôler son corps de manière mécanique pour obtenir les mouvements et l'attitude prévus par le scénario ou par la volonté du metteur en

Le masque d'Iron Man

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scène. Avec cette façon de travailler, parfois appelée "biomécanique", il n'y a plus de place pour les émotions de l'acteur. Cette façon de voir revient finalement à retenir l'imitation comme la seule approche valable de l'interprétation.

Clint Eastwood, Barbra Streisand, Robert Redford et Paul Newman sont quelques-uns des acteurs formés par

l'Actor's Studio

La "méthode Stanislavski" fut cependant reprise par l'Actors Studio dans les années 1950 et devint définitivement la référence aux États-Unis pour le théâtre et le cinéma, lorsque des élèves comme Marlon Brando, James Dean ou encore Elizabeth Taylor rencontrent le succès.

De nos jours, l'"Actors Studio" a essaimé dans le monde entier est a finit par devenir le nom moderne de la méthode Stanislavski plutôt qu'une institution localisée dans un lieu précis. Cette méthode fait désormais figure de passage obligé pour tout comédien souhaitant évoluer dans le monde du théâtre ou du cinéma.

Revenons au masque !

Le masque, ou ses formes symboliques que sont l'exagération et la caricature d'un personnage, garde un intérêt irremplacable : il permet au spectateur de prendre sa distance par rapport à l'histoire ou au personnage.

Comme je l'explique dans "Tragédie et comédie", la distanciation est absolument indispensable à certains effets :

• Dans la comédie, elle provoque le rire en permettant au spectateur de dédramatiser une situation tragique.

• Dans la tragédie, elle permet au spectateur de se protéger d'une trop grande identification au héros, dangereuse dans la mesure ou le héros vit une situation insoutenable qui va le conduire au sacrifice.

Le refus de la caricature peut-être une forme de snobisme. Quand un amateur interprète le personnage de l'Avare selon la méthode Stanislavski, il y a, à mon avis, un contre-sens. Ce personnage, issu de la farce, est une caricature par essence. En "faire des tonnes", "forcer le trait" et faire rire de l'exagération, c'est ce que Molière faisait en l'interprètant.

Dans les grandes lignes, notre époque privilégie clairement le jeu réaliste et porte un regard agacé et dédaigneux sur les acteurs qui "en font trop".

Mais le symbolisme du masque et du jeu caricatural dégage une poésie qui peut toujours séduire lorsqu'il est utilisé à bon escient. La commedia dell'arte (caricaturale à l'extrême) semble retrouver un certain intérêt auprès de metteurs en scène modernes (Markus Kupferblum, Attilio Maggiulli, Marc Favreau, ...).

La tradition des masques et du jeu forcé survit encore aujourd'hui à travers les clowns (dont le nez rouge est une symbolisation du masque) et à travers quelques comédies "latines" de théâtre et de cinéma telles que La Vita e bella de Roberto Benigni en 1998. Le cinéma américain reprend également ce type de jeu dans de nombreuses comédies d'aventures et/ou destinées à

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un public adolescent ("Ace Ventura", "The Mask", "The Grinch", "Scary Movie", "Austin Powers", "Borat", "Pirates des Caraïbes", etc.)

Par ailleurs, les films de super-héros (qui portent un masque !) sacrifiant délibérément le réalisme et la vraisemblance au profit de l'action et du rêve, remportent un succès de plus en plus vif depuis les années 2000.

Comme ce fut le cas tout au long de l'histoire, il semble que le poids de l'académisme empêche le jeu caricatural de se développer dans les formes artistiques "officielles" du théâtre, alors qu'il continue de faire rire et rêver sans complexe dans ses formes populaires (le cinéma grand public).

Quelle stratégie choisir ?

L'acteur accompli doit maîtriser aussi bien le jeu caricatural que le jeu intériorisé. Il doit voir ces deux types de jeux comme complémentaires plutôt que contradictoires. Son choix d'interprétation dépendra autant de la nature du personnage que de sa propre inspiration.

Jouer du Tchekov en grimaçant peut donner un résultat grandiose si vous savez ce que vous faites et pourquoi vous le faites.

Jouer ou mettre en scène "L'Avare" dans la retenue et l'intériorisation peut également être une démonstration de génie si vous vous sentez de taille à recréer cette pièce dans une nouvelle perspective.

Soyez simplement conscient de ce que vous faites et des goûts du public. Nous ne sommes plus habitués aux masques et aux jeux forcés (symbolisés) mais nous sommes tous disposés à nous laisser surprendre quand le talent est au rendez-vous.

Le masque du film

"The Mask"

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Le miroir L’exercice du miroir est un grand classique

de l’enseignement du théâtre

Cet exercice très simple est l'un des plus instructifs que l'on puisse pratiquer au cours d'une séance de formation. Il est en rapport avec l'improvisation (pour le modèle) et avec l'imitation (pour le miroir).

Objectifs

• Développement des capacités d'improvisation et d'imitation • Acceptation du regard de l'autre sur soi-même

Déroulement

On place deux participants face à face, debout de préférence. L'un des deux participants est le "modèle". Il laisse libre cours à son imagination et improvise ce qu'il veut : grimaces, mime, extrait de scène, etc. L'autre participant essaye de se comporter comme un miroir et imite le premier en "collant" le plus possible au moindre de ses mouvements et de ses paroles. Dans l'idéal, il ne doit y avoir aucun décalage entre les deux participants.

Témoignage de cet exercice sur theatre.brette.biz :

Pour le comédien qui initie, la nécessité d'avoir un état lisible sans chercher à montrer, pour le comédien qui reflète, orienter sa réceptivité bien davantage sur la perception de l'état et de l'intention de l'autre que sur les détails de l'action, sans pour autant renoncer à la précision.

(...)

Les moments les plus poétiques, drôles, ceux où cela fonctionne le mieux en général sont souvent les plus simples. La recherche d'un scénario compliqué ou d'une "histoire" n'apporte souvent pas grand chose.

Le participant jouant le rôle du miroir doit essentiellement se baser sur son intuition s'il veut parvenir à suivre les mouvements du modèle en temps réel.

Le modèle peut regarder le miroir comme il regarderait un vrai miroir et faire mine de se maquiller, de se coiffer, etc. mais il peut aussi l'ignorer totalement et jouer une petite impro n'ayant pas de rapport avec l'exercice.

Voici le récit de cet exercice réalisé au cours d'un stage d'Augusto Boal par Christophe Tournier (source : FIG)

"Deux personnes sont face à face: l'un est le leader, l'autre son reflet dans le miroir. Ils sont tour à tour leader. Ensuite ils sont miroirs, l'un face à l'autre sans que l'on puisse définir qui est l'instigateur. Par la suite, 2 miroirs se rencontrent, chacun gardant son propre miroir et les miroirs interagissent l'un avec l'autre.

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Tout à coup les miroirs se brisent. Trouver dans la foule des miroirs brisés, un nouveau miroir sur lequel on va s'ancrer. Se suivre sans discontinuer. Trouver un rythme commun aux miroirs. S'assembler aux autres miroirs. Mélanger les rythmes. Se greffer. Au final, c'est un gigantesque hologramme de 40 personnes qui dansent sur un rythme similaire. L'exercice a duré une vingtaine de minutes. Je l'avais pratiqué auparavant mais rapidement. Dans la durée, il me paraît cette fois d'une grande intensité."

Observations

Au fur et à mesure du déroulement de l'exercice, le modèle éprouve généralement une gêne de plus en plus importante à voir le moindre de ses gestes reproduit par le miroir. La personne miroir perçoit cette gêne plus ou moins consciemment et se met à exagérer ses mimiques, à se comporter comme une caricature qui augmente encore la gêne du modèle.

Bien qu'amusante, cette dérive vers un exercice clownesque n'est pas forcément toujours intéressante dans un cours de théâtre. Quoi qu'il en soit, il est bon d'avoir conscience de ce phénomène et d'en prévenir les participants. Ils pourront alors, en fonction de leurs choix ou du votre, accentuer ou réprimer cette tendance.

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Le théâtre-image

Visualisation de l’oppression et de sa solution à l’aide de "sculptures" humaines

Extraits choisis de "Jeux pour acteurs et non-acteurs" d'Augusto Boal

La technique est très simple :

On demande aux spectateurs de former un groupe statues qui montre, visuellement, une pensée collective sur un thème donné. Par exemple en France, le chômage ; au Portugal, la famille ; en Suède, l'oppression sexuelle masculine et féminine.

L'un après l'autre, les spect-acteurs montrent leur statues ; un premier avance. Si le public n'est pas d'accord, un second spect-acteur refera la statue, différemment ; si le public n'est que partiellement d'accord, les autres spectateurs pourront modifier en partie la statue de base ou la compléter. Quand finalement tout le monde sera d'accord, on sera parvenu à la statue réelle qui est toujours la représentation d'une oppression.

On demande alors aux spectateurs de construire la statue idéale, dans laquelle l'oppression aura disparue, et la représentation de la société que l'on désire construire, dans laquelle les problèmes actuels auraient été surmontés.

On revient alors à la statue réelle et le débat commence : chaque spectateur, à tour de rôle, a le droit de modifier la statue réelle, afin de montrer visuellement comment il sera possible, à partir de la réalité concrète de créer la réalité que nous désirons.

Les spectateurs s'expriment rapidement (pour éviter qu'ils ne pensent avec des mots et qu'ils n'essaient ensuite de transformer leurs mots en représentations concrètes) ; en réalité, on essaie de faire en sorte que le spectateur pense avec ses propres images, qu'ils parle avec ses mains, comme un sculpteur. Puis on demande aux statues qu'elles modifient elles-mêmes la réalité oppressive, au ralenti ou par mouvements intermittents. Chaque "statue" doit agir comme un personnage, et non avec ses traits de caractère personnels.

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Le guide de l’impro Petit guide pour mener des exercices d’impro

au sein d’un groupe

Les exercices d'improvisation occupent une place à part dans les stages de formation au théâtre. Ils offrent un champ d'expérimentation extrêmement ludique tout en permettant la mise en pratique de la plupart des techniques enseignées pour le théâtre "classique".

Il sont l'occasion :

• De créer un petit atelier d'écriture : l'enseignant peut proposer aux participants d'élaborer un scénario lors d'un cours ou à la maison. Cet exercice permet à chacun de s'intéresser et d'expérimenter les règles de bases de l'écriture théâtrale. Cette pratique facilitera plus tard la compréhension et l'acceptation des scénarios qui seront joués par l'acteur.

• D'adapter son jeu aux réactions du public : l'improvisation est sans doute la plus interactive des différentes formes de théâtre. En tant que meneur de jeu, vous devrez encourager la prise en compte de l'impact du jeu et de l'histoire sur le public, tout en veillant à éviter toutes les formes de "cabotinage" (l'acteur qui se montre en tant qu'acteur au lieu de servir son personnage).

• De renforcer la cohésion de la troupe : le théâtre est avant tout une œuvre collective. Les improvisations le démontrent avec une grande force. Les acteurs constateront que la réussite dépend étroitement de la capacité de chacun à accepter les propositions des autres, de rebondir sur le jeu des autres et de laisser aux autres des pistes, des ouvertures, qui leur laisseront la possibilité d'enrichir à leur tour le spectacle.

Comment créer une bonne histoire en improvisation

L’histoire est l’un des éléments les plus importants d’une improvisation réussie. Les joueurs d’impro ont parfois tendance à oublier de construire une histoire solide, ce qui débouche sur des scènes ennuyeuses.

Depuis l'origine des contes, du théâtre et de toutes les formes de récits, on peut constater que le "squelette" d'une histoire captivante comprend trois éléments de base :

• Le début (installation du lieu et du contexte), • Le conflit, (problème, dilemme ou tout autre situation amenant une tension) • La résolution de la tension (souvent appelée "catharsis" ou "dénouement").

Pour demeurer efficace, une bonne impro doit présenter aux spectateurs des faits dans un ordre logique, chaque évènement entraînant l'autre d'une façon "naturelle" et chronologique. Comme toute règle, cette affirmation peut être contredite si les acteurs font preuve de créativité et d'une bonne maîtrise. Un évènement improbable et inattendu, voire même illogique (flash back, par exemple) peut parfois créer une surprise bienvenue dans un scénario trop linéaire. Mais les improvisateurs doivent garder à l'esprit que ce type de montage peut gêner la compréhension et amener les spectateur à se désintéresser de l'histoire. Le "fil" principal de l'histoire ne doit jamais être rompu.

Le "tempo" est également très important. Le conflit ne doit pas être réglé trop tôt ni trop tard. La tension doit monter progressivement et le plus haut possible avant de trouver son issue.

Remarque : le "début" d’une improvisation ne correspond pas nécessairement au début du spectacle ; l’impro peut facilement commencer au beau milieu d’un événement excitant, mis en

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place pour "chauffer" le public et les acteurs. Les improvisateurs expérimentés s’amuseront aussi à chambarder l’ordre des événements et la présentation des faits pour rendre le tout encore plus vivant et intéressant et pour éviter la redite lorsque le même thème est exploité plusieurs fois.

Préparation à l'écriture

Voici quelques activités qui aideront à développer l’aptitude à créer des histoires bien structurées et captivantes :

L’histoire en une phrase

Pour ce jeu, les joueurs doivent se placer en cercle (un nombre de 10 joueurs est idéal). Un joueur commence une histoire avec une phrase (ex : Par un beau matin de printemps, je mets mes bottes de caoutchouc et je pars pour la grande ville.). Le joueur suivant doit enchaîner avec une autre phrase en continuant l’histoire. Le but du jeu est de créer une histoire complète (avec un début, un milieu et une fin) en un seul tour de cercle.

Lorsque l’histoire arrive au dernier joueur, celui-ci doit être en mesure de conclure le récit sans qu’il y ait de trous ou de lacunes dans l’histoire. Attention par conséquent aux histoires "parallèles" que les participants les plus créatifs auront tendance à introduire dans le thème principal. Si elles sont trop nombreuses ou complexes, le fil de l'histoire peut s'en trouver perturbé ou brisé, les "sous-histoires" ne pouvant pas être résolues.

Si le nombre de joueur est inférieur à dix, ou dans le seul but d'introduire une variante, le maître de jeu peut décider que l’histoire devra être terminée en deux ou trois tours de cercle. Plus le nombre de tours est important, plus l'histoire sera complexe.

DCR (début-conflit-résolution)

Ce jeu nécessite trois joueurs. Le premier joueur commence une improvisation en installant le lieu et le contexte (le début). Pendant une trentaine de secondes (la durée peut varier selon le niveau d’expérience des joueurs), le joueur devra faire comprendre aux autres où et quand se déroule l’improvisation (hôpital, château, boulangerie, cinéma, aujourd’hui, au Moyen âge, lors de la Grande dépression, etc.)

C’est ensuite au tour du deuxième joueur de faire son entrée et d'installer un conflit entre lui-même et le joueur déjà en piste. Il se basera sur n'importe qu'elle situation pouvant créer une tension (jalousie, paresse, incompréhension, compétition, désastre naturel, etc.)

Les deux joueurs doivent improviser ensemble pour rendre explicite le conflit. Le troisième joueur fera ensuite son entrée et offrira une résolution au conflit établi.

Remarque : la résolution du conflit n’est pas nécessairement toujours amicale et facile. En fait, plusieurs histoires peuvent finir en queue de poisson. Il est intéressant de voir les nombreuses façons différentes et inédites de résoudre une histoire.

Construction des personnages

Voici quelques exemples d’activités qui aideront les improvisateurs à construire des personnages efficaces.

La création de personnages est une capacité que doit maîtriser tout bon joueur d’improvisation. Un acteur jouant dans une pièce "normale" peut s'appuyer sur le metteur en scène ou les indications de l'auteur pour construire son personnage. L'acteur improvisant devra se débrouiller

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par lui-même. Le talent de chacun dans ce travail déterminera pour une bonne part la réussite de l'improvisation.

Il est plus facile pour l’improvisateur de construire ou de faire évoluer l'histoire, lorsqu'il est à l'aise avec son personnage. Il arrive d'ailleurs souvent que ce soit le personnage qui guide l’improvisation sans même que l’on s’en rende compte.

On encourage aussi le joueur à se développer une banque de personnages, pour pouvoir y puiser à n’importe quel moment du spectacle. Ces personnages doivent être complexes et intéressants. Le public appréciera d’autant plus le spectacle si les personnages qui en font partie sont crédibles, ou du moins, assez captivants pour garder l’attention de la foule.

Lors d’une improvisation, un joueur ne doit jamais décrocher de son personnage. Il ne faut pas qu’un personnage trop bizarre ou complexe ne vienne nuire à l’évolution de l’improvisation.

Pour bâtir des personnages riches et complexes, l’improvisateur doit considérer cinq éléments :

• Le physique (façon de se déplacer, la posture) • La voix (timbre de voix et façon de s’exprimer) • Les tics et manies (exemple : remonter les lunettes sur son nez) • Le passé (ce qu’a déjà vécu le personnage) • Le caractère et la personnalité

Canevas de personnage

Les joueurs se placent, à tour de rôle, au centre de l'aire de jeu, en position neutre. Le maître de jeu demande alors à un joueur de se trouver un personnage (ex : vieillard, infirmière, chevalier, espion, etc.) et lui demande de se promener dans l’espace avec les traits physiques du personnage. Si, par exemple, le joueur incarne un vieillard, il marchera à petits pas avec le dos courbé.

Le maître de jeu propose ensuite au joueur de trouver une voix pour son personnage. Pour terminer l’exercice, le joueur devra incorporer un tic (un mouvement répétitif) à son personnage (main dans les cheveux, coups d'œil répétitifs à sa montre, balancement des bras, etc.)

Le joueur doit alors présenter son personnage au groupe pendant une trentaine de secondes (ou plus longtemps pour des joueurs d’expérience) en faisant un petit monologue dans lequel il parle de sa vie et laisse transparaître sa personnalité et son caractère. Le maître de jeu peut aussi poser des questions au personnage afin de faire ressortir une histoire et une motivation quelconque. À la fin, le joueur d’impro a créé un personnage complet qui comprend les cinq éléments mentionnés plus tôt.

Remarque : si un joueur est intimidé pas la présence des autres, le simple fait de fermer les yeux lui permettra d’oublier le regard des autres participants.

Le banc de parc

Pour installer ce jeu il ne suffit que de deux chaises (ou un banc, si possible), installées devant les participants. Le maître de jeu demande à un joueur de prendre place sur le banc en incarnant un personnage.

Une fois le personnage bien installé, le maître de jeu invite un autre joueur à prendre place (avec son personnage) à côté du premier. Une courte interaction entre les deux personnages s’ensuit, où il sera très important que les personnages présentés soient clairs et "présents" tout

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le long de l’impro, et que les observateurs soient en mesure de comprendre clairement qui fait quoi.

Le premier joueur doit ensuite se trouver une raison de quitter le deuxième. Il est important que la raison du départ demeure liée aux personnages et à la situation présentée. C’est maintenant au tour d’un autre joueur de prendre place sur le banc et le processus recommence.

Déroulement des improvisations

La règle d'or à respecter est : "Ne jamais dire non". Dès qu'un participant refuse la proposition d'un autre, l'histoire risque de se bloquer ou d'hésiter et le tempo de l'improvisation sera brisé.

Dans le cas ou un participant est vraiment gêné par une proposition, il doit néanmoins se respecter et peut tenter de la détourner ou de la remplacer par une contre-proposition immédiate. Il doit toutefois avoir conscience que, même dans ce cas, le participant qui avait émis la première proposition risque d'être désarçonné ou frustré.

Exemple :

- Nous allons devoir coucher ensemble pour convaincre ton père que nous nous aimons encore. Tu devras crier le plus fort possible pour que toute la maison t'entende.

- Coucher ensemble ? (plutôt que d'opposer un refus, l'actrice répète la proposition pour se donner le temps de réfléchir) Est-ce qu'on ne pourrait pas simplement faire semblant ? Tu sais, je simule ça très bien (il s'agit de la contre-proposition).

- Pourras-tu simuler les poches sous les yeux ? Pourras-tu simuler les cheveux défaits, la peau rougie par les tendres caresses, les lèvres gorgées d'amour et le bonheur calme qui s'installe dans le regard d'une femme comblée ?

- Arrête, tu me fais envie ! Si on joue à la belote toute la nuit en criant comme des bêtes, je suppose que ça suffira... A condition que tu me laisses gagner, comme ça j'aurais l'air heureuse.

Si les participants sont clairement informés et prennent cette règle comme base de création, les choses avancent généralement avec une grande facilité.

Quelques conseils d'un participant

Sur le site "Le cours de français", Jean-Pierre Leclercq, propose 8 conseils issus de son expérience avec Guy Ramet :

1) L’improvisation, c’est la montée progressive d’une tension L’improvisation offre un sommet et une chute. Plus le sommet sera élevé, plus la chute sera belle et plus l’improvisation sera réussie. Si le sommet arrive trop tôt, l’improvisation sera également ratée. Pour atteindre le sommet la collaboration de tous les partenaires est indispensable. De même que la chute doit être trouvée par tous les partenaires ! 2) Ne pas se croire «arrivé» Travailler, dès le départ, en étant plein de vide (en se disant que nous ne sommes pas géniaux au départ !) : l’humilité est très importante. Laisser les choses monter en soi. 3) Ne pas s’enfermer à vouloir faire ou dire des choses Bien laisser venir les choses : une tension intérieure me poussera peut-être à faire un

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mouvement particulier qui me poussera à dire quelque chose de particulier. Ne jamais préparer à l’avance ce que l’on va dire ou faire. Pas de phrases inutiles (dans le but de remplir un silence !). Exploiter la petite ruelle prise et en faire un boulevard (ne pas exploiter plusieurs pistes différentes). 4) S’appuyer sur ses partenaires En effet si j’estime que la provocation de mon partenaire est bonne, je dois m’appuyer sur lui et accepter sa proposition. Même si cette proposition me semble difficile à réaliser. Si sa proposition me semble mauvaise, je ne dois pas l’accepter pour lui faire plaisir ou par facilité ! En outre si l’autre réagit toujours de la même manière et que cela m’énerve, je dois apporter mon énervement sur le plateau. 5) Ne pas vouloir «faire» un mouvement Ne pas créer des mouvements artificiellement. Ne pas se déplacer d’abord par les yeux (ne pas dire : «Tiens ! Où irais-je bien ?»). Le mouvement doit provenir d’une nécessité intérieure. De plus, c’est le mouvement qui doit susciter la parole, et non l’inverse. 6) Ne pas oublier l’espace Il faut que les espaces soient clairs : il y a énormément de choses à faire dans son espace (si je rentre dans un autre espace, des choses énormes doivent se passer). Ne pas me déplacer dans l’espace pour le plaisir de me déplacer : ce déplacement doit provenir d’une nécessité intérieure. Ne pas jouer dos au public. 7) Ne pas avoir peur du ridicule Si l’on n’a pas peur du ridicule, les différents partenaires pourront plus facilement s’appuyer l’un sur l’autre et l’improvisation risque d’atteindre un sommet élevé. 8) Respect, confiance, tendresse Respect du partenaire à travers l’improvisation (ne jamais me moquer de mon partenaire). Respect du public à l’égard des acteurs : le spectateur peut, bien entendu, rire mais il ne doit jamais se moquer de l’acteur. Confiance des acteurs les uns envers les autres. Confiance à l’égard de l’animateur. Tendresse : si un partenaire semble «patauger», pourquoi ne pas lui donner un petit coup de pouce plutôt que de le laisser tomber ou de jouer «mon petit numéro» tout seul !

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La théorie du pneu Lâcher prise tout en gardant le contrôle : la quadrature du cercle du comédien

Bernard Berger, auteur de BD célèbre en Nouvelle-Calédonie, m'a raconté que l'un de ses jeux d'enfant consistait à faire rouler un pneu devant soi, en le poussant, et en rétablissant au besoin sa trajectoire, à l'aide de 2 baguettes en bois, tenues comme le montre le dessin ci-contre.

Le but du jeu était d'aller le plus vite possible et de contrôler la trajectoire du pneu avec le minimum d'interventions, afin de mettre l'essentiel de l'effort dans la poussée.

Cet exercice me fait furieusement penser à ce que j'essaye de faire en tant qu'acteur : pousser mon personnage en avant, une fois lancé, le laisser avancer par sa propre force d'inertie, et le remettre de temps en temps dans la bonne direction, d'un geste doux et précis, qui se fera aussi rare que possible.

C'est ma façon de résoudre la quadrature du cercle du comédien : devenir son personnage sans s'y noyer tout à fait.

La quadrature du cercle

A lire les propos des théoriciens du théâtre, on fini par perdre son latin et ne plus savoir quelle est la bonne attitude.

Faut-il s'"immerger" dans son rôle, comme on le lit souvent et comme le propose (parmi des centaines d'autres) Attilio Di Costanzo dans son "journal d'un comédien" :

"Il ne s'agit pas de singer, d'imiter. En un mot, il ne s'agit pas de faire, mais d'ETRE. (...) Le terme "incarner" n'est pas anodin puisqu'il est le pilier de la méthode (de l'Actor's Studio) : le comédien ne fait pas, il EST. Il ne joue pas, il VIT les choses."

Ou faut-il garder ses distances comme le recommandent Stanislavski... :

"N'oubliez jamais que sur scène, vous restez un acteur. Ne vous éloignez pas de vous-même. Dès que vous perdrez ce contact avec vous-même, vous cessez de vivre réellement votre rôle..."

... et Augusto Boal :

"Quand un acteur se montre incapable de sentir, au cours de répétitions, une vraie émotion, il travaille sûrement "à côté". Mais l'acteur qui perd son contrôle est lui aussi "à côté".

Il faut donc, pour résoudre ce dilemme, être capable de devenir le personnage tout en restant soi-même. Si on le lit plus attentivement, Stanislavski nous met d'ailleurs sur la piste :

Dessin de Bernard Berger

La brousse en folie

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"Pensez-vous que l'acteur va imaginer toutes sortes d'impressions nouvelles, ou même s'inventer un caractère différent pour chacun de ses rôles ? Combien d'âmes devrait-il avoir ? Comment pourrait-il arracher la sienne pour lui en substituer une autre ? Où la trouverait-il ?"

Mais comment pourrais-je devenir mon personnage tout en restant moi-même si je doit jouer le rôle d'un tueur, d'un menteur, que sais-je, d'un violeur, d'un manipulateur, d'un homme cynique, défaitiste, déprimé, suicidaire,... ?

Comment pourrais-je ETRE un tel personnage ?

Ouvrir les yeux sur soi-même

Peut-être faut-il, pour commencer, accepter de regarder tout ce que je peux avoir de commun avec le personnage infâme que l'on me demande de jouer.

Car je suis beaucoup moins pur que j'aimerais à le penser. Mes belles valeurs morales et mon attitude si politiquement correcte ne m'ont pas été offertes dans un emballage cadeau à la naissance : je les ai travaillées, encouragées, nourries, afin de devenir ce que je vois de moi-même aujourd'hui.

Mais je suis humain. Mes pulsions instinctives ne sont que domestiquées, elles ne sont pas mortes. Comme tout être humain - même s'il n'est pas toujours plaisant de le reconnaître - je porte en moi de la violence, de la haine, de la colère, de l'orgueil, de la gourmandise et - paraît-il - bien d'autres pêchés capitaux.

Au fond, ma nature profonde n'est pas différente de celle du personnage le plus infecte. Lui et moi, sommes deux êtres humains façonnés par leurs histoires personnelles, par les circonstances de la vie et par les choix que nous avons adoptés dans ces circonstances.

Il aurait sans doute fallu peu de chose pour que l'un de nous deux bascule du côté de l'autre. Si je cesse de porter un regard de juge intransigeant sur mon personnage, je lui accorderai sans doute quelques "circonstances atténuantes" et je pourrai mieux comprendre comment il a pu en arriver là. Si je porte un regard un peu moins idéalisant sur moi-même, je constaterai que je ne suis pas tout à fait un ange et que mes qualités ne sont pas forcément "naturelles" mais qu'elles résultent d'un effort permanent pour dompter la bête que je porte en moi.

Il me vient alors la question cruciale : suis-je capable de réveiller cette "bête" et de jouer avec elle, ou suis-je trop fragile pour cela ?

Le jeu d'acteur est une thérapie

La psychanalyse nous a prévenu depuis longtemps : on ne peut pas supprimer ses pulsions, on ne peut qu'apprendre à les gérer (au mieux) ou à les refouler (au pire).

N'étant pas Bouddha ni le Dalaï-Lama, je ne doute pas qu'un certain nombre de mes pulsions sont hélas d'avantage "refoulées" que "gérées".

Si j'évite de mettre mon poing sur la geule au premier conducteur impoli que je croise, est-ce parce qu'on m'a appris que ça n'"était pas bien" ou est-ce le fruit d'une réflexion philosophique personnelle sur les méfaits de la violence ? Dans le premier cas, j'aurais simplement refoulée mon envie de frapper en obéissant aveuglément à une interdiction. Dans le deuxième cas, j'aurais du commencer par assumer ma violence intérieure pour pouvoir mieux la maîtriser et peut-être, l'orienter dans une direction plus favorable à mon développement personnel.

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C'est mon travail de réflexion, mes capacités de remise en question, qui me permettent de gérer mes pulsions au lieu de les refouler. C'est grâce à elles que je m'appartiens chaque jour un peu plus, que j'agis en fonction de mes propres choix et non plus en fonction du cadre rigide de l'éducation, de la loi, des règles de toutes natures.

C'est pour cette raison que je vois le travail de l'acteur comme une thérapie. En m'invitant à ré-explorer certaines parties un peu obscures de ma personnalité, ce travail m'amène à mieux les accepter, à mieux les assumer et donc à mieux les gérer.

Mon travail d'acteur m'oblige à plus de sincérité, il me guérit de mes hypocrisies.

Si je refuse de voir la violence que je porte en moi, elle finira tôt ou tard par me péter à la figure sans prévenir. Si je l'accepte, si je joue avec elle quand elle est calme et inoffensive, je l'apprivoise, je la dompte et j'en fait une force qui pourra me servir en cas de crise.

Lâcher prise tout en gardant le contrôle

Voilà qui nous ramène à mon histoire de pneu.

En tant qu'acteur, je dois donc lâcher prise sur mes tabous, mes interdits de toute sorte, je dois parfois accepter de plonger dans les profondeurs de mon âme pour y dénicher les pulsions les moins avouables de ma nature humaine.

Je dois parfois revêtir des vêtements que j'avais soigneusement pliés dans l'espoir de ne plus jamais les porter : l'avarice, la jalousie, le défaitisme, la destruction, la haine aigre-douce, que sais-je encore...

Ces habits me vont : ce sont les miens, je dois bien me l'avouer.

Mais cette fois, je les porte par choix, par jeu, et cela fait toute la différence. Je me déguise l'espace d'une répétition ou d'une représentation. Je me déguise en un moi-même qui n'est qu'une partie de moi-même.

L'autre partie est toujours là, quelque part en observateur. Bien qu'invisible, elle dirige le jeu, remet le pneu dans la bonne trajectoire ou le relance quand il a tendance à ralentir. Le stoppe, éventuellement, s'il a tendance à partir trop vite.

Emotion et réflexion

Allez ! je vous dis quel secret j'ai découvert : le public ne voit que l'émotion, il ne devinera jamais vos réflexions.

A travers le théâtre, je cherche à vivre et à offrir de l'émotion. Mais mon personnage n'est pas qu'un bloc d'émotion : il est censé être, comme tout être humain, un mélange d'émotions, d'instincts et de réflexions.

Je vais donc raviver ses instincts et ses émotions, les amplifier et les laisser vivre à travers moi. Mais je conserverai jalousement ma réflexion. Sur le plan du mental, je suis et je reste moi-même.

Mon corps réagira à mes émotions, il affichera tous les signes qui y correspondent, tremblements, sueur, voix étranglée, etc... C'est tout ce que le public verra.

Dessin de Bernard Berger

La brousse en folie

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Mon mental, lui, ne fera que "semblant". Il lira le texte qu'il est censé lire, laissant à mon corps et à mes émotions le soin de l'enrober, de l'habiller, de lui donner la saveur qui lui convient.

Le secret consiste donc à faire un rêve éveillé, à laisser une partie de moi croire à quelque chose que ma conscience sait bien être fausse.

N'est-ce pas ce que font tous les enfants quand ils jouent aux cow-boys et aux indiens, à la princesse et au Prince charmant... ou aux courses de pneus ?

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Le doute J’y arriverais pas, je ne suis pas capable de faire ça... Vraiment ?

Au début, vous y avez cru. Et puis... bah... vous commencez à vous dire que ce n'est pas votre truc.

Pour être franc, vous ne vous attendiez pas à ce que ça soit si difficile, si compliqué. Après tout, le texte raconte parfaitement bien l'histoire, non ? Alors pourquoi tous ce chichis ? Pourquoi s'acharner autant sur les positions, le ton, les déplacements... Ce metteur en scène est un pinailleur pathologique.

Sans parler des autres acteurs : quel manque de pudeur ! Se lancer comme ça dans le vide ! Laisser un "personnage" vous envahir ! Vous commencez vraiment à vous demander ce que vous faites là.

Seriez-vous trop grand(e) pour jouer ?

Le secret est là : tout ça n'est qu'un jeu.

Il se trouve que les "gens de théâtre", pour la plupart, aiment s'amuser sérieusement. Ils ne font pas ça à la légère, ils y mettent toute leur âme.

L'idée que la vie et le théâtre ne font qu'un n'est pas loin derrière tout ça. Si vous êtes prêt(e) à envisager la vie comme une farce, une aventure, une comédie tragique comportant son lot de larmes, de rires et d'imprévus, ne lâchez pas le théâtre : il vous permettra de grandir sans perdre votre âme d'enfant, de préserver et de nourrir l'espoir, l'innocence, le rêve et l'énergie qui font d'un enfant ce qu'il est, et d'un adulte un artiste plein de vie, ré-inventant sa destinée à chaque instant.

Le texte d'une pièce ne dit pas tout. Celui de la vie non plus.

On peut choisir d'interpréter Molière de façon tragique. On peut traiter les pièces de Racine avec le ton de la comédie. Il n'y a pas de sacrilège, seulement du spectacle, de l'imagination, de la fantaisie parfois, de l'intensité toujours.

On choisit sa pièce comme on choisit sa vie. On l'écrit, au besoin.

Assurez-vous simplement que vous êtes dans le bonne troupe et que votre vibration intime y trouve son écho.

Respectez-vous

Si votre metteur en scène n'a pas su vous communiquer son amour du théâtre, vous embarquer avec lui dans sa quête de plaisir et de passion, c'est peut-être que cette fois-ci n'était pas la bonne. Respectez-vous et changez de voie.

Une troupe est comme une petite famille. Il s'y développe une étrange intimité, à la fois superficielle et sincère. On ne fait pas qu'y changer de costume : on s'y déshabille de toutes les façons possibles. La confiance et le respect mutuel sont indispensables à l'alchimie.

J'y vais, ou j'y vais pas ? Fromage, ou dessert ? Etre, ou ne pas être ? L'aile, ou la cuisse ? Hiboux ou genous ?

Je me demande parfois si toutes ces questions valent d'être posées. Peut-être que oui, peut-être que non,

mais bon... est-ce important ?

source image :

lezecritsdelatitjuju.

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Le théâtre de boulevard, la tragédie classique, le théâtre naturaliste et le théâtre de l'absurde forment autant troupes distinctes. A vous de trouver celle qui vous convient.

Mais il n'y a pas de théâtre "noble" ni de théâtre "vulgaire". Il n'y a pas de genre "pédant" ni de genre "populaire". Il y a de bonnes et de mauvaises pièces, des mises en scène inspirées et créatives et d'autres qui le sont moins, sans doute.

Il y a surtout des troupes qui vibrent à l'unisson et qui emportent le public avec elles, mêmes quand le texte semblait obscur et décalé, et d'autres qui passent à côté de l'occasion et tournent à vide, malgré les costumes magnifiques, malgré les décors grandioses, malgré un texte succulent.

Ce ne sont pas les ingrédients ni la recette qui font la saveur d'un plat : c'est le génie du chef et de son équipe.

Vous avez déjà toute une vie d'expérience

La seule chose qui soit absolument nécessaire à l'acteur, c'est la sincérité.

Si vous savez un tout petit peu être sincère, vous êtes capable de jouer. Ne doutez pas de vos capacités : comme tout être humain, vous savez rêver, faire semblant, parler et vous déplacer.

Il n'en faut pas plus pour être acteur, si ce n'est l'envie d'expérimenter, de partir à la recherche de soi-même, de ses autres "soi".

J'ai vu des débutants faire des miracles et se montrer parfois bien plus impressionnants que des acteurs d'expérience. Au théâtre, le "métier" n'apporte pas grand chose, à part des mécanismes pesants dont il faut se méfier.

C'est la richesse intérieure de l'acteur qui fait son potentiel. Cette richesse, vous la développez comme tout le monde depuis votre naissance.

Si le doute vous est familier, il vous a sans doute protégé des fausses certitudes, des idées toutes faites, du "prêt à penser" qui appauvri l'esprit et limite l'expérience. Vous êtes (sans doute !) mieux placé(e) que quiconque pour donner à votre personnage les nuances qui le rendront crédible.

Je laisse Scapin vous faire la leçon dans ses "fourberies" :

"Ces sortes de périls ne m'ont jamais arrêté, et je hais ces cœurs pusillanimes qui, pour trop prévoir les suites des choses, n'osent rien entreprendre."

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Tragédie et comédie Le combat éternel de la tragédie et de la comédie

La définition des deux genres principaux du théâtre (et leur opposition stricte) remonte aux écrits d'Aristote datant du 3è siècle avant Jésus-Christ. Depuis, la bataille fait rage entre tout ce que le théâtre compte d'intellectuels pour définir ce qui est comédie et tragédie, ce qui est un théâtre "noble et respectable" ou au contraire "vulgaire et obscène, encourageant les plus bas instincts".

Comme partout, l'idéologie et la politique sont venus troubler le débat et les plus vifs échanges sont toujours issus d'une volonté de définir ce qui est défendable/respectable et ce qui ne l'est pas.

Ces affrontements parfois vigoureux n'ont jamais empêché le théâtre de rue de distraire, de faire rire et de faire réfléchir. Le théâtre populaire ne s'est d'ailleurs jamais aussi bien porté qu'aux époques ou les académistes et les censeurs de tous poils s'insurgeaient violemment contre lui.

Je vais donc essayer d'éviter les définitions trop théoriques en vous proposant le point de vue de l'acteur. Quand j'aborde un texte que je vais jouer, les premières questions que je me pose sont :

• Que cherche l'auteur ? Veut-il d'abord faire : Rire ? Pleurer ? Réfléchir ? • Quel est le contexte historique, social, géographique de la pièce ? Ce que l'auteur voulait

obtenir est-il encore possible à notre époque, à l'endroit où la pièce sera jouée, face au public qui la regardera ?

• Que faut-il adapter, comment peut-on réactualiser la pièce pour que la volonté de l'auteur soit respectée dans le contexte où la pièce sera jouée.

• La pièce se prête-t-elle à un jeu de caricature (faut-il faire le clown ou l'emphase tragique) ou d'intériorisation (faut-il jouer la vraisemblance des sentiments) ?

• Quelles sont les ficelles principales de l'histoire ? L'auteur fait-il référence à des pièces antérieures ? S'agit-il d'une pièce de "genre" s'inscrivant dans une tradition quelconque ou s'agit-il d'une pièce novatrice qui cherche à bousculer ou à rénover un genre particulier ?

Et c'est par rapport à cette dernière question qu'il m'a fallu chercher à définir - le plus simplement possible - la comédie et la tragédie et à tenter de dégager les grands schémas des œuvres passées et actuelles.

La comédie

Dans le fond

Aristote associe étroitement la comédie avec le comique et même si les théoriciens du XVIe et du XVIIe siècle protestent contre cette idée, c'est celle que je retiens comme particularité du genre : la comédie cherche à faire rire, ou du moins à faire sourire le spectateur.

Source image : Cirque du soleil

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Cette définition englobe donc les formes les plus comiques (farce, commedia dell'arte) et les plus fines (vaudevilles, comédie romantique, comédie absurde, comédie grincante, etc.)

En résumé :

• Le rire est associé à la surprise. • C'est un réflexe nerveux et non contrôlé. Il peut être déclenché par des éléments d'une

grande subtilité intellectuelle comme par le renversement des tabous les plus vulgaires (liés au sexe, au pouvoir, etc.)

• Le rire provoque et permet une distanciation, un recul du lecteur/spectateur par rapport à un sujet (souvent douloureux) qu'il vit habituellement au premier degré. Plus cette distanciation est brutale et inattendue, plus la surprise est grande, plus le rire est intense. Selon Bernard Champion : "Il est des situations tendues, des conflits qui soudain se détendent et se résorbent dans un rire d’autant plus salutaire, sinon d’autant plus franc, qu’on a “frôlé le drame”."

• Le rire est une réponse à un danger, un désamorçage d'une peur. C'est un soulagement.

Dans le scénario : pour provoquer cette décharge libérative, les œuvres comiques n'hésitent pas à mettre en scène des situations angoissantes et tragiques qui feront monter la tension du spectateur jusqu'au point de rupture où l'on désamorcera - de façon brutale et souvent improbable - la bombe qui menaçait d'exploser.

Dans le langage : le contre-sens est l'une des formes les plus utilisées : on croit comprendre quelque chose mais le double-sens d'un mot ou d'une expression - parfois la situation - nous fait rapidement réaliser que c'est le contraire qui est dit. Nous rions beaucoup plus volontier lorsque l'un des personnages reste sourd à ce second degré car son existence nous permet de prendre nos distances vis-à-vis de lui, vis-à-vis de notre erreur première.

Dans la forme

La comédie est presque toujours une œuvre révolutionnaire (et donc contestataire). L'immense majorité des pièces qui appartiennent à ce genre racontent l'histoire d'un père (symbolisé par un roi, un seigneur, un riche bourgeois, un patron, etc.) qui se fait couper la tête au sens figuré.

Il perdra dans l'aventure au moins l'un des attributs de sa fonction :

• Son pouvoir (matériel ou spirituel)

• Sa richesse (matérielle ou spirituelle)

• Sa prestance / son honneur (il finira ridicule, démasqué, moqué, rejeté de tous)

• Sa virilité (il finira cocu ou sera quitté, sera émasculé, etc.)

Cette révolution se fait évidemment au profit du "gentil", du faible, du jeune homme, du pauvre qui seront libérés du joug du père/roi et profiteront quelquefois de ses richesses perdues.

Dans les œuvres récentes, la figure du père est parfois symbolisée par le "système", par une

société mécanisée et inhumaine, un pouvoir à plusieurs têtes, d'autant plus difficile à

renverser, et d'autant plus angoissant.

Le valet Le père Le fils

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Depuis la Rome antique et jusqu'au 20è siècle (où les auteurs se sont employés avec une grand énergie à brouiller toutes les pistes), la comédie s'appuie sur 3 types de personnages :

1. Le(s) vieux symbolise(ent) le pouvoir en place 2. Le(s) jeune(s) qui est/sont opprimé(s) par ce pouvoir. 3. Les esclaves/valets/serviteurs/employés qui sont au service des 2 premiers types

Le personnage du jeune (le héro) est construite par opposition à celle du vieux (le méchant) : si le vieux est avare, le jeune est généreux, si le vieux est brutal, le jeune est doux, si le vieux est lâche ou prudent, le jeune est courageux ou téméraire.

Les vieux et les jeunes participent peu à l'action. Ils ne sont là qu'en tant que personnages-types et restent prisonniers de leurs fonctions. Leurs actions sont sans surprise, même si leur psychologie est parfois une grande source d'intérêt.

Le valet du vieux est également peu surprenant : brutal, méchant et cynique, il ne représente qu'une copie vulgaire de son maître.

Toute l'action, toute la surprise vient du valet/serviteur qui se trouve au service du jeune. Rusé, inventif, étonnant, sans tabous il sera capable de tous les tours de passe-passe, tous les travestissements, tous les renversements pour défendre les intérêts de son maître.

Ce valet n'est pas victime/prisonnier de la morale ni des règles sociales. Il sera le serpent qui propose à Eve de goûter la pomme interdite et fera chasser (mais aussi libérer !) l'homme et la femme d'un Paradis trop monotone. Dans "Bienvenue chez les ch'tis" Il sera le brave Antoine qui libère son patron Philippe d'un système inhumain et oppressant (qui s'exprime pas la dépression de sa femme) en lui enseignant les valeurs humaines les plus simples : l'amour et le respect de l'autre.

Le scénario est le suivant :

• le jeune est victime d'une oppression, il désire quelque chose qu'il ne peut obtenir. Les femmes étant interdites de scène du premier au 17è siècle - même si elles y sont représentées par des hommes travestis - il s'agit alors souvent d'un problème d'argent, d'une quête honorifique quelconque, plus rarement d'un désir amoureux. A partir du 17è, il s'agit presque toujours d'un désir amoureux.

• le vieux est le responsable de l'oppression. Le désir du jeune pourrait remettre sa position en question ou contrarie ses propres projets et il s'y oppose avec fermeté, souvent avec brutalité.

• les premières scènes placent le jeune en situation d'échec et de souffrance. Il essuie une remontrance brutale, perd de l'argent ou perd la considération de ses amis ou de sa fiancée. Les attributs du père (pouvoir, richesse, honneur, virilité) lui sont donc tous retirés.

• le valet cherche à servir son maître, mais il a souvent aussi son propre intérêt à renverser la situation. Il annonce au jeune qu'il va le secourir mais dévoile rarement son plan, souvent inavouable. Pour parvenir à ses fins, il va user de tromperie (mensonges, déguisements, quiproquos provoqués ou entretenus) jusqu'à créer une situation tellement absurde qu'elle ne peut que se terminer dans une crise violente.

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• la tension du lecteur/spectateur est alors à son comble. Comment cette crise va-t-elle se résoudre ? Le valet a-t-il sacrifié les dernières chances que le jeune avait de s'en sortir ? Va-t-il le placer dans une situation encore plus terrible que celle qu'il connaissait ?

• la fin est toujours inattendue et improbable. Par un "coup de théâtre", le jeune voit son désir accompli et gagne, souvent au détriment du vieux, les attributs de la réussite(pouvoir, richesse, honneur, virilité).

Résumé :

La comédie est le chant de l'espoir. Le valet est un ange salvateur, un miracle qui n'obéit pas aux règles de la société (il n'a souvent aucune morale). C'est en croyant - envers et contre tout - à sa chance, aux miracles et à l'espoir que l'homme peut se libérer de ce qui l'opprime.

La tragédie

Dans le fond

L'origine de la tragédie se situe dans les rites sacrificiels grecs destinés aux Dieux. Même aujourd'hui, cette notion de sacrifice reste absolument fondamentale dans ce genre théâtral.

Le héros est en but à un système si solide qu'il n'a aucune chance de le renverser. L'ennemi est rarement représenté par un homme car il pourrait alors être vaincu (ou alors il s'agit d'un roi si puissant qu'il s'apparente à un Dieu). Il s'agit plutôt d'une force occulte, divine, d'une fatalité qui dépasse largement le pouvoir du simple mortel.

La plupart des tragédies ont par conséquent une issue fatale, mais personnellement, je ne réduirais pas ce genre aux œuvres qui "finissent mal".

La tragédie est pour moi un triple avertissement lancé au lecteur/spectateur :

1. Si vous vous laisser embarquer dans tel ou tel système, vous êtes fichu.

2. Ne comptez que sur vos valeurs et sur vous-même pour vous en sortir. Si vous vous reposez sur autrui, sur la "justice" ou sur le pouvoir existant, vous êtes fichu.

3. Dans tous les cas, vous êtes sûrement fichu. Faites bonne figure, soyez noble de cœur et d'esprit et vous serez peut-être épargné.

Comédie contre tragédie

La tragédie a souvent été définie comme le contraire de la comédie (et vice-versa, bien sûr). Historiquement, les deux genres ont pourtant énormément partagé et n'ont cessé de s'emprunter des ficelles, des ambiances et des personnages.

Le rire, par exemple, que je conçois moi-même comme étroitement lié à la comédie, n'est pas absent - et loin de là ! - d'un grand nombre de tragédies. Shakespeare ne s'est pas privé dans faire usage dans ses œuvres les plus tragiques et les quelques tragédies de Molière ne sont jamais tout à fait débarrassée de l'humour que cet auteur maniait avec un immense talent.

Si la tragédie s'oppose à la comédie, c'est sûrement dans le fait qu'elle refuse de croire à la providence. Si le personnage tragique peut trouver une issue à sa situation, c'est en lui-même qu'il doit la chercher : dans son courage, sa force, sa ruse, son intelligence ou la part de Dieu qu'il porte en lui.

Prenez une comédie, écrivez l'histoire du point de vue du valet : vous obtenez le corps d'une tragédie.

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J'ajoute enfin que la tragédie se distingue par une distanciation visible et volontaire entre l'histoire et le spectateur : comme l'issue est en générale désagréable, il n'est pas souhaitable que le public soit placé dans une situation trop inconfortable par ce qui se déroule sur scène.

Le monde de la tragédie est un "monde cruel", un monde déterministe, mécanique, dépourvu d'amour et de pitié. Les règles qui le régissent ne ne sont pas conçues pour faciliter l'existence du commun des mortels ni pour leur apporter le bonheur.

La seule alternative du héros est de perdre sa vie ou son âme :

• d'accepter le système et d'y survivre ou y perdant son honneur, son pouvoir ou sa capacité d'amour.

• de mourir en laissant un message de courage au reste de l'humanité : j'ai eu la force de me battre jusqu'au bout.

Quel que soit son choix, le héros est condamné au sacrifice.

En résumé :

La tragédie nous démontre que le pouvoir et l'argent gagnent toutes les batailles mais nous laisse un espoir absolu : c'est l'amour et l'honneur qui gagneront (un jour) la guerre.

L'histoire du Christ est donc la tragédie par excellence : il meurt en sauvant le monde.

L'issue de l'histoire est prévisible et comporte peu de suspens, c'est la psychologie du héros qui fait l'intérêt de toute la fin de la pièce.

Dans la forme

Alors que les personnages et les scénarios de la comédies semblent éternels et conservent un intérêt plus de 2000 ans après leur création, ceux qui ont servis de support à la tragédie ont été bien plus fragiles. Ils ne parviennent pas à s'inscrire dans un cadre strict.

Les grandes lignes sont cependant les suivantes :

• Il y a rarement un "méchant" absolu. Quand la force divine qui s'oppose au héros s'incarne dans un personnage, il est malheureux, torturé et ne parvient pas - contre toute apparence - à tirer un réel profit personnel de la puissance qu'il détient (à moins qu'il ne s'agisse du Diable lui-même).

• L'intrigue se situe généralement dans l'élite de la société. Les personnages sont Rois, Princes, Notables ou Chevaliers. Ce choix permet au public (majoritairement populaire) de prendre ses distances par rapport à l'histoire qui se déroule un peu comme un rêve, dans un monde imaginaire.

• L'intrigue met rapidement en place une situation face à laquelle le héros devra faire un choix stratégique qui déterminera le reste de sa vie (il s'agit d'une épreuve initiatique, comme le choix de la pilule rouge ou bleue pour le héros de Matrix).

• Son choix - où le fait qu'il soit confronté à ce choix - nous révèle sa qualité de héros véritable : jusque là, il n'était qu'un homme ou un prince comme les autres. Désormais, il porte une part de divin en lui. Cette part le condamnera et le sauvera (d'une certaine façon) à la fin de la pièce. De nombreuses tragédies marquent alors le héros d'un signe matériel particulier (épée, bijoux, vêtement, ...) qui le distingue du commun des mortels. Dans d'autres cas, le héros était prédestiné depuis sa naissance (ou son enfance) et il portait déjà ce signe distinctif (la cicatrice de Harry Potter, par exemple) sans savoir ce qu'il signifiait. Ce signe

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distinctif est essentiel pour protéger le lecteur/spectateur et lui permettre de prendre sa distance par rapport au héros (n'oublions pas qu'il finira sacrifié).

• A peine son choix effectué, le héros constate (et le public avec lui) qu'il est pris dans un engrenage implacable qui l'entraîne vers une issue fatale. Ce choix n'en était pas un, il est manipulé par une force supérieure contre laquelle il ne peut rien.

• Le reste de la pièce peut sembler inutile : on sait par avance ce qui va s'y produire. En réalité, c'est ici que commence sa partie intéressante qui réside toute entière dans la psychologie du héros : si ses actes sont quasiment dictés par la situation, il reste libre de penser ce qu'il veut.

o Comment fait-il face à la fatalité qui le frappe ? o Quel attitude va-t-il adopter ? Va-t-il tenter de freiner (faute de pouvoir le stopper) le

mouvement qui le porte, ou va-t-il au contraire l'accélérer pour affronter plus rapidement l'épreuve finale ?

o Que peut-il encore préserver face à la fatalité et que va-t-il choisir de préserver ?

La façon dont le héros naviguera dans le canal étroit qui le guide vers sa fin déterminera la forme de sacrifice qui lui sera demandée. S'il est assez noble de cœur - et parfois même s'il ne l'est pas - il sera finalement peut-être épargné, car après tout, les Dieux sont capricieux et n'en font qu'à leur tête.

Résumé

De nombreux critiquent considèrent que la tragédie a disparu définitivement au XIXe siècle. Je ne suis pas de cet avis. A mon sens, les super-héros qui peuplent nos récits et nos films depuis près de cent ans sont indiscutablement des héros tragiques. Superman et Batman sont quasi-invincibles et triomphent inlassablement des méchants qui sévissent dans la ville. Inlassablement ? Pas si sûr ! Car ce défilé de méchants est sans fin. Nos super-héros sont condamnés à recommencer encore et encore leur combat contre le mal. Comme Sysiphe, ils sont finalement prédestinés et prisonniers de ce rôle mécanique qui les prive d'amour (impossible pour eux de fonder un foyer !) et de vie privée.

La tragédie est le chant du destin. L'attitude du héros face à ce destin porte le message que l'auteur destine au spectateur.

Tragédie ou comédie ?

De nombreuses œuvres mêlent si judicieusement les deux genres qu'il est difficile de s'y retrouver.

Shakespeare et Molière se souciaient si peu de ces genres (et c'est tant mieux !) qu'ils nous ont donné des pièces ambiguës comme "Mesure pour Mesure", "Le misanthrope" ou "Tartuffe". Avec son "Topaze", Pagnol nous pose le même problème.

Les œuvres du 20° siècle se sont employées avec une belle énergie à brouiller toutes les pistes et nombre d'entre elles sont inclassables si on ne considère que ces deux genres.

De nos jours, les séries télévisées sont souvent construites sur un modèle qu'on pourrait baptiser "tranches de vie" et qu'il est difficile de

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rapprocher de la comédie ou de la tragédie. Même le principe de la catharsis est quelquefois abandonné ou géré sous la forme d'une multi-catharsis (plusieurs intrigues avancent en même temps). Difficile de s'y retrouver !

En tant qu'acteur, et pour tenter d'y voir un peu clair dans le texte que vous devez interpréter, il reste néanmoins toujours intéressant de se poser les 2 questions suivantes :

• Y-a-t-il un valet ? Qui est-il ? • En quoi le destin du héros est-il implacable et qu'elle est son attitude face à cette

fatalité ?