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[im]Pertinences est la revue de l’Académie de l’Éthique. Sont appelés à s’y exprimer universitaires, chercheurs en sciences humaines et en sciences exactes, praticiens et acteurs de la vie publique ou responsables d’entreprises concurrentielles, etc.

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Revue de l’Académie de l’Éthique

Regards croisés sur l’Éthique

N°0 – Mars 2012

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Aux termes du Code de la Propriété intellectuelle, toute reproduction ou représentation, intégrale ou partielle des éléments contenus dans ce site, faite par quelque procédé que ce soit (reprographie, microfilmage, scannérisation, numérisation...) sans le consentement de l'éditeur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L335-2 et suivants du Code de la Propriété intellectuelle. Ces informations et contenu sont également protégés par le copyright.

Toutefois, l'autorisation d'effectuer des reproductions par reprographie (photocopie, télécopie, copie papier réali-sée par imprimante) peut être obtenue auprès de l'éditeur en s'acquittant d'une ou plusieurs licences de reproduc-tion ou auprès du Centre Français d'exploitation de droit de Copie (CFC), 3 rue Hautefeuille, 75006 Paris, tél.: 01 43 26 95 35, fax.: 01 46 34 67 19.

Les manuscrits non insérés ne sont pas rendus. L'Académie de l’Éthique décline toute responsabilité pour les documents remis.

Les idées soutenues par les auteurs dans les articles de cette revue n'engage aucunement l'Académie de l’Éthique

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3

Editorial

Un heureux événement ne survient jamais seul.

Après comme il se doit une gestation de quelques mois, la conférence-

atelier « Une Académie de l’Éthique … quelle [im]Pertinence ! » a marqué

le 31 janvier 2012 comme date de naissance, de l’Académie de l’Éthique.

Heureux événement que cette conférence inaugurale à laquelle ont assisté

plus de cent cinquante personnes, venues à l’UNESCO écouter la parole,

parfois impertinente mais toujours pertinente, de quelques-uns des amis de

notre Association : après une ouverture brillante de Jean-Paul Delevoye,

Président du Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE), plu-

sieurs autres personnalités1 contrastées ont proposé à notre public quelques

variations sur, justement, la pertinence et l’impertinence de l’éthique. Les

actes et une présentation synthétique de cette conférence-atelier seront bien-

tôt disponibles sur notre site2 .

Autre événement heureux, à présent : cette première parution

d’[im]Pertinences, « Regards croisés sur l’impertinence de l’éthique », re-

cueil de libres propos, sans contrainte donc, qui allie dans un même esprit

des articles de niveau académique et des contributions sans doute moins

doctorales mais tout aussi pertinentes. Il s’agit donc d’un « numéro zéro »,

parution liminaire qui, si elle reflète bien l’esprit de l’Académie de

l’Éthique - celui de la liberté et de la fertilisation croisée des approches -

n’est cependant qu’un premier pas vers une ambition plus haute : à partir du

« numéro un » nous vous proposerons en effet une revue plus « académique 1 Jean AUDOUARD, Directeur de l’École Supérieure du Commerce Extérieur, Thierry BEAUDET, Président de la Mutuelle Générale de l’Éducation Nationale, Fadi COMAIR, Fondateur de l’Académie de l’Éthique au Liban (avec Nehme AZOURY et Naïm OUAINI, Université Saint-Esprit de Kaslik à Beyrouth), John CROWLEY, Responsable de l’Éthique des sciences à l’UNESCO, Christian HERVÉ, Directeur du laboratoire d’éthique médicale, Université Paris-Descartes, Jean STAUNE, Philosophe. 2 www.academie-Éthique.org

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4

» , dont chaque livraison traitera en section principale, dans des articles fai-

sant référence, un thème spécifique approché par des auteurs reconnus, et

présentera en section complémentaire quelques libres propos, de haut niveau

eux aussi.

Que soient donc ici remerciés les auteurs qui n’ont pas hésité à contribuer

par des textes de grande qualité à ce numéro encore expérimental.

Pour les prochains numéros, nous invitons d’ores et déjà nos lecteurs et

leurs amis que notre approche intéresse et qui souhaiteraient s’exprimer

dans [im]Pertinences, de se faire connaître et de nous faire part de leurs en-

vies3 .

Avec notre site internet et notre bulletin bimestriel « Vies & Envies »4 , la

revue [im]Pertinences complète désormais les liens de l’Académie de

l’Éthique avec toutes celles et tous ceux qui partagent notre conviction, celle

de la présence inéluctable et structurante de l’éthique dans le futur de nos

sociétés.

Ainsi, notre Association se met en place à grands pas. D’autres projets se

construisent et bientôt nous célébrerons la naissance d’un observatoire, la «

Vigie de l’Éthique », celle de l’Académie de l’Éthique au Liban, avec nos

partenaires de Beyrouth, la tenue des séminaires thématiques, etc.

Un heureux événement ne survient jamais seul …

[im]Pertinences en rendra compte.

Hervé Lainé

Président de l’Académie de l’Éthique

3 Voir l’appel à contribution en page 3 de couverture, et les recommandations aux auteurs sur notre site. 4 « Vies & Envies de l’Académie de l’Éthique ». Bulletin de liaison des adhérents et des abonnés. N°1, janvier 2012 et N°2, mars 2012, consultables sur notre site.

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5

Sommaire

Editorial

...

Lainé Hervé (Président de l'Académie de l’Éthique) Regards croisés sur l’impertinence de l’Éthique Articles classés par ordre alphabétique

• Bidou Dominique, La haute qualité environnementale peut-elle produire de la

haute qualité éthique ? 11

• Brasseur Martine, Enoncer et penser l’éthique : une impertinence ? L’apport

de Tractatus de Wittgenstein 25

• Brochenin Bruno, La Performance au travail sans sureté éthique : est-ce

possible ? 39

• Bry (de) Françoise, Les managers sont-ils encore machos ? 47

• Fessler Jean-Marie, Pertinence de l’économie sociale. 57

• Guillaume-Hofnung Michèle, Le droit peut-il encadrer l’impertinence ?

61

• Joras Michel, Et si on parlait de cyberéthique ou d’éthique du cyberespace ?

79

• Landier Hubert, L’entreprise et les incivilités : d’un problème de société à un

problème de management et d’éthique. 101

• Malherbe Denis, Quelle responsabilité pour quelle gouvernance dans les

groupes bancaires mutualistes ? 107

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6

Notes de Lecture 123

x Hervé Lainé : Ruwen Ogien, L'influence de l'odeur des croissants chauds sur la bonté humaine, Ed. : Grasset (2011), 336 p. 124

x Françoise de Bry : Michèle Guillaume-Hofnung, La médiation, Coll. : Que sais-je ?, Ed. : PUF; Éd. : 6 (2012), 128 p. 125

x Michel Joras : Françoise Bry (de), L’entreprise et l’éthique, Coll. : Économie humaine, Ed.: Seuil; 2e éd. revue et augmentée (2011), 381 p. 126

x Jean Séry : Michela Marzano, Le contrat de défiance, Ed. Grasset (2010), 309p. 127

x Inès Ben Rehouma : Jean-Paul Delevoye, Reprenons-nous !, Ed. : Tallandier (2012), 200 p.

128 Adhésion à l’Académie de l’Éthique 129 Appel à contribution 130

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7

Liste des auteurs

BIDOU Dominique p. 11

BRASSEUR Martine p. 25

BROCHENIN Bruno p. 39

BRY (De) Françoise p. 47

F ESSLER Jean-Marie p. 57

GUILLAUME-HOF NUNG Michèle p. 61

JORAS Michel p. 79

LANDIER Hubert p. 101

MALHERBE Denis p. 107

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Regards croisés sur l’impertinence de l’Éthique

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La Haute Qualité Environnementale peut-elle produire de la haute qualité éthique ?

Dominique BIDOU

Président du Centre d’information et de documentation sur le bruit (CIDB) Président d’honneur de l’association HQE

Ingénieur et démographe de formation, est consultant en développement durable. Auteur de plusieurs ouvrages sur le développement durable, dont « le développement du-rable, l’intelligence du XXIe siècle » publié en novembre dernier (Editions PC). Résumé :

L’éthique sans instruments opérationnels peine à se développer. Même avec la plus grande volonté, beaucoup ont besoin de repères, de démarches pour progresser dans la complexité de la vie, sachant qu’il ne faut pas non plus, à l’inverse, les enfermer dans un schéma qui tuerait leur personnalité et leur créativité. La démarche de haute qualité, combinaison d’un langage commun pour fixer des objectifs et d’une méthode pour les atteindre, s’est développée pour l’environnement dans les projets de construction. Elle mé-rite d’être proposée pour toutes formes de construction, pour toute forme de projet.

Abstract :

It will be hard for Ethics to touch everyone without instruments. Even with good will, most of people need marks, practice and approaches to go farther into life complexity. Take care, on the contrary, not lock oneself in a strict outline which should kill any personality and creativity. The approach High Quality is a mix of a common language to focus on headline goals and a method to achieve them. It has been developed for environment in building Construction, but it can be proposed for all kinds of constructions, for every kind of project.

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Le développement durable est une exigence. C’est une invitation à la per-

formance, puisqu’il faut assurer prochainement un bien être à plus de 9 mil-

liards d’être humains avec des ressources limitées, et en partie compromises

par des excès de l’ère industrielle. Il faut s’organiser pour la performance,

laquelle ne se mesure pas qu’en chiffre d’affaire et en marge bénéficiaire,

mais en efficacité dans l’usage des ressources, par rapport aux besoins des

communautés qui peuplent la planète.

Un mode de pensée intégré

Le développement durable ne peut être une politique plaquée, une dimen-

sion additionnelle à un fonctionnement qui resterait inchangé pour

l’essentiel : c’est une manière de se développer. C’est le moteur du dévelop-

pement des organismes, qui détermine leur attitude face à leurs partenaires,

leur mode de pensée pour affronter les difficultés et relever les défis. Une

politique de développement durable n’a de sens que si elle est complètement

intériorisée. La difficulté est grande, dans ces conditions, de trouver des

indicateurs explicites qui permettent de contrôler la sincérité, la pertinence

et l’efficacité de l’engagement d’un organisme pour le développement du-

rable. Le caractère intériorisé du développement durable d’une part, et la

capacité à vérifier en continu, dans une démarche de progrès, la qualité de la

politique conduite d’autre part, constituent une exigence qu’il faut assumer.

Une exigence éthique.

Des réponses de masse pour entrer dans l’ère du développement durable

Le sentiment de la responsabilité qui pèse sur la présente génération à l’aube

d’une ère nouvelle est de plus en plus partagé. L’annonce que Paul Valéry

avait faite dès 1945, le temps du monde fini commence, est largement enten-

due. La question qui se pose aujourd’hui est Comment faire ? Comment je

peux faire, moi, ici et maintenant. Il y a bien des conseils pratiques, qui ap-

paraissent dérisoires, mais qui ont le mérite de faire prendre conscience des

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enjeux. Il faut trouver des réponses de masse, qui puissent être reproduites à

grande échelle, et s’appliquer à des opérations lourdes, des choix industriels

structurants, des orientations politiques déterminantes.

Le développement durable présente la vertu d’être dans le réel, avec toute sa

complexité et ses contradictions. Au-delà des représentations, il entre dans

l’entreprise, dans la vie des gens, dans les organisations sociales. Les ac-

teurs du développement durable ne sont pas quelques spécialistes, quelques

experts, si brillants soient-ils, ce sont les citoyens, les habitants, les con-

sommateurs, les producteurs, les autorités qui organisent et régulent la vie

économique et sociale. Ils sont légion, chacun avec ses objectifs, sa culture,

ses échéances, ses connaissances, ses repères. Et le nombre de données à

prendre en considération est également immense : l’effet de serre retient

aujourd’hui notre attention, avec de nombreux paramètres à considérer, mais

que dire de la dégradation des océans, de l’appauvrissement du capital bio-

logique de la planète, de l’avancée des déserts, des inégalités criantes entre

le Nord et le Sud pour l’accès aux ressources vitales, etc. et du besoin légi-

time de bien-être, avec ses attributs. Il faut donc trouver des outils de ma-

niement facile, appropriable par de nombreux acteurs, et qui permettent de

prendre en charge leur diversité et celle des données à intégrer. Tel est le

défi auquel nous devons répondre, sans oublier que la réponse que nous

trouverons sera sans cesse remise en question, au fur et à mesure que nos

connaissances progresseront, que les besoins et les limites de nos capacités

de production évolueront.

La Haute Qualité, approche opérationnelle du Développement

Durable

Les démarches d’assurance de la qualité consistent à gérer les intérêts com-

binés de plusieurs acteurs, actionnaires, personnel et clients d’un organisme.

La haute qualité y ajoute la collectivité, les « autres » et la planète, en un

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mot « le reste du monde », d’ici et d’ailleurs, d’aujourd’hui et de demain. Le

niveau de complexité de la démarche pourrait en être fortement augmenté, et

l’ensemble devenir inextricable. Pour progresser malgré cette complexité,

qui n’est somme toute que le reflet de celle de la vie, une méthode rigou-

reuse est indispensable. C’est la démarche « haute qualité », qui se présente

ainsi comme une approche opérationnelle du développement durable. Atten-

tion toutefois à ne pas confondre l'objectif est la méthode. La rigueur de la

démarche qualité est indispensable, mais elle ne fournit pas la finalité de

l'action.

Il est possible d’en préciser le point de départ, la porte d’entrée. Le dévelop-

pement durable est pluridimensionnel, et on a coutume de parler de trois

sphères, l’économie, l’environnement et le social. On en découvre parfois

d’autres, comme la culture, ou la santé, selon qu’on les intègre ou non aux

trois composantes de référence. Il est souvent proposé d’entrer dans le déve-

loppement durable par toutes les portes à la fois, ce qui est bien compliqué.

En revanche, entrer par une porte exige une attitude, un état d’esprit et un

regard large, sans œillères, qui permet d’accrocher, chemin faisant, les

autres volets au fur et à mesure qu’ils se présentent dans la progression, en

interférence avec celui qui a permis de démarrer. L’environnement est une

bonne porte d’entrée, avec ses aspects personnels, liés au cadre de vie et à la

santé, et ses aspects collectifs, liés aux ressources et à la planète. La HQ

appliquée à partir de l’environnement, c’est la HQE, haute qualité environ-

nementale, qui a été développée pour les bâtiments, puis pour les aménage-

ments et les routes. Ce qui en fait un bon instrument de développement du-

rable, c’est plus la démarche de haute qualité que l’environnement en lui-

même, qui n’est qu’une porte d’entrée dans l’univers du développement

durable.

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Orienter le jeu des acteurs vers le développement durable

Une erreur courante et bien compréhensible des promoteurs du développe-

ment durable, est de croire que ce sont eux qui font le développement du-

rable. Bien sûr, ils ont un rôle important d’animateur, et peut-être de cataly-

seur, mais ne nous faisons pas d’illusion, ce sont les acteurs de la société,

chacun dans sa fonction et avec ses intérêts et sa culture, qui font que le dé-

veloppement est durable ou non. Une des expressions de référence pour le

développement durable est « penser globalement, agir localement ». Tradui-

sons-la de manière moins philosophique mais plus opérationnelle : la macro

économie est importante pour donner une idée générale des enjeux, mais la

micro économie est essentielle pour entraîner les acteurs sur la voie du déve-

loppement durable. En bref, on n’obtiendra aucun résultat durable sans ré-

pondre aux aspirations et aux objectifs personnels des différents acteurs

concernés.

Cette évidence se décline de mille manières, notamment dans l’élaboration

des documents d’urbanisme et dans les constructions, comme dans la con-

ception et le design des produits d’usage courant. On notera cependant que

dans ce dernier cas, le consommateur est plus libre de choisir, et les indus-

triels l’ont intégré, ce qui est moins vrai dans l’aménagement et la construc-

tion, où les concepteurs sont plus tentés d’imposer leur perception de la so-

ciété durable.

On peut souhaiter voir les consommateurs et usagers vertueux, et il est cer-

tainement possible de leur donner les repères pour qu’ils le deviennent.

Mais si, sans attendre ce résultat, on leur impose un cadre où ils ne se re-

connaissent pas, où ils ne trouvent pas leurs marques, on obtient une recette

de l’échec assuré. Il faut que l’usager, la personne qui va vivre dans le quar-

tier ou la maison que l’on veut durable, adhère au projet qui lui est proposé,

et pour cela, la meilleure manière est de bien répondre à ses besoins, et de

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privilégier la qualité d’usage. On ne construit pas une maison pour faire des

économies d’énergie, on le fait pour satisfaire un besoin, celui de loger des

gens par exemple, avec leurs familles, leurs modes de vie, leurs habitudes,

leurs modèles culturels. Et on le fait dans les meilleures conditions environ-

nementales, en privilégiant autant qu’il est possible les conditions de travail

des personnels qui vont contribuer à l’ouvrage, de la carrière au chantier en

passant par les usines et les transporteurs, et en soutenant l’économie locale.

Mais n’inversons pas les priorités, la première est bien celle de satisfaire un

besoin. Le concept de bâtiment durable n’a pas de sens. Ce qu’il faut, c’est

un bâtiment dont les occupants pourront adopter un mode de vie durable.

C’est le mode de vie qui doit être le point de départ, et non le bâtiment, dont

les qualités ne peuvent s’analyser sans référence à l’usage qui en est fait. Si

la recherche d’économie d’énergie conduit à une température de consigne à

18°, ce qui n’a rien de choquant dans l’absolu, et nos parents ont vécu dans

des conditions bien plus spartiates, alors que les usagers d’aujourd’hui ne se

plaisent qu’à 20 ou 21 °, nul doute que la durabilité sera fortement entachée,

et que la multiplication de petits appareils de chauffage électrique en sera la

première conséquence visible. Ce n’est pas comme ça que l’on luttera contre

le réchauffement climatique. Le dialogue avec les usagers, qui commence

par une écoute sans a priori, est un des ingrédients de base de tout projet de

développement durable.

L’exemple des bâtiments scolaires offre une bonne illustration de l’usage de

cet ingrédient. D’un côté on lit, dans le compte-rendu d’un séminaire inter-

national organisé par le programme de l’OCDE pour la construction et

l’équipement de l’éducation5, que les bâtiments éducatifs contribuent de

manière cruciale à l’amélioration des résultats. (…) Les évolutions dans la

conception de ces bâtiments se doivent de servir le processus éducatif et

d’améliorer la qualité de l’environnement d’apprentissage. De l’autre, on 5 En mai 2004, à Londres

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constate que depuis la mise en œuvre de la décentralisation et

l’investissement des collectivités, les réalisations se révèlent, à l’usage,

malgré quelques réussites à souligner, souvent inadaptées à la vie scolaire

quotidienne et fort coûteuses en maintenance et entretien. Les réhabilita-

tions ne donnent pas plus de satisfaction au regard des pratiques pédago-

giques. Il apparaît que la fonctionnalité, c'est-à-dire la vie quotidienne des

élèves et des personnels, a souvent été oubliée ou mal conçue. (…) La force

des habitudes, comme le poids des pressions multiples, empêche de conce-

voir l’école comme lieu de vie et de travail6. Peut mieux faire, dirait-on dans

un livret scolaire. Encore un effort pour être durable.

Les projets d’aménagement n’échappent pas à cette règle. On a pu voir des

documents vertueux, fondés sur des principes irréprochables, rester impuis-

sants face aux aspirations des candidats à la construction. La maison indivi-

duelle est souvent mal vue dans les milieux environnementalistes, du fait de

la consommation d’espace et d’énergie qu’elle provoque. Elle n’en constitue

pas moins le modèle bien ancré dans les esprits, et l’objectif principal de

très nombreuses familles. Pour préserver le caractère vert des ceintures

proches des villes, on a tenté d’en freiner l’urbanisation diffuse, avec le ré-

sultat que l’on observe du report de la construction au-delà des frontières du

territoire contrôlé par les autorités d’agglomération. Beau résultat, qui con-

duit à un allongement des déplacements, sans restreindre pour autant la con-

sommation d’espace.

La réponse à la question des extensions urbaines n’est pas dans les plans

d’urbanisme, elle est dans l’offre de quartiers répondant à la fois aux aspira-

6 Rapport d’étape au ministre de l’Education nationale 26 mars 2002 du Conseil national de l’innovation pour la réussite scolaire. On se reportera utilement sur ce point au dossier n° 177 du CERTU (centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques, www.certu.fr) Les groupes scolaires : vers des réalisations durables adap-tées aux usagers, 2006.

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tions des futurs habitants, et à des exigences environnementales fortes. C’est

proposer des ensembles où chacun pourra adopter un mode de vie durable,

et y trouvera de l’intérêt. La démarche HQE aménagement part bien de ce

constat : l’analyse du contexte social et des usages figure en bonne place

dans la première phase de l’opération, bien avant de prendre un crayon pour

dessiner les grandes lignes du projet, avec le concours de sociologues et

même d’anthropologues, pour insérer le projet dans la vie de la ville

d’accueil, et intégrer les pratiques des habitants. Le jeu des acteurs est insé-

parable du plan.

Les gens votent avec leurs pieds, dit-on, et le développement durable, où se

conjuguent le logement, l’accès aux services publics et à l’emploi, et aussi

les loisirs, l’alimentation, les relations de voisinage, la relation personnelle

avec la nature, les références culturelles, ne sera jamais le résultat d’une

approche théorique. Ce sera le fruit d’une dynamique sociale fondée sur les

usages, et les professionnels de l’aménagement et de la construction, tout

comme les militants du développement durable, doivent s’y insérer pour y

participer utilement.

La démarche HQE marche sur deux jambes : une approche ambitieuse

de la conduite du projet, et un langage commun pour associer tous les ac-

teurs.

L'éthique pour conduire les projets

La HQE est une méthode de travail, portée par une association dont la com-

position préfigure depuis plus de dix ans les tables rondes du Grenelle, où

toutes les parties prenantes sont représentées. Elles s’y parlent, et collabo-

rent pour identifier les enjeux prioritaires et mettre au point collectivement

des outils pour améliorer la qualité des constructions. Tous les acteurs du

bâtiment sont invités à se saisir de ces outils, à leur manière et dans leurs

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rôles respectifs : commanditaires, collectivités publiques, architectes, ingé-

nieurs, entreprises, industriels, gestionnaires, experts, financiers. L’Etat a

permis le lancement de cette démarche, par des travaux de recherche, au

démarrage et au fur et à mesure que des questions nouvelles apparaissaient.

Mais ce sont bien les partenaires de la construction qui ont animé

l’association et ses activités, et ont fait progresser les démarches et les réfé-

rentiels communs, largement reconnus. Cette manière de travailler, entre

partenaires et avec l’appui des pouvoirs publics, a porté ses fruits. Elle per-

met de constituer une culture commune, avec ses controverses et ses débats

internes, souvent vifs mais toujours constructifs – ce qui s’impose entre par-

tenaires de la construction ! – et de proposer une perspective de progrès par-

tagé, où chacun est gagnant. L’avancée que la HQE offre aux acteurs est au

départ d’ordre technique, mais elle se prolonge bien vite de considérations

sociales, conditions de vie des compagnons sur les chantiers, santé et éco-

nomies de charges pour les occupants, et s’avère constituer un moteur de la

modernisation de tout le secteur. La HQE est maintenant déclinée pour

l’aménagement et la construction d’infrastructures. La démarche

d’identification partagée des enjeux et de construction commune de ré-

ponses opérationnelles, qui semble bien être celle du Grenelle de

l’environnement, a donné ses fruits pour le bâtiment. Pourquoi en serait-il

autrement dans les autres domaines ?

Les vertus de la contagion

La contagion est parfois bonne. Quand il s’agit d’un rire, ou plutôt d’un fou

rire, ça fait du bien ! Il semble qu’aujourd’hui la prise de conscience des

enjeux pour la planète soit aussi contagieuse. Cette contagion se retrouve

dans les approches techniques, et la démarche HQE, haute qualité environ-

nementale, en est une bonne illustration.

Elle a été conçue pour les bâtiments. Il fallait proposer une manière

d’intégrer les questions d’environnement dans la construction, comme ça se

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20

faisait dans l’industrie par exemple. La formule a plu, elle a été reprise par

de nombreux acteurs. Parfois, elle a fait l’objet de polémiques, mais elle a

toujours offert le cadre pour ces confrontations, et a ainsi contribué à faire

progresser les pratiques, malgré ses inévitables défauts et faiblesses. La

promotion de la HQE s’est faite spontanément, au sein des professions con-

cernées. Quelques manifestations, confidentielles au début, et limitées aux

milieux techniques, et une toute petite équipe permanente de l’association

qui portait la HQE, même pas une personne à plein temps pendant long-

temps. Des moyens dérisoires, si on les compare aux enjeux, près de moitié

de la consommation d’énergie en France, le quart de l’effet de serre, la mo i-

tié des déchets, etc. Malgré cette faiblesse, les syndicats et organismes pro-

fessionnels qui constituaient l’association ont vu leur bébé grandir. Il y a eu

bien entendu des tricheurs, des maîtres d’ouvrage qui faisaient croire qu’ils

faisaient un effort, alors qu’ils ne faisaient qu’un petit geste. Mais à force de

se référer à l’environnement, ou à la HQE, on crée une attente, une exi-

gence, à laquelle il faut bien répondre un jour. Une première contagion

s’opère par le discours, et à force de dire qu’on fait des efforts pour

l’environnement, on finit par être jugé sur ce critère, le virus a trouvé une

porte d’entrée dans l’organisme.

Des abus féconds

L’intérêt porté à la HQE a débordé son milieu d’origine. Du bâtiment, la

formule a été appliquée à d’autres ouvrages, et on a vu fleurir les ZAC HQE

par exemple. Pur abus, encore une fois, car la formule HQE est le fruit d’un

travail collectif, faisant l’objet d’un consensus entre les parties prenantes, et

rien de tel n’avait été fait pour les aménagements. Mais l’abus montre un

besoin, et la volonté de certains acteurs de progresser. Ces ZAC HQE

s’inspiraient d’ailleurs souvent de la démarche créée pour les bâtiments, et

parfois avec la meilleure volonté du monde, mais un territoire n’est pas une

maison, et la transposition directe n’a aucun sens. Il fallait reprendre le tra-

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21

vail, et adapter la démarche à un autre objet. La contagion observée a rendu

nécessaire ce nouveau chantier, qui a donné des premiers résultats en 2006

et se traduit aujourd'hui par un certificat fraîchement créé (novembre 2011).

Pendant ce temps là, une autre contagion se prépare. Une première alerte

avait été ressentie avec la construction de la route à grand gabarit, entre

Bordeaux et Toulouse, pour les besoins de l’Airbus A 380. On avait alors

pour la première fois utilisé le vocable de route HQE, au grand désespoir

des puristes de la HQE. Là encore, il s’agit d’un abus manifeste de langage,

mais qui témoigne à la fois d’une volonté de bien faire, et d’un besoin de

méthode analogue à ce qui a été réalisé pour le bâtiment. Deux avantages à

se référer à la HQE : Le terme HQE est commode à reprendre pour déclarer

son engagement ; la démarche elle-même, le contenu, offre un cadre pour la

réflexion et l’élaboration des projets. Cadre à reprendre pour un nouveau

type d’ouvrage, mais cadre de travail qui a l’immense mérite d’exister. Et de

l’abus nait la sagesse : du besoin ainsi manifesté sont sorties des initiatives

diverses, jusqu’à la récupération. L’heureuse récupération de ces avancées

par une institution qui s’est donnée les moyens de reprendre le travail à la

base, dans l’esprit et avec les principes de la HQE d’origine contrôlée. Le

conseil général du Nord, détenteur d’un important patrimoine routier et ha-

bitué à la HQE pour ses bâtiments, est devenu le porteur d’une nouvelle

dimension de la HQE, et, après une période d’études, a lancé l’opération

« routes durables ». La contagion a pris un nouvel essor. Les autres dépar-

tements se montrent intéressés, c’est presque comme la calomnie dans le

Barbier de Séville !

Une démarche éthique

Le développement durable ne se diffusera vraiment que de l’intérieur. C’est

une démarche éthique que chacun doit reprendre et adapter à son propre

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22

univers, à ses responsabilités, à ses pratiques. On a reproché, et à juste titre,

à la HQE de ne pas avoir su contrôler ses développements, et les nombreux

abus commis en son nom. On le dit souvent aussi du développement du-

rable, trop souvent invoqué pour être honnête. Mais ce faisant, les acteurs

s’approprient les instruments, fabriquent leur boîte à outil, et en apprennent

le maniement, en découvrent l’intérêt et la richesse. Il faut bien sûr lutter

contre les abus manifestes, les exploitations éhontées de valeurs ignorées ou

même bafouées sur le fond. Mais n’aseptisons pas trop le développement

durable, sinon la contagion en sera freinée. Les voies du virus sont parfois

surprenantes.

L'éthique pour révéler le génie du lieu

La HQE illustre bien la nécessité de faire allégeance aux caractéristiques de

chaque territoire. A vouloir imiter un modèle, dont on observe le succès

ailleurs, on entre en concurrence tout en abandonnant ses atouts. Et sur le

terrain de ses adversaires de surcroît. Mauvaise stratégie. Mais attention à ne

pas s’accrocher au passé. Le génie du lieu est vivant. Ce n’est pas un fossile

et il évolue avec son temps. Une vénération qui en ferait une statue figée et

immuable conduirait à l’aveuglement et finalement à une trahison. Tout l’art

est de révéler ce génie et sa signification d’aujourd’hui.

Il peut revêtir de multiples habits. C’est la géographie, le climat, la géologie

et les reliefs, c’est aussi l’histoire, les populations, les usages, les activités,

les cultures, les savoirs et les savoir faire. Le potentiel d’un site est influencé

par ses alentours, les autres territoires et communautés humaines parmi les-

quels il s’inscrit. C’est sa position de carrefour ou de cul-de-sac au fond

d’une vallée. C’est un génie « Arlequin », aux nombreuses couleurs, qu’il

faut découvrir et comprendre, pour aller tenter de les sublimer dans les pro-

jets que l’on échafaude.

Cultiver sa différence, sa spécificité, pour mieux trouver sa place dans sa

région et dans le monde moderne. Appliquons cette approche aux éco quar-

Page 24: imPertinences 0 2012

23

tiers. Ils fleurissent aujourd’hui. Point de nouveau quartier, de ZAC,

d’extension urbaine qui ne se proclame pas « éco » ou « durable ». Les mé-

thodes pour y parvenir font l’objet de livres et de colloques. Les innovations

techniques, à intégrer dans ces quartiers pour les rendre plus performants

sont nombreuses et forcent l’admiration : il s’agit d’économiser des maté-

riaux, de recycler l’eau, de composter sur place les déchets organiques, de

récupérer l’énergie des égouts, de favoriser la biodiversité, de créer des mi-

croclimats, et de bien d’autres choses encore.

Le risque est grand, dans ces conditions, de se faire dominer par la tech-

nique. Zéro empreinte carbone, autonomie énergétique et même énergie

positive, infiltration totale des eaux, voilà des objectifs intéressants, mais

qui ne sont qu’au deuxième rang. Ils doivent être au service du premier

rang : Cet écoquartier, pour quoi faire ? Quel est le projet, humain, politique

au sens plein du terme ? C’est la première question à se poser, même si le

projet répond à un besoin évident, comme loger ou offrir des sites d’activité

ou de loisir, besoin qui ne doit pas aveugler et empêcher la recherche du

génie du lieu. Le besoin et le génie du lieu doivent entrer en résonnance.

Pas de projet « durable » sans la mise à jour du génie du lieu. Pour « faire

avec », le valoriser à l’occasion des transformations que le lieu va connaître,

et obtenir de lui de renforcer le lien naturel qui doit prendre corps entre un

site et ceux qui le fréquentent, et qui doivent en devenir des « familiers ».

Pour les humains, on parle de « bilan de compétences », où l’on cherche à

mettre en évidence le génie propre de chaque personne, parfois enfoui dans

des profondeurs que l’intéressé a laissé tomber depuis longtemps. Le « bilan

de compétences » d’un territoire consiste à retrouver le génie du lieu, de

manière à mettre sa puissance au service du projet. Un projet qui ne peut

être conçu sans rendre au génie du lieu l’hommage qui lui revient.

Page 25: imPertinences 0 2012

24

Pas de HQE sans éthique

Qu’elle s'applique à des constructions, des routes, des quartiers, la HQE ne

se limite pas à une approche technicienne. Le risque est grand, on le voit

souvent, que les exigences matérielles ne fassent oublier la finalité d'un ou-

vrage. Le souci du « bien faire », de la belle ouvrage, pour faire oublier le

but poursuivi : on se concentre sur son métier, avec des œillères qui évitent

toute remise en question. Il faut savoir résister à ces tentations, et rester ou-

verts à tous les besoins formulés à l'occasion d'un projet, besoin de ces fu-

turs utilisateurs, besoin de ces riverains et de toutes les parties prenantes.

Cette attention portée, la finalité d'un projet et son insertion à son environ-

nement humain et biologique relève manifestement d'une éthique de com-

portement sans laquelle ne peut y avoir de qualité.

A l'inverse, une éthique sans instruments opérationnels risquerait fort d'être

impuissante. Sans relais pour l'action elle resterait au niveau des bonnes

intentions, toujours sympathiques et bien insuffisantes mais toujours frus-

trant quand elles ne se réalisent pas. La démarche HQE, prise dans sa globa-

lité, apparaît comme un des outils dont l'éthique a besoin pour se manifester.

Il convient d'aller jusqu'au bout de l'éthique, une éthique ouverte aux préoc-

cupations de notre époque, touchant aux relations humaines et au bien-être

de tous comme la protection et à la valorisation des ressources de la planète.

Une approche transversale, un langage commun permettant à chacun de

participer aux débats, apporte à l'éthique la puissance dont on a besoin pour

parvenir à son tour à une haute qualité, la haute qualité éthique.

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Enoncer et penser l’éthique : une impertinence ? L’apport du Tractatus de Wittgenstein

Martine BRASSEUR

Professeur des Universités - Université Paris Descartes - Sorbonne Paris Cité – CEDAG

Responsable de la spécialité de Master 2 Éthique et Organisations Rédactrice en chef de la revue Humanisme et Entreprise

Résumé :

Dans cet article, nous présentons les apports de Wittgenstein pour la pensée de l’éthique. Il en ressort une double impertinence. La première consiste à partir de l’affirmation que les propositions éthiques ne peuvent former qu’un corpus de non sens pour développer une argumentation plaidant en faveur de l’énonciation et de la pensée de l’éthique. La seconde réside dans la conception même de l’éthique qui peut ressortir des propositions de Witt-genstein et conduire à une approche philosophique de l’éthique dans et par le langage. Abstract :

In this article, we present the contribution of Wittgenstein for the thought of the ethics. A double impertinence emerges from it. We start from the asser-tion that the ethical proposals can only be a corpus of non sense and we develop an argumentation pleading in favor of the statement and the thought of the ethics. The second can be found in the conception of the eth-ics which appears through the proposals of Wittgenstein and lead to a phil-osophical approach of the ethics in and by the language.

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Une première lecture du Tractatus de Wittgenstein (1993), publié en 1922,

pourrait conduire à abandonner toute tentative de « penser l’éthique » ou de

clarifier des propositions éthiques, et même de proposer des propositions

éthiques. Enoncées, ces dernières ne pourraient constituer qu’un corpus de

non-sens, un jeu de l’esprit ou un délire sans rapport avec la réflexion. Or,

comme pour la désignation du « monde vrai », nous ne pouvons que consta-

ter que « l’éthique du monde est » et que le langage est son mode d’accès,

ou plus assurément que c’est par le langage que le monde dans ce qu’il est

contraire à ce qui relève de l’éthique (mal, incorrect, injuste, … inhumain)

devient visible. Dans un processus de pensée s’extériorisant du sujet, tel que

Frege7 l’explicite a permis le traitement de ce que les salariés expriment par

les mots « c’est vrai que c’est mal », et a abouti à la mise en place d’une

réglementation condamnant formellement le harcèlement. Nous retrouvons

ici les trois étapes de la pensée distinguées par Frege (2009, p.96) : « 1. la

saisie de la pensée - le penser ; 2. la reconnaissance de la vérité d’une pen-

sée - le juger ; 3. l’intimation de ce jugement - l’assertion ». L’assertion par

la promulgation d’une loi (dans le sens juridique) nous semble confirmer ce

mouvement d’extériorisation de la pensée qui n’appartient plus au sujet.

Partant de l’approche de la pensée de Frege, le fil directeur de cet article,

dont cette introduction vise à argumenter la pertinence, est d’amener

l’affirmation qu’une pensée de l’éthique est possible et que les propositions

éthiques ne sont pas des non-sens. Si de prime abord, une contradiction,

telle que Wittgenstein (1993, p.69) la définit dans la proposition 4.464 du

Tractatus, pourrait apparaitre comme rédhibitoire, nous allons tenter de

mettre en évidence qu’elle est partielle et non consubstantielle à son ap-

proche. En effet, si l’on s’autorise l’impertinence d’aborder Wittgenstein en 7 , « Alors la vérité se verrait restreinte au contenu de ma conscience, et il demeurerait douteux si dans la conscience des autres quoi que ce soit de similaire se produit » - Gottlob Frege (1918-1919 ; édition 2009), « La pensée une recherche logique », traduction J. Benoist, in Ambroise B. et Laugier S. (2009), textes réunis par, Philosophie du langage I, Signification, vérité et réalité, Paris, Vrin, p.107

Page 28: imPertinences 0 2012

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« l’émancipant de Dieu », ce qui revient à replacer la croyance en Dieu

comme une donnée d’un monde appréhendé dans son intégrité, une deu-

xième lecture est possible et ouvre alors aussitôt la réflexion. L’activité de

clarification de ces propositions sur l’éthique, sans qu’elle représente une

forme de théorisation, d’une part en s’emparant de sa démarche de pensée

par les faits et la logique, et d’autre part en les confrontant à la réalité du

monde, s’avère alors très féconde et au final en vient à contribuer à une ap-

proche philosophique de l’éthique dans et par le langage. Nous proposons

dans cet article d’orienter notre analyse en ce sens et de souligner les ap-

ports pour la pensée de l’éthique des propositions du Tractatus. Pour cela,

nous avons structuré le texte en trois parties : la non-définition de l’éthique,

le sujet et l’éthique et le monde et l’éthique.

1 - La non-définition de l’éthique

Wittgenstein ne pose bien évidemment pas de définition de l’éthique.

Comme il l’explicitera en 1929 dans La conférence sur l’éthique, ce serait

une tentative vaine qui ne se réduirait qu’à une expression possible parmi

d’autres également usitées et ceci alors qu’aucun trait commun n’est repé-

rable autorisant une formulation générique. Sans approfondir l’apport d’une

approche des notions non par définition mais dans une forme de collecte de

toutes les expressions possibles s’y rapportant, après notre première décou-

verte de Wittgenstein, une étude nous semble nécessaire à mener dans les

organisations permettant d’identifier tous les usages du terme « éthique » au

travail : que désigne-t-il ? Mais surtout qu’associent les salariés à cette no-

tion ? Ce que nous éclaire Wittgenstein nous amène à considérer, et ceci

pour sortir d’un relativisme à laquelle cette non-définition pourrait nous

ramener, que l’éthique se situerait dans l’ensemble des expressions non con-

tradictoires les unes avec les autres. A ce stade, il nous apparaît que le bon

plaisir d’un sujet sort de l’éthique quand il passe par la destruction de

l’autre. La défense des valeurs du nazisme sort de l’éthique quand elle passe

Page 29: imPertinences 0 2012

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par l’anéantissement des juifs. Suivant cette logique, nous pouvons considé-

rer que si la proposition α : « les camps d’extermination sont contraires à

l’éthique » peut être affirmée comme vraie, c’est justement en appui sur la

proposition « 6.4 - Toutes les propositions ont même valeur » (Wittgenstein,

1993, p. 109). La seule valeur de la proposition α est sa valeur de vérité dans

la confrontation à la réalité du monde et parce qu’elle est une image de

celle-ci, ceci en plein accord avec la proposition « 4.06 - La proposition ne

peut être vraie ou fausse que dans la mesure où elle est une image de la

réalité. » (Wittgenstein, 1993, p. 55). Par contre, notre analyse nous conduit

à critiquer la proposition « 6.42 - C’est pourquoi il ne peut y avoir de pro-

positions éthiques. Les propositions ne peuvent rien exprimer de Supé-

rieur. » (Wittgenstein, 1993, p. 110). En effet, nous avons formulé des pro-

positions éthiques dont le sens est confirmé par la possibilité qu’elles soient

vraies ou fausses dans la confrontation avec la réalité. Nous nous sommes

interrogés pour approfondir notre réflexion sur un non-sens attribué par

Wittgenstein aux propositions éthiques qui lui serait spécifique et non pré-

sent chez Frege. Notre conclusion aurait alors été de situer la possible pen-

sée de l’éthique chez le second avec une incompatibilité avec le premier. Au

final, c’est le contraire qui semble ressortir, dans la mesure où « par le lan-

gage », il ne s’agit pas de considérer que l’éthique peut se clarifier en par-

tant de la pensée, d’un sens premier, mais d’accéder à la dimension éthique

du monde, de la réalité et de poser des propositions dont le sens relèvera de

leur rapport avec un état de chose factuel en plein accord avec les proposi-

tions : « 3 - L’image logique des faits est la pensée » et « 3.001 - Un état de

choses est pensable » signifie : nous pouvons nous en faire une image »

(Wittgenstein, 1993, p. 41), que nous pouvons compléter par les proposi-

tions : « 4.111 - La philosophie n’est pas une science de la nature (le mot

« philosophie » doit signifier quelque chose qui est au dessus ou au-dessous

des sciences de la nature, mais pas à leur côté) » et « 4.112 - Le but de la

philosophie est la clarification logique des pensées. La philosophie n’est

Page 30: imPertinences 0 2012

29

pas une théorie mais une activité. Une œuvre philosophique se compose

essentiellement d’éclaircissements. Le résultat de la philosophie n’est pas

de produire des « propositions philosophiques », mais de rendre claires les

propositions. La philosophie doit rendre claires, et nettement délimitées, les

propositions qui autrement sont, pour ainsi dire, troubles et confuses »

(Wittgenstein, 1993, p. 57). Les propositions éthiques que nous avons po-

sées sont des images du monde ouvrant non pas sur une théorie, non pas sur

une science mais sur l’activité philosophique. Le mouvement vient de

l’image. Une seconde différence entre Frege et Wittgenstein nous positionne

dans l’approche du second, dont nous cherchons ici à souligner l’apport

pour la pensée de l’éthique. Nous en avons retrouvé la confirmation dans

l’explicitation de Christiane Chauviré (2003, p.88) : « [dans le Tractatus] …

sitôt que la langue est là, le sens est donné. Le sens ne saurait préexister à

la donnée de la langue, dans laquelle nous naissons immergés, à l’inverse

de ce qui se passe dans le réalisme dans le cas du réalisme sémantique de

Frege où les significations sont des entités platoniciennes objectives, qui

préexistent à l’acte de saisie par un esprit humain, et sont indépendantes de

lui. ». Par suite, si nous pouvons énoncer des propositions éthiques, c’est en

accord avec la proposition 3.326 du Tractatus : « Pour reconnaître le sym-

bole sous le signe, il faut prendre garde à son usage pourvu de sens» (Witt-

genstein, 1993, p. 47). C’est-à-dire que nous nous référons à la signification

du symbole « éthique » telle qu’elle est en usage dans le monde, alors que

Wittgenstein tente de positionner l’éthique hors du monde à partir d’un non-

sens préexistant et l’amenant de façon étonnante à condamner le « mauvais

usage » du symbole. Cela pourrait nous conduire à considérer que nous

sommes, concernant l’éthique, plus cohérente avec le Tractatus que Witt-

genstein, et que quoi qu’il en soit nous nous démarquons de Frege.

2 - Le sujet et l’éthique

Page 31: imPertinences 0 2012

30

Notre critique se situe également dans la conception de l’éthique, qui hors

de toute définition formelle, ressort des propositions 6.422 et 6.423 du Trac-

tatus (Wittgenstein, 1993, p. 110) réductrice de la notion d’éthique à :

- ce que doit vouloir le sujet ;

- ce que le sujet ne peut vouloir qu’avec la promesse d’une récompense ou

la menace d’un châtiment ;

- ce qui se rapporte à un acte qui comporte en lui-même la récompense et le

châtiment.

Cette approche est réductrice de la notion dans la mesure où elle considère

que le sujet n’agit de façon éthique que par conditionnement. Or, l’acte peut

s’avérer éthique justement parce que le sujet n’en reçoit aucune récompense

et n’a évité aucun châtiment, voire a vécu une expérience très désagréable et

même, en poussant l’argumentant, a sacrifié sa vie pour réaliser cet acte. La

réduction opérée est au moins de deux ordres. Tout d’abord, elle balaie toute

la philosophie morale et dans ce rejet nie l’existence d’une des expressions

possibles de l’éthique, celle de Kant, considérant que le sujet a une disposi-

tion à la volonté bonne8. La réduction se situe en second lieu dans la théorie

sur la motivation du sujet qui relève du courant behavioriste9 fortement cri-

tiqué pour la réification du sujet « dépossédé de sa volonté propre », animé

uniquement d’une quête hédoniste de plaisir et invalidée au quotidien dans

le monde professionnel par des salariés exprimant une quête de sens et

d’autodétermination10 et prêt pour cela à « se donner du mal ». Ainsi non

seulement la proposition de Wittgenstein « la récompense doit être quelque

8 Pour Emmanuel Kant (1972, p.39) « L’homme est bon par nature », in Religion, traduit J. Gibelin (1972), Paris, Vrin, p.39 9 Burrhus Frederic Skinner, théoricien du courant behavioriste conclue son ouvrage, L’analyse expérimentale du comportement, publié en 1969, en annonçant par sa méthode de renforcement positif et négatif la possibilité de l’avenue d’un monde éthique, où tous les individus adopteraient le bon comportement par conditionnement de leur environnement. Il est remarquable que ces travaux aient été justement critiqués, notamment par les théoriciens du courant des relations humains, pour la « déshumanisation » dont ils étaient porteurs. 10 Les travaux de Deci et Ryan valident les hypothèses sur la quête d’auto-détermination des sujets - voir Deci, E. L., Connell, J. P. and Ryan, R. M. (1989), “Self-determination in a work organisation”, Journal of Applied Psychology, 74, p. 580-590

Page 32: imPertinences 0 2012

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chose d’agréable, le châtiment quelque chose de désagréable » est fausse,

puisque les faits la réfutent, mais elle ne rend pas compte de la réalité de

l’acte du sujet. Même si la proposition 6.423 clos la question en reposition-

nant le vouloir éthique, d’une part dans le corpus des non sens d’une pensée

de l’éthique puisqu’il est ni vrai, ni faux, et d’autre part dans le champ de la

psychologie, n’est ce pas cette conception qui relie l’émergence d’actes non

éthiques à une dynamique de récompense/sanction sans envisager la pos-

sible existence d’une quête d’éthique du sujet, qui conduit à une non-pensée

de l’éthique ? La question est-elle, pour un bien et un mal qui s’imposerait

au sujet, celle de son vouloir ou de son non-vouloir ? Ou bien la question

est-elle celle une fois le vouloir éthique posé au même titre que la recherche

de vérité, de définir le processus permettant l’acte éthique, alors que le sens

n’est pas donné au sujet, ni même le bien et le mal ? Ne peut-on pas consi-

dérer que les sujets ont un vouloir éthique (ils veulent le bien) et que c’est

saisir ce qui est bien ou mal qui est la recherche ? Cette recherche ne peut-

elle pas désigner une activité de pensée de l’éthique qui pourrait s’appuyer

pour ce faire sur l’approche de Wittgenstein et notamment la proposition : «

3 - L’image logique des faits est la pensée » (Wittgenstein, 1993, p. 41) et

en toute cohérence avec la proposition 6.4. En effet, il ne s’agit pas de hié-

rarchiser les propositions, ce qui serait un non-sens mais de saisir l’éthique

du monde par le langage. En cela « valeur » peut être l’objet des proposi-

tions sans que les propositions sur les valeurs aient plus de valeur que

d’autres. Si cette approche semble être empêchée par l’approche de

l’éthique de Wittgenstein par les valeurs telle que nous l’avons comprise

dans le Tractatus et par le positionnement des valeurs dans le surnaturel,

l’affirmation suivante nous conforte dans cette analyse : « C’est dans le lan-

gage […] que se joue l’éthique. En ce sens, l’éthique se montre comme la

logique […]. Diamond critique une fascination en éthique […] pour un

idéal normatif qui empêche de voir ce qui est ce qui est sous nos yeux.»

(Laugier, 2009, p.312). Malgré tout, notre propos à ce stade nous semble

Page 33: imPertinences 0 2012

32

aller au-delà en considérant que l’éthique ne se joue pas que dans le langage

mais aussi par les jeux de langage, dans une énonciation du sujet de ce qui

est « sous ses yeux » dans le monde (sous l’angle analogique). Si l’on con-

sidère qu’il ne s’agit dans la conception de l’éthique qui ressort des proposi-

tions de Wittgenstein que d’une de ses expressions possibles parmi d’autres

dont la totalité des possibilités n’a pas encore été explorée et dont la totalisa-

tion est en cours, ouvrir la possibilité d’une pensée de l’éthique en

l’associant à une image logique des faits, ressort à ce stade comme particu-

lièrement fécond. Adoptant sa conception de la philosophie, ce qui revient à

s’imposer une éthique de la pensée (la bonne façon de penser), c’est-à-dire

en considérant que « la philosophie est vraiment "purement descriptive" »

(Wittgenstein, 1996, p. 58), nous pourrions appréhender l’approche de

l’éthique par les valeurs comme une expression possible à l’œuvre dans le

monde : un fait permettant de saisir une sorte d’éthique, de la rendre visible

au sujet. Nous rapprochant fortement de l’affirmation suivante de Sandra

Laugier (2009, p.314) : « Il n’y a pas de propositions éthiques mais le pro-

pos éthique du Tractatus est dans cette compréhension même, qui est celle

de la nature véritable, non normative, de l’éthique », nous en venons à nous

en démarquer en posant des propositions éthiques mais en considérant que si

elles prennent forme de loi (dans le sens logique), celle-ci ne sera pas « de

la forme : " tu dois… " » comme le formule Wittgenstein dans la proposition

6.422, mais comme le présente Putnam : « plus que des descriptions » et

« aussi des descriptions »11. Cette conclusion est essentielle dans la ré-

flexion sur l’éthique car se conformer, suivre les lois juridiques peut

s’avérer contraire à l’éthique et à l’opposé c’est dans la désobéissance ou la

déviance que peut se jouer le bien, le bon, le juste,… l’humain. Par le lan-

gage, l’activité philosophique de la pensée de l’éthique serait à l’œuvre en

chaque sujet dans un processus en plein accord avec la définition de la phi-

11 cité par Sandra Laugier (2009, p.317) : entretien inédit, recueilli en 2000, traduit par M. Coelho

Page 34: imPertinences 0 2012

33

losophie de Wittgenstein (1993, p. 58) dans le Tractatus, telle que nous la

comprenons dans la proposition : « 4.115 - Elle signifiera l’indicible en fi-

gurant le dicible dans sa clarté ».

3 - Le monde et l’éthique

La contradiction avec Wittgenstein ne nous semble pas résider dans la pro-

position 6.421, où éthique et esthétique dans la parenthèse de la proposition

sont affirmées comme une seule et même chose. En effet, cette affirmation

nous semble découler de la définition de l’éthique par les valeurs, dont le

rapprochement à l’esthétique est plus de l’ordre de l’étayage que de l’idée

nouvelle. L’éthique ne se laisserait pas énoncer et serait transcendantale, car

ce serait comme pour la logique dans la proposition 6.13 (p.102), parce

qu’elle serait « une image qui reflète le monde ». S’agit-il alors de considé-

rer que : éthique, esthétique et logique sont une seule et même chose ? Si

dans la comparaison entre éthique et logique12, en toute logique, la distinc-

tion qui découle de notre analyse est que la logique se montre et l’éthique se

dit (la logique nous conduit à dire l’éthique), et sans développer plus une

forme de raisonnement à rebours pouvant rapidement aboutir à une contra-

diction avec « l’éthique est transcendantale », à ce stade de la réflexion,

nous retiendrons que si « l’éthique n’a pas de proposition « ce n’est pas

parce qu’elle est hors du monde, mais parce que, comme la logique, elle est

partout (partout dans notre langage). » (Laugier, 2009, p.311). Au final,

l’apport de Wittgenstein nous semble plus résider dans cette comparaison

entre éthique et logique, que dans l’assimilation en une même chose de

l’éthique et de l’esthétique, même si nous en arrivons à la conclusion d’une

nécessaire différenciation tant la logique est nécessaire pour ouvrir la possi-

bilité de dire l’éthique. Cette dernière citation nous est salvatrice car elle

autorise le placement de l’éthique dans le monde et même elle affirme que

Wittgenstein ne la positionne pas ailleurs. Par contre, l’éthique est-elle par- 12 « L’éthique se montre comme la logique », Sandra Laugier (2009, p.312)

Page 35: imPertinences 0 2012

34

tout dans le langage comme l’est la logique ? Cet article ne nous permettra

que d’en amener l’interrogation. Ce positionnement n’en est pas moins en

contradiction avec la proposition « 6.41 - Le sens du monde doit être en

dehors de lui. Dans le monde, tout est comme il est, et tout arrive comme il

arrive : il n’y a en lui aucune valeur - et s’il y en avait une elle serait sans

valeur. S’il y a une valeur qui a de la valeur, elle doit être extérieure à tout

ce qui arrive, et à tout état particulier. Car tout ce qui arrive et tout état

particulier est accidentel. Ce qui le rend non accidentel ne peut être dans le

monde, car ce serait retomber dans l’accident. Ce doit être hors du

monde. » (Wittgenstein, 1993, p. 109). Nous ne développerons pas de com-

mentaire sur un sens du monde « qui est » chez Wittgenstein, certes, hors du

monde et hors d’une volonté des sujets (le monde « est » et les sujets

« sont » hors de toute volonté ; le hasard est-il du ressort du «Supérieur » ?),

mais qui « est », de même qu’une volonté est posée associée au surnaturel et

au Supérieur, tout autant que l’énoncé d’un espace de « non accidentel », un

extérieur au monde, dont la seule existence nous semble non réfutable. La

proposition 6.41 nous semble ouvrir sur deux pistes d’approfondissement du

rapport au monde du sujet et de la pensée. La première tient à la définition

de l’éthique de Wittgenstein comme un jugement de valeur absolue qui

émanerait du surnaturel ou du Supérieur. L’étude des théories de Jung nous

offre un nouvel éclairage possible de cette proposition et semble ouvrir et

non pas clore comme Wittgenstein nous y conduirait dans une première lec-

ture, la possibilité de la pensée. En effet, pour Jung (1991, p.242) dans un

ouvrage publié en 1920, « L’âme est la personnification de l’inconscient. En lui

gît le trésor : la libido plongée ou engloutie par introversion. Cette masse de

l’inconscient est appelée « royaume de Dieu », union ou réunion constante à Dieu,

vie dans son royaume, c’est-à-dire dans un état où une somme prépondérante de

libido gît dans l’inconscient d’où elle détermine la vie consciente ». La proposi-

tion de Wittgenstein n’est-elle pas l’expression de ses processus incons-

cients ? Les jugements de valeurs absolues seraient dès lors hors du monde

Page 36: imPertinences 0 2012

35

naturel conscientisé mais situé dans son rapport inconscient au monde ?

Cette interrogation comporte deux volets séparables dans leur approfondis-

sement :

1 - la notion de saisie inconsciente du monde contribuant à la compréhen-

sion mais hors du langage qui par essence relève de la conscience ;

2 - la proposition sur une possible différenciation des sujets en fonction de

leur mode de saisie du monde.

Sans ramener le Tractatus à la description par Wittgenstein de sa façon à lui

de saisir le monde sans portée généralisatrice, nous pouvons à ce stade et a

minima amener la proposition que l’accès au monde par le sujet peut

prendre des modes différents. Il ne s’agit pas ici d’aborder les limites asso-

ciées aux capacités cognitives des sujets mais de clarifier le processus de

perception en mettant en évidence qu’il comporte plusieurs dimensions et

non un seul mode d’accès par la saisie logique de faits « sans valeur ». En

effet, cette forme de saisie du monde correspond à un mode conscient pos-

sible, tel que Jung (1991) le définit dans ce qui a les limites d’une théorie

située dans le champ de la psychologie, et présentée dans son ouvrage, Les

types psychologiques. Ce mode de saisie s’effectue consciemment tandis

qu’un mode inconscient est à l’œuvre par les valeurs et dans la prise en

compte de la composante « sensible » du monde. D’autres sujets, selon Jung

(1991), ont un mode d’accès différent au monde, le mode d’accès par les

valeurs, le sensible étant conscient donc énonçable, quand le mode logique

par les faits « sans valeur » s’effectue de façon inconsciente. La théorie de

Jung considère que tous les sujets sollicitent les deux modes d’accès au

monde et qu’ils lui sont nécessaires pour saisir toutes les dimensions du réel.

Son apport est de nous amener à considérer que la logique, l’éthique,

l’esthétique sont des modes d’accès au monde tous sollicités par les sujets

mais de façon différente en fonction de la priorisation fonctionnelle spéci-

fique à chacun et de leur activation consciente ou inconsciente. Nous re-

trouvons un étayage chez Wittgenstein du bien-fondé de cette piste

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36

d’élucidation. L’approche par les valeurs n’est-elle pas déclarée dans sa

Conférence sur l’éthique : constituer « une tendance qui existe dans l’esprit

de homme » (Wittgenstein, 2008, p. 155) ? Dans Les Recherches philoso-

phiques, Wittgenstein (2004) semble d’ailleurs l’explorer, par exemple lors-

qu’il relève à la fois la similitude entre logique et musique, et explicite la

distinction entre connaissance et compréhension, tout en rendant compte de

ce qui échappe à l’énonciation (car c’est inconscient ?). En revenant aux

étapes définies par Frege, ne peut-on pas considérer que l’éthique et

l’esthétique sont présentes dans la saisie et non la logique qui relève exclu-

sivement du jugement ? Par contre, il semble difficile de ramener la saisie

des faits à ce qui relèverait exclusivement de l’éthique et de l’esthétique.

Nous arrivons plutôt à les considérer comme relevant du « sensible » (ce qui

nous touche). Le « sensible » viendrait dès lors se joindre dans la saisie des

faits au « non sensible » sur lequel nous semble t’il Wittgenstein centre son

approche. Au final, l’éthique s’en trouve dissociée de la notion de valeurs et

rattachée à la perception sensible du monde. Cet angle de clarification nous

permet d’investiguer un autre apport de Wittgenstein dans ce mouvement de

« boomerang » qui d’une proposition dont la première lecture semble con-

duire à l’impossible pensée de l’éthique, en vient au contraire à ouvrir et

étayer la réflexion. Ainsi, la proposition 6.41 présente comme un argument

que : « tout ce qui arrive et tout état particulier est accidentel ». Or ce parti-

cularisme est au contraire ce qui peut nous amener à affirmer que si dans

l’éthique, il réside un jugement de valeur, celui-ci n’est pas un jugement de

valeur absolue, tel que Wittgenstein (2008, p.145) le définit dans sa Confé-

rence sur l’éthique, mais un jugement de valeur relative qui « est un simple

énoncé des faits et peut par conséquent être formulé de telle façon qu’il

perd tout jugement de valeur ». Si nous en revenons dès lors à l’énonciation,

à la pensée de l’éthique, il apparait que : « Les éléments du vocabulaire

éthique n’ont de sens que dans le contexte de nos usages et d’une forme de

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vie, où plutôt prennent vie sur l’arrière-plan (celui de la praxis) qui « donne

aux mots leurs sens » (Laugier, 2011, p.361).

Penser l’éthique est non seulement possible mais Wittgenstein permet d’en

ouvrir plusieurs chemins dans et par le langage dans une quête permanente

et à jamais achever tant le mal du monde en deviendrait indicible et se per-

pétuerait comme un état de choses inéluctable, une donnée irréductible du

monde.

***

Bibliographie Ambroise B. et Laugier S. (2009), textes réunis par, Philosophie du langage I, Signification, vérité et réalité, Paris, Vrin Benoist J. et Laugier S. (2004), éds, Husserl et Wittgenstein, De la descrip-tion de l’expérience à la phénoménologie linguistique, Hildesheim - Zürich - New York, Georg OLMS Verlag Chauviré C. (2003), Voir le visible : La seconde philosophie de Wittgens-tein, Paris, PUF, coll. Philosophies, Gottlob Frege (1918-1919 ; édition 2009), « La pensée une recherche lo-gique », traduction J. Benoist, in Ambroise B. et Laugier S. (2009), textes réunis par, Philosophie du langage I, Signification, vérité et réalité, Paris, Vrin Jung C.G. (1991), Types psychologiques, Traduction Y. Le Lay, Genève, Librairie de l’Université Georg er Cie S.A. Kant E. (1972), Religion, traduit J. Gibelin, Paris, Vrin Laugier S. (2004), « Aspects, sens et perception », in Benoist J. et Laugier S., éds, Husserl et Wittgenstein, De la description de l’expérience à la phé-noménologie linguistique, Hildesheim - Zürich - New York, Georg OLMS Verlag Laugier S. (2009), Wittgenstein, le sens de l’usage, Paris, Vrin, coll. Mo-ments philosophiques Laugier S. (2011), « Care et perception » in Paperman P. et Laugier S., Dir., Le souci des autres, éthique et politique du care, nouvelle édition augmen-tée, Editions des hautes études en sciences sociales, coll. Raisons pratiques Paperman P. et Laugier S. (2011), Dir., Le souci des autres, éthique et poli-tique du care, nouvelle édition augmentée, Editions des hautes études en sciences sociales, coll. Raisons pratiques

Page 39: imPertinences 0 2012

38

Wittgenstein L. (1922), Tractatus logico-philosophicus, traduction de Gran-ger G .G. (1993), édition 2011, Paris, Gallimard Wittgenstein L., Le Cahier bleu et le Cahier brun, traduction de Godlberg M. et Sackur J. (1996), Paris, Gallimard, Bibliothèque de Philosophie Wittgenstein L. (1929), Conférence sur l’éthique, (2008), Gallimard, coll. Essai, Poche Wittgenstein L., Recherches philosophiques, traduction F. Dastur, M. Elie, J.L. Gautero, D. Janicaud, E. Rigal (2004), Gallimard, coll. Bibliothèque de Philosophie

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La performance au travail sans sûreté éthique : est-ce possible ?

Bruno BROCHENIN Diplômé de l’ESSEC

Consultant En Organisation et Systèmes D’information Responsable Du Pôle ERP chez Alia Consulting.

Résumé :

La grande entreprise contemporaine s’est rendue totalement dépendante de ses systèmes d’information pour assurer sa performance globale. Les chiffres de l’investissement par les entreprises dans les technologies de l’information et de la communication donnent le tournis : 2500 milliards d’Euros à l’horizon 2015 dans le monde. En France, l’activité représenterait 150 milliards d’Euros et 1,2 millions d’emplois. Le sens commun voit combien l’engagement humain s’avère critique pour l’efficacité opérationnelle, la rentabilité et la sûreté de tels investissements : - De la part des équipes projet pour assurer l’efficience de la dépense (respect du cahier des charges, des délais et du budget) d’abord, - De la part des équipes de maintenance pour assurer le bon fonctionnement de ces énormes machineries lorsqu’elles sont en place, - De la part des heureux bénéficiaires pour qu’ils s’approprient leurs nouveaux outils et les utilisent à bon escient malgré leur complexité. Or, au sein même de l’appareil productif, les statistiques publiques pour la France montrent une perte moyenne de 23% de la valeur ajoutée produite : C'est un signe fort du désengagement des acteurs dans leur entreprise. La perte du sens dans le rapport au travail atteint d’évidence toutes les sphères, lorsque l’institution publique elle-même en arrive à s’interroger sur la valeur économique de la prestation du sapeur-pompier. Tandis que les rhéteurs continuent à porter des théories contredites quotidiennement par les faits, des praticiens reviennent aux bases expérimentales de la science pour reconstruire une pensée mieux fondée. Ainsi, la grille d'analyse de René Ruppert permet de caractériser l'essentiel d'un état d'esprit au travail : la rencontre des aspirations du collaborateur et de la perception des exigences de l’entreprise à son égard.

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L’Université elle-même éprouve l’impérieuse nécessité sociale de valoriser sa recherche fondamentale en management dans une recherche appliquée réellement originale, novatrice et, peut-être, salvatrice. Le plus grand danger des grandes organisations fondées sur des systèmes d’information complexes pourrait donc bien être le facteur humain … à moins qu’un antidote existe : l’éthique ? Abstract :

On the bottom line, great companies now totally rely on complex infor-mation systems indistinctly intertwined with their organization. As spending in new technologies is skyrocketing, it is commonsense that return on in-vestment depends on teams’ commitment to implement and to use tools properly. National statistics in France show that an average 23% of the add-ed value produced is destroyed on premises within working units. Acknowl-edging this is doubtless evidence of personnel’s disengagement, it is high time practitioners and scientists come back to the grassroots of economics: communities at work for their daily bread. Hence, scientific understanding of economics would probably come nearer to anthropology and to sociology than to mathematics. “Cindynics”, a major contribution of revered Sorbonne to “the science of networks in danger”, state five dimensions to describe a network : its goals, its values, its models, its rules, and its measures of hard facts. Computing and so called management sciences would have thought it sufficient to hold models, rules and data together in one information system. Stakeholders would be interested in a clarification about a company’s eco-nomical goals: should it deliver a production useful for the community, add-ed value for all contributors, profit for the happy few or dividends for the even fewer? Personnel might feel all the more involved that company values spotlighted in glamorous brochures indeed prevail in day to day instructions. As ethics has become the major failure in modern firms, an ethical security approach should prove to be the shortest way out of crisis and back to pros-perity.

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L’INFORMATIQUE, ENTRE ÉTHIQUE ET CINDYNIQUE « KESSEKSA ? Ail et crucifix à brandir face au Malin ? »

s’interroge le manager performant, de passage sur Le Journal du Net et sou-

cieux de rester en prise avec l’actualité professionnelle.

Confrontés à la crise grandissante, quelques clercs ont conçu une « science

du danger » baptisée du doux nom de « cindynique ». Alors que le plus

grand nombre pourrait n’y voir que triste augure à l’aube du 3e millénaire,

réunis en concile à l’UNESCO le 31 Janvier 201213, ils affirment y voir la

révolution copernicienne des affaires et le moyen de conjurer la crise …

pour autant qu’ils parviennent à se faire entendre au-delà de leur antre.

Le Général de Gaulle ne connaissait pas la crise lorsqu’il lança son impéris-

sable réplique : « Vaste programme ! ». Pouvait-il imaginer l’ampleur que

prendrait le phénomène à peine quelques décennies plus tard ? Des pion-

niers, au premier rang desquels Georges-Yves Kervern14, eurent le courage

de prendre le sujet à bras le corps. Déclinant un à un les quatre-vingt-dix-

neuf noms de la sottise, à chacun ils disent « halte-là ! » :

- sentiment d’infaillibilité

- simplisme

- non-communication 13 Voir l’annonce de la conférence inaugurale de l’Académie de l’Éthique 14 Voir : « Cindyniques : concepts et mode d’emploi », par Georges-Yves Kervern et Philippe Boulenger, Economica

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- nombrilisme

- productivisme

- dilution des responsabilités

- …

Le simplisme mérite une mention particulière tant il envahit notre quotidien

des affaires :

- sublimé par les théorisations mathématiques de l’économisme for-

maliste

- industrialisé par la modélisation des processus

- magnifié par les « présentations Power Point »

- martelé par les objectifs quantitatifs

- révéré dans le reporting mensuel

Rejoignant la tradition ethnologique d’une vision substantiviste de

l’économie, la cindynique voit dans l’entreprise des hommes agissant en

réseaux, et un enchevêtrement des réseaux : la vie, plutôt que des équa-

tions ! Elle analyse chaque réseau selon cinq dimensions :

- ses objectifs et finalités

- ses valeurs

- ses modèles et représentations

- ses règles de fonctionnement

- sa mesure des faits

Concernant la finalité économique de l’entreprise, il importe de souligner la

confusion trop souvent entretenue entre des concepts comptables distincts15:

- la production de l’entreprise : évaluation monétaire du service rendu

15 Voir : « Quelle est la valeur économique de la prestation du sapeur-pompier » , article publié in Qualitique

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- la valeur ajoutée : part de la production assurée par l’équipe interne à

l’entreprise

- le profit : part de la valeur ajoutée répartie entre les parties prenantes

pour leur contribution

- le dividende : part du profit attribuée à l’actionnaire

Ces indicateurs représentent des approches radicalement différentes de la

performance économique. Entretenir un écran de fumée pour faire croire à la

pertinence exclusive d’un seul de ces indicateurs relève d’un très mauvais

numéro de magie. Fort heureusement, la rigueur critique de la raison raison-

nante managériale permet d’échapper à de telles manipulations.

Tandis que la crise nait des dissonances, la performance de l’entreprise nait

de l’harmonie entre toutes ses dimensions. Mis au défi de vendre un pot de

yaourt, un publicitaire en avait eu l’intuition : « Ce qui fait du bien à

l’intérieur se voit à l’extérieur ».

Michel Joras tient une part particulière parmi les pionniers, ayant si bien su

mettre en évidence cette dissonance majeure de l’entreprise contemporaine,

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entre ses valeurs proclamées et la réalité de ses règles de fonctionnement.

L’éthique est cette discipline de l’action qui veille à leur cohérence.

L’ampleur de la crise appelant une démarche de rupture, la « sûreté

éthique » en constitue probablement la pierre angulaire. En introduction à

l’ouvrage coécrit par Jacques Igalens16 , le propos de Daniel Lebègue, prési-

dent de l’ORSE et de Transparence International France, est d’une limpidité

cristalline:

« Le rétablissement de la confiance des parties prenantes – clients, sala-

riés, actionnaires, acteurs de la société civile – ne se fera dans la durée

que si les entreprises et les organisations sont capables de redonner

toute leur place aux valeurs et aux principes d’action éthique qui cimen-

tent la vie collective et donnent son sens à la vie individuelle. »

Dans « Où va l’entreprise ? », Bruno Brochenin met en lumière l’ambition

des bâtisseurs d’entreprise contemporains de formaliser une architecture

d’entreprise bétonnée par son système d’information. Ils attendent de

l’informatique qu’elle fédère modèle d’organisation, règles de fonctionne-

ment et mesure des faits. Curieusement, là où marchands et méthodologues

veulent voir des « solutions informatiques », les bénéficiaires évoquent plus

volontiers leurs « problèmes informatiques » : dissonance cindynique ma-

jeure et emblématique de notre quotidien en entreprise. La technologie n’y

est évidemment pour rien, la mauvaise conception du système d’information

pour pas grand-chose : il s’agit d’un symptôme du délitement du réseau des

hommes constituant l’entreprise. La conscience collective dégénère jusqu’à

oublier sa finalité primordiale et la communauté du gagne-pain tombe en

déshérence.

16 Voir : « La sûreté éthique : du concept à l’audit opérationnel », par Jacques Igalens et Michel Joras, EMS

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Confondant « pouvoir d’agir » et « pouvoir d’achat » l’illusion consumériste

prend le dessus et certains sont prêts à payer cher une « solution simple » à

un problème complexe ; les marchands ne manquent pas pour en proposer et

flatter sans modération la vanité du « client-roi ». A l’opposé, éclectisme et

exigence d’engagement mutuel marqueront le sérieux d’une proposition

cindynique cohérente.

Dans l’addiction générale à l’Internet et au téléphone mobile, d’aucun pour-

rait voir l’émergence d’un nouvel espoir de communion universelle, en

substitut à une transcendance déliquescente.

De plus en plus insistante, l’invocation du « cloud » parait plus sûrement

marchande que métaphysique. Au-delà d’un premier sentiment de surpuis-

sance sur un « clic » du bout du doigt, qui ne s’interrogera sur la qualité de

relation entre acteurs réfugiés derrière leurs écrans, dissimulés sous les faux-

nez de leurs « pseudos » ? Qui n’a éclaté de rire en entendant un « Sophie

Dupont à votre service » prononcé avec un accent du bout du monde ? Les

usines « off-shore » du service « low-cost » nous renvoient surtout au néant

du dialogue entre les cultures : en 1955, Claude Lévi-Strauss publiait

« Tristes Tropiques », et cinquante ans de progrès se sont écoulés depuis.

Alors que l’informatique s’affiche en tête des sciences appliquées au mana-

gement, les statistiques le prouvent, science sans conscience n’est que ruine

de l’entreprise. La dispersion et l’entrelacs des relations entre donneurs

d’ordres et sous-traitants informatiques créent toutes les conditions d’une

fracture cindynique majeure. Outre qu’ils ne sauraient se substituer à

l’engagement personnel des uns envers les autres, les savants édifices con-

tractuels aggravent plus sûrement l’entropie ambiante qu’ils ne la réduisent.

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Dans un tel contexte, la reprise en main de la fonction de pilotage du sys-

tème d’information, en symbiose avec l’organisation qu’il sert, couvre des

enjeux opérationnels et sécuritaires critiques : seule une équipe résolument

« on board » peut espérer redonner sens à un système d’information dissipé

dans le cloud, et consistance au réseau des hommes qui en vivent.

L’ambition de l’équipe d’AliA Consulting est de relever ce défi là.

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Les managers sont-ils encore machos ?

Dr. Françoise de BRY Docteure ès Sciences économiques – Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Enseignante-chercheure, Hdr

Vice-présidente de l’Académie de l’Éthique Résumé : Le machisme d’aujourd’hui trouve ses racines dans le patriarcat des temps les plus anciens, même si certaines organisations ont connu le matriarcat. Si cette tendance sociologique a perdu force et vigueur, elle prédomine encore au 21ème siècle, notamment sous l’influence des religions, des politiques qui veulent garder leur place dans les institutions, mais aussi d’idées reçues. Par exemple, en période de chômage, se répand largement le préjugé que : « Les femmes prennent le travail des hommes », justifié par des stéréotypes tels que: la femme est avant tout une épouse et une mère, si elle travaille son salaire ne peut être qu’un salaire d’appoint. Les mentalités ont certes évolué, spécialement grâce à la promulgation de différents textes sur l’égalité femmes/hommes, mais des bastions demeurent, sans aucun doute, notamment dans le monde politique et le monde du travail à un moindre degré. Cependant, que les hommes se rassurent, malgré les avancées récentes, il reste de la place pour les machos. Cet article, volontairement provocateur, montre que les moyens mis en place, légaux ou consentis librement, ne sont encore pas suffisants pour assurer l’égalité femmes/hommes en France. Abstract : Machismo of today finds his roots in ‘ patriarcat ‘ from the old time even if some organizations have known ‘ matriarcat ‘. Even if the sociological tendency is less vigorous, it is still predomi-nating in the 21st century especially under the influence of religions and politicians who want to keeps their place in the institutions. There is also, the preconceived idea, during high rate of employment, that “Women take the work from the men”, strengthened by the stereotype that woman is first a spouse and a mother, and if she works, her wage is considered extra income. Today, mentalities have certainly evolved, especially thanks to new legislation on gender dis-crimination, but bastions remained in the political world and work environment to a certain degree. But men can be reinsured, despite recent progress, there is still room for machos. This article is voluntary provocative and will show that means put in place, legal or not, are not sufficient to prevent gender discrimination in France. Today, mentalities have certainly evolved, especially thanks to new legislation on gender dis-crimination, but bastions remained in the political world and work environment to a certain degree. But men can be reinsured, despite recent progress, there is still room for machos. This article is voluntary provocative and will show that means put in place, legal or not, are not sufficient to prevent gender discrimination in France.

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Le préambule de la constitution française déclare, sans ambiguïté, que « les hommes

(avec un grand H qui a probablement disparu dans les oubliettes de l’histoire !) naissent

et demeurent libres et égaux en droits », mais, dans la réalité quotidienne, comme le

proclame l’humoriste Coluche « Les hommes naissent libres et égaux, mais certains

sont plus égaux que d'autres ». Je me souviens avoir été profondément choquée

par un article récent d’un mensuel économique dont la page de couverture titrait :

« Tu seras un manager mon fils », illustrée exclusivement pas des couples pères –

fils.

La grammaire, au secours des machos dans l’entreprise

Certes, nos distingués académiciens17 refusent de féminiser les noms de métiers,

arguant qu’ils représentent une fonction et non une personne. Ainsi, président

symbolise une fonction alors que la présidente est la femme du président. Je vou-

drais cependant qu’on m’explique pourquoi les fonctions dites « socialement va-

lorisantes » (médecin, chirurgien, maire, député, sénateur …) ne peuvent être

féminisées alors que celles considérées, comme « socialement dévalorisantes »,

donc par essence féminines, sont rarement masculinisées (ménagères, sage-

femme, repasseuse, esthéticienne, puéricultrice …).

Nul n’ignore que, jusqu’au 19ème siècle, le féminin existait pour toutes les fonctions.

Ainsi, Jeanne d’Arc était nommée commandante en « cheffe des troupes royales ». De

même, le masculin ne l’emporte sur le féminin dans la grammaire française que depuis

le 17ème siècle. Jusque-là, la règle dominante était l’accord avec le substantif le plus

proche ; ainsi écrivait-on : « un chien et cent femmes étaient contentes de leur belle

promenade » (Moreau, 1999). Pourquoi attacher tant d’importance à cette féminisation 17 Ils écrivent : « Il convient de rappeler que le masculin est en français le genre non marqué et peut de ce fait désigner indifféremment les hommes et les femmes ; en revanche, le féminin est appelé plus pertinemment le genre marqué, et la marque est privative. » (http://www.academie-francaise.fr/langue/index.html

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des termes ? parce que les mots ne sont pas neutres, ils véhiculent une image et les utili-

ser, c’est montrer son existence, c’est ce que souligne la Présidente de l’Association des

femmes journalistes en commençant ainsi l’un de ses discours « Ce n’est pas en endos-

sant les habits des puissants que l’on devient puissant. Passer inaperçue, avoir un titre

au masculin, nier sa féminité, s’autocensurer, il y a des femmes qui pensent qu’elles

doivent cloner les hommes pour réussir. Une m’a dit : je suis directeur d’usine, pas di-

rectrice d’école. » (Cité par Dousset, 2003).18

Si la féminisation des noms de métiers semble indispensable, notamment en termes

d’images, ses effets n’apparaîtront que sur le long terme. Aujourd’hui, la situation est

paradoxale, en France les femmes ont atteint l’égalité juridique avec les hommes (même

si tout est perfectible, notamment en termes de preuves ou de sanctions), mais elles sont

largement minoritaires dans les hautes sphères de l’entreprise. À qui la faute ? à la so-

ciété qui entretient dès l’enfance les stéréotypes masculin et féminin, aux femmes qui ne

se donnent pas toujours les moyens d’accéder aux postes à responsabilité ; enfin, aux

managers qui, selon leur degré de machisme, craignent la concurrence féminine sur le

marché du travail, les difficultés qu’ils pourraient rencontrer dans l’organisation du tra-

vail dans l’entreprise ou, pour les pires d’entre eux, pensent que la place des femmes est

au foyer.

L’égalité juridique n’assure par l’égalité managériale

Les femmes reviennent juridiquement de loin19 : « Les personnes privées de droit sont

les enfants mineurs, les femmes mariées, les criminels et les débiles mentaux » disposait

l’article 1124 du code civil de 1804, texte fortement téléguidé par le machisme avéré de 18 Une circulaire du 11 mars 1986 propose la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre, complétée au2ème trimestre 1999 par un Guide d'aide à la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre de l'institut national de la langue française. Nous emploierons, dans la suite de ce texte, sans état d’âme grammatical, le terme de « manager « pour désigner les hommes et de « managère » pour désigner les femmes. 19 En 1801, Sylvain Maréchal, précurseur de l’anarchisme et auteur avec Gracchus Babeuf du « Manifeste des Égaux » publie un opuscule : « Il ne faut pas que les femmes sachent lire ou Projet portant défense d’appendre à lire aux femmes ».

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l’Empereur, fossoyeur des droits de la femme. Il faudra deux siècles pour effacer les

effets inégalitaires du code Napoléon20.

Mais l’égalité juridique n’assure par l’égalité femmes/hommes dans le quotidien, no-

tamment en politique ou dans l’entreprise. L’avènement plus ou moins récent de

femmes présidentes ou premières ministres en Allemagne, en Nouvelle Zélande, en Fin-

lande, en Amérique du Sud … Quelques exemples : Dima Rousseff au Brésil, Mary

McAleese en Irlande, Tarja Halonen en Finlande, Angela Merkel en Allemagne (consi-

dérée comme la femme la plus puissante de la planète par le magazine Forbes), …, mais

ces modèles ne doivent pas faire illusion ; la mixité politique est loin d’être atteinte. La

France fait d’ailleurs figure de lanterne rouge de l’Europe avec 12,1% de femmes à

l’Assemblée nationale (juste avant la Grèce), les partis politiques, quels qu’ils soient,

préférant payer des amendes plutôt que se conformer à la loi sur la parité21.

Sur le marché du travail français, la situation n’est guère plus brillante qu’en politique,

mais elle est paradoxale. In fine, les filles sont plus diplômées que les garçons, cepen-

dant aucune femme ne dirige une entreprise du CAC 40 et 7 femmes seulement sont

patronnes parmi les 5 000 premières entreprises françaises. Quant aux conseils

d’administration, la proportion de femmes avoisinent les 7%, une partie d’entre elles

étant des héritières ou des représentantes du personnel sans droit de vote. La catégorie

des cadres est féminisée aux environ de 30% et la moitié des états-majors des entre-

prises ne comptent aucune femme. Encore faut-il souligner qu’elles représentent des

fonctions dites féminines : communication, publicité, ressources humaines.

Malgré l’empilement (directives européennes, lois Roudy, Génisson …) des textes sur

l’égalité professionnelle, la différence de rémunérations entre les femmes et les hommes

demeure en moyenne de 20% et l’écart se creuse au fur et à mesure que l’on monte dans

20 Le même code disposait dans son article 213 que « le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance à son mari ». Il faudra attendre 1938 pour qu’une réforme supprime le devoir d’obéissance. 21 À noter que les pays du Nord de l’Europe sont plus drastiques, une liste électorale qui ne respecte pas la parité est refusée.

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la hiérarchie. Toute chose égale par ailleurs, c’est-à-dire à niveau de formation,

d’expérience, de catégories sociaux professionnelles, d’âges équivalents, il reste un

écart de12% qui ne peut s’expliquer que par de la discrimination. Que font les mana-

gers ? La loi montre ici ses limites. Même si elle interdit toute inégalité professionnelle

en termes de rémunération, les preuves sont difficiles à apporter et les salariés craignent

des représailles en portant plainte auprès des tribunaux.

L’inégalité de statut entre les femmes et les hommes dans l’entreprise pose inévitable-

ment la question : à qui la faute ?

Plafond de verre ou mur de verre, à qui la faute ?

Comment ces inégalités se sont-elles construites et poursuives dans l’entreprise ? Qu’il s’agisse du plafond de verre22 ou du mur de verre23, les difficultés que les femmes ren-contrent dans le monde du travail depuis l’embauche jusqu’à la retraite peuvent se ré-sumer aujourd’hui dans le tableau ci-dessous, élaboré l’ONG américaine CATA-LYST24.

Sources du plafond de verre OBSTACLES RENCONTRÉS PAR LES FEM M ES POURCENTAGE

Manque de parrainage 70 Responsabilités familiales 69 Exclusion des réseaux informels de communication 67 Absence de modèles féminins 65 Non-responsabilisation des seniors managers pour l’avancement des femmes

62

Stéréotypes et préjugés sur leurs rôles et leurs capacités 61 Manque d’opportunité d’assumer une mission visible et à fort défi 54 Manque d’expérience dans le management et l’opérationnel 51 22 Plafond de verre (glass ceiling) : terme popularisé en 1996 par le Wall Street Journal , à partir du rapport de la Federal Glass Ceiling. Le BIT (1997) le définit comme « les barrières invisibles, artificielles, créées par des préjugés comportementaux et organisationnels, qui empêchent les femmes d’accéder aux plus hautes responsabilités ». 23 Mur de verre (ou paroi de verre) : il s’agit de barrières invisibles verticales qui, quel que soit le niveau hiérarchique, cantonnent les femmes dans des domaines considérés comme moins stratégiques et moins visibles (ressources humaines, administration communication …) 24 Catalyst : Centre de recherche et organisme de consultants américains travaillant pour promouvoir les femmes dans l’entreprise. www.catalyst.org Son étude s’intitule : Women in financial services : the board on the street, Catalyst 2001

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Dans ces obstacles, les hommes portent une part de responsabilité, d’abord comme con-

joint dans la participation au travail domestique. En 20 ans, les hommes consacrent 10

minutes de plus à ces tâches et les femmes 20 minutes de moins. À ce rythme, il faudra

50 ans pour atteindre l’égalité. Dans l’entreprise, les préjugés et le conservatisme de

certains managers constituent des barrières réelles à l’égalité professionnelle. Les sté-

réotypes ont la vie dure, concernant essentiellement la disponibilité des femmes au tra-

vail, les congés de maternité, les arrêts de travail pour enfants malades … Quelle jeune

femme célibataire lors d’un entretien embauche ne s’est-elle pas entendue demander : À

quand le mariage ? Êtes-vous enceinte ? Combien souhaitez-vous avoir d’enfants ?

Quelle sera votre disponibilité ? Autant de questions qu’un recruteur ne posera jamais à

un homme. D’autant plus que dans l’imagerie managériale, le mariage est un facteur de

stabilité pour les hommes et le signe d’une indisponibilité pour les femmes. À ces ques-

tions directes (d’ailleurs interdites par le code du travail) s’ajoutent des non dits sur

l’aspect physique de la candidate.

Pourtant des études américaines montrent que l’intérêt bien compris de l’entreprise

passe de plus en plus par l’embauche de femmes, notamment en établissant un lien entre

la performance globale de l’entreprise et la présence de femmes.

Pourquoi les managers favoriseraient-ils l’embauche et la carrière des

femmes ?

D’abord dans un souci de performance sociale. Le respect de la législation (principe de

non discrimination) minimise le risque juridique.pour les entreprises et les notations

extra financières mises en place par des agences, telles que Vigeo en France, prennent

en compte la place des femmes dans l’entreprise (indicateurs sexués en termes

d’embauche, de statuts, de contrats, de formation, de licenciement …). Ainsi, aux USA,

plus de 50% des actionnaires sont des femmes qui se révèlent sensibles à la place des

salariées dans l’entreprise. Le déficit en cerveaux dans certains domaines (notamment

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53

dans les sciences) et le souci de ne pas passer à côté d’un grand nombre de talents cons-

tituent également un facteur favorable au recrutement des femmes ou à leur évolution de

carrière. À défaut d’hommes, les firmes embauchent des femmes. L’évolution démo-

graphique conforte cette tendance.

Les femmes contribuent également à la performance commerciale de l’entreprise. La

mondialisation impose à l’entreprise une plus grande flexibilité, une adaptation perma-

nente où la diversité des équipes multiculturelles (aussi bien en termes de mixité que de

nationalités) est un facteur de performance. Par intérêt commercial, les entreprises, dont

la majorité de la clientèle est féminine, jugent que les femmes sont alors mieux placées

pour estimer les besoins et les goûts de leurs semblables. La concurrence aujourd’hui

s’établit aussi bien sur les produits que sur les valeurs qu’ils véhiculent. Dans la mesure

où une grande partie des achats sont effectués par les femmes, il est important pour

l’entreprise de mettre en avant son respect de l’égalité professionnelle.

Enfin, des études américaines ont démontré que les femmes contribuaient à la perfor-

mance financière de l’entreprise. Recevoir un prix pour un programme d’Affirmative

Action25 fait grimper le cours de bourse, à l’inverse être condamné pour discrimination

le fait baisser. Catalyst a mené une étude sur 353 entreprises américaines pour tester le

lien entre la présence de femmes dans les états-majors et leur performance financière26.

Le résultat est le suivant : les entreprises aux états-majors les plus féminisés sont plus

performantes que celles ayant des états-majors moins féminisées. Les entreprises ayant

reçu le prix Catalyst (politiques actives de promotion des femmes dans les états-majors)

ont des performances financières encore supérieures.

Ces approches managériales (Business case) en faveur de l’égalité professionnelle sont

dangereuses. Elles peuvent être interprétées comme une réponse à la nécessité de just i-

fier la place des femmes dans l’entreprise. Cependant, le danger vient d’ailleurs. Ces 25 traduit en français par « discrimination positive ». 26 La performance financière est mesurée par le taux de rendement des capitaux propres et par le rendement global pour l’actionnaire.

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54

études ont tendance à considérer que les femmes ont leur place dans l’entreprise parce

quelle possèdent des aptitudes spécifiques ; elles enferment ainsi les salariées dans de

nouveaux ghettos et renforcent les stéréotypes, à partir de qualités dites féminines et de

qualités dites masculines.

Pour garder les femmes dans leurs entreprises, les managers n’hésitent pas aujourd’hui à

mettre en place des « bonnes pratiques » qui doivent les aider à concilier vie profession-

nelle et vie privée. Mais, il s’agit de mesures sexistes qui tendent davantage à « pater-

ner » les femmes qu’à établir une véritable égalité professionnelle.

Des managers paternalistes, protéger plutôt qu’autonomiser

La mondialisation aidant (contagion des systèmes du Nord de l’Europe et américains) et

les revendications des femmes dans l’entreprise étant de plus en plus fortes, les entre-

prises françaises adoptent des bonnes pratiques tendant, dans l’esprit des managers, à

rétablir l’égalité des chances femmes/hommes. Il s’agit notamment :

• Des actions à caractère général visant à surveiller l’évolution de la parité ;

• Des actions de sensibilisation et de formation, concernant les deux sexes ;

• Des bonnes pratiques de recrutement (priorité systématique aux F, interpellation des

DRH …) ;

• Des bonnes pratiques de promotion (incitation, interpellation des directions, coaching,

tutorat) ;

• Des bonnes pratiques dans l’organisation du travail ;

• Des bonnes pratiques pour favoriser la mobilité professionnelle des femmes (création

de réseaux de femmes, aide aux conjoints …) ;

• Des bonnes pratiques par une assistance personnelle (service de nettoyage, mini-

marché, nounou de remplacement, crèches …)

• Des aides au retour de congés de maternité ou parental (formation, lissage des car-

rières …)

Page 56: imPertinences 0 2012

55

Les exemples de ce type sont encore peu nombreux et les répercussions réelles sur la

position sociale des femmes sont encore loin d’être clairement identifiées. Ces bonnes

pratiques relèvent davantage d’un management paternaliste, c’est-à-dire du souci de

protéger les femmes dans le monde du travail en leur permettant de concilier vie privée

et vie professionnelle que de permettre à chaque salarié, quel que soit son sexe, de

s’épanouir aussi bien dans son travail que dans le hors-travail (traduction française de

work-life).

Ainsi, les managers, les représentants du personnel et les syndicats doivent rester très

vigilants sur les effets pervers de certaines bonnes pratiques (par exemple,

l’organisation du temps de travail) qui, sous couvert d’aider les salariés dans leur vie

quotidienne, ne concernent en réalité que les femmes (discrimination indirecte27) et ag-

gravent les inégalités sur le lieu de travail.

Les machos ont encore de beaux jours devant eux

La discrimination à l’encontre des femmes dans l’entreprise, consciente ou non, est loin

de disparaître, même si certains constatent aujourd’hui un double phénomène généra-

tionnel : les nouvelles générations masculines, habituées à travailler en mixité, sont

moins discriminantes ; l’augmentation du vivier des femmes diplômées élargit leur pos-

sibilité de promotion. Les premiers succès féminins cautionnent une attitude politique-

ment correcte, mais le temps des femmes en entreprise comme en politique n’est pas

encore arrivée. Les hommes ne sont pas prêts à leur laisser leur place, même si au-

jourd’hui beaucoup d’entre eux reconnaissent leur compétence. Derrière la femme

d’affaires se profilent encore pour les managers la mère, l’épouse ou la compagne. Fau-

dra-t-il imposer des quotas pour que les femmes dirigent les entreprises ? La Norvège

27 Discrimination indirecte : mesures a priori neutres, mais qui en réalité frappent en proportion beaucoup plus élevée une population plutôt qu’une autre sans être justifiées par des facteurs objectifs. (Arrêt Bilka, 1986, CJCE)

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56

(texte de 2003) montre l’exemple : les conseils d’administration des entreprises norvé-

giennes doivent comporter 40% de femmes sous peine de sanction pouvant aller jusqu’à

la fermeture de la firme. En 2003, le pourcentage était de 7%, en 2011, il atteint 44%).

D’autres pays vont suivre, notamment l’Espagne et la France.

Le Parlement français a adopté le jeudi 13 janvier 2011 une loi qui impose un quota

dans les conseils d’administration des entreprises (cotées ou non, ayant plus de 500 sa-

lariés et réalisant un chiffre d’affaires de plus de 50 millions d’euros de chiffres

d’affaires, 2000 entreprises sont concernées) et des établissements publics. Le texte pré-

voit 40%de femmes dans ces conseils en 1917, avec un pallier à 20% à mi-parcours. Le

non-respect de la loi entraine la nullité de la nomination.

Le refus de la discrimination positive en France, au nom de l’égalité républicaine, est

une vaste hypocrisie. Toutes les mesures mises en place aujourd’hui pour réduire les

discriminations, quelle que soit leur origine, tant au niveau gouvernemental (polit iques

d’emploi, accès aux filières sélectives, quotas tacites pour les concours de la fonction

publique …) qu’au niveau des entreprises (quotas plus ou moins dissimulés à

l’embauche, pour la promotion …), s’inspirent, sans y faire référence, de l’affirmative

action. Considérée comme une mesure dérogatoire, elle précipitera le mouvement vers

l’égalité. Mais les managers le souhaitent-ils

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Pertinence de l’economie sociale

Jean-Marie F ESSLER Conseiller du Président de la MGEN

Docteur en éthique médicale et en économie de la santé

L’économie sociale existe.

En France, elle a même doublé son poids relatif en trente ans.

On compte dans le monde 800 millions de coopérateurs, 300 millions de

mutualistes en santé, des centaines de millions de citoyens qui s’associent

sous une forme solidaire et bénévole.

Ce phénomène remonte loin dans le temps et couvre tous les espaces géo-

graphiques et culturels. Ce phénomène produit du lien social, de l’entraide

mutuelle et répond, de manière pertinente, à des besoins locaux, souvent

vitaux.

En mutualité notamment, l’histoire des relations entre les adhérents, les élus

et les salariés poursuivie depuis longtemps et l’exercice des principes fonda-

teurs des sociétés de personnes, non lucrativité, élection des responsables

par les adhérents, indivisibilité des fonds propres, en particulier, nous sem-

blent bien adaptés aux attentes sociales d’aujourd’hui.

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58

Est-ce impertinent que de souligner combien le courant dominant de

l’économie ne reconnaît pas ces contributions ? Est-ce impertinent de

souligner que nombre de responsables politiques assimilent des fonds

propres libres, résultat d’une gestion rigoureuse et prudente et propriété

commune des mutualistes, à une réserve susceptible de compenser des

taxes supplémentaires ?

Dans certains contextes, la liberté des formes d’entreprendre permet de

constituer des organisations de grande dimension qui peuvent exercer plu-

sieurs missions : régime obligatoire d’assurance maladie, assurance maladie

complémentaire, action sanitaire, médico-sociale et sociale. Tel est le cas de

la Mutuelle Générale de l’Education Nationale, par exemple.

Quel est le sens du verbe d’action « mutualiser » ?

Depuis quelques milliers d’années sans doute, il s’agit de regrouper les res-

sources, les savoirs et savoir-faire. Regrouper pour faire face à une situation

dont nous avons l’expérience qu’elle dépasse nos aptitudes individuelles.

Mutualiser procède d’une décision constitutive d’un lien entre une personne

et un groupe. La mutualisation permet, selon les cas, de partager des

charges, de démultiplier des effets, de couvrir la réalisation de risques. Le

risque long en santé, notamment. Protéger le groupe des adhérents ou proté-

ger l’investissement d’actionnaires ne procède ni du même rapport à

l’argent ni du même rapport au pouvoir.

Les incitations et les anticipations, tellement importantes dans les échanges

économiques, sont différentes. Ce qu’exprime fortement la Mutualité Fran-

çaise qui rassemble aujourd’hui 600 mutuelles en santé qui se consacrent à

la protection de 39 millions de personnes dans notre pays. 600 mutuelles,

c’est-à-dire 100 000 élus et 55 000 salariés.

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59

Ces mutuelles ont aussi constitué 2400 services de soins et

d’accompagnement.

Éthique sociale, donc. Mais aussi exercice de lucidité.

A ce titre, nous pensons que la solidarité nationale, la Sécurité sociale obli-

gatoire, est définitivement l’organisation la plus juste et la plus efficace.

L’assiette la plus large. Des taux de cotisation en proportion de la faculté

contributive. L’articulation entre le régime obligatoire d’assurance maladie

et son régime complémentaire doit donc être l’objet d’une finesse particu-

lière.

Partout, les mutualistes, notamment à la MGEN, sont particulièrement atta-

chés à l’importance de l’éducation. Elle favorise la conscience de la portée

de nos actes sur nos semblables et donc les nécessaires limites à nos libertés

individuelles, limites qui doivent être établies de manière équitable. Malgré

cela, dans nos débats au sein de l’Académie de l’Éthique, nous serons par-

fois confrontés aux situations concrètes que peuvent traduire les expressions

d’excès, d’abus, de pratiques peu responsables.

Les entreprises régies par le Code des sociétés ont un objet lucratif. Ce sta-

tut leur permet de sélectionner les risques. En revanche, jamais une mu-

tuelle, régie par le Code de la mutualité, n’exclut un adhérent au vu de son

âge, de l’évolution de son état de santé ou de son niveau de ressources.

Toute discrimination entre les membres d’une mutuelle est interdite.

Dans une mutuelle, les mutualistes sont à la fois assurés et assureurs.

C’est bien cette situation qui doit nous encourager à réfléchir à nos exi-

gences, à l’expression de nos besoins.

Mutualiser a toujours été agir autrement, innover dans une proximité avec

les personnes et des situations difficiles de vie. Si nous ne voulons pas que

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60

le seul lien d’argent emporte tout dans sa puissance réductrice, il nous faut

pratiquer à la fois la vigilance et la dynamique du dialogue. Ce dialogue

véritable tiendra ainsi sur des besoins en santé, d’organisation de la santé

publique, des coûts excessifs (tarifs mal construits, organisations défail-

lantes, non-qualité dans certaines de nos pratiques professionnelles.

Alors, l’histoire d’être ensemble que représentent la Sécurité sociale,

l’économie sociale, la mutualité, la santé publique, chacune dans son re-

gistre, pourra continuer au service du bien commun.

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Le droit peut-il encadrer l’impertinence ?

Dr. Michèle GUILLAUME-HOF NUNG

Professeure des facultés de droit

Directrice du Master « diplomatie et négociations stratégiques » - Université Paris-Sud Présidente de l’Institut de Médiation Guillaume-Hofnung. Vice-présidente de l’Académique de l’Éthique Résumé : L’humanité doit beaucoup à l’impertinence et à la subversion. Mais pour stimulante que soit l’injonction d’impertinence de la revue, elle a ses limites. Parmi elles, celles que le respect des Droits de l’Homme - parce qu’ils reposent sur la dignité humaine - sont fondés à claironner malgré les faiblesses éthiques du droit. Abstract : Human kind is indebted to the impertinence and subversion. Nevertheless, as stimulating is the revue’s injunction for (im)Pertinence may be, it must bear limits, such as the Human Rights. They were established to trumpet despite Law’s ethical lack.

" … si je sais mal ce qu’est le droit dans une société, je crois savoir de que serait une société sans droit. "

Georges Vedel28

28 Vedel G., « Droits », Revue française de théorie juridique, 1990, page 71

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L’éthique est l’art de s’interroger sur la conduite à tenir en situation de

tension entre des paramètres de poids comparables pour le sujet qui

s’interroge. Le dilemme éthique et la tension qu’il engendre sont les étapes

obligatoires de la liberté humaine, du libre-arbitre. Si une solution

s’imposait comme une évidence, le sujet n’aurait pas le choix. C’est

l’équivalence apparente entre les éléments du choix qui crée une tension

qui l’enferme dans la situation de l’âne de Buridan. Le discernement affaibli

par les tiraillements qu’il subit, le sujet peut céder à de trompeuses sirènes.

Ainsi, il pourra croire que le respect de la circulaire dont le contenu détaillé

exprimé en termes comminatoires s’oppose à son intuition, (qui, elle, le

porterait à faire prévaloir des valeurs plus affectives, plus généreuses que

celles prescrites par l’impératif technocratique), s’impose malgré tout, car

la circulaire émane de l’institution au sein de laquelle il se trouve . Or les

valeurs, telles que l’égalité, la liberté et dans une certaine mesure la solida-

rité, que le professionnel n’a pas l’impertinence de faire prévaloir sur la

circulaire, ou sur le formulaire administratif (engoncé qu’il est, dans une

mauvaise connaissance du droit) loin d’être des illuminations romantiques

ont, non seulement une valeur juridique, mais de plus, se trouvent au som-

met de la hiérarchie des règles de droit.

Leur prééminence explique qu’éthique, branche insaisissable entre toutes,

de la philosophie morale, se trouve aujourd’hui curieusement lestée d’une

forte teneur en droit. La consultation des ouvrages et des sites renvoie im-

manquablement à des normes juridiques, qu’il s’agisse de traités internatio-

naux, de directives, de règlements, ou de normes internes telles que la loi,

les textes réglementaires ou la jurisprudence. L’impossibilité de traduire

l’éthique en mots29 donne pourtant une mesure de la faiblesse du droit, lui

29 Laugier S. Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, article blâme et approbation, Paris, P.U.F. 2004.

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qui emprunte les modes performatif et impératif. Comment expliquer que

nos sociétés aient décidé de passer par lui? D’autant que le droit n’est

pas nécessairement éthique ? A travers ces deux questions se lit le doute

non seulement sur la capacité technique du droit mais aussi sur sa légi-

timité.

L’éthique comporte une part incontestable et nécessaire de subversion, avec,

en figure de proue Antigone résistant au décret de Créon interdisant

l’enterrement de son frère Polynice. Mais l’impertinence a des limites, elle

les trouve dans son fondement contemporain même : le respect des droits de

l’Homme. Les droits de l’Homme claironnent les bornes de l’impertinence,

en même temps qu’ils fournissent au désarroi éthique la boussole qui lui

indiquent le sens de l’humanité. L’éthique, les droits de l’homme et

l’impertinence composent des figures complexes et il faut bien le recon-

naître au risque de tourner en boucle.

Une prétention au-dessus de ses moyens ? Si la mise en norme de l’éthique ne manque pas de susciter l’étonnement, le

choix de la norme juridique pour opérer ce tour de force contre-nature,

ajoute à l’étonnement. Car non seulement le droit ne bénéficie pas d’un sta-

tut épistémologique à toute épreuve, mais il n’est pas par nature éthique. Les

faiblesses constitutives du droit devraient tempérer ses prétentions.

Les prétentions du droit : Le droit ne manque pas de prétention, d’autant que depuis des siècles la so-

ciété l’y encourage. C’est lui qu’elle somme de dessiner les contours de ce

qu’une société donnée à un moment donné considère comme humain ou

non. Le Droit le fait en s’affranchissant des données physiologiques, et si on

se réfère aux systèmes juridiques anciens, avec des résultats qui choquent

nos valeurs «modernes» , qui à leur tour risquent de choquer celle des géné-

rations futures, quand ce n’est pas immédiatement en choquant d’autres cul-

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tures. L’esclavage en fournit un exemple particulièrement parlant. En effet,

les données physiologiques n’ayant pas changé depuis l’Antiquité, com-

ment expliquer que les esclaves étaient des choses dans le droit positif de

l’époque.

Aujourd’hui encore, la manière dont on attend du droit qu’il fixe la fron-

tière entre l’humain et le non humain met le droit en majesté. L’humain,

c’est à la fois ce qui fait l’Homme et qui s’attache à lui. Le droit intervient

sur ces deux éléments. Il détermine qui est humain en déplaçant le curseur

entre l’humain et le non humain, créant même des états intermédiaires, et

deuxième fonction, il assure aux heureux élus ce qui s’attache à l’humain :

la dignité humaine avec la plénitude des droits qui en découlent. Il ne le

fait pas nécessairement dans une visée éthique. Les fondements du droit

positif sont le plus souvent à rechercher du côté des intérêts matériels. C’est

évident pour la justification économique de l’esclavage, mais tout aussi vrai

pour la détermination du point de départ de la personnalité juridique très

tributaire des impératifs du maintien du patrimoine au sein de la famille du

père. Le sort de l’enfant conçu ne fut longtemps évalué qu’au regard des

intérêts successoraux de la famille de son géniteur au détriment de sa mère,

la veuve et éternelle mineure.

Le juridique se permet de plier le biologique pour le faire entrer dans ses

catégories. Les termes être humain, personne, « pré-humain », « personne

potentielle », objet de droit, sujet de droit témoignent du dosage subtil qu’il

se permet dans le placement et le déplacement de son auguste curseur.

Les faiblesses constitutives du droit : Le droit ne bénéficie pas d’un statut épistémologique à toute épreuve, à

commencer par une définition reconnue. De plus, le droit n’est pas naturel-

lement éthique et son processus de fabrication le fait dépendre étroitement

de la société dont il est censé encadrer les comportements.

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65

Les faiblesses du statut épistémologique du droit.

On prête souvent au droit une image de rigueur et de précision qui lui valent

une réelle déférence. Si le droit n’est pas une science exacte, il existe dans la

méthodologie juridique une incontestable exigence. Mais les non juristes

imaginent-il l’impossibilité de définir le droit ? En 1990, Droits la revue de

théorie juridique avait consacré ses numéros 10 et 11 à l’aventure de « défi-

nir le droit ». Elle avait convoqué les plus grands juristes tant de droit fran-

çais que de droits étrangers. Son directeur S. Rials ne pouvait que constater

l’absence de définition fiable unanimement acceptée. Mais le Doyen Vedel

comblait la faille béante de son statut épistémologique par l’invocation fon-

damentale placée en exergue de cet article « si je sais mal ce qu’est le droit

dans une société, je crois savoir ce que serait une société sans droit.»

.Propos qu’il devait répéter et éclairer d’un jour plus personnel le 13 mars

1999, lors de la réception de son épée d’académicien : il en avait eu la

preuve lors de sa captivité durant la seconde guerre mondiale. « Le droit des

camps était certes rugueux et comportait une inégalité foncière entre les

gardiens et les captifs. Mais c’était du droit (…) Et voici qu’en 1945 nous

fûmes libérés (…), nous fûmes confrontés aux martyrisés venus des camps

d’extermination (…) C’est pourquoi, lorsqu’un jour je fus invité par une de

nos savantes revues à donner ma définition du droit, je répondis que j étais

incapable de dire en toute rigueur ce qu’est le droit mais que je savais très

bien ce que peut être un monde sans droit ».

On comprend que certains juristes, après le Doyen Carbonier préfèrent

aborder le droit par le biais de la juridicité. Étienne Le Roy définit la juridi-

cité comme la " ligne de partage entre le droit et le social non juridique […]

le caractère hypothétique par lequel les règles de droit peuvent être mises à

part de l’ensemble des règles de conduite sociale ".

On ne peut mieux attirer l’attention sur la dépendance du droit à l’égard de

ceux qui le font. En écho à l’interjection « qui t’a fait Roi ? », la société peut

à tout moment lui demander « qui t’as fait Droit ? ».

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L’anthropologie des auteurs du droit et la légistique expliquent ses fai-

blesses.

L’anthropologie des faiseurs de droit, apporte un éclairage intéressant :

- Son mode d’élaboration, le rend dépendant de ceux qu’il est sommé d’encadrer. Les auteurs de droit, qu’il s’agisse du législateur ou du juge sont tributaires d’influences qui font du droit plus un reflet des sociétés qu’un garant objectif de l’humanité de l’Homme qu’ils vont dessiner. Ils subissent principalement l’influence des contraintes économiques et des croyances « scientifiques » de l’époque. Les contraintes économiques pèsent lourd. Sans se rallier purement et simplement au marxisme qui fait du droit une superstructure distillée par le rapport de force, force est de constater l’emprise des con-traintes économiques sur la valeur que le droit va attribuer à la vie, et sur son image de l’Homme. Dans l’Antiquité, le besoin d’énergie musculaire a pesé lourd dans l’élaboration d’un droit reconnaissant l’esclavage.

- Les croyances « scientifiques » dont on ne sait si elles forgent l’opinion commune ou si elle la reflète, se répercutent dans le droit. On retrouve dans les travaux parlementaires les mêmes références que dans l’opinion masculine commune pour refuser le droit de vote des femmes. L’article de Marcelin Berthelot dans la Grande Ency-clopédie de 1862 sur le caractère lisse du cerveau féminin en consti-tue la plus récurrente.

- La passionnante étude de Xavier Martin30 explique par l’influence de Cabanis la vision très matérialiste de l’Homme que le code civil ex-prime en décalage avec la vision spiritualiste de la Déclaration de 1789. Ses rédacteurs au premier rang desquels Bonaparte, ont baigné dans son matérialisme le plus sommaire exprimé dans le Rapport du physique et du moral de l’homme,(RPMH) somme des conférences faisant de lui la caution scientifique de l’époque. Cabanis s’y réfère pour refuser le mariage in extremis car on n’épouse pas un « cadavre commencé ». Les travaux parlementaires préparatoires du Code ci-vil, analysés par Xavier Martin multiplient les références à Cabanis : l’homme est un animal machine, mu par des sensations et des inté-rêts « vivre n’est pas autre chose que de recevoir des impressions et

30 Martin X., Nature humaine et code Napoléon, Droits, 1985, p11 et s.

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exécuter les mouvements que les impressions sollicitent » ; le « fœtus un mucus organisé ».

- Qui est aujourd’hui notre Cabanis ? Quel Homme ou quel homme nous dessinent nos oracles scientifiques ? Que faut il augurer du soupesage éthique d’un Peter Singer mettant en balance l’intérêt d’un cochon bien portant au regard de celui d’un malade mental31. Que faut-il attendre des délibérations mercantiles des agents écono-miques qui ne voient que des consommateurs, ou de la main d’œuvre bon marché au lieu de voir des humains ? Que faut-il attendre des spéculateurs qui ne les perçoivent plus qu’à travers le prisme des écrans des salles de marchés ? De quels poids pèsent-ils dans la fa-brication du droit ?

La légistique ou l’art de faire les lois selon la définition de Dominique

Rémy32, en désacralise la fabrication.

En France, la mythologie rousseauiste greffée sur les mécanismes du sys-

tème représentatif bien éloignée pourtant des préceptes de Rousseau a

accrédité une vision très idéalisée de la loi . Carré de Malberg, dans La loi

expression de la volonté générale (1931), dénonce les supercheries qui sur

la base de cette greffe ont permis au parlement de la 3ème République de

confisquer la souveraineté nationale pour lui substituer une souveraineté

« parlementaire » que Rousseau aurait certainement désavouée. A cela

s’ajoute le constat que l’hypertrophie normative qu’elle soit législative ou

réglementaire dévalorise la norme juridique. Trop de droit tue le droit. Sur

la base de ce constat, on peut craindre que la multiplication des textes juri-

diques concernant l’éthique et qui sont présentés comme des textes

d’éthique, raccourci terminologique révélateur d’un rétrécissement mental,

n’affaiblisse le statut juridique de l’éthique.

Les failles éthiques du droit : Le droit, on vient de le voir est une œuvre humaine soumise aux aléas qui résultent de sa nature sociale. 31 Kahn A., Et l’Homme dans tout ça ? (Chapitre 3), Paris, Nil éditions. 32 Rémy D., légistique, Paris, éd Romillat, 1994.

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Le droit n’est pas éthique : il n’est pas délibérément non éthique, mais la

visée éthique n’entre pas dans son essence, surtout si on se réfère à une

éthique universelle dans l’espace et dans le temps. Les exemples de droit

positif qui heurtent l’éthique ne manquent pas, on a rappelé le plus criant,

celui de l’esclavage. Le droit est plus souvent un thermomètre qu’un antici-

pateur. Il fonctionne comme un curseur qui reflète le parcours éthique d’une

société, seuil par seuil. Mais de même que le diable gît dans les détails, en

éthique, il gît dans les seuils. La faille de ses seuils constitue le principal

talon d’Achille du droit en tant que garant de l’éthique. L’exemple du statut

pénal de l’embryon illustre les hésitations de nos contemporains sur les

seuils du respect de la dignité humaine. Un arrêt de la Cour de Cassation du

29 juin 2001, par une interprétation stricte de la loi pénale, en confirmant

qu’en droit pénal le fœtus n’est pas une personne juridique fait de la nais-

sance le seuil de départ du respect de la dignité humaine. Pour se placer à un

autre stade du parcours humain, le Conseil d'Etat quant à lui, en validant

dans un arrêt MILHAUD du 2 juillet 1993 la sanction infligée à un médecin

ayant pratiqué des expérimentations sur un patient en état de mort cérébrale,

marque que le respect dû au patient ne s'arrête pas avec la mort de celui-ci.

La question des seuils, primordiale dans le domaine du droit de la bioé-

thique ne l’est pas moins dans celui de l’entreprise. Dans le domaine de

l’entreprise on rencontre avec la question récurrente de Saint Thomas

d’Aquin sur le juste prix : le raisonnement par seuil. A partir de quand un

prix n’est-il plus juste ? On la retrouve à peine différente face à la violation

impudique du seuil de la juste rémunération des dirigeants de l’entreprise.

Un prix fou, un salaire déraisonnable ces expressions méritent l’attention.

Le créateur de Ford posait le rapport d’1/7 comme l’écart raisonnable entre

le mieux payé et le moins payé dans une entreprise. Si on se fie à lui tout

écart supérieur est déraisonnable, les dirigeants qui revendiquent des écarts

parfois supérieurs de 100 fois seraient-ils devenus fous ? L’éthicien ne doit

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69

pas se livrer à un exercice illégal de la psychiatrie, en revanche il doit inviter

à une réflexion urgente et sérieuse sur les seuils de rémunération.

Les sociétés somment le droit de produire des lois d’éthiques, mais ne

lui fournissent pas d’éléments incontestables. Ainsi le droit n’est ni tout

puissant ni auto-suffisant. Son effectivité ne peut se réduire à son arse-

nal contraignant. Il épaule l’éthique mais aussi se nourrit d’elle. Pour

autant les failles du droit ne libèrent pas l’éthique du respect du droit

surtout lorsqu’il s’agit des Droits de l’Homme. La prise de conscience

du rôle de référence cardinale de la dignité humaine et de son corol-

laire - les droits de l’Homme - devrait renforcer les exigences de

l’éthique, lui fournir un cap et lui apporter le secours de la protection

juridictionnelle.

Droits de l’Homme, éthique et impertinence : Les conditions d’émergence à partir du code de Nuremberg en 1947 de

l’éthique contemporaine, l’éthique lestée de droit, conduisent à mettre en

avant la nécessité de soutenir l’éthique et même parfois de suppléer ses dé-

faillances par une branche particulièrement sûre du droit, celle des droits

de l’Homme. Les droits de l’Homme bénéficient d’un deuxième titre à con-

solider l’éthique, la soupape d’impertinence qu’ils comportent intrinsèque-

ment. Par le droit ou le devoir de résistance à l’oppression, par la démarche

de désobéissance que synthétise la jurisprudence dite des « baïonnettes in-

telligentes », ils justifient l’impertinence ultime qui permet au nom de

l’éthique de s’affranchir du droit. Mais il faut savoir arrêter une imperti-

nence: elle s’arrête là où elle risquerait de compromettre les droits de

l’Homme se privant par là même de sa justification.

La dignité humaine claironne les limites de l’impertinence : La référence commune à la dignité humaine scelle un lien très fort entre

l’éthique et les droits de l’Homme, avec les faiblesses et les ambiguïtés de

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70

ce concept. Mais il reste l’idée-force que la dignité humaine ne se segmente

pas et par voie de conséquence l’éthique non plus. L’impertinence ne saurait

se glisser entre les alvéoles sectorielles.

La clef de voûte commune à l’éthique et aux droits de l’Homme:

L’expression clef de voûte souligne que la dignité humaine tient tout

l’édifice des droits de l’Homme. Le premier considérant de la Déclaration

Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 le suggère :

« Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les

membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables

constitue le fondement de la liberté de la justice et de la paix dans le

monde ». Le préambule des deux pactes internationaux des Nations Unies

du 16 décembre 1966 relatifs aux droits économiques et sociaux et aux

droits civils et politiques le formule encore plus explicitement

: « …reconnaissant que ces droits découlent de la dignité inhérente à la

personne humaine. ». Bien qu’elle n’ait pas de valeur obligatoire la Déclara-

tion Universelle des Droits de l’Homme figure dans les visas de la plupart

des textes internationaux relatifs aux droits de l’homme et à la bioéthique,

qui eux ont valeur contraignante, ce qui accrédite la thèse qu’elle aurait ac-

quis valeur coutumière. Les conventions internationales quant à elles, ont

sans discussion une valeur supérieure aux lois:

- La Convention sur les droits de l’Homme et la biomédecine dite Convention d’Oviedo du 4/4/97 au préambule explicite : « Convain-cus de la nécessité de respecter l'être humain à la fois comme indivi-du et dans son appartenance à l'espèce humaine et reconnaissant l'importance d'assurer sa dignité ».

- La Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’Homme, adoptée le 11 novembre 1997 par la 29ème conférence gé-nérale de l'UNESCO, s’ouvre sur un titre consacré à la dignité hu-maine. La déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’Homme du 19 octobre 2005, contient un article 3 - dignité humaine et droits de l’Homme « la dignité humaine, les droits de l’Homme doivent être pleinement respectés. Les intérêts et le bien être de

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71

l’individu devraient l’emporter sur le seul intérêt de la science ou de la société ».

- Nos textes nationaux ne sont pas en reste, l'article 16 du Code civil dans sa rédaction résultant des lois de bioéthique de 1994, assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être humain « dès le commencement de la vie ».

Comme on ne dispose pas de définition officielle de la dignité humaine, cet

article se réfèrera à la proposition qui suit. Lorsque j’ai fait partie du Comité

de liaison de l’ONU pour la décennie de l’éducation au droit de l’homme,

j’ai proposé de la définir ainsi : « qualité que l'individu tire à la fois de sa

valeur unique d'individu et de sa valeur universelle d' Homme, entraînant le

respect de droits opposables à l'Etat comme aux autres individus. ». Ma

définition a été intégrée dans le plan d’action du comité français pour la

décennie de l’éducation aux droits de l’homme, d’octobre 2000 ; adoptée

par le gouvernement français et transmis au Haut commissariat des Na-

tions-Unies pour les droits de l’Homme.

L’indivisibilité fondamentale de la dignité humaine fonde tant l’indivisibilité

des droits de l’Homme que celle de l’éthique.

Elle évite d’alimenter la croyance en des particularismes éthiques déroga-

toires qui justifieraient une impertinence sectorielle. L’approche sectorielle

de l’éthique n’a pas de sens si elle conduit à se couper d’un tronc éthique

commun. On peut bien sûr accepter l’existence de quelques branches singu-

lières, tenant compte des contextes et des spécificités de la profession con-

cernée, mais elle ne va pas de soi. Il appartient à chaque secteur d’étayer la

justification profonde de la singularité revendiquée, la déontologie, qui n’est

pas l’éthique existe pour cela. De plus, dans la mesure où, la dignité et les

droits de l’Homme constituent le cœur du tronc éthique commun, une

éthique sectorielle dérogatoire, est tout simplement injustifiable. Le « not in

my yard » n’existe pas en éthique.

Page 73: imPertinences 0 2012

72

Si la dignité humaine appartient au domaine de l’éthique comme à celui des

droits de l’Homme, ceux-ci contribuent puissamment à son effectivité, fut-

ce au prix de l’impertinence, car l’éthique seule ne bénéficie ni de la préé-

minence des droits de l’Homme ni de leur caractère justiciable.

Les droits de l’Homme justifient l’impertinence : L’éthique peut se construire contre une partie du droit positif, elle comporte

d’une certaine manière une injonction d’impertinence face à la règle de droit

injuste. Mais les droits de l’Homme, parce qu’ils sont au sommet de la hié-

rarchie des normes juridiques, justifient tant les recours juridictionnels

contre les décisions de toute autorité fut-elle le parlement ou le chef de

l’exécutif, que la résistance contre l’oppression.

La pyramide des normes

Les systèmes juridiques du 18ème siècle qui voulaient garantir les libertés,

ont organisé le droit selon une hiérarchie bien nommée par KELSEN la py-

ramide des règles de droit33. La hiérarchie des règles de droit et les recours

juridictionnels qui lui confèrent de l’effectivité structurent l’État de droit.

Comme dans toute hiérarchie, les normes inférieures doivent respecter les

normes supérieures. Les acteurs sociaux peuvent et surtout doivent moduler

leur conduite en fonction de la place hiérarchique de la norme qui les con-

cerne.

Pour s’en tenir à l’exemple français, si une norme déroge à ce principe fon-

damental, elle pourra être soit annulée par le juge administratif s’il s’agit

d’un acte de l’exécutif quand bien même il proviendrait du président de la

République, soit empêchée de promulgation par le Conseil constitutionnel

s’il s’agit d’une loi, pour prendre le cas français, et depuis la révision consti-

tutionnelle de 2008 subir la question prioritaire de constitutionnalité.

33 Kelsen Théorie pure du droit, 1934, traduction française de C. Eisenmann.

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73

La hiérarchie des normes juridiques suit la hiérarchie des organes du corps

social, investis de la mission de les émettre. Une double clef de légitimité

décide de la place des organes dans la hiérarchie :

- tout d’abord son degré de proximité par rapport au souverain,

c’est à dire par rapport au détenteur légitime du pouvoir suprême

dans un pays donné à un moment donné, tour à tour le roi de

droit divin, puis la nation ou le peuple.

- En second lieu sa légitimité fonctionnelle, à savoir sa mission

protectrice des libertés. Dans la conception de l’État de droit, la

position des autorités créatrices de droit vise essentiellement à

assurer la meilleure protection des droits et libertés. Aujourd’hui

encore, elle reste fortement marquée par la tradition libérale du

18ème siècle, telle que systématisée par Montesquieu dans

« L’Esprit des Lois», qui reposait sur une conception de la socié-

té faisant du juge le protecteur principal des libertés et confiait à

la loi la même mission protectrice contre les abus du pouvoir

exécutif. Cette rémanence explique que les actes du pouvoir exé-

cutif ne tiennent qu’une place modeste dans la hiérarchie des

règles de droit, au rebours de l’intuition du non-juriste, qui aurait

tendance à leur prêter une valeur éminente tant l’administration

et les autres rouages du pouvoir exécutif tiennent, dans notre so-

ciété, le devant de la scène. Dans les croyances de nombre de nos

contemporains, il est difficile d’envisager l’impertinence à

l’égard de la circulaire à laquelle ils attribuent plus de poids ju-

ridique que de simples valeurs morales. Rien n’est plus faux

puisque bon nombre des valeurs morales par le relais des droits

de l’Homme tiennent une place éminente qui les met très au-

dessus de la sacro-sainte circulaire, simple véhicule interprétatif,

sans valeur juridique propre. Comme l’âne chargé de reliques de

la fable de La Fontaine, ce n’est pas devant la circulaire qu’on

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74

s’incline mais devant la norme qu’elle interprète. En revanche les

valeurs les droits de l’Homme, ont incontestablement, valeur

constitutionnelle depuis une décision du Conseil constitutionnel

du 16 juillet 1971. Dans les visas qui en début de décision éclai-

rent sur les règles prises en compte, et avec la sobriété qui carac-

térise les juristes français, le Conseil Constitutionnel a par un

membre de phrase, entre deux virgules « vu la constitution, et

notamment son préambule,… » mis fin à la controverse séculaire

sur la valeur juridique de la Déclaration des droits de l’Homme et

du citoyen du 26 août 1789, ainsi que des préambules constitu-

tionnels. On pouvait penser que comme l’affirmaient deux

grands juristes du début du 20ème siècle Esmein et Carré de Mal-

berg, la déclaration de 1789 ne faisait pas partie du droit positif

et ne possédait qu’une valeur philosophique et pédagogique. On

pouvait aussi prenant le mot préambule au pied de la lettre pen-

ser qu’il figurait avant la Constitution mais n’en faisait pas par-

tie. La décision de 1971 les hisse dans le « bloc de constitution-

nalité ». Pour comprendre la portée de cette sobre formule, il

convient de regarder le préambule de la Constitution de 1958 :

« Le Peuple français proclame solennellement son attachement

aux Droits de l’Homme et aux principes de la souveraineté na-

tionale tels qu’ils sont définis par la Déclaration de 1789, con-

firmée et complétée par le préambule de la Constitution de

1946 ». La lecture du préambule de 1946 achève de nous rensei-

gner sur l’ampleur des valeurs constitutionnelles : « Au lende-

main de la victoire remportée par les peuples libres sur les ré-

gimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne hu-

maine, le peuple français proclame à nouveau que tout être hu-

main, sans distinction de race, de religion, ni de croyance, pos-

sède des droits inaliénables et sacrés. Il réaffirme solennellement

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75

les droits et libertés de l’homme et du citoyen consacrés par la

Déclaration des droits de 1789 et les principes fondamentaux

reconnus par les lois de la République. Il proclame, en outre

comme particulièrement nécessaires à notre temps, les principes

politiques, économiques et sociaux ci-après…. »

Il reste à faire comprendre que dans un pays qui se croit cartésien, et de

droit écrit une part importante des normes se présente sous forme de prin-

cipes généraux, non écrits. J’aime à les présenter34 comme du droit à l’état

de vapeur dans lequel baigne le droit écrit, qu’ils révèlent et alimentent tout

à la fois. Le juge les découvre au gré de ses besoins pour protéger nos li-

bertés. J’utilise volontiers une expression tirée du vocabulaire œnologique

pour faire saisir l’essence particulière des principes fondamentaux recon-

nus par les lois de la République, (expression introduite dans le Préambule

de la Constitution sur l’insistance des députés démocrates-chrétiens) : « la

part des anges ». Imaginons que depuis les débuts de la République, on ait

entreposé dans des tonneaux étiquetés par année toute la production législa-

tive de nos assemblées. Telle la part des anges qui, à un certain stade de la

fermentation, monte des tonneaux pour en apporter au ciel le meilleur et la

quintessence, les principes fondamentaux reconnus par toutes ces lois de

nos Républiques flottent dans l’esprit des lois pour fournir à nos juges les

moyens d’imposer aux autorités qu’ils contrôlent des valeurs éthiques pri-

mant les logiques technocratiques ou utilitaristes.

L’impertinence tranquille des recours juridictionnels ::

34 Cycle de conférences « éthique, droit de l’Homme et médiation » pour l’université de Paris 5, l’Espace Éthique de l’AP/HP, l’Agro-Paris Tech.

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Nous disposons de moyens juridictionnels qu’il serait coupable de négliger.

On peut élargir la devise du Canard enchaîné « La liberté de la presse ne

s’use que quand on ne s’en sert pas » à tous les droits de l’Homme.

Les recours devant les juridictions nationales: Le juge judiciaire est le pro-

tecteur de l'individu dans la conception libérale de l'Etat. Il sanctionne les

violations des droits de l'homme quelle qu'en soit l'origine. L’article 66 de

la Constitution de 1958 réaffirme le rôle traditionnel de l’autorité judiciaire

« gardienne de la liberté individuelle ». Même si l’autorité judiciaire subit

en France la concurrence de la juridiction administrative on peut cependant

mettre au crédit de celle-ci des décisions emblématiques de sa capacité à

protéger les libertés individuelles. L’arrêt Canal rendu par le Conseil d’Etat

le 19 octobre 1962 mérite un intérêt particulier. Il fait pleinement com-

prendre le caractère justiciable des droits de l’Homme. L’effectivité du prin-

cipe de légalité provient de l’existence de recours juridictionnels permettant

d’obtenir le respect de la hiérarchie des normes. On ne connaît pas assez le

recours pour excès de pouvoir, modeste fantassin qui permet à l’administré

de remettre en cause une décision administrative illégale, fut-elle celle du

président de la République. Dans l’arrêt Canal, il s’agissait d’une ordon-

nance du Général de Gaulle instituant une Cour militaire de Justice rendant

des décisions sans appel. Il a fallu au Conseil d’Etat un sens incontestable

de sa mission de protection des droits de l’Homme pour oser, à chaud, en

plein climat de guerre civile, annuler avec tous les effets rétroactifs que cela

comporte l’ordonnance objet du recours pour excès de pouvoir.

Il fait aussi comprendre que le juge ne se limite pas à appliquer des textes

contenant expressément la règle de droit nécessaire. Le Conseil d’Etat a fait

application d’un principe général du droit, ce droit à l’état « gazeux » évo-

qué supra, en l’espèce « des droits et garanties essentielles de la défense »

des « principes généraux du droit pénal »

Les recours devant les juridictions internationales: Prenons l’exemple de la

Cour européenne des droits de l’Homme, dont les articles 50 et 53 de la

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Convention européenne des droits de l’Homme, imposent aux Etats d’en

exécuter les arrêts. L’arrêt Vermeire du 20 novembre 1991 fait peser sur les

Etats une obligation de résultat et de diligence, l’Etat condamné par la Cour

pour violation d’un droit fondamental doit modifier son système juridique.

A plusieurs reprises le parlement français ou la Cour de cassation ont nor-

malisé le droit français pour tenir compte de condamnations prononcées

contre la France. A cause de la dualité juridictionnelle qui la caractérise, la

France a en effet deux justices, la justice judiciaire et la justice administra-

tive, la France inflige aux requérants de regrettables dépassements de ce que

Cour européenne des droits de l’Homme estime être un délai raisonnable

(CEDH, 24 octobre 1989, H.c/France).

Le devoir de dire non

Les droits fondamentaux justifient même l’impertinence ultime de la résis-

tance à l’oppression par la désobéissance civile. Les juridictions apprécie-

ront en dernier ressort la légitimité de l’impertinence. Le respect des droits

de l’homme peut justifier et dans certaines circonstances imposer la déso-

béissance à l’égard du droit d’un système étatique qui les méconnaît au

point de nier la nature humaine à une partie de la population, tel que celui

du IIIème Reich. Les dignitaires nazis, les médecins, les architectes, tous les

professionnels mis en cause lors des procès de Nuremberg s’abritaient der-

rière leur devoir d’obéissance au droit positif allemand.

Le droit positif français prescrit le refus d’exécuter un ordre manifestement

illégal, à plus forte raison attentatoire à la dignité humaine. Il en va ainsi de

la disposition à valeur constitutionnelle de l’article 2 de la Déclaration des

droits de 1789 : « Le but de toute association politique est la conservation

des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liber-

té, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression ». Ou encore de

l’article 122-418, alinéa 2 du code pénal qui reprend la théorie dite des

« baïonnettes intelligentes », le fait d’obéir à un ordre ne doit pas ôter tout

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discernement. C’est cette théorie qui a permis la condamnation de Maurice

X. (Crim. 23 janvier 1997) au motif que « l’illégalité d’un ordre de

l’autorité légitime en matière de crime contre l’humanité étant toujours

manifeste ».

La jurisprudence administrative française refuse aux fonctionnaires l’excuse

de l’obéissance à un ordre manifestement illégal (arrêt du Conseil d’Etat, 10

novembre 1944, Langneur). La Cour Européenne des Droits de l’Homme a

fait récemment application du même principe (5e Sect. Déc. 21 juin 2011,

Polednová c. République Tchèque).

Bibliographie : - Collectif Droits, revue française de théorie juridique, n°2 les Droits de l’Homme, 1985. - Guillaume-Hofnung M., légitimité et limites éthiques du droit, in Éthique médicale, bioéthique et normativités, actes du séminaire 2-4 décembre 2002, Dalloz 2003. - Morand-Deviller J., Cours de droit administratif, LGDJ 2011. - Philippe R. et Rials Stéphane, Dictionnaire de philosophie politique. PUF - Sicard D., l’alibi éthique, 2006. - Terré F., Introduction générale au droit, Dalloz, collection précis.

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Et si on parlait de cyberéthique ou d’éthique du cyberespace ?

Dr. Michel JORAS Vice-président fondateur de l’Académie de l’Éthique

ESCP - Docteur ès Sciences de gestion - Paris Dauphine Enseignant-chercheur, hdr, ESCE/Paris Résumé : En ce moment où les paradigmes sociétaux de notre Société, en crise, subissent une métamorphose à l’issue incertaine, deux marqueurs émergent, se croisent, s’enchevêtrent, d’une part une éthique complexe dont humblement « on ne sait de quoi est-elle le nom ? », et d’autre part un cyberespace, fruit de la révolution numérique en cours, sans pouvoir dire encore « de quoi est-il la chose ? ». La réponse à ces deux questions permet avec [Im]pertinence d’interpeller ainsi l’Académie de l’éthique : « si on parlait de cyberéthique ou d’éthique du cyberespace ? » et d’offrir un champ inexploré de débats et recherches. Abstract : While societal paradigms of our Society in crisis are undergoing an uncer-tain metamorphosis, two overlapping markers emerge. On one hand there are complex ethics that humbly “what its name stands for is unknown”, on the other hand a cyberspace, product of the current digital revolution, and of which we cannot yet answer “what is it about? A solution to these two questions allows us to ask l’Académie de l’Éthique with [im]Pertinence: “Must we speak of cyberethics or ethics of the cyberspace?” , thereby dis-closing uncharted debates and research.

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« De quoi l’éthique est-elle le nom ? » est la question qui souligne la diffi-

culté de trouver une définition consensuelle et universelle, face aux mul-

tiples qualifications attribuables, aux nombreuses façons par lesquelles sont

abordées les morales des agents et en considération de sept approches sé-

lectionnées pour exprimer l’éthique dans notre vieux monde. Si cette

ébauche montre la richesse des concepts éthiques, par contre elle sous-

entend la difficulté pour la gouvernance, le management des organisations,

de synthétiser un référentiel éthique, appui d’une intelligence éthique, apte

à intégrer pour le réguler un cyberespace, dont on ne sait pas encore « de

quoi est-il la chose ? » ; espace où s’engouffrent les internautes, individuels

et/ou collectifs dans des zones blanches, et parfois noires. En conclusion,

ces deux questionnements, aux réponses seulement estompées, préparent

l’injonction impertinente posée : « et si on parlait de cyberéthique ou de

l’éthique du cyberespace ? » - futur champ de débats et recherches pour

l’Académie de l’Éthique.

Avant de répondre à l’injonction paradoxale de l’Académie de l’Éthique

« quelle pertinence face à quelle impertinence lorsque l’on veut évoquer

une éthique appliquée à un domaine spécifique ? », tel que le cyberespace

choisi dans cette communication, il est indispensable de se poser les ques-

tions « de quoi l’éthique est-elle le nom35 ? » d’une part, et « de quoi le cy-

berespace est-il la chose ? », d’autre part.

Le cyberespace - fruit de la révolution numérique et médiatique - est le mar-

queur, au début de notre XXIe siècle, de cette métamorphose surgissant à

la fin de ce XXe siècle barbare, née de la dissociation entre une économie

réelle et une économie virtuelle, avatar des dérives financière et souveraine,

35 En paraphrasant un ouvrage d’Alain Badiou, De quoi Sarkozy est-il le nom ?, éd. Lignes, 2007.

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génitrices dénoncées de la crise mondiale actuelle. Univers aux activités, -

blanches, noires et/ou grises des internautes de l’ère numérique -, se dis-

pensant de l’unité de temps et d’espace, le cyberespace virtuel peut-il être

soumis à une éthique réelle? et laquelle ?, avec l’espoir de voire émerger

une « intelligence éthique » mobilisatrice d’une « énergie éthique », capaci-

té à effectuer les transformations managériales pour un universel éthique

raisonnable de progrès.

1 - De quoi l’éthique est-elle le nom ?

Substantif ou adjectif le terme éthique envahit la sphère médiatique, dans

cette période d’incertitude, créatrice de pertes de sens, de remise en cause

des doxies idéologiques et sociétales de notre vieux monde.

Nos philosophes, nos sociologues, nos déontologues, nos dirigeants poli-

tiques de la puissance publique ou de la sphère des affaires, à titre personnel

ou en qualité d’agents des parties prenantes assignées à une responsabilité

sociétale exigeante36, abordent personnellement l’éthique selon leur propre

idéologie , faite de « mèmes », constitués de modèles culturels ou écono-

miques, d’opinions, de croyances, de préjugés, parasités de laxisme ou de

complaisance à l’égard de la corruption37, déviance souvent cachée, voire

acceptée sinon tolérée .

Chaque acteur/agent, à partir d’un code moral particulier, face à une situa-

tion, une décision à prendre, une action à mener, instaure son comporte-

ment éthique en se posant la question « que dois-je ou puis-je faire ? », di-

lemme qu’il traite selon une conviction intime (fides), qui elle-même résul-

terait, peut-être, soit d’un héritage génétique soit d’un apprentissage socio-

culturel38.

36 Livre Vert de la Commission européenne, Promouvoir un cadre européen pour la RSE, COM(2001) 366 final et Acte de la Commission européenne, Responsabilité sociale des entreprises : une nouvelle stratégie de l’UE pour la période 2011-2014, COM(2011) 681 final. 37 Pons N., Berche V., Arnaques, Le manuel anti-fraude, éd. CNRS, 2009. 38 Sirigu A., Comportement humain, héritage ou apprentissage ?, in Le Monde du 19

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C’est ainsi que dans ce contexte nait un ensemble flou, florilège d’une di-

versité d’éthiques sans limite : éthique des affaires, de l’entreprise, des or-

ganisations, des achats, des services, et éthique managériale39, citoyenne,

sociale, bioéthique, produits éthiques, et pourquoi pas comme cette commu-

nication le suggère une éthique du cyberespace ou une cyberéthique.

Cette diversité des qualifications attribuées au terme éthique provient de

finalités et de modalités possibles, une éthique peut être en effet :

- analytique, façon d’aborder le bon et le mauvais ;

- normative, comme prédiction de ce que l’on doit faire ;

- appliquée, comment l’on doit faire dans tel domaine ;

- déclarative et passive, affichage simple de ses engagements ;

- combative, mesures prises contre l’in-éthique et la corruption ;

- sécuritaire, prévention et protection des in-éthiques venant des

ressources humaines (sureté éthique) ;

- managériale, qui doit être menée par le management.

Dans notre vieux monde occidental, alors que pour la sphère anglo-

américaine, nourrie de puritanisme protestant, l’éthique des entreprises (bu-

siness ethics) est diligentée au double respect du droit et des engagements

pris volontairement (compliance) , en France, par contre, toujours sous

l’emprise du droit napoléonien, ou germano-latin, l’éthique dans

l’entreprise40 ne répond qu’à la seule conformité au droit, avec néanmoins

quelques traces de culture catholique, et ce, malgré la séparation légale de

l’Eglise et de l’Etat41.

novembre 2011. 39 Selon le Rapport de l’Institut de l’entreprise, Repenser la formation des mangers, Les Notes de l’institut, juin 2010. 40 Mercier S., L’éthique dans les entreprises, éd. La Découverte, coll. Repères. 41 Loi Séparation des Eglises et de l’Etat du 9 décembre 1905, consolidée le 14 mai 2009.

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Avant d’éclairer notre question « si on parlait de cyberéthique », il est utile

de rappeler que la moralité d’un agent42 peut être abordée différemment :

- selon la morale conséquentialiste , un agent est moral s’il contribue

par ses actions et leurs conséquences à créer le plus de bien ou le

moins de mal possible dans son monde ; il est immoral si ses actions

nuisent réellement à autrui43 ;

- pour la morale déontologiste, un agent est moral si ses actions sont

faites par devoir, conformément à des principes universels et sans

prendre en compte les conséquences susceptibles de voire dériver

ses actions ;

- pour l’éthique des vertus, un agent est moral si ses actions sont me-

nées pour se réaliser dans une vie bonne et bienveillante ; éthique

qui prend appui sur « ce pour quoi l’homme est fait ».

Face à cette multitude de considérations, sept peuvent être choisies et souli-

gnées :

1. une éthique du quotidien, autour d’un concept de sureté éthique

(Jacques Igalens et Michel Joras, 2010) ;

2. une morale éthique minimaliste, cadre pour une éthique minimale

(Ruwen Ogien) ;

3. une éthique appliquée, exprimée par des seuls comportements

éthiques (norme ISO 26000) ;

4. une éthique de la sécurité/ sureté des risques et de l’information

(OCDE, 2002) ;

5. une éthique de - l’économie mauve – (René Villemure) ;

6. une éthique de la bienveillance confucéenne (Stéphane Hessel/ Ed-

gar Morin) ;

7. une éthique revisitée, sociétale, sécurisée, universelle (Michel Joras).

42 Un agent peut être un individu, un groupe, un collectif, une entité … etc. 43 Ogien R., L’odeur des croissants chauds, éd. Grasset, 2011.

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1-1 – Une éthique du quotidien

L’éthique, objet de la « philosophie morale » et de la « philoso-

phie pratique » répond à un double questionnement, « comment vivre une

situation, un évènement, une décision, une action ? » et « quelle décision

prendre face à une alternative, un dilemme possible? ». Elle est du domaine

de la raison (ratio). Appliquée à des situations qui peuvent être complexes,

elle suppose un détour par le raisonnement et non par l’émotion.

Pour Jacques Igalens et Michel Joras44, cette éthique classique consensuelle

ne se contente plus des seules réponses religieuses du passé, mises à mal par

les barbaries insoutenables du XXème siècle ; il est à noter, de plus, que

cette éthique s’est trouvée affaiblie, au cours des décennies 1950/90 par les

atteintes faites à « l’esprit de Philadelphie (1944)-, promoteur de l’Etat pro-

vidence », et ensuite qu’ elle fut malmenée sous la pression de l’idéologie

néolibérale du « consensus de Washington (1990-2007) », et qui lui-même a

trouvé ses limites lors des crises de 2008 et de 2011, nées de la faillite de

la régulation des finances qui avait été laissée au seul marché.

A l’examen de certaines considérations, - reprises dans l’enseignement ac-

tuel de la philosophe morale45 et de la production littéraire française con-

temporaine -, pourrait se dessiner le contour de cette « éthique de pensée au

quotidien »46 qui se dégage dans notre fond culturel construit à partir du

choix de sept modèles philosophiques :

- je fais mon devoir, je m’en remets à mes croyances, à mon idéal, à

ma culture (Emmanuel Kant, 1790) : l’éthique de conviction ;

44 Igalens J.et Joras M., La sureté éthique : Du concept à l’audit opérationnel, éd. EMS, 2010. 45Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, éd. Puf, 1997. 46 Igalens J.et Joras M., La sureté éthique : Du concept à l’audit opérationnel, éd. EMS.2010

Page 86: imPertinences 0 2012

85

- je réponds aux dilemmes éthiques que l’on m’impose (Georg Hegel,

1800) : l’éthique de la dialectique ;

- je prends en compte les intérêts d’autrui (l’homme/les hommes, la

planète, l’économie) (Emmanuel Levinas 1961) : l’éthique de

l’altérité ;

- je veille à une justice d’équité et d’égalité des chances (John Rawls,

1971): l’éthique de la justice ;

- je dois répondre des conséquences de mes actes pour le présent et

l’avenir, la raison doit les dicter (Hans Jonas, 1979) : l’éthique de

responsabilité ;

- j’ajoute à mes valeurs celles des autres pour agir selon des normes

consensuelles, partagées et reconnues (Jürgen Habermas, 1987) :

l’éthique de la discussion ;

- je me règle sur ma conscience, pour ne pas nuire (Ruwen Ogien,

2011) : l’éthique minimaliste.

Cette éthique du quotidien, appliquée aux affaires, a trouvé en 2010 auprès

d’un philosophe, Roger-Pol Droit, et d’un banquier, François Henriot, une

« épaisseur » pratique, caractérisée par :

le respect de la loi : « toutes les règles édictées par les au-

torités publiques quelle qu’en soit la nature » ;

l’application d’un ensemble de vertus :

- rigueur dans l’analyse

- détachement des passions (argent, pouvoir,…)

- modestie et ténacité ;

l’exigence absolue de comprendre le sens de ce que l’on

fait ;

l’utilité pratique, efficacité pour la prospérité collective.47

47 Droit R-P. et Henriot F., Le banquier et le philosophe, éd. Plon, 2010.

Page 87: imPertinences 0 2012

86

Dans une approche similaire on retrouve ce modèle chez les anglo-saxons

par le croisement finalisé des mots « compliance » et « ethics », exprimant

l’observance tant du respect des règles que des engagements pris volontai-

rement ou non.

Cette forme d’éthique occidentale devrait permettre d’aborder la « sureté

éthique », état exigé d’une organisation (entreprise, association etc.) qui

sous contrôle de son management est apte tant à protéger les ressources hu-

maines mobilisées qu’à se protéger de leurs déviances in-éthiques possibles.

Cet état de sureté est souhaitable et raisonnable dans un objectif de confor-

mité en France, de compliance dans le monde anglo-américain, et ce au

moment même où la vie professionnelle et la vie privée se digitalisent dans

un cyberespace qui est ouvert dangereusement à l’envahissement de la cy-

bercriminalité, du cyberespionnage, d’une cyberguerre toujours possible,

des cyberdénonciations (ex. :anonymous).

Dans les pays européens de culture germano-latine, - en France en particu-

lier -, l’éthique a longtemps été assimilée à la seule conformité, donc au

respect strict de la loi avec néanmoins quelques traces de freins encore pré-

sents dans la culture catholique. Par contre, selon la pensée anglo-saxonne,

l’éthique c’est aussi un ensemble de « virtus » : rigueur dans l’analyse, déta-

chement des passions, modestie, ténacité et, surtout, une exigence absolue

de comprendre le sens de ce que l’on fait ; qualités complétées par les

« vertus cardinales » que sont la sagesse, la tempérance, la prudence, la

force de la vérité. Il peut sembler néanmoins que ce dernier aspect n’a pas

encore totalement irrigué la pensée française du monde des affaires.

1-2 – Une morale éthique minimaliste

Un courant de la philosophie morale expérimentale traditionnelle, réanimée

en France par Ruwen Ogien, vient « chahuter » la morale appliquée à tout

agent en proposant concrètement des « dilemmes éthiques », des « fables »

Page 88: imPertinences 0 2012

87

pour tester ses jugements moraux, et en montrant que tout en morale peut et

doit être questionné (Philosophie Magazine n°52)48. Selon ce courant de

pensée philosophique, l’éthique, pour toute « entité humaine », consiste tout

simplement à « ne pas nuire à autrui », et à « résister à l’intolérable » (Ju-

lien F. 2001), et rien d’autre.

Ces deux injonctions minimalistes se retrouvent aussi bien dans « les livres

sacrés du monothéisme prophétique (judaïsme, christianisme, islam) que

dans les principes des religions indo-mystiques (hindouisme, bouddhisme)

ou des religions sapientielles de l’Extrême-Orient (confucianisme, taoïsme,

religions japonaises)49 », et encore dans une « mantra » laïque des Lu-

mières, voire de l’athéisme.

Ces - éthiques minimales de devoirs - ont été reprises comme une cons-

cience intangible d’une morale universelle par l’ONU en 1948.

Cette éthique minimaliste, confrontée aux injonctions du Développement

durable et de la Responsabilité sociétale, ne pourrait-elle s’énoncer « ne

plus nuire au monde » !

1-3 – Une éthique appliquée exprimée par des seuls comporte-

ments éthiques (norme Iso 26000)

Cette éthique du quotidien et cette éthique minimaliste se retrouvent dans

l’ardente obligation de soutenir le paradigme du développement durable50,

qui sous l’enveloppe « autrui » rassemble « le peuple, la planète, le pro-

grès/les ressources humaines, l’environnement, l’économie ».

Mais devant une impossibilité évidente et réaliste de concilier les différents

modèles économiques et religieux pratiqués dans l’espace mondialisé par les 48 Philosophie Magazine, Apprendre à penser, n°52, septembre 2011. 49 Küng H., Le christianisme, éd. Seuil, 1999. 50 Inscrit dans la Constitution française en 2005.

Page 89: imPertinences 0 2012

88

organisations autour de cette seule morale/éthique minimaliste, bien que

socle consensuel, ou de cette éthique du quotidien aux traits germano-latins,

ISO (International Standard Organization) après des travaux mobilisant du-

rant dix années 300 experts de 100 pays, semble avoir trouvé une solution

pour écarter ce flou éthique, discerné, ci-avant, par la multitude des ap-

proches , en lui substituant des « comportements éthiques » dans une norme

NF-ISA 26000/2010 : « lignes directrices relatives à la responsabilité socié-

tale des organisations » ; comportements autour de sept questions centrales,

dont une valeur universelle que sont les Droits de l’Homme et six autres,

que sont la gouvernance, les relations et conditions de travail,

l’environnement, les consommateurs, la communauté et le développement,

la loyauté des pratiques.

Un comportement éthique, décrit et souligné comme base de cette norme

ISO 26000 est « un comportement conforme aux principes acceptés d’une

conduite juste ou bonne dans le contexte d’une situation particulière, et en

cohérence avec les normes internationales de comportement , attentes vis-à-

vis du comportement d’une organisation en matière de responsabilités so-

ciétales, procédant du droit coutumier international, de principes généra-

lement acceptés de droit international, ou d’accords intergouvernementaux

universellement ou quasi universellement reconnus »51.

Ecartant, tant que ce peut, les exigences d’une morale/éthique qui se vou-

drait universelle, cette approche ISO, pour réguler éthiquement les relations

et transactions internationales, permet de circonscrire aux seuls individus

toute conscience morale, et ainsi de tracer une frontière entre les pensées

religieuses et/ou symboliques et les comportements éthiques dans les orga-

nisations. Cette approche indique aux acteurs /agents les conduites et pra-

tiques à tenir qui sont considérées alors comme des « règles du jeu » à res-

51 ISO 26000/Afnor, Lignes directrices, 2010.

Page 90: imPertinences 0 2012

89

pecter dans les relations de travail et transactions, quelles soient à caractère

marchand ou solidaire.

Selon un regard ayant pour vision le progrès humain et en réponse aux at-

tentes des pays aspirant à la démocratie, les comportements éthiques con-

fient aux individus leur morale individuelle faite de devoirs exigés selon

une singularité morale de chacun, et indiquent aux agents professionnels

une « éthique laïque », constituée de devoirs déontologiques . Ces lignes

directrices de comportements éthiques des organisations, entités en action

dans l’économie publique ou privée, devraient préparer leu entrée dans

l’économie numérique émergente, au sein d’un cyberespace, nouvelle di-

mension offerte à l’humanité.

1-4 Une éthique de la sécurité/ sureté des risques et de la sécurité de

l’information

Les deux termes sécurité et sureté se confondent dans le langage courant, la

confusion se dévoile tant dans les définitions données par le dictionnaire

Robert 2005 que dans le glossaire 2011 du Droit du travail donné par Hu-

bert Seillan dans sa revue Préventique n°120 de novembre 2011.

Dans un souci de clarification nous adopterons le terme sécurité pour ce que

les anglophones considèrent comme « hard » et sureté comme « soft ».

Néanmoins l’usage du binôme sécurité/sureté peut être utilisé pour une ap-

proche totale du risque « considéré comme un effet de l’incertitude sur

l’attente des objectifs » norme NF/Iso 31000).

Pour Pierre Frédéric Tenière-Buchot52, « les grandes organisations interna-

tionales (FMI, BM, ONU… etc.) lors de leurs interventions actuelles sem-

blent vouloir donner une suite au modèle du développement durable en glis-

sant et insistant sur la prise en compte d’un nouveau paradigme qu’est le

couple sécurité + sureté, et qui a pour objectifs :

52 PF. Tenière-Buchot est consultant international Candiz.

Page 91: imPertinences 0 2012

90

- l’efficacité et l’efficience (résultats à moindre coût) par la régularité

(encadrement des résultats par des normes et standards) visant à

une banalisation sociale pour éteindre des polémiques53 de gouver-

nance ;

- la gestion des risques, qui est à des niveaux acceptables si elle tient

compte des erreurs humaines (involontaires ou provoquées) toujours

susceptibles de se produire pour des systèmes complexes, à la lu-

mière de la nouvelle réalité, qui se dévoile lors des crises ac-

tuelles. »

Cette prise de position, à caractère sécuritaire, n’est pas contradictoire

avec l’autre volet positif de la prise des risques qui peut être source

d’opportunités, d’innovations.

A partir de cette vision d’une gouvernance éthique basée sur le couple sécu-

rité/sureté, considérant que l’information devient une des ressources essen-

tielles à l’ère numérique, c’est ainsi que l’OCDE54 vient d’édicter des

« lignes directrices régissant la sécurité de systèmes et réseaux

d’information (le cyberespace), vers une culture de la sécurité », qui répon-

dent à un environnement en constante évolution et qui appellent au dévelop-

pement d’une culture de la sécurité – ce qui signifie d’une part, porter une

attention très grande à la sécurité lors du développement des systèmes

d’information et des réseaux, et d’autre part, adopter de nouveaux modes de

pensée et de comportement lors de l’utilisation des systèmes et réseaux

d’information et dans le cadre des échanges qui y prennent place.

Considérant que les efforts visant à renforcer la sécurité des systèmes et

réseaux d’information doivent respecter les valeurs d’une société démocra-

tique, en particulier le besoin d’une circulation libre et ouverte de

l’information ainsi que les principes de base de respect de la vie privée des

individus, neuf principes s’imposent pour l’OCDE :

53 Selon l’IHESJ, Institut des hautes études de la sécurité et de justice. 54 Recommandations de l’OCDE du 29 juillet 2002.

Page 92: imPertinences 0 2012

91

- sensibilisation ;

- responsabilité ;

- réaction ;

- démocratie ;

- évaluation des risques ;

- conception ;

- mise en œuvre ;

- gestion de la sécurité ;

- éthique. 55

Ce paradigme sécurité/sureté rejoint et conforte le concept de « sureté

éthique »56 qui exprime et démontre l’état de protection qu’une « enti-

té organisée » doit offrir et soutenir en donnant une assurance raisonnable

que ses valeurs, ses buts et objectifs, son intégrité, son image, sa réputation,

la confiance qui lui est faite, ne sont pas ou ne peuvent pas être affectés par

des menaces externes et des dangers internes, matériels et immatériels, ve-

nant de pratiques et conduites in-éthiques, individuelles et/ou collectives.

1-5 – Une éthique de l’économie mauve

55 Voir Recommandations du Conseil de l’OCDE, Vers une culture de la sécurité, 29 juillet 2002. Les parties prenantes doivent respecter les intérêts légitimes des autres parties prenantes. Les systèmes et réseaux d’information sont omniprésents dans nos sociétés et les parties prenantes doivent être conscientes du tort qu’elles peuvent causer à autrui par leur action ou leur inaction. Une conduite éthique est donc indispensable et les parties prenantes doivent s’efforcer d’élaborer et d’adopter des pratiques exemplaires et de promouvoir des comportements qui tiennent compte des impératifs de sécurité et respectent les intérêts légitimes des autres parties prenantes. 56 Développé par J. Igalens et M. Joras in La sureté éthique : Du concept à l’audit opérationnel.

Page 93: imPertinences 0 2012

92

A l’occasion du premier Forum de l’économie mauve57(2011),, il a été sou-

ligné que celle-ci renvoyait à l’amélioration de l’environnement culturel aux

côtés des environnements naturel et social, et ne se réduisait pas à la seule

économie de la culture et qu’elle avait par définition un caractère transver-

sal58.

Pour les participants à ce Forum, l’économie mauve s’inscrit dans une pers-

pective éthique appropriée. Selon René Villemure de l’Institut québécois de

l’éthique appliquée, « l’éthique doit être comprise comme étant un exercice

réflexif qui résulte d’une certaine prise de conscience collective, d’un désir

de faire autrement, d’une ambition de faire « mieux » au niveau moral.

L’économie mauve parle ici « d’articulation vertueuse » (…) « Lorsqu’on

évoque l’éthique dans le cadre de l’économie mauve, il importe de savoir

que l’éthique est affaire de culture, tant celle d’une organisation, d’une so-

ciété, d’un mouvement ou d’un peuple. Elle doit s’appuyer sur des valeurs

communes qui devront être claires, praticables et partagées : ces valeurs

devront éclairer et éviter de recouvrir ce qui doit être fait par ce qui peut

être dit. L’éthique est affaire de culture et il faut aussi rappeler qu’une cul-

ture ne se change pas, elle migre lentement. ».59

1-6 - Une éthique de la bienveillance confucéenne (Hessel/Morin)

Stéphane Hessel et Edgar Morin dans leur ouvrage « Le chemin de

l’espérance »60, proposent « la création d’un-Conseil d’Etat éthique - qui,

formé de conseillers d’Etat et de membres de la Cour des comptes, de per-

sonnalités humanitaires, de militants de l’humanitaire, etc. devrait pro-

grammer un enseignement de la bienveillance confucéenne pour tous ceux

qui voudraient embrasser une carrière comportant responsabilité et/ou

pouvoir ». On entend généralement cette bienveillance comme - une vertu

57 Paris/Dauphine, le 14 novembre 2011. 58 Selon Jérôme Gouadain, Secrétaire général du Forum. 59 In texte sur site Internet www.Éthique.net. 60 Hessel S. et Morin E., Le chemin de l’espérance, éd. Fayard, 2011.

Page 94: imPertinences 0 2012

93

d’humanité - attentive aux devoirs dus à l’égard d’autrui, visant une harmo-

nie sociale dans l’harmonie cosmique confucéenne.

1-7 -Une éthique revisitée sociétale, sécularisée universelle (Joras)

En reprenant les volontés actuelles des directives de l’Union européenne et

la prise de conscience des grandes entreprises qui et le succès de la prise en

considération de la responsabilité sociétale de la norme ISO 26000, nous

pouvons tracer le corpus d’une éthique revisitée qui pour les organisations

répond à des lignes d’actions, droits et devoirs, et de façon intangible pren-

nent en compte :

le respect absolu et incontournable des droits de l’homme

(ONU 1948) ;

l’observance du cadre de l’ordre public affectant l’entité

organisée dans sa sphère d’influence (ISO 26000) ;

le respect des engagements pris et souscrits à l’égard des

parties prenantes désignées et réellement concernées par

les décisions, projets et activités ;

une loyauté des pratiques à partir de comportements

éthiques spécifiés et acceptés par toute la « communauté

de travail », et soutenus par la gouvernance, le manage-

ment, les représentations sociales et professionnelles ;

la prise en considération active de l’incertitude inhérente

à toute conjoncture (ISO 31000) afin de ne pas et plus

nuire à autrui et atteindre ses objectifs, à l’appui d’une

cartographie réaliste des risques ;

une redevabilité transparente et sincère des activités fi-

nancières et extra-financières, (comply or explain) (art.

225 : Loi Grenelle 2) ;

Page 95: imPertinences 0 2012

94

en mobilisant conjointement les quatre piliers fondamen-

taux du management : qualité/contrôle de gestion

/responsabilités des risques/ressources humaines ;

en développant une intelligence éthique, qui dans la prise

des décisions et l’action a la capacité de répondre avec

efficacité, efficience, effectivité aux dilemmes éthiques

éventuels et d’éviter de contredire l’une ou l’autre de

ces huit exigences, ci-avant énoncées .

2 – De quoi le cyberespace est-il la chose ?

Dans son édition de 2005, le dictionnaire Hachette donnait la définition sui-

vante à cyberespace : « ensemble des informations et des relations que l’on

peut trouver sur un réseau électronique ». Cette définition préludait celle

d’ISO d’aujourd’hui : « le réseau des réseaux », ouverts ou fermés, ouverts

lorsqu’ils sont dédiés au partage des connaissances, fermés si dédiés à

l’obtention de résultats » (ISO/TC 176)61.

Le cyberespace est un monde qui rassemble virtuellement la communauté

des internautes et les ressources d’informations numériques accessibles à

travers les réseaux d’ordinateurs (Larousse 2011), auxquels il faudrait au-

jourd’hui ajouter les autres outils et moyens de transmission (ex. GPS, télé-

phone mobile, Wifi…),et la multitude de supports et applications (Google,

Twitter, sites de microclubbing, Cloud computing ,etc.), et autres réseaux

sauvages tel Commotion, crée à partir de « logiciels permettant la mise en

place de réseaux sans fil à haut débit 100% autonomes, qui fonctionneront

sur les fréquences Wifi, sans s’appuyer sur aucune infrastructure existante –

ni relais téléphonique, ni câble, ni satellite. Ils seront mouvants, horizon-

61 ISO/TC 176/DIS 10018, Lignes directrices pour l’implication et la compétence du personnel, ISO Focus – Avril 2011.

Page 96: imPertinences 0 2012

95

taux, entièrement décentralisés et échapperont à toute surveillance car le

trafic sera énorme et crypté »62.

Pour la Secrétaire américaine à la sécurité intérieure, Janet Palatino, dans sa

déclaration faite à Paris le 2 décembre 201163, le « cyberespace est l’endroit

où nos intérêts économiques et nos intérêts sécuritaires peuvent coïncider ».

Il est possible d’assimiler le cyberespace à un univers d’informations et de

communications en mouvance et en construction/destruction permanente tel

un ensemble organique, quasi-vivant où des millions d’individus, de

groupes, d’organisations, en temps réel, dissolvant les unités passées de

temps et d’espaces, et oubliant les doxies fixistes qui caractérisent encore

notre vieux monde mécaniste et linéaire, que dénonce Esther Duflo, à savoir

l’ idéologie passéiste, l’indifférence, l’ignorance.

Les nouveaux dispositifs de médias sociaux, Google, Yahoo, Facebook,

Twitter, Meetic, sites d’échanges de sons, d’images, de textes, mobilisent en

2011 près de 2,5 milliards d’internautes, dans un univers aussi inconnu que

le sont toujours l’infini petit et l’infini grand galaxique.

L’avenir de ce cyberespace s’annonce comme expansif, sans limites, au re-

gard de nouveaux territoires numériques64, tels que le Cloud computing, le

paiement sur mobile, et la réalité augmentée. La réalité augmentée consiste

à superposer en temps réel des informations provenant d’Internet sur une

image du monde réel. Pour l’heure, ce tour de passe-passe peut être réalisé

avec une poignée d’applications sur téléphone intelligent (comme Layar,

Wikitude et Google/ Goggles) et sur quelques consoles de jeu comme la ré-

cente Nintendo 3DS.

Les nouvelles techniques utilisées par les réseaux d’information peuvent

être à l’origine de systèmes complexes dont le contrôle échappe tant à la

62 Eudes Y., Les réseaux sauvages, In Le Monde du 31 août 2011. 63 Sandage T., In The Economist hors série 39. 64 Eudes Y., Quels sont les armes et les leurres de la cyberguerre, in Le Monde du 1er octobre 2010.

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96

puissance publique qu’aux observateurs de la sphère privée et qui pourraient

naître selon une conception de la genèse organique naturelle de systèmes

humains autoproduits ; c’est ainsi que 3 chercheurs de l’école polytechnique

fédérale de Zurich65 viennent de publier le 23 octobre 2011 une étude sur

46 000 des plus grandes entreprises mondiales, selon laquelle les participa-

tions de 737 firmes dans les autres entreprises du réseau leur permettrait de

contrôler 80% de la valeur totale (Chiffre d’Affaires) de la totalité du ré-

seau, et que 147 firmes, dont les ¾ du secteur financier contrôlaient 40% du

CA.

Pour compléter ces premières observations sur ce cinquième nouvel cybe-

respace/monde offert à l’humanité selon l’OCDE (après terre, mer, ciel,

espace) nous essayerons sobrement d’évaluer et critiquer - sa face blanche,

la société civile, - sa face noire, la cybercriminalité, -sa face grise, celle des

internautes individuels et/ ou collectifs.

Face blanche : la société civile en action

Ce cyberespace - né de la révolution numérique actuelle des nouvelles tech-

niques - devrait pouvoir offrir aux foules, telles que Gustave Lebon les dé-

crivait en 1895, des moyens nouveaux pour se donner une pensée commune

d’action citoyenne, et ce, en réduisant l’émotion irrationnelle, l’impulsivité,

la versatilité, l’émergence d’un meneur, ces défauts dénoncés à l’époque par

Gustave Lebon.

L’Internet, suppléant la radio, la presse, les tracts clandestins, a transformé

la « foule » en une communauté d’individus indépendants capables de géné-

rer de l’information, et de se mobiliser en un ensemble d’individus cons-

cients de leur cause commune pour se rassembler et manifester dans les

rues, les places publiques, et pour mener, en tant que société civile, connec-

65 Reverchon A., Un nœud de 147 sociétés au cœur de l’économie mondiale, in Le Monde du 29 novembre 2011.

Page 98: imPertinences 0 2012

97

tée sur le réseau, une lutte civique par des moyens non armés, et laissant

ainsi la violence à l’ordre contesté66.

Il apparaîtrait pour nombre de politiques et journalistes que les réseaux de

l’Internet seraient à l’origine du Printemps Arabe.

Les comportements éthiques de ces mouvements d’indignation contre des

régimes d’autocrates prédateurs, sont des comportements civiques relevant

d’une morale collective, celle des Droits de l’Homme, qui rejettent la vio-

lence comme mode d’action et qui servent de guide à un peuple de mani-

festants préalablement reliés en réseau ouvert et agissant en réseau fermé

ayant pour fin la chute d’un régime honni.

Face noire du cyberespace, nouveau champ ouvert à la cybercriminalité,

au cyberespionnage…

Deux formes d’attaques viennent ébranler les réseaux : la cybercriminalité,

le cyberespionnage.

La criminalité a trouvé dans les outils déviants d’attaques du cyberespace,

des champs sans limite, pour la fraude fiscale, la fraude financière, la fraude

à la Sécurité sociale, le blanchiment, la corruption, les arnaques ciblées sur

les personnes fragiles, la fraude douanière, l’économie souterraine, les faux

papiers, les commerces frauduleux…etc.

Le cyberespionnage et les cyberattaques mobilisent dorénavant les Etats-

majors tant des Etats que des multinationales, la cyber sureté/sécurité,

l’intelligence numérique, deviennent des fonctions support à part entière,

contre les méfaits et crimes internes ou externes, et d’hackers en particulier,

même s’ils disent agir par éthique de la transparence (wikileaks).

Les cyberattaques peuvent venir de pays hostiles par l’entremise de cer-

taines organisations politiques, telle l’AYYILDIZ turque contre la France,

janvier 2012.

66 Semelin J., Face au totalitarisme, la résistance civile, éd. André Versailles.

Page 99: imPertinences 0 2012

98

Face grise de cet univers/monde des médias sociaux

Le cyberespace devient pour le monde des internautes et les organisations,

un nouvel univers qui ignore les frontières et qui les met en relation immé-

diate, sans unité de lieu et de temps ; l’adresse électronique, le raccord au

Wifi, fait de tout acteur/agent, tant individu, tant groupe, tant organisation,

un transmetteur libre, un récepteur libre, hors la présence physique d’un

supérieur hiérarchique, d’un observateur, d’un contrôleur, .

L’acteur/agent, individu ou groupe, devant son PC, son téléphone mobile,

sa tablette, n’a que sa propre morale/éthique comme frein à ses comporte-

ments et pratiques. Le respect du droit, des règles, des normes, ne donne que

le cadre d’un ensemble flou, virtuel, comme repère a l’individu isolé qu’il

est. Cependant une éthique appliquée, sous la forme d’un code déontolo-

gique spécifique, civique et citoyen, aura à s’imposer lorsque

l’acteur/internaute est soumis à une tutelle, son employeur, privé ou public,

ou lorsqu’il doit répondre à la responsabilité due en sa qualité de respon-

sable d’une « personne morale ».

Pour l’employé/salarié l’éthique est normalement traduite dans le contrat de

travail, que reprend le règlement intérieur, ou selon son affichage par une

charte déontologique spécifique à son métier/fonction.

Pour toute organisation/personne morale, l’éthique consiste à respecter le

cadre règlementaire et les engagements pris, soit auprès d’une instance pro-

fessionnelle, soit par l’adhésion volontaire à une norme, une charte.

A cette « chose » qu’est le monde virtuel, lorsque l’on lui superpose la réali-

té, on se trouve devant une réalité virtuelle qui est une simulation informa-

tique interactive immersive, visuelle, sonore, tactile imposée aux environ-

nements réels, économiques, sociaux, et culturels.

Sous l’appellation- réalité augmentée -cette transformation de la réalité ne

va-t-elle pas ouvrir un monde encore plus complexe, incompréhensible si lui

sont adjoints la géolocalisation, et les paiements et les activités/applications

à l’aide de l’outil universel qui s’annonce être le nouveau téléphone por-

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99

table/tablette déjà en gestation. Quels repères, alors, pour dessiner une

éthique applicable ?

La phase grise peut également comprendre les interventions brusques et

impromptues, sous forme de cyber-guerillas, déclenchées par des cyberacti-

vistes de la nébuleuse Anonymous contre des sites institutionnels (Élysée,

FBI…etc.,) en réponse à la fermeture par les USA du site Megaupload

(janvier 2012).

Pour une conclusion incertaine et (Im)pertinente

Après avoir essayé humblement de tracer un cadre capable de définir ce

« mème » qui se construit et s’exprime sous l’intitulé éthique, en posant une

question impertinente, « de quoi l’éthique est-elle le nom ? », et ensuite

après avoir eu l’impertinence de clarifier « de quoi le cyberespace est-il la

chose ? », n’était-il pas pertinent d’essayer de parler d’une cyberéthique :

rencontre croisée de ces deux questionnements ?

Devant l’incertitude que le lecteur - expert ou non - en éthique appliquée,

ressentira à la lecture de cette communication « et si on parlait de cyberé-

thique ? », qui se voulait pertinente, n’est-il pas propice de laisser aux parte-

naires de l’Académie de l’Éthique la découverte et l’élaboration d’une

éthique de ce cyberespace ? nouveau terrain des jeux sociétaux ?; cyberes-

pace que l’essayiste américain Roy Ascott67 décrivait comme un « deuxième

déluge » à venir, fait « des milliards d’informations68 qui, dorénavant, nous

assaillent vingt-quatre heures sur vingt-quatre, au risque de nous englou-

tir. »

Face à la « complexitude » révélée dans cette communication pour définir

le contour réel d’une éthique capable de moraliser, réguler, maximiser, les

relations humaines devenues « neuronales » dans ce cyberespace dont la

67 Cité par Guillebaud J-C., in Supplément « TéléObs » du Nouvel Observateur du 17 décembre 2011. 68 De dimension Yolta, soit un million de milliards de giga-octets.

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nature et le devenir nous échappe, ne faudrait-il développer une « intelli-

gence éthique », associée à des intelligences industrielle, économique et

sociale, aptes à mobiliser cette « énergie éthique »que nous évoquons

comme nouvelle force et ressource de l’ère numérique.

Conclusion impertinente ? : Que l’Académie de l’Éthique fasse que ce

« mème » éthique à imaginer pour le cyberespace ne soit pas « un simple

morceau de sucre dans un cyber-océan », pure ‘facÉthique’!!

Bibliographie Badiou A., De quoi Sarkozy est-il le nom ?, éd. Lignes, 2007, 155 p. Pons N. et Berche V., Arnaques, Le manuel anti-fraude, éd. CNRS, 2009, 285 p. Mercier S., L’éthique dans les entreprises, éd. La Découverte, coll. Repères, 120 p. Semelin J., Face au totalitarisme, la résistance civile, éd. André Versailles, 111 p. Ogien R., L’odeur des croissants chauds, éd. Grasset, 2011, 336 p. Igalens J. et Joras M., La sureté éthique : Du concept à l’audit opérationnel, éd. EMS.2010, 153 p. Droit R.-P. et Henriot F., Le banquier et le philosophe, éd. Plon, 2010. Küng H., Le christianisme, éd. Seuil, 1999. Hessel S. et Morin E., Le chemin de l’espérance, éd. Fayard, 2011, 64 p. Dictionnaire de l’éthique et de la philosophie morale, éd. Puf, 2004. Eudes Y., Les réseaux sauvages, Le Monde du 31 août 2011. Eudes Y., Quels sont les armes et les leurres de la cyberguerre, Le Monde 1er octobre 2010. Reverchon A., Un nœud de 147 sociétés au cœur de l’économie mondiale, Le Monde du 29 novembre 2011. Sirigu A., Comportement humain, héritage ou apprentissage ?, Le Monde du 19 novembre 2011. Philosophies Magazine n°52, Apprendre à penser, septembre 2011. Livre Vert de la Commission européenne, Promouvoir un cadre européen pour la RSE, COM(2001) 366 final. Acte de la Commission européenne, Responsabilité sociale des entreprises : une nouvelle stratégie de l’UE pour la période 2011-2014, COM(2011) 681 final. ISO 26000/Afnor, Lignes directrices, 2010. Rapport de l’Institut de l’entreprise, le Cercle de l’entreprise et du Mangement et la FNEGE, Repenser la formation des mangers, Les Notes de l’institut, juin 2010.

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101

L’entreprise et les incivilités : d’un problème de société à un problème de management et d’éthique

Hubert LANDIER Vice-président de l’IAS

Vice-président de Synergence

Résumé : Un client, dans une boutique, se plaint au point d’en devenir injurieux à l’égard du vendeur. Il est facile d’en tirer pour conclusion qu’il est mal em-bouché et de s’en tenir là. On y ajoutera quelques considérations sur le manque de courtoisie des clients en général. Ce qu’on oublie peut-être, c’est qu’il revenait pour la troisième fois dans l’espoir d’obtenir ce qui lui avait été pourtant promis pour la semaine dernière. Faut-il alors mettre en cause le vendeur ? Peut-être. Mais peut-être celui-ci est-il tout simplement prisonnier de lenteurs administratives internes à la chaîne dont fait partie le magasin. Ce qui veut dire que le client a quelques raisons d’être mécontent, même s’il se montre excessif dans la façon dont il exprime son sentiment.

Les « irritants sociaux », ces petits désagréments de la vie courante, tels qu’ils contribuent à détériorer le climat social parmi les salariés, contri-buent ainsi tout autant à détériorer la qualité des relations avec les usagers ou les clients. Ils donnent à ces derniers, de l’entreprise ou du service pu-blic, une image négative qui les encourage à s’en plaindre ou à s’adresser ailleurs, quand la chose est possible. A l’origine de cette tendance : la vo-lonté de réduire les coûts et l’inadaptation des procédures, décidées en haut lieu et que doivent respecter les salariés. Or, c’est ici que le problème éthique se pose : l’entreprise est-elle en droit d’imposer à son personnel des directives ou des procédures dont l’effet est d’exposer certains de ses membres au ressentiment des clients à juste titre mécontents.

Abstract :

Incivilities in relationships between company and clients are not so much the manifestation of a lock of courtesy than a question of management. If client feel furious, it is very often because he cannot obtain what he need to obtain. And if he cannot obtain what he need, it is often because the repre-sentative of the company cannot deliver it for organizationnal reasons. So, mangement must consist to avoid all organizationnal obstacles to a better service to client. Beyond the correct attitude of the representative, this one must be sustained by a fluent organization.

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A l’origine des incivilités, des causes très concrètes de mécon-

tentement…

Scène courante dans un service public : un usager rudoie vertement son

interlocuteur. Il y a deux façons de considérer le problème. La première,

c’est de s’en prendre à son manque de politesse, le tout assorti de considéra-

tions sur son origine ethnique ou sur le fait que « autrefois, jamais quel-

qu’un ne se serait comporté comme ça ». Éventuellement, on ruminera le

projet d’aller porter plainte. La seconde façon de prendre la chose, c’est de se demander pourquoi il est en colère. Il s’agit là d’une démarche moins aisée, mais qui peut conduire à des observations extrêmement intéressantes.

Par exemple, on découvrira que l’usager s’est déplacé pour la troisième fois afin d’obtenir un document ou un renseignement que son interlocuteur est désespérément en peine de lui procurer. Reste à savoir pourquoi. Peut-être

s’agit-il d’une négligence de sa part. Mais beaucoup plus fréquemment,

c’est qu’il n’a pas été en mesure de le faire. Il y va donc, non de sa respon-

sabilité personnelle, mais de celle de l’entreprise, qui lui impose une façon de faire qui ne lui permet pas de répondre à l’attente légitime du client. Continuons dans l’analyse de l’arbre des causes. Première cause possible : il

n’a pas eu le temps de procéder à la recherche. C’est très possible. Le souci de réduire les coûts a conduit nombre de services publics et d’entreprises à vouloir réduire les effectifs. Cet « optimisation » des frais de personnel se

fonde le plus souvent sur l’hypothèse d’un fonctionnement optimal du ser-

vice. Le problème, c’est que cet optimum constitue un idéal qui est rarement atteint. Dans la réalité, les salariés doivent en effet faire face à toutes sortes

d’incidents et de tâches qui n’avaient pas été prévues. C’est pourquoi ils sont constamment débordés – ceci jusqu’au jour où ils craquent, moyennant quoi ils se mettent en arrêt maladie, ce qui revient à faire porter le poids du

travail sur un effectif encore plus réduit. Et donc, en attendant, on essaye de

s’en sortir au jour le jour, en laissant de côté tout ce qu’il n’est pas indispen-

sable de faire sur le coup. C’est pourquoi la recherche nécessaire en vue de répondre à la demande de renseignement attendra un peu, parce qu’on ne peut pas faire autrement.

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Deuxième cause possible : l’impossibilité de se procurer aisément ce rensei-

gnement. Celle-ci s’explique par les pertes de temps résultant d’une organi-

sation de plus en plus compliquée et de moins en moins stable. D’où il s’ensuit que l’on ne sait pas à qui s’adresser dans une structure où l’anonymat est devenu la règle. Troisième cause possible, enfin : un excès

de centralisation qui se traduit par des procédures et des directives lancées

sans concertation avec ceux et celles qui seront chargés de les appliquer, qui

paraissent tout-à-fait pertinentes aux yeux de ceux qui les émettent mais qui,

à l’usage, se révèlent inapplicables, compliquées, lourdes à mettre en œuvre, voire même absurdes. Et donc le guichetier ou le vendeur est dans

l’impossibilité de répondre à son vis-à-vis parce qu’il est lui-même victime

d’un système infernal. Dans certains cas, les raisons du mécontentement de l’usager ou du client

sont évidentes. Dans le cas – hélas, de plus en plus fréquent –d’un retard de son train, le voyageur impatient fait porter sur le contrôleur le poids de son

désagrément. Le contrôleur n’y est pour rien, mais en sa personne, c’est la SNCF qui se trouve mise en accusation. Il lui faudrait alors pouvoir expli-

quer les multiples dysfonctionnements qui contribuent à expliquer ce retard.

Pourtant le plus souvent se contentera-t-il de passer outre. Encore s’agit-il là

d’un cas simple. Beaucoup plus fréquentes sont les situations dans les-

quelles l’usager ou le client mécontent, ignorant le fonctionnement de l’organisation à laquelle il a affaire, s’imagine que la difficulté à laquelle il se heurte résulte de la mauvaise volonté ou de l’incompétence de son inter-

locuteur. Celui-ci doit supporter alors un flot d’injures tendant à l’accabler alors même que sa bonne volonté n’est pas en cause. Mais bien souvent, sans pouvoir ou accepter de le dire, il est parfaitement conscient du désa-

grément que l’institution qu’il représente fait subir à son interlocuteur, par

suite de dysfonctionnements dont il connaît très exactement la nature sans

pouvoir en faire état.

Cependant, confronté à l’usager ou au client mécontent, il se trouve seul à tenter, souvent sans succès, se trouver une solution. S’il se montre conscien-

cieux, c’est ce qu’il va faire, sachant pourtant que tout ceci le retarde alors qu’on le demande par ailleurs et qu’on risque de l’accuser d’être trop lent.

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C’est ici qu’intervient le rôle de l’encadrement de proximité. Le salarié con-

fronté au mécontentement de l’usager ou du client par suite de dysfonction-

nements dont il n’ignore pas la nature va-t-il ou non pouvoir compter sur

l’appui de ses chefs immédiats ? Souvent, ce n’est pas le cas et il va lui-même, après avoir subi celles du client, subir les foudres de la hiérarchie.

Peut-être même a-t-il accepté de courir le risque de prendre des libertés avec

la règlement afin de régler le problème auquel le client se trouvait confronté

et de lui rendre ainsi service ; mais alors, gare à lui !

Il lui faut donc, pour assumer la situation sans trop de dégâts pour lui-même,

pouvoir compter sur le soutien, ou tout au moins sur la compréhension de

ses chefs. Cela ne va pas de soi car alors, ceux-ci, se plaçant ainsi de son

côté, admettent implicitement le fait que l’organisation qu’ils représentent n’a pas été à la hauteur. Eux-mêmes risquent alors de subir les foudres de

leur propre supérieur hiérarchique, et ainsi de suite. De là une cascade de

contradictions entre d’une part la nécessité d’appliquer et de faire appliquer la règle, et d’autre part la conscience de ce qu’elle aboutit à des situations calamiteuses et qu’elle porte préjudice à l’image de l’institution en dressant contre elle ses usagers ou ses clients mécontents. Or donc, entre la lettre et

l’esprit, que faut-il respecter ?

Procédures et réduction des coûts : De la responsabilité personnelle à la responsabilité de l’entreprise Si l’on résume les choses : les incivilités peuvent s’expliquer par la mau-

vaise humeur du client ou de l’usager, mais si celui-ci manifeste sa mau-

vaise humeur, c’est bien souvent que l’institution à laquelle il s’adresse lui en fournit l’occasion. Bien entendu, c’est l’agent du front office qui subit

celle-ci. Or, bien souvent il n’y est pour rien dans la mesure où il est lui-

même prisonnier de règles qui ne lui permettent pas de répondre d’une fa-

çon rapide et satisfaisante au problème posé. Et ces règles, dans les vastes

organisations, résultent le plus souvent d’une volonté de réduire les coûts,

parmi lesquels les frais de personnel, ce qui suppose une intervention forte

de la Direction générale qui s’exprime sous forme d’injonctions – procé-

dures et directives – que l’agent au contact avec le client ou l’usager est tenu

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105

de respecter. Ce qui soulève un triple problème : un problème de gouver-

nance, un problème d’organisation et un problème de management. Un problème de gouvernance, d’abord. Laissons de côté le cas des struc-

tures qui, pour une raison ou pour une autre, sont au bord de l’effondrement

financier et qui doivent par conséquent « serrer les boulons » de tous côtés.

Les grandes entreprises, dans leur communication, soulignent à l’envie que « le client est roi », qu’elles ont « la passion du client », que sa satisfaction

est leur seule préoccupation et autres fariboles. Ne mettons pas en doute le

désir de bien faire qui anime leurs représentants. Mais soyons un peu sé-

rieux : ce qui anime les dirigeants, c’est le souci de conserver leur fauteuil, et pour cela de donner satisfaction à ceux qui les y ont placé ; et ce qui leur

donne satisfaction, ce sont les résultats financiers. Or, il y a deux moyens de

tenter de les atteindre. Le premier est de réduire les coûts par tous les

moyens, et en premier lieu ce que l’on dénomme d’une manière significa-

tive les « frais de personnel ». L’intérêt des clients passe après. C’est au client d’attendre à la caisse, non à la caissière d’attendre le client ainsi que le fait mon épicier sur le pas de sa porte. Le second, c’est de créer une dy-

namique en laquelle chacun trouve son compte : financiers, clients, salariés

et collectivités publiques. C’est autrement ambitieux et c’est probablement par une telle démarche que passe le développement durable et la réussite, à

terme, de l’institution, qu’il s’agisse d’un service public ou d’une entreprise. Un problème d’organisation, ensuite. Si l’agent confronté au client ou à l’usager se trouve pris au dépourvu, c’est souvent qu’il lui faut appliquer une procédure qui a été conçue par des gens qui ont perdu de vue, à suppo-

ser qu’ils l’aient jamais su, ce qu’est un client ou un usager - et qui ignorent

les petits problèmes avec lesquels chacun, dans son travail, doit se débrouil-

ler au quotidien, sans quoi l’organisation se gripperait. Autrement dit, l’agent d’exécution, comme on l’appelle ici ou là, ne dispose pas de l’autonomie minimale qui lui permettrait de faire face à la situation. Il se trouve alors placé entre le choix difficile d’avoir à transgresser la règle afin de faire face, ou bien de la respecter, au risque de provoquer le méconten-

tement légitime du client ou de l’usager. Le problème est donc d’une centra-

lisation excessive qui constitue une insulte pour la capacité d’initiative, le

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106

professionnalisme et l’esprit de responsabilité de la plupart de ceux qui, dans leur service ou dans leur entreprise, s’efforcent de « faire au mieux ».

Or, on ne reviendra pas sur le principe, déjà formulé dès les années quatre-

vingt, selon lequel l’entreprise qui réussira sera celle qui saura mobilier l’intelligence de tous, et non pas seulement celle de quelques uns, fussent-ils

issus d’écoles prestigieuses. Et enfin, un problème de management. Si le guichetier ou le vendeur se

montre peu aimable, c’est peut être qu’il est de mauvaise humeur. Mais s’il se montre systématiquement grincheux, c’est peut-être qu’il y a dans son service ou dans son rayon un problème de management : il reproduit avec

les clients ou les usagers le comportement, à son égard, de son supérieur

hiérarchique : à patron grincheux, salarié grincheux. Ou bien, il ne fait que

prendre acte de ce que la satisfaction de l’usager ou du client n’est pas la préoccupation dominante de sa hiérarchie. Ou encore, il se trouve seul à

essayer de satisfaire son interlocuteur, il sait qu’il ne peut compter sur au-

cune aide et que le moindre écart avec la règle – directives et procédures –

lui sera reproché. Dès lors, faut-il s’étonner qu’il succombe au stress ? Et

faut-il lui reprocher de le faire partager à son vis-à-vis ? Et s’étonnera-t-on

enfin que ce dernier, pour peu qu’il ne sache pas se tenir, lui retourne son

agressivité ?

Il est toujours facile, pour les dirigeants, de mettre en cause le manque de

politesse des clients ou le manque d’empressement des salariés chargés de répondre à leurs sollicitations. Ce sont là, toutefois, des accusations qui ten-

dent à masquer une autre responsabilité : celle de l’entreprise elle-même. Ce

qui pose un problème éthique : l’entreprise est-elle en droit d’imposer aux salariés qui la représentent des situations qui les forcent, soit à transgresser

les règles afin de répondre aux exigences légitimes du client, soit à défendre

l’insoutenable et à s’exposer alors à la vindicte de leurs interlocuteurs ?

Quelle responsabilité pour quelle gouvernance dans les groupes bancaires mutualistes ? (Réflexions sur Natixis-BPCE)

Denis MALHERBE

Professeur de Management des Organisations

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107

ESCEM (Tours) Résumé : En 2010, les groupes Caisse d’Epargne et Banque Populaire fusionnent suite aux difficultés de Natixis, leur filiale financière commune créée fin 2006. Ces circonstances soulèvent la question de la responsabilité dans la gouvernance centrale des groupes de banques mutualistes. La souveraineté sociétariale y est mise en tension par le mimétisme sectoriel. Tandis que leurs banques régionales s’efforcent d’associer professionnels et représentants des sociétaires dans une gouvernance partenariale, les organes centraux évoluent vers une forme de gouvernance hybride à responsabilité limitée fondée sur une vision actionnariale et une pratique oligarchique. Abstract : The Groupe Caisse d’Epargne and the Groupe Banque Populaire merged in 2010 following the difficulties of their common CIB subsidiary established in late 2006. These circumstances raise the question of accountability and responsibility in the central governance of French groups of mutual banks. The sovereignty of their memberships is tensioned here by the sectional mimetism. While the regional banks of these groups try to involve professionals and representatives of members in a joint-governance, the central bodies move towards a form of hybrid governance with bounded responsibility, based on a shareholder vision and an oligarchic practice.

« Nous vivons à l’opposé de la formule "les fins justifient les moyens". Il nous faudrait comprendre que l’énormité des moyens caractérise

aujourd’hui les fins que nous prétendons poursuivre. » Jacques Ellul, L’illusion politique (1965)

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108

Le paysage bancaire français est marqué par le poids d’opérateurs dits mu-

tualistes : les groupes de banques coopératives. Aujourd’hui structurés en

trois grands ensembles, ces groupes pèsent environ 60 % des activités de

dépôt et 40 % de celles de crédit. Ayant développé depuis plus de 20 ans

leurs activités de marché dans le sens d’une banque universelle, certains ont

transformé leurs organes centraux en structures actionnariales. Il est moins

évident alors de distinguer entre la gouvernance de ces mutualistes et celle

de leurs rivaux. Certes, les mutualistes affirment leur appartenance au

monde de l’économie sociale et solidaire. Mais la banalisation de leurs act i-

vités et structures conduit à des tensions entre compétitivité et solidarité.

Quel est le sens de la responsabilité de la gouvernance centrale lorsque ces

groupes s’impliquent dans des activités risquées, complémentaires certes

mais très différentes de leurs métiers historiques ? La première partie du

texte présente le cas Natixis-BPCE sur la base de sources publiques parues

entre 2006 et 2010 (communication institutionnelle, presse économique). La

seconde partie discute les conceptions de la responsabilité et leurs implica-

tions sur les pratiques de gouvernance des groupes bancaires mutualistes.

1. DE NATIXIS A BPCE

1.1. Taille critique et rentabilité

La Caisse Nationale des Caisses d’Epargne (CNCE) et la Banque Fédé-

rative des Banques Populaires (BFBP) créent Natixis le 17 Novembre 2006

par la réunion de leurs filiales respectives, Ixis et Natexis. Ce conglomérat

(banque de financement et d’investissement [BFI], gestion d’actifs, banque

privée, épargne salariale, recouvrement…) est piloté par Natixis SA, hol-

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109

ding cotée en bourse. Son capital ouvert aux investisseurs externes reste

placé sous le contrôle majoritaire 68,90 % à parts égales de BFBP et

CNCE. La forme actionnariale suit une tendance née en Grande-Bretagne

dans les années 1990 et repris en France par le Crédit Agricole en 2001.

Pour les deux états-majors et les pouvoirs publics, cette alliance fut un pre-

mier pas vers une possible fusion, face au Crédit Agricole dans le paysage

bancaire mutualiste (Pechberty, 2010). Présents sur l’ensemble du territoire

national, GBP et GCE ont racheté des banques commerciales et organismes

financiers afin de consolider leurs positionnements respectifs. Comme tous

leurs rivaux, ils ont développé des activités financières de banque de mar-

ché, d’ingénierie et de services et ont visé l’incontournable mais bien incer-

taine "taille critique". En cela, leur approche n’a été ni innovante, ni très

différenciatrice des usages sectoriels (Stiglitz, 2010).

Ce point est lisible dans la communication des deux groupes et de leur fi-

liale sur la période étudiée. Natixis se présente comme un compétiteur de

premier plan, avec le pôle BFI en « acteur reconnu sur le marché de la titri-

sation en Europe et aux Etats-Unis ». Le document de référence (Natixis,

2008) valorise la compétence de ses équipes de recherche économique. Leur

expertise « propose aux clients un suivi conjoncturel, des prévisions écono-

miques et financières (…) des évaluations par pays et une stratégie

d’investissement (…) sur une quarantaine de pays clés de l’économie mon-

diale. » L’accent est mis sur « la recherche quantitative (…) consacrée au

développement et au maintien des modèles de valorisation et de gestion des

risques des produits financiers. Elle intervient pour le compte des traders et

des structureurs et participe à l’effort de veille technologique de la banque

sur les dernières évolutions en matière d’ingénierie financière ». Or, cette

gestion de produits structurés par la BFI est à l’origine des déboires de Na-

tixis et de ses propriétaires.

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110

1.2. Les pertes de la BF I

De 2006 à 2009, Natixis BFI agit pour le compte de clients mais aussi en

tant que banquier de gros pour GBP / GCE et, plus encore, pour son compte

propre, en menant des opérations risquées. Alors que dès 2007, le marché

des hypothécaires se dégrade aux Etats-Unis, la BFI se pose en « spécialiste

des structures à forte valeur ajoutée », particulièrement sur les dérivés et

dérivés de dérivés de créances immobilières « provenant du marché ou des

bilans d’institutions financières » (Natixis, 2008) dont les Credit Default

Swaps (CDS). Conséquence de l’insolvabilité sur les mortgage subprimes,

la situation devient critique en raison des engagements de Natixis sur ces

structurés mais aussi de sa qualité d’actionnaire majoritaire d’un réassureur

monoline, CIFG, censé couvrir les opérateurs défaillants dans les opérations

de titrisation. Les difficultés s’aggravent en 2008 : le cours de l’action chute

au grand dam de CNCE et BFBP, eux-mêmes copropriétés de banques coo-

pératives et donc, indirectement, de leurs sociétaires de base. Les pertes af-

fectent aussi de nombreux clients et sociétaires à qui les réseaux GBP et

GCE ont vendu la valeur Natixis lors de son introduction en bourse, dans le

cadre des 30 % de capital libre. Certes, le repli boursier impacte toutes les

valeurs bancaires. Mais, plus que ses concurrents, l’action Natixis chute

vertigineusement69 et ce, malgré plusieurs recapitalisations. Fin 2008, les

bons résultats des autres activités ne compensent pas ceux, négatifs, de Na-

tixis BFI. Natixis doit alors assainir et restructurer le portefeuille d’actifs de

sa BFI et réduire ses charges d’exploitation « grâce notamment à la baisse

des frais de personnel » (Natixis, 2009). Cette cascade entraîne, fin 2008-

début 2009, une intervention directe l’Etat à hauteur de 7,1Md € dans les

fonds propres des deux groupes70. La contribution régalienne ne se borne

69 Emise le 06.12.2006 au prix de 19,55 €, l’action Natixis descend en mars 2009 à une cotation de 0,76 €, soit une perte de 96 %. Accéléré par l’effondrement des marchés après l’été 2008, le phénomène a cependant commencé avant : en Octobre 2007, Natixis présentait la 2e plus mauvaise performance boursière d’Europe continentale [Les Echos, 2007-10-27]. Ce collapsus sur plus de 2 ans n’a pas été enrayé par les recapitalisations de CNCE et BFBP en 2008. 70 BPCE a été le principal bénéficiaire du plan de soutien français dans un ordre de grandeur

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111

pas à un soutien en capital ; elle a aussi un caractère de pression, voire de

sanction à l’encontre des dirigeants du triptyque GBP / GCE / Natixis. Dans

un contexte de défiance généralisée, il faut recadrer les pratiques de gouver-

nance sur un projet stratégique qui n’a pas tenu ses promesses. Fin Février

2009, l’Etat enjoint les deux groupes d’accélérer la fusion de leurs organes

centraux. Un nouveau dirigeant est nommé à la tête du projet BPCE ; son

parcours est un archétype de la gouvernance "à la française" (Perez, 2003 ;

Joly, 2005), entre haute fonction publique, banque d’affaires, appartenance

politique et responsabilités exécutives.

1.3. Gouvernance et responsabilité

Une question sous-tend ces événements : celle de la responsabilité dans

la gouvernance de l’ensemble BP / GCE / Natixis. Elle se pose dès 2006

avec la décision de fusionner les filiales financières. Elle se pose les deux

années suivantes, quand la BFI conduit des opérations risquées dans le giron

des deux groupes. Et elle se pose à nouveau au printemps 2009 avec la no-

mination d’un dirigeant issu de l’Etat et de son équipe, presque exclusive-

ment constituée de professionnels ou d’élus permanents quasi professionna-

lisés. Si la légalité formelle semble respectée, tous ces choix sont opérés

sans véritable implication des sociétariats. Il y a là un contraste entre des

pratiques banalisées de gouvernance à tendance oligarchique et des valeurs

de solidarité, de copropriété sociétariale et d’indépendance face à l’Etat. La

forme coopérative est confinée aux banques de détail tandis que les organes

centraux chargés du pilotage stratégique ou des opérations financières sui-

vent des logiques analogues à celles de la plupart des grands groupes. La

responsabilité, dimension éthique de l’action, semble ici faire le grand écart

entre deux conceptions divergentes des missions et de la performance.

comparable au montant de fonds propres engagés en 2004 par la CNCE lors de l’acquisition d’Ixis (Pechberty, 2010). Au printemps 2010, BPCE était la seule banque n’ayant pas remboursé les concours étatiques, en dehors de Dexia, démantelé en 2011-2012.

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112

En 2009-2010, communication de crise oblige, la stratégie BPCE est

« recentré(e) sur (le) cœur de métier, la banque de détail » et affirme œu-

vrer « avec confiance (…) pour le bénéfice de ses clients, sociétaires et col-

laborateurs » (GCE, 2009). La « solidité financière » est mise en avant

grâce à « la forte résistance de la banque de proximité dans un contexte de

récession économique » (GBP, 2009). Mais ni la nouvelle donne straté-

gique, ni le changement partiel des dirigeants ne mettent en question le mo-

dèle de gouvernance centrale. Celle-ci fonctionne toujours dans un prisme

financier et oligarchique. La fonction et la performance des banques de dé-

tail sont vues en termes d’« adossement à deux actionnaires puissants qui

construisent le 2e groupe bancaire français avec 20 % de part de marché

dans la banque de détail et 40 milliards d’euros de fonds propres » (Natixis,

2009). Les présentations de résultats 2008 procèdent d’une communication

top-down et/ou du verrouillage technico-juridique. CNCE explique ses diffi-

cultés par le blocage des marchés financiers, accentué par « une brutale

crise économique venue s’ajouter à la crise bancaire et financière » (GCE,

2009). En avril 2009, une banque GBP articule un quasi déni de responsabi-

lité sur les décisions du passé avec un discours volontariste et responsable

quant à la prochaine fusion BPCE : « Natixis (…) a subi la crise de plein

fouet » mais l’établissement « veillera à ce que la loi (de création de BPCE)

ne vienne pas remettre en cause notre organisation spécifique, mutualiste et

coopérative, dans ses finalités ou dans son fonctionnement » (CASDEN,

2009). Les difficultés du triptyque devenu diptyque ne peuvent pourtant être

réduites aux effets d’une crise internationale, comme le suggère la commu-

nication institutionnelle. Le choix banalisé d’activités rentables mais ris-

quées dans une structure actionnariale procède de la volonté conjointe des

dirigeants, managers, experts mais aussi représentants des banques coopéra-

tives, investis de missions de surveillance et de contrôle. Au final, ces pra-

tiques semblent plus inspirées du minimalisme éthique néolibéral que des

valeurs mutualistes (Malherbe, 2008, 2010). Ainsi, la présentation Natixis

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113

(2009) se termine par une longue clause exonératoire de responsabilité :

« cette présentation peut comporter des objectifs et des commentaires rela-

tifs aux objectifs et à la stratégie. Par nature, ces objectifs reposent sur des

hypothèses, des considérations relatives à des projets, des objectifs et des

attentes en lien avec des événements, des opérations, des produits et des

services futurs et sur des suppositions en termes de performances et de sy-

nergies futures ».

2. UNE GOUVERNANCE HYBRIDE A RESPONSABILITE LIMI-

TE E ?

2.1. Professionnalisation et mutualisme

La création de Natixis, puis son intégration dans le cadre de la fusion

BPCE jalonnent la récente convergence de deux groupes aux histoires diffé-

renciées dans leurs rapports au sociétariat et à l’Etat71. L’image donnée ex

post est d’une convergence voulue où les organes centraux émanent naturel-

lement des banques coopératives fortes de leurs 8 millions de sociétaires.

L’évolution récente illustre plutôt la montée en puissance d’une gouver-

nance composite, valorisant fortement les logiques de la finance et du con-

trôle actionnarial. Rapprochement stratégique et synergies technico-

financières révèlent l’adoption de certains traits avantageux perçus dans la

gouvernance capitaliste. Est ainsi retenue l’idée qu’une filiale commune

permet de structurer métiers et ressources autour d’états-majors associant

dirigeants (managers et présidents) et experts financiers. N’étant que peu

exposée au contrôle des sociétaires, la gouvernance centrale pilote un porte-

feuille d’activités dans une finalité financière, en conformité avec les lois en

71 Alors que les Banques Populaires sont des coopératives régionales depuis la fin du XIXe siècle, les Caisses d’Epargne se sont bancarisées et régionalisées à partir des années 1980 et ne disposent d’un statut coopératif que depuis une loi de 1998. Si GBP est fondé sur une longue tradition d’indépendance par rapport à l’Etat, l’histoire récente de GCE est celle d’un détachement progressif et conflictuel de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), traditionnellement considérée comme "bras armé" financier de la puissance publique.

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114

vigueur. En revanche, certains caractères du modèle actionnarial "pur" sont

minimisés par hybridation : la holding reste contrôlée par les têtes de

groupes, issues de dirigeants des banques coopératives. En cas de défail-

lance, la sanction par des investisseurs externes est un risque limité. Ainsi,

début octobre 2008, le président de GCE affirmait en pleine tourmente que

« la CNCE étant un établissement mutualiste et par conséquent absent du

marché, je ne vois pas comment il pourrait être convoité. (…) Lorsque nous

avons mené l’opération IXIS, le groupe Caisse d’épargne était destiné à la

cotation. Nous avons considéré qu’il était préférable de s’allier avec les

Banques populaires et nous allons jusqu’au bout de cette logique. (…) Les

pertes des Caisses d’épargne directement liées aux subprimes sont infinité-

simales » (Assemblée Nationale, 2008). Elle le demeure après l’immixtion

de l’Etat puisqu’une très large partie des équipes dirigeantes de BPCE-

Natixis reste inchangée.

Avec la professionnalisation croissante de leurs structures et activités, les

groupes mutualistes sont « à la croisée des chemins » (Pastré, 2007). Ceci

interroge l’évolution du poids respectif des dirigeants et experts d’une part,

et du sociétariat d’autre part. Entre les uns et les autres, il existe de fortes

asymétries informationnelles (Jensen et Meckling, 1976 ; Jensen, 2001,

2002) et cognitives (Wirtz, 2009 ; Marsal, 2009). Celles-ci sont soulignées

par la disjonction des temporalités entre action managériale et gouvernance

solidaire (Regnard et Gouil, 2005) et par les limites de la représentation dé-

mocratique dans les mutuelles et coopératives (Spaer, 2004 ; Nouvel, 2009).

Pour Marc (1984), « l’extension des pratiques standardisées de gestion (aux

entreprises) tend parfois à effacer certains traits majeurs de la gouvernance

démocratique ». En effet « dans la réalité, (…) l’équilibre des pouvoirs

penche vers la direction et petit à petit les technocrates absorbent les fonc-

tions du Conseil d’Administration et prennent les décisions à sa place ».

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115

Pour Natixis-BPCE, la question se joue sur deux niveaux institutionnels,

celui territorialisé des banques coopératives et celui des organes centraux

constitués en sociétés de capitaux (Ory et al., 2008). Pilotage stratégique et

contrôle institutionnel oscillent entre deux types de gouvernance, l’un parte-

narial, l’autre actionnarial (Richez-Battesti et Gianfaldoni, 2006 ; Gurtner et

al., 2007). En termes de justification (Boltanski et Thévenot, 1991), il y a là

dilemme entre des rationalités marchandes / industrielles centrées sur la ges-

tion financière et la logique civique liée à l’identité mutualiste / coopérative.

Idéalement, cette tension entre compétence technique et gouvernance démo-

cratique suppose débats et arbitrages entre les dimensions économiques,

politiques, légales et symboliques de la légitimité (Giddens, 1979, Mal-

herbe, 2008). Or, ni la technique financière, ni le passage à une structure

actionnariale ne sont neutres pour un groupe mutualiste : l’une et l’autre

véhiculent une idéologie de la responsabilité dans le monde contemporain,

technicien et libéral (Ellul, 1965, 1988 ; Pesqueux, 2000 ; Baertschi, 2004 ;

Audard, 2009).

2.2. Des fins et moyens, des rapports à autrui

Le rapprochement CNCE / BFBP au travers de Natixis, puis leur fusion

imposée par l’Etat s’inscrivent dans une vision oligarchique des modes de

gouvernance centrale (Michels, 1911 ; Weber, 1921 ; Selznick, 1948). Les

logiques institutionnelles et techniques y priment sur la dynamique mutua-

liste et coopérative. De moyens, elles deviennent des fins en soi : les buts de

système priment sur les buts de mission. La performance financière n’est

plus qu’une capacité stratégique servant les valeurs solidaires et démocra-

tiques, réputées différencier les groupes mutualistes des banques actionna-

riales. Renforçant la gouvernance centralisée, elle réduit le contrôle sociéta-

rial à une position périphérique et dépendante. Cet isomorphisme

(Di Maggio et Powell, 1983 ; Nouvel ; 2009) s’avère à la fois contingent

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116

(nécessité de contrôle technique sur des activités complexes) et normatif

(conformité aux normes professionnelles), mimétique (reproduction des

"bonnes pratiques" sectorielles) et politique (concentration des décisions par

une coalition de dirigeants et d’experts).

Dans la perspective S-P-C de Pérez (2003), la gouvernance hybride se

réclame surtout de la mise en œuvre optimisée des ressources et compé-

tences au nombre desquelles figurent les structures (S) et procédures (P) de

gouvernance centrale. Paradoxalement le discours qui la véhicule minimise,

voire ignore les enjeux sociaux, politiques, etc. pourtant inhérents aux com-

portements (C) des décideurs et aux relations avec leurs mandants. Ainsi,

commentant le plan stratégique Ensemble 2009-2013, le président du direc-

toire déclarait : « En 2009, nous avons engagé le redressement de BPCE et

de Natixis, conformément aux objectifs que nous nous étions fixés. Notre

fusion achevée, notre organisation simplifiée, nos fonds propres renforcés,

nous allons désormais nous concentrer sur nos cœurs de métier, tous les

métiers de la banque, rien que les métiers de la banque. Je remercie toutes

les équipes de BPCE ainsi que les sociétaires des Banques Populaires et des

Caisses d’Epargne pour leur mobilisation et leur contribution au succès de

la fusion. Ensemble, forts de nos valeurs coopératives et avec une équipe de

direction en cohérence avec notre projet stratégique nous allons poursuivre

le développement de la BPCE. » (BPCE, 2010). Le ton adopté se veut pro-

fessionnel et consensuel ; la thématique rassurante de croissance et de profi-

tabilité est comparable à la communication corporate de n’importe quel

grand groupe : recentrage sur les cœurs de métier, maîtrise des cycles prévi-

sion / contrôle, rationalisation des structures et des coûts, relation bienveil-

lante envers les parties prenantes… Les difficultés du passé récent sont

transcendées par un redressement cathartique conduit par des dirigeants

éclairés. S’affirmant à la fois porteurs et garants de valeurs éthiques, ceux-ci

annoncent leur vision aux sociétaires, clients ou salariés sur un mode des-

cendant. Au final, les effets critiques de décisions antérieures sur ces parties

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117

prenantes internes ou externes sont ramenés à la gestion d’une structure de

cantonnement, c’est-à-dire au confinement juridico-comptable des

"toxiques" et des provisions dans la stricte conformité aux normes légales

ou professionnelles.

Or, la responsabilité en gouvernance des organisations est multidimen-

sionnelle. La responsabilité la plus commune est technique : « mettre en

œuvre les moyens les plus adéquats et la compétence la plus affirmée pour

réaliser le travail ». Elle débouche sur une responsabilité organisationnelle

(« faire en sorte que la tâche effectuée favorise le développement de

l’organisation »). On retrouve là la rationalité instrumentale valorisée dans

les conceptions oligarchiques du management. Mais il existe aussi une res-

ponsabilité sociale, autour de la question « les décisions prises favorisent-

elles l’autonomie ou l’hétéronomie des autres membres de

l’organisation ? ». Enriquez repère trois autres dimensions liées aux parties

prenantes externes. La première, politique, concerne « les conséquences de

l’action menée dans l’orientation de l’organisation compte tenu du rôle

qu’elle joue dans la dynamique sociale ». Une responsabilité civique porte

sur les conséquences des actions sur la vie des citoyens, comme une respon-

sabilité écologique est relative aux effets sur l’environnement naturel. Enfin,

la responsabilité psychique concerne l’influence de l’organisation sur les

personnes considérées chacune en tant que sujet éthique : « quelle opinion

ou quel sentiment le sujet peut (porter) sur la valeur de ses actes, quelles

que soient les sanctions positives ou négatives qu’il puisse encourir » ? (En-

riquez, 1993)

Dans cette perspective, on peut craindre que la vision de la responsabilité

en matière de gouvernance centrale des grands groupes, bancaires mutua-

listes ne soit focalisée, sur des considérations d’ordre technique et institu-

tionnel, justifiées et encadrées par un formalisme juridico-déontologique

postulant « le calcul comme valeur d’autodiscipline » (Laval, 2007). Telle

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118

qu’elle est accessible au travers de sources publiques, une telle conception

néglige les autres dimensions éthiques structurant le champ de la responsa-

bilité. Quid de la responsabilité sociale et psychique de la gouvernance en-

vers les salariés ? Le plan de redressement BPCE-Natixis a surtout affecté

des employés n’ayant pas d’implication directe dans les choix stratégiques

ou techniques de la BFI. A l’inverse, la plupart des décideurs et experts

n’ont guère subi de conséquences critiques à la suite de leurs actions. Quid

des dimensions politique, civique et psychique envers sociétaires et clients ?

Au-delà d’une "nouvelle définition" publicitaire de la banque de "proximi-

té", quelle part occupent dans les pratiques de gouvernance d’un tel groupe

les valeurs altruistes, démocratiques et solidaires réputées caractériser

l’entreprise mutualiste (Jeantet, 2006a/b ; Malherbe, 2008) particulièrement

dans la banque et la finance (Cadiou et al., 2006 ; Ory et al., 2008 ; La-

marque et Alburaqui, 2009 ; Nouvel, 2009) ?

2.3. Pour un renouveau éthique

Avatar d’une troisième révolution industrielle fondée sur le couplage fi-

nance-TIC (Plihon, 2009), la gouvernance managérialiste / technocratique

tend à remplacer la régulation techniciste / bureaucratique dans les organisa-

tions complexes (Boltanski et Chiappello, 1999 ; Pesqueux, 2000 ; Alvesson

et Willmott, 2003). Qu’il soit issu de l’appareil interne ou du monde public,

un dirigeant "politique" peut ainsi présider aux destinées d’un groupe mu-

tualiste tandis que des experts techniques encadrent les activités qui y sont

exercées sous sa responsabilité. Les discours managériaux qui se rapportent

aux normes, structures et procédures sont littéralement « techno-logiques »

(Ellul, 1988) : prenant appui sur la technicité, ils intègrent à leurs justifica-

tions la nécessité d’une gouvernance "responsable" sans que les références à

la "communication" en externe ou à la "participation" en interne marquent

pour autant des pratiques effectivement délibératives (Lapointe, 2000 ;

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119

Charreire-Petit et Surply-Meyer, 2009). Enriquez (1993) qualifie de « tech-

nocratique » la prétention à intégrer dans un même discours aspects charis-

matiques, bureaucratiques et coopératifs dans les organisations où la logique

des moyens technico-économiques l’emporte sur les finalités sociales ou

démocratiques.

A cet égard, l’imaginaire managérialiste de la responsabilité prétend arti-

culer un pouvoir stratégique fort, exercé par des dirigeants éclairés

professionnels ou élus permanents avec l’application performante de

techniques et avec la réalisation d’un "bien vivre ensemble" dans et autour

de l’organisation. Pour Ellul comme pour Enriquez, cette idéalisation

masque mal de dangereuses dérives dans les pratiques de gouvernance mo-

dernes. Ces dérives y affecteraient des enjeux éthiques majeurs : déplace-

ment des finalités collectives vers les intérêts particuliers de la coalition

gouvernante, sélection et reproduction endogamiques des états-majors,

faible capacité cognitive et affective des dirigeants et experts à assumer les

conséquences négatives de leurs choix, voire difficulté paradoxale des "res-

ponsables" à se remettre en question en cas d’erreurs ou échecs. Dans ses

grandes lignes, le tableau évoque les traits psychiques de la perversion nar-

cissique avec ses stratégies de manipulation d’autrui et de déni de responsa-

bilité (Enriquez, 1993). Les instrumentations financières étant fétichisées

par les décideurs et experts, "les autres" humains ici sociétaires, clients et

salariés ne seraient plus envisagés que comme des ressources, des capaci-

tés ou des opportunités, c’est-à-dire non des personnes respectées en tant

que sujets mais des objets à gérer et exploiter dans le cadre de jeux poli-

tiques.

La culture d’une gouvernance hybride à responsabilité limitée pose alors

un problème éthique majeur et urgent dans les groupes de banques mutua-

listes. En effet, cette vision opportuniste et techniciste s’inscrit dans un rap-

port de domination sur les valeurs réputées fonder la spécificité de ces

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120

groupes. Le défi éthique de la gouvernance partenariale se situe au-delà des

actions conduites dans les structures locales ou banques coopératives afin

d’y animer les relations sociétariat-professionnels. Si justifiées soient-elles à

leur niveau, ces actions ne peuvent faire oublier la nécessité d’une réflexion

éthique sur l’articulation d’une gouvernance centrale "actionnarisée" avec

une gouvernance partenariale décentralisée. Ce besoin concerne la clarifica-

tion des enjeux et conditions requis par l’exercice et le contrôle de la res-

ponsabilité. Il intéresse les sociétaires et leurs représentants locaux, les diri-

geants centraux, élus ou professionnels, comme les experts qui les conseil-

lent et mettent en œuvre leurs choix stratégiques.

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Notes de Lecture

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Ruwen Ogien, L’influence de l’odeur des croissants chauds sur la bonté humaine, Edition Grasset (2011), 326 p.18,50 € De croissants chauds, il n’est est guère question ; de bonté humaine non plus d’ailleurs. Le livre de Ruwen Ogien est dans sa plus grande part un recueil de situations, parfois anodines en apparence (les croissants chauds par exemple), qui toutes soulèvent cependant de pro-fondes interrogations morales (la bonté humaine ?) ; il est aussi, dans sa seconde partie, une analyse pointue de la méthodologie des raisonnements moraux. Lire un chapitre de ce livre c’est un peu comme faire du jogging philosophique pour entre-tenir sa forme morale, comme on fait du jogging sur des terrains variés pour entretenir sa forme physique : l’auteur nous accompagne en petites foulées tout au long des « expé-riences de pensée » qu’il nous propose, après chacune desquelles il nous convie à une ré-flexion ciblée pour assouplir et détendre notre machine à penser. Ainsi « Est-il permis de faire exécuter un innocent pour éviter un massacre ? » ou bien « Aurait-il mieux valu ne pas naître que vivre une vie immorale ? » ou bien encore « Pour-rions-nous nuire à des gens qui ne nous ont rien fait personnellement simplement parce qu’on nous a donné l’ordre de le faire ? ». De très nombreuses questions sont posées, regroupées autour d’une vingtaine de situations fictives souvent liées aux grands problèmes du moment : euthanasie, inceste, clonage, etc. Elles ne trouvent jamais de réponse claire ; elles ne sont d’ailleurs pas posées pour être résolues, mais pour montrer que, justement, les réponses apportées diffèrent, et souvent s’opposent, selon que l’on adopte telle ou telle perspective parmi plusieurs, tout aussi légi-times les unes que les autres. C’est qu’il est bien difficile de distinguer ce qui est bon et ce qui est mauvais ! L’essentiel n’est évidemment pas dans l’énoncé des situations fictives, qui ne sont que le prétexte à une revue approfondie – et une mise en cause - de nos intuitions et de nos règles morales, tout ce qui fait « la cuisine morale » : hypothèses, façons de voir ou de concevoir. Cette revue systématique laisse Ruwen Ogien perplexe. Nous aussi. La morale, l’éthique (l’auteur entend utiliser les deux termes indifféremment), ce ne serait donc que cela : ne pas nuire délibérément aux autres, rien de plus ? Car « y a-t-il des fautes morales sans victime ? ». Éthique minimale ? Sans doute. Dans le débat entre minimalistes et maximalistes, l’auteur en effet ne cache pas sa préférence ; mais en définitive il semble hésitant dans ses conclusions. D’une lecture aisée et agréable, les … croissants chauds… nous laissent un peu sur notre faim : certes le livre nous aide à prendre un certain recul face aux grands mots de la philo-sophie morale, mais où est la « boite à outils » annoncée, et espérée ?

Hervé Lainé Président de l’Académie de l’Éthique

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Michèle Guillaume-Hofnung, La médiation, Paris, Coll. Que sais-je ?, Ed. PUF, 6ième, (2012), 128p. 9€ Cet ouvrage dont la sixième édition vient de paraître, concernera les lecteurs pour au moins deux raisons : - Il faut certainement y voir une référence à l'éthique des mots qui implique de ne pas brouiller la communication en utilisant un mot pour un autre en particulier faisant passer des pratiques internes de conciliation, ou de règlement de contentieux de masse pour de la médiation. En professeure de droit soucieuse de la rigueur terminologique qui garantit l'ou-til de travail du juriste l'auteure s'efforce de sortir la médiation de la nébuleuse des modes alternatifs de règlement des conflits. Elle souligne la faille éthique des politiques publiques ou des dispositifs privés qui instrumentalisent la médiation sur la base d'une confusion terminologique entretenue. - Il propose une définition de la médiation qui en fait un processus de communication éthique, reposant sur l'autonomie et la responsabilité des participants, dans lequel un tiers impartial, indépendant, sans pouvoir, sans autre autorité que celle que lui reconnaissent les médias s'efforce par des entretiens confidentiels de créer le lien ou de le recréer, de prévenir le conflit ou de les aider à le résoudre. Cette définition et la déontologie qu'elle implique a déjà servi de référence dans le cadre national et européen." Françoise de BRY- Académie de l’Éthique Françoise de Bry, Aurélie Carimentrand, Patrick Jolivet, Jérôme Ballet, L’Entreprise et l’Éthique, Coll. Économie humaine, Ed. Le Seuil (2011), 381p. 2ieme, mise à jour et aug-mentée Le défi de l’éthique dans l’entreprise relève-t-il de l’angélisme, d’une bonne stratégie orga-nisationnelle ou encore d’une nouvelle régulation du système capitaliste ? L’entreprise ne s’est jamais contentée d’un rôle strictement économique : l’histoire montre qu’elle a été au centre des mécanismes de régulation et de cohérence sociales à travers le paternalisme ou la quête d’une entreprise citoyenne. Mais désormais la mondialisation, le désengagement de l’État, les nouvelles technologies conduisent l’entreprise à prendre de nouvelles responsabi-lités, ne serait-ce qu’en matière environnementale. L’entreprise doit de plus en plus se soucier d’éthique. Mais est-ce compatible avec le profit ? S’agit-il d’une responsabilité individuelle ou collective ? Comment l’évaluer ? Autant de questions qui trouvent leur réponse dans l’action. L’agir éthique implique des relations basées sur la confiance. Il a de multiples aspects dans l’entreprise : ressources humaines, marketing, finance, production... Et à l’extérieur de l’entreprise, il concerne les fournis-seurs, les clients, l’écologie, le chômage, le commerce international… Cet ouvrage passe en revue les débats théoriques et les pratiques et, à partir d’une approche historique, propose un renouvellement des questions que pose l’éthique à l’entreprise.

Françoise de Bry Académie de l’Éthique

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Jérôme Ballet, Françoise de Bry, Aurélie Carimentrand, Patrick Jolivet L’Entreprise et l’Éthique, Paris, Le Seuil, Collection Économie humaine, (2011), 381p. 22,80€. Deuxième édition, mise à jour et augmentée Le défi de l’éthique dans l’entreprise relève-t-il de l’angélisme, d’une bonne straté-gie organisationnelle ou encore d’une nouvelle régulation du système capitaliste ? L’entreprise ne s’est jamais contentée d’un rôle strictement économique : l’histoire montre qu’elle a été au centre des mécanismes de régulation et de cohérence so-ciale à travers le paternalisme ou la quête d’une entreprise citoyenne. Mais désor-mais la mondialisation, le désengagement de l’État, les nouvelles technologies conduisent l’entreprise à prendre de nouvelles responsabilités, ne serait-ce qu’en matière environnementale. L’entreprise doit de plus en plus se soucier d’éthique. Mais est-ce compatible avec le profit ? S’agit-il d’une responsabilité individuelle ou collective ? Comment l’évaluer ? Autant de questions qui trouvent leur réponse dans l’action. L’agir éthique implique des relations basées sur la confiance. Il a de multiples aspects dans l’entreprise : ressources humaines, marketing, finance, production... Et à l’extérieur de l’entreprise, il concerne les fournisseurs, les clients, l’écologie, le chômage, le commerce international… Cet ouvrage passe en revue les débats théoriques et les pratiques et, à partir d’une approche historique, propose un renouvellement des questions que pose l’éthique à l’entreprise.

Michel Joras Académie de l’Éthique

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Michela Marzano, Le contrat de défiance, Paris, Ed. Bernard Grasset (2010), 309p. 19€ Michela Marzano poursuit avec Le contrat de défiance sa réflexion déjà entamée en 2008 sur le thème de la confiance dans L'extension du domaine de la manipulation. Dans cet essai, elle décortique le concept de "confiance". Constatant que la "so-phistique managériale" moderne est "à la fois séduisante et mensongère", elle va tenter de démontrer en quoi celle-ci, symptomatique de notre société capitaliste et individualiste résulte d'une "confusion" historique "entre confiance et intérêt". S'appuyant sur les philosophes, de l'Antiquité à nos jours, elle analyse notre appré-hension du terme "confiance" à travers le temps et l'espace. De la morale Antique au héro médiéval, de la fracture janséniste à la naissance du libéralisme, jusqu'à nos jours, elle retrace l'histoire de notre vision du monde et par delà celle-ci, de nous même. Au travers d'exemples littéraires, de l'actualité, elle analyse avec justesse, mais non sans subjectivité le rapport que nous avons à l'autre et à nous même; la différence entre confiance et assurance; les dérives de notre société individualiste mais aussi les risques d'une utopie de la confiance aveugle. Sa démonstration - croisant les analyses de psychologues, sociologues, juristes, philosophes - est effi-cace; et sonne comme un cri d'alarme. Elle tente, de cerner cette notion complexe, ciment de notre société. Elle lutte contre une compréhension trop "volontariste de la confiance, mentionnant les déviances de cette volonté de contrôle, qu’illustre l'actuelle crise de confiance économique et politique... Contre le glissement d’une possible affirmation ou exigence de confiance à la naissance d'un sentiment de "méfiance", de "défiance"... Elle nous exhorte à unir rationalité et subjectivité dans sa tentative de définition de la confiance, elle affirme que celle-ci et l'autonomie peuvent aller de paire et que c'est en acceptant notre imparfaite fiabilité et celle des autres que nous pourrons fonder notre confiance en nous-mêmes, en l'autre et dans la société. Finalement, au-delà des dogmatismes, elle prône un réalisme, une humi-lité et une ouverture face à l'inconnu. Une démonstration en un mot, humaniste...

Jean Séry Académie de l’Éthique

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Jean-Paul Delevoye, Reprenons nous !, Paris, Ed. Tallandier (2011), 208p. 14,90€ Jean-Paul Delevoye, auteur de l'essai "Reprenons-nous! », présente une analyse de la société française, une société en proie au malaise. Ancien médiateur de la Répu-blique, il avait dressé, dans son dernier rapport, un diagnostic alarmant de l’état de notre société. Il avait notamment révélé le « burn out » de la société française « une société fatiguée psychiquement, le chacun pour soi remplaçant le vivre-ensemble ». Aujourd’hui, il réitère ce constat - la France va mal ! - et lance un appel à une ré-volution civique et mentale des citoyens et des responsables politiques, à « une nouvelle respiration politique ». L’approche de Jean-Paul Delevoye, murie par ses expériences (Président du CESE, ancien Ministre, Président de l’Association des maires de France…), offre une lecture par anticipation des enjeux de la société et propose de nouveaux modes d’action pour sortir de cet épuisement généralisé. Face à l’urgence de la situation, il exhorte chacun d’entre nous (les politiques, les citoyens) à agir en responsable. Cette mise en demeure de changer nos pratiques s’adresse aux citoyens - « Cessons de nous conduire en consommateur de la République. Revendiquons plutôt nos responsabilités » - et aux hommes politiques « qui doivent retrouver le crédit qu’ils ont perdu, montrer pour quelles causes et non quels intérêts ils entendent mobiliser les Français. » À travers toutes ces réflexions, il questionne la manière de vivre notre démocratie et souhaite encourager la réflexion de tous afin de proposer des solutions innovantes. « Il ne s’agit plus d’imposer mais de mettre le pouvoir au service d’un changement qui permettra à chaque citoyen de se sentir “co-producteur” du futur ». Ce changement suppose de réinventer un vrai débat public, de mettre les problèmes sur la table, écouter, expliquer, faire confiance, de valori-ser les potentialités, d'accompagner les individus plutôt que défendre le système, de ne plus sacrifier la vision à long terme aux urgences quotidiennes, ou d'oser prendre des initiatives et des risques. Jean-Paul Delevoye suggère d’« expérimenter de nouveaux modes de vie où la gratuité de l’échange, l’engagement mutuel et l’empathie seront davantage source de bonheur que l’avoir, la consommation et le montant de notre compte en banque ». Enfin, le Président du CESE met en garde la classe politique qui sera inévitable-ment bousculée par l’émergence d’une opinion plus active. « Le temps où le poli-tique faisait le citoyen est révolu, voici venu celui où le citoyen va faire le politique ». Ce livre vise à éveiller la conscience critique et le potentiel inventif des citoyens. Dans le sillage d’indignez-vous! , cet essai partage une ambition : « énoncer une voie politique du salut public ».

Inès Ben Rehouma Académie de l’Éthique

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ADHÉSION À L’ACADÉMIE DE l’ÉTHIQUE Think tank consacré à la réflexion sur l’Éthique comme élément structurant pour l’avenir de nos sociétés, l’Académie de l’Éthique met en présence des personnes issues de cultures et de disciplines différentes. Au-delà de la ré-flexion, elle a pour objectif de proposer aux acteurs du monde moderne quelques « repères » pour les comportements futurs. Les modes d’action de l’Académie de l’Éthique sont : -Les Rencontres de l’Éthique (séminaires, conférences-débats, réunions thématiques, etc.) ; -La revue [im]Pertinences (En matière d’Éthique, il est pertinent d’être im-pertinent) ; -L’Observatoire de l’Éthique, qui repère et fait connaître les recherches et les publications sur l’Éthique ; -Le Laboratoire de l’Éthique, qui mène des travaux de recherche en liaison avec des Universités et des Grandes écoles. L’Académie de l’Éthique réunit des personnes physiques et des personnes morales Adhésion Personne physique (Membre titulaire). M., Mme (Nom et prénom) : Fonction : Organisme : Adresse : Tél. : Portable. : Mél : A retourner à l’Académie de l’Éthique, 4 rue de l’Université 75007 Paris, avec la cotisation de 25€00 par chèque à l’ordre de l’Académie de l’Éthique Adhésion Personne morale (Membre associé). Raison sociale (Entreprise, Société, Organisme, etc.). : Nom : Adresse : Représenté(e) par M., Mme (Nom et prénom) : Fonction : Tél. : Portable. : Mél : A retourner à l’Académie de l’Éthique, 4 rue de l’Université 75007 Paris, avec la contribution de soutien, par chèque à l’ordre de l’Académie de l’Éthique [montant libre, minimum 900 €]. Versement complémentaire sous forme de don. Montant : L’adhésion sera effective après règlement. Une facture ou un justificatif fiscal sera envoyé sur demande.

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Appel à contribution [im]Pertinences est la revue de l’Académie de l’Éthique, Association indépen-dante régie par la « Loi de 1901 » (JO du 1er octobre 2011). L’Académie de l’Éthique favorise l’échange et le partage d’idées entre personnes issues de disciplines et de cultures différentes, mais résolument persuadées que les principes de l’éthique auront un rôle structurant pour l’avenir. À partir de ces re-gards croisés, elle se donne aussi pour objectif de proposer aux acteurs du monde moderne quelques « repères » éthiques pour les comportements futurs. L’Académie de l’Éthique est convaincue que « En matière d’éthique, il est perti-nent d’être impertinent » ; le nom de la revue témoigne de cette conviction. [im]Pertinences, revue libre, d’esprit à la fois académique et pragmatique, paraît trois fois par an. Sont invités à s’y exprimer des universitaires et des praticiens, des experts, des scientifiques et des philosophes, des économistes, des responsables de la vie publique ou du monde des affaires, des juristes et des médecins, etc. qui sou-haiteront faire connaître et partager des idées, des réflexions, des analyses et des propositions novatrices ou anticipatrices, et qui n’hésiteront pas à tenir des propos critiques ou dérangeants, voire à pratiquer une impertinence mesurée, pour bouscu-ler les habitudes, les idées reçues et les pratiques ou discours convenus, trop sou-vent porteurs de risques inéthiques. Chaque numéro d’[im]Pertinences comprend : un dossier principal consacré à une approche, un domaine ou un thème spécifique de l’éthique ; des articles libres ; la rubrique de l’Observatoire de l’Éthique, instrument de l’Académie de l’Éthique, qui repère et fait connaître les recherches, colloques, publications ou productions sur l’Éthique ; une rubrique « Notes de lecture », analyse d’ouvrages et d’articles ; le « Vocabulaire de l’éthique » ; des rubriques régulières ou occasionnelles telles que : Normalisation-évaluation ; Médiation ; Vigilance éthique ; Droit et éthique ; International ; etc. La soumission d'un article implique en principe qu'il soit inédit et qu'il ne soit pas soumis pour publication à une autre revue. Tout article adressé à l’Académie de l’Éthique pour éventuelle publication est soumis à un comité de lecture. Il est lu par au moins deux personnalités compé-tentes (du milieu universitaire et du monde de l'entreprise), sans indication du nom de l’auteur. L'article est alors accepté, refusé ou accepté sous réserve de modifica-tions. Les critères d'acceptabilité des textes soumis sont la haute tenue de l'article ; la clarté, la rigueur d'expression et la concision ; son caractère novateur ; l'intérêt qu'il présente pour l’étude de l’éthique ainsi que son impertinence. Envoyer votre article et votre notice tels que définis ci-après, enregistrés sous Word en un seul courriel, à : impertience@academie-Éthique.org. Le nom du fi-chier doit être formaté sous le forme : aa_mm_jj_Nom_Prénom (Ex. :11_04_28_Durand_Jean-Michel) Votre photo-portrait en version papier est adres-sée à Françoise de Bry, à la même adresse. La revue se verra contrainte de retourner aux auteurs, pour modifications, les textes ne respectant pas les directives. Les articles soumis, qu'ils soient acceptés pour publication ou rejetés, ne sont pas retournés aux auteurs Les idées, opinions, propositions ou commentaires contenus dans les articles pu-bliés dans [im]Pertinences n’engagent que leurs auteurs.

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