impacts possibles du changement climatique sur l’évolution

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Dotés de sols très riches et d’un fort potentiel d’accroissement de leurs rendements, la Russie, l’Ukraine et le Kazakhstan occupent une place de plus en plus importante sur les marchés mon- diaux des céréales et oléoprotéagineux. Comme tous les pays, ils seront demain confrontés aux effets du réchauffement climatique, avec des territoires soumis à des risques accrus pour leurs rendements tandis que d’autres zones deviendraient propices aux cultures. Un travail prospec- tif, mené par le bureau BRL ingénierie, a tenté de donner des ordres de grandeur des change- ments possibles en simulant des rendements à partir de projections climatiques. Deux scénarios thermiques ont été appliqués à ces trois États de la mer Noire. Selon un premier scénario de réchauffement « modéré », la production pour le blé, le maïs et le tournesol serait stable. Un deuxième scénario, de réchauffement « extrême », conduirait à des chutes de rendements régio- nalement fortes à très fortes. Si certaines régions agricoles frontalières avec la Chine pourraient voir leurs rendements s’accroître, le Nord-Kazakhstan, le sud de la Russie européenne et le pour- tour de la mer Noire subiraient des années sèches de façon plus régulière. a Russie, l’Ukraine et le Kazakh- stan sont des pays à fort potentiel agricole, du fait de leur position géographique et de la nature de certains de leurs sols très fertiles. La part des exporta- tions de céréales et oléoprotéagineux va grandissant, grâce à l’accroissement de la production depuis plusieurs années. Avec 160 millions de tonnes de céréales réguliè- rement produites dans la zone, les expor- tations s’approchent des 80 millions, quand la France exporte un peu moins de 30 mil- lions de tonnes les bonnes années. Inférieurs de plus de 50 % à ceux d’Europe de l’Ouest, les rendements ont encore un potentiel de croissance important. Toutefois, le risque climatique (gels tardifs, sécheres- ses) est élevé dans ces pays et la variabilité interannuelle de la production marquée. Dans ce contexte, le changement climati- que à venir pourrait avoir, comme dans tous les pays, des impacts sur les conditions de production. Il pourrait accentuer les risques actuels ou au contraire permettre à des zones encore peu propices à l’agriculture d’être mises en valeur. Dans quelle mesure peut-on anticiper de tels changements ? Quels pourraient être, à moyen terme, les conséquences des variations de tempéra- ture anticipées sur les rendements des sur- faces aujourd’hui en culture ? Une étude du bureau BRL ingénierie 1 , co-financée par le programme ministériel d’études du MAAF, FranceAgriMer et Intercéréales, a cherché à répondre à ces interrogations en simulant l’évolution pos- sible des rendements à l’horizon 2065, pour les terres en agriculture pluviale directement soumises au changement cli- matique, selon deux scénarios climatiques contrastés. Cette note présente le contexte de cette étude, la méthode employée et les principaux résultats. 1 - Évolutions du climat futur et simulation des températures selon deux scénarios contrastés 1.1 - Des pays exportateurs majeurs et un fort potentiel de production La Russie est le plus vaste pays de la pla- nète, avec près de 17 millions de km 2 ; le Kazakhstan est au neuvième rang avec 2,4 millions de km 2 ; l’Ukraine s’étend sur 603 000 km 2 , soit une surface légèrement supérieure à celle de la France. Ces trois Analyse CENTRE D’ÉTUDES ET DE PROSPECTIVE n° 96 - Décembre 2016 LES PUBLICATIONS DU SERVICE DE LA STATISTIQUE ET DE LA PROSPECTIVE – CENTRE D’ÉTUDES ET DE PROSPECTIVE Impacts possibles du changement climatique sur l’évolution des productions végétales en Russie, Ukraine et Kazakhstan à l’horizon 2065 L 1. Dominique Olivier, Sébastien Chazot, Mathilde Chauveau, Clément Balique, Martial Bernoux, 2015, Effet du changement climatique sur le potentiel de déve- loppement des productions végétales en Russie, Ukraine, Kazakhstan à moyen terme, cabinet BRL Ingénierie. Le rapport final est téléchargeable à l’adresse suivante : http://agriculture.gouv.fr/etude- de-leffet-du-changement-climatique-sur-le-potentiel- de-developpement-des-productions-vegetales

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Page 1: Impacts possibles du changement climatique sur l’évolution

Dotés de sols très riches et d’un fort potentiel d’accroissement de leurs rendements, la Russie,l’Ukraine et le Kazakhstan occupent une place de plus en plus importante sur les marchés mon-diaux des céréales et oléoprotéagineux. Comme tous les pays, ils seront demain confrontés auxeffets du réchauffement climatique, avec des territoires soumis à des risques accrus pour leursrendements tandis que d’autres zones deviendraient propices aux cultures. Un travail prospec-tif, mené par le bureau BRL ingénierie, a tenté de donner des ordres de grandeur des change-ments possibles en simulant des rendements à partir de projections climatiques. Deux scénariosthermiques ont été appliqués à ces trois États de la mer Noire. Selon un premier scénario deréchauffement « modéré », la production pour le blé, le maïs et le tournesol serait stable. Undeuxième scénario, de réchauffement « extrême », conduirait à des chutes de rendements régio-nalement fortes à très fortes. Si certaines régions agricoles frontalières avec la Chine pourraientvoir leurs rendements s’accroître, le Nord-Kazakhstan, le sud de la Russie européenne et le pour-tour de la mer Noire subiraient des années sèches de façon plus régulière.

a Russie, l’Ukraine et le Kazakh-stan sont des pays à fort potentielagricole, du fait de leur position

géographique et de la nature de certains deleurs sols très fertiles. La part des exporta-tions de céréales et oléoprotéagineux vagrandissant, grâce à l’accroissement de laproduction depuis plusieurs années. Avec160 millions de tonnes de céréales réguliè-rement produites dans la zone, les expor-tations s’approchent des 80 millions, quandla France exporte un peu moins de 30 mil-lions de tonnes les bonnes années.Inférieurs de plus de 50 % à ceux d’Europede l’Ouest, les rendements ont encore unpotentiel de croissance important. Toutefois,le risque climatique (gels tardifs, sécheres-ses) est élevé dans ces pays et la variabilitéinterannuelle de la production marquée.Dans ce contexte, le changement climati-que à venir pourrait avoir, comme dans tousles pays, des impacts sur les conditions de

production. Il pourrait accentuer les risquesactuels ou au contraire permettre à deszones encore peu propices à l’agricultured’être mises en valeur. Dans quelle mesurepeut-on anticiper de tels changements ?Quels pourraient être, à moyen terme, lesconséquences des variations de tempéra-ture anticipées sur les rendements des sur-faces aujourd’hui en culture ?

Une étude du bureau BRL ingénierie1,co-financée par le programme ministérield’études du MAAF, FranceAgriMer etIntercéréales, a cherché à répondre à cesinterrogations en simulant l’évolution pos-sible des rendements à l’horizon 2065,pour les terres en agriculture pluvialedirectement soumises au changement cli-matique, selon deux scénarios climatiquescontrastés. Cette note présente le contextede cette étude, la méthode employée et lesprincipaux résultats.

1 - Évolutions du climat futur etsimulation des températuresselon deux scénarios contrastés

1.1 - Des pays exportateurs majeurset un fort potentiel de production

La Russie est le plus vaste pays de la pla-nète, avec près de 17 millions de km2 ; leKazakhstan est au neuvième rang avec 2,4millions de km2 ; l’Ukraine s’étend sur603 000 km2, soit une surface légèrementsupérieure à celle de la France. Ces trois

Analyse CENTRE D’ÉTUDESET DE PROSPECTIVE—n° 96 - Décembre 2016

LES PUBLICATIONS DU SERVICE DE LA STATISTIQUE ET DE LA PROSPECTIVE – CENTRE D’ÉTUDES ET DE PROSPECTIVE

Impacts possibles du changement climatique sur l’évolutiondes productions végétales en Russie, Ukraine et Kazakhstanà l’horizon 2065

L

1. Dominique Olivier, Sébastien Chazot, MathildeChauveau, Clément Balique, Martial Bernoux, 2015,Effet du changement climatique sur le potentiel de déve-loppement des productions végétales en Russie,Ukraine, Kazakhstan à moyen terme, cabinet BRLIngénierie. Le rapport final est téléchargeable àl’adresse suivante : http://agriculture.gouv.fr/etude-de-leffet-du-changement-climatique-sur-le-potentiel-de-developpement-des-productions-vegetales

Page 2: Impacts possibles du changement climatique sur l’évolution

2 ■ CENTRE D’ÉTUDES ET DE PROSPECTIVE Analyse N° 96 - Décembre 2016

États disposent de grandes étendues de ter-res arables, avec près de 180 millions d’hec-tares, dont beaucoup de terres noiresréputées pour leur fertilité. En comparai-son, l’Union européenne totalise un peuplus de 100 millions d’hectares arables.

Après une forte baisse de la productionagricole consécutive au démantèlement del’ex-URSS en 1991, la production céréalièrede la Russie, de l’Ukraine et du Kazakhstans’est fortement redressée à partir du milieudes années 2000. Au début des années1990, la transition rapide d’une économieplanifiée à une économie de marché s’esten effet accompagnée de profondes réorga-nisations, d’une crise économique et d’uneforte diminution de la production agricole.La décapitalisation consécutive à la faillitede nombreuses exploitations agricolesd’État a entraîné la disparition d’une par-tie du cheptel bovin et une réduction de laproduction végétale. À titre d’exemple, enUkraine, la production agricole brute achuté de près de 40 % entre 1991 et 2000.

À partir du milieu des années 2000, siles filières bovines restent en crise, la pro-duction de céréales et d’oléagineux seredresse, suite à d’importants investisse-ments productifs privés et à la réorganisa-tion des exploitations. Apparaît une grandediversité d’exploitations, parmi lesquellesde grandes firmes spécialisées dans lesproductions végétales. En quelques années,la zone de la mer Noire développe sonpotentiel de production et ses infrastruc-tures portuaires. Russes, Ukrainiens etKazakhes deviennent d’importants expor-tateurs, et des concurrents directs de paystels que la France sur les marchés desmatières premières agricoles. En 2014, cestrois pays exportent ainsi plus de 62 mil-lions de tonnes de céréales. Le Kazakhstanexporte 8 millions de tonnes de blé, tandisque la Russie propose majoritairement dublé et de l’orge. L’Ukraine exporte quant àelle une grande quantité de maïs, ainsi quedu blé et de l’orge, et s’affirme comme leleader mondial pour l’export d’huiles detournesol.

Avec des rendements plus de deux foisinférieurs à ceux des agricultures plusintensives de l’ouest européen, un accrois-sement de la production et des exporta-tions semble possible dans les années àvenir. L’impact du changement climatiqueà venir pose toutefois, pour ces pays commepour les autres, la question de la durabi-lité de la production. Ainsi, une récenteanalyse de le FAO2, basée sur des simula-tions climatiques, anticipe des chutes deproduction au Kazakhstan et aux abordsde la mer Noire. Pour apprécier de façonplus précise ce risque, l’étude conduite par

le bureau BRL ingénierie a simulé l’évolu-tion possible des rendements selon deuxscénarios de réchauffement contrastés.

1.2 - Une méthode basée sur lacomparaison de simulations derendements suivant des scéna-rios contrastés d’évolution destempératures

Afin d’estimer l’impact possible sur lesrendements du changement climatique, ladémarche générale de l’étude a consisté àcalculer le rendement de trois cultures (bléde printemps, maïs et tournesol), avec lelogiciel de simulation de croissance deplante Aquacrop3, d’une part sous un cli-mat de référence (période 1970-1991), etd’autre part selon deux hypothèses de cli-mat futur possible, à l’horizon 2045-2065.Deux scénarios du GIEC4 de changementclimatique contrastés ont ainsi été retenus.Le premier, qualifié de « modéré », a étéconstruit avec pour hypothèse une évolu-tion maximale des températures de+ 2,4°C. À titre de comparaison, l’objectifambitieux fixé par la COP21 est de conte-nir l’élévation de la température moyennede la planète en dessous de + 2°C d’ici2100. Le second scénario, que l’on peutconsidérer comme « extrême », anticipeune augmentation de la température de+ 4,3°C. L’objectif n’était pas de calculerde façon précise le potentiel de production,mais bien d’avoir une idée des possiblesimpacts du changement climatique, en sui-vant une démarche comparative entre scé-narios contrastés. De tels travaux, parmiles premiers entrepris sur la zone considé-rée, sont complexes : ils exploitent des don-nées de simulation climatique récemmentmises à disposition des chercheurs, et cou-vrent un territoire vaste et diversifié.

Ce territoire a été découpé en douzezones climatiques globalement homogè-nes, dont quatre ont été écartées car impro-pres à l’agriculture pluviale. Quatre grandstypes de sol ont en outre été paramétrésdans Aquacrop : a) les sols typiques dessteppes, b) les sols carbonatés et salinisés,c) les autres sols argileux actifs et enfind) les sols « avec spécificités marquées ».Les simulations ont porté sur 1805 situa-tions agropédoclimatiques (croisement deszones climatiques et des zones pédologi-ques). Pour les deux scénarios climatiques,des simulations de températures ont étéréalisées, sous la forme de chroniques sur20 ans avec un pas de temps mensuel, afinde prendre en compte la fréquence et l’in-tensité des années particulières, récurren-tes dans les pays de la mer Noire. Comptetenu de l’incertitude sur l’évolution des pré-

cipitations, celles-ci ont été supposées iden-tiques à celles observées sur les années1970-1991. À partir de ces chroniques etdes simulations associées, il a été possibled’estimer la variation possible de la pro-duction globale et régionale par rapport àla production actuelle, en cas de réchauf-fement modéré et en cas de réchauffementimportant.

Comme tout travail portant sur des simu-lations climatiques et nécessitant de lourdstraitements informatiques sur bases dedonnées, celui-ci comporte des limites àprendre en compte dans l’interprétationdes résultats. Ainsi, afin de saisir le seulimpact des variations de température duesau changement climatique dans les évolu-tions des rendements, les auteurs ont choiside ne considérer aucun autre facteur, telque socio-économique ou agronomique. Dela même manière, les surfaces agricolesont été envisagées comme constantes, lespratiques de défrichement et les substitu-tions entre espèces cultivées ayant étéjugées difficiles à anticiper.

2 - Un impact faible sur la productionglobale pour le scénario deréchauffement « modéré » maisnettement plus marqué pourle scénario de réchauffement« extrême »

Le détail des simulations est disponibledans le rapport final de l’étude. Ne sontprésentés ici que les principaux chiffres etconclusions. Les simulations ont permisde calculer, pour les conditions actuelleset chacune des deux projections climati-ques, pour chaque zone homogène en ter-mes de climat et de sol, quatre indicateurs :

- le rendement moyen ;- le nombre d’années avec un rendement

inférieur à la moyenne ;

2. Lioubimtseva E., 2015, « Grain Production trendsin the Russian Federation, Ukraine and Kazakhstanin the context of climate change and internationaltrade », dans Elbehri A., (editor), Climate change andfood systems: global assessments and implications forfood security and trade, FAO, Rome.3. Un des logiciels de référence pour la simulation decroissance des plantes, développé par la FAO.4. Données du 4e rapport du Groupe d’experts inter-gouvernemental sur l’évolution du climat (AR4, IPCC2007), publiées par le site de la Banque mondiale.5. Parmi les 32 (8 x 4) zones issues du croisementdu sol et du climat, 15 ont été retenues pour les simu-lations, les autres ne présentant pas de potentielimportant de culture. Pour chacune de ces 15 zones,et chacun des deux scénarios climatiques, il a été réa-lisé une simulation pour la situation de référence etune simulation pour la situation future, ceci pour lestrois cultures étudiées, soit au final 180 simulations(15 x 2 x 2 x 3).

Page 3: Impacts possibles du changement climatique sur l’évolution

CENTRE D’ÉTUDES ET DE PROSPECTIVE Analyse N° 96 - Décembre 2016 ■ 3

- le nombre d’années avec un rendementinférieur à 1 t/ha ;

- le rendement atteint quatre années surcinq.

Ces indicateurs ont par la suite été utili-sés pour chiffrer les évolutions de rende-ment possibles et apprécier la fréquenced’années extrêmes. Les résultats concer-nent les zones pédoclimatiques, sans pren-dre en compte les frontières des trois États.Le scénario « modéré » conduirait à unimpact faible sur la production globale de

la zone, avec 3 à 4 % de baisse par rapportà un scénario de référence dans lequel laproduction resterait à son niveau actuel.En revanche, les changements de tempé-rature, en cas de scénario de réchauffement« extrême », pourraient faire chuter les ren-dements de façon significative. La baissede production ainsi simulée pourrait attein-dre près de 30 % pour le blé, 70 % pour lemaïs et 50 % pour le tournesol. Dans ce scé-nario, l’occurrence de phénomènes clima-tiques extrêmes augmenterait, provoquant

des fluctuations de production d’une annéesur l’autre plus importantes qu’aujourd’hui.La part des années avec un rendement infé-rieur à une tonne de blé par hectare pour-rait ainsi doubler.

En Ukraine, les impacts sur la produc-tion de blé devraient être très limités àmodérés selon les scénarios, la grandemajorité des cultures localisées à l’ouestdu territoire profitant de précipitations glo-balement suffisantes face aux hausses detempératures (figures 1 et 2). Dans l’hypo-thèse d’un réchauffement global modéré,les rendements en maïs et tournesol nechangeraient pas et bénéficieraient mêmepar endroit du changement climatique. Acontrario, dans l’hypothèse d’un réchauf-fement important (scénario « extrême »),la production de ces deux cultures baisse-rait fortement, ce qui montre que l’incer-titude liée au changement climatique danscette zone est plus importante pour le tour-nesol que pour le blé.

En ce qui concerne le Kazakhstan, dontla principale culture pluviale est le blé,concentrée dans la zone semi-aride au norddu pays, un changement climatique modéréréduirait légèrement les rendements de lacéréale, tandis que la baisse serait fortedans le cas d’un réchauffement très impor-tant, avec plusieurs années à rendementsnuls susceptibles de remettre en questionla production de blé.

Les rendements des trois cultures enRussie seraient quant à eux légèrement àfortement réduits dans l’ouest de la Fédé-ration, suivant le scénario. Dans le cas duscénario de réchauffement « extrême », lesrégions traditionnelles de culture du bléde l’ouest pourraient connaître de fortesdiminutions de rendement tandis que cer-taines régions plus septentrionales ver-raient leurs rendements s’améliorer et quede grandes étendues, peu mises en cultu-res, deviendraient plus productives à lafrontière chinoise.

3 - Une variabilité pluviométrique plusmarquée qu’aujourd’hui pourraitavoir des conséquences importantes

Au delà de l’étude de l’impact des varia-tions de températures, il est apparu utiled’analyser les conséquences possibles del’évolution pluviométrique. Une autre par-tie de l’étude a donc consisté à tester la sen-sibilité de la culture du blé à des variationsde températures et de précipitations combi-nées, toujours à l’aide du modèle de crois-sance Aquacrop, afin d’évaluer l’importancede la variation des pluies, non prises encompte dans le travail de simulation prin-cipal présenté ci-dessus.

Figure 2 - Variation du rendement du blé dans le cas d’un réchauffementimportant (scénario « extrême » à + 4,3°C)

Source : rapport final du cabinet BRL Ingénierie, 2016, page 4 de l’annexe 5

Figure 1 - Variation du rendement du blé dans le cas d’un réchauffementmodéré (scénario « modéré » à + 2,4°C)

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4 ■ CENTRE D’ÉTUDES ET DE PROSPECTIVE Analyse N° 96 - Décembre 2016

Cette simulation, qui portait sur un typede sol (tchernozems, dites « terres noires »)et trois zones climatiques, a consisté à fairevarier par paliers les températures et lesprécipitations mensuelles6. De nouvelleshypothèses climatiques ont été formuléesen partant du climat de référence de lazone, auquel il a été ajouté ou retiré unequantité de pluie et/ou de température. Desgammes de variations de la température(– 6 à + 6°C, par tranche de 1°C) et desprécipitations (– 60 à + 60 %, par tranchede 10 %), ont été croisées et testées dans lemodèle. Pour chacune de ces hypothèsesde température, a été recalculée une valeurd’évapotranspiration correspondante.

Dans une des trois zones considérées etdans les conditions de température et depluviométrie actuelles, le rendement deréférence simulé se situe autour de2,8 t/ha, ce qui correspond aux rendementsactuellement observés (figure 3). À pluvio-métrie constante (courbe 0 %), une éléva-tion de la température moyenne de 1°Cferait chuter ce rendement à 2,5 t/ha, soitune baisse d’environ 10 %. C’est l’inverseavec une baisse de température de 1°C, quiengendrerait un rendement supérieur d’en-viron 10 %. Par ailleurs, avec une augmen-tation de 15 % de la pluviométrie moyenne(courbe 15 %), le rendement passerait à3,5 t/ha, soit une amélioration de 25 %.

Ces résultats exploratoires montrentqu’au-delà de l’impact important des chan-gements de températures, les évolutionsfutures de la pluviométrie pourraient égale-

ment être déterminantes. En particulier, sil’augmentation des températures se combi-nait à une baisse de la pluviométrie, l’im-pact climatique sur le rendement seraitsupérieur aux estimations présentées.

*

Malgré les incertitudes inhérentes à toutesimulation climatique sur le long terme,cette étude exploratoire présente l’intérêtd’illustrer l’impact possible du changementclimatique sur la production de blé, maïset tournesol dans la zone Russie, Ukraineet Kazakhstan, à l’horizon 2065.

À pratiques culturales et surfaces culti-vées identiques à aujourd’hui, les simula-tions concluent à des impacts sur laproduction assez faible au niveau globalen cas de réchauffement « modéré »(+ 2,4°C) mais contrastés selon les régions.En cas de réchauffement important(+ 4,3°C), la variabilité interannuelle de laproduction serait plus forte, les baisses derendement significatives dans le sud de laRussie, en Ukraine pour les maïs et tour-nesols et au Kazakhstan pour le blé, tan-dis que les territoires plus septentrionauxverraient leurs rendements s’améliorer.L’étude souligne également l’importancede la pluviométrie, dont les variations liéesau réchauffement n’ont pu être prises encompte dans les simulations.

Ces conclusions rejoignent celles obte-nues dans d’autres exercices de simulationsagroclimatiques sur d’autres territoires.Ainsi, les simulations d’impact du change-ment climatique sur l’agriculture française,conduites dans le cadre du projet Climatorentre 2007et 20107, mettaient en évidenceles effets potentiellement contrastés duréchauffement sur les possibilités de cultu-re. Sous l’hypothèse d’une augmentationdes températures de l’ordre de + 2°C, lessimulations concluaient notamment à desopportunités de nouvelles cultures dans

certaines zones consécutives à l’augmen-tation des températures, à une augmen-tation de la variabilité interannuelle desrendements s’accompagnant de haussesmoyennes dans les cas où les stress hydri-ques sont évités ou compensés par despériodes hors stress (cultures d’hivernotamment) ou au contraire de diminutionspour les cultures d’été non irriguées (tour-nesol notamment). Diverses actions d’adap-tation au changement climatiques étaientévoquées (avancée des dates de semis, adap-tation des variétés, diversification des cultu-res, accroissement de l’irrigation, etc.).

Les simulations détaillées ici ont été effec-tuées « à comportements identiques ». Ilserait intéressant là aussi d’apprécier dansquelle mesure l’adaptation des acteurspourrait limiter les effets du changementclimatique en analysant plus précisémentle potentiel offert par le développement del’irrigation, la modification des pratiquesculturales, l’adaptation de l’assolement (parexemple, substitution de blés d’hiver à desblés de printemps, permise par des hiversplus doux) ou la mise en culture de surfa-ces actuellement non-agricoles. En parti-culier, certaines zones russes d’Asie, peuexploitées aujourd’hui du fait de la faiblessedes infrastructures de stockage et de trans-port, pourraient à l’avenir connaître undéveloppement important. Ainsi, l’annoncepar les autorités chinoises il y a un an8 d’unaccord « grain russe contre lait chinois »prévoit la construction en Chine d’uneferme de 100 000 vaches, dont le fourrageserait produit dans les plaines russes del’autre côté de la frontière. Or, d’après lesrésultats des simulations, les rendementsde ces terres devraient bénéficier duréchauffement climatique. La combinaisonde changements géopolitiques et climati-ques pourrait ainsi conduire à de profon-des modifications des flux commerciauxdans cette partie du monde.

Alexis GrandjeanCentre d’études et de prospective

à partir du rapport du cabinet BRL Ingénierie

Ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la ForêtSecrétariat GénéralService de la statistique et de la prospectiveCentre d’études et de prospective3 rue Barbet de Jouy75349 PARIS 07 SPSites Internet : www.agreste.agriculture.gouv.fr

www.agriculture.gouv.fr

Directrice de la publication : Béatrice Sédillot

Rédacteur en chef : Bruno HéraultMel : [email protected]él. : 01 49 55 85 75

Composition : SSP BeauvaisDépôt légal : À parution © 2016

6. Du fait de l’important temps de calcul pour ce tra-vail de simulation, l’étude n’a permis de traiter qu’uneculture et qu’une partie de la zone considérée.7. Brisson N., Levrault F. (éd), (2010) « Changementclimatique, agriculture et forêt en France : simula-tions d’impact sur les principales espèces - Le Livrevert du projet Climator (2007-2010) ».8. http://www.fwi.co.uk/livestock/china-building-100000-cow-dairy-unit-to-supply-russian-market.htm

Figure 3 - Évolution du rendement du blé simulé en fonction de la variationde la température et de la pluie (+/- 60 %)

Source : rapport final du cabinet BRL Ingénierie, 2016, annexe 5, page 4