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Il a été tiré de cet ouvrage : 20 exemplaires marqués HC et

30 exemplaires numérotés de 1 à 30 qui constituent l'édition originale

Tous droits de reproduction réservés La TILV éditeur, 1993

a u x

l i m i t e s

- langage, culture, monde -

D u m ê m e a u t e u r

Récits, cheminements

LES LIMBES INCANDESCENTS, traduction Patrick Mayoux, Paris, Denoël, collection les Lettres nouvelles, 1976. Nouvelle édition, Paris, Denoël, 1990. DÉRIVES, plusieurs traducteurs, Paris, Laffont, Lettres nouvelles/Maurice Nadeau, 1978. L'ECOSSE AVEC KENNETH WHITE, Paris, Flammarion, 1980. Réédition Arthaud, 1988. LE VISAGE DU VENT D'EST, traduction Marie-Claude White, Paris, les Presses d'aujourd'hui, 1980. LA ROUTE BLEUE, traduction Marie-Claude White, Paris, Grasset, 1983. Prix Médicis étranger. Livre de Poche 5988. LETTRES DE GOURCOUNEL, édition revue et augmentée, traduction Gil et Marie Jouanard, Paris, Grasset, les Cahiers Rouges, 1986. LES CYGNES SAUVAGES, traduction Marie-Claude White, Paris, Grasset, 1990.

Poésie

EN TOUTE CANDEUR, édition bilingue, traduction Pierre Leyris, Paris, Mercure de France, 1964. MAHAMUDRA, LE GRAND GESTE, édition bilingue, traduction Marie-Claude White, Paris, Mercure de France, 1979. ODE FRAGMENTÉE À LA BRETAGNE BLANCHE, Bordeaux, William Blake & Co, 1980. LE GRAND RIVAGE, édition bilingue, traduction Patrick Guyon et Marie-Claude White, Paris, le Nouveau Commerce, 1980. SCÈNES D'UN MONDE FLOTTANT, édition bilingue revue et augmentée, traduction Marie-Claude White, Paris, Grasset, 1983. TERRE DE DIAMANT, édition bilingue revue et augmentée, traduction Philippe Jaworski, Marie-Claude White et l'auteur, Paris, Grasset, 1983. ATLANTICA, édition bilingue, traduction Marie-Claude White, Paris, Grasset, 1986, prix Alfred de Vigny.

Essais, recherches

LA FIGURE DU DEHORS, Paris, Grasset, 1982. Livre de Poche, Biblio Essais 41à5. UNE APOCALYPSE TRANQUILLE, Paris, Grasset, 1985. LE POÈTE COSMOGRAPHE, entretiens, Presses Universitaires de Bordeaux, 1987. L'ESPRIT NOMADE, Paris, Grasset, 1987. LE MONDE D'ANTONIN ARTAUD, Bruxelles et Paris, Editions Complexe, 1989. HOKUSAÏ, OU L'HORIZON SENSIBLE, Paris, Terrain Vague, 1980. LE PLATEAU DE L'ALBATROS, Paris, Grasset (à paraître).

une poétique du monde ; c'est un espace mouvant où l'on évolue loin des querelles de chapelle et de la confusion mentale, si pittoresque et sympathique soit-elle, qui ca- ractérise communément la « vie celtique ». La petite celtitude, Yeats, qui s'y est mêlé en savait quelque chose, et s'il se fit pendant longtemps le porte-parole d'une nation qui s'y enfermait, ce fut pour en arriver à la conclusion qu'il valait mieux « marcher nu », et seul.

Tel a toujours été mon point de vue. Dans les « pays celtiques » d'aujourd'hui, l'on ne

trouve en fait de « celtitude », qu'une culture ratatinée, essoufflée par des polémiques provinciales, dégoulinante de sentimentalité, bourrée de clichés. Paulo maiora canamus.

Je ne sais trop où ce terme de « celtitude » a pris son origine. On sait que Senghor a parlé de « négritude ». Mais pour le fond idéologique, il faut sans doute remon- ter à la crise culturelle du milieu du 19e siècle en Russie

et au débat entre les Zapadniki (occidentalistes) et les fervents de la « russitude », de l'orthodoxie russe (pravoslavié), les slavophiles. Ces derniers, tenants d'une théosophie mystique, s'élèvent contre la culture euro- péenne qu'ils estiment creuse, ratiocinante et sur-sophis- tiquée. Pour eux, et à l'encontre de cette Europe exsan- gue, la Russie est un foyer d'énergies, avec ses hauts lieux de spiritualité, son romantisme paysan et son sens du sobornost (rassemblement). Les parallèles avec l'Irlande de Yeats sont assez évidents. Il est tout aussi évident que

je ne tiens pas à m'engager dans cette polémique. Je préfère, et de loin, suivre des pistes moins encombrées.

Qu'il y ait quelque chose de celte dans les recher- ches que j'essaie d'effectuer et dans les pérégrinations

que j'entreprends, c'est à peu près certain, mais je ne suis pas prêt à me laisser enfermer dans les définitions cou- rantes de la « celtitude ». En fait, je n'utilise le mot ici, même en y ajoutant, pour le spatialiser, l'épithète « grande », qu'à contre-cœur et par commodité.

Au fond, je suis celtaoïste. Rien ne me réjouit davantage que le rire de

Tchouang-tseu, cet Héraclite heureux, ce Rabelais raf- finé.

Et devant à peu près tout ce qui se présente aujourd'hui comme « culture », « littérature », « art » je suis pris, moi-même, d'un rire irrépressible.

Comme pour retrouver les Euro-Celtes, Blaise Cendrars (sa mère était d'origine écossaise) :

« Ma situation est très spéciale et difficile à tenir jusqu'au bout. Je suis libre. Je suis indépendant. Je n'ap- partiens à aucun pays, à aucune nation, à aucun milieu. J'aime le monde entier et je méprise le monde. Je m'en- tends bien, je le méprise au nom de la poésie en action, car les hommes sont par trop prosaïques. Des tas de gens me le rendent. J'éclate de rire ».

Comme le héros en exil d'Ana base :

« Tête nue et pieds nus dans la fraîcheur du monde, qu'avons-nous donc à rire, mais qu'avons-nous à rire ... ? »

Ce rire-là est la marque de la grande celtitude. C'est le rire qu'on a entendu un matin à Delphes,

quand le chef d'une bande de barbares vit pour la pre- mière fois les dieux anthropomorphes des Grecs.

Les autres celtitudes continueront à pleurer ou à gueuler aux portes de l'Occident ...

Pour en revenir à Tchouang-tseu, on me dira que

de tels « rapprochements » transculturels sont vraiment par trop osés. Tenterais-je de siniser l'Ecosse, ou de celtiser la Chine ? Non, non, évidemment (enfin, pas vraiment). Mais écoutons ce petit dialogue entre E.M. Cioran (écrivain français né Roumain) et Armand Robin (Breton et traducteur universel), rapporté dans le livre de Cioran, Exercices d'admiration : « Pourquoi, après avoir traduit tant de poètes, ne vous êtes-vous pas laissé tenter par Tchouang-tseu, le plus pénétré de poésie de tous les sages ? - J'y ai pensé souvent, me répliqua-t-il, mais comment traduire une œuvre qui n'est comparable qu'au paysage dénudé du nord de l'Ecosse ? ».

Prenant mon point de départ dans ce paysage, je pourrais donc faire tout de suite un saut géo-culturel en Chine. Mais je ne le ferai pas. Je me contenterai de procéder par étapes. Et la première étape se situe entre la mer Noire et la mer Caspienne.

En effet, l'origine de la grande celtitude, ce n'est ni l'Irlande, ni l'Ecosse, ni le pays de Galles, ni la Bretagne - c'est le Caucase et la Scythie.

Dès que j'ai commencé à lire l'histoire et à étudier les langues, je me suis dit qu'il devait y avoir une parenté entre Scythes et Scots. Cela pouvait sembler, encore une fois, extravagant, mais je constate que depuis une dizaine d'années à peu près, on prend la chose au sérieux.

On sait que Georges Dumézil a consacré plusieurs études aux Ossètes du Caucase, descendants directs des

Scythes dont le nom, dit-il dans la préface de son livre Romans de Scythie et d'alentour, « comme celui des Celtes », a servi dans l'antiquité à couvrir une masse humaine mal définie : « tout ce qui vivait, stable ou remuant, au Nord-Est de l'expérience grecque ». Dans

cette même préface, il fait référence à un problème qui « prend aujourd'hui une soudaine actualité », problème concernant les curieuses similitudes entre la culture des

steppes scythes et celle des îles de l'ouest : « Entre l'épopée des Ossètes et des Celtes insulai-

res, Goidels et Britonniques, mon collègue Joël Grisward a commencé de noter des rencontres d'une précision et d'une singularité qui ne peuvent être fortuites. Héritage commun ? Emprunts ? L'auteur penche pour la pre- mière thèse, tout en soulignant qu'une liaison directe s'est longtemps maintenue, par la Bohème, la steppe hongroise et le Danube, entre la Celtique et l'Iran de l'Europe ».

Sur tout ce sujet, dit Dumézil, un débat va s'ouvrir. Je le suivrai avec intérêt, mais je n'y participerai pas, ayant autre chose à faire dehors. En suivant, dans une âme et un corps, les chemins du désir et les sentiers de l'intuition, c'est le grand espace eurasiatique qu'il fau- drait rouvrir.

Les hommes aiment trop les bornes, et leur monde, en définitive, est trop borné : « trop épineux pour mon grand caractère », comme s'écrie Rimbaud (autre esprit macro-celte).

Combien piètre et étriquée est notre conception des grandes circulations d'énergies, d'idées, de cultures !

Celle que je viens d'indiquer en me référant à Dumézil donne, déjà, des îles britanniques une idée bien différente de celle qui prévaut chez la plupart des Angli- cistes et explique, par exemple, pourquoi la lecture de tel livre de Corbin sur L'Homme de lumière dans le soufisme iranien éveille en moi infiniment plus d'échos que la lecture de tel mythologue des marécages lu, la larme à

l'œil, par des exilés irlandais de Pittsburgh ou de Milwaukee.

Il ne s'agit pas d'exotisme, de fuite. Il s'agit d'ex- pansion de l'être, de la sortie de cadres trop étroits, de la reconnaissance de co-ordonnées plus étendues, de l'aug- mentation de la sensation du réel.

En 1936, Christopher Murray Grieve, alias Hugh MacDiarmid, publie son livre Scottish Eccentrics où, tout en exposant la dévitalisation de l'Ecosse moderne, il peint le caractère centrifuge, anarchiste, extrémiste, multilinguistique, erratique et drolatique de certains « vrais Ecossais » qui, tous, cherchant à réaliser plus ou moins l'impossible, ressemblent à cet Ecossais à qui un Américain montrait les chutes de Niagara. Alors que le Yankee lui vantait les beautés extraordinaires du specta- cle et les immenses énergies en jeu, l'Ecossais n'avait pas du tout l'air impressionné, ni même intéressé. Jusqu'à ce que l'Américain, en désespoir de cause, se mît à lui parler d'un homme qu'il avait vu monter les chutes à la nage. « C'était moi », dit l'Ecossais.

Gott bewahre die echten Schotten !

De l'œuvre immense et inégale de MacDiarmid, ce ne sont pas les poèmes lyriques que j'affectionne, ni les poèmes communistes, mais les longs poèmes encyclo- informatifs que l'on trouve à partir du livre Stony Limits (Les frontières pierreuses), « In the Caledonian Forest » (Dans la forêt calédonienne), « On a Raised Beach » (Sur une terrasse marine), « In Memoriam James Joyce » « The Terrible Crystal » (Le cristal terrible) ...

Ces poèmes ouvrent un espace à la fois local et global qu'il faudrait simplement, me semble-t-il, essayer de rendre plus cohérent et plus vécu : un espace qui