igie · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des...

39
Taol lagad war’n dazont N° 14 PRINTEMPS 2020 Responsable de la publication Gilbert Jaffrelot (Locarn) Coordinateur des chroniques Liam Fauchard [email protected] site web www.institut-locarn.bzh Institut de Locarn Kerhunou 22340 LOCARN Tél : 02 96 57 42 42 Courriel [email protected] Mise en bouche Locarn et la Prospective Projections Avis aux recruteurs | Ubérisation et C.G.T. | SVT Futurologie & Prospective Le miroir de la monnaie | Lébous et Bretons | Le sucre énergie de puissance Lectures & Bibliographie | La Vigie de Locarn À NOTER Reportée à une date ultérieure Vendredi 24 Avril 2020 La métamorphose du Monde Joseph Le Bihan / Michel Montier / Jean-Marie Pianel Précisions, explications, inscriptions sur www.institut-locarn.bzh Agenda De L’INSTITUT de LOCARN FORMATION-INFORMATION IGIE Mieux vaut s’attendre au prévisible que d’être surpris par l’inattendu Pierre DAC Institut de Locarn Formation Information

Upload: others

Post on 22-May-2020

0 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

Taol lagad war’n dazont

N° 14 PRINTEMPS 2020

Responsable de la publication Gilbert Jaffrelot (Locarn)

Coordinateur des chroniquesLiam Fauchard

[email protected]

site webwww.institut-locarn.bzh

Institut de LocarnKerhunou

22340 LOCARNTél : 02 96 57 42 42

[email protected]

Mise en bouche Locarn et la Prospective

ProjectionsAvis aux recruteurs | Ubérisation et C.G.T. | SVT

Futurologie & ProspectiveLe miroir de la monnaie | Lébous et Bretons | Le sucre énergie de puissance Lectures & Bibliographie | La Vigie de Locarn

À NOTER Reportée à une date ultérieure

Vendredi 24 Avril 2020 La métamorphose du Monde Joseph Le Bihan / Michel Montier / Jean-Marie Pianel

Précisions, explications, inscriptions sur www.institut-locarn.bzh

Agenda De L’INSTITUTde LOCARN FORMATION-INFORMATION

IGIE

Mieux vaut s’attendre au prévisible que d’être surpris par l’inattendu

Pierre DAC

Institut de Locarn Formation Information

Page 2: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

2

Institut Locarn - Chroniques pour demain - Printemps 2020 accueil

MISE EN BOUCHE

« L’avenir ne se prévoit pas, il se construit »était l’affirmation de Bertrand de Jouvenel. Quant à Pierre Massé, compte tenu des principes et de la mé-thodologie ouverte de la discipline, il indiquait « La Prospective est une indiscipline intellectuelle ». Le but essentiel de La Démarche Prospective « Explorer ce qui peut advenir pour dégager ce qui peut être fait, les politiques et les stratégies », fait partie des gènes de L’institut de Locarn depuis sa fondation.

La revue Chroniques pour demain, dont le nu-méro 14 vous est présenté, s’inscrit dans cette volonté exploratoire.

La revue n’a pas pour objet de transmettre des réflexions qui seraient figées et porteuses de choix in-discutables. Elle entend autrement proposer des élé-ments de recherches exploratoires qui s’expriment dans des textes courts, dans des textes de fond, dans des notes de lecture et une bibliographie, dans une vigie… Le tout s’abreuvant à des sources que vous ne trouverez pas dans les médias habituels. Rechercher, explorer, contextualiser.

L’ensemble proposé vise à faire se questionner le récepteur « Tout ce qui m’est présenté a-t-il des effets sur mon domaine de compétence ? » ; Et d’en tirer le meilleur parti pour faire évoluer son entreprise, col-lectivité, association, lieu d’enseignement, etc.

Dans cette période où l’Institut de Locarn se re-construit, nous espérons que la revue proposée con-tribue et contribuera à votre intérêt pour nous soute-nir, venir aux rencontres, diffuser les informations sur les formations, proposer des actions innovantes…

Gilbert JAFFRELOT et Régis COAT, Présidents de l’Institut de Locarn Formation - Information

La préparation et la mise en forme de la revue sont confiées à un prestataire extérieur (Prospective et Culture scientifique), gage d’indépendance et d’expressions plurielles. Si vous souhaitez proposer un texte court ou long => [email protected]

LOCARN & LA PROSPECTIVE

La Démarche Prospective fut fondée au tournant des années 1950-1960 par Gaston Berger, Bertrand de Jouvenel et Pierre Massé.

Gaston Berger est l’inventeur du terme Prospective (Foresight) et de la

formule « Voir loin, large, profond, autrement et ensemble ».

Page 3: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

AVIS AUX RECRUTEURSUn point de vue sur la nature de l’emploi selon l’origine du salarié

PROJECTION 1

3

Institut Locarn - Chroniques pour demain - Printemps 2020 accueil

La nature de l’emploi est maintenant de l’ordre de 90 % sous forme de salariat en France. Le croisement des courbes entre indépendants

et salariés s’est fait durant les années 1930 et l’écart a augmenté régulièrement jusqu’à une stabilisation depuis les années 1990-2000.

L’inquiétude d’un employeur lorsqu’il doit em-baucher un salarié est légitime dans notre Pays où la fluidité du marché du travail relève plus du fantasme que de la réalité. Si nous écoutons ce qu’écrivait Jacques Julliard, les explications remonteraient bien loin.

Sous le titre « En France, le travail est mal aimé », il développe les points suivants « Comment expliquer que le mot « retraite » (retraite de Russie, les maisons de retraite…) soit chargé dans l’esprit de nos compa-triotes d’images riantes ?

C’est que, n’en déplaise aux bobos décérébrés qui aujourd’hui donnent le ton nous sommes dans un Pays qui fut « très chrétien » et qui sait qu’Adam, chassé du Paradis, fut condamné à travailler, à gagner son pain à la sueur de son front. Ne plus travailler, c’est donc en finir avec la malédiction originelle.

Pourtant nous sommes le Pays qui a aussi célé-bré le travail bien fait, la belle ouvrage. C’est l’échec anthropologique de l’ère industrielle moderne que d’avoir ramené le travail à son statut initial de malé-diction. » [1]

Le constat nous paraît juste ; cependant, le re-cours à Adam est superflu. L’ère industrielle a généré deux effets iatrogènes : l’exploitation de la main d’œuvre caractérisée par K. Marx et l’aliénation, ef-fet beaucoup moins exploré, sauf en ergonomie. L’aliénation consiste en la perte de connaissance et de compréhension de l’acte productif et de ses effets con-

crets. Le paysan, l’artisan, voire certains commerçants voyaient précisément ce qu’ils produisaient ; ce ne fut plus le cas lors des migrations vers les concentrations ouvrières. Cette déréalité s’est accentuée avec la ter-tiarisation des activités productives.

Une étude de la sociologue Yaël Brinbaum du

CNAM, Décembre 2019, apporte des éclairages fort in-téressants pour les embaucheurs. Elle a suivi un panel de 30 000 élèves entre 2007 et 2016, confrontant les résultats dont les parents sont nés en France avec ceux dont les deux parents sont nés à l’étranger. Pour l’obtention du baccalauréat, les chiffres à retenir sont les suivants (proportion de bacheliers selon l’origine migratoire et le sexe) : [1]

Les « asiatiques » sont surreprésentés parmi les bacheliers scientifiques, contre un quart des Français. Les élèves autres que Asie et France obtiennent plutôt des bacs technologiques et professionnels. Enfin que les filles aient de meilleurs résultats que les gar-çons, c’est connu depuis bientôt trente ans. Avis aux recruteurs…

[1] = Le Figaro, 06 Janvier 2020.

LF/Hiver 2020.

Origine filles garçons

Asie 92 % 88%

France 85 % 75 %

Afrique Subsaharienne 84 % 61 %

Portugal 83 % 72 %

Maghreb 80 % 64 %

Turquie 75 % 64 %

Page 4: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

PROJECTION 3

UBERISATION et C.G.T.«We missed you» de Ken Loach, tellement vrai !

Un film qui fait prendre conscience des dégats de ce système d’exploitation

4

Institut Locarn - Chroniques pour demain - Printemps 2020 accueil

Sous le terme « ubérisation », nous trouvons la si-gnification d’une rupture.

La situation très majoritaire des actifs – entre 80 et 90 %, selon les Pays - est de nos jours le statut de salarié qui relève d’un lien de subor-

dination entre l’employeur et l’employé. Dans des Pays développés, des règles successives sont

venues réguler cette relation, le tout étant complété, selon les cas, par des prélèvements obligatoires sur les salaires pour financer les dépenses de Protection Sociale, en tout ou partie.

Le film de Ken Loach «Sorry We Missed You»1 va en-core plus loin puisqu’il expose ce qu’il estime être « l’ubé-risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille.

Le constat de l’ubérisation serait le suivant. Le lien entre un « auto-entrepreneur » et un donneur d’ordres qua-si exclusif remplacerait le contrat de travail par un contrat commercial. Le travailleur est indépendant et responsable de son activité. Dans le cas du film, il est propriétaire de sa camionnette de livraison. Il accepte par contrat de faire les livraisons… qu’il a acceptées de faire, venant du donneur d’ordres. C’est déjà une sorte de tautologie.

Depuis plusieurs mois, aux USA, dans plusieurs États, des décisions de justice venant principalement de procu-reurs saisis, tendent à requalifier la relation indépendant – donneur d’ordre vers un statut de salarié habituel, avec toutes les obligations de part et d’autre inhérentes. Des recours ont été émis et nous devons attendre les décisions finales.

Dans le cas britannique, l’appât du gain existe. L’un des « indépendants » annonce à Ricky – le principal person-nage masculin du film – qu’il gagne 200 £ par jour, appa-remment avec des journées de 12 à 14 heures et une durée

de 25 jours de travail mensuel. La ressource ainsi dégagée peut donc aller, change fait, jusqu’à près de 6 000 Euro par moi. Sur cette somme, l’indépendant payera ses charges de fonctionnement, un impôt sur le revenu, des cotisations de retraite complémentaire. En tant qu’indépendant, il n’a pas de cotisation chômage. Et au Royaume-Uni, l’accès à la santé est gratuit, financé par le budget général et tous les impôts et taxes qui l’approvisionnent. Ricky avait bien com-pris cette possibilité et ainsi de pouvoir rembourser rapide-ment une grande partie de l’endettement de sa famille.

Nous ne savons pas bien aujourd’hui comment évo-

luera la situation. Il y a une trentaine d’années en France, des politiciens

proposaient de remplacer le contrat de travail par un contrat de prestation ; grosso modo ce que nous constatons avec l’ubérisation. L’évolution constatée n’est pas nettement al-lée en ce sens. Pour une partie de la population, se lancer à son compte reste une volonté constatée dans des enquêtes. Divers statuts sont possibles. Sur les 3,3 M d’entreprises que compte la France, 93 % sont des TPE. Constatons que sur ce total figurent 650 000 SARL, statut qui conjugue, pour un gérant minoritaire, un statut de salarié tout en le dispen-sant d’assurance-chômage.

Quant au salariat proprement dit : lors du congrès d’Amiens de 1906 qui a défini les grandes orientations de la CGT, la motion la plus importante qui fut très largement adoptée par les participants était « Pour l’abolition totale du salariat ».

Quel pied de nez de l’Histoire !

LF/Hiver 2020

[1] Bande-annonce : https://www.youtube.com/

watch?v=pAqaLN83DJQ

Page 5: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

5

Institut Locarn - Chroniques pour demain - Printemps 2020 accueil

PROJECTION 4

S V T

Prévoir l’avenir est par nature compliqué

Les trois lettres ci-dessus sont plutôt connues des collégiens français en regard des cours de « Sciences de la Vie et de la Terre ».

Peut-être que le programme scolaire aborde les jeux politiques comme une discipline à part entière de la vie sur Terre… ?

Le SVT interprété ici est le Single Vote Transferable.C’est le mode électoral utilisé en République d’Ir-

lande, destiné à élire plusieurs candidats. Le système de scrutin à vote unique transférable a été

conçu pour répondre aux deux objectifs suivants : = Chaque électeur doit pouvoir choisir son ou ses

candidats, sans s’en remettre au choix d’un parti.= Le nombre d’élus doit correspondre à une réparti-

tion proportionnelle.

Les systèmes de représentation proportionnelle sur listes fermées, comme celui utilisé en France pour l’élec-tion des députés européens, ne répondent pas à la pre-mière de ces exigences, puisque l’électeur ne peut pas distinguer les candidats à l’intérieur d’une liste.

Le SVT vise à assurer la représentation proportion-nelle tout en écartant l’influence des partis qui, de par leur fonctionnement propre, peuvent composer des listes ne coïncidant pas avec les souhaits des citoyens. Il res-pecte ainsi pleinement la volonté populaire contre les logiques d’appareils.

En pratique. Je vote dans une circonscription où il y a cinq sièges à pourvoir. J’ai à choisir entre une douzaine de candidat(e)s. Par affinité politique, je choisis une can-didate du Fine Gael « Nous les gaëls ». En deuxième, au cas où mon premier choix ne serait pas élu, je choisis le candidat Indépendant qui me plaît aussi ; puis en troi-sième, le candidat du Sinn Fein « Nous- mêmes », etc.

Une fois les votes dépouillés, un quota est obtenu en divisant par cinq dans notre cas les votes exprimés. Puis le dépouillement commence. Le premier candidat obtenant le quota est élu. Les scrutateurs recalculent alors un nouveau quota … et ainsi de suite, jusqu’à avoir cinq élu(e)s.

En 2020, les élections eurent lieu le Samedi 08 Février ; les résultats définitifs furent connus le Mardi 11 Février au matin. (En 2016, le record de transfert fut de

14 ; au Pays du Guinness® World Records, ce n’est guère surprenant.)

FG FF SF Labour

2020 20,9 % 22,2 % 24,5 % 04,4 %

Sièges 35 38 37 06

2016 50 44 23 07

S-PBP Verts SD Indépendants

2020 02,6 % 07,1 % 02,9 % 15,4 %

Sièges 05 12 06 21

2016 06 02 03 19

Les % donnés sont issus du premier vote (préféren-tiel) ; ils donnent une idée de la place relative des grands mouvements au niveau national, sans plus.

FG = Fine Gael / FF = Fianna Fail “Soldats de la des-tinée” / SF = Sinn Fein / Labour = Travaillistes / S-PBP : Solidarity – People Before Profit / Verts / SD = Sociaux-Démocrates / Indépendants.

La participation par rapport aux inscrits fut de 62 %.Pour les 160 sièges, Le FG présentait 82 candidats ; le

FF 84 ; le SF 42. « La politique est une sorte de sport national en

République d’Irlande : elle produit les mêmes émotions pour la même absence de contenu idéologique. »

Joe JOYCE

www.wikipedia.org ; www.independent.ei

PhS/Hiver 2020

LuxembourgUn autre cas de vote à la proportionnelle. Dans une

circonscription où il y a cinq candidats, par exemple, l’électeur dispose de cinq votes.

Il peut attribuer cinq voix à un seul candidat ; il peut attribuer une voix à chacun des cinq candidats ; il peut distribuer selon 2 – 1 – 2 – 0 – 0… etc… Bref, il fait ce qu’il veut.

Rappelons que dans l’Union Européenne, sur 27 États membres, 24 votent à la proportionnelle selon des modalités variées. (Données Eurostat 2019).

Page 6: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

6

Institut Locarn - Chroniques pour demain - Printemps 2020

FUTUROLOGIE & PROSPECTIVE

accueil

LA MONNAIE DE L’AUTRE COTE DU MIROIR1

« The Guard was looking at her, first through a telescope, then through a microscope, and then through an opera-glass. At last he said, ‘You’re travelling the wrong way »2

Lewis Carroll [1872], Through the looking glass and what Alice found there, Puffin Books, 1980, p. 221

Dans ses Dialogues entre l’auteur et un Sauvage de bon sens qui a voyagé, publié à La Haye en 1703, le baron de Lahontan nous a transmis à travers son personnage d’Adario certains éléments de la pensée de Kondiaronk, un chef huron3. Pierre-François Charlevoix dans son Histoire et description générale de la Nouvelle-France (1744 p. 536) le décrit comme : un « homme d’esprit, extrêmement brave et le Sauvage du plus grand mérite ». Ces Dialogues ont été traduits en plusieurs langues et leurs éditions ont connu un certain succès, comme l’avait relevé Gustave Charlier dans son compte-rendu d’une réédition de l’ouvrage en 1931. Adam Smith a été un des penseurs européens à travers lequel la modernité a pensé la « sauvagerie », par opposition à la « civilisation » comme l’a analysé Ronald Meek dans son magistral Social Science and the ignoble savage (1976). Shinji Nohara dans Commerce and Strangers in Adam Smith (2018 p. 34) suggère qu’Adam Smith, qui ne cite pas Lahontan, n’avait pas confiance dans son récit et qu’il s’est plutôt appuyé sur les publications de 1 - Ce texte reprend très largement et complète « Les Objections d’Adam Smith à Kandiaronk et leurs limites », paru dans le Blog Mediapart du Mauss Revue du Mauss, Blog David Graeber, 3 décembre 2019, [https://blogs.mediapart.fr/edition/dossier-david-graeber/article/031219/les-objections-dadam-smith-kandiaronk-et-leurs-limites-par-jean-michel-servet], article écrit à l’invitation de Christophe Petit, Alain Caillé et Philippe Chanial. Je remercie aussi Liam Fauchard pour l’intérêt porté à cette première version et sa suggestion d’en publier une nouvelle.

2 - « Le garde la regarda, d'abord à travers un télescope, puis à travers un microscope, puis à travers des jumelles de spectacle. Enfin, il a dit : ‘Vous voyagez dans le mauvais sens’ »

3 - Kandiarong ou Kondiarong, Gaspard Soiaga-dit-le-Rat (vers 1649-1701) est originaire de la nation des Pétuns ou Tionontates, ennemis des Iroquois. Il a été converti au catholicisme par les Jésuites. Son surnom de « rat » vient de ses ruses pour arriver à ses fins dans ses tractations avec les autres tribus, avec les Anglais et avec les Français. L’une de celle-ci est décrite par Charlevoix (1744 p. 536-537, 567). Il est décédé subitement alors qu’il participait aux négociations de paix entre les Français et plus 700 délégués de tribus amérindiennes. Ses funérailles à Montréal prirent des allures de cérémonie d’État, notamment par la participation du gouverneur et son inhumation dans une église.

Jean-Michel SERVET

Ancien chercheur au Graduate Institute de Genève

Février 2020

Page 7: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

7

Institut Locarn - Chroniques pour demain - Printemps 2020

(suite)

accueil

missionnaires jésuites en Amérique, comme Joseph-François Lafitau (1724) et Pierre-François Charlevoix (1744).

La « sauvagerie » est évoquée dès le début de la Richesse des nations et les colonies d’Amérique du Nord le sont au fil du texte et jusqu’à ses dernières lignes. Rien d’étonnant si l’on remarque que l’ouvrage a été publié en 1776 ; en même temps que certains colons de ce qui deviendra les États-Unis d’Amérique déclaraient leur indépendance de la couronne britannique. Avant Smith, John Locke et tant d’autres qualifiés de philosophes ainsi que des missionnaires comme Lafitau ont pensé que le monde premier avait été à l’image de l’Amérique. En conclusion du premier chapitre de son Inquiry, Smith cite le chef qui commande des « sauvages nus » (p. 17) et en fin d’ouvrage les colonisateurs (p. 984-985). Cette évolution, allant de la « sauvagerie » à la « civilisation », ultime étape de ce qu’on appellera après la Seconde Guerre mondiale le « développement », n’a rien d’étonnant. Dès l’Introduction de La Richesse des Nations (p. 4), Adam Smith affirme : « Un ouvrier même de la catégorie la plus basse et la plus pauvre peut jouir, s’il est frugal et industrieux, d’une portion plus grande des nécessités et des commodités de la vie qu’il n’est possible à aucun sauvage d’obtenir ».Et à la fin du premier chapitre du livre premier de l’ouvrage, après avoir analysé la division du travail dans une manufacture d’épingles, un texte devenu un des plus célèbres de la littérature économique, Adam Smith conclut que le « maître absolu de la vie et de la liberté de dix mille sauvages nus » dispose de moins de biens qu’ « un paysan industrieux et frugal ». La division du travail avec sa subdivision des tâches est supposée à l’origine de cette prospérité matérielle. Il serait impossible, pense-t-il, de l’égaler avec une autre organisation sociale et économique. Mais n’est-il pas curieux, pour illustrer les effets supposés bénéfiques de la division sociale du travail, de donner en exemple ceux d’une division technique des tâches dans une même unité de production (sans contrat interne et sans marché) et de gommer le despotisme du patron, pour reprendre l’expression de Stephen Margin dans What do bosses do ?4. Le despotisme de celui qui commande n’apparaît ici que chez les sauvages, même si au cours de la lecture de Smith on retrouve la violence des maîtres (notamment vis-à-vis des esclaves dans les plantations).

À la fin de son œuvre maîtresse, à propos de la volonté d’indépendance des colons américains, Adam Smith soutient implicitement l’idée que la démocratie naît des débats qui entourent la question fiscale : Sur qui doivent porter les prélèvements ? Quel doit être leur montant ? et Quelle doit être l’affectation

4 - Marglin Stephen, « What do bosses do ? », Review of Radical Political Economics, 1974, 6 (2) p. 60-112. La première édition et traduction française par André Gortz parue dans Critique de la division du travail (Paris, Seuil, 1973) a été suivie d’une deuxième traduction par Bruno Tinel, A quoi servent les patrons ? Marglin et les radicaux américains, ENS Collection feuillet, 2004

LA MONNAIE DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR

Page 8: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

8

Institut Locarn - Chroniques pour demain - Printemps 2020

(suite)

accueil

LA MONNAIE DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR

de ces ressources (Pourquoi faire ?). Le modèle démocratique (qui s’oppose au gouvernement despotique) ne dépendrait donc pas, comme on l’entend communément, d’abord du marché concurrentiel, mais de l’impôt. Notons au passage que dans le débat sur la légitimité de la déclaration d’indépendance des colons, les droits des autochtones sont complément occultés, préfiguration de leur extermination massive par les colons. Nous reviendrons sur les arguments de Smith.

Les Européens ayant fréquenté les Amérindiens de l’est canadien5 affirmaient que ceux-ci n’étaient en rien moins intelligents que les Européens, notamment par leur capacité à débattre des problèmes intéressant leur communauté6. Lafitau (1724 p. 464) affirme ainsi : « Quand il s’agit des affaires qui intéressent le corps de la nation, ils [les Iroquois et les Hurons] se réunissent dans un conseil général où ils se rendent les députés de chaque village ; ce qui se fait avec tant d’égalité, de zèle pour le bien commun qu’il en résulte un concert et une union admirable, qui fait le salut de la nation et que, par cette raison, rien n’est capable de rompre. » Selon le même (Lafitau,1724 p. 105, 106) qui s’appuie sur ses propres observations et sur celles d’autres voyageurs et missionnaires et qui ne se prive pas de décrire la cruauté des Amérindiens notamment vis-à-vis de leurs prisonniers : les sauvages américains « ont l’esprit bon, l’imagination vive, la conception aisée, la mémoire admirable […] Ils pensent juste sur les affaires, et mieux que le Peuple parmi nous : ils vont à leurs fins par des voies sures.[…] Ils paraissent toujours maîtres d’eux-mêmes et jamais en colère » Vu ce que Smith remarque de l’intelligence pratique des paysans, à partir de l’expérience qu’il a acquise notamment dans ses voyages sur le continent européen et en Grande-Bretagne, l’auteur de La Richesse des Nations partage sans doute ce point de vue. Il reconnaît l’abêtissement des travailleurs dans les manufactures, consécutif à la monotonie de leurs tâches. Pour lui, les gens de la campagne qui, dans leurs activités, passent facilement et à tout moment d’une tâche à une autre, sont plus éveillés (même si leur langage et leur accent paraissent rustres) que les ouvriers des manufactures employés dès l’enfance à répéter à longueur de journées, voire de nuits, les mêmes gestes. Ces spécialisations conduisent à un abrutissement d’une partie de la population et à une croissance des inégalités entre membres d’une même société. Les effets, selon Smith, positifs de la division du travail en matière d’augmentation de la production jouent aussi pour les découvertes scientifiques et leurs applications du fait de la

5 - Plusieurs récits de voyageurs et missionnaires sont disponibles. Pour une description détaillée des modes de vie et des croyances des populations, voir par exemple Le Grand Voyage aux pays des Hurons par Gabriel Sagard, [1623-1624].6 - Selon Lejeune (cité par David Graeber et David Wengrow p. 17) : « Il n’y en a presque aucun qui soit incapable de converser ou de raisonner très bien, et en bons termes, sur des sujets dont ils ont connaissance. Les conseils, qui se tiennent presque tous les jours dans les villages, et sur presque tous les sujets, améliorent leur capacité de dialogue. ». Et selon Lallemant (cité par David Graeber et David Wengrow p. 17) Je peux dire en vérité qu’en matière d’intelligence, ils ne sont en rien inférieurs aux Européens et à ceux qui habitent en France. Je n’aurais jamais cru que, sans instruction, la nature aurait pu fournir une éloquence des plus promptes et vigoureuses, que j’ai admirée chez de nombreux Hurons ; ou une clairvoyance plus claire dans les affaires publiques, ou une gestion plus discrète dans les choses auxquelles ils sont habitués. »

Page 9: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

9

Institut Locarn - Chroniques pour demain - Printemps 2020

(suite)

accueil

LA MONNAIE DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR

spécialisation des savants ; ainsi que pour la culture en général et les raffinements qu’elle porte. D’où un accroissement supposé concomitant des connaissances et des arts. L’accumulation n’est pas seulement matérielle et manufacturière.

L’abêtissement des travailleurs manuels concentrés dans les unités de production est, selon Smith, le prix à payer pour multiplier le volume des biens et des échanges, gage d’une diminution de la pauvreté et d’une opulence collective ; mais qui n’est pas nécessairement équitablement partagée... du fait des pouvoirs inégaux des travailleurs et de ceux qui les emploient. Mais alors que les inégalités produites par les ordres d’Ancien Régime et l’« oisiveté » qu’elle permet pour les privilégiés de ce système sont à ses yeux illégitimes, en particulier par le fait qu’elles résultent de rentes héritées, les inégalités nées des activités économiques productives lui paraissent non seulement légitimes mais nécessaires. À noter que contrairement à ce qui est généralement affirmé, le progrès technique (avec l’invention des machines – terme qui, en anglais comme en français, inclut alors tous les outils et instruments servant à produire) n’est pas chez Smith une cause de la division du travail. Elle en est la conséquence.

Certaines pages de La Richesse des Nations traitant des besoins peuvent tomber sous la critique de Kondiaronk. Ceux-ci n’ont pas un caractère factice mais ils apparaissent répondre à des nécessités vitales et objectives. Toutefois, Adam Smith manifeste par ailleurs une grande attention à la relativité des besoins, rejoignant ici aussi la critique anti-consummériste de Kondiaronk. Smith relève que les Anglais se sentiraient déconsidérés à aller pieds nus bien que marcher sans chaussures semble alors, selon lui, naturel à l’immense majorité des Français (Smith, Livre V p. 901). De même il a vu que les Anglais posent des vitres sur leurs fenêtres pour se protéger du froid et des intempéries alors que cet usage est largement inconnu sur le continent où nombre de fenêtres sont en hiver bouchées avec de la paille pour se protéger du froid. Il a noté aussi la diversité de la subsistance de base que sont les « grains », terme pouvant recouvrir ici du froment ou du seigle, là des lentilles. Smith indique (p. 900) : « Par nécessaire, j’entends non seulement les marchandises qui sont indispensables au maintien de la vie, mais aussi tout ce dont, selon les coutumes du pays, les gens honorables, même appartenant à l’ordre le plus bas, ne sauraient décemment manquer ». Il l’illustre aussi par le fait que les Grecs et les Romains vivaient tout à fait bien sans chemise de lin alors que « à présent dans la plus grande partie de l’Europe, un travailleur journalier digne de crédit aurait honte de se montrer en public sans chemise de lin. » (p. 901). Les inégalités dans la consommation sont reconnues. Mais elles ne sont pas nécessairement contestées par ceux qui les subissent, y compris lorsqu’elles correspondent à des différences de statut propres à des sociétés au sein desquelles la « civilisation » a développé des principes hiérarchiques. En matière de relativité des besoins, on ne peut que penser à l’affirmation de Jean-Louis Graslin, receveur général des fermes du roi à Nantes et farouche opposant aux idées physiocratiques dans son Essai analytique sur la richesse et sur l’impôt (1767, p. 33), selon laquelle : « les besoins inconnus ne sont pas des besoins ». Autrement dit : on ne peut pas éprouver le besoin d’un bien dont on ignore l’existence. Il est possible de

Page 10: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

10

Institut Locarn - Chroniques pour demain - Printemps 2020

(suite)

accueil

LA MONNAIE DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR

la rapprocher de la critique similaire d’Étienne Bonnot de Condillac dans son Essai sur l’origine des connaissances humaines (1746) où il affirme que : « À un besoin est liée l’idée de la chose qui est propre à le soulager » (édition posthume 1798 p. 67-68). Mais, à la différence des Européens, selon Kondiaronk, les Amérindiens sont indemnes de l’envie (au sens de la jalousie)7 qui frappe les Européens et qui apparaît comme un puissant moteur de la croissance et des besoins et de la production. Lafitau (1724 p. 106) note : « Ils ignorent tous ces raffinements du vice, qu’ont introduit le luxe et l’abondance ». Et, prémices de la pensée d’une sobriété heureuse, il ajoute : « Peut-être devrait-on admirer en eux cette modération qui a su se contenter de peu » (p. 107). Werner Sombart a bien montré le rôle de la fabrication et du commerce des articles de mode dans l’essor du capitalisme. Et est-ce sans doute par référence au développement de la fabrication de ceux-ci, qu’Adam Smith, dans le premier chapitre de La Richesse des Nations, a choisi l’exemple de la production des épingles, objets a priori futiles utilisés dans la confection des vêtements. L’usage de ceux-ci exprimant sans doute moins une recherche de confort qu’un souci d’ostentation par le luxe ; donc une manifestation des inégalités. Le sauvage Adario n’affirmait-il pas : « Car à quoi serviraient l’or et l’argent des Français, s’ils ne les employaient à se parer avec de riches habits ? puisque ce n’est que par le vêtement qu’on fait état des gens […] Crois-moi, la nudité ne doit choquer uniquement les gens qui ont la propriété des biens. » (Lahontan 1728 p. 117). Il conviendrait aujourd’hui dans la critique du consumérisme de distinguer les biens et services nouveaux, indispensables au vivre en société pour communiquer, de l’ensemble des autres consommations tenant au paraître et à la manifestation de statuts et pour lesquels une sobriété est davantage immédiatement possible.

La supériorité des arguments de l’Amérindien sur ceux de l’économiste écossais apparaît en matière de ce qu’on appelle aujourd’hui le ou les communs. Smith les évoque à peine car il les tient pour une forme d’arriération que le progrès serait en train de faire disparaître. Il dit bien peu de choses de la disparition des droits communautaires dans les villages notamment dans son Écosse natale (ce que l’on a appelé à la suite de Marx l’accumulation « primitive » - ou plus exactement « préalable » [previous] - lors de ces enclosures), disparition pensée comme permettant d’accroître la production (p. 164). Et peu de choses aussi des corporations et des guildes, hormis une critique radicale de leurs pratiques monopolistes (livre premier, chapitre X, p. 130 sq.) alors qu’elles aussi portaient des droits collectifs. Au contraire, Kondiaronk défend les droits communs et les opposent à la logique des intérêts privés qu’il a vu animer les Européens.La bévue d’Adam Smith en ce domaine est celui d’une opposition entre marché de concurrence et un collectif administré, une opposition qui laisse de côté les communs. Contrairement à ce qui est souvent affirmé, Adam Smith n’est pas, et cela le distingue des néolibéraux avec lesquels il est à tort confondu, opposé à une intervention publique quand la concurrence des intérêts privés et la propriété

7 - On ne peut qu’être frappé par la richesse du vocabulaire et des exemples désignant des dons dans le dictionnaire qui suit le Grand Voyage de Gabriel Sagard. Lafitau (1724 p. 491-494). Y est relatée une cérémonie de dons compensatoires après un meurtre.

Page 11: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

11

Institut Locarn - Chroniques pour demain - Printemps 2020

(suite)

accueil

LA MONNAIE DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR

individuelle se trouvent inefficaces (c’est le cas notamment pour la gestion de grands ouvrages comme les ponts, les canaux ou les aqueducs). Mais Adam Smith pense à une prise en charge du collectif uniquement par l’État (ce qu’il argumente dans son livre V consacré au souverain) méconnaissant l’alternative des communs. Ces communs sont aussi porteurs de démocratie ; mais qui peut être très limitée dans des sociétés fondamentalement hiérarchiques (Servet 2020).

Il est possible de retrouver chez d’autres « sauvages » nombre des critiques ou étonnements de Kondiaronk à l’encontre des Européens (qu’il avait vus au Canada mais aussi, comme il est généralement présumé, lors d’un voyage en France,). C’est le cas aussi de Touiavii, chef de Tiasia, une des îles des Samoa8. Au début du XX e siècle, celui-ci avait rapporté de ces contacts avec les colonisateurs allemands un mépris certain pour les comportements notamment égoïstes qu’il avait pu observer :«Frères, que pensez-vous d’un homme possédant une hutte assez grande pour y loger tout un village de Samoa et qui, ne serait-ce que pour une nuit, refuse son toit au voyageur qui passe ? Que pensez-vous d’un homme tenant dans ses mains un régime de bananes et qui n’en donne pas une seule à l’affamé qui lui en demande ? Je lis l’indignation dans votre regard et je vois un grand mépris sur vos lèvres. Et bien c’est ainsi que le Papalagui [le Blanc] se comporte à tout instant. Même s’il a cent nattes, il n’en donnera pas une seule à celui qui n’en a pas. Il lui reprochera plutôt de ne pas en avoir. Il a beau posséder une hutte remplie de haut en bas de provisions suffisantes pour des années à lui et à son aïga [famille], il ne lui vient pas l’idée d’aller chercher ceux qui n’ont rien à manger, qui sont blêmes et affamés. Et il y en a pourtant beaucoup de Papalagui blêmes et affamés » (Le Papalagui Les discours de Touiavii, chef de tribu de Tiaséa dans les mers du Sud, p. 68-69).

Smith défend la liberté supposée apportée par l’argent. À l’inverse, Kondiaronk y voit une source de dysfonctionnements et de maux pour les Européens. En effet Kondiaronk rapporté par Lahontan soutient que :« II n’y a que ceux [les Amérindiens] qui sont Chrétiens et qui demeurent aux portes de nos villes chez qui l’argent soit en usage. Les autres ne veulent ni le manier ni même le voir, ils l’appellent le serpent des Français9. Ils disent qu’on se tue, qu’on se pille, qu’on se diffame, qu’on se vend et qu’on se trahit parmi nous pour de l’argent » (cité par Apostolidès 1986 p. 75) Il affirme aussi : « Je dis donc que ce vous appelez argent est le démon des

8 - Ces propos de Touiavii ont été collectés par Erich Scheurmann (1878-1957), un écrivain, conteur, peintre et photographe, qui a vécu avant 1914 aux Samoa, alors colonie allemande. Le livre a été publié en Allemagne en 1920 et a été traduit ensuite dans une quinzaine de langues. Ce recueil n’est pas la stricte transcription des propos de Touiavii (pas plus que le sont ceux de Kondiaronk par le baron de Lahotan). Scheurmann a interprété les propos du chef de tribu dont il aurait imaginé le voyage du chef en Europe pour le rendre davantage crédible et plus accessible au public européen.9 - Cette assimilation de l’argent au serpent doit être mise en relation avec une remarque de Lafitau (1724 p. 253) selon laquelle : « le plus grand nombre des Nations Sauvages a une extrême horreur des serpents ».

Page 12: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

12

Institut Locarn - Chroniques pour demain - Printemps 2020

(suite)

accueil

LA MONNAIE DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR

démons, le Tiran des Français ; la source des maux ; la perte des âmes et le sépulcre des vivants. Vouloir vivre dans les pays de l’argent et conserver son âme, c’est vouloir se jeter au fond du lac pour conserver la vie ; or ni l’un, ni l’autre ne le peuvent. Cet argent est le père de la luxure, de l’impudicité, de l’artifice, de l’intrigue, du mensonge, de la trahison, de la mauvaise foi et généralement de tous les maux qui sont au monde. Le père vend ses enfants, les maris vendent leurs femmes, les femmes trahissent leurs maris, les frères se tuent, les amis se trahissent, et tout pour de l’argent. Dis-moi, je te prie, si nous avons tord après cela de ne vouloir point ni manier, ni même voir ce maudit argent. » (Lahontan 1728 p. 73- 74)De même Touiavii, le Polynésien, affirme :« Certes l’argent est facile à manier et pratique ; mais comme il ne pourrit pas si on le conserve les gens le mettent de côté au lieu de le partager avec autrui comme doit faire un chef et ils deviennent égoïstes. Par contre si la nourriture était la possession la plus précieuse de l’homme comme ce devrait être le cas puisqu’elle est la chose la plus utile et la plus nécessaire, on ne pourrait la conserver et on serait obligé soit de l’échanger contre un autre bien utilitaire soit de la partager avec ses voisins les chefs subalternes et toutes les personnes qui sont à sa charge et cela pour rien sans contrepartie aucune. Je comprends très bien maintenant ce qui rend les Papalangi [Blancs] si égoïstes c’est cet argent » (p. 37-39).

Quelles sont les principales critiques de Kondiaronk et de Touiavii vis-à-vis de la monnaie des Blancs ? La première idée est celle d’une aliénabilité généralisée, c’est-à-dire que chez les Européens avec la monnaie on pourrait tout acheter et que tout pourrait se vendre. La monnaie des Blancs prétend tout estimer. Même si ce diagnostic d’un marchandisage généralisé est faux, c’est l’image que donnent les Blancs et qui est souvent mise en avant par eux à travers l’idée que la monnaie c’est de la liberté frappée. La deuxième idée choquante est la fongibilité des instruments monétaires, le fait que tous les instruments monétaires pourraient être substituables pour payer. Dans les pensées indigènes, les monnaies sont cloisonnées ou pour reprendre une autre expression de Viviana Zelizer sont socialement marquées. On ne peut pas payer avec n’importe quoi en faisant une somme globale. Là encore la fongibilité des monnaies des Blancs connaît des limites mais c’est ainsi qu’elles sont représentées. La troisième critique porte sur l’individualisation des comportements que permet la monnaie. Pour les chefs indigènes, la monnaie est la cause de l’égoïsme des Européens. Selon eux, une dimension affichée de commun de la monnaie s’oppose à l’égoïsme que permet la monnaie appropriée individuellement. La monnaie est, pour Kondiaronk comme pour Touiavii, d’abord un lien social.

Mais ce qu’ils ignorent, et tant d’autres …(y compris le baron de Lahontan et Erich Scheurmann qui nous les ont fait connaître), c’est tant la dimension monétaire de

Page 13: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

13

Institut Locarn - Chroniques pour demain - Printemps 2020

(suite)

accueil

LA MONNAIE DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR

certains de leurs biens précieux (en l’occurrence pour Kondiaronk les wampum10, et pour Touiavii des paléomonnaies notamment en textile et écorce, donc d’une matière périssable) que… le caractère potentiellement de commun des monnaies des Européens, une dimension de liens qu’elles peuvent aussi développer (Servet 2017).

Une dernière chose les sépare. Kondiaronk, qui dans son pays était reçu à la table du gouverneur français au Canada, pensait sans doute qu’un autre monde était possible. Peut-être envisageait-il la possibilité d’une entente avec les Européens, ou avec certains d’entre eux dans les luttes qui les opposaient dans leur occupation de territoires autochtones. Deux siècles plus tard, au début du XX e siècle, Touiavii vivait une tout autre époque : celle où étaient en train d’émerger les combats pour une libération des « damnés de la Terre ». Une libération contre une oppression que de nombreux lecteurs de Smith ont légitimé au nom de ce qui est communément désigné comme « le progrès » alors que l’auteur de La Richesse des Nations n’ignorait pas que : « L’injustice féroce des Européens a rendu ruineux et destructeur pour plusieurs de ces malheureux pays un événement qui aurait dû être bénéfique pour tous » (Livre IV, chapitre premier, trad. p. 461).

10 - Lafitau consacre plusieurs pages à l’usage de ce qu’il considère comme des monnaies en coquillage. On doit souligner que d’une part il en traite dans un chapitre consacré au mode de gouvernement de ces sociétés et d’autre part qu’il témoigne de leur usage comme mode de communication entre les populations sans écriture de l’est de l’Amérique du Nord (1724 p. 472, 502-508). Charlevoix (1744 p. 264-265) décrit l’usage de ces colliers pour accompagner le discours

d’un orateur. Il remarque : « Les Iroquois avaient apporté dix-sept colliers, qui étaient autant de paroles, c’est à dire de propositions, qu’ils avaient à faire ; et pour les exposer à la vue de tout le monde, à mesure qu’ils les expliqueraient, ils avaient fait planter deux piquets et tendre une corde de traverse sur laquelle ils devaient les suspendre. Chacun étant placé suivant l’ordre que j’ai dit. »

Références

§ Apostolidès Jean-Marie, « L’altération du récit. Les Dialogues de Lahontan », Études fran-çaises, 1986, 22 (2), p. 73–78.

§ Charlevoix Pierre-François, Histoire et description générale de la nouvelle France, Paris, 1744.

§ Charlier Gustave, « Compte-rendu de de Lahontan (Baron). Dialogues curieux entre l’auteur et un Sauvage de bon sens qui a voyagé, et Mémoires de l’Amérique Septentrionale », in : Revue belge de philologie et d’histoire, tome 12, fasc. 1-2, 1933. p. 199-201.

§ Condillace Étienne Bonnot de, Essai sur l’origine des connaissances humaines, Paris, Houel, 1798.

§ Graeber David, Wengrow David, « La sagesse de Kandiaron : la critique indigène, le mythe du progrès et la naissance de la gauche », Extrait inédit d’un ouvrage (en préparation) consacré à l’histoire des inégalités. Document de travail s.l.n.d. 48 p.

§ Graslin Jean-Louis, Essai analytique sur la richesse et sur l’impôt. Londres, 1767, [réédité en 1911, par Auguste Dubois, Paris, Librairie Geuthner].

Page 14: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

14

Institut Locarn - Chroniques pour demain - Printemps 2020

(suite)

accueil

LA MONNAIE DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR

§ Lahontan baron de. Dialogues curieux entre l’auteur et un Sauvage de bon sens qui a voyagé, La Haye, 1703.

§ Lahontan baron de. Suite du Voyage de l’Amérique ou Dialogues de Monsieur Le Baron de Lahontan et du sauvage de l’Amérique, Amsterdam, de Boeteman, 1728 [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k822359/f74.image]

§ Lafitau Joseph-François, Mœurs des sauvages américains comparées aux mœurs des premiers temps, tome premier, Paris, 1724. [https://books.google.fr/books?id=DR8VAAAAQAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false]

§ Le Papalagui Les discours de Touiavii, chef de tribu de Tiaséa dans les mers du Sud, [recueillis et publiés par Erich Scheurmann en 1920], trad. Paris, Aubier Flammarion, 1981.

§ Marglin Stephen, « What do bosses do ? », Review of Radical Political Economics, 1974, 6 (2) p. 60-112.

§ Première édition et traduction française par André Gortz paru dans Critique de la division du travail, Paris, Seuil, 1973 ; deuxième traduction parue dans Bruno Tinel, A quoi servent les pa-trons ? Marglin et les radicaux américains, ENS Collection feuillet, 2004.

§ Meek Ronald, Social Science and the ignoble savage, Cambridge University Press, 1976.

§ Nohara Shinji, Commerce and Strangers in Adam Smith, Singapore, Springer, 2018.

§ Roche Daniel, La culture des apparences, Paris, Fayard 1989.

§ Sagard Gabriel, [1623-1624], Le Grand Voyage aux pays des Hurons, Édition critique par Jack Warwick, Montréal, Presses de l’université de Montréal, [http://bibnum2.banq.qc.ca/bna/bnm/src/519491.pdf].

§ Servet Jean-Michel, Les monnaies du lien, Presses universitaires de Lyon, 2012.

§ Servet Jean-Michel, « Monnaie », in : Marie Cornu, Fabienne Orsi et Judith Rochfeld (ed.), Dictionnaire des biens communs, Paris, PUF, 2017, p. 805-808.

§ Servet Jean-Michel, « Comprendre les communs d’hier pour (re)produire présentement ceux de demain », in : Mamadou Badji et Frédéric Caille (dir.), Le « tailleur » et ses modèles d’hier à de-main. Approches juridiques et politiques croisées France – Sénégal, Actes du Colloque Université CAD, Dakar, à paraître 2020.

§ Smith Adam (1776), Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, livre I à V. Nouvelle traduction Paris, Economica, 2000, 2002, 2005.

§ Sombart Werner [1921] Luxury and capitalism, trad. Ann Arbor: University of Michigan Press, 1922.

§ Turgot Anne-Robert, « Lettre à Madame de Graffigny sur Les Lettres d’une Péruvienne » 1751 [publié par Institut Coppet, Œuvres de Turgot – 024- https://www.institutcoppet.org/oeuvres-de-turgot-024-lettre-a-madame-de-graffigny/]

§ Zelizer Viviana, La signification sociale de l’argent, Paris, Seuil, 2005.

Page 15: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

15

Institut Locarn - Chroniques pour demain - Printemps 2020

FUTUROLOGIE & PROSPECTIVE

accueil

Le Lébou est une minorité ethnique sénégalaise fondatrice de l’actuelle région de Dakar, capitale du Sénégal, de Saint-Louis (appelé Ndar en wolof) au nord et des villages

traditionnels de la côte atlantique centre-ouest. Il parle le wolof, langue majoritaire au Sénégal et une bonne partie de la Gambie et de la Mauritanie. Cette ethnie est originaire de l’Egypte pharaonique, selon l’égyptologue sénégalais Cheikh Anta DIOP, et même plus loin de l’Inde selon le sage historien yoffois N’Galla GUEYE. Considérés comme sémites et ayant une descendance salomonique selon des anciens, les Lébous conservent néanmoins des pratiques et coutumes héritées des pharaons d’Egypte (nommés « Faré » en wolof), dans leur organisation politique, jusqu’à aujourd’hui. Ils quittèrent l’Egypte au 06-07e siècles avant Jésus-Christ et une partie arriva au Sénégal vers 11-12e siècles d’après le chercheur Cheikh Anta DIOP.

Très influents vis à vis de l’État actuel, depuis la colonisation, les Lébous gèrent toujours en toute autonomie les affaires politiques et sociales de leurs territoires traditionnels de Dakar et élisent leur chef appelé Sérigne Ndakarou.

La majorité des Lébous étaient citoyens français depuis Louis XIII et Louis XIV (cf.débat parlementaire français sur l’indépendance de la Fédération du Mali), avant les savoyards et les niçois, et leurs territoires (Dakar, Gorée, Saint-Louis, Rufisque) avaient les statuts de département français avant l’indépendance des colonies africaines. Leurs élus siégèrent à l’Assemblée Nationale française. Leurs femmes étaient les premières françaises à voter dans les élections locales (municipales, législatives, …).

Ils sont connus pour être des têtes dures, attachés à leur indépendance et même de fins politiciens qui influèrent souvent la décision du Gouverneur colonial français installé à Dakar, capitale à l’époque de l’Afrique Occidentale Française. Ils sont réputés en matière de pêche et de connaissances en mer, raisons pour lesquelles ils sont souvent sollicités au port de pêche de Lorient.

Le philosophe métis franco-sénégalais Gaston BERGE, l’artiste Maurice BEJART, le député Blaise DIAGNE (des années 30 et 40) et Rama YADE sont originaires de ces anciens départements français du Sénégal.

Avant l’indépendance du Sénégal, les Bretons constituaient une grande

SIMILITUDES LINGUISTIQUES, CULTURELLESET TERRITORIALES ENTRE LES BRETONSET LES LÉBOUS

Alpha Oumar NDOYE

Page 16: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

16

Institut Locarn - Chroniques pour demain - Printemps 2020

(suite)

accueil

communauté française à Dakar. Le siège de leur association demeure toujours en centre-ville.

En parcourant la Bretagne, j’ai été frappé par la similitude de certains mots et noms géographiques en usage chez les Bretons et les Lébous.

En Bretagne, les mots «ker», «diwan»... sont fréquemment entendus dans les rues et affichés devant les maisons et bâtiments. Ils signifient aussi la même chose en wolof et se traduisent respectivement en français par «maison», «institut»…Cela ne relève plus du hasard!

En effet, sur le plan linguistique, en consultant les livres d’apprentissage de la langue bretonne et les dictionnaires breton-français, de manière non exhaustive, sont notés de façon récurrente des mots et des phrases similaires ou semblables phonétiquement aux deux langues (cf. tableau ci-dessous).

Breton WolofGoude après-midi Goudi nuitGwelyou fête, danse en cercle Guewel ou guew griot ou danse en cercle

Gwir rewiirr lou wir vrai Lou weureu weureu weuur ou lou weir ra weir ra weir vrai de vrai, vérifié et prouvé

Dor rew casser le cul Dor kou rew taper un mal élevé

Ar baol, (la Baule), monticule de terre wa baol ou bawal, nom d’une région historique du Sénégal: monticule de terre

Glaw pluie Taw pluieWaat âge Aat ou haat âgeKentan choisir Tann ken ou tanna kena choisir un / eHirr cravache Hirr cravacheBara pain Mbourou pain

Par comparaison avec le tableau ci-dessus, des mots semblables avec des racines identiques dans la prononciation peuvent être de sens en français comme Glaw/ Taw et Waat / Aat.

D’une langue à l’autre, certains mots peuvent s’inverser pour évoquer la même idée Kentan/ Tann ken.

Des mots ou phrases identiques à 80%, peuvent signifier la même chose pour les deux communautés, c’est le cas en breton de la phrase Gwir rewiirr lou wir, ou des mots Gwelyou, Bara, Hirr.

Toutefois certains mots ou phrases presque identiques de sens différent peuvent évoquer une intention commune : Goude/Goudi renvoyant à la tombée de la nuit et Dor rew/ Dor kou rew donnant l’intention de vouloir corriger quelqu’un.

...entre les Bretonset les Lébous

Page 17: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

17

Institut Locarn - Chroniques pour demain - Printemps 2020

(suite)

accueil

Au-delà de la relation linguistique, beaucoup de mots se rapportent à la nature de la localité.

Sur le plan géographique, en parcourant le département de Dakar et du Morbihan (sud de la Bretagne), des similitudes territoriales sont relevées.

Figure 1 : localisation de Yoff et sa chapelle de la commune d’Ambon du Morbihan.

Ainsi, un lieu-dit historique du sud morbihannais près des communes d’Ambon et de Muzillac (cf. figure 1) et une communauté de villages mythiques du nord-ouest de Dakar portent tous les deux le même nom, Yoff. D’après des recherches documentaires et renseignements auprès de leurs historiens respectifs, ces deux localités furent fondées par des communautés de pêcheurs à la même période, entre le XIVe et XVe siècle. Le rapprochement des spécificités territoriales se prolonge également dans les cultures bretonnes et léboues.

En écoutant des chants traditionnels relatifs aux terroirs et quotidiens des deux communautés, la ressemblance des airs et modulations de paroles se fait vite percevoir. Ce qui est le cas en comparant les chants des sœurs GOADEC (chanteuses célèbres en Bretagne) et de Seck MBAO.

La similitude linguistique et territoriale entre ces deux groupes identitaires étonne plus d’un, mais qu’est ce qui explique ce phénomène ?

Ces deux langues sont multiséculaires et aucun élément durant leurs expatriations ne fait état d’une quelconque influence linguistique d’une communauté sur l’autre, même durant la colonisation européenne du Sénégal, de la Gambie et de la Mauritanie, pays de résidence des Lébous. Cependant, des informations tirées des chercheurs et des documents attestent que vis-à-vis des Perses, les relations furent conflictuelles pour les Lébous et relativement pacifiques pour les Bretons. Cela émet comme hypothèse que ces deux communautés ont résidé ensemble à une période donnée de leur histoire dans une même zone qui couvre la Perse, l’Ethiopie et l’Egypte, en tenant compte de l’évolution de leurs migrations.

Ce constat ouvre la voie à plusieurs perspectives de recherches. Quelles sont les pistes qui méritent d’être exploitées ?

Des Anciens des grandes associations culturelles bretonnes affirment qu’avant

...entre les Bretonset les Lébous

Page 18: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

18

Institut Locarn - Chroniques pour demain - Printemps 2020

(suite)

accueil

l’étape militaire de la colonisation française en Afrique, des missionnaires catholiques finistériens ont mené des études sur les wolofs plus particulièrement, la communauté léboue, suite à ce constat de similitude. Hélas aujourd’hui, les traces des résultats de ces études ont disparu. Néanmoins, en explorant la «littérature historique», des traits communs aux Lébous et aux Bretons sont notés dans leurs pratiques religieuses avant l’avènement du Christianisme et de l’Islam dans leurs territoires, d’où l’intérêt de lancer des analyses comparées sur leurs cultes anciens comme piste de recherche.

De surcroît, des travaux approfondis sur leurs anciens dialectes pourraient constituer une approche sérieuse dans la quête de leurs origines respectives.

Les liens identitaires entre ces deux peuples ne sont plus à démontrer. Des ressources intellectuelles et culturelles existent pour connaitre leurs évolutions historiques respectives. En outre, cela pourrait inaugurer de nouvelles perspectives de coopérations entre leurs territoires au-delà du cadre historique. Dakar et la Bretagne sont les régions les plus dynamiques de leur pays.

Alpha Oumar NDOYE Charge de mission en Développement Durable et Prospective. Scat-Urbam, G-Y, Dakar-Sénégal.

Le facteur H

Page 19: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

19

Institut Locarn - Chroniques pour demain - Printemps 2020

FUTUROLOGIE & PROSPECTIVE

accueil

L’industrie sucrière a longtemps été tournée vers la production de cet aliment nourrissant. Aujourd’hui, avec la fin des quotas, elle tente de trouver de

nouveaux débouchés et se diversifie dans la production d’emballages et de pneus. Histoire d’une industrie qui n’en finit pas d’innover.

La canne à sucre apparut en Asie puis fut transportée dans le monde arabe et en Europe. Néarque, compagnon d’Alexandre le Grand, présentait la canne comme un « roseau donnant du miel sans le concours des abeilles ».

De là, elle a gagné la zone atlantique à partir du 16e siècle dans les terres d’Amérique nouvellement exploitées, avec la première implantation de la canne en 1493 à Saint-Domingue. L’essor de la canne aux Antilles permit de transformer cette zone en îles à sucre bien utile pour les Européens qui trouvaient là de quoi supplanter le miel. Il devint un élément de conservation, au même titre que le sel, permettant ainsi de garder les fruits en faisant des confitures. Le 16e siècle regorge de traités de confitures, dont le plus célèbre est celui de Nostradamus. Il révolutionna l’alimentation, permettant de sucrer les plats et d’apporter une énergie bienvenue à ses consommateurs.

Le sucre devint un élément majeur de l’économie, si bien que Louis XV, lors du traité de Paris, se contenta de conserver les îles à sucre des Antilles. De produit de luxe d’abord, le prix du sucre ne cessa de baisser ensuite, jusqu’à devenir aujourd’hui un produit de consommation courante.

En 1600, Olivier de Serres fut le premier à démontrer que l’on pouvait extraire du sucre à partir de la betterave. Il fallut pourtant attendre 1798 pour que l’Allemand Franz Karl Achard produise du sucre dans son usine de Silésie.

Une idée reprise dès 1806 par Napoléon puis par Chaptal qui contournèrent le blocus continental et donc la fin de l’approvisionnement en sucre de canne en développant le sucre de betterave. C’est ainsi que la Picardie supplanta les Antilles dans son rôle de production du sucre. Aujourd’hui, le marché européen compte cinq grandes entreprises sucrières. Trois allemandes : Pfeifer, Südzucker et Nordzucker et deux françaises : Tereos et Cristal Union, basées à Moussy-le-Vieux près de Roissy et à Villette-sur-Aube en Champagne. Ces deux françaises sont des entreprises mondiales dont le siège social n’est pas installé dans une métropole, mais proches de leurs zones de production et de transformation. C’est un cas rare dans l’économie française où les grandes

LE SUCRE : UNE ÉNERGIE POUR LA PUISSANCE

Jean-Batiste NOÉ

Page 20: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

20

Institut Locarn - Chroniques pour demain - Printemps 2020

(suite)

accueil

entreprises ont généralement leur siège à Paris ou à La Défense. Mais situé à quelques minutes de l’aéroport Charles-de-Gaulle, le siège de Tereos est à proximité d’un lieu d’échange mondial.

Tereos, qui commercialise notamment la marque Beghin-Say, est une coopérative regroupant les producteurs de betteraves sucrières. Il a anticipé la fin des quotas prévus de longue date par l’Union Européenne en accroissant sa productivité et en diversifiant sa production. Ce n’est plus aujourd’hui uniquement une entreprise sucrière, mais une entreprise de transformation agricole, réussissant ainsi le passage délicat de l’innovation de rupture.

Tereos a en effet développé ses activités dans la transformation de l’amidon, produisant ainsi du papier à base d’amidon qui sert pour les emballages, notamment le carton, ainsi que des produits sucrants utilisés comme excipients et utilisés aussi bien dans la pharmacie que dans la cosmétique. Le sucre de betterave est également utilisé pour produire du bio-butadiène qui sert à la production de pneumatique grâce à un partenariat avec Michelin. Enfin, la production de bioéthanol permet d’alimenter les moteurs en nouvelles sources d’énergie.

Depuis la fin des quotas européens, le secteur du sucre connaît une concurrence plus rude qui a causé la fermeture de plusieurs raffineries et conduit à la transformation de l’ensemble de la chaîne sucrière française.

Tereos est ainsi en train de changer de métier, passant de sucrier à transformateur de produits végétaux. Cartons, carburants, pneus, aliments pour bétail, enrobage de médicaments, la betterave montre des possibilités insoupçonnées. Par ses atouts, le sucre demeure un élément structurant de l’industrie française.

Jean-Baptiste NoéConflits n°24 www.revueconflits.com Novembre-Décembre 2019

LE SUCRE : UNE ÉNERGIE POUR LA PUISSANCE

Page 21: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

21LECTURES & BIBLIOGRAPHIE

Institut Locarn - Chroniques pour demain - Printemps 2020 accueil

«

L’exploration des territoires glacés, Arctique, Antarctique, a fasciné l’homme avide de découvrir des territoires encore vierges. La rudesse de l’environnement a mis à l’épreuve la ténacité et le courage des aventuriers.

Des bactéries de l’extrême peuvent vivre à 2°c dans des lacs d’eau liquide, en présence de forte concentration de sel (200 g/l – Nota = 40 g/l dans les mers), et sous forte pression (300 atmosphères). La situation est identique dans le pergélisol de Sibérie : des graines de

silène peuvent donner des fleurs après 30 000 ans ; des bactéries viables ont été isolées d’un sol à -10°c datant de 500 000 ans. Toutes ces bactéries ont un rôle important dans l’effet de serre. Dans l’Antarctique, 21 000 pétagrammes (2115 g) de carbone sont enfouis. Les enzymes ont su modifier leur structure et obtenir une certaine souplesse pour rester actives. La découverte de ces bactéries installées dans des conditions de vie extrêmes a rendu plus crédible la recherche d’une vie hors de la Terre, y compris dans des comètes.

Yvon MICHEL-BRIAND,

Les bactéries du froid

L’Harmattan 2018

200 pages

Le livre est un peu confus, et pour dire simplement pas très bien écrit. Il y a des exposés qui arrivent brutalement sans que le lecteur ait été prévenu. Bref, voyons ce qu’il faut retenir de ces découvertes majeures.

Toutes les cellules, dans une sau-mure riche en métaux dissous et autres composés, sont des chimio-litho-auto-trophes dont l’activité métabolique se manifeste très lentement à lasse température ; le temps de doublement atteindrait près de 120 ans.

Le chapitre-3 développe les condi-tions évoquées « La vie des bactéries au basse température ».

Un des principaux mécanismes d’adaptation au froid est la restaura-tion de la flexibilité de la membrane en modifiant son principal constituant, les lipides.

La bactérie se protège en s’en-tourant d’un écran protecteur : les exo-polysaccharides.

Les travaux exceptionnels de Barbara McClintock (1902-1992), prix Nobel de médecine en 1983, sont par-ticulièrement recensés, notamment

toutes ses découvertes sur la souplesse d’évolution du génome.

La découverte d’organismes qui se sont installés dans des environne-ments extrêmes, milieux que l’on pen-sait inaptes à toute existence, a rendu plus crédible la recherche d’une vie en dehors de la Terre, dans le système de Sol, pour commencer, puis vers les plusieurs milliers d’exoplanètes décou-vertes depuis 1995. Dans les comètes, seize composés de masse moléculaire élevée contenant de l’azote ont été détectés, y compris, ce qui est très nouveau, de l’oxygène. L’hypothèse retenue n’est pas que ces composants furent fabriqués in situ, mais en ense-mençant la comète dans le milieu interstellaire, dans des conditions idoines.

L’autre versant est expliqué par le vertige créé par les séquences d’ADN débitées mécaniquement. L’Homme peut se dire « Pourquoi m’obstiner à chercher la vie, alors que je peux créer la vie ». C’est une autre histoire…

PhS

«

Page 22: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

22LECTURES & BIBLIOGRAPHIE

Institut Locarn - Chroniques pour demain - Printemps 2020 accueil

«

« Ils s’appellent Charlotte, Gaëlle ou Julien. Ils vivent dans un village de l’Allier, à Cerbère, sur la côte Vermeille, où à Neufchâteau dans les Vosges. Ils sont jeunes, compétents, et cherchent aujourd’hui leur voie professionnelle. Le champ des possibles devrait leur être grand ouvert. Pourtant, leur horizon est largement bouché. Parce qu’ils grandissent loin des centres de décisions, à l’écart des flux économiques, parce qu’ils résident au cœur de petites villes, dans des zones pavillonnaires, des villages ou des espaces ruraux, 60 % de nos jeunes n’ont pas les mêmes chances de réaliser leur potentiel que leurs camarades des grandes métropoles. Ces millions de Français, absents du débat public et dispersés sur tout le territoire, ont un point commun : le parcours d’obstacles qui s’impose à eux. Autocensure, manque d’informations, assignation à résidence, fragilité économique, absence de réseaux, fragilité digitale… Ils cumulent les difficultés et, pire, se sentent ignorés. Hors radar.

Salomé BERLIOUX & Ekki MAILLARD

Les invisibles de la République

R. Laffont 2019 – 210 Pages

Livre remarquable !Là où les acteurs de terrain, les en-

treprises, les professeurs et les rectorats ont apporté un soutien enthousiaste aux initiatives [de l’association Chemins d’Avenir], plusieurs des interlocuteurs de la sphère politique et administrative parisienne ont cherché à en nier la réa-lité. Ils ont cherché à en minimiser la spécificité, voire – réaction plus perverse – à l’opposer à celle des jeunes des ban-lieues. Tout est dit.

Suit le témoignage de Gaëlle.

L’INSEE signale que 95 % de la popu-lation vit sous influence urbaine. Mais de quelles villes s’agit-il ? Quels sont les points communs entre le centre-ville de Trélissac, six mille habitants en Dordogne, et celui de La Rochelle en Charente-Maritime, ou encore celui de Marseille ? La vie des jeunes dans des petites villes ou des villages ne ressemble en rien à la vie de ceux des métropoles ou des préfectures régio-nales. C’est sans doute là une différence fondamentale entre le quotidien d’un jeune de banlieue et celui d’un jeune de la France périphérique. Bien que faibles, socialement et économiquement, les banlieues des grandes métropoles sont, par définition, à proximité des centres mondialisés.

Ne pas traiter les conséquences de

ces grandes fragilités économiques et sociales sur les jeunes, c’est prendre le risque de voir s’accroître les fractures entre les Français ; c’est renforcer en eux un sentiment d’infériorité qui nourrit leur autocensure. Au 1er trimestre 2017, le taux de pauvreté en France était de 13 %. Le taux de chômage à moins de 10 %. A Lunel, commune de 25 000 habitants dans l’Hérault, le taux de pauvreté était de 25,8 % et le taux de chômage de 20,9 %. A Brignoles, dans le Var, 6 600 habi-tants, ces chiffres s’élevaient à 19,8 % et 23 %. A Luxeuil-les-Bains (Haute-Saône), 6 600 habitants : respectivement 20,8 % et 23,4 %...

Benoît Coquard (Université Poitiers) : « Plus que le jeunes, ce sont les classes populaires rurales dans leur ensemble qui sont parlées par un nouveau discours politique et médiatique sur une France des oubliés. Ces jeunes sont pris entre deux feux : d’un côté, mépris et stigmati-sation ; de l’autre discours emphatique, sur fonds d’accents populistes, procla-mant la ruralité comme l’incarnation du vrai peuple. »

Dans une République égalitaire, une et indivisible, la question se pose : Faut-il fixer un objectif d’égalité des chances entre les territoires, sachant que cela implique de fortes réallocations

Page 23: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

23LECTURES & BIBLIOGRAPHIE

Institut Locarn - Chroniques pour demain - Printemps 2020 accueil

de ressources des territoires favori-sés vers des territoires défavorisés ? Par exemple, réallouer les dépenses d’éducation en fonction inverse des ré-sultats scolaires ? Faut-il, au contraire, conservée une approche fondée sur une égalité de services ? Et dans ce cas, favoriser la mobilité des géogra-phique individus vers les zones favori-sées sur le plan de la réussite éduca-tive ? Le futur de millions de jeunes délaissés est en cause.

Le Chapitre-8 « S’il suffisait de surfer sur L’Internet » porte bien son nom. Il y a déjà des soucis de connexion dans des zones faiblement dotées, voire dans les zones blanches. Mais, de plus, croire – ou laisser croire – en des vertus technologiques qui au-raient le pouvoir d’abolir les distances et d’égaliser les connaissances évite de regarder la réalité en face ; et per-met de minimiser les effets de l’auto-censure, des croyances limitantes et du sentiment de relégation.

[NOTA : En Suède, depuis 2000 (Oui, 2000), le HD (50 Mbit/s – Norme ISO) est disponible partout + THD (100 Mbits/s) dans les grandes agglomérations.]

Les jeunes de la France périphé-rique demeurent les grands oubliés des dispositifs d’égalité des chances. Or, le coût social, économique et politique de cet état de fait est colossal pour le Pays. Sans parler des conséquences en matière de cohésion nationale.

Il existe aujourd’hui un frémis-sement. Une prise de conscience plus nette des enjeux de ces territoires et du fait que la question sociale est aussi territoriale. Nous devons collec-tivement changer notre regard sur cette France qui abrite la majeure par-tie de notre jeunesse. Cela implique surtout de croire dans le potentiel de ces jeunes et de se convaincre que les territoires périphériques regorgent de jeunes talents et motivés à qui on coupe aujourd’hui les ailes.

Le parrainage, tutorat ou men-torat, peu importe son nom, est un dispositif à l’efficacité éprouvée, consi-déré comme l’un des leviers d’ascen-sion sociale les plus puissants. Formel ou informel, régulier ou plus distant, le mentor accompagne, défie et offre un regard bienveillant, allant parfois jusqu’au rôle de modèle. Il possède ce regard extérieur, sans paterna-lisme, qui donne confiance et tire vers

le haut. Nous retrouvons ici le carré magique : informer, accompagner, responsabiliser et promouvoir.

Dans le Chapitre-14 « Une poli-tique pour les invisibles », les auteurs mettent l’accent sur le rôle éminent de l’Etat central, tout en envisageant des délégations plus accrues de moyens, de compétences… et de responsabili-tés des acteurs locaux, à rebours de ce qui se fait de nos jours.

À comparer avec les sujets traités au plus près des problèmes dans la plu-part des Etats de l’Union Européenne.

Renvois :

§ LE BRETON Eric, Mobilité et socié-té dispersée (Approche sociologique), Chroniques N°03. § TIBERJ Vincent, Les citoyens qui

viennent, Chroniques N°05.

§ DUPIN Eric, Enquête sur la France identitaire, Chroniques N°06.§ BROUSSE Sylvain, Manifeste

pour la République des communes, Chroniques N°07. § CHAMPETIER de Ribes V., Demain,

tous Estoniens ? – Chroniques N°12.

LF

Complément à la note de lecture Trois « régions » de la France Métropolitaine

Ile de France (Départements 75, 77, 78, 91, 92, 93, 94, 95) 12 000 km2 : 2,2 % de la surface de la France 11 700 000 habitants : 18 % de la population de la France métropolitaine (65 Mhab) 5 924 000 emplois salariés et publics au premier semestre 2019 23 % des emplois salariés français en Ile de France : 50 % de la population totale.

Limousin Composée des départements 19, 23, 87. 17 000 km2 : 3,1 % de la surface de la France 740 000 habitants : 1,13 % de la population de la France métropolitaine Emplois salariés : 280 000 / 37,8 % de la population totale.

Bretagne Composée des départements 22, 29, 35, 44, 56. 35 000 km2 : 6,3 % de la surface de la France 4 700 000 habitants : 7,2 % de la population de la France métropolitaine Emplois salariés : 1 850 000 / 39 % de la population totale.

Page 24: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

24LECTURES & BIBLIOGRAPHIE

Institut Locarn - Chroniques pour demain - Printemps 2020 accueil

«

« Siegfried Hanhart s’adresse ici, en premier lieu, aux professionnels de l’éducation afin qu’ils prennent en compte les enjeux économiques liés à l’éducation. Sachant que les demandes en éducation initiale et continue ne cessent d’augmenter, il souhaite attirer leur attention sur la nécessité de comprendre l’utilité de la mesure de l’efficience et de l’efficacité des systèmes de formation mis en place. Dans une étude comparative s’inspirant principalement des résultats de la recherche et des analyses de l’OCDE, il explicite en prenant souvent pour appui la situation en Confédération Helvétique, le pays où il vit, les mécanismes et les modalités de fonctionnement envisageables.

Siegfried HANHART

Les enjeux économiques liés à l’éducation

L’Harmattan 2019

190 pages

L’éducation satisfait à la fois des besoins individuels et de société (la croissance économique par exemple). Dès le 18e siècle, Adam Smith abor-dait la question de l’investissement consenti à titre personnel, en postu-lant une liaison entre les dépenses en éducation et le futur salaire de l’indi-vidu. Il faudra toutefois attendre la seconde moitié du 20e siècle pour as-sister à la formalisation de la relation entre les dépenses en éducation et la croissance économique.

Le présent livre considère les dépenses en éducation en tant qu’in-vestissements privés et sociaux et ré-pond par l’affirmative à la question : « L’éducation est-elle une activité économiquement analysable ? ». Ce constat est d’autant plus utile que les Etats consacrent à ce secteur la plus grande partie de leurs ressources budgétaires.

Les facteurs de production sont traditionnellement regroupés en trois catégories. Concernant l’éducation, les ressources naturelles intervien-dront lors du choix d’implantation

d’une école afin de remédier aux dis-parités territoriales, le capital peut se résumer à l’investissement consenti pour le bien-être d’une communauté et le travail humain renvoie à la ques-tion des compétences requises pour occuper un emploi.

La structure du travail a énormé-ment évolué au cours des dernières années. Ainsi, par exemple, le pour-centage des diplômés de l’enseigne-ment supérieur a presque doublé en Suisse entre 1996 et 2016, alors que la proportion des personnes n’ayant suivi que la scolarité obligatoire a diminué de 25 %.

Dans l’approche libérale du fonc-tionnement du marché du travail, le chômage résulte d’un coût du travail trop élevé en regard de la producti-vité de l’individu. Dans les pays du Nord, pendant les années 1970 et 1980, cette approche a légitimé dans une large mesure la forte croissance des dépenses publiques d’éducation : le chômage touche plus fortement les personnes présentant un faible degré de formation, par conséquent,

Page 25: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

25LECTURES & BIBLIOGRAPHIE

Institut Locarn - Chroniques pour demain - Printemps 2020 accueil

l’élévation du niveau de formation doit réduire le risque de chômage.

La théorie du capital humain, quant à elle, mesure l’apport de l’éducation à la croissance écono-mique (approche macro-écono-mique) et son impact sur les salaires (approche micro-économique). Dans la théorie du capital humain, la défi-nition de l’éducation englobe les dimensions formelles, informelles et non formelles. On peut ainsi consi-dérer que l’éducation a contribué à raison de 42,2 % à la croissance du PNB des États-Unis entre 1929 et 1957 !

Les années 1980 et 1990 ont été marquées par le renouvellement des théories de la croissance. Tous les modèles mettent en évidence le be-soin d’une population bien formée pour générer de la croissance éco-nomique. L’enseignement supérieur mais aussi la formation profession-nelle, jouent un rôle déterminant.

Le développement du capital hu-main est souvent mesuré par l’évo-lution du niveau de formation de la population d’un pays donné mais ces données ne renseignent pas sur l’évolution de la qualité du capital humain, facteur déterminant les capacités d’un pays à innover.

Chaque individu dispose d’un capital personnel constitué à partir de son éducation. Ce capital person-nel à l’instar d’un capital physique, s’use (obsolescence des connais-sances) mais il peut aussi augmen-ter, lorsque l’individu investit dans sa formation, ce qui entraîne une variation de sa productivité et une différence de revenus. Il est alors possible d’établir un modèle de for-malisation des gains réalisés. Dans les pays de l’OCDE les diplômés de l’enseignement supérieur (titu-

laires d’un Master ou d’un docto-rat) gagnent près de deux fois plus que les diplômés de l’enseignement secondaire, mais seulement 20 % de plus s’il s’agit d’une formation de cycle court et 48 % de plus s’ils ont opté pour une licence. Il est à noter qu’un différentiel salarial persiste entre les sexes. On comprendra aisé-ment que la théorie du capital hu-main dans son approche micro-éco-nomique a débouché sur un modèle de demande d’éducation.

Le chapitre suivant est consacré à l’analyse des dépenses en éduca-tion d’une part dans une perspective macro-économique, de l’autre dans une perspective micro-économique. Dans les deux cas, il s’agit de don-nées à mettre à la disposition de tous les acteurs et tous les utilisateurs de l’école, afin qu’ils perçoivent la né-cessité de rendre compte d’un finan-cement public des établissements d’enseignement, qui, dans le pri-maire et secondaire s’élève à plus de 90 %. L’exemple de la Confédération Helvétique avec une répartition de la responsabilité entre la confédé-ration, les cantons et les communes est très instructif.

Ces connaissances permettent ensuite une autre approche de la ges-tion des administrations publiques, qui mènent à une transformation de la culture administrative, où la « re-lation orientée client », le « leader-ship », les « coûts et performances », des valeurs empruntées au secteur privé, prennent tout leur sens.

L’utilité du calcul de coûts en éducation apparaît très vite car il est fréquent d’omettre des coûts impli-cites et par conséquent de sous-es-timer les coûts réels. Une analyse exhaustive des coûts s’impose, qui

devrait permettre des économies d’échelle. Il n’est pas concevable d’élaborer des politiques éducatives fondées uniquement sur des ana-lyses de coûts mais il serait hasar-deux de prendre des décisions sans une estimation préalable de leurs coûts et par la suite un contrôle de leur évolution.

Selon l’auteur, l’efficacité d’un système éducatif peut être assimilée à la mesure de la réalisation d’un ob-jectif et l’efficience au rapport entre les résultats atteints et les moyens mis en œuvre. Dès les années 1990, les économistes de l’éducation ont mené des recherches dans une pers-pective pluridisciplinaire. L’efficacité interne est mesurée par des critères quantitatifs et qualitatifs, à la fois internes au système et externes au système. L’efficience correspond à la relation entre un niveau d’efficacité donné et les ressources mobilisées, soit une efficience technique, une efficience allocative ou de prix, une efficience économique. Un exemple de mesure qualitative de l’efficacité interne des systèmes éducatifs : les résultats obtenus en culture scien-tifique aux épreuves de PISA. Les tests portent sur trois catégories de compétences : l’explication des phé-nomènes de manière scientifique, l’évaluation et la conception des investigations scientifiques, l’inter-prétation des données et des faits de manière scientifique. Mesurer l’efficience du système éducatif concerné induit la question des res-sources mobilisées et de leur impact sur les performances. L’enquête de l’OCDE sur les épreuves de PISA 2015 montre qu’à dépenses égales, quatre pays font mieux en sciences que la France.

Page 26: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

26LECTURES & BIBLIOGRAPHIE

Institut Locarn - Chroniques pour demain - Printemps 2020 accueil

En matière de retour sur investis-sement de l’éducation, l’équation de Mincer, un pionnier en la matière, met en relation le logarithme du salaire d’un individu avec le nombre d’années d’études et le nombre d’années d’expériences. Une autre approche par le taux de rendement interne (TRI) permet la détermina-tion d’un taux de rendement privé, public, voire social. Le TRI privé tien-dra compte du manque à gagner assumé par l’individu en formation, le TRI public mesurera l’impact sur les finances publiques des choix des individus et l’effet des différentes politiques sur leurs investissements dans l’éducation. Le TRI social pren-dra en considération l’ensemble des coûts éducatifs. De manière géné-rale, les TRI sociaux sont sous-éva-lués ; c’est ainsi que les indicateurs de l’OCDE sur les retombées sociales de l’éducation n’ont pas été repu-bliés depuis 2009. Ces mesures n’ont pas pour but d’établir des palmarès des systèmes éducatifs mais d’ana-lyser les facteurs endogènes et exo-gènes qui influent sur l’efficience et l’efficacité des systèmes éducatifs, afin d’améliorer leur fonctionne-ment et leurs résultats.

Une question essentielle : quels sont les fondements économiques et les limites de l’engagement des pouvoirs publics dans la fourniture et dans le financement des ser-vices éducatifs ? Confier à l’État le financement n’induit pas nécessai-rement de le rendre prestataire des services éducatifs. La prédominance d’une offre publique d’enseigne-ment conduit à des inefficiences, car les prestataires d’enseignement ne sont pas incités à produire et à offrir des services aux prix les plus bas ; d’autre part, une offre de ser-vices en situation quasi monopolis-tique ne tiendra pas nécessairement compte des usagers. Un finance-ment public orienté exclusivement vers la demande pourrait favoriser le développement des marchés de l’enseignement, le plus connu étant le chèque éducation. L’introduction du chèque éducation pourrait stimu-ler la demande et l’offre de services éducatifs. D’inspiration néolibérale, il est associé à l’idée de budget édu-catif individualisé, lancé par Milton Friedman en 1962.

En conclusion, le rôle de l’État évolue. Il demeurera un prestataire et un financeur majeur de l’éduca-tion mais il devra avant tout régu-ler les marchés de l’éducation afin de renforcer l’équité d’accès à la formation.

Renvois :

§ BERTELOOT Bernard, Un capital (réponse à Marx) – Chroniques N°08.

§ CHAMPETIER de Ribes V, Demain, tous Estoniens ? – Chroniques N°12.§ PSYCHIARIS Yannis, Localisation et

inégalités des revenus – Chroniques N°13.

NG

Page 27: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

27LECTURES & BIBLIOGRAPHIE

Institut Locarn - Chroniques pour demain - Printemps 2020 accueil

«

« « France périphérique », « centres-villes en déshérence », « déserts médicaux » … Ces expressions font florès, témoignant d’un fait nouveau : la géographie s’est invitée dans le débat public et renouvelle le questionnement central en démocratie, sur la justice.

A partir d’enquêtes faites auprès de citoyens européens, ce livre explore les enjeux de la justice tels qu’ils se posent spatialement : doit-on répartir les services publics (éducation, santé …) en fonction du nombre d’individus ou de kilomètres carrés ? Que signifie concrètement l’égalité des territoires ? Comment découper les villes et les régions pour qu’elles apportent davantage de justice ?

Ce livre ambitieux démonte bien des idées reçues sur le prétendu abandon des territoires périurbains et la redistribution de l’argent public ou sur le rôle des « bobos » dans la mixité sociale. Il ouvre aussi un nouveau champ, celui de la géographie de la justice. En répondant à la question « Qu’est-ce qu’un espace juste ? », il revisite les conceptions de la justice en débat dans le monde, d’Aristote à John Rawls et Amartya Sen. Enfin, il pose un principe fondamental : la définition du juste ne se décrète pas, c’est aux citoyens d’en délibérer.

Jacques LEVY, Jean-Nicolas FAUCHILLE, Ana POVOAS

Théorie de la justice spatiale. Géographie du juste et de l’injuste

Odile Jacob 2018 – 330 pages

Prenant appui sur trois enquêtes réalisées dans trois pays européens – Suisse, Portugal, France – ainsi que sur le projet d’Atlas politique de la France, cet ouvrage est le ré-sultat de huit années d’études qui ont confirmées l’hypothèse selon laquelle les individus ‘’en tant qu’ac-teurs de leur vie, … poursuivent des fins qui leur sont personnelles, et … sont aussi acteurs de la société qu’ils souhaitent et de la place qu’ils veulent y occuper.’’ Par exemple, les attentes des périurbains et des infra-urbains en matière de présence hospitalière illustrent bien cette cohérence entre le choix d’habiter hors du centre-ville et l’acceptation de ne pas avoir le même niveau de couverture médicale que les cita-dins. Cette attitude est confirmée par leurs votes, ‘’leurs lieux de rési-dences et leurs types de mobilités sont étroitement corrélés à l’espace

qu’ils considéreraient comme juste… les spatialités disent beaucoup plus du politique que ce qu’une longue tradition aspatiale dans les sciences sociales pourrait laisser penser.’’ Selon que vous serez allophiles ou allophobes vous obtiendrez et vivrez d’un côté dans une ville compacte ou au contraire de l’autre dans un étalement fragmenté.

Les riches allophiles dits« bo-bos » créent un contexte favorable à la mixité sociale. ‘’Ceux-ci appar-tiennent à la « classe créative », qui comprend aussi des paubos (pauvres bohèmes) prêts à dépenser une par-tie importante de leurs revenus pour résider au centre des grandes villes. Ces habitants ont pour caractéris-tique un usage intensif du numé-rique, des talents créatifs et un fort intérêt pour l’altérité, accompagné par une bienveillance à la différence.

Page 28: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

28LECTURES & BIBLIOGRAPHIE

Institut Locarn - Chroniques pour demain - Printemps 2020 accueil

Tout cela les incite à profiter de l’ur-banité, notamment par le biais de la sérendipité … et de l’accès facile aux biens culturels et symboliques dont ils se nourrissent et par lesquels passe leur productivité.’’

L’Atlas politique de la France montre d’ailleurs que les centres villes votent plutôt pro-européen et les zones périurbaines plutôt FN. Qu’est-ce qui caractérise les zones urbaines ? L’urbanité comporte deux composantes : la densité et la diversité, ce qui facilite l’innovation et la productivité ; et qui permet à l’Etat de mettre en œuvre des ser-vices moins onéreux car leur distri-bution est plus aisée.

L’étude conduite dans la région de Porto permet de préciser la no-tion de justice spatiale. Un projet européen d’assistance économique et financière devait permettre le regroupement administratif d’une partie des freguesias en tenant compte de la densité de la popu-lation. Mais plus de 65% des com-munes ont refusé de participer à ce processus. La raison : « l’amour du pays natal », ou « être d’un lieu ».

Où réside le problème ? Ce lieu peut ne pas être un espace poli-tique. C’est-à-dire ne pas avoir la taille suffisante pour être auto-nome. Pas d’autonomie en matière de marché du logement, de bassin d’emploi et de formation, d’offre commerciale ou de mobilité. La densité de ses habitants est insuffi-sante pour permettre cela. Si bien que ces lieux situés loin des grandes villes vont demander au nom de la lutte contre la « désertification »

des dotations en poste, écoles, mai-sons de santé, administration. Cela revient à se représenter l’espace comme une surface mesurable en kilomètres carrés. ‘’Or cela revient à nier la pertinence, pour définir ce qui est juste, de la densité d’habi-tants, du niveau économique des populations et de leur contribution à la productivité de la société dans son ensemble… Les citoyens de ces entités demandent des transferts de ressources du plus grand vers le plus petit, sans que ceux qui rendent possibles ces transferts par leur contribution fiscale aient leur mot à dire et sans que la solidarité soit vue comme temporaire. Il s’agit d’un flux politique unidirectionnel qui n’engage pas la responsabilité des bénéficiaires de la solidarité.’’

Attitude qui, pour les auteurs de l’ouvrage, contribue à dévelop-per les rivalités infralocales qui nuisent au projet de développe-ment d’échelle sociétale. La soli-darité concerne les humains plutôt que les superficies des territoires. La justice spatiale fait face à un conflit entre un désir de plus de li-berté et un désir mimétique d’entre soi. L’équité consiste donc plus, par exemple, à aider les jeunes à partir pour réussir leur vie et s’affranchir du destin de leurs parents qu’à développer localement des infras-tructures destinées à les maintenir dans des déserts économiques. Etre propriétaire, par transmission ou par acquisition, immobilise un actif majeur et réduit la liberté des choix. Il convient même, selon les auteurs, de lutter contre l’habitat isolé. La méconnaissance des autres pou-

vant produire des dommages réels dans la construction des individus.

Le commun s’oppose donc au public. Ce dernier rend possible la diversité des habitants, il est dis-ponible pour tous ceux qui veulent l’habiter, ‘’et qui l’habitant le fabrique’’. Il est donc un lieu poli-tique, la vie qui s’y déroule et s’y développe se combine avec le cadre politique plus général auquel ap-partient ce lieu.

L’urbanité est un bien public spa-tial qui conditionne de nombreuses autres productions en particulier celle relevant de la créativité. Le « surencombrement », s’il est bien géré, devient un avantage puisque la densité des villes contribue à leur productivité, à leur développement.

Ce choix de l’urbanité, inspiré de John Rawls sans lui être totalement fidèle, repose sur l’idée que l’urba-nisation n’est pas une injustice, elle est faite de densité et de diversité, ‘’elle profite à tous à condition d’être assumée et confortée’’. Les pouvoirs doivent donc favoriser l’urbanisa-tion et la mixité des populations.

Une politique de justice ne peut être développée si le décou-page des pouvoirs fragmente les espaces de vie. Un bon exemple de ce qu’il ne faut pas faire est donné par la France. La réforme régionale française de 2014-2015 cumule les erreurs : c’est une action top-down technocratique, qui repose sur des critères mécaniques de taille sans tenir compte des réalités subjec-tives et objectives du terrain ; les frontières ont été dessinées sans

Page 29: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

29LECTURES & BIBLIOGRAPHIE

Institut Locarn - Chroniques pour demain - Printemps 2020 accueil

que soit définies les compétences des régions, les missions que la so-ciété nationale leurs confies…

Une démarche bottom-up aurait

permis d’organiser les territoires selon deux niveaux : le local et le régional. ‘’Il faut partir du premier et faire émerger le second comme une constellation d’espace locaux’’. La justice territoriale est celle qui permet que des espaces pertinents puissent produire leur propre déve-loppement. Habiter est toujours co-habiter. La justice spatiale est celle qui permet l’équilibre en tension entre habitants et espace habité et entre les habitants eux-mêmes. Une tension entre la dynamique de développement et les valeurs d’éga-lité et de liberté et aussi entre des populations qui d’un côté pensent leur identité en phase avec l’évo-lution du monde et d’autres qui voient dans la stabilité ‘’un môle intangible, plus fort que toute idée de justice’’.

L’espace s’organise du local au régional, puis au national, puis au mondial. Si bien que la justice spa-tiale ne peut être que mondiale.

‘’La dimension mondiale de la justice appelle inéluctablement la construction du politique à l’échelle de la planète’’.

Un ouvrage très riche, où se trouve expliqué et justifié, les rai-sons de l’isolement du Centre Bretagne, qui faute d’une partici-pation suffisante au développement de l’économie nationale, euro-péenne, … n’a pas à attendre de so-lidarité, sauf éventuellement ponc-tuelle, sous la forme d’un « coup de pouce » pour concrétiser un projet de développement lui permettant d’atteindre un niveau d’autonomie suffisant pour devenir un décideur politique.

Mais cela semble, si l’on suit les auteurs de cet ouvrage, bien

improbable. Faute d’une urbanité suffisante en densité et diversité ni le développement ni la créativité ne seront au rendez-vous. L’avenir semble être celui, évoqué par une vieille affiche, d’une réserve indienne.

Renvois :

§ BROUSSE Sylvain, Manifeste pour la République des communes – Chroniques N°07 .

§ MATHIEU Nicole, Les relations villes-campagnes – Chroniques N°08.

§ CHAMPETIER de Ribes V. Demain, tous Estoniens ? – Chroniques N°12.

§ PSYCHIARIS Yannis, Localisation et inégalités de revenus – Chroniques N°13.

JP

Page 30: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

30LECTURES & BIBLIOGRAPHIE

Institut Locarn - Chroniques pour demain - Printemps 2020 accueil

«

« Si l’écologie est une science rigoureuse, l’écologisme est son contraire. C’est une idéologie de combat dressée contre l’économie de marché. Elle émerge au cours des années 1970 dans la mouvance de la gauche américaine. Les « nouvelles droites » s’y retrouvent également. Les milieux populaires la rejettent.

Son hégémonie médiatique est écrasante. Pourtant, aucune de ses prophéties catastrophiques ne s’est concrétisée. Au lieu des désastres annoncés et ressassés – famines, épuisement des ressources naturelles, disparition de la biodiversité, pénuries d’eau, … - l’humanité enregistre des progrès spectaculaires (même s’il reste encore beaucoup à faire).

Malgré les cinglants démentis que les faits leur opposent, les écologistes poursuivent inlassablement leur pastorale de la peur et multiplient les victoires politiques. Ces trophées sont, en dépit des apparences, autant de périls pour la planète.

Hyper-malthusianisme contemporain, l’écologisme ne voit d’autre solution pour « sauver » la planète que d’imposer la « décroissance productive » et la « frugalité heureuse ». Il récuse la croissance économique quand tout démontre qu’elle est la seule voie de salut. Les immenses réserves d’intelligence qui permettraient l’épanouissement de dix milliards d’individus risquent d’être pétrifiées. Est-ce vraiment l’Age d’or qui nous est promis ?

Bruno DURIEUX

Contre l’écologisme. Pour une croissance au service de l’environnement

Éditions de Fallois 2019 – 260 pages

Contre l’écologisme. Quel titre, mais quel titre. Voilà qui interpelle. On peut imaginer la surprise d’un chaland errant dans les allées d’une librairie avec un regard distrait et dis-tancié qui l’amènerait à lire par ata-visme une variante réflexe du titre « Contre l’écologie ». Et de s’exclamer : « comment diable peut-on être contre l’écologie ? Il lui faudrait alors se sai-sir du livre et le feuilleter quelque peu pour s’apercevoir qu’il n’est pas ques-tion d’écologie mais d’écologisme. Nuance d’importance.

Avant d’aller plus loin pour décou-vrir ce que sont l’écologisme et les méfaits potentiels de cette idéologie (car c’en est une manifestement), il convient de s’intéresser de près à l’auteur qui se définit lui-même

comme un environnementaliste éclai-ré. Force est de constater que Bruno Durieux connait son sujet. Quelles que soient ses activités personnelles, professionnelles ou politiques qu’il a exercées, il a toujours été préoccupé par les questions environnementales. Il a une vision réaliste de la nature, de ses relations avec son environne-ment, de l’importance de sa biodi-versité réelle (et non fantasmée) et de la nécessité de la préserver. Au vu de ses états de service, on ne saurait lui dénier ses compétences pour la protection de l’environnement. Au demeurant, il propose là un ouvrage bien documenté et synthétique ; cou-rageux également dans le contexte actuel où toute vérité n’est pas bonne à dire.

Page 31: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

31LECTURES & BIBLIOGRAPHIE

Institut Locarn - Chroniques pour demain - Printemps 2020 accueil

Écologie et écologisme ? Ecologues et écologistes ? De quoi s’agit-il ? Une première partie de l’ouvrage apporte des précisions sur ces différents termes.

L’écologie est d’abord une science ou plus exactement un corpus de sciences où se mêlent chimie, phy-sique, biologie, statistiques, géolo-gie, géographie, sociologie, ethnolo-gie, … Du fait de sa pluridisciplina-rité, c’est une science complexe car les éléments qui doivent être pris en compte dans les écosystèmes sont multifactoriels. Les mesures des grandeurs physiques caractérisant tel ou tel phénomène ou tel ou tel écosystème doivent faire l’objet de protocoles bien définis et qui font autorité. C’est une science, qui doit donc être étrangère aux pratiques, moyens et finalités de l’activité poli-tique. Ceux qui interviennent dans ce secteur d’études et de recherche sont des écologues.

Quant à l’écologisme, c’est d’une autre nature. Le principe fondateur serait le suivant : L’environnement est détruit par l’homme qui occupe une place démesurée dans la nature et cette potentialité de saccage et de destruction s’est amplifiée depuis la révolution industrielle et l’avène-ment du capitalisme. Il s’agit là d’un concept qui commence à apparaitre aux Etats-Unis et en Europe à la fin des années 1960 au sein de milieux sociaux relativement aisés influen-cés par le mouvement hippie et ce dans un climat général de contesta-tion sociale et sociétale. A noter une intéressante chronologie des évène-ments socio-économiques, média-tiques et politiques qui, de 1970

à nos jours, ont présidé à l’émer-

gence et au développement de ce mouvement.

On est loin ici de l’écologie scien-

tifique. De fait l’écologisme est qua-lifié par l’auteur « d’enfant adultérin non reconnu de l’écologie » ! C’est un système de pensée, une idéolo-gie politique, un militantisme qui se réclame d’une science. Cette appro-priation de la science se concrétise d’ailleurs dans la dénomination de mouvements et de partis baptisés écologiques. Du jamais vu ! On ne connait pas de partis astrophysicistes ou mathématicistes ! L’écologisme est une obédience politique qui se pare des couleurs de la science pour atteindre des objectifs bien identifiés illustrés par les propos de certains de ses plus chauds partisans (écolo-gistes de la mouvance deep ecology) : « l’écologie est la nouvelle ligne d’affrontement avec le capitalisme, l’écologie porte un projet global de société, le capitalisme entraîne la mort de la planète… »

Dans la même rubrique, on peut lire avec une certaine consternation la vision développée par H. Jonas, l’un des pères fondateurs de l’éco-logisme selon laquelle, les sociétés communistes seraient mieux placées que les démocraties occidentales pour traiter les problèmes écolo-giques ! Ici l’auteur met en exergue le caractère totalitaire de l’écolo-gisme. Considérant que l’être hu-main ne s’intéresse aux problèmes environnementaux qu’à partir du moment où il a satisfait l’ensemble de ses besoins matériels, il sera peut-être nécessaire à l’écologisme d’utili-ser la contrainte. D’où une nouvelle approche théorisée plus récemment

et adressée aux politiques : « Il faut, vu l’urgence, mettre en place des mesures concrètes, coercitives et im-populaires s’opposant aux libertés individuelles ».

Comme le constate l’auteur, : « L’écologiste, cet enfant gâté de la prospérité ».

On lira avec intérêt le parallèle établi par l’auteur entre l’écologisme et le mode de fonctionnement d’une nouvelle religion en termes d’organi-sation de son mode de fonctionne-ment et de promotion de ses théo-ries. Suit une remarquable analyse des causes de l’engouement du pu-blic (disons des fidèles) pour ce nou-vel évangile que l’auteur appelle une pastorale de la peur. Effectivement dans un monde où l’irrationnel le dispute à la méconnaissance scien-tifique, tous les thèmes à connota-tion inquiétante vont être privilégiés par un public biberonné aux réseaux sociaux et aux fake news. Il en est de même des médias, qui audimat aidant, vont avoir une prédilection pour mettre en avant la dimension catastrophiste d’une information. Enfin l’écologisme a su pénétrer remarquablement bien les milieux politiques.

Le thème étant porteur, il suffi-sait pour l’écologisme de surfer sur les attentes des élus en mal de réé-lection et de flatter l’électorat avec des projets appropriés.

Dans le chapitre suivant, l’auteur s’intéresse aux prévisions catastro-phiques véhiculées par l’écologisme depuis son émergence à la fin des années 1960 ; désastres divers et variés censés se concrétiser à court ou moyen terme (à 10 ou 20 ans) : famines, surpopulations, ressources

Page 32: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

32LECTURES & BIBLIOGRAPHIE

Institut Locarn - Chroniques pour demain - Printemps 2020 accueil

naturelles, qualité de l’eau et de l’air. Il s’agit là d’une étude très documen-tée du contexte dans lequel ces pré-visions ont été émises et des obser-vations effectuées sur la situation actuelle. Les conclusions sont sans appel : aucune des catastrophes annoncées n’a eu lieu et de manière plus générale, la qualité globale de l’environnement sur la planète s’est notablement améliorée. Est-ce un échec pour l’écologisme ? Que nenni. Quand bien même, face à cette réalité, certains écologistes concèdent une relative contrition, l’écologisme dogmatique rétorque que l’avènement de ces périls n’est qu’une question de temps (en gros, vous ne perdez rien pour attendre).

Les quelques pages consacrées au « Principe de Précaution » mé-ritent également le détour.

Ce concept né en 1979 sous l’appellation « Principe de responsa-bilité » est maintenant inscrit dans la Constitution de la République (article 5, Charte de l’environnement ; février 2005). Un cas unique au niveau international. En effet, seule la France a érigé ce concept à la hau-teur d’un mode de vie et malheur à ceux qui auraient des velléités de passer outre. Ils seraient rapidement stigmatisés et voués aux gémonies. On lira avec intérêt l’exégèse que l’auteur fait de ce texte et la descrip-tion des conséquences de son appli-cation à la lettre.

La mise en œuvre incontrôlée de ce principe aboutit à la négation de toute science, de toute technologie et de tout progrès. A ce titre, aucun

projet innovant, aussi bien étudié fût-il, ne pourrait être concrétisé au motif que, imagination et fiction aidant, il sera toujours possible de mettre en avant un risque potentiel, éventuel (en résumé : au cas où) pour l’environnement. Et l’auteur de conclure par cette formule lapidaire : l’application du principe de précau-tion revient à dire que l’Etat est tenu d’agir sur l’incertain et dans l’incer-tain pour éviter l’incertain. Dans une telle situation, il ne reste plus qu’à interdire. Et de s’interroger : pour-quoi avoir substitué au principe de prudence, qui donnait entière satis-faction, un dispositif d’annihilation de progrès tel que le principe de précaution.

Et maintenant, que fait-on pour terminer sur une note positive ?

C’est l’objet du dernier chapitre intitulé : « La croissance plutôt que l’écologisme pour la planète ». En préambule, l’auteur revient sur les périls et les catastrophes promis par les écologistes du début des années 1970 qui prévoyaient « la désinté-gration, dès 1990, des états-nations infestés par la croissance ». Rien ne s’est passé comme prévu. A l’in-verse, le PIB a été multiplié par 4 et la qualité de l’environnement s’est notablement améliorée. Pourquoi ? Il est clair que ce sont les progrès de la science et de la technologie qui ont permis d’éviter les désastres annoncés. Faisant référence à divers exemples, l’auteur développe l’idée que la croissance est indispensable à l’environnement.

Pour lui, si la prospérité éco-

nomique venait à disparaitre, les préoccupations écologiques passe-raient au 2ème plan et l’écologisme disparaitrait. Pas facile à admettre. Et pourtant. Face à cette situation, l’auteur convoque le médiatique N. Hulot qui reconnait : « certains ont pensé que la décroissance était une solution ; si le principe est imparable en théorie, les conséquences sociales immédiates seraient trop lourdes à supporter pour la société actuelle ». Et l’auteur de poursuivre : l’entre-prise n’a aucun intérêt à gaspiller les matières premières et à générer des déchets, c’est une question de coûts ; l’entreprise n’a aucun intérêt à pol-luer l’environnement, c’est encore une question de coûts et d’image de marque. Qualité de vie et qualité de l’environnement vont ainsi de pair.

Renvois :

§ BOUZOU Nicolas, L’innovation sauvera le monde – Chroniques N°02

§ COLLECTIF, Réponse à l’écologisme – Chroniques N°03.

§ SZYDLOWSKI Léa, Le végétal dans l’industrie chimique – Chroniques N°07.

§ OLIVEAU François-Xavier, Microcapitalisme (Nouveau pacte social) – Chroniques N°08.

§ GERVAIS François, L’urgence cli-matique est un leurre – Chroniques N°10.

AP

Page 33: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

33

Institut Locarn - Chroniques pour demain - Printemps 2020 accueil

Bibliographie & WEB

ENTHOVEN Raphaël Nouvelles morales provisoires L’observatoire

MUDDE Cas Brève introduction au populisme L’Aube

VIVIER Eric L’immunothérapie des cancers O. Jacob

TROM Danny La France sans les Juifs PUF

DEBRAY Régis L’Europe fantôme Gallimard

LEVY Jacques Théorie de la justice spatiale O. Jacob

ZUBOFF Shoshana The age of surveillance capitalism Public. Aff.

TANNENBERG V.L. Les fantassins de la lutte contre le réchauffement… Buchet-Ch.

HOCQUET Jean-Claude Le sel. De l’esclavage à la mondialisation CNRS

RAYNAUD Philippe La Laïcité. Histoire d’une singularité française Gallimard

SALIN Pascal Concurrence et liberté des échanges Libréchange

LANDZETTEL Marianne La fin de l’alimentation Vuibert

BOBROFF Julien Mon grand mécano quantique Flammarion

BUENO Antoine Permis de procréer A. Michel

BRICKER Darell Empty planet Crown

PRAIRAT Eirick Propos sur l’enseignement PUF

LEVITSKY Steven La mort des démocraties Calmann-Lévy

TAVOILLOT Pierre-Henri Comment gouverner un peuple-roi ? O. Jacob

POISSENOT Claude Sociologie de la lecture A. Colin

BAROIN Daniel La révolution des organisations Pearson

COLLIER Paul Immigration et multiculturalisme au 21e siècle L’Artilleur

PAVOUS Joël Dictionnaire insolite de la Hongrie Cosmopole

DOWEK Gilles Ce dont on ne peut parler, il faut l’écrire Le Pommier

REY-ROBERT Valérie Une culture du viol à la française Libertalia

Page 34: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

34

Institut Locarn - Chroniques pour demain - Printemps 2020 accueil

Bibliographie & WEBliens actifs

Références sites web

www.nododigordio.org Think tank italien

www.cheminsdavenir.fr éponyme La France des invisibles

MOUSSAID Mehdi Fouloscopie, ce que la foule dit de nous Humensciences

GRENOUILLEAU Olivier Nos petites patries Gallimard

LOWE Keith La peur et la liberté (La Guerre Mondiale) Perrin

BAUMAN Zygmunt Retrotopia P. Parallèle

UGEUX Georges La descente aux enfers de la finance O. Jacob

VELTZ Pierre La France des territoires. Défis et promesses L’Aube

DELALANDE Nicolas La lutte et l’entraide Seuil

GALBRAITH James K. Inégalité. Ce que chacun doit savoir… Seuil

BOUISSOU Jean-Marie Les leçons du Japon Fayard

KEMPF Olivier L’OTAN au 21e siècle Rocher

GODEMENT François La Chine à nos portes, une stratégie pour l’Europe O. Jacob

SIMONNET David Les 100 mots de l’entreprise PUF

KEPEL Gilles Sortir du chaos (Méditerranée et Moyen-Orient) Gallimard

BOCK-CÔTE Mathieu L’empire du politiquement correct Cerf

HAWKING Stephen Brèves réponses aux grandes questions O. Jacob

KAKU Michio L’avenir de l’Humanité De Boeck

MOSSUZ-LAVAU Janine La vie sexuelle en France Martinière

SAUSSOIS Jean-Michel Théorie des organisations Découverte

MANESSE Danièle Le féminin et le masculin dans la langue ESF

CREMIEUX Alain La guerre nucléaire à pile ou face L’Harmattan

Page 35: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

35

Institut Locarn - Chroniques pour demain / Vigie - Printemps 2020

accueil

Un signal faible peut être considéré comme insignifiant : n’apportant pas de signification immé-diate. Il l’est parfois. En revanche, contextualisé et relié à d’autres mou-vements, il porte en lui des futurs possibles. C’est le rôle d’une vigie.

Numéro 06

Avril 2020

Abonnement : voir en dernière page

Taol lagad war’n dazont

« Le problème n’est pas de se préparer pour éviter les surprises, mais de se préparer à être surpris. »

Todd LAPORTE

de l’Institut LocarnIGIE

TABAC

Une équipe américaine a augmenté de 40 % la bio-masse de cette plante modèle en améliorant la photo-synthèse.

La nature n’est pas toujours bien faite. Les orga-nismes photosynthétiques utilisent la lumière du soleil depuis des milliards d’années pour former les molé-cules carbonées dont ils ont besoin dépendant d’une enzyme Rubisco. Le sorgho, le maïs, la canne à sucre sont bien équipés ; le blé, le soja, la pomme de terre, le riz, le sont moins. D’où les expériences recensées.

Des essais sur la pomme de terre sont en cours. § Le Monde, Janvier 2019

Enzyme

Photosynthèse

MOTS CLÉMOTS CLÉ

Page 36: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

36

Institut Locarn - Chroniques pour demain / Vigie - Printemps 2020

MOTS CLÉ

accueil

ChineCentralisationnumérique

AutonomieParking, voiture

Produits chimiques

GénétiqueMaladies

DIRIGISMELe dirigisme, premier atout de la tech chinoise.C’est la stratégie du bulldozer contre l’orfèvrerie législative à l’eu-

ropéenne : ce cas illustre la conception particulière qu’ont les diri-geants chinois de l’innovation.

Dans l’Empire du Milieu, les questions soulevées par l’extension des technologies numériques ont été tranchées par le pouvoir qui poursuit un double objectif : resserrer sont emprise sur la société et bâtir une économie numérique d’avant-garde. Qui a raison ?

§ Le Monde, Janvier 2019

TRANSPORTSLes voitures autonomes menacent de bouder les parkings

(payants) et de créer des embouteillages inattendus.Lors des essais effectués, devant les prix prohibitifs des parkings

et de l’impossibilité de choisir le plus économique, les véhicules pré-fèrent tourner en rond.

Exemple : avec deux mille voitures dans ce cas à San Francisco, leurs mouvements feraient descendre la vitesse moyenne de circu-lation à moins de 3 km/h…

§ Les Échos, Mars 2019

RISQUES chimiquesQuel risque y-a-t-il à utiliser tel ou tel produit chimique ?La société Science Protect propose un service de réponse. Son

plus gros client est le groupe de distribution Intermarché.Étude à la demande ou bien accès la plateforme pour des tarifs de

10 000 à 30 000 Euros. § L’Usine nouvelle, Février 2019

CLONESDepuis la brebis Dolly, plus de vingt années ont passé. Le premier

être vivant de l’espèce animale à être issue d’un clonage génétique.Des chercheurs de l’institut de neurosciences de l’Académie des

sciences de Chine ont annoncé la naissance de cinq macaques cra-biers qui sont les clones d’un singe donneur, lui-même porteur d’une mutation génétique ; donc, double mutation.

Objectif : modéliser des pathologies humaines. § Le Monde, Janvier 2019.

Page 37: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

37

Institut Locarn - Chroniques pour demain / Vigie - Printemps 2020

MOTS CLÉ

accueil

Modes d’alimentation

MicromoteursProthèses

Algorithmes,Nanotechnologies

RESTAURATIONDans la restauration, le fast-food haut de gamme tire son épingle

du jeu.Le clivage constaté durant l’année 2018 s’est poursuivi, entre une

restauration rapide en forme, stimulée par sa montée en gamme et une déstructuration de l’alimentation des ménages – et une restau-ration à la table à la peine.

§ Les Échos, Février 2019.

MOTEUR électriqueDes moteurs électriques à hautes performances, miniatures et ro-

tatifs, connus sous le nom de micromoteurs, sont utilisés dans des prothèses de bras, des robots chirurgicaux, des accessoires médi-caux…

Le projet FlexCoil (MirmexCoil) de l’Union Européenne a pour objectif d’aider à la commercialisation d’une nouvelle génération de moteurs et de micromoteurs, plus faciles à fabriquer, plus efficaces, et offrant des performances supérieures.

§ Research-EU, Mars 2019.

MATHS et beautéL’intelligence artificielle et la réalité augmentée bousculent la

vente des cosmétiques. Les marques recrutent des spécialistes en algorithmes.

Tous se dotent d’incubateurs pour identifier les technologies qui bousculent les habitudes des consommateurs, tandis que plusieurs marques suggèrent de porter au quotidien des capteurs pour mesu-rer l’exposition d’un individu aux facteurs environnementaux.

Rappelons que les cosmétiques, notamment bio, utilisent beau-coup de nanoparticules (sic).

§ Le Monde, Mars 2019.

NANODes souris voient la nuit grâce à des nanoparticules.Fruit d’une collaboration entre l’Université du Massachusetts et

l’Académie des Sciences de Chine, l’expérience a permis de rendre sensibles à la lumière infrarouge les yeux de souris.

Les nanoparticules injectées étaient notamment constituées d’Yt-trium, d’Yterbium et d’Erbium. Métaux rares, au demeurant.

Une application chez l’homme serait possible. § Le Monde, Mars 2019.

NanotechnologiesVision

Page 38: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

38

Institut Locarn - Chroniques pour demain / Vigie - Printemps 2020

MOTS CLÉ

accueil

SpatialVoiture

ColleIndustries

FibresRésistanceRecyclage

TOYOTALa Jaxa – Agence spatiale japonaise – et le constructeur de voi-

tures Toyota envisagent de réaliser un véhicule lunaire.Conçu pour être habité et pressurisé (où la combinaison spatiale

ne serait pas requise), il serait entraîné par un moteur électrique à pile à combustible hydrogène, permettant de bénéficier d’une auto-nomie de plus de mille kilomètres.

§ AutoHebdo, Mars 2019.

ADHÉSIONLe décollement du ruban adhésif est décrypté.Plusieurs équipes françaises se passionnent pour le comporte-

ment des bandes autocollantes ; au point d’énoncer des « lois » au service des industriels.

Le décollement n’a donc rien de continu et s’apparente plus à des séries de mini-tremblements de terre, lors desquels, la colle craque en cascade. Un mauvais autocollant, au sens de l’adhésion forte, mais très bon a été mis au point ; il permet de comprendre les diffé-rents phénomènes physiques à l’œuvre.

§ Le Monde, Mars 2019.

LINTerre de Lin, producteur de lin et Dedienne, fabricant de pièces

techniques en plastique et composite, ont mis au point une gamme de composites à base de lin.

En Seine-Maritime et dans l’Eure, deux départements qui pro-duisent 50 % du lin de la Planète, on s’emploie à imaginer que les composites à base de lin pourraient être des fibres de renfort à l’ins-tar du carbone ou de la fibre de verre.

L’enjeu ultime est d’associer le lin à des résines thermoplastiques végétales. Celles-ci peuvent être élaborées à partir d’amidon de maïs ou d’huile de ricin. Les composés obtenus seraient totalement recy-clables.

§ Les Échos, Mars 2019.

TV & vidéo Netflix, Amazon Prime Vidéo, Hulu, comptent 615 millions

d’abonnés sur la Terre – ailleurs, on ne sait pas -. L’industrie audio-visuelle ne connaît pas la crise, avec un record de recettes de l’ordre de 100 G$ en 2018.

Page 39: IGIE · 2020-04-22 · risation de la société », l’ubérisation du travail ayant des conséquences désastreuses sur la vie d’une famille. Le constat de l’ubérisation serait

Images de couverture 123RF Graphisme É[email protected]

39

Institut Locarn - Chroniques pour demain / Vigie - Printemps 2020

MOTS CLÉ

accueil

39

MOTS CLÉ

accueil

Les services de vidéo à la demande seraient en train de prendre le pas sur les visualisations des programmes de télévision proprement dits. A noter que le pourvoyeur le plus rentable est le câble.

§ Les Échos, Mars 2019.

UVLa Roche-Posay et Apple lancent un capteur anti-UV.Est-ce ainsi qu’il faut nommer les choses « beauty tech » ? C’est en

tout cas ce qui apparait avec le lancement de My Skin Track UV, un capteur mesurant, non seulement l’exposition aux rayons solaires, mais aussi au pollen, à la pollution et à l’humidité.

La Roche-Posay est une marque du groupe L’Oréal dont le chiffre d’affaires est proche d’1 G€.

§ Les Échos, Mars 2019.

Audiovisuelfournisseurs.

ÉlectroniqueRayonnements.