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    ruditest un consortium interuniversitaire sans but lucratif compos de l'Universit de Montral, l'Universit Laval et l'Universit du Qubec

    Montral. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. ruditoffre des services d'dition numrique de documents

    scientifiques depuis 1998.

    Pour communiquer avec les responsables d'rudit : [email protected]

    Article

    Raymond Hudon, Christian Poirier et Stphanie YatesPolitique et Socits, vol. 27, n 3, 2008, p. 165-185.

    Pour citer cet article, utiliser l'information suivante :

    URI: http://id.erudit.org/iderudit/029851ar

    DOI: 10.7202/029851ar

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    Participation politique, expressions de la citoyennet et formes organises dengagement : la

    contribution des coalitions un renouvellement des conceptions et des pratiques

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    PARTICIPATION POLITIQUE, EXPRESSIONSDE LA CITOYENNET ET FORMES ORGANISESDENGAGEMENT

    LA CONTRIBUTION DES COALITIONS UN RENOUVELLEMENT DES CONCEPTIONSET DES PRATIQUES

    Raymond HudonDpartement de science politique, Universit Laval

    [email protected] Poirier

    INRS Urbanisation, Culture et [email protected]

    Stphanie YatesDpartement de science politique, Universit [email protected]

    Au vu du recul constant des taux de participation lectorale, depuisprs de deux dcennies, tant en France1 et aux tats-Unis2 quau Qubecet au Canada3LOVHPEOHWRXWjIDLWMXVWLpGHSDUOHUGXQHFULVHGH

    &HWDUWLFOHHVWLVVX GXQH UHFKHUFKHQDQFpHSDUOH&RQVHLOGH UHFKHUFKHV HQ

    sciences humaines du Canada : Coalitions et groupes dintrt au Canada.'\QDPLTXHVHQMHX[HWUHFRQJXUDWLRQVGHODFWLRQSROLWLTXH. Les auteurs veulentremercier Laurence Couture Gagnon et milie Foster de leur contribution au titredassistantes de recherche.

    1. Pascal Perrineau (dir.), 2003,Le dsenchantement dmocratique, La Tour DAigues,ditions de lAube. Bien que le taux de participation aux lections prsidentielles de2007 ait t particulirement lev, le taux dabstention llection lgislative a quant lui battu un record historique. (Stphane Jugnot, 2007, La participation lectoraleen 2007. La mmoire de 2002, Insee Premire, no 1169, dcembre, [http://www.insee.fr/fr/ffc/ipweb/ip1169/ip1169.html#inter2], consult le 29 mai 2008.

    2. Matthew A. Crenson et Benjamin Ginsberg, 2002,Downsizing Democracy. How

    America Sidelined Its Citizens and Privatized Its Public, Baltimore (MD) / London,The Johns Hopkins University Press.3. Centre de recherche et dinformation sur le Canada (CRIC), 2001,La participation

    lectorale au Canada: la dmocratie canadienne est-elle en crise?, Montral, Lescahiers du CRIC, [http://www.cric.ca], consult le 10 dcembre 2006. Les donnes

    Politique et Socits, vol. 27, no 3, 2008 165-185

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    la reprsentation4. Selon Robert D. Putnam5, ces tendances tmoignenten fait dun dsintrt lendroit des activits politiques partisanes et,plus globalement, de la politique. La diminution du nombre de membresde partis politiques6 constituerait un autre signe de dsengagement, quise grefferait un cart grandissant entre les besoins exprims par lescitoyens et loffre prsente par lentremise des structures partisanes7.Les citoyens canadiens portent ainsi un jugement svre sur la perfor-mance des partis: comme le rapportent Lisa Young et Joanna Everitt8,70% dentre eux estiment en effet que les groupes dintrt contribuentSOXVHIFDFHPHQWjODSURPRWLRQGHFKDQJHPHQWVSROLWLTXHV

    Si ce constat peut se rvler inquitant au regard de la thoriedmocratique, de nouvelles formes de participation, traduites en actionsnon rductibles lengagement des seuls individus, temprent cetteinquitude. Nous proposons dexaminer les conduites citoyennes souslangle de la mobilisation collective porte par des organisations quiont rputation ou prtention de reprsenter les vues et les intrtsde leurs membres. Nous sommes conscients doffrir un point de vuerelativement iconoclaste dans le cadre des tudes de la participationpolitique. Notre position peut mme apparatre paradoxale dans uncontexte o le rapport la politique sest par ailleurs grandement indivi-dualis. Marcel Gauchet9 rappelle juste titre que le sacre des droitsde lhomme et des droits individuels constitue un fait marquant desGHUQLqUHVGpFHQQLHVHQWUDvQDQWGDQVODIRXOpHXQHSURIRQGHGLIFXOWpjlaborer une perspective plus collective et politique du vivre-ensemble.En contrepartie, Lawrence M. Friedman10 est davis que lindividualisme

    compiles par lInternational Institute for Democracy and Electoral Assistance(IDEA) montrent des tendances similaires dans lensemble des rgimes de dmocratielibrale. ([http://www.idea.int/vt/index.cfm], consult le 3 dcembre 2007.)

    4. David K. Ryden, 1996,Representation in Crisis. The Constitution, Interest Groups,

    and Political Parties, Albany (NY), State University of New York Press.5. Robert D. Putnam, 1995, Bowling Alone: Americas Declining Social Capital,

    Journal of Democracy, vol. 6, no 1, p. 65-78. La thse est plus longuement dveloppedans Putnam, Robert, 2000,Bowling Alone. The Collapse and Revival of AmericanCommunity, Touchstone, New York.

    6. Susan E. Scarrow, 2000, Parties Without Members? Party Organization in a Chan-ging Electoral Environment, dans Parties Without Partisans. Political Changein Advanced Industrial Democracies, sous la dir. de Russell J. Dalton et Martin P.Wattenberg, New York / Oxford, Oxford University Press, p. 79-101.

    7. Russell J. Dalton et Martin P. Wattenberg (dir.), 2000, Parties Without Partisans.Political Change in Advanced Industrial Democracies, New York / Oxford, OxfordUniversity Press.

    8. Lisa Young et Joanna Everitt, 2004,Advocacy Groups, Vancouver (CB), Universityof British Columbia Press, The Canadian Democratic Audit, p. 4.

    9. Marcel Gauchet, 2002,La dmocratie contre elle-mme, Paris, ditions Gallimard.10. Lawrence M. Friedman, 1999, The Horizontal Society, New Haven (CT), Yale

    University Press.

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    WULRPSKDQWQHVLJQLHSDVQpFHVVDLUHPHQWXQHIIDFHPHQW WRWDOGXcollectif ; il peut donner lieu de nouvelles faons, plus personnalises,dtablir des relations avec les autres.

    Notre dmarche pose la question de la porte relle de la partici-pation, selon quon larticule autour des modles de la dmocratie11

    axs sur la reprsentation ou sur une participation qui engage direc-tement le citoyen. La dmocratie reprsentative apparat aujourdhuiremise en question par des revendications dune participation accrueaux discussions et aux dcisions qui bouleverse le fonctionnement desstructures politiques existantes. Dans une telle perspective, il importede mettre en lumire la grande diversit des formes dengagement,souvent cumulatives, et ainsi dviter de dcontextualiser12 , commecest trop souvent le cas, les expressions dune citoyennet rduite laseule dimension individuelle ou lectorale.

    Sur cet arrire-plan complexe, il ressort que la participation etlengagement en contexte dmocratique demeurent tout de mmevaloriss. Cest dans cette optique que nous voulons ici rendre comptede recherches exploratoires consacres une forme de mobilisation encroissance au Qubec, les coalitions. Incarnations dune pratique dereprsentation qui a rcemment connu une progression phnomnale

    11. C.B. Macpherson, 1985, Principes et limites de la dmocratie librale, Montral/Paris, Boral Express / La Dcouverte.

    12. Fred Constant, 2002,La citoyennet, Paris, Montchrestien.

    Rsum. Dans un contexte o les formes classiques de la dmocratiereprsentative apparaissent remises en question par des revendications duneparticipation accrue, nous examinons les conduites citoyennes sous langledengagements organiss. partir de rsultats prliminaires dune recherche

    consacre aux coalitions actives au Qubec et par rfrence des observationset des propositions thoriques rapportes dautres contextes, nous mettonsen lumire la diversit des formes de mobilisation et nous nous penchonsnotamment sur limportance croissante des coalitions comme forme dengage-ment. Articule la thorie de la survie organisationnelle, notre tude accrditepartiellement la thse dune instrumentalisation de lide de participationFLWR\HQQHDXSURWGHVRUJDQLVDWLRQV

    Abstract. In a context where classical forms of representative democ-racy are challenged by demands pressing for participation, it is relevant toconsider the citizens political involvement from the perspective of organizedpolitical action. Against the background of recent theoretical developmentsand empirical observations, we present the preliminary results of a researchRQFRDOLWLRQVLQ4XHEHF:HH[DPLQHUVWWKHJURZLQJLPSRUWDQFHRIFRDOL-tions and their main characteristics in comparison with other political forces.7KHQRXU DQDO\VLVERWKFRQUPVDQGTXDOLHVVRPHPDMRULQVLJKWVGHULYHG

    from the survival theory, an approach which stresses the idea of participationEHLQJWXUQHGLQWRDEHQHWIRURUJDQL]DWLRQV

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    dans divers contextes13, les coalitions sont aujourdhui devenues desacteurs politiques incontournables. Le phnomne transcende les fron-tires habituelles entre la gauche et la droite aussi bien que lesactions plus ou moins autonomes de groupes dintrt; il en rsulteune appropriation partielle des oprations dagrgation des intrtstraditionnellement effectues par les partis politiques. Pour le citoyen,les coalitions constituent un vecteur de participation plus immdiate etdirecte la chose publique . Cependant, lexpression de cette volontGHQJDJHPHQWSHXWrWUHPLVHjSURWSDUOHVRUJDQLVDWLRQVHOOHVPrPHVtoujours en qute de lgitimit. De ce point de vue, en nous servantdobservations que nous avons menes en contexte qubcois, elles-mmes inspires de quelques recherches empiriques14 et propositionsthoriques15 rcentes rapportes dautres contextes, nous avanons lathse (pour la soumettre lpreuve prliminaire des faits) dune instru-mentalisation des ides de participation citoyenne et dengagement auSURWGHVRUJDQLVDWLRQV$LQVLLOHVWFRQFHYDEOHTXXQHUKpWRULTXHGHODparticipation soit dicte par lexigence de la lgitimit (dmocratique),mais elle peut aussi se rvler instrumentale illusoire mme partirdu moment o il est envisag quelle serve assurer la survie des orga-QLVDWLRQVGDQVXQHSHUVSHFWLYHGHGpOLVDWLRQGHOHXUVPHPEUHV

    Au regard de lexercice efficace dune influence pas toujoursdmontre en toute vidence pour les coalitions16 comme pour lesgroupes particuliers , la vigueur du membership dorganisations quiprtendent la reprsentation se rvle un atout essentiel au succs deleur mission formelle. Le recours la thorie de la survie orga-nisationnelle permet, estimons-nous, de lever le voile sur certainsGHVLQWpUrWVTXLIRQGHQWODGLYHUVLFDWLRQDSSDUHQWHGHODSDUWLFLSDWLRQpolitique.

    Notre dveloppement comprend trois tapes. En premier lieu, touten posant certaines balises conceptuelles fondamentales et en faisanttat de notre propre mesure de la place occupe par les coalitions dans lepaysage politique qubcois, nous examinons la nature des coalitions enrapport avec les changements observs dans la composition de lunivers

    13. Scott R. Furlong et Cornelius M. Kerwin, 2005, Interest Group Participation inRule Making: A Decade of Change,Journal of Public Administration Research andTheory, vol. 15, no 3, p. 353-370 ; Kevin W. Hula, 1999,Lobbying Together. InterestGroup Coalitions in Legislative Politics, Washington (DC), Georgetown UniversityPress.

    14. Anne Binderkrantz, 2005, Interest Group Strategies: Navigating Between PrivilegedAccess and Strategies of Pressure, Political Studies, vol. 53, p. 694-715.

    15. David Lowery, 2007, Why Do Organized Interests Lobby? A Multi-Goal, Multi-Context Theory of Lobbying, Polity, vol. 39, no 1, p. 29-54.

    16. Christine Mahoney et Frank R. Baumgartner, 2004, The Determinants and Effectsof Interest-Group Coalition Behaviour,Annual Meeting of the American PoliticalScience Association, Chicago (IL), 2-5 septembre.

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    des groupes dintrt et dans les formes de leurs interventions. Ensuite,nous menons un examen critique de linstrumentalisation apparenteGHODSDUWLFLSDWLRQFLWR\HQQHDXSURWGHVWUDWpJLHVD[pHVVXUODVXUYLHorganisationnelle. En dernier lieu, nous discutons les divers lmentsprsents la lumire des premiers rsultats de notre recherche sur lescoalitions au Qubec. Il nous est ainsi permis de formuler des nuancesimportantes touchant la fois la poursuite de lidal de participationFLWR\HQQHHWVRQGpWRXUQHPHQWDXSURWGLQWpUrWVRUJDQLVDWLRQQHOV

    LES COALITIONS EN TANT QUE FORME MERGENTEDE PARTICIPATION COLLECTIVE

    Alors quil atteint des niveaux dune ampleur sans prcdent17,le phnomne des coalitions ne peut tre examin indpendammentde tendances plus gnrales relatives la multiplication des groupesdintrt et des associations dans les dmocraties occidentales18, quilsagisse de groupes de premire gnration, couramment assimilsaux associations daffaires, syndicales et professionnelles, ou de groupesde deuxime gnration19 , dont laction sarticule davantage sur desintrts gnralement moins matriels ou de nature moins exclusiveet qui peuvent tre dans leur ensemble regroups sous le vocable degroupes citoyens20. De ces dveloppements, il transparat dj que laparticipation des citoyens emprunte dautres canaux que ceux plus tradi-tionnels que constituent les partis. Dans un contexte de recomposition

    17. Nanmoins, le phnomne des coalitions ne constitue pas une nouveaut absolue.

    3DUH[HPSOHDXGpEXWGHVDQQpHVXQHFRDOLWLRQVHIRUPDLWDQGHVRSSRVHUau projet de construction dun barrage hydrolectrique sur la rivire Jacques-Cartier,au nord de Qubec. Par contre, faut-il prciser, il sagissait alors proprement parlerdune coalition dindividus.

    18. Robert H. Salisbury, 1983, Interest Groups: Toward a New Understanding,dans Interest Group Politics, sous la dir. dAllan J. Cigler et Burdett A. Loomis,Washington (DC), CQ Press, p. 354-369; Jeffrey M. Berry, 1984, The Interest GroupSociety, Boston (MA), Little Brown; Frank R. Baumgartner et Beth L. Leech, 1998,

    Basic Interests. The Importance of Groups in Politics and Political Science, Prin-ceton (NJ), Princeton University Press; Martine Barthlemy, 2000, Associations:nouvel ge de la participation?, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciencespolitiques.

    19. Raymond Hudon, 2005 [3e d.], Les groupes dintrt... au cur de mutationsdmocratiques, dansLe parlementarisme canadien, sous la dir. de Rjean Pelletieret Manon Tremblay, Qubec (QC), Les Presses de lUniversit Laval, p. 197-242.

    20. Jeffrey M. Berry, 1999, The New Liberalism. The Rising Power of Citizen Groups,Washington (DC), Brookings Institution Press.

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    de la scne politique aux tats-Unis, Elisabeth S. Clemens21 avait notdes changements similaires au tournant des XIXe et XXe sicles, lesgroupes dintrt ayant alors acquis, au dtriment des partis, une placeQRWRLUHPHQWDFFUXHFRPPHOLHX[GDIOLDWLRQHWGHFRRUGLQDWLRQGH

    lengagement politique.Ltude des motifs dabstention lectorale suggre un lien impor-

    tant avec, dune part, le dsintrt pour la politique et, dautre part,les raisons personnelles ou administratives22. Cependant, selon PippaNorris23OHF\QLVPHjOpJDUGGHODSROLWLTXHVWLPXOHUDLWODGLYHUVLFD -tion des formes dactivits politiques, au-del du vote. Assez paradoxa-lement, des attitudes ngatives et cyniques lgard de la politique servleraient en effet porteuses dun largissement potentiel des formesdactivit politique: lhypothse de plus en plus frquente formulepour expliquer ce paradoxe est que la participation politique ne serduit pas la participation lectorale et quil est fort probable quecelle-ci sexprime sur dautres plans24 . Paralllement une apparentedsertion des formes de participation politique traditionnelles, uneUHFRQJXUDWLRQ GHOHQJDJHPHQW FLWR\HQVHUDLW HQFRXUV j ODIDYHXUde lmergence daspirations de nature postmatrialiste25 et duneYRORQWpIRUWHGDIUPDWLRQLGHQWLWDLUHHWFXOWXUHOOHTXLDYHFODFWLRQGHVnouveaux mouvements sociaux et des groupes citoyens, pousseraient agir lextrieur de larne politique traditionnelle26. Les nouveaux

    21. Elisabeth S. Clemens, 1997, The Peoples Lobby. Organizational Innovation and theRise of Interest Group Politics in the United States, 1890-1925, Chicago (IL), TheUniversity of Chicago Press, p. 38.

    22. Jon H. Pammett et Lawrence LeDuc, 2003, La problmatique du dclin de laparticipation lectorale chez les jeunes, Perspectives lectorales, Ottawa, lectionsCanada, [http://www.elections.ca/content.asp?section=pub&document=index&dir=onl&lang=f&textonly=false], consult le 3 dcembre 2007.

    23. Pippa Norris, 1999, Critical Citizen. Global Support for Democratic Government,Oxford, Oxford University Press.

    24. Pascale Dufour, 2005, Les nouvelles frontires de la citoyennet,thique publique,vol. 7, no 1, p. 58.

    25. Ronald Inglehart, 1977, The Silent Revolution, Princeton (NJ), Princeton UniversityPress.

    26. Martin P. Wattenberg, 2000, The Decline of Party Mobilization, dans PartiesWithout Partisans. Political Change in Advanced Industrial Democracies, sous la dir.de Russell J. Dalton et Martin P. Wattenberg, New York / Oxford, Oxford UniversityPress, p. 67. La prudence est toutefois de mise dans le prononc de pareils diagnos-tics. Ainsi, il semblerait que les personnes qui votent et celles qui manifestent enmarge de larne politique traditionnelle soient souvent les mmes. Il ny aurait doncpas remplacement dune forme de participation par une autre. (Norris, CriticalCitizen. Global Support for Democratic Government, op. cit.; Grard Grunberg etNonna Mayer, 2003, Dmocratie reprsentative, dmocratie participative, dansLedsenchantement dmocratique, sous la dir. de Pascal Perrineau, La Tour dAigues,ditions de lAube, p. 215-230).

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    canaux de participation qui se mettent en place de cette faon relventde ce quAnthony Giddens27 nomme la life politics : [Life politicalagenda] LVDQDJHQGDZKLFKGHPDQGVDQHQFRXQWHUZLWKVSHFLFPRUDOdilemmas, and forces us to raise existential issues which modernity hasinstitutionally excluded. Pascal Perrineau28 renchrit en soulignantque cette alination relative par rapport au rgime dmocratiquetraditionnel, jumele la volont de concrtisation de la life politics,favorise le dveloppement dune politique protestataire. Selon DavidS. Meyer29, ces courants appellent une transformation de nature aussibien individuelle, lidentit personnelle, que collective, cest--dire lasocit, ses valeurs et les faons de concevoir lactivit politique.

    Dans cette perspective, le militantisme ne se rduit pas une prisede position publique, il est galement source de rassurance perma-nente dune identit valorisante30 . Au sein des groupes citoyens, lasatisfaction ne repose donc pas forcment, ni mme prioritairement, surdes gains matriels ou concrets: the only real return most membersof citizen groups will get is the ideological satisfaction that they areJKWLQJ VRPH LQMXVWLFH31 . Cette rtribution immatrielle, laquelleJeffrey M. Berry associe galement un sentiment dempowerment32,transforme radicalement les conceptions de lengagement politiqueHWPRGLHOHUDSSRUWDX[VWUXFWXUHVTXLOXLGRQQHQWIRUPHWUDGLWLRQ-nellement. Toutefois, lapparent dsintressement qui se dgage deces nouvelles modalits du militantisme nvacue pas entirement lesproccupations dordre matriel ou stratgique, dont la prgnance etla persistance sont dailleurs bien mises en relief dans les laborationsthoriques relatives au citoyen-consommateur.

    Dans le climat deffervescence des annes 1960 et 1970, les groupesdintrt ont souffert de discrdit, notamment sous langle de leurlgitimit dmocratique, du fait quils se retrouvaient camps dansdes activits axes sur la poursuite dintrts particuliers et nuisibles la ralisation de lintrt collectif. La svrit du jugement semblaitMXVWLpH SDU XQ HIIHW GH FRQWUDVWH DYHF OHV QRXYHDX[PRXYHPHQWVsociaux mobiliss autour denjeux associs une culture postmat-rialiste et estims de porte plus gnrale. Par les effets cumuls de

    27. Anthony Giddens, 1991,Modernity and Self-identity. Self and Society in the LateModern Age, Stanford (CA), Stanford University Press, p. 9.

    28. Pascal Perrineau, Introduction, dansLe dsenchantement dmocratique, sous ladir. de Pascal Perrineau, La Tour dAigues, ditions de lAube, p. 7.

    29. David S. Meyer, 2004, Protest and Political Process, dans The Blackwell Compa-nion to Political Sociology, sous la dir. de Kate Nash et Alan Scott, Malden (MA),Blackwell Publishers, p. 166.

    30. rik Neveu, 2005 [4e d.], Sociologie des mouvements sociaux, Paris, La Dcouverte,p. 78.

    31. Berry, The New Liberalism. The Rising Power of Citizen Groups, p. 155.32. Id., p. 15.

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    OLQVWLWXWLRQQDOLVDWLRQHWGHODYRORQWpGLQXHQFHUSOXVFRQFUqWHPHQWles dcisions et les dbats publics, ces mouvements sont leur tourdevenus des organisations qui forment le principal contingent dunedeuxime gnration de groupes dintrt33. Jeffrey M. Berry et DavidF. Arons34 documentent dailleurs trs bien la monte en puissance desgroupes citoyens et des organisations but non lucratif pour un grandnombre, issus de ces mouvements , qui, par leur prsence, viennentprcisment enrichir et transformer les pratiques de reprsentation touten contribuant une recomposition de lunivers des acteurs qui syadonnent. Cest dans ce contexte quapparaissent et se multiplient lescoalitions, qui accentuent la transformation des pratiques de reprsenta-WLRQHWSURYRTXHQWODUHFRQJXUDWLRQGXFKDPSTXRFFXSHQWOHVDJHQWVde la mdiation-relais35 entre la socit civile et le systme politique,spcialement en participant la ralisation de la mdiation-compromis,WkFKHORQJWHPSVFRQVLGpUpHFRPPHGXGRPDLQHSURSUHGHVSDUWLVSROL-tiques.

    Aprs avoir ralis une synthse des volutions qui ont marqu lesgroupes et leur tude, Frank R. Baumgartner et Beth L. Leech36 lancentun appel pressant des recherches orientes sur la ralit des coalitions.Les travaux empiriques de Kevin W. Hula37 cadrent bien avec une telleperspective, qui met en relief le rle des coalitions en tant quagents dengociation, de mdiation et de compromis entre les intrts reprsents Washington. Parmi les facteurs qui aident mieux comprendre aussibien lorigine que la dure des coalitions, viennent aux premiers rangsla spcialisation des domaines de laction publique et la complexitgrandissante des enjeux et des cadres institutionnels: la croissance descots associs lacquisition dexpertise dans un secteur dinterven-tion de surcrot diffrents niveaux gouvernementaux inciteraitpuissamment un partage rationnel des ressources et une divisionHIFDFH GXWUDYDLO3DU Oj OHV FRDOLWLRQVDGRSWHUDLHQW GHV FRQGXLWHVmimtiques celles des groupes ou des lobbies qui, contrairement de nombreuses ides reues, consacrent souvent plus dnergie laFROOHFWHGLQIRUPDWLRQV HWj ODGpQLWLRQGHV HQMHX[SROLWLTXHVTXDX

    33. Hudon, Les groupes dintrt..., op. cit. ; Salah Oueslati, 2005, Les groupesdintrt public: de la contestation au lobbying conventionnel,Annales du CRAA,vol. 29, p. 77-96.

    34. Jeffrey M. Berry et David F. Arons, 2003, $9RLFHIRU1RQSURWV, Washington (DC),Brookings Institution Press.

    35. Raymond Hudon et Stphanie Yates, 2008, Lobbying et patronage: modes de mdia-tion en contexte dmocratique,Revue canadienne de science politique, vol. 41, no 2,

    juin, p. 376-380.36. Baumgartner et Leech, Basic Interests. The Importance of Groups in Politics,

    op. cit.37. Hula,Lobbying Together, op. cit.

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    lobbying direct auprs des titulaires de charges publiques (TCP)38. EnSULPHOHSDUWDJHGLQIRUPDWLRQVFRQWULEXHSDUWLFXOLqUHPHQWjERQLHUODWUDQVPLVVLRQGH[SHUWLVHVXWLOHVDX[7&3HWjDXJPHQWHUOHIFDFLWpdes activits de reprsentation.

    En permettant aux groupes de se dpartir dune impression fonde ou pas de reprsentation sectorielle, la formation de coalitionscomporte aussi leffet potentiel dengendrer un gain de lgitimit dansla sphre publique, tant auprs des TCP que des mdias. Pareil rsultatpeut tenir notamment la puissance que confre la force du nombreou limpression de reprsentativit, factice ou relle, que cre laconversion dun intrt particulier en une cause de porte gnrale.Il est dailleurs vraisemblable que lorigine et la vie des coalitions soientlies la lgitimit et la pertinence reconnues une organisationdans lespace politique et dmocratique.

    partir des lments prsents, une coalition peut se concevoircomme un ensemble plus ou moins structur de groupes, dindividus et,ventuellement, dinstitutions, qui partagent diverses ressources en vuede dfendre ou de promouvoir des intrts et des objectifs communs39.'HFHWWHGpQLWLRQLOUHVVRUWTXLO\DVRXYHQWGHVJURXSHVTXLSUpH[LV-tent la constitution de toute coalition. Il nest pas exclu que des indi-vidus, particulirement des individus dont on reconnat la notorit, se

    joignent un noyau constitu de groupes pour en accrotre la visibilitet la crdibilit. Cependant, une coalition compose exclusivementdindividus ne pourrait tre quune fausse coalition ou quun groupedintrt qui se pare de laura dune coalition. Nanmoins, comme entmoigne abondamment lactualit, lambigut est couramment entre-tenue ou cre sur ce plan, parce que juge rentable politiquement. LaYLJLODQFHHVWDORUVGHPLVHIDFHDX[DUWLFHVVpPDQWLTXHV

    /DJXUHSUpVHQWHXQUHFHQVHPHQWGHV FRDOLWLRQV UpSHUWRULpHVdans les mdias du Qubec, par intervalles quinquennaux, de 1985 2005, ainsi que pour lanne 200740. Ces coalitions taient actives dans

    38. Robert H. Salisbury, 1990 [2e d.], The Paradox of Interest Groups in Washington More Groups, Less Clouts, dans The New American Political System, sous ladir. dAnthony King, Washington (DC), The American Enterprise Institute (AEI)Press, p. 203-229.

    39. 'DXWUHVGpQLWLRQVSRXUUDLHQWrWUHSURSRVpHVQRWDPPHQWODVXLYDQWH/HVFRDOLWLRQVconstituent des actions collectives impliquant un consentement mutuel, volontaire ettemporaire entre des acteurs motivs par un objectif commun. (Moktar Lamari,Rjean Landry et Nabil Amara, 2000, Coalition et coordination entre associations,une tude conomtrique partir de donnes canadiennes,Revue dconomie poli-tique, vol. 10, noS(QUDSSRUWDQWFHWWHGpQLWLRQQRXVYRXORQVWRXWHIRLVsouligner que les coalitions ne sont pas essentiellement temporaires, spcialementquand elles sont analyses sous langle de la thorie de la survie organisationnelle.

    40. Les rsultats sont obtenus dune compilation (ralise avec la base de donnesEureka)du contenu des principaux mdias crits du Qubec et de la Socit Radio-Canada.&KDTXHFDVUHFHQVpDpWpVRXPLVjXQHYpULFDWLRQGHPDQLqUHjpYLWHUOHVGRXEORQV

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    GHVGRPDLQHVQRPEUHX[HWGLYHUVLpV41. Les donnes rvlent une trsforte progression du nombre de coalitions, qui passe de quatre en 1985 189 en 1995, pour atteindre 259 en 2005. Les donnes de 2007 pour-raient potentiellement rvler une stabilisation du phnomne. Cettevolution se trouve renforce par une autre mesure rvlatrice, bien queSRWHQWLHOOHPHQWPRLQVDEOH42, soit celle du traitement mdiatique descoalitions: ainsi, le nombre doccurrences du mot coalition dans lesmdias rpertoris est pass de 323 en 1990 1609 en 2005.

    Figure 1. Nombre de coalitions recenses, 1985-2007

    les donnes rapportes ici donnent donc un portrait du nombre de coalitions quiont fait lobjet dun traitement mdiatique une ou plusieurs reprises dans le cours

    de chacune des annes retenues. Nous sommes conscients que cette mesure de lapopulation des coalitions et de ltendue de leur action ne constitue pas forcmentXQUHHWWRXWjIDLWGqOHGHODUpDOLWpGHWHUUDLQ3UpFLVRQVHQQTXHjFHWWHpWDSHGH

    ODUHFKHUFKHQRXVQDYRQVSDVYpULpODFRPSRVLWLRQGHVFRDOLWLRQVUHFHQVpHVLOVH

    pourrait donc que des coalitions dindividus soient incluses dans notre recensement,FHOXLFLUHSRVDQWVXUODSSHOODWLRQRIFLHOOHGHVFRDOLWLRQVUHSpUpHV

    41. Par exemple la culture, lconomie, lducation, lenvironnement, le logement, la reli-gion, la sant, la scurit, le transport. La Coalition des travailleuses et des travailleursautonomes du Qubec, la Coalition Eau Secours! (Coalition qubcoise pour unegestion responsable de leau), la Coalition pour la consolidation des services de gardeet des services aux familles, la Coalition pour la diversit culturelle, la Coalition pourla promotion de lnergie olienne, la Coalition pour lentretien et la rfection durseau routier du Qubec, la Coalition Solidarit Sant (Coalition pour le maintiende la gratuit dans la sant) constituent des exemples parmi dautres.

    42. En raison, par exemple, dune mdiatisation pousse dun vnement marquant,telle la grve tudiante de mars 2005, anime par une coalition dassociationstudiantes.

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    LA FORMATION DE COALITIONS EN TANT QUESTRATGIE DE SURVIE ORGANISATIONNELLE

    Limportante place prise par les coalitions dans les pratiques deUHSUpVHQWDWLRQQHVDXUDLWVXIUHjOpYDOXDWLRQGHOHXUFRQWULEXWLRQrelle la vie dmocratique. Greffe un souci dacuit et inspire duscepticisme propre la science, lhypothse nest pas carter duneinstrumentalisation de la participation citoyenne. En dcomposant ladynamique de la monte en gnralit, Jacques Lolive43 fait ainsivoir comment des intrts particuliers acquirent une image dintrtsgnraux, au moyen de stratgies qui provoquent des changements deperception: le souci dtablir la lgitimit de leur action amne lesacteurs associations, groupes, coalitions prendre appui sur desSULQFLSHVVXIVDPPHQWJpQpUDX[HWJpQpUHX[SRXUGpSDVVHUODVLQJX-larit et lgosme des revendications initiales et les inscrire dans unecause collective44 . De la sorte, laction prend place et prend formedans un cadre trs gnral lintrieur duquel la cause ad hoc acquiertun statut illustratif de processus globaux45/HVDUWLFHVUKpWRULTXHVcependant, tirent leur rel poids politique de limportance des appuismobiliss en faveur de la cause. De ce point de vue, la constitution decoalitions apparat stratgiquement rationnelle.

    (QFRPSOpPHQWjFHWWHPpFDQLTXHD[pHVXUOLQWHQWLRQGLQXHQFHU

    les politiques et les TCP, un autre aspect des stratgies des groupesdintrt mrite dtre mis en relief. Ainsi, partir des analyses asso-cies lcologie des populations (population ecology approach) eten faisant appel la thorie de la niche (niche theory) ainsi qu cellede la dpendance aux ressources (resource dependence theory), DavidLowery46 avance que les groupes ont comme premire proccupation desurvivre en tant quorganisation: interest organizations are motivatedactors whose primary purpose is to survive. Dans cette optique, lerecrutement de membres, dont leffet indirect peut sinterprter commeXQHLQFLWDWLRQjODSDUWLFLSDWLRQFLWR\HQQHVHIHUDLWGDERUGDXSURWde lorganisation dsireuse de scuriser ses ressources, ressources enUHWRXUXWLOHVSRXUH[HUFHUXQHLQXHQFH(QHIIHWXQQRPEUHSOXVpOHYpde membres contribue logiquement la lgitimit des intrts dfenduset la crdibilit de lorganisation qui les porte. En contrepartie, comme

    43. Jacques Lolive, 1997, La monte en gnralit pour sortir de Nimby. La mobi-lisation associative contre le TGV Mditerrane, Politix, vol. 39, p. 110.

    44. Une distance entre les comportements et la rhtorique nest pas pour autant effacedu fait mme que la promotion dintrts particuliers peut rarement faire lconomieGXQHMXVWLFDWLRQDXQRPGHOLQWpUrWFROOHFWLIRXJpQpUDO

    45. Danny Trom, 1999, De la rfutation de leffet Nimby considre comme pratiquemilitante,Revue franaise de science politique, vol. 49, p. 36.

    46. Lowery, Why Do Organized Interests Lobby?..., p. 30.

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    lavait bien signal Mancur Olson47, cela peut engendrer des problmesde mobilisation. Dans la foule, il semblerait mme que les coalitionsconnaissent gnralement des succs inversement proportionnels leurtaille48, faiblesse sans doute due lampleur des compromis laborerHQWUHOHVLQWpUrWVQRPEUHX[HWGLYHUVLpVTXHOHVJUDQGHVFRDOLWLRQVamnent faire coexister49.

    Dautres observations apportent un clairage intressant sur lesDFWLRQVDWWULEXpHVDX[FRDOLWLRQVHWVXJJqUHQWQDOHPHQWGHVUDSSURFKH -ments avec des conclusions dj tires de laction des groupes dintrt.Par exemple, Christine Mahoney et Frank R. Baumgartner50 notent queles coalitions tendent plus protger le statu quo (face des projets deQDWXUHSULYpHRXSXEOLTXHRXjOLPLWHUOHVSHUWHVPRGLHUXQSURMHWqu gnrer des projets de changement ou lutter pour des gains.En fait, la formation dune coalition serait lindice dune menacedans son environnement: Joining a coalition is more likely a sign of

    policy trouble than a clear route to policy success51. Au-del de laproccupation de protection de ses acquis qui deviendrait ainsi mani-feste, comment ne pas se rappeler la proposition dun David Truman52

    pour qui, ds 1951, la naissance dun groupe dintrt sexpliquait pardes perturbations survenues dans lenvironnement politique? tout lemoins, la constatation que le rsultat recherch nest pas toujours atteint

    en dpit de lintensit des activits de reprsentation, de lampleur desmobilisations et du degr de publicit accord une cause permet-elledenvisager, linstar de David Lowery53, que dautres motifs expli-quent lorigine des coalitions?

    Dans ces conditions, lhypothse que les groupes forment desFRDOLWLRQVDQGHVpFXULVHUOHXUVHIIHFWLIVWURXYHSULVHVRXVDXPRLQVdeux angles. Premirement, au vu des limites qui marquent lexerciceGHOLQXHQFHOHVJURXSHVGLQWpUrWVRQWFRQWUDLQWVGHIDLUHODSUHXYHjleurs membres que tous les efforts sont investis pour donner les rsultats

    47. Mancur Olson, 1978 [dition originale anglaise 1965],Logique de laction collective,Paris, Presses universitaires de France.

    48. Mahoney et Baumgartner, The Determinants and Effects of Interest-Group,p. 25.

    49. 0LVHQGLIFXOWpSDUFHWWHVXEVWLWXWLRQGHVU{OHVGDJUpJDWLRQDXSURWGHVFRDOLWLRQVles partis ne semblent pas irrmdiablement condamns un avenir absolumentsombre.

    50. Mahoney et Baumgartner, The Determinants and Effects of Interest-Group,op. cit.

    51. Id., p. 26.52. David B. Truman, 1971 [2e d.], The Government Process. Political Interests and

    Public Opinion, New York, Alfred A. Knopf.53. Lowery, Why Do Organized Interests Lobby?, p. 37.

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    recherchs, sans quoi ceux-ci risquent de dserter lorganisation54. Cettelogique de membership exige que laction des groupes soit axe surles intrts et la volont des membres. Bien concrtement, cependant,OD ORJLTXHGLQXHQFHGRLWFRPSRVHUDYHFXQHPXOWLWXGHGHIDFWHXUVH[WHUQHV FRPPH OHVFRQJXUDWLRQV HW OHV UqJOHVGHV LQVWLWXWLRQVauprs desquelles les interventions sont menes, la complexit desprocessus dcisionnels et la concurrence dautres groupes eux aussidtermins obtenir des rsultats non forcment convergents. Ds lors,FHTXLSRXUUDLWVHPEOHU FRQWUHLQGLTXpGDQVXQH ORJLTXH GLQXHQFHapparat simposer dans une logique de membership. Aussi peut-onFRPSUHQGUHTXHOHUHFRXUVjGHVVWUDWpJLHVGLQXHQFHLQGLUHFWHVDXmoyen dactions publiques, largement publicises par voie mdiatique,constitue une option rationnelle pour des organisations qui doiventconvaincre leurs membres actuels et potentiels que leurs intrts et leurspositions sont lobjet dune promotion ou dune dfense active55.

    Deuximement, la formation de coalitions donne des rsultatsencore plus immdiats du point de vue des efforts de recrutementdploys par les groupes qui en font partie, ce qui nest pas ngligeableGDQVXQFRQWH[WHRODUHVVRXUFHPHPEUHVHVWUDUppHSDUODPXOWL-plication de groupes dintrt et dassociations diverses et la saturationconcomitante de lespace politique. Aussi, paradoxalement, de mmeque la raret des ressources publiques accentuerait linterdpendancedes groupes56, la concurrence au chapitre du recrutement de membrespousserait-elle les organisations conclure des alliances57. Rappelonspar ailleurs que la formation de coalitions comporte, en prime, desEpQpFHVVXUOHVSODQVGHODOpJLWLPLWpHWGHODFUpGLELOLWpGXJURXSHHWSDUHIIHWGHQWUDvQHPHQWVXUOHSODQGXQDQFHPHQWSURYHQDQWGHsympathisants ou de mcnes.

    Si les pistes thoriques ouvertes partir dun certain nombredobservations empiriques devaient tre valides, il faudrait noter lapossibilit que la sollicitation de la participation citoyenne articule une proccupation de lgitimit comporte les traits dun trompe-lil.En effet, est-on amen constater, la rhtorique dmocratique peutcorrespondre une forme dinstrumentalisation de la participationcitoyenne, ds quil est avr que lengagement de citoyens peut aussitre mis au service dorganisations fondamentalement proccupes de

    54. ,ULQD0LFKDORZLW]:KDW'HWHUPLQHV,QXHQFH"$VVHVVLQJ&RQGLWLRQV IRU'HFLVLRQPDNLQJ ,QXHQFHRI ,QWHUHVW*URXSV LQ WKH(8Journal of EuropeanPublic Policy, vol. 14, no 1, p. 78.

    55. Binderkrantz, Interest Group Strategies: Navigating, p. 695.56. Frank. R. Baumgartner et Brian D. Jones, 1993,Agendas and Instability in American

    Politics, Chicago (IL), University of Chicago Press.57. Marie Hojnacki, 1997, Interest Groups Decisions to Join Alliances or Work Alone,

    American Journal of Political Science, vol. 41, no 1, p. 83-84.

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    leur rputation et de leur survie. Robert Michels58 serait peut-tre tonnlui-mme de voir ainsi senrichir sa loi dairain de loligarchie,quelque 90 ans aprs sa formulation!

    DISCUSSION SOUS LCLAIRAGEDE PREMIERS RSULTATS DE RECHERCHE

    Les propositions jusquici esquisses sont soumises au test depremiers rsultats dune recherche ralise auprs des coalitions inven-tories au moyen dune revue systmatique de la presse qubcoiseentre janvier 2006 et dcembre 2007. Des 388 coalitions ainsi recenses,un questionnaire a t adress aux 178 dont les coordonnes lectro-niques nous taient connues59. Aprs deux oprations de relance, le tauxde rponse a atteint 40,4%: 72 coalitions ont rpondu au questionnaire,qui comprenait 158 questions regroupes en quatre sections portantsur lhistorique de la coalition, sa description, son fonctionnement, sesobjectifs, ses actions et ses ralisations60. Nous rendons compte iciuniquement des rsultats pertinents la problmatique qui fonde cetarticle, cest--dire la thorie de la survie organisationnelle, et dontFHUWDLQV pOpPHQWV VRQWFRQUPpVDORUVTXH GDXWUHVPpULWHQW GrWUHrevus.

    Les rsultats de notre enqute nous incitent ainsi nuancer certainespropositions de la thorie de la survie organisationnelle, selon laquelledes groupes crent des coalitions ou joignent des coalitions dj exis-tantes pour notamment sassurer de survivre en tant quorganisation. Dece point de vue, il est attendu quun nombre relativement important decoalitions doivent leur origine un groupe dintrt. Il ressort de lin-formation recueillie quun peu moins de un tiers des coalitions tudiestrouvent leur origine dans un groupe dintrt alors quune proportionlgrement plus leve dentre elles ont t formes par des individusparlant en leur nom propre. Ces rsultats ne semblent pas, premire vue,en adquation avec la thorie de la survie organisationnelle. Par ailleurs,il apparat que dautres coalitions ayant particip notre enqute unpeu moins de une sur cinq ont t formes par des structures publi-ques dont la nature, une fois prcise, permet en fait de les apparenterjGHVJURXSHVGLQWpUrWVXUODEDVHGHVVSpFLFDWLRQVDSSRUWpHVSDUOHVrpondants, cette catgorie comprend des fdrations, des associationslocales, des syndicats, diffrents organismes, des groupes populaires,

    58. Robert Michels, 1971,Les partis politiques. Essai sur les tendances oligarchiquesdes dmocraties, Paris, Flammarion.

    59. Dans quelques cas, ladresse lectronique a t obtenue aprs communication tl-phonique.

    60. Le questionnaire a t construit la suite dune premire revue de la littrature portantsur les coalitions et les groupes dintrt.

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    des groupes communautaires et des organisations non gouvernemen-tales. Si lon ajoute lensemble de ces situations celle plus rare, soitprs de un cas sur quinze qui fait voir la formation de coalitions pardautres coalitions, la thorie de la survie organisationnelle pourrait servler adquate dans plus de la moiti des cas examins61. Par contre,comme plusieurs coalitions ont t formes par des individus, il estpossible de penser que lengagement politique est encore valoris danslunivers politique contemporain et que laction politique travers lescoalitions peut comporter un gain de lgitimit62.

    Dans cette dernire perspective, il se rvle pertinent dexaminerles motifs qui conduisent la formation dune coalition: les trois quartsdes rpondants sont en dsaccord63DYHFODIUPDWLRQVHORQODTXHOOHleur coalition a t forme pour appuyer une dcision gouvernementale,tandis que ce mme dsaccord demeure au niveau des deux tiers quandil est suggr que la coalition a t cre pour encourager un projetgouvernemental. Par contre, les opinions se partagent assez diffrem-ment quand la question fait plutt rfrence une attitude dopposition :ainsi, plus de la moiti des rpondants se dclarent daccord64 (contreprs de deux sur cinq qui se disent en dsaccord) avec lnonc quiveut que la coalition ait t forme pour contester une dcision gouver-nementale; quand lintention voque renvoie plutt la contestationdun projet gouvernemental, les proportions mesures passent respecti-vement deux sur cinq et la moiti des rpondants. En fait, selon septrpondants sur dix, les coalitions au nom desquelles ils tmoignent ontt mises sur pied non pas tant en raction un projet ou une dcisiongouvernementale, mais principalement en relation avec lmergencedun nouvel enjeu65(QQGHFRPSWHVLQRXVDMRXWRQVTXHSUqVGHV

    61. ,OFRQYLHQWQpDQPRLQVGrWUHSUXGHQWLFL8QHGLIFXOWpYLHQWGXIDLWTXHODFUpDWLRQdune coalition peut avoir t impulse de manire indirecte ou par procuration, de

    la part dun gouvernement par exemple.62. (QFRPSOpPHQWLOHVWLQWpUHVVDQWGHVLJQDOHUXQXQLYHUVH[WUrPHPHQWGLYHUVLpVXU

    le plan de la taille des coalitions: plus du tiers des coalitions examines comptentde six 20 groupes, alors que, dans des proportions dun peu plus de un cinquime,dautres en comptent soit cinq et moins, soit plus de 40. Touchant la prsence desindividus au sein des coalitions, la mme observation simpose: en effet, si un peuplus de la moiti des coalitions comptent 50 membres individuels ou moins, un peuplus de une sur cinq nen compte aucun; dans des proportions similaires, trs prochesde un cinquime du total, deux autres catgories en comptent de 51 500 et plusde 500.

    63. 6DXIVLDXWUHPHQWVSpFLpVLQRXVUDSSRUWRQVTXHOHVUpSRQGDQWVVHGLVHQWHQGpVDF-cord, il faut entendre quils peuvent tre tout fait ou plutt en dsaccord.

    64. 6DXIVLDXWUHPHQWVSpFLpVLQRXVUDSSRUWRQVTXHOHVUpSRQGDQWVVHGLVHQWGDFFRUGil faut comprendre quils peuvent tre tout fait ou plutt daccord.

    65. Cela tant dit, une dcision ou un projet du gouvernement peuvent tre la sourcedun nouvel enjeu! La ralisation dentretiens semi-dirigs devrait nous fournir deslments qui permettront de prciser ce point.

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    deux tiers des rpondants sont en dsaccord avec lide qui voudrait quela coalition ait t forme pour sopposer une action ou un point devue dun groupe ou dune autre coalition, nos rsultats partiels neSHUPHWWHQWSDVGHFRQUPHUFODLUHPHQWOHVOLHQVTXH0DULH+RMQDFNL66

    SRVHHQWUHOLQWHQVLWpGXFRQLWGDQVXQGRPDLQHGHSROLWLTXHSXEOLTXHet la formation de coalitions.

    Cependant, dautres raisons semblent avoir t beaucoup plus dter-minantes de la dcision de crer des coalitions. Citons, parmi les objec-tifs poursuivis, ceux de sensibiliser lopinion publique un sujet ou un enjeu (de lavis de plus de neuf rpondants sur dix), de partager delinformation et de crer un rseau (selon, dans les deux cas, un peu plusde cinq rpondants sur six) et de produire des connaissances (pour lestrois quarts des rpondants). Non seulement ces rsultats vont-ils dans lemme sens que ceux de nombreuses recherches ralises ailleurs67, maisils tendent corroborer la thorie de la survie organisationnelle, souslangle particulier de la proccupation de scuriser certains capitauxorganisationnels (au premier chef, les membres). Dans cette perspec-tive mme, nous pouvons supposer que la sensibilisation de lopinionSXEOLTXHTXLVRXVWHQGGHVGpPDUFKHVGLQXHQFHLQGLUHFWHVXUOHV7&3et le recours aux mdias, sarticule en toute vraisemblance, du moinsen partie, sur une intention de rassurer le membership existant, alorsque la cration de rseaux peut contribuer au recrutement de nouveauxmembres. De plus, le partage de linformation et la production deconnaissances sont des fonctions qui correspondent au dveloppementou la consolidation du capital politique dune organisation, dont enERXWGHOLJQHOHVPHPEUHVSHXYHQWWLUHUGHJUDQGVEpQpFHV

    Tourne vers les actions menes par les coalitions, lanalyse convergeavec celle des motifs qui avaient prsid leur formation. Ainsi, pourun peu plus de cinq rpondants sur six, les actions menes par les coali-tions visent principalement sensibiliser lopinion publique; pour uneproportion quivalente, elles visent partager de linformation. Dansune mesure toujours importante, elles visent aussi crer un rseau(daprs plus de sept rpondants sur dix), produire des connaissances(sept rpondants sur dix) et informer les TCP (pour un peu plus desdeux tiers des rpondants). Par ailleurs, dans une proportion grande-ment rduite, soit pour moins de quatre rpondants sur dix, ces actionsYLVHQWjIDLUHDGRSWHUjIDLUHPRGLHURXjHPSrFKHUXQSURMHWGHORLou de rglement. Encore une fois, ces rsultats semblent correspondreaux assertions de la thorie de la survie organisationnelle, en vertu de

    66. Hojnacki, Interest Groups Decisions to Join Alliances, op. cit.67. Baumgartner et Leech,Basic Interests. The Importance of Groups in Politics, op.

    cit. ; Berry et Arons, $9RLFHIRU1RQSURWV, op. cit.; Binderkrantz, Interest GroupStrategies: Navigating, op. cit.; John P. Heinz, Edward O. Laumann, RobertL. Nelson et Robert H. Salisbury, 1993, The Hollow Core. Private Interests in

    National Policymaking, Cambridge (MA), Harvard University Press.

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    laquelle les groupes et, par extension, les coalitions, se proccupentsurtout de scuriser certains capitaux, prioritairement dans une logiquede membership, en offrant des avantages comme laccs un rseauou de linformation.

    La grande majorit des rponses relatives la mission et aux orien-tations des coalitions ayant particip notre enqute indiquent unefaible propension de celles-ci sadapter des contextes changeants,mais cela ne les empche pas de durer. Dailleurs, prs des trois quartsdes rpondants voient leur coalition plutt sur un mode prenne68.Dans ces conditions, il apparat problmatique de prter un rle dme-sur la fonction dagrgation des intrts, du moins par contrasteavec les partis politiques qui se trouvent couramment contraints desajustements ponctuels de nature pragmatique susceptibles de se traduireen orientations programmatiques.

    En rapport avec la thorie de la survie organisationnelle, il se rvleSHUWLQHQWGHSRUWHUEULqYHPHQWXQUHJDUGVXUOHVVRXUFHVGHQDQFHPHQWdes coalitions. Elles ne semblent toutefois pas faciles cerner. Ainsi,SOXVGHWURLV UpSRQGDQWVVXUFLQTGpFODUHQWTXH OHQDQFHPHQWGRQWlorganisation a besoin est fourni par les membres, alors que un tiersGHQWUHHX[UDSSRUWHQWTXHOHVUHVVRXUFHVQDQFLqUHVGHODFRDOLWLRQproviennent principalement de donateurs individuels. Lexamen descots de ladhsion une coalition soulve cependant le doute quantjOLPSRUWDQFHDIUPpHGHVFRQWULEXWLRQVGHVPHPEUHVJURXSHVRXLQGLYLGXVDX[QDQFHVGHORUJDQLVDWLRQ(QHIIHWGDQVXQSHXPRLQVou un peu plus de la moiti des cas, selon quil sagit de groupes oudindividus respectivement, ladhsion nentrane aucun dbours! Unefois ajouts les cas pour lesquels le cot de ladhsion demeure trsmodeste (pas plus de 50 $ pour les groupes et pas plus de 20 $ pourles individus dans environ un cinquime des coalitions), il apparat peuYUDLVHPEODEOHTXHOHVEHVRLQVQDQFLHUVGHODWUqVJUDQGHPDMRULWpGHVcoalitions soient assurs principalement par les membres69.

    Pour terminer, il nous apparat intressant de revenir sur une bonnepartie des rsultats prsents prcdemment pour tenter dvaluer sile fait quune coalition ait t cre partir dun groupe dintrt estVRXUFHGHYDULDWLRQV VLJQLFDWLYHV70. Tout dabord, quelques nuancesdoivent tre apportes quant aux motifs qui ont men la formation descoalitions. Alors que sept diximes du total des rpondants attribuent lanaissance des coalitions lmergence dun nouvel enjeu, ce motif estcit pour plus des quatre cinquimes des coalitions mises sur pied par un

    68. Linvestigation mriterait dtre pousse auprs dun ensemble de coalitions qui ontdur plus ou moins longtemps.

    69. Le taux moyen relativement lev (18,1%) de non-rponses pour lensemble desTXHVWLRQVUHODWLYHVDXQDQFHPHQWLQYLWHWRXWHIRLVjGHVLQWHUSUpWDWLRQVSUXGHQWHV

    70. Rappelons tout de mme que, selon nos rpondants, seulement 22 coalitions des72 tudies ont t cres partir dun groupe dintrt.

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    groupe dintrt. Ainsi, il napparat pas surprenant qu linverse, pourune proportion pratiquement quivalente des coalitions de cette dernirecatgorie, soit carte lide selon laquelle la coalition a t mise surpied pour empcher un projet gouvernemental la proportion tait dela moiti pour lensemble des coalitions. De plus, alors que prs du tiersGHOHQVHPEOHGHVUpSRQGDQWVVHGLVHQWHQGpVDFFRUGDYHFODIUPDWLRQselon laquelle la coalition a vu le jour pour sopposer une action ou un point de vue dune autre coalition ou dun groupe, cette opinionsapplique la quasi-totalit des coalitions ayant un groupe dintrtcomme origine. Malgr la prudence dont il nous faut marquer nosinterprtations en raison de la taille mme de notre chantillon, cesrsultats tendent, une fois de plus, corroborer un aspect de la thoriede la survie organisationnelle, selon laquelle la formation de coalitionspeut servir consolider certaines ressources plutt qu exercer uneLQXHQFHGLUHFWHDXSUqVGHV7&3

    Les tendances se rvlent similaires quand lattention est tournevers les actions des coalitions. Ainsi, alors que un quart de lensembledes rpondants rapportent que les actions des coalitions visent emp-cher ladoption dun projet de loi ou de rglement, cette proportionpasse seulement un peu plus de un huitime pour les coalitions misessur pied par un groupe dintrt. Ces dernires citent par ailleurs latendance tant toujours encore plus accentue que celle note pourOHQVHPEOHGHVFRDOLWLRQVFRPPHDFWLRQVVLJQLFDWLYHVGHVFRDOLWLRQVcelles qui visent sensibiliser lopinion publique (totalit des rponses), partager de linformation (19 rponses sur 20), informer les TCP(six rponses sur sept) et produire des connaissances (plus de quatrerponses sur cinq). Mis part les actions qui visent informer les TCP,que lon peut spontanment associer au lobbying, les actions privil-gies par les coalitions fondes par un groupe dintrt peuvent toutessinscrire dans une logique de membership ou de survie. En bref, decet examen sommaire il ressort nanmoins que les actions entreprisespar une coalition peuvent tre conditionnes par la nature des acteursqui ont suscit sa cration.

    CONCLUSION

    Les coalitions constituent un phnomne politique en nette progres-VLRQ'HFHVHXOSRLQWGHYXHGHVUHFKHUFKHVSOXVSRXVVpHVVHMXVWLHQWLes avenues ouvertes avec nos rsultats prliminaires nous semblentcependant dborder le seul domaine des coalitions. En effet, dans leFRQWH[WHGHVGLIFXOWpVDSSDUHQWHVGHODGpPRFUDWLHUHSUpVHQWDWLYHOHVpartis adoptent visiblement, de manire analogue aux groupes et auxcoalitions, des logiques de survie quil serait intressant danalyserpar des mthodes comparatives. Comme le laisse entendre Margaret

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    Scammel71, inspire des analyses de Stephano Bartolini et Peter Mair72,il est plausible que les partis ngligent plus ou moins la poursuite deOLGpDO GHSDUWLFLSDWLRQFLWR\HQQH DXSURWGH ODSUpRFFXSDWLRQGHscuriser leurs ressources: Typically, [] parties have shifted fromsociety to the state to safeguard their future, preferring state moneyDQGSURWHFWLRQWRWKHLQFUHDVLQJO\GLIFXOWWDVNRIEXLOGLQJDQGUHWDLQLQJmembership, and to insulate themselves from the taint of corruptionassociated with private and corporate donations. This may work as asurvival strategy.

    Cela tant not, la tentation de voir dans les coalitions une solu-tion la crise de la reprsentation accrot la pertinence de leur tude.Toutefois, mme sil prsente des aspects clairants de lvolution despratiques dmocratiques, le phnomne est marqu de quelques zonesdombre. Dabord, le degr de lengagement citoyen est extrmementvariable et, parfois, minimal. Cela se traduit, notamment, dans uneparticipation par chquier73 , expression qui voque une rductionde la participation une dimension montaire tout en procurant labonne conscience de contribuer une cause estime juste. Au vudes limites de ce type daction, nous refusons le jeu de la candeuret soulignons la ncessit de repenser la notion mme dengagementcitoyen, dautant plus quest par l marqu le passage un consu-PpULVPHSROLWLTXHTXLSRVHGLPPHQVHVGpVDX[LQVWLWXWLRQVGpPR -cratiques contemporaines74. En ralit, cette forme de participation necontrecarre aucunement pouvant mme contribuer la stimuler lamutation du citoyen en consommateur de services et, la limite, ellene semble pas en mesure de sortir le citoyen dun rle de spectateurdes affaires politiques75.

    71. Margaret Scammel, Citizen Consumers. Towards a New Marketing of Politics?,

    dansMedia and the Restyling of Politics. Consumerism, Celebrity and Cynicism,sous la dir. de John Corner et Dick Pels, Londres, SAGE Publications, p. 131.

    72. Stephano Bartolini et Peter Mair, 2001, Challenges to Contemporary PoliticalParties, dans Political Parties and Democracy, sous la dir. de Larry Diamond etRichard Gunther, Baltimore (MD) / London, The Johns Hopkins University Press,p. 327-342.

    73. $OODQ-&LJOHU,QWHUHVW*URXSV$6XEHOGLQ6HDUFKRIDQ,GHQWLW\GDQVAmerican Institutions, sous la dir. de William Crotty, Evanston (IL), NorthwesternUniversity Press.

    74. Scammel, 2003, Citizen Consumers. Towards a New Marketing, p. 117-136;Crenson et Ginsberg,Downsizing Democracy, op. cit; Pierre Rosanvallon, 2006,/DFRQWUHGpPRFUDWLH/DSROLWLTXHjOkJHGHODGpDQFH, Paris, ditions du Seuil.

    75. Russell J. Dalton, Ian McAllister et Martin P. Wattenberg, 2000, The Consequencesof Partisan Dealignment, dans Parties Without Partisans. Political Change in

    Advanced Industrial Democracies, sous la dir. de Russell J. Dalton et MartinP. Wattenberg, New York/Oxford, Oxford University Press, p. 58; Perrineau, Intro-duction, p. 7; Putnam,Bowling Alone, p. 46.

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    De fait, les liens entre le citoyen et les gouvernements sapparententtoujours davantage ceux que lon retrouve dans le modle canonique dela dmocratie dquilibre propos par Joseph A. Schumpeter et rapportpar C.B. Macpherson: On y traite les citoyens comme de simplesconsommateurs et la socit politique est considre comme un systmesemblable celui du march, dans lequel se font les changes entre lescitoyens et les fournisseurs de produits politiques76. Ces tendancessont dailleurs encourages par les TCP eux-mmes qui modlent leursrelations avec les citoyens sur une approche clients et mettent enrelief limportance quils accordent la qualit et la prestation desservices. Lui-mme conditionn par des valeurs utilitaristes malgrles proclamations solennelles que notre re est typiquement devenuepostmatrialiste! et des intrts individualistes, le citoyen sest muen un consommateur politique de plus en plus exigeant, renonant taci-tement tre le producteur associ du monde commun77 .

    Leffet est pervers! Lclosion du consumrisme politique sac-compagne dune dlgitimation des pouvoirs politiques et dunergression de la capacit des institutions. En tmoigne lmergencedunepersonal democracy78TXLSURWHVXUWRXWDX[FLWR\HQVTXLSDUWLHGHOpOLWHHQJDJpHGLVSRVHQWGHPR\HQVVXIVDQWVSRXUDJLUjWLWUHindividuel et faire valoir leurs revendications directement auprs desTCP. Le type du citoyen-consommateur saccorde plutt mal unedmocratie de participation, dont la ralisation appelle un changementtout dabord dans la conscience (ou linconscience) des citoyens,qui doivent cesser de se considrer et dagir avant tout comme desconsommateurs79 , et suppose une intgration, idalement, du discourspolitique au vcu quotidien des citoyens. Or le contexte sociopolitiqueactuel offre de bien faibles incitatifs aux citoyens pour quils sappro-prient une part de ce discours et participent la discussion politiqueentourant le vivre-ensemble80.

    La reconnaissance de ces limites et embches ne conduit pas uneoccultation des fonctions importantes dornavant exerces par les coali-tions au sein des systmes politiques. Rptons quand mme que lac-tion qui sy greffe nest pas toujours dune parfaite limpidit. Amenescouramment sinscrire dans une relation de rciprocit avec ltat, quipeut mme parfois contribuer leur cration, les coalitions se caract-risent par des degrs divers dinstitutionnalisation et, consquemment,se diffrencient dans les stratgies politiques dployes. Aussi peut-onles voir osciller entre, dune part, des dmarches rcurrentes de colla-

    76. Macpherson, Principes et limites de la dmocratie librale, p. 103.77. Rosanvallon,La contre-dmocratie, p. 258.78. Crenson et Ginsberg, Downsizing Democracy, op. cit.79. Macpherson, Principes et limites de la dmocratie librale, p. 129.80. Nina Eliasoph, 1998,Avoiding Politics. How Americans Produce Apathy in Everyday

    Life, Cambridge, Cambridge University Press, p. 230.

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    boration et de partage de linformation avec les TCP et, dautre part,des penchants contestataires propres aux mouvements sociaux, ce partir de quoi il parat appropri de signaler lappel lanc par Andrew S.McFarland81 pour une intgration plus pousse des perspectives analy-tiques issues de la thorie des mouvements sociaux, quil sagisse de lamobilisation des ressources, de la structure des opportunits politiquesou du cadrage des revendications et des analyses axes sur laction desgroupes et des coalitions.

    En lien avec notre objectif de renouveler notre comprhension desformes de la participation politique, notre tude permet davancer queles coalitions reprsentent des manifestations particulirement clai-rantes des recompositions de lengagement politique. Notre incursiondans lunivers des coalitions actives au Qubec met en lumire lagrande diversit des formes daction des groupes et des coalitions. Surla base des donnes recueillies et partiellement analyses, elle invite nuancer certains lments de la thorie de la survie organisationnelletout en dmontrant son indniable potentiel touchant la thse duneinstrumentalisation de la participation citoyenne. Une analyse pluspousse des renseignements recueillis avec notre questionnaire et laralisation prvue dentretiens semi-dirigs nous permettront dappro-fondir quelques questions trop sommairement voques ici, notammentcelles relatives au processus de recadrage des intrts particuliers enintrt gnral et den examiner de nouvelles, en particulier celles seUDSSRUWDQWjODSHUFHSWLRQGHOHIFDFLWpGHODFWLRQHQFRDOLWLRQ

    En abordant les questions de la participation citoyenne et de laGpPRFUDWLHUHSUpVHQWDWLYHVRXVOHVDQJOHVGHODQDWXUHGLYHUVLpHHWde laction polymorphe des coalitions, nous croyons avoir montrlimportance de faire une analyse attentive cette catgorie dacteurs.Nous estimons que cette voie ouvre la possibilit damliorer notrecomprhension des transformations en cours des processus politiqueset dmocratiques.

    81. Andrew S. McFarland, 2004, Neopluralism. The Evolution of Political ProcessTh L (AR) U i i P f A k