hubert ou le chemin bleu

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B E S A N Ç O N

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H U B E R T ou

le chemin bleu

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Jean Hansen

HUBERT ou

le chemin bleu

roman

LA BOUGIE DU SAPEUR

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Je dédie ce livre à tous les d'école

qui ont eu la patience de me supporter.

© La Bougie du Sapeur, 1991. ISBN 2-90713-509-0

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ATTENTION

CECI EST UN M E D I C A M E N T

INDICATIONS

Cafardite, dépoétisation cervicale à caractère dépressif, atrophie du grand zygomatique, sérieusite galopante.

COMPOSITION

Papyrus industriel Encre sympathique Points de suspension, points-virgules, Points d'exclamation, point final. Essencia humoristicae Rigoline satirique Extraits de poésie onirique

POSOLOGIE

Un chapitre matin et soir

PRECAUTIONS D'EMPLOI

Ne pas administrer aux malades non-francophones et aux imbus butés et imbuvables.

Vous pouvez dépasser la dose prescrite

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Il était une fois un bonhomme bien triste à l'idée que 2 + 2 faisaient toujours 4.

C'était un petit monsieur qui avait très peur des sour- cils froncés, des cornichons et du vinaigre.

Un jour il alla se promener dans son jardin secret Au milieu, il vit un tas de problèmes Ce n'était pas beau Ça faisait désordre... et ne sentait pas bon.

Il en fit dix fois le tour, réussit à se rattraper, se flanqua un coup de pied au derrière et se traita de paresseux.

Vexé, il rentra chez lui, s'enferma à double tour et raconta tout à son stylo.

Peu de temps après il y eut plein de fleurs.

Ainsi naquit Hubert Sidou.

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CHAPITRE PREMIER

Dans lequel nous voyons un réveil boutonneux mettre Hubert dans de beaux draps et un monsieur en pyjama planer loin, très loin.

Hubert Sidou volait doucement au-dessus des toits du vieux Paris. Ni vu ni connu, il prenait un grand plaisir à regarder par la fenêtre des chambres de bonnes. Hélas il fut brutalement agressé par l 'horrible sonnerie d 'un réveil.

Surpris, il se rattrapa de justesse à la barre d 'appui d 'un petit balcon, évita ainsi une chute vertigineuse et se retrouva dans une chambre. C'était la sienne.

Il se glissa dans le lit. La sonnerie sonnitruait de plus belle.

Il tâ tonna à la recherche de la mécanique, fit tomber un livre, un fantasme rechargeable, renversa sa lampe de chevet et trouva l'engin. Il appuya fortement sur le petit bouton qui repoussait toutes les nuits sur la tête du machin.

— Aïe ! cria celui-ci avant d 'arrêter ses sonneries. Dans un grincement de portail médiéval, Hubert

ouvrit l 'œil droit, puis l 'autre. — Zut ! encore du ménage à faire. C'était vrai. Ejectés de la boîte à tic-tac, il y avait des

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décibels partout : sur les draps, les couvertures, l'édre- don, la descente de lit, même sur les meubles, dispersés par milliers, ainsi que des confettis un lendemain de carnaval. Certains d'entre eux volaient encore dans la pièce ou ricochaient d 'un mur à l 'autre.

Hubert soupira, se leva, s'étira et enfila ses pantou- fles.

Il alla d 'un pas resseux ouvrir en grand les deux fenêtres de sa chambre. L'une donnait sur la cour de l 'immeuble, l 'autre, sur un ciel toujours bleu installé par le locataire précédent. Pour celui-ci, Hubert avait dû payer une assez forte reprise mais il avait accepté par crainte de voir son prédécesseur emporter le joli coin d'azur. Pour rien au monde, il n 'aurait voulu retrouver l 'ancienne vue, un immense mur d'incompréhension construit d 'un commun accord par un couple du voisi- nage en perpétuelle mésentente.

Les deux fenêtres ouvertes laissèrent entrer un léger courant d'air. En sifflotant, il débarrassa la pièce des milliers de flocons sonores.

Un léger ronronnement le fit se retourner. Un homme au sourire béat était entré par la fenêtre qui donnait sur la cour.

— Bonjour monsieur Sidou, veuillez m'excuser, je ne fais que passer... lui dit-il.

C'était le voisin du dessous. Vêtu d 'un pyjama bleu nuit orné de fleurs multi-

colores qui exhalaient des odeurs printanières, il se déplaçait paisiblement dans l'espace. Une expression de bonheur tranquille se lisait sur son visage poupon.

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— C'est mon jour de repos, j ' en profite pour faire la grasse matinée, expliqua l 'homme flottant.

Il rêve, c'est sûr, comprit Hubert . — J'espère que vous n'avez pas remonté la sonnerie

de votre réveil ? demanda-t-il avec un soupçon d'inquié- tude.

— Oh ! non ! rassurez-vous, répondit le planeur. Je veux profiter d 'un jour de repos, je ne l 'ai pas volé.

Sur ces mots, il s'envola. Une grande fleur jaune tomba de son pyjama. Elle ressemblait à une pensée de Gandhi.

— Monsieur, monsieur ! lui cria Hubert . Mais l 'homme songe n'était plus qu 'un tout petit

point, là bas, dans l'espace bleu. Il ne pouvait plus l 'entendre.

— Confiez-la moi, je vais la lui rapporter, proposa un petit moineau qui logeait à l 'angle de la gouttière. Hubert et lui entretenaient d'excellents rapports. Ils n'avaient jamais de prise de bec.

— Merci, merci beaucoup.. . Je la lui aurais rapportée moi-même si je n'avais pas été arraché de mon sommeil.

Il confia la fleur au gentil piaf qui la prit délicatement dans son bec et fila d 'un vol rapide en direction du rêveur distrait.

Hubert se prépara.

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C H A P I T R E II

Où l 'on apprend qu 'Huber t , s'il est à cheval sur les principes, n 'en est pas moins assis sur les conventions.

Situé au quatrième et dernier étage d 'un petit immeu- ble du vieux Paris, le logement d 'Huber t était modeste mais agréable. Il comprenait une entrée, deux grandes pièces, une cuisinette, un cabinet de toilette et un petit local qui ne servait que deux ou trois fois par jour mais qui était indispensable.

L'entrée faisait également office de sortie. Elle était tapissée d 'un papier uni sur lequel Hubert avait placé de nombreux petits cadres, des citations et maximes célèbres.

Il y en avait de Groucho et de Karl Marx, de Platon, de Boris Vian et de bien d'autres penseurs renommés. La dernière posée rappelait un principe fondamental enseigné aux étudiants du monde entier.

« Tout homme plongé dans notre société reçoit de haut en bas une poussée égale au poids du merdier qu'il engendre ».

« Archimerde », bien sûr. L'entrée était éclairée par toutes ces pensées lumineu-

ses qui brillaient depuis des lustres.

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La plus grande pièce faisait salon et bibliothèque. Une très grande fenêtre laissait poliment entrer la lumière ; les murs étaient recouverts d 'un papier peint réversible sur trois faces.

La première déployait une grandiose fresque peinte par Pirolino et représentait la construction de la muraille de Chine par un maçon anonyme. La seconde face mon- trait cette même muraille avant sa construction.

Enfin, la troisième actuellement exposée offrait un paysage boisé et champêtre. Il avait l 'avantage de chan- ger de teintes au fil des saisons. Deux inconvénients toutefois. Au printemps, la floraison déclenchait chez Hubert un léger rhume des foins. En automne, il lui fallait chaque jour balayer les feuilles mortes tombées le long des murs.

Dans un angle de la pièce, se dressait un chevalet. Une toile y était posée. Elle représentait deux œufs. L 'un dur, l 'autre pas.

La bibliothèque était riche de plusieurs rayons. Hubert les avait classés, du plus triste au plus drôle. A une extrémité, se trouvait L 'Ecume des Jours, à l 'autre L 'Ecume des Jours.

Il se plaisait souvent à lire, vautré dans un divan profond comme un tombeau, vieux meuble hérité de ses arrière-grands-parents.

Le soir, la pièce était éclairée par un bec de gaz en fonte, cadeau d 'un ami.

Le rideau de la grande fenêtre se prolongeait jusqu 'au sol. Il devenait alors un tapis moelleux qui couvrait tout le parquet. Au milieu de la pièce résidait une table basse. Hubert n'appréciait ni les tables ordinaires ni les chaises guindées. Il aimait par contre s'asseoir sur de gros cous- sins cossus, des poufs ou des conventions.

Un buffet Charles XI faisait face à la bibliothèque.

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Sur la table basse vivait Eugène. Discret et affectueux, il se trémoussait Je joie à chaque retour de son ami. Une silencieuse affection s'était installée entre eux depuis le jour où Hubert l'avait aperçu prisonnier dans un minuscule bocal avec plusieurs autres captifs.

C'était à l'étalage d 'une graineterie près des quais de la Seine.

Une espèce de grande brute le poursuivait de sa haine et le pauvre était bien prêt de rendre sa dernière bulle. Le jeune homme, ému par ce drame, l 'avait immédia- tement réclamé au commerçant insensible.

— Celui-là, Monsieur, le petit, celui à qui il manque des écailles, celui qui se sauve !

Il l 'avait rapporté chez lui ainsi qu 'un immense bocal conçu sans doute pour les bébés baleines.

— Au moins, il aura de la place, avait-il conclu. Ils ne se parlaient que très peu mais prenaient un réel

plaisir à vivre sous le même toit. Simplement, au moment de son adoption, à l 'instant

même où le marchand le transvasait, Hubert avait entendu une toute petite voix lui dire : « Monsieur... merci ! »

La chambre elle aussi était tapissée d 'un joli papier peint. Il représentait des hirondelles posées sur les fils d 'une ligne électrique. Celles-ci changeaient souvent de place et réveillaient parfois Hubert avec leurs mélodies.

Il ne leur en tenait pas rigueur, jouait même souvent leurs petites musiques sur sa guitare à dix cordes ; cinq cordes de pluie ramassées un jour où il en pleuvait, cinq autres faites de rayons de soleil empruntés à ce dernier. L'astre s'était laissé faire sans pâlir.

Ainsi, l ' instrument pleurait ou riait suivant le temps qu'il faisait dans le cœur d 'Hubert .

Dans la chambre, peu de meubles. Le lit, bien sûr,

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garni de gros coussins. Il était recouvert d ' un couvre-lit bleu ciel. Tricoté par une collègue de bureau, il devenait bleu nuit à la tombée du jour. La lampe de chevet portait un abat-jour de même couleur mais lui devenait bleu jour à la tombée de la nuit.

Dans un angle de la pièce, près de la fenêtre sur cour, se tenait un petit bureau laqué blanc et une chaise assor- tie. Sur celui-ci règnait un fouillis harmonieux. Du cour- rier, des oublis urgents, un carnet de croquis et quelques bouquins, notamment La Poésie, thérapeutique du Sage, Planter un clou sans risque et les œuvres complètes de Dieu en plusieurs volumes. Au mur, une photo un peu vieillotte représentait un couple vêtu à l 'ancienne mode.

Silencieux et discrets, les parents d 'Huber t y regar- daient le présent.

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C H A P I T R E III

Où l 'on comprend que les coucous ne font pas des pies et que les temps changent.

Papa Sidou avait été un charmant petit homme ron- douillard toujours tiré à quatre épingles.

Il portait habituellement un costume de velours à col montant et une lavallière. Hubert n'oubliait pas la dou- ceur de son visage entouré d 'un halo de cheveux blancs coiffés par le vent.

Sa maman, elle, était une fluette petite dame presque toujours soulignée de fins chemisiers brodés.

De son enfance auprès d'eux, il gardait un souvenir douillet et reconnaissant. Jamais de cris à la maison, pas de dispute, pas de bouderie. Un esprit de compré- hension et de douceur y créait un cocon paisible et feutré. Hubert avait grandi très heureux. La musique, les livres et les conversations calmes et riches l'avaient nourri dès sa plus petite enfance.

Heures inoubliables d 'un bonheur familial tout simple né de l 'amour sans faille que s'étaient toujours porté M. et Mme Sidou.

Ils s'étaient rencontrés au jardin public. Papa avait pris la succession de ses parents qui tenaient de leurs

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parents un petit manège de chevaux de bois, lointain héritage de famille.

Ça tombait bien, il aimait les enfants. Maman était la fille des marionnettistes du théâtre de Guignol. Là où les bambins riaient à en pleurer des volées de coups de bâton administrées par Gnafron à l ' infortuné gendarme.

C'était bien, elle aimait les enfants. Lorsqu'ils se virent, la première fois, ils comprirent

d 'un seul regard qu'ils venaient de se marier. Ils étaient tous deux devenus du même rouge cerise au grand éton- nement attendri de leurs parents. Ils se dirent un « oui » définitif et officiel quelques mois après.

Mme Sidou était alors venue travailler au manège avec son gentil mari. Elle avait ajouté un petit comptoir de sucreries. Les mamans pouvaient y trouver des bonbons, de la barbe à papa, des sucettes aux fruits ou à la camomille pour les enfants insupportables, et à deux manches pour jumeaux.

Hubert naquit trois ans après, le même jour qu 'un charmant cheval de bois venu agrandir le cercle du manège.

Les années s'étaient alors écoulées heureuses jusqu 'à ses dix-sept ans. Il se produisit alors un événement ter- rible.

Un samedi, papa Sidou s'était rendu à son travail, comme à l 'ordinaire. Son épouse le rejoignait habituel- lement en fin de matinée.

Arrivé à proximité du manège il vit plusieurs ban- derolles marquées d'inscriptions diverses. Sur la plus grande on pouvait lire : « Grande fête — 1er circuit motocycliste communal. »

D'autres banderoles vantaient les qualités des huiles moteur « Sluirp », du carburant « Vroum » de la bois- son gazeuse « Gloup », des pneus « Kikriss », etc. Sur

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les arbres avaient été installés des hauts hurleurs qui expectoraient une musique grinçante entrecoupée des commentaires gouailleurs d'un speaker métallique. Une foule inhabituelle se pressait autour d'un groupe de blousons surmontés de casques à visière fumée. Montés sur d'impressionnants engins et bottés de cuir, ces gens paraissaient venir d'un autre monde. M. Sidou avait vite compris que les carapaces étaient habitées.

— Pardon, Monsieur, que se passe-t-il ? demanda-t- il à un énorme bonhomme occupé à coller des carreaux blancs sur un drapeau noir.

— Ben... tu vois bien pépère, c'est une course de motos. Tiens ! t'as pris ton billet de tombola ? demanda l'homme collant.

— Quelle tombola ? — T'occupes... Hé Jojo, file un billet au vieux ! C'est

organisé par l'amicale des employés du ministère de l'Environnement. Tu peux gagner ton poids d'huile de vidange, c'est cinq balles, tente ta chance !

Le nommé Jojo s'était approché. Il jeta au sol une boîte de bière vide, sortit de sa poche un carnet de tickets écornés, en détacha un.

— Tiens pépère et gode lucke... M. Sidou n'osa pas refuser. Il donna cinq francs au

nommé Jojo. Pendant ce temps, l'énorme bonhomme avait collé son dernier carreau blanc sur le drapeau.

Il s'avança devant les engins grondants et leva son oriflamme. Un énorme grondement d'impatience répon- dit à son geste. Il abaissa vivement le drapeau. Un terrible vrombissement suivit. Les machines s'élancèrent dans un infernal nuage de bruit et de poussière.

C'est alors que M. Sidou horrifié vit tous ses chevaux de bois se cabrer de peur ; terrorisés, ils brisèrent leurs attaches et sautèrent en hennissant la petite barrière qui

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délimitait le manège. En un instant ils disparurent au loin malgré ses appels désespérés.

En dépit de toutes les recherches entreprises, on ne les retrouva pas. Ils s'étaient enfuis dans le passé.

Quelques jours après, l'on découvrit dans la petite guérite du manège désert le corps de M. Sidou. Il était mort de chagrin.

Infirmes de papa, Hubert et sa maman continuèrent les jours ensemble, cahin-caha.

Ils furent contraints de vendre ce qui restait du manège à une société internationale qui y plaça immédiatement une nouvelle installation riche de tanks, d'avions, de fusées spatiales. Une super sono chassa l'orgue de bar- barie.

Hubert dut interrompre ses études et travailler au plus vite.

Il passa l'examen de commis d'administration et fut reçu. Il fit ses débuts dans un service de recouvrement du ministère de la Ponction publique mais, ne pouvant supporter de voir à longueur de journée les tribuables apporter tant d'argent à l'Etat, il demanda et obtint sa mutation au ministère de la Paperasserie nationale.

Peu de temps après, sa maman inconsolable se noya accidentellement dans un flot de larmes. C'était le jour anniversaire de la disparition de son compagnon.

Hubert terriblement seul retrouva dans sa petite main le médaillon d'argent dans lequel elle souriait, en robe de mariée, à côté de M. Sidou.

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C H A P I T R E IV

Où l 'on rencontre un homme amadoué et où l 'on cons-

tate qu 'Huber t est au chômage technique alors que le chien du concierge et Mlle Labech disent des bêtises.

Commis de première classe au ministère, Hubert se devait d'être normalement au bureau à 8 h 30. En fait, il arrivait à 8 h 55 soit, prudence, cinq minutes avant l'arrivée de son chef direct, M. Boidu.

Le dit chef aurait dû lui-même commencer à 8 h 30, heure à laquelle arrivait M. Pointeau le chef de service, cela sans aucune défaillance qu'il pleuve, vente, neige ou fasse beau.

Ce dernier était d 'une pointilleuse ponctualité mais heureusement ne représentait pas un grand danger.

En effet, M. Pointeau se contentait de vérifier l'exacte arrivée de son adjoint Boidu. Néanmoins celui-ci avait réussi à carotter journellement une petite demie-heure. Comment ? Très simple.

Fumeur de pipe, il appréciait particulièrement un tabac de fort arôme à l 'odeur très persistante.

Il s'était alors mis de mèche avec le concierge M. Trousseau. Toujours prêt à servir et à obéir, celui- ci était un ancien militaire qui avait perdu deux fois la jambe gauche ; la première fois sur le front de l'est, la

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seconde lors d 'une invasion de termites dans sa prothèse. L 'Etat reconnaissant lui avait attribué un poste de gar- dien, une pension et la dotation annuelle d ' un bidon de cinq litres de vernis à bois.

M. Boidu avait offert au héros une pipe, superbe bouffarde en bruyère et trois kilos de son délicieux tabac.

Tous les matins, fier de la mission qui lui était confiée, le brave monopode arpentait les couloirs du service en fumant comme un paquebot. Ainsi, lorsqu'arrivait le chef, ses narines reconnaissaient l 'odeur caractéristique. Rassuré, il en déduisait que son adjoint était arrivé, s 'enfermait alors dans son bureau, derrière sa porte capitonnée, et terminait la grille de mots croisés com- mencée dans l 'autobus.

A la même heure, à quelques minutes du bureau, chez lui, tranquille, M. Boidu prenait son temps, assis devant un grand bol de café au lait et quelques tartines beurrées.

La pièce dans laquelle travaillaient Hubert et ses deux collègues était assez grande. Un portemanteau en bois, une corbeille à parapluies et un grand classeur à rideau momentanément inutilisable occupaient la droite et la gauche de la porte. Au-dessus de celle-ci une photo du chef de l 'Etat rappelait l 'Autorité suprême de la nation. Il était coiffé d ' un bicorne noir, était vêtu d 'une vareuse verte et tenait la main droite enfouie sous cette dernière. Certes, elle n'était plus d'actualité mais les différents successeurs de l 'homme représenté ici n 'avaient jamais fait parvenir leur effigie. Et puis, le bureau d 'Huber t dont personne n'avait pu dire la couleur ne comportait- il pas une inscription gravée au couteau « Tous à Mos- cou, vive l 'Empereur ! » ?

Deux autres bureaux, d'origine tout aussi indétermi- née mais peut-être plus anciens que le précédent, étaient

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La pelouse était épaisse et il faisait bon. — Dis... on s'assied un peu ? L'herbe douce prit les deux amoureux dans ses brins.

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C H A P I T R E XXXIV

Dans lequel il est démontré que 1 + 1 = 1

Hubert n 'osa pas — puis Hubert osa. Il posa doucement sa main sur l'épaule de la jeune

fille. Elle tremblait un peu. Leur cœur ne se quittait pas des yeux, leurs yeux ne

se quittaient pas du cœur. Tous deux échangeaient un silence d 'une infinie ten-

dresse. Si proches l 'un de l 'autre, ils ne virent plus qu'une

solution... et s'embrassèrent. Le jeune homme aurait aimé que s'arrête le temps et

vivre l'éternité sur les lèvres de Lia. Qu'elles étaient douces !

Jusqu'alors présente, Dame Raison comprit que rester sur place serait déplacé. Elle céda le pas à la sage folie de l 'amour. Délicats, les deux jeunes gens s'entouraient d'effleurements timides.

Hubert tremblait un peu, lui aussi. Lia, il le comprenait, était semblable à une terre vierge

que rien ni personne n'avait jamais connue. Peu à peu,