histoire d’une fille de ferme

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Histoire d’une fille de ferme ANALYSE D’UNE NOUVELLE DE GUY DE MAUPASSANT UNIVERSITE DE GENEVE, UNIVERSITE DE GENEVE, Faculté des Lettres Faculté des Lettres , , DESFLE. DESFLE. Séminaire de méthodologie littéraire Séminaire de méthodologie littéraire Professeur : Professeur : M. BEYLARD-OZEROFF Etudiantes : Mlle GRETHER Ivon et Mlle Etudiantes : Mlle GRETHER Ivon et Mlle ROJAS Rosario ROJAS Rosario Semestre d’hiver 1993-1994 Semestre d’hiver 1993-1994

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Page 1: Histoire d’une fille de ferme

Histoire d’une fille de fermeANALYSE D’UNE NOUVELLE DE GUY DE MAUPASSANT

UNIVERSITE DE GENEVE, UNIVERSITE DE GENEVE, Faculté des LettresFaculté des Lettres, DESFLE., DESFLE.Séminaire de méthodologie littéraireSéminaire de méthodologie littéraire

Professeur : Professeur : M. BEYLARD-OZEROFFEtudiantes : Mlle GRETHER Ivon et Mlle ROJAS RosarioEtudiantes : Mlle GRETHER Ivon et Mlle ROJAS Rosario

Semestre d’hiver 1993-1994Semestre d’hiver 1993-1994

Page 2: Histoire d’une fille de ferme

INTRODUCTION

• L’analyse que nous présentons ici de la nouvelle de Guy de Maupassant "Histoire d’une fille de ferme" est basée sur deux approches.

• Nous avons effectué, d’une part, une étude sémantique structurale du texte en suivant essentiellement l’approche de A. J. Greimas et, d’autre part, nous nous sommes concentrées sur l’aspect de la communication non-verbale.

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Nous nous sommes donc employées, dans un premier temps, à établir :

• la segmentation du texte en séquences• l’axe sémantique• le niveau narratif• le niveau thématique à l’aide du « carré sémiotique »• pour aborder, dans un second temps, la communication non-

verbale à propos de laquelle nous avons traité plus particulièrement deux aspects :

• les traits externes• le para-langageNous espérons ainsi être arrivées à dégager quelques éléments parmi

les plus significatifs du texte et à en proposer une interprétation cohérente.

• NOTE :Pour toutes les citations d’"Histoire d’une fille de ferme", on se

référera au recueil de contes et nouvelles de Guy de Maupassant « Boule de suif », Paris : Gallimard. 1973.

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1. SEGMENTATION EN SEQUENCESSéquence I : LE PRINTEMPSSéquence I : LE PRINTEMPS

I.1) La temporalitéEn suivant l’organisation chronologique du texte, et après

nous être livrées à une rétro-lecture de la deuxième séquence, nous pouvons attribuer à cette première séquence le titre (ou la dénomination sémantique) : la séduction, dont les catégories temporelles se définissent comme suit :

Avant ---> pendant ---> aprèsDans cette séquence I, les événements s’inscrivent dans

les temporalités ""avant" et "pendant" la séduction.

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Séquence II : L’ABANDONSéquence II : L’ABANDONII. 1) La temporalitéDans la première séquence nous avons retenu comme

dénomination sémantique la séduction avec les catégories temporelles :

Avant --- Pendant --- A p r è sSéquence 1 Séquence 2La deuxième séquence s’inscrit dans la catégorie temporelle

après. Or, selon le parcours figuratif de cette séquence, où il n’est plus question de séduction, nous pouvons attribuer à cette séquence une nouvelle dénomination sémantique : l’abandon. La séquence II correspond alors aux catégories temporelles avant et pendant :

la séduction --------------> l’abandonaprès ----------------------> avant - pendant

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I.2) Disjonction temporelleLa séquence est marquée par une disjonction temporelle

qui désigne un moment dans la vie de Rose la servante, il s’agit du printemps.

Le terme "séduction" n’apparaît pas en tant que tel dans le texte ; cependant, une rétro-lecture de la séquence suivante permet, d’une part, d’associer les événements ici narrés à ce terme qui les résume. D’autre part, la disjonction temporelle renforce ce critère de segmentation du fait que, mis à part le printemps, l’auteur ne mentionne aucune autre saison de l’année pour se référer au temps dans lequel il situe le texte, de telle manière que le lien devient évident entre le printemps et un moment spécifique dans la vie de la jeune servante, si on le met en rapport avec la suite du récit.

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Suivant le code chronologique, nous avons donc, les indices suivants de délimitation de la séquence :

"le temps était fort beau" "un midi brûlant" "la chaleur de ce jour" "le printemps"

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I.3) La spatialitéDès la première séquence, nous avons un aperçu de l’organisation

spatiale du texte. La campagne apparaît comme un lieu paratopique à partir duquel l’auteur établit une série de lieux différemment valorisés. Voici un schéma résumant la spatialité du texte telle qu’elle apparaît dès la première séquence :

LA CAMPAGNE(englobant)LE PAYS <------> LE VILLAGE NATAL (englobé)LA FERME(englobé)LA CUISINE, L’ECURIE <--- vs ---> LA COUR DE LA FERMELieux fermés <--- vs ---> Lieu ouvert(lieux englobés) <--- vs ---> (lieu englobant)Lieux « culturels » <--- vs ---> Lieu « naturel »

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Les événements ici narrés se produisent spécifiquement dans la ferme. Une première opposition apparaît à l’intérieur de la séquence où les pôles sont définis par les termes « intérieur » vs « extérieur » avec une connotation négative et positive respectivement . Cette opposition équivaut, au niveau thématique, à l’opposition « culture » vs « nature » (cf. Lévi-Strauss).

INTERIEUR <------ vs ------> EXTERIEURLA CUISINE <------ vs ------> LA COUR DE LA FERMEenfermée par des murs d’argile vs enfermée par des arbreslieu fermé vs lieu ouvertculture vs naturedysphorique vs euphoriqueEn effet, le printemps n’acquiert de valeur euphorique que lorsqu’il est

manifesté dans la nature, c’est-à-dire à l’extérieur. La connotation positive du printemps est d’autant plus évidente que l’auteur fait une description parallèle, à valeur dysphorique, de la cuisine. Pour mettre en évidence cette relation spatiale nous ferons appel au code sensoriel.

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I.4) Le code sensorielL’auteur fait dans cette partie une description détaillée d’éléments

ayant trait à trois sens essentiellement : l’odorat, la vue et le toucher.

a) Les odeursINTERIEUR :"odeurs de basse-cour""tiédeurs fermentées d’étable""émanations anciennes""saveur âcre du laitage""vapeur dégagée par le fumier""dehors, mais devant la porte"VSEXTERIEUR :"un grand trou vert plein de violettes dont l’odeur se répandait""les toits (…) fumaient un peu comme si l’humidité des écuries et des

granges se fût envolée à travers la paille"

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b) La vueINTERIEUR"murs d’argile noircis""poutres enfumées""toiles d’araignée""harengs saurs suspendus""rangées d’oignons"VSEXTERIEUR :A la lumière de dehors s’oppose l’obscurité de l’intérieur :"s’interrompant pour regarder deux carrés lumineux que le

soleil, à travers la fenêtre, plaquait sur la longue table" (p.123)

Effet lumineux rendu possible grâce à la pénétration des rayons solaires dans un endroit sombre, opposition renforcée par la noirceur des murs et des poutres enfumées.

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c) Le toucher Maupassant traite le sens du toucher non pas

seulement par rapport à la température (le temps était fort beau, c’était un midi brûlant, la chaleur de ce jour, l’air immobile et chaud) mais aussi par rapport à un contact plus général avec la nature (l’envie de Rose de courir comme le jeune poulain, l’envie de s’étendre sur l’herbe, un bien-être coulant dans ses membres, etc.).

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I.5) Disjonction actorielleLe critère spatial est inopérant pour distinguer cette séquence

des autres, nous faisons donc appel à une disjonction actorielle correspondant mieux à la délimitation temporelle de la séduction.

"Elle allait même s’endormir tout à fait, quand elle sentit deux mains qui lui prenaient la poitrine ( ..) C’était Jacques, le garçon de ferme" (p.125)

L’entrée de Jacques en scène correspond dans les catégories temporelles à /avant - pendant/ la séduction. Cette première séquence se présente comme l’annonce du récit lequel commence, en fait, à partir de la deuxième séquence.

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Séquence II : L’ABANDONSéquence II : L’ABANDON

II. 1) La temporalitéDans la première séquence nous avons retenu comme dénomination

sémantique la séduction avec les catégories temporelles :Avant --- Pendant --- A p r è sSéquence 1 Séquence 2La deuxième séquence s’inscrit dans la catégorie temporelle après. Or,

selon le parcours figuratif de cette séquence, où il n’est plus question de séduction, nous pouvons attribuer à cette séquence une nouvelle dénomination sémantique : l’abandon. La séquence II correspond alors aux catégories temporelles avant et pendant :

la séduction --------------> l’abandonaprès ----------------------> avant - pendant

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II.2) Disjonction temporelle

"Puis, peu à peu, Jacques parut s’ennuyer d’elle (...) et, au bout de quelque temps, elle s’aperçut qu’elle était enceinte"

Cette disjonction marque la fin progressive de "l’idylle amoureuse" entre Rose et Jacques (la fin de la belle époque du printemps) délimitant ainsi les séquences I et II, d’une part. D’autre part, si nous ajoutons au désintérêt de Jacques pour Rose l’introduction d’un nouvel événement (la grossesse), le passage de l’état de séduction à l’éminent état d’abandon assure l’enchaînement des deux séquences.

Dès la première séquence, un indice symbolique annonce cette transformation : lorsque Rose va chercher les oeufs au poulailler elle en trouve treize et ce chiffre "cabalistique" se présente comme un élément qui maintient le suspense en annonçant l’approche d’un malheur. Un malheur qui devient réel lors de la deuxième séquence et qui se traduit par l’abandon.

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II.3) La spatialitéLes événements narrés dans cette partie du texte se passent dans le

lieu para-topique : le pays (mentionné plus haut) où se situe la ferme ainsi que ses alentours :

le pays ---> la ferme---> l’église, l’école, le chemin

II.4) Disjonctions actoriellesLa spatialité ne suffisant pas à assurer l’autonomie de cette séquence,

nous faisons appel aux disjonctions actorielles ainsi que nous avons procédé pour délimiter la séquence précédente. Elles correspondent mieux à la délimitation temporelle de l’abandon.

Entrée virtuelle de l’enfant : "elle s’aperçut qu’elle était enceinte"Sortie de Jacques : "il avait quitté le pays tout à fait"Même sous son aspect virtuel, l’entrée de l’acteur « enfant » est

importante, dans le sens qu’il détermine dès maintenant l’action du sujet (Rose), point que nous développerons plus loin.

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II.5) Disjonction d’ambiance

Nous pouvons opposer la dysphorie de cette séquence à l’euphorie de la première :

SEQ. II (dysphorie)"elle était (...) obsédée par la pensée de son malheur""Alors commença pour elle une vie de torture continuelle""elle sentait venir, se rapprochant chaque jour, irréparable, et sûr

comme la mort"

vsvsSEQ. I (euphorie)"elle sentit une douceur qui pénétrait au cœur""Saisie par un bien-être bestial" »"Tout doucement elle fermait les yeux, assoupie dans une mollesse

délicieuse"A l’aide de cette disjonction nous concluons à l’autonomie de la

séquence II.

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Séquence III : LA SEPARATION III.1) La temporalitéAlors que dans la deuxième séquence il est question de grossesse vécue dans

l’abandon, il s’agit dans cette séquence de maternité (accouchement), vécue toujours dans l’abandon puisque le père de l’enfant ne revient pas. Donc, l’état d’abandon ne change pas en lui-même, on y ajoute plutôt une transformation issue de la situation que celui-ci provoque et, en ce sens, nous pouvons attribuer à cette séquence une nouvelle dénomination sémantique : "la séparation". En effet, peu de temps après l’accouchement, Rose décide de ne pas prendre avec elle son enfant : elle se sépare de lui.

Reprenant le schéma de la séquence précédente, nous obtenons donc que la séquence III s’inscrit immédiatement dans pendant l’abandon. Mais, suivant la nouvelle dénomination sémantique, les catégories temporelles se font en fonction de celle-ci, et la séquence III s’inscrit alors dans avant et pendant.

l’abandon --------> la séparationpendant ------->avant-pendant Séq. III

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III.2) Disjonction temporelle"Sa mère (...) mourut le jour même de son arrivée ; et, le

lendemain, Rose accouchait d’un enfant".Cette disjonction, prise isolément, marque le passage de l’état

de grossesse à l’accouchement ; mais lorsqu’il s’agit de rendre son autonomie à la séquence III par rapport à la précédente, elle devient insuffisante, surtout dans les termes dans lesquels s’est établie la temporalité de la séquence. Le terme "séparation" n’apparaît que trois paragraphes plus loin et c’est par une rétro-lecture que nous faisons le lien entre accouchement et séparation. Ce fait, loin de paraître incohérent, nous permet de détacher la séquence III de la séquence II en opposant grossesse/naissance et, lorsqu’on tient compte de la /séparation/, la disjonction n’en est que confirmée (sans naissance il n’y aurait pas eu de séparation) et assure en même temps la continuité du récit.

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III.3) Disjonction actorielleEntrée réelle de l’enfant :"Rose accouchait d’un enfant de sept mois".III. 4) La spatialitéLes événements ici narrés se développent dans deux endroits

différents : le village natal, inscrit comme le « là-bas » et le pays où se trouve la ferme que nous désignons, par opposition, comme l’ « ici ». Ce dernier acquiert une valeur dysphorique parce qu’il marque la séparation entre Rose et son enfant, tandis que le premier est euphorique parce que c’est l’endroit de la conjonction.

la campagne (englobant) :ICI (le pays, la ferme) vs LA-BAS (le village natal)Rose sans son enfant vs Rose avec son enfantmalheur, tristesse vs bonheurdysphorique vs euphorique

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Dans la séquence I nous trouvons un indice qui a trait à cette même opposition :

Séq. I :"- Y a bien longtemps que je n’ai vu maman ; c’est dur tout de même

d’être séparées tant que ça. Et son oeil perdu regardait au loin. (...) jusqu’au village abandonné là-bas, là-bas, vers le nord" (p.126)

Séq. II :"en son coeur si longtemps meurtri, se leva, comme une aurore, un

amour inconnu pour ce petit être chétif qu’elle avait laissé là-bas ; et cet amour même était une souffrance nouvelle (...) puisqu’elle était séparée de lui."(p.131)

Dans les deux cas apparaît /là-bas/ associé à /séparation/ mais, c’est bien là-bas, au village natal, que se trouvent les personnes chères et non pas à la ferme, c’est la raison pour laquelle celle-ci a une valeur dysphorique.

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• III.5) Code stratégique• "elle se mit à l’ouvrage avec fureur, et,

songeant toujours à son enfant, elle chercha les moyens d’amasser pour lui beaucoup d’argent."

• Etant donné la situation, Rose décide d’agir pour faire augmenter ses gages en travaillant ardemment et, peu à peu, elle fait prospérer la ferme devenant ainsi indispensable.

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Séquence IV : LE MARIAGE IV. 1) Code stratégiquePar sa résolution de travailler davantage, Rose change de statut non pas au

niveau matériel puisqu’elle gagne toujours le même salaire, mais au niveau stratégique, même si ce n’est pas ce qu’elle cherchait. En effet, l’action de Rose lui vaut la reconnaissance économique du fermier qui décide alors de l’épouser.

IV.2) La temporalitéSuivant la séquence précédente, cette séquence s’inscrit dans la catégorie

temporelle pendant (la séparation). Mais, à l’intérieur de cette étape, la séq. IV s’en distingue par la délimitation d’un nouvel événement qui commence par une proposition de mariage et finit par le mariage lui-même. Nous pouvons dès lors diviser la séquence en deux sous-séquences :

Pendant (Séquence IV) -----------> la séparation( Début (Avant) --------> fin (Après)--------> le mariagelère demande en mariage (Ssq. A)2ème demande en mariage (Ssq. B)

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IV.3) Disjonctions temporelles1°. "elle était à peine revenue que son maître

l’appela dans sa chambre" ---> lère. demande en mariage.

2°. "Rose ne se coucha pas cette nuit-là." —> Ssq. A3°. "Elle fut pendant quinze jours au lit, puis, le

matin..."— > Ssq. B : 2ème demande en mariage puis, quelque temps après, le mariage a lieu.

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IV. 4) La spatialitéL’espace dans lequel se déroulent les événements de la

séquence présente l’opposition entre la ferme, en tant que lieu fermé et la campagne (lieu ouvert).

la ferme (englobé,dysphorique) vs la campagne (englobant, +/- euphorique)

La proposition de mariage (la 1ère), qui est vécue par Rose comme source de malheur, se passe dans la chambre du fermier. Il en va de même lors de la deuxième demande qui se passe, cette fois-ci, dans la chambre de Rose. Entre les deux demandes, se trouve le passage où Rose s’enfuit dans la campagne. La campagne n’a pas de valeur euphorique à proprement parler, elle s’oppose néanmoins à la ferme car celle-ci représente l’oppression, le malheur, tandis que /dehors/ représente la délivrance, même si elle n’est que momentanée.

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IV. 5) Disjonctions spatiales1°. "Elle sanglota toute la route en retournant à la ferme"

-------> Séq. IV2°. "quand elle fut en face de la campagne, elle partit"

------> Ssq. A3°. "un paysan (...) ramena la fille dans sa carriole jusqu’à

la ferme de son maître" -------> Ssq. B

IV. 6) Disjonction actorielleL’autonomie de la séquence est en définitive assurée par

l’entrée réelle du fermier :"elle était à peine revenue que son maître l’appela dans

sa chambre". C’est la disjonction qui correspond le mieux à la délimitation temporelle.

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Séquence V : LA STERILITE V.1) La temporalitéDans l’étape du mariage, la séquence IV s’inscrit dans "avant", avec le

mariage même comme point culminant qui assure la continuité et le passage à "après". C’est dans cette catégorie temporelle que s’inscrit la séquence V qui délimite un moment précis correspondant au problème de la stérilité du couple Vallin.

V. 2) Disjonction temporelle"Des années passèrent (...) quand tout à coup l’humour du fermier

s’assombrit."Entre la fin de la sq. IV et le début de la V, existe un moment de répit

dans la succession de malheurs dans la vie de Rose ; l’expression "quand tout à coup" est la disjonction qui annonce un nouvel état dysphorique traduit cette fois-ci par la stérilité du couple.

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V.3) Codes analytique et stratégiqueAu bout de plusieurs années de mariage, le fermier

s’inquiète de ne pas avoir encore d’enfant (code ANAL) et en fait le reproche à Rose :

"-J’ai que je n’ai pas d’enfants, nom de Dieu ! (...) Quand une vache n’a point de viaux, c’est qu’elle ne vaut rien. Quand une femme n’a point d’éfant, c’est aussi qu’elle ne vaut rien." (p.142)

A partir de cet aveu, Rose décide d’agir et entraîne avec elle le fermier dans la recherche d’un remède pour mettre fin à leur problème :

"Dès ce jour elle n’eut plus qu’une pensée : avoir un enfant, un autre ; et elle confia son désir à tout le monde." (p.142) (code STR).

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V.4) Disjonction actorielleDans cette séquence, la disjonction actorielle

correspond à l’entrée de plusieurs personnages liés les uns aux autres par le même objectif : combattre la stérilité du couple. Ainsi, nous avons :

"Une voisine lui indiqua un moyen""Le berger lui remit un pain""Un instituteur leur dévoila des mystères""Le curé conseilla un pèlerinage"

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Séquence VI : L’UNION VI. 1) La temporalitéFaisant un schéma du parcours suivi le long de la

segmentation du texte, nous obtenons les étapes suivantes :

séduction (sq. I)---> abandon (sq. II)---> séparation (sq. III)---> mariage (sq. IV)---> stérilité (sq. V) ---> union (sq. VI)

De cette façon, on peut observer la place qu’occupe la dernière séquence. Elle est la suite de la séquence V en ce sens qu’on trouve une solution au problème de la stérilité (Rose avoue l’existence de son fils et le fermier l’adopte) ; en même temps elle traite d’un événement qui conclut le récit : les retrouvailles imminentes de Rose avec son enfant et, par le biais de l’adoption, la constitution d’une famille.

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VI. 2) Disjonction logique"Alors la guerre éclata entre eux."Cette disjonction annonce déjà un revirement de la

situation par rapport à la séquence IV ; jusqu’à ce moment, Rose n’est pas dispensée de ne pas avoir d’enfants ; toute la responsabilité pèse sur ses épaules aux yeux du fermier, et d’elle même en partie :

"elle s’imagina être punie de sa première faute" (p.143).

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VI. 3) Disjonction temporelle"Une nuit enfin".Disjonction qui délimite le temps des événements

narrés dans la dernière séquence ; elle comprend plusieurs faits qui convergent vers la fin heureuse du récit :

1°. Aveu de l’existence de l’enfant2°. Revirement de la situation : la source de stérilité

est le fermier non pas Rose3°. Adoption de l’enfant4°. L’union et constitution d’une famille

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VI. 4) Codes analytique et stratégiqueEn réponse au traitement brutal que son mari lui impose,

Rose décide d’avouer l’existence de son fils. Pour sa part, le fermier confirme ses doutes au sujet de sa stérilité (code ANAL) puisqu’il avait demandé auparavant au curé un orphelin à adopter (code STR), mais, lorsqu’il entend l’aveu de Rose, il décide d’adopter son enfant :

"- Eh bien, on ira le chercher, c’t’éfant. puisque nous n’en avons pas ensemble" (...)

"- Je voulais en adopter un. le v’là trouvé, le v’là trouvé. J’avais demandé au curé un orphelin" (pp. 144,145)

VI.5) La spatialitéLa ferme (lieu fermé) a eu une valeur dysphorique tout au

long du récit. Dans cette séquence, où l’auteur parle de la cuisine en particulier, elle change de connotation : mari et femme y "célèbrent" la bonne nouvelle concernant l’existence de l’enfant. Avec cette fin heureuse l’auteur réconcilie la fille et la ferme dans l’histoire.

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2. L’AXE SEMANTIQUE

La situation initiale :La situation initiale (S), établie entre les séquences I et II, se

résume en ces termes : Rose, servante de la ferme appartenant à maître Vallin est séduite par Jacques, le valet de ferme, qui, après avoir appris qu’elle était enceinte, l’abandonne. Cette situation entraîne la séparation entre Rose et son enfant. Elle est seule et malheureuse.

La situation finale :Dans la situation finale (S’) nous retrouvons Rose avec un

statut différent. Elle est mariée à maître Vallin devenant ainsi maîtresse de la ferme, et retrouve son fils. Elle est enfin tout à fait heureuse.

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La transformation :Il s’agit d’une transformation soudaine et inattendue qui se

produit vers la fin du récit, dans la séquence VI. Rose avoue l’existence de son fils qu’elle avait cachée pendant six ans et son mari. Maître Vallin, décide de l’adopter.

En schématisant, nous avons donc au niveau figuratif :Axe sémantique :S------------------ > t ---------------------> S’ Situation d’une jeune

femme de campagne :S : servante, mère célibataire, sans son fils, malheureuset : aveu de l’existence et adoption de son filsS’ : maîtresse de ferme, mariée, son fils retrouvé, heureuse

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3. NIVEAU NARRATIF LE MODELE ACTANTIEL LE MODELE ACTANTIEL

A. L’axe du désir (ou axe du vouloir) :Le rôle actantiel de SUJET est tenu par Rose et celui d’OBJET par

l’enfant. Depuis sa grossesse jusqu’à l’accouchement, Rose et son fils se trouvent en état de conjonction et passent ensuite à l’état de disjonction. En effet, par peur du scandale du fait qu’elle est mère célibataire, Rose laisse son enfant dans le village natal et elle retourne à la ferme. Malgré les visites qu’elle rend à son fils ils sont séparés.

Au niveau figuratif, l’opposition entre l’"ici" et le "là-bas" de la séquence III se traduit au niveau narratif par l’opposition espace de conjonction vs espace de disjonction). Mais, pour passer au nouvel état de conjonction, un deuxième acteur intervient dans le rôle de SUJET : le fermier. C’est lui qui permet le passage d’un état à l’autre :

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S2 --------------> (S1 ^ 0)S2 : SUJET opérateur de la transformation = le fermierS1 : SUJET d’état = Rose0 : OBJET du désir = l’enfantAu début de la séparation, Rose a le vouloir-faire mais

pas le pouvoir-fairequi mène à la conjonction. Si elle avoue l’existence de son fils c’est d’abord parce que la stérilité de son mari lui fait prendre conscience de l’importance de sa fertilité et ensuite, à cause de la brutalité qu’il exerce sur elle. Mais, jusqu’à ce moment, la situation est incertaine : plusieurs issues sont possibles. Ce n’est que vers la fin du récit que l’on connaît la réaction (inattendue) du fermier et que la conjonction a lieu, grâce à sa décision d’adopter l’enfant de Rose.

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B. L’axe de la communication (ou axe du savoir) :

DESTINATEUR---------> OBJET ------------> DESTINATAIREla nature, la société--->l’enfant-----> le fermierADJUVANT -----------> SUJET <------------- OPPOSANT

RoseLe rôle de DESTINATEUR est tenu, en première instance, par la

nature, si l’on considère qu’elle fait naître chez le DESTINATAIRE le besoin de reproduction et, dans un sens plus large, de prolongation de l’espèce humaine par le biais de la progéniture. Le DESTINATEUR fait d’abord savoir au DESTINATAIRE la valeur de l’OBJET et ensuite il fait faire, c’est la raison pour laquelle le fermier accepte et suit les conseils des autres pour combattre sa stérilité et prend ensuite la décision d’adopter un enfant : il accepte la "mission" du DESTINATEUR.

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Le rôle de DESTINATEUR est aussi tenu par les conventions sociales qui veulent que dans un couple marié la femme "donne" des enfants à son mari, en vue de constituer une famille (noyau de la société). Dans ce sens, le fermier représente, par métonymie, ces principes sociaux :

"Quand on prend une femme. c’n’e.st pas pour rester tout seuls tous les deux jusqu’à -la fin (...) Quand une vache n’a point de viaux. c’est qu’elle ne vaut rien. Quand une femme n’a point d’éfant, c’est aussi qu’elle ne vaut rien." (p.142)

En résumant les relations existantes au niveau de l’axe de la communication en conjonction avec l’axe du désir nous obtenons le schéma suivant :

DESTINATEUR (fait faire) -----------> DESTINATAIRE(SUJET d’état)SUJET opérateur de la transformation (fait être) ----->SUJET d’état passe (par le "faire" du SUJET opérateur de la

transformation)de l’état de disjonction à l’état de conjonction avec l’OBJET de valeur.

Page 40: Histoire d’une fille de ferme

Explicitation du schéma :la nature, la société (DESTINATEUR : fait faire) font

que Rose et l’enfant(SUJET opérateur de la transformation : "faire être") en satisfaisant au désir d’enfantdu fermier (SUJET d’état et DESTINATAIRE) le font passer (après l’acquisition de l’objet modal /vouloir-être/ et /vouloir-faire/ puis /faire faire/ et /faire être/) de l’état de disjonction avec l’enfant à l’état de conjonction avec l’enfant (OBJET du désir du fermier).

FAIT ETREFAIT FAIRE

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C. L’axe du pouvoirADJUVANT (aide le SUJET dans sa quête)-----> SUJET

<------- OPPOSANT (s’oppose à la quête du SUJET)ADJUVANT : le fermier, le sentiment de révolte de Rose

Rose (le SUJET)OPPOSANT : la peur, la pression socialeLe fermier est un ADJUVANT du SUJET de par sa stérilité,

mais, au plan pratique, il l’est également par sa brutalité vis-à-vis de Rose qui déclenche la réaction de celle-ci. A ce moment, le sentiment de révolte de Rose joue, lui aussi, le rôle d’ADJUVANT puisque c’est ce qui lui permet finalement d’avouer l’existence de son fils. Mais l’élément essentiel est la décision du fermier d’adopter l’enfant de Rose.

Page 42: Histoire d’une fille de ferme

Quant à l’OPPOSANT, la peur est l’élément qui conditionne toutes les décisions de Rose et qui l’empêche de vivre avec son fils ; que ce soit la peur du scandale, la peur de perdre son travail ou la peur d’âtre rejetée par les autres. Mais ces craintes traduisent finalement une pression sociale qui, même si elle n’est pas clairement mentionnée dans le texte, reste présente.

"Quand on prend une femme, c’n’est pas pour rester tout seuls tous les deux jusqu’à la fin (...) Quand une vache n’a point de viaux, c’est qu’elle ne vaut rien. Quand une femme n’a point d’éfant, c’est aussi qu’elle ne vaut rien." (p.142)

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4. CODE SOCIAL

En vue de préciser notre interprétation, nous ferons appel au code social dans l’analyse de quelques passages du récit.

Tout d’abord, il est intéressant de remarquer comment Maupassant utilise tout au long de sa nouvelle des comparaisons entre les animaux et les gens de la ferme, que ce soit avec une connotation positive ou négative. C’est comme si l’homme de la campagne, par opposition à quelqu’un qui habite en ville, était plus enclin à donner libre cours à ses instincts du fait de sa proximité avec la nature. Voyons, par exemple, quelques scènes de la première séquence ayant trait à la "séduction" :

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Les animaux :"les poules se vautraient (...). Au milieu d’elles, le coq,

superbe, se dressait. A chaque instant il en choisissait une (...). La poule se levait nonchalamment et le recevait d’un air tranquille, pliant les pattes et le supportant sur ses ailes ; puis elle (...) s’étendait de nouveau sur le fumier"

Les personnes :"Elle (Rose) alla prendre une botte de paille (...) et la jeta

dans ce trou pour s’asseoir dessus ; puis (...) elle défit le lien, éparpilla son siège et s’étendit sur le dos (...). Elle allait même s’endormir tout à fait, quand elle sentit deux mains qui lui prenaient la poitrine (...). C’était Jacques, le garçon de ferme, un grand Picard bien découplé (...) il était venu à pas de loup"

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Nous trouvons donc dans ces scènes les associations suivantes :

poules / vautrées / fumier / (passives)prises une à une par le coq / superbe / dressé / (actif)= comportement animal analogue à :

Rose / étendue / paille / (consentante)prise par Jacques / garçon bien découplé / (actif)= comportement animal

Il existe dans ce comportement deux oppositions, d’un côté passivité/action, de l’autre verticalité/ horizontalité, ce qui se traduit par un rapport de force entre dominant/dominé :

verticalité :le mâle, sujet actif = dominantvshorizontalité :la femelle, sujet ± passif = dominé

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Contrairement à l’attitude passive des poules, Rose refuse de se laisser prendre comme objet par Jacques puisqu’elle répond à ses avances par : "- ça n’est pas bien, Jacques, de me mépriser comme ça.". Sa position de dominée provient donc, premièrement, de sa condition de jeune femme car ses charmes éveillent, malgré elle, le désir chez l’homme et, deuxièmement, de ses sentiments,puisqu’elle cède à la séduction seulement à la suite d’une pseudo-déclaration d’amour et d’une promesse de mariage.

Une situation similaire apparaît dans la sous-séquence IV-B, lorsque le fermier s’introduit furtivement, durant la nuit, dans la chambre puis dans le lit de Rose pour la posséder par la force (§ 6 et 7, p.139).

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L’attitude de Rose rappelle un peu celle des poules puisqu’elle résiste "nonchalamment" à l’assaut du fermier puis finit par céder, comme par instinct. Quant à l’attitude du fermier, elle est analogue à celle de Jacques (sq.I) dans le sens qu’ils s’apparentent tous deux à un loup affamé qui cherche sa proie et s’en empare. La différence est que, dans la séquence I il est question d’attirance mutuelle entre Rose et Jacques (il y a même un soupçon d’amour), tandis que dans la sous-séquences B il s’agit d’un abus de pouvoir de la part du maître envers sa servante ; c’est d’ailleurs dans ces conditions qu’a lieu le mariage, c’est-à-dire, par imposition.

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Un autre passage s’avère pertinent pour rendre compte des relations de pouvoir entre maître et servante, il s’agit de la sq. III (§ 3, p.132). Ici, nous observons clairement que le maître est celui qui détient le pouvoir et Rose apparaît de nouveau comme l’élément dominé. Chaque fois qu’elle se présente devant le fermier pour demander une augmentation de ses gages, une sorte de pudeur fait qu’elle n’arrive jamais à la demander ; elle est toujours embarrassée lorsqu’elle s’adresse à lui. Quant au fermier, voici une scène qui montre bien sa position :

"Il leva la tête, surpris. les deux mains sur la table. tenant de l’une son couteau, la pointe en l’air, et de l’autre une bouchée de pain. et il regarda fixement sa servante."

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Il s’agit pour le moins d’une position peu encourageante pour celle qui s’apprête à faire une demande. Un fait aussi anodin que de tenir un couteau lorsqu’on mange, devient, avec la position "la pointe en l’air", une arme menaçante, un instrument dissuasif perçu comme tel de manière inconsciente, en tout cas, puisque l’intention du fermier n’est apparemment pas de faire peur à Rose. Quant à l’autre main, elle tient une bouchée de pain, l’idée de pouvoir étant ainsi renforcée. C’est comme si l’auteur voulait montrer la forte dépendance de Rose vis-à-vis de son maître par le biais à la fois économique et, si on va plus loin dans la réflexion, par le dévouement inconditionnel et la soumission que tout serviteur "doit" à son maître du moins tacitement. D’ailleurs, lorsqu’elle veut lui parler, il adresse un regard fixe à "sa" servante - selon les termes de l’auteur - et non pas à "la" servante (est ainsi suggérée l’idée de possession).

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Dans ces conditions on comprend l’attitude de Rose au cours du récit et la raison pour laquelle elle cache sa maternité si longtemps (6 ans). De son aventure avec Jacques elle a gardé un enfant dont elle se sentait incapable d’assumer la charge tant morale que matérielle. En tant que mère illégitime, elle se sentait isolée (idée renforcée par la mort de la mère juste avant que Rose n’accouche : elle perdait ainsi la seule possibilité de soutien moral qui lui restait), rejetée. Elle a mal vécu sa grossesse et son accouchement et depuis elle n’a plus vécu que dans l’angoisse du déshonneur et la peur de perdre sa seule source économique, ce qui débouchera sur la suite que l’on connaît.

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La nouvelle de Maupassant rappelle le tableau d’une réalité assez courante de l’époque, celle des femmes de campagne séduites et abandonnées. Ce sont des femmes qui se trouvent dans une position sociale et personnelle peu enviable : la tache faite à leur honneur entraîne honte et désespoir et compromet leur avenir d’une manière souvent irrémédiable. Telle est la situation des femmes au 18ème siècle qui ne cesse de se dégrader depuis la fin du Moyen-âge.(cf. Demars-Sion, Femmes séduites et abandonnées au 18e siècle. L’exemple du Cambrésis, Hellemmes : l’Espace Juridique, 1986.

Maupassant écrivit sa nouvelle en mars 1881, donc presqu’un siècle plus tard. Mais, la situation ne changea pas substantiellement au cours du 19e et ceci nous amène à confirmer qu’Histoire d’une fille de ferme est effectivement la reproduction, le tableau d’une réalité historique, situation qu’évidemment l’auteur dénonce.

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5. NIVEAU THEMATIQUE

A. Le "carré sémiotique"Reprenant le schéma de l’axe sémantique précédemment

établiS------------------------t----------------------> S’S : Rose servante, mère célibataire, privée de son filst : aveu de l’existence et adoption de son filsS’ Rose maîtresse de ferme, mariée, son fils retrouvé(où l’axe sémantique correspond à la situation de la femme),

nous trouvons que les extrémités de l’axe correspondent, au niveau thématique, à l’opposition dévalorisation / valorisation ; il en résulte le carré sémiotique suivant : t

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S1-----------------t---------------- S2dévalorisation vs valorisation1/S2 ---------------------------- 1/S1non-valorisation vs non-dévalorisation

La lecture du "carré", selon sa perspective syntagmatique, dégage le parcours suivi dans le récit, mettant en évidence trois aspects essentiels (quant à la situation de la femme) sur lesquels sont basées les relations entre les différents termes, à savoir : le travail, la maternité et l’individu.

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a) Le travail. Le récit pose comme point de départ la dévalorisation (S1) :

Rose travaille au début comme servante, position qui se distingue bien de celle de maîtresse de ferme (S2).

Mais cette position est refusée dès le moment où la décision de Rose de travailler davantage dans la ferme la rend indispensable. Les gens des alentours et le fermier même reconnaissent sa valeur économique, elle vaut à présent "mieux que de l’or". Nous nous trouvons donc ici, dans la négation de la dévalorisation (1/S1).

Cependant, elle reste toujours la servante : malgré les gains que le fermier encaisse grâce au travail de Rose, il n’augmente pas son salaire, d’où le passage à (1/S2) qui traduit le refus de (1/S1).

La valorisation (S2) est atteinte lorsque le fermier l’épouse car elle devient, par le biais du mariage, maîtresse de la ferme.

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b) La maternitéRose est dévalorisée au début du récit parce qu’elle

est mère célibataire (S1). Sa maternité hors mariage est une source de honte, de dégradation et de problèmes.

Ensuite, elle passe par le stade de non-dévalorisation (1/S1). En effet, après le mariage les choses paraissent revenir à son cours normal :

"avec l’habitude, ses appréhensions se calmèrent, son coeur s’apaisa (..) Elle était maintenant presque heureuse".

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On abandonne (S1) du fait que pendant ce temps l’existence de l’enfant ne met pas en cause sa situation vis-à-vis du fermier.

Le passage qui s’impose par la suite est vers (1/S2) car apparaît alors le problème de la stérilité. Rose n’est pas valorisée parce qu’elle n’a pas d’enfant dans le mariage.

Grâce à la transformation (t) mentionnée dans l’axe sémantique, Rose est enfin valorisée (S2), avec cependant une nuance par rapport à l’axe : ce n’est pas l’aveu de Rose qui lui confère la reconnaissance mais la décision du fermier qui, face à sa propre stérilité, glorifie la fertilité de Rose. Elle est donc ainsi valorisée, par sa maternité dans le mariage.

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c) L’individu(S1) marque, à l’égal des autres aspects, le début

du parcours : Rose est dévalorisée en tant qu’individu parce qu’elle est séduite par la ruse (une fausse promesse de mariage) puis abandonnée (en état de grossesse). Jacques ne tient pas compte des sentiments de Rose et ne songe pas non plus aux problèmes que son attitude peut créer (il laisse la mère de son enfant et son enfant-même seuls, abandonnés à leur sort) ; il se conduit comme une personne égoïste.

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Ensuite se présente un refus de la dévalorisation (1/S1) issu de l’attitude même de Rose. D’abord, elle cache son enfant (déjà lors de la grossesse), pour éviter le jugement des gens et pour empêcher qu’on la mette à la porte et, après, par sa volonté de changer de position économique. Mais tout ceci ne suffit pas à atteindre la valorisation : celle-ci ne dépend pas de Rose.

Nous pouvons parler alors de négation de la valorisation (1/S2) qui est confirmée cette fois-ci par le comportement du fermier envers la servante. Dès la scène où il la demande en mariage on constate que comme Jacques il s’impose : le premier s’impose par le mensonge, le deuxième par sa position hiérarchique. De ce point de vue, nous pouvons dire que le parcours reste inachevé car la valorisation n’est confirmée à aucun moment dans le récit.

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B. ConclusionSuite à l’analyse du carré sémiotique, la femme de la

campagne apparaît comme une personne qui se trouve en position de faiblesse de par son sexe. Elle est valorisée en tant qu’objet sexuel, outil de travail ou encore en tant que procréatrice, mais pas en tant qu’individu. Pourtant, ces filles de campagne ont, non seulement la beauté et la fraîcheur du printemps, mais aussi un caractère solide, une volonté de fer et l’envie qui est celle de tout individu : être libres, pouvoir courir à son aise dans l’aventure de la vie, comme le jeune poulain qui découvre la beauté de la nature.

Malgré cela, la femme finit par se plier aux désirs de l’homme et l’individu finit par obéir aux conventions sociales qui s’opposent à ses désirs profonds.

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5. LA COMMUNICATION NON-VERBALE

• Dès la première lecture "Histoire d’une fille de ferme" nous a séduites par la façon dont Maupassant présente ses personnages ainsi que par l’atmosphère réaliste et familière dans laquelle ils semblent coexister.

• En effet, l’écrivain a beaucoup soigné la description des personnages. Certains auteurs ont même comparé son oeuvre au travail d’un artiste qui, à coup de détails, parvient à un résultat final dont la richesse dans la description nous suggère une réalité frappante mais en même temps captivante. Ces détails ont trait à l’apparence physique des personnages, au cadre dans lequel ils évoluent, aux objets qui les entourent, aux attitudes, aux gestes et à une multitude d’aspects extérieurs qui aident le lecteur à connaître en profondeur les personnages en question. C’est ici que la communication non-verbale intervient pour jouer un rôle décisif dans l’oeuvre de Maupassant.

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Cette démarche s’explique par une logique qui vise à mieux comprendre l’intérieur d’un personnage grâce aux signes extérieurs. II s’agit donc de : "Dévoiler les dedans par le dehors" (Guy de Maupassant, Chronique "Les subtils",Chronique 2, Paris, Union Générale d’Editions, 1980), stratégie littéraire également exploitée par l’auteur dans le but de bien toucher son lecteur.

L’étude de ces indices externes nous donnera accès à un grand nombre d’informations sur nos personnages, leurs motivations, leurs aspirations, leurs goûts, etc., ceci sans passer par le biais d’expressions verbales.

Parmi ces indices nous allons nous borner à l’analyse de ceux que nous estimons fondamentaux pour la compréhension de la nouvelle Histoire d’une fille de ferme.

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A. INDICES EXTERNES :a) Les habitationsAyant pour but de mieux comprendre la psychologie des personnages

et de leur place dans le récit littéraire, nous avons cru indispensable de commencer le repérage d’indices externes par l’étude des différentes habitations qui constituent l’univers de "Histoire d’une fille de ferme".

En conséquence nous allons nous concentrer sur l’analyse des décors, ainsi que sur l’atmosphère qui entoure nos personnages.

Une rapide lecture rend compte de l’atmosphère quotidienne dans laquelle Rose est immergée. Ceci devient évident dès les trois premières séquences où Maupassant décrit avec minutie la décoration intérieure et extérieure des habitations où la servante a l’habitude de passer sa journée.

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La ferme où Rose est engagée comme servante est censée avoir une grande surface ; l’auteur ne nous donne pas d’information précise là-dessus, cependant on sait qu’elle se trouve en plein air, entourée de verdure, de champs cultivés ; qu’elle partage son voisinage avec d’autres fermes mais que, pardessus tout, il y règne l’ambiance de liberté totale que suggère la vie en pleine campagne.

Néanmoins, cette servante se trouve toujours dans des endroits fermés. Le choix des lieux semble restreint : Rose doit se contenter de la cuisine, du poulailler, du grenier, de la cour de la ferme et de sa chambre. Rares sont les occasions où elle se trouve en contact avec la mature, appréciant la beauté du paysage campagnard.

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Contrairement à ce qu’on pourrait attendre d’une vie moins contraignante à la ferme qu’à la ville, elle est souvent prise par la besogne. Les moments d’épanouissement, pour cette fidèle servante, sont plutôt limités. Il semblerait qu’elle se consacre au travail du matin au soir avec une énergie débordante qu’elle semble recharger chaque matin aux chants du coq annonçant la naissance d’une nouvelle journée.

Le décor qui entoure Rose sert à la plonger dans les réalités brutales et quotidiennes de la vie. Ici, il ne s’agit pas de la jeune fille épanouie, rêveuse, naïve ou romantique qui attend beaucoup de la vie, mais d’un personnage qui est constamment confronté à la cruauté de la vie, à la souffrance. Pour cette servante, la vie n’est certainement pas facile, elle doit se donner au travail pour quelques "240 francs par an"(p.132).

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A la misère morale de cette employée s’ajoute une misère matérielle qui est évidemment reflétée dans son cadre de vie. Chaque élément de l’intérieur est triste et déprimant, suffisant à peine aux besoins élémentaires ; il n’y a pas de place pour l’esthétique, ce qui reflète la détresse morale de Rose.

Le décor qui entoure Rose semble renforcer le rôle que cette employée joue dans la ferme de monsieur Vallin. N’ayant jamais le temps de s’occuper d’elle-même, cette servante néglige son apparence et ses toilettes : le décor qui l’accompagne est ainsi, finalement, celui qui lui ressemble.

Nous avons trouvé des éléments suffisamment parlants pour donner au lecteur une vue d’ensemble de l’atmosphère créée par la description des habitations. En voici quelques uns :

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"Elle regarda les murs d’argile noircis, les poutres enfumées du plafond où pendaient des toiles d’araignée. des harengs saurs et des rangées d’oignons, puis elle s’assit, gênée par les émanations anciennes que la chaleur de ce jour faisait sortir de la terre battue du sol où avaient séché tant de choses répandues depuis si longtemps. " (pp.123-124)

"Devant la porte, le fumier dégageait une odeur miroitante. Les poules se vautraient dessus, couchées sur le flanc. et grattaient un peu d’une seule patte pour trouver des vers." (p. 124)

"Des odeurs de basse-cour, des tiédeurs fermentées d’étable entraient par la porte entr’ouverte ; et dans le silence du midi brillant on entendait chanter les coqs. " (p.123)

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b) Les valeurs monétairesNous avons repéré une seule citation qui a trait aux valeurs

monétaires. Il s’agit du passage où Maupassant nous informe du salaire que touche la servante, ainsi que des bénéfices du fermier :

"elle commença à songer avec un peu d’amertume que si le fermier encaissait, grâce à elle, cinquante ou cent écus de supplément tous les mois, elle continuait à gagner ses 240 francs par an, rien de plus, rien de moins. " (p.132)

Malheureusement, l’auteur a omis dans cette nouvelle de nous donner une possible équivalence "en nature" de la somme qu’il mentionne, à l’époque où le roman a été écrit (1881). Nous avons donc eu quelque difficulté à préciser ce à quoi cette somme équivaudrait aujourd’hui. Pour la lecture moderne, cet indice n’est pas porteur de signification. Une chose est certaine, Rose trouve que le dévouement consacré au bon fonctionnement de la ferme n’est pas assez récompensé par l’argent qu’elle reçoit en contrepartie.

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c) Les vêtementsLa description des vêtements rend compte du rôle

sémiologique qu’ils jouent dans l’oeuvre de Maupassant. Une fois encore, ils sont révélateurs du statut social des personnages qui les portent, de leur personnalité, du travail qu’ils accomplissent et de leurs goûts : "Le comportement et le costume représentent deux signifiants concomitants d’un même signifié" (A. Marmot Rasin. La Communication non-verbale chez Maupassant. A.G. Niget, 1986, p. 48)

Deux hypothèses sont possibles : le choix d’un accoutrement ne fait que refléter une attitude ou bien c’est lui qui inspire un comportement déterminé à son propriétaire. "Histoire d’une fille de ferme" ne fait pas exception à la règle. L’information reçue quant aux vêtements que porte la servante n’est pas abondante, néanmoins cette brève information est significative.

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• Rose apparaît devant nous portant des habits très simples : un caraco, de longues jupes, un tablier et de gros souliers ferrés. Ces derniers, elle les porte pendant la réalisation de sa besogne ; en dehors de celle-ci elle semble trouver du plaisir à marcher pieds-nus.

• Le choix restreint des vêtements pour nous présenter la servante nous semble assez symbolique : ils sont chargés chacun d’un sens particulier.

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Tout d’abord, le caraco : c’est une espèce de corsage, de blouse droite et assez ample que portent les femmes dans le milieu rural. Ce n’est pas à proprement parler un vêtement citadin et raffiné, cependant il comporte en soi un élément de séduction. Le porter est une façon de rester simple tout en sauvegardant la sensualité féminine. Le caraco met en valeur la généreuse poitrine de la servante. Rose exhibe fièrement les attributs physiques que seule la jeunesse peut lui conférer sans distinction de classe sociale ni de statut de vie. Elle est jeune, et la fraîcheur de sa peau luisante et tendue font plaisir à voir.

En revanche, le tablier et les souliers ferrés possèdent une valeur pratique. Ces deux attributs entretiennent un rapport très direct avec le rôle que la servante accomplit dans l’histoire. Elle est là pour s’occuper de la ferme, de la cuisine, du poulailler, sans trouver de temps pour la coquetterie ou les banalités qui parfois occupent la tête des jeunes filles.

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d) Les traits physiquesCeux-ci constituent une autre catégorie d’indices non-

verbaux à analyser.Pour le pasteur suisse Lavateur, fondateur de la théorie

de la physionomie, le caractère et la personnalité de chaque individu s’expriment par des marques extérieures visibles et tangibles qui en sont le reflet. Bien que certains aient jugé la méthode expérimentale physionomiste insuffisante, nombreux ont été ceux qui ont subi de près ou de loin son influence, et parmi eux Guy de Maupassant. D’après Lavateur, il existe une corrélation essentielle entre le physique d’un personnage et son caractère.

Pour respecter l’ordre d’apparition des personnages dans l’histoire, nous allons aborder en premier Jacques, le valet de ferme.

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"C’était Jacques, le garçon de ferme. un grand Picard bien découplé qui la courtisait depuis quelque temps. Il travaillait ce jour là dans la bergerie et, l’ayant vue d’étendre à l’ombre, il était venu à pas de loup, retenant son haleine, les yeux brillants avec des brins de paille dans les cheveux." (p.125)

Pour décrire ce personnage, l’auteur s’est servi de la symbolique animale du loup. Maupassant ne base pas sa comparaison sur un seul élément du physique ou du caractère de son personnage, bien au contraire, il l’étend à de nombreux aspects du comportement qui symbolisent la morale de cet animal. En l’occurrence, c’est l’idée de duplicité, de fausseté, d’astuce que véhicule la symbolique du loup.

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Dans le récit. Jacques revêt les caractéristiques de l’animal : il avance vers la servante "à pas de loup, retenant son haleine". Il a les yeux brillants et vifs, comme la bête, et des brins de paille dans les cheveux. Son comportement ressemble, dans son allure générale, à celui du loup. Jacques possède un regard sournois. Il n’est pas clair ni honnête dans sa façon d’agir envers la servante ; sa conduite manque de scrupules et il ne manifeste aucun respect envers elle. Jacques se moque de l’honneur et de la dignité de Rose. Une fois le fait accompli, il ne veut plus assumer ses responsabilités ; bien au contraire, il s’en évade. Il évite par tous les moyens de rencontrer Rose et quand, finalement, l’occasion se présente, il répond nonchalamment : "Ah bien, si on épousait toutes les filles avec qui on a fauté, ça ne serait pas à faire." (p.127).

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Néanmoins, Jacques est conscient de sa manière d’agir, il sait que son attitude manque de dignité et qu’il ne manifeste aucun respect à l’égard de la servante. Toutefois, il se cache dans l’écurie où il partage l’univers des animaux qui y demeurent. Par proximité, il apparaît comme dégradé par la condition animale : il se confond avec les animaux et semble être à son aise parmi eux. Rappelons-nous maintenant que, dans le récit, il s’enfuit sans laisser aucune trace, comme l’animal qui s’est emparé d’une proie et qui craint le châtiment.

Quant à la servante, elle est décrite comme un fruit appétissant qu’on aurait plaisir à déguster.

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"elle avait le joues rouges et pleines, une large poitrine saillante sous l’indienne de son caraco, de grosses lèvres fraîches, et sa gorge, presque nue, était semée de petites gouttes de sueur." (p.127)

Le visage de ce personnage est riche en informations : chaque trait, que ce soit les joues, les lèvres ou la gorge, est accompagné d’adjectifs qui nous renvoient à l’image d’une pomme mure, fraîche et prête à être croquée.

Des attributs tels que rouge, pleine, grosse et fraîche, pourraient être employés pour décrire l’aspect extérieur d’une pomme. En l’occurrence, Maupassant les utilise pour présenter le visage de la servante.

Jacques trouve Rose appétissante, et même s’il hésite à un moment donné à lui promettre le mariage, c’est en la regardant qu’il est pris d’envie et qu’il lui murmure à l’oreille : "- Oui, je veux bien." (p.127).

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Du fait de l’intertextualité, cette situation nous suggère le passage de la Bible dans lequel Adam et Eve se trouvent dans le jardin d’Eden. Tous deux sont pris de l’envie de manger le fruit de l’Arbre de la connaissance du Bien et du Mal : "l’arbre était bon à manger et agréable à la vue" (Genèse. 3.6)

C’est par la vue qu’Adam et Eve sont pris de l’envie de manger le fruit. La tentation semble si forte qu’ils y succombent. Une fois le péché originel commis, l’Eternel Dieu punit avec sévérité le destin de l’homme sur la terre. Dorénavant, sa vie ne sera plus idyllique dans le Jardin d’Eden mais pleine de douleur et de souffrance :

"J’augmenterai la souffrance de tes grossesses, tu enfanteras avec douleur"

"C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain jusqu’à ce que tu retournes dans la terre d’où tu as été pris ; car tu es poussière, et tu retourneras dans la poussière" (Genèse. 3.16,19)

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De la même façon que l’histoire biblique nous raconte le sort dysphorique que connaissent Adam et Eve après avoir mangé le fruit défendu, "Histoire d’une fille de ferme" nous narre la transformation qualitative qui survient une fois que Rose et Jacques ont succombé au désir charnel. En effet, la vie de la servante, autrefois peuplée d’expériences plutôt euphoriques, deviendra dysphorique. C’est en apprenant qu’elle est enceinte de Jacques et que celui-ci ne veut pas l’épouser que ses malheurs commencent.

En ce qui concerne l’enfant, il faut faire une distinction entre deux moments de sa vie : sa naissance et quand il atteint son huitième mois d’âge. Au-delà de cette période, Maupassant ne nous livre aucune information quant à l’évolution physique de ce personnage.

"Le corps qu’un individu à sa naissance se trouve modifié et modelé par la vie qu’il mène. C’est pourquoi le développement ou au contraire l’atrophie de certains muscles ou de certaines parties du corps renseignent bien souvent sur le caractère et le mode de vie" (A. Marmot Rasin, op. cit., p. 52).

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Avant tout, nous aimerions exprimer l’idée que l’enfant existe pour nous dès le moment de sa conception en tant que foetus. Dans l’utérus maternel déjà, il est un acteur qui détermine les actions et les états d’esprit de la mère. L’accouchement n’est que l’étape finale de la gestation.

Cet enfant n’est pas le fruit de l’amour mais du désir et d’une passion déréglée chez ses progéniteurs. Dès le moment qu’il a été engendré, il y a effort pour le cacher, pour dissimuler l’ampleur du ventre. Cette grossesse est vécue dans la plus profonde détresse morale. A plusieurs reprises, on trouve la servante obsédée à l’idée que des tiers apprennent sa maternité. L’attente de ce bébé est comparée à celle de la mort qui se rapproche chaque jour inéluctablement. Dans ces conditions, nous pouvons comprendre la description que l’auteur fait du nouveau-né à sa naissance.

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"Rose accouchait d’un enfant de sept mois, un petit squelette affreux, maigre à donner des frissons, et qui semblait souffrir sans cesse, tant il crispait douloureusement ses pauvres mains décharnées comme des pattes de crabe." (p. 130)

En effet, cet enfant est l’image même de la mort. Le terme "squelette" est déjà suffisamment symbolique tant il est étroitement liée à celle-ci. A cela s’ajoutent les adjectifs "affreux", "maigre" et plus encore "à donner des frissons". C’est un petit corps qui se bat entre la vie et la mort ; son agonie est clairement perceptible.

Quelques mois plus tard, nous assistons à la transformation de cet enfant. Il n’est plus le bout de chair qui fait pitié à voir, bien au contraire, il est devenu

"tout rose, joufflu, potelé partout, pareil à un petit paquet de graisse vivante. Ses doigts, écartés par des bourrelets de chair, remuaient doucement dans une satisfaction visible". (pp. 132-133)

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Nous ferons de nouveau appel à la symbolique animale pour expliquer cette seconde description physique de l’enfant. Celui-ci pourrait être comparé à un petit cochon de lait : il en présente toutes les caractéristiques. Il est devenu "tout rose" (couleur qui est celle du jeune cochon à sa naissance), "joufflu", ce qui veut dire enflé, et en même temps disgracieux, potelé, pareil à un petit "paquet de graisse". Observonssss la manière dont la mère vit les retrouvailles huit mois après la naissance de son fils :

"Elle se jeta dessus comme sur une proie, avec un emportement de bête" (p. 133)

Rose se jette sur son bébé comme s’il s’agissait d’une bête et non pas de son fils.

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B. LE PARALANGAGE /"Au sens étroit, le paralangage s’applique aux modalités de la voix

(modification de hauteur, d’intensité, de rythme, etc.), qui fournissent des informations sur l’état affectif du locuteur. Certains auteurs y ajoutent d’autres émissions vocales comme le bâillement, le rire, le cri, le silence, la toux, etc." (A. Marmot Rasin, op. cit., p. 60)

Si le paralangage étudie les différentes valeurs indicielles que ces modalités peuvent assumer et les indications qu’elles donnent aux lecteurs quant à la personnalité ou aux émotions des personnages,nous estimonsqu’il n’y a pas que les modalités de la voix qui doivent être prises en compte. Souvent un rire sournois, un bâillement inconscient, un cri désespéré et surtout un silence, peuvent nous renseigner à propos des conflits intérieurs que peuvent affronter les personnages.

Tout d’abord, nous étudierons la manière dont Maupassant parvient à décrire les modalités de la voix.

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a) Modalités de la voixD’après A. Marmot Rasin, la valeur d’un message réside non

pas seulement dans le sens des mots, mais dans la façon dont ces mots ont été prononcés. Parfois ceux-ci sont à peine nécessaires pour transmettre un message ; ils constituent quelquefois le support sur lequel se greffe le ton qui est le vrai porteur de signification et qui rend compte de la véritable intention signifiante du locuteur.

Nous sommes tout à fait conscientes de la nature fluide et insaisissable du ton, cependant, il est possible de l’évaluer grâce à des indications fournies par l’auteur du récit. Une phrase, pour transcendante qu’elle puisse être pour la compréhension d’une situation quelconque, reste plate et risque même de provoquer un détournement de sens initial, si elle ne possède pas les indications de ton nécessaires.

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Le ton dont une phrase a été prononcée est également perceptible par le biais de la ponctuation et du contexte. Ainsi, dans les citations suivantes, la répétition traduit dans le premier cas l’angoisse de la servante de se savoir abandonnée après avoir découvert sa maternité :

"Je veux, je veux que tu m’épouses, puisque tu m’as promis le mariage" (p.127)

Dans le deuxième cas, le sentiment d’impuissance face à une situation que Rose n’a rien fait pour créer :

"C’n’est point d’ma faute. c’n’est point d’ma faute !" (p.142)Dans "Histoire d’une fille de ferme", Maupassant décrit les nuances

perçues dans la voix à l’aide de verbes, d’adjectifs et d’adverbes. Ceux-ci possèdent une double valeur indicielle : ils traduisent, d’une part, la manière spéciale dont les paroles sont prononcées, c’est-à-dire les différences par rapport à une voix calme et normale, en donnant des précisions sur l’intensité, le rythme ou le volume de la voix ; d’autre part, ils traduisent différents états affectifs qui sont à l’origine des perturbations dans le ton de la voix.

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Examinons quelques exemples :"Quand Jacques comprit qu’elle était la plus forte, il

balbutia : / -Eh bien, je t’épouserai, puisque c’est ça." (p.128)

Nous constatons, à travers cette citation, que l’état affectif du locuteur est bien exprimé à l’aide de verbes. Dans ce cas, le verbe "balbutier" rend compte de l’ennui que représente pour le valet la grossesse de Rose. I1 est certain que cette nouvelle le prend par surprise, il ne s’y attendait point. S’il accepte sur le moment d’épouser la servante, ce n’est pas de son plein gré ; bien au contraire, c’est une décision qu’il est obligé d’assumer vu les conséquences : c’est parce que Rose attend un enfant qu’il se marierait, rien d’autre.

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Un autre exemple, qui va dans le même sens que le précédent, nous montre l’importance du choix des verbes pour décrire l’état affectif du locuteur :

"L’homme, stupéfait, restait là, aussi éperdu qu’elle-même ; il bredouillait - Qué que tu dis ?, qué que tu dis ?" (pp. 143-144)

Ici le verbe "bredouiller" traduit l’étonnement du maître face à la découverte de la maternité de sa femme.

Nous rencontrons le même verbe qui apparait dans un passage différent avec un sens également différent :

"Enfin il se décida et se mit à parler d’un air vague, bredouillant un peu et regardant au loin dans la campagne. : - Rose, dit-il, est-ce que tu n’as jamais songé à t’établir ?" (p.133)

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Dans cette phrase, le verbe "bredouillant" rend compte de l’hésitation dont le maître fait preuve avant d’oser demander la servante en mariage. En effet, le patron de la ferme semble contraint de faire part à Rose de sa décision. Il cherche le moment pour la lui faire connaître.

"elle articula péniblement : / - Non. not’maitre, je ne peux pas." (p.137)

Il s’agit cette fois-ci de l’utilisation d’un adverbe qui nous renseigne sur la stupéfaction de la servante au moment de donner sa réponse.

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b) Le silenceLe silence ou l’absence de voix constitue également une sous-

catégorie paralanguistique. Si quelqu’un décide délibérément de ne pas parler, cela signifie toujours quelque chose.

Ainsi, le silence peut être révélateur de toute une série d’émotions face auxquelles on prend littéralement l’usage de la parole. En dépendant du contexte, le silence peut être compris comme une marque de la timidité ou de la gêne. Il peut également être lié à la peur ou à des situations qui provoquent l’épouvante, mais il peut être aussi un signe de consentement.

Il arrive au contraire, qu’un locuteur décide volontairement de ne pas répondre à une question ou de ne pas adresser la parole à quelqu’un. Ce silence pourrait donc se traduire comme un indice de mépris ou d’insolence.

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Que ce soit l’effet d’un acte volontaire ou involontaire, la perte de la voix appartient à tout un ensemble de phénomènes physiques qui sont déclenchés par l’apparition d’une situation spécifique. En ce sens, le silence peut toujours s’interpréter comme un message.

Dans la citation suivante, le silence possède une double signification. C’est le moment où la servante a enfin réussi à joindre Jacques après les multiples tentatives d’évasion de ce dernier :

"Il haletait. suffoquant ; et ils restaient là tous deux, immobiles, muets dans le silence noir troublé seulement par le bruit de mâchoire d’un cheval qui tirait sur la paille du râtelier, puis la broyait avec lenteur." (p. 128)

Bien que le silence serve à immerger ces deux personnages (Rose et Jacques) dans la même situation, notons que la signification du silence n’est pas la même pour chacun d’eux.

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Pour Rose, ce silence représente une trêve ; elle attend désespérément une réponse de la part du valet. Elle sait bien que celui-ci n’a aucune intention de l’épouser ni de sauver sa dignité en le faisant, en revanche, elle compte sur la pression que pourraient exercer sur lui ses paroles et le ton sur lequel elles sont prononcées :

"- Je veux, je veux que tu m’épouses( ..) -Je suis grosse, entends-tu, je suis grosse" (p. 128)

N’ayant pas d’autre façon de l’obliger à réparer sa faute, la servante a recours à sa force physique et à l’injonction verbale.

Tandis que pour la servante ce silence représente peut-être l’espoir d’une réponse affirmative qui pourrait la satisfaire et la sortir de son embarras, pour Jacques ce silence constitue déjà une réponse négative. Il ne veut pas assumer sa paternité ni le fait d’épouser Rose. En ce sens, ce silence est révélateur et en dit plus que des paroles. Si, par la suite, il se sent contraint d’accepter, il est clair qu’il agit sous la pression de la servante.

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"- Eh bien, je t’épouserai. puisque c’est ça" (p. 128)Ceci n’est pas une réponse sincère. Il se sent obligé de la

prononcer pour sauver la face, mais en réalité il n’a jamais songé à s’établir avec elle. Preuve en est que quelques jours après sa réponse il quitte la ferme sans avertir personne.

Un autre passage nous montre également l’importance paralanguistique du silence : c’est le moment où, vers le milieu de la nuit, maître Vallin décide de pénétrer dans la chambre de la servante. Au début, Rose se montre étonnée de découvrir sa présence auprès d’elle ; ensuite elle résiste, elle lutte contre elle-même ; finalement, "Obéissant à une pudeur d’autruche, elle cacha sa figure dans ses mains et cessa de se défendre" (p. 139).

Ce passage est marqué par l’absence de voix de la part de Rose. Elle ne dit mot, mais son silence équivaut finalement à un signe de consentement que le maître de la ferme sait bien interpréter. Rose accepte tacitement sa présence, ses caresses et ceci devient peut à peu une habitude.

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• Quand, quelque temps après, le fermier l’informe de sa décision de l’épouser le mois suivant. Elle ne répond pas. Le silence est ici signe d’acquiescement et, surtout, de soumission ; elle est devenue la femme de son maître, ils vivent déjà ensemble, elle sent qu’elle lui appartient ; l’épouser ne serait que légitimer sa situation actuelle.

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c) Les pleursMême sans le support des paroles. les pleurs constituent

à eux seuls un indice précieux. Ils sont souvent des indices d’attendrissement et de tristesse, mais ils peuvent également être la manifestation de la colère et même de l’impuissance.

Dans la nouvelle étudiée ici, la servante est le seul personnage que l’on voit pleurer à plusieurs reprises. Malgré sa force, Rose se présente comme une femme émotionnellement fragile. Tout au long de l’histoire elle est confrontée à des situations diverses qui mettent à l’épreuve sa sensibilité et sa force psychique.

Une première fois, Rose pleure sur son traversin pour ne pas être entendue. Elle pleure en silence le malheur de se savoir "fautée", méprisée, abandonnée.

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Une deuxième fois, elle pleure face à son enfant au moment des retrouvailles, 8 mois après sa naissance. Les pleurs sont ici de tristesse, de voir que son enfant ne la reconnaît plus préférant les bras de sa nourrice à ceux de sa mère.

Une troisième fois, nous la voyons pleurer devant le fermier lorsqu’il lui demande de l’épouser. Dans ce troisième exemple, les pleurs servent à cacher la vérité qu’elle ne peut pas révéler de crainte de perdre son travail. Si Rose fond en sanglots, c’est parce qu’elle sait bien qu’elle a un enfant d’un homme qui l’a abandonnée et qu’elle n’est pas, par conséquent, digne d’être demandée en mariage. Ses larmes s’expliquent par son passé, un passé qu’elle se sent incapable de dévoiler à ce moment.

Une dernière fois, Rose pleure lorsqu’elle avoue sa maternité. Ces larmes sont plutôt de délivrance : elle peut enfin avouer à coeur ouvert qu’elle a un enfant, ce qui lui permet, en outre, d’afficher sa fertilité. Ces larmes sont aussi le résultat de plus de six ans de silence pendant lesquels elle a gardé son secret le plus lourd et à la fois le plus précieux : sa maternité.

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CONCLUSION

Au terme d’une tentative d’approche structurale, dans un premier temps, puis des aspects non-verbaux, l’analyse du récit "Histoire d’une fille de ferme" nous a procuré une vision élargie de ce qu’un texte peut renfermer de signes (et surtout de relations entre ces signes) susceptibles d’interprétation.

Les éléments qui nous sont apparus à la lumière de notre analyse ne sont certainement pas exhaustifs compte tenu de la richesse du texte, cependant, ils nous ont permis de reconstituer un parcours sur lequel baser notre interprétation.

Le message de Guy de Maupassant dans sa nouvelle nous parait dès lors très clair : il dénonce, d’une part, le tort que la société peut absurdement causer à l’individu et plus particulièrement à la femme. D’autre part, il critique la bestialité, dans le sens strict du terme, du comportement humain qui prévaut sur d’autres caractéristiques bien plus élevées comme la pensée et les sentiments. Nous pouvons dire que, finalement, l’homme n’est qu’un produit de la nature et que, en ce sens, il obéit comme les autres animaux aux règles que celle-ci lui impose.

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Cependant, nous reconnaissons qu’il y a bien une différence entre les perspectives d’une jeune fille, amoureuse et le comportement d’une poule pondeuse d’oeufs, entre un loup affamé qui utilise sa force et sa ruse pour survivre et l’homme qui utilise son pouvoir pour son plaisir.

Guy de Maupassant nous est apparu, à travers cette exploration d’une réalité spécifique, comme un auteur perspicace et extrêmement sensible à certains aspects de la condition humaine.

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• REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES• ALTHUSSER, (L.), Positions, Paris : Editions sociales, 1976• COURTES, (J.), Introduction à la sémiotique narrative et discursive,

Paris : Hachette, 1976• DEMARS-SION, (V.), Femmes séduites et abandonnées au 18e

siècle. L’exemple du Cambresis, Hellemmes : l’Espace Juridique, 1986

• EVERAERT-DESMEDT, (N.), Sémiotique du récit. Bruxelles : De Boeck, 1988

• GREIMAS, (A.J.), Sémantique structurale : recherche de méthode, Paris : Larousse, 1966

• GREIMAS, (A.J.), Maupassant. La sémiotique du texte, Paris : Editions du Seuil, 1976

• MAUPASSANT, (G. de), Chronique "Les subtils". Chronique 2, Paris : Union Générale d’Editions, 1980

• RASIN, (M.A.), La Communication non-verbale chez Maupassant, A.G. Niget, 1986