histoire de marmoutier, depuis sa fondation par saint ... · histoire de marmcujtier premiÈre...

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Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France Histoire de Marmoutier, depuis sa fondation par saint Martin jusqu'à nos jours / par l'abbé P. Delalande,...

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Page 1: Histoire de Marmoutier, depuis sa fondation par saint ... · HISTOIRE DE MARMCUJTIER PREMIÈRE PÉRIODE DEPUIS I.A FONDATION DR MARMOUTIER PAR S. MARTIN JUSQU'A L'ARRIVÉE DES BÉNÉDICTINS

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Histoire de Marmoutier,depuis sa fondation par saintMartin jusqu'à nos jours / par

l'abbé P. Delalande,...

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Delalande, Paul (Abbé). Auteur du texte. Histoire de Marmoutier,depuis sa fondation par saint Martin jusqu'à nos jours / par l'abbéP. Delalande,.... 1897.

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Tous droits réservés

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INTRODUCTION

Ce modeste ouvrage n'est point un livre île critique his«

torique, mais un simple résumé des faits qui nous ont parules plus intéressants dans l'histoire de Marmoutier, parDom Martène (i). Le but que nous nous sommes proposé,étant de mettre à la portée de tous une histoire qui n'étaitjusqu'ici guère connue que d'un petit nombre, à cause de

son étendue et de la rareté de ses exemplaires, nous avonspensé ne pouvoir mieux l'atteindre, qu'en nous bornant àraconter les événements qui se sont accomplis dans l'ab-baye elle môme, ou qui y ont trait d'une manière directe.Decette façon nous avons pu restreindre considérablementl'ouvrage de Dom Martène et cependant offrir un récitsuffisamment complet et d'une lecture, croyons-nous, plusfacile à suivre et plus attrayante pour tous.

Ayant eu l'avantage d'habiter pendant un certain nombred'années les lieux mômes où se sont accomplis les événe-ments que nous voulons raconter, il nous a été aisé de

tracer un tableau exact du Marmoutier moderne et de corn-

)l} » Histoire â» la royal* abbayt d* Marmoutier » publiée en 1874

par M. l'abbéC. Chevalier dam les mémoires archéologiquesileTourain?.

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pléter ainsi l'histoire de l'abbaye, par le récit des faitsrécents et une description fidèle, bien que succinte, ducouvent actuel et des Lieux saints restaurés.

Pour plus de clarté, nous avons divisé cette hisloire enquatre périodes.

La première va de la fondation du monastère, par saintMartin et les premiers moines de Ma moutier jusqu'à l'ar-rivée des Bénédictins ; la seconde, depuis l'installation desBénédictins et des Abbés Réguliers, jusqu'à l'institutiondes Abbés l'.ommendataires; la troisième,depuis l'institutiondes Abbés Commendataircs, jusqu'à la Révolution; la qua-trième enfin, depuis la Révolution et la ruine du monastèrejusqu'à son rachat par les Dames du Sacré-Coeur, et l'é-

poque actuelle.Puissent ces pages, en vulgarisant l'histoire si pleine

d'intérêt de l'abbaye de Marmoutier, contribuer quelque

peu à la gloire de saint Martin, et attirer plus nombreuxles fidèles vers les lieux qu'il a sanctifiés jadis par sa pré-sence.

P. D.

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HISTOIRE

DE MARMCUJTIER

PREMIÈRE PÉRIODE

DEPUIS I.A FONDATION DR MARMOUTIER PAR S. MARTIN

JUSQU'A L'ARRIVÉE DES BÉNÉDICTINS (375«98a)

CHAPITRK PRKMIER

La célèbre abbaye de Marmoutier, plus ancienne que laMonarchie Française elle-même, a toujours été regardée

comme une des premières du monde. Mais entre toutes sesgloires, la principale est bien d'avoir eu pour fondateursaint Martin, évêque de Tours, l'apotre et le thaumaturgedes Gaules.

On sait comment ce grand saint, tiré de son monastèrede Ligugé pour être élevé malgré lui sur le siège de Tours,

ne se crut pas dispensé par cette dignité des devoirs de

son premier état. Il n'ignorait pas, en effet, que si l'épis-copat a quelque chose de plus relevé par l'excellence de soncaractère, la profession religieuse renferme une perfection

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non moins sublime dans la pratique des conseils évan-géliques, et qu'il est difficile de la conserver sans les exer-cices de la vie claustrale. Nous le voyonsdonc, non contentde garder l'habit religieux et les pratiques du cloître,

se faire construire, près de son Kglise-Cathédrale, une petitecellule où il put, en toute liberté, vivre comme dans sonmonastère; mais voyant que l'aflluenc; de ceux qui accou-raient de tous côtes pour le voir et l'entendre, troublait

sans cesse son repos, il chercha un lieu plus retiré afin de

se soustraire à l'importunité de la foule et de vaquer libre-ment à la prière.

Un Heu complètement désert situé à trois kilomètresenviron de la ville, sur la rive droite de la Loire fixa sonchoix; ce site sauvage, encaissé par des rochers escarpéset la rivière de la Cisse, défendu par des bois épais, n'avaitd'autre accès qu'un étroit sentier perdu au milieu des*

broussailles, car la grande route d'Orléans à Angers passaitalors sur la hauteur, et les voyageurs ne j>ouvaient même

supposer l'existence de ce coin retiré, que la nature semblaitréserver pour quelque destination mystérieuse.

C'est dans ce désert, rappelant Ligugé et l'antique Thé*baïde, que le pontife des Turones, jeta les premiers fon-dements de cette abbaye fameuse qui plus tard devait s'ap-peler « l«e Grand Monastère » (majus momsterium) ouMarmoutier (375).

Au début, ni construction, ni édificesd'aucunesorte. Unecabane de bois prêta seule son abri aux pieux fondateur.Mais ces grottes profondes, taillées depuis un temps im-mémorial dans les roches, n'étaient-clles point des cellulestoutes faites, qui offraient une ressource inespérée pour uneinstallation de cénobites.

Une d'entre elles avait, suivant la tradition, donné asileà saint Gatien, premier évoque de Touraine, persécuté parles païens; c'est là que l'apôtre évangélisait secrètement

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ses néophytes et offrait, en leur présence, les saints mys-tères, (i).

Martin se réserva la grotte située un peu au-dessous decelle de saint Gatien, et c'est sur ce terre-plein qu'il setenait souvent,assissur un escabeau de bois connu de tout lemonde, au rapport de Sulpice Sévère. Un escalier grossiè-rement taillé dans le roc descendait de là vers la plaine.C'est ce logis plus que modeste, et dont l'intérieur ne renfer-mait qu'un lit d'ascète, que la postérité a pieusementconservé sous le nom de « Repos de saint Martin » (/><•/«•lum S. Martini).

Presque immédiatement après son arrivée à Marmoutier,toute une phalange de disciples qui atteignirent bientôt lechiffre de quatre-vingts, accourut se placer sous la houlettedu saint fondateur. Il utilisa, pour en loger une partie, lesnombreuses grottes des rochers; les autres se fabriquèrentdes cabanes sur le modèle de la sienne. Puis il leur donnaà tous ses instructions et leur imposa la même règle.

« Marmoutier ne fut, tout d'abord, qu'une Laure, c'est-à-dire une sorte de village composé de cellules éparses et deformes diverses, dont les pieux habitants vivaient sous unerègle et sous Un chef commun. » (2).

Rien n'est intéressant comme cette vie rudinentairc quela tradition nous a conservée assez fidèlement pour que legrand législateur de la vie monastique, saint Benoit ait puy faire des emprunts. Les frères ne possédaient rien enpropre (3), n'avaient aucun fonds, point de revenus, ne sub-sistaient que d'aumônes et tout ce qu'ils avaient était mis

en commun. Il leur était défendu de vendre ou d'acheter,afin d'éloignerde leur coeur le désir d'amasserdes richesses.

l; Martin, toujours selon la mémo tradition, la consacrad'une manièretoute spéciale au culte de la T.-S. Vierge,

(a) Ch. des Moulin*, Marmoutier en 1847. Tours, Marne, 1850.

3 Sulpice Sévère. Vte de suint Martin (passim.J

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On travaillait pourtant à Marmoutier, mais le seul artmanuel qtii fut permis aux moines était celui d'écrivain oud'enlumineur, encore n'y employait-on que de jeunes reli-gieux. On laissait les plus âgés vaquer à l'oraison, à laprière et à l'étude de l'Ecriture sainte.

La discipline établie dans le couvent était très sévère.Les religieux, sans être astreints à une clôture absolue,

ne sortaient de leurs cellules que pour les exercices encommun, et de leur monastère, que pour accompagnersaint Martin dans ses courses apostoliques ou l'aider dansles fonctions de son ministère. Ils priaient ensemble à cer-taines heures du jour et de la nuit, et dans ce but, le saintabbé fit construire une petite église qu'il dédia aux saintsapôtres Pierre et Paul.

Leur jeûne était perpétuel ; et ils prenaient leur uniqueréfection ensemble, vers le milieu du jour. La nourriturecommune se ressentait de la pauvreté. Elle se composaitordinairement de fruits et de légumes, jamais de viandes;le jour de Pâques et à quelques autres fêtes solennelles,

on accordait, un peu de poisson. Quand revenaient cesjours là, on voyait la petite colonie de Marmoutier des-cendre allègrement vers les berges de la Loire et prendreune récréation extraordinaire. Les frères assistaient auxopérations du diacre Caton, très versé dans l'art de lapêche et spécialement chargé du soin du matériel de lacommunauté. Ils l'encouiageaicnt de leurs paroles, deleurs regards, et quelquefois, grâce à l'intervention per-sonnelle du saint Abbé., ils contemplaient une vraie pêchemiraculeuse, rappelantdoublement les scènes de l'Evangile.L'économe, après avoir jeté inutilement ses filets duranttoute une journée, les tendait de nouveau, sur l'injonctionde Martin,ct ramenait tout à coup.avec un instrument beau*

coup trop faible, un de ces énormes saumons dont la basseLoire a conservé l'espèce, capture inespérée, qu'il traînait

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sous les yeux de ses compagnons stupéfaits I Mais si lepoisson figurait de temps en temps sur la table, aucunjour n'y voyait apparaître le vin; les malades avaient seulsle privilège d'en goûter, lorsqu'il y avait nécessité ab-solue (i).

Le vêtementétait simpleet austère. Les religieux auraient

cru comrr ;ttre un crime en y apportant la moindre recherche.Ceux qui n'étaient pas vêtus de bure noire, comme leurmaitre lui-même, portaient des habits faits de poil dechameau. Leurs cheveux étaient coupés très courts et né-gligemment, et, ce qu'il y a d'admirable, c'est que la plu-part de ces religieux appartenaient aux plus nobles familles

et avaient été élevés délicatement au milieu du monde oùils avaient goûté toutes les jouissances du luxe et de labonne chère.

Mais ils ne trouvaient rien de trop humble et de tropaustère sous la discipline d'un si grand maitre de la viereligieuse. Les magnifiques logis et les palais superbesqu'ils avaient quittés, ne leur paraissaient pas si beaux queces grottes obscures et ces misérables cabanes dont ilsfaisaient maintenant leurs demeures. Grâce à l'observancede ces règles austères, ils atteignirent une haute perfection

et il n'est pas étonnant qu'on ait comparé leur vie à cellemême des anges.

Quoique le monastère fût construit, comme nous l'avonsdit, au milieu d'une épaisse forêt et que l'accès en fûtfort difficile il ne laissa pas cependant que d'être bientôttrès visité. L'on y venait des pays les plus éloignés pourvoir saint Martin et s'édifier au spectacle de la vie de sesreligieux. Sulpice Sévère rapporte que c'était la coutume,à Marmoutier, de donner aux étrangers l'hospitalité la plustouchante ; avant de les faire asseoir à la table commune,

(i) Lecoy de la Marche. Histoire de saint Martin.

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l'Abbé, en personne, présentait à ses hôtes de l'eau pourse laver les mains, et le soir, il leur lavait les pieds (i).

C'est avec de semblables égards que saint Martin traitaSulpice lui-même. A l'exemple de saint Pierre, celui-ciavait hésité à se soumettre, mais, comme Notre-Seigneur,le saint évêque le subjuga tellement par son autorité, qu'ildut acquiescer à son désir.

Pourtant, lorsqu'un grand de la terre venait demander àpartager l'hospitalité des frères, on la lui refusait. Le saintne voulait point de pareils convives, craignant que quel-qu'un des siens n'en tirât vanité, et préférant garder intactle parfum d'humilité dans son monastère.

Mais, Marmoutier n'était pas seulement un cloître, c'étaitencore une école et un séminaire. 11 y avait là des enfantset des adolescents qu'on s'appliquait à dresser de bonneheure à la vertu et à la science. L'histoire de saint Bricc

en est une preuve.,

Brice appartenait à une riche famille de Tours. Douéd'heureuses dispositions, il répondit très bien tout d'abordaux soins que lui prodiguait saint Martin lui-même. Mais

une fois élevé à la cléricature, il oublia ce qu'il devait àDieu et à son évêque. La vanité lui enfla le coeur, le fasteet le luxe devinrent l'objet de ses pensées. Il ne réponditque par l'ingratitude et l'insolence aux reproches qui luiétaient paternellement adressés par son excellent maitre ;il alla, même parfois, jusqu'à le tourner en ridicule.

Tout le monde connaît ce trait qui, certes, n'est pas à salouange. Un jour, un pauvre infirme, venu auprès de Martinpour trouver un remède

•> ses maux, lui demanda où ilpourrait trou- u* le saint. Brice, qui était alors diacre, ré-pondit avec i

îépris : « Si c'est ce radoteur et ce fou que

(l) Des usages analogues se retrouvent dan* la règle de saint Benoîtet sont encore pratiqués aujourd'hui dans les monastères de son ordre.

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vous cherchez, ne le voyez-vous pas là bas qui regarde leciel comme un insensé?» Le malade, sans se laisserarrêterpar la grossièreté de ce langage, courut à Martin, quiaussitôt lui rendit la santé, puis, s'adressant à Brice, lesaint évêque lui dit avec sa douceur ordinaire : « Tescmble-t-il encore que je sois un insensé ? — Le clercindocile, au lieu de rougir de ses paroles, eut l'audace denier qu'il eût rien dit de semblable. — « Pourquoi nier,répartit le saint, bien que je fusse loin de toi, je t'ai entendutout à l'heure aussi distinctement que si tu m'eusses parléà l'oreille. Cependant, mon fils, je ne cesse de prier Dieu

pour toi afin qu'il te remette en ton devoir, et ce :m'est uneconsolation de te dire que j'ai obtenu de lui, qu'après mamort, tu sois mon successeur sur le siège de/Fours, mais jedois t'avertir que tu auras beaucoup à souffrir dans tonépiscopat » (i).

Cette prédiction qui rappelle celle de Notrc-Seigneur à S.Pierre, ne fut pour Brice qu'un nouveau sujet de risée, il enprit même occasion pour se moquer de son maître avec plusd'insolence. « Moi, dit-il, je serai évêque de Tours I Je voisbien maintenant que j'ai eu raison de dire que vous êtes unfou et un extravagant.» — Mais le saint qui lisait uans lesdesseins de Dieu, ne se laissa point arrêter par ces injure?,et peu de temps après il daigna élever son disciple à laprêtrise. Ce nouveau degré d'honneur ne rendit Brice niplus humble ni plus sage. H semble même qu'il devint plusinsupportable encore. En voici une preuve :

Un jour que le saint était assis, selon sa coutume, sur sachaire de bois, à la porte de sa cellule, il aperçut, sur lapointe du rocher, en face du lieu où il se trouvait, deuxdémons qui disaient: «Courage, Brice, courage,» et à l'heuremême,celui-ci arrivait tout en furie et vomissait mille injures

(l) Sulpice Sévère. Vie de saint Marti».

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contre saint Martin, pour se venger d'une réprimande qu'ilavait reçue le jour précédent. Un peu de plus, il l'auraitfrappé, et, tandis que le saint évêque cherchait à le calmerpar les plus douces paroles, Brice eut l'impudence de luidire qu'il était meilleur et plus saint que lui, puisque dès

ses plus tendres années, il avait été élevé dans la piété etla discipline du monastère, tandis que lui, dans sa jeunesse,et de son propre aveu, n'avait fait que des actions de sol-dat, et qu'il avait vieilli dans des superstitions en se re-paissant de fantômes et de ridicules visions.

Brice, croyant s'être bien vengé du saint évêque, s'é-loignait

,le coeur ulcéré, lorsque par un changement subit

qu'on ne peut attribuer qu'aux prières de saint Martin, il

retourna sur ses pa3, se jeta aux pieds du saint et lui de-manda pardon des outrages qu'il lui avait faits, avouantqu'en celte occasion, il avait été possédé du démon (i).Martin pardonna de bon coeur au coupable, et bien qu'ileut encore plusieurs fois à se plaindre gravement de lui,comme on le pressait de se défaire du rebelle, il n'y voulutjamais consentir disant que si Jésus-Christ son maitren'avait point chasséJu<las de sa compagnie, il pouvait b.:en

garder Brice dans la sienne.L'admirable patience du saint finit par triompher et par

faire revenir complètement le coupable de ses égarements.Aussi, lorsque le grand évêque mourut, sa prédiction seréalisa : vingt jours après, Brice, qui malgré son carac-tère orgueilleux, avait d'excellentes qualités d'esprit, futélu à sa place. En succédant à sa dignité, il succéda aussià sa vertu. Ce ne fut plus alors ce prêtre superbe et em-porté qu'on avait connu autrefois, ce fut un prélat doux,

(t La pointe de rocher sur laquelle saint Martin aperçut le malinesprit se voit encore et a gardé le nom de rocher de ta tentation desaint Brice.

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humble et saint. Il devint un modèle de pénitence et unexemple pour ceux qu'il avait précédemmentscandalisés.Comme saint Martin, il se retirait fort souvent à Mar-moutier pour y pleurer en secret les fautes de sa vie passée.On montre encore actuellement, au dessous de la cellulemême du repos de saint Martin, la sombre grotte où il vintprier, expier et s'humilier devant Dieu.

L'école de Marmoutier eut encore bien d'autres disciplesdont les noms ont illustré l'Église, et dont un grand nombreméritèrent, par leur science et leurs vertus, d'être élevés

sur des sièges épiscopaux. Les cités les plus éloignées,ambitionnaient d'avoir pour pasteurs les clercs sortis del'illustre monastère, et façonnés par saint Martin. C'est ainsiqu'après avoir donné saint Brice à l'église de Tours, Mar-moutier donna à celle d'Angers saint Maurille; à celle duMans, saint Victorius; à celle de Lyon, un autre saintMartin; saint Corentin, à celle de Quimper, et d'autresencore à divers diocèses. Un grand nombre d'abbayes enreçurent leurs fondateurs : Montglonne,saint Florent, Brive,saint Martin, Saintes, encore un autre saint Martin, Blaye,saint Romain. L'Irlande doit aussi à Marmoutier son fameuxapôtre saint Patrice, dont le souvenir a survécu dansplusieurs endroits en Touràine.

Ce dernier, selon la tradition, était né en Irlande; résoluà consacrer entièrement sa vie au service de Dieu, il vint àMarmoutier, se placer pendant quelque temps, sous la pro-tection de saint Martin, dont on croit même qu'il étaitparent. Une tradition locale veut que le futur apôtre del'Irlande, en arrivant en Touràine, se soit arrêté sur lesbords de la Loire en un lieu, qui depuis, prit le nom deSaint-Patrice. C'était au milieu de l'hiver. Pendant que lesaint se reposait prè3 d'une haie, une épine noire fleuritmiraculeusement au-dessus de sa tête. On montre encoreaujourd'hui cet arbuste merveilleux, qui continue à fleurir

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chaque hiver, comme pour attester le passage du sainten ce lieu (i).

Patrice reçut des mains même de saint Martin la tonsureet l'habit monastique ; il demeura, dit-on, quatre années àMarmoutier, et après s'être pénétré des leçons de celui qu'ilavait choisi pour modèle et pour maître, il partit, pouraccomplir lui aussi, en Irlande, un glorieux apostolat.

CHAPITRE 11

Ce n'étaient là que les premiers fruits du nouvel arbre,il devait en porter bien d'autres. Parmi les nombreux dis-ciples de saint Martin, ceux qui se distinguèrent le plus parleurs vertus et laissèrent le souvenir le plus vivant dansnotre Touràine, furent saint Clair, saint Mexme, SulpiceSévère et les Sept-Dormants : Nous dirons quelques motsde chacun d'eux.

Saint Clair était issu d'une noble famille, mais auxavantages terrestres que lui offraient le nom et la fortune,il préféra l'humilité de la vie religieuse. Encore adoles-cent, lorsqu'il vint se ranger sous la discipline de saintMartin, il y grandit et y progressa de telle sorte, qu'enpeu de temps il se distingua parmi ses frères, par sa vertuet sa piété ; aussi l'évêque l'éleva-t-il bientôt à l'ordre sacréde la prêtrise et lui confia-t-il même la conduite de quelquesreligieux qui vivaient dans une retraite toute proche dumonastère. C'est là qu'il mourut de la mort des justes, peude temps avant saint Martin.lui-même (2). On montraitencore récemment, au bas de l'église de Sainte-Radc-gonde, un pan de muraille que l'on croit avoir appartenu àla chapelle de saint Clair.

(I;. Voyez Dom Martène, publié par M. C. Chevalior. T. 1, p. 88 et 89.[2) Tiré de la légende du propre de Tours.

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Saint Mexme appartenait, lui aussi, à une illustre fa-mille et, comme saint Clair, il eut le bonheur d'être formédès ses premières années dans la vie monastique, à Mar-moutier. Chacun admirait les progrès qu'il faisait dans lavie spirituelle, et, quoique son humilité le portât à cacherses vertus, il ne put empêcher que les hommes n'en vissentencore assez pour lui décerner de justes louanges. Dans lebut de les éviter, il s'enfuit bien loin de Marmoutier et seretira dans la solitude de l'île Barbe, située au milieu de laSaône, à une demi-lieue de Lyon. Mais là comme en Tou-ràine, ses qualités éclatantes apparurent bientôt, et sesfrères voulurent l'avoir pour abbé. Il se résigna à subir cettecharge, puisque Dieu l'y appelait. Son mérite, d'ailleurs,

ne fit qu'augmenter tous les jours, si bien que l'archevêquede Lyon, Eucher, le combla de ses bonnes grâces. Ce quevoyant, l'humble religieux qui n'avait quitté son pays quepour vivre dans l'obscurité, abandonna Lyon et revint enTouràine, non toutefois pour se fixer à Marmoutier, où

son nom était trop connu, mais à Chinon, où de nouveauxdisciples ne tardèrent pas à l'entourer.

Sur ces entrefaites, Kgidius, préfet des armées Romaines,vint mettre le siège devant la ville qui bientôt se trouvaréduite à l'extrémité et sur le point de périr de soif. Maissaint Mexme releva le courage des habitants, et adressantà Dieu une fervente prière, il obtint du ciel une pluie abon-dante qui rafraîchit les assiégés, tandis que les éclairs etles tonnerres dont elle était'accompagnée, saisirent les en-nemis d'une telle épouvante, qu'ils levèrent le siège et s'en-fuirent. C'était l'an 463. — Le saint parvint à une extrêmevieillesse et survécut plus de soixante ans à saint Martin.Il termina sa vie dans son monastère où il reçut la sépul-ture et fit depuis, un grand nombre de miracles. La villede Chinon l'a longtemps honoré comme son patron ; quantau monastère, il fut plus tard transformé en collégiale, et

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son église en grande partie ruinée, se voit encore aujour-d'hui.

Mous ne pouvons passer sous silence, en parlant des dis-ciples de saint Martin à Marmoutier, celui qui le premier aécrit sa vie, et s'est distingué lui-même par sort sa/voiret savertu, Sulpice-Sêvère. Il était originaire d'Aquitaine etissu d'une des plus anciennes familles du pays, La beautédp son génie et sa remarquable éloquence lui -valurent del'éclat dans le monde. 11 se fit surtout admirer dans lebarreau et contracta, avec saint Paulin deMoie, une amitiétrès étroite, fortifiée encore par la grâce, maîtresse de leursdeux, coeurs. Sulpice était donc un personnageconsidérabledans le monde, lorsqu'en un seul jour et par une résolutionhéroïque, il renonça à tout pour suivreJésus-Christ.Si nousen croyons la tradition, cette conversion si extraordinairefut l'effet des prédications de saint Martin. Dès lors, Sulpicelui voua une vénération profonde qu'il lui conserva toutesa vie. H ne se passait presque pas une année qu'il ne vintde la Guyenne à Tours ou à Marmoutier pour avoir leplaisir de le voir, et profiter tout à la fois de ses- instruc-tions et de ses exemples. Il y a mc*mc lieu de croire qu'il yserait resté toujours, si saint Martin qui désirait étendrepartout la vie monastique, ne lui eût persuadédedemeureren son pays, où l'exemple de sa conversion et de sa vie siédifiante pouvait produire un merveilleux effet sur l'espritdes populations. Mais chaque fois qu'il venaiten Touràine,il trouvait dans le coeur du saint Evêque une tendressevraiment paternelle. Saint Martin l'honorait de sa familia-rité et n'avait rien de caché pour lui, c'est lui-même qui lerapporte; et lorsque le grand thaumaturge mourut, Sulpicealors loin de lui, eut révélation de son trépas et Je la gloiredont il jouissait au ciel. Pour se consoler du départ de sonbien-aimé père, il vint aussitôt à Tours oui il demeura cinqans entiers dans la propre cellule de saint Martin. Il ter-

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— 15 ~mina ses jours dans la pratique plus stricte encore des con-seils évangéliques et dans les exercices de la plus austèrepénitence.

Il nous reste à faire connaître, parmi les pieux person-nages qui ont illustré les origines de Marmoutier, duvivant môme de saint Martin, les septfrères Dormants. Latradition a recueilli leurs noms : Clément, Frime, Lcetus,Théodore, Gaudens, Cyriaque et Innocent. Ayant entenduparler de la haute sainteté de l'évêque de Tours, ils vinrenttous les sept, jeunes encore, le trouver dans sa solitude deMarmoutier, et là, vivant en commun dans une grotte con-tiguë à celle que déjà saint Gatien avait consacré à lasainte Vierge, trouvèrent joie et bonheur dans le silence,la lecture, le jeûne et la prière.

Lorsque, plus tard, saint Martin eut quitté cette terrepour être reçu au ciel par les anges, il n'abandonna paspour cela les sept frères. Maintes fois, depuis ce moment, illeur apparut pour les encourager et les soutenir dans la vieparfaite qu'ils avaient embrassée. Ils vécurent ainsi vingt-cinq ans.encore ,

dépuis la mort de saint Martin. Ce lapsde temps écoulé, le saint, à la fête anniversaire de sonbienheureux trépas, se présenta durant la nuit aux septsolitaires, et leur annonça leur prochaine délivrance en lesavertissant que dès le lendemain ils paraîtraient tous en-semble devant Dieu. Ceux-ci se munirent alors du saintViatique et se mirent en oraison. Lorsque vint l'aurore, onles y trouva comme plongés, mais ils dormaient du derniersommeil. Bien que le voile de la mort se fût étendu sur eux,leurs visages étaient demeurés frais et vermeils, si bienqu'ils ressemblaient plutôt à des dormantsqu'à des hommes

sans vie, c'est ce qui donna occasion aux témoins de cettemerveille de les appeler Dormants, nom qui leur a été con-servé. Ils restèrent ainsi exposés pendant sept jours, ré-pandant autour d'eux, dans leur cellule, une délicieuse

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odeur, après quoi, on procéda à leur sépulture. Ils furentensevelis devant l'autel de leur oratoire que saint Martinavait enrichi de précieuses reliques. Des miracles s'accom-plirent en grand nombre sur leurs tombeaux, aussi, par lasuite, leur rendit-on, à Marmoutier, le culte dû aux saints.

Tels étaient les fruits merveilleux' de grâce que produi-saient autour de lui les enseignements et les exemples dubienheureux Martin. Lui-même, au milieu de tous, et pardessus tous resplendissait d'éclat et se voyait comblé deslaveurs célestes les plus insignes. Souvent, les saints du ciellui apparaissaient, et il conversait familièrement avec eux.Un jour, dans sa cellule, la Très sainte Vierge elle-mêmesemontra à lui en compagnie de sainte Thècle et de sainteAgnès, prodige dont Marmoutier a religieusement gardé lesouvenir (i).

Une autre fois, c'est un globe de feu qui resplendit sou-dain au-dessus de la tête du pontife tandis qu'il offre lessaints mystères et que son visage apparait comme trans-figuré aux yeux des assistants.

Le démon, pour le tromper, se présenta parfois à lui

sous les déguisements les plus perfides, avec un manteauroyal et une couronne d'or, un visage serein, cherchant àse faire.passer pour Jésus-Christ lui-même, mais le saint ledémasqua de suite par ces paroles pleines de foi : « Notrc-Seigneur n'a point annoncé qu'il viendrait vêtu de pourpreet couronné d'un diadème, je croirai à sa présence, lorsqueje le verrai tel qu'il était quand il a souffert pour nous, por-tant sur ses membres les marques de son supplice : » Et ledémon se retira confus.

(t) Ne serait-il pas permis de voir dans ce prodige comme un présagede ce que Maimoutier devait devenir un jour, en se relevant de sesmines pour passer dans les mains de vierges contactée* au Seigneur etvouées à l'éducation de l'élite des jeunes filles chrétiennes?

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— 17 -Martin avait conquis sur l'esprit de mensonge un tel

empire, qu'il le balayait d'un souffle, partout où il le ren-contrait. Dieu permit pourtantqu'une fois, le démon furieuxle précipitât du haut de sa cellule, où il se blessa griève-ment. Mais un ange descendit du ciel et lui apporta unbaume divin qui guérit aussitôt toutes ses plaies.

On gardait autrefois, dans le trésor de l'abbaye de Mar-moutier, une petite fiole de verre, contenant un baume mi*raculeux, qu'on prétendait avoir été apportée à saintMartin par un ange. Cette tradition prend, sans doute, sasource dans l'événement que nous venons de raconter. Maisil y a plus d'apparence que cette ampoule ne contenait quede l'huile bénite par le saint lui-même et dont il se servaitquelquefois pour guérir les malades. Quoi qu'il en soit,elle était d'une grande efficacité et accomplissait de nom*breux miracles, au rapport de saint Grégoire de Tours. Ilvenait des infirmes de fort loin pour recouvrer la santé parl'attouchement de cette relique, connue sous le nom de« Sainte Ampoule de Marmoutier. » Nous aurons occasiond'en reparler encore dans le cours de notre récit.

Nous ne suivrons pas le thaumaturge dans le cours deses voyages apostoliques à travers la France entière,puisque notre cadre embrasse seulemeut les actes de sa viequi ont eu Marmoutier pour théâtre. Il était parvenu à unegrande vieillesse, et le jour venait où Dieu allait lui ac-corder la récompensedue à tant de travaux et de vertus.A mesure qu'il approchait de ce moment, sa sainteté sefaisait plus parfaite encore.

Homme de charité par excellence, Martin ayant apprisqu'une mésintelligence divisait les membres du clergé deCandes, entreprit, malgré ses quatre-vingts ans, d'allerlui-même pacifier les esprits. Il n'ignorait pas cependantque sa mort était imminente(il l'avait annoncée à ses frères),mais il estimait que ce serait terminer dignement sa vie que

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de mourir en laissant à son église la paix des saints. Ayantdonc convoqué une dernière fois tous les religieux de Mar-moutier, il les embrassa tour à tour, leur donna sa béné-diction, désigna lui-même son successeur et se mit en route*En peu de temps, la concorde fut rétablie à Candcs, et ilsongeait à revenir, lorsque tout à coup, il sentit ses forcesdéfaillir. Alors, comprenant la volonté du ciel, i! fit savoiraux disciples qui l'entouraient que le moment suprême étaitvenu. Je ne peindrai point ici la douleurdes siens, ni la scènesi connue et si touchante dans laquelle, après une lutte hé-roïque entre le désir d'être encore utile à ceux qu'il aimaitet le bonheur de se réunir pour toujours à Dieu, il finit par seremettre complètemententre les mains de l'arbitre suprême,attendant en paix que sa volonté s'accomplit en lui. Samort sublime fut le couronnement de sa sainte vie, et aprèsune dernière parole qui était une victoire sur le démon, ilrendit l'esprit un dimanche, vers le milieu de la nuit, et des

anges descendus du ciel emportèrent aussitôtson âme bien-heureuse au milieu de concerts d'une harmonie toute cé-leste. C'était, selon l'opinion la plus probable, le 8 novem-bre de l'an 397.

La cité des Turoncs se précipita tout entière au-devantdes restes sacrés, que l'on ramenait dans ses murs. Lesmoines surtout, qui avaient formé les plus beaux fleuronsde sa couronne, y accoururent en foule innombrable. Ceuxde Marmoutier, parmi tous les autres, se trouvèrent là aupremier rang, et ces pieuses phalanges de la prière et dela pénitence offrirent, de la sorte, au monde, le magnifiquespectacle de la fécondité de l'arbre que saint Martin avaitplanté de ses mains.

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CHAPITRE III

Saint Martin était mort, mais il devait se survivre à lui-même, tant par ses miracles innombrables que par l'éclatde la sainteté de ses disciples de Marmoutier.

Avant de partir pour Candes, le saint avait confié legouvernement du monastère à Gualbert ou Gilbert. Aucundétail ne nous est parvenu sur les actes de ce premierabbé, mais le seul fait du choix de Martin parle bien haut

en sa faveur. Aicard, qui le remplaça, aurait administré lesderniers Sacrements aux Sept «Dormants, alors que d'aprèsl'avis céleste, « ils passèrent de cette vie à une plus heu-

reuse, et s'endormirent au Seigneur, » disent les chro-niques.

On ne sait rien des abbés qui lui succédèrent immédia-tement, si ce n'est que par leur sagesse et leur piété, ilsconservèrent à Marmoutier ce parfum de sainteté que saintMartin et ses premiers disciples y avaient répandu et con-tinuèrent à y attirer d'illustres personnages, avides detrouver le vrai chemin du ciel.

Nous devons compter parmi ces derniers plusieurs saintsIrlandais qui, à l'exemple de Patrice, leur apôtre, vinrentdu fond de l'Hibernie plus encore pour s'initier à la perfec*Mon que pour se former aux lettres divines et humaines.

Citons seulement saint Firmien,qui, de retour en Irlande,bâtit des monastères, véritables pépinières d'évêques et desaints religieux; saint Conan et, avec lui, toute une pléïadede moines Irlandais qui, eux aussi, avaient puisé dans legrand coeur de Martin l'amour de Dieu et l'amour pour lesâmes.

Aux noms de ces saints étrangers,

il faut joindre celui

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de w/'*/ Yrieix (tAtant.nà à Limoges. Grâce à la noblessede sa famille et à son propre mérite, il était devenu chan-celier de Théodebert, roi d'Australie, et exerçait cettecharge avec prudence; il la quitta pourtant bientôt, afin dese consacrer entièrement au service de Dieu. Devenu fon-dateur et abbé du monastère d'Atane, il fit de fréquents

voyages à Tours, dans le but de s'y remplir de l'esprit desaint Martin, pour lequel il avait une singulière dévotion.Après avoir satisfait sa piété près du tombeau du grandThaumaturge, il passait le fleuve, venait à Marmoutierhonorer les lieux que le saint avait habités pendant sa vieet les arrosait de ses larmes. Une fols, entre autres, allantvisiter une fontaine que saint Martin avait découverte etcreusée de ses mains, il y faisait sa prière lorsque sa piétélui inspira d'y remplirun vase et de remporter avec lui. Orà quelque temps de là, son frère, nommé Kenosin, ayantété gravement malade, réduit à l'extrémité, saint Yrieix

se souvint de l'eau de saint Martin ; il n'en eut pas plus tôtversé une goutte dans sa bouche que le malade ouvrit lesyeux et recouvrant soudain la parole, supplia qu'on luidonnât encore de ce breuvage salutaire. A peine y avait-iltrempé les lèvres une seconde fois, qu'il était complètementguéri (i).

Dans une autre circonstance, saint Yrieix venait de ré*citer, pendant la nuit, matines avec les religieux de Mar-moutier, lorsqu'au sortir de l'Eglise, il aperçut une vivelumière qui semblait descendre du ciel, juste au-dessus dela cellule de saint Martin. Il crut d'abord que cette visionétait naturelle, tout en se demandant qni pouvait se pro-

(i) Grèg. de Tours. Des miracle*de saint Martin. — Celle fontaineexiste toujours; oo en voit la nappe limpide au fond d'une excavationprofondede ta roche, au pied du coteau de Rougemont. Elle offre celteparticularitéde ne tarir jamais.

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menerainsi dans les jardins, aune heureaussi Indue; mais,

comme il confinait à admirer l'éclat de cette lumière, lemerveilleux flambeau s'éleva tout à coup et disparut dansle ciel. Il en conclut que c'était saint Martin lui-même quiétait revenu visiter un lieu qui lui avait été si cher pendant

sa vie et qui remontait au ciel, au milieu des splendeurs dela gloire.

Du reste, les prodiges se multipliaient de jour en jour, etcela à la seule invocation du nom de Martinà son tombeau,et dans les divers endroits qu'il avait sanctifiés par saprésence.

La coutume s'était déjà Introduite, à cette époque,que chaque année, aux fêtes de Pâques, l'évêque deTours vint à Marmoutier avec son clergé et son peuple

pour y vénérer la mémoire du glorieux pontife. Cette dé-votion devint si grande que des familles entières quittaientleurs maisons avec leurs domestiqueset laissaient la villedéserte pour se trouver à la solennité. Or, aucun pont

sur la Loire n'existant, on était obligé de passer lefleuve en bateau. Une des barques se trouvait sur-chargée de monde au milieu des eaux, lorsque le démon,ennemi de saint Martin et jaloux de la piété ardentedu peuple, renversa le frêle esquif. A cette vue,ceux qui se trouvaient sur la rive, remplis d'angoisses,implorèrent, avec tout l'élan de la foi, le secours de saintMartin, et aussitôt, les naufragés, sauvés miraculeusementdu danger, se virent transportés, par une vertu divine, surl'autre bord, où ils furent reçus au milieu des acclamationset des actions de grâces de la foule (i).

Parmi les saints personnages qui illustrèrent encore lasolitude de Marmoutier, dans le premier siècle qui suivit lamort de saint Martin, il faut citer saint Uobardt auquel le

*(t) Grég. de Tour*. De* miroites de saint Martin.

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peuple a donné aussi le nom de libert. Il était originaire del'Auvergne.C'étaitun jeune homme riche,douxetcharmant,et dont la grâce de Dieu avait de bonne heure touchél'âme.Ses parents voulaient l'engager dans les liens du mariage*mais lui apportait à leur désir une respectueuserésistance.Cependant, par égard pour eux, il finit par céder; déjà lesdons des fiançailles étaient échangés avec celle qui devaitêtre son épouse, lorsque son père et sa mère moururentinopinément, le laissant en pleine liberté. Aussitôtrésolu de quitter le siècle pour se donner à Dieu, il sedemanda quels étaient les meilleurs moyens pour mettreà exécution son dessein. Dans ce but, il se dirigeavers le tombeau de saint Martin, ne doutant point qu'unsaint qui avait fait tant de miracles, ne lui ouvrît, parson intercession la porte du ciel. Son attente ne fut pointtrompée. Après avoir prié au saint tombeau, il passa laLoire afin d'aller s'ensevelirdans la solitude de MarmoutierIl y choisit,près de l'entrée du monastère,une cellule tailléedans le roc, qui se trouvait vacante, et la creusa lui-mêmeplus profondément encore. Là, s'étant procuré des mem-branes de parchemin pour écrire, il s'appliqua tout entier àl'étude des Livres saints. Les jeûnes, les veilles, la prière,la psalmodie et la lecture faisaient toute son occupation,interrompue seulement par le travail des mains qui consis-tait pour lui à transcrire les livres de l'Ecriture ou des'Pères et à les orner d'enluminures, et aussi à tailler le roepour agrandir sa cellule. Il s'acquit bientôt, par son hu-milité et sa vertu, l'estime et le respect de tout le monde ;mais un jeune religieux, qui s'était mis sous sa conduite,étant entré en querelle avec ses voisins, le tentateur, tou-jours ennemi des serviteurs de Dieu, en prit occasion pourinspirer à Léobard la pensée de quitter sa cellule pour enchercher une autre. Sur ces entrefaites, saint Grégoire,évêque de Tours, qui allait souvent prier à Marmoutier,

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-33-étant survenu, Léobard lui découvritsa tentation. L'évêquelui démontra facilement que c'était là un pur artifice dudémon, et afin de le soutenir dans la tâche qu'il avait en-treprise, il lui donna plusieurs livres, entre autres, les Viesdes Saints du désert, les institutions 'de Cassien et lesrègles des solitaires. Léobard les lut avidement et en reçutde grandes lumières pour sa propre conduite et celle desautres.

Sa parole était douce et agréable, et on l'écoutait avecun extrême plaisir. Il demeura ainsi vingt • deux ansdans sa solitude, et reçut de Dieu une grâce si effi-

cace que sa seule salive était un remède contre les plaiesdu corps, et que le vin qu'il avait béni par le signe de lacroix guérissait les fièvres. « Un jour, dit Dom Martène unaveugle vint devant lui déplorer son malheur et le prieravec humilité de toucher seulement ses yeux. Léobard s'endéfendit longtemps, mais enfin, vaincu pas les instantesprièresde l'infirme.et touché desamisère,il passa trois jours

en oraison, et le quatrième, lui ayant imposé les mains,il fitcette prière : «Seigneur tout puissant,Fils unique de Dieu lePère, qui régnez avec Lui et le Saint-Esprit dans les siècles,et qui, avec la salive de votre bienheureuse bouche, avezrendu la vue à l'aveugle-né, rendez l'usage de ses yeux àvotre serviteur, afin qu'il reconnaisse et loue votre puis-

sance. » En finissant ces paroles, il fit le signe de la croixsur les yeux de l'aveugle qui recouvra aussitôt la vue. »

Enfin, cassé avant l'âge par l'assiduité de ses travaux etl'austérité de sa pénitence, il sentit que ses forces com-mençaient à défaillir, et, se trouvant un jour plus faiblequ'à l'ordinaire, il fit appeler l'évêque saint Grégoire. Aprèslui avoir parlé de la nécessité de la mort, il lui demanda lesaint Viatique : « Voici, lui dit l'ermite, la fin de ma vie quiapproche, puisque Dieu veut bien me délivrer des liens ducorps. Je resterai pourtant ici quelques jours encore, mais

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avant Pâques, Dieu m'en retirera. » « O le bienheureuxhomme, s'écrie saint Grégoire de Tours, qui a servi de tellesorte le créateur de toutes choses, qu'il a mérité de con-naître, par une révélation divine le jour de sa mort I »

— Deux mois plus tard, la maladie de Léobards'aggravaen effet, et comme on était au dimanche, il dit au frère quile servait: «Préparez-moi quelque chose, parce que jesuis extrêmement faible. » — Celui-ci lui ayant réponduque tout était prêt. « Sortes maintenant, lui dit-il, et voyezsi la messe est finie. »— Il parlait ainsi, non pas dans ledésir de prendre quelque chose, mats afin que.personne nele vit expirer. Quand le serviteur rentra, il trouva le saintétendu sur la terre, les yeux fermés; il avait rçndu l'esprit.Surpris, le serviteur poussa un grand cri, et les autresfrères étant accourus, on revêtit le défunt de ses habitset on le déposa dans un sépulcre qu'il s'était creusélui-mêmedans le roc de sa cellule. — Son corps fut trans-féré dans l'égliseconventuelle de Marmoutier, et saint Gré-goire de Tours, témoin oculaire d'un grand nombre de sesactions, a voulu lui-même écrire sa ue (i).

CHAPITRE IV

Pendant la durée des Vil', vin et IX* siècles, l'histoiredu monastère est assez obscure; les noms des abbés quil'ont régi alors se retrouvent seuls dans les Actes publicset les conciles provinciaux qui. se tinrent durant cettepériode, et il faut aller jusqu'au règne de Charlemagne

pour rencontrer un fait digne d'être signalé. Le pieux mo-

(i) La grotte de saint Léobard se voit encore dans les rochers deMarmoutier, un peu au-dessus de celle des Sept«Dormantf. '

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- 23 -narque prenant l'abbaye sous sa protection, l'exempta detous les droits du fisc, et défendit aux juges et officiers du

royaume de troubler les moines dans la possession desbiens qui leur appartenaient ou pourraient leur être don-nés dans l'avenir, afin que les religieux, dans la paix et latranquillité, fussent à même de prier sans cesse pour laprospérité de la famille royale et de tout l'empire. Cesprivilèges furent confirmés et augmentés encore par Louisle Débonnaire et ses successeurs. En même.temps, plu*sieurs donations territoriales vinrent assurer des revenusau monastère.

Vers le milieu du IX* siècle, Marmoutier fut gouvernépar un abbé du nom de Regnaud, homme de grandenaissance, frère du comte Vivien, abbé de Saint-Martinde Tours, et très considéré de Charles-Ie-Chauve. Il semontra véritablement le père de ses religieux, et fit faireune translation solennelle de reliques qui laissa à Marmou-tier un grand souvenir. Nous voulons parler du corps desaint Gorgon, martyr.

Ayant trouvé son monastère enassez mauvaisétat finan-cier, l'abbé Regnaud entreprit le voyage de Rome afin desatisfaire tout d'abord sa dévotion et d'obtenir ensuite duPape quelques reliques au moyen desquelles il espérait at-tirer des aumônes et des offrandes. 11 partit de Tours aprèsles fêtes de Saint Martin (novembre 846) accompagné deplusieurs de ses religieux. Arrivés à Rome, ils visitèrentle tombeau des saints Apôtres, puis obtinrent audience duPape qui leur donna le corps de saint Gorgon, martyr,et, chargés de ce trésor, ils se remirent en route pour laFrance, au mois de mai 847. L'abbé apprécia mieux encorele présent qu'il venait de recevoir envoyant le grandnombrede miracles que ces ossements sacrés opérèrentpartout surleur passage. A Plaisance,à Verceil,à Aoste.à Lausanne,à Salins,à Orléans,tous les malades que l'on amena devant

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les saintes reliques recouvrèrent la santé.On arriva à Mar-moutier le 3 juillet, veille de la fête de la Translation et del'Ordination de saint Martin.

Le corps du martyr y fut reçu solennellement parLandran, archevêque de Tours, Actard évêque de Nantes,et le comte Vivien, abbé de saint Martin, et frère, commenous l'avons dit, de l'abbé de Marmoutier. Le reliquairefut d'abord exposé au milieu de l'église à la vénération despeuples, en attendant qu'on lui préparât une place hono-rable. Mais comme dans ce temps là, l*s femmes n'en-traient pas dans l'église abbatiale, afin que les fidèles del'un et l'autre sexe eussent la liberté de venir révérer lesaint corps, on trouva bon de l'exposer pendant quelquetemps hors de l'enclos du monastère. Depuis, on bâtit danscet endroit une petite chapelle en l'honneur de saint Gor-gon. Elle subsistait encore, parait-il, au Xll'siècle. Le saintcontinua à y faire éclater son pouvoir par de nombreuxmiracles.Nous pouvons constater par ce fait combien étaitgrande alors la dévotion des fidèles envers les reliques dessaints, et aussi de quelle façon Dieu se plaisait à récompen-ser leur foi.

A partir ae cette époque, les dates vont commencerà devenir plus précises, et les événements de l'histoirese dérouler sous nos yeux avec plus de détails.

Lorsque l'abbé Regnaud mourut, ce fut le comte Vivien

son frère, déjà abbé de Saint*Martin, qui prit le titred'abbé de Marmoutier, grâce au crédit dont il jouissaitauprès du roi. C'était malheureusement un homme decour; on lui attribue, néanmoins, quelques oeuvres pies,telles que le rétablissementde l'oratoire delà sainte Vierge,où reposaient les disciples de saint Martin, près de l'entréedu monastère, et qui prit, depuis, le nom de chapelle deN.-D. des Scpt-Dormants.

L'homme qui laissa, en ce temps, la plus grande réputa-

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_37 -tion de foi et de charité fut le célèbre Héberne, soixante*sixième abbé de Marmoutier. Dieu qui connaissait sa piété,après avoir voulu qu'il fût placé à la tête de ses frères, per-mit aussi, pour éprouver sa vertu, que sous sonadministra-tion, l'abbaye fût ravagée par les Normands.

Déjà, Paris et Orléans avaient éprouvé les effets de lafureur de ces barbares : Amboise et tout le pays entre laLoire et le Cher n'étaient plus que débris et cendres. Pour-suivant leurs victoires sous la conduite d'Hasting, leurchef, ils vinrent assiéger Tours. Cette ville était sur lepoint de succomber elle aussi, lorsque les habitants désolés,eurent la pensée de recourir à leur saint patron, Martin,de tirer le corps sacré hors du tombeau, et de le porter surleurs murailles, à l'endroit même où les ennemis les bat-taient avec le plus de violence. « Chose admirable dit DomMartène, ils n'opposent à une armée nombreuse, excitéepar le butin qu'elle avait déjà fait et par celui qu'elle espé-rait faire encore.qu'un corps sans vie. Mais voici que de cesossements inertes s'échappe une vertu vivante qui dissipecomme une fumée, les funestes desseins des barbares. Uneterreur panique les saisit, la crainte les jette dans le dé-sordre, ils lèvent le siège et prennent la fuite. On les pour-suit, on les défait : partie demeure sur la place, partie estfaite prisonnière, le reste se sauve comme il peut.»

Après une si grande victoire, on rapporta le corps desaint Martin dans son église, avec de solennelles actionsde grâces, et l'archevêque de Tours voulant perpétuer àjamais le souvenir d'une telle protection, institua et fixa

au 12 mai une fête de reconnaissance qui s'est perpétuéejusqu'à nous sous le nom de Subvention de saint Martin.L'abbé de Marmoutier, entouré de ses religieux, célébraitles saints mystères à la basilique.

Mais la ville de Tours ne jouit pas longtemps du fruit decette victoire. Dieu avait résolu d'humilier son peuple. Dix

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ans s'étaient à peine écoulés, qu'une nouvelle invasionde Normands venait inonder la France. Comme le siègedu Mans tratnait en longueur, Rollon dirigea une partie de

son armée sur Tours, mais arrêtés par un débordement dela Loire et du Cher, ces pirates ne purent approcher dela ville et déchaînèrent alors toute leur fureur sur l'abbayede Marmoutier. Ils en ruinèrent les édifices de fond encomble, et massacrèrent cent seize religieux dont la mortfut sans doute précieuse devant Dieu.

Nais celui qui éprouva le plus les effets de leur cruauté,fut le pieux abbé Héberne. Il s'était caché avec vingt quatrede ses religieux dans les cavernes du coteau et avait ainsiéchappé au carnage, lorsqu'il finit par être découvert. Lesbarbares se saisirent de sa personne, et lui firent subir decruels tourments pour l'obliger à déclarer où était le trésorde l'église, et les grottes qui servaient de refuge à ses dis-ciples. Héberne soutint la violence des supplices avec uneconstance invincible et ne voulut rien découvrir. Lacruauté des bourreaux échoua devant la constance de .leurvictime.

Ce fut comme par miracle qu'il échappa à la mort, etlorsque les ennemis se furent retirés, ne laissant après euxque des ruines, les chanoines de Saint-Martin vinrent con-soler leurs frères de Marmoutier et les emmenèrent chez

eux, à Tours, où ils leur rendirenttous les devoirsde la pluscordiale hospitalité.

Six mois ne s'étaient pas écoulés que Rollon, devenumaître du Mans tournait de nouveau les armes contre laville de Tours. H fallait, avant tout, soustraire à sa fureurla précieuse châsse de saint Martin. On en donna la gardeau saint abbé Héberne, à ses vingt-quatre moines et àdouze chanoines de Saint-Martin, auxquels on adjoignitdouze bourgeois du cloître. Ceux-ci quittèrent donc la ville

avec leur sacré dépôt et je transportèrent d'abord à Cor-

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-39-mery, puis successivement à Orléans (i), à Saint*Benoit*sur-Loire, à Chablis, et enfin à Auxerre où ils s'arrêtèrent.Les reliques du patron de la Touràine furent déposées prèsde celles de saint Germain et elles opérèrent un nombreincalculablede miraclespendant les trente-et-unans qu'ellesdemeurèrent dans ce lieu.

Les vingt-quatre religieux de Marmoutier, n'ayant plusd'asile furent, les uns élevés à l'épiscopat, les autreschoisis pour abbés dans divers monastères de la Bour-gogne; comme si saint Martin, par reconnaissance, eûtvoulu ainsi faire honneur à ceux qui l'avaient honoré lui-même en préservant ses reliques. Les moines que la Bour-

gogne se donnaient ainsi pour pasteurs, lui offraient latriple garantie de leur origine révérée, de leur courage aumilieu des tortures, et de leur constante fidélité pendantles fatigues de l'exil. Pour l'abbé Héberne, il resta àAuxerre, ne voulant point quitter le corps du saint Evêque.

Cependant, Dieu ayant rendu la paix à la France, par laconversion de Rollon, les citoyens de Tours songèrent àrentrer en possession du corps de leur bien-aimé patron.Us le demandèrent d'abord à l'évêque d'Auxerre qui ré-pondit par un refus de se dessaisir d'une relique dont ilavait trouvé, à son arrivée, son diocèse en possession. Laréponse du roi, auquel ils s'adressèrent ensuite, ne leur futpas plus favorable. Mais Ingelger, comte de Gâtinais etd'Anjou qui possédait un palais dans Auxerre même, priten main leur cause et vint, en armes, réclamer lesaint corps. Effrayé de cet appareil de guerre, et ayantconsulté plusieurs prélats, l'Evêque se décida enfin à donnersatisfactionau comte; il prit même toutes les mesures pour

(i) On croit qull fut déposé dans la crypte de la collégiale de Saint-Aiguan, de telle sorte que les restes mortelsdes deux illustresconfesseursse rencontrèrent un instant sous ces sombres voûtes.

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que le retour des reliques se fit avec une pompe et unemagnificence dignes de saint Martin.

Le bon vieillard Héberne, qui n'avait point quitté leprécieux dépôt durant tout le temps de son long exil,convoqua ceux de ses anciensdisciplesqui vivaientencore :On célébra solennellement la messe, et lès évoques réunisalors à Auxerre, tinrent à honneur de porter eux-mêmesla sainte châsse escortée des troupes d'Ingelger.

Les cantiques de louanges ne cessèrent de retentir lelong du chemin, et chaque jour les saints mystères étaientcélébrés devant le corps de saint Martin. La dévotion gé-nérale qu'il inspirait déjà s'accrût encore, lorsqu'on vit lesmiracles se multiplier sur son passage et devenir plusnombreux à mesure qu'on approchait de la ville de Tours.Quoique ce fût au mois de décembre, on vit des arbres re-verdir et se couvrir de fleurs; à la basilique, les clochessonnèrent d'elles-mêmes et les cierges s'allumèrent toutseuls, au moment où les saintes reliques furent reçues parAdalarid, archevêquede Tours, et les évéques, ses suffra-gants. Une nouvelle fête fut instituée en mémoire de cetheureux retour, et porte encore le nom de Réversion desaint Martin (14 Dec. 8S7).

Le Chapitre de saint Martin, pour témoigner à Ingelger

sa profonde reconnaissance, lui conféra la dignité de tré-sorier de la basilique, où il reçut également les honneursde la sépulture. Quant au saint vieillard Héberne, biendigne d'être récompensé de sa constance, Adalarid, arche-vêque de Tours, étant venu à mourir, il fut élevé à sa place

sur le siège de celte ville, et l'occupa encore, à ce qu'onprétend, pendant vingt-sept ans.

Pendant ce temps, l'abbaye de Marmoutier, en partierelevée de ses ruines, avait été donnée à Robert comted'Anjou, et comme elle se trouvait, par suite des événe-ments que nous venons de raconter, privée de tous ses

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religieux, on songea à les remplacer par des chanoines,ainsi qu'on l'avait fait pour saint Martin de Tours. L'am-bition qui régnait alors dans le siècle et la cupidité desgrands, dont plusieurs avaient reçu le titre d'abbés deMarmoutier, favorisaient ce dessein. Vingt-quatre cha-noine» furent donc installés au monastère, au lieu descent-quarante moines qu'on y avait vus jusqu'alors : la ré-gularité cessa d'être observée,le pays fut privédesexemplesdonnés par les pieux solitaires, et les pauvres, des abon-dantes aumônes qu'ils avaient l'habitude d'y recevoir.

A la mort de Robert-le-Fort, que nous avons nomméplus haut, son fils, Louis, hérita de la célèbre abbaye, qui

passa ensuite à Eudes, lequel, étant devenu roi, la transmità son frère Robert, déjà possesseur de Saint-Martin deTours.

A cette époque, les Normands ayant fait une nouvelleincursion en Touràine, Robert fortifia les deux mona-stères et les pourvut de revenus territoriaux pour lesmettre en mesure de réparer les pertes que leur pourraientoccasionner les pillards. Cette fois, les envahisseursentrèrent dans la ville et brûlèrent vingt-neuf églises, ycompris celle de saint Martin. L'archevêque Héberne quiavait sauvé à grand peine sa cathédrale, conçut alors leprojet, pour remédier plus facilement aux dommages qu'elleavait subis, de réunir à sa mense, le monastère de Mar-moutier : les députés qu'il envoya à Robert, plaidèrent sibien' sa cause que ce prince, oubliant les immunités del'abbaye, accorda à l'Archevêque la permission sollicitée.Mais les chanoines émus de cette détermination, s'empres-sèrent de leur côté à faire valoir les privilèges dont jouis-sait le monastère, privilèges ratifiés par les rois, les em-pereurs et le pape même, qui l'exemptaient de toute dé-pendance hors celle de son abbé.

Héberne fut touché de leurs remontrances et se désista

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-3a —de ses prétentions. Il fut de nouveau stipulé, à cette occa-sion, que l'abbaye serait placée sous la protection spécialedes rois de France, pour le temporel, et sous la juridictionimmédiate du Saint Siège pour le spirituel (912).

Robert ayant été tué dans une bataille, son fils Huguesdevint possesseur des deux abbayes. Après lui, HuguesCapet, surnommé le défenseur de l'Eglise, fut le dernierabbé séculier de Marmoutier.

Pour se faire une idée exacte de la situation de la Franceà la fin du IX' siècle, il faut se représenter les ravagesétranges que causaient partout les terribles Normands :les monastères étaient pillés et leurs habitants massacrés,les églises incendiées, les vases sacrés arrachés du lieusaint, les religieux ou les évoques échappésau fer des en-vahisseurs, s'enfuyaient & Paris auprès d'Hugues Capet,

pour mettre en sûreté les reliques de leurs églises respec-tives. Cest ainsi que les corps de saint Magloire, de saintSamson, de saint Paterne et de saint Corentin, subirentplusieurs translations, et que Ie3 religieux de Marmoutierconservèrentjusqu'à la Révolution une partie des reliquesde saint Corentin, évêque de Quimper.

Il y avait déjà plus d'un siècle que l'abbaye était veuvede ses religieux, et les chanoines qu'on avait mis à leurplace, se ressentant de lacorruptiondes moeursde l'époque,étaient bien loin de donner au monde l'édification etl'exemple de leurs devanciers. Sur ces entrefaites, lecomte Eudes de Blois, possesseur de cette province, vint âTours avec la comtesse Berthe, sa femme. Celle-ci pro-fessait une dévotion singulière pour saint Martin, et peuédifiée du spectacle que lui offrait le monastère actuel,elle pria le comte de faire cesser ces désordres en y réta-blissant la vie monastique.

Cette requête fut agréée du prince; maiscomme l'abbayeétait sous la protection spéciale des rois de France, et que

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-33-c'était à eux qu'appartenait la nomination des abbés, ils'adressa à Hugues Capet. Ayant obtenu les autorisationsnécessaires, il fit travailler avec activité au rétablissementdes lieux réguliers du monastère, jadis renversés par lesNormands, et lorsque tout fut en état, il demanda à saintMayeul, abbé de Cluny, treize religieux qui vinrent enprendre possession vers l'an 983.

Eudes, et Berthe son épouse, s'acquirent, par leur gé-nérosité et leurs vertus, la reconnaissance de l'abbaye. Aleur exemple, leurs descendants continuèrent à l'affec-tionner d'une manière toute particulière, et lui demeurèrentsi attachés, que Thibault, l'un de leurs fils, comte deChampagne et de Blois, ayant été fait 'prisonnier parle comte d'Anjou et obligé de donner la ville de Tours

pour sa rançon, ne voulut jamais y consentir qu'en seréservant expressément l'abbaye de Marmoutier.

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DEUXIÈME PÉRIODE

DEPUIS L'INSTALLATION DES BÉNÉDICTINS

A MARMOUTIERJUSQU'A L'ÉTABLISSEMENT DES ABBÉS COMMENDATAIRES

(982-1539)

CHAPITRE PREMIER

Saint Maycul, auquel le comte et sa femme s'adressèrentpour réaliser leur pieux dessein, était un homme d'une émLnente sainteté devenu, malgré lui, abbé de Cluny, re-nommé par se3 miracles, et que l'empereur Othon auraitfait élever à la dignité suprême si l'humilité du saint n'yeût opposé une résistance formelle. Il fut le réformateurd'un grand nombre de monastères d'Allemagne, de Franceet d Italie, et l'on ne pouvait faire un meilleur choix quecelui de sa personne pour rétablir l'observance régulière àMarmoutier.

11 y vint lui-même avec quelques-uns de ses religieux ety demeura à leur tête pendant un certain temps. Son re-tour à Cluny ne fut pas de longue durée : bien que parvenuà un grand âge, il quitta la cellule où il trouvait une sidouce paix, pour aller, à la demande du roi, réformer l'ab«baye de Saint-Denys-en-France,mais arrivé à Souvigné,

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-36-dans le Bourbonnais, il tomba gravementmalade et sachantque sa dernière heure était venue, il mit ses frères désolés

sous la protection de Jésus-Christ, souverain pasteur ; puisaprès avoir prononcé sur eux les paroles de la bénédiction,il rendit sa belle âme à Dieu, le 11 mai 994.

En quittant Marmoutier pour rentrer à Cluny, saintMayeul avait placé à la tête des religieux qu'il y avait ame-nés, un homme sage, érudit, animé d'un zèle ardent pourla disciplineet la piété, capable d'insuffler dans le monas-tère le premier esprit de saint Martin et celui de saintBenoit. Il se nommait Gillebert. L'avenir justifia ce choix.Ami intime et frère en religion du savant Gerbert, plustard Sylvestre II, Gillebert eut de fréquents rapports avecles plus grands personnages de l'époque qui recouraient àlui dans les circonstances difficiles. Sous sa conduite, les

nouveaux moines de Marmoutier acquirent une réputationde vertu et de sainteté qui leur attira des donations assezconsidérables. C'est ainsi que Thibault, seigneur de l'Ile-Bouchard, leur donna l'église de Tavant pour y établir unprieuré, et Adalçéron,archevêque de Reims, fonda en leurfaveur celui de saint Maurice, dans sa ville archiépis-copale.

Cependant, le gouvernement du pieux abbé Gillebert nefut pas de longue durée. L'an 991, il avait déjà un succes-seur du nom de Bernier ; probablement encore un des reli-gieux de Cluny. Ses débuts furent assez heureux; la piétécontinuait à croître, et le nombre des moines à grandir.Aussi la Providence se plaisait-elle à augmenter les revenusdu monastère grâce aux libéraliés des princes, des évêques,et même des particuliers.

Archambault, moine de Saint-Benoit-sur-Loire, ayantété élevé sur le siège archiépiscopal de Tours, fit don àl'abbé Bernieret à ses religieux, des trois églises de Saint-Symphorien, de Saint-Pierre, de Parçay-sur-Vienne, et de

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— 37 ~Saint-Sulpice du Louroux. Quelque temps après, Burchard,comte de Paris, donnait à Marmoutier l'abbaye de Saint-Ouen, dans l'Ile de France, et l'église Sainte-Radegonde,près Tours, qui en dépendait. De cette époque, aussi, datele prieuré de Saint-Côme,quel'on bâtit dans une des îles dela Loire et qui appartint à Marmoutier jusqu'au XII' siècle.D'autres fondations suivirent encore celles-ci.

Cependant, l'abbé Bernier qui, par ses belles qualités,s'était d'abord attiré l'estime des gens de bien, ne tardapas à en devenir le scandale. Ses religieux ayant eu con-naissance de ses fautes, refusèrent de demeurer plus long-temps sous son autorité et le renvoyèrent à Cluny. Abbon,abbé do Fleury-sur-Loire, informé de la vérité, adressa àBernier une lettre sévère, lui conseillant de se démettrelui-même de sa charge, ce que fit le coupable (icoo).

Gausbert, son successeur, joignait à une éminente piétéune illustre naissance. 11 était en effet parentd'Eudes, comtede Champagne et de Blois, et d'Emma, comtesse d'Aqui-taine et de Poitou. Abbé de Saint-Julien de Tours,vers 987, Gausbert gouverna si bien son monastère, que lapieuse comtesse Emma lui confia la direction de deux ab-bayes qu'elle avait récemment fondées, l'une dans Pile deMailleray(i),l'autre à Bourgueil.Le zèle etla vigilauccqu'ildéploya dans cette double administration, engagèrent lesmoines de Marmoutier à le placer à leur tcle; mais retenusouvent par le soin de ses premiers monastères

,il ne

parut à Marmoutier qu'à de rares intervalles, et mourut àBourgucil le 15 octobre 1007, laissant la réputation d'unhomme aux moeurs antiques, digne de l'éternelle récom-

pense, et dont la mémoire devait rester en bénédictionparmi les hommes.

Durant les longues absences de Gausbert, Sicâard, doyen

1' Probablement Maillezai», plus tard cvêché du Poitou.

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-38-de Marmoutier, exerçait les fonctions abbatiales ; il s'enacquitta avec tant de prudence, qu'il fut choisi pour gou-verner ses frères, après la mort de l'abbé Gausbert.

Le nouvel élu sut accroître encore le temporel du monas-tère, tout en y entretenant la discipline et l'austéritéde la vraie vie religieuse. La ferveur des moines étaitsi grande, que le nombre des frères augmentait chaquejour, et tous se distinguaient par une'piété spéciale enversle divin Sacrifice de nos autels : Dès la pointe du jour jus-qu'à midi et même plus tard, les moines célébraient lasainte messe dans de telles dispositions que les âmes duPurgatoire en étaient grandement soulagées, comme il futrévélé à un solitaire de l'Afrique. < De toute l'Église, dit-il à un voyageur qui était allé le visiter» la maison de Mar-moutier a le pouvoir le plus admirable pour délivrer lesâmes de la puissance des démons, et il ne se passe pas unseul jour que les messes célébrées continuellement par lesreligieux de cette abbaye, n'en enlèvent quelques-unes desmains de ces malins esprits (i). »

Touché de ce récit, saint Odilon, abbé de. Cluny, érigeaune fête solennelle dans le but de soulager les âmes souf-frantes, et ordonna qu'elle serait célébrée dans ses monas-tères le lendemain des fêtes de la Toussaint. Cette pieuseinstitution, confirmée officiellement par Jean XIX, etadoptée bientôt par l'Église Universelle, est donc, commeon le voit, duc à la piété des religieux de Marmou-tier.

L'ôrard, que nous trouvons en 1005, abbé de Marmoutier,est un des hommes les plus illustres qui aient gouverné legrand monastère. « Il était, dit Dom Martène, bien fait de

sa personne, éloquent, grave et religieux ; il semblait quela nature et la grâce eussent conspiréà le doter des qualités

t) Mémoires de Glaber Rodufe, cités par Dom Martène,

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qui lui gagnèrent le coeur de ses frères et lui acquirent l'es-time et la vénération des grands du siècle. »

Cet éloge n'est pas exagéré, comme le prouve le fait sui-vant : le Seigneur de Châteaurenault, sans tenir comptedes remontrances qui lui étaient adressées, exerçait milleviolences et déprédations sur les domaines de l'abbaye,lorsque Dieu, pour le punir, lui envoya une cruelle maladie;alors rentrant en lui-même, le comte fit prier le très reli-gieux Ebrard de venir le voir. Le saint abbé lui fit si biencomprendre ses torts, que, de loup furieux devenu agneaudocile, le coupable se résolut à réparer promptement toutesses injustices. Il reçut alors l'absolution et mourut dans degrands sentiments de repentir. On l'enterra honorablementdans l'enceinte du monastère.

Ce fut aussi vers cette époque que FoulquesNerra, comted'Anjou, fonda l'abbaye de Saint-Nicolas d'Angers, et yappela une colonie de Marmoutier, tandis que l'abbé Ebrard,par sa sagesse, rétablissait te bon ordre dans celles deSaint-Florent de Saumur et de Saint-Julien de Tours.Comme son zèle s'étendait à tout, c'est à lui que Ton doitune ordonnance d'Arnoul, archevêque de Tours, réglantles processions des fêtes de Pâques à Marmoutier, en l'hon-neur de saint Martin.

Ces processions établies presque aussitôt après la mortdu grand Thaumaturge, avaient souffert parfois certainsdésordres : on avait vu, par exemple, quelques gens de lasuite de l'Archevêque, pénétrer par violence dans les lieuxréguliers, troubler la paix des religieux et exiger insolem-ment qu'on leur servît à manger. Le prélat défendit à sesgens d'entrer dans l'abbaye, disant avec raison que danssemblable circonstance, on doit plutôt penser à nourrir sonâme d'aliments spirituels que pourvoir son corps d'alimentsgrossiers, et n'avoir point d'autre vue que d'honorer Dieuen vaquantà des oeuvres de piété.

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— 40 —11 n'y eut pas que le saint Abbé de Marmoutier à se

distinguer alors par son éminente piété ; il faut citer aveclui, deux religieux, surtout, qui vécurent sous sa houlette,et dont l'un, Frédéric, devint abbé de Saint-Florent deSaumur, et l'autre, Richer, abbé de Saint-Laumerde Blois;

tous deux gouvernèrent ensuite successivement l'abbayedu Saint-Julien de Tours.

L'abbé Ebrard mourut'en 1032 et eut pour successeurAlbert.

Depuis le rétablissement de l'observance, le nouvel éluétait le huitième abbé ; il ne le céda en rien à son prédé-cesseur. Sorti d'une noble maison de Touràine, il se fit sur-tout remarquer par ses grandes vertus qui lui valurentd'être considéré avant et après sa mort, comme un hommed'une éminente sainteté. L'ordre et la piété qu'il fit régner àMarmoutier y attirèrent un si grand nombre de sujets, quejamais l'abbaye ne mérita mieux son titre de Grand-Monas-tère.On n'y comptait plus les religieux; ils étaient devenusmultitude. Aussi Marmoutier se trouva-t-il en état defournir des recrues aux abbayes nouvellement fondées, etdes modèles là où la discipline avait besoin d'être rétablie.11 donna des évêques à nombre d'églises, des abbés à beau-

coup d'abbayes, à l'ordre monastique des religieux illustrespar leurs qualités, et même par le don des miracles.

Parmi les hommesqui affluaient ainsi au Repos de Saint-Martin, se trouvaient des personnages de haut rang; mé-prisant les faux biens du siècle, ils embrassaient joyeuse-sèment la folie de la croix sous la conduite de l'abbéAlbert. C'est ainsi que nous y voyons Jean, comte deLaval, Gassillon, comte de Montigny, Aimery de TalmontEudes de Dangeau, Gausbert de Lavardin, Gautier du Pinet une foule d'autres encore.

La charité du saint abbé était si grande, qu'elle attiraità lui tous les coeurs, et comme on connaissait son amour

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pour les pauvres, les donations en faveur du monastère semultiplièrent à cette époque d'une manière considérable.

C'est vers ce temps qu'il faut placer la fondation desprieurés de Saint-Pierre de Chemillé au diocèse d'Angers,et de Saint-Martin de Belême, au diocèse de Séez. Mais lafondation la plus célèbre est celle de l'abbaye de la Trinitéde Vendôme, due à Geoffroi-Martel.

<c Ce prince se trouvant, dit Dom Martène, dans sonchâteau de Vendôme, bâti sur la montagne voisine, un di-manche matin qu'il s'entretenaitavec Agnès son épouse, àla fenêtre de sa chambre avant le jour, il aperçut uneétoile d'une grandeur prodigieuse qui tombait dans unefontaine au milieu des prés. Cet événement les surprit, etcomme l'un et l'autre demeuraient stupéfaits, ils virenttomber une seconde étoile, puis une troisième. Le princeet la princesse, descendant à l'instant du château dans l'é-glise Saint-Martin, firent célébrer une messe en l'honneurde la sainte Trinité. Ayant ensuite consulté sur cette visionplusieurs évéqucs et abbés, tous furent d'avis qu'ils devaientfaire bâtir une église en l'honneur de la sainte Trinité, et ymettre une communauté de religieux.

«.<Geoffroy, suivant leur conseil, fit aussitôt travailler à

l'édifice ; à la place même de la fontaine, devait s'éleverl'autel, et autour de l'église, des lieux réguliers, propres àrecevoir des religieux. On en fit venir d'abord de diversesabbayes, mais parce qu'on ne les trouvait pas assez fidèles

à l'obéissance, on en appela d'autres choisis dans le mo-nastère le plus régulier qu'il y eût en France, c'est-à-dire àMarmoutier. » Ils furent au nombre de vingt-cinq. La dé-dicace de l'église se fit l'année suivante (1040).

Cette époque était vraiment comme l'épanouissement dela vie religieuse. Tandis que l'abbaye de la Trinité s'éle-vait ainsi à Vendôme, Hubert, évêque d'Angers, un desplus illustres prélats qui aient occupé ce siège, résolut de

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rétablir celle de Saint-Serge, fondée sous Clovis II,dans un des faubourgs de la ville. Jadis abbé de Saint-Aubin, Hubert avait conservé dans l'épiscopat l'amour del'état monastique. 11 s'adressa, pour avoir des religieux, àAlbert, de Marmoutier; celui-ci acquiesça à son désir etlui envoya VVulgrin, prieur de son monastère qui réussit sibien à relever Saint-Serge, qu'ayant été fait évêque duMans quelques années après, il laissa dans l'abbayesoixante-dix religieux, parfaits observateurs de leursrègles, qui devinrent, par leur piété, l'exemple de la villed'Angers.Un autre religieux de Marmoutier,Sigo,devenaitabbé de Saint-Florent de Saumur, et laissait la réputationd'un des plus grands hommes de son siècle.

Sur ces entrefaites, arriva un événement qui jeta le deuilparmi les moines de Marmoutier. Ce fut la mort d'Eudes,comte de Champagne, qui s'était toujours montré leur in-signe bienfaiteur. Ce prince fut tué dans une guerre qu'ilsoutenait contre le roi de Bourgogne ; son corps ayant étéreconnu sur le champ de bataille, la princesse Ermcngarde,sa veuve, le fit transporter à Tours, où on l'enterra à Mar-moutier près du comte son père.

Cette fin tragique frappa si vivement Hervé, vicomte deBlois, qu'ouvrant les yeux sur l'inconstance de la fortuneet l'inanité de l'ambition mondaine, il alla demander l'habitreligieux dans le même monastère et devint un desmembres les plus remarquables de cette illustre commu-nauté.

Un jeune seigneur, du diocèse de Chartres, du nom deRathicr, suivit son exemple, et fit au monastère en y en-trant, des donations importantes. Il mourut jeune encore.et d'une manières'! sainte, qu'il y a Heu de croire que Dieului donna de suite la récompense promise à ceux qui quit-tent tout pour le suivre.

Il n'était pas non plus extraordinaire, en ce temps-là de

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voir des pères et des mères amener eux-mêmes leurs jeunesenfants dans les monastères, où le plus souvent, ceux-ci sedonnaient au Seigneur. Nous en avons un exemple en Ger-main de Morenne, noble seigneur qui, après la mort de

sa femme, vint présenter à Dieu et à saint Martin, ses deuxenfants, accompagnant cette offrande d'une donation assezconsidérable en biens fonds.

L'an 1044 fut fatal au comte Thibaud de Champagnequi avait succédé à Eudes son père, et s'était montrécomme lui, l'ami et le bienfaiteur de Marmoutier. A lasuite d'une brouille avec Geoffroy Martel comte d'Anjou,

ce dernier vint assiéger Tours. La ville se défendit pendantun an, mais dans un combat qui se livra non loin de sesmurs, Thibaud fut fait prisonnier.

La chronique de Tours attribue la victoire du comted'Anjou à la protection de saint Martin, dont Geoffroyportait l'étendard. A la vue de ce signe sacré, ses adver-saires s'enfuirent épouvantés, s'imaginant voir des hommesvêtus de blanc parmi les troupes du comte d'Anjou.

Qoiqu'il en soit, Thibaud vaincu et prisonnier, fut obligéde céder la ville de Tours pour sa rançon ; mais il stipulala condition que Marmoutier lui resterait, tant il affec-tionnait ce monastère.

Si grand, du reste était l'éclat dont resplendissait alorsl'abbaye, que dans une réunion qui eut lieu à Saint-Denys,en présence du Roi, à l'occasion de l'ouverture de tachassede cet illustre martyr, Albert tint le premier rang parmiles abbés, immédiatement après celui de Saint-Dcnys,lui-même, qui, dans son propre monastère ne devait céderle pas à personne. Du reste, l'opinion générale des peuplescomptait Marmoutier au nombre des lieux les plus saints,Nous en avons une preuve dans la légende suivante :

Un homme de la ville de Narni, en Italie, rapporta qu'ilavait vu une multitude immense de personnages vêtus de

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— 44 —blanc, passer près des murs de la ville et se diriger versl'Orient, cela dura tout le jour, et les habitants effrayésn'osaient sortir des murs. Vers le soir, le nombre des étran-gers diminua et le narrateur de cette histoire se hasarda àreconnaître quelqu'un d'entre eux. Il reconnut, en effet, unde ses amis mort depuis peu, et le questionna; voici la ré-ponse qu'il reçut : « Quoique tu sois indigne de pénétrerles secrets divins, sache cependant que nous sommes desâmes pécheresses, encore indignes de jouir de la félicité du

royaume céleste ; notre pénitence consiste à parcourir con-tinuellement les lieux saints, et maintenant nous venons duGrand-Monastére de saint-Martin, et nous nous rendons aucouvent de la Bienheureuse Marie, mère de Dieu àTarfa (i). »

Vers ce temps là le pape Léon IX qui occupait la chairede Saint-Pierre, ayant lancé l'excommunicationcontre leslaïques, possesseurs de biens appartenant à l'Église, beau-

coup se désistèrent de leurs prétentions et celte soumissiondonna lieu à la fondation d'un grand nombre de prieurés,particulièrement en Bretagne. De là vint, pour ne citer queles plus connus, l'érection des prieurés de Chantoceaux, duPèllerin, au diocèse de Nantes; de Saint-Sauveur desLandes, au diocèse de Rennes; de Soyal et du Sentier, enTouràine; des îles de Guenère (Guernesey) au diocèse deCoutances; de la Roche-sur-Yon, de l'ilc d'Oye (Yeu), audiocèse de Maillezais; de Saint-Gilles de Mantes; deMontjean au diocèse d'Angers, de Saint-Martin de Laval,de Mayenne, de Dangeau, tous placés sous la dépendancede l'abbaye de Marmoutier. D'autres furent le fruit de libé-ralités volontaires, comme celle du duc Guillaume deNormandie et de la duchesse Mathitde, qui bâtirent à leursfrais, un dortoir et un immense réfectoire à Marmoutier,

(l Légende rapportée par M. Ch. des Moulins.

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en même temps qu'ils dotèrent son église de riches pré-sents. Ainsi, les descendants de ces fameux Normands qui,deux siècles auparavant, avaient réduit en cendres l'abbayede Marmoutier et massacré ses religieux, furent alors sus-cités par la Providence pour réparerce crime en travaillanteux-mêmes à sa prospérité et à sa grandeur I

Nous avons dit que l'abbé Albert, par l'irrésistibleattraitque produisait sa haute sagesse et sa bonté, s'était conciliél'estime et l'affection même d'un grand nombre de hautspersonnages. 11 était particulièrement lié d'une étroiteamitié avec Agebert, évêque de Chartres, qui l'autorisa àbâtir une église à Orchaise, en faveur de ses religieux. Il

leur octroya une prébende dans son église cathédrale. Lesmoines de Marmoutier, de leur côté, lui accordèrent à lui

et à tout son Chapitre, la participation à leurs prières et àleurs bonnes oeuvres,et voulurent inscrire son nom ainsi quecelui de ses successeurs dans leur nécrologie, afin qu'onpriât encore pour eux après leur mort.

L'illustre abbé Albert parvint à une extrême vieillesse.Doux et aimable envers tout le monde, très charitable pourles pauvres, modèle accompli de sainteté, sa réputations'était répandue jusque dans les lieux les plus éloignés. H

mourut le 20 mai 1064, e* reçut la sépulture dans sonéglise abbatiale.

11 laissait à Marmoutier de saintes coutumes, qui conti-nuèrent à être observées après lui et furent ensuite em-pruntées par d'autres monastères, comme la convocationdes chapitres généraux, la visite des prieurés, toutestendant à empêcher les abus et à assurer l'observance dela règle.

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CHAPITRE II

Dans la crainte qu'après sa mort, des laïques influents

ne se mêlassent de l'élection de son successeur, Albert,

par un dernier trait de haute prudence, avait fait élire de

son vivant, celui qui devait le remplacer sur le siège abba-tial. Il se nommait Barthélémy et n'étaitencore que diacre,circonstance qui marque le mérite de l'élu, puisque, malgré

sa jeunesse, il fut jugé digne d'être élevé à une si haute di-gnité.

Pourtant, cette sage mesure ne réussit pas aussi bien

que l'avait espéré le vénéré défunt. Geoffroy le Barbu suc-cesseur de Geoffroy Martel, son oncle, dans les comtésd'Anjou et de Touràine, voulut s'assujettir l'abbaye deMarmoutier et obliger le nouveau titulaire, qu'il savaitfaire profession d'humilité, à recevoir de sa main l'inves-titure et le bâton pastoral. Mais il ignorait que l'humilitén'est pas la bassesse et qu'elle inspire au contraire unenoble grandeur d'âme à ceux qui la possèdent. Barthélémyvint trouver le priuce, et lui remontra en termes forts etrespectueux, que Dieu l'ayant élevé à la dignité d'Abbé deMarmoutier, il se croyait absolument obligé d'en soutenirles droits et privilèges, qu'il n'accepterait jamais le jougqu'on prétendait lui imposer, attendu que pour le temporel,l'abbaye ne relevait que du roi de France, et pour le spiri-tuel, du pape lui-même.

Ce discours aurait dû convaincre le comte, mais tropbrutal et trop violent pour se rendre à ces justes remon-trances, il se saisit de tous les revenus du monastère,maltraita les religieux, et ruina l'abbaye.

Barthélémy n'opposa à tous ces outrages que ses prières

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— 47 -et celles de ses frères, et afin de fléchir plus efficacementla colère du ciel qui devait bientôt éclater sur ce malheu-

reux prince, il ordonna une procession au tombeau de saintMartin, où les moines se rendirent pieds nus. Mais Dieu,voulant épurer la vertu de son serviteur, la persécutioncontinua. Saint Hugues, abbé de Cluny, était en grand hon-

neur et vénération auprès des papeset des rois eux-mêmes;Barthélémy, après lui avoir demandé le secours de sesprières, le supplia de venir à Tours pour le consoler. SaintHugues accéda volontiers à cette requête, et tous deuxallèrent trouver le comte Geoffroy pour le prier de fairecesser enfin cette guerre si cruelle. Ils épuisèrent leur élo-

quence enpure perte;saintllugues,quipour tenter un derniereffort, était allé jusqu'à se prosterner à deux genoux devantle farouche seigneur, ne parvint pas à dompter son orgueil.Se relevant alors et changeant de ton, il saisit le manteaudu comte et le déchira en répétant ces paroles menaçantesdu prophète : Division est regnum tuttm. « Votre puis-sance va être détruite, » et il se retira.

Barthélémy accompagna son saint ami à Cluny et porta.^cs plaintes au cardinal Etienne, légat du Saint-Siège enFrance. Celui-ci excommunia le comte d'Anjou à cause desexcès qu'il avait commis contre les religieux de Mar-moutier. Les voies de la douceuravaient été inutiles, celles-ci réussirent mieux. L'excommunication fut pour Geoffroy

un coup de foudre ; il rentra en lui-même, cessa de persé-cuter le monastère et lui fit même quelque bien, ce quin'empêcha pas les terribles effets de la prédiction desaint Hugues de se réaliser. Un peu plus tard, en effet,Foulques Rcchin, frère de Geoffroy, lui ayant déclaréla guerre, s'empara de ses Etats et de sa personne,le garda pendant trente ans dans une étroite prison où sonesprit s'affaiblit, et où la tradition rapporte qu'il finit misé-rablement.

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-48-Cependant, l'abbé Barthélémy, revint vers les siens, et

fut reçu avec une grande joie. Il se mit aussitôt à l'oeuvre

pour réparer les ruines que le comte Geoflroy avait cau-sées, et jeta les fondements de la superbe basilique que lepape Urbain 11 devait consacrer plus tard. Mais son prin-cipal soin fut de travailler à l'édifice spirituel, et il eut laconsolation de pouvoir l'enrichir d'un grand nombred'âmessaintes, véritables pierres vivantes taillées sur le modèlede Jésus-Christ.

On vit alors, en effet, comme sous son prédécesseur, unemultitude d'hommes de tout âge et de toute condition, ac-courir à Marmoutier, pour s'y sanctifier par les exercicesde la vie religieuse. Le monastère recommença à fournirdes pasteurs aux plus importanteséglises du royaume.

« La noblesse d'alors, dit M. de Montalembert, peuplaitles monastères de ses enfants les plus illustres et les plusvaillants. 11 ne suffisait pas àces généreux chevaliers, de sedépouiller de leurs biens pour l'amour du Christ, c'étaitsurtout de leurs personnes, de leur liberté, de leur orgueil,de leur vie tout entière qu'ils aspiraient à faire une offrandeau Dieu des armées... Et après avoir occupé les premièresplaces dans les parlements, à la cour des rois, sur leschamps de bataille, ils ne voulaient pas être les derniersdans les combats de la pénitence et de la piété... Ils sedévouaient aux plus durs métiers, non par mélancolie oupar dégoût de la vie, mais comme ils le proclamaient hau-tement, pour gagner le ciel sur la terre (i). »

On comptait, parmi ces hommes appartenant aux plushautes familles du royaume, un Adhelme de Ponthieu, unBaudoin de Flandre, un Ebrard de Breteil, un Salomon deSablé, un Fulcrad de Langeais, un Hervé de Vitré, un Ful-bert de Lavardin, qui prirent à Marmoutier l'habit de saint

I) Montalembert. Us Meines d'Occident.

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— 49 —Itenoit et formèrent une véritable chevalerie du Très-Haut.

Ces divers personnages, en s'incorporant à une grandefamille religieuse, lui apportèrentde magnifiquesdotations,de telle sorte que Dieu qui avait voulu, tout d'abord, éprou-ver la vertu du saint abbé Barthélémy par les persécutionsde Geoffroy le Barbu, le consola et le dédommageaensuite en lui envoyant de quoi réparer les pertes queson monastère avait subies par suite des vexations ducomte.

De là naquirent un grand nombre de nouvelles fonda-tions qui, loin d'être sollicitées par les religieux, ne furentacceptées par eux que par une sorte de contrainte, pour nepoint désobliger ceux qui regardaient comme une grâce dej>osséder au milieu d'eux quelques moines de Marmoutierafin de s'édifier par leurs exemples et de participer à leursprières. C'est alors que vinrent se grouper autour de îagrande abbaye, les prieurés de Sablé, de Rillé, de Gisor»,de Combourg, de Fougères, de Sainte-Croix de Vitré, deRivière, de Semblançay, de Sonzay» de Saint-Palais, de laCelle, de Mortain, de Donges, etc...

Mais le moment était venu où Marmoutier devait exer-cer plus loin encore son influence. Guillaume, duc deNormandie,qui en avait toujours été le bienfaiteur insigne,venait de partir à la conquête de l'Angleterre. Avant delivrer bataille, il fit voeu de bâtir un monastère, si Dieu lerendait victorieux de son ennemi, et il tint à exécuter im-médiatement son voeu. Sur l'emplacement même du champde bataille, il fit construire une abbaye qu'il consacra àsaint Martin,et qui prit dès lors le nom de«Saint-Martindela Bataille». De plus, il voulut qu'elle fût desservie par desreligieux de Marmoutier (1066). La munificence royalepermit à cette nouvelle fondation d'acquérir bientôt ungrand développementet ce fut de là que sortirent les hom-

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mes de piété et de talent qui gouvernèrent les plus illustresmonastères de l'île.

Les donationsarrivèrent à l'abbé Barthélémyjusquedansles dernières années de sa vie. Citons ici, en particulier,celle de l'église Saint-Venant (i), celle de Saint-Solenne etde Fondettes, aux environs de Tours, dues à la munificenced'Hardouin, seigneur de Maillé (2).

La tradition donne au pieux abbé Barthélémy le titre debienheureux, titre qu'il mérita non-seulement par la sain-teté de sa vie, mais encore par les nombreux miracles qu'ilaccomplit, même de son vivant, et dont il nous reste àparler.

C'était près de Combourg, en Bretagne, le charitableabbé faisait la visite de ses prieurés. Un seigneur de l'en'droit, averti de sa présence, vient le trouver et le suppliede se rendre dans sa maison où ses deux fils étaient dan-gereusement malades. Le serviteur de Dieu accède àcette requête et se contente de tracer sur les enfantsendormis le signe de la croix. A leur réveil, ils étaienten parfaite santé. — Ici c'est un lépreux qu'il guérit enl'embrassant; ailleurs, comme jadis aux noces de Cana,c'est l'eau qu'il change en vin. — Nous avons rapportéplushaut qu'une des grandes dévotions des moines de Mar-moutier était la prière pour les âmes du Purgatoire. 11 serencontra pourtant parmi les frères quelques négligents.

Or, l'abbé étant un jour en prière, vit apparaître devantlui deux religieux décédés depuis qu'il était en charge : ilscommencèrent par louer son assiduité à l'oraison, mais l'a-vertirent que quelques membres de sa communauté négli-geaient les suffrages dont ils avaient pris l'engagement de

(l) Aujourd'hui Lujrnes.(2: Ancêtre de la Bienheureuse Jeannede Maillédont le colle a, de no*

jour*, été autorisé par le pape Pie IX.

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s'acquitter en faveur des morts; qu'il eût, par conséquentà les reprendre en particulier de leur infidélité, et à leurfaire savoir, de la part de Dieu, que ceux qui auraientomisde reciter les prières prescrites pour les défunts, lorsqu'ilsviendraient eux-mêmes à mourir, verraient les suffragesqu'on offrirait à leur intention, appliqués à ceux pour les*quels ils auraient dû prier.

C'était la coutume que lorsqu'un religieux approchait desa mort, tous les frères, quittant leurs occupations, vinssentdans la chambre du malade poury faire la recommandationde l'âme, et récitassent le symbole des Apôtres au nom dumoribond, pour suppléer à son impuissance et témoignerainsi de la foi dans laquelle il avait vécu et dans laquelleil entendait mourir. Un jour que l'un d'entre eux se trouvaità toute extrémité, l'infirmier aperçut près de lui un ange quiattendait que 1 aine du malade se séparât de son corps, pourla conduire au ciel, et du côté opposé, le démon qui s'ef-forçait de nuire encore à celui qui allait mourir. Le bonfrère expira, et son âme apparut ensuite sous la forme d'unpetit enfant qui semblait saisi de crainte à la vue du malinesprit, mais au même instant, la communauté entra, réci-tant le Credo ; aussitôt, le démon s'enfuit, et l'ange emmenaau ciel l'âme du défunt, faisant connaître ainsi la puissancedu symbole chrétien.

— En relatant les faits les plus importants qui s'accom-plirent tandis que Barthélémy gouvernait Marmoutier, nousdevons mentionner la pénitence de l'hérésiarque Bérenger,revenu de ses erreurs. Selon la version la plusconnue, il serenferma volontairement dans le prieuré de Saint-Cosme,près Tours, dépendance de Marmoutier, où il prit, dit-onl'habit de saint Benoît, et y mourut réconcilié avecl'Eglise.

Il y avait vingt ans que l'abbé Barthélémy était à la têtede son monastère, lorsque Dieu l'appela à un monde meil-

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leur. Il ne fut pas seulement un des plus saints abbés deson temps, mais il passe à bon droit pour l'un des plus il-lustres de l'époque. Sa grandeur d aine le mit sans cesseau-dessus des événements les plus fâcheux. II triompha detout par sa patience, sa fermeté et ses prières. S'il soutinténergiquement les intérêts de son monastère, ce ne fut point

par un amour déréglé des biens de ce monde, mais par unesprit de justice, car jamais personne ne fut plus détachéque lui. Il n'aspirait qu'au ciel et employait la plus grandepartie de ses journées et de ses nuits aux exercices de lacontemplation. Il mourut le 24 février 1084, et fut inhumédans l'église abbatiale ; plus tard, ses ossements furentrecueillis et placés dans une châsse pour être exposés dansla nouvelle église.

CHAPITRE III

A partir de cette époque si florissante pour l'abbaye, onpeut dire que l'histoire de Marmoutier s'identifie complè-tement avec la vie de ses abbés eux-mêmes. Aussi notretâche se résume-t-elle pour ainsi dire à relater les grandesactions de chacun d'eux, avec les faits les plus importantsdont ils furent les instigateurs ou les témoins.

Le bienheureux Barthélémy eut un digne successeurdans Bernard de Saint-Venant, qui monta en 1084 sur lesiège abbatial. Comme lui, il s'attira l'estime et la vénéra-tion des princes et des rois, et en reçut de nombreusesmarques de bienveillance; les peuples purent contempleren sa personne les qualités d'un homme éminenten sain-teté, et ses frères, qui le connaissaient déjà, ne jugèrentaucun autre plus digne d'occuper la place de celui que lamort venait de leur ravir.

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Il reçut la bénédiction des mains de Raoul de Langeais,archevêque de Tours, et sans faire réflexion sur les pri-vilèges formels de son monastère, il lui promit obéissance,coutume que les évéques de l'époque cherchaient à intro-duire, et qui devint pour les abbayes une cause de grandstroubles. Mais sa manière d'agir avait singulièrement plu àl'Archevêque qui, cette année même vint à Marmoutier etlui donna l'église de Saint-Quentin, dans son diocèse, avecconfirmationde toutcequ'avaientaccordéses prédécesseurs.

En se voyant à la tête d'un monastèreaussi considérable,Bernard s'occupa aussitôt d'en tirer tout le bien possible.Il entreprit d'abord la visite de ses prieurés de Bretagne,et fonda, au passage, celui de Saint-Martin de Lamballc,dû à la piété du comte Geoffroy de Bretagne. Beaucoupd'autres seigneurs et plusieurs évéques même, se distin-guèrent à celte époque par leur munificence envers le mo-nastère. On vit paraître alors les prieurés de Notre-Damedes Champs, à Paris, où l'on prit la coutume de porter le

corps des rois de France, avant de les ensevelir dans labasilique de Saint-Denys ; celui de Pierrefonds, au dio-cèse de Soissons; de Saint-Martin des Champs, près deBourges; ceux de Pouasséc, de Beauvoir, de Morée, deFréteval, pour ne parler que des principaux. Un certainnombre aussi furent fondés dans le Nord de la France, etc'est ce qui explique que tant d'églises se trouvent,actuellement encore, dans celte région, placées sous levocable de saint Martin. Ce fut aussi par dévotion pour cegrand saint, et en souvenir de ses rapports avec saint Hi-laire, qui avait été son maitre, que les chanoines de Saint-Hilaire de Poitiers, concédèrent aux moines de Marmoutierun canonicat dans leur église.

Nous ne pouvons ici passer sous silence le long et regret-table conflit qui s'éleva entre Marmoutier et les Arche-vêques de Tours, au sujet des stations de Pâques.

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En dépit d'ordonnances épiscopales plusieurs fois renou-velées, les abus mentionnés déjà en de tels pèlerinages, necessaient de grandir : dans cette extrémité, Bernard, deconcert avec ses frères, et après avoir porté plainte àl'Archevêque, se décida à supprimer la station. Mais Raoulde Langeais, bien loin d'entrer dans ce sentiment, pré-tendit s'assujettir les religieux de Marmoutier et sur leurrésistance, il lança contre eux une sentence d'excommuni-cation.

Ce fut le signal de vexations sans nombre. L'abbé Ber-nard s'adressa alors au légat du Saint-Siège, Amat, arche-vêque de Bordeaux qui déclara nulle la sentence et seconstitua le protecteur de l'abbaye. Sur ces entrefaites,l'Archevêque mourut. Il eut pour successeur Raoul d'Or-léans;,mais loin de mettre un terme à cette situationpénible, cette nomination ne fit que l'aggraver encore.

Si le nouvel Archevêque feignit un instant de se récon-cilier avec les moines en renonçant aux prétentions de sonprédécesseur, ce ne fut que pour les reprendre bientôt avecplus de violence. Le pape Urbain II informé de cette con-duite, lui fit alors savoir qu'il ne devait pas attendre de luile pallium s'il ne faisait la paix avec les religieux de Mar-moutier. Le Souverain Pontife déclarait en même temps,dans une bulle datée du mois d'avril 1090, prendre lui-même le monastère sous sa protection, défendait toute sta-tion dans l'église, ordonnait à l'Archevêque de Tours dedonner la bénédiction aux abbés sans exiger aucune pro-messe d'obéissance, et déclarait à nouveau l'abbayeexempte de toute juridiction et soumise seulement au Siègeapostolique.

A peine le prélat eut-il reçu le pallium que les vexations,un instant interrompues, recommencèrent. Condamné auconcile de Brioude, puis à celui d'Autun, présidé par l'Ar-chevêque de Lyon, légat du pape, Raoul fit des promesses

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qu'il ne tint pas. Las de tant de contestations, les religieuxse décidèrent à avoir recours au pape lui-même, qui setrouvait alors à Clermont pour la publication de la pre-mière croisade.L'abbé Bernardet l'Archevêquese rendirentavec ceux de leur parti. Le pape les écouta l'un etl'autre; puis irrité de la conduite de Raoul et se faisantprésenter la bulle donnée cinq ans auparavanten faveur del'abbaye, Urbain II la fit lire en plein concile, et confirmasolennellement tout ce qu'elle portait. Ainsi se termina cetriste différend qui avait duré plus de dix années.

Pour ajouter à ses faveurs, le pape, après la clôture duconcile, voulut honorer l'abbaye de sa présence. Pendanthuit jours, il y logea avec toute sa cour. Très édifié de larégularité des religieux, il prenait plaisir à converser aveceux et assistait à leur chapitre.

Justement, à cette époque, la nouvelle église,commencéeselon toute apparence par l'abbé Barthélémy, venait d'êtreachevée. Les moines n'osaient prier le pape de vouloir bienen faire la dédicace, à cause des fatigues de la cérémonie,mais Amat.archevêquede Bordeaux, présenta leur requête,et le pape consentit à leur donner ce nouveau témoignagede sa bonté.

« Le jour qui devait précéder la dédicace, dit Dom Mar-tène, Urbain, après avoir célébré les divins mystères, enprésence d'un grand nombre d'archevêques, d'évêques, decardinaux et d'une foule de peuple qui était accourue detoutes parts pour le voir, s'avança jusque sur le bord de laLoire. Là il monta en chaire, et dans son discours il com-mença par faire l'éloge des religieux de Marmoutier, con-damna à nouveau les vexations qu'on leur avait fait subir,les prit sous sa1 protection, les recommanda à tout son au-ditoire, et fulmina l'anathème contre tous ceux qui, àl'avenir, les troubleraient ou leur feraient quelque mal.Après le sermon, le pape se rendit au réfectoire et voulut y

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-56-manger avec les frères. Ce même jour, un évêque consacrala chapelle des infirmes, et le lendemain seulement eut lieul'imposante cérémonie. Le Souverain Pontife, assisté desArchevêques de Tours, de Lyon et de Reggio, fit la dédi-

cace de l'église avec toute la solennité possible.Il plaça dans le grand autel, trois petites parcelles

d'une hostie consacrée, une portion du bois de la Vraie-Croix, des vêtements de la sainte Vierge, des cheveux desaint Pierre, des habits de saint Jean l'Evangéliste et,enfin des reliques d'un grand nombre de saints martyrs,tels que saint Etienne, saint Maurice, saint Cyprien, saintSaturnin, SS. Nérée et Achillée, saint Pancrace, etc., dessaints confesseurs Maurille, Avit, Sulpice, Didier, (Con-

duite, et des saintes Vierges Anatolie et Praxède. L'autelmajeur, dont le devant était formé par une table d'or, etl'église, furent consacrés en l'honneur de la sainte Croix,de la sainte Vierge, des apôtres saint Pierre et saint Paul,et de saint Martin. La nouvelle église, comme c'était l'u-sage, fut ensuite dotée par Foulques, comte d'Anjou,Hugues, seigneur d'Amboise et Robert des Roches. Plu-sieurs seigneurs profitèrent de cette circonstance mémo-rable pour prendre la croix des mains du saint Pontife.C'était le 10 mars 1095.

De là, le pape se rendit à Tours, où il célébra un conciledans l'église de saint Martin dont il confirma les privilèges,ainsi que les décrets du concile de Clermont.

Honorée de la visite et des bénédictions du chef de l'E-glise en personne, l'abbaye eut encore à cette époque, lajoie de compter parmi les évéques et les grands, des amiset d'illustres protecteurs, entre autres Yves de Chartres,l'un des plus célèbres et des plus saints prélats de ce temps.

Afin de donner aux moines un témoignage de sa hauteestime, il les attira dans son diocèse en leur faisant plusieursdonations. On vit encore, d'une part, des Evéques et des

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abbés, quitter volontairement le rang illustre qu'ils occu-paient dans l'Eglise pour obtenir une petite place dans lemonastère de Saint-Martin ; de l'autre, des serfs et deshommes libres, désireux de jouir de la liberté des enfantsde Dieu, venir spontanément se consacrer au Seigneur parl'entremise du pieux Bernard. En même temps, des reli-gieux de Marmoutier, recommandables par leur savoir etleur piété, étaient appelés au dehors pour être placés à latête d'autres abbayes, telles que Saint-Martin de Tulle,Saint-Remy de Reims, Saint-Pierre de Chartres; l'und'eux, Rangerius, devint même cardinal et archevêque deReggio.

Ce fut au milieu de ces consolations que mourut le saintAbbé. Une exactitude incomparable à faire observer lesrègles, une sollicitude paternelle pour ses frères, une dou-ceur et une modestie charmantes, un amour sincère de laretraite et du silence, une patience à toute épreuve, tellesétaient les qualités réunies en Bernard de Saint-Venant, etqui l'avaient rendu digne de commander aux autres. 11

rendit le dernier soupir le 7 avril 1100.La douleur de ses fils s'accrut encore de l'embarrasoù ils

étaient de lui donner un successeur ; non pas qu'il n'y eûtparmi eux plusieurs excellents sujets capables de les gou-verner, mais parce qu'ils prévoyaient que son électionleur attirerait sans doute de nouvelles difficultés avecl'Archevêque.

Pour sortir d'embarras, ils résolurent d'élire l'abbéHilgodus, ancien évêque de Soissons, qui était venu pren-dre place dans leurs rangs, jugeant que, d'une part, sa nais-sance illustre, sa longue expérience, son esprit vif et péné-trant et son éminente vertu le rendaient très digne d'êtreplacé à leur tête, et que d'autre part, étant déjà évoque, iln'aurait pas besoin d'une nouvelle bénédiction. Il fut doncélu d'un commun consentement.

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-58-Mais l'Archevêqueprétendit que son caractère épiscopal

ne le dispensait pas de recevoir la bénédiction des abbés.Il fallut encore une fois en référer au pape, que les ennemisdu nouveau titulaire prévinrent,en le calomniant. Mais Dieului suscita un défenseur dans la personne du grand Yvesde Chartres, qui fit au Souverain Pontife l'apologie com-plète d'Hilgodus. Pascal 11, informé de la situation, ap-prouva le choix des religieux, et confirma tous lesprivilèges accordés à l'abbaye par Urbain II, son prédé-cesseur.

Malheureusement, le gouvernement du nouvel abbé futtrop court pour réaliser pleinement les espérances qu'ilavait fait concevoir. D'une humilité profonde, Hilgodusavait fait jadis à ceux qui lui conseillaient de demeu-rer sur son siège épiscopal, cette belle réponse : « J'aimebeaucoup mieux me sauver dans un lieu humble que de meperdre pour une éternité dans un lieu élevé. » — Il conservacette humilité toute sa vie, et y joignit une grandeur d'âmequi l'éleva au-dessus des difficultés dont sa route futsemée; mais il sut toujours abaisser les orgueilleux etpardonner aux humbles.

Une des plus belles conquêtes de son éloquence et de savertu, fut celle deGervin évêque d'Amiens;prélat qui aprèsavoir mené d'abord une vie mondaine et légère en qualitéd'abbé de Saint-Riquier puis comme évêque d'Amiens,fut si touché des exemples qu'il rencontra à Marmoutier,et surtout des exhortations du pieux abbé Hilgodus, qu'ilabandonna bientôt après son évêché, et vint faire pénitencede ses fautes sous sa direction. Il y consommason sacrifice

en quelques mois et fit une heureuse fin. Hilgodus l'avaitprécédé depuis un an da îs la tombe (2 août 1104).

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CHAPITRE IV

Guillaume de Combourg, jadis archidiacre de Nantes, etdevenu ensuite simple moine sous la direction de l'abbéHilgodus, profita si bien des leçons de son maitre, qu'aprèsla mort de ce dernier tout le monde le jugea digne de luisuccéder. Jlais il ne fut pas plus tôt élu qu'il $e trouva dansle même embarras que son prédécesseurau sujet de la bé-nédiction abbatiale, l'archevêque Raoul refusant de la luidonner s'il ne lui promettait obéissance. Par amour de lapaix Guillaume était sur le point de céder; mais les reli-gieux, forts de leurs privilèges et craignant les consé-

quences de cet acte, supplièrent leur Abbé de se rendre àRome, où il reçut la bénédiction du pape Pascal IL

L'archevêque, mécontent de cet acte, s'efforça de dé-crier Guillaume, mais en vain; le nouvel Abbé trouva luiaussi un défenseur et un apologiste dans le savant Yvesde Chartres; il eut de plus la consolation de voir plusieursévéques témoigner par des donations de leur estime pourl'abbaye, et bon nombre de seigneursquitter leurs châteauxpour vivre humblement sous l'habit religieux : Alexandrede Rorhecorbon, Robert de Semblançay, Geoffroy deCholet, Pierre de Montjean, et d'autres.

Cette même année, le célèbre Bohémond,

princed'Antioche, ayant fait un voyage en France, vint à Mar-moutier tout exprès pour se recommander aux prières desmoines et leur demander la participation à leurs bonnes oeu-vres, tant pour lui que pour les autres chrétiens qui guer-royaient en Terre-Sainte. Nous verrons plus tard le comteFoulques d'Anjou imiter ce pieux exemple.

Au mois de mai, Pascal II traversait la France; l'abbéGuillaume qui assistait au concile de Poitiers, crut de son

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devoir d'aller au devant du Souverain Pontife, et l'accom-

pagna jusqu'à Tours où le pape officia solennellementdans l'église de Saint-Martin. Probablement il visita Mar-moutier en cette circonstance, mais nous n'avons aucunecertitude sur ce point.

L'union qui avait toujours existé entre l'abbaye de Mar-moutier et l'église de Saint-Martin deTours.se resserrad'une manière plus étroite encore. Il fut convenu qu'aujour de la subvention du saint thaumaturge, c'est-à-dire le

12 mai de chaque année, les moines viendraient en pro-cession à Tours, qu'à la mort d'un chanoine ou d'un reli-gieux, les deux communautés célébreraient un service so-lennel

, que les chanoines assisteraient en corps auxobsèques des abbés, enfin qu'il y aurait entre les deuxcongrégations participation de prières et de mérites.

L'an II 19 fut marquée par la fin prématurée du papeGélase II, successeur,de Pascal IL Trois jours après samort qui eut lieu à Cluny, Guy, archevêque de Vienne,homme de science, de piété et de mérite, fut élu sur leslieux mêmesSouverain Pontife. Il ne donna consentement àson élection qu'après qu'elle eut été confirmée par les car-dinaux de Rome. 11 prit alors le nom de Callixte IL Lamême année, il vint à Tours et voulut, à l'exemple d'Ur-bain II, honorer l'abbaye de Marmoutier en y séjournantquelque temps.

Cependant Dieu avait retiré du monde l'archevêqueRaoul, et le conflit qui avait existé entre lui et Marmoutierput être terminé à l'amiable avec Gilbert, son neveu et sonsuccesseur. On convint pour l'avenir que l'archevêque bé-nirait les nouveaux abbés sans aucun engagement écrit, etque, de son côté, l'élu promettrait verbalement obéissanceau prélat, sauf l'obéissance au pape. Pour témoigner desa sincérité, Guillaume consentit aussitôt à prêter obéis-sance au nouvel Archevêque de la manière convenue.'

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— 6i -La vie du pieux Abbé avait été dignement remplie, et

Dieu se disposait à rappeler à lui son fidèle serviteur. Ilfut atteintd'une fièvre à laquelle il ne tarda pas à succomber(.33 mat 1124.)

Outre les grandes oeuvres dont nous avons parlé, il ac-crut encore l'importance de son monastère, y fit construireplusieurs édifices utiles, l'entourade murailles ,et augmentale nombre des prieurés dépendant de l'abbaye : tels furentceux de Négron en Tour«.ine, de Josselin, de Males-troit, de Sainte-Croix de Nantes et de l'île Tristan, enBretagne; de Notre-Dame de Mayenne, de Dampierre deRillé, de Troo,.et de Saint-Laurent en Gâtine

,dans les

diocèses limitrophes de Tours.Eudes, que Ton nomme encore Odon, succéda à Guil-

laume de Combourg dans le gouvernement de Marmoutier(1125). La chronique rapporte qu'il ne le cédait point enmérite à ceux qui l'avaient précédé. Ce fut sous son admi-nistration que l'abbaye acquit le prieuré de Saint-Martinau Val, près Chartres, qui était tombé au XI* siècle, auxmains de chanoines peu exemplaires. C'est pour remé-dier à ces désordres que Thibaud, comte de Chartres, à lasollicitation de sa mère, la pieuse comtesse Adèle, en écri-vit au pape Honorius, puis à Geoffroy, évêque de Chartres,le priant de confier cette église aux moines de Marmoutier.Il fut obéi,etunecolonie vint prendre possessiondu prieuréau nom de l'abbé Eudes (1).

A quelque temps de là, Foulques, comte d'Anjou, ayant

(1) Les Bénédictins possédèrent longtemps ce célèbre prieuré. Aprèseux, il passa aux mains des PP. Capucins, qui l'occupaient encore à laRévolution. Les évéques de Chartres avaient continué à en faite le lieude leur sépulture, et il fut souvent un lieu de retraite, où ils venaientpasser en prières la veille de leur sacre ou de leur, entrée dans la villeépiscopale. Depuis le rétablissement du culte,, ce couvent a été trans-formé en hospice et son nom de Saint-Martin en celai de Saint-Brice,qu'il porte aujourd'hui.

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formé le projet de partir pour la Terre-Sainte, vint prendrela croix à Tours des mains de l'archevêque Hildebcrt, lejour de la Pentecôte. Une tradition ajoute qu'après la

messe, il fut témoin d'un spectacle extraordinaire qui ré-chauffa encore sa foi et stimula son ardeur.

S'entretenant près d'une fenêtre avec deux prêtres quidevaient l'accompagner dans son voyage, et jetant parhasard les yeux vers l'abbaye de Marmoutier, qu'on dis-tinguait au loin, il aperçut une grande flamme au-dessusdu monastère et s'imaginant aussitôt que tout y était enfeu. » « Regardez, s'écria-t-il, voilà l'abbaye de Marmou-tier perdue, ne voyez-vous pas comme le feu gagne par-tout ?» — Appelant alors l'un de ses gardes, il lui com-manda de monter promptement à cheval et d'aller vérifier

ce funeste accident. L'envoyé fut bien surpris lorsqu'étantarrivé sur les lieux, il trouva le monastère intact, et tout lemonde dans une tranquilité parfaite. Il s'expliqua sur lebut de la visite mais on lui répondit qu'on n'avait point vude feu. La stupeur du comte fut à son comble, lorsqu'undes prêtres qui l'entouraient, comprenant qu'il y avait làun mystère, lui dit : «t Ce que vous avez aperçu, seigneur,est une vision dont il a plu à Dieu de vous honorer. Elleconvient fort bien à l'action que vous allez entreprendre, àla solennité que nous célébrons aujourd'hui, et à la saintetédu lieu sur lequel vous est apparue la merveille, car ilfaut bien que votre coeur soit embrasé du feu divin pourprendre la croix et l'aller faire régner parmi ses ennemis.Vous savez aussi que nous célébrons aujourd'hui la fête dela Pentecôte, jour auquel le saint Esprit descendit en formede feu sur les disciples du Sauveur, et les religieux deMarmoutier sont tellement embrasés de ce feu divin, qu'il

ne faut pas s'étonner si leur abbaye vous a paru commeenvironnée de flammes. »

Cette interprétation plut beaucoup au prince, et dès le

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-63-lendemain il vint à Marmoutier, raconta lui-même aux re.ligieux ce qu'il avait vu, demanda à entretenir les frères,à participer à leurs bonnes oeuvres, et leur promit durantsa vie son estime et sa protection.

L'illustre saint Bernard gouvernait alors l'abbaye deClairvaux : contemporain d'Eudes, il en fut aussi l'ami, etde pieuses relations s'établirent entre les deux abbés,Eudes ayant recours aux lumières et à la sagesse deBernard en des circonstances difficiles; Ben: *rd proclamant

que l'attrait qui avait uni son âme à celle des religieuxc'était l'odeur de sainteté que répandait partout Marmou-tier.

Le pieux Abbé touchait au terme de sa carrière, lorsqueDieu favorisa d'une vision merveilleuse un saint religieuxde l'abbaye qui devait avertir son supérieur de l'époque desa mort :

C'était la nuit de la Fête de tous les Saints ; les frèresreposaient au dortoir, mais celui dont nous parlons rem-plissant l'office de sacristain, veillait encore dans l'égliseet s'était mis en oraison. Tout d'un coup, il entendit unemusique délicieuse dans la chapelle du Repos de saintMartin. Regardant alors de ce côté, il aperçut trois évéques,revêtus de leurs ornements pontificaux, dont l'un surtout,avait un port plus vénérable que les autres, et suivis deplusieurs abbés et d'un grand nombre de moines. En lesexaminant attentivement, il y reconnut plusieurs religieuxqui étaient morts peu de temps auparavant, et s'approchantd'eux il leur; demanda quels étaient les autres personnagesqui formaient le cortège. Ceux-ci lui répondirent que l'é-vêque placé au milieu était saint Martin, et les deux autressaint Fulgence et saint Corentin, dont les reliques étaientconservées dans le monastère ; que les abbés présents sousses yeux étaient ceux qui, par les mérites de saint Martin,jouissaient du fruit de leurs travaux. Ils ajoutèrent que saint

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-64-Martin et ses disciples visitaient souvent ce saint lieu etqu'il eût à avertir Eudes, son abbé, qu'avant un an il seraitde leur nombre.

Le sacristain, tout heureux de cette vision, ne voulut pasêtre le seul à en jouir. Il courut au dortoir avertir quelques-

uns de ses frères qui entendirent à leur tour la céleste mé-lodie et aperçurent dans les airs la merveilleuse processionretournant au ciel. Ce prodige ne contribua pas peu à aug-menter la dévotion si grande déjà que l'on portait au Reposde saint Martin.

Quelques mois après la révélation qui lui avait été faite,de sa mort prochaine, Eudes rendit en effet son âme àDieu. C'était le 19 juin 1137. Plusieurs écrivains de sontemps lui donnent le nom de vénérable ; et, de fait, si l'on

repasse en son esprit toute la régularité qu'il sut faire ré-

gner dans son monastère, les merveilles réitérées qui illus-trèrent Marmoutier de son temps, la sainteté de sa viepublique et privée qui lui valut le céleste avertissementdont nous venons de parler, il semble vraiment mériter cetitre.

CHAPITRE V

•Le moine Gantier, que l'on croit avoir été prieur d'E-pernon, se trouvait à Marmoutier, peut-être revenu au rangde simple religieux, lorsqu'arriva, au Repos de saint Martinla vision merveilleuse dont nous avons parlé et dont il futtémoin. L'année suivante, il était élu Abbé (1137).

Il fit aussitôt paraître son zèle pour l'observancerégulière,par la célébration d'un chapitre général, auquel assistèrenttrois évéques, amis intimes du monastère : Geoffroy deChartres, Donoald de Saint-Malo et Even de Vannes, qui

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-65-étaient sans doute venus passer les fêtes de Noëlà Marmou-tier. Hugues, archevêque de Tours, se montra aussi pleinde bienveillance, et le connétable Mathieu de Montmo-rency vint à son tour, visiter l'abbaye et se recommanderaux prières des religieux.

Ceux-ci, en effet, continuaient à édifier le monde par leursvertus et l'on avait grande confiance dans leur crédit prèsde Dieu. Ce n'était pas seulement chez les hommes faitsque l'on voyait resplendir l'éclat de la sainteté. Un jeuneenfant nomméJean, offrait alors l'exemple d'une mort ad-mirable, dont j'emprunte le récit à Dom Martène lui-même.

« Cet enfant avait dix ans à peine, lorsqu'il fut présentéà l'abbé Garnier par ses parents. Ceux-ci étaient de Tourset habitaient le quartier de Saint-Martin. Il y avait en lui,malgré sa jeunesse, une si grande maturité qu'il surpassaiten sagesse les vieillards eux-mêmes. Personne ne le vitjamais rire avec éclat, jamais s'endormir à Matines, commeil arrive assez souvent aux enfants de cet âge. Un mélangede simplicité et de gravité se reflétait sur son visage, l'inno-

cence était peinte dans ses yeux, et il suffisait d'un regardsur lui pour inspirerà tous la crainte du Seigneur. Mais Dieuqui voulait enlever cette âme candide et déjà mûre pour leciel, du milieu de l'iniquité, lui envoya des infirmités trèsdouloureuses qui ne servirent qu'à faire éclater davantageles vertus que la grâce avait déposées en lui. Comme sonmal augmentait, il connut que sa fin était proche, etayant fait appeler le R.-P. Abbé, il confessa ses fautes aveccontrition et humilité, reçut dévotement sa bénédiction, semunit du viatique et de l'Extrême Onction, puis baisa lecrucifix avec une abondance de larmes qui toucha tous lesassistants. Ensuite, on le porta dans la chapelle de saintBenoit pour l'y déposer, selon la coutume du monastère,sur le ciliceet la cendre; et comme les infirmiers lui de-

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mandaient s'ils ne souhaitait rien, il ne répondit pas, mais,levant les yeux vers le ciel, il sembla inviter les saints In-nocents, qui jadis avaient lavé leurs robes dans le sang del'Agneau, à louer Dieu avec lui, en récitant ces paroles duPsalmiste : « Sit nomen Domini bénédiction ex hoc nunc etusque in soeculum » Enfants, louez le Seigneur, chantez leslouanges de son nom ! Que ce nom adorable soit béni etmaintenant et dans tous les siècles I » Et au moment où ilrépétait une seconde fois ces paroles, il expira.

Tels étaient les beaux exemples qu'offraient les cloîtresde Marmoutier du temps de l'abbé Garnier, modèle lui-même de la plus éminente piété. Tout en soignant et sanc-tifiant les âmes, il ne négligeait pas ce qui pouvait êtreutile au corps. Aussi, commença-t-il à bâtir les vastes in-firmeries du monastère ; mais la mort ne lui laissa pas letemps de terminer son entreprise. 11 était parvenu à uneextrême vieillesse, et il rendit son âme à Dieu le 23 mai 1155,

comme il entrait dans la dix-neuvième année de son gou-vernement.

Marmoutier était devenu plus que jamais à cette époque,

un véritable centre littéraire. 11 produisit des écrivains re-nommés tels que Arnaud, abbé de Bonneval, biographe desaint Bernard; le chroniqueur Jean de Marmoutier, quiécrivit l'histoire de Geoffroy, duc de Normandie; Gautierde Compiègne, premier prieur de Saint-Martin au Val, prèsde Chartres, qui composa d'excellents ouvrages malheu-reusement perdus, enfin l'historien anonyme des ducsd'Anjou. On fabriquait du parchemin à l'abbaye et l'on ymultipliait les livres; plusieurs moines s'exerçaient heu-reusement à la reliure, pour eux-mêmes et les autres mo-nastères.

Garnier eut*pour successeur Robert /, dit Mégueri, ori-ginaire de la Bretagne, qui occupa le siège abbatial pen-dant dix années. Le nouvel élu eut à subir des vexations de

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-67-la part de plusieurs séculiers ; mais s'il lui fallut souffrir,il obtint pourtant que justice lui fut rendue.

En 1162, nous voyons encore un pape, Alexandre III,venir à Marmoutier à la suite d'un concile tenu à Tours.L'extrême bienveillance qu'il témoigna aux religieux por-tèrent ceux-ci à lui demander de vouloir bien faire la dédi-cace de l'église de Saint-Benoit, bâtie dans l'enceinte ducouvent et destinée aux infirmes. Cet édifice était, dit-on,d'une architecture remarquable. Cest là, comme nous enavons vu précédemment un exemple, que l'on portait lesmalades, afin qu'à l'instar de saint Martin ils rendissent ledernier soupir, étendus sur le cilice et la cendre. Sa Sain-teté leur accorda de bonne grâce cette faveur, et consacracette église à Dieu, sous l'invocation de saint Vincentmartyret de saint Benoit (1).

Le pape confirma ensuite, comme l'avaient fait ses pré-décesseurs, tous les privilèges de l'abbaye; et exhorta lesmoines à conserver la haute réputation de piété qu'ils s'é-taient acquise par leur assiduité à la règle.

L'abbé Robert mourut en 1165, laissant la mémoire d'unreligieux chéri de Dieu et des hommes.

Citons seulement ses deux successeurs immédiats : Robertde Btois et Pierre de Gascogne. L'un, bon administrateur,vit encore s'accroître par ses soins, le temporel du mo-nastère et fit construire avec magnificence l'appartementet la chapelle de l'Abbé; l'autre occupa sa charge troppeu de temps pour pouvoir fournir des faits à l'histoire.C'étaient, d'ailleurs, des hommes vénérables, et d'excellents

(t) On s'étonnera peut-être que cette chapelle, dite de saint B»noit,ait eu pour premier patron saint Vincent martyr : Cest qu'on ne consa-crait jamais les églises qu'en insérant dans l'autel quelque relique d'unmartyr. — On voit encore une partie des fondations de la ChapelleSaint»Benoit, dans te jardin actuel de Marmoutier.

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religieux. Après eux, la crosse abbatiale passa entre lesmains à\Hervê de Villepreux.

Hervé était de noble race et sa famille alliée à la maisonroyale de France. Mais lui, préférant à toute grandeurmondaine l'abjection de la croix, entra à Marmoutier dèssa plus tendre jeunesse et y éprouva de bonne heure com-bien le joug du Seigneur est doux. « II ne retint de sa pre-mière condition, dit Dom Martène, qu'une grandeur d'âmequi lui fit mépriser tout ce que le monde estime, et embrasseravec joie tout ce qu'il rejette. » Tel était l'hommesur lequeltomba, en 1177, le choix des religieux.

On peut dire que l'abbaye était, à cette époque, arrivée àpeu près à l'apogée de sa puissance territoriale. Déjà lar-gement dotée dans le passé par les rois de la première etde la seconde race, elle n'avait fait que s'accroître sous lamain libérale de Hugues Capet; mais ce fut surtout sous le

sage gouvernement d'Hervé que les fondations se multi-plièrent. Ici, c'est le prieuré de Lchon, près de Dinan, enBretagne, qui estdonné au nouvel Abbé afin qu'il en répareles ruines physiques et morales; là c'est celui de Saint-Martin du Mans, qui lui est concédé par la libéralité del'évêque; en Espagne, enfin, c'est un riche seigneur quifait don à Hervé et à ses religieux de la moitié de sesbiens.

En moins de deux siècles, l'abbaye avait acquis pardonation une multitude de possessions, principalementdans l'Ouest et le Nord-Ouest de la France, en Touràine,en Poitou, en Vendée, en Bretagne, dans l'Anjou, le Maine,la Normandie, la Picardie, la Champagne, l'île de France,l'Orléanais, le Berry etc., et si l'on y joint l'Angleterre,où Guillaume le Conquérant avait donné le signal des libé-ralités envers le monastère de saint Martin

, on com-prendra le vieux dicton de nos pères :

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-69-De quelque lieu que le vent vente,Marmoutier a cens et rente.

Cette immense puissance faisait non-seulementde l'Abbéun personnage influent qui servit plus d'une fois d'arbitrepour rétablir la paix entre les princes, mais de plus elfecontribua à faire de l'abbaye de Marmoutier un des foyersles plus actifs de l'action civilisatrice du christianisme enOccident; car le monastère et tous les prieurés de sa dé-pendance n'étaient pas seulement de pieuses retraites oùles uns venaient chercher la sauvegarde de leur innocencecontre les périls du monde, et les autres l'austère disciplinede la pénitence après une vie agitée, c'étaient encoreautant d'écoles, où les moines en transcrivant les vieuxmanuscrits conservaient les pieuses traditions de l'anti-quité, cultivaient les lettres, les sciences et les arts; c'étaientenfin des lieux saints et respectés où les seigneurs féodaux,trop souvent d'un caractère violent et emporté, recevaientdes conseils de modération et de douceur et apprenaient àfaire céder la force devant le droit même désarmé.

Et tandis que les moines, sévères pour eux-mêmes,s'astreignaientaux rigides observances de la règle de saintBenoit, ils dépensaient généreusement leurs immenses re-venus dans l'intérêt du peuple. Ils secouraient les pauvres,ils affranchissaient leurs serfs, leur faisaient défricher etcultiver le sol, contruisaient des fermes, véritables métai-ries modèles, dotaient le pays de riches vignobles, créaientdes villages et des bourgs, enfin par l'enseignement et lapratique de l'Evangile, adoucissaient les moeurs et pré-paraient à la France des générations plus heureuseset pluscivilisées. De belles églises, d'un style hardi et noble, en-richies d'ornements et de peintures, couvraient par leurssoins le sol de la France, à l'immortel honneur de ces siè-cles dédaignés trop longtemps.

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Sans doute ce rôle fut commun à tous les monastèrestant qu'y fleurit la régularité ; mais on peut dire que l'ab-baye de Marmoutier, par l'étendue de ses possessions et legrand nombre de ses prieurés, y eut une part considérableet contribua, plus que les autres peut-être, au défrichementmatériel et moral de notre patrie.

Commeune foule de grands personnages, abbés, évéques,princes, seigneurs, venaient sans cesse au monastère trou-bler par leur affluence, la paix et le recueillement desfrères, le sage et vigilant Hervé fit bâtir devant l'église unvaste corps de logis pour y recevoir les hôtes, de telle sorteque ceux-ci, n'entrant plus dans l'intérieur du cloître, lesreligieux pussent conserver toute leur tranquilité. 11 n'é-pargna point la dépense, et en trois ans l'édifice fut achevé.Jusque là, on avait introduit dans le monastère l'usage dela viande pour les étrangers; Hervé estima cette coutumecontraire à la règle de saint Benoit et à la pratique del'ordre; en conséquence, il la retrancha entièrement et fit

un règlement tout contraire, en présence du cardinal d'Aï-bano qui se trouvait alors à Marmoutier et qui fut le pre-mier à s'y soumettre.

Modèle accompli des Abbés, sévère à lui-même, indul-gent pour ses frères, Hervé entretint autour de lui unecommunauté nombreuse qu'il gouverna avec la tendressed'un père, plein de charité envers les bons, mais exact àpunir [les fautes des coupables, sachant toujours unir lasévérité et la douceur. Sa grandeur d'âme et son humilitéprofonde éclatèrent surtout quand on le vit, après dix ansde prélature, se démettre lui-même de la dignité de sacharge, non pour vivre plus en repos, mais afin de se livrerà une austérité plus rigoureuse. Pendant qu'autour de lui,

ses religieux pleuraient la perte d'un si bon père, il se re-tira à l'exemple des anciens solitaires de Marmoutier, dansune grotte qu'il s'était fait creuser dans le rocher; il vécut

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encore seize ans, se livrant à une oraison continuelle et àla pratique de la plus austère pénitence. Les six dernièresannées de sa vie, il n'eut plus d'autre lit que la terre nueou le siège de pierre sur lequel il s'asseyait (i).

Sa mort répondit à la sainteté de sa vie ; il s'endormitdans le Seigneur l'an 1203, et la tradition lui a donné lenom de Bienheureux.

Les éminentes qualitésde Geoffroyde Coursolle rendaientdigne de succéder au saint abbé Hervé (1187); il joignaiten effet à une extrême modestie une science profonde, unegrande piété, et Dieu se plut à le combler de ses abon-dantes bénédictions.

CHAPITRE VI

Le retour de Philippe-Auguste, après la troisième croi-sade

,n'avait pas ramené la paix en France, où les

seigneurs continuaient à guerroyer entre eux; las enfinde cet état de choses, ils &e résolurent à le faire cesser etcherchèrent des garants de leurs engagements mutuels.Geoffroy de Marmoutier eut, avec les abbés de Cluny et deSaint-Denis et le prieur de la Charité, l'honneur de re-cevoir leur parole.

Aussi humble qu'Hervé de Villepreux, Geoffroy renonçaen 1210 à sa dignité pour achever sa carrière dans les pra-tiques régulières et obscures des simples religieux.

Son successeur, Hugues de Rochecorbon, était issu,

comme son nom l'indique, de l'illustre maison des seigneursde Rochecorbon dont le castel s'élevait sur des rochersqui bordent les coteaux de la Loire, non loin de Marmou-tier. il avait embrassé la vie religieuse dès ses plus tendresannées, et s'il n'atteignit jamais une haute stature, car

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l'histoire fait remarquer qu'il était très petit, il grandit dumoins en mérite et en savoir, et fut trouvé digne de lacharge éminente qu'on lui confia après la démission volon-taire de Geoffroy de Coursol.

La guerre ayant recommencé entre les souverains deFrance et d'Angleterre, ce fut l'abbé Hugues que Philippe-Auguste choisit, pour amener une trêve entre lui et Ri-chard Coeur de Lion. La négociation réussit selon les voeuxdu roi (1214).

On était arrivé à cette célèbre époque du XUl' siècle siféconde comme chacun sait, en chefs-d'oeuvre d'architec-ture religieuse. Alors surtout, la France tout entière secouvrait de magnifiques églises et d'édifices portant l'em-preinte majestueuse et sublime du style ogival. L'abbayede Marmoutier devait avoir d'autant plus naturellement sapart dans ce progrès que celui qui la gouvernait en ce mo-ment, avait plus de goût et de génie pour les belles etgrandes choses. 11 commença par faire construire, du côtéde la Loire, deux portes d'un aspect imposant qui reçurentles noms, l'une de Porte de la Crosse, l'autre de Porte dela Mitre. Toutes deux devaient rappeler par leur destina-tion et leur forme les prérogatives de la dignité abba-tiale.

La Porte de la Crosse surtout était digne d'attirer lesregards. Au-dessus de la robuste corniche du vaste portailaux arcatures en ogive, se trouvait une longue salle percéede douze fenêtres rectangulaires assez étroites pour jouerle rôle de meurtrières,et destinée à contenir la garnison né-cessaire à la défense de la porte. Tout auprès, on y ad-

(1) On montre encore aujourd'hui, à Marmoutier, entre la chapelle desSept Dormants et l'emplacementoù l'on suppose avoir été la grotte etl'autel de saint Gatien, un lit de pierre taillé à vif dans te roc, qui'pourrait bien être la dure couche du bienheureux Hervé.

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joignit une sorte de donjon hexagonal en forme de tourelle,percé sur chaque face de trois rangs de meurtrières treliéeset décoré d'une délicieuse flèche de pierre aux arêtesornéesde crochets. Une galerie, d'où l'oeil pouvait embrasser unvaste panorama, couronnait la tourelle en contournant labase de sa flèche. Elle devait servir de tour du guet et debeffroi à l'abbaye (i).

La Porte de la Mitre, dont on retrouve le dessin sur lesanciens plans de l'abbaye, était beaucoup moins remar-quable (2).

Mais ce qui rendit la mémoire de Hugues de Roche-corbon impérissable, c'est qu'il fit encore bâtir les deuxtours de la façade et les quatre premières travées de la su-perbe église abbatiale destinée à remplacer l'ancienne, età faire l'admiration des siècles futurs.

Les dépendances de l'abbaye ne furent pas non plus ou-bliées. C'est à cette époque en effet qu'on construisit leportail, la grange et le colombier du prieuré de Meslay,remarquables spécimens de ce beau style du XIII* siècle,qu'on ne se lasse pas de rencontrer. « La grange, ditM. Chevalier, dans ses « Promenades pittoresques en Tou-ràine» était un véritable modèle par la splendeur impo-sante de ses proportions, la capacité intérieure de sonvaisseau, et l'habile distribution de toutes ses parties.»(3)

Le saint Abbé, toujours humble et affable au milieu deses grandes oeuvres, se concilia l'amour et le respect de

(l) Le portail de la Crosse et la flèche qui lui est adjacente subsistentencore à peu près dans l'état où nous venons de les décrire, sauf quel-ques légères modifications subséquentes. C'est un nobte spécimen del'architecture des abbayes au moyen-âge.

(3} Le portail de la Mitre a complètement disparu.'y Cette grange existe eucore ainsi que le porche du prieuré, et sont

toujours considérés comme deux des types le plus parfaits de l'architec-ture civile au xm» siècle.

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— 74 -tous ses frères. On en acquit particulièrement la preuvedans les obsèques magnifiques qui lui furent faites aprèssa mort, obsèques qui surpassèrent, dit-on, tout ce qu'onavait encore fait jusque là pour ses prédécesseurs. Son

corps fut inhumé dans le Chapitre et recouvert d'un remar-quable tombeau qui rappelait tout ensemble ses oeuvres etses vertus (1227).

CHAPITRE Vil

Les choses humaines ont toujours même histoire : ellescommencent à paraître, progressent, arrivent ordinaire-ment à ce qu'on appelle leur apogée, puis elles déclinent,et parfois se corrompent. C'est hélas, ce que nou3 auronsà constater ici une fois de plus.

Ce monastère fameux, remarquable pendant trois sièclespar la régularité, la piété et même la sainteté ; ce monastèresi richement doté par la munificence des rois, des princes,des évéques et des grands du monde, protégé par leur au-torité et jouissant de la plus haute considération mêmedans les pays étrangers ; nous allons le voir maintenants'affaiblir dans son observance, subir les vexations despuissants de ce monde, et perdre graduellement enfin, ceprestige qui avait fait de Marmoutierl'une des plus célèbresabbayes du monde.

Les trois premiers successeurs d'Hugues de Rochecor-bon ne firent, pour ainsi dire, que passer sur le siège ab-batial ; le dernier, Hugues If, résigna même sa chargepour devenirabbé de Cluny (1236;. Fait évêquede Langres,il assista au concile général de Lyon, auquel présida le

pape Innocent IV ; enfin, ayant suivi saint Louis dans sacroisade en Terre-Sainte, il mourut à Damiettc.

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Les débuts de Geoffroy de Conam ne furent pas con-solants, car il eut à déplorer l'indigneconduite de quelquesmoines qui, s'étant emparés par ruse du sceau du monas-tère, s'en servirent pour sceller des lettres d'emprunt qu'ilsdonnèrent à leurs créanciers au grand préjudice de l'ab-baye. Cet attentat bientôt connu, fut l'occasion d'unrescritdu pape Grégoire IX ordonnant de punir les coupables.Ceux-ci sortirent du monastère et se mirent à errer de parle royaume, au grand scandale des séculiers. Ils eurentl'audace d'aller trouver à Lyon le pape lui-même, quileur enjoignit de rentrer dans leur cloître pour y subir ladiscipline régulière. Mais ils n'obéirent point à cet ordreet le Souverain Pontife, informé de cette obstination, les fitavertir une seconde fois en prescrivant à l'abbé de Mar-moutier de les recevoir avec bonté et miséricorde.Ce fut envain; alors le pape, qui avait poussé la condescendancejus-qu'aux dernières limites, leur fit savoir que s'ils ne voulaient

pas au moins entrer dans une autre religion, on les ferait en-fermer dans un lieu exprès, pour y être soumis à une péni-tence perpétuelle.

Dans le but de prévenir désormais de semblables dé-sordres, Grégoire IX donna commission à l'archevêque deBourges, à l'évêque de Dol et à l'abbé de Bourgdicu, devisiter en son nom l'abbaye de Marmoutier et, s'il y avaitlieu, de travailler à sa réformation. Les délégués exécu-tèrent leur commission, firent de sages règlements et vi-sitèrent ensuite dans le même but les prieurés dépendantde l'abbaye. Grâce à ces sages mesures, jointes au zèlesincère que fit paraître Geoffroy de Conam Iui-même,tebonordre fut rétabli. Marmoutier d'ailleurs, avait reçu duVicaire de Jésus-Christ une nouvelle et grande faveur:Innocent IV, lors de son élection (1243) avait accordé qua-rante jours d'indulgence à ceux qui, étant véritablementcontrits et confessés, visitaient l'église de l'abbaye aux

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-76-deux grandes fêtes de saint Martin, celle d'hiver et celled'été (n novembre et 4 juillet). Il avait donné aussi unebulle défendant à tous les laïques ou ecclésiastiques quitenaient des biens du monastère, en fief, à cens ou à re-venus annuels, de les vendre, donner ou aliéner sans leconsentement du Chapitre. C'était là une mesure d'autantplus utile que déjà un certain nombre de prieurés et dedomaines dépendant de l'abbaye avaient été donnés encommende à des personnes séculières, et cela à la prièredes princes et des légats, du pape lui-même. Une fois cetteporte ouverte, les abbés s'étaient trouvés accablés de sol-licitations qu'ils ne pouvaient refuser et qui, peu à peu,devaient amoindrir la discipline des cloîtres, diminuer leurinfluence et finalement amener leur ruine.

Une autre épreuve plus menaçante encore, vint bientôtfondre sur Marmoutier : ce fut la persécution odieusequ'Hugues de Châtillon, de la maison de Blois, lui fitsubir. Cet homme, que les historiens nous représentent,comme un ambitieux, révolté même contre la reine Blanchede Castille, entreprit de faire valoir certains droits donts'était prévalu son père contre les religieux ; il arriva donc

au monastère avec une véritable armée, et n'ayant pufaire reconnaître ses prétentions, il se livra aux derniersexcès.

H commença par briser les portes de l'abbaye qu'iltrouva fermées, et joignant l'impiété à la violence, il ren-versa les images des saints qu'il rencontra sur son passage,et jeta le crucifix lui-même dans la boue. Une fois entrédans l'intérieur du monastère, il enfonça les portes, mal-traita les religieux, fit consommer par ses gens toutesles provisions de la maison et y laissa garnison en se re-tirant.

Il ne s'en tint pas là. L'année suivante, l'abbé Geoffroy,étant allé faire la visite de quelques prieurés, le comte mit

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~ 77 ~tout en oeuvre pour l'empêcher de rentrer à Marmoutier.Quelque vertu qu'eussent les religieux, ces emportementsn'étaient pas supportables; ils portèrent donc plainte aupape Grégoire IX qui nomma des commissaires pour exa-miner le différend. Les excès du comte n'ayant été reconnusque trop réels, les délégués lancèrent contre lui une sen-tence d'excommunication, dont le pape le fit pourtant ab-soudre un peu plus tard, après que le coupable eût acceptésa sentence.

Mais cette soumission nélait qu'une feinte, aussi ne fut-elle pas de longue durée. Le comte retomba bientôt danssespremièresviolences.Excommuniéde nouveaupar le pape,il ne put obtenir la levée de cette censure qu'en faisantserment d'obéir à sa Sainteté en tout ce qu'elle ordonneraitde lui. Pour se tirer d'embarras, il céda à son fils Jean deChatillon son comté de Blois, et celui-ci ne s'en vit pasplus tôt en posssession, qu'il reprit, et avec plus de fureur

encore, les vexations de son père. Comme lui, il vint àMarmoutier, y renouvela les mêmes scènes de vandalisme,et y mit garnison.

Le pape informé de ces nouveaux actes d'injustice et derébellion, adressa un rescrit à l'archevêque de Tours, l'en-joignant d'avertir le comte de Blois qu'il devait retirer im-médiatement la garnison de l'abbaye, veiller à ce que nulleviolence ne fût faite aux religieux, et comparaître dansl'espace de deux mois devant sa Sainteté, pour y répondrede ses méfaits.

L'Archevêque obéit : le comte feignit encore de se sou-mettre, mais pour recommencer bientôt avec une nouvelleaudace. Il en arriva même à ne plus garderaucune mesure.Il se saisit de tous les revenus de l'abbaye de Marmoutier,

en Touràine et ailleurs, et réduisit les moines à une telleextrémité, qu'ils ne purent subsister que grâce aux secoursenvoyés par les prieurés de Bretagne et de Normandie.

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- 78 -Ce n'était pas encore assez; ayant appris que l'abbé

Geoffroy se disposait à passer en Angleterre, il lui fit dres-

ser des embûches, se saisit de sa personne et le fit enfer-

mer dans son château de Guise (i), laissant les religieuxqui l'accompagnaient désolés de sa perte, et ignorants dusort qui lui était réservé. Geoffroy demeura ainsi sept ansprisonnier ; mais la Providence le délivra au moment où il

y pensait le moins.

« Un jour, raconte Dom Martène, que l'infortuné captifavait la tête à la fenêtre, il aperçut un domestique de sonmonastère, qui, passant par Guise, s'arrêtait à regarder lechâteau, il le reconnut, l'appela par son nom, lui révéla

qui il était, lui demanda des nouvelles de ses frères et sil'on pensait encore à lui. Le domestique surpris au-delà detoute expression, plein de joie d'avoir retrouvé son maîtreet surpris de le voir dans un tel état, retourna aussitôt aumonastère pour informer les religieux de ce qui s'étaitpassé. Cette nouvelle, si l'on peut parler ainsi, les ressus-cita, et après avoir rendu grâce à Dieu, sans perdre detemps, ils informèrent le pape et le roi de la tyrannie ducomte, en réclamant justice. »

Lorsque Jean de Châtillon sut que le pape et le roi étaientau courant de son infâme conduite, il en conçut un vif dé-plaisir et redoublant de cruauté, il fit bander les yeux dumalheureux Abbé, lui fit lier les pieds et les mains, et lejeta ainsi dans un fossé, près du prieuré d'Epargnon, sansaucun secours humain.

Fort heureusement, le prieur de ce monastère étant venuà passer, le reconnut et lui offrit un cheval et des vête-ments. Mais l'abbé l'en remercia, disant qu'il se présen-terait tel qu'il était réduit devant le pape et le roi. L'unet l'autre furent vivement touchés de ce spectacle, et le

'i Dans le Vermandois

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pape comprenant qu'il n'y avait plus aucun ménagementà garder, envoya un nouveau rescrit à Pierre, archevêquede Tours, lui ordonnant de déclarer publiquement le comteet tous ses complices excommuniés et d'en écrire, en sonnom, à tous les évéques de France afin qu'ils agissent demême dans leurs diocèses.

Cet ordre fut exécuté, mais si ce coup de foudre parutécraser un instant l'incorrigible endurci, cela ne fut paslong. Alors le cardinal de Saint-Nicolas, au nom du saintPère, rendit une sentence par laquelle il déclarait nuls lesprétendus droits du comte.

Cette sentence fut la dernière que prononça l'Eglisecontre le comte de Blois, et elle aurait été aussi inutile queles autres si le roi ne s'en fût mêlé. Les choses en effet

en étaient venues à un tel point, qu'il fallait un roi deFrance comme saint Louis, c'est-à-dire un véritable protec-teur des opprimés, pour terminer le différend.

Le pieux monarque, si grand justicier, pleinement in-formé des violences inouïes auxquelles s'était livré lecomte, résolut d'y apporter un prompt et efficace remède.Cependant, afin de ménager encore autant qu'il le pouvaitcet esprit intraitable, il l'obligea de céder tous ses pré-tendus droits sur l'abbaye de Marmoutier à Alphonse

,comte de Poitiers, frère du roi, en persuadant ensuite àcelui-ci de les céder de nouveau aux religieux. Jean deChâtillon se soumit à la volonté royale, mais il demanda

un dédommagement, et saint Louis, pour tenter d'adoucir

ce caractère farouche, lui alloua une somme de 4,500 livres,dont les religieux remirent au roi la plus grande partie,pour lui témoigner leur reconnaissance de la paix qu'il leuravait enfin procurée (1254).

Le traité étant ainsi conclu, l'abbé de Marmoutier et lessiens supplièrent saint Louis de les prendre, eux et leurmonastère, sous sa protection. Il leur accorda cette grâce

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avec bonté, et déclara vouloir que là tutelle de l'abbaye deMarmoutier fût à l'avenir attachée inséparablement à la

couronne de France, afin de lui assurer ainsi l'appui de tousles rois ses successeurs.

Les religieux, pleins de gratitude envers le pieux mo-narque, se hâtèrent, après sa canonisation, de lui consacrerune des principales chapelles de leur église, et ils tinrenttoujours son culte en grand honneur.

L'an 1254, l'abbé Geoffroy, revenant de Rome où il étaitallé plaider, comme nous l'avons vu, sa cause contre lecomte de Blois, eut la dévotion de visiter les lieux sanc-tifiés par le martyre de la Légion Thébaine. Il passa donc

par le monastère de Saint-Maurice en Valais, qui appar-tenait à une autre branche de la grande famille bénédic-tine. Il y fut très bien reçu et pria l'abbé saint Maurice delui accorder quelques reliques des saints martyrs, promet-tant de leur consacrerun autel dans la nouvelle église de sonabbaye. On accéda à sa requête, et c'est ainsi qu'il apportaà Marmoutier une portion des ossements de saint Exupèreet de se3 compagnons ; ces précieux restes furent con-servés et honorés jusqu'au temps des ravages des Hu-guenots.

L'ordre de saint Benoît, il faut l'avouer, s'était .un peuattiédi durant le XIIIe siècle; aussi le pape Grégoire IXs'efïorça-t-il de le relever par d'excellents statuts, propresà réveiller l'esprit de la règle. Mais beaucoup de religieuxconsidérèrent ces règlements comme un joug nouveau troppesant pour leurs épaules, et cherchèrent à s'en faire dé-charger par les papes ses successeurs. Geoffroy de Conamfut du nombre des solliciteurs, et il obtint d'Alexandre IV

un rescrit par lequel sa Sainteté lui permettaitde dispenserses sujets des statuts de Grégoire IX, comme n'étant pasde la substance de la règle. On peut juger, par ce seul fait,combien on était déjà loin de la ferveur primitive.

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De plus, Geoffroy se ressentait trop lui-même de l'affai-blissement général de l'époque et songeait peu à maintenirles règlements de la vie claustrale. Quelques religieux,strictes observateurs de la règle (et il s'en trouvait encorebon nombre) se virent obligés, de concert avec certainsprieurs, d'en référer au Souverain Pontife qui écrivit àGeoffroy pour le reprendre de sa négligence et l'exhorter àavoir plus de soin de sa sanctification et de celle de sesfrères.

Il faut croire que l'Abbé tint compte de cette recomman-dation, car le même pape Alexandre, dans une bulle datéede 1258, fait l'éloge des religieux de Marmoutier, de leurobéissance et de l'édification de leur vie. Il rédigea lui.même certains statuts qu'il leur prescrivit d'observer. Cettefois l'abbé Geoffroy s'y soumit sans réclamation, et cesrèglements furent depuis, si bien gardés à Marmoutier,qu'on obligeait les nouveaux abbés à jurer sur les saintsEvangiles qu'ils les maintiendraient fidèlement.

Geoffroy ne survécut pas longtemps à ce rétablissementdes règles monastiques ; sa mort arriva le 19 juillet 1262.Il avait gouverné l'abbaye vingt-deux ans au milieu degraves difficultés. Il faut lui rendre cette justice que dansles plus pénibles afflictions, il fit toujours paraître unegrandeur d'âme qui le rendit supérieur à l'adversité, etmalgré les énormes dépenses qu'il fut obligé de faire poursoutenir ses droits attaqués et réparer les ravages commisdans le monastère, il trouva le moyen de continuer l'églisesi heureusement commencée par Hugues I'r, et la poussajusqu'aux gros piliers du Repos de saint Martin.

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CHAPITRE VIII

L'abbé Geoffroy laissait à son successeur un héritagedifficile à recueillir. L'abbaye était chargée de dettes ettout à fait brouillée avec les comtes de Blois; il fallait unhomme prudent, économe, pacifique, pour la tirer d'un simauvais pas ; on le rencontra heureusement dans la per-sonne â?Etienne de Vernon ou Vernou. Son élection se fît

par compromis, c'est-à-dire que tous les religieux s'étantremis du choix de leur Abbé à quatre d'entre eux, ceux-cil'élurent unanimement :

Il reçut à Orvieto, la bénédiction abbatiale des mains du

pape Urbain IV (Octobre 1262) qui, plein d'estime pourson rare mérite, le nomma, conjointement avec Nicolas,évêque de Troyes, et le dominicain Geoffroy de Beaulieu,confesseur de saint Louis, commissaire pontifical,aveccharge de travailler à la réforme de l'ordre des Citeaux.

Cependant le comte de Blois conservait un vif ressen-timent contre l'abbé de Marmoutier et ne cherchait qu'uneoccasion de le lui témoigner. Profitant de ce que l'abbayepossédait des prieurés et des domaines dans son comté, il

y fit valoir 3es droits avec hauteur, surchargea de taillesles vassaux des religieux et ravagea leurs terres. L'abbéEtienne, désireux de procurer la paix à son monastère àquelque prix que ce fut, remit alors tous ses intérêts àVincent, archevêque de Tours, qu'il choisit pour arbitrede ses différends avec le comte. Tous trois eurent une en-trevue à Chouzy, et l'archevêque, après avoir entendu lesdeux parties, engagea les religieux à céder au comtequelques-uns de leurs droits sur les domaines situés dans

son territoire, mais condamna celui-ci à les indemniser et

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-83-à payer les dépenses occasionnées par ses exactions pas-sées. Puis il lui donna l'absolution et le dispensa de lapénitence publique qu'il avait encourue par sa conduitecoupable.

Le comte, heureux d'en être quitte à si bon marché,conclut volontiers la paix à ce prix, et vécut depuis lors enbonne intelligence avec l'abbé Etienne; comme l'attestentdeux lettres adressées par lui et la comtesse Alix, sonépouse, à l'abbé de Marmoutier au sujet d'un monastèrede franciscains fondé au prieuré de Chouzy, lettres quirespirent enfin le respect et la déférence.

L'abbé Etienne sage, économe et excellent religieux,mourut à Meslay le premier jour de l'an 1283. Son corpsfut apporté à Marmoutier où il reçut les honneurs de la sé-pulture, cérémonie à laquelle vinrent assister les chanoinesde Saint-Gatien et de Saint-Martin de Tours, les reli-gieuses de la ville, les Cordeliers et les Jacobins.

L'élection de Robert de Flandre, prieur de la Celle enBric, se fit par compromis comme celle de son prédéces-

seur, et fut aussitôt ratifiée par le pape Martin IV qui setrouvait alors à Orvieto et avait autrefois connu Robert àSaint-Martin de Tours. L'humble Abbé supplia le pontifede le décharger d'un fardeau beaucoup trop lourd pour sesfaibles épaules, mais le pape, jugeant mieux encore par làde son vrai mérite, ordonna à l'évêque de Porto de lebénir solennellement, ce qui eut lieu le 18 mai 1283.

Voulant ensuite lui donner une marque particulière de

son estime, et relever son humilité par quelque distinctionspéciale, fe pape lui accorda l'usage de l'anneau et de lamitre aux processions et aux offices des grandes fêtes.

Toutefois pour ne point donner, par cette innovation,ombrage aux archevêques de Tours, il excepta la ville deTours des lieux où l'Abbé pourrait porter ses insignes etdonner sa bénédiction solennelle.

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- 84 -Tandis que le chef de l'Eglise accordait ainsi à Mar-

moutier de nouvelles prérogatives, les comtes de Bloistentèrent encore une fois de satisfaire leur ambition au dé-triment des dépendances de l'abbaye; il fallut, pour ymettre un terme, l'avènement au comté de Blois, deHugues II de Châtillon, qui reconnut définitivement le bondroit des moines et leur rendit enfin la paix (1293).

Mais un nouvel orage allait s'élever du côté de l'Angle-terre où Marmoutier possédaitplusieurs prieurés. Quelquesévéques de ce pays, et en particulier celui de Lincoln,continuant à élever des prétentions injustes contre cesmonastères, Robert s'y opposa fortement, et dans le butde régler la question, passa en Angleterre. Mais ce voyagelui coûta cher. Le roi le fit arrêter, et l'abbé de Marmou-tier, pour payer sa rançon, fut obligé de lever sur lesprieurés de Tickeford et d'York une forte somme qui luifut du reste, octroyée très généreusement.

Revenu en Touràine, il administra encore son abbayependant plusieurs années, acheva le choeur de l'église etmena l'édifice jusqu'à la chapelle de saint Louis (1). 11

mourut en 1295 et reçut la sépulture dans la chapelle deNotre-Dame du Chevet, bâtie en dehors de l'abside.

Eudes de Braccoles qui lui succéda, appartenait à unefamille puissante ; son talent lui valut souvent d'être em-ployé dans les plus importantes affaires de l'époque. Boni-face VIII lui écrivit deux fois, d'abord au sujet de ses dé-mêlés avec Philippe le Bel, puis à propos de la croisade

que le souverain Pontife voulait provoquer. Dans ce but,Eudes se rendit à Rome avec les archevêques de Bordeauxet de Tours, et aussi afin d'essayer d'apaiser le conflit quidurait toujours entre le pape et le roi.

(1) C'était très probablement une des chapelles absidiales. Il est re-grettable qu'on ne puisse retrouver le plan complet de l'église.

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-85-»

Comme l'anné 1310 avait était marquée par une extrêmestérilité ; Eudes, touché de compassion pour la misère des

vassaux de l'abbaye, employa le crédit dont il jouissaitauprès de Philippe-le-Bel, pour porter ce prince à leurremettre le tribut qu'il exigeait d'eux ; ce que le roi ac-corda.

Mais l'abbé de Marmoutier n'était pas tellement occupéde3 grandes affaires de l'Etat ou de l'extérieur de son mo-nastère qu'il ne songeât aussi à l'avancement spirituel deses frères. Il promulgua d'excellentsstatuts pour entretenirla discipline, surtout dans les prieurés éloignés de l'abbaye.La lecture de ces règles si sages, prouve que malgré lessymptômes de relâchement qui s'étaient déjà manifestés àplusieurs reprises, la plus grande majorité des religieuxétait encore pleine de zèle et de ferveur.

Une des principales gloires du gouvernement de l'abbéEudes, fut l'achèvement de l'église du monastère. Il y avaitprès d'un siècle que Hugues de Rochecorbon l'avait com-mencée ; ses successeurs avaient poursuivi ce grand travailavec beaucoup de soin et de goût. Au milieu de tempsparticulièrement difficiles, Eudes sut trouver le moyen d'ymettre la dernière main. Par ses vastes proportions et ladélicatesse de son style, cette église prit place parmiles plus belles du royaume. Elle avait plus de centmètres de longueur, et était précédée d'un portiqueouvert à triple baie, au fond duquel se dessinaient lesportes proprement dites de l'église dont les voussuresétaient délicatement sculptées. Un peu à gauche, et endehors de l'édifice, s'élevait une grosse tour à flèche depierre, dite Tour des Cloches, d'où treize cioches, au jourdes grandes solennités, jetaient leurs puissantes harmoniesdans les airs (1).

il} Une tradition appuyée sur des documents historiques très respec-

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Le vaisseau de l'église, en forme de croix latine, se com-posait de trois nefs, d'un transept et d'une abside autourde laquelle rayonnaient des chapelles. Tout au fond, der-rière le choeur, se prolongeait encore la chapelle plus an-cienne de Notre-Dame du Chevet.

Le portail était flanqué de deux tours, restées inachevées.'Au point central de la réunion des deux bras de la croix,

se dressait au-dessus de la toiture, une flèche légère. Lebras septentrional du transept était appuyé à la grotte duRepos de saint Martin, auquel on accédait, de l'intérieurde l'église, par un double escalier, si artistement agencéautour du même noyau, que deux personnes pouvaientmonter et descendre sans se rencontrer (i).

Eudes de Braccoles eut la joie de voir s'achever cettegrande oeuvre, et mourut le 21 semptembre 1312. On luiérigea un magnifique tombeau, dans la chapelle de saintLouis, qui était son ouvrage»

CHAPITRE IX

Jean de Maulêon, successeur d'Eudes de Braccoles,originaire d'une famille du Poitou, fut comme lui bonadministrateur et fidèle gardien de l'observance régulière,persuadé qu'il était d'assurer par là seulement l'avenir de

tables, nous apprend que la crypte que l'on pent voir encore sous latour des cloches, fut creusée d'abord par saint Gatien, pui* agrandie en-suite par saint Martin. (Note de M. Ch. Desmoulins,)

(i) L'architecte principal de cet admirable édifice, se nommait MaitreEtienne (On pense qu'il s'agit ici d'Etienne de Mortagne, le même qui,croit on, b'*lit en partie la cathédrale de Tours). — Ce monument, quisubsistait encore au commencementde ce siècle, n'existe plus aujourd'hui,il n'en reste que quelques débris de murailles, serrant de clôture ; tout lereste a été anéanti, rasé, ou est enfoui sous les décombres.

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-87-la grande abbaye confiée à ses soins. Tantque les religieuxavaient conservé, en effet, leur première ferveur ils.avaientéprouvé la vérité de cette parole: « Cherchez première-ment le royaume de Dieu et rien ne vous manquera »; lesbiens et les domaines leur étaient arrivés de toutes parts,les puissances ecclésiastique et séculière n'avaient cessé deles protéger. Mais dès qu'ils eurent ouvert. la porte au re-lâchement, on les vit en butte à la jalousie et aux persé-cutions de tous, évéques, barons, nobles et roturiers, pourqui leurs richesses étaient devenues un objet de convoi-tise. Comme il était difficile de recourir souvent au tribunalsuprême du Saint-Siège, l'abbé Jean de Mauléon, dans lebut de prévenir des difficultés sans cesse renaissantes,supplia Sa Sainteté de pourvoir à la sécurité de ses relirgieux par quelque moyen efficace. Jean XXII compatit àl'inquiétude des moines, nomma des conservateurs officielsde leurs biens et privilèges, auxquels il donna le pouvoirderéprimer, soit par les censures de l'Eglise, soit même, s'ilétait nécessaire, par le recours au bras séculier, les vio-lences qui seraient encore exercées contre les serviteurs deDieu (1319).

Sous le gouvernement de Jean de Mauléon, eut lieu àParis la fondation de deux collèges dûs à la génér' *té deGeoffroy du Plessis, qui finit ses jours à l'abbaye de Mar-moutier, en qualité de simple moine. Dieu inspira à ceriche gentilhomme de la Touràine, d'entretenir à ses fraisun certain nombre de pauvres écoliers de l'Université deParis, et il créa pour eux l'établissement dit d'abordSaint-Martin du Mont », et dans la suite, « Collège duPlessis ». Le fondateur appela Jean de Mauléon à le di-riger, et pour acquitter envers cet habile maitre sa dette dereconnaissance, il élava dans la capitale une seconde mai.son destinée aux seuls religieux de l'abbaye, et qui s'ap-pela « Collège de Marmoutier » (1828).

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— 88 — -A l'intérieur de son monastère, Jean de Mauléon ren-

contra de grandes difficultés, à la suite de graves contro-verses avec l'un des principaux dignitaires, ce qui créa,fort malheureusement, deux partis dans la communauté;l'Abbé, dans un esprit rie conciliation, se démit de sacharge entre les mains de Simon le Maye qui fut son suc-cesseur (1330). 11 mourut juste un an et un jour après sarenonciation.

Simon le Maye ou le Mage, fut tout à la fois un hommed'église et un homme d'état. Il savait la stricte observancedes règles bien déchue dans la plupart des monastères deFrance, et fit ce qu'il put pour remédierà cette décadence

au moins dans celui dont la charge venait de lui êtreconfiée.

Il y avait, à cette époque, entre l'église du monastère etle coteau de Rougemont, un chemin qui conduisait à Ro-checorbon (1); cet état de choses était fort préjudiciable àl'ordre et à la discipline en ce qu'il laissait le champ libreà tous les gens du dehors. Déjà l'abbé de Mauléon, prédé-

cesseur de Simon, avait entrepris de fermer ce chemin etavait même obtenu du roi des lettres dans ce but, mais lapopulation des environs s'y était opposée si fortement qu'iln'avait pu mettre son projet à exécution, Simon le Mayereprit ce projet et il en vint à tout très heureusement.Le roi lui donna toute autorisation pour cela avec permis-sion de châtier sévèrement ceux qui enfreindraient sonordre ; le chemin fut donc fermé et l'abbaye entièrementclose de murailles.

L'abbé Simon ne s'en tint pas là. il fit achever les por-tiques de l'église, construire le manoir de Rougemont etorner de beaux vitraux la chapelle de Paint Benoit.

Quoique bien décidé à soutenir énergiqucment les droits

d) Ce chemin existe encore en partie aujourd'hui.

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-8o-de son monastère, il ne refusait point, à l'occasion, d'en-trer en accommodements, préférant céder quelque chose

que de recourir à des procès, toujours si dispendieux et sicontraires à la charité religieuse.

La règle bénédictine, qui avait formé tant de saints àl'Eglise était, à cette époque il faut l'avouer, en pleine dé-cadence. Benoit XII, ancien moine de Citeaux, gémissaitde cet état de choses et pour y remédier, il donne l'an 1336,la fameuse Constitution bénédictine, destinée à réformerles abus qui s'étaient glissés dans les monastères de saintBenoit et y rétablir une vie uniforme. Pour mettre ceprojet à exécution, il fallait choisir des hommes pleins dezèle, de force et de prudence. Simon, abbé de Marmoutieret l'abbé de Saint-Florent de Saumur lui parurent propresà ce dessein, et le. pape les nomma commissaires aposto-liques dans les provinces de Tours et de Rouen.

Ceux-ci, afin d'obéir aux ordres reçus, convoquèrentaussitôt un Chapitre général dans l'abbaye de la Couture,

au Mans, où ils donnèrent lecture de la bulle du SouverainPontife à tous les abbés et prieurs des deux provinces ;puis les commissaires parcoururent la contrée pour y rem-plir leur mandat.

Cette mission terminée, Simon eut à faire valoir l'immu-nité de son abbaye contre l'Archevêque de Bordeaux quiprétendait faire la visite de tous les prieurés de Marmou-tier situés dans son diocèse. L'Abbé soutint ses droits avecmodération mais l'affaire traîna en longueur. Sa douceurlui réussit mieux auprès des évéques de Chartres, deMeaux, d'Angers et du Mans, et des archevêques de Tours,de Rouen, de Sens et de Reims, avec lesquels il s'entenditpacifiquement.

Simon de Maye était destiné aux affaires publiques :Philippe VI de Valois ayant besoin d'argent pour soutenirles frais de la guerre de Cent ans qui commençait, jeta les

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— go —

yeux sur l'abbé de Marmoutier pour rétablir les financesdilapidées par les molestations de Pierre des Essarts, etle nomma Intendant des finances, choix qui marque assezen 'juclle estime le tenait le roi de France.

Cette charge était pour lui la porte des honneurs ; peude temps après il fut nommé d'abord évêque de Chartres,en 1357, d'où il pouvait plus facilement se rendre auprès duroi sans s'éloigntr de son diocèse. Du reste, il n'oubliapoint, dans l'épiscopat, sa qualité de moine, et conservaun grand amour pour Marmoutier, où il voulut être en-terré.

De ses mains, l'abbaye était passée entre celles dePierre du /WJ, issu d'une noble famille du Limousin.D'abord abbé de Meymac au diocèse de Limoges, puis abbéde Saint-Florent de Saumur, il fut enfin transféré, en 1352,à Marmoutier par ordre du pape Clément VI.

Les débuts de son gouvernement furent assez paisibles;mais la funeste guerre entre la France et l'Angleterre ap-porta partout le trouble et la confusion. Fiers de leur vic-toire à Poitiers et delà captivité du roi Jean, les Anglaisexercèrent partout d'affreux ravages. Les gens du pays,trop faibles alors pour songer à la résistance, se joignaientparfois à eux pour piller. On n'épargna ni les temples niles monastères et l'impiété portait sa main sacrilège sur leschoses les plus vénérées.

La Touràine ne fut pas exempte de ces scènes de dé-sordre ; on ne voyait partout qu'incendies, dévastations etpillages, à ce point que la conservation de Marmoutierpeut être considérée comme un vrai miracle.

Toutefois, si les Anglais épargnèrent l'abbaye, elle eutbien à souffrir de la part des bourgeois de Tours, qui, s'i-s'imaginant que les moines étaient de connivence avecl'ennemi tournèrent leur fureur contre Marmoutier et sesdépendances. Pierre du Puis eut beaucoup de peine à les

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_ rji ~arrêter et l'intervention de Philippe Blauche, archevêquede Tours, dont il était l'ami intime, lui fut très utile danscette occasion : comme les séditieux en armes étaient pos-tés sur la place de la cathédrale, se disposant à venir delà saccager l'abbaye, l'archevêque, animé de l'esprit deDieu, se présenta sur une galerie au-dessus de la porte de

son palais, revêtu de ses ornementa pontificaux ; il haran-

gua ces furieux et termina en fulminant une excommuni-cation contre tous ceux qui seraient assez hardis pour allertenter quelque entreprise contre le monastère. Ce moyenlui réussit et le peuple craignant d'encourir les foudres del'Eglise, renonça à sa criminelle entreprise.

Une tradition fait mention d'un voyage que l'abbé Pierredu Puis aurait fait à Jérusalem. Mais il n'y a dans ce récitrien de certain. Il mourut à Mannoutieren 1363 après avoirgouverné la basilique pendant environ onze années.

CHAPITRE X

Gérard du Puis, frère du précédent Abbé est le premierde ceux auxquels l'histoire reproche justement d'avoir as-piré aux dignités ecclésiastiques et dissipé à leur profit lesbiens du monastère. C'est ce qu'il fit dès son entrée encharge et cet acte le rendit aussitôt odieux à ses religieuxdont il était craint et redouté. Mis en demeure par Ur-bain V de restituer à son monastère une partie du trésorqu'il lui avait soustrait, il n'en lit rien, et sut même par sascience et ses qualités naturelles, se rendre nécessaire dansla conclusion de plusieurs affaires importantes touchantl'intérêt de l'Eglise. C'est ainsi qu'Urbain. V le chargead'aller en Bretagne afin d'y informer sur la vie et les mi-racles de Charles de Blois dont on poursuivait le procès de

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— 92 -canonisation, et que le nouveau pape, Grégoire IX, succes-seur d'Urbain V, l'envoya en Italie pour y exercer l'officede trésorier du Saint-Siège ; puis il lui conféra peu aprèsle gouvernement de la ville de Pérouse avec le titre deVicaire Général.

Tandis que le Souverain Pontife dor.nait à l'abbé deMarmoutier ces marques de distinction, le roi de France,Charles V, accordait à l'abbaye elle-même une preuvebien remarquable de son affection : renouvelant l'acto desaint Louis qui plaçait le « Grand-Monastère » sous laprotection immédiate de la couronne, Charles V, qui cé-dait à ce moment la Touràine à son frère, le duc d'Anjou,se réserva à lui-même l'abbaye de Marmoutier et tout cequi en dépendait.

Mais les grandes charges sont bien souvent sujettes à degrands ennuis. Gérard du Puis ne tarda pas à l'éprouver,car les Pérusicns se révoltèrent et le tinrent longtemps as-siégé dans son palais. Toutefois, le pape qui connaissaitson expérience, ne laijsa pas que de le récompenser en luienvoyant le chapeau de Cardinal; on ne l'appela plus dèslors que le « Cardinal de Marmoutier ».

La mort du pape Grégoire XI fut, comme on le sait, lesignal d'un lamentable schisme dans l'église. Les Romainsennuyés de l'absence des Pontifes qui, depuis plus desoixante-dix ans, résidaient à Avignon, assiégèrent simul-tanément le Conclave, et les cardinaux effrayés de leursmenaces, élurent l'archevêque de Bari, Urbain VI.

Mais une fois sortis du conclave, ils prétextèrent que laviolence qu'on leur avait faite rendait nulle l'élection etcréèrent un nouveau pape du nom de Clément VIL Urbaincroyant que le Cardinal de Marmoutier y avait pris la plusgrande part, le traita de schismatiqueet lui enleva tous sestitres et bénéfices. Le cardinal qui ne le reconnaissait pointpour pape légitime, se mit fort peu en peine de ses ceu-

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— 93 -sures et se retira à Avignon auprès de Clément VU. C'estlà qu'il mourut en 1389, reconnaissant, mais trop tard, qu'ilr.'était rendu coupable de vraies injustices à l'égard de sonabbaye des bords de la Loire.

Gérard Paute, son successeur, conserva une prédilectionsi marquée pour l'abbaye de Saint-Benoit-sur-Loire, dontil avait été Abbé, que ses nouveaux religieux l'accusèrentauprès du roi de laisser tomber en décadence les bâtimentsde l'abbaye, d'en gaspiller les revenus et de l'endetter. Lebailli de Touràine, ayant vérifié l'état des choses, GérardPaute se vit dans un si grave embarras, qu'il s'empressade solliciter la permission d'échanger son abbaye contrecelle de Saint-Serge d'Angers. Mais comme on était alorsau plus fort du schisme, trois ans se passèrent pendantlesquels Gérard, fort peu soucieux du salut de ses frères,se vit en butte à leurs justes reproches. Six mois aprèsl'autorisation reçue, il mourait dépourvu de tout bénéfice,et si pauvre qu'on put à peine trouver chez lui de quoil'ensevelir.

Elle (fAngoulètue, abbé de Saint-Serge d'Angers, étaitdevenu abbé de Marmoutier par suite de sa permutationavec Gérard Paute (1399). Comme la communauté n'avaiteu aucune part à son élection, il fut reçu avec froideur, etne sut malheureusement pas racheter ce discrédit par lasagesse d'une bonne administration.

Telle avait été d'ailleurs la négligence de ses prédéces-seurs, que l'église se trouva bientôt dépourvued'ornementsconvenables pour célébrer le service divin avec la pompeet la majesté qui y avaient paru jusque là. En sorte que lemonastère, se voyant dans l'impossibilité de faire face à denouvelles dépenses, se vit obligé, dans un Chapitre gé-néral tenu en 1407, à lever >inc taxe sur tous les prieurésde sa dépendance. Le pape Alexandre V voulut bien con-firmer cette ordonnance par une bulle spéciale.

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Après vingt-quatre ans de charge, l'abbé Elie obtint derentrer à Saint-Serge. Dieu y toucha si bien son coeur qu'ilpleura ses fautes et mourut de la manière la plus édi-fiante.

Guide Luro, abbé de Saint-Serge, devint à son tourabbé de Marmoutier par l'effet de ce cette permutation. Ilétait neveu de Gérard Paute, mais il n'hérita pas de sesdéfauts ; bon administrateur, il eut la gloire de conserverla paix et la charité dans son monastère au milieu d'untemps de guerres et de troubles occasionnés par la domi-nation des Anglais.

Obligé de sertir de son cloître et de séjourner longtempsà Tours, il sut malgré son absence entretenir l'unionparmi les frères, gouverner de loin son abbaye avec uneextrême prudence, en sorte qu'il gagna l'affection de tous ;il trouva moyen de payer toutes les dettes, d'augmenterles revenus de son monastère, dont il releva quelques bâti-ments et de nourrir quantité de pauvres; compatissant àtoutes leurs privations, il les soulageait avec une tendressevraiment paternelle qui lui attira les bénédictions du ciel.Homme de science et plein de sagesse, il joignait à tousles talents que Dieu lui avait confiés, une humilité profonde;ennemi du faste et de l'orgueil, il traitait avec tous commeavec des égaux, mais il savait pourtant, quand il le fallait,tenir son rang avec une intrépide fermeté.

L'an 1417 fut témoin de l'entrevue d'Isabeau de Bavièreet du duc de Bourgogne qui décida le départ de la reinepour Joigny.

Après quatorze années de gouvernement, l'abbé Gui

mourut à Tours (19 octobre 1426) ; son corps fut rapportédans son monastère et enterré dans l'église.

L'élection lui donna pour successeur Pierre Marques,frère de Michel Marques, secrétaire du roi. Malgré la sageadministration de l'abbé Gui de Luro, les guerres san-

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— 95 -glantes avaient eu de si funestes résultat pour l'abbaye deMarmoutier, que faute de ressources, il fallut réduire lenombre de ses religieux et abandonner le service divin.

Pierre Marques pour obvier autant que possible à cetétat de choses, suppléa Martin V d'ajouter à la mense deMarmoutier celle de Saint-Magloire de l.chon; mais l'en-quête ordonnée par le pape à ce sujet n'ayant pas eu lerésultat désiré, tout ce que l'Abbé put obtenir, ce fut uneconfirmation nouvelle «les privilèges accordés à l'abbayejusqu'à ce jour par les Souverains Pontifes. C'est au milieude si graves perplexités que Pierre Marques mourut le

4 août 1453.

CHAPITRE XI

La mort de Pierre Marques arriva quand déjà lestemps étaient redevenus meilleurs : l'unité s'était re-constituée dans l'Eglise*, et la mission providentiellede Jeanne d'Arc avait rendu la France à son sou-verain légitime. Aussi la joie présida-t-elle à l'instal-lation de Gui Vigier qui se rendit aussitôt à Rome pour yfaire confirmer son élection. Cette même année eut lieu àTours la translation solennelle des reliques de saint Mar-tin ; cette fête, à laquelle Gui Vigier prit une grande part,attira dans la ville un concours nombreux de princes,d'évêques, d'abbés et de seigneurs.

Le nouvel élu, dont on vantait les qualités, était malheu-reusement ambitieux et a\ ide de bénéfices ; non content deréunir à son abbaye plusieurs prieurés dont les revenus,disait-il, lui étaient indispensables, il obtint du pape ladignité épiscopale et se fit nommer à l'évêché de Byblis enPhénicie. Craignant toutefois de ne pouvoir conserver si-

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-96-multanémentces deux charges, il se démit de l'abbaye deMarmoutier, et pria le Souverain Pontife de l'adjuger à sonneveu, Gui Vigier, prieur de Chemillé, ce qu'il obtint

encore. Cependant, vers la fin de ses jours, le remords sesaisit de son âme ; il recourut au pape Paul pour obtenirl'absolution des censures qu'il craignait avoir méritées, etmourut dans le repentir. C'est à Marmoutier qu'il reçut lesderniers honneurs de la sépulture.

Le 11 septembre 1458, Gui Vigier le Jeune prenait pos-session de l'abbaye, et trois ans après, Louis XI étant monté

sur lé trône de France, l'abbé de Marmoutieralla lui prêterserment de fidélité à Amboise.

De retour dans son monastère, il s'appliqua à en recons-tituer les revenus considérablement diminués par les der-nières guerres. Son zèle fut récompensé, il parvint à sonbut, et fit faire, par reconnaissance, deux magnifiqueschâsses d'argent pour y renfermer les nombreuses reliques

que possédait l'abbaye.Charles VIII ayant succédé à Louis XI, l'abbé de Mar-

moutier prêta serment de fidélité au nouveau monarque etassista comme député de la province de Touràine auxEtats Généraux que le prince avait convoquésà Tours ; ons'y occupa des moyens à prendre pour réformer certainsdésordres qui s'étaient introduits dans les ordres religieux,et notamment dans celui de Saint-Benoît.

Un peu plus tard, nous voyons l'abbé de Marmoutier àRome, puis à Jérusalem, où, avec la permission du SaintPontife, il était allé satisfaire sa dévotion. 11 rentra ensuitedans sa communauté qu'il administra pendant quaranteans.

Bien que l'observance régulière laissât fort à désirer dansles couvents à cette époque, il s'y rencontrait parfoisencore des hommes distingués par la science et la vertu.De ce nombre fut P. Binet, grand prieur du monastère, qui

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après deux années de sa vie mondaine dans le cloî-tre, fut si touché de la grâce de Dieu, qu'étant allé yjsitersaint François de Paule à Plessis-lès-Tours, il se convertit,donna sa démission de grand prieur de Marmoutier etentra dans l'ordre des Minimes dont il devint le premierGénéral.

Louis Pot, déjà abbé de Saint-Laumer, évêque de Tour-na)' et de Lectcure accepta encore l'abbaye de Marmoutierdont le titre était devenu vacant par le décès de GuiVigier. Intelligent et entendu aux affaires, il administrasagement ses nombreux bénéfices ; mais il aurait mieuxfait, selon les canons de l'Eglise, de n'en posséder qu'unseul.

François Sforce, son successeur, appartenait à l'illustremaison du duc de Milan. Mais noblesse ne fait pas vertu,et il lui eût été préférable de rester dans le monde qued'entrer dans le cloître.

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-ré-mois, On crut ensuite donner plus d'autorité à ce dernier

en lui conférant les ordres sacrés, mais des grâces de sihaut prix ne le rendirent ni plus sérieux ni meilleur. 11 nepensait qu'à se divertir et à oublier dans le plaisir les cha-grins que la mauvaise fortune lui avait causés.

Une pareille conduite ne pouvait manquer d'avoir sonchâtiment. Le saint jour de Noël, tandis qu'au lieu d'assis-ter aux offices avec ses religieux il était parti pour lachasse, il voulut aiguillonner son cheval pour lui faire sau-ter un fossé, mais violemment renversé à lerre, il expiraquelques instants après. Cet accident arriva près de Meslayle 25 décembre 1511. On rapporta le corps de l'infortunéprince à Marmoutieor où on lui fit de pompeuses funé-railles. Mais ce n'était là, hélas, qu'un vain éclat exté-rieur.

Heureusement qu'avec son successeur, Mathieu Gautier,on vit refleurir la piété particulièrement requise dansl'éminente charge d'Abbé. Tous les religieux s'étaient ré-unis dans l'église pour procéder à la nouvelle élection,lorsque l'un d'entre eux, providentiellement inspiré se levaet étendant les mains vers le ciel il proclama bien hautque, pour lui, il élisait comme Abbé, Mathieu Gautier,prieur de Saint-Martin du Val. Ce vote fut unanimementconfirmé par les suffrages des autres religieux, et MathieuGautier déclaré canoniquement élu par voie d'inspirationdivine.

Ce choix excellent reçut bientôt l'approbation du papeet fut très agréable au roi. La régularité de la disciplineet l'esprit religieux refleurirent à Marmoutier dans une cer-taine mesure. Aussi, Charles de Billy, abbé de Saint-Faronde Meux, ayant conçu la pensée de réformerson monastère,pria-t-il l'abbé Gautier de lui envoyer quelques-uns de sesmeilleurs religieux.

En même temps que l'édifice spirituel reprenait un nou-

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veau lustre à Marmoutier ; on s'occupait également d'em-bellir encore l'édifice matériel. L'église fut restaurée, et c'estde cette époque 1526, que datait la construction d'un Jubédont le travail était, paraît-il, d'un prix inestimable. Il futdétruit à la Révolution.

Le nouvel Abbé pourvut de plus l'église de magnifiques

vases sacrés et s'appliqua à rendre honneur aux reliquesdes saints. Mais c'est surtout envers sainte Anne qu'éclatasa dévotion. Il fit célébrer sa fête avec la même solennitéque celle de saint Martin, et ayant obtenu de l'église deN.-D. de la Gayc, au diocèse de Troyes, qui possédait lechef de cette grande sainte, une portion de l'insigne re-lique, il fit construire une chapelle spéciale pour la recevoiret voulut y être enterré.

Un acte étrange marqua le gouvernement si sage deMathieu Gautier : par un traité conclu avec Philippeliuraut, abbé de Bourgueil (1536), il lui céda son abbayede Marmoutier, tandis que Philippe, en compensation, luiabandonnait un certain nombre de prieurés pour en toucherles revenus, et lui laissait sa vie durant la collation de tousles bénéfices dépendant de Marmoutier (t).

Enfin l'année suivante, l'évôché de Négrepont étant venuà vaquer, le pape Paul III le donna à Mathieu Gautier, etlui permit de garder en même temps ses autres bénéfices.L'évêque de Négrepont vécut jusqu'en 1552 et mourut danssa maison abbatiale de Loroux, d'où son corps fut rap-porté à Marmoutier et enterré selon son désir dans iachapelle de Sainte-Anne. On lui éleva un tombeau d'unearchitecture simple et noble, sur lequel était gravée cetteépitaphe :

« Ci-gît Rcv. Père en Dieu, Mathieu Gautier, évêque de

dj Ces sortes de mutations devenaient de plus en plus fréquentes etdevaient avoir des conséquences funestes.

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Négrepont, jadis r.bbé de céans, lequel décéda le 15 juilletde l'an 1553, âgé de quatre-vingt-cinq ans. »

Philippe Huraut, pourvu déjà des abbayes de Saint-Nicolas d'Angers et de Bourgueil sans compter un certainnombre de prieurés, ne se contenta point de ce qu'il pos-sédait, mais faisant taire tout scrupule de conscience, il

avait accepté, comme nous l'avons vu, l'abbaye de Mar-moutier. 11 ne la posséda pas longtemps, et mourut à Parisle 15 novembre 1539. Selon quelques-uns, il aurait été em-poisonné; cette mort pourrait bien avoir été le châtimentdu soin qu'il mit toujours à s'acquérir les biens de la terre.On le compté pour le dernier abbé régulier de Marmou-tier.

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TROISIÈME PÉRIODE

DEPUIS L'INSTITUTION DES ABBÉS COMMENDATAIRtSJUSQU'A LA RÉVOLUTION

ET LA RUINE DU MONASTÈRE (1540-1797)

CHAPITRE PREMIER

C'est vers le milieu du XVI* siècle que la grande abbayepassa à son tour sous le régime des Abbés commenda-taircs (1); cette innovation désastreuse devait y encouragerun relâchement et un désordre que les protestants viendrontencore aggraver. Il faudra atteindre iadatedusainl concilede Trente pour assister à l'oeuvre importante de la réformemonastique.

Le premier abbé commendataire de Marmoutier fut leCardinal Jean de Lorraine. Il n'avait que dix ans lorsqu'ilfut nommé évêque de Metz; sept ans après il joignait à cetévêché ceux de Toul et de Boulogne. Créé alors cardinalpar Léon X, il devint de plus archevêque de Narbonne, et

(i) On désignait sous le nom de Commende un bénéfice que le papeconférait à un ecclésiastique nommé par le roi.

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successivement encore évêque de Valence, de Verdun, deLuçon, abbé de Fécamp, de Cluny, administrateur del'archevêché de Reims, évêque d'Alby, archevêque deLyon, et enfin abbé de Marmoutier. On se demande sijamais homme a cumulé sur sa tête un plus grand nombrede titres et de bénéfices.

Ce fut le 26 avril 1540, près de six mois après la mort dePhilippe Huraut que le cardinal prit possession par pro-cureur de l'abbaye de Marmoutier. Un abus en appelle unautre : le cardinal de Lorraine, imitant des exemplesdonnés avant lui, distribua quelques uns de ses prieurés àplusieurs de ses gens qui en absorbèrent bientôt tous les

revenus au détriment de l'abbaye dont ces monastères dé-pendaient. Alors on vit se produire un gaspillage universeldes biens de la communauté, et les moines parfois réduits àune extrême disette. Qu'on était loin alors de l'époque flo-rissante et bénie d'un Hervé de Villepreux ou d'un Geoffroyde Coursol I

Le Cardinal de Lorraine mourut en 1550 et eut pour suc-cesseur son neveu Charles de Lorraine.

Dieu qui voulait faire de celui-ci un des ornements deson Eglise, lui donna les talents dignes de sa naissance etdes dignités que lui réservait l'avenir; un esprit vif et pé-nétrant, un naturel doux et bon, des inclinations pour lavertu, un grand amour pour les sciences et les gens delettres ; l'air de la cour ne le corrompit pas, et par sa hautesagesse et ses vertus rccommandables il s'attira l'admi-ration universelle.

Archevêque de Reims depuis l'âge de seize ans, créécardinal en 1547 par le pape Paul III, pourvu des abbayesde Marmoutier, de Saint-Denis, de Cluny, de Fécamp, deSaint-Remy de Reims, et de plusieurs autres encore, il futemployé dans toutes les grandes affaires de l'Etat, et eutl'honneur de sacrer successivement les rois Henri If, Fran-

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çois II et Charles IX. Adversaire déclaré des Huguenots il

se fil particulièrement remarquerau Concile de Trente; sansreproche dans sa conduite privée, il portait le cilice etjeûnait deux fois par semaine, et avec cela, prêchait sou-vent et remplissait.dignement tous les devoirsde sa chargeépiscopale.

Tel était le cardinal Charles de Lorraine. Il ne négligeapas Marmoutier et s'appliqua tout au contraire à y main-tenir la régularité de la discipline, mais il ne put empêcherl'invasion désastreuse qu'y firent les protestants en 1562 etque Dieu permit sans doute, pour servir de leçon aux reli-gieux et les punir de leur relâchement. On aurait peine àse faire une idée du vandalisme sacrilège exercé par cesfanatiques impies, si les faits n'étaient malheureusement làpour en fournir les preuves ; l'abbaye fut pillée de fond enen comble ; tous les ornements et les vases sacrés de l'églisefurent emportés ; les orgues démolies, les vitraux défoncés,les sculptures brisées, les corps saintset les reliques insignesbrûlés par ordre du chef de ces forcenés, le comte de laRochefoucauld, qui avait déjà livré aux flammes le corpsde saint Martin. En un mot, les huguenots saccagèrent toutce qui avait principalement un caractère plus sacré et dé-truisirent en un moment l'oeuvre de plusieurs siècles pours'enrichir indignementdes trésors offerts par les fidèles àDieu et à ses serviteurs.

Cette lamentable tragédie dura plus de trois mois, jus-qu'à ce qu'enfin le duc de Montpcnsier s'étant rendu maîtrede la ville de Tours, chassa les séditieux et rétablit l'ordre.Les moines, obligés de chercher un asile hors du cloître yrentrèrent alors et s'efforcèrent de recueillir les rares débriséchappés au naufrage, grâce à la présence de quelquesvieux moines qui avaient refusé de suivre leurs frères auloin. C'est à grand'peine qu'on parvint à trouver quelquesreliquaires, un certain nombie de vases sacrés et d'orne*

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ments, ainsi que la sainte Ampoule (i) qui avait été heureu-sement mise en dépôt chez un notaire. Pour prévenir denouveaux pillages, on eut soin de confier ce qui restaitde l'argenterie du monastère à un particulier, de la probitéduquel on était sûr. Il scella dans une fenêtre le trésor quiy demeura caché pendant deux ans.

Lorsque le cardinal Charles de Lorraine eut apprb lanouvelle de ce désastre, il s'efforça de pourvoir à la sub-sistance de ses religieux; mais tout occupé des grandes af-faires de l'Eglise et de l'Etat, il prit le parti de résignerson abbaye entre les mains de Jean de la Rochefoucauld,

son proto-notaire apostolique et frère de ce comte de laRochefoucauld qui avait pris une si grande part au pillagedu monastère. 11 ne pouvait jeter les yeux sur un hommeplus capable de mener à bonne fin la tâche qui lui étaitconfiée. Le cardinal de Lorraine, survécut plus de dix ansà cette résignation, et après avoir accompli plusieursgrandes actions qui appartiennent à l'histoire générale dela France, il mourut à Avignon en 1574.

Le nouvel Abbé n'eut pas plus tôt pris possession de sonbénéfice (1563) qu'il s'appliqua avec zèle à en réparer lesruines et à lui rendre au moins une partie de son ancienlustre. Il fit faire un inventaire de ce qui restait du trésor,pourvut l'église de tout ce qui lui manquait, et craignantde nouveaux troubles, il ordonna que tout fut porté momen-tanément au château d'Amboise comme en un lieu parfai-tement à l'abri des tentatives des perturbateurs.

La mort du roi Charles IX fit, en effet, renaître lestroubles ; les seigneurs recommencèrent à lever la tête, et

(t) La Sainte Ampoule était une fiole miraculeuse apportée, dit-on, duciel par un ange à saint Martin un jour où le Thaumaturge avait étéprécipité par le démon du haut d'un escalier. Le messager divin oignitles membres fracturés avec ce baume précieux et les blessures del'Eve ,ue furent guéries.

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- 105 -les moines eflrayés, prescrivitent des processions trois fois

par semaine, pour apaiser la colère de Dieu.Un des événements les plus importants survenus à Mar-

moutier sous l'abbé de la Rochefoucauld, fut l'érection dela congrégation gallicane des Bénédictins, autrement ap-pelée Congrégation des Exempts. En voici l'origine : LeConcile de Trente avait prescrit aux divers monastèressoustraits par privilège à la juridiction des Evéques et im-médiats du Saint Siège ou bien de s'unir en congrégation,ou bien de se soumettre aux Evéques dans le diocèse des-quels ils étaient situés. L'assemblée des Etats tenue à Blois

en 1569, renouvela cette ordonnance et le grand prieur deMarmoutier se mit en devoir d'y satisfaire. Il écrivit pourcela à un certain nombre de monastères de France les in-vitant à envoyer quelques-uns de leurs religieux au Cha-pitre général qui devait se tenir à Marmoutier en 1580,afin qu'on pût concerter ensemble les mesures à prendrepour s'unir en congrégation. Les députés après être re-tournés dans leurs communautés respectives, pour y faireleur rapport, se retrouvèrent au bout de quelques semaines

non plus à l'abbaye de Marmoutier, mais au prieuré deLévière (1) dépendant de l'abbaye de Vendôme. Là, aprèsla célébration de la messe du Saint-Esprit, les différentsmonastères, par l'agence de leurs représentants, consen-tirent à s'unir en congrégation sans pourtant se donner au-torité les uns sur ,les autres, et promirent respect et sou-mission au général et aux provinciaux qui seraient élus

pour visiter chaque province. Les députés emportèrentcopie des statuts dans chacune de leurs maisons où aprèsavoir été revus, l'on convint, d'une dernière réunion à Ven-

(1) Probablementl'Esvièr*, aujourd'hui maison dépendant de l'évcchéd'Angers.

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dôme où ils seraient approuvés au nom de toute la congré-gation.

Grâce à la mauvaise volonté du Cardinal de la Chambre,Abbé commendataire de Vendôme, cette assemblée se tintnon pas dans la villequiavait été fixée,maisà Lancey. dépen-dant de Marmoutier. On y fit l'élection du Général et dessix visiteurs ; et la congrégation, à laquelle s'unirent bientôtde nouveaux monastères, fut divisée en six provinces. Acelle de Touràine, qui nous intéresse spécialement, appar-tenaient les monastères de Marmoutier, de Redon, deSainte-Mélaine de Rennes, de Saint-Gildas de Ruis, deSaint-Gildas des Bois, de Blanche Couronne, de Sainte-Croix de Quimperlé, du Tronchet, de la Chaume, de Lan-devenec, de Latenac et de Lehon. — Les autres provincesétaient celles de Sens, de Bourges, de Lyon, d'Aquitaineet de Toulouse.

Le 26 mai 1583, l'abbé Jean de la Rochefoucauld, mou-rait à son château de Vertuel, au diocèse de Poitiers,mais il fut enterré à Marmoutier où on lui fit des obsèquesmagnifiques.

Tous les religieux, précédés de deux cents pauvreset tenant à la main des torches aux armes du défunt,allèrent faire la levée du corps en l'église de Saint-Sym-phorien des Ponts. A leur entrée dans l'église abbatiale deMarmoutier, ils trouvèrent les chanoines de Saint-Gatienet de Saint-Martin déjà réunis pour la cérémonie, aprèslaquelle le corps de l'Abbé fut descendu dans un des ca-veaux de l'église, et pendant toute la semaine, les deuxChapitres de la ville et chacun des Ordres mendiants vinrentchanter une grand'messe à Marmoutier pour le repos deson âme.

Tous s'accordent à rendre cette justice à Jean de la Ro-chefoucauld que, en dépit de son titre d'Abbé commen-dataire, il vécut avec ses religieux comme un véritable

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régulier, et eut toujours pour eux la tendresse d'un père.Plein de charité et de miséricorde, il fit beaucoup de bien

aux pauvres et aux orphelins. Il visitait lui-même les ma-lades et les prisonniers et accomplit encore une infinitéd'autres bonnes oeuvres qui ont fait bénir sa mémoire.

Comme à cette malheureuse époque, la faveur était pourbeaucoup dans la distribution et la collation des bénéfices,Jacques d'Avrily obtint l'abbaye de Marmoutier à la mortde Jean de la Rochefoucauld. Il n'avait d'autre mérite qued'être frère d'un favori du duc François de Valois (i), etsoutint son rang pendant la vie de son protecteur. Mais àla mort de celui-ci, l'Abbé commendataire résigna son ab-baye entre les mains du cardinal de Joyeuse, moyennantune pension de 2.000 écus prélevés sur les revenus de Mar-moutier.

CHAPITRE II

François de Joyeuse, de l'illustre maison c ce :tO'>

n'était pas seulement un grand seigneur, c'était encore unsavant. Reçu fort jeune docteur en Sorbonne, il fut pourvu

«à vingt-deux ans de l'archevêché de Narbonne, et deux ansaprès créé cardinal parle pape Grégoire XIII. Pour pouvoirsoutenir sa dignité, il devint titulaire de plusieurs grosbénéfices parmi lesquels se trouvait l'abbaye de Marmou-tier. Il avait alors vingt-cinq ans. C'est lui qui, comme donde bienvenue, fit bâtir la chapelle du logis abbatial deRougemont.

Cependant ses moines qui ne supportaient qu'avec peinede faire partie de la Congrégation gallicane, voulurent pro-

(1) F. de Valois était frère de Henri III.

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fiter du crédit de leur Abbé pour obtenir d'en être séparés.Ils lui représentèrentdonc que leur Abbaye étant un chefd'ordre, ne pouvait être soumise à cette congrégation sansdéroger à ce titre illustre et sans perdre ses privilèges. Lecardinal se rendit à leurs observations et reçut du roi deslettres patentes qui détachaient Marmoutier de la Congré-gation gallicane. Mais les supérieursvicaires ayant déclaréque leurs visites n'avaient pas d'autre but que la correctiondes moeurs et l'observance des règles, les religieux deMarmoutier furent obligés, malgré eux, de subir le pré-tendu joug qu'ils avaient voulu secouer.

Se tournant alors d'un autre côté, ils adressèrent au roiune humble requête au sujet des commendes dont ils fai-saient voir avec raison les dangers et les abus et lui de-mandèrent d'apporter à ce mal le remède convenable, enrétablissant la régularité des charges dans les cloîtres.

Ces réclamations si justes qu'elles fussent n'aboutirentpas, le roi Henri III étant venu à mourir sur ces entrefaites.11 eut pour successeur Henri IV. Celui-ci, après avoirabjuré l'hérésie, se fit sacrer à Chartres (1594) ; et commela ville de Reims, où était conservée la Sainte-Ampouletenait encore pour la Ligue, on recourut à celle de Mar-moutier dont l'origine était égalementcéleste.

Le lieutenant-général du roi en Touràine, M. de Souvré,accompagné du maire et des échevins de la ville de Toursse présenta au monastère le 29 janvier 1594, pour y de-mander la précieuse relique. Après que tous l'eurent baiséeavec respect, on la porta solennellement en l'église cathé-drale, où elle fut reçue par le doyen et les chanoines tousrevêtus de la chape et déposée sur l'autel.

Le jour suivant, eut lieu une procession générale pour latransporter de l'église cathédrale en la basilique de Saint-Martin. A cet effet, les religieux de Marmoutier se ren-dirent dès le malin à Saint-Gatien où se trouvèrent égale-

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ment ceux de Saint-Julien, tous les curés de la ville et lesquatre Ordres mendiants. Puis la procession se mit enmarche. A Saint-Martin, la messe fut chantée en musiqueet célébrée par un chanoine de Saint-Gatien, après quoi ony laissa la Sainte-Ampoule en dépôt jusqu'au jour fixé pourle départ.

Ce fut le 14 février que la députation se mit en route ;

mats auparavant, le Lieutenant-Général promit publique-ment, sur sa personne et ses biens, qu'il rendrait au « Grand-Monastère » le trésor qu'on lui réclamait en ce jour. Alorsseulement, on enleva la Sainte-Ampoule de la basilique eton la porta, toujours avec une grande soVnnité, en l'égliseSaint-Symphorien, à l'extrémité des ponts de Tours, oùelle fut gardée par quatre religieux. Le 17, la députationarriva à Vendôme, où l'huile sainte fut reçue avec le mêmecérémonial par les moines de l'abbaye de la Trinité, quilui donnèrent asile dans l'armoire dite de la Sainte-Larme,dont, par honneur, on confia la clef à un religieux de Mar-moutier. Le 19, on était enfin à Chartres.

A la porte appelée des Epars, uno multitude de comteset de barons, au milieu desquels se voyait l'évêque d'An-gers, les religieux de Saint-Père en Vallée, les chanoinesde Chartres et le clergé des sept paroisses de la ville, firentcortège à la [sainte relique jusqu'en l'église Saint-Père enVallée (1), au son de toutes les cloches. Partout sur le

passage, les rues étaient tendues comme pour la processiondu Saint-Sacrement. Ce fut le 27 février qu'eut lieu la cé-rémonie du sacre. Ce jour-là, on vint chercher la Sainte-Ampoule à Saint-Père, pour la transporter à la cathédralede Notre-Dame; mais ici encore, les trois religieux qui enétaient constitués gardiens, ne consentirent à la livrer

(1) Saint-Père ou Saint-Pierre, aujourd'hui une des églises paroissialesde Chartres.

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qu'après que les envoyés du roi, eurent promis, sous la foidu serment, et sur les saints Evangiles, de la leur rendreaprès la cérémonie. Quatre notables furent, à cet effet,laissés dans le monastère en otages. La Sainte-Ampouleétait portée par un moine en aube, monté sur une haquenéeblanche, sous un dais de même couleur, semé de fleurs delis d'or. A la porte de la cathédrale, elle fut remise entreles mains de l'évêque de Chartres, Nicolas de Thou, quidevait faire couler le saint Chrême sur la tête du roi ré-cemment converti. En souvenir de ce jour, Henri IV fit donà l'abbaye d'une très belle émeraude, enchâssée dans unanneau d'or.

Telte fut cette mémoiable translation dont les détailsprouvent le haut prix qu'on attachait alors à la Sainte-Ampoule. Nous ne décrirons pas ie retour. Notons seule-ment qu'avant d'être réintégrée à Marmoutier, l'insignerelique fut déposée en l'église Saint-Pierre-des-Corps puisportée, toujours avec les marques du plus profond respect,à la cathédrale où la messe fut chantée comme la premièrefois. Après quoi, les chanoines et tout le clergé réuni dela ville la reconduisirentprocessionnellement jusqu'à l'églisede Saint-Symphorien. Là enfin, les moines religieux deMarmoutier reprirent seuls la route du monastère (i).

Cependant le riche patrimoine du Cardinal de Joyeuse

ne suffisait pas à soutenir son luxe et ses prodigalités ex-cessives; il se saisit donc à plusieurs reprises des biens de

son abbaye, au grand préjudice de ses religieux, et au lieude répondre aux justes remontrances que ceux-ci lui pré-sentèrent avec humilité, le cardinal fit dresser à leur insu

(i) Au xvir» siècle, on possédait encore la Sainte-Ampoule à Marmou.lier. En 1791, aux approches de la Révolution, les députés du dépar-tement d'Indre-et-Loire, en firent hommage au roi Louis XVI. On ignorece qu'elle est devenue depuis cette époque. Chalmel, dans son histoirede Touràine, dit qu'elle fut brisée en 1793.

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des baux à ferme des revenus de Marmoutier. Ils s'adres-sèrent alors aux Maîtres des requêtes royaux et obtinrentque désormais le Cardinal ne ferait plus aucun bail que deconcert avec le Chapitre de Marmoutier, selon l'anciennecoutume, et qu'il s'engagerait à leur fournir, sur les reve-nus de l'abbaye, tout ce qui leur serait ^nécessaire pour lanourriture et le vêtement.

Deux ans après, le cardinal lui-même vint passer les fêtesde Pâques à Marmoutier. Il officia le jour de la solennitéet prit son repas au réfectoire avec les moines. Mais com-bien étaient tombées en désuétude les austères observancesde la règle de saint Benoît.

Pourtant au milieu du relâchement universel, il se ren-rencontra encore à Marmoutier un petit nombre d'âmesqui avaient conservé la ferveur primitive et dont les aspi-rations généreuses donnèrent naissance à la Société dite deBretagne. Six religieux, voyant le peu de succès obtenupar l'érection de la Congrégation gallicane, dont les statutsd'ailleurs étaient fréquemmentviolés,se résolurentàadopterune véritable réforme. Dans ce but, ils vinrent trouver leR. P. Dom Isaïe Jaunay, général de la congrégation, quise trouvait alors à Marmoutier, et le supplièrent d'approu-ver et de favoriser le simple dessein qu'ils avaient conçud'accomplir fidèlement des voeux prononcés à la face desautels, d'observer exactement tous les points de la règle desaint Benoit et d'expier enfin, par une sérieuse pénitenceles fautes qu'ils avaient pu commettre en la violant. Ils luidemandèrent pour cela la permission de se séparer de lacommunauté, afin de pouvoir mettre à exécution leurprojet, et pratiquer entre eux les exercices de la vie ré-gulière.

Cette requête eut tout l'effet qu'ils pouvaient en attendre.Dom Isaïe Jaunay qui avait jadis fait son noviciat à Mar-moutier et qui unissait à une science profonde une émi-

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nente vertu, leur accorda la permission demandée et eutmême la pensée de se joindre à eux.

Les six religieux, dont l'histoire a conservé les noms, seretirèrent dans les bâtiments de l'infirmerie qui leur servitde monastère, tandis que la chapelle de saint Benoit leurtenait lieu d'église et la salle saint Benoit de réfectoire.Là ils commencèrent à mener une vie angélique, tropsainte pour ne pas exciter la haine des malins esprits et lajalousie de ceux qui n'avaient ni le désir ni le courage deles imiter. Aussi les persécutions dont ils devinrentbientôtl'objet, leur firent-elles comprendre que le séjour de Mar-moutier était devenu impossible pour eux.

Loin de se décourager, ils envoyèrent des députés àHenri IV pour le supplier de favoriser leur pieuse entre-prise et de leur octroyer un monastère dans son royaume,où ils pourraient sans entraves mettre leur projet à exé-cution. Le prince leur fit un accueil digne de sa bonté etleur désigna le prieuré de Lehon, près de Dinan, en Bre-

tagne. Le site était des plus sauvages et les bâtiments enpartie ruinés. Mais cette perspective ne fit pas peur à deshommes déterminés et pleins de l'esprit de Dieu. Ils ob-tinrent facilement du grand prieur et des moines de Mar-moutier, dont ce prieuré dépendait, la permission de s'yétablir et les six moinesréformés s'éloignèrentde leur chèreabbaye, non sans jeter un dernier regard plein de tristessesur les murs qu'ils abandonnaient et qui jadis avaient ren-fermé tant de sainteté et de vertu !

A Lehon, nouvelle difficulté : malgré les ordres reçus,les religieux qui habitaient encore le prieuré, firent degrandes difficultés pour l'abandonner ; l'un d'entre eux, quiportait le titre de recteur de la paroisse n'y voulut jamaisconsentir et mit tout en oeuvre pour soulever contre les

nouveaux venus le grand prieur de Marmoutier et sesfrères. Il fallut que le général de la Congrégationgallicane

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en vint à excommunier l'indigne recteur de Lehon, quifinit par se soumettre et mourut peu de temps après.

Les oeuvres de Dieu ne s'affermissentque par la contra-diction ; celle-ci en est une nouvelle preuve ; la régularitéet la ferveur se développèrent sans entraves dans le monas-tère réformé sous la conduite du R. P. Dom Noël Mars,jadis élève du collège de Marmoutier à Paris, homme degrand mérite et d'une éminente sainteté, qui reçut le titrede prieur.

Le Général de la Congrégation gallicane, Dom IsaïeJaunay, vint quelque temps après à Lehon et tous les reli-gieux renouvelèrent leurs voeux entre ses mains. Puis ildressa pour eux des constitutions qui furent approuvéesl'année suivante par l'illustre cardinal de Sourdis, arche-vêque de Bcrdeaux, auquel le pape avait donné commis-sion de travailler à la réforme de l'ordre de saint Benoit.Le R. P. Jaunay, avant de partir, établit le P. Noël Mars

son vicaire-général en Bretagne et lui donna toute autoritépour visiter et réformer les monastères de l'ordre danstoute l'étendue de la province. La réforme du monastèredu Tronchet, qui s'accomplit peu de temps après, et sonunion avec celui de Lehon, donnèrent naissance à ce qu'onappela la Société de Bretagne, qui prit bientôt un réel ac-croissement et qui exerça dans toute la région une influencedes plus salutaires (i).

Ainsi, ce fut cet essaim sorti de Marmoutier qui eut lagloire d'accomplir cette belle oeuvre de régénération, aumoins partielle.

Les derniers événements survenus sous le gouvernementdu cardinal de Joyeuse ont trait à l'établissement de deux

* 1} La Société de Bretagne parvint à faire refleurir la régularité dan<six monastères, et eut le rare mérite de ne s'être jamais relâchée de s.-»

première ferveur.8

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communautés religieuses l'une à Tours, l'autre à Paris,auxquelles l'abbaye de Marmoutier concéda des terrainsqui lui appartenaient. Ce furent d'abord des RR. PP.Capucins qui demandèrent et obtinrent le lieu dit « Saint-Nicolas » sur la paroisse Saint-Symphorien, à Tours (i);puis les Caimélites qui s'établirent au prieuré de Notre-Dame des Champs, à Paris. Ainsi comme par un châtimentde Dieu, de nouveaux ordres religieux tendaient à rem-placer peu à peu celui de Saint Benoit déchu presquepartout de sa première ferveur.

L'année suivante, le cardinal de Joyeuse permuta sonabbaye de Marmoutier pour l'archevêché de Rouen. Il eutbien quelque peine à s'y résoudre, mais il ne voulut pointaller contre la volonté du roi. Nous le voyons en 1610, cou-ronner à Saint-Denys, la reine Marie de Médicis, donnerplus tard la confirmation au dauphin Louis XIII et enfin le

sacrer à Reims. La pluralité des bénéfices qu'il avait pos-sédés, inspirant des inquiétudes à sa conscience, il se défitde tous avant sa mort et s'appliqua à faire de bonnes

oeuvres. C'était un bel exemple pour ce temps. Du reste,le cardinal de Joyeuse avait, il faut le reconnaître, de trèsbelles qualités. On remarquait en lui beaucoup d'esprit etde bonté. 11 était large et bienfaisant et il signala plusieursfois sa piété par des fondations religieuses qui sont restéescomme autant de monuments très honorables à sa mé-moire.

(i) Le Couvent des Capucins n'existe plus aujourd'hui, mais le domainequ'ils ont habité, à Saint-Symphorien, jusqu'à la Révolution, porteencoreleur nom.

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CHAP1TRE III

Tandis que le cardinal de Joyeuse prenait possession del'archevêché de Rouen, le titulaire de cette église, Charlesde Bourbon, frère de Henri IV, recevait en échange l'ab-baye de Marmoutier, où il mena une vie très retirée, loindes affaires du monde et des intriguesde la cour. II enrichitla tour de l'église de quatre grosses cloches auxquelles ondonna les noms de Benoit, Martin, Fulgence et Corentin(1608) dix-huit ans auparavant, un incendie fortuit, sur-venu par la négligence du sonneur, avait fondu les sixbelles cloches qui existaient alors.et brûlé le clocher dontla flèche, toute de pierre de taille, s'était écroulée sousl'intensité du feu, crevant dans sa chute une des voûtes duportique de l'église et renversant la chapelle des Sept-Dormants.

L'hiver de celte même année fut mémorable. Le froidétait si rigoureux que l'on vit sur la Loire des glaçonsd'une épaisseur de plus de quatre mètres qui, à la débâcle,renversèrent les ponts de pierre de Tours. Les muraillesde l'enclos de Marmoutier furent en partie jetées par terreet la crue fut si grande que l'eau monta dans les cloîtresjusqu'à deux mètres de hauteur. Ce désastre se répétadeux fois dans Tannée.

L'abbé Charles de Bourbon, témoin de cet accident, paruts'en préoccuper fort peu. Au bout de six années, et n'ayantd'ailleurs rien fait de bien considérable, il mourut à Rou«

gemoht le 14 juin 1610.Il eut pour successeur Sébastien Dori Galigaï, aumônier

de la reine Marie de Médicis, et beau-frère du maréchald'Ancre. Le nouveau titulaire prit possession de l'Abbaye

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— n6-le 8 juillet 1610, et en jouit paisiblement jusqu'en 1617, oùil devint archevêque de Tours. Pendant cette durée, DomIsaïe, général de la Congrégation gallicane, toujours pleinde sollicitude pour le bien des monastères dont il avait lasurveillance, persuada au nouvel Abbé d'appeler auprès delut les Pères de la Société de Bretagne, afin de faire rc<vivre à Marmoutier le véritable esprit de saint Benoit (1).C'était le plus grand bien qui pût lui arriver. Dom Sé-bastien Galigaï goûta cette proposition, et appela douzereligieux de la Société de Bretagne qu'il reçut dans sonlogis abbatial de Rougemont. Ils y célébrèrent l'office divindans sa chapelle, attendant l'heure favorable pour rentrerpacifiquement au «Grand-Monastère». Mais, nonobstantles efforts louables de l'Abbé, on ne put y parvenir : lesanciens chassèrent de Rougemont les pères de Lehon, etla réforme ne put s'accomplir cette fois encore. Dans samiséricorde, Dieu ménageait pourtant cette grâce à lacélèbre abbaye, mais elle ne devait lui venir que plus tardet par l'entremisede la congrégation de Saint-Maur.

L'abbaye se trouvant vacante, le roi y nomma Alexandrede Vendôme*, fils naturel de Henri IV, chevalier de Malteet grand prieur de France. Il n'avait que dix-neuf ans etétait de plus abbé de Saint-Lucien de Beauvais et deSaint-Faron de Meaux. Le pape Paul V lui expédia sesbulles le 21 mai 1O17, et il prit ensuite possession de sonabbaye dont il jouit en paix jusqu'à sa mort.

De son temps, l'évéque de Quimper vint à Marmoutierdemander aux religieux de vouloir bien lui accorder, pourson église cathédrale, quelques reliques de saint Corentin,

(1) Ce coup hardi indisposa contre Dom Jaunay les monastères quiavaient peur de la reforme. On lui enleva sa charge, mais le nouveaugénéral le prit pour vicaire et lui donna toute son autorité. Il exerça cetoffice avec édification jusqu'à sa mort qui arriva à Marmoutier en 1619.

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premier évéque et patron principal de ce diocèse (i). Lajuste requête de l'évéque fut agréée, et l'église de Quint-

per rentra ainsi en possession d'une partie au moins de

son trésor.Après l'abbé de Vendôme qui mourut à l'âge de trente

ans (1629), Marmoutier passa durant quelques mois entreles mains du Cardinal de Berulle% fondateur de la Congré-gation de l'Oratoire, et digne par sa prudence et sa hautesagesse de réaliser le dessein de réforme qu'il avait conçuen recevant l'abbaye ; mais Dieu ne lui en donna pas letemps ; il mourut le 2 octobre de la même année, laissant àson successeur le soin de mettre à exécuion son grand etpieux projet.

Ce successeur n'était autre que le célèbre ministre deLouis XIII, Armand du Plessis, Cardinal de Richelieu,

Comme l'abbaye était tenue pour un chef d'ordre, letout puissant ministre l'obtint du roi, bien qu'il fût déjàpourvu de Cluny et bientôt après de Citeaux et de Pré-montré.

A cette époque, la licence des moines était devenuetelle qu'on ne pourrait rapporter sans rougir les ordon-

nances que les supérieurs étaient obligés de faire pour enarrêter le cours. Le cardinal de Richelieu résolut d'appor-ter au mal un prompt remède et de faire revivre à Mar-moutier l'esprit de saint Martin, de saint Mayeul et desAbbés qui l'avaient gouverné autrefois. Voyant que sespropres ordonnances, un instant observées, demeuraientbientôt lettre morte, il donna mission à quelques reli-gieux réformés de Cluny de rétablir l'observance parmiceux de Marmoutier. Mais les relâchés refusèrent de les

(l) On se rappelle que le corps de saint Corentîa avait été porté àMarmoutier, au commencement du x« fiècle, pour le sovstraire aux dé-prédations des Normands.

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recevoir, prétextant que l'abbaye, en vertu des privilègesconcédés par les Souverains Pontifes et les rois, ne pouvaitse soumettre à des étrangers, et proposant au cardinal deprendre plutôt dans leur propre corps des personnagescapables de mener à bonne fin l'entreprise.

Richelieu, voyant là avec raison une fin de non-recevoir,rejeta cette propositionet leur accorda seulement le choixde l'ordre qui les réformerait. Les religieux de Marmoutier,assemblés en Chapitre, demandèrent les pères de la Con-grégation de Saint-Maur, et Richelieu sans se laisser ar-rêter par les insolences des plus jeunes de la communauté,passa immédiatementun concordat avec le supérieur de lacongrégation proposée, par lequel l'abbaye de Marmoutierétait réunie à celle de Saint-Maur (4 mat 1637).

Le commissaire royal muni de lettres patentes se renditlui-même à Marmoutier, et ayant fait rassembler les reli-gieux au son de la cloche, il leur donna lecturedes lettresde Sa Majesté et de la teneur du concordat passé par lecardinal de Richelieu avec la congrégation de Saint-Maur.Tous se soumirent alors, et les Pères réformés, au nombrede vingt-quatre, entrèrent dans l'église abbatiale en chan-tant le Veni Creator.

Jusque là tout s'était bien passé; mais lorsque la nuitfut venue, quelques récalcitrants se mirent à parcourir lescloîtres en faisant nn affreux tapage ; il fallut que, le len-demain le commissaire royal fit saisir les mutins, desimples novices pour la plupart, et les renvoyât du mo-nastère. Bientôt, l'exemple des Pères réformés fit une telleimpression sur l'esprit des anciens, que non seulement ilsn'opposèrent plus la moindre résistance, mais qu'ils se dé-terminèrent eux-mêmes à résigner la plupart de leurs of-fices claustraux.

La réforme étant ainsi accomplie, le R. P. Dom AntoninPotier fut établi premier grand prieur. C'était un homme

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d'un rare mérite, qui joignait une solide piété à une grandeconnaissance des affaires. Il avait pris l'habit à Marmoutieret avait abandonné un peu plus tard cette communauté re-lâchée, pour entrer dans la fervente congrégationde Saint-Maur. Ainsi Dieu le récompensait de sa générosité et luidonnait la consolation de voir réalisé l'un de ses plus chersdésirs.

Il y maintint la régularité qui venait d'y rentrer, et il nelut manqua qu'une plus longue vie pour consolider parfai-tement son oeuvre. Il mourut en odeur de sainteté à l'âgede cinquante-cinq ans.

Avec la fidélité à la règle refleurit la piété, et l'on pensatout d'abord à se procurer des reliques du saint fondateurde Marmoutier, modèle si parfait de la vie monastique.Les Huguenots, comme nous l'avons vu, avaient indigne-ment brûlé celles que possédait autrefois l'abbaye, maisCluny, depuis saint Odon, en conservait une partie asseznotable ; or, comme les deux communautés se trouvaientplacées sous le même titulaire, on profita de cette coïnci-dence pour adresser une requête aux religieux de Clunydans le but d'obtenir les reliques désirées. Le Cardinal au-torisa volontiers cette demande, et Cluny envoya à Mar-moutier le radius du bras de saint Martin.

La réception se fit d'une manière très solennelle; on dé-

posa d'abord la relique à Tours, dans l'église de l'abbayede Saint-Julien, et ce jour là même, il s'opéra un miraclequi raviva la confiance de tout le peuple à l'égard de sonpuissant patron. Un bourgeois de la ville qui s'était casséle bras dans une chute de cheval, ne pouvait plus s'enservir depuis six mois. Etant venu à Saint - Julien pourprier devant la sainte relique, il ressentit tout à coup unegrande douleur à son bras ma!ade, et à l'instant même setrouva guéri.

Ce ne fut que le surlendemain que les religieux de Mar-

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moutier vinrent prendre possession de leur trésor. Le R. P.prieur chanta la grand-messe à Saint-Julien, entouré desdeux communautés de religieux et du corps de ville; puisla procession se mit en marche. On arriva ainsi à l'églisede Sainte-Radegonde où la châsse fut déposée provisoi-rement jusqu'au lendemain matin. Alors on commença àcélébrer des messes devant la relique, et là encore, desmiracles s'accomplirent: ce fut un enfant malade de lafièvre, à qui l'on fit baiser le reliquaire et qui se trouvaimmédiatement guéri ; puis un mourant pour lequel ondisait la messe, qui recouvra aussitôt la santé.

Dans la matinée, Mgr le Boutillier, archevêque deTours, qui avait témoigné le désir de faire lui-même lacérémonie de la susception des reliques, arriva à Sainte-Radegonde. On se rendit professionnellementà l'église deMarmoutier où l'Archevêque officia pontificalement. Puisil pria longuement devant les ossements sacrés, et au mo-ment de partir, promenant ses regards sur le monastère, il

avoua que la seule vue d'un lieu qui avait été sanctifié parun si grand saint lut donnait de la dévotion. Saint Martinsignala son rétour à Marmoutier d'une façon plus char-mante encore : on remarqua que les quarante enfants qui,habillés en anges, avaient fait cortège à la sainte relique,reçurent tous sans exception la vocation religieuse.

w11 fallut, pour satisfaire la piété du peuple, exposer la

relique du Saint tous les dimanches et les jours de grandesfêtes pendant les six mois qui suivirent; et le souvenir decette solennité se perpétua par une célèbre procession an-nuelle dans laquelle on portait, avec la châsse de saintMartin, les chefs de saint Corentin, de saint Clair et desaint Léobard, la Sainte-Ampoule, et d'autres reliques

encore. Un immense concours du peuple y assistait, attirépar les prodiges continuels du Thaumaturge.

Mais tandis qne les Bénédictins se livraient à ces saintes

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joies dans l'intérieur du monastère, ils virent passer lecollège de Marmoutier à Paris aux mains des RR. PP.Jésuites, à qui Richelieu ayant égard au nombre et à laqualité de leurs élèves, l'adjugea pour la somme de trentemille écus. Le regret des moines fut unanime mais soumis.Peu de jours après, du reste, le cardinal mourait à Paris le14 décembre 1642, et fut enseveli à l'église de la Sorbonnequ'il avait choisie lui-même pour lieu de sépulture. L'ab-baye de Marmoutier lui garda une éternelle reconnaissancecomnu à celui qui avait ramené dans ses moeurs l'espritprimitif et la sainte observance.

CHAPITRE IV

Amador~Jean-Baptiste de Vignerod% neveu du cardinalde Richelieu, n'était qu'un enfant quand le roi le nomma àl'abbaye de Marmoutier, après la mort de son oncle. Ce futprobablement le motif qui l'empêcha de prendre posses-sion de son bénéfice avant le mois de janvier 1646, c'est-à-dire quatre ans après le décès du cardinal.

Le cloître, comme le royaume, se ressentit de la dis-parition d'une main si ferme. Quelques anciens moines quin'avaient accepté la réforme que contraints par la néces-sité, levèrent le masque et tentèrent avec leurs partisans,de semer la division dans le couvent. Ils crurent y réussirlorsque le prieur, Dom Anselme Dohon, se vit nommé àun autre bénéfice : les mutins concertèrent de fermer la|K>rte du monastère à son remplaçant, mais leur projet n'eutaucune suite, les Supérieurs ayant porté leur choix sur leR. P. Dom Joseph Seguin, sous-prieurde Marmoutier. Apeine nommé, celui-ci obtint que le différend fût jugé par

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six commissaires royaux, ce que voyant les récalcitrants,la plupart d'entre eux se soumirent.

Seuls les meneurs de la révolte persévérèrent dans leurrésistance et se crurent au moment de triompher grâce àl'influence du prince de Condé; mais la reine Anne d'Au-triche, informée de ce qui se passait, fit savoir au princeque les affaires ùe Marmoutier ne le regardaient en aucunefaçon ; peu de temps après, un arrêté royal, confirmant leconcordatpassé entre le cardinalde Richelieu et les PP. deSaint-Maur, commandait à l'Intendant général en Tourainede veiller à )son exécution et assurait les pères réformésd'une haute protection.

Les mécontents recevaient le coup mortel ; ils vinrentfaire leur soumission, hormis deux, dont le premier mourutde dépit et de chagrin, et le second, ouvrant enfin les yeux,rentra bientôt dans l'ordre.

Les heureux effets de cette réconciliation ne se firent pasattendre. Non seulement on vit l'ordre le plus parfaitrégner dans la maison, mais tous les religieux voulurentrivaliser de zèle pour la gloire de Dieu et de ses saints ens'imposant des privations à eux-mêmes, et en consacrantleurs épargnes à l'ornementation des chapelles des diverssanctuaires de l'abbaye.

Dom Joseph Séguin était encore prieur lorsqu'éclata enFrance la grande famine qui affligea particulièrement laTouraine. Le prévoyant administrateur acheta alors dublé pourune somme considérable afinde nourrir les pauvres,et Dieu se chargea de récompenser cet acte de charité ; carl'année suivante, 1650, le feu ayant pris, la nuit de la Pen-tecôte, dans un des bâtiments du monastère et menaçantde le consumer tout entier, on réussit en peu de temps àl'éteindre, ce qui, de l'avis de tous, ne put se faire que parl'effet d'une protection toute particulière du ciel.

Cette même année, le prieur eut l'honneur de recevoir à

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— 133 —Marmoutier la reine-mère qui se rendait à Bordeaux avecle roi. Anne d'Autriche se plut encore en cette circonstanceà donner aux religieux des témoignages de sa bonté et del'affection vive et sincère qu'elle avait conçue pour lacongrégation de Saint-Maur. Elle vénéra avec dévotionles reliques conservées dans l'abbaye, ainsi que la Sainte-Ampoule, et alla s'agenouiller au Repos de Saint-Mar-tin.

L'an 1651, le chapitre général de la Congrégation deSaint-Maur se tint pour la première fois à Marmoutier;Dom Joseph Séguin y fut élu abbé de Saint-Sulpice deBourges, et quitta par conséquent le monastère. L'abbéJean-Baptiste de Vignerod donna sa démission l'année sui-vante et tous ses bénéfices passèrent à son frère, Emma'nuel'Joseph de Vigneroddu Pont de Courlay.

Si le régime persistant des Commendes ne permettaitpas toujours de rencontrer dans la personne des Abbés deparfaits modèles de la vie religieuse comme il eût été siutile d'en avoir pour maintenir par leur présence les bien-faits de la réforme, au moins les prieurs claustraux quel'on pourrait appeler la tête du monastère, suppléaient àl'absence et à l'insuffisance des premiers,

Le nouveau prieur de Marmoutier, Dom Germain Morel,

un homme de régularité et de coutage apostolique, s'étaitacquis déjà une grande réputation au prieuré de Sainte-Mélaine, en Bretagne ; à l'exemple de son prédécesseur,il fit preuve, dans ces temps difficiles, d'une louable cha-rité envers les pauvres, et reçut comme lui la récompensede ses vertus, car Dieu inspira à la pieuse parente d'unmoine, la marquise de Chassingremont, la pensée de dis-tribuer à l'abbaye des ornements d'église dont on était dé-

pourvu alors; en même temps, elle fit don de plusieurssommes d'argent que le prieur employa à l'embellissementdu monastère et à la constructiondes terrasses que l'on voit

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encore aujourd'hui au bas du domaine de Rougemont. Cetravail fit malheureusementdisparaître les derniers vestigesde l'ancienne chapelle de Saint-Jean, bâtie naguère parsaint Volusien, archevêque de Tours.

Ces terrasses formaient un ensemble si magnifique, queles supérieurs réunis à Marmoutier, au Chapitre généralde 1654, désapprouvèrent une oeuvre qui blessait la simpli-cité religieuse et déposèrent celui qui les avait élevées.Envoyé au prieuré de Saint-Denys en qualité de simplemoine, il y vécut dans la plus parfaite obéissance prouvantassez par là que la ferveur des anciens jours avait refleuriàja fin du xvir* siècle.

Le prieur disgracié eut un digne successeur en la per-sonne de Dom Joachim le Comtat, considéré comme l'undes plus grands supérieurs qui aient gouverné Marmoutier.Désireuxde procurerl'avancement spirituel de ses religieux,il composa lui même, et fit composerpar d'autres, plusieursouvrages ascétiques et livres de méditations, qui respirenttous une solide et ardente piété. Les prieurs alors n'étaientélus que pour six ans; ce laps de temps écoulé, DomJoachim dut quitter Marmoutier pour aller exercer ailleurs

son apostolat.Dom Anselme Guchenand, homme de mérite et de vertu,

devait avoir l'honneur de recevoir à Marmoutier le roiLouis XIV qui se rendait à Nantes en cette même année1660.11 posa la première pierre d'un superbe bâtiment dustyle de l'époque, destiné à compléter les constructions del'abbaye, et qui excita longtemps l'admiration des con-naisseurs. « Cet édifice, dit Dom Martcne, n'aurait eu enlui-même rien que de très bien, s'il eût été plus modeste,plus simple et plus religieux. » Comme il arrive souvent enpareil cas, celui qui l'avait élevé, mourut avant de le voircomplètement achevé, et l'histoire rapporte, à la louangedes religieux, que plusieurs d'entre eux quittèrent alors le

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monastère, à cause même de la trop grande magnificencede cet édifice (i).

Les prieurs se succédèrent nombreux à Marmoutier du-rant cette période, et tous se montrèrent dignes de leurfonction ; nous ne ferons que nommer les plus remar-quables.

L'abbé commendataire, Emmanuel-Josephde Vignerod,

so trouvait ators bien loin de son monastère, occupé àcombattre les Turcs en Hongrie. Au retour de cette expé-dition, il s'arrêta à Venise et y mourut (1634). ffk

JuleS'Paul de Lionne, fils du ministre d'Etat de ce nom,hérita de son titre plutôt que de sa charge, et ne fit autrechose que de toucher les revenus du monastère, sans s'in-quiéter des désastres qui marquèrent son gouvernement.Une masse énorme de rocher se détachant du coteau deRougemont, tombasur l'église, renversa deux arcs-boutantset trois arcades des voûtes de l'un des collatéraux de lanef. La grotte du Repos de saint Martin fut préservée parune sorte de miracle; bien qu'elle se trouvât à peu de dis-tance de l'endroit où eut lieu l'éboulemcnt, il n'y eut pasune vitre de cassée,pas une ardoise d'arrachée, et la statuede saint Martin placée à la partie extérieure, ne reçut elle-même aucun dommage.

Dix jours seulementaprès la chute du rocher, un épou-vantable ouragan se déchaîna sur la contrée ; des grêlonsd'une grosseur extraordinaire tombèrent avec fracas pen-dant une demi-heure; les campagnes qui promettaient laplus heureuse moisson furent entièrement ruinées, et lesgrands arbres mêmes furent arrachés ou brisés. La perteéprouvée par la seule abbaye fut évaluée à cinquante mille

(i) On a comparé ce majestueux bâtiment, dont il ne reste d'ailleursplus trace aujourd'hui, a la façade du Louvre élevée au xvif° siècle, tellequ'on la roit encore à Paris.

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livres, somme énorme pour cette époque. Ces divers acci-dents, joints aux dépenses exagérées qu'on avait malheu-reusement faites pour le bâtiment récemmentédifié, mirentcela se conçoit, le monastère à deux doigts de sa ruine.

Nous retrouvonsun peu plus tard dans la charge de prieurà Marmoutier, Dom Joachim le Comtat, qui l'avait déjàexercée auparavant; son mandat n'était pas achevé que,désirant rentrer sous te joug de l'obéissance et se préparerà la mort, il demanda et obtint d'être déchargé de la supé-riorité ; on le contraignit pourtant à exercer plus tard denouvelles charges, jusqu'à ce qu'enfin, simple religieux àBourgueil, il couronnât sa belle vie par une mort précieusequi le surprit à l'église pendant qu'il chantait l'office.

Après lui, Dom Philippe le Roy a laissé une grande ré-putation de sainteté. Accablé de dettes immenses par suitedes accidents dont nous avons parlé, il réussit par son éco-nomie à en payer une partie, et à rendre habitable une ailedu nouvel édifice. Déchargé de la supériorité au Chapitregénéral de 1678, il resta simple religieux à Marmoutiermême, où prenant plaisir à s'humilier, il se chargeait vo-lontiers des offices et des emplois les plus vils. Il avait unetendre dévotion et une confiance sans bornes envers saintMartin ; son désir était de mourir le jour de sa fête. Dieul'exauça, car le 22 juillet, fête de la Susceptiondes reliquesdu glorieux fondateur de l'abbaye, au moment où dans laprocession, la sainte châsse passait devant sa chambre,

son âme se séparait de son corps pour aller rejoindre auciel celui qu'il avait tant aimé. Qu'il est édifiant de re-trouver de pareils exemplesde piété et d'abnégation reli-gieuse après la période d'attiédissement qui avait attristéle célèbre monastère I

Les successeurs de Dom Philippe le Roy marchèrent surses traces. L'un d'eux, Dom Claude Martin, né à Tours.sefit particulièrement remarquer tout ensemble par sa science

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- 137-et sa vertu ; il composa plusieurs ouvrages dont l'un, la viede sa mère, religieuse Ursuline morte en odeur de sain-teté, est rempli d'onction et de foi. Devenu prieur de Mar-moutier il ne continua pas le bâtiment nouveau dont iln'approuvait pas la splendeur, mais il donna tous ses soinsà l'église qu'il embellit encore; il y rétablit les anciennescérémonies, afin de rendre l'office plus majestueux et plussolennel. Après avoir exercé diverses charges pendantplus de quarante ans, il demanda au Chapitre généraide 1696, dont il avait la présidence, à quitter sa charge etmourut cette même année comme un vrai disciple de saintMartin.

Cependant quelquesparties les plus anciennes du « GrandMonastère» tombaient en ruines; et faute de ressources, onne pouvait les relever ; les religieux se virent donc con-traints de démolir les restes de la chapelle Saint-Benoît àlaquelle pourtant se rattachaient de si pieux souvenirs. Dumoins on consacra dans l'église une chapelle en l'honneurdu patriarche des moines d'Occident et on y plaça la vastepierre sur laquelle les religieux se faisaient transporter au-trefois pour y rendre le dernier soupir dans la pénitence etl'humilité.

Dom Innocent Bonnefoy, prieur en 1702, acheva lecloître de l'abbaye et eût exécutéencore de grandes chosessi la maladie n'était venue arrêter ses projets. Revenu pas-sagèrement à la santé, il demanda, lui aussi à reprendrerang parmi les simples religieux, et ce fut une chose ad-mirable de voir ce vénérable vieillard malgré son grandâge (il avait plus de quatre-vingts ans), suivre la règle avecla ferveur d'un novice et assister ponctuellementà tous lesoffices du jour et de la nuit.

De temps à autre, grâce à sa réputation passée et pré-sente, Marmoutier recevait encore des visites princières.C'est ainsi que nous y trouvons à cette époque le duc de

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— 128 —Bourbon, qui passait à Tours pour aller voir ses deux fillesdont l'une était élevée à Beaumont, et l'autre à Fontevrault;et quelques années plus tard, en 1729, le prince et la prin-cesse de Conti.

Deux ans avant la mort de l'abbé de Lionne, comme onavait dû relever les murs de l'enclos renversés plusieursfois par des inondations de la Loire et du Cher, on cons-truisit la grande porte du monastère où aboutit le cheminde Sainte-Radegonde. Cette porte qui existe encore, n'ajamais été complètement achevée (1719).

Tandis que la charge de prieur était occupée par DomMaur Andren de Kerdrel, dont nous retrouvons le nomparmi les illustrations contemporaines (1). Louis de Bour-bon-Condé, prince de Clermont, recevait le titre d'Abbéqu'il devait résigner en 1739 et porter le dernier. Par unebulle du pape Clément XII, le titre abbatial de Marmoutierfut déclaré supprimé, et ses fruits et revenus unis à lala mense archiépiscopale de Tours à la requête de Mon-seigneur Louis-Jacques de Chapt de Rastignac, métro-politain de cette ville. La communautébénédictine acceptasans peine l'extinction du titre abbatial, mais exprimadans une déclaration motivée les charges, clauses et con-ditions de l'union de la mense abbatiale à ta même archi-épiscopale, en sorte que certaines réserves furent stipuléeset convenues en faveur de l'abbaye (2).

.<i) M. Andren de Kerdrel, député, sénateur, et M. Nouvel de Kerdrel,

bénédictin de la Pierre qui Vire, mort évéquede Quimper.fa) Prieurs qui gouvernèrent au spirituel l'abbaye de Marmoutier,

depuis la réforme jusqu'à la suppression du litre abbatial (I6J7-I739).Dom Antonin Potier. — D. Jacques Brossaud. — D. Anselme Dohin.

— D. Joseph Séguin. — D. Germain Morel. — D. Joachim le Cômtat.— D. Anselme Guchenaud. — D. Robert Dicé. — D. Mayeul Haxon. —D. Joachim le Comtat, pour la deuxième fois. — D. Philippe le Roy. —D. Innocent Bonnefoy. — D. Jean Lorier. — D. Innocent Bonnefoy,

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CHAP1TRE V

Le règne de Louis XV devait apporter à la France plusd'un malheur : d'une part, les folies de la cour et les dépré-dations des hommes de finances minaient le royaume etrendaient nécessaires, sans les justifier, la levée des sub-sides extraordinaires qu'on demandait particulièrementau clergé et aux couvents sous prétexte qu'ils étaientriches ; de l'autre, l'esprit philosophique, s'infiltrant jusquedans les maisons religieuses, y faisait germer la discordeet quelquefois la rébellion, semences perfides destinées àamener leur naufrage.

Heureusement, l'ordre n'avait fait que gagner à Mar-moutier depuis que le monastère se trouvait régulièrementgouvernépar les prieurs( i),et grâceaussi peut-être à ce qu'iln'était plus ni riche ni opulent. Bien que réduit à faire desemprunts pour vivre, il ne cessa de secourir les pauvres etles autres couvents du pays réduits à la misère par suited'une nouvelle disette vers le milieu du siècle ; et lorsque

pour la deuxième fois. — D. Claude Martin. — D. Louis Tâscbe. — D.Innocent Bonnefoy, pour la troisième fois. — D. Louis Tâscher, pour ladeuxième fois. — O. Martin FUlaud. — D. François du Vivier. — D.Louis Tâsche, pour la troisième fois. — D. Joseph Miniac. — D. LouisTâscbe, pour la quatrième fois. — D. Magloire Los. — D. Maur Andrende Kerdrel. — D. J. B. Linard. — O. Guillaume Boumain. — O. Nico-las Vignoles. —O. Bonaveoture Aubert. — D. René Juoien.*

(i) Voici les noms des derniers prieurs de Marmoutier depuis la sup.pression du titre abbatial jusqu'à la Révolution (1743-1789) :

Dom Jean-Baptiste Flograe. — D. Jean Murault. — D. ThomasArnaold la Pie— D. Mathurin le Fresne. — D. René Rouault. — D.René Even. — D. René Desmares. — D. Joseph Anne Geoffroy deVilleblanche. — D. Antoine Quinquet. — D. Geoffroy de Villeblanche,

pour la deuxième fois. — D. François Xavier Estin.

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— .130 —le roi commanda d'envoyer à la monnaie toute l'argenteriedes maisons religieuses, à l'exception des reliques et desvases sacrés, le procès-verbalqui fut dressé à cette occasionprouva que l'abbaye était devenue bien pauvre.

Et pourtant l'église était tombée dans un tel état de-dé-labrement, que différer de la restaurer c'était l'exposer àune ruine totale. Mais où trouver la somme nécessairepourun pareil travail ? Le prix de quelques arpents de bois futinsuffisant; il fallut se résignera démolir le grand combleet le clocher qui menaçaient de s'écrouler; enfin, pour seprocurer encore quelques ressources, il fut décidé que lamense conventuelle de Lehon, en Bretagne, serait réunie àcelle de Marmoutier avec l'agrément de l'évéque de Saint-Mâlo, sur le territoire duquel était situé le prieuré.

Toutefois, lorsque Dom Antoine Quinquenet crut le3

temps un peu meilleurs, il projeta la construction de l'es-calier du réfectoire et en confia l'exécution à l'architecteLenot. Les pierres qui servirent à ce bel ouvrage furenttirées des carrières de Semblançay et de Sainte-MaureComme il était d'un genre nouveau et fort considérableune foule de curieux et d'étranger* accouraient pour lecontempler (i). Mystérieuses vicissitudes des temps etvanité des ouvrages humains ! Quinze ans plus tard, cechef-d'oeuvre devait être à demi brisé et ses pierres dis-persées au loin.

Mais pour le moment rien ne faisait encore prévoir l'im-minence de la catastrophe. lin l'année 1785 le duc dePenthièvre et la duchesse de Chartres, sa fille, allant àFontevraultj s'arrêtèrent à Marmoutier et y visitèrent letrésor de l'église, la grotte de saint Martin et le nouvelescalier. Quelques jours après, ce furent les curés de

(i) Le modèle en plâtre de cet escalier monumental se voyait jadisdans ta bibliothèquede Marmoutier ; de là il passa au musée de Tours.Nous ignorons ce qu'il est devenu aujourd'hui.

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- 13» -quelques paroisses voisinesqui vinrent processionncllement

avec leurs fidèles à l'église du monastère pour se mettresous la protection du saint fondateur. La messe fut chantéedans la chapelle du Repos.

Les fastes de l'abbaye font encore mention, à cetteépoque, de l'arrivée du cardinal, prince de Rohan, évéquede Strasbourg et ex-grand aumônier de France, d'abordexilé (i) à l'abbaye de la Chaise-Dieu et tranféré ensuite àcelle de Marmoutier où on lui fit une magnifique réception.« 11 essaya, dit M. Ch. Desmoulins, de charmer les ennuisde sa disgrâce en s'entourant de tout le luxe auquel lasplendeur de sa naissance avait habitué sa jeunesse, et fitbâtir prés de l'entrée du monastère un édifice qu'il meublapompeusement pour lui servir de demeure. » H entretinttoutefois avec ses hôtes des relations les plus courtoises enconversant familièrementavec eux, les invitant souvent àprendre place à sa table, et présidant volontiers leurscérémonies. Son séjour à Marmoutier se prolongea jusqu'en1789, où il obtint de rentrer dans son diocèse. A cette oc-casion, le roi, plein de gratitude pour la manière dont lesreligieux s'étaient comportés vis-à-vis du cardinal, leur fitdon de son portrait.

Comme si les éléments eussent voulu préluder par avanceà une ruine qui devait suivre de si près, il arriva encore qu'unéboulement de rocher détruisit en grande partie la cha-pelle des Sept-Dormants, nouveau dommage ajouté h tantd'autres et que l'insuffisance des ressources empêcha deréparer; on se contenta donc de murer l'espace qui con-tenait les tombeaux des sept frères.

La fatale année 1789* venait de s'ouvrir. Tandis que lesplus graves événements se préparaient à Paris, les moines

(i) Le cardinal avait été compromis dans la déplorable affaire ducollier.

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— i32 ~renfermés dans leur solitude continuaient comme à l'ordi-naire à couler leurs jours dans le silence, le travail et laprière; mais l'orage grondait et des présages sinistres l'an-nonçaient inévitablement. Les officiers municipaux deTours, préoccupés de la disette dont la province était me-nacée, firent appel à l'archevêque, aux chapitres de Saint-Martin et de Saint-Gatien et aux communautés religieusesafin de faire face à la misère. Le monastère de Marmoutiersouscrivit pour une somme de dix mille livres qu'il con-sentit à prêter sans intérêts, et son prieur, Dom FrançoisEstin, fut élu par le clergé de Touraine député aux EtatsGénéraux.

A cette même époque, le peintre Italien Borrani recevaitla mission de faire subir à l'église un badigeonnage mal-heureux, véritable profanation de l'art qui entraîna unedépense de trois mille livres et devait être rendu inutiledans si peu de temps.

En efiet le vent de la Révolution soufflait partout,même au fond des cloîtres. Les moines, sans en soupçonnerles terribles conséquences, mais résolus à se conformerautant qu'il était possible aux idées et aux exigences ac-tuelles, se réunirent le 8 mars 1789 pour rédiger un cahierde doléances qui devait être adressé au roi. Ils y deman-daient pour tous les citoyens indistinctement l'égalité decontributions aux charges et aux besoins de l'Etat, et re-nonçaient volontairement aux privilèges dont les biens ec-clésiastiques avaient été jusque là lavorisés. Mais cetteabnégation ne devait point désarmer la révolution ; le mo-ment était proche où le monastère de Saint-Martin, commetous les autres, allait disparaître .après quatorze sièclesd'une glorieuse existence. Après avoir parlé de réformerles abus, on en était venu à une constitution hérétique etschismatique de l'église gallicane; on aboutit aux orgiesd'une sanglante saturnale. Pour ne pas renier sa foi, il

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fallait fuir ou mourir sur l'échafaud. Les moines prirent leparti d'abandonnerune retraite qui n'était plus un asile.

Lorsque le monastère se trouva désert, le monumentmatériel, à défaut de victimes humaines, tomba sous les

coups des dévastateurs. Il y eut bien, en 1791, une ten-tative de la part de la municipalité de Tours dans le butd'acheter le vaste établissement, mais sa ruine devait êtreconsommée.

Voici arrivée l'heure où la horde impie des vandales ré-volutionnairesenvahit l'abbaye et foule aux pieds la terredes saints. « Alors, comme l'a écrit un auteur moderne (1)dans une page poignante d'intérêt, la croix tombe du hautdes monuments d'où elle bénissait le monde ; les crucifix

en métaux, les vases sacrés, les crosses épiscopales sontconverties en monnaie; on insulte aux reliques des apôtreset des martyrs; les clochers sont muets ; la flamme ou lefer détruisent les tableaux religieux où respirait le géniedes arts; un ouragan passe sur l'architecture catholique,

sur ces sculptures délicates et savantes dont la grâce naïveexprime la naïveté de la vieille foi; les statues de la Viergeet des saints sont précipitées de leurs piédestaux ou deleurs niches; ce ciel de pierre, peuplé d'anges et de per-sonnages révérés au portail des basiliques, disparait soti3le marteau, ou laisse voir des mutilations sauvages; lesmystères sacrés sont tournés en dérision ; les ornementsd'église servent à des mascarades, et les chansons obcènesremplacent les chansons catholiques. » — Ces cloîtres, cesasiles du travail et de la prière d'où se répandaient de silarges aumônes, d'où les malheureux sortaient consolés,sont devenus des biens à vendre. »

Tel fut à la lettre comme pour tous les autres monas-tères, le sort de Marmoutier. Privé de ses possesseurs légi-

(l) M. Poujoulat. — Histoire de la Révolution française.

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times et de ses gloires séculaires, aliéné, morcelé, l'antiquelieu de retraite de saint Martin, le berceau de l'ordre mo-nastique et la pépinière du clergé, vit sa destruction seconsommer dans ces jours de sanglante mémoire.

On recule d'horreur devant le récit des actes hideux ac-complis par la tourbe immonde qui se rua sur la saintedemeure. Faute de vivants qu'ils ne rencontrèrent pas, cessauvages furieux osèrent déterrer les morts qu'on y con-servait depuis des siècles, et les couper en morceaux;violer et profaner les tombes qui .depuis longtemps s'abri-taient à l'ombre du cloître. « Pour ces barbares impies,écrit à son tour M. de Montalembert indigné, il ne suffit

pas de piller, de profaner, de confisquer, il fallait renverserraser, ne pas laisser pierre sur pierre', que dis-je ? fouillerjusqu'aux entrailles du sol, pour en extirper la dernière de

ses pierres sacrées » (i)Ailleurs encore, dans une page d'une poignantetristesse

l'illustre écrivain pleure sur les ruines accumulées dans lesmonastèics par la révolution. « C'en est fait, dit-il, tout adisparu ; ce fleuve généreux qui roulait à travers les âgesles flots d'une incessante intercession, s'est desséché. Ondirait qu'un vaste interdit a été jeté sur le monde. Elles'eat tue parmi nous, cette voix mélodieuse des moines quis'élevait nuit et jour du sein de mille sanctuaires, pourfléchir le courroux céleste, et qui versait dans les coeurs deschrétiens tant de paix et de joie. Elle3 sont tomK s cesbelles et chères églises où tant de générations de 1.:* pèresétaient venues chercher des consolations, du courage et dela force pour lutter contre les maux de la vie. Ces cloîtresqui servaient d'asile si sûr et si digne à tous les arts, àtoutes les sciences, ne sont plus que des ruines souillées

:v Montalembert. Les moines d'Occident.

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par mille profanations... La main de l'insensé y a passé.Brûlés, desséchés,condamnés à une éternelle stérilité, ilsne subsistent plus que comme un monument de ruine et defolie ! » (t)

(i) Montalembert. Les moines d'Occident.

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QUATRIÈME PÉRIODE

DEPUIS LA RÉVOLUTION FRANÇAISEET LA RUINE DU MONASTÈRE

JUSQU'A L'ETABLISSEMENT DES RELIGIEUSESDU SACRÉ-COEUR A MARMOUTIER

ET L'ÉPOQUE ACTUELLE ( I797 - 1896)

CHAPITRE PREMIER

Le souffle destructeur et sacrilège a passé sur le vieuxmonastère ; tout ce qui donnait prise à la cupidité a étéviolemment arraché ; la désolation et le silence régnentmaintenant dans ces lieux dévastés. Seuls les murs del'antique église et quelques édifices épars ont échappé à lahaine des envahisseurs ; si tristes qu'elles soient, ces ruinesvont être utilisées à titre de bien national et affectées toutd'abord à un hôpital militaire où furent transportés jusqu'à

quatre mille malades. Cette destinationeûtété de beaucouppréférable au sort que subirent alors la plupart des cou-vents, convertis les uns en écurie, les autres en théâtre,

en caserne ou en prison ; mais les réparations demandées

par l'état actuel des bâtiments s'élevaient à un prix si for;au-dessus de la valeur du domaine, que l'administrationrecula devant cette dépense, et Marmoutier fut aban-donné.

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- 138-Cependant des vols considérablesse commettaient jour-

nellement dans l'enceinte du vieux monastère, les plombsdes toitures excitaient surtout la convoitise publique : onles arrachait de tous côtés, au grand détriment des char-pentes, des planchers et des voûtes. Cette dilapidation,

non autorisée encore, engagea les administrateurs du dis-trict de Tours à mettre l'abbaye en vente comme bien na-tional, et l'acte en fut dressé en date du 25 pluviôse an VII(1798) pour fa somme de 801,000 francs, en assignats, chiflreénorme en apparence, mais qui ne représentait en réalitéqu'une somme insignifiante en numéraire.

Mais le gouvernement refusa de ratifier cette premièreadjudication; elle fut annulée et on ordonnaqu'une secondevente serait faite, dont on exceptait toutefois l'horloge dumonastère qui devait être vendue comme mobiliernational,et le grand escalier de Lenot, qu'on assurait pouvoir être,sans grands frais, transporté à Paris. Ce nouvel arrêtén'eut pas de suite : les premiers acquéreurs réussirentà faire ratifier par le gouvernement sans aucune réservel'adjudication première consentie à leur profit; puis ils lici-terent entre eux la propriété et l'un d'eux (1) s'en renditseul acquéreur moyennant la somme dérisoire de quinzemille francs.

Alors commença l'oeuvre de totale destruction,largementpréparée déjà par le vandalisme, la négligence, les vols etl'intempérie des saisons, La charpente de l'église fut com-plètement enlevée; les plombs, les fers, les marbres lesboiseries qui restaient encore dans l'édifice sacré, en furentarrachés et vendus; les voûtes exposées depuis quinze ansau vent et à la pluie, s'écroulèrent peu à peu, en sorte quece vénérable sanctuaire de Marmoutier, jadis un des joyauxde l'art gothique en France, ne parut plus qu'une ruine se

(I) Un sieur Gidoin.

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— 139-dressant tristement sur une terre désolée, seuls les bâti-ments les plus modernes, encore en assez bon état, furentconservés provisoirement. Mais au lieu de les entretenir,onne fit que les dégrader, et en 1813, ils étaient transformésen écuries destinées aux chevaux des gardes d'honneur..

Un nouvel acquéreur devait porter le dernier coup à l'an-tique abbaye. Vendue de nouveau en 1818, elle vit dispa-raître successivement tout ce qui restait encore de sesruines, sauf le mur d'enceinte découronné, et le portail dumidi appelé, comme nous l'avons dit, portail de la Crosse.

Le magnifique escalier lui-même ne trouva pas grâcedevant la sordide spéculation des démolisseurs. On a pré-tendu que ce monument avait été acheté par un Anglais,démoli pièce à pièce et transporté au-delà du détroit pourorner un château, c'est une erreur. Les instances faitesauprès du nouveau propriétaire de Marmoutierpour que cechef-d'oeuvre au moins fût conservé ne réussirent pas;l'escalier fut démoli et les marches brisées les unes aprèsles autres, si bien que Marmoutier ressemblait à une car-rière de pierres. Toutes les parties vendues à vil prix,furent employées dans diverses constructions de la ville deTours, tandis que les chapiteaux et les colonnettes del'église abbatiale renversée, étaient utilisés en margelles

comme de vulgaires moellons ou servaientà daller les cours.Montalembert, en vérité, avait cent fois raison de dire

que l'empire d'Orient n'avait pas été saccagé par les Turcs,

comme la France l'a été par cette bande de démolisseursinsatiables qui, après avoir acquis à un prix dérisoire cesvastes constructions, ces immenses domaines, les exploi-tèrent comme des carrières pour en retirer un lucre sacrilège(t).

Bien que réduit à néant par le vandalisme contemporain,

(1} Montalembert. Les moines d'Occident.

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— 140 —l'antique monastère fut acheté en 1840, au prix de plus decinquante mille francs. La Providence veillait sur ce solsacré; le temps approchait où la noble abbaye allaitéchapper à des mains profanes.

« Déjà, quelques années auparavant, le soir même del'ordination qu'il avait reçue des mains de Mgr de Mont-blanc, archevêque de Tours, un prêtre, l'abbé Guéranger,le futur restaurateur des Bénédictins de la congrégation deSaint-Maur en France, se dirigeait vers Marmoutier poury mettre sa vie nouvelle sous le patronage de celui qui estresté le type du prêtre aussi bien que le patriarche de lavie monastique en Occident. Le pèlerin ne trouva que dé-solation dans cette encei te qui retentissait autrefois jouret nuit des cantiques sacrés. L'église, le monastère, toutétait détruit; les fondations restaient seules visibles sur lesol comme pour accuser les sacrilèges qui avaient profanéla maison des saints. Navré de ce spectacle, le jeune prêtretomba à genoux, et le Rorate, cette prière que l'Eglise em-prunte aux prophètes pour peindre le deuil de Jérusalem,s'échappa de ses lèvres, mais comme un cri de douleur,dans lequel il n'y avait aucun accent d'espérance. » (1) Samission providentielle n'avait pas encore brillé à ses yeux,mais il l'avait reçue déjà ; seulement, c'était à Solesmeset non à Marmoutier qu'il devait la réaliser, et Dieu avaitfait choix d'un autre instrument pour arracher l'antiquemonastère à un oubli perpétuel. '

Un jour, le Père Varin, déjà connu pour la part qu'ilavait prise au commencement du siècle A la fondationd'une Société religieuse consacrée au Sacré-Coeur, tra-versait la Loire en bateau à vapeur pour se rendre à Tours.Tout à coup le conducteurse découvre et crie : « Marmou-tier, Saint-Martin I « Le Thaumaturge des Gaules, l'insti-

(i) Solesmes et Dom Guéranger, par Dom Alphonse Guépin.

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gateur de la vie monastique en ces lieux, parla-t-il à l'âmede l'apôtre? On peut le croire, car un immense désir lesaisit aussitôt et il en écrivit à la vénérable Mère Barat,la pressant de rendre au culte ce sol béni et d'y établir sesfilles. La pieuse fondatrice également sollicitée par MgrMorlot, archevêque de Tours, céda et le domaine pres-que en ruines fut acheté. Jusque là, Mgr Morlot étaitvenu rarement à Marmoutier ; il en coûtait trop à son coeurde voir le berceau des saints, la pépinière des évêquesservir à des usages profanes. Mais l'acte passé, il s'em-pressa de s'y rendre en compagnie de Dom Chabbert, vé-nérable octogénaire, dernier bénédictin survivant du glo-rieux monastère. Tandis que le prélat, agenouillé devantla grotte de saint Brice, un des rares débris encore debout,était tout entier aux espérances de l'avenir, le vieillard in-attentif à ses projets, cherchait à ressaisir sa vie dans lesouvenir des temps écoulés. 11 n'était point rentré dansl'enceinte de l'abbaye depuis le jour où les ennemis de Dieuet des hommes l'en avaient chassé ainsi que ses frères, etenvoyant la désolation qui l'entourait, deux larmes roulèrent

sur ses joues. « Hélas! s'écria-t-il, il n'en reste pas unepierre. » — Jamais il n'y voulut revenir (2). Toutefois laProvidence dont les vues sont impénétrables, voulut que ledernier des moines de Marmoutier pût apposerson nom surles actes qui constituaient la propriété des religieuses duSacré-Coeur, et convertir ces formalités légales en un legsfait par des frères aines à des soeurs bien-aimées(3).

Le 29 juin 1847, les religieuses avec leurs élèves, quit-tèrent leur établissement de la Cour-des-Prés à Tours, de-

venu d'ailleurs insuffisant, pour s'installer dans les raresbâtiments de la vieille abbaye qui demeuraient encore.

i; Dom Chabbert mourut chanoine de la cathédrale de Tours.\2) Ch. Desmoulins. Passim.

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— 142 —Une terre où Jésus-Christ avait été si longtemps aimé etservi, ne convenait-elle pas bien aux épouses de son DivinCoeur?

A partir de ce jour, la discipline, l'élude, la piété et leculte de saint Martin reprirent possession de cette terredes élus, consacrée jadis par la présence, la sainteté, lesmiracles de l'illustre fondateur, bénie et fécondée par lesvertus de tant de saints personnages.

« Depuis la fondation du monastère, en 372, la prièren'yavait jamais été interrompue qu'en deux circonstances : àla suite dé l'invasion normande et à l'époque de la granderévolution, cette dernière fois pendant un demi-siècle. Lachaîne momentanément brisée se renoua alors, et Marmou-tier put reprendre,du moins sous une forme nouvelle et dansdes proportions plus modestes, la haute mission qu'il avaitinaugurée quinze siècles auparavant, avant même l'établis-sement de la monarchie française, et qu'il avait continuée

sous trois dynasties. Tant il est vrai que l'église seule peutimprimer à ses oeuvres, au sein de la mobilité des institu-tions humaines, le caractère de la force et de la stabi-lité ! » (1)

CHAPITRE II

Au moment où les religieuses du Sacré-Coeur vinrentprendre possession de Marmoutier, on aurait en vain voulu

y chercher la splendeur du « Grand-Monastère » d'autre-fois : le portail gothique, dit de la Crosse, une partie descommuns adjacents consistant en plusieurs salles voûtéessurmontées d'un étage, et qui naguère avaient servi d'é-

(i) M. C. Chevalier. Mémoires de la Société Archéologique deTour-cine.

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curies, voilà du côté de la Loire ; plus loin au pied ducoteau, quelques rares débris de l'église abbatiale, tels queY base de la tour des Cloches, la cellule de saint Brice et

a-dessus, les murailles aux trois quarts rasées du Reposde saint Martin; dans le vaste enclos presque en friche,deux ou trois bâtiments épars et sans importance, le toutrenfermé dans les murs d'enceinte démantelés mais ratta-chés encore par leurs tourelles d'angles comme au moyen.»âge, rien de plus !

La nouvelle communauté songea d'abord à tirer parti deces épaves, et s'installa dans l'aile de l'édifice demeuréehabitable ; mais le local se trouvant insuffisant, on élevabientôt à chaque extrémité deux pavillons sans prétentionarchitecturale, pour loger tout le personnel d'une maisond'éducation déjà florissante. Il en résulta que le nouveaucouvent, au lieu de s'établir à la place de l'ancien, se groupapar le fait des circonstances, sur les bords paisibles de laLoire, tout près du portail de la Crosse, dont la gracieuseflèche, habilement restaurée, pouvait seule à cette heureencore attirer les regards. C'est dans ce petit coin de laterre de saint Martin, et par ces modestes débuts que lavieille abbaye recommença une vie nouvelle et redevint lachose de l'Eglise.

En faisant du reste, l'acquisition de Marmoutier, la vé-nérable Mère Barat se complaisait à la pensée de sauverde la profanation et de l'oubli l'un des plus précieux mo-numents de la foi, et elle savait que la Société du Sacré-Coeur tout entière, serait heureuse de posséder un pareiltrésor. « Vous êtes appelées à fouler la terre des saints,écrivait-elle à ses filles, en leur annonçant leur translationdans lo vieux monastère, mais souvenez-vous qu'il fautêtre saintes pour l'habiter. » (i) Elle-même y vint l'année

d} Mgr Baunard. Vie de la révérende Mire Barat.

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suivante, et charmée du parfum de paix et de dévotion quisVchappait de cette solitude embaumée, elle y fit sa re-traite, prolongeant son oraison dans la cellule de saintMartin, et demandant à Dieu, par l'intermédiaire de sonserviteur, que ses religieuses fissent revivre l'esprit de sondivin Fils au milieu de ces tristes ruines. Elle y retournasouvent, car Marmoutier était devenu son séjour de pré-dilection. Le pensionnat fréquenté par l'élite de la société,

ne tarda pas à voir s'étendre au loin sa réputation méritée.Bientôt on y adjoignit une école pour les enfants du villagede Sainte-Radegonde; et un peu plus tard, les petitsgarçons même de la paroisse y furent admis. La vénérableMère prenait plaisir à suivre de loin les progrès de cesjeunes écoliers qui, en grandissant, gardèrentune touchantereconnaissance à lejr bienfaitrice et à la maison qui avaitbien voulu se charger de les instruire. Presque tous devin-rent dans la suite de bons pères de famille.

A côté de l'édifice spirituel, les nouvelles habitantesde Marmoutier s'efforçaient de relever l'édificematériel. Levaste enclos, encombré de pierres et de broussailles, secouvrit peu à peu de verdureet de fleurs,tandisque sous lesombrages du vieux monastère, soigneusement taillés et en-tretenus, les jeunes élèves purent à leur aise prendre leursébats pendant toute la durée de la belle saison.

Le domaine de Rougemont qui couronne les rochers ducoteau et servait jadis, comme nous l'avons vu, de logisabbatial, fut acquis à son tour par la communauté, de tellesorte que peu à peu le territoire de l'ancien monastère seretrouvait tout entier en de pieuses mains (i).

Mais c'était au Roi de ces lieux qu'il fallait édifier unechapelle moins indigne de Lui et qui rappelât la magni-

(i) Les célèbres cépages de Rougemont, encore vigoureux à cetteépoque, presque anéantisaujourd'hui, ont selon toute apparence, donnenaissance aux riches vignobles de Rocheeorboa et de Vouvraj.

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ficenee de celle qui n'existait plus; une gracieuse chapellevint donc s'ajouter au groupe de bâtiments qui composaientle nouveau couvent, et le cardinal Morlot, archevêque deTours, en fit la consécration solennelle le 28 mars 1856.Une notable relique de saint Martin, patron de la maison,fut déposée dans ce sanctuaire ; tous les fragments que l'onput recueillir des ossements des saints qui avaient forméjadis le trésor de l'abbaye, lui firent une couronne d'hon-neur (1).

Les religieuses du Sacré-Coeur s'appliquèrent par dessustout, on le comprend, à restaurer les derniers débris deslieux saints qui leur étaient échus en partage, et elles yapportèrent le respect que méritaientd'aussi grands souve-nirs. La vénérable cellule du « Repos de ?aint Martin » attirad'abord leur attention ; enclavée dans le bras septentrionaldu transept de l'église, cette grotte pieusement décoréepar les moines et par les pèlerins qui, de tout temps s'yétaient portés en foule, était demeurée presque intactejusqu'au commencement du siècle; mais elle n'avait pastrouvé grâce devant le vandalisme de la bande noire ; ilfallut reconstruireen partie les paroiset la voûte à-demi ef-fondrée, et y placer un nouvel autel que l'on surmontad'unbas-relief représentant l'apparition de la Sainte-Vierge,de sainte Thècle et de sainte Agnès au grand serviteur deDieu. Ainsi reconstitué (2), ce sanctuaire continua, commedans le passé, à attirer les âmes par l'attrait de la solitudeet la sainteté de ses souvenirs.

Cette première oeuvre de réparation religieusene pouvaitmanquer d'attirer les bénédictions de Dieu ainsi que le

(ij La plupart de ces reliques proviennentde l'Eglise de Notre-DameLa Riche, à Tours, où elles avaient été transportées après la Révo-lution.

{3} Par Madame de Bosredon, supérieure de 184$ à I85I.

10

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- i46-Père Varin l'avait promis à la vénérable Mère Barat. Bientôt le nombre des élèves prit une si grande extension, qu'ilfallut songer à bâtir un local plus en harmonie avec l'im-portance do l'établissement. Alors s'éleva le vaste édifice

que l'on voit aujourd'hui et qui atteste la résurrection de lavie chrétienne en ces lieux naguère désolés.

Ayant ainsi agrandi et embelli leur maison d'éducation,les religieuses du Sacré-Coeur reportèrent encore une foisleurs regards sur les glorieux débris de l'héritage que laProvidence leur avait légué. Après le a Repos de saintMartin », nulle grotte ne leur parut plus authentique et plusdigne d'intérêt que celle des « Sept-Dormants ». Un triplesouvenir la désignait en effet à la piété contemporaine :saint Gatien y avait évangélisé les premiers néophytes;saint Martin y avait consacré un autel et célébré les saintsmystères, enfin les Sept-Dormants y avaient vécu commedes anges terrestres avant de s'endormir ensemble dans leSeigneur. Depuis la Révolution,elle s'était vue transforméeen simple cave d'habitation pour les pauvres gens de lacontrée, et avait même servi d'abri aux troupeaux. Mais endépit des temps et des usages profanes, la tradition faisaittoujours de cette crypte un lieu respecté par la foi popu-laire ; on y distinguait encore des traces de peintures mu-rales et les vestiges de l'autel consacré dit-on, par saintMartin lui-même. « Voilà bien le lieu le plus vénérable de

mon diocèse », disait Mgr Guibert, archevêque de Tours, endésignant parmi les grottes de Marmoutier qu'il était venuvisiter, la crypte mutilée des Sept-Dormants. Recueillie

par les filles de la mère Barat, cette parole a porté sesfruits.

Dès le mois d'avril 1868, on commença des fouilles quimirent à jour les tombes des Dormants; malheureusement,elles ne contenaient plus aucun ossement, et l'on se con-tenta pour le moment de soustraire la pieuse retraite à des

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emplois indignes de son passé (t). Mais pendant l'hiverde 1879, par suite des pluies continuelles, un bloc énormedétaché du rocher supérieur renversa une partie de la voûteainsi que le côté méridional qui n'avait d'ailleurs aucunmérite architectural. C'est alors que la supérieure de Mar-moutier (2} se décida à une restauration complète depuislongtemps projetée. La grotte fut rétablie à peu près tellequ'elle était autrefois,et une nouvelle façade de style roman,remplaça avantageusement celle qui venait de s'écrouler.L'intérieurconserva l'antique nudité de ses murailles,car lamajeure partie de la chapelle se trouvait creusée dans le rocmême, comme les siècles l'avaient laissée. Sept plaques defonteajourées recouvrent maintenant les tombeauxdes Dor-mants encadrés par un dallage en mosaïques. Les verrièresdes croisées, également au nombre de sept, rep»ésentent lessept frères avec leurs noms et les insignes que la légendeassigne à chacun d'eux. Autour de ces peintures, se lisentsur les parois, des inscriptions bien choisies, empruntées àla liturgie des Dormants auxquels les moines de Marmou-tier rendaient un culte. Une console fixée à la muraille, sup-porte un reliquaire en bois contenant quelques ossementstrouvés en 1769, lors de l'ouverture qui fut faite des tom-beaux; restes précieux, bien que sans caractère certaind'authenticité. L'autel en pierre, d'un style pur et simple

comme le reste de l'édifice, occupe l'emplacement précisde l'antique autel consacré par saint Martin, et est surmontéd'une peinture sur cuivre représentant le prodige si connudans l'histoire du saint : l'apparition d'un globe de feu au-dessus de sa tête, tandis qu'il offrait le Saint-Sacrifice.La partie la plus profonde de la grotte renferme la crypte

ij Madame Digby, supérieure de Marmoutier 1865-1873, aujourd'huisupérieure-générale de la Société du Sacré-Coeur.

(a) MadameC. de Montalembert, fille du grand écrivain, supérieurede Marmoutier, 1878-1884.

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- 148-de saint Gatien, où l'on a placé la statue du premier évêqueet apôtre de la Touraine ; et un peu plus bas celle de laSainte-Vierge, sous le vocable de laquelle était autrefoisconnue la chapelle dite «de Notre-Dame des Sept-Dor-mants. »

Pour ménager un accès direct au sanctuaire restauré, onadapta dans une tour effondrée, près de l'ancien portiquede l'église abbatiale dont on aperçoit encore quelques ves-tiges, un gracieux escalier à noyau ouvert se déroulantdans le vide, et aboutissant à la plate-forme de lachapelle.

Ce fut le 17 mars 18S1 que Mgr Colet, archevêque deTours, bénit solennellement le nouvel oratoire et y célébrala sainte messe.

« Après un siècle d'interruption, dit M. l'abbé Pouan,dans sa notice sur Notre-Dame des Sept-Dormants, lalampe du sacrifice se rallumait enfin dans nos chères cata-combes. Sa Grandeur crut devoir annoncer qu'elle allaitoffrir le Saint-Sacrifice pour le repos de l'âme de l'auteurdes moines d'Occident ; c'était dignement inaugurer, en sadestination nouvelle, ce sanctuaire de propitiation, enmême temps que témoigner à qui de droit la reconnais-

sance de l'église de Tours et de celle de ses pontifes. »Nous avons vu dans le cours de cette histoire que la

dévotion aux âmes du Purgatoire avait toujours été enhonneur à Marmoutier. En relevant le sanctuaire des Dor-mants, la pieuse supérieure du Sacré-Coeur conçut le désir

que ce lieu devint désormais un centre spécial de propi-tiation pour les âmes souffrantes. Un bref obtenu du sou-verain pontife Léon XIII consacra ce voeu, touchante etopportune restauration du passé.

Mais là ne devaient pas s'arrêter les .travaux commencés

sous une inspiration toute religieuse et française. Un peuplus haut dans les roches que la grotte des Sept-Dormants,

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s'en trouvait une autre, profanée aussi par le passage de laRévolution et digne du même respect : c'était là que lebienheureux reclus Léobard s'était caché au monde, qu'ilavait vécu et qu'on l'avait enterré dans un tombeau creuséde ses propres mains. On entreprit de raviver dans le

coeur des fidèles, le souvenird'un saint que l'Eglise de Tourscélèbre chaque année ; une façade dans le goût du VI' siècleindiqua ce nouveau sanctuaire, tandis qu'à l'intérieur, lerocher abrupt, affectant les formes les plus capricieuses,fut laissé dans son état naturel ; on y voit encore dans lapartie la plus sauvage, une fosse assez profonde que l'on

suppose avoir été la sépulture du cénobite. Un simple autelde granit, du genre de ceux qui se retrouvent dans lescatacombes, permet d'offrir encore les saints mystères etachève de rendre à ces roches, si longtemps vénérées, leurcaractère sacré (1).

A mesure que les lieux saints de Marmoutier reprenaientune nouvelle vie, le souvenir des hommages empressésdont on les entourait jadis, ranima la dévotion des Tou-rangeaux, et bientôt, grâce à l'initiative d'un prêtre du dio-cèse, dont le zèle pour saint Martin s'était déjà manifestépar la parole et par la plume, (2), on entreprit de renou-veler les pèlerinages qui s'étaient accomplis autrefois.D'ailleurs, depuis quelques années déjà, on avait vu despèlerins de Lourdes, des groupes de pieux voyageurs,visiter avec intérêt les grottes restaurées ; des prêtres etdes Bénédictins surtout, demander comme une faveur decélébrer le Saint-Sacrifice de la Messe là où tant d'apôtreset de héros chrétiens avaient consumé leur vie dans laprière et la pénitence. Il n'y avait plus qu'un pas à faire

(i) le 25 mai 1S87, Mgr Meîgnsn, archevêque de Tcur», venait àMarmoutier pour bénir le nouvel oratoire reconstruit par les soins deMadame Puissant d'Agimont, supérieure de Marmoutier, 1(85-18(8.

(2) M. le chanoine Pouan.

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— i5o-pour ressusciter les stations de Pâques et de novembre, cepas fut fait. Chaque année maintenant, des foules nom-breuses et recueillies accourent vers Marmoutier aux deuxépoques traditionnelles, pour y entendre d'une voix auto*risée les échos du passé vibrant encore à travers ces ro-chers agrestes, puis se désaltérer à la fontaine qui jaillitmiraculeusement à la prière du Thaumaturge et s'inclinerenfin dans un même sentiment, sous la bénédiction fécondede Jésus-Hostie (i). Et ce n'est pas seulement Tours et sesenvirons que l'antique abbaye revoit en pareils jours ; lesenfants de la Belgique, de la Hollande, de l'Angleterreet de l'Irlande, et même: du lointain Canada, se pressentsur cette terre sanctifiée, heureux de prier quelques instantsdans la cellule du saint patriarche et dans celle de ses dis-ciples. Ajoutons que des fouilles récentes (2), au pied desgrottes de saint Martin et de saint Brice, ont mis à dé-couvert le dallage en partie détruit de l'ancienne église ab-batiale, ainsi que les bases des piliers du transept et deplusieurs colonnes qui en soutenaient la voûte; magnifiquesdébris d'architecture qui donnent une idée de la grandeuret de la beauté de l'édifice renversé, en même temps qu'unnouvel intérêt à l'ensemble des ruines de Marmoutier.

L'enclos de la « Terre des Saints » (3) jouit encore d'undernier privilège. Tandis que dans le tempsd'oppression etde servitude où nous vivons, le Dieu de l'Eucharistie estpresque partout confiné dans ses temples, les religieusesdu Sacré-Coeur et leurs élèves sont heureuses de lui ouvrir

(i; Depuis deux années, une procession magnifique des reliques desaint Martin, a été organisée dans l'enclos de Marmoutier, pour solen-niser la fête de son ordination (4 juillet), appelée aussi la Saint-Martind'été. Une foule immense accourt de la ville 4 cette occasion.

(a) Par les soins de Madame Gardaire,' supérieure depuis 1893.(3) Cest le nom sous lequel on s'est habitué à designer Marmoutier,

dans les maisons du Sacré-Coeur.

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leurs portes et de lui faire en ces lieux, comme autrefois,un cortège d'honneur. On se croirait revenu aux âges defoi en voyant, le jour de la Fête-Dieu, et au 4 juillet, cettemultitude de croyants et ce pittoresque défilé de bannièrespasser sous le vaste au\\uj gothiquedu Portailde la Crosseet franchir encore ces murs, vénérables témoins d'uneautreépoque. Alors le vieux monastère est comme renouvelé etle souvenir des anciens moines naît de l'opposition queprésente ce gracieux coup d'oeil : sous les ombrages épaiset majestueux, se déroulent deux lignes de jeunes viergesvoilées de blanc dont les voix fraîches et pures redisentavec élan les grandeurs de l'Homme-Dieu ; alors Celui qui,durant quinze siècles à peine interrompus, fut servi etchanté à Marmoutier, reçoit du haut d'un trône de verdureet de lumière dressé par l'amour de ses épouses, les hom-

mages qu'au nom de nos pères dans la foi, leurs humbleshéritières viennent lui présenter.

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NOMS DES SAINTS

SORTIS DE MARMOUTIER

Saint Catien, évêque de Tours, qui le premier fit séjourdans les rochers de Marmoutier.

Saint Martin, évêque de Tours, fondateur du monas-tère.

Saint Brice, évêque de Tours, disciple de saint Martin.

— Maurille, év. d'Angers,—>

— Corentin, év. de Quimper, —— Victor, év. du Mans —— Victorius, év. du Mans, —— Clair, prêtre, —— Sulpice-Sévère, prêtre, —— Mexme, de Chinon, —— Romain, de Blaye, —

Le vénérable Victor, —Saint Martin, évêque de Lyon —

— René, év. d'Angers, —— Martin, relig. de Marmoutier, abbéde Saintes.

— Martin, — abbé de Brives.

— Savin, — solitaire en Poitou.

— Macaire, — ermite en Anjou.

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— iM -— Léobard, — solitaire.

— Romain, — abbé.Les Sept-Dormants, — solitaires.Le B. Barthélémy, abbé de Marmoutier.Le Yen. Hervé de Villepreux, abbé de Marmoutier.

SAINTS QUI, SELON LA TRADITION

ONT PASSÉ

QUELQUE TEMPS A MARMOUTIER

Saint Patrice, évêque d'Irlande.

— Yrieix, abbé d'Atane (Limousin).

— Firmien, évêque d'Ecosse.

— Conam, saint de Bretagne.

— Mayeul, abbé de Cluny.Le vénérable Frédéric, abbé.

— Ebrard, abbé de Saint-Calais,

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TABLE DES MATIÈRES

Introduction ' i

PREMIÈRE PÉRIODE

DEPUIS LA FONDATION DB MA9MOUTIEK PAR S-VIXT MAftTt*

JUSQU'A L'ARRIVÉ* DES BEXCDICTtXS (475-982)

CHAPITRE PREMIER;

Fondation d« Marmoutier par saint Martin. — Les premiersmoines. — Ecole de Marmootier. — Saint Brice. — SaintsEvéques sortis de Marmoutier 3

CHAPITRE II

Les disciples de saint Martin. — Saint Clair, saint Mexme. —Salpice-Sérère. — Les Sêpt-Dormants.

— Dernières années desaint Martin. — La sainte Ampoule. — Mort du saint fon-dateur.... 12

CHAPITRE III

Les premiers abbés de Marmoutier après saint Martin. — Plusieurssaints viennent se perfectionner à l'école du Grand Monastère. —Saint Yrieix. — Fontaine de saint Martin. — Origines des sta-tions de Pâques à Marmoutier. — Saint Léobard 19

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- i56 -CHAPITRE IV

Marmoutier du vit* au x« siècle. — Privilèges accordés au monas-tère par Charlemagne. — L'abbé Regnauld. — Translation ducorps de saint Gorgon.— Le comte Vivien. — L'abbé Héberne.—Premièie invasion des Normands. — La Subvention de saintMartin. — Le* Normands à Marmoutier. — Destruction du mo-nastère. — Translationdu corps de saint Martin à Auxerre.

• —Réversion de saint Martiu. — Etablissement des chanoines a Mar-moutier 24

DEUXIÈME PÉRIODE

DEPUIS L'INSTALLATION DES BÉNÉDICTINS A MAEMOUTUK JUSQU'À

L'ETABUSSEMEXT DES ABBÉS COUNEXDATAIRES (982-1539

CHAPITRE PREMIER

Installation des Bénédictins à Marmoutier. — Saint Mayeul deCluny. — Les nouveaux abbés réguliers : Gerbert, Dernier, Gaus-bert, Stcbard, Ebrard. — Le culte des morts à Marmoutier. —Abus survenus dans les stations de Pâques.— L'abbé Albert; im-

portance et sagesse de son gouvernement 35

CHAPITRE II

Le bienheureux Barthélémy, abbé de Marmoutier. — Il jette les "

fondementsd'une nouvelleégliseabbatiale.— Ungrand nombre denobles se font moines à Marmoutier. — Donations diverses faites

au monastère. — Miracles attribués au bienheureux Barthélémy.

— Sa mon 46

CHAPITRE III

Bernard de Saint.Venant. — Conflit entre les moines de Marmou-tier et les archevêques de Tours au sujet des stations de Pâques.

— Le pape Urbain II à Marmoutier. — Dédicace de la nouvelleéglise abbatiale. — Donations de l'abbé Yves de'Chartresau mo-nastère. — L'abbé HUgodus 5a

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CHAPITRE! IV

Guillaume de Combourg. — Eu-Jes. — Vision de Foulques d'Anjou.Amitié de l'abbé Eudes et de saint Bernard. — Apparition mer-veilleuse dont est favorisé un moine de Marmoutier 59

CHAPITRE V

Gantier. — Mort édifiante d'un jeune enfant. — Robert I Méguery.

— La chapelle mortuaire de saint Benoit. — Le bienheureuxHervé de Vt!lépreux. — Grandes constructions au monastère. —L'abbaye à l'apogée de sa grandeur. — Hervé se démet de sacharge et meurt en pénitent dans les grottes de Marmoutier 64

CHAPITRE VI

Geoffroy de Coursol. — Hugues de Rochecorbon. — La Porte dela Crosse et la Porte de la Mitre. — Nouvelleéglise abbatiale deMarmoutier 71

CHAPITRE VU

Premiers symptômes de décadence.—>

Geoffroy de Conam. —Scandale donné par quelques religieux. — Persécution des comtesde Chatillon. — Susception des reliques des martyrs de la LégionThébaine à Marmoutier 74

vCHAPITRE VIII

Etienne de Vernon. — Robert de Flandre. — Usage de la Mitre etde l'anneau concédé aux abbés de Marmoutier. — Eudes de Brac-coles. — Achèvement de l'église du monastère 82

CHAPITRE IX

Jean de Mauléon. — Fondation du collège du Plessis à Paris.—>

Simon-Ie-Maye ; il devient évêque de Chartres.— Pierre du Puis.

— Tentative criminelle des bourgeois de Tours contre le monas-tère 86

CHAPITRE X

Gérard du Puis. — Nombreuses charges dont il est gratifié. — Gé-rard Paute. — Elie d'Angoulême. — Gui de Luro ; sa grande cha-

rité. — Pierre Marques. — Détresse de l'abbaye de Maimoulier.. 91

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- 15» -CHAPITRE XI

Gui Vigier l'ancien. — Gui Vigier le jeune. — Affaiblissement del'observance dans le monastère, à la fin du xv* siècle. — Le vé-nérable P. Binet. — Louis Pot; il cumule les bénéfices.—FrançoisSforce ; sa vie licencieuse et sa triste fin. — Mathieu Gauthier.—Philippe Huraut, dernier.abbé régulier de Marmoutier 95

TROISIÈME PERIODE

DE L'INSTITUTION DES ABBÉS COMMENDATAIRBS JUSQU'A LA RÉVOLUTION

(1540*1797)

CHAPITRE PREMIER

Introduction du régime des Abbés Commendataires. — Le cardinalJean de Lorraine. — Le cardinal Charles de Lorraine,— Pillagede l'abbaye par les huguenots. — Jean de la Rochefoucauld. —Erection de la congrégation gallicane des Bénédictins — Funé-railles solennelles de l'abbé de la Rochefoucauld. — Jean d'A-vril/* .. <

loi

•CHAPITRE II

Le cardinal François de Joyeuse. — La Sainte-Ampoule de Mar-moutier portée solennellement à Chartres pour le sacre deHenri IV. — Prodigalités du Cardinal de Joyeuse. — Attiédisse*

ment de la vie religieuse. — Premières tentatives de réforme. —La Société dé Bretagne. — Le cardinal de Joyeuse renonce àson abbaye pour devenir archevêque de Rouen 107

CHAPITRE III

Charles de Bourbon. — Sébastien Dori G^ligaî. — La Société deBretagne à Marmoutier. — Alexandre de Vendôme. — Le car-dinal de Bérulle. — Le cardinal de Richelieu. — Licences scan-daleuses parmi le* moines. — Concordat ave: les religieux de laCongrégation de Saint-Maur. — Réforme de l'abbaye de Mar-moutier. — Les grands prieurs. — Susception de; reliques desaint Martin obtenues de Cluny. — Le collège de Marmoutier, àParis, cédé aux Jésuites 115

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CHAPITRE IV

L'abbé Jean Baptistede Vignerod.—

Mutineriedequelques religieuxmécontents. — Arr&l du roi en faveur des réformés. — La famine

en Touraine. — Démission de l'abbé Jean Baptiste de Vignerod.

— Joseph de Vignerod.— Dom Germain Morel, prieur, fait bâtirles terrasses de Marmoutier. — Dom Joachimle Comtat. — Cons-tructions magnifiquespour l'achèvementdu monastère. — L'abbéPaul de Lionne. — Un ouragan se déchaîne sur l'abbaye. —Louis de Bourbon, prince de Clermont, dernier abbé de Mar-moutier. — Suppression du titre abbatial 131

CHAPITRE V

Les derniers prieurs de Marmoutier. — L'escalier monumental. -*Nouvelles visites princières. — Approches de la Révolution. —Cahier de doléances présenté au roi par les moines. — Passagede la Révolution sur l'abbaye. — Consommation de sa ruine.... 129

QUATRIÈME PÉRIODE

DEPUIS LE PASSAGE DE LA RÉVOLUTION SUR LE MONASTERE

JUSQU'À L'ÉTABLISSEMENT

DES DAMES DU SACRÉ-COEUR ET L'ÉPOQUE ACTUELLE 1797-189$)

CHAPITRE PREMIER

Sort de l'abbaye de Marmoutier après le passage de la Révolution.Ventes successives du monastère. — Démolition des édificesclaustraux et de l'église — La destruction est consommée. — Lesderniers débris de l'abbaye. — Dom Guéranger à Marmoutier. —Le domaine est acquis par les Dames du Sacré-Coeur 137

CHAPITRE II

Commencement de restauration. — La révérende mère Barat àMarmoutier. — Acquisition du domaine de Rougemont. — Cons-truction de la chapelle du couvent. — Restaurationdu Repos de

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— i6o —sa'nt Martin. — Prospérité et agrandissement du nouvel éta-blissement. — Restauration de la grqtte des Sept-Dormantset de celle de saint Léobard. — Rétablissement de l'antiquepèlerinage des fêtes de Pâques à Marmoutier. — La pro-cession de la Fête-Dieu. — Dernières fouilles dans l'emplace-ment de l'anciene église. — Le Marmoutier actuel 142

Noms des saints sortis de Marmoutier. — Saints qui, selon latradition, ont passé quelque temps à ManrKmt^^'•TTTT^-k..... 153

FIN

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