histoire de l'eugenisme

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EPFL (Programme SHS) Cours – séminaire de 2 ème année Epistémologie et histoire des sciences Christian Sachse Philosophie et histoire de la biologie 05 – L’eugénisme * Cette présentation se base sur le mémoire de Tania Metrailler : L’eugénisme libéral est-il un eugénisme ? (UNIL, 2008, l’encadrement Christian Sachse)

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En savoir plus sur l' eugénisme .

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Page 1: Histoire de l'eugenisme

EPFL (Programme SHS) Cours – séminaire de 2ème année Epistémologie et histoire des sciences Christian Sachse Philosophie et histoire de la biologie 05 – L’eugénisme * Cette présentation se base sur le mémoire de Tania Metrailler : L’eugénisme libéral est-il un eugénisme ? (UNIL, 2008, l’encadrement Christian Sachse)

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EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 2 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Contenu I. Introduction II. L’histoire et genèse de l’eugénisme III. L’eugénisme : concept et idéologie IV. Les biotechnologies médicales V. Le problème de la liberté individuelle

Page 3: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 3 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

I. Introduction Peut-on encore parler aujourd’hui d’eugénisme ?

Aujourd’hui, la question eugénique resurgit dans le domaine de la génétique,

avec l’apparition de nouvelles technologies biomédicales. La thématique

de l’eugénisme est souvent évoquée autour du diagnostic génétique, en

particulier le diagnostic préimplantatoire et le diagnostic prénatal, autour des

biotechnologies supposées changer la nature humaine, le clonage par exemple,

et autour des recherches en génétique, telles que le Projet Génome Humain

(PGH).

Page 4: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 4 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Différence et similarité :

Tous ces actes médicaux résultent aujourd’hui d’un examen

individuel, alors qu’autrefois l’eugénisme relevait d’une décision de

l’état (différence).

Etant donné que le résultat de ces actes médicaux est similaire à un

programme eugéniste, on pourrait dire que l’eugénisme apparaît

seulement sous une forme nouvelle (similarité). Peut-on donc parler

d’un ancien et d’un nouvel eugénisme ?

Page 5: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 5 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

II. L’histoire et genèse de l’eugénisme

On ne peut répondre à la question posée en introduction sans en

retracer son développement au cours de l’histoire, de ses origines

jusqu’à aujourd’hui. En effet, l’eugénisme ne se restreint pas à un

concept scientifique et philosophique. Il s’agit aussi d’une réalité

historique. Une analyse historique nous permettra ainsi de vérifier si

nous pouvons parler d’un eugénisme passé et d’un eugénisme présent.

Page 6: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 6 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Nous distinguons quatre dimensions historiques de l’eugénisme1.

Pour commencer, dans l’Antiquité, l’eugénisme existe sous forme d’idée,

et cela avant même de porter un nom. Quand, en 1883, le mot

« eugenics » fut fondé, l’eugénisme abandonne son statut d’idée pour

celui d’idéologie, de concept. Puis, entre les deux guerres mondiales, ce

sont des lois eugénistes qui sont promulguées dans de nombreux pays

d’Europe et aux USA. Finalement, après la Deuxième Guerre mondiale,

l’eugénisme entretient une relation étroite (bien que conflictuelle) avec la

génétique médicale. Dès les années 1960, la thématique eugéniste ressurgit

autour des progrès en génétique médicale. 1 Voir Gayon, Jean, L’éternel retour de l’eugénisme, Paris, PUF, 2006, p. 126.

Page 7: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 7 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

I. dimension : L’idée eugénique précède le concept

De l’Antiquité jusqu’au 19ème siècle, l’eugénisme existe sous forme d’idée.

Celle-ci est souvent associée à la volonté de maintenir, voire d’améliorer une

population au moyen du contrôle des mariages. Platon dans La République

évoque déjà deux formes d’eugénisme, que le 19ème siècle appellera

eugénisme négatif et eugénisme positif. L’un consiste à encourager les

mariages et la reproduction des élites, l’autre à limiter, voire à empêcher

certains mariages. Pour un autre exemple, voir Plutarque2 qui affirme que

Sparte (7ème siècle avant J.-C.) possédait une législation selon laquelle les

nouveaux-nés étaient examinés par les anciens pour les « évaluer ».

2 Plutrarque, Les vies parallèles, traduction de R. Flacelière et E. Chambry, Paris, Belles Lettres, 1999.

Page 8: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 8 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

A la Renaissance, l’idée eugéniste est présente dans la plus grande partie

des utopies politiques. Dans ces sociétés idéales, c’est l’autorité publique

qui veille sur la qualité des mariages.

C’est au 17ème siècle que l’idée eugéniste prend un tournant important :

l’eugénisme s’inscrit désormais dans une perspective médicale. Ce sont

en effet des médecins qui se chargent d’élaborer des projets eugénistes3.

C’est essentiellement en France que cette forme d’eugénisme médical

apparaît. Bon nombre de médecins français ont cherché à lutter contre la

dégénérescence en prônant la sélection des géniteurs.

3 Voir Feingold, D, Josué, Principes de génétique humaine, Paris, Hermann, 1998, p. 462.

Page 9: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 9 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

II. dimension : Francis Galton, le père fondateur du mot

« eugénisme » :

C’est en 1883 que le scientifique anglais Francis Galton (1822-1911),

cousin de Charles Darwin introduit le terme eugenics. Littéralement,

« eugénisme » signifie donc la « bonne naissance »4.

« Si l’on mariait les hommes de talent, de même caractère physique et

moral qu’eux-mêmes, on pourrait, génération après génération, produire

une race humaine supérieure ... »5 4 Galton, Francis, Inquiries into Human Facult and its Development, London, J.-M. Dent & Sons, 1883.

Page 10: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 10 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Analogie :

C’est en observant les pratiques des horticulteurs et des éleveurs que

Galton eut l’idée de prendre en charge l’évolution de l’espèce

humaine. Même si à l’époque les connaissances sur l’hérédité des

plantes et des animaux n’étaient pas proprement scientifiques mais

fondées sur des pratiques empiriques (les travaux de Mendel

n’étaient alors connus ni de Darwin ni de Galton), les éleveurs et

les horticulteurs parvenaient à obtenir des variétés d’animaux et de

plantes stables. Galton fit le pari de les imiter avec l’espèce humaine.

5 Galton dans un article du Macmillan’s Magazine en 1865.

Page 11: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 11 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Croisement + X :

Mais Galton n’envisage pas le croisement comme seule mesure

eugéniste. La science de l’amélioration de l’espèce humaine ne se

restreint pas aux croisements. Elle inclut « toutes les influences

susceptibles d’améliorer les qualités innées d’une race, et de les

développer au mieux. »6 Il s’agit là d’un point important. En effet,

après Galton, la plupart des eugénistes proposeront une quantité de

mesures différentes, capables d’améliorer l’espèce humaine. Il s’agit

principalement de l’éducation, de l’hygiène et de la médecine.

6 Il s’agit d’une des dernières définitions données par Galton en 1909.

Page 12: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 12 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Différence entre I. et II. dimension :

Si l’eugénisme restait une idée dans l’Antiquité, il prend en effet une

autre dimension avec Francis Galton. Il s’agit de la deuxième

dimension de l’eugénisme, soit l’eugénisme comme idéologie. Le

scientifique anglais se démarque en effet de ses prédécesseurs avec sa

théorisation de l’idée eugénique. Avec Galton, l’eugénisme devient

une théorie qui se construit sur des bases scientifiques et émerge à

partir d’un double contexte scientifique : celui des théories de

l’hérédité et de la théorie darwinienne de l’évolution.

Page 13: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 13 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

III. dimension : les lois eugéniques

Charles Davenport (1866-1944), scientifique américain, de retour d’un

voyage en Angleterre durant lequel il a rencontré Francis Galton, Davenport

formule le désir d’établir une station expérimentale où il souhaite entreprendre

des recherches sur l’évolution et l’hérédité afin d’améliorer l’espèce humaine.

C’est en 1904 à Cold Spring Harbor que Davenport réalise son projet : une

station de recherche est fondée. Il s’agit de la Stat ion for the Experimental

Study o f Evolut ion .7 Les domaines de recherche concernent la variation,

l’hybridation et la sélection naturelle.

7 Kevles, Daniel, Au nom de l’eugénisme : génétique et politique dans le monde anglo-saxon, Paris, PUF, 1995. Cet ouvrage constitue l’une des sources les plus complètes pour traiter de la popularisation de l’eugénisme dans le monde anglo-saxon.

Page 14: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 14 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Davenport et Mendel :

Application des lois mendéliennes : Après avoir réalisé un travail

sur la couleur des yeux, des cheveux et de la peau chez l’homme,

Davenport souhaite examiner un plus grand nombre de caractères

héréditaires chez l’homme. Il entreprend pour cela une étude auprès

de la population. Après un examen des généalogies, Davenport

conclut qu’un trait fréquent au sein d’une famille doit être un caractère

héritable. Il a cherché à montrer que ces traits se transmettent

conformément aux lois de Mendel.

Page 15: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 15 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Déterminisme génétique : Davenport soutenait que l’on pouvait

parler de transmission héréditaire pour bon nombre de traits

mentaux tel que l’épilepsie, la démence mentale, la délinquance

criminelle, l’alcoolisme. Comment expliquait-il la transmission de la

démence, de la délinquance criminelle ou de l’alcoolisme ? Davenport

associait ces traits à des dérèglements de mécanismes physiologiques.

Il allait même jusqu’à démontrer que l’état de misère relève d’une

arriération mentale. Il prenait certes en compte le facteur

environnemental, mais il ne jugeait pas son rôle déterminant.

Page 16: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 16 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Le but : Tout comme Galton, Davenport soutenait que la classe

moyenne, en particulier les intellectuels, offrait les meilleures lignées

biologiques. A ses yeux, les caractères les plus élevés étaient transmis

par la population américaine de souche, de race blanche et de

religion protestante. Reprenant l’eugénisme galtonien, Davenport

pensait qu’il fallait améliorer l’espèce humaine américaine.

Page 17: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 17 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

La méthode : Pour empêcher que les individus génétiquement

défectueux se reproduisent, Davenport admettait l’intervention de

l’Etat. Ces mesures débouchèrent sur les premières lois eugénistes

aux Etats-Unis. Dès 1907, des lois de stérilisation obligatoires furent

établies. On dénombre environ 500'000 stérilisations dans le pays

jusqu’en 1949. A cela s’ajoute l’interdiction des mariages

interraciaux jusqu’en 1967 et la loi sur l’immigration de Johnson-

Reed Act en 1924 contre les immigrés d’Europe du sud et de l’est.

Toutes ces mesures avaient pour objectif la stabilisation voire

l’amélioration de la population américaine.

Page 18: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 18 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

En 1910, Davenport fonda l’Eugenics Record Office qui entreprit

des recherches eugénistes à grande échelle dans le but d’obtenir des

données sur l’hérédité humaine. On enquêta les registres de prisons,

d’hôpitaux, d’asiles dans tout le pays. Les enquêteurs y établissaient

des arbres généalogiques et recensaient des fichiers contenant les

diverses caractéristiques des familles américaines qui étaient

considérées comme potentiellement transmissibles à l’époque. Il

s’agissait de caractères divers tels que l’imbécillité, les capacités aux

échecs, la prostitution, le poids corporel, ou encore le diabète.

Page 19: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 19 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

L’Eugenics Record Office enregistra près de 500 000 fiches en 1918 et pas

moins d’1 million en 1935. Il va sans dire que l’appréciation des

traits restait très subjective en raison du manque de

connaissances scientifiques dans le domaine. L’idée déterministe de

la génétique humaine était alors très marquée.

En 1920 l’Eugenics Record Office est combinée avec la Station for

Experimental Evolution de Carnegie Institution (CIW). Le CIW a fine de

soutenir le travail de l’Eugenics Record Office jusqu’à 1940 (c’est fermé en

1944) en raison de l’affinité avec le nazisme.

Page 20: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 20 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Le déclin de l’eugénisme aux Etats-Unis : Ce rapprochement avec

le national socialisme allemand avait déjà commencé à provoquer le

déclin de l’eugénisme aux Etats-Unis à partir des années 1920.

L’image de l’eugénisme se ternissait progressivement. De plus, les

bases intellectuelles et les théories sur lesquelles l’eugénisme américain

s’appuyait se dotaient d’une scientificité dont le sérieux était

contestable. Des généticiens comme Morgan, Muller ou Wright ont

émis de fortes critiques sur le bien-fondé de l’eugénisme.

Page 21: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 21 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

L’eugénisme a connu une popularisation certaine aux Etats-

Unis. Comment l’expliquer ?

Nous pensons que le contexte social peut nous fournir une réponse.

Comme le soulève très justement Diane Paul dans son article8, les

doctrines eugénistes ont souvent servi de rempart aux différentes

craintes de la société. Aux Etats-Unis par exemple, l’immigration a

nourri la peur d’une délinquance et d’une dégénérescence sociale. Les

Américains pensèrent trouver dans l’eugénisme une réponse à

leurs inquiétudes.

8 PAUL, Diane, « Eugenics anxieties, social realities, and political choices », Social Research, 59, 1992, 663-683.

Page 22: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 22 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Pour répondre aux inquiétudes d’une immigration importante (on

recensa 27 millions d’immigrants entre 1880 et 1924), certains

politiciens encouragèrent par exemple les Américains de souche à se

reproduire. Dans ses discours, Théodore Roosevelt ne manqua pas de

rappeler aux Américains qu’il était de leur devoir de donner vie à

quatre ou six enfants. Bien plus encore, entre 1907 et 1917, ce n’est

pas moins d’une quinzaine d’Etats américains qui votent en faveur de

lois sur la stérilisation. Celles-ci prévoyaient la stérilisation obligatoire

des criminels, des épileptiques et des malades mentaux.

Page 23: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 23 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Aux Etats-Unis, les mesures eugénistes visaient essentiellement les

immigrés. La peur d’une submersion des immigrés explique le passage

d’une idéologie eugéniste à des lois eugénistes. La motivation de

l’eugénisme américain était d’ordre ethnique. Ce ne fut pas le cas

de l’eugénisme anglais qui avait pour principale cible la population

pauvre des villes, autrement dit la classe ouvrière. Celle-ci,

contrairement aux immigrés américains, n’était pas politiquement

impuissante et désorganisée. La force de la classe ouvrière britannique

lui permit de faire face à l’élaboration de lois eugénistes.9

9 Proposition de Diane B. Paul dans son article : « Controlling Human Heredity », 1995.

Page 24: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 24 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

L’eugénisme nazi et ses conséquences

Le début : Le mouvement eugéniste américain remporta un franc succès en

Allemagne. Leurs programmes étaient la plupart du temps considérés comme

des modèles. En 1913 par exemple, Géza von Hoffman, membre de la société

eugénique de Berlin, publia un rapport sur le mouvement eugéniste américain.

Avant que le nazisme prenne les commandes du pays, l’eugénisme allemand

existait, mais sous une forme politique et éthique différente. En 1905, la

Société allemande pour l’hygiène raciale fut fondée. A l’origine, la société

était dirigée par des élitistes technocrates inquiets de la fertilité

déclinante de la classe dite supér ieure .

Page 25: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 25 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Les eugénistes ne comptaient pas alors parmi eux d’antisémites ou

d’ultranationalistes. Des généticiens juifs tels que Richard Goldschmidt, Franz

Kallmann ou encore Curt Stern appartenaient d’ailleurs à la société allemande.

Comme partout ailleurs, le mouvement eugéniste recevait tant le soutien des

libéraux et des socialistes que des conservateurs. Cette mixité engendrait

d’inévitables conflits. Mais tous étaient soucieux de la santé de leur nation et

tous pensaient que la solution à ce problème était la reproduction d’une

population saine et en bonne santé. Le déclenchement de la Première Guerre

mondiale ne fit que renforcer la vision des technocrates : la f i tness de leur

nation était en danger.

Page 26: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 26 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Le lien entre les Etat-Unis et l’Allemagne : A la fin de la Première Guerre,

des liens étroits se tissèrent entre les eugénistes allemands et américains. Harry

Laughlin, responsable de l’Eugenics Record Office, s’intéressa de près à

l’Allemagne. L’avènement du nazisme en Allemagne ne changea rien aux

relations qu’entretenait Laughlin avec les généticiens allemands. Bien au

contraire, Laughlin continua à soutenir les pratiques eugéniques allemandes et

participa même à la propagande nazie. En 1935, lors du congrès international

de la science des populations à Berlin, Laughlin soutient que le but des lois

établies en Allemagne était eugénique et non pas raciste. A ses yeux, ces

lois constituaient des remparts contre d’éventuels abus.

Page 27: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 27 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Avant 1933, date de la prise du pouvoir par le régime nazi, la plupart

des eugénistes allemands s’étaient montrés réticents à une

stérilisation obligatoire des individus génétiquement atteints. Ils

considéraient que le projet était peu réaliste sur le plan politique mais

aussi peu fondé sur le plan scientifique. Un projet de loi de

stérilisation avec le consentement de la personne en question ou d’un

tuteur fut toutefois proposé en 1932.

Page 28: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 28 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Le changement : Quand Adolf Hitler s’empara du gouvernement,

les nazis promulguèrent leur propre loi qui autorisait la stérilisation

forcée des individus présentant des troubles tels que la

schizophrénie, l’épilepsie, les déformations physiques, la cécité

et l’alcoolisme. Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’argument

invoqué ne relevait cependant pas de la race, mais du coût de la prise

en charge des malades. C’est au médecin que revenait la décision de

stérilisation, sans prendre en compte l’opinion du malade ni du tuteur.

Page 29: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 29 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Quelques chiffres : On compte 400'000 personnes stérilisées

entre 1934 et 1937, pas moins de 10% dans certaines régions10.

Douée d’un tel pouvoir, la profession médicale s’en trouva fortement

changée. La médecine est désormais au service de la politique. Le

régime nazi ne se contenta toutefois pas de prendre des mesures pour

empêcher la reproduction d’individus génétiquement atteints. Il mit

également sur pied des programmes d’eugénisme positif. Il chercha

à encourager la reproduction d’individus génétiquement supérieurs en leur

offrant des prêts et des subsides.

10 Ces chiffres sont avancés par Bock G (1986), dans Zwangsterilization im Nationalsozialismus, Westdeutscher, Opladen.

Page 30: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 30 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Le programme d’euthanasie : En 1939, un programme secret

d’euthanasie appelé T4 (Tiergartenstrasse 4 à Berlin) fut mis sur pied afin

de faire disparaître les malades mentaux de la nation. Mais le subterfuge ne

fonctionnera pas indéfiniment : l’opinion publique s’opposera au programme.

La population manifeste sa résistance. Le programme T4 prend fin en 1941.

72'000 personnes furent tuées jusqu’en 1941. La plupart dans des

chambres à gaz. C’est sur la base de ces pratiques que la politique

d’extermination massive s’appuiera. Les mesures racistes qui furent prises peu

après l’accession de Hitler au pouvoir conduisirent en effet à l’extermination

de masse que nous connaissons.

Page 31: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 31 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Résumé :

Dès la fin du XXe siècle, l’eugénisme n’existe plus seulement sous

forme d’idéologie. Il s’agit aussi de pratiques inscrites dans un cadre

juridique. Comme le signale Diane Paul dans son article, l’eugénisme

n’a pas toujours conduit à des lois eugénistes et les lois eugénistes

n’ont pas toujours mené à des exterminations massives.

Cela suggère la conclusion que le contexte politique joue un rôle

de poids en ce qui concerne les pratiques eugéniques.

Page 32: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 32 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Quoi qu’il en soit, l’holocauste a marqué une rupture certaine

dans l’histoire de l’eugénisme. A la fin de la Deuxième Guerre

mondiale, le terme « eugénisme » est désormais teinté d’une

profonde aversion est peu à peu abandonné. Depuis, la question

de l’eugénisme s’accompagne souvent d’une référence aux pratiques

nazies. Le terme suggère d’abord une politique d’élimination, voire

d’extermination massive des inaptes.

Page 33: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 33 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

IV. dimension : Le retour de la question eugénique dans les

années 1960

La thématique eugénique refera surface dans un contexte scientifique

nouveau : celui de la génétique moléculaire. La question de

l’eugénisme resurgit en effet autour du perfectionnement de la

génétique médicale et du développement des biotechnologies.

La biologie moléculaire donnera à l’eugénisme de nouveaux outils.

Page 34: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 34 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

La génétique médicale se développe pour répondre aux inquiétudes

des parents et des cliniciens au sujet des risques de maladie génétique.

Dans les années 1940 apparaît aux Etats-Unis une pratique médicale

inédite : le conseil génétique. Au début, le généticien ne se

contentait pas d’informer les parents de la probabilité que leurs

enfants soient affectés par telle ou telle maladie génétique. Il allait

jusqu’à leur recommander de ne pas avoir d’enfant si un risque se

présentait. Cette prise de position était motivée par l’idée d’une

responsabilité du médecin généticien non seulement face aux patients,

mais face à la population tout entière.

Page 35: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 35 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Cette conception eugénique du conseil génétique se modifia en 1947,

date de l’invention de l’expression conse i l génét ique par Reed11. Le

médecin – généticien doit faire preuve de neutralité. Il s’agit de ne

pas influencer la décision des parents et de respecter leur choix. Le

conseiller n’est plus au service de la population, mais au service de ses

patients. La reproduction devient alors une question d’ordre

privé. L’Etat n’a plus à intervenir.

11 REED, S., A short history of genetic counseling, Dight Instit. Bull., 1974, 14, 1-10.

Page 36: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 36 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

La thématique eugénique a toutefois ressurgi avec le développement

de l’amniocentèse et de la légalisation de l’avortement dans les

années 1970. C’est dans les années 1960, qu’apparaît la technique de

l’amniocentèse. Il devient alors possible de procéder à un diagnostic

des cellules fœtales. De nombreuses anomalies chromosomiques ou

génétiques peuvent rapidement être repérées, de même que certaines

anomalies non génétiques.

L’avancée scientifique de la génétique et la légalisation de

l’avortement ont entraîné un déplacement de la question

eugénique du domaine public au domaine privé.

Page 37: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 37 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

La grande question à savoir :

Dès lors que ces pratiques ne sont plus coercitives mais individuelles,

dès lors qu’elles ne s’inscrivent plus dans un contexte politique mais

dans un contexte médical, y a-t-il encore un sens à parler

d’eugénisme ? Autrement dit, la quatrième dimension est-elle

vraiment une dimension de l’eugénisme ? Les réponses à ces

interrogations dépendront de la définition que l’on donne au concept

d’eugénisme.

Page 38: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 38 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

III. L’eugénisme : concept et idéologie

La difficulté de définir l’eugénisme : le terme n’est pas seulement

utilisé pour des pratiques très différentes, mais le terme est aussi très

connoté.

Exemple pour le deux aspect : l’eugénisme ≠ l’euthanasie

Page 39: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 39 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

L’eugénisme positif et l’eugénisme négatif

L’eugénisme négatif vise à empêcher d’une part la procréation de personnes

porteuses de traits supposés « indésirables » et d’autre part, d’empêcher la

propagation de caractéristiques héréditaires jugées indésirables (unfit), par

exemple des pathologies héréditaires, en évitant leur transmission. Les

pratiques qui ont pour but d’éliminer les individus dysgéniques sont parfois

brutales et coercitives, d’autres non. Il s’agit de l’interdiction du mariage, de

l’enfermement, de la stérilisation, de l’avortement, de la contraception, du

diagnostic prénatal, et du diagnostique préimplantatoire. Toutes ces méthodes

visent bel et bien l’élimination de l’unfitness.

Page 40: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 40 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

L’eugénisme positif encourage la procréation de personnes porteuses de

traits supposés indésirables. Il vise aussi à promouvoir des traits isolés comme

la couleur des yeux, la taille, la mémoire, la faculté de spatialisation

mathématique etc. Les pratiques qui encouragent leur transmission sont les

banques de sperme, l’insémination artificielle et peut-être, dans le futur, la

thérapie génique. Une fois encore, ces méthodes visent l’amélioration de

certains traits héréditaires, mais cela n’implique pas nécessairement leur

caractère eugénique.

Page 41: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 41 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Comment distinguer les deux ?

Il n’est pas toujours facile de faire une distinction entre les deux

formes d’eugénisme, étant donné que les mêmes mesures peuvent

avoir des effets eugéniques à la fois positifs et négatifs. Exemple ?

En plus, les deux formes d’eugénisme (positif et négatif) ne se

distinguent pas par leur caractère coercitif ou volontaire. L’une et

l’autre peuvent revêtir l’une ou l’autre de ces caractères.

Page 42: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 42 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Distinction entre l’eugénisme autoritaire et l’eugénisme libéral

L’eugénisme d’Etat et l’eugénisme libéral se distinguent principalement par

leur contexte et leurs finalités. Aux Etats-Unis et en Allemagne, l’eugénisme

d’Etat s’est développé dans un contexte social en crise, peu avant la guerre. Le but

recherché par cette forme d’eugénisme autoritaire est l’amélioration de l’espèce

humaine. La citation de Charles Richet (1922) est à ce propos éloquente :

« L’individu n’est rien, l’espèce est tout. » Aujourd’hui, il ne s’agit plus de se

préoccuper de l’espèce : l’individu est placé au premier plan. Les

biotechnologies ne sont pas en mesure de modifier l’espèce humaine. Les

techniques de procréations médicalement assistées et les dépistages relèvent d’un

choix personnel (l’individu est au centre des intérêts de l’eugénisme libéral).

Page 43: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 43 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Distinction entre intentions et effets eugéniques

Différence de l’intention :

L’eugénisme autoritaire : Dans la mesure où l’eugénisme d’Etat

recherche l’amélioration de l’espèce humaine, il s’agit clairement d’un

objectif eugénique.

L’eugénisme libéral : L’intention des parents est avant tout d’éviter

la naissance d’un enfant malade ou handicapé. Dans ce cas de figure, il

n’y a pas à strictement parler d’intention eugénique.

Page 44: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 44 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Fait : L’eugénisme autoritaire et l’eugénisme libéral ont les mêmes

effets – l’amélioration de l’espèce.

Question : La question est donc de savoir si l’on peut encore parler

d’eugénisme dès lors qu’il n’y a pas d’intentions eugéniques.

Autrement dit, peut-on définir l’eugénisme en termes d’intention ?

L’argument en faveur : Si l’on exclut l’intention de la définition, le

terme devient trop large parce qu’il y a beaucoup (trop ?) pratiques qui

aboutirent directement ou indirectement à l’amélioration de l’espèce…

Page 45: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 45 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

L’argument contre : Les intentions qui se cachent derrière un

diagnostic prénatal ne sont pas toujours faciles à déterminer. Il devient

alors par exemple difficile d’évaluer si le diagnostic prénatal est

eugénique. Autrement dit, « l’intention » ne constitue pas un critère

fiable.

Réflexion : Il serait bien que la définition de l’eugénisme n’exclut pas

la possibilité qu’une pratique eugénique soit née d’une décision

individuelle.

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EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 46 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

IV. Les biotechnologies médicales

Le diagnostic prénatal (DPN)

C’est l’analyse des cellules fœtales (après une amniocentèse).

Le but est de vérifier si l’embryon est atteint d’une pathologie

génétique et donc, le cas échéant, de prendre la décision d’effectuer un

avortement thérapeutique.

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EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 47 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Le diagnostic préimplantatoire (DPI)

Le DPI est une analyse d’une ou de plusieurs caractéristiques

génétiques d’embryons in vitro (hors de l’organisme).

La fécondation in vitro (FIV) a été développée dans les années 1970 et

le premier bébé-éprouvette, Louise Brown, est né en 1978. On prélève

des ovocytes, après stimulation hormonale, qu’on met en présence des

spermatozoïdes en laboratoire. L’embryon est ensuite réimplanté dans

l’utérus maternel.

Page 48: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 48 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

La technique du DPI tient en deux étapes : le prélèvement du

matériel génétique et les méthodes d’analyse. Le matériel que prélève

généralement le généticien consiste en une ou deux cellules d’un

embryon de trois jours, composé de huit cellules, appelé blastomère.

Ces cellules sont dites totipotentes, car aucune fonction ou destination

précise dans le futur organisme ne leur a encore été attribuée. Seules

les cellules dépourvues d’anomalies génétiques sont implantées dans

l’utérus de la mère, pour éviter un avortement thérapeutique.

Page 49: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 49 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Le but visé par ce test génétique prévisionnel est d’éviter la

transmission de pathologies héréditaires. S’il y a lieu, les embryons

testés en éprouvette, porteurs d’anomalies génétiques, ne sont pas

réimplantés dans la mère, lui épargnant ainsi une interruption de

grosses. Cependant cette technique permet non seulement un

contrôle, mais plus encore, une sélection de la descendance.

L’opération vise clairement à éliminer l’unfitness.

Page 50: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 50 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Quelles sont précisément les questions éthiques qu’engendre la

pratique du DPN et du DPI ?

Elles portent principalement sur la légitimité à empêcher un embryon

porteur d’anomalies génétiques de se développer.

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EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 51 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

En faveur du DPN et du DPI : Les partisans avancent l’argument

de la souffrance de l’enfant et celle des parents. Ils soutiennent que la

sélection et l’élimination des embryons présentant des pathologies

génétiques permettent d’échapper à la douleur (physique et

psychologique) éprouvée par l’enfant malade de même qu’à la

souffrance des parents face à celle de leur enfant et parfois même face

à une stigmatisation. L’argument est pertinent dans le cas d’une

maladie génétique grave et incurable.

En revanche, certaines pathologies n’empêchent pas le malade de

vivre presque sans douleur (physique) et de façon autonome.

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EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 52 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Les opposants avancent l’argument du statut de l’embryon. Ils

estiment que l’opération viole le principe de protection absolue de la

vie qui vaut dès la conception. Cet argument nous paraît faible, car

emprunt d’une forte subjectivité. A partir de quand peut-on prétendre

qu’un embryon est une personne ? Dès lors qu’il est conçu ? Dès lors

que son système nerveux est développé ? Dès lors qu’il voit le jour ?

Ces questions semblent irrésolubles.

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EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 53 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Argument alternatif – l’instrumentalisation : J. Habermas nous

propose de les contourner et de se pencher sur le rapport entre les parents et

l’enfant.12 Dans le cas du DPN et du DPI la protection de l’enfant à naître

entre en conflit avec le comportement des parents qui, en considérant leur

enfant comme un bien, l’instrumentalisent. Leur démarche est motivée par

un désir d’enfant, mais ils sont prêts à y renoncer si l’embryon est porteur

d’une anomalie. Cette tension est indissociable de la pratique du DPN et du

DPI. Il compare les parents à des « consommateurs » qui peuvent décider

d’une existence sous condition.

12 Habermas, Jürgen, L’avenir de la nature humaine, Vers un eugénisme libéral ?, traduit de l’allemand par Christian Bouchindhomme, Paris, Gallimard, 2002, p. 50-51.

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EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 54 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Comment éviter l’instrumentalisation ?

1) De considérer l’enfant à naître comme une personne potentielle.

2) D’accepter que la pierre de touche de toute législation bioéthique

consiste dans le consentement des personnes génétiquement

modifiées.

Il est possible (à discuter) de prévoir toutes les transformations qui

pourraient ne pas recevoir à coup sûr le consentement de la future

personne. Toutes ces modifications doivent être bannies.

Page 55: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 55 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Réflexion sur l’eugénisme positif et l’eugénisme négatif :

Habermas refonde ainsi la différence entre l’eugénisme positif et

l’eugénisme négatif. Selon lui, l’eugénisme thérapeutique est guidé par

le principe de liberté du sujet alors que l’eugénisme d’amélioration

n’en tient pas compte. Habermas soutient donc une thérapie génique

visant un eugénisme négatif strict, c’est-à-dire l’élimination en principe

inévitable de malformations graves, et par laquelle on peut

raisonnablement supposer un consensus universel, et donc

l’anticipation de la personne concernée.

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EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 56 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

DPI = Eugénisme ?

Il serait bien de distinguer l’intention eugénique de l’effet eugénique.

Dans le cas des parents qui demandent un DPI, on ne peut que parler

d’eugénisme négatif. Leur but n’est non pas d’améliorer l’espèce

humaine, mais d’éviter la naissance d’un enfant porteur d’une maladie

grave.

Si à l’heure actuelle, le DPI s’adresse aux couples dits « à risque », il

est probable qu’à l’avenir il devienne une pratique sociale normalisée.

Y aura-t-il un point d’arrêt ?

Page 57: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 57 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

La fécondation « in vivo » (depuis 2006) – un pas vers

l’eugénisme positif ?

La technique : Cette opération consiste à réaliser la fécondation à

l’intérieur de l’utérus en utilisant un transporteur : sperme et ovocytes

sont réunis dans une capsule percée de petits trous, introduite dans

l’utérus. Ils baignent un temps dans le milieu utérin et, dans les

meilleurs des cas, la fécondation à lieu. La capsule est alors retirée

pour procéder au tri des embryons et réimplanter le « meilleur ».

Page 58: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 58 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Réflexion et lien avec DPI :

La fécondation « in vivo » est proche du diagnostique

préimplantatoire et, donc, pose les mêmes questions éthiques.

Pour l’instant, la thématique eugénique se restreint à l’eugénisme

négatif.

Le jour où le génie génétique pourra sélectionner le gène de la couleur

des yeux, de la taille et peut-être même un jour celui de

l’ « intelligence », les bioéthiciens seront confrontés à d’autres enjeux

éthiques, plus intimement liés à la quête de l’homme parfait.

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EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 59 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Le clonage

Définition : A l’origine, le mot « clone » désigne l’ensemble des cellules dérivées

d’une cellule mère et par conséquent identiques à elle. Le sens du terme s’est élargi

en génie génétique (procédé qui consiste à insérer un gène à l’intérieur d’une cellule

mère pour le retrouver dans chacune des cellules filles). Le clonage désigne

également la technique de production de macromolécules identiques codées par le

même gène. Enfin, on appelle « clone » l’ensemble des organismes dérivés d’un

même organisme possédant le même ensemble de gènes dans le noyau de leurs

cellules. Si on applique le clonage à un organisme entier, le procédé consiste donc

à produire une population constituée d’individus qui possèdent un ensemble de

gènes identiques à l’organisme initial.

Page 60: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 60 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

La technique : Il existe deux sortes de techniques de production de

macromolécules : le clonage par scission cellulaire (ou de duplication

embryonnaire) et le clonage par transfert du noyau. Le premier consiste à

produire plusieurs individus génétiquement identiques en provoquant la

séparation des cellules d’un embryon : il s’agit de la séparation du

blastomère13. Lorsque l’embryon est au stade de huit à seize cellules, il est

possible de dissocier chacune d’entre elles et d’obtenir un individu

génétiquement identique à partir de chacune de ces cellules. Cette technique

est s’apparente à la formation naturelle des vrais jumeaux.

13 Dans les 24 heures qui suivent la fécondation, le zygote commence à subir une série de divisions mitotiques, dont l’ensemble est appelé segmentation. Ces divisions ont pour effet de partager le volumineux zygote en de nombreuses cellules-filles appelées blastomères.

Page 61: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 61 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Dolly : Quant au clonage par transfert du noyau, il permet de

produire plusieurs individus génétiquement identiques en transférant

le noyau d’une cellule d’un organisme adulte dans un ovule. C’est cette

technique que les scientifiques de l’Institut Roslin, en Ecosse, ont

pratiqué pour créer la fameuse brebis Dolly en 1997.

Depuis sa création, on peut cloner le singe, le chat, la mule et le

cheval. Contrairement au clonage par scission cellulaire qui est

aujourd’hui courant en reproduction animale, l’efficacité du clonage

par transfert de noyau reste limitée. Le clonage humain est pour

l’instant compromis.

Page 62: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 62 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Le clonage reproductif

Cette forme de clonage aboutirait à la reproduction d’un individu ;

aujourd’hui le clonage reproductif reste limité ; de plus, les animaux

clonés ont une espérance de vie très limitée.

Le clonage reproductif s’apparent à un eugénisme positif. On

peut en effet voir dans le clonage un moyen d’améliorer l’espèce

humaine en multipliant les individus dits « supérieurs ». Le clone

permettrait de donner vie à des individus « sur mesure », d’après des

critères arbitraires imposés par une norme.

Page 63: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 63 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Le clonage thérapeutique

C’est l’autre forme de clonage, qui consiste à reproduire un gène, une cellule, un

tissu ou un organe à partir de cellules prélevées sur le patient. La technique en est

aujourd’hui à un stade expérimental.

Ses avantages sont nombreux. Parmi eux la garantie de compatibilité des cellules

injectées (elles ne sont pas étrangères) et par conséquent l’évitement

d’immunosuppresseurs aux patients. On peut même espérer qu’un jour, le clonage

thérapeutique se substituera aux greffes d’organes. Seraient ainsi palliées tous les

problèmes (attente d’organes14, trafique d’organes, problèmes de compatibilité,..)

et complications (rejets, viabilité limitée de l’organe,…) liés aux greffes.

14 Aux USA, 62'000 patients sont dans l’attente d’un organe et 11 personnes meurent chaque jour faute d’avoir pu bénéficier d’un organe.

Page 64: Histoire de l'eugenisme

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Le débat éthique autour du clonage thérapeutique

La controverse autour du clonage thérapeutique concerne la

production d’embryons pour disposer de cellules souches

embryonnaires à partir desquelles il possible de construire tous les

types cellulaires de l’organisme à l'exception des cellules

reproductrices. Les opposants au clonage thérapeutique craignent une

production démesurée d’embryons à des fins médicales. La finalité

thérapeutique du procédé est en soi louable. Mais la fin justifie-t-elle

les moyens ?

Page 65: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 65 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Le clonage pose aussi le problème de l’instrumentalisation. Comme le

rapporte la Convention de l’Europe (1998) : « Est interdite toute

intervention ayant pour but de créer un être humain génétiquement

identique à un autre être humain vivant ou mort », et donne cette

justification : « L’instrumentalisation de l’être humain par la création

délibérée d’êtres humains génétiquement identiques est contraire à la

dignité de l’homme et constitue un usage impropre de la biologie et de la

médecine ». Cette loi s’inscrit dans un cadre kantien. Kant soutenait en

effet que la personne ne doit pas être considérée comme un moyen, mais

comme une fin en soi.

Page 66: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 66 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

V. Le problème de la liberté individuelle A l’heure actuelle, aucune mesure n’est obligatoire en ce qui concerne

l’interruption de grossesse, ou le diagnostic préimplantatoire, ou

d’autres méthodes de procréation médicalement assistée. La décision

revient au couple. Bon nombre de scientifiques et de bioéthiciens

estiment que cette « liberté » individuelle constitue un rempart solide

contre l’eugénisme. A leurs yeux, la problématique morale de

l’eugénisme s’est en effet évaporée dans le passage de l’eugénisme

d’Etat à l’eugénisme privé.

Page 67: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 67 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

L’argument en faveur de ce pas : Les conséquences eugéniques ne

suffisant pas à définir l’eugénisme, elles doivent être distinguées des

intentions eugéniques. Limiter l’eugénisme à l’intervention de l’Etat, à

une contrainte, permet ainsi de démarquer l’eugénisme de la génétique

humaine.

Objection I : Si aucune mesure obligatoire n’est imposée aux parents

dans leur décision de recourir à un avortement ou à un diagnostic

préimplantatoire, d’autres paramètres, tel que la norme et les valeurs

limitent la liberté individuelle.

Page 68: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 68 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Objection II – le critère du libre choix remis en question

Prenons l’exemple d’une mère qui est dans l’obligation d’avorter en

raison d’un manque d’aide sociale. Dans ce cas, la contrainte est

d’ordre financier. Même si cette mère n’est pas soumise à une autorité,

elle n’est pas véritablement libre de choisir. Doit-on parler de

contrainte, ou d’absence de choix ? Pour conclure, de définir

l’eugénisme en fonction du critère de la contrainte pose de réelles

difficultés et semble insuffisant.

Page 69: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 69 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

L’éduction et l’eugénisme

Aujourd’hui, les parents peuvent non seulement « déterminer » leur

progéniture par l’éducation, mais aussi par la manipulation génétique.

Nombreux sont les partisans de l’eugénisme libéral qui établissent des

parallèles entre le déterminisme génétique et le déterminisme éducatif.

Ils soutiennent qu’il n’y a pas de différence morale entre l’eugénisme

et l’éducation. Autrement dit, la programmation génétique n’est pas

plus condamnable que l’éducation, qui relève aussi, en quelque sorte,

d’une forme de déterminisme.

Page 70: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 70 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Objection : Habermas considère en effet qu’il existe bel et bien une

différence entre une influence génétique qui a un effet ontologique et

une influence éducative, dont l’effet est communicationnel. A

discuter…

Page 71: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 71 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

La question de la norme autour de l’eugénisme

La norme change. L’exemple : les progrès réalisés dans le dépistage de la trisomie 21 rendent les naissances d’enfants trisomiques de moins en moins normales. Depuis le milieu des années 1960, les médecins recoururent à l’amniocentèse pour dépister la trisomie 21. Aujourd’hui, une nouvelle forme de test de dépistage existe. Il s’agit du dépistage sur le dosage de marqueurs biochimiques dans le sang maternel. Les gynécologues demandent systématiquement à toutes leurs patientes si elles souhaitent se soumettre à un test de dépistage, par une simple prise de sang. La grande majorité des femmes le passent et avortent si le test de dépistage est positif. Cette pratique s’est peu à peu banalisée et a provoqué un déplacement de la norme en ce qui concerne les naissances d’enfants trisomiques. Aujourd’hui, il est de moins en moins « normal » de naître trisomique.

Page 72: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 72 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Le changement de la norme implique un changement de ce que est stigmatisé + exerce l’influence sur le « libre » choix.

L’exemple et l’argument en faveur de cette implication : le déplacement de la normalité a lui-même engendré une stigmatisation des parents qui choisissent de donner naissance à un enfant trisomique. Cette stigmatisation exerce une influence considérable sur le « libre » choix parental. Les effets normatifs empiètent sur la liberté individuelle. Contre : les libéraux ne considèrent pas cette stigmatisation qui s’élève contre le choix parental. Ils soutiennent que les tests de dépistage de la trisomie ne sont pas eugéniques dans la mesure où ils ne sont pas imposés. Autrement dit, ils ne considèrent pas l’eugénisme libéral comme la quatrième dimension de l’eugénisme.

Page 73: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 73 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Réflexion I : il est vrai qu’aujourd’hui, les tests de dosage de marqueurs biochimiques ne s’inscrivent dans un programme d’éradication de la trisomie 21. Ils sont mis à disposition des femmes qui le désirent. Il nous paraît toutefois nécessaire de préciser que la liberté parentale est limitée par des effets normatifs telle que la norme. Réflexion II : Atteindre l’autonomie, le consentement libre et éclairé constitue une véritable difficulté. Lien avec le débat sur le libre arbitre… La question à savoir est finalement si le consentement libre et éclairé, bien que limités, suffisent-ils à qualifier des pratiques de non eugéniques ?

Page 74: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 74 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

La médecine prédictive vs la médecine thérapeutique

La médecine prédictive et ses conséquences : grâce aux tests de dépistage génétique, des pathologies peuvent être décelées (ex. trisomie 21, mucoviscidose,…) et des naissances d’enfants malades peuvent être évitées. La médecine thérapeutique : grâce à la médicine thérapeutique, les malades de la mucoviscidose ont aujourd’hui une espérance de vie de plus de trente-cinq ans. Et les chercheurs espèrent pouvoir améliorer la qualité de vie des personnes atteints de la mucoviscidose grâce à la prometteuse molécule Miglustat.

Page 75: Histoire de l'eugenisme

EPFL (programme SHS) Cours/séminaire de 2ème année 75 Christian Sachse – Philosophie et l’histoire de la biologie

Réflexion I : On constate un grand progrès ; médecine prédictive et médecine thérapeutique semblent évoluer à contre-courant ; par contre, leurs finalités sont contradictoires : d’un côté, la médecine prédictive cherche à détecter les pathologies génétiques dans le but de les éviter ou de les supprimer, d’un autre, la médecine thérapeutique s’évertue à découvrir des traitements, des vaccins pour prolonger l’espérance de vie des malades, pour améliorer leur qualité de vie. Réflexion II : La médecine prédictive s’apparente à une forme d’eugénisme tandis que la médecine thérapeutique cherche à tout prix une alternative à l’eugénisme. Limiter la recherche scientifique, une solution ?