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Histoire de la pensée économique L2 Economie et Management Dumas (15h15-17h15, Jeudi) 24 heures Pierre Garello Plan Introduction 1ère partie: Naissance d'une pensée économique ancrée dans la philosophie politique: les scolastiques Chapitre 1: Contexte économique et institutionnel: 11ème-15ème siècles Chapitre 2: Un riche héritage Chapitre 3: La pensée scolastique 2ème partie: Essor de la pensée économique: Le système mercantiliste et ses critiques Chapitre 1: Contexte économique et institutionnel: 16ème -18ème siècles Chapitre 2: Les différentes expressions du mercantilisme Chapitre 3: La critique Smithienne 3ème partie: Science économique et Pensée économique: tensions et renouvellements Chapitre 1: Contexte économique et institutionnel: 19ème- 20ème siècles Chapitre 2: Essor de la pensée socialiste Chapitre 3: La pensée économique face à une science qui s'affirme 1

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Histoire de la pensée économique

L2 Economie et ManagementDumas (15h15-17h15, Jeudi)

24 heuresPierre Garello

Plan

Introduction

1ère partie: Naissance d'une pensée économique ancrée dans la philosophie politique: les scolastiques

Chapitre 1: Contexte économique et institutionnel: 11ème-15ème sièclesChapitre 2: Un riche héritageChapitre 3: La pensée scolastique

2ème partie: Essor de la pensée économique: Le système mercantiliste et ses critiques

Chapitre 1: Contexte économique et institutionnel: 16ème -18ème sièclesChapitre 2: Les différentes expressions du mercantilismeChapitre 3: La critique Smithienne

3ème partie: Science économique et Pensée économique: tensions et renouvellements

Chapitre 1: Contexte économique et institutionnel: 19ème- 20ème sièclesChapitre 2: Essor de la pensée socialiste Chapitre 3: La pensée économique face à une science qui s'affirme

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Introduction

Nous verrons dans cette introduction:• qu'entend-on par « pensée économique »? (vision, doctrine)• nécessité d'attacher à une pensée un visage, une histoire, un contexte• l'histoire de la pensée peut-elle être objective? Non, mais elle peut être plus ou moins sérieuse.• Pourquoi ce cours? Mieux comprendre les analyses présentées dans les autres enseignements et savoir les mettre en perspective

Il est fondamental de réaliser que le but premier de ce cours est d’affiner notrecompréhension des phénomènes économiques. L’histoire de la pensée est une façond’aborder l’analyse économique. C’est voir l’analyse économique sous un angle nouveau.

Pour cela nous allons faire de l'histoire, mais une forme bien particulière d'histoire:l'histoire de la pensée.

L'histoire, en tant que domaine articulé de connaissances, est ancienne. On la faitremonter aux auteurs grecs: Les « Enquêtes » d'Hérodote (483-425 BC) ou mieux encorel'histoire de la guerre du Péloponnèse de Thucydide (460-400 BC). Le mot « histoire »vient d'ailleurs d’un terme grec qui signifiait « enquêter » et était dérivé lui-même d'unterme qui désignait également la sagesse.

Ceci dit cette discipline, comme tant d'autres, a connu un essor considérable au coursdes derniers siècles et cela continue: nous faisons aujourd'hui encore des découvertesnombreuses sur les conditions de travail au 19ème, sur la diffusion des technologies, surl'innovation bancaire, etc. C'est que l'histoire s'intéresse à l'homme et que l'homme et lessociétés sont d'une complexité infinie.

L’histoire n’est pas une science exacte et, plus encore que dans le cas d'une science exacte, l'objectivité n'est jamais totale. Le seul fait de s'intéresser à ceci plutôt qu'à cela introduit un biais dans l'explication que l'on va fournir d'un bout d'histoire présélectionné.Par exemple, l'historien qui s’intéresse au rôle de la chrétienté dans les développements politiques de l’occident a clairement choisi de chercher les explications du développement dans une direction. Il aurait pu tout aussi bien s'intéresser au climat ou à la géographie mais il a choisi de se pencher sur l'Eglise et son rôle.

Néanmoins, l'historien est bien un scientifique dans la mesure où il opte pour une méthode claire, une démarche honnête et, très important, un dialogue avec ses confrères.

Il y a de très nombreuses façons d'aborder l'histoire de nos sociétés, souvent

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complémentaires. La plupart d’entre vous a abordé l’histoire à travers l’histoire de la politique. Pourtant ce ne sont pas les faits politiques qui ont toujours eu le plus grand impact sur l'évolution de nos sociétés ! Songez à la découverte du télégraphe ou du téléphone. Ou encore à celle de l’énergie vapeur ou de l’imprimerie. Ou du container !

Quant à nous nous allons faire de l’histoire de la pensée (des idées). Nous nous intéresserons en particulier à l’histoire des compréhensions que les individus ont entretenues des phénomènes sociaux, et en particulier des phénomènes économiques.

Ce n’est pas exactement la même chose que histoire des faits économiques ou encore que l’histoire des théories économiques.

Les faits économiques :

• les grandes découvertes 1495• Les avancées technologiques (dont je parlais à l’instant)• la première société par action• le nombre d’entreprises de 200 employés et plus en Angleterre en 1900• le niveau de l’inflation entre les deux guerres• l’endettement de l’Etat français à la veille de la révolution française• le monopole d’émission de la Banque de France• le passage à l’euro

L’histoire des faits économiques est une chose extrêmement importante. Exemple : le New Deal, ou encore les crises de 2008 et 2010.Une mauvaise connaissance des faits économique prépare souvent le terrain à une

mauvaise analyse économique.

Les théories économiques1

• la nature de la monnaie• le lien entre création monétaire et inflation• le protectionnisme est-il parfois générateur de croissance ?• faut-il répondre au protectionnisme par du protectionnisme ? (unilatéralisme ou

réciprocité)• Est-ce qu’il existe des lois en économie ? Quelle est leur nature ?• Es-ce qu’il existe un niveau de l’intérêt qui soit optimal pour la croissance

économique ? • Comment peut-on définir la richesse ? • Comment choisir entre deux politiques économiques ?

Evidemment les deux « histoires », celle des faits et celle des théories, sont liées.

1 Une théorie : explication détaillée de la façon dont un corps d’hypothèses conduit à une conclusion - ouune série de conclusions.

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Pourquoi ? Comment ?

• parce que ce sont le plus souvent des faits bien réels qui conduisent les savants àse poser des questions, à échafauder des théories. Les théories ne partent jamaisde rien ! Exemple : Une théorie sur les causes de la stabilité monétaire vaprobablement s’inspirer de ce que le théoricien connaît de l’histoire monétaire. Unethéorie sur les bienfaits du libre-échange va probablement s’inspirer de ce que l’ona constaté durant les périodes où les échanges ont été les plus libres. Keynes écritune théorie générale entièrement inspirée par ce qu’il observe dans les économiesindustrialisées durant l’entre deux-guerres. • parce que les théories sont améliorées par une confrontation aux faits. C'est en

tous le cas ce que recommande des philosophes des sciences tel que Karl Popper.Une bonne théorie doit pouvoir être réfutée. On ne peut jamais démontrer qu’unethéorie est vraie, sauf à la ramener à de la logique pure (Mises, praxéologie ;Robbins, logique des choix)

Mais attention ! Le lien entre faits et théories est plus complexe qu’il n’y paraît.

Sans entrer dans une discussion méthodologique, il y a plusieurs pièges à éviterlorsque l’on « croise » théorie et faits. Il est important pour ce cours de garder ces« pièges » à l’esprit.

Le plus important est celui de l’interprétation, ou plutôt, de l’explication des faits. Cetteinterprétation va inévitablement impliquer une théorie. Il est tentant de dire : « les faitsmontrent que… » La plupart du temps, et strictement parlé, les phrases qui commencentainsi sont des mensonges (Popper encore). Les faits ne montrent pas grand chose. C'estnous qui plaquons sur des observations des « démonstrations ».

C'est toute la différence bien connue entre causalité et corrélation. Exemples : Keynes, List, Carey, Smith, …

Une devise ancienne nous met en garde contre ces erreurs de raisonnement : Post hoc,ergo propter hoc (A la suite de cela, donc à cause de cela). Formule par laquelle ondésignait, dans les disputes de la scolastique, l'erreur qui consiste à prendre pour causece qui n'est pas cause. C'est une des plus fréquentes erreurs de l'esprit humain. L'année1811, par exemple, a été marquée par l'apparition d'une brillante comète, suivie d'uneabondante récolte en vin. Combien de gens ont été persuadés que c'était à la comètequ'on devait la récolte, et que la comète amenait le bon vin !

Une corrélation peut n'être que pure coïncidence. Pour en être certain on aimeraitsavoir ce qui serait advenu si la cause supputée n'avait pas eu lieu. C'est le raisonnementcontre-factuel. Malheureusement nous n'avons en sciences humaines rarement, voire

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jamais, la possibilité de « tester » ces raisonnements contre-factuels. Exemple : Est-ce que la croissance des années 60 et 70 auraient été plus forte ou moins

forte en l'absence des politiques keynésiennes mises en œuvre au cours de cesdécennies ?

Mais pourquoi parler de théorie et de faits puisque notre cours est un cours d’histoirede la pensée ?

C’est que l’histoire de la pensée économique englobe l’histoire des faits et l’histoire de théories.

L’archétype du penseur n’est-il pas Platon, ou Aristote ? Et est-il possible decomprendre leurs pensées sans faire référence aux faits qu’ils ont pu observer, à la sociétédans laquelle ils vivaient et à la compréhension (aux théories) alors en vigueur? Certes il ya peut-être de l’éternel dans leur pensée, mais replacer la pensée dans son contextepermet sans doute d’en saisir plus rapidement le sens.

Mais qu’est-ce que nous entendons au juste par pensée économique ? Nousentendons quelque chose de plus large que la théorie.

Faire de la pensée économique c’est s’interroger sur la société. C’est s’efforcer decomprendre ce qui nous arrive, dans le but souvent de conseiller les décideurs publics, ounos compatriotes, sur la voie qu’il serait bon de suivre.

Faire de l’histoire de la pensée, c’est donc tenter de comprendre l’évolution des idées(une évolution, nous le verrons qui n’est pas nécessairement linéaire).

ex 1 : Les penseurs chrétiens du Moyen Age ont une théorie de l’intérêt (del’usure) qui les conduit à condamner l’usure. Ce que nous nous efforcerons de faire ce nesera pas juste d’exposer cette théorie mais de la replacer dans la vision qu’avaient cespenseurs des problèmes économiques en général, leur « pensée ». Pour eux, il importeavant tout de retrouver ce qui est naturel, bon pour l’homme. Leur théorie de l’intérêt estpénétrée de cet objectif plus général.

ex 2 : On pourrait croire que cette « subjectivité » des théories est due àl’époque : le Moyen Age. Le temporel et le spirituel sont confondus, etc.... Je nedéveloppe pas maintenant, nous y reviendrons. Mais regardons au XXe siècle la théoriekeynésienne de la relance. Elle aussi s'appuie sur une vision générale de la crise, sescauses, et les possibilités d’y remédier, en particulier sur les possibilités d’une politiqueéconomique.

J’ai employé plus tôt volontairement le terme de « vision ». C’est un terme plutôt

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moderne. Autrefois on lui préférait souvent le terme de doctrine. Terme aujourd’hui àconnotation péjorative. Une doctrine c’est un système général pour appréhender laréalité. Il y a la doctrine libérale, la doctrine keynésienne, la doctrine marxiste, la doctrinesocialiste, la doctrine de l’économie sociale de marché ou de la troisième voie, la doctrineassociationniste, la doctrine mercantiliste, la doctrine Napoléonienne ; etc.

(cf. Daniel Villey : Petite histoire des grandes doctrines économiques).

Les deux cents premières pages de l’ouvrage de Villey vous donneront un aperçu de ce que nous appelons une doctrine et que j’appelle une vision, non pas au sens de perception fausse, mais sans doute de perception façonnée par la personne. Nous avons tous « une vision des choses ». Ce que nous allons étudier tout au long de ce cours c’est « la vision des événements » qu’entretenaient des penseurs tels que Platon, Aristote, Thomas d’Aquin, Colbert, Locke, Smith, Rousseau, Malthus, Marx, Proudhon, Say, Marshall, Keynes, Friedman, etc.

Raison d’être d’un cours d’histoire de la pensée économique dans votre cursus :

Mark Pattison, un historien renommé de la fin du 19ème siècle écrivait : « Un homme quine connaît pas la pensée de ses prédécesseurs est certain de surévaluer ses propresidées » (Robins, page 7)

Je crois que c’est Goethe qui disait aussi que « quelqu’un qui ne connaît pas l’histoireest voué à répéter les erreurs du passé ».

A quoi ça sert tout ça ? Un cours de comptabilité sert à faire les comptes, un cours degestion sert à mieux gérer, un cours d’économie publique sert à mieux comprendre leschoix de l’Etat, un cours d’informatique à tirer le meilleur profit des nouveaux logiciels, uncours de marketing à améliorer ses techniques de vente. Mais un cours d’histoire de lapensée ? A quoi cela peut-il bien servir ?

Cette question est d’autant plus d’actualité que ce type d’enseignement, dans bien despays, est en voie de disparition, ou je devrais plutôt dire, est en voie d’isolation. Mêmenotre nouvelle faculté d'économie et de gestion suit cette piste.

Alors, à quoi ça sert ? Pour certains, à assouvir leur curiosité intellectuelle ! Je suis curieux de savoir ce que

pensait Rousseau des questions économiques ; ce que pensait Thomas d’Aquin. Je suis curieux de savoir qu’est ce qui s’est réellement passé pendant la révolution française, la grande crise de 29, etc. Mais cette curiosité sert-elle à quelque chose à part fournir à certains (pas tous !) un plaisir intellectuel ?

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Je suis persuadé que oui ! Cela fait partie de ces choses qui n’ont pas un rendementimmédiat et facilement identifiable, mais qui pourtant sont d’une grande utilité dans lelong terme. Un peu comme l’éducation de façon plus générale.

A l’université on peut venir y apprendre des techniques. Mais on peut aussi venir y

apprendre à penser. A penser mieux. A développer ses capacités d’analyse, sescapacités à tirer le meilleur parti de l’observation des faits, à articuler une idée, à tenterde convaincre de la validité de ses positions. Apprendre la rhétorique !

La rhétorique a été l’art qui a servi de tremplin à l’éclosion « des humanités ». Lapremière matière enseignée dans la première université.

Et puis surtout, ainsi que je le disais dès mes premières remarques, cet enseignement apour but de faire de vous de meilleurs économistes. Ceux qui ne voient pas l’utilité decet enseignement sont souvent ceux qui ont une approche étroite de l’économie.

Une définition de l’économie

Au plus vous voyez votre discipline comme une « technique », au moins un recours àl’histoire vous semblera nécessaire. Car à quoi bon regarder les anciennes techniquesaujourd’hui dépassées si ce n’est par pure curiosité intellectuelle ? Est-il intéressant defaire l’histoire de la comptabilité ? A quoi bon énumérer les théories aujourd’huiréfutées ?

Exemple de théories réfutées: • La richesse, c’est l’or disaient les mercantilistes.• Il y a deux usages de la monnaie disait Aristote.• Le taux de profit baissera inexorablement disait Marx. • La population ne peut plus augmenter disait Malthus. • Le salaire ne peut s’écarter du taux de subsistance pensaient les classiques

Cela mérite quand même d’être nuancé. Même si vous voyez votre domaine de

connaissance comme quelque chose de purement technique, l’histoire peut vous êtreutile car elle vous permettra de comprendre, peut-être, comment se sont développées denouvelles techniques, plus performantes. L’histoire des sciences est nécessaire audéveloppement d’une épistémologie, d’une philosophie des sciences. L’histoire peutm’indiquer où chercher.

Évidemment, on peut aussi dire que la culture générale cela ne fait jamais de mal !

Mais l’économie est-elle juste une technique ou un ensemble de théories ou autre

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chose encore ? Pour répondre à cette question, et bien que cela constitue une répétition pour la

plupart d’entre-vous, il est bon de revenir quelques instants sur la définition de cettediscipline que nous appelons souvent « la science économique ».

Il y a plusieurs définitions qui « circulent » et sont en général incomplètes. L’une

d’entre-elles est cette définition tirée de l’ouvrage de Jean-Baptiste Say: « Science quiétudie la production, la distribution, et la consommation des richesses. »

Cette définition n’est pas satisfaisante car elle ne précise que l’objet de la disciplinesans donner aucune indication sur la méthode qui sera suivie, sur les instruments auxquelsnous aurons recours, etc. On peut également lui reprocher l’utilisation du mot« richesse », un mot qui a de multiples significations.

Une autre définition, elle aussi incomplète, est proposée par Lord Robbins: « Sciencequi étudie le comportement des individus face à la rareté »

Point faible : 1. le problème économique ne serait qu’un problème de rareté... 2. pas d’allusion à l’échange

Meilleure définition : « Science qui étudie comment des individus vivant en sociététentent de résoudre les problèmes inhérents à la rareté des ressources et à notreignorance concernant les moyens de lutter contre cette rareté. »

En d’autres termes : problèmes d’allocation problème de découverte. Lesproblèmes économiques sont « dynamiques », découverte, créativité.

Cela est très important car dans cette vision plus large, les institutions jouent un rôleessentiel. La réflexion économique devient aussi une réflexion sur les institutions. Cesdernières permettent de réduire l’incertitude (droit, monnaie, rôle de l’Etat, etc.)

Conclusion : l’économie est politique par essence. Nous avons donc une bonne raison de nous pencher non seulement sur l’histoire des

théories mais aussi sur l’histoire des institutions, sur l’histoire des systèmes politiques., sur l’histoire de la pensée !

Robbins: (pages 7-8) : « L’histoire de la pensée économique est l’histoire de laconnexion entre l’analyse et sa compréhension de ce qui se passe dans le monde et dece qui constituerait une politique adéquate etc. »

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1ère partie

Naissance d'une pensée économique ancrée dans la philosophiepolitique: les scolastiques

Chapitre 1: Contexte économique et institutionnel: 11ème-15ème sièclesChapitre 2: Un riche héritageChapitre 3: La pensée scolastique

Chapitre 1. Contexte économique et institutionnel

J.A. Schumpeter, auteur d'une histoire de la pensée économique qui fait référence, faitcorrespondre le début de la pensée économique avec les travaux des premiersscolastiques, au milieu du Moyen-Âge, que l'on dit parfois « classique » ou « central » (XI-XIII). On va du Haut au Bas Moyen Age en passant par ce Moyen Age Central.

Rappelons que la convention fait courir le Moyen-Âge de la chute de l'empire romaind'Occident (476) à la prise de Constantinople par les Turcs – 1450.

L’appellation de « Moyen Âge » avait clairement une connotation péjorative : la périoded’obscurité prise en étau entre deux « grandes périodes » : la période Romaine et laRenaissance. Pourtant elle nous cache de très agréable surprise. En ce qui nous concernenous y trouvons entre autres choses les premières expressions de la liberté individuelletelle que nous la concevons aujourd'hui ainsi que la révolution commerciale; les deuxphénomènes étant liés.

La liberté a été le fruit heureux d'un conflit pour le pouvoir qui, temporairement au moins,n'a pas eu de vainqueur. Cette multiplicité des sources de pouvoir a pour nom lepolycentrisme (section 1). C'est dans ce contexte « bouillonnant » que les penseurs(quasi-exclusivement des hommes d'église) ont ouvert de nouvelles réflexions. Cespenseurs, que l'on appelle les scolastiques (section 3) étaient toutefois les héritiersincontestables de riches traditions: les pensées hellénique, romaine et, bien entendu, lajudeo-chrétienne les inspirent (section 2).

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Cette section est organisée en trois temps reprenant les tendances marquantes du MA(pas forcément de façon chronologique).

1. Des tentatives de mise en place de gouvernements forts et centralisés ; tentativesqui ne vont pas loin

2. Le développement d’une répartition des pouvoirs très originale : la féodalité(polycentrisme)

3. La montée des libertés individuelles comme issue de cette situation deconcurrence entre les centres de pouvoir.

1.1. Les tentatives de césaro-papisme

Le césaro-papisme est un système où la même personne est Roi (César, Tsar) et Pape. Lecumul des pouvoirs religieux et temporels. L'exemple le plus illustre restera sas doutel'empereur Constantin; premier empereur romain à s'être converti.

Le Moyen-Âge traverse plusieurs périodes, y compris des tentatives de césaro-papismequi ne dureront guère.

A. Les premiers royaumes barbares

Rome a été pillé de nombreuses fois avant de tomber définitivement. Le pillage de 410par les barbares avait par exemple déclenché les réflexions de Saint Augustin qui leconduisirent à rédiger « La Cité de Dieu », l'ouvrage le plus copié au Moyen-Âge, dumoins en Occident. Plusieurs royaumes barbares voient le jour : Wisigoths (Aquitaine), Vandales (Afrique duNord), Suèves (Espagne du Nord), Angles, Jutes et Saxons en Grande Bretagne. Les Francs venus des bouches du Rhin rapidement ont le double avantage

1. unis autour de rois forts : Clovis (481-511) et les rois Mérovingiens.2. convertis : Clovis, (Clotilde est chrétienne, vœux de la Bataille de Tolbiac,

Bâptisé par Saint Rémi, évêque de Reims). Cela permet une meilleure ententeavec les peuples conquis.

N.B. : Justinien (525-568), empereur de l’empire romain d’Orient, fait renaître un tempsl’empire Romain en occupant une partie de l’Italie, de l’Afrique du Nord et de l’Espagne,mais cela ne dure pas.

B. Affaiblissement des royaumes

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• Du au partage des royaumes entre fils du roi.• Création de principautés territoriales qui réduisent à rien l’autorité des rois.• Les aristocrates prennent le pouvoir qui se trouve ainsi fragmenté.• L’Etat s’étiole au profit de la féodalité.

Une tradition d’érudition se perpétue néanmoins. On a des écrits même si certains ontété perdus : (La Politique d’Aristote, Le Corpus Juris Civilis de Justinien sont« inaccessibles »)

D'un point de vue politique, l'Augustinisme politique est dominant. Il appelle à la« subordination » de l’Etat à l’Eglise, mais aussi par corollaire, limite le pouvoir du roi.

Thierry de Théodebert (royaume d’Austrasie, capital Reims puis Metz, 6ème siècle) traduitcette pensée de l’époque qui, comme son nom l'indique, puise dans le pensée de SaintAugustin :

« Le souverain bien pour les rois est de cultiver la justice, de conserver à chacun sesdroits et de ne pas abuser du pouvoir à l’égard de leurs sujets, mais de se conduireavec eux selon l’équité »

Symbole de la mentalité de ce temps : Grégoire le Grand (64ème Pape entre 590-604)imagine l’excommunication (page 549) pour le roi qui n’obéirait pas aux injonctions del'Église.

Ce qui légitime le pouvoir politique ce n’est pas le droit automatique de succession, c’estle bien du peuple, dont le clergé se veut le légitime interprète.

Il y a cependant une parenthèse, l’Empire Carolingien.

C. Empire carolingien

Le début est caractéristique de l’époque. Pépin le Bref et ses ancêtres sont « maire dupalais », c'est-à-dire qu’ils gèrent les affaires du royaume (franc). Ils défendent le royaumecontre les envahisseurs. Ces personnes sont plus puissantes que le roi lui-même.En 751, Pépin le Bref aide le Pape contre les Lombards. Pour le remercier, Zacharie, le Pape de l’époque, lui donne le droit de déposer Childéric III, le dernier roiMérovingien. Le Pape soutient donc l’usurpateur (une fois encore un exempled’augustinisme politique).Pépin se fait « oindre » par le Pape Boniface en 752.C’est le début des Carolingiens qui signe le renouveau de l’Empire. Admiration, bien sur,pour Constantin. 25 Décembre 800, couronnement de Charles Magnus (fils de Pépin).

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Organisation administrative de l’Empire. Les comtes à la tête des Comtés et les duchésqui regroupent les comtés. Les Missi dominici sont des fonctionnaires qui surveillent lespouvoirs locaux.

Retour donc au Césaro-Papisme. Charlemagne se considère un clerc, un membre duclergé. Il se dit habilité à ajouter des dogmes.

C’est aussi la rupture avec l’Orient qui se consacre petit à petit. Le grand schismen’interviendra qu’en 1054.

La parenthèse se termine avec Louis Le Pieux (814-840). L'Église reprend du pouvoir. Il estcontraint de reconnaître l'État Pontifical.

Guerre de succession entre fils. Invasions nombreuses et construction des places fortes:Les Scandinaves (Vikings, Normands)., Les Musulmans qui ont mis depuis longtemps unpied en Espagne (aussi La Garde Freinet, Sain-Tropez,...), mais aussi jusqu’à Paris. LesHongrois, nomades turco-mongols. Défaits en 955 par Othon 1er. (Roi de la région deSaxe, sera couronné Empereur en 962. Promulgue un édit disant qu’il nommera lui-mêmeles papes ! Cela durera jusqu’en 1059. C’est le début d’un nouvel empire : l’Empire« romain germanique ». Nous y reviendrons plus tard.

1.2 . Le polycentrisme

Durant toute cette période, l’Europe occidentale ne connaît pas d'État souverain au sensoù nous le comprenons aujourd’hui. Il n’y a pas même une hiérarchie légale. Il y a, de fait,coexistence de plusieurs droits, de plusieurs autorités. Et c’est de ce conflit entre lesautorités que naîtra, de façon surprenante, l’idée moderne de liberté politique. C’est àcette situation politique que l’on donne le nom de polycentrisme. Le terme est, je crois,de Michael Polanyi.

Quels sont ces « droits », ces pôles de pouvoir, qui coexistent :

A. Droit canonique

C’est le droit de l’Eglise.Ses sources sont :

• Décrétales (correspondance de Grégoire le Grand—pape de 590 à 604—avec desaffirmations ayant valeur de norme)

• Conciles : réunion des évêques autour du Pape pour discuter de questions de foi,

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de théologie ou parfois de doctrine sociale• Statuts épiscopaux• Règles monastiques (celle de Saint Benoît date de 534-547)

A noter aussi les pénitentiels, listes de délits ou de péchés aussi bien religieux queprofanes (viol, vol adultère, homicide, etc.) avec indication des peines (des tarifs)appropriés.

En 1070, à Bologne, ville qui appartient à la comtesse Mathilde, alliée du pape, le CorpusJuris civilis est de nouveau étudié. C’est la création de l’université de Bologne; premièreuniversité des temps modernes.Il va y avoir un savant mélange de droit canon et de droit romain qui va donner le Corpusjuris canonici. Le code de l'Eglise, sous sa forme de 1483 restera inchangé jusqu’en1917 !

B. le droit romain

Nous reviendrons plus loin sur son contenu. Mais celui-ci a toujours subsisté sous desformes diverses en Occident. Il présume une séparation de la morale et du droit. Dupéché et du crime. Au 12ème il fera l'objet d'une étude systématique, ainsi que nousl'avons souligné ci-dessus, par les « savants » et à partir de la version du Code Justinien.

C. Le droit féodal

La féodalité est un système politique très original et bien sûr avec de multiples formes.Elle va se développer quand l’autorité des royaumes va s’affaiblir.

Origine : on cherche des cavaliers sur lesquels on peut compter pour faire la guerre.Problème, il faut offrir en contre-partie un territoire. D’où fragmentation.A la base il s’agit d’un contrat synallagmatique : le contrat vassalique passé entre le vassalet son maître ou seigneur (on dira plus tard suzerain). Notons bien que les deux sont libres. On est serf de naissance, mais on est vassal parchoix.Le vassal se met au service du seigneur contre une protection qu’il entend recevoir de cedernier.

• Le contrat est viager (irrévocable du vivant des parties) mais caduc dès que l’undes contractants meurt.

• Les obligations du vassal : service militaire, les aides pécuniaires, le conseil.• Les obligations du seigneur : il le protège, le considère comme l’un des membres

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de sa famille.

Pluralité d’engagements : dès la fin du IXe des vassaux ont prêté hommages plusieursfois. On est parfois vassal d’un Seigneur sur une terre, et ce même seigneur est notrevassal sur une autre terre… Ceci remet bien entendu en question l’idée même de contratvassalique qui impliquait fidélité et soumission.

Le seigneur conserve la nue-propriété sur le fief.C’est la doctrine du domaine éminent : le seigneur est le véritable propriétaire, le vassal n’a que l’usufruit.

Curieusement, cette approche se retrouve, certes sous une forme différente, dans nos sociétés modernes : Article 544 (créé par Loi 1804-01-27 promulguée le 6 février 1804)

La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements.

Mais vers le XII-XIII le fief va devenir héréditaire devenant ainsi une quasi-propriété duvassal.

La chevalerie et la noblesse L’idée de chevalerie s’est dégagée progressivement. C’est l’idée d’une classe supérieuredans la féodalité. A la base se sont les plus puissants. Mais il y a aussi un code sévère.L’idée de noblesse est encore plus tardive (XII-XIII). Ce n’est qu’au XIII que l’on passera dela noblesse de fait (preux guerrier) à la noblesse de droit : la naissance vous fait noble.

La seigneurieLe vassal ou le Seigneur est le représentant de la puissance publique sur son territoire, saseigneurie. Justice, administration, droit d’ouvrir des marchés dépendent de lui. Cepouvoir discrétionnaire sur les hommes qui habitent le domaine est appelé droit de ban.Il peut entre autres choses bannir les criminels du domaine. Le seigneur, en contre-partie de sa protection, prélève de nombreuses taxes et établit denombreuses redevances.

Ainsi, par un ban, le seigneur s'attribue, dès le XIe siècle, le monopole d'installationstelles que four, halle (qu'à l'origine il était seul à pouvoir faire construire), forge,pressoir, moulin à grain, moulin à huile, foulon ; il en résulte, pour les habitants de laseigneurie, l'obligation d'utiliser ces installations, dites banales, contre redevances(souvent en nature). En outre, le seigneur, avec le « banvin », se réserve de vendreson vin avant les autres producteurs de la seigneurie. Le droit de ban, ou Bannus,était originellement venu de Germanie et donnait aux souverains des deuxpremières dynasties, mérovingienne et carolingienne, un pouvoir decommandement théoriquement sans limites (Encyclopedia Universalis).

C’est pour cette raison que les individus chercheront à partir et donc que le seigneur

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accordera ici et là des faveurs comme celles qui donneront naissance aux villes (chartesde franchise). Le servage Très complexe. Ce n’est pas de l’esclavage (ce dernier tend à disparaître sous lescarolingiens). Le serf a des charges à l’égard du Seigneur. Les serfs (ou vilains, oumanants) ont des charges très diverses selon les lieux. Souvent ils ne peuvent ester enjustice, ni quitter le domaine sans autorisation. A la différence des esclaves ils sontnéanmoins considérés comme des êtres humains ayant une personnalité juridique.

D. Le droit des villes

Les villes : « City air sets ones free » après un an et un jour…Dans les villes, le principe est celui de l’entraide mutuelle. Un serment de paix et desolidarité.Des chartes de franchise leur permettent d’avoir leurs propres magistrats et leur propremilice.Les seigneurs sont d’accord car ils obtiennent de la sorte de plus grandes ressourcesfinancières. Quand les villes ne pourront plus payer, les rois en profiteront.Développement considérable des villes au XI –XII siècles.L’origine se trouve dans les « mouvements de paix ».Un serment mutuel prévoit une trêve des violences pour une période donnée, un lieudonné. Cela commença probablement dans le Sud Ouest de la France où les violencesétaient particulièrement répétées (Nemo, 601). L’ordre de Cluny joua en ce domaine unrôle important. Le mouvement communale est un mouvement de paix et d’entre aide. Voir aussi l’histoire de l’indépendance des communes Suisses.Les villes ont parfois construit leur indépendance en jouant le roi contre le prince local. Leroi essayait ainsi de se faire des alliés.

E. Le droit des marchands

(Je reprends ici une brève et intéressante présentation du Professeur de droit, BoudwjinBouckaert (sur le site www.libres.org))

La Lex Mercatoria, ou loi des marchands, est un concept juridique historique. C’est unexemple célèbre de droit qui a émergé spontanément. Elle existait déjà du temps desRomains mais la version à la quelle nous nous référons aujourd’hui dans les étudesjuridiques a connu son origine au Moyen Age (11°-13° siècle). Cette période estcaractérisée par une asymétrie : d’un côté, un morcellement du pouvoir politique ;

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d’un autre côté, une intégration avancée du réseau d’échanges économiquesinternationaux. Ceci a généré une fenêtre d’opportunité pour le développement de lalex mercatoria.

Avant le 11° siècle il y avait essentiellement deux bassins commerçants en Europe :un au Nord (Angleterre, Mer du Nord, Mer Baltique) et un au Sud (Méditerranée).Mais les deux bassins n’étaient pas connectés car les Sarrasins occupaient les côtesméditerranéennes. Au 10° siècle le Comte de Provence parvint à repousser lesSarrasins hors de Provence, ce qui permit aux deux bassins commerciaux de seconnecter. Ceci donna lieu au foisonnement économique de la Champagne, avec sesfoires célèbres, jusqu’à ce que le Comte de Paris décide de réglementer ces foires, cequi déplaça l’activité vers les Flandres.

La lex mercatoria médiévale tournait essentiellement autour du contrat. Ce dernierétait le sujet mais aussi la source de la loi. Elle développa des alternatives flexibles(moins formelles) sur des modèles de contrats de droit civil et aussi des nouveauxtypes de contrats pour le développement du commerce comme les billets d’échangepour éviter le transport de l’or, des contrats d’assurance, des contrats de transport etaussi les billets à ordre (une dette transférable, soit une sorte de nouvelle monnaie).

Les sources du droit marchand étaient une série de pratiques régionales qui ontfusionné en un corps de pratiques partagées (non codifiées cependant). Les principesde la lex mercatoria étaient l’égalité des parties (aucun privilège accordé en fonctionde l’origine des commerçants) ; le droit informel ; la rapidité des décisions et pasd’appel ; une loi supplétive. Les décisions étaient données par des juges privés sur labase de leur réputation. Les foires et les villes ont peu à peu développé leurstribunaux commerciaux. Les sentences étaient respectées la plupart du temps: lescommerçants risquaient en effet l’expulsion de leur guilde dans le cas contraire, cequi signifiait perdre son emploi.

Le déclin de la lex mercatoria suivra l’évolution politique globale : la montée enpuissance des Etats nations. Le premier pays à éliminer la lex mercatoria en tant quedroit autonome a été l’Angleterre. Sous la pression d’Edward Cook, qui, s’il a luttécontre l’absolutisme et a gagné ses lettres de noblesses auprès de générations delibéraux, n’en a pas moins tenté d’imposer la common law comme source unique dudroit britannique. Les tribunaux marchands ont été abolis. L’exclusivité fût donnée auxtribunaux de common law. Ce mauvais exemple a été graduellement suivi sur lecontinent jusqu’à la codification et la « nationalisation » du droit commercial au 19°siècle en France et en Angleterre.

On soulignera la référence de Bouckaert au rôle économique et social des corporations :métiers gildes.

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Le Moyen Age est donc très intéressant du point de vue de la répartition des pouvoirs. Ily a fragmentation et enchevêtrement.

Pour beaucoup, ce fractionnement est signe de faiblesse. C’est oublier cependantqu’une véritable révolution économique intervient durant cette période : la révolutioncommerciale.

Mais les institutions politiques vont elles aussi connaître une révolution importante. C’estl’objet du prochain paragraphe.

1.3. La révolution papale, et la liberté

Cette révolution intervient durant la période du Moyen Age classique (XI-XIII).

A. La crise de l’Eglise

Au début du XIème l’Eglise est en crise. La féodalité s’est développée à ses dépends (ondonne par exemple les terrains de l’Eglise aux nouveaux vassaux). L’empereur romaingermanique (Othon 1er et ses successeurs) nomme les évêques et le pape.

De façon plus complète, il y a trois grands problèmes auxquels est confronté l’Eglise:1. les investitures ecclésiastiques sur lesquelles il y a une emprise laïque2. la simonie (trafic des charges ecclésiastiques)3. le nicolaïsme: mariage des prêtres (vie licencieuse du clergé)

Une première réaction : l’abbaye de Cluny. Fondée en 909 par Guillaume d’Aquitaine.Reçoit en 932 du pape Jean XI le privilège d’exemption, c.a.d., l’affranchissement de ladomination des rois, des évêques, des comtes, ou même des parents du Duc deBourgogne. Permet un extraordinaire développement. En 1200, 1450 maisons !

B. La réforme de Grégoire VII.

Son nom civil est Hildebrand. En 1074, il décrète la déchéance (perte de leurs attributions) des simoniaques et desnicolaïtes.Évidemment cela ne plaît pas, ni aux rois, ni au clergé corrompu.Face à cette réaction il affirme la primauté du pouvoir spirituel, et le synode romain en1075 proclame l’interdiction absolue de l’investiture laïque.

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L’abolition du nicolaïsme est fondamentale. Elle protège évidemment les biens del'Église. Mais de façon plus fondamentale encore, elle « sépare sociologiquement leclergé de la société civile ». Donc le pouvoir temporel n’a pas de pouvoir spirituel !Depuis l’Empire romain, c’est la première fois que le pouvoir politique est désacralisé.

Grégoire VII envoie ses légats appliquer ses décrets. Mal reçus.Menace d’excommunication adressée à l’empereur.Henri IV doit faire pénitence devant le pape à Canossa (1077) et le Pape leval’excommunication.« Tous les princes doivent baiser les pieds du pape » Décrétale 9

Mais le conflit entre l’empire et le Pape va continuer. Urbain II succède à Grégoire VII et se heurte lui aussi à Henri IV puis à son successeurHenri V qui est finalement excommunié.

Un accord est finalement trouvé avec le concordat de Worms (1122) : l'Église nommebien les évêques et Papes, mais l’empereur assiste et participe à l’investiture. Signe del’avancée : le concile de Latran (1123) est convoqué pour la première fois depuis plusieurssiècles par le Pape, et non pas l’empereur. C’est la fin de toute velléité de césaro-papisme en Occident.

Mais tout n’est pas réglé et les empereurs suivants reprirent la lutte contre le Pape. Il ensera ainsi jusqu’à Frédérique II (Hohenstaufen) (état moderne de Sicile). Le Papel’excommuniera deux fois et trouva des alliés pour lutter contre cet empereur toutpuissant. Frédérique II mourut sans avoir jamais vaincu totalement les alliés du Pape

C. Les Révolutions Anglaises corollaires de ces développements

En Angleterre un conflit semblable se déroule ; conflit au cœur duquel se trouve SaintThomas Beckett. Ce dernier, ami d’Henri II, s’oppose néanmoins à lui lorsque celui-cidésire se révolter contre l’autorité papale et soumettre la justice d’église à la justice duroyaume. Henri II essaie bien de le gagner à sa cause en le nommant archevêque deCantorbéry (1162). Mais, Thomas ne cédant pas, Henri II le fait finalement assassiné parquatre chevaliers au milieu de la cathédrale (à moins que ces chevaliers aient voulu faireplaisir à Henri II et aient agi sans ordre). Henri II est en suite forcé de revenir sur sadécision suite au scandale. Mais en Angleterre, le royaume a partiellement gagné duterrain sur l’Eglise.

Les successeurs de Henri II seront cependant absents (Richard Cœur de Lion) ou faibles(Jean sans Terre). Les barons, reprenant du poil de la bête, imposeront la fameuse MagnaCarta en 1215 qui limite les pouvoirs du roi sur ses sujets.

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Des évolutions semblables sont observées dans d’autres parties de l’Europe : la « GoldenBull” en Hongrie (1222), d'une certaine façon aussi le “Pact of Kosice” (1374) aujourd’huià l’Est de la Slovaquie (qui est avec Marseille capital européenne de la culture en 2013),et d’autres cas de texte “proto-constitutionnels”.

En France, les capétiens prennent le pouvoir et renforcent le pouvoir du royaume (987,Hugues Capet). Ils s’opposent eux-aussi au Pape à plusieurs occasions (606) commelorsque le Pape interdit aux clercs de payer leurs taxes au roi Philippe le Bel (1268-1314). En conclusion notons que si nous avons insisté sur les évolutions institutionnelles(juridiques et politiques), la seconde partie du Moyen Age verra également se déroulerune révolution spirituelle qui peut avoir son importance sur le développement de larégion.

Au XI-XII nouvelles doctrines de la pénitence et de l’Incarnation.Saint Anselme de Cantorbéry (1033-1109) : doctrine de l’expiation. Calcul mesurédes fautes et des peines.Notion de purgatoire.« A la dialectique du zéro et de l’infini était substitué une arithmétique du plus etdu moins » (Némo, 616)

Toutes ces révolutions vont avoir des répercussions sur la création de richesses etl’organisation des activités économiques sur lesquelles nous reviendrons. Pour l’instantvoyons les répercussions sur la pensée économique.

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Chapitre 2: Un riche héritage

Si, avec Schumpeter, il est possible de déceler une pensée économique naissantedurant le Moyen-Âge classique, cette pensée s'appuie néanmoins—et sans surprise—surdes auteurs plus anciens. On peut même suggérer, en s'inspirant de la lecture de PhilippeNémo, que c'est d'un souci de synthèse entre des pensées anciennes qu'est née lapensée qui va marquer le développement de l'Occident et donc, entre autres, sacompréhension des relations économiques.

Le contexte intellectuel de cette synthèse sera présenté au chapitre suivant. Cechapitre propose quant à lui un petit retour en arrière pour présenter les grandes« philosophies » dont hérite le penseur du Moyen-Âge classique.

Suivant toujours Némo, nous pouvons dire que la pensée du Moyen-âge se forge à lacroisée de trois grandes traditions: la grecque, la romaine et la judéo-chrétienne.

2.1. Les philosophes de la cité

Replaçons ces penseurs rapidement dans l’histoire (basé sur page Wikipedia):

Époque archaïqueIl semble qu'à partir du VIIIe siècle av. J.-C. apparaissent les cités, de petits territoiresindépendants et politiquement structurés. La population augmente fortement et descolonies grecques sont créées, dans les îles de la mer Egée et en Asie Mineure, puis dansd'autres régions méditerranéennes. Les grands penseurs vivent souvent outre-mer :Thalès et Xénophane vivent en Asie ; Pythagore fonde une école en Italie du Sud. C'est lanaissance de la Grande Grèce. La guerre létantine (de -710 à -650) fut un conflit continuelentre cités grecques qui présente la particularité d’être un des premiers affrontements dela Grèce antique documenté. Cette guerre voit s’affronter les cités-état de Chalcis etd’Eretria sur la Lélantine, plaine fertile de l’Eubée.

Une classe marchande se développe dans la première moitié du VIIe siècle av. J.C.comme le démontre l'apparition de monnaies grecques vers -680, ce qui ne manque pasde susciter des tensions entre les villes. Les classes aristocratiques qui gouvernent lescités sont menacées par cette nouvelle bourgeoisie de marchands qui souhaitent selancer dans la politique. À partir de -650 cette même classe aristocratique doit lutter afinde ne pas être renversée par des tyrans populistes. Le mot tyran étant d'ailleurs lui-même

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issu du grec τύραννος (tyrannos) signifiant « dirigeant illégitime » indifféremment qu'ilsoit bon ou mauvais.

Époque classiqueAu début du Ve siècle av. J.-C., les Grecs parviennent à repousser les troupes del'immense Empire perse lors des guerres médiques. La bataille de Salamine (480 av. J.C.)assure l'hégémonie de la Grèce en mer Égée. La Grèce connaît alors un « âge d'or ».Certains penseurs inaugurent de nouvelles manières d'envisager le monde. Athènes, oùune démocratie s'est mise en place, occupe une place prépondérante sur les planspolitique et artistique. La tragédie s'y développe. Socrate ne quitte presque jamais laville.

Après la guerre du Péloponnèse (de moins 431 à moins 404)—Athènes contre Sparte--,les cités grecques sont affaiblies, mais la vie intellectuelle reste vivace (Platon, Aristote).

Vers -338, la Macédoine domine la Grèce. Entre 336 et 323, son roi, Alexandre le Grand,conquiert un immense empire.

Époque hellénistiqueÀ la mort d'Alexandre le Grand, son empire est partagé entre ses anciens généraux :Ptolémée, Séleucos, Lysimaque, Antigone le Borgne, qui règnent en souverains absolussur de vastes régions.

Les Antigonides conservent la Macédoine. Les Séleucides règnent en Asie, sur l'ancienEmpire perse. On ressent des influences grecques jusque dans les sculpturesbouddhiques d'Afghanistan. Les Ptolémées, qui dominèrent l'Égypte, nous sont toutefoismieux connus. Alexandrie y est un haut lieu du savoir. En Grèce même, de nouvellesphilosophies se développent : l'épicurisme et le stoïcisme.

Époque romaineLa situation politique est assez difficile et, au IIe siècle av. J.-C., la Grèce passe sousdomination romaine. La Grèce reste un centre culturel…

Les penseurs que nous allons présentés sont de l'époque classique. Pour Schumpeterc'est avec eux que nous avons les premières bribes d'analyse économique.

Citation de Schumpeter (p. 52, notre traduction) :

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Rappelons la distinction entre Pensée Economique—l’opinion sur les questionséconomiques qui prévaut à un moment donné dans une société donnée et serattache plus à la province de l’Histoire Economique qu’à celle de l’Histoire del’Economie—et l’Analyse Economique—qui est le fruit d’une entreprise scientifiquetelle que nous l’entendons. L’histoire de la pensée économique débute avec lespremières traces laissées par les théocraties nationales de l’Antiquité dont leséconomies partageaient un certain nombre de similitudes avec les nôtres et dont lesproblèmes ont été traités à l’époque dans un esprit semblable à celui qui prévautaujourd’hui. Mais l’histoire de l’analyse économique ne débute qu’avec les Grecs.

En tous les cas, une chose est certaine, c'est au Grecs que nous devons le mot. Xénophonutilise le premier le terme: "Economique" = gestion de la maison (mise en valeur desterres, etc... cf.Schumpeter) oikos= maison, nomos= droit, règle

Si l'on trouve peu d'analyse économique chez Xénophon, il n'en sera pas de même chezses successeurs. Mais, bien entendu, l'économie n'intervient que de façon incidente. Lapremière préoccupation touche plutôt la philosophie morale (politique). Leur philosophietourne beaucoup autour du rôle, de la place de la Cité. Rappelons nous de l'attitudeSocrates lorsqu'on lui propose de s'échapper de sa prison pour éviter la peine de mort.

Si les plus connus sont les socratiques, un premier courant intéressant est celui dessophistes (Gorgia, Protagoras). Ils sont partisans du libre-arbitre, pour l’accueil denouveaux membres dans la cité, et pour la pluralité des religions. Ils excellent dans l’artde la rhétorique. Ccontre eux, souvent, les socratiques : défense de la cité (d'oùsophisme = raisonnement faux car on n’appréciait pas les conclusions auxquelles ilsaboutissaient par leur rhétorique.)

A. Platon (429-348) : "la République", le Politique et "les Lois"

A1. Sa vie2

Issu d’une grande famille Athénienne. Platon (de Platus large) était son surnom (vrai nom Aristoclès).

Il étudie les lettres, les arts et les mathématiques dans sa jeunesse et pratique la gymnastique. Rencontre Socrate en 408 (BC) et s’adonne à la philosophie.

Aurait pu rejoindre le régime de la tyrannie des Trente (un cousin et un oncle en faisaientpartie) mais n’aimait pas leur barbarie, surtout leur attitude à l’égard de son maître,Socrate.

2 Source : Site de la Bibliothèque Nationale, Schumpeter, Némo.

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Suit la démocratie qui condamne Socrate. Très admiratif de son maître, il ne comprendrapas qu’on lui fasse boire la ciguë. Suite à la mort de Socrate il entreprend des voyagesqui le porte vers l’Italie du Sud. Il conseille pour un temps Denys L’Ancien, roi de Sicile.Mais, suite à une brouille, celui-ci vend Platon comme esclave. Heureusement, Platon seraracheté par un ami.

De retour à Athènes en 387 il fonde l’Académie (située dans les jardins de l’Academus, nommé après un héros Athénien, Academos). On y enseigne la Philosophie selon la méthode Socratique, c’est-à-dire, à travers le dialogue.

Plus tard il retourne en Sicile ou Denys le Jeune gouverne. Mais cette seconde tentativeéchoue tout comme la première. Il rentre à Athènes et meurt à quatre-vingt ans.

A2. Ses contributions à la pensée économique Dans l'ouvrage "La République" on trouve une description de l'Etat - cité idéale (une"utopie" : le terme sera en fait inventé au XVII° par Thomas Moore : le pays de nulle part)

Le discours entre Socrate et ses amis au moment de mourir (399), lorsqu’ils viennent luioffrir de s’évader de prison. L’Etat est presque déifié.

Le modèle de Platon, c’est un gouvernement aristocratique (Robbins dit qu’il est passéd’une forme d’organisation communiste dans La République à une forme de fascismedans son dernier ouvrage, La Loi.) )

Le juste c’est « l’harmonie avec soi-même » au niveau individuel, c’est « rester à sa place »au niveau social.

Mais justement quelle est la place de chacun dans la cité idéale? Elle est basée sur lescapacités et talents de chacun. Il s’agit d‘organiser cette cité.

• petit nombre constant d'individus (5040)• montant stable des richesses• cité organisée en castes pour permettre de tout réglementer : guerriers,

fermiers, artisans ... et philosophes (les gardiens)• hommes et femmes traités également • dans la caste des gardiens, les femmes sont en commun, ainsi que les

enfants. Les gardiens ne doivent avoir aucun souci (famille, argent)• savant mélange des belles femmes et bons guerriers• mais certaines castes ont un droit à la propriété ; en ce sens ce n'est pas

exactement du communisme

Quelques remarques sur cette cité idéale • la division du travail. On dit parfois que Platon est à l’origine de cette analyse (cf.

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La République, page 117)• Recherche de stabilité, comme chez les Hébreux.• Donc petite taille. Platon n’a pas compris la nature et les mérites de la Société

Ouverte. Nous retrouverons cette erreur—ou cette incapacité—souvent dans lecours de la pensée économique.

• De même, un mépris pour la chose économique : la classe inférieure (lecommerçant est mis avec les esclaves dans La loi). La démocratie est d’ailleurs vuecomme le gouvernement des marchands, une chose peu digne (Némo, 91)

En conclusion : ayant compris les méfaits de la démagogie, Platon opte pour unemauvaise solution. Un constructivisme. Un ordre politique créé, qui ne laisse aucune placeà la sagesse de l’expérience. Il est trop influencé par les mathématiques.

B. Aristote : (384-322)

B1. Sa Vie

Naît à Stagire, sur la côte orientale. Père médecin du roi de Macédoine. Étudie àl’Académie de Platon.Le roi de Macédoine, Philippe, lui demande d’être le tuteur de son fils qui deviendraAlexandre le Grand, maître de la Grèce quelques années plus tard, et aidera Aristote dansla création du lycée avec les péripatéticiens. Aristote est en effet retourné à Athènes lorsque Alexandre le Grand accède au pouvoir. Parmi ses ouvrages, ceux qui nous intéressent particulièrement sont: "Politique","Ethique à Nicomaque" (son fils)À la mort d’Alexandre le Grand (323) il est rejeté par les Athéniens et s’exile à Chalcis oùil meurt peu de temps après.

B2. Sa pensée économique et politique

Généralités

Sa démarche ouvertement analytique accompagnée de jugement de valeur ; visionnormative. Le but est la recherche du bonheur (eudaimonia, eudémonisme), de la bonnevie au sens de vie épanouie (self-flourishing disent les anglo-saxons.)

Lui aussi s'intéresse à l'évolution des Etats, discute les institutions = sociologie politique.À la différence de Platon : il a les pieds sur terre (Villey); l'organisation doit prendre encompte la nature de l'homme.→ d'où propriété privée et famille→ d'où aussi esclavage (les hommes naissent inégaux)

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Sur l’esclavage

Selon certains savants (Tom Palmer), la position d’Aristote sur ce point est cependant pluscomplexe qu’il n’y paraît. Aristote distingue en effet deux types d’esclavage : l’esclavage« de nature » et l’esclavage par le fait de l’homme. Apparemment, seul le premier est« acceptable » pour Aristote. Mais y a–t-il des gens esclaves par nature ? Avons-nousrencontré des individus qui sont totalement dépourvus de la capacité d’agir par eux-mêmes ? S’il n’y en a pas, alors on peut dire qu’Aristote a en fait montré qu’il n’y a pas deplace pour l’esclavage !

Sur la propriété

Aristote est connu pour avoir pris la défense de la propriété contrairement à Platon. Maisil y a une division des tâches un peu malsaine: Platon recherche la société idéale et c’estpour cela qu’il serait « communiste ». Aristote insisterait pour dire que c’est parce quel’homme est faible qu’il faut la propriété. Ainsi Aristote débute une tradition (perverse)qui voit la propriété comme quelque chose de pas tout à fait morale, laissant aucollectivisme la possibilité d’occuper seul la prétention à une théorie totalement juste.( Cfmbee et alii, page 7)Aristote sur la propriété (Politique)Qu’est-ce qui doit être tenu en commun et qu’est-ce qui doit être propriété privée ?Socrate propose d’avoir beaucoup en commun dans sa société idéale, y compris femmeset enfants.Aristote défend la propriété car elle est, selon lui, efficace:

La propriété devrait être commune d’une certaine façon, mais, en règle générale,elle doit être confiée au privé. Car lorsque chacun a un intérêt bien spécifié, les gensne se font plus sans cesse des reproches, et ils font plus de progrès car chacuns’occupe de ses propres affaires.

Sur la monnaie

Aristote ne cesse de répéter que les choses ont deux usages : le bon usage et le mauvaisusage (en anglais proper et unproper) de la chose.

Il en est ainsi de la monnaie. Il est bon d’utiliser la monnaie pour les échanges (page 11dans EJP) On trouve d’ailleurs une histoire de l’apparition de la monnaie chez Aristote :« Lorsque les habitants d’un pays deviennent plus dépendants des habitants des autrespays, qu’ils importaient ce dont ils avaient besoin et exportaient leur surplus, la monnaievint tout naturellement à être utilisée,... » (les mêmes remarques sont faites dans la

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République de Platon, passage précité).

Puis de cet usage « nécessaire » de la monnaie on est passé à l’usage de la monnaie parle détaillant « the art of money-making ». Or “le commerce de détail n’est pas une formenaturelle de l’art de faire de l’argent (« retail trade is not a natural part of the art of moneymaking »).

« Certaines personnes peuvent transformer toute qualité ou tout art en un moyen de fairede l’argent. Cela devient une fin pour eux, et à la promotion de cette fin tout doit êtreconsacré ».

C'est la distinction entre chrématistique nécessaire (monnaie moyen d'échange) ; et lachrématistique pure : recherche de la richesse en soi = abandon de la sérénité, troublecité etc.

Parmi tous les commerces, le pire est, bien entendu, celui de l’argent lui-même : le prêt àintérêt ou usure. On réalise alors un gain à partir de l’argent et non à partir d’un usagenaturel de cet argent. Le terme utilisé pour l’usure est « tokos » qui signifie la naissanced’argent par l’argent.

Sur la valeur et les prix

On trouve chez Aristote une distinction entre valeur d'usage (théorie psychologique) etvaleur d'échange.La seconde est plus ou moins dépendante de la première (mais il ne va pas plus loin).

Il définit le monopole qu'il considère comme injuste (une idée qui allait faire des petits !)

Le prix juste = semble être celui de la concurrence car relève d'une justice commutative(équivalence des services) (par opposition à une justice distributive).

De la justice des échanges

Justice commutative (équivalence des services) est opposée à la justicedistributive (équivalence des résultats). Platon est plus enclin à rechercher la seconde.C’est une différence importante entre les deux philosophes grecs. On dirait aujourd’hui :justice de résultat ou justice procédurale.

Cette opposition est toujours présente. Au XXème elle oppose par exemple, dans unelarge mesure, Rawls à Nozick.

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Pour ces Grecs, l’idéal de l’homme demeure l’aristocrate, le noble. D’où la condamnationdu profit et de l’usure chez Aristote comme étant non naturels.

Nous avons longuement parlé des grecs ; ils influencèrent directement les penseurs duM.A. après que les principaux textes des penseurs grecs furent redécouverts. Mais lapensée grecque influença également la pensée occidentale par l’intermédiaire du monderomain.

2.2. L'apport des penseurs Romains

Némo : "A l'organisation politique de la société développée par les Grecs, les Romainsvont ajouter quelque chose de leur crû : le droit. Cicéron va faire le lien entre laphilosophie stoïcienne qui porte à l'universalisme et le droit romain qui avant lui est trèsconcret ; il va faire du droit romain un droit abstrait. (Allocution Univ-été 1993, cf.Nouvelle Lettre, sept-oct.1993).

De cette réflexion de Némo nous tirons trois remarques :i. la pensée romaine s'inscrit dans la continuité de la pensée grecqueii. l'apport réside dans leur réflexion sur le droit. C'est en ce domaine qu'ils ont fait

preuve de leur capacité d'analyse "scientifique".iii. par déduction : il n'y a quasiment aucune analyse économique chez les Romains.

Mais leurs travaux juridiques seront d'une extrême importance pour la vieéconomique.

Peu de réflexions purement économiquesPour reprendre ce dernier point, on constate en effet que dans l'ensemble les questionséconomiques sont plutôt méprisées par la "haute société" romaine ; les métiers noblessont ceux de guerrier (militaire) ou d'homme politique, ou éventuellement, vers la fin del'empire, celui de conseiller en matière juridique (cf. Schumpeter)

Caton aurait écrit : "Prélèverais-tu un intérêt ? Tuerais-tu un homme ?"

On trouve bien quelques ouvrages sur l'économie agricole, mais il s'agit là de conseils surla gestion pratique d'une exploitation (cf. Xénophon) et non d'analyse économique.

Ex. de conseil un peu cru :

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- "Ne pas envoyer travailler les esclaves là où c'est trop dangereux"- Caton, encore lui, conseille de vendre les esclaves avant qu'ils ne deviennent d'aucuneutilité (Schumpeter p.70)

Le droit romain : émergences et évolutions de règles destinées à une société ouverte

Attardons-nous donc plutôt sur leur système juridique.

Il y avait deux "droits" au départ : 1. jus civile, qui concernait uniquement les citoyens romains2. jus gentium, qui concernait les rapports entre non-citoyens ou entre citoyens et

non- citoyens

Il y avait des administrateurs publics, mais pas de juristes professionnels à proprementparler.

Ce n'est qu'après Jules César (Auguste), que des conseillers juridiques, spécialistes de laloi, se voient attribuer un statut officiel.

La première codification véritable, c'est-à-dire, le premier effort de rassembler et triertoute la littérature ainsi que toutes les connaissances éparses dans le domaine juridique aeu lieu sous l'impulsion de l’empereur Justinien 1er (482-565). (Notons cependant qu’il yavait un premier code, dit Code Théodosien, du nom de l’empereur Théodose II qui le fitcompiler en 435. Notons aussi que ce code n'a jamais été vraiment appliqué.)

Ainsi naissait le Corpus juris Civiliis qui comprenait :• les Novelles (novellou) : nouveautés introduites récemment parmi les statuts de

l'empire• les Instituts (institutions) : recueil plus ancien de textes de Graïus (qui sert à

l’enseignement)• le code (Codex) : qui regroupe et harmonise les autres codes de l'empire• le Digeste (Digestur) :

C'est ce Digeste qui est le plus intéressant car il contient les analyses de ces "experts" enmatière juridique ; c'est le seul travail vraiment analytique des phénomènes sociaux quenous aient légué les Romains.

D'un intérêt évident pour l'économiste, on trouve dans ce Corpus Juris deux choses :1. La définition de concepts utiles à la vie économique et sur lesquels s'appuient les

analyses juridiques : le prix, la monnaie, les différents types de prêts (régulier--onrestitue exactement ce que l'on a emprunté--, ou irrégulier--on restitue

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l'équivalent, la propriété (usufruit, servitudes, nue-propriété, location, indivision,...)la personne morale, le droit des personnes (la tutelle, l’incapacité, la minorité), lescontrats (dol, la fraude, dépôt, gage, hypothèque, cautionnement, mandat,dommages et intérêts,...)

2. Au-delà des concepts, ce qui est intéressant c’est l’idée même d’un droit au sensmoderne du terme. C’est-à-dire, de règles universelles, abstraites, s’appliquantdonc à tous et dans un grand nombre de circonstances. Des règles qui doiventdonc permettre de résoudre un grand nombre de conflit d’une façon prévisible.

Il faut ici rappeler que le droit des gens (jus gentium) était précisément un droit qui devaits’appliquer à des ethnies, des peuples très variés. C’est le droit de tous. Cette notiondevient très proche d’une notion possible de droit naturel, au sens où il s’applique—et sedoit donc d’être adapté—à tous les humains.

Il y a ici une différence cruciale entre les réflexions des penseurs grecs et celles desjuristes romains. Les premiers ont certes un sens de l’universalité et de la nature del’homme, mais leur système politique n’est pas conçu pour une société ouverte. LesRomains par contre cherchent les clefs d’une coopération entre un grand nombred’individus composant une société largement ouverte.

Les causes de la chute de l’empire romain

On a coutume de dire que l’empire d’Occident s’écroule en 476. Rumulus Augustule enaura été le dernier empereur. Les invasions « barbares » (Wisigoths, Vandales) en auronteu finalement raison. (Il y aura une brève réunification sous Justinien).

Les raisons de cette chute sont sans doute politiques. Au cours de la période du BasEmpire (285-565), l’empire (qui rappelons le avait succédé à la République qui elle-mêmeavait succédé à une monarchie) tourne à la monarchie absolue, de droit divin. Il y a aussiun effort important de centralisation, de hiérarchisation administrative.

Cette évolution va étouffer la vie politique et économique de l’empire. D’un point de vue économique, nous avons un dirigisme omniprésent, une véritableétatisation de l’économie (Némo, 256). Ainsi, en 301, l’édit du Maximum fixe le prixmaximum de plusieurs centaines de produits, y compris les salaires. Les droits de propriété sont également malmenés : quiconque promet d’exploiter uneterre peut s’y installer, sans se soucier de savoir si elle a un propriétaire.Dans le même élan, l’Etat développe des manufactures impériales protégées par unmonopole officiel : armureries, papeteries, tissage, monnaie, etc. Les autres professions sont souvent organisées en corporations protégées.

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En Orient, les empereurs Théodose et Justinien résistent mieux à l’envahisseur. Etl’empire tiendra bon jusqu’à l’invasion de Constantinople par les Turcs en 1453.

(L’origine des deux empires remonte à Dioclétien qui en 284 confie l’occident àMaximilien qui a lui aussi les prérogatives de l’empereur.)

Constantin a officiellement toléré le christianisme. Il ne se fera baptisé quant à lui que surson lit de mort. Le christianisme deviendra la religion officielle de l’empire d’orient un peuplus tard. C’est en se référant à lui que nous parlerons de césaro-papisme.

Voir aussi en annexe de ce chapitre un article de la revue « Histoire » sur la thèse du médiéviste belge Henri Pirenne.

Cicéron (106-43)

Un des pères de la doctrine du « Rule of Law ».Inspiré des auteurs Grecs et stoïciens.Avocat, homme politique (Consul en 63)En 49, César franchit le Rubicon et installe la dictature. Après s’être réconcilié avec Césaril espère lorsque celui-ci est assassiné un retour de la République. À la place c’estl’avènement d’Antoine. Cicéron est traqué et égorgé en 43.(Très lu car réputé écrire dans une langue parfaite).Une des principales sources de l’humanisme occidental.« Le droit se fonde non sur l’opinion mais sur la nature »Le droit positif, de l’Etat, ne doit pas contredire le droit naturel.

2.3. La pensée judéo-chrétienne

2.3.1. Le peuple hébreu

Le peuple hébreu nous intéresse à double titre : tout d’abord il est l’une des sources de lapensée occidentale (judéo-chrétienne) et ensuite nous disposons de quelquesinformations écrites à travers les livres de l’Ancien Testament. Biblos, LE livre. C’estd’ailleurs parce que « Le livre » a été si présent qu’il est devenu source de la pensée. Unepartie des écrits composant la Bible se trouve aussi, bien entendu, dans la Torah, le plussaint des textes sacrés du judaïsme. Torah veut dire instruction. Ce sont les instructions

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laissées par Dieu au peuple.

Que trouve-t-on dans ces ouvrages et plus généralement dans cette tradition ?

Tout d’abord, une attitude positive à l’égard du travail. Le travail est un emploi digne,contrairement à ce qui est le cas chez les Grecs ou encore les Romains. « Tu domineras laterre ! », commende Dieu aux hommes dans la Genèse. Telle est la mission de la créationdivine qui est, elle aussi créatrice. Les fils et filles de Dieu sont co-créateurs avec leurDieu.

On trouve encore une reconnaissance de la propriété privée : Exode, Verset 20 : Les dix commandements (Décalogue) : 15 : Tu ne voleras pas, 17 : Tune convoiteras pas la maison de ton voisin, ni sa femme, ni ses servants, ni son bétail, niquoique ce soit qui lui appartienne.

Mais aussi, dans le Lévitique (25,25), un autre livre du Pentateuque (commun à la Bible etla Torah) : La terre ne sera pas vendue avec perte de tout droit, car la terre m’appartientet vous n’êtes pour moi que des étrangers et des hôtes.

Dans le même esprit, des sanctions sont prévues pour le vol (si on vole et tue unmouton, il faut en restituer quatre).

Mais un désir de protéger les pauvres :Par contre si l’on prête de l’argent surtout à un pauvre il ne faut pas exiger

d’intérêt. Si l’on demande un gage, il faut lui rendre avant le soir. (Exode, chapitre 22, àvérifier)

De même dans le Lévitique (19 : 9-10) il est précisé que lorsqu’on récolte on doitlaisser une partie derrière soi pour que le pauvre puisse venir se servir.

L’année sabbatique et l’année jubilaire (Lévitique 25) sont également des institutionsintéressantes : Tous les sept ans, en souvenir du repos de Dieu le septième jour, la terreest laissée au repos, tous les sept sabbats, les 49 ans, il y a un jubilé. Au cours de cettecinquantième année, la possession acquise au cours des 49 années passées retourne àson propriétaire d’origine (sauf s’il s’agit d’une maison à l’intérieur d’une enceinte). Lesprix des terres étaient calculés en conséquence (une terre s’achetait à faible prix uneannée avant le jubilé. (Source : Lévitique, 25 : 1-43). Toujours pendant l’année sabbatique, on doit remettre les dettes (sauf aux étrangers...)De même, si un de tes frères ou sœur hébreu t’a été vendu (ton esclave), tu dois enl’occasion de l’année sabbatique non seulement le rendre libre mais aussi lui donner dequoi subsister. (Deutéronome 15 : 1-18).

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Au-delà de ses prescriptions, on voit se dessiner une conception très particulière de la« bonne » vie en société. Pour mieux la comprendre suivons l’analyse proposée par Ph.Némo dans son Histoire des Idées Politiques.

Pou Némo, l’apport du peuple hébreu—un peuple qui n’a fait son unité qu’après maintsdéboires (les 12 tribus)—est de taille, la rupture avec le monde gréco-romain estfondamentale

• refus de la normalité du mal avec nouvelle perception du Temps• une Histoire orientée vers le mieux• un pouvoir spirituel plus digne que le pouvoir temporel. Babylone, l’Etat, est

corrompue. Il y a un refus de la royauté telle qu’elle existait dans le Proche-Orient.(471-472) Vouloir être gouverné par un roi, c’est ne plus vouloir être gouverné parun Dieu. LIRE PAGE 473.

• Remplacer l’idolâtrie par la moralité, par le droit et la justice. Lire page 474.

Mais le peuple hébreu par la voix des prophètes entend aller au-delà d’une justice simpleconsistant à rendre à chacun selon son dû. (Page 478). La justice des Grecs. La loi duTalion. Il faut également avoir le souci du pauvre, du défavorisé. La justice du cœur. C’estque la justice s’inscrit dans une vision eschatologique (les temps derniers, les tempsfuturs), de salut, de rachat. Les termes correspondant à ces deux formes de justiceseraient respectivement mishpat et tsedaqa.

Il faut avoir le sens de l’Histoire, et la marche vers les temps derniers est bien le symbolequ’il y a un sens à l’histoire.

Les derniers temps seront marqués par la venue d’un Messie (l’oint). Mais ce ne sera pasun roi comme les autres. Isaïe, Jérémie le disent clairement : ce roi se sacrifiera. Ilsouffrira.

À noter aussi que les institutions passent, en fin de compte, au second plan. Ce quicompte avant tout c’est la transformation des cœurs. Alors une vie juste et paisible naîtratout naturellement. (489) : « L’intériorisation de la loi dans les cœurs viendra remplacer lacontrainte extérieure de l’Etat ». Et Némo n’hésite pas à rapprocher cette vision de celledes millénaristes (515), voire de celle de Lénine.

Terminons en citant un passage du livre de Samuel. C’est le livre qui raconte entre autreschoses l’histoire du roi David. Mais Yahvé n’était pas favorable à l’idée d’avoir un roi.Samuel, Livre 1, Chap 8, versets 1-22.

Quand Samuel fut vieux, il établit ses fils pour juges sur Israël. Et son premier-né s'appelait Joël, et son second fils Abija ; et ils jugeaient à Béerséba. Et ses fils ne suivaient point ses traces et ils s'en détournaient pour chercher le gain ;

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ils acceptaient des présents et faisaient fléchir le droit.Et tous les Anciens d'Israël s'assemblèrent et vinrent vers Samuel à Rama ; et ils lui dirent : Voici, tu es vieux et tes fils ne suivent point tes traces ; maintenant donne-nous un roi pour nous juger, comme en ont toutes les nations. Et Samuel vit avec peine qu'ils disaient : Donne-nous un roi pour nous juger. Et Samuel pria l'Éternel,et l'Éternel dit à Samuel : Obéis à la voix du peuple dans tout ce qu'ils te diront ; car ce n'est pas toi qu'ils ont rejeté, mais c'est moi qu'ils ont rejeté, afin que je ne règne point sur eux. Selon tout ce qu'ils ont fait, depuis le jour que je les ai fait monter hors d'Egypte jusqu'à ce jour, en m'abandonnant et en servant d'autres dieux, ils te le font de même. Et maintenant écoute leur voix ; toutefois proteste-leur expressément et déclare-leur comment le roi qui régnera sur eux les traitera. Et Samuel dit toutes les paroles de l'Éternel au peuple, qui lui avait demandé un roi,et il dit : Voici comment vous traitera le roi qui régnera sur vous : il prendra vos fils et il les mettra sur son chariot et parmi ses cavaliers, et ils courront devant son chariot ; et il s'en fera des chefs de mille et des chefs de cinquante ; et il les prendra pour labourer ses champs et récolter sa moisson et pour fabriquer ses instruments de guerre et l'attirail de ses chariots.Et il prendra vos filles pour parfumeuses, pour cuisinières et pour boulangères. Et vos champs, vos vignes et vos meilleurs oliviers, il les prendra et les donnera à ses serviteurs ; et de vos champs et de vos vignes il prendra la dîme et la donnera à ses eunuques et à ses serviteurs, et il prendra vos serviteurs et vos servantes et l'élite de vos jeunes gens et vos ânes, et les emploiera à ses ouvrages. Il dîmera vos troupeaux, et vous serez ses serviteurs. Alors vous crierez à cause de votre roi que vous aurez élu, mais l'Éternel ne vous exaucera point. Et le peuple refusa d'écouter Samuel, et ils dirent : Non, mais il y aura un roi sur nous, et nous serons, nous aussi, comme toutes les nations ; et notre roi nous jugera et sortira devant nous et fera nos guerres. Et Samuel entendit toutes les paroles du peuple et les rapporta à l'Éternel. Et l'Éternel dit à Samuel : Ecoute leur voix et établis-leur un roi. Et Samuel dit à ceux d'Israël : Que chacun de vous s'en aille à sa ville.

2.3.2. Apport des premiers pères de l’Eglise chrétienne 2.3.2. Apport des premiers pères de l’Eglise chrétienne

Les premiers chrétiens étaient-ils en faveur du communisme ? C’est une affirmation quel’on a souvent entendue, et qui semble aujourd’hui pouvoir être clairement rejetée.

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Il faut dire qu’il était tentant de lire les récits des premiers Chrétiens sous cet angle ; lesActes des apôtres tout comme les autres lettres de Saint Paul. Les Corinthiens « mettaienttout en commun » lit-on dans ces écrits...

Mais Saint Paul n’est pas communiste ! Et les premiers Chrétiens insistent plus sur unedimension humaine que politico-sociale. Ce qui importe c’est que l’homme partage,recherche Dieu, etc. « Rendez à César ce qui est à César », « Mon Royaume n’est pas dece monde ». En ce domaine, nous restons sur la continuité des hébreux.

De plus, pour les premiers Chrétiens le Royaume de Dieu est tout proche. Il n’y a doncpas grand intérêt pour la chose politique.

À noter aussi chez les Chrétiens une différence fondamentale d’avec les Grecs en ce quiconcerne la nature de l’homme. Pour les Chrétiens, l'homme est un être imparfait qui nese réalise jamais pleinement sur cette terre, et dont la liberté essentielle consiste àreconnaître (ou refuser de reconnaître) l'existence d'un Dieu unique, qui lui est toutpuissant. Ce n’est pas comme chez les Grecs où l’homme est un Dieu. C'est pourquoichrétiens et grecs n’utiliseraient pas la notion de droit naturel de la même façon.

Une date importante est celle de l’édit de Milan (313) par lequel l’empereur Constantinmet fin à dix années de persécution des chrétiens initiés par Dioclétien. Dès lors lesrapports entre l’Eglise et l’Empire vont changer. De plus, les Chrétiens deviennent de plusen plus nombreux dans l’Empire.

Il est temps pour les « Pères de l’Eglise » de clarifier ces rapports, d’autant que la fin dumonde tarde à venir... Une doctrine sociale de l’Eglise s’impose qui parle du chrétiendans le monde d’ici-bas. Saint Jean Chrysostome (347 ? - 407) était apparemment très opposé à l’acquisition derichesses (Economics Justice in Perspective, pages 14-15) : Tout d’abord la richesse n’estjamais acquise de façon juste (Because God did not make that man rich and that manpoor from the beginning), de plus, on ne peut être à la fois riche et juste puisque le juste,par définition, partage.

Sur la question des rapports entre l’Etat et l’Eglise (voir Némo, Vol 1, 525) les choses sonttrès claires : « Au roi ont été confiés les corps ; au prêtre les âmes.... L’un possède lesarmes matérielles, l’autre garde en son pouvoir les armes spirituelles ». Cela dit la tâchedu prêtre est « plus grande » que celle du roi. C’est pourquoi le roi est oint (et s’incline)devant le prêtre.

Curieusement, alors que Saint Jean Chrysostome est évêque de Constantinople, et donc

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représentant de l’Eglise orientale, cette Eglise orientale, plus que l’Eglise Occidentale, vamettre le prêtre sous la tutelle du roi. Le développement du monachisme s’expliqued’ailleurs par un souci de retrouver une « indépendance » des choses de ce monde.

Ambroise (340-397) est carrément opposé à la propriété privée. « La terre était faite pourtous : pourquoi vous les riches affirmez qu’elle est votre propriété ? ....La Nature produitla propriété commune. Le Vol fait la propriété privée. » Proudhon n’a rien inventé !

À l’inverse Clément d’Alexandrie (?n, 215) affirme qu’il ne peut y avoir de sens profond àla charité chrétienne s’il n’y a pas de propriété privée. De façon plus générale, lapossibilité d’une vie morale semble nécessiter un certain degré d’autonomie quinécessite à son tour une forme de propriété.

Saint Augustin est un personnage qui laissera une marque forte (Némo, 527 et suiv.). Sesécrits int été les plus copiés au cours du Moyen-Âge (354-430) né à Thagaste en Numidie (Algérie actuelle). Père païen, mère chrétienne(Sainte Monique). Professeur de lettres à Carthage puis à Rome. D’abord manichéen etnéoplatonicien, il se convertit à 30 ans. Il devient alors rapidement prêtre puis évêqued’Hippone (aujourd'hui Annaba, proche de la frontière Tunisienne).Parmi ses nombreux écrits, il y a les Confessions, et La Cité de Dieu.

La Cité de Dieu est un ouvrage rédigé après le sac de Rome par les Wisigoths (410) pourrépondre à ceux qui voient dans cette catastrophe les conséquences de l’abandon despratiques religieuses anciennes. Cet ouvrage est très largement théologique etphilosophique. Il ne touche à la politique qu’en de rares passages.

« Deux amours ont bâti deux cités : l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu fit la Citéterrestre, l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi fit la Cité céleste ».

Mais il ne faut pas identifier la première à l’Etat et la seconde à l’Eglise. Les deux citéscoexistent, sont intégrées et néanmoins opposées.

Partant de la définition de Cicéron qui énonce que la République est « un consensus surle droit », Augustin commence par dire que l’Etat (entre autres l’Etat romain) n’a pas devéritable légitimité. En effet, la justice des païens n’est pas la même que la justice desChrétiens. Pas de consensus sur la justice, donc pas de République véritable. C’estpourquoi le pillage de Rome n’est pas si grave : rien de fondamental n’a été détruit.

Ainsi, « il ne peut y avoir de République authentique que chrétienne » (Némo, 528).L’homme ne peut commander aux autres hommes que s’il obéit lui-même à Dieu. Etencore, dans ce cas, il devra être avant tout au service de son prochain. Cette théorieselon laquelle il ne peut y avoir d’Etat que créé par l’Eglise (ou tout du moins avec le

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consentement de l’Eglise) est appelée l’Augustinisme politique. Elle prévaudra jusqu’auXIème, XIIème siècle.

Mais la pensée d’Augustin se fait subtile lorsqu’il va trouver, de façon détournée, uneraison d’être à l’Etat, et donc à Rome. Le pouvoir politique, dit Augustin, est une punitionvoulue par Dieu pour l’homme pécheur. Après tout, comme le disait Saint Paul, toutpouvoir vient de Dieu. Depuis la Chute, les hommes ont une fâcheuse tendance à s’entre-déchirer. C’est pourquoi Dieu dans son immense bonté a toléré les pouvoirs politiques.Ainsi les deux cités peuvent elles, et même doivent-elles cohabiter :

« La cité céleste n’hésite pas à obéir aux lois de la cité terrestre qui en assurent labonne administration, en tout ce que requiert la subsistance de la vie mortelle. »

Reste pour Augustin à expliquer l’existence de systèmes politiques anti-chrétiens. Cessystèmes sont sans doute voulus par Dieu. La Providence ne saurait être tenue ici àl’écart. Comment Dieu qui s’occupe des oiseaux du Ciel et des papillons ne s’occuperaitpas des tyrans? Si nous avons des tyrans c’est donc que Dieu l’a voulu car c’est ce quenous méritons. En cela il reprend une tradition biblique : « Il fait régner l’homme fourbe àcause de la perversité du peuple » (Jb 34, 30). En bref, on a les hommes d’Etat que l’onmérite.Pour cela le chrétien est dans la nécessité de respecter le pouvoir. Cela dit le Chrétien nedoit pas adorer des idoles, même si il en reçoit l’ordre. Respect du pouvoir terrestre donc,mais tant que celui-ci n’impose pas au Chrétien de renier son Dieu en adorant un Roi ouun Empereur. Et puis après tout, le pouvoir terrestre va passer, seul restera le pouvoir deDieu.

Ce qu'il faut retenir de leurs écrits :• Que leurs "conseils" économiques : vendre ses biens et les donner aux pauvres,

prêter sans intérêt, voire, sans exiger de remboursements sont des directions pouratteindre l'idéal du Chrétien ; leur objectif est de réformer les comportementsindividuels et non pas l'organisation de la société. Ils n'étaient pas des"révolutionnaires" en ce sens qu'ils ne désiraient pas renverser l'ordre existant (cf.Barrabas..) Le paradis, contrairement une fois encore à ce qui semble être le casdans la pensée grecque, n'est pas de ce monde.

• D'où un désintérêt chez ces premiers penseurs chrétiens pour l'analyse desmécanismes économiques et, d’une certaine façon, des mécanismes politiques.

• Sur le plan politique, il n’y a pas confusion, contrairement à ce que l’on entend diretrop souvent, entre les pouvoirs spirituels et temporels. Ce sont plus les puissantsde ce monde (Constantin II dira « Ma volonté est un canon (sous entendu, uncanon de l’Eglise) ») que les Pères de l’Eglise qui tenteront de coupler les deux.

• Cela n’empêche pas que pour ces Pères, un bon Roi, un bon chef, est un chefchrétien. Mais il n’y a rien de plus logique à cela, d’autant qu’ils n’ont jamais

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avancé la proposition inverse : un Roi chrétien est nécessairement un bon Roi.• Le Chrétien est dans ce monde, mais il n’est pas de ce monde.

Voilà donc quel est l'héritage perçu par les penseurs du M.A., et, ne nous y trompons pas,de la pensée moderne. C'est un héritage fait de deux courants d'une certaine façonantinomique ; de deux prophéties conflictuelles pour reprendre les termes de Némo.

Nous allons voir à présent ce que les penseurs du M.A. ont fait de cet héritage. Enparticulier, comment une pensée, vraiment économique cette fois-ci, émergeaprogressivement.

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Chapitre 3. La pensée scolastique

3.1. Le cadre de cette pensée

Ce fut une pensée européenne car l'Eglise était européenne ; avec quelques centres

particulièrement dynamiques comme les Universités de Paris (1120), d'Oxford ou

Cambridge, de Cologne, de Bologne, (Montpellier 1221) ou Salamanque, Cracovie en

Pologne.

Cette pensée est avant tout celle de clercs, Dominicains, Franciscains ou Jésuites

("création" 1540). C'est autour d'eux que gravite l'activité intellectuelle de cette période.

Aussi bon nombre de grands "penseurs" de ce temps ont été sanctifiés : c'est dire le

poids de la religion. Ces siècles nous ont ainsi légué St Thomas d'Aquin (1225-1274) ; et

plus tard St Bernardin de Sienne ou Saint Antoine de Florence!

Comment ces clercs abordent-ils l'économie ? Dans un contexte et avec une vision bien

particulière. Voyons tout d'abord le contexte. Le cadre d'étude est la casuistique. C'est-à-

dire qu'il est demandé à ces moines, ces prêtres, si telle ou telle action est condamnable

du point de vue des grands principes la religion.

Par exemple : est-ce un péché de "trafiquer" comme on disait à l'époque, c'est-à-dire de

faire du commerce ? Peut-on dire si telle personne a fauté en chargeant tel prix à son

client pour telle marchandise ? Est-ce une faute de ne pas payer ses impôts ? Est-ce bien

de prélever un intérêt ? (évidemment, ils étaient également amenés à se poser des

questions ne relevant pas de problèmes économiques).

Plus important que le contexte, est la vision - la perspective serait peut-être un terme plus

exact - adoptée par ces clercs : ils ne cherchent pas à diviser mais à synthétiser. Ce ne

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sont pas des cartésiens. Pour eux, il existe par-dessus tout le dessein de Dieu sur ses

créatures. Il existe un ordre voulu par Dieu. Or, c'est Dieu qui a voulu que nous ayons une

intelligence, c'est donc pour que nous nous en servions. Le Moyen Age n'est donc pas un

siècle d'obscurantisme, bien au contraire ; et cette vision dégradante du Moyen Age -

vision erronée- est je pense en grande partie due à une incompréhension du fait qu'à

l'époque le religieux, le temporel, et le politique sont étroitement liés, ce qui ne veut pas

dire confondus.

Il y a donc un ordre dans la création et cet ordre découle du plan divin. Parallèlement ils

reprennent le concept gréco-romain (les stoïciens, Cicéron) de lois naturelles et droit

naturel mais en le modifiant souvent (cf. Schumpeter) : est naturel ce que la raison nous

permet de découvrir de la nature des choses telles que Dieu les a voulues.

Ainsi avons-nous un droit naturel sur l'utilisation de notre corps et il découle du droit

naturel que le vol est condamnable.

Ainsi, s'il n'y a rien de contraire à la nature dans l'accumulation des richesses, par contre,

faire de la richesse une fin en soi constitue un désordre important : "aux richesses, quand

elles s'accroissent, n'attachez pas votre cœur", lit-on dans un psaume (le 62, verset 11 !)

En résumé, la pensée scolastique aborde l'action humaine dans toutes ses dimensions, ce

qui la conduit à rechercher la nature, l'essence des phénomènes observés et donc, nous

le verrons, une certaine analyse économique. Mais le tout est orienté en dernier recours

par une éthique, qui se veut elle aussi naturelle, et qui proclame qu'est bon tout ce qui

rapproche l'homme de Dieu.

Voyons à présent les questions économiques abordées par cette école de pensée

médiévale, questions qui donnèrent lieu à des développements analytiques fort

intéressants.

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3.2. Quelques grands noms

Albert Le Grand, patron des savants chrétiens

Son histoire relatée ci-dessous dans un texte de la BN, est bien celle de cettepériode : développement des universités, redécouverte et commentaires de textesanciens, attitude scientifique (sciences naturelles, astronomie), développement d’unepensée originale qui dérange parfois.

Né à Lauingen, dans le duché de Souabe (Allemagne), d’une famille de militaires auservice de l’Empire, Albert étudie les lettres et la médecine à Venise et à Padoue. En1223, il entre dans l’ordre des Prêcheurs (chez les Dominicains). Il va alors étudier lathéologie à Cologne et y enseigne à partir de 1228.

Vers 1240-1241, il découvre à Paris, où il est venu enseigner, les traductions des textesgrecs et arabes et commence à travailler sur Aristote et son commentateur arabeAverroès. Nommé Maître de l’Université de Paris en 1245, il a pour disciple Thomasd’Aquin. Puis il retourne à Cologne, où il est chargé de fonder l’École supérieure dethéologie qu’il dirige jusqu’en 1254.

En 1259, il structure avec Thomas d’Aquin les études des Prêcheurs, en les ouvrantaux philosophies nouvelles. Il poursuit son enseignement de ville en ville (Würzburg,Strasbourg, Cologne) et revient à Paris, vers 1276-1277, pour tenter d’apaiserl’hostilité des théologiens de l’université contre les philosophies grecque et arabe.

Il laisse une oeuvre savante d’une grande ampleur, particulièrement brillante dans lesdomaines :

des sciences naturelles,

de la philosophie,

de la théologie.

Conçus sur le modèle de l’encyclopédie d’Aristote, ses traités de sciences naturellescondensent les textes grecs et latins commentés et complétés par les Arabes (dans lesdomaines de l’astronomie, des mathématiques, de la médecine) ; mais Albert ajouteses propres critiques et observations.

Il prône l’expérience, n’hésitant pas à interroger lui-même les spécialistes. Ainsi sontraité Des Animaux est composé de dix-neuf livres rapportant les données antiques etde sept livres qui sont les fruits de ses observations et de ses enquêtes auprès dechasseurs, fauconniers, baleiniers... Il classe plus de quatre cents espèces végétales

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(Des Végétaux). S’autorisant à critiquer Aristote, il corrige chaque fois qu’il le juge utileles erreurs de l’héritage antique.

Son oeuvre philosophique est très importante : ses paraphrases d’Aristote etd’Averroès ont été des vecteurs de diffusion en Occident des philosophies grecqueset arabes, qu’il a été le premier savant chrétien (vite relayé par son disciple Thomasd’Aquin) à faire entrer dans la doctrine chrétienne.

S’il a fait preuve de moins d’originalité dans son oeuvre théologique, les diverscommentaires des Evangiles, des Sentences de Pierre Lombard, des prophètes,portent cependant sa marque.

Canonisé en 1931, il est proclamé patron des savants chrétiens en 1941.

Thomas d’Aquin

Fils du comte Landulphe et de la comtesse Théadora d'Inverno, il est né en 1224 ou1225 au château de Roccasecca, dans le royaume des Deux-Siciles ; de 1230 à 1235, il estoblat à l’abbaye bénédictine du Mont Cassin.

A partir de 1239, il étudie à l'université de Naples où il découvre sans doute Aristoteavec des traductions à partir de l' arabe fournies par Frédéric II. Il entre dans l’ ordre desdominicains (ordre alors jeune et suscitant l'enthousiasme religieux et intellectuel) en1244, contre l’avis de sa famille qui voulait en faire l'abbé du Mont Cassin.

Sa mère le fait alors enlever et l’assigne à résidence. Retenu pendant un an à Roccasecca,il lit la Bible et le Livre des Sentences de Pierre Lombard.

Thomas ne changeant pas d’avis, et peut-être grâce à l'intervention du pape Innocent IV,sa famille finit par accepter son choix. Il est ensuite étudiant à Paris de 1245 à 1248, où ilest surnommé par les autres étudiants "le bœuf muet" en raison de sa stature et de songoût pour la contemplation. Puis il suit son maître Albert le Grand (dominicaincommentateur d' Aristote) à Cologne jusqu'en 1252. De retour à Paris, il est bachelierbiblique (lectures commentées des Écritures) de 1252 à 1254, puis bachelier sententiaire(i.e. commentateur du Livre des Sentences de Lombard) de 1254 à 1256. Il enseignel'Écriture sainte, rédige le de Ente et Essentia, reçoit sa maîtrise en théologie, est nomméMaître Régent, défend et rédige les Questions Disputées : de Veritate, les Quodlibet (7 à11) ; commente le de Trinitate de Boèce… Après d'âpres luttes avec les séculiers del'Université, il sera enfin admis - avec Bonaventure - dans le Consortium Magistrorum,non sans quelque pression pontificale en leur faveur, et de 1256 à 1259, il est maître enthéologie (il est choisi avant l’âge requis).

En 1259, Thomas a trente-quatre ans lorsqu'il part pour l'Italie, où il restera dix ans. Il y

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enseigne la théologie jusqu'en 1268.

Thomas revient à Paris de 1269 à 1272. Il a quarante-quatre ans lorsqu'il rédige laseconde partie (IIa Pars) de la Somme théologique et la plus grande partie desCommentaires des œuvres d'Aristote. Il doit faire face à des attaques contre les OrdresMendiants, mais aussi à des rivalités avec les franciscains et à des disputes avec certainsmaîtres ès arts (en particulier Siger de Brabant, dont la mort mystérieuse est racontée parDante, qui évoque également de manière énigmatique la rivalité entre Thomas et Sigerdans le Paradis de la Divine Comédie).

Le travail incroyable accompli à la fois pour l'enseignement et la rédaction de son œuvre,les luttes continuelles qu'il doit mener au sein même de l'Université, le départ dequelques-uns de ses amis (Robert de Sorbon, Eudes de Saint-Denys…), tout cela acontribué à miner la santé de Thomas, qui, à quarante-sept ans (1272) repart à Naples,où il est nommé maître Régent en théologie de l’école dominicaine. Il y termine latroisième partie (IIIa Pars) de la Somme, la lectio de l’Épître aux Romains, lescommentaires des Psaumes, du Credo, du Pater, de l'Ave Maria…

À partir du 6 décembre 1273, après avoir eu une vision pendant la messe, il cessed’écrire, peut-être parce qu’il tient désormais ses œuvres pour vaines ; sa santé déclineet, aphasique, en se rendant au concile de Lyon, convoqué par le pape Grégoire X, quidevait se tenir en mai, il meurt le 7 mars 1274, au monastère cistercien de Fossa Nova, oùil reposera jusqu'à la translation de sa dépouille mortelle en 1369 à Toulouse, auxJacobins, où il repose toujours aujourd'hui.

Pour suivre l'enseignement d’ Aristote au XIIIe siècle, il va discuter et le plus souventréfuter les commentaires d’ Avicenne et d’Averroès, théologiens musulmans qui l'ontprécédé dans la lecture d'Aristote. Averroès, par exemple, doutait de l'unicité de l' âmeet de l'intellect, ce qu'entendait réfuter Thomas. Curieusement, Platon et Aristote avaienten leur temps exprimé un désaccord du même ordre.

La philosophie thomiste essaie de concilier l’autonomie humaine, l’immortalité de l’âmeet la croyance en Dieu comme Cause Unique de tout bien. Sa certitude est que l’étudephilosophique, aussi poussée soit-elle, ne contredira en aucun cas l’enseignement de lareligion, puisque - écrit-il - les deux ont un même objet, qui est la vérité.

Après avoir été brièvement condamné en 1277, puis réhabilité, il est canonisé en 1323par le pape Jean XXII.

Évoquant l'importance de la notion de vérité dans la philosophie thomiste, on pourraitciter une phrase demeurée célèbre :

« L'homme préfère un mensonge qui console à une vérité qui éclaire. »

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3.3. Contributions à l'analyse économique

Nous avons en mémoire la citation de Schumpeter qui situe les débuts de la pensée

économique chez ces auteurs.

Propriété privée

Contrairement à ce qu'écrira plus tard John Locke, la propriété n'est pas - tout du moins

pour les scolastiques -un droit naturel ; ce n'est pas directement déductible du plan divin

(mais cette institution est en harmonie avec ce plan). L'argument principal de cette

époque est Aristotélicien : la propriété est utile, efficace.

L'usage des richesses selon Thomas d'Aquin

« Deux choses conviennent à l'homme à l'endroit des biens extérieurs et c'estd'abord le pouvoir de les gérer et d'en disposer. Sous ce rapport, il est permis deposséder les biens en propre, c'est même nécessaire à la vie humaine et cela pourtrois raisons...

1 - Chacun donne des soins plus attentifs à la gestion de ce qui lui appartient enpropre qu'il n'en donnerait à un bien commun à tous ou à plusieurs. En ce cas, eneffet, on évite l'effort et on laisse aux autres le soin de pourvoir à l'œuvrecommune.

2 - Il y a plus d'ordre dans l'administration des biens quand le soin de chaquechose est confié à une personne, tandis que ce serait la confusion si tout le mondes'occupait indistinctement de tout.

3 - La paix entre les hommes est mieux garantie si chacun est satisfait de ce qui luiappartient; l'on constate en effet de fréquentes querelles entre ceux qui possèdentdes choses en commun et dans l'indivision.

Une seconde chose qui convient à l'homme, vis-à-vis des biens extérieurs, c'estl'usage qu'il en fait, la jouissance qu'il en prend. Sous ce rapport, l'homme ne doitpas posséder des biens comme s'ils lui étaient propres, mais comme étant à tous,en ce sens qu'il doit être tout disposé à en faire part aux autres dans leurs besoins,dans leurs nécessités. »

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(Somme théologique, IIa, qu.66, art II,par 3-- Volume 3, P.438 de ma version)

Ainsi St Thomas avance les 3 défenses suivantes de la propriété privée:

Lorsqu'il y a un seul responsable celui-ci exerce une plus grande attention à son travail.

Plusieurs responsables conduisent au contraire à la possibilité d'un comportement de

"passager clandestin" resquilleur (concept important relié à la notion de bien public).

Argument déjà rencontré chez Aristote.

Si chacun devait avoir le souci de toutes choses cela représenterait un poids très lourd et

conduirait sans doute au chaos. Il vaut mieux se diviser les responsabilités.

La propriété privée est source de paix, la propriété commune source de conflit. (c'est

"l'opposé" de la démarche de Platon qui pensait que l'absence de propriété privée

apportait la paix de l'âme aux sages).

Notons également que si cette défense de la propriété privée est avant tout utilitariste,

elle est renforcée chez ces auteurs par des raisons morales : qu'adviendrait-il des vertus

de charité, libéralité, hospitalité, générosité dans un monde sans propriété privée ? Elles

ne pourraient plus s'exercer affirment-ils. (C'est là un problème éthique aisément

transférable à nos temps contemporains. En effet, que dire de la "générosité" d'un

homme ou d'une femme riche de nos jours, sachant que ceux-ci "donnent" la moitié de

ce qu'ils gagnent, mais sachant également que le choix qui se présente à eux est entre

donner la moitié de ce qu'ils gagnent ou se retrouver derrière les barreaux pour fraude

fiscale ?).

La monnaie

La monnaie, comme la propriété privée, est analysée à partir des travaux d'Aristote : la

monnaie est avant tout un moyen d'échange, mais elle sert aussi de réserve de valeur et

d'unité de compte (comment sans elle évaluer une maison ?). Mais les scolastiques sont

allés plus loin qu'Aristote : en particulier, ils ont analysé l'un des phénomènes important

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de leur époque : l'inflation. Nous parlons essentiellement des derniers scolastiques, ceux

du 16ème.

Ainsi Azpiculta dans son "Manuel pour confesseurs et pénitents", explique dès 1553, que

si les prix sont bas en France et élevés en Espagne c'est que les métaux précieux et la

monnaie sont plutôt rares dans le premier et abondants en Espagne. Il s'agit donc des

prémices d'une théorie quantitative de la monnaie : existence d'une relation inverse entre

quantité de matériaux et le pouvoir d'achat de la monnaie.

Autre avancée dans ce domaine, les scolastiques distinguent désormais clairement la

valeur intrinsèque de la monnaie, basée sur la quantité de métal contenue dans celle-ci,

de la valeur extrinsèque déterminée sur le marché par le désir qu'ont les individus de

détenir cette monnaie.

Toujours sur la monnaie, les scolastiques ne cesseront de mettre en garde et de

réprimander le gouvernement pour l'abus des dévaluations (dont on verra l'objectif dans

le chapitre suivant), et l'émission de "monnaies de singe" - en l'occurrence, de pièces de

cuivre ou encore l’altération des monnaies (debasement). Cela est équivalent à voler les

sujets et ne sert que l'intérêt du Prince, met en garde Mariana (1553-1612) (cf. Chafuen

p.86), pour qui une telle politique conduit inévitablement au désastre : pleurs et sang

versés. (cf., je crois, Rueff la monnaie cause les guerres).

La théorie de politique monétaire qui se dégage de ces réflexions est bien condensée

dans cette formule de Domingo de Soto : "La monnaie devrait être à l'image des lois

naturelles, toujours ferme et fixe". (Chafuen p.79)

Le commerce

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Poursuivons nos investigations avec leur discours sur le commerce. Bien entendu, il ne

s'agit pas pour des religieux de faire l'éloge du commerce. Mais on n'est pas pour autant

au temps d'Aristote. Le commerce, pense-t-on dans les Universités d'alors, est nécessaire

et normalement neutre.

St Augustin affirmait dès le début du Vè siècle : "les affaires c'est comme manger, un acte

neutre du point de vue de la morale qui peut-être bon ou mauvais selon les fins et les

circonstances"(Chafuen, p.88).

Saint Thomas apporta quelques précisions à cela (il ne faut pas oublier que St Thomas

était napolitain d'origine, une ville qui devait sa prospérité au commerce) : le commerce

selon lui est justifié :

• pour transporter les biens de là où ils se trouvent en abondance vers les lieux où

ces biens viennent à manquer

• pour stocker les biens et les conserver

• pour importer des biens dont le pays a besoin.

Dans la même veine, les derniers scolastiques défendront ouvertement les bienfaits du

commerce international.

La valeur

Abordons à présent leur théorie de la valeur. Une fois encore celle-ci a bénéficié des

apports d'Aristote, St Augustin et St Thomas. L'idée principale est que la valeur que nous

donnons aux choses dépend de l'utilité que nous en dérivons. Or cette utilité est

subjective ; différentes personnes désirent différentes choses ou services.

St Bernardin de Sienne (1380-1444) affirme que les biens marchands sont évalués selon

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l'usage qui en est fait. Et il introduit alors la fameuse distinction entre dimensions de la

valeur marchande : virtuositas - raritas - complacabilitas.

• La valeur marchande est en effet déterminée par la qualité de la marchandise (la

virtuositas). Ainsi un cheval en bonne santé ne s'échangera pas au même prix

qu'un cheval en mauvaise santé...

• Elle dépend également - cette valeur marchande - de la rareté du bien (c'est la

raritas). C'est pourquoi un bien tel que l'eau, bien que très utile, voire,

indispensable à la vie, s'échange à un prix négligeable par rapport aux perles ou

diamants.

• Elle dépend enfin de la placabilitas, c'est-à-dire du plaisir subjectif tiré de l'usage

de la chose, ou, pour être plus précis, de la complacabilitas, c'est-à-dire, du

"plaisir" ou de la satisfaction" qui est communément tiré de cet objet.

Même s'ils ne sont pas exposés avec la plus grande clarté (en grande partie à cause de la

complémentarité de ces trois dimensions) tous les éléments de la théorie moderne de la

valeur sont regroupés dans ces travaux et, à bien des égards, on peut considérer que les

théories du XVIIè et XIXè siècles constituèrent un recul par rapport aux avancées de la

scolastique.

Il s’agit ici d’une théorie subjective de la valeur. Les paramètres « objectifs » comme les

coûts de production (encore faut-il souligner que les coûts sont toujours dépendants de la

personne qui les évalue en un lieu et temps précis) ne jouent qu’un rôle indirect (la rareté

par exemple, influence la valeur). Ce qui détermine la valeur c’est ce que les individus

vont pouvoir faire de cette chose. Les biens qu’ils vont pouvoir satisfaire.

Les prix

Sur la théorie des prix voir Hayek, DLL, page 24

Théorie des prix et théorie du juste prix. La théorie des prix découle tout naturellement

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de leur théorie de la valeur : Le prix dépend donc de l'évaluation commune que les

agents font du bien. Quel est donc le juste prix ? Eh bien ce sera tout naturellement le

prix du marché. Même si ce prix peut sembler "déraisonnable", comme pour les perles,

ou les oranges en Angleterre, il sera juste dans la mesure où il s'établit sur un marché

libre.

S'il n'y a pas libre entrée, - si par exemple il y a situation de monopole - il faudra avoir

recours à un prix légal. Or les scolastiques se méfient de la tarification, et s'ils admettent

l'existence de certains monopoles d'Etat, ils s'empressent de préciser que le roi qui

donne à quelqu'un un privilège qui aggrave la situation de ses sujets commet un péché

mortel...(Molina, cité dans Chafuen p.117).

Leur approche des salaires est tout aussi simple que valide : le salaire est le prix du

travail : tant qu'il est décidé de son montant sur la base d'un échange libre entre

employés et employeurs, le salaire sera juste.

Quant au profit, il est justifié de la même façon, c'est-à-dire dans la mesure où il émane

d'opérations de vente et d'achat effectuées à de juste prix (cf. justice procédurale, justice

de résulat). Tel sera le cas si vous achetez dans un pays au juste prix de 100 et si vous

revendez dans un autre pays au juste prix de 200. Du point de vue morale, Thomas

d'Aquin disait encore, que l'on pouvait réaliser des profits dans la mesure où on l'utilisait

pour l'un des 6 buts suivants :

• faire vivre son foyer

• aider les pauvres

• assurer au pays les denrées essentielles

• compenser le travail de l'homme d'affaire

• améliorer la marchandise

• compenser les risques encourus au cours des phases de transport et de

distribution

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Autant dire que le profit n'est plus condamné ! Selon le précepte de St Augustin : "Ce

n'est pas les affaires, mais les hommes d'affaires qui sont démoniaques".

Le taux d’usure

Dernier volet de l'analyse économique de ces hommes du Moyen Age : le taux d'intérêt,

ou plutôt, pour reprendre leur propre terme, l'usure. C'est là sans doute la partie, du

moins semble t-il, la moins moderne des analyses de cette école de pensée. Il faut dire

que tout partait très mal...

Dès le IVè siècle, le prêt à intérêt est interdit pour les clercs (qui en ces temps étaient de

gros propriétaires). Le concile de Latran (1179) promulgue qu'on ne peut (l'Eglise)

accepter l'aumône d'un usurier. A peu près à la même époque le canoniste Gratien

proclame que "ni les laïcs, ni les clercs ne peuvent exiger d'intérêt". Enfin, le concile

œcuménique de Vienne (1311-12) taxe d'hérétiques les adversaires de la prohibition du

taux d'intérêt !

Alors sur quelle base repose cette condamnation, cette excommunication pourrait-on dire

presque ?

Il y a bien sur une influence Aristotélicienne (on se souvient des deux formes de

chrématistique) et des Pères de l’Eglise, hostiles à l’usure. Mais il y a aussi le droit romain

qui lui autorise le prêt à intérêt. St Thomas d'Aquin va tenter de tirer le meilleur parti de

tout cela, et de réconcilier ce qui est a priori inconciliable.

Pour cela il reprend la distinction romaine entre deux sortes de contrats de prêt (question

78, p. 490):

• le commodat ou prêt de biens durables (maison, terre, charrette)

• le mutuum ou prêt de biens fongibles, c’est-à-dire, de biens qui disparaissent

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après leur consommation (blé, vin, argent).

Dans le cas des premiers biens, il est possible d’en céder l’usage sans les détruire. Il est

donc naturel de faire payer l’usage, de prélever un loyer sur une chose dont on est

toujours propriétaire et dont on ne peut user pour un temps. Dans le cas des biens

fongibles, on ne peut en céder l’usage sans en céder la propriété puisque ce bien va

disparaître lorsque l’on en fera usage. Et on ne peut prélever sur quelque chose qui ne

nous appartient plus. Le prêteur ne renonce à rien puisque l’emprunteur lui donnera une

chose équivalente qu’il ne pourra lui aussi consommer qu’une fois.

Mais ne peut-on pas dire que le prêteur renonce tout de même à consommer le bien

fongible à l’instant qui lui conviendra ? N’a-t-il pas le droit de demander une

compensation pour son renoncement à une consommation immédiate ? Ce sont là des

remarques très pertinentes qui sont faites par les scolastiques (et Saint Thomas dans De

Usuris). Ils perçoivent en effet que l’intérêt est le prix du temps.

Mais le temps appartient à Dieu… et on ne peut, une fois encore, prélever sur ce qui ne

nous appartient pas.

Cette troisième raison est extrêmement intéressante car Thomas d'Aquin avait réellement

identifié la nature de l'intérêt ; mais son éthique l'a contraint à abandonner une voie

pourtant fort prometteuse.

Mais cette condamnation de l'intérêt ne restera pas sans appel. Les scolastiques, hommes

de bon sens—il faut savoir faire usage de sa raison--, ne peuvent rester aveugles,

hermétiques à ce qui les entoure : or, le commerce se développe, s'internationalise à

nouveau, la vie économique renaît après une période d'autarcie relative à partir du XIIè.

Et l'usure se révèle être un élément utile à ce développement.

Intérêt → Epargne → Investissement → Progrès.

L’intérêt encourage l’épargne qui permet l’investissement, source de progrès !

Alors les scolastiques vont mettre de l'eau dans leur vin, reconnaissant qu'il y a certains

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cas où l'intérêt est justifié. D'ailleurs, soulignent-ils, il n'y a rien de mal à verser où à

accepter un intérêt, c'est comme offrir ou accepter un présent en signe de gratitude...

Plus précisément, l'intérêt sera "juste" :

• s'il compense une perte encourue par le prêteur qui est due au prêt (damnum

emergens),

• ou s'il compense un manque à gagner (lucrum cessans)

• le risque encouru par le prêteur peut aussi, mais plus difficilement (voir note 2)

justifier un intérêt (periculum sortis)

Notons que les points 1 et 2 (damnum emergens et lucrum cessans) se retrouvent dans la

détermination des dommages versés en cas de rupture de contrat).

A cela il faut rajouter le développement de nouveaux contrats, tels que l’association d’un

contrat de prêt à un contrat d’assurance, ou encore des formes de partenariat qui font

que le prêteur de fonds à tout naturellement droit à une partie des profits.

Dans tout ces cas on admet que soit versée une somme au prêteur au-delà de la somme

empruntée, et pour ne pas la confondre avec l’usure on lui donnera le nom d’interesse.

Ainsi s'est développée la pensée scolastique, principalement du XIIè au XVIIè. Elle fut

transmise à tous les auteurs dont nous présenterons les doctrines, parfois relayée par des

penseurs protestants tels Grotius ou Pufendorf (d’après Mouly, les deux ne sont pas à

mettre sur le même plan)

Nous nous sommes attardés bien plus qu'il n'est de coutume sur cette pensée scolastique

pour deux raisons essentielles : la première est qu'elle est, à tort, passée sous silence

dans la plupart des ouvrages d'économie politique (moins d'une page dans le Guitton-

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Vitry, zéro chez Redslob) ; la seconde raison est que le désintérêt pour ces penseurs crée

une impression, je pense trompeuse, de la progression de la pensée. En particulier, on a

l'impression qu'une véritable révolution s'est déroulée à la fin du XVIIIè. C'est oublier un

peu vite qu’Adam Smith, Turgot et autres classiques ont eu des professeurs eux aussi et

qu'ils étaient des hommes cultivés.

Cette pensée faisait usage de la raison. Elle est basée sur une idée d’ordre naturel. Elle

est optimiste. Elle est humble.

La liberté selon Thomas d'Aquin

« L'homme est libre : sans quoi conseils, exhortations, préceptes, interdictions,récompenses et châtiments seraient vains. Pour mettre en évidence cette liberté,on doit remarquer que certains êtres agissent sans discernement, comme la pierrequi tombe, et il en est ainsi de tous les êtres privés du pouvoir de connaître.D'autres, comme les animaux, agissent par un discernement, mais qui n'est paslibre. En voyant le loup, la brebis juge bon de fuir, mais par un discernementnaturel et non libre, car ce discernement est l'expression d'un instinct naturel (…). Ilen va de même pour tout discernement chez les animaux. Mais l'homme agit parjugement, car c'est par le pouvoir de connaître qu'il estime devoir fuir oupoursuivre une chose. Et comme un tel jugement n'est pas l'effet d'un instinctnaturel, mais un acte qui procède de la raison, l'homme agit par un jugement librequi le rend capable de diversifier son action. »

(Somme théologique, I, q. 83, a. 1)

Cette recherche d’une compréhension de l’ordre naturel les incline à l’analyse.

Pourtant cet héritage précieux va être fortement concurrencé dans les siècles à venir. Dès

le 13eme des coups de butoirs vont lui être infligés par deux « camps » :

1. La Réforme

2. L’humanisme italien et la montée de la pensée absolutiste

Deux traditions vont ainsi continuer à s’opposer. Ces deux traditions sont anciennes comme en témoignent la coexistence des deux préceptes suivants remontant tout deux à l’époque romaine :

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quod omnes tangit ab omnibus approbeturCe qui concerne tous doit être décidé par tous(what touches all must be approved of by all)

vs.quod principi placuit legis vigorem habet

Ce qui plait au Prince a force de loi(what pleases the prince has the force of law)

Références:

Sur la révolution Grégorienne, on pourra consulter:

Philippe Némo, Qu’est-ce que l’occident ?, Quadrige PUF 2004 (155 pages)

Philippe Némo, Histoire des idées politiques dans l’Antiquité et au Moyen Age, PUF,

Collection « Fondamental », 1998

Harold Berman, Droit et Révolution, Presses de l’Université d’Aix-en-Provence, 2002

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Daniel Villey et Colette Neme : Petite histoire des grandes doctrines économiques

Pour se détendre en apprenant des choses sur le Moyen-Âge et en faisant un peu d'anglais:

http://www.cracked.com/article_20186_6-ridiculous-myths-about-middle-ages-everyone-believes_p2.html

Dawson, Christopher, The Making of Europe; An Introduction to the History ofEuropean Unity (Sheed & Ward, 1932).

Dawson, Christopher, Progress & Religion: An Historical Inquiry (Sheed & Ward,1929).

Dawson, Christopher, Understanding Europe (Sheed & Ward, 1952).

Stark, Rodney, The Victory of Reason: How Christianity Led to Freedom,Capitalism, and Western Success.(Random House, 2003).

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