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Page 1: Histoire de la Bretagne · Helvétius, Philippe Jarnoux, François Lebrun, François Lefay, Jean-Marie Le Gall, Nicolas Le Roux, Charles-Édouard Levillain, Jean-Noël Luc, Hélène
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Histoire de la Bretagne et des Bretons

TOME 1

Des âges obscurs au règne de Louis XIV

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DU MÊME AUTEUR

Un révolutionnaire ordinaire. Benoît Lacombe, négociant (1759-1819)avant-propos d’Emmanuel Le Roy Ladurie

Champ Vallon, 1986

Le Roi de guerre.Essai sur la souveraineté dans la France du Grand Siècle

Payot, 1993 ; rééd. en éd. de poche, Payot, 2000

L’État classique (1652-1715).Regards sur la pensée politique de la France

dans le second xviie siècleen codirection avec Henry Méchoulan

Vrin, 1996

Chronique du règne de Louis XIVSEDES, 1997

La France de la monarchie absolue (1610-1715)(coordination et participation)

Seuil /L’Histoire, 1997

La Mélancolie du pouvoir.Omer Talon et le procès de la raison d’État

Fayard, 1998

Le Livre et le glaive.Chronique de la France au xvie siècle

Armand Colin/SEDES, 1999

Versailles, le palais du roi Louis XIVSélection du Reader’s Digest, 1999

Le XVIIe siècle. Histoire artistique de l’Europesous la direction de Georges Duby et Michel Laclotte

Seuil, 1999

Les Années cardinales.Chronique de la France (1599-1652)

Armand Colin, 2000

La Monarchie entre Renaissance et Révolution.Histoire de la France politique, t. 2

(direction et participation)Seuil, 2000

Palais et pouvoir.De Constantinople à Versailles

en codirection avec Marie-France AuzépySaint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, 2003

L’Affirmation de l’État absolu (1515-1652).Histoire de la France

Hachette Supérieur, Carré Histoire, 4e éd. revue et augmentée, 2004

Absolutisme et Lumières (1652-1783).Histoire de la France

Hachette Supérieur, Carré Histoire ; 4e éd. revue et augmentée, 2005

1515 et les grandes dates de l’histoire de Francesous la direction d’Alain Corbin

(participation)Seuil, 2005

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JOËL CORNETTE

Histoire de la Bretagne et des Bretons

TOME 1

Des âges obscurs au règne de Louis XIV

OUVRAGE PUBLIÉ AVEC LE CONCOURS

DU CENTRE NATIONAL DU LIVRE

ÉDITIONS DU SEUIL25, bd Romain-Rolland, Paris XIVe

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CE LIVRE EST PUBLIÉ DANS LA COLLECTION

L’UNIVERS HISTORIQUEfondée par Michel Winock

dirigée par Laurence Devillairs

Les cartes ont été réalisées par «Légendes Cartographie» 40 rue des Vignobles 78400 Chatou

(ISBN édition originale : 2-02-082518-X)

© éditions du seuil, septembre 2005

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective.Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit,

sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnéepar les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle

www.seuil.com

978-2-02-116478-7

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Remerciements

Une telle entreprise n’aurait pas été possible sans l’aide précieuse d’amis et decollègues qui ont tous accepté d’accompagner la rédaction de ce livre de leurregard savant et critique. C’est donc un plaisir pour moi de remercier ceux qui ontsoutenu, de près ou de loin, cette aventure : Marie-France Auzépy, Pierre-YvesBeaurepaire, Annette Becker, Katia Béguin, Jean-Marie Bertrand, Bruno Cabanes,Sébastien Carney, Robert Descimon, Hervé Drévillon, Évelyne Duret, Joël Félix,Pascal Gortais, Ran Halévi, Philippe Hamon, Valérie Hannin, Anne-Marie Helvétius, Philippe Jarnoux, François Lebrun, François Lefay, Jean-MarieLe Gall, Nicolas Le Roux, Charles-Édouard Levillain, Jean-Noël Luc, HélèneMénard, Claudia Moatti, Michel Puzelat, Cécile Rey, Odette Sarda, Pierre Serna,Michèle Virol, Nadine Vivier.

Je tiens aussi à remercier tout particulièrement Jean-Christophe Cassard, quim’a fait l’amitié de partager son irremplaçable connaissance de l’histoire bretonne.

Ce livre n’aurait pas été le même sans le secours du très riche fonds de la Bibliothèque bretonne de l’abbaye de Landévennec. Merci donc à Isabelle Berthou, et au frère Marc Simon, qui m’a offert l’aide inestimable de son érudi-tion et de sa générosité intellectuelle.

Je sais aussi tout ce que je dois à Michel Winock, qui fut à l’origine de ceprojet, à Annie François, à Jean-Claude Baillieul et aux Éditions du Seuil, quiont permis de donner forme à cette Bretagne de papier.

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INTRODUCTION

Les paradoxes de la bretonnité

EN 1888, ANATOLE LE BRAZ SE DÉSOLAIT de l’« entêtement » des Bretons. Et il jugeait cette singularité de caractère rétrograde parcequ’elle les rendait imperméables à toute influence extérieure : «Lamasse des Bretons continue le rêve celte, hostile aux suggestionsdu dehors, circonscrit dans les formes trop étroites d’un parti-cularisme local. Ils pensent, de nos jours, avec le cerveau de leurs lointains ancêtres, sans l’avoir enrichi d’une cellule nouvelle1. »Bretons avant tout, donc, malgré et après des siècles de centralisa-tion monarchique, de jacobinisme républicain agressif, d’étatisationplanifiée, de francisation forcée…

Quel est le fondement d’une identité collective ? En 1975, unsondage de la Sofres révélait que, chez les Bretons, le sentimentd’appartenance à leur province venait presque à égalité avec le sen-timent d’appartenance à la France. 22% des personnes interrogéesaffirmaient même se sentir bretons avant de se sentir français. Plustard, dans le Baromètre annuel 1991 de l’Observatoire interrégionaldu politique (OIP), la Bretagne paraissait la région à laquelle seshabitants s’identifiaient le plus : 23% estimaient «appartenir avanttout» à cette dernière, résultat supérieur de 13 points à la moyennenationale2. En outre, 75% des Bretons s’y déclaraient favorables à la politique de régionalisation, alors qu’autant voyaient dans larégion, plutôt que dans le département, l’unité politique et adminis-

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1. Cité par Ronan Le Coadic, L’Identité bretonne, Rennes, Presses univer-sitaires de Rennes, 1998, p. 104.

2. En 1985, les conseils régionaux, la Fondation nationale des sciences poli-tiques et le CNRS créèrent un Observatoire interrégional du politique (OIP) quiprocède chaque année à des sondages portant sur plus de 10 000 personnes.

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trative de l’avenir. Ce chiffre était supérieur de 10 points à celui de 1989 et l’un des plus élevés de toutes les régions françaises3.Cette singularité est confirmée par l’enquête effectuée en 1998 :« Diriez-vous que vous vous sentez très proche, assez proche ou pas proche du tout des habitants de votre région?» Le total « trèsproche» et «proche» s’élevait à 91%, plaçant la Bretagne en tête detoutes les régions. À égalité avec la Corse4…

Réciproquement, du côté « français », la Bretagne occupe, elleaussi, une position particulière. Cette particularité transparaît clai-rement dans un sondage mené par la Sofres en 1991 sur L’Imagedes régions vues par les Français. Deux questions étaient alorsposées à un échantillon de 1 000 personnes. À la première, consa-crée à la « sympathie» provoquée par les habitants des différentesrégions, la Bretagne obtint le meilleur capital de sympathie de toutesles régions françaises. À la seconde question, consacrée aux «qua-lificatifs» qui définissent le mieux les Bretons, les quatre premièresréponses furent : «entêtés» (43%), « travailleurs» (22%), « sympa-thiques» (21%), «accueillants» (19%)5.

*

L’IDENTITÉ BRETONNE EST TANGIBLE : elle est de surcroît originale, irré-ductible. En interrogeant des Bretons des Côtes-d’Armor, Ronan

INTRODUCTION

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3. Ronan Le Coadic, L’Identité bretonne, op. cit., p. 61-62. En mai-juin 1993,Ronan Le Coadic a réalisé une enquête identique auprès des élèves du lycée del’Élorn, à Landerneau : 32% se sentaient bretons d’abord, avant de se « sentir »français.

4. Michel Nicolas, Bretagne, un destin européen, Rennes, Presses univer-sitaires de Rennes, 2001, p. 120.

5. Ronan Le Coadic, L’Identité bretonne, op. cit., p. 81. La réputationd’«entêtement» des Bretons s’inscrit dans une longue durée : Anatole Le Brazexplique, en 1925, que « le Breton est avant tout un nerveux, un impressionnable.Son entêtement proverbial, sujet d’ailleurs aux brusques variations, l’a fait prendrepour un volontaire, alors que sa faculté prédominante est la sensibilité, une sen-sibilité de Celte, frémissante, inquiète, ombrageuse, et que surexcite encore uneimagination infatigable, toujours au travail» (Anatole Le Braz, «La Bretagne àtravers l’histoire», 1925, dans Anatole Le Braz, Magies de la Bretagne, Paris,Éditions Robert Laffont, 1994, p. 29-30).

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Le Coadic insiste notamment sur l’image répressive transmise par l’école «française»: Gaël, né en 1932, un marin-pêcheur retraitéde Paimpol, confie que, dans sa famille, « nous ne parlions que le breton. Que le breton, oui, oui. C’est très pénible, d’ailleurs, d’ar-river à l’école où on vous tape sur les doigts parce que vous parlezbreton, alors que vous ne savez pas vous exprimer en français». EtSolange, une agricultrice de Plélo (Côtes-d’Armor), se souvient que son mari, quand il est allé à l’école, ne parlait que breton. «Etdans cette région-là, on leur faisait honte, je crois. À une certaineépoque, ceux qui ne parlaient que breton — alors que c’était unelangue —, on leur faisait porter je ne sais pas quoi, je ne sais plusexactement les trucs6. » Les « trucs» en question consistaient en unobjet infamant imposé à l’élève pris en flagrant délit de parlerbreton, un sabot par exemple. L’enfant ne pouvait s’en défaire qu’enle donnant à un autre élève, qu’il avait surpris à son tour à parlerbreton. Le dernier élève de la journée à porter « le truc» — on disaitaussi « le symbole» — était puni7.

La « région» Bretagne se distingue d’abord par cette résistance àla sujétion, une soif de reconnaissance, une fièvre identitaire quisemble s’opposer à toute entreprise d’unification, d’amalgame dansun moule commun. Le titre même du best-seller inattendu Le Che-val d’orgueil, paru en 1975 (traduit en 20 langues, plus de 2 millionsd’exemplaires vendus), est emblématique de cette fierté affichée :«Nous sommes si pétris d’égoïsme et d’orgueil que nous aimerionsgarder pour nous cette bretonnité8. » L’auteur, Pierre-Jakez Hélias(1914-1995), dont les deux prénoms revendiquent la double identité,bretonne et française, était le fils de cultivateurs sans terre du paysbigouden. Dans ce livre-enquête, nourri par ses souvenirs d’enfance,il démontre, à partir de l’exemple vécu du monde paysan d’uneparoisse bretonnante de l’extrême Ouest armoricain, toute l’im-portance de cette impérieuse règle de l’honneur, une morale de l’orgueil, partagée par les plus humbles : «Trop pauvre que je suis

LES PARADOXES DE LA BRETONNITÉ

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6. Ibid., p. 196-197.7. Sur ce sujet, Klaoda An Du, Histoire d’un interdit. Le breton à l’école,

Lesneven, Éditions Hor Yezh, 1992.8. Pierre-Jakez Hélias, Le Cheval d’orgueil, Paris, Éditions Plon, « Terre

humaine/Poche», 1982 [1975], p. 600.

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pour posséder un autre animal, du moins le Cheval d’orgueil aura-t-il toujours une stalle dans mon écurie. » C’est ainsi que parlaitAlain Le Goff, le grand-père sabotier de Pierre-Jakez Hélias. Cetexpert en rimailleries, proverbes et devinettes partagés les soirs de veillée — «des comprimés de sagesse» — n’avait d’autre terreque celle qu’il emportait sous les semelles de ses sabots de bois :« Quand on est pauvre, mon fils, il faut avoir de l’honneur. Lesriches n’en ont pas besoin9. »

Pierre-Jakez Hélias participa dès l’après-guerre aux combatslaïcs pour la défense de la langue bretonne. Il ne put que se réjouirde la création des écoles Diwan (« le germe »), qui pratiquent laméthode de « l’immersion», consistant à plonger les enfants, dès lamaternelle, dans un bain linguistique totalement bretonnant jusqu’àla deuxième année de primaire. La première de ces écoles a été créée en 1977 par des militants si opiniâtres dans leur combat quel’enseignement en breton a réussi à s’imposer : la création d’unelicence de breton a été acquise en 1983, l’institution du Capes en1985 et le Deug de breton en 1989. Et c’est grâce, aussi, au dyna-misme des mouvements associatifs, relayés par des élus locaux, queles Bretons sont parvenus à faire signer, en 1978, par des ministresde la République, un « acte de reconnaissance de la personnalitéculturelle de la Bretagne et l’engagement d’en garantir le libre épa-nouissement» (préambule de la Charte culturelle de la Bretagne).

C’est dire que le « fait » breton s’impose. Par sa spécificité politique, notamment. Les élections révèlent le peu d’intérêt pour la cause nationaliste : l’idée d’indépendance n’est défendue que par une infime minorité de militants qui firent parler d’eux dans lesannées 1970 ; quant au mouvement autonomiste, il ne recueillemême pas 2% des voix en Bretagne. Les élections révèlent aussi lafaiblesse de l’extrême droite, et un vote européen lors du référen-dum de 1992 sur la ratification des accords de Maastricht : alors quel’ensemble des Français accordaient 51,02% de « oui » à l’Union

INTRODUCTION

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9. Breton, bretonnant et fier de l’être, Pierre-Jakez Hélias est aussi, d’unecertaine manière, le prototype du « fils de la République» : boursier à Quimper,il poursuivit ses études à Rennes et enseigna aux lycées de Saint-Brieuc, Rennes,Fougères. Après la guerre, il devint professeur de lettres (françaises !) à l’Écolenormale de Quimper, jusqu’à sa retraite en 1975.

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européenne, contre 49,98% de « non », la Bretagne, elle, répondit«oui» à 59,85%. « Il est énorme, le “oui” breton, écrivait AnnickCojean dans Le Monde du 1er octobre 1992. Il est tonique, toni-truant. Il vient des cantons pauvres comme des zones les plus riches,de Saint-Nazaire la sinistrée (60,4%) et de Rennes la privilégiée(62,7%). Mais pourquoi ont-ils dit “oui”?»

En 1995, Hervé Le Bras proposait une réponse à la questiond’Annick Cojean, en remarquant que la carte du vote en faveur de Maastricht présentait de singulières analogies avec la carte despays d’états, c’est-à-dire des pays rattachés les plus tardivement àl’État central, à la monarchie « française». Et d’expliquer : «Ceux-là mêmes qui soutenaient la réforme régionale de 1969, censée lesdélivrer des abus centralisateurs, voient dans l’Europe une possibi-lité de limiter le pouvoir de Paris et caressent l’espoir de parvenirà l’autonomie dont jouissent les provinces espagnoles, les régionsitaliennes ou les Länder allemands. Le vote pour l’Europe n’est niun vote de droite ni un vote de gauche, comme les clivages des par-tis l’ont prouvé, mais un vote de défiance envers le pouvoir central.Les Bretons, les Basques et les Alsaciens placent dans l’Europel’espoir de concilier l’appartenance à la France et le respect de leur société régionale10. » Comme l’explique un marin-pêcheur dePlouézec (Côtes-d’Armor), « quand on a été à Bruxelles, mallozhDoue, on était combien? Une vingtaine de cars. Je ne sais pas s’iln’y avait pas quarante, trente ou quarante pavillons bretons. Il n’yavait pas un pavillon français. Pourtant, la Bretagne fait 55 ou 60%des pêches françaises. On aurait quand même eu la logique derevendiquer la pêche française, non? Que des pavillons bretons11 !»

«Respect de leur société régionale». Depuis quelques décenniesen effet, les Armoricains se distinguent par les multiples signes exté-rieurs d’une bretonnité assumée, proclamée, affichée avec ostenta-tion : barbouillage des panneaux de signalisation exclusivementécrits en français ; musique bretonne mariant traditions et courantscontemporains ; festou-noz (fêtes de nuit) endiablés reprenant lavieille pratique des paysans bas-bretons après une harassante journée

LES PARADOXES DE LA BRETONNITÉ

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10. Hervé Le Bras, Les Trois France, Paris, Éditions Odile Jacob, 1995,p. 359.

11. Cité par Ronan Le Coadic, L’Identité bretonne, op. cit., p. 17.

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de travail ; port d’insignes tels que le triskell des anciens Celtes et l’hermine, emblème des ducs des xive et xve siècles… Quant auxtitres qui paraissent dans les librairies — très nombreuses — consa-crés à la Bretagne, ils se comptent chaque année par milliers et laBretagne se place, après l’Île-de-France, comme la région qui, sur le territoire français, se révèle la plus riche, la plus active en matièred’édition : 146 éditeurs (en 2001), plus de 5 000 titres, dont 600 enlangue bretonne12…

*

SURPRENANT RETOURNEMENT QUE CETTE FIERTÉ, cette différence reven-diquées quand on rappellera que la culture bretonne fut longtempsassimilée à la misère noire et à un sentiment d’infériorité, sur fondd’éthylisme mélancolique et partagé : «Le flot d’alcoolisme où tropde Bretons ont noyé leur santé et celle de leur descendance, expliqueAnatole Le Braz, se retire à mesure que décroît la misère dont ils y cherchaient l’oubli13. » Cette image dépréciative a été confortéepar de multiples lieux communs sur les Bretons (et les Bretonnes)aussi archaïques qu’exotiques, de la naïve Bécassine avec ses grossabots (« jeune domestique native de Clocher-les-Bécasses ») auxchapeaux ronds (« ils ont des chapeaux ronds…»), lieux communsdiffusés à des centaines de milliers d’exemplaires, à l’exemple de cemanuel des années 1920, destiné à l’école primaire et «adopté par laville de Paris», condensé des topoï attachés à « la plus vieille terrede notre chère France», réservoir d’exotisme et de primitivité :

«Les vieilles coutumes de ses habitants, dont les beaux costumesbrodés changent avec chaque arrondissement ; le charme doux et pénétrant qui se dégage de la plus vieille terre de notre chère France, y attirent également beaucoup de touristes. Uneligne, allant de Saint-Brieuc à Vannes, la divise en deux parties :à gauche, se trouve la Basse-Bretagne, la Bretagne bretonnante,

INTRODUCTION

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12. Jean-Yves Veillard, «L’édition en Bretagne», dans Toutes les cultures deBretagne, Morlaix, Éditions Skol Vreizh, 2004, p. 315-316.

13. Anatole Le Braz, «La Bretagne à travers l’histoire» (1925), dans AnatoleLe Braz, Magies de la Bretagne, op. cit., p. 49.

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celle qui a conservé sa vieille langue (1 million et demi d’habi-tants sur 3 millions), et qui garde encore de l’attachement pourses vieilles traditions. Le Breton aime beaucoup sa petite patrie.Il commence à perdre son idiome, ses mœurs et ses coutumes,ses costumes dont il faut, pour les femmes, regretter les longuescoiffes blanches, “palpitantes comme des ailes et pareilles à ungigantesque papillon au repos sur une fleur”.

Il est petit, brun, trapu, énergique, d’une ténacité légendaire(têtu comme un Breton), d’une probité rare, un peu farouche,superstitieux encore, mélancolique comme son ciel mouillé de larmes. Aucune province, si ce n’est la Bourgogne, n’a donnéplus de grands hommes à la France […]. “Souvent, lorsque lapatrie était aux abois et qu’elle désespérait presque, il s’est trouvédes poitrines et des têtes bretonnes plus dures que le fer del’étranger…” (Michelet).

L’alcoolisme, comme en Normandie, est en train de décimerla vaillante population bretonne14. »

La Bretagne, effectivement, revient de loin : «Défense de cracherpar terre et de parler breton !» Le poids des stéréotypes dépeignantses habitants sous les traits les plus sombres a traversé le temps, untemps à la dimension d’un millénaire puisque, au haut Moyen Âge,dès le ixe siècle, Ermold le Noir, qui a consacré à Louis le Débon-naire un long poème pour chanter ses louanges (Faits et gestes deLouis le Pieux), voit les Bretons « semblables à des bêtes sauvages.Chez eux n’existe nul asile pour la justice et les règles du droit sontbannies15». Huit cents ans plus tard, Jean-Baptiste Babin, généraldes finances, rapporte en 1663 à Colbert qu’«au-delà de ces deux

LES PARADOXES DE LA BRETONNITÉ

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14. H. Le Léap et J. Baudrillard, La France, métropole et colonies, les cinqparties du monde, à l’usage du cours moyen des écoles primaires et des classesélémentaires des lycées et collèges, Paris, Éditions Delagrave, édition non datée(mais remontant à la deuxième moitié des années 1920), p. 50. Cité par RonanLe Coadic, L’Identité bretonne, op. cit., p. 171.

15. Ermold le Noir, cité par Léon Fleuriot, « Le patriotisme brittonique etl’histoire légendaire», dans Jean Balcou et Yves Le Gallo (dir.), Histoire littéraireet culturelle de la Bretagne, Paris, Éditions Champion/Genève, Éditions Slatkine,1987, t. 1, p. 106.

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évêchés [Vannes et Saint-Brieuc], la barbarie a élevé son trône […].Presque tout le monde est rude, grossier, ignorant, brutal […]. Lesmêmes raisons qui conservèrent leur valeur aux Gaulois de César,entretiennent la rudesse, la fainéantise et l’yvrognerie chez les Bretons16». Au même moment, Julien Maunoir, missionnaire jésuite,parcourait avec ses équipes de prêtres les campagnes de Basse-Bretagne. Il avait rêvé d’évangéliser le Canada des Iroquois et des Hurons ; mais il se résigna, en raison d’une santé défaillante, à se contenter des paysans d’Armorique. Pour se convaincre de lajustesse de ses missions, il eut même, explique-t-il, un songe quirappelle celui de François Xavier portant un Indien sur les épaules :il se voyait ployant sous le poids d’un paysan de Cornouaille coifféd’un bonnet rouge…

La Bretagne, « Inde» de la France? Oui, sans doute, quand onrappellera que la partie bretonnante était considérée par les bonspères de la Compagnie de Jésus comme une regio indigena et lecollège de Quimper, fondé en 1620, comme un îlot missionnairedestiné à l’évangélisation d’un peuple «à demy barbare». Quant àJulien Maunoir, il évoque dans son Journal de mission « la misèredu peuple breton que rien ne distinguait des barbares, hormis seséglises et sa liturgie17».

Le Breton, la Bretagne ont ainsi été le plus souvent vus et décritspar l’autre, l’étranger, l’ennemi, le vainqueur ou l’évangélisateur : laBretagne fut, pendant de longs siècles, dans une situation de guerreouverte ou sporadique, successivement contre les Carolingiens, lesCapétiens et les Valois. En conséquence, le Breton se trouve tou-jours placé dans la position de l’adversaire. Aussi, le décrire en l’in-fériorisant fait partie du combat mené contre lui, d’autant que,comme le fait remarquer l’historien médiéviste Pierre Riché, leschroniqueurs se copient les uns les autres : «C’est une des caracté-ristiques de bien des auteurs du Moyen Âge, qui ne regardent pasplus loin que les quatre murs de leur bibliothèque en conservant

INTRODUCTION

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16. Jean Kerhervé, François Roudaut et Jean Tanguy, La Bretagne en 1665d’après le rapport de Colbert de Croissy, Brest, Centre de recherche bretonne etceltique, 1978, p. 36.

17. Éric Lebec, Miracles et sabbats. Journal du père Maunoir. Missions enBretagne (1630-1650), Paris, Éditions de Paris, 1997, p. 20.

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dans leur mémoire ce qu’ils ont lu. Les Bretons du haut Moyen Âge en ont été les victimes18.» Les Bretons des siècles suivants éga-lement, ce qui permet de comprendre le renversement de positiondes chroniqueurs et des historiens des ducs aux xive et xve siècles.Ces derniers (Guillaume de Saint-André, Alain Bouchart, PierreLe Baud…) déprécient les Français pour blanchir, en quelque sorte,l’image noire des Bretons, qui deviennent, sous leur plume, subite-ment vaillants, courageux, téméraires, meliores belligerentes totiusorbis, « les meilleurs combattants du monde entier», selon la for-mule de la Chronique de Saint-Brieuc, écrite à la charnière des xiveet xve siècles19.

Brève inversion des stéréotypes : la Bretagne devenue française(officiellement en 1532) retrouve son statut de territoire sous tutelle,victime des préjugés des administrateurs et des enquêteurs issus dela France dominante, avant que les premiers touristes et les roman-ciers, tout aussi pétris d’idées préconçues, ne prennent le relais20.Voici par exemple Arthur Young (1741-1820), expert en agriculture etgrand voyageur, qui visite la Bretagne en 1788: jusqu’à Combourg,écrit-il, le pays a un aspect sauvage et la culture n’est pas plus avan-cée, «du moins pour le savoir-faire, que chez les Hurons», ce qui lui semble « incroyable en un pays de clôtures ». Quant aux habi-tants, ils sont «presque aussi sauvages que leurs pays, et leur bourg de Combourg est l’une des localités les plus atrocement sales que l’on puisse voir ; des maisons de terre, pas de fenêtres et un pavé siraboteux, qu’il entrave les passants, au lieu de les aider21».

L’Armorique et ses habitants devinrent même, au xixe siècle, le

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18. Pierre Riché, « Les Bretons victimes des lieux communs dans le hautMoyen Âge », dans Bretagne et pays celtiques, langues, histoire, civilisation.Mélanges offerts à la mémoire de Léon Fleuriot, Saint-Brieuc, Éditions SkolVreizh/Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1992, p. 115.

19. Son auteur reste inconnu, mais il est fort probable qu’il a travaillé dansl’entourage ducal.

20. Voir, par exemple, l’étude très documentée de Jean-Yves Le Disez,Étrange Bretagne. Récits de voyageurs britanniques en Bretagne (1830-1900),Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002.

21. Arthur Young, Voyages en France (1787, 1788, 1789), traduction, intro-duction et notes d’Henri Sée, Paris, Éditions Armand Colin, 1976 [1931], p. 229.

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support d’un genre littéraire prolixe, pratiquement autonome, véhi-culant une image, presque toujours la même, d’un territoire ensau-vagé, résistant à tout changement, à tout progrès (Balzac, dansLes Chouans, explique les talus par « la paresse d’enfermer les bestiaux sans les garder»), conservatoire d’une civilisation millé-naire, comme pétrifiée22 :

«La Bretagne — écrit Balzac — est, de toute la France, le paysoù les mœurs gauloises ont laissé les plus fortes empreintes. Lesparties de cette province où, de nos jours encore, la vie sauvageet l’esprit superstitieux de nos rudes aïeux sont restés, pour ainsidire, flagrants, se nomment le pays des Gars. Lorsqu’un cantonest habité par nombre de Sauvages semblables à celui qui vientde comparaître dans cette scène, les gens de la contrée disent :les gars de telle paroisse ; et ce nom classique est comme unerécompense de la fidélité avec laquelle ils s’efforcent de conser-ver les traditions du langage et des mœurs gaéliques; aussi leur viegarde-t-elle de profonds vestiges des croyances et des pratiquessuperstitieuses des anciens temps. […] Là, les antiquaires retrou-vent debout les monuments des Druides. […] Là, le génie de lacivilisation moderne s’effraie de pénétrer à travers d’immensesforêts primordiales.

Une incroyable férocité, un entêtement brutal, mais aussi lafoi du serment ; l’absence complète de nos lois, de nos mœurs,de notre habillement, de nos monnaies nouvelles, de notre lan-gage, mais aussi la simplicité patriarcale et d’héroïques vertuss’accordent à rendre les habitants de ces campagnes plus pauvresde combinaisons intellectuelles que ne le sont les Mohicans etles Peaux-Rouges de l’Amérique septentrionale, mais aussigrands, aussi rusés, aussi durs qu’eux.

[…] Des rides venues avant le temps sillonnaient le front et la peau du cou de la Bretonne, elle était si grotesquement vêtue

INTRODUCTION

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22. Le voyageur anglais Adolphus Trollope, lors de son périple en Bretagnependant l’été 1839, explique qu’«au savant qui s’est donné pour sujet l’Homme,la paysannerie bretonne offre un objet d’étude aussi intéressant et stimulant quepeuvent l’être pour le physiologue les vestiges fossilisés d’organismes vivants»(préface). Cité par Jean-Yves Le Disez, Étrange Bretagne, op. cit., p. 58.

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d’une peau de bique usée, que sans une robe de toile jaune etsale, marque distinctive de son sexe, Hulot n’aurait su à quel sexela paysanne appartenait, car les longues mèches de ses cheveuxnoirs étaient cachées sous un bonnet de laine rouge.

[…] La grossièreté de cet homme [Marche-à-terre, le Chouan]taillé comme à coups de hache, sa noueuse écorce, la stupideignorance gravée sur ses traits, en faisaient une sorte de demi-dieu barbare. Il gardait une attitude prophétique et apparaissait làcomme le génie même de la Bretagne, qui se relevait d’un som-meil de trois années23…»

Face aux pages partiales de Balzac24, Michelet, Hugo, Mérimée et de quelques autres, il est une exception, peut-être : un récit de voyage effectué en 1847, publié sur le tard, en 1885, Voyage enBretagne. Par les champs et par les grèves, de Gustave Flaubert,un des seuls textes où la Bretagne est regardée sans préjugé (ou presque) et par un œil aigu. Hélas, il arrive à «une époque oùl’image de la Bretagne littéraire est déjà trop figée pour pouvoirconnaître une modification. Quelle tristesse25 !».

*

LES PARADOXES DE LA BRETONNITÉ

19

23. Honoré de Balzac, Les Chouans ou la Bretagne en 1799, Paris, 1829.Victor Hugo, dans Quatre-vingt-treize (1874), n’abandonne guère ce registredépréciatif pour décrire la résistance de la Bretagne «blanche» : «La guerre deVendée [il s’agit bien pour l’essentiel, sous la plume de Hugo, de la Bretagne] estl’offre d’une immense bravoure ; sans calcul, sans stratégie, sans tactique, sansplan, sans but, sans chef, sans responsabilité ; montrant à quel point la volontépeut être l’impuissance ; chevaleresque et sauvage ; l’absurdité en rut, bâtissantcontre la lumière un garde-fou de ténèbres ; l’ignorance faisant à la vérité, à la jus-tice, au droit, à la raison, à la délivrance, une longue résistance bête et superbe[…] ; telle fut cette guerre, essai inconscient de parricide.»

24. On peut lire au début de Béatrix, paru en 1840: «Qui voudrait voyager enarchéologue moral et observer les hommes au lieu d’observer les pierres, pourraitretrouver une image du siècle de Louis XV dans quelque village de la Provence,celle du siècle de Louis XIV au fond du Poitou, celle de siècles encore plusanciens au fond de la Bretagne» (1re partie : «Les personnages»).

25. Eugène Bérest, «Les voyageurs français en Bretagne», dans Jean Balcouet Yves Le Gallo (dir.), Histoire littéraire et culturelle de la Bretagne, op. cit., t. 2,p. 211.

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C’EST LÀ UN NOUVEAU PARADOXE quand on compare la longue duréede ces stéréotypes à l’histoire «vraie» d’une Bretagne longtempsautonome, indépendante. Car la Bretagne «historique», objet de celivre, existe dès la fin de l’Antiquité tardive : l’historien byzantinProcope de Césarée, qui vécut au milieu du vie siècle, baptise dunom de «Bretagne» le territoire jusqu’alors nommé «Armorique»(«pays à côté de la mer» ou «en face de la mer»). Effectivement,nous ne sommes plus alors en Armorique mais en Bretagne, et lalangue bretonne — une langue véritable et non «l’idiome» qu’évoquele manuel des années 1920 — est parlée dans toute la partie ouest de la péninsule, en fait dans toutes les régions colonisées par deshabitants de la Bretagne insulaire. Le poète Fortunat (mort vers600), le chroniqueur Marius d’Avenches (mort en 593) et Grégoirede Tours (mort en 595) nomment tous Britannia cette fraction del’Armorique occupée par les «Bretons26».

La Bretagne fut d’abord composée de trois petits royaumes, laDomnonée, la Cornouaille et le Bro-Waroc (le «pays de Waroc»).Elle devint ensuite un seul royaume, aux ixe et xe siècles, puis unduché, du xe au xve siècle, fier de son indépendance, notammentaux xive et xve siècles, « âge d’or » des ducs, luttant âprement, àarmes inégales, contre l’hégémonisme envahissant de l’Angleterrecomme de la France. À la fin du xve siècle, la Bretagne, qu’on pour-rait comparer, par son poids économique, démographique, politiqueet diplomatique, au Portugal, par exemple, possédait tous lesrouages d’un État parvenu à la maturité de son évolution.

Défaite militairement en 1488, la Bretagne devient une provincedu royaume de France, du xvie au xviiie siècle, ce qui ne lui interditnullement de poursuivre, jusqu’au règne de Louis XIV, un « âged’or » marqué notamment par un exceptionnel dynamisme com-mercial : ce «finistère» du royaume fut, à sa manière, un «empire duMilieu», à l’échelle de l’Occident, comme en témoigne l’aventurede ces milliers de Bretons « rouliers des mers». La Bretagne, pas-sage obligé du trafic maritime entre l’Europe du Nord et l’Europe du Sud, disposait d’une centaine de ports actifs au xvie siècle. De

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26. Il s’agit d’un glissement sémantique significatif, la Britannia désignantauparavant les îles britanniques conquises par Rome.

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Cartes*

L’Europe du Ve millénaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37

Les menhirs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45

Les tumulus à pointes de flèche du Bronze ancien . . . . . . . . . . . 49

Diffusion des haches à douille armoricaines . . . . . . . . . . . . . . . . 51

Sites de fabrication des haches à douille armoricaines . . . . . . . . 51

La répartition des amphores italiques au Ier siècle avant notre ère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72

La Gaule au Ier siècle avant notre ère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73

Le dispositif de César pour la conquête de la Gaule . . . . . . . . . . 79

L’Armorique gallo-romaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89

La toponymie bretonne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137

L’expansion bretonne au IXe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209

Les Vikings . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221

Début de la guerre de succession (1341-1342) . . . . . . . . . . . . . . 264

Le domaine ducal sous le règne de Jean IV . . . . . . . . . . . . . . . . . 297

La population bretonne au XVe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 369

Les nobles en Bretagne au XVe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 375

Ports d’armement des bateaux bretons entrés à Bordeaux en 1661 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 569

Les missions de Julien Maunoir (1640-1683) . . . . . . . . . . . . . . . 595

La révolte des Torreben (1675) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 611

Généalogies

Généalogie simplifiée des souverains bretons, de Nominoë à Jean III . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205

Généalogie simplifiée des ducs de la maison de Montfort . . . . . 304

* Les cartes de cet ouvrage ont été réalisées par «Légendes Cartographie» (40 rue des Vignobles 78400 Chatou).

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