françois augiéras

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François Augiéras (1925-1971) . François Augiéras à 20 ans . Collaboration de F.Y. Caroutch avec Augiéras à la revue Structure (1957- 1958). .

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Page 1: François Augiéras

François Augiéras (1925-1971).

François Augiéras à 20 ans.

Collaboration de F.Y. Caroutch avec Augiéras à la revue Structure (1957-1958). .

Page 2: François Augiéras

.(Le père de F.Y. Caroutch fut l’éditeur du Voyage des morts (1959) et de Zirara de François Augiéras, ainsi que de la revue Structure, 15 Rue du Petit Pont à Paris, dans le 5°).

_________________________________.

Je prends régulièrement Planète, jamais sans quelque nostalgie, car tout Planète était déjà dans Structure. Nous avons manqué de moyens matériels, d’obstination ; notre équipe était peu nombreuse, inexpérimentée, mais enfin, « l’esprit Planète », c’est nous qui l’avons trouvé, dès mars 1957. Les découvreurs, les pionniers, ce furent nous ! Aussi la réussite mondiale…de Planète me fiche-t-elle un peu le cafard, car cette victoire-là aurait pu, aurait du être la nôtre !

Je suis en contact avec Planète qui s’intéresse à ma peinture, dont elle donnera des reproductions dans quelques numéros. J’ai écrit à Pauwels et à Bergier en leur rappelant l’antériorité de Structure, dans le domaine qu’elle a fait sien. Voici le texte de ma lettre, accompagnée de quelques numéros de STRUCTURE.

Page 3: François Augiéras

« Je me permets d’exprimer ma surprise de vous voir ne jamais faire mention de l’indiscutable et modeste précurseur que vous avez eu en la revue Structure…Mêmes thèmes, me semble-t-il, mêmes orientations, même ouverture sur le réalisme fantastique, même anti-conformisme, dès mars 1957.

Ephémère, n’ayant rencontré que parfaite indifférence ou violente hostilité, cette revue n’en est pas pour autant complètement oubliée.

Ne serait-il pas juste de rappeler à vos lecteurs la tentative d’un « commando-suicide » qui fut cloué sur un terrain où Planète fait maintenant flotter ses couleurs ?

Ne serait-il pas équitable de citer un jour ceux qui « débarquèrent les premiers » et qui furent immédiatement liquidés ? En vous remerciant à l’avance, veuillez croire…etc. »

Je parle longuement de Structure dans mes Mémoires. Nous avons été les vrais découvreurs d’un nouveau monde, et cela doit se savoir. Eric le Rouge atteignit l’Amérique bien avant Colomb. .

Extrait d’une lettre de François Augiéras (28 janvier 1965(..

Première édition du Voyage des morts Ed. La nef de Paris, 1959

.« J'avais expédié partout des traces de ma peur, de ma joie délirante, les pages ravagées par la férocité du désert, comme la photo hantée au début de ce Voyage des Morts. ».

François Augiéras.

Les œuvres de François Augiéras sont rééditées aux éditions Grasset et aux éditions de la Différence.

*Collaboration de F. Y Caroutch à divers catalogues, livres, revues, etc.

.

Page 4: François Augiéras

LE THEATRE DES ESPRITS, avec un Cdrom.Editions de l’Ile Verte, 1998.

*Editions Au Signe de la Licorne, 1996

Une trajectoire rimbaldienne

.

*Dossier Augiéras dans la REVUE EUROPE, novembre 2006

*

Page 5: François Augiéras

Un homme de lumière_____________________________________________________

Biographies.

François Augiéras, un barbare en OccidentPaul Placet

Ed. La différence, 2006. (Première édition, Ed Fanlac, 1988).

François Augiéras, le dernier primitif.Serge Sanchez (Ed Grasset, 2006)

_____________________________________________UN BARBARE EN OCCIDENT

UN VISIONNAIREUNE LEGENDE VIVANTE

Page 6: François Augiéras

François Augiéras, en 1956Un style de vie qui tienne face à la splendeur des astres.

François Augiéras _____________________________________________

Le Maître des Fougères,de José Corréa (Editions de La Lauze, 2007)

Page 7: François Augiéras

_____________________________________________

.Quelques tableaux de François Augiéras.

Tunisie, 1950 ( Collection M. Mardore)

Dès la fin 1944, la grâce du jeune Français débarquant en Algérie avait été signalée à Henri de Montherlant, par un de ses correspondants, en ces termes: « Un gars de la marine, plus beau que l’archange Gabriel. »

.

Barque dans le désert

.

Page 8: François Augiéras

Sans titre

« Voyez ces personnages à l’écoute du Cosmos Divin. Ils ne sont pas de ce temps. Ces paisibles adolescents sont des princes du ciel… et ne l’ignorent pas.

Ils sont du troisième millénaire. » François Augiéras

.

Falaises dans la nuit.

Page 9: François Augiéras

Le passeur.

. Balises pour centre d’écoute (Vers 1957. Musée du Périgord)

.

Page 10: François Augiéras

Chambre, Place du Palais, à Périgueux, vers 1957 (Col. Caroutch).

. Jeune femme à la barque. Vers 1961 (Collection M.Barcelo)

.

Page 11: François Augiéras

L’ange de la révolution (Vers 1962-1964).

Moissonneur et soldat. Vers 1966.

Page 12: François Augiéras

Temple.

Je voyais DieuOr vivant qui chante au cœur

D’un incroyable Silence

(Un voyage au Mont Athos).

Photo montage de François Augiéras , à la fin de sa vie

Page 13: François Augiéras

_____________________________.

Les œuvres de François Augiérasont été exposées dans de nombreuses galeries dont:

Galerie Mourgues, Paris Mairie du 6°Arrondissement, Paris

LyonLille

Bordeaux, etc.Médiathèque de Cahors (Lot): du 10 Mai à fin Juillet 2006

(Table ronde le 23 Mai 2006)En 2006, legs important à la BNF de Jean Chalon, exécuteur

testamentaire de François AugiérasBiennale de Venise, 2009, grâce au peintre catalan Miquel

BarceloDomme, Journées du Patrimoine, septembre 2011, avec des

colloques et des concerts, pour commémorer le quarantième

anniversaire de la disparition de François Augiéras.

Le film d'Isaki Lacuesta, LOS PASOS DOBLES, tourné en Afrique et inspiré par François Augiéras, avec le peintre Miquel Barcelo, a reçu le prix de la Concha de Oro au Festival du film de San Sebastian en septembre 2011.

Un DVD espagnol, puis français, de ce film d’une poésie violente est prévu pour l’été 2012.

Tráiler 'Los Pasos Dobles', de Isaki Lacuesta - YouTube

AUGIERAS, LE PRIMITIF ET L’ETERNELOeuvre graphique des années 1950 à 1970

6 février au 10 mars 2007 à Talence (Bordeaux)_______________________________

Page 14: François Augiéras

.Sur l’œuvre de ce peintre visionnaire, consulter:

.

AUGIERAS LE PEINTRE. Editions de la Différence, 2001

.Une lettre de François Augiéras à F.Y. Caroutch, sur sa peinture

Page 15: François Augiéras

______________________________________

.Nos vifs remerciements à Jean Dif, à Annie et à Paul Placet

Une seconde page sur François Augiéras est ici.

Retour aux poèmes

Les acquisitions de la BnF Les papiers de François Augiéras

Page 16: François Augiéras

rejoignent la bibliothèque de l'Arsenal

Quelques manuscrits littéraires, lettres, papiers personnels et photographies du peintre-écrivain François Augiéras sont providentiellement entrés à la bibliothèque de l'Arsenal par le don de son ayant droit, le critique littéraire et biographe Jean Chalon.

Les papiers de François Augiéras ont été retrouvés par son fidèle ami, Paul Placet, douze ans après la mort de l'écrivain, qui a fini sa vie dans la misère,le 13 décembre 1971, à l'hospice de Montignac (Périgord). Venu en pèlerinage à l'hospice en 1983, Paul Placet demanda à visiter le grenier.Quelques curieux étaient passés avant lui, mais il restait "un tas d'un mètre de haut, le fatras d'une vie d'artiste, un trésor aux allures de dépotoir", "sa bibliothèque". Dans ce fatras, se trouvaient de précieuses archives remises au notaire, qui les transmit à l'exécuteur testamentaire de François Augiéras, Jean Chalon.Ce sont ces papiers qui ont aujourd'hui trouvé le chemin de la bibliothèque de l'Arsenal. Né en 1925 à Rochester, dans l'État de New York, d'un père pianiste et professeur de musique (emporté par une appendicite purulente peu avant sa naissance) et d'une mère polonaise, peintre sur porcelaine, François Augiéras mena une vie vagabonde "aux allures de légende", où

la réalité dépassait la fiction, comme en témoigne de manière éclatante Serge Sanchez dans la biographie qu'il lui a consacrée.

Son œuvre puise dans ses expériences vécues : Le Vieillard et l'enfant et Le Voyage des morts sont nés de ses aventures en Algérie et de ses rencontres avec l'oncle Marcel Augiéras, colonel de l'armée française retiré en plein désert algérien ; Une adolescence au temps du maréchal, L'Apprenti

sorcier sont un témoignage brûlant de sa jeunesse en Périgord ; Un voyage au mont Athos est dû à ses séjours dans les monastères orthodoxes où il était venu apprendre l'art de l'icône. Enfin sa dernière œuvre, la plus achevée, la mieux construite selon lui, Domme ou l'essai d'occupation, est le fruit de sa vie dans les grottes de Domme où il se réfugiait pour méditer et écrire, fuyant l'enfer de l'hospice.

Des cahiers d'écolier à grands carreaux À propos de ce dernier texte, qui ne trouva pas d'éditeur malgré l'aide de Jean Chalon, François Augiéras écrivit à ce dernier : "La non-publication de ce livre me gêne terriblement dans l'idée que je suis accoutumé de me faire au sujet de mon destin : j'ai accepté – ou appelé – de dangereuses aventures, toujours avec cette arrière-pensée : ça deviendra des livres ! Si ça reste en manuscrit, ma vie à Domme ne fut qu'une cruelle et bien inutile aventure. […] Bien sûr, c'est du réalisme fantastique et il est certain que nombre d'éditeurs ne peuvent pas se permettre de publier ce genre littéraire…".

Les quatre boîtes d'archives qui viennent d'entrer à l'Arsenal renferment les dix-huit cahiers manuscrits de cette œuvre majeure de François Augiéras, quelques cahiers manuscrits du Voyage au mont Athos (5 cahiers), de Zizara (1 cahier), du Voyage des morts (quelques fragments).Il s'agit de cahiers d'écolier à grands carreaux, aux textes couverts d'abondantes reprises, ajouts ou suppressions, dont certains portent encore les traces de leur rédaction dans les grottes, de la terre séchée glissée entre les feuillets.À côté des manuscrits littéraires, on trouve quelques lettres échangées avec sa famille, son oncle Marcel Augiéras,sa femme, Viviane de La Ville de Rigné, avec ses amis – Paul Placet, Jean Boyé, José Correa, Roger Bissièreentre autres, ou encore avec André Gide, Marguerite Yourcenar, Yves Bonnefoy – auxquels il avait envoyé son premier ouvrage Le Vieillard et l'enfant, publié à compte d'auteur sous le pseudonyme d'Abdallah Chaamba. Ces archives personnelles contiennent également quelques photographies fort endommagées par le temps, photographies de famille et portraits de l'écrivain sur les différents lieux de son existence en Afrique (Algérie, Maroc, Mali, Tunisie), en Grèce et au Périgord, photographies des toiles peintes par lui dans les grottes ou dans le grenier de l'hospice. "Ma plus belle œuvre d'art serait-ce ma vie ?" se demandait François Augiéras.Ses biographes Serge Sanchez et Paul Placet en ont fait un chef-d'œuvre. Avec Jean Chalon, ils contribuent à faire connaître magnifiquement l'homme et son œuvre, donnant ainsi raison au peintre Roger Bissière qui écrivait dans une lettre à François Augiéras : "On vous rendra enfin justice, mais les hommes sont longs à s'émouvoir de ce qui les dépasse."

François Augiéras à Domme vers 1958. © Jarlan

Sabine Coron

Page 17: François Augiéras

Jean Chalon, Le Diable ermite, lettres à Jean Chalon, 1968-1971. Préface du destinataire. Paris : Éd. de la Différence, 2002. Paul Placet, François Augiéras, un barbare en Occident. Biographie. Éd. de la Différence, 2006. Serge Sanchez, François Augiéras, le dernier primitif. Biographie. Grasset, 2006.

Les lundis de l'ArsenalLundi 23 octobre 2006 François Augiéras Bibliothèque de l'Arsenal - 1, rue de Sully – 75004 Paris. Avec Serge Sanchez. Lecture par Édouard Prétet, comédien (sous réserve).

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SITE DE LA BN. (Extrait) sur François Augiéras (1925-1971)

Suite à un legs important.

Domme ou l’Essai d’occupation (Grasset) est l’œuvre suprême de l’écrivain peintre François Augiéras. Il y retrace son aventure spirituelle dans les grottes de Domme, "heureux dans une incroyable détresse". Le texte en a été repris maintes fois pour en faire "le plus lisible, le plus clair, le mieux construit " de ses livres. Mais l’œuvre ne trouva un éditeur qu’en 1980, malgré l’entremise de son ami Jean Chalon qui écrivait à son propos : "Avec Domme ou l’Essai d’occupation, François Augiéras devrait connaître cette gloire posthume qui passe, absurdement, pour être la récompense des écrivains méconnus, rejetés par leur époque."

L’année 2006 l’a sorti de l’oubli, avec la parution de deux biographies importantes, l’une de Serge Sanchez chez Grasset, l’autre de Paul Placet aux Editions La Différence, ainsi qu’une exposition organisée à la Médiathèque de Cahors.

Documents présentés jusqu'au 16.12. 2006 à la B.N.F. de Paris

*

François Augiéras (Paysage saharien).

Page 19: François Augiéras

Photo Alain Blottières. Domme, 2006

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Page 20: François Augiéras

François Augiéras au désert*

Page 21: François Augiéras

François Augiéras dans sa grotte de Domme*

L'ange à la faucille et le moissonneur*

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François Augiéras, une rencontre singulière Catalogue de l’exposition, à la médiathèque de Cahors,

avec des numéros de la revue Structure - Juin - Juillet 2006*

Page 23: François Augiéras

Revue Structure © CaroutchAvec François Augiéras. Cinq numéros, de 1957 à 1959

Participation au catalogue de l’exposition de Talence

L'ETERNEL ET LE PRIMITIFForum des arts et de la Culture

Mairie de Talence (Bordeaux) 7 Février-10 Mars 2007Exposition de dessins, de peintures

et des numéros 2, 3 et 4 de la revue Structure*

COULEE D’OR VIVANTou

PERMANENCE DE LA LUMIERE DE FRANCOIS AUGIERAS

Je voyais Dieu

Or vivant qui chante au cœur D’un incroyable

Silence

François Augiéras Voyage au Mont Athos (1970)

L’huile sur bois que m’offrit jadis François Augiéras, tel un talisman, représente un guerrier onirique sur fond doré, rappelant le symbole de l’éternité dans les icônes.

*

Page 24: François Augiéras

Il existe autant de « légendes Augiéras » que d’êtres qui l’approchèrent, de près ou de loin.

L’image de ce peintre et écrivain singulier est parfois associée au misérabilisme, à la détresse, voire à la malédiction. Il est vrai qu’à la fin de sa vie, il s’était retiré loin des hommes, puisqu’il avait choisi la « voie de la grotte », dans un dénuement et une solitude grandioses. Cette voie, il l’avait souhaitée, autant que subie, car je l’entendis plusieurs fois, bien avant, évoquer avec nostalgie une ivresse érémitique connue dans une autre vie. J’eus la chance de rencontrer Augiéras à l’âge où je croyais que les demi-dieux ne meurent jamais . Bien que plus âgé que moi, ce nomade incarnait, à mes yeux, toute la jeunesse du monde. Puis débuta l’aventure de la revue Structure, financée et dirigée par mon père, un des pionnier des assurances sociales, à Paris – qui publia également Zirara et Le Voyage des Morts de François Augiéras, qui signait encore Abdallah Chaamba (La Nef de Paris, 1959). Outre sa beauté, ce qui me frappa dès l’abord, ce fut son magnétisme, sa sensualité intense, son mysticisme, sa religion des astres. Une sphère sacrée l’entourait partout, où qu’il se déplace. Ceux qui le connurent bien ne me contrediront pas si je dis qu’il lui arrivait de déclencher d’étranges phénomènes. La peinture et l’écriture constituaient pour lui un indispensable exercice spirituel. Il peignait déjà avec ferveur, comme il l’écrira, « des personnages à l’écoute du Cosmos Divin….pas de ce temps…de paisibles adolescents…Ce sont des princes du ciel…et ils ne l’ignorent pas. Ils sont du troisième millénaire. » Il souhaitait déjà l’avènement d’un homme nouveau, très pur, communiant avec la nature et avec les constellations. Ce thème est le motif central de Domme, son dernier livre en forme de testament spirituel. Une des dimensions d’Augiéras, rarement évoquée, est son humour et sa faculté de déclencher d’irrépressibles et inoubliables fous rires. Il convient aussi de souligner son don pour les prédictions qui, même d’apparence invraisemblable, s’avéraient toujours infaillibles - tout en moins en ce qui me concerne. De son œuvre, en laquelle il croyait aussi sincèrement qu’en son « âme éternelle », il disait , sans vanité aucune, qu’elle ne serait comprise que « dans cinquante ans. »

En 1969, cet anachorète m’écrivit qu’il vivait « douze heures par jour dans une caverne, en à pic de 150 mètres sur la vallée », et qu’il atteignait « une lucide et terrible expérience des états supérieurs de conscience ». Je suivis de loin sa métamorphose en yogi sauvage. Je ne fus pas surprise de voir apparaître sous sa plume les termes qui m’étaient chers, parce que nous les avions découverts ensemble, jadis, dans les livres traduits du tibétain que nous échangions, comme, par exemple, Le livre des Morts tibétain et les ouvrages d’Evans-Wentz : la « vacuité » indissociable de l’amour, la «claire lumière primordiale», l’ « énergie à l’état pur » l’ « harmonie du monde ». Il ne faisait plus qu’un avec l’espace ouvert, l’illimité fastueux.

Notre dialogue est de ceux que la mort ne peut interrompre.

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Hors du temps, son oeuvre poursuit pour lui son voyage, dans un suaire d’étoiles.

© Francesca Y. Caroutch

François Augiéras à la fin de sa vie, à Domme

_____________________________Retour à la première page

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François Augiéras, par F.Y Caroutch Première publication:22 avril 2011

par Francesca Y. Caroutch

François Augiéras1925-1971

Coulée d’or vivantouUn fou divin au mont Athos

Ouvrir la mortcomme une porte d’éveilFrançois Augiéras

François Augiéras refusa toujours que la mort soit un pays où l’onperd la mémoire. Il avait fait sien un aphorisme taoïste : « Entre

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la vie et la mort, quelle différence » ? Ses premiers poèmesproclament déjà que l’amour se moque de la mort. Dans l’ombrede son oncle, « le grand Africain », il lui arrive souvent de croirequ’il est déjà passé "de l’autre côté". Le Vieillard et l’Enfant (1954)foisonne d’exemples de ce genre. Dans L’Apprenti sorcier, il livrecette interrogation : « Peut-on imaginer cela : une solitudeabsolue ? » (1964). Or l’homme n’est jamais seul, puisque lecosmos entier l’habite. Ce n’est pas au passage à l’état post-mortem qu’Augiéras fait allusion, car alors, pour lui, c’est àl’opposé de la solitude que nous sommes conviés, et même à unesorte de réparation du tissu du monde bruissant de présences,après les épreuves.

Le Voyage des morts, au royaume de la vraie vie (1959), nousdonne un avant-goût du Voyage au Mont Athos de 1970, quidébute avec l’éveil du héros, après son dernier souffle. Il estaccueilli dans « le village des femmes désirables » , d’où l’ons’embarque pour la Montagne Sainte. Connaissant par cœur desextraits du Livre des Morts tibétain et de La doctrine secrèted’Evans Wentz – que je lui avais prêtés, jadis – il savait fort bienqu’à l’instant de ce que l’on nomme trépas, une explosion delumière surnaturelle éblouit, et que pendant plusieurs jours, nouspouvons errer parmi les humains, invisibles, ignorants que noussommes de notre état. Au comble du ravissement, le voyageurfinit par découvrir qu’il traverse ce que l’on nomme le bardo -littéralement : l’entre-deux . Cet état ne désigne pas seulementl’état post-mortem qui sépare la mort de la renaissance, maisaussi les intervalles qui tissent la vie ordinaire : entre deux mots,deux pensées, deux pulsions.

Lors de son périple chez les morts, à la recherche des GrandsAnciens, François se livre à la quête de la Claire lumièreprimordiale, de l’Eveil. Lorsqu’il aura enfin atteint l’ultime rivage,celui du face à face avec notre véritable nature, celle de l’esprit, ilne s’éternisera pas dans les délices du nirvana, puisqu’il sait quel’homme éveillé, le bodhisattva, revient lucidement sur terre pouréclairer le chemin de ses semblables. Toujours à l’écoute du passéle plus archaïque, François avait, dès 1958, exprimé le messagedes morts à la nouvelle ère balbutiante : « L’Occidentcontemporain se trouve devant ce dilemme : accepter d’entendrele message des morts - tout l’art du monde ressurgi - donc jusqu’à

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un certain point changer son type d’écriture, incarner un nouveautype humain, plus vaste, ou n’être qu’un stérile muséeimaginaire. » (L’écriture au-delà du talent. N° 5 de Structure). Cetappel se veut celui d’une métamorphose de l’Occident, entre le crides espaces infinis et celui des Dieux retrouvés. Il s’adresse à unenouvelle aristocratie de la science et de l’esprit, exigeante,refusant toutes les formes d’asservissement.

A ces « géomètres du futur », il est proposé « d’être plus humains,d’accepter d’être hantés par le passé du monde - peut-être decroire en l’au-delà, clamé par tous les ressurgis des nécropoles.L’Europe n’aura pas impunément ouvert les tombes. Nous seronsmodifiés par nos découvertes archéologiques. » Cetteproclamation, succédant au cri de victoire saluant la premièreconquête spatiale et l’avènement d’une conscience cosmique,l’année précédente, passa quasi inaperçue, elle aussi. Ellecontenait une condamnation sans appel de la culture parisienne,« la seule qui n’incarne pas les valeurs qu’elle prétend siennes, »ce qui dut irriter. Qu’en aurait pensé André Malraux, pourtantl’idole d’Augiéras, « se refusant à admettre la modification denotre sensibilité par les dieux des vaincus ». Entrel’émerveillement suscité par l’afflux des divinités archaïquesdéferlant pour la première fois dans nos livres d’art, et parl’inébranlable foi du pèlerin montant à l’assaut de la MontagneSacrée, après son dernier soupir, que de chemin parcouru... Lemysticisme de François, latent dans ses écrits de jeunesse, puisexacerbé au désert, ne cessera plus de croître.

Il commença à rédiger son Voyage au Mont Athos en 1967,lorsqu’il séjourna chez une vieille dame, au Moustier. MadamePrud’homme, fervente rosicrucienne l’avait recueilli, près desEyzies et de la Vézère, au Petit Castel. Elle veillaitpresqu’amoureusement sur lui, afin qu’il se consacrepaisiblement à son œuvre. Mais la gestation du livre remonte à sadécouverte du lieu saint, en 1956. Il s’était embarqué pour l’île deCrète, dont il rêvait de découvrir les ruines et les fresques. Lalaideur d’Héraklion le mit aussitôt fuite. En dépit de sa méfiancepour le clergé, il est traversé par une intuition décisive : se rendredans la presqu’île aux monastères farouchement perchés ausommet de leurs rochers, comme le Potala sur le Toit du Monde.« Je pensais alors au Mont Athos, me disant que les sanctuaires

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encore vivants du christianisme auraient plus d’intérêt que lesruines, fussent-elles admirables, de l’antiquité que j’aimais. »Cette précision, il nous l’offre dans le premier numéro de la revueStructure, sous-titrée : Une aventure spirituelle (Mars 1957). Letexte qu’il donna pour la publication que dirigeait mon père, prèsde Notre-Dame de Paris, s’intitula naturellement : A la recherchedes sanctuaires encore vivants, signé Abdallah Chaamba. Près de son texte dédié à la Montagne Sainte, nous avionsintentionnellement fait figurer, faute de mieux, une photographieressemblant au Potala, le palais du Dalaï lama, à Lhassa. II s’agitdu couvent Simonopetra, emprunté à l’ouvrage de JacquesLacarrière, Mont Athos, montagne sainte, paru en 1954 auxéditions Seghers. Cet éclaireur fut le premier qui osa arracher tantde merveilles aux ténèbres des siècles, pour le grand public. (Lestravaux des pionniers du 19° et du début du 20° siècle étaientinaccessibles, alors.) Le texte très inspiré, les légendes et lesphotographies, du même auteur, transportèrent Augiéras surl’Athos, deux ans plus tard. Ce livre l’avait tellement marqué qu’ille fit connaître ensuite à Etienne Lalou, car il « permet de mieuxsituer mon voyage au pays des esprits ». (Le diable ermite, lettresà Jean Chalon 1968-1971, Editions de la Différence, 2002.) Quantà moi, j’eus la chance qu’une profonde amitié me lie à JacquesLacarrière, jusqu’à sa disparition. Son dernier livre Dans la forêtdes songes, paru au lendemain de sa mort soudaine, m’est dédié.La quête des sanctuaires brûlant d’une foi encore très ardente,François pensait la poursuivre en Inde, puis au Pays des Neiges.Avec mon mari de l’époque, nous avions d’ailleurs placé près deson texte une notice invitant les voyageurs à nous envoyer desdocuments concernant les cultes encore VIVANTS, du Tibet àl’Amazonie, en passant par la Bretagne secrète et Bornéo. « Ainsi,nous sera-t-il possible, jour après jour, de témoigner de lapérennité de l’esprit cultuel selon ses manifestations les plusdiverses, » écrivions-nous avec une passion juvénile. De mon côté,j’avais publié dans ce même numéro un long résumé del’Autobiographie d’un yogi, de Paramhansa Yogananda, et uncompte-rendu de Tibet Secret, de Fosco Maraini.

Michel Leiris, qui avait rendu visite au Colonel Augiéras, avant-guerre, m’avait procuré cet enregistrement, au Musée del’Homme, où j’avais effectué un travail sous sa direction. Cedisque comportait l’austère rituel de Mahakala, déité courroucée

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et protectrice du Bouddhisme tantrique tibétain, dont l’autre faceest la déité de l’amour universel. Cette découverte devait jouer unrôle capital dans l’évolution de François, comme dans la mienne.Nous avions formé le vœu de nous rendre ensemble dansl’Himalaya. De plus, François avait l’intention de "faire le coup defeu contre les Chinois" (Un barbare en Occident de Paul Placet).Ces voyages au Tibet, au Sikkim, au Népal et en Inde du Nord, jene pus hélas les entreprendre, solitaire, qu’après la disparitionprématurée de François, à l’âge de 46 ans.

Le texte sur le Mont Athospublié dans Structure estbien plus qu’un récit devoyageur. Le futur Voyage auMont Athos, au royaume desmorts, est déjà contenu engerme dans ces pages oùl’auteur, étreint par une« angoisse délicieuse »,« lève l’ancre », quitte lemonde des vivants pourvoguer vers une aventureautrement plus sérieuse queles affaires du monde. « Rienn’est comparable au MontAthos. C’est le derniersanctuaire de l’Occident, T(h)ibet de l’Europe. Les moinesy vivent seuls... » Dès le premier contact avec

« l’immense trident viril » où des ermites, depuis des siècles,vivent et trépassent dans des plis rocheux, il éprouve la sensationd’avoir hanté, jadis, ces lieux qui lui semblent plus proches del’Inde et des pays arabes que de la Grèce. Il en aime les dédales,les coupoles byzantines aux fresques noircies par les fumées descierges, les monts de marbre blanc et leurs paradis d’oiseaux et detaureaux à demi sauvages, « les chants terribles, quasi arabes, leGrégorien dans sa pureté primitive, sauvage, voluptueuse. » Il necraint que les jungles de serpents - dont certains sontgigantesques, au point d’être élevés au rang de divinités. Il relateles liturgies nocturnes célébrant, avec de l’encens, des

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hurlements, puis des musiques d’une mélancolie indicible, lemartyre des enfants devant les moinillons « aux regardspassionnés, aux longs cheveux de fille, les chants terribles, quasiarabes : le Grégorien dans sa pureté primitive, sauvage,voluptueuse. » Il évoque les colonnes d’or compact contenuesdans les puits profonds, au cœur des souterrains. Inestimablesbutins entassés depuis des siècles, ces accumulations massives duprécieux métal dégageraient « des radiations susceptibles detransformer les esprits, » poursuit-il dans Structure. Il est fascinépar cet or enfoui, et il fait allusion à d’autres influencescomparables, « aux endroits aurifères où se développent et semaintiennent de grandes hérésies. » Il évoquait en particulier lesCathares, certaines déviations du tantrisme en Inde et lesoutrances précolombiennes.

François revint de ce premier séjour de trois semaines chez lesmoines presqu’aussi « chargé » qu’une pile atomique. Déjà dehaute taille, il semblait avoir encore grandi. Il émanait de lui unesensualité inimaginable, à la fois tendre et violente, d’autant plusqu’il situait toute situation et toute chose dans une dimensioncosmique. Son magnétisme à faire peur augmentait, surtout lanuit, lorsque la fumée des grains d’encens, dérobés à l’église,montait vers la Voie Lactée, pluie de feu dans le ciel de cristal.Pendant nos rites, dans la nature que nous vénérions tous deux,l’air semblait tremblait autour de lui, trop près d’une flamme. Ilm’arrivait de percevoir les imperceptibles éclairs d’énergie quidansaient autour de son corps. Son regard, ou ce que dégageaitsimplement sa présence, produisait sur moi un effet si puissantque j’en étais tétanisée, par moments. Entre nos rencontres,parfois clandestines, le niveau de vibration de l’âme, loin debaisser, ne faisait que croître. Pour la jeune femme exaltée quej’étais alors, Augiéras était un demi-dieu tombé du ciel, et auteurd’un livre provoquant adulation ou fureur, mais qu’il n’évoquaitjamais. Encore lycéenne, peu avant, je recopiais dans un cahierdes pages entières des Nourritures terrestres d’André Gide. Bienplus tard, je découvris que Maurice Chapelan avait écrit, dans leMagazine littéraire, en 1968 : « Il était Nathanaël de naissance. »Et lorsque parut Un voyage au Mont Athos, en 1970, je sus gré àFrançois de m’en avoir fait vivre les arcanes, plus de quatorze ansplus tôt. Les yeux d’azur en feu du voyageur basané étincelaient dans

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l’ombre, tandis qu’il contait ses stupéfiantes découvertes, d’unevoix plus incantatoire que jamais : les instruments très anciens« forgés par des géants » ; les heurts donnés à coups de mailletcontre des poutres titanesques suspendues à des chaînes de fer ;les grandes icônes du XI° siècle baisées par les hommes saints,tous lustres éteints, en un endroit où les lèvres n’avaient, selonlui, « aucune raison de se poser » ; les antiques manuscritsdécorés de serpents enlacés et de Vierges à la licorne, le culte del’androgynie, dans la solitude.

Il ménageait ses effets pour en venir à l’origine archaïqueorientale et préchrétienne des traditions conservées, intactes, loindu monde : celle des Pythagoriciens, des Bouddhistes, de trèsanciens Mystères recueillis ensuite par les chevaliers du Temple,avec leur Baphomet adoré. A Dionysos, un archiviste lui donnantaccès aux merveilles occultes des moines lui confirme, enfrançais : « Ils ont une tradition secrète que j’ai fini par connaître,par soupçonner, très parente avec celle des Templiers d’Occident,en tout cas absolument hostile à l’ascèse, à la perfectionchrétienne. Pendant les offices nocturnes, les chandelles qu’ilsallument, qu’ils éteignent, figurent les astres de la nuit, lemouvement des constellations, le scintillement des nébuleuses.Ils se croient déjà morts. » (Structure) Je doutais que le savant aitvêtu ses propos d’une poésie aussi forte. C’était là l’effet de lagénérosité de François qui, souvent, ne savait pas distinguer entredon, donneur et personne qui reçoit.

Paul Placet relate dans François Augiéras, un barbare en Occident(1988), le rituel que lui fit découvrir son ami, en 1963, aumonastère de Koutloumousiou. Ce surprenant culte aux enfants, àl’éternelle jeunesse du monde, s’apparente à celui que rend plushumblement, le colonel, seul dans les ténèbres de son Muséesaharien. Agenouillé près d’une bougie, il adore une "icône" degarçon, sœur de celles que François peindra plus tard. Ces déitésne sont autres que le tourbillon de ses doubles, androgynescomme lui. François fut maintes fois envoûté par cette liturgieraffinée dont il cisèle avec émotion l’anatomie subtile. Il adécouvert que les moines « jouaient au Paradis, » morts qu’ilsétaient depuis longtemps. Lui-même, en d’autres vies, combien defois a-t-il participé « à la fête céleste perpétuée de nuit en nuit,dans les entrailles de l’église écarlate, couleur de sang ancien ? »

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« Des vieillards détachaient des réseaux de cordes, etdescendaient lentement de grands lustres d’argent, dont ilsallumaient les lampes à l’aide de boutefeu. Dans un grincement depoulies, les lustres, brillant comme des constellations,remontèrent en direction des voûtes, tirant de l’obscurité desfresques et cent icônes amoncelées dans un incroyable désordre.Les chandeliers de cuivre, la sainte iconostase, l’or très ancien desicônes reflétèrent la douce lumière des flammes. Les démons etles anges, de fresque en fresque, se disputaient les âmes parmi lesrochers d’un Sinaï de rêve. Et, sur un fond de nuit divine hantéepar tous les astres, ils prolongeaient leur éternel combat, jusquesous les coupoles… des sanglots, des cris de joie, doucementalternés, exaltant obstinément l’éternelle survie, au cœur de lalumière divine, d’adolescents torturés sous Néron, sousDioclétien, au temps des autres dieux.... Ils portaient rapidementleurs livres sacrés d’une place à l’autre, tout en criant la gloire dedieu, ils allumaient des lampes, en éteignaient. Ils étaient auParadis, créant de nouveaux astres, d’un souffle éteignant de trèsanciens soleils, chantant et courant ça et là. »

Les démiurges astronomes, se révélant parfois des ogres « prêts àdévorer tout cru » la jeune chair affamée d’absolu durent, plusd’une fois, rappeler à François le mage du désert du Vieillard etl’Entant, fervent adepte, comme lui, de la religion des astres. Dansl’ombre, il avait contemplé, lui aussi, les flammes soufflées une àune, les étoiles mourir « comme sur un ordre de dieu, au soir dujugement dernier et les lustres froids, semblables à desnébuleuses éteintes à tout jamais, » avalés par les coupolessombres « avant l’adorable silence annonciateur du jour ». Nuldoute que le vieil astronome se serait associé aux moines vieuxcomme le monde pour répandre la fumée d’encens, mêlé auxjeunes éphèbes baissant les yeux devant l’excès de splendeur de laféerie nocturne. Adolescent, au début de la guerre, François s’étaitengagé dans la troupe itinérante de marionnettes du Théâtre duBerger, entre Aubusson et Bourganeuf, dans la Creuse. Dans Latrajectoire, il relate que là, spontanément, il jouait déjà aux astres.Avec un clin d’œil complice (clin-dieu) François joue, à l’instar desmoines, sans être dupe,« au Paradis ». Tous ses écrits,miraculeusement sauvés de l’oubli grâce à une poignée de fidèles -dont l’amour se nomme souvent dévotion - sont des "voyages desmorts" au pays de la vraie vie, des « théâtres des esprits » avides

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de retrouver leur lumière originelle. Oui. Il s’enchante de « jouerau Paradis ». Mais le fagot de ses simples mots ne se contente pasde crépiter fugitivement dans nos nuits. Leur luminositéaccompagne longtemps le lecteur, jusque dans son sommeil – etpeut être de vies en vies. Pour un nombre toujours grandissant,Augiéras n’est autre que la meilleure partie de nous-mêmes, leversant non souillé de nos rêves, notre soif de clarté, de pureté,d’éveil.

En juillet 1963, François retourne au Mont Athos. Le fidèle PaulPlacet, lié à lui par une indéfectible amitié, le rejoint comme parmagie, car le message envoyé par le visionnaire est des plus flous.Se retrouver, mais où, dans quel sanctuaire idéal ? Là est laquestion... « Il est possible d’ailleurs que je t’attende toutsimplement dans un monastère, non pas du Mont Athos, maisdans une île de la côte ionienne. Je suis certain de notre rendez-vous, et les Dieux nous protègent. « Un feu rougeoyant sur unegrève déserte attire Paul, près d’un léger mât planté dans le sable,« geste d’homme tendu vers l’espace », signature de François pourqui l’adoration des astres provoque instantanément l’accès à desniveaux supérieurs de conscience. Mais l’Elu ne se trouve pas toutà fait où son compagnon de toujours le cherche : il est à demiallongé, souriant comme une divinité, sur un lit de fer dont il aimmergé les pieds dans l’écume. Il a convaincu un pêcheur duvoisinage de lui prêter sa couche, qui semble faire écho au lit defer sur le toit de l’oncle, perdu dans un océan de sable. Le feu etl’eau dialoguent toujours dans la vie et dans l’œuvre de François,comme dans son thème astrologique, essentiellement marqué parles entrelacs entre les éléments aquatique et solaire. Il trouveral’apaisement dans la parfaite fusion des contraires, après uneinlassable alchimie interne.

Plus tard, dans Un voyage au Mont Athos, à propos des échos duPays des Esprits, il écrira : « Ce que l’on désire intensément...immanquablement se produit. » Là, il relate en neuf pages lesjours heureux des retrouvailles, après la navigation vers lesmarbres blancs de l’Athos, qui lui rappellent le premier matin desa mort. Mais, déjà, la quête de l’Eveil le taraude, ainsi que cellede la Claire lumière : « Mes yeux espéraient-ils un songe qui n’aitpas les couleurs de mensonge de l’azur et de l’eau ? » L’affectionde l’ami surgi comme d’un lointain passé, lorsque les dieux

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régnaient sur ces rivages lui tient chaud au cœur. Mais Paul letraite « d’Ulysse aux milles ruses, et de vagabond séduit par desenchantements. » Pourquoi s’éloigner des grèves sécurisantes ?pense-t-il. « Le Paradis ne lui était pas refusé, écrit Augiéras :c’était lui qui n’en voulait pas ! La plupart des âmes simplesreviennent rapidement sur terre, incapables qu’elles sont de vivreloin des affaires humaines ; famille, enfants les appellent. Jamaisadultes, elles reviennent vite au doux ventre des femmes, aprèsn’avoir goûté qu’un instant aux délices de la vie libérée desentraves du siècle. » Les adieux sont déchirants. Les yeux pleinsde larmes, Paul murmure : dans une autre vie, je viendrai pourtoujours. Tandis que l’ombre fraternelle s’éloigne sur la mer,François lui crie : « A une autre mort, à une autre mort… » Pourlui, l’amitié et le véritable amour sont bien plus forts que la mort.Tous ceux qui l’aimèrent ou en furent aimés ne peuvent querépéter son axiome : L’amour n’a rien à voir avec le temps . En1943, âgé de 18 ans, il implorait un jeune ami de l’aimer, puisqu’ilcontenait une parcelle divine. Et d’ajouter que si cet ami l’aimait,il deviendrait dieu à son tour.

Dans Les noces avec l’Occident, rédigées entre 17 et 18 ans, ilproclame déjà sa profession de foi (Editions Fata Morgana, 1981) :« L’amour rend immortelL’amour efface toute pensée particulièrel’amour me fait oublier jusqu’au nom de ma naissancel’amour est purl’amour gorge les yeux de larmesL’amour est ma patrie

L’amour est un chant de guerreL’amour oppresse la poitrineL’amour se moque de la mort.D’où me viennent mes penséessi ce n’est de tous…Que suis-je d’autre que mes pensées ?Ma vie ne fut qu’un seul amour Lorsque je m’interroge,hors de lui je ne m’imagine pas. »

Contrairement aux apparences, François Augiéras fut toujours le

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contraire d’un débauché. Son érotisme de braise constituait unmode de purification. Celle-ci passait par un énorme besoin,immédiat, d’humilité, voire de soumission. L’aspect parfoisscabreux de ses expériences semble destiné à « choquer lebourgeois ». En fait, il est souligné à dessein, pour réveiller lespuritains prisonniers de leur hypocrisie et de leur lâcheté. Cemystique sauvage refusa toujours la nature grossière desaccouplements. Par la grâce d’un épuisement extatique, ilprivilégiait l’urgence de se présenter en toute pureté à la grandeurdu ciel étoilé, car il avait l’absolue conviction que sa trajectoire seterminerait dans l’espace sidéral. Sa vigueur sexuelle démesuréetrouvait son compte dans les forêts de l’archaïque Athos, saturéesd’énergies spirituelles et charnelles. L’Hévajra Tantra du Véhiculede diamant résume cette démarche : « S’élever avec ce qui faitchuter. »

Eté 1964. Je tente de suivre le périple de François, grâce à unecarte de la Grèce qui ne me quitte pas. Je suppose qu’il portetoujours la casquette de toile ornée d’une minuscule Isis argentée.Cette photographie d’un François conquérant constitue pour moiun talisman de la Grande Déesse mère qu’il célébra souvent.« Fille remarquablement racée, amoureuse et dévorée de passionpour son époux, cette partenaire puissante, pleine d’originalité :sœur, femme, mère, génisse coiffée de cornes splendides. » J’écrisparfois à Augiéras, mais je ne poste pas mes lettres, car je crainsles mains impies. J’imagine sa joie torrentielle à la redécouvertede ce monde vierge comme au premier matin de la Genèse. :« Une presqu’île de soixante dix kilomètres de long sur vingt delarge, couverte d’une jungle, avec des monastères crénelés, bâtissur des éperons rocheux, à pic sur les plages de sable pur. » Deloin, je devine qu’il s’enfonce, comme il le dit dans lesprofondeurs les plus archaïques de la psyché humaine et divine. »Pour le gîte et le couvert, a-t-il obtenu le parchemin qui permetaux défunts de parcourir la Montagne Sainte ?

Officiellement, il est parti pour étudier la peinture d’icône. Mais jeme doute qu’il ne se rendra pas au monastère de Méghinis Lavra,dans le sud – l’unique lieu où il pourrait recevoir unenseignement. Son errance le conduit vers un atelier de peinture,abandonné, accroché à flanc de rocher ; il se contente de rêverdevant « les godets de cuivre encore remplis de poudre d’or ». Il

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n’a rien à apprendre, pas plus en art qu’en aucun autre domaine,et il le sait. Tout ce dont il a besoin, il le trouve au fond de lui-même. En réalité, il est de nouveau parti en pèlerinage au Paysdes Morts. Et à l’instar d’Alexandra David-Neel, il s’écrie : « Lesvrais pèlerinages, les seuls, sont ceux que l’on accomplit dans lesilence et le secret de son esprit. » Comme pour l’exploratrice qu’iladmire, l’aventure intérieure est son unique raison d’être. Cetteaventure n’est pas encore statique. Il fuit des liens qui lui pèsent,un passé tumultueux, souvent à la limite de la délinquance. Il abesoin d’épurer sa quête, entre les longues pérégrinationssolitaires et les haltes dans les grottes, où il médite sans fin surl’androgynie spirituelle. Comme tous les nomades, il pense que lemouvement est joie et que les demeures humaines sont destombeaux.

Dans une lettre à Paul Placet, il devait confier plus tard : « Il y achez moi une fatalité de voyage et d’instabilité, d’autant plusgrande que, mettant le meilleur de ma vie dans mes livres ou dansla peinture, je ne perds rien en brisant tout derrière moi ;j’emporte les livres et les tableaux comme les nomades emportentleurs dieux. » Décembre 1964. François a obtenu un nouveaupermis de séjour. Il rejoint la Montagne Sainte, après quelquesmois d’absence. De retour en France, il m’écrit : « Quant à moi, jereviens fourbu du Mont Athos, plus mystérieux encore en hiver,toujours admirable. Je commence à être connu là-bas, assez bienreçu par les moines. J’ai été immobilisé par une tempête ; jereviens ivre de longues marches dans les forêts, de randonnées àdos de mulet et d’aventures. Dès que j’aurai achevé mesMémoires, un grand travail, j’écrirai un livre sur la MontagneSainte. » Lors de son nouveau séjour « sur l’Olympe », notrevoyageur est transporté dans une dimension qui évoque la Grèce.Ses missives précisent qu’il éprouve la sensation de se trouverdans les monts du Moyen-Atlas, foisonnant de moutons, ou enAsie. Un des monastères, perché au-dessus des brumes, lui faitsonger au Fuji-Yama. Dans une lettre à Paul Placet, du 3 janvier1965, il confie que l’Athos hivernal lui rappelle non plus le Tibet,mais un Japon très stylisé. « L’air est pur, les sources sont d’uneexquise fraîcheur. Il y a beaucoup d’oiseaux dans les bois.L’ensemble donne une impression de profond mystère. »…« L’incarnation du dieu Pan secrète son propre univers autour delui, à la recherche d’un inconnu qui ne serait autre que lui-

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même. »

Le style dépouillé de François Augiéras n’a pas varié depuis sonadolescence, et il ne variera jamais. Dès 1953, dans Les Lettresnouvelles, un an avant la publication du Vieillard et l’Enfant auxéditions de Minuit, Yves Bonnefoy en avait salué la premièreébauche : « pages assez souvent admirables, évocation directe,pauvre, nullement (ou parfaitement) littéraire, de l’essentiel. Rienn’est ici un ornement, rien ne séduit ou voudrait séduire, toutsignifie. Il y a, dans ce Musée, un respect de la dignité des choses,cette pensée sans détours, cette grave simplicité qui sont la vraiepoésie. » A la recherche du Maître idéal qui toujours se dérobe,entre les miroitements de la forme et du vide, François Augiérasest souvent traversé par une intuition fulgurante, renvoyant à laparole du Bouddha : « Chercher en soi son refuge et sonflambeau. » Il va s’installer dans une caverne, loin de tout, dans lebois sacré. Il a toujours été irrésistiblement aimanté par cesrefuges telluriques. La grotte, mythe fondateur, c’est l’antre secretde la femme qui le protège, avec toute sa sagesse et sa sensualitéprimitive. François retrouve sa propre féminité intérieure dans cerefuge intemporel où toutes ses existences, passées, présente etfutures se rejoignent, aussi fortement incarnées que dans uneperspective galactique. Le choix de la grotte, lieu d’initiation et derenaissance, est tour à tour lunaire et solaire, comme lui. C’est lelieu où la méditation permet de résoudre les contradictions. PourAugiéras, le monde n’est pas assez grand pour son besoind’étreindre l’espace. Dans le même temps, il a besoind’immobilisme total, à l’écart. Epousailles de la mouvance et de laprofonde descente en soi, toute dualité abolie. Puisque notrevagabond a perdu l’espoir de rencontrer un guide, il va tenter,seul, la grande aventure de la méditation solitaire en se faisantanachorète. « Un sage vivait plus haut dans la forêt : c’était moi,plus tard, car le temps n’est qu’un leurre. » Depuis longtemps,l’homme des grands espaces a compris : Dieu est le temps courbe,revenant sur lui-même, aboli. Assis dans la position du lotus faceà la montagne, au bord du vide, il contemple l’aube qui teintedélicatement de rose les marbres limpides. Ainsi se termine Unvoyage au Mont Athos : « L’EVEIL !.. Je planais dans l’azur. Jevoyais Dieu,

OR VIVANT QUI CHANTE AU CŒUR

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D’UN INCROYABLESILENCE »

Augiéras n’apprit pas l’art de l’icône chez les moines. Nostalgiquedu Mont Athos, c’est à son retour qu’il se mit à peindre ses icônes« sauvages et profanes », sur fond doré à l’or fin ; ainsi est figuréel’éternité, selon les artistes orthodoxes. Son épouse Viviannel’aidait dans cette tâche. Comme il divinisait tout, autour de lui,quelque chose d’indéniablement sacré émane de ses peintures. LeGuerrier touareg que je possède, avec son arme onirique, faitpartie de mes plus précieux trésors. Et comment ne pas évoquerLa barque des morts, qui est celle d’une radieuse Egyptesublimée, ou cette toile prophétique nommée L’Ange de laRévolution au Sahara ?Avril 1964. Après avoir signé un contrat avec les éditions Julliard,pour la publication de L’apprenti sorcier, François retourne, seul,dans la presqu’île divine. Il séjourne longuement, à deux reprises,dans ces lieux dont il a résolu de percer le mystère. Mais audépart, il avait l’intention de partir en expédition en Egypte, dontle passé le hantait. En 1958, Structure avait publié un texte trèsinspiré, Cosmogonie des pyramides, dans lequel l’errant analysaitl’énigme de ces aimants cosmiques permettant de faire ruisselersur terre des flux d’inépuisable énergie sidérale. Que de foisparlâmes-nous de ces « condensations d’énergie céleste surl’échine de la planète », comme dans certaines zones sensibles,points d’acupuncture des méridiens du Périgord ou de l’Héraultque nous avions passionnément exploré. Une dizaine d’annéesplus tôt, en s’enfonçant dans quelque « terra incognita » onpouvait encore découvrir des fermes abandonnées, quasi intactes,le couteau encore planté dans le pain, des presbytères délabrés,déserts, et des châteaux de Belle au bois dormant, défendus enguise de dragons ou de maléfices, par de profondes junglesd’arbustes et d’épines. Le thème de la géographie sacrée seretrouve dans le numéro 4 de Structure : « Au-delà des pyramides,c’est l’extension de l’univers, avec sa légèreté, son aération, sesmétamorphoses de toute lumière. A l’intérieur, c’est la contractionde l’univers, avec ses graines, ses pierres, ses racines et sestombeaux. D’un côté, c’est l’ascension de l’âme vers le soleil.D’autre part, c’est la cristallisation des énergies célestes en unpoint déterminé de la terre. Ainsi, la tombe royale n’est-elle pas lacause de la pyramide, mais sa conséquence. » Dans ces lignes se

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répercutent les théories que le vieil astronome dictait jadis à sonneveu d’une vingtaine d’années, des nuits entières, au cœur dudésert saharien. D’après Le Vieillard et l’Enfant, c’est même dèsl’arrivée de « l’archange tombé du ciel » que l’oncle lui tend unencrier et du papier.L’éternité et le cosmos ou cycle vital du cosmos dans l’Eternitétranscendantale décrit l’extension et la résorption de l’univers quirespire comme les êtres que nous sommes, surgis du videadamantin. Le début du sommaire du long essai du colonel MarcelAugiéras, dont je possède la photocopie, précise : « Pas decommencement. L’éternité ou Etat transcendantal de l’énergiesans dimension et durée, image de la Divinité ? » L’écriture detoutes les pages est naturellement celle de François, puisque son« père mythique » perdait la vue. Au dos des photographies del’oasis d’El Goléa que m’offrit Augiéras, l’écriture au crayon ducolonel est si malhabile que son neveu y réinscrivit au dessous, àl’encre noire, les légendes, de sa propre main. Il n’est passurprenant que François, subjugué, soit demeuré imprégné par lesthéories de son oncle et par l’élévation de leurs conversations surl’électromagnétisme ou sur la Divinité se jouant de l’Espace-temps. Un seul point les opposait. Pour le colonel, l’espritdisparaîtrait à la fin des temps, alors que pour son apprenti,l’esprit est éternel. Le Livre des morts tibétain, son futur« passeport », comme il dira plus tard aux gendarmes, le rassura :« Ton esprit ne naît ni ne meurt. Il est lumière immuable. » Quede renoncements, dans la vie de l’ « Elu »…Au printemps 1964, ilannule son départ pour la Vallée des Rois, car le manque deressources lui dicte un choix plus sage : un bateau le conduiradirectement en Grèce. Il écrit à Paul Placet : « Je vais donc partirpour le Mont Athos dès la semaine prochaine. J’y passerai unmois, puis j’irai jusqu’au Caucase, chez les nomades de la Turquieorientale, à la frontière kurde. » Il se contente de savourer lesmystères de la Montagne Sainte, d’en explorer les moindresrecoins, de méditer la trame de son futur roman. Il ne se rendrapas chez les Kurdes.

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Printemps 1970. J’ignore encore que la situation financière deFrançois Augiéras s’est aussi dégradée que sa santé. Pudique, il arévélé qu’il devait à nouveau séjourner dans une maison de repos,à Montignac, en Dordogne, car une angine de poitrine l’a fragilisé.La « maison de repos » est en réalité un hospice. Mais Françoisprétend qu’il a trouvé là un moyen commode pour passer le plusclair de son temps dans une caverne voisine, comme à Domme.Embarqué à Marseille, le 26 mai, il se présente trois jours plustard devant un moine qui l’attend, dans l’île de Patmos. Mais saconversion à l’orthodoxie n’est qu’un prétexte innocent pourpénétrer clandestinement les profondeurs du mont Athos. ll nepossède aucun permis de séjour. Une image d’Epinal répandue,mais inexacte, veut que François ait eu l’intention de se fairemoine, ou tout au moins d’épouser une des trois religionsabrahamiques. Son existence austère et monacale dans des grottescomblait sa soif aiguë de purification et d’élévation spirituelle. Ilétait bien trop chamane, naturellement relié aux forcesgalactiques et chthoniennes de la Nature, pour jouer une comédie.Sa religion des astres éclipsait toutes les autres. « Touteconversion à une religion ou à une secte s’apparente au suicide, »

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disait-il, et il l’écrivait sans détour. L’athéisme est pour lui laforme la plus élevée de spiritualité, dans la quête de fusion avecl’Univers divin, selon les métaphysiques orientales. Riend’intellectuel dans cette quête, puisqu’il s’agit de retrouver dansson corps la source du sacré le plus archaïque. Ce nomade avait unbesoin vital de liberté, la plus décantée possible, n’agissant qu’à saguise, dans l’extase du Spontané, qui constitue une voie delibération chez les Baüls du Bengale. Cette voie joua d’ailleurs unrôle majeur dans l’éclosion du bouddhisme tantrique du Toit duMonde, avec les yogis-poètes itinérants, ces « fous d’amour » del’Inde du Nord, tels que Saraha ou Tilopa, puis Marpa, le maître deMilarépa. Dans cette voie anticonformiste, l’homme libre vit spontanémentl’union du foisonnement des phénomènes et de la vacuitéuniverselle, indissociable de l’amour – d’où tout émane et où toutse résorbe. Le mystique itinérant Brug-pa Kun-legs le Yogin (Beaudragon), dit « Le fou divin », à l’époque de Rabelais, est l’exemplele plus populaire, au Tibet, de poète subversif utilisant unesexualité apparemment débridée comme voie d’Eveil. L’équivalentse rencontre chez certains soufis, comme en Ouzbékistan.

Peu importe au « vagabond flamboyant » si cet Eveil tant désiré setrouve « parmi les vieux, les indigents et les idiots du village ».Son choix est celui d’un être de lumière ayant reconquis son unitéperdue, sa radiance originelle scintillant depuis toujours,affranchie des accidents du sol et du temps. En juillet 1970, jereçois une relation de l’expédition pour le moins périlleuse deFrançois Augiéras. Depuis la veille de son mariage avec saravissante petite cousine de dix sept ans, Viviane de la Ville deRigné, tout juste sortie d’un couvent, en 1960, je ne l’ai jamaisrevu. Les adieux, seule à seul, à Paris, m’avaient laissée en état dechoc. Mais le lien demeure aussi fort que notre pacte de silence.« Je reviens des cavernes hippies de Matala, au sud de la Crète, etde l’île de Patmos où j’ai vécu chez un ermite, et plus longuement,seul sur un îlot rocheux dans une baie sauvage. Une île pour moiseul ! Une sorte de pyramide naturelle, à étages, percée dechambres intérieures. Un site initiatique exemplaire ! Quelle viesauvage et belle sur cette île divine, quasi tirée de l’Odysséed’Homère. Après quoi je suis revenu au Mont Athos sous un fauxnom, et traversant sans difficulté aucune, tous les barragespoliciers et administratifs. C’était risqué, après avoir publié le livre

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que nous savons sur la Montagne sainte ! Plus que risqué, dansun pays soumis à un régime fasciste qui n’a rien à refuser àl’Eglise orthodoxe. Sur l’Athos, j’ai surtout vécu dans les forêts,près des sources, ne voulant pas trop fréquenter les monastères etrevivre des aventures achevées dans mon Destin. Il n’empêcheque j’ai été arrêté au Pirée ! Le gouvernement grec m’a cependantrapidement relâché, malgré l’interdiction véhémente de l’Egliseorthodoxe. C’est mon premier conflit ouvert avec le christianisme. » Juste après l’apparition en librairie du Voyage au Mont Athos,grâce à Etienne Lalou et à Jean Chalon, l’incursion au cœur de laMontagne Sacrée tient effectivement de la provocation, voire de laprofanation. Mais déjà, l’année précédente, tandis que l’ascèterédigeait son testament spirituel, Domme ou l’essai d’occupation,dans la « grande chambre royale de pierre », ne m’écrivait-il pas :« Je suis déjà passé de l’autre côté » ? Et aussi : « Que craint unrevenant ? Le Bardo Thödol affirme bien : Le vide ne peut blesserle vide. »

L’année suivante, foudroyé par une syncope, François Augiérasrejoignit son « âme immortelle », peu après une violentecontrariété due à un notaire, dans un restaurant de Montignac. Ladispute concernait un terrain que lui avait légué sa mère, sur lacôte basque, et qu’il comptait vendre. Mais une trahison l’avaitdépossédé de ce bien. Ce « barbare », assoiffé du vin de l’Unité,n’avait jamais su jouer le jeu. Il tenait trop farouchement àpréserver sa liberté. Il aurait pu devenir un auteur célèbre. Mais ilpréféra toujours faire de sa vie une œuvre d’art. Combien de foisle lui reprochèrent d’anciennes relations, des nantis, incapables desoupçonner la grandeur de ce destin quasi christique, à la fin deson trajet de comète hantée par tous les dieux de l’univers.

Afin de compenser la pesanteur du monde endeuillé, lorsquej’appris brutalement que François avait rejoint sa galaxie, le13décembre 1971, il convient d’évoquer la gaieté fondamentale decette sorte de mutant, rarement mise en relief. Les fous rires quinous secouaient jusqu’aux larmes, avaient quelque chosed’homérique. Je n’ai plus jamais retrouvé cette qualité de rire,depuis. Tout se passe comme si François vivait à une époquereculée, lorsque les cinq sens n’étaient pas émoussés, comme denos jours. Auprès de lui, l’intensité de la vue, de l’ouïe, du goût, del’odorat, et surtout du toucher, était décuplée. Pour goûter la

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robuste santé de son humour, lisons la (fausse) lettre liminaire auVoyage au Mont Athos, adressée par un certain Père Athanase del’Athos à un docte érudit parisien. Il précise qu’il lui envoie un sacde saintes noisettes cueillies dans son potager. Sous le paquet secache un manuscrit trouvé au bord d’un précipice. En échange, ildemande trois kilos de poudre à canon, pour tuer les sangliers quisaccagent ses récoltes, et une obole pour le manuscrit, car il estquasi impécunieux : « Il faut vous dire aussi que j’ai à mon serviceun jeune Grec qui m’est cher, et qui me ruine. » Ajoutons une desmalicieuses conversations avec des religieux. « A l’entendre : desmorts, on en voyait souvent sur l’Athos ; mais aussi morts quemoi, rarement ! Il me félicita d’être à ce point décédé. »

Au-delà de l’espace-temps, on perçoit Augiéras, souriant encoresous cape. Les savoureuses anecdotes qui constellent les sommetsde sa quête d’absolu font songer à la définition du yogi par unmaître himalayen de méditation. « A quoi reconnaît-on unvéritable yogi ? A son rire. »

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Citations MILAN KUNDERA (4)

Le roman ne juge pas, il saisit le réel: (Le roman est le) territoire où le jugement moral est suspendu. Suspendre le jugementmoral ce n’est pas l’immoralité du roman, c’est sa morale. La morale qui s’oppose àl’indéracinable pratique humaine de juger tout de suite, sans cesse, et tout le monde,de juger avant et sans comprendre. (…) Là, si cela vous chante, accusez Panurge poursa lâcheté, accusez Emma Bovary, accusez Rastignac, c’est votre affaire; le romanciern’y peut rien. (Les Testaments trahis, pp.18-19) Car, saisir le réel fait partie de ladéfinition même du roman; mais comment le saisir et s’adonner en même temps à unensorcelant jeu de fantaisie ? Comment être rigoureux dans l’analyse du monde et enmême temps irresponsablement libre dans les rêveries ludiques? (Les Testamentstrahis, p.69)

L’histoire du roman dépasse les nations, le roman est un art européen:

Je parle du roman européen non seulement pour le distinguer du roman (par exemple)chinois, mais aussi pour dire que son histoire est transnationale; que le roman français,le roman anglais ou le roman hongrois ne sont pas en mesure de créer leur proprehistoire autonome, mais qu’ils participent tous à une histoire commune, supranationale,laquelle crée le seul contexte où peuvent se révéler et le sens de l’évolution du roman etla valeur des oeuvres particulières. (Les Testaments trahis, p.42)

La morale des émotions, ou morale de l'extase, comme ersatz de la liberté depenser: le choix dicté par la société d'aujourd'hui ?

La morale de l’extase est contraire à celle du procès; sous sa protection tout le mondefait tout ce qu’il veut: déjà, chacun peut sucer son pouce à son aise, depuis sa petiteenfance jusqu’au baccalauréat, et c’est une liberté à laquelle personne ne sera prêt àrenoncer; regardez autour de vous dans le métro, assis, debout, chacun a le doigt dansun des orifices de son visage; dans l’oreille, dans la bouche, dans le nez; personne nese sent vu par l’autre et chacun songe à écrire un livre pour dire son inimitable etunique moi qui se cure le nez; personne n’écoute personne, tout le monde écrit etchacun écrit comme on danse le rock: seul, pour soi, concentré sur soi-même, etfaisant pourtant les mêmes mouvements que tous les autres. Dans cette situationd’égocentrisme uniformisé, le sentiment de culpabilité ne joue plus le même rôle quejadis. (…) Au fur et à mesure que la liberté de pensée, la liberté des mots, desattitudes, des blagues, des réflexions, des idées dangereuses, des provocationsintellectuelles se rétrécit, surveillée qu’elle est par la vigilance du tribunal duconformisme général, la liberté des pulsions va grandissant. On prêche la sévéritécontre les péchés de la pensée; on prêche le pardon pour les crimes commis dansl’extase émotive. (Les Testaments trahis, pp.275-276)

Kundera définit le pessimisme et son contraire.

Supposons qu’il y ait dans l’univers une planète où l’on viendrait au monde unedeuxième fois. En même temps, on se souviendrait parfaitement de la vie passée surla terre, de toute l’expérience acquise ici-bas. Et il existe peut-être une autre planète où chacun verrait le jour une troisième fois avecl’expérience de deux vies déjà vécues. (...) Ce n’est que dans la perspective de cette utopie que les notions de pessimisme etd’optimisme ont un sens: l’optimiste, c’est celui qui se figure que l’histoire humainesera moins sanglante sur la planète numéro cinq. Le pessimiste, c’est celui qui ne lecroit pas. (L’Insoutenable légèreté de l’être, p. 323, Ed. Folio)

Kundera n’est d’aucun secours pour aider à choisir un métier.

Avec scepticisme, il avait examiné l’éventail des choix qui s’offraient: les procureurs qui

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consacrent toute leur vie à la persécution des autres; les instituteurs, souffre-douleurdes enfants mal élevés; les disciplines techniques, dont le progrès apporte avec unpetit avantage une énorme nocivité; le bavardage aussi sophistiqué que vide dessciences humaines; l’architecture intérieure (...) complètement asservie aux modesqu’il détestait; le métier des pauvres pharmaciens réduits à être des vendeurs deboîtes et de flacons. (L’Identité, pp. 70)

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« Le Vieillard et l'Enfant » de François Augiéras vupar le colonel Marcel Augiéras, oncle de l'auteur

Le scandale du "Vieillard et l'Enfant" concernait l'abus de certains coloniaux à l'égard des enfants.

Quelques exemplaires du livre traversèrent évidemment la Méditerranée et arrivèrent à El Goléa (chez l'oncle de François Augiéras)

Un esclandre terrible ! Pour qui connaissait le colonel, l'attaque était sans équivoque. La souillure indélébile. Et puis, il ne s'agissait plus de médisances circulant sous le manteau.

Cette fois, le livre se trouvait en librairie. L'insulte était publique. En ses vieux jours, le colonel Augiéras avait à livrer une ultime bataille. La plus difficile de toutes, car l'ennemi, fait de

papier et de mots, s'était installé en lui-même.

Un soir, dans le bordj silencieux, il s'assit devant son bureau et rédigea une lettre pour Jérôme Lindon. Celle-ci était datée d'El Goléa, le 15 avril 1955 :

Monsieur le Directeur,

Il y a quelques mois, sous le titre le Vieillard et l'Enfant, vous avez publié un livre qui, le mystère dont s'est entouré l'auteur aidant, a pu tromper certaines personnes (Gide,

Mauriac...) et n'est en réalité, sous un prétendu masque littéraire, qu'une obscénité scandaleuse.

En outre, et sans le nommer, l'auteur attaque bassement un vieillard, moi, et par vengeance parce que je l'ai chassé de chez moi en raison du scandale qu'il causait, et

d'ailleurs... il avoue avec cynisme ses "sales petites histoires" et ses turpitudes puisqu'il se prostitue passivement à un vieillard sadique. Sans me nommer, oui, mais avec des

précisions telles sur les lieux que, le livre étant parvenu à El Goléa y cause un scandale, car il n'est pas possible de douter. Evidemment on ne croit pas ces obscénités

(l'outrance même les condamne), mais tout de même ce vieillard respecté serait donc un être immonde, voleur et même assassin, qu'il déclare avoir frappé à la tête.

Je m'étonne que vous ayez osé publier un pareil écrit, et j'étudie la possibilité de déposer une plainte pour pornographie et diffamation.

Quant à l'incognito, dont vous faites réclame, "Qui est Abdallah Chamba ?", il ne doit pas exister pour vous qui dans votre catalogue d'octobre 1954, donnez même un portrait

de l'auteur, avec un grand chapeau arabe pour compléter le camouflage. Quoi qu'il en soit, si mystère il y a, je vais le dévoiler.

L'auteur, hélas, porte mon nom : c'est mon neveu, François Augiéras, âgé de 30 ans, habitant chez sa mère veuve 14 Place du Palais à Périgueux (Dordogne).

Et voici des précisions. Ayant échoué dans ses études, puis dans la peinture, il a traîné... et se tourne maintenant vers la littérature (?) pour laquelle il est loin d'être préparé :

sans culture générale (pas même le certificat d'études primaires), il avait commencé des études secondaires qu'il dut abandonner faute de moyens suffisants. C'est un raté,

n'ayant jamais rien pu faire.

Son insuffisance apparaît d'ailleurs dans son livre, sans la moindre idée d'une composition (car le récit est incohérent si vous voulez bien y songer), où les fautes de syntaxe

foisonnent presque à chaque page (l'avez-vous remarqué ?) Voilà pour l'intellectuel.

Quant à la valeur morale du personnage, j'ose à peine en écrire. Intelligent, certes mais âme vile. Il est déséquilibré, morbide et sadique,

menteur et sournois, maître chanteur et sans scrupules, très dangereux. Pour tout dire, c'est, hélas, une canaille, dont vous vous faites inconsciemment le complice...

Pour étaler ses turpitudes et s'en glorifier, il a cherché un cadre original : il a trouvé le Sahara où il est venu, et le mystère de son incognito pour corser l'affaire et tromper le

lecteur un vieil officier en retraite pour encaisser l'ignominie, se venger en même temps de lui et souhaiter sa mort. Et tout cela devait être camouflé pour tromper un éditeur,

vous...

C'est du machiavélisme.

Voilà la valeur morale de l'individu. Il m'a paru nécessaire, Monsieur, que vous soyez au moins éclairé.

D'autre part, je viens d'apprendre, par un ami de France, qu'il existerait un nouveau livre obscène et dans lequel je figure encore (vengeance continue) sous le titre "Le Voyage

des Morts". Si cela est exact, je vous serai obligé de me le faire parvenir contre remboursement.

Encore un détail qui aurait pu mettre sur la piste d'une supercherie en ce qui concerne l'origine supposée africaine de l'auteur. "Abdallah Chaamba" est une faute d'arabe, il

faudrait dire Chaambi (Chaamba étant un pluriel). Mais qui pouvait éventer la mèche ?

Et maintenant. Monsieur, quelle conclusion tirer de cette longue lettre ? A mon avis, ce qui suit.

Sachant maintenant combien vous avez été joué par un malhonnête homme et compromis innocemment dans une affaire de basse vengeance, j'espère que vous voudrez bien

retirer immédiatement de la vente, de la diffusion gratuite et du catalogue les deux ouvrages incriminés, qui ne peuvent que jeter le discrédit sur vos éditions. Je vous serais

aussi très reconnaissant de m'en tenir informé... ainsi peut-être que l'auteur qui mérite bien cette sanction.

Quant à moi, après une vie de travail et d'honneur, je mérite bien d'être défendu, à 73 ans.

Marcel Augiéras

"Le Vieillard et l'Enfant" ne fut pas retiré de la vente. Il n'y eut pas non plus de procès.

■ in François Augiéras : le dernier primitif, Serge Sanchez, Editions Grasset, 2006, ISBN : 224669471, pages 278-281

LIRE aussi de François Augiéras : L'apprenti sorcier

Le Vieillard et l'Enfant, illustration de François Augiéras vers 1966 : « La nuit, sur la terrasse, le grand lit de métal est agité comme un navire en pleine tempête. Le vieillard dans les

spasmes pousse des cris comme à l'agonie et râle si fort que le désert en résonne… »