histoire ancienne de l'afrique du nord - 01.la colonisation phénicienne et l'empire de carthage {...

535
7/16/2019 Histoire ancienne de l'Afrique du Nord - 01.La colonisation Phénicienne et l'Empire de Carthage { Stéphane GSELL,… http://slidepdf.com/reader/full/histoire-ancienne-de-lafrique-du-nord-01la-colonisation-phenicienne 1/535 STÉPHANE GSELL MEMBRE DE L’INSTITUT PROFESSEUR AU COLLÈGE DE FRANCE HISTOIRE ANCIENNE DE L’AFRIQUE DU NORD TOME I LES CONDITIONS DU DÉVELOPPEMENT HISTORIQUE LES TEMPS PRIMITIFS LA COLONISATION PHÉNICIENNE ET L’EMPIRE DE CARTHAGE PARIS LIBRAIRIE HACHETTE 79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79

Upload: lilamezz

Post on 30-Oct-2015

117 views

Category:

Documents


2 download

TRANSCRIPT

  • STPHANE GSELLMEMBRE DE LINSTITUT

    PROFESSEUR AU COLLGE DE FRANCE

    HISTOIRE ANCIENNE

    DE

    LAFRIQUE DU NORD

    TOME I

    LES CONDITIONS DU DVELOPPEMENT HISTORIQUELES TEMPS PRIMITIFS

    LA COLONISATION PHNICIENNE ET LEMPIRE DE CARTHAGE

    PARIS

    LIBRAIRIE HACHETTE79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79

  • Livre numris en mode texte par :Alain Spenatto.

    1, rue du Puy Griou. 15000 [email protected]

    Dautres livres peuvent tre consultsou tlchargs sur le site :

    http://www.algerie-ancienne.com

    Ce site est consacr lhistoire de lAlgrie.Il propose des livres anciens,

    (du 14e au 20e sicle), tlcharger gratuitement ou lire sur place.

  • HISTOIRE ANCIENNE

    DE

    LAFRIQUE DU NORD

    LIVRE PREMIER

    LES CONDITIONS DU DVELOPPEMENTHISTORIQUE

    CHAPITRE PREMIER

    LES RGIONS NATURELLES DE LAFRIQUE DU NORD

    I

    La contre dont nous nous proposons dtudier lhistoire ancienne, jusqu la conqute arabe, stend, au Nord, entre le dtroit de Gibraltar et lextrmit Nord-Est de la Tunisie; au Sud, entre lAnti-Atlas et le golfe de Gabs. Nous adoptons pour la dsigner le terme conventionnel dAfrique du Nord; on a aussi nomme Berbrie, Afrique Mineure. Nous y joindrons, comme une sorte dannexe, le littoral du fond des Syrtes: dans lantiquit, cette lisire du Sahara a t rattache ltat car-thaginois, puis lAfrique romaine. Vaste quadrilatre, baign par la mer lOuest, au Nord et lEst, bord par le dsert au Midi, lAfrique du Nord est isole

  • 2 LES CONDITIONS DU DEVELOPPEMENT HISTORIQUE.

    comme une le : les Arabes ont pu lappeler lle de lOcci-dent(1). Mais cet isolement fait seul son unit. Elle est compose dun grand nombre de rgions disparates(2).

    II

    Celle quon nomme le Rif, et qui est encore fort mal con-nue, stend au Nord du Maroc actuel, opposant la Mditerra-ne un front escarp. A lintrieur, se succdent, des intervalles rapprochs, des plis parallles au rivage ; dans la partie Nord-Ouest du pays, ils se recourbent vers le Nord, constituant avec les montagnes de lEspagne mridionale un grand hmicycle, que le foss de Gibraltar a coup brusquement et qui marque la bordure dun massif ancien, effondr dans la Mditerrane. La disposition du relief empche la formation de rivires im-portantes. Mais, grce au voisinage de la mer et il lexistence de montagnes leves, les pluies sont abondantes; les valles, courtes et troites, qui sillonnent cette rgion tourmente et daccs malais, se prtent il, larboriculture, llevage et, par endroits, la culture des crales ; elles peuvent nourrir une forte population, capable de dfendre son indpendance. A lEst du Rif, dbouche la Moulouia, qui, du moins dans____________________ (1) Djezirat ci Maghrith. (2) Il na pas t crit douvrage gnral sur la gographie de lAfrique du Nord depuis lise Reclus (Nouvelle Gographie universelle, tome XI, 1880). Pour le Maroc, voir surtout Schnell, LAtlas marocain, traduction Bernard (1808) ;Th. Fisher, Mitelmeer Bilder, I, p, 358 et suiv.; L. Gentil, le Maroc physi-que (1912) ; A. Bernard, le Maroc (1912), p. 11-34. Pour lAlgrie, Bernard et Ficheur, Les Rgions naturelles de lAlgrie, dans les Annales de Gographie, XI, 1902, p, 221-240, 330-367, 419-437. Pour la Tunisie, Pervinquire, La Tunisie centrale, dans les Annales de Gographie, IX, 1900, p. 434-455 ; le mme, tude gologique de la Tunisie centrale (1913) ; le mme, Le Sud tunisien, dans la Revue de Gographie, III, 1909, p. 393-410 ; Ph. Thomas, Essai dune description go-logique de la Tunisie, premire partie, Aperu sur la gographie physique (1907). Pour la Tripolitaine, Mhier de Mathuisieulx, dans les Nouvelles Archives des missions, XII, 1904, p, 48-59, et dans les Publications de lAssociation historique de lAfrique du Nord, V, 1906, p. 47-81.

  • LES RGIONS NATURELLES DE LAFRIQUE DU NORD. 3

    son cours infrieur, a marqu pendant des sicles une limite entre des royaumes indignes, puis des provinces romaines. Au Sud, une longue dpression(1), oriente de lEst lOuest, tablit une communication facile entre lAlgrie et la cte de lAtlantique. En suivant un afuent de gauche de la Moulouia, on arrive par Taza un afuent de droite de loued Sebou, euve qui se jette dans lOcan. Ce fut probablement par cette voie naturelle que passa la frontire militaire des Romains dans la Maurtanie Tingitane. Le reste du Maroc a pour pine dorsale le Haut-Atlas. Cette chane commence au-dessus de lOcan, au cap Ghir, et, se dirigeant du Sud-Ouest au Nord-Est, forme une norme mu-raille compacte, dont les sommets atteignent 4500 mtres et o les cols sont levs et difciles. Ce nest quau Sud de la haute valle de la Moulouia quelle sabaisse et se morcelle, ouvrant des passages qui permettent datteindre sans peine les oasis sa-hariennes de loued Ziz et de loued Guir. Sur une grande, partie de son parcours, le Haut-Allas est anqu, au Nord-Est, par les plissements parallles du Moyen-Atlas, au Sud-Ouest, par la chane de lAnti-Atlas, rattache au Haut-Atlas par lnorme volcan teint du Siroua. Au Nord et au Nord-Ouest du Haut et du Moyen-Atlas, stend, partir du littoral, une rgion darchitecture tabulaire, que lon a propos dappeler soit le plateau subatlantique, soit la meseta marocaine (parce quelle offre la mme structure que la meseta ibrique, plateau central espagnol). Une longue fa-laise la divise en deux terrasses superposes, la premire dune altitude moyenne de 150 mtres, la seconde de 500 mtres, coupes par les lits profonds de quelques rivires qui se diri-gent vers lOcan, en scartant comme les branches dun ven-tail. troites au Sud-Ouest, ces terrasses slargissent ensuite ;____________________ (1) Qui fut un dtroit lpoque miocne, comme la montr M. Gentil.

  • 4 LES CONDITIONS DU DEVELOPPEMENT HISTORIQUE.

    elles disparaissent au Nord pour faire place la plaine dal-luvions de loued Sebou, entoure dun pays de collines et de mamelons. Le long des ctes et sur une profondeur moyenne de 70 kilomtres, cette rgion est en gnral sufsamment arrose par des pluies quamnent les vents dOuest. Il y a l dex-cellentes terres, surtout les sols noirs auxquels on a donn le nom indigne de tirs et dont lorigine est encore trs discute. Cette partie du Maroc, dpourvue darbres, est, sur de vastes espaces, trs propice la culture des crales ; elle offre aussi de riches pturages au gros btail; chevaux et bufs. Mais les sources y sont trs rares et lon doit sy procurer leau potable en creusant des puits profonds, ou en tablissant des rser-voirs. En arrire, s allonge une zone de steppes, dont la strilit a pour cause la raret des pluies, bien plus que la nature du sol. Lirrigation y est difcile cause de la hauteur des berges des euves. On y lve des troupeaux qui, pendant lt, doivent transhumer. Enn, une altitude moyenne de 600 mtres, au pied mme des montagnes, qui attirent les pluies et dont les nei-ges gardent des rserves deau jusque vers la n du printemps, de nombreuses sources peuvent servir des irrigations et faire prosprer de magniques vergers. Des ceintures de jardins entourent les villes et les villages qui ont pris naissance dans, cette rgion leve, au climat tem-pr et salubre. Le; Haut et le Moyen-Atlas forment des crans qui arr-tent le, nuages chargs dhumidit. Au del de ces montagnes, la vie nest possible que le long des rivires qui en sortent et dont leau sert arroser des cultures. Du ct de lAtlantique, entre le Haut-Atlas et lAnti-At-las, loued Sous parcourt, sur environ 200 kilomtres, une plai-ne troite, trs encaisse. Cest un dsert en dehors de la bande

  • LES RGIONS NATURELLES DE LAFRIQUE DU NORD. 5

    de jardins qui accompagne la rivire, entirement utilise pour les irrigations. Loued Ziz, loued Guir et dautres cours deau qui les rejoignent naissent sur le versant mridional du massif atlan-tique et vont alimenter, en plein Sahara, des chapelets doasis, dont les plus belles sont celles du Talelt. Plus lOuest, loued Draa, dabord peu prs parallle ces rivires, tourne ensuite brusquement vers le couchant et son sillon se prolonge jusqu lOcan, travers le dsert. Des oasis bordent les rivires qui le forment et celles qui, sortant de lAnti-Atlas, cherchent le rejoindre. Au del mme du coude quil dcrit, loued Draa garde quelque humidit souterraine, et de maigres cultures sont possibles dans son large lit.

    III

    LAlgrie comprend dans toute sa longueur une zone cen-trale de grandes plaines, situes une altitude leve, et, au Midi et au Nord, deux zones fort accidentes. Au Sud, cest la srie de montagnes, orientes du Sud-Ouest au Nord-Est, qui constituent lAtlas saharien. Au Nord, stend, sur une largeur moyenne de cent kilomtres, le Tell, dont le nom se rattache un mot arabe signiant colline, plutt quau mot latin tellus, terre cultivable. Le Tell est hriss de chanes confuses de diffrents ges, diriges le plus souvent du Sud-Ouest au Nord-Est dans la par-tie occidentale de cette contre, de lOuest lEst dans la partie orientale, jusque vers Bne, o une sparation assez nette est marque par la plaine basse de la Seybouse. Il est fort difcile de dbrouiller le chaos des montagnes du Tell(1).____________________ (1) Le Tell na pas dunit orognique. Cest un habit dArlequin ; Gau-tier, Annales de Gographie, XX, 1911, p. 300.

  • 6 LES CONDITIONS DU DEVELOPPEMENT HISTORIQUE.

    MM. Bernard et Ficheur lont tent dans un mmoire(1) que nous avons beaucoup mis contribution pour tracer cette rapide esquisse de lAlgrie. Le littoral est bord par les dbris, pars et l, dun massif ancien, fait de gneiss et de schistes, contre lequel sest dresse au Sud une chane calcaire. Le massif, qui couvrait une partie de lespace occup aujourdhui par la Mditerrane, a t presque entirement englouti. Le golfe de Bougie est une fosse creuse par cet effondrement, qui eut lieu lpoque pliocne et fut accompagn de phnomnes volcaniques sur les bords de la fracture (2). Entre les restes de ce massif, dans le voisinage immdiat de la mer, sinsrent quelques plaines basses, trs tendues, mais dont les anciens nont pas pu tirer grand parti. Celle qui sallonge au Sud-Ouest et au Sud dOran, et quencombre une cuvette sans coulement, est rendue strile par la salure des terres ; ce sel, arrach des gisements situs sur le rebord de la plaine, est charri par les eaux et vient samasser dans le lac. Plus lEst, deux rivires importantes, le Sig et lHabra, se runissent et forment, dans la plaine de la Macta, des marca-ges que les alluvions comblent peu peu. Dans lantiquit, le sol humide devait tre presque partout impropre la culture. On ne trouve gure de ruines que sur la lisire mridionale de ces deux plaines, le long dune voie qui parait avoir marqu, pendant plus dun sicle et demi, la frontire militaire de lEm-pire romain. En arrire dAlger, la Mitidja, que la colonisation franaise a rendue si prospre, fut jadis un golfe, puis un lac, quun bourrelet de collines sparait de lamer et que les apports des rivires qui viennent du Sud ont lentement combl : lcou-lement des eaux y est encore imparfait. Le centre de la plaine____________________ (1) Voir plus haut, p. 2, n. 2. (2) Bernard et Ficheur, l. c., p. 222. Au Sud-Ouest dOran, la rgion dAn Temouchent prsente des vestiges de volcans, dont les cnes dtruits et les coules ont form des terres noires, trs fertiles, exploites dj dans lantiquit.

  • LES RGIONS NATURELLES DE LAFRIQUE DU NORD. 7

    tait probablement marcageux aux premiers sicles de notre re. Des ruines romaines ne se rencontrent que sur les bords, de la Mitidja, au pied des montagnes qui lenserrent de tous les cts. A lextrmit orientale de lAlgrie, une autre grande plaine stend prs de la Mditerrane, derrire Bne. Elle, est aussi occupe en partie par des marcages. Parmi les pays montagneux qui bordent les ctes, le Da-hra, limit au Sud par la valle du Chlif, offre des plateaux dnuds, favorables la culture des crales, pourvus de sour-ces abondantes, et des chanes encadrant plusieurs valles, dont les parties les plus fertiles ont t exploites par les anciens. A lEst du Dahra, la rgion schisteuse de Miliana est trs ravine et en gnral strile, avec de maigres pturages dans les clai-rires des forts et quelques sols cultivables sur les lisires du massif. La grande Kabylie est constitue au centre par un plateau de terrains anciens, gneiss, schistes, micaschistes, et borde au Sud par la chane calcaire du Djurdjura, aux cimes denteles, dont la plus haute dpasse 2300 mtres. Des valles trias en-caisses coupent le plateau et forment de vritables fosss entre les tribus dont les innombrables villages couronnent les crtes(1) . Le sol est peu fertile, mais leau abonde, grce aux condensations que provoquent les hautes altitudes et aux r-serves de neige que le Djurdjura garde jusquau mois de mai. Cest un pays darboriculture, o, dans lantiquit, la popula-tion devait tre dj dense, mais o la colonisation romaine ne semble pas avoir pntr. Au Nord, stend, de lEst louest, la valle de loued Sebaou, propice aux crales, puis, entre ce euve et la mer, une chane de grs, au pied de laquelle des rui-nes de cits schelonnent le long du rivage. Langle oriental de la Kabylie est aussi occup, par des grs, qui portent de belles forts de chnes.____________________ 1. Bernard et Ficheur, l. c., p. 226.

  • 8 LES CONDITIONS DU DEVELOPPEMENT HISTORIQUE.

    A lEst de la grande Kabylie et jusqu Bne, la Mditer-rane est borde presque partout par des massifs trs tourmen-ts, o les rivires se fraient pniblement un chemin. Les grs couvrent de vastes espaces, revtus de magniques boisements de chnes. Les terres, siliceuses, se prtent mal la culture des crales, sauf dans les valles, dailleurs troites, o des allu-vions argileuses se sont dposes. Mais, dans cette rgion le-ve et bien expose aux vents humides, les pluies entretiennent de belles prairies et des vergers prosprent autour de nombreu-ses sources. En dehors des forts, elle parait avoir t assez peuple aux temps antiques. A lintrieur du Tell, des valles, de hautes plaines, des plateaux sparent ou pntrent les massifs montagneux. Des plaines, dune altitude moyenne de 400 mtres, se succdent lEst de la Moulouia jusquau del de Mascara. Celle des Angads, qui fait partie du Maroc, est sche et strile. Celles qui stendent au Nord de Tlemcen et de Lamoricire sont mieux partages. La plaine de Sidi bel Abbs est couverte de terres lg-res, friables, dans lesquelles sont incorpores des par celles de phosphate de chaux et qui nont pas besoin de beaucoup dhumidit pour porter de belles moissons. Les pluies, bien rparties il est vrai, atteignent peine une hauteur annuelle de 40 centimtres Sidi bel Abbs. La plaine dEgris, au Nord de laquelle se trouve Mascara, en reoit moins encore et la cons-titution du sol y est moins bonne : aussi na-t-elle que peu de valeur agricole. Ces plaines sont bordes au Midi par une srie de grands gradins, forms de grs, de dolomies, de calcaires(1). Des ri-vires assez importantes prennent naissance dans cette rgion accidente et la traversent pour se diriger vers le Nord, coulant dans des gorges ou dans des valles troites; elles dbouchent____________________ (1) Monts de Tlemcen, de Daya, de Sada, de Frenda.

  • LES RGIONS NATURELLES DE LAFRIQUE DU NORD. 9

    brusquement sur le pays plat, quelques-unes par des cascades. Les sources; nombreuses la lisire des plaines, permettent la cration de beaux jardins. Tlemcen, admirablement situe plus de 800 mtres daltitude, tourne vers la mer, dont elle reoit les brises rafrachissantes, dfendue des vents brillants du Sud par le vaste talus auquel elle est adosse, sappelait lpoque romaine Pomaria (les Vergers), et ce nom serait en-core trs justi. Sur les gradins, il y a des forts tendues, mais clairsemes ; quelques zones marneuses sont propres lagriculture. Une frontire militaire, tablie par les Romains vers le dbut du troisime sicle, longeait, par Lalla Marnia, Tlemcen, Lamoricire, Chanzy, le rebord septentrional de ce haut pays, quelle coupait ensuite, passant vers Franchetti, Ta-gremaret, Frenda, et traversant, sur une partie de son parcours, des bandes de terrains fertiles. Au del mme de cette frontire, une population assez dense sest installe, soit dans lantiquit, soit plus tard, sur les sols favorables a la culture, en particulier aux alentours de Sada. Le Chlif, euve qui nat dans lAtlas saharien, traverse les hantes plaines de lAlgrie centrale; stant soud un cours deau mditerranen, il entre dans le Tell Boghari. Bientt, il tourne vers lOuest, direction quil garde jusqu la mer. La valle quil suit forme une longue dpression entre le massif de Miliana et le Dahra, au Nord, le massif de lOuarsenis, au Sud. Elle tait parcourue par une voie militaire romaine, qui a sans doute t faite aussitt aprs la conqute de la Maurtanie et qui a dvelopp la colonisation. Cette valle nest cependant pas un couloir largement ouvert : des tranglements, forms par des collines, la divisent en trois parties(1). Les terres allu-viales, compactes et profondes, sont trs fertiles quand elles sont arroses. Mais la barrire du Dahra arrte les pluies qui,____________________ (1) Plaines du Djendel et dAffreville, plaine des Attafs, plaines dOrlans-ville et dInkermann.

  • 10 LES CONDITIONS DU DEVELOPPEMENT HISTORIQUE.

    souvent, tombent en trop petite quantit pour assurer la bonne venue des crales et qui sinltrent mal dans un sol peu per-mable. Cest par une irrigation bien comprise ou par le choix dautres cultures que la valle du Chlif petit prosprer. Le massif de lOuarsenis est form de plissements con-fusment entasss autour dun grand dme calcaire et coups par des afuents du Chlif. Il offre de belles forts, mais, sauf dans quelques valles, o lon trouve des ruines antiques, les terrains, schisteux ou grseux, ne se prtent gure qu lle-vage. Ce massif est bord lOuest par la Mina, qui, avant de rejoindre le Chlif dans une large plaine, facilement irriga-ble, descend un couloir donnant accs au plateau de Tiaret, au Sud de lOuarsenis. La rgion, dune altitude de 1000 1200 mtres, situe au Sud et au Sud-Est de Tiaret, se distingue par sa fertilit des plaines leves du centre de lAlgrie, qui la continuent sans transition. Grce aux pluies quelle reoit du Nord Ouest par la valle de la Mina, les terres dalluvions, riches en phosphate de chaux, qui la couvrent peuvent porter de belles moissons. En grande partie incorpore par les Ro-mains dans leur frontire militaire du IIe sicle, elle a t trs peuple dans lantiquit, et mme dans les temps qui ont suivi linvasion arabe. Cette zone fertile se continue au Nord-Est, le long du Nahr Ouassel, qui se dirige vers le Chlif. La frontire romaine dont nous venons de parler passait par l, sur la lisire mridionale de lOuarsenis, pour aller couper le Chlif vers Boghari. Au del des montagnes abruptes et ravines qui dominent au Sud la plaine de la Mitidja, le plateau, argileux et nu, de Mda, au relief tourment, dcoup par les profonds sillons des rivires qui sloignent vers lOuest, le Nord et lEst, a de nombreuses sources et nest pas dpourvu de terres propices aux crales. Il forme un passage, dailleurs assez difcile, entre la valle

  • LES RGIONS NATURELLES DE LAFRIQUE DU NORD. 11

    du Chlif et les trois plaines des Beni Slimane, des Aribs et de Bouira, qui se suivent de lOuest, lEst, reprsentant une ancienne valle, une altitude de 600-500 mtres. La pre-mire de ces plaines souffre de la scheresse ; plus a lEst, la rgion dAn Bessem a de bonnes terres et reoit assez deau de pluie : les ruines antiques y abondent. La plaine de Boui-ra conduit la valle de loued Sahel, appel plus bas oued Soummane, qui borde la grande Kabylie au Sud et lEst. Comme celle du Chlif, cette valle est coupe par des obs-tacles : sur deux points(1), le euve a de se frayer un passage a travers des barrires rocheuses. Le sol dalluvions est trs fertile. Mais, l encore, les pluies sont souvent insufsantes : la chane du Djurdjura les arrte. La culture des crales est alatoire ; larboriculture, qui craint moins la scheresse, court moins de risques. Lextrmit de la valle, prs de la mer, jouit pourtant de conditions plus favorables. Les ruines sy pressent et une colonie importante, Tubusuptu, y fut fonde ds lpo-que dAuguste. La voie militaire romaine, venant de la valle du Chtif, ne passait pas par Mda, ni par les plaines qui se suivent jus-qu loued Sahel. Elle lait plus au Sud, par Berrouaghia, Sour Djouab et Aumale, tablie sur une large bande calcaire(2), dans la partie septentrionale dune rgion accidente, que parcou-rent dOuest en Est des chanes parallles. Les intervalles ravi-ns sont occups et l par des marnes, mles de phosphate de chaux, qui constituent des terres fertiles, ou par des argiles do sortent des sources et qui portent de beaux pturages. Ce pays montagneux fut enferm dans la frontire militaire du IIIe sicle, qui en suivait la lisire mridionale, depuis Boghari jus-qu Sidi Assa, au Sud dAumale. Dans le Nord de la province de Constantine, derrire la____________________ (1) A. Takriets et Sidi Ach. (2) Cnutier, Annales de gographie, XIX, 1910, P. 232.

  • 12 LES CONDITIONS DU DEVELOPPEMENT HISTORIQUE.

    chane calcaire qui borde le massif ancien, les montagnes de grs ou de calcaire se succdent, gnralement en rangs com-pacts, jusquaux hautes plaines de la zone centrale. Les rivi-res suivent dtroites valles, ou se faulent avec peine dans des gorges trangles. Cependant, les plaies sont abondantes, et, l o les terres conviennent aux crales, larboriculture, llevage du gros btail, les tablissements antiques ont t nombreux. Deux bassins compris dans cette rgion furent sur-tout trs peupls. Celui de Constantine est un ancien lac, long denviron 80 kilomtres de lOuest lEst, large dune ving-taine de kilomtres, combl par des argiles et des poudingues, dun aspect tourment. Quoiquil ne soit pas particulirement fertile, il a t cultiv dune manire intense, formant en quel-que sorte la banlieue de la ville de Cirta (Constantine) ; qui, bien avant la conqute romaine, a d son importance une incomparable position dfensive, sur un roc abrupt. Le bas-sin de Guelma, parcouru par la Seybouse, qui en sort en rom-pant une barrire, offre des marnes favorables la viticulture et aux crales. On rencontre partout des ruines romaines au Sud de ce bassin, dans le pays montagneux sillonn par loued Cherf, une des branches de la Seybouse, et par ses afuents, par dautres rivires qui vont se jeter plus loin dans la Sey-bouse, enn par le cours suprieur de la Medjerda : des terres fertiles, argileuses, satures de phosphate de chaux, y couvrent de grandes tendues.

    IV

    Au Sud du Tell, sallonge, dans les provinces dOran et dAlger, une rgion de steppes, qui commence ds le Maroc, entre le Moyen et le haut-Atlas, et qui va se rtrcissant et sabaissant de lOuest lEst, avec une altitude de 1200 800 mtres.

  • LES RGIONS NATURELLES DE LAFRIQUE DU NORD. 13

    Elle se compose de vastes plaines, spares par des rides lgres et parsemes de grands lacs, cuvettes peu profondes, presque sec en t, rceptacles en hiver deaux qui charrient des sels. Le sol des steppes est form dalluvions dordinaire siliceuses, meubles ou agglomres, recouvertes peu prs par-tout par une sorte de crote calcaire, qui empte des cailloux et des graviers, et dont lpaisseur varie de quelques centim-tres plusieurs mtres(1). Lexistence de cette carapace, la na-ture sale de beaucoup de terres rendraient la rgion impropre la vgtation arbustive et lagriculture, mme si les pluies y tombaient en quantit sufsante. Il ny pousse que dhumbles plantes, qui rsistent la scheresse et se plaisent dans les ter-rains sals. Cest un pays de maigres pturages qui ne durent mme pas toute lanne. Entre ces steppes et les hautes plaines de la province de Constantine, sintercale le Hodna, bassin ferm, qui offre au centre un grand lac, aliment par les eaux du pourtour. Rgion effondre ou cuvette drosion(2), le Hodna na quune altitude moyenne de 400 mtres, trs infrieure celle des pays qui le anquent. Il reoit peu de pluie et ne pourrait tre quune steppe, malgr la fertilit de ses terres dalluvions, sil ntait le dversoir de rivires qui naissent dans les hautes montagnes de la bordure septentrionale du bassin, ou qui les franchissent, permettant des irrigations sur de grands espaces, au Nord du lac. Au Sud, des dunes forment une sorte de dsert, avec la belle oasis de Bou Saada, Le Hodna a t incorpor au territoire romain. Le centre de la province de Constantine est occup par de hautes plaines, qui se prolongent dans la Tunisie occiden-tale. et l, surgissent des chanons, le plus souvent calcaires, morcels et ravins par les rosions, aux ancs nus ou portant____________________ (1) Bernard et Ficheur, 1. c p. 420. (2) Voir Gautier, dans la Gographie, XXI, 1910, p. 98.

  • 14 LES CONDITIONS DU DEVELOPPEMENT HISTORIQUE.

    une maigre vgtation de pins dAlep, de thuyas, de genvriers, doliviers sauvages. Dans la partie Nord-Ouest de cette vaste rgion, ils se dirigent de lOuest lEst, comme les plissements du Tell de lAlgrie orientale. Les autres, beaucoup plus nom-breux et qui se rencontrent dj dans le voisinage du Hodna, sont orients du Sud-Ouest au Nord-Est, comme lAtlas saha-rien ; ils se prsentent souvent sous laspect de dmes base circulaire ou elliptique : type caractristique de lorographie tunisienne, mais quon observe dj en Algrie. A lEst, les ro-sions ont parfois dcoup des tables, plates-formes aux pans abrupts, dont la plus remarquable est la Kalaa es Senam, entre Tbessa et le Kef(1). Les plaines, mamelonnes dans la Medjana et aux alen-tours de Stif, plus unies lEst, sont situes des altitudes de 700 1000 mtres. Celle de la Medjana sincline vers le Sud et cest la direction des cours deau qui vont rejoindra loued Ksob, avant son entre dans le Hodna. Les autres plaines sep-tentrionales de la rgion dont nous parlons appartiennent au versant mditerranen et sont parcourues par des rivires qui contribuent la formation de la Soummane, de loued et K-bir, de la Seybouse. Au Sud, il y a des plaines cuvettes cen-trales, o viennent samasser en hiver des eaux souvent sales, absorbes en t par lvaporation : nous retrouvons l, mais dans de petites proportions, la nature des steppes des provinces dOran et dAlger. Dans lAlgrie orientale et dans la Tunisie occidentale, dautres plaines ont leur coulement par lafuent principal de la Medjerda, loued Mellgue, qui prend sa sour-ce au Nord de lAtlas saharien, non loin de Khenchela, et se dirige du Sud-Ouest au Nord-Est, ainsi que par les afuents de cette rivire. Enn, en Tunisie, des eaux scoutent vers le Sud-Est.____________________ (1) La mme forme tabulaire se retrouve au Kef. Une table analogue cons-titue une forteresse naturelle la Meslaoua, au Nord-Ouest de Batna : Bernard et Ficheur, l. c., p. 362.

  • LES RGIONS NATURELLES DE LAFRIQUE DU NORD. 15

    Cette zone nest pas partout fertile. Les sols, imprgns de sel, qui stendent autour des cuvettes des bassins ferms, et mme ailleurs, en particulier entre Souk Ahras et Tbessa, ne conviennent gure qui llevage du mouton ; leur super-cie est du reste assez restreinte. De vastes espaces, couverts de limons et de marnes riches en phosphate de chaux, se prtent au contraire fort bien la culture des crales. Mais les pluies sont parfois insufsantes dans les plaines du Nord ; elles le sont souvent dans celles du Sud, sauf en avant de lAurs et des monts de Batna, dont les masses provoquent des condensations. Toutes ces plaines sont entirement dnudes et il est probable que le dfrichement na fait disparatre que des broussailles, la nature du sol ntant pas favorable aux arbres(1). Abandonnes en gnral aux pasteurs avant la conqute romaine, elles ont t ensuite habites par une population agricole trs dense, surtout autour et au Sud du Kef, sur la lisire de lAurs, bien pourvue de sources et o une forte occupation militaire a donn lessor la colonisation, enn au Sud-Est et au Sud de Stif.

    V

    La zone centrale de lAlgrie est borde au Midi par lAt-las saharien, prolongement oriental du Haut-Atlas marocain. Au Sud des hautes plaines des provinces dOran et dAlger, comme au Sud du bassin du Hodna, sallongent des plissements parallles, orients du Sud-Ouest au Nord-Est, crtes troites et nues, formes surtout de grs friables. Les intervalles sont rem-plis par les dbris infertiles de ces chanes et lon y retrouve les maigres plantes des steppes. Cependant, le massif du djebel Amour, qui prsente dans sa partie orientale de grandes tables aux ancs verticaux, est mieux partag. Il a de beaux pturages,____________________ (1) Voir plus loin, au chapitre IV.

  • 16 LES CONDITIONS DU DEVELOPPEMENT HISTORIQUE.

    entre des forts de thuyas, de pins dAlep et de genvriers ; les sources, assez nombreuses, servent irriguer des vergers et ali-mentent des villages, qui sont sans doute trs anciens. Dans le Sud de la province de Constantine, stend le massif de lAurs, auquel on peut rattacher, au Nord-Ouest, les monts calcaires dits de Batna, qui dpassent 2000 mtres et portent des forts de chnes, de genvriers et de cdres. Entre ces monts et lAurs, un long passage souvre vers le Midi, command aujourdhui par Batna et dans lantiquit par Lam-bse, le grand camp de lAfrique romaine. Cette voie de com-munication importante entre les hautes plaines et le dsert suit loued el Kantara, qui a coup une barrire transversale par une courte gorge, au del de laquelle on rencontre aussitt une oasis saharienne. Les plissements calcaires, minces et abrupts, de lAurs, qui culmine plus de 2300 mtres, sparent des valles troi-tes, sinclinant vers le Sud-Ouest. Une rosion trs intense a profondment creus ces dpressions et entran jusquau Sahara des masses normes de dbris. Dans ce massif, o la population indigne tait dense aux premiers sicles de notre ivre, les sources abondent et les rivires peuvent servir des irrigations. Cest surtout, comme la grande Kabylie, un pays darboriculture. De belles forts de chnes verts, de gen-vriers, de pin dAlep, de cdres couvrent les ancs des mon-tagnes. A lEst de loued el Arab, le djebel Chechar, trs tour-ment, coup de ravins que des cailloux encombrent, fait suite lAurs. Plus loin, les plissements serrs de lAtlas saharien disparaissent. Le pays des Nmenchas, situ au Sud-Ouest de Tbessa, se partage en deux rgions distinctes. Au Nord, de vastes dmes elliptiques ont t dcaps, aplanis par les ro-sions et transforms en plaines, dune altitude moyenne de 000 mtres, dont les rebords saillants indiquent le pourtour dan-

  • LES RGIONS NATURELLES DE LAFRIQUE DU NORD. 17

    ciennes montagnes et donnent naissance des sources. La r-gion est sans arbres ; il n y pleut pas assez pour la culture des crales; llevage du mouton est peu prs la seule ressource des indignes. A lpoque romaine, ces plaines furent, on gran-de partie, plantes doliviers et bien peuples. Au Midi, une srie de gradins caillouteux, dirigs de lOuest lEst, descen-dent vers le dsert, sillonns et ravins par des oueds. Lorien-tation de ces terrasses et du bourrelet qui les termine au Sud se retrouve dans le relief de la Tunisie mridionale. Les eaux abondantes qui dvalent du Haut-Atlas font, nous lavons dit, prosprer de belles oasis au Sud du Maroc, En Algrie, les oasis de la lisire du dsert ont beaucoup moins dimportance. Elles doivent leur existence aux oueds qui sor-tent de lAtlas saharien, ou aux nappes souterraines qui sont alimentes par des eaux de mme provenance. Les principales sont celles de Laghouat, au Sud-Ouest des monts des Ouled Nail et la tte de loued Djedi, qui, savanant de lOuest lEst, creuse un long sillon dans le Nord du dsert ; celles ds Zibans, dans la rgion de Biskra ; enn celles qui se sont for-mes aux points o des rivires dbouchent de lAurs, du dje-bel Chechar et des terrasses des Nmenchas. Au Sud du Hodna, entre des plissements des monts des Ouled Nal, les Romains ont tabli, bien au del de leur frontire, une ligne de postes militaires, qui ne sarrtait qu peu de distance de Laghouat et gardait un passage reliant le Hodna et le Sahara. Ils ont occup les oasis des Mans et, de ce ct, la limite de lEmpire longeait loued Djedi ; puis elle suivait le bord mridional du massif de lAurs.

  • 18 LES CONDITIONS DU DEVELOPPEMENT HISTORIQUE.

    VI

    La Medjerda nat dans les montagnes qui slvent au Sud du bassin de Guelma et va dboucher dans le golfe de Tunis. Elle pntre en Tunisie aprs stre glisse dans une cluse, limite par deux plissements dun massif, dont les cha-nes couvrent langle Nord-Est de lAlgrie, entre la plaine de Bne, la Calle et Souk Ahras, et se continuent dans la Tunisie septentrionale, au mord du cours moyen du euve, en Khou-mirie et de Mogodie. Cette rgion trs accidente offre des suites de croupes allonges, orientes, comme lAtlas saharien, du Sud-Ouest au Nord-Est, coupes par de profonds ravins, spares par des valles courtes et troites. Des falaises pic dominent la Mdi-terrane entre la plaine de Bne et le cap Blanc, voisin de Bi-zerte. Elles sont interrompues par des dunes lEst de Tabarca, le point du littoral qui communique le plus facilement avec la valle de la Medjerda. Les grs, du massif, de mme nature que ceux qui stendent plus lOuest jusqu la grande Kabylie, portent de magniques forts de chnes. Les pluies sont trs abondantes, les sources nombreuses. Il y a de beaux pturages dans les valles et les clairires. Mais le sol siliceux se prte mal la culture des crales. Au Sud dune bonne partie de cette zone montagneuse, depuis la frontire algrienne jusquau conuent de loued Bja, la Medjerda traverse deux plaines, celle de Ghardimaou et celle de la Dakhla, qui furent autrefois des lacs. La pre-mire a une vingtaine de kilomtres de longueur, lautre est beaucoup plus tendue; une barrire, coupe par le euve, les spare. A lextrmit oppose de la Dakhla, la Medjerda se heurte des chanes quelle franchit avec peine, par des dls tortueux,

  • LES RGIONS NATURELLES DE LAFRIQUE DU NORD. 19

    et quelle longe ensuite jusque vers Tbourba. L, commence sa basse plaine, accrue, dans le cours des sicles, par les alluvions que ses eaux entranent vers la mer et souvent encore inonde.Combles par les limons fertiles quont apports la Medjer-da, loued Mellgue (qui rejoint ce euve dans la Dakhla) et dautres rivires, les plaines de Ghardimaou et de la Dakhla, les Grandes chanes des anciens(1), sont dadmirables terres crales. Elles ont t exploites ds lpoque punique. Le centre de la Tunisie est occup, au Sud de la Medjerda, par un vaste plateau, dune hauteur moyenne de 800 mtres(2). Cest, en ralit, un immense dme, trs surbaiss, parsem de bosses irrgulires, dcoup par les rosions en tables, dont les ancs tombent pic sur des valles profondes(3). De l, des ri-vires schappent dans toutes les directions. Au Nord, ce sont loued Tessa, loued Khalled et la Siliana, afuents de la Me-djerda ; lOuest, des oueds qui se jettent dans loued Mell-gue ; au Sud et lEst, des cours deau qui vont converger vers la sebkha Kelbia, prs de Kairouan ; au Nord-Est, loued et K-bir, appel plus bas oued Miliane, qui apporte en toute saison de leau au golfe de Tunis. Les valles, plus ou moins larges, que ces rivires parcourent et qui stoilent autour du plateau central, ont un sol form dalluvions paisses et fertiles. Sur le plateau, dominent des marnes, mlanges de phosphate de chaux et propres la culture des crales. Les sources ont, pour la plupart, un dbit mdiocre, mais elles abondent. Dordinaire, il tombe assez de pluie, grce laltitude. Tout ce pays fut jadis trs peupl, trs prospre, mme avant la conqute romaine. Du plateau se dtache, lEst, la chane Zeugitane, forme de calcaires gris ou bleus, aux crtes denteles(4). On y retrouve____________________ (1) Polybe, XIV, 7 ; Tite-Live, XXX, 8. (2) Rgions de Ksour, Ellez, Souk el Djemaa, Maktar, Henchir Mided, Kessera. (3) Pervinquire, Annales de Gographie, IX, p. 441-3 (4) Pervinquire, l. c., p. 447-8.

  • 20 LES CONDITIONS DU DEVELOPPEMENT HISTORIQUE.

    des sries de dmes, souvent morcels, spars par des cuvet-tes : en particulier au djebel Zaghouane, haut de prs de 1300 mtres, massif riche en sources, do les Romains ont tir leau ncessaire lalimentation de la grande ville de Carthage. Cet-te chane se dirige dabord du Sud-Ouest au Nord-Est, comme toutes les montagnes de la Tunisie septentrionale et centrale ; puis, elle soriente vers le Nord et aboutit au fond du golfe de Tunis, prs de Hammam Lif. Des plissements secondaires la anquent et encadrent avec elle, au Nord, la fertile valle de loued Miliane, cultive partout dans lantiquit ; au Sud, la longue plaine de loued Miliane, rivire qui se dtourne ensuite vers le Sud-Est pour rejoindre la sebkha Kelbia. Deux autres plis se prolongent jusqu lextrmit de la pninsule du cap Bon. Dans la Tunisie orientale, les ctes plates qui courent du golfe de Hammamet au golfe de Gabs prcdent la rgion dite du Sahel, bande de plaines basses, comme lEnda (entre la chane Zeugitane et la mer), ou de plateaux trs peu le-vs, comme celui dEl Djem. Au-del, stendent des bassins, dont la cuvette est lgrement concave et que limitent de fai-bles bourrelets. Des lacs fond argileux se forment en hiver au centre de ces plaines, ne laissant gure sur le sol, pendant lt, que des eforescences salines. Le plus important, mais non le plus tendu, est la sebkha Kelbia, au Nord-Est de Kai-rouan, o convergent de nombreux oueds, qui viennent du Nord-Ouest, de lOuest, du Sud-Ouest, et prennent leur origine soit dans la chane Zeugitane, soit dans le plateau central. Ils ne sont pas grossis en route par des afuents, car il ny a que fort peu de sources dans cette rgion, o il ne pleut gure, et ils nalimentent que trs mdiocrement la sebkha, leur eau tant absorbe par lvaporation, ou sinltrant dans des sols trs permables. La sebkha Kelbia nest cependant jamais tout fait sec. Elle a un missaire qui la relie quelquefois. aprs de

  • LES RGIONS NATURELLES DE LAFRIQUE DU NORD. 21

    fortes pluies, une lagune du littoral, la sebkha dHergla. On rencontre dautres lacs plus au Sud; le plus grand est la sebkha Sidi et Hani, au Sud-Est de Kairouan. La Tunisie orientale a des espaces sals, qui ne comportent que llevage du mouton. Mais, en gnral, les terres, lgres, sont composes dlments fertiles. Les bls des environs de Sousse taient fameux dans lantiquit pour la grosseur de leurs pis. Par malheur, les pluies sont trs souvent insufsantes pour la bonne venue des crales : la chane Zeugitane et la masse du plateau central les arrtent du ct du Nord-Ouest. Si les rcol-tes sont assez rgulires autour de Sousse, elles deviennent trs alatoires plus au Sud et lintrieur du pays. Mais, comme la montr M. Bourde(1), la constitution du sol se prte trs bien larboriculture. Sous la couche suprieure, o le sable absorbe rapidement la pluie et que les racines des crales ne dpassent pas, existe, une profondeur assez faible, une couche de tuf calcaire, peu permable. Alors que la surface est compltement dessche, le sous-sol reste humide cest l que se dveloppent les racines des arbres. Ainsi, dans des campagnes o les oueds ne tranent que de misrables lets deau, taris en t, o les sources sont trs rares, une population nombreuse peut vivre par les cultures fruitires. A lpoque romaine; des plantations doliviers couvrirent une grande partie des steppes que parcou-raient auparavant les troupeaux des nomades. A lOuest de cette zone, au Sud du plateau central et des plaines qui continuent celles de la province de Constantine(2), stend une rgion borde au Midi par une vaste dpression vers laquelle elle sabaisse. Cette dpression na jamais t, comme on la soutenu, un bassin maritime, communiquant avec____________________ (1) Rapport, sur les cultures fruitires, en particulier sur la culture de loli-vier, dans le centre de la Tunisie, Tunis, dition de 1809. (2) On ne peut user la limite que dune faon assez arbitraire. Ce serait peu prs car ligne passant par Kasserine, Sbitla, Djilma.

  • 22 LES CONDITIONS DU DEVELOPPEMENT HISTORIQUE.

    le golfe de Gabs. Elle est remplie par le chott et Djerid, qui projette au Nord-Est un long bras, appel chott et Fedjedje, par le chott Gharsa et, plus lOuest (au Sud de lAlgrie), par une suite de sebkhas aux contours capricieux,, dont la principale est le chott Melghir. Dans la Tunisie mridionale, les plissements qui sallon-gent vers la latitude de Gafsa et plus au Sud, jusqu aux chotts, sont gnralement orients de lOuest lEst. Ces chanes hris-sent le pays, limitant des valles ou des plaine, prol courbe, dont le centre est occup, pendant une partie de lanne, par des mares. Au Nord de Gafsa, courent, dans diverses directions, de petites artes, isoles ou soudes entre elles, dominant de lar-ges plateaux. Cette rgion est presque entirement dnude. Les pau-vres pturages des steppes sont brouts par des moutons, des chvres et des chameaux. Cependant, en maints endroits, le sol nest pas infertile beaucoup de terres sont riches en dbris de phosphate de chaux. Mais la pluie tombe trop rarement pour assurer les rcoltes de crales. Les cultures arbustives, qui r-sistent mieux la scheresse, se sont dveloppes, aux pre-miers sicles de notre re, dans les lieux o des amnagements hydrauliques pouvaient procurer aux hommes leau ncessaire pour vivre et faire quelques irrigations. Autour des rares sour-ces, se sont formes des oasis, avec leurs palmiers, accompa-gns dautres arbres fruitiers. Ce pays de transition produit la fois des dattes et des olives(1). A la lisire mme du Sahara, que la domination romaine a atteinte, il y a de belles oasis dans le Djerid, entre le chott el Djerid et le chott Gharsa; dans le Nefzaoua, lEst du chott et Djerid et au Sud du chott et Fedjedje ; enn, sur la, mer, Gabs.____________________ (1) La Blanchre, dons les Nouvelles Archives des missions, VII, 1897, p. 83.

  • LES RGIONS NATURELLES DE LAFRIQUE DU NORD. 23

    VII

    Comme nous lavons dit, nous rattachons lAfrique du Nord, pour des raisons tires de lhistoire, les terres qui bor-dent au Sud, le vaste golfe des Syrtes. A lEst de la grande sorte, stend la Cyrnaque, contre physionomie bien dis-tincte, sorte dle qui appartient la Mditerrane orientale. Une colonisation prospre en t un pays grec ; plus tard, la Cyrnaque, devenue romaine, ne forma quune province avec la Crte. Gographiquement et historiquement, elle appartient un monde tout diffrent de ce que nous appelons, lAfrique du Nord. Entre Gabs et le cap Misrata, le littoral, bas, bord de dunes derrire lesquelles des lagunes stalent et l(1), sem doasis que sparent des espaces dserts, prcde un pays de plaines lgrement ondules, qui slve en pente trs douce vers lintrieur. Cest la Djeffara des indignes, dont la profondeur atteint 100 kilomtres la frontire tunisienne et diminue vers lEst. Sablonneuse et sche, elle nest pas habite. Elle ne ltait pas davantage lpoque antique, sauf dans sa partie Nord-Ouest, en Tunisie, o elle est trs troite : la proximit du bourrelet dont nous allons parler la fait, de ce ct, bncier de quel-ques pluies et permet dutiliser jusque dans la plaine les oueds qui descendent des hauteurs, pour des cultures exigeant peu deau. La Djeffara est domine pic par une longue suite de fa-laises calcaires, qui se dressent une altitude moyenne de 300 mtres, formant un vaste demi-cercle, tourn vers le Sud, depuis les environs de Gabs jusquau voisinage du cap Misrata. Cette____________________ (1) Depuis les parages de Djerba jusquaux ruines de Sabratha.

  • 24 LES CONDITIONS DU DEVELOPPEMENT HISTORIQUE.

    zone(1), que les indignes appellent le Djebel (la Montagne), nest que le rebord dun immense plateau saharien. Elle est loin davoir laspect rgulier d un rempart continu. Sur une largeur variable, elle a t dcoupe, dchiquete, dmantele par les rosions. Parfois, elle se prsente en gradins. Certaines parties ont t dtaches de la masse; elles constituent des avant-cha-nes dans la partie Nord-Ouest du Djebel(2). Au Nord-Est, ce quun nomme le djebel Tarhouna est un plateau ravin, qui for-me une sorte de grand bastion, en saillie sur la bordure, et qui se prolonge, dans la direction de Khoms et de Lebda,.par des collines slevant au-dessus du littoral(3). Le brusque obstacle du Djebel contraint les vents humides qui soufent quelquefois de la mer se dcharger de la vapeur deau quils contiennent ; les pluies, quoique peu frquentes, permettent une popula-tion assez nombreuse de vivre dans cette rgion. Des ruisseaux se prcipitent en cascatelles travers les crevasses, les cou-loirs tortueux, et servent des irrigations ; sur les pentes, ont t constitues des terrasses tages, que bordent des murs de soutnement et qui portent des champs dorge ou des arbres fruitiers, surtout des oliviers et des guiers. Au pied mme des falaises, au del des boulis de la frange saharienne, lirrigation rend la culture possible. Mais les oueds spuisent trs vite; ils nont pas la force de traverser, la Djellara. Derrire le Djebel, commence le dsert, immense champ de pierres. Le littoral occidental de la grande Syrte, au Sud-Est du cap Misrata, est bord par la longue lagune, aujourdhui dess-che, de Taorga, vers laquelle convergent de nombreux oueds, venant de lOuest. Ces ravins sillonnent le plateau saharien qui, de ce cot, sincline vers lOrient et qui nest quune vaste so-litude. Mais les fonds plats et souvent assez larges des oueds____________________ (1) Elle porte successivement les noms de djebel Matmata, djebel Demmer, djebel Douirat, djebel Nefousa, djebel Yffrne, djebel Gariana. (2) Dans le pays des Ourghammas, en avant du djehel Demmer. (3) Collines de Msellata.

  • LES RGIONS NATURELLES DE LAFRIQUE DU NORD. 25

    sont imprgns de quelque humidit, circulant par un parcours souterrain, et ne se refusent pas de pauvres cultures. Ces tha-lwegs ont t peupls dans lantiquit, comme ils le sont encore aujourdhui. Dans les intervalles pierreux qui les sparent, la vie a toujours t impossible. Au Sud de la grande Syrte, le dsert savance jusquau rivage. Il ny a rien tirer de cette rgion; il a suf aux anciens dtablir, le long de la cte, une route assurant les communica-tions avec la Cyrnaque.

    VIII

    Cet aperu gographique montre combien lAfrique du Nord manque de cohsion. Si les rgions que renferme la France sont trs diffrentes, elles se groupent autour dun noyau central, elles se succdent sans violents contrastes, elles souvrent et se parcourent par des voies faciles, terrestres et uviales. La France est un pays dhar-monie et dquilibre. Il nen est pas de mme de la Berbrie. Stendant sur une longueur de plus de quatre cents lieues, de-puis locan Atlantique jusquau golfe des Syrtes, mais nayant quune largeur mdiocre, elle se prte mal la formation dun empire unique, au dveloppement dune civilisation uniforme. A lOuest, il est vrai, la contre fertile comprise entre lOcan, le Rif et lAtlas forme un ensemble assez bien agenc(1) ; lEst, un grand plateau, dailleurs tourment, occupe le centre de la Tunisie, et de nombreuses valles en rayonnent, Mais, mme proximit de ces deux rgions, il en est dautres que la nature a isoles : au Nord du Maroc, le Rif, hriss de chanes____________________ (1) Il ne faut cependant pas en exagrer lunit ; voir Th. Fischer, .Mittel-meerRilder, II, p. 370. Au Sud de loued Bou Regreg, le pays trs accident des Zars spare les deus rgions qui ont actuellement pour capitales Fez et Merra-kech, coupant eu deux le pays obissant au sultan du Maroc.

  • 26 LES CONDITIONS DU DEVELOPPEMENT HISTORIQUE.

    compactes ; au Sud, le Sous, qui senfonce entre deux hauts remparts ; au Nord de la Tunisie, le massif bois de la Khoumi-rie. Dans lintervalle, lAlgrie est obstrue par des montagnes le long de la Mditerrane, en grande partie occupe par des steppes lintrieur des terres. Dans ce corps long et mince, mal conform, les cours deau nassurent pas la circulation. La navigation nest possi-ble que sur deux ou trois euves de lOuest du Maroc(1), qui sont spars de la mer par une barre dangereuse. Les autres rivires se desschent presque toutes, ou nont quun dbit in-signiant pendant lt ; en hiver, ce sont pour la plupart des torrents, se prcipitant dans un lit encombr de rochers, par de fortes pentes. Leurs valles mmes noffrent que rarement des voies dun accs facile. Pour gagner la Mditerrane, de nombreux oueds coupent transversalement des chanes parallles la mer; ils se fraient avec peine un passage par des gorges pro-fondes et tortueuses, ou par de brusques cascades ; dautres, dont le cours sadapte lorientation gnrale du relief, sont parfois resserrs entre deux plissements, ou doivent rompre et l des obstacles, par des dls troits. Le euve le plus im-portant de lAfrique septentrionale, la Medjerda, traverse, en amont et en aval des Grandes Plaines, deux rgions tourmen-tes, o sa valle se rduit un couloir. Dans le Tell algrien, les longues valles du Chlif et de la Soummane stranglent en deux endroits. Entre les plaines de Guelma et de liane, la Seybouse est un foss parois rocheuses. Plus loin vers lintrieur, des oueds vont se perdre dans des cuvettes sans issue. Les rivires de la Berbrie ont quelquefois servi de limi-tes politiques. Mais leur rle conomique a toujours t trs modeste. Beaucoup changent de nom, selon les pays quelles____________________ (1) Surtout loued Sebou.

  • LES RGIONS NATURELLES DE LAFRIQUE DU NORD. 27

    parcourent : ce qui prouve quon ne les suit gure. Au del du littoral, les villes du Tell se sont leves auprs de sources abon-dantes et dans des lieux faciles dfendre ; elles nont pas t, comme tant de cits gauloises, des carrefours uviaux. Parmi les rgions naturelles de lAfrique du Nord, certains massifs montagneux sont trs peupls, malgr la mdiocrit du sol, car les hommes sy sentent plus en scurit quailleurs tels lAurs, la grande Kabylie, le Rif(1). Il sy est form de peti-tes socits, jalouses de leur indpendance, noccupant que des territoires restreints. La valeur des pays plats est, nous lavons vu, fort in-gale. Les uns ne reoivent pas assez de pluie, dautres sont ma-rcageux, dautres striliss par la forte proportion de sel qui se mle la terre. Sauf quelques rgions tendues, surtout le centre de la Tunisie et lOuest du Maroc, les espaces fertiles ne forment que des lots, qui contrastent avec la pauvret et la rudesse des pays environnants, et qui communiquent difcile-ment entre eux, par des passages dont les montagnards sont les matres. Cette vaste contre tait-elle donc destine navoir dautre histoire que les annales monotones dune foule de can-tons, agits par des ambitions vulgaires et de mesquines querel-les de voisinage ? Il est certain que les Berbres ont trop souvent dpens leur nergie dans des luttes, sans grandeur et sans intrt, din-dividus, de familles, de coteries, de villages, de tribus. Ils ont presque toujours manqu des sentiments de large solidarit qui constituent les nations(2)._____________________ (1) Il nen est pas de mme du Moyen et du Haut-Atlas, o la densit de la population est faible : Bernard, le Maroc, p. 136, 163. (2) On peut dire deux ce que Strabon (III, 4, 5) disait des Espagnols : .., nayant daudace que pour les petites choses, mais incapables den entrepren-dre de grandes, parce quils navaient pas su se former en socits fortes et puis-santes.

  • 28 LES CONDITIONS DU DEVELOPPEMENT HISTORIQUE.

    Cependant des rapports se sont tablis de bonne heure en-tre les habitants des diverses rgions de lAfrique septentriona-le. Une seule langue sest rpandue partout, celle dont drivent tous les dialectes berbres. Dans les stations qui remontent da civilisation de la pierre, on trouve dj des indices de lointains changes. La domestication de certains animaux dut rendre les relations plus frquentes et plus rgulires : le climat obligeait, en effet, beaucoup de pasteurs transhumer. Les nomades du Sud eurent besoin des crales moissonnes par les agriculteurs du Tell, auxquels ils apportrent les laines de leurs troupeaux et les dattes des oasis. Des groupements, que nous appelons des tribus, naqui-rent sans doute des besoins de la dfense et de lattaque. Plus tard, des tats se formrent, unissant des rgions naturelles distinctes, mais coupant en tronons la longue bande nord-africaine. Carthage sannexa une grande partie de la Tunisie, un royaume se constitua dans le Maroc, dautres royaumes stendirent sur lAlgrie et la Tunisie occidentale. Enn, Rome t, en plusieurs tapes, la conqute de tout le pays. Mais chacune des provinces quelle cra vcut de sa vie pro-pre. Tandis que Lyon fut vritablement la capitale des Gaules, Carthage, redevenue aux premiers sicles de notre re une des plus grandes villes du monde, ne fut que le chef-lieu dune de ces provinces. Dans lantiquit, lAfrique du Nord na jamais eu une en-tire unit politique et administrative, comme la valle du Nil et les plaines ouvertes de la Msopotamie(1). Ses matres nont jamais pu faire accepter leur domination dune manire d-nitive et complte. Les souverains des grands royaumes mau-res et numides ne paraissent pas avoir t aussi absolus quils____________________ (1) O lagriculture dpend dirrigations qui exigent des mesures gnrales et solidaires, par consquent un gouvernement obi de tous. Les conditions de lexploitation du sol sont autres dans la Berbrie.

  • LES RGIONS NATURELLES DE LAFRIQUE DU NORD. 29

    prtendaient ltre; ils eurent souvent, comme Carthage, il r-primer les soulvements de leurs sujets. La paix romaine fut frquemment trouble par des rvoltes dindignes, dont les moins graves ne furent pas celles qui clatrent sous le Bas-Empire, aprs plusieurs sicles doccupation. La structure du pays maintenait chez ses diverses popu-lations le contraste des murs et des intrts. La civilisation et la barbarie vivaient cte cte : lune, dans les plaines et les plateaux fertiles ; lautre, dans les rgions dshrites des step-pes, dans les massifs montagneux qui dominaient et isolaient les riches campagnes, et do elle guettait les occasions favora-bles pour se prcipiter au pillage. Cette opposition a empch la formation dune nation berbre, matresse de ses destines, et, quand la conqute trangre a pu imposer lAfrique sep-tentrionale une apparence dunit, elle na pas russi fondre dans une harmonie durable des lments aussi disparates.

  • CHAPITRE II

    LAFRIQUE DU NORD DANS LE MONDE

    MDITERRANEN

    I

    LAfrique du Nord est peine une terre africaine. Au Sud, elle est isole du centre du continent par un im-mense dsert, qui existe depuis de longs sicles(1). Des textes grecs et latins nous apprennent que des populations noires oc-cupaient dans lantiquit la plupart des oasis du Nord du Sa-hara(2). Mais nous ne savons pas si ces thiopiens taient troitement apparents aux Soudanais ; en tout cas, ils nem-pitaient pas, du Moins aux temps historiques, sur la Berbrie proprement dite. Le transit entre lAfrique septentrionale et le Soudan dut se dvelopper avec lemploi gnral du chameau, vers les IIIe et IVe sicle de notre re. Mais il ne cra pas, notre connaissance, de liens politiques, il ninua pas sur la civilisation des deux contres(3)

    Du ct de lOrient, on devine des rapports trs anciens____________________ (1) Pour le climat du Sahara dans lantiquit, voir chap. III. (2), Voir livre II, chap, IV. (3) Il nen fut pas de mme, il est vrai, quelques poques plus rcentes. Les Almoravides, au onzime sicle, le sultan marocain El Mansour, il la n du seizime, tendirent leur domination jusquau Soudan ; conf. Schirmer, le Sahara, p. 237-8. La propagation de la religion chrtienne au Soudan se t par lAfrique du Nord.

  • LAFRIQUE DU NORD DANS LE MONDE MDITERRANEN 31

    entre la Berbrie et le Nord-Est de lAfrique. Les langues ont la mme origine lointaine. Les ressemblances physiques dune partie des habitants permettent de croire des parents plus on moins troites, Vers le second millnaire avant une divinit gyptienne tait adore dans le Sud-Ouest de lAlgrie(1), Mais, lpoque historique, les relations par terre entre le Nord-Ouest et le Nord-Est du continent neurent aucune importance : les d-serts qui bordent la grande Syrte sparaient la Cyrnaque grec-que de lAfrique carthaginoise, puis latine. Ce fut seulement la n des temps antiques que la voie de terre fut suivie par les con-qurants arabes ; trois sicles aprs, les conqurants fatimides prirent la mme route, en sens inverse, Pour gagner lgypte. La Berbrie appartient la Mditerrane occidentale, bien plus qu lAfrique. Cest avec les deux pninsules euro-pennes qui savancent vers elle, lItalie et lEspagne, quelle a eu les relations les plus nombreuses et les plus fcondes. Des anciens la plaaient en Europe(2). Si vous voulez en croire la renomme, dit Lucain(3), la troisime partie du monde est la Libye, mais si vous tenez compte des vents et du ciel, vous la regarderez comme une partie de lEurope. Autant que son climat, sa structure, sa ore, et, dans une certaine mesure, sa faune la rattachent au Sud de notre continent, Elle ressem-ble surtout lEspagne(4) par les hautes terres qui occupent la____________________ (1) Voir livre Il, chap. III. (2) Salluste, Jugartha, XVII, 3 : In divisione orbis terrae plerique in parte tertin Africam posuere, pauci tantummodo Isiam et Europam esse, sed Africam in Europa. Voir aussi saint Augustin, Civ. Dei, XVI, 17 ; Orose, Adv. paganos, 1, 2, 4 et 83. Conf. II. Berger, Geschiekte der wissenschaftlichen Erdkunde der Griechen, 2e dit., p. 78, n. I. (3) Pharsale, IX, 411-3 ; Tertia pars rorum Libye, et credere famae. Cuncta velis ; at, si ventos caelumque sequaris, Pars erit Europae. Je ne crois pas quau vers 413 on puisse lire par : pars se justie par le contexte (tertia pars, etc.) et aussi par le passage de Salluste cit la note prcdente. (4) Conf. Bernard et Ficheur, Annales de Gographie, XI, 1902, p. 222 ; Joly, Bull.de la Socit de gographie dAlger, XII, 1907, p. 283 et suiv.

  • 32 LES CONDITIONS DU DEVELOPPEMENT HISTORIQUE.

    majeure partie des deux contres, par les plaines basses qui, et l, stendent dans le voisinage du littoral, au pied de mon-tagnes escarpes, par le rgime et la disposition des rivires, torrents en hiver, fosss pour la plupart desschs en t, qui se fraient difcilement un passage vers la mer et sont des sillons plutt que des voies. LAfrique du Nord fut soude jadis lEurope. Le dtroit de Gibraltar ne date que du dbut de lpoque pliocne(1). La Tunisie a peut-tre t relie lItalie pendant une partie de lpoque quaternaire, dans des temps o ces deux contres pou-vaient tre dj habites par des hommes(2). Du reste, dans sa forme actuelle, la Mditerrane occiden-tale nest pas un obstacle infranchissable, mme pour des pri-mitifs, ne disposant que de moyens de navigation trs rudimen-taires. Le dtroit de Gibraltar a seulement quatorze kilomtres de largeur(3) : il convient dajouter que les courants et les vents rendent le passage difcile. Ailleurs, les lignes grises des les, se prolant dans les clairs horizons, pouvaient guider les traverses et promettaient des abris. La mer intrieure nest que trs rare-ment voile par des brouillards et, pendant des priodes plus ou moins prolonges, on peut se er au calme de ses ots. En gnral, les ctes dAfrique, entre le dtroit et le Nord-Est de la Tunisie,____________________ 1. Gentil, apud de Segonzac, Au cur de lAtlas p. 707 et suiv. Il est vrai quauparavant, la Mditerrane et lOcan communiquaient peut-tre par des d-truits, souvrant 1un au Nord de la Cordillre btique, lautre au Sud du Rif : Gen-til, le Maroc physique, p. 93 et suiv. De son ct, M. Boule (dans lAnthropologie, XVII, 1906, p. 283-4) se demande si, lpoque pliocne, une communication ter-restre na pas exist, lOuest du dtroit, entre le Maroc et la pninsule ibrique. 2. Boule, 1. e., p. 283. 3. Exactement 13800 mtres au point le plus troit, 16030 au point le plus large. Tissot (Mmoires prsents lAcadmie des Inscriptions, IX, 1re partie, 1878, p. 173 et suiv.) est dispos croire que le dtroit sest largi depuis les temps historiques. Strabon (II, 5, 19 ; XVII, 3, 6) indique une largeur de 60 70 stades (11100 et 12050 mtres) ; Pline lAncien (III, 3 et 4) donne dautres chiffres, inf-rieurs aussi aux chiffres actuels. Nous aimais mieux admettre des erreurs dans le calcul des distances.

  • LAFRIQUE DU NORD DANS LE MONDE MDITERRANEN 33

    sont bordes par de grandes profondeurs : avant de les attein-dre, on ne risque gure de sabmer sur des rcifs. Il est vrai que, frquemment, des vents violents dchanent de subites temptes(1) : vents qui soufent de lOuest et du Nord-Ouest, en hiver, vents de Nord-Est et dEst, de mai octobre. Les parages des Syrtes taient trs redouts des anciens et cl-bres par leurs naufrages(2) : le plus grand de ces golfes est surtout dangereux, soit par les vents du Nord(3), qui poussent les navires la cte, soit par les vents du Sud, qui, parcourant librement des terres basses, viennent bouleverser les ot(4). Aux approches des ctes, certains courants peuvent contrarier les marins. Tels sont ceux qui se heurtent autour du cap Bon : tel celui qui, venant de locan, longe le littoral du Maroc, de lAlgrie et de la Tunisie : sil favorise les voyages dOuest en Est, il gne ceux qui sac-complissent dans le sens oppos. Il faut aussi tenir compte des calmes plats, qui rgnent parfois sur la Mditerrane pendant plusieurs jours et qui sont un obstacle la navigation voile. Mais les relations maritimes de lAfrique du Nord avec les autres contres mditerranennes sont surtout entraves par la nature de ses ctes. Mer sans ports , dit Salluste(5). Lhis-torien exagre. Il est exact, cependant, que, sur ce littoral, les abris sont peu nombreux. Il noffre pas de dcoupures profon-des, formant des havres bien protgs : ce qui sexplique, par la plus grande partie de la cte septentrionale, par le parall-lisme du rivage et des montagnes qui le bordent. Les golfes____________________ 1. Mare saevum , dit Salluste, Jug., XVII, 3. 2. Priple du Pseudo-Scylax, 110 (Geographi graeci minores, dit. Mller, 1, p: 88), Salluste, Jug., LXXVIII, 3. Pomponius Mla I, 35 et 37. Lucain, IX, 439 et suiv. Josphe, Bell. jud., II, 381. Silius Italicus, II, 63 ; III, :320 ; VII, 510 ; XVII, 246, 634. Procope, dices, VI, 3. Corippus, Johannide, I, 356 et suiv. Etc. Cette mauvaise rputation tait dailleurs exagre : voir Perroud, De Syrticis emporiis, p. 117-123 ; Tissot, Gographie de la province romaine dAfrique, I, p. 223. 3. Conf. Stace, Thbade, VIII, 416-7. 4. Lucain, IX, 310 et suiv. ; Silius Italicus, XVII, 246-7. Conf. Tissot, l. e. 5. Jug., XVII, 5 : mare... inportuosum .

  • 34 LES CONDITIONS DU DEVELOPPEMENT HISTORIQUE.

    tendus sont rares(1). Ceux de lAlgrie souvrent trs large-ment au Nord, celui de Tunis, au Nord-Est, cts do viennent des vents redoutables. Il ny a ailleurs que des chancrures, creuses par des empitements de la mer sur des terrains peu rsistants : elles sont plus ou moins exposes aux soufes du large. Le littoral septentrional de la Berbrie consiste surtout en des pentes raides ou en des falaises verticales, contre lesquelles les navires, entrans par les vents, risquent de se briser. Sur quelques points, il sabaisse, mais il est alors bord de dunes. A lOuest, le long de lOcan, des suites de falaises et de du-nes foraient un rivage monotone, peu prs dpourvu de fortes saillies et de baies(2), sans dfense contre les vents dOuest et du Nord : on ny trouve aucun bon abri. Les ctes orientales de la Tunisie, exposes aux vents dEst et de Nord-Est(3), et cel-les de la Tripolitaine sont basses, sablonneuse, souvent bordes de lagunes et prcdes de hauts-fonds(4) ; l aussi, les abris srs font dfaut(5). Dans la petite Syrie, o la mare slve jus-qu trois mtres, le reux accrot les dangers dchouement(6).Pourtant, les marins de lantiquit avaient besoin de nombreux ports. Pendant longtemps, ils craignirent de sloigner des ri-vages et vitrent de voyager la nuit. Le soir, autant que pos-sible, ils sarrtaient, ils tiraient leur btiment sur la grve : ils se rembarquaient au jour, aprs avoir fait leur provision deau. A ce cabotage primitif, il fallait de nombreuses esca-les(7). Plus tard, les vaisseaux saventurrent plus facilement en____________________ 1. Conf. Srabon, II, .1, 3, 33 ; Pline, V, 1. 2. Strabon (XVII, 3, 2) dit le contraire, mais il a tort. 3. Conf. Corippus, Johannide, I, 339-360. 4. Conf. Polybe. I, 39, 3 ; Salluste, Jug., LXXVIII, 2-3 ; Strabon, XVII, 3, 20 ; Mla, 1, 33 ; Lucain ; IX, :303 et suiv. 5. Conf. Mla. l. c.; Procope, Bell. vand., I, 13, 8. 6. Sur ces mares, voir Polybe, 1. c.; Strabon, XVII, 3, 17 et 20 ; Mla, l. c.: Pline, V, 26 ; Denys le Prigte, 107, 198 et suiv., et le commentaire dEustathe (dans Geogr. gr. min. de Mller, II, p. 109, 112, 232) ; Solin, XXVII, 3-4. 7. Voir ce sujet Brard, les Phniciens et lOdysse, I, p. 303 et suiv.

  • LAFRIQUE DU NORD DANS LE MONDE MDITERRANEN 35

    pleine mer et, dans le port, ils demeurrent au mouillage. Mais la navigation resta assez timore, la merci des sautes de vent, en qute de refuges. Aussi, mme lpoque romaine, les ports abondaient-ils sur les ctes africaines, comme le prouvent les indications dcrits qui datent du IIe et du IIIe sicle de no-tre re(1). Quelques-uns taient bons, la plupart mdiocres ou mauvais, parfois, ils occupaient des embouchures de rivires ctait le cas de plusieurs ports du Maroc, de Leptis Magna en Tripolitaine(2). Mais, sur lOcan, laccs des euves est rendu difcile par lexistence dune barre ; ailleurs, lensablement par les alluvions est un grave obstacle. Dautres ports furent ta-blis en arrire dune ou de plusieurs les, trs rapproches de la cte(3). Les Phniciens recherchaient ces positions avantageu-ses : lle formait un cran contre les vents du large ; elle tait aussi un emplacement favorable pour des entrepts, dfendus contre les convoitises des indignes. Souvent encore, le port tait abrit par un cap, pointe en roches dures qui avait mieux rsist lrosion que les parages voisins ; sur le littoral septen-trional, le havre se trouve en rgle lEst du cap, qui le couvre des vents dangereux dOuest et de Nord-Ouest(4). Plus tard, on constitua quelques ports articiels, en construisant des jetes, ou en creusant des bassins intrieurs. Ce ntait pas seulement la raret des bons ports naturels qui pouvait carter les trangers, de lAfrique du Nord. Ctait aussi la difcult de pntrer dans lintrieur du pays, soit pour y traquer, soit pour en prendre dnitivement possession. Sur la cte septentrionale, les plaines bordant la mer sont rares et____________________ 1. Ptolme, la Table de Peutinger, litinraire dAntonin, le Stadiasme. 2. Voir aussi Pseudo-Scylax, III (Geogr. Gr. Min., I, p. 90) : Il sagit peut-tre de Tns ; conf. Gsell, Atlas archologique de lAlgrie, I, 12, n 20. 3. Thapsus, Utique, Tabarca, Alger, Tipasa, Cherchel, Rachgoun (Portus Si-gensis), Mogador, Voir aussi dans Scylax la mention dles situes probablement entre Cherchel ( ) et lle de Rachgoun et qui paraissent avoir disparu. 4. Bne, Stora, Collo, Bougie, Dellys, Alger, Arzeu, Melilla.

  • 36 LES CONDITIONS DU DEVELOPPEMENT HISTORIQUE.

    nous avons vu(1) quelles navaient que peu de valeur pour les anciens. Presque partout, des chanes de montagnes se dressent comme des remparts, au-dessus de ces plaines, ou immdia-tement au-dessus des ots. Il y a bien quelques voies daccs vers lintrieur. Des places maritimes ont pu tre cres leur dbouch : Tabarca, prs de loued et Kbir: Hippone, non loin de la Seybouse(2), Bougie, lextrmit de la valle de la Soum-mane. Mais ces routes stranglent bientt(3). Au Nord-Est, le golfe de Tunis, sur lequel les Phniciens fondrent Utique et Carthage, savance dune cinquantaine de kilomtres dans les terres : il reoit un euve important, la Medjerda. Ce fut dans lantiquit la porte principale de lAfrique du Nord, lentre de la Mditerrane occidentale, en face de la Sicile. Cependant la valle de la Medjerda nest pas une voie dpourvue dobsta-cles(4). Des ctes de lOcan et de la Tunisie orientale, la pn-tration est plus facile, mais cest prcisment dans ces parages que les ports naturels manquent le plus; en outre, ils sont dj loigns des contres qui font face la Berbrie et qui sont, par consquent, destines avoir avec elle les relations les plus suivies, Lorsquun conqurant a pris pied dans ce pays, il lui est malais de senfermer dans les rgions dont la possession lui semble protable. Il est entran tendre sa domination sur les peuplades belliqueuses qui menacent sa conqute ; des plaines fertiles, il doit pntrer dans les massifs montagneux qui ser-vent de repaires aux pillards; du littoral, il doit savancer jus-quaux espaces parcourus par les nomades, jusquaux steppes, jusquau Sahara.____________________ 1. P. 6-7. 2. LUbus (la Seybouse) dbouchait dans lantiquit plus lest quaujourdhui, par consquent quelques kilomtres dHippone, et non auprs de cette ville voir Gsell, Atlas, t 9, n 180. 3. Voir p. 20. 4. Voir p. 18.

  • LAFRIQUE DU NORD DANS LE MONDE MDITERRANEN 37

    II

    Toutes ces difcults expliquent lisolement relatif de la Berbrie, lattrait assez mdiocre quelle a exerc. Le dtroit de Gibraltar a d arrter plus dun peuple(1) ; dans lantiquit historique, les Vandales seuls lont travers en masse. Quand les Phniciens stablirent dune manire durable en Afrique, ils paraissent stre soucis surtout doccuper lentre de la Mditerrane occidentale et de jalonner dune suite de stations la route qui reliait lEspagne au bassin oriental de cette mer. Carthage ne se constitua un territoire africain que plus de trois sicles aprs sa fondation, alors quelle possdait dj un vaste empire colonial. Rome ne simplanta en Tunisie que pour em-pcher son ennemie de renatre et pour garder le passage entre les deux bassins de la mer intrieure ; elle attendit prs de deux cents ans pour occuper toutes les ctes africaines, jusqu lex-trme Ouest. Ce fut pour se dfendre qu plusieurs reprises, elle avana ses frontires vers le Sud. Cependant les afnits de lAfrique du Nord avec les pays qui sont si voisins delle devaient ncessairement crer des ci-vilisations et des dominations communes. Carthage rgna en Espagne et sur une partie des les mditerranennes, comme sur la Tunisie et sur les rivages de lAlgrie et du Maroc. Elle sattacha surtout, avec une longue obstination, maintenir et accrotre ses possessions de Sicile, voulant tre matresse du dtroit qui donne accs la Mditerrane occidentale. Rome soumit tous les peuples de la mer intrieure; elle rpandit les murs latines en Afrique, comme en Espagne et en Gaule. Parmi ses provinces africaines, la Proconsulaire fut, certains gards, un prolongement de lItalie, la Maurtanie Tingitane, une sorte____________________ 1. Les Celtes et les Goths, qui ont conquis une grande partie de lEspagne, nont pas travers le dtroit

  • 38 LES CONDITIONS DU DEVELOPPEMENT HISTORIQUE.

    de boulevard de lEspagne. Plus tard, lIslam stendit en Espa-gne et en Sicile, aprs avoir conquis le Maghrib ; la civilisation musulmane du Maroc et de lOuest de lAlgrie ressembla celle de la pninsule ibrique. Les Portugais et Charles-Quint ont tent de stablir dans lAfrique du Nord, dont la France est dsormais matresse. Depuis des sicles, le commerce de la Berbrie sest fait surtout avec les autres pays de la Mditerrane occidentale : do limportance quont dans cette contre les villes mariti-mes. Mme quand elle na pas t rattache lEurope par des liens politiques et des relations paciques, elle na pas pu se passer delle : lpoque vandale, lpoque turque, elle sest enrichie ses dpens par la piraterie. La pointe Nord-Est de lAfrique Mineure, qui nest loi-gne de la Sicile que de 140 kilomtres, spare les deux bas-sins de la Mditerrane. Lune de ses petites faces est tourne vers le bassin oriental, tandis que sa pointe Nord-Ouest limite avec lEspagne lextrmit du bassin occidental. On comprend quelle ait pu servir de lieu de passage et de champ de bataille entre lOccident et lOrient, que, dans une certaine mesure, elle ait eu une destine comparable celle de la France, dont lhis-toire est domine par lopposition et laction rciproque du Midi et du Nord(1). Au seuil des deux bassins, Carthage fut une nou-velle Tyr, qui soumit une partie de lOccident et y rpandit ses marchandises, voire mme ses murs et ses croyances. Puis, Rome abattit sa rivale et t rgner dans tout lOccident la civi-lisation latine. Aux premiers sicles de notre re, ce fut surtout en Afrique que slabora la fusion des lments orientaux et oc-cidentaux dans le christianisme. A la domination des Vandales, ces Germains qui vinrent par lextrme Ouest, succda celle de lempire byzantin, la fois hritier de Rome et reprsentant____________________ 1. Jullian, Histoire de la Gaule, 1, p. 66 et suiv.

  • LAFRIQUE DU NORD DANS LE MONDE MDITERRANEN 39

    de la civilisation grco-orientale. Enn, la conqute arabe rom-pit les liens qui attachaient lAfrique au monde latin et y im-planta la religion et la langue de lIslam. Isole par la mer et par le disert, dun abord et dune p-ntration difciles, lAfrique du Nord tait cependant appele, par sa position gographique, t tenir une place importante de lhistoire de la Mditerrane. Mais elle a beaucoup plus reu que donn. Incapables de runir en un faisceau toutes leurs forces, de fonder un empire et de crer une civilisation qui leur fussent propres, ses habitants ont accept ou subi les suprmaties matrielles et les inuen-ces morales qui, successivement, se sont prsentes eux. Ils ont mme contribu les propager. Des guerriers libyens ou berbres conquirent lEspagne au prot de Carthage et de lIs-lam; les grands crivains latins de lAfrique chrtienne aidrent puissamment au triomphe dune religion qui, quelques sicles aprs, disparut compltement de leur patrie.

  • CHAPITRE III

    LE CLIMAT DE LAFRIQUE DU NORDDANS LANTIQUIT

    I

    Le climat de lAfrique du Nord sest-il modi depuis lantiquit ? Cette question a t souvent pose(1), et les rpon-ses ne concordent pas. Nous devons lexaminer de trs prs, car elle est fort importante. Pendant une partie de lpoque dont nous crivons lhistoire, lAfrique septentrionale a joui dune grande prosprit agricole : il sagit de savoir si cette prosprit a eu pour cause principale un climat plus favorable la culture que le climat daujourdhui, ou si elle a t surtout luvre de lintelligence et de lnergie des hommes ; si nous devons nous borner regretter un pass qui ne revivra plus, ou lui demander au contraire des leons utiles au temps prsent.____________________ 1. Voir en particulier: Th. Fischer, Utudien ler, dans Petermanus Mitteilun-gen, Ergunzungsheft LVIII, 1879, p. 44-46 ; le mme,dans Petermanus,Mitteil., XXIX, 1883, p. 1-4 ; Partsch, dans Verhandlungen des arhten deutschen Geogra-phentages (Berlin. 1899), p. 116-123 ; Cat, Essai sur la province romaine de Mau-rtanie csarienne, p. 40-48; La Blanchre, dans Nouvelles Archives des missions, VII, 1897, p. 23 et suiv. ; Carton, Climatologie et agriculture de lAfrique an-cienne, dans Bulletin de lAcadmie dHippone, XXVII, 1894, p. 1-43 ; le mme, Variations du rgime des eaux dans lAfrique du Nord, dans Annales de la Socit gologique du Nord. XXIV, 1896, p. 29-47 ; le mme, historiens et physiciens, dans Bull. de lAcad. DHippone, XXVIII, 1800, p.77.89 ; le mme, Note sur la di-minution des pluies en Afrique, dans Revue tunisienne, III, 1896, p. 87-94 ; Leiter, Die Frage der Klimanderung whrend geschichtticher Zeit in Nord-Afrika, dans Abhandlungen der geographischen Gesellschaft in Wien, 1900, n 1.

  • LE CLIMAT DE LAFRIQUE DU NORD DANS LANTIQUIT 41

    Indiquons tout dabord les traits gnraux du climat actuel(1). LAfrique du Nord est situe dans la zone tempre borale, mais dans la partie mridionale de cette zone. Elle est comprise en effet entre le 29 de latitude Nord (extrmit occidentale de lAnti-Atlas) et le 37 (extrmit Nord-Est de la Tunisie). Elle appartient donc laire des pays chauds. Cependant le voisinage ou lloignement de la mer et la diversit des altitudes y dter-minent des diffrences de temprature bien marques. Cette contre offre une trs grande tendue de ctes, le long desquelles linuence rgulatrice de la mer tablit un cli-mat o les maxima de chaleur et de froid ne prsentent pas de grands carts. Il est rare que le thermomtre descende au-dessous de zro, du moins dans le cours de la journe, et quil slve au-dessus de 30 degr centigrades. Il faut nanmoins tenir compte, mme proximit du littoral, des refroidisse-ments nocturnes, qui saut causs par le rayonnement dans les temps clairs, frquents en Afrique, et qui affectent la couche infrieure de latmosphre, jusqu une hauteur denviron un mtre; il arrive souvent en hiver, et parfois mme au printemps, que la temprature, pendant une partie de la nuit, tombe au-des-sous de zro dans le voisinage du sol(2). Ces refroidissements peuvent tre funestes la vgtation. En t, lhumidit de lair est pnible pourtant, elle attnue lardeur des rayons du soleil, modre lvaporation, et, quand le siroco svit, tempre sa br-lante scheresse. De mai septembre, la brise de mer soufe au milieu de la journe et apporte une fracheur bienfaisante(3). Mais lAfrique du Nord est, dans son ensemble, un pays de____________________ 1. Pour la Tunisie, voir surtout Ginestous, tudes sur la climat de la Tunisie (Tunis, 1906) ; pour lAlgrie, Thvenet, Essai de climatologie algrienne (Alger, 1896) ; pour le Maroc, Th. Fischer, Mittelmeer-Bilder, II, p. 303-306, et L. Gentil, le Maroc physique, p. 244-271. Rsum dans A. Knox, the Climate of the continent of Afrika (Londres, 1911), p. 32-63. 2. Rivire et Lecq, Culture du Midi, de lAlgrie et de la Tunisie, p. 12, 24, 37. 3. Surtout sur la cte occidentale du Maroc, longe par un courant marin froid, qui modre la chaleur en t : voir Gentil, 1. c., p. 232-4.

  • 42 LES CONDITIONS DU DEVELOPPEMENT HISTORIQUE.

    hautes terres. A mesure quon slve et quon sloigne du lit-toral, lcart entre les tempratures extrmes augmente. En hi-ver, le thermomtre peut descendre dans la journe -9 degrs Tiaret, -11 Stif, -13 Batna, -5 au Kef, -6 Maktar. Les froids nocturnes que le rayonnement provoque la surface du sol sont souvent trs vifs, mme au printemps, dans une saison o la gele est particulirement redoutable aux cultures. Dans les jours dt, la transparence de latmosphre laisse toute leur force aux rayons du soleil ; la chaleur et lvaporation sent in-tenses. Mais la fracheur des nuits exerce une action tonique sur les hommes et les animaux ; le rayonnement produit des roses, qui rparent, dans une certaine mesure, les effets de lvapora-tion diurne. Parmi les vents, le siroco prsente des caractres sp-ciaux. Ce nom, qui parait venir du grec (dun mot signiant desscher), est donn dans lEurope mridionale et quelquefois me dans lAfrique du Nord, des vents dhiver humides et chauds. Il en est rsult des confusions. Conformment lty-mologie qui vient dtre indique, il convient de rserver le nom de siroco un vent sec. Tantt il ne se manifeste que sur une tendue trs limite, tombant verticalement, sans perturbation apparente de latmosphre, et durant en gnral peu de temps. Tantt cest un vent dorigine saharienne, dont la direction va-rie par consquent du Sud-Est au Sud-Ouest. Il peut traverser la mer et savancer jusquaux ctes mridionales de lEspa-gne et au centre de lItalie. Il soufe avec violence, obscurcis-sant lair par les poussires quil entrane, pompant lhumidit, amenant une chaleur de four, sauf lorsquil passe sur des mon-tagnes couvertes de neige. Quoiquil puisse clater en toute sai-son, il se dchane surtout en t et dure soit quelques heures peine, soit plusieurs jours(1). Son inuence sur les tres vivants____________________ 1. La frquence du siroco varie beaucoup selon les rgions. Le vent chaud du Sud est trs rare au Maroc, au Nord du Haut-Atlas, qui larrte. A Alger, il ne

  • LE CLIMAT DE LAFRIQUE DU NORD DANS LANTIQUIT 43

    est dprimante. Il dessche la Vgtation et est particulire-ment redoutable la vigne ; les crales, moissonnes au dbut de lt, sont moins exposes ses ravages(1). Le siroco mis part, les vents qui dominent pendant lhi-ver sont ceux du Sud-Ouest et de lOuest au Maroc, du Nord-Ouest en Algrie et en Tunisie. Dans cette saison, ceux du Sud-Ouest et de lOuest sont frquents aussi en Algrie. Les vents dominants dt viennent du Nord et du Nord-Est au Maroc et en Algrie, du Nord-Est et de lEst sur la cte orientale de la Tunisie(2). Cest la quantit plus ou moins forte des pluies et leur rpartition plus ou moins favorable la vgtation, beaucoup plus que la qualit des sols, qui font la valeur conomique des rgions : pays de cultures et darbres ; steppes o ne poussent que des plantes permettant llevage despces animales so-bres ; enn dserts. Les pluies sont amenes dans lAfrique septentrionale par les vents du Sud-Ouest, de lOuest et du Nord-Ouest, qui; ayant pass sur de vastes surfaces marines, arrivent chargs de vapeur deau. En Algrie, pays au les conditions mtorologiques ont t assez bien tudies, on a constat que les prcipitations les plus frquentes, les plus abondantes et les plus tendues sont dues aux vents du Nord-Ouest. La saison pluvieuse concide peu prs avec lhiver, en y comprenant la seconde moiti de lautomne et le dbut du printemps, entre les mois doctobre novembre et davril-mai : cest la priode de lanne o les vents dont nous venons de parler dominent et o la vapeur deau quils contiennent ren-contre au-dessus des terres africaines des tempratures plus___________________soufe quun petit nombre du tours par an. Il est au contraire frquent dans lEst et le Sud de la Tunisie, o il ne rencontre pas dobstacle. M. Ginestous (l. c., p. 404) compte 113 jours du siroco Sousse, 134 Kairouan. 1. Surtout lorge, qui mrit un mois plus tt que le bl. 2. Les vents dEst soufent presque toute lanne dans le Sud de la Tunisie.

  • 44 LES CONDITIONS DU DEVELOPPEMENT HISTORIQUE.

    ou moins froides, qui la forcent se condenser. Il y a souvent dans cette saison deux poques de prcipitations plus abondan-tes, deux maxima, spars par une priode de scheresse. Entre mai et octobre, les pluies tombent rarement et sont de courtes ondes, dordinaire sous forme dorage. Elles font presque entirement dfaut en juillet et en aot. Les vents dominants du Nord-Est et dEst ne trouvent pas, au-dessus du sol surchauff, les conditions atmosphriques ncessaires la condensation de la vapeur deau dont ils se sont imprgns en passant sur la Mditerrane. Les chaleurs prcoces provoquent sur les montagnes la fusion rapide des masses neigeuses, qui, dans des pays plus septentrionaux, constituent des rserves, alimentant les rivires la n du printemps et pendant une partie de lt. Les neiges disparaissent en mai des hauts som-mets de la Kabylie. Elles durent plus longtemps sur lAtlas marocain, beaucoup plus lev, et ont une inuence heureuse sur le dbit des cours deau ; mais, mme dans cette rgion, elles ont peu prs achev de se fondre en juillet, sauf peut-tre dans des anfractuosits que le soleil ne chauffe pas(1). On sait ce que sont en t; la plupart des rivires de lAfrique du Nord. Cette saison sche est, il est vrai, un peu attnue par lhu-midit que la brise de mer porte parfois assez loin dans lint-rieur, et aussi par les roses, Quand elle nempite pas trop sur lautomne et sur le printemps, elle nentrave pas la culture des crales, dont le dveloppement a lieu pendant la saison des pluies. Elle ne peut tre que protable la vigne et lolivier et, dune manire gnrale, elle ne nuit gure la vgtation arbustive, assez rsistante pour la supporter. Mais elle cre de grosses difcults llevage. Quant, la saison humide, elle se prsente avec des irrgula-____________________ 1. Cof. Gentil, le Maroc physique, p. 263-6.

  • LE CLIMAT DE LAFRIQUE DU NORD DANS LANTIQUIT 45

    rits qui font courir des risques graves lagriculture. Quelquefois, les pluies manquent presque entirement : cest heureusement lexception. Pour un mme lieu, les variations dans la hauteur to-tale des chutes sont souvent trs fortes dun hiver lautre(1), sans quon puisse expliquer les causes de ces diffrences(2). Mais la quantit des pluies a beaucoup moins dimportan-ce que leur rpartition. A Sidi bel Abbs, la moyenne annuelle des pluies natteint pas 0 m. 400, mais, grce il leur bonne r-partition, les rcoltes donnent presque toujours les meilleurs rsultats(3). Il faut surtout que leau du ciel tombe en octobre-novembre, an quon puisse labourer les terres dessches et faire les semailles, puis en mars-avril, an que les plantes dj formes simbibent de lhumidit ncessaire pour rsister au soleil dj chaud et achever leur maturit, Dans lintervalle, il faut des alternatives de pluie et de beau temps(4). Or, sou-vent, les pluies dautomne se font attendre, ce qui retarde les semailles et, par contrecoup, lpoque de la maturit, qui doit seffectuer lorsque le soleil est devenu trs ardent et aprs la date normale du maximum des pluies printanires. Souvent, la scheresse, se prolongeant pendant des semaines et mme des mois(5), empche la germination des grains et la croissance____________________ 1. Pluies Alger en 1893, 0 m. 516 ; en 1889, 0 m. 978 : Thvenet, p. 65. A An Braham, en 1893, 0 m. 925 ; en 1894, 2 m. 253 ; A Tunis, en 1904, 0 m. 311 ; en 1892, 0 m. 639. Au Kef, en 1897, 0 m. 310 ; en 1898, 0 m. 913. A Gafsa, en 1891, 0 m. 132 ; en 1892, 0 m. 433. Voir Ginestous, p. 219 et 220. Au cap Spartel, en 1896, 0 m. 872, ; en 1897, 1 m. 143 ; Gentil, l. c., p. 261. 2. On connat la thorie de Brckner. Ce savant admet des cycles dune dure moyenne de 33 ans, comprenant chacun une suite de variations dans la temprature et la pluie, variations qui se reproduiraient au cycle suivant. Mais nous navons pas les moyens de contrler cette thorie pour lAfrique du Nord. Notons cependant qu Alger, il sest coul 36 ans entre les deux maximum de pluies des priodes 1850-4 et 1886-1890 : Gauckler, dans Annales de Gographie ; XII, 1903, p.331. 3. Lecq, lAgriculture algrienne (Alger, 1890), p. 12. 4. Lecq, 1. c., p. 9-10. 5. Sur sept annes, de 1887 1893, M. Saurin (lAvenir de lAfrique du nord, Paris, 1890, p. 20) a compt, Tunis six hivers ayant eu des scheresses dau moins deux mois.

  • 46 LES CONDITIONS DU DEVELOPPEMENT HISTORIQUE.

    des plantes. Enn, les pluies de printemps, dcisives pour la rcolte des crales, peuvent manquer tout fait ou tre trs insufsantes. Ces pluies si capricieuses ne sont pas toujours bienfai-santes. Elles ont frquemment une allure torrentielle(1). Cest ce qui explique,par exemple, pourquoi Alger, avec cent jours de pluie, a une tranche deau suprieure celle de Paris, o la moyenne des pluies est de cent quarante jours (Alger, 0 m. 682 ; Paris. 0 m. 594)(2).Au lieu de pluies nes et prolonges qui humectent le sol sans linonder et le bouleverser, qui p-ntrent jusque dans les profondeurs et y forment des nappes do jaillissent les sources, de vritables trombes se prcipitent. Alors, surtout dans les terrains argileux, nombreux en Afrique, les eaux ruissellent rapidement sur les surfaces inclines, sur les sols durcis par le soleil. Dans les ravins o elles conver-gent, des torrents se gonent et roulent avec dautant plus de force que les pentes sont souvent trs raides et les diffrences de niveaux brusques dans cette contre tourmente ; ils entra-nent dabondantes quantits de terre vgtale, provoquent des boulements, creusent de profonds sillons, causent par leurs inondations de grands ravages ; presque aussitt aprs leur lit est vide. Ces mfaits; du ruissellement ont t aggravs, depuis des sicles, par le dboisement, dont nous aurons reparler(3). Les surfaces planes peu permables, sur lesquelles les eaux de ces pluies sauvages tombent directement du ciel ou dvalent des montagnes, se transformant subitement en des lacs, qui, du reste, disparaissent vite ; car lvaporation est trs forte par suite de lardeur du soleil, frquemment aussi de la violence du____________________ 1. Voici quelques exemples pour la Tunisie (Ginestous, p. 384, 398, 403, 417) ; Kelibia, du 26 novembre au premier dcembre 1899, 0 m. 386 de pluie ; au Kef, le 19 septembre 1888, 0 m. 384. 2. Je donne ici les chiffres indiqus par M. Gauckler, dans Annales de Go-graphie, XII, p. 213. 3. Voir chap. IV.

  • LE CLIMAT DE LAFRIQUE DU NORD DANS LANTIQUIT 47

    vent(1). Dans des terres plus faciles pntrer, il arrive que le sol se dtrempe tellement que les labours dautomne se font dans de mauvaises conditions, que les grains enfouis dans les champs et les racines naissantes pourrissent. Les prcipitations torrentielles prennent parfois la forme dorages de grle, qui svissent dans les pays levs du Tell, cest--dire de la partie cultivable de la Berbrie. Ils ont lieu principalement en hiver et au printemps : dans cette dernire saison, ils peuvent tre fort nuisibles la vgtation. Les diffrentes rgions de lAfrique du Nord reoivent des quantits de pluie fort diverses. Par exemple, An Draham, en Khoumirie, la moyenne annuelle est de 1 m. 641 ; Philippe-ville, de 0 m. 766 ; Constantine, de 0 m. 632; Batna, de 0 m. 399 : Tbessa, de 0 m. 344 ; Biskra, de il 0 m. 170(2). Ces ingalits tiennent plusieurs causes : voisinage ou loigne-ment de la mer: diffrences daltitudes : accs plus ou moins facile que tel ou tel pays offre par son exposition aux courants atmosphriques chargs de vapeur deau. Les vents humides viennent, nous lavons dit, du Sud-Ouest, de lOuest et du Nord-Ouest, aprs avoir pass soit sur locan, soit sur la Mditerrane. Les ctes occidentale et sep-tentrionale du Maroc, les ctes de lAlgrie. la cte s