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L’hibou’k : numéro 2 Juin 2012 Sauf mention contraire, le contenu de cette revue est publié sous la licence Licence Art Libre (http://artlibre.org/licence/lal/). Contact : Harold Erbin ([email protected]). Version en ligne : http://www.melsophia.org/hibouk.html

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Page 1: Hibou'k, numéro 2, juin 2012 - Sciences et philosophies · manifestent plus d’esprit que de crainte, se plaisent à comprendre l’origine de la foudre, rêvent de pos-séderunboutdefulgurite1,et,pensantàlapluie,

L’hibou’k : numéro 2

Juin 2012

Sauf mention contraire, le contenu de cette revue est publié sous la licence Licence Art Libre(http://artlibre.org/licence/lal/).

Contact : Harold Erbin ([email protected]).Version en ligne : http://www.melsophia.org/hibouk.html

Page 2: Hibou'k, numéro 2, juin 2012 - Sciences et philosophies · manifestent plus d’esprit que de crainte, se plaisent à comprendre l’origine de la foudre, rêvent de pos-séderunboutdefulgurite1,et,pensantàlapluie,

L’hibou’k, n° 2 — Juin 2012

Sommaire

Sommaire 2

Edito 2

Sciences exactes 3Des phénomènes météorologiques extraor-

dinaires . . . . . . . . . . . . . . . . . 3Le muscle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6Les symétries en physique . . . . . . . . . . 8

Sciences humaines et sociales 11La responsabilité du blogueur . . . . . . . . 11La mise en concurrence de professions du

droit : l’acte d’avocat . . . . . . . . . . 13Les types psychologiques selon C.G. Jung . 14Cioran, le tourment rieur . . . . . . . . . . 18

Arts et littérature 20La redécouverte de la musique ancienne . . 20Lénore et le Sturm und Drang . . . . . . . 23

Lettres à Angelys 25

Les auteurs 26

EditoAprès plus d’un an depuis le premier, le sec-

ond numéro parait finalement. Nous avons cherchéune nouvelle fois à diversifier les articles proposés enfaisant appel à de nouveaux auteurs, que nous re-mercions pour leur participation.

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Sciences exactes

Des phénomènes météorologiques extraordinairesFlorian

Commençons, au mépris des règles mais paramour de la popularité, cet article par un truisme :la question des phénomènes du ciel a toujours éveilléla curiosité (parfois angoissée) de l’homme. Pour il-lustrer cette lapalissade, l’ami Aristote a écrit unouvrage, les Météorologiques, où il traite notam-ment des questions relatives aux phénomènes « at-mosphériques ». Si les enfants eux-mêmes, quand ilsmanifestent plus d’esprit que de crainte, se plaisentà comprendre l’origine de la foudre, rêvent de pos-séder un bout de fulgurite 1 , et, pensant à la pluie,trouvent dans le nom des nuages des sons divertis-sants, c’est bien que le ciel occupe notre quotidien,et non seulement celui du jardinier, du marin ou del’astrophysicien (les observations sont difficiles parambiance couverte).

En revanche, il est des « aberrations » clima-tiques bien plus étranges, souvent moins connues, etpourtant plus saisissantes. Pour les nommer, nousavons le spectre de Brocken, le phénomène du rayonvert, l’étrange « Fata Morgana » et le nuage lentic-ulaire. Les diverses photos sont reléguées à la fin del’article, page 5.

A. Le spectre de Brocken

On sait depuis Freud et sa vexation psy-chologique que nous possédons une instance de con-trôle supérieure en nous, et que seule l’éducationnous permet d’éviter de nous adonner à des pulsionsprimales diverses. Mais si le spectre de Brocken étaitle témoignage de cet autre intérieur ? Hey, rassurez-vous : il n’y a rien de paranormal à ce que vous pou-vez voir sur la photo 1.

Ce phénomène de Brockengespenst est bien unreflet de l’observateur, mais il est issu de condi-tions naturelles. Pour tenter de l’apercevoir, il fautse placer dans la direction opposée d’un Soleil baset brillant (en bref, l’avoir caché dans le dos), etavoir courageusement gravi une solide montagne afinde jouir d’un surplomb suffisant. Dernière condition(le plaisir est exigeant), une nappe nuageuse doit setrouver en contrebas, afin de jouer le rôle d’écran,et d’utiliser les propriétés de réflexion de l’eau (car,vous le savez, les nuages ne sont pas en coton). Main-tenant que vous avez ces éléments, vous devez com-

prendre ce qui se passe : le Soleil fait office de gi-gantesque projecteur, comme au cinéma, et, en sereflétant sur le brouillard, crée un halo circulaire,similaire à l’arc-en-ciel. Et comme vous êtes alignéavec lui, vous lui faites de l’ombre, et celle-ci appa-raît dans dans la délicate illumination de la vallée.Cette dernière peut cependant être déformée selon lesdistances respectives entre vous et l’écran, et risquede vous donner de fausses idées sur votre stature. . .

L’obtention de ce phénomène reste quand mêmetrès jouissive, et possède d’ailleurs deux versions.Soit vous apparaissez dans un halo blanc, et dansce cas vous n’avez qu’un simple retour, sans diffrac-tion, de la lumière derrière vous (c’est la rétrodif-fusion : ça vous revient dessus, même quand voustournez le dos). Soit vous avez la version luxe, etalors vous êtes au cœur d’un arc-en-ciel intégral, dis-ons même un cercle-en-ciel, que l’on nomme pourl’occasion « gloire ». Si vous ne dépérissez pas defroid, vous aurez l’occasion de constater qu’il s’agitcette fois d’une réflexion « classique » — preuve queles expériences méditées sont les plus agréables.

Pour une ultime information, le nom de cephénomène dérive du point culminant (1142m) d’unechaîne de montagnes allemande, où il a été consignépour la première fois (photo 2). Inutile donc d’essayerde soumettre le démon, il ne s’appelle pas vraimentBrocken. Mais allez savoir, peut-être est-ce le nomdu dragon endormi. . .

B. Le phénomène du rayon vert

« Ah, les OVNI attaquent ! », je vous entendsd’ici. . . Et on pourrait le croire : à l’inverse du spec-tre, prisonnier confortable de votre saisissement etdes glaces, le rayon vert est extrêmement fugitif. Ilrequiert encore le Soleil, mais il tient cette fois le rôleunique et principal, et il exige même que vous le con-sidéreriez à son lever ou à son coucher, et en étant leplus distant possible de la ligne d’horizon, comme àl’issue d’une contemplation pélagique. Autre condi-tion, le ciel doit être propre (sans particules, donc nipollution, ni tempête de sable, ou que sais-je) et clair.Enfin, Wikipédia note que « la présence d’un anticy-clone facilite également l’observation du phénomènegrâce à une haute pression (donc une densité d’air

1. Lorsque la foudre frappe le sable, ou tout sol sablonneux et sec, elle parvient à le faire fondre, au point de rendre une formedure qui épouse la diffusion de l’éclair. Cette réaction est causée par une brusque élévation de la température en un temps trèscourt, de l’ordre d’un gain de 1800°C en une dizaine de microseconde.

1. http://fr.wikipedia.org/wiki/Rayon_vert

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plus importante) » 1.Toutes ces conditions réunies, vous voilà prêt à

profiter du spectacle (photo 3).Bon, vous allez dire, ce n’est pas un gros rayon

laser et destructeur, et ça paraît même à la lim-ite de la fiction. Mais que nenni ! Loin d’être uneillusion, le phénomène existe bel et bien, mais s’ilne dure en général qu’une petite vingtaine de sec-ondes. En revanche, les explications sont typiquesde cette classe d’événements : on retrouve la ques-tion de la diffusion de la lumière, avec sa trajectoirecurviligne, l’inévitable réfraction et, bien sûr, le jeuatmosphérique, qui, comme milieu hétérogène, con-stitue la matrice de ces caprices lumineux. Tout celapris ensemble, le rayon vert peut prendre naissance,car, en sachant que les longueurs d’ondes représen-tant le vert ont une trajectoire beaucoup plus courbe,plus que le rouge, par exemple, on comprend que levert est occulté par le rouge durant tout le mou-vement de l’étoile. En fait, le rouge cède sa place aujaune, puis au vert, et enfin au bleu et au violet, maisces deux dernières couleurs ne sont pas visibles, saufconditions exceptionnelles (il existe des « flashes »de ces couleurs avec le Soleil, malgré tout), du faitde leur très forte dispersion. Bref, quand le vert estla dernière (ou la première, selon le mouvement stel-laire) couleur perçue, elle trouve son origine dans lefait qu’une fine partie du ciel a un effet « zoom », sibien que cela permet d’accentuer un phénomène qui,bien que présent, ne nous atteindrait autrement pas.

Il existe de nombreux débats sur cette question,concernant par exemple l’impact de notre perceptionsensorielle (la réaction de la rétine) dans le proces-sus, mais, sans entrer dans des détails techniques etassez vains pour une connaissance sommaire, vouspourrez toujours trouver sur Internet des ressourcesdocumentées et illustrées sur la pluralité des causesde ce faux OVNI.

C. Le nuage lenticulaire

Allez, finissons cette séance avec maintenantl’apparition d’une soucoupe. Oui, encore les extra-terrestres, et, encore une fois, une dénégation : sou-vent confondus avec les martiens (dont on sait àvrai dire peu de choses), l’altocumulus lenticularisest en réalité un nuage stationnaire, généralement ar-rondi, et rappelant une forme de lentille ou d’amande(photo 4). Le plus étonnant, c’est qu’ils restent im-mobiles même par bourrasques : est-on sûr qu’ils ex-istent vraiment dans notre monde ?

La réponse est encore oui. En fait, ils sont pro-duits lorsque le vent souffle près de reliefs montag-neux, et provoquent des perturbations, ou plus pré-cisément, des ondes, de l’autre côté. Le nuage lenticu-laire se forme donc souvent après un pic, mais répond

à un principe de « création continuée » que n’auraitpas renié Descartes : nourri d’un côté par le ventgénérateur, il est défait de l’autre côté, et persisteainsi aussi longtemps que les conditions y restentpropices.

D. Conclusion

J’aurais également pu vous parler d’autresphénomènes, comme la Fata Morgana, mais j’oseespérer que cet article aura au moins suscité chezdes maîtres de l’optique physique un intérêt solidepour investir encore plus densément ces questions, et,éventuellement, de partager les fruits de leur réflex-ion. Car, on l’a assez vu, c’est un phénomène au na-turel inévitable pour toute lumière, et il aurait étédélicat de détailler par le menu toutes les raisons deces agréables étrangetés, dans la mesure où le présentarticle se serait transformé en cours de physique.

Références[1] http://www.meteores.net/rv.html,

http://www.intersoft.it/galaxlux/GreenFlashGallery.htm : images.

[2] http://mintaka.sdsu.edu/GF/explain/explanations.html : site lié à l’Universitéde San Diego pour des références variées (eten anglais) sur le rayon vert, ainsi que dessimulations commentées.

[3] The nature of light and colour in the open air, parM. Minnaert, 1954, Dover : la référence écrite ul-time de tout un tas de curiosités.

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Figure 1 – Mais quelle est donc cette étrange sil-houette ? Crédit : grelibre.net.

Figure 2 – View from Castle of Wernigerode overthe city to mount Brocken in Winter (Andreas Tille).

Figure 3 – Rayon Vert observé à l’Observatoire deLa Silla (ESO), le 15 janvier 2006. Crédit : ESO/G.Lombardi.

Figure 4 – Des émissaires d’une autre planète ?

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Le muscleAdrien Guilloteau

Le muscle en tant qu’organe effecteur exclusifdu mouvement a pris une part conséquente dansl’anatomie des êtres vivants et cela depuis quelques700 millions d’années. Si ici on s’intéressera essen-tiellement à la musculature humaine, il est importantde noter que celle-ci nous est loin d’être spécifique :en dehors des végétaux peu d’êtres vivants peuventréellement s’en passer, de la méduse à l’homme enpassant par la mouche, à tous elle est vitale. Celaétant dit on va pouvoir aborder avec tout l’égocen-trisme qui nous caractérise les différents aspects dumuscle chez l’homme, de sa physiologie à ses mal-adies.

Avant d’entrer dans le vif du sujet il convientde rappeler que tout les muscles sont inféodés demanière plus ou moins franche à ce qu’on appellerale système nerveux central (SNC pour les intimes),comprenant le cerveau et la moelle épinière. Cetterelation nécessite un relai entre les deux systèmes :la jonction neuromusculaire. C’est à cet endroit quel’information électrique du neurone doit être trans-mise au muscle. Pour ce faire le neurone utilise lemême système que celui permettant la transmissiondu message électrique entre deux neurones : unemolécule chimique relâchée à une extrémité de lajonction (le neurone) et des récepteurs spécifiques decette molécule à l’autre extrémité de la jonction (surle muscle donc), ces molécules sont appelées neuro-transmetteurs.

Passons maintenant au vif du sujet : le muscle,ou plutôt, les muscles car il en existe trois grandstypes :

– Les muscles squelettiques ou striés correspon-dent aux muscles de l’action volontaire ils sontdirectement sous l’emprise de la conscience. Àune exception notable : le réflexe dit myota-tique s’apparentant à une sorte de systèmeanti-chute, en cas de mouvement considérécomme trop brusque (synonyme d’étirementimportant du muscle non commandé par laconscience), un circuit neuronal court ne pas-sant que par la moelle épinière permet la con-traction rapide et forte du muscle étiré. C’estce que le médecin cherche quand il vous tapegentiment sur le dessus de la rotule provo-quant un étirement soudain du quadriceps etune extension réflexe du genou. Ces musclesprésentent une jonction neuromusculaire spé-cifique appelée plaque motrice associée à unneurotransmetteur unique : l’acétylcholine.

– Les muscles lisses répondent à de très nom-breuses fonction, allant de la progression du

bol alimentaire dans le tube digestif à la con-traction des vaisseaux sanguins en réponse àune chute de tension ou au froid. Ils sont euxindépendant de la conscience.

– Et pour finir le muscle cardiaque qui a unestructure quasi similaire aux muscles squelet-tiques mais qui se singularise par son absencede contrôle conscient, et sa capacité à pro-duire sa propre contraction sans interventiondu SNC (celui-ci aura néanmoins la capac-ité d’accélérer ou de diminuer le rythme car-diaque sous le coup des émotions).

Je n’entrerai pas dans le détails des différencesde structures entre ces grands types, ni dans ceux dela jonction neuromusculaire des deux derniers types.Je me bornerai donc à dire que tout ces tissus ont encommun le même élément de base : la cellule muscu-laire (ou myocyte) indispensable à la contraction dumuscle donc au mouvement.

Au stade cellulaire la contraction résulte de l’in-teraction entre deux principales molécules, l’actine etla myosine, l’actine peut être symbolisé sous la formed’une échelle (bien qu’elle ait en réalité une forme dedouble hélice), la myosine ressemble, elle, à une cannede golf. À la réception d’un signal de contraction etaprès une cascade de message intracellulaire la myo-sine va en consommant de l’énergie faire mouvoir satête de façon à ce qu’elle s’accroche à un barreausupérieur de l’actine. L’actine étant reliée à un en-semble de protéine formant un squelette cellulaire,et la myosine étant couplé avec une autre myosinepointant dans la direction opposé et grimpant surune actine symétrique à la première, l’ensemble tireles actines vers les queues des myosines, et permetainsi la contraction de l’ensemble de la cellule.

Voilà expliqué de manière très (pas trop jel’espère) schématique la contraction musculaire auniveau cellulaire, ce qui va nous permettre main-tenant de mieux comprendre les différentes affectionsdu muscle.

En commençant par une famille de molécule quia souvent été utilisé comme poison : les curares. Lescurares sont originaires d’Amazonie, on a tous entête l’image de l’amérindien avec sa sarbacane etses fléchettes empoisonnées : une fois la cible at-teinte elle s’effondre en quelques secondes. À quoiest ce dû ? Les curares sont des molécules capablesde prendre la place de l’acétylcholine au niveau de laplaque motrice et d’en saturer les récepteurs, em-pêchant tout mouvement volontaire, mais laissantune pleine conscience de ce qu’il se passe. Les mus-cles lisses et cardiaque n’ayant pas le même type de

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neurotransmetteur ils ne sont pas affectés par les cu-rares. On utilise souvent ces molécules en anesthésiepour relâcher les muscles des patients et opérer plusfacilement, bien évidemment on y associe toujoursun sédatif. Les curares les plus rapides mettent 1 à 2minutes pour agir.

Au niveau de la plaque motrice toujours (doncspécifiquement pour les muscles squelettiques), il ex-iste une maladie assez connue, la myasthénie. Danscette affection le corps produit des molécule anor-male pouvant saturer les récepteurs de l’acétylcholineentraînant une diminution progressive et une fatiguede plus en plus importante du fait de la difficulté àstimuler le muscle. Elle se déclare vers les 50 ans,et bien que de mieux en mieux tolérée grâce à dif-férentes mesures d’accompagnement, elle reste incur-able et mortelle dans certains cas.

On aborde ensuite le domaine des myopathieslargement médiatisées à travers le téléthon ; my-opathies est en fait un terme très générique désignanttoute les maladies du tissu musculaire. Probablementla plus connue car dramatique est la myopathie deDuchenne, correspondant à une anomalie génétiqued’une protéine du « squelette » cellulaire, empêchantsa production. Cette maladie touche tout les muscleset limite, dans sa forme la plus sévère, l’espérance devie à 20 ans en raison d’un défaut du muscle car-diaque.

Et enfin en quittant le domaine des maladiesgraves il reste une affection musculaire qui est sus-ceptible d’atteindre tout un chacun sans répercussiondramatique, il s’agit de la crampe musculaire, et enparticulier la crampe d’effort. Elle découle d’un ex-cès de concentration en calcium dans la cellule mus-culaire. Cet excès de calcium va provoquer une ac-tivation involontaire et puissante du mécanisme decontraction entraînant la crampe. Elle est essentielle-ment favorisée par la sudation qui accompagne l’-effort, l’excès de calcium étant relatif au défaut desodium (sodium excrété par la sueur). Pour limiterl’apparition de ces crampes il est donc conseillé unléger apport de sel avant toute épreuve d’endurance.L’absorption excessive d’eau ayant pour effet unediminution de la concentration de sodium dans lesang, elle favorise l’apparition des crampes (ce quine doit pas empêcher d’en boire), de même que lemanque d’échauffement.

Je finirai avec un peu d’étymologie (une foisn’est pas coutume) : l’origine du mot muscle nousvient des romains, faisant un lien entre l’apparition(contraction) et la disparition (relaxation) des mus-cles avec celles de la souris (musculum). Ironique-ment cette souris donne aussi son étymologie, paranalogie de forme, à un mollusque bien connu : lamoule.

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Les symétries en physiqueHarold Erbin

A. Introduction

Le concept de symétrie a émergé dans laphysique au cours du XXe, avant de devenir l’undes piliers de la physique moderne : actuellement,les principes de symétries guident presque entière-ment l’élaboration des théories, et les théories lesplus spectaculaires par leur précision (par exemplela relativité générale ou le modèle standard des par-ticules) se formulent comme des conséquences dessymétries. Toutefois, il a fallu une longue réflexionavant de découvrir les symétries sous-jacentes des loisde la physique, ainsi que leurs conséquences, car ellessont rarement explicites.

Avant de commencer, il convient de clarifierce que j’entends précisément en utilisant le mot"symétrie", car les mathématiciens et les physiciensl’utilisent dans un sens légèrement différents de celuidu dictionnaire ; ainsi, une symétrie est une opéra-tion qui transforme un système, et l’ensemble dessymétries possibles respecte certaines règles :

– il est toujours possible d’inverser une opéra-tion ;

– l’opération qui consiste à ne rien faire est pos-sible (on parle de l’opération identité) ;

– deux opérations successives sont équivalentesà une troisième et unique opération.

L’ensemble des symétries possibles forment ce qu’onappelle un groupe.

Il faut alors distinguer la notion d’invariance decelle de symétrie : si une opération laisse le systèmeinchangé, alors on parle d’invariance (on dit aussique le système est symétrique). Ainsi, il est tout àfait possible d’effectuer une opération de symétrie quimodifie le système. Concrètement, comment savoir siun système est invariant ?

– Du point de vue du physicien, un système estinvariant si les mêmes mesures donnent lesmêmes résultats, c’est à dire que le comporte-ment ne doit pas changer.

– Quand on dessine une figure sur un papier,alors elle est invariante sous une opération sion peut superposer l’ancienne à la nouvelle (etce sans tourner une des figures ! sans quoi ils’agirait d’une nouvelle opération).

Généralement, on regroupe toutes les opérationsd’invariance dans ce qui est appelé le groupe d’in-variance du système 1.

B. Un exemple

Ces définitions peuvent paraitre abstraites, et jevais immédiatement donner un exemple de symétrie :considérons un objet composé d’un triangle d’uncôté, d’un rectangle de l’autre (figure 5). On regardealors le groupe formé des deux opérations suivantes :

– ne rien faire (figure 5a) ;– faire une symétrie axiale horizontale 2 (fig-

ure 5b).Le système est évidemment invariant sous la pre-mière opération, mais pas sous la seconde, commeil est impossible de superposer les deux figures. Parcontre, si on refait une symétrie axiale, alors on re-tombe sur la figure de départ, et on peut dire que

symétrie axiale + symétrie axiale = identité (1)

En réfléchissant un instant, on obtient les autrescombinaisons possibles d’opérations : on peut tou-jours ne rien faire deux fois de suite, ce qui revient àne rien faire, et on peut aussi faire une symétrie axi-ale puis ne rien faire (ou inversement), ce qui revientau final à une symétrie axiale :

identité + identité = identité (2)symétrie axiale + identité = symétrie axiale (3)

On obtient donc bien un groupe (à deux éléments).Géométriquement, puisqu’il est impossible de super-poser toutes les figures obtenues par les différentesopérations, il ne s’agit pas d’un groupe d’invariance.Par contre, si on décide d’interpréter différemmentnos figures, par exemple en disant que notre systèmese comporte de la même manière tant que le trianglepointe à gauche ou à droite, alors le groupe le laissebien invariant.

Nous voyons déjà ici que la définition même dusystème est importante lorsque l’on se pose la ques-tion de l’invariance.

1. Le physicien utilise souvent le terme "groupe de symétries", au même titre que l’on peut dire d’un système est invariant ousymétrique. Mais il ne faut pas confondre ces notions avec celle plus générale de symétrie.

2. Je précise "horizontale", car on pourrait aussi faire une symétrie verticale, qui présente moins d’intérêt dans le cas présent.Dans toute la suite, l’attribut "horizontal" sera sous-entendu.

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(a) Opération d’identité sur la figure.

(b) Après l’opération de symétrie axiale, la nou-velle figure n’est pas superposable à l’ancienne.

Figure 5 – Symétrie axiale d’un objet quelconque.

C. Symétries discrètes

Le premier type dont je vais parler — lessymétries discrètes — sont les plus intuitives à com-prendre, car on en trouve certains exemples dans lesmathématiques du collège, et même du primaire :symétrie axiale (renversement d’un objet par rapportà une droite), rotation d’un angle fixé (figure 9, oùl’on ajoute une opération "rotation de 90°" à l’exem-ple précédent), permutations d’objets, etc. Ce typede considérations a permis de classer l’ensemble descristaux.

En ajoutant la rotation de 90° à l’exemple précé-dent, nous nous voyons aussi obligés d’ajouter lesopérations de rotations de 180° et de 270°, qui s’ob-tiennent en effectuant respectivement deux et troisrotations de 90°. L’identité correspond à une rotationde 0° ou de 360°. Finalement, nous pouvons remar-quer que lorsque le triangle pointe vers la gauche oula droite, la symétrie axiale est équivalente à une ro-tation de 180°, tandis que si le triangle pointe vers lehaut ou vers le bas, alors la symétrie axiale est iden-tique à l’identité. L’opération de symétrie axiale estdonc superflue, et le groupe possède quatre éléments(figure 9). Le système n’est invariant ni géométrique-ment, ni selon l’autre interprétation que nous avonsdonné dans l’exemple. Par contre, le carré sans letriangle sera invariant.

(a) 0°. (b) 90°.

(c) 180°. (d) 270°.

Figure 6 – Rotations multiples de 90°.

Nous allons maintenant jeter un œil au groupedes permutations que j’ai mentionné au début duparagraphe. L’idée est de prendre un ensemble d’ob-jets, et de les échanger : par exemple on pourraéchanger les nombres d’une liste, échanger la dis-position de boules de billard. . . Nous choisirons cedernier cas pour fixer les idées. On dispose quatreballes, numérotées de un à quatre, sur une table. Unepermutation consistera pas exemple à décaler chaqueballe d’un cran vers la gauche, et de mettre la pre-mière à la dernière position (figure 7a). Puisque lesboules portent un numéro, le système est maintenantdifférent puisque la boule 1 est différente de la boule4, et il en sera de même pour toute permutation,donc il ne s’agit pas d’un groupe d’invariance. Parcontre, si l’on prend quatre boules totalement iden-tiques, c’est à dire toutes de la même couleur et neportant aucun nombre, alors on aura bien une in-variance car on ne peut pas discerner les boules (fig-ure 7b). Mais un physicien pourra dire que tout cequi l’intéresse est que la balle 2 est à côté de la 3, la 3à côté de la 4, etc., en faisant comme si la première etla dernière boule étaient côte à côte. Dans ce cas, lapermutation que nous avons montrée laisse invariantle système (mais d’autres permutations, par exempleéchangeant uniquement les boules 1 et 2, ne serontpas des invariances).

Ce groupe joue un rôle extrêmement importantdans la mécanique quantique : les particules sontclassées en deux catégories (bosons et fermions) selonleur comportement par une permutation avec uneautre particule identique.

(a) Avec numéros.

(b) Sans numéros.

Figure 7 – Permutation de quatre boules de billard.Dans le cas sans couleurs, la situation est identiqueet le système est invariant.

En physique, on s’intéresse aussi à des symétriesdiscrètes plus abstraites, par exemple celle d’inver-sion du temps (appelée T) et d’inversion de l’espace(notée P, pour parité). Leur étude est extrêmementintéressante, mais je n’en dirai pas plus dans cet ar-ticle.

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D. Symétries continues

Les symétries continues sont bien plus courantesdans la physique théorique, mais aussi beaucoupmoins intuitives au premier abord. Dans les exemplesprécédents, nous n’avions à notre disposition qu’unnombre fini d’opérations distinctes dans un groupe.Au contraire, la particularité des groupes continus(ou groupes de Lie) est justement de rassembler uneinfinité d’opérations.

L’exemple le plus simple est celui du groupe desrotations dans le plan, appelé SO(2) par les mathé-maticiens : il est constitué de toutes les rotations pos-sibles, qui peuvent être très grandes (comme celles dela section précédente), ou aussi petite que l’on veut(si petite que l’œil serait incapable de voir que l’ob-jet a tourné, mais un instrument infiniment précisle pourrait). Nous montrons ce groupe en applica-tion sur la figure 8, où plusieurs rotations succes-sives d’un carré sont représentées ; notez que le carrén’est pas invariant : il ne le sera que pour les rota-tions de 0°, 90°, 180° et 270°, comme nous l’avons vuprécédemment. D’ailleurs, pouvez-vous trouver unefigure géométrique qui soit invariante ?

Figure 8 – Quelques rotations d’un carré.Rappelons-nous qu’entre chaque rotation dessinée, ilest possible d’en obtenir une infinité d’autres.

Il existe de nombreux groupes de Lie, plus oumoins abstraits. Par exemple, le groupe unitaire àune dimension, noté U(1), est très proche de SO(2).Imaginez que chaque objet possède à l’intérieur unesorte de cercle gradué (un petit trait donne la po-sition "zéro"), avec une aiguille donnant une direc-tion. Alors une opération de U(1) consistera à fairetourner cette aiguille de la même quantité pour tousles objets. Le physicien pourra n’être intéressé quepar l’écart entre les aiguilles, auquel cas U(1) est bienun groupe d’invariance, puisque déplacer toutes lesaiguilles d’une même quantité ne change pas leur dif-férence, d’après la formule simple

(a + c) − (b + c) = a + c − b − c = a − b (4)

Le point étonnant est que l’invariance de laphysique par ce groupe conduit à l’existence de lacharge électrique ! Et, dans une version un peu plusévoluée, ce groupe est responsable de l’existence duphoton et des interactions électromagnétiques.

Je n’en dirai pas plus sur les groupes de Lie, carle sujet est vaste et compliqué.

Figure 9 – Exemple d’une opération U(1), où nousavons tourné chaque trait d’un sixième du cercle.J’insiste encore sur le fait qu’il ne s’agisse que d’unereprésentation utile pour permettre à l’esprit de com-prendre ce groupe.

E. Conclusion

J’ai donné les clés nécessaires à une compréhen-sion basique des notions de symétries et d’invariance,n’ayant fait que pointer du doigt quelques directionsde la physique où les groupes interviennent. En fait,à mesure qu’un étudiant plonge dans les entrailles dela physique, il s’aperçoit que les groupes sont partoutet que les prendre en compte permet de simplifier lesproblèmes étudiés, voire de donner des pistes pourune nouvelle théorie.

J’espère pouvoir écrire un autre article abordantquelques conséquences intéressantes, telles que lethéorème de Noether, ou encore expliquant pourquoiil est si difficile de trouver des symétries.

Références[1] Brian Greene, L’univers élégant.[2] Lee Smolin, Rien ne va plus en physique ! :

L’échec de la théorie des cordes.[3] David J. Gross, The role of symmetry

in fundamental physics.Les deux premiers éléments de la bibliographie

sont des livres de vulgarisation, l’un visant à mon-trer la théorie des cordes, l’autre à expliquer en quoiil s’agit d’une impasse. Les deux proposent des in-troductions à la notion de symétrie, ainsi qu’à denombreux autres concepts.

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L’hibou’k, n° 2 — Juin 2012 Sciences humaines et sociales

Sciences humaines et sociales

La responsabilité du blogueurRudi Fievet

Internet, un espace de liberté et de non droit ?Que nenni.

Au pire, un espace où des lois naturelles etmorales s’appliquent, telle la netiquette, plus con-nue chez les politiques que chez les internautes euxmêmes. Au mieux, une zone dans laquelle le droitpositif n’est pas contraignant — on ne perdra pas detemps à parler de l’Hadopi. Ce ne sont que les deuxfaces d’une même pièce, deux manières d’exprimer lamême réalité.

Une exception toutefois à ce constat, la questionde la responsabilité. Ici comme ailleurs, aujourd’huicomme hier, quand il s’agit de trouver celui qui vaindemniser la victime d’un préjudice, la loi retrouvetoute sa vigueur. Internet ne fait pas exception à larègle. Penchons-nous plus avant, sans revenir sur ladéfinition de la responsabilité civile et pénale, sur lagenèse et l’évolution contemporaine de cette matièreappliquée à Internet.

A. À l’origine, la responsabilité de la presseécrite

La législation de l’internet s’est nécessairementinspirée des principes de responsabilité préexistants,section a). On ne reviendra pas sur les fondamen-taux de la responsabilité en général. Le législateura ensuite listé certains comportements, toujours op-portuns à l’ère des nouvelles technologies, section b).

a) Le principe de la responsabilité en cascadeEn ce domaine, survit une loi majeure. Il s’agit

de la loi sur la liberté de la presse du 29/07/1881. Ence siècle, les numérotations même des lois n’avaientcours. Comme tout texte français, et surtout les post-révolutionnaires, son article 1 pose un principe, lessuivants moult exceptions.

Preuve que les lois de jadis étaient mieux tra-vaillées, pensées et écrites, cette loi est toujours envigueur, et a su englober tous les médias textuels,tels que la presse ou les articles publiés sur internet.C’est une loi transmédia.

C’est l’article 42 de ladite loi qui prévoit les« personnes responsables de crimes et délits commispar la voie de la presse », proclame le paragraphe 1er

du chapitre V.C’est un système de responsabilité en cascade,

qui permet de trouver systématiquement un respon-sable. À titre principal, est responsable le directeurde publication ou l’éditeur. À défaut — soit que les

premiers n’existent pas, ou démontrent leur irrespon-sabilité —, seront responsables les auteurs. Encoreune fois, à défaut, les imprimeurs seront sanction-nés. En dernier lieu, au bas de l’échelle, les distribu-teurs et afficheurs seront poursuivis. Cette cascadegénérale est exclue en matière de communication aupublic en ligne pour laquelle un texte spécial existe.

b) Le domaine de la responsabilité : les actes in-criminésLe champ des actes est aussi vaste que peut

l’être celui de l’utilisation d’un support textuel. Il nes’agira donc pas de faire une liste exhaustive, maisplutôt un recentrage sur les pratiques éventuelle-ment courantes sur Internet. Cet exposé théoriquene saurait être réduit à ce seul aspect, et devraitvous rester à l’esprit lors de vos publications en lignefutures.

L’article 23 de la loi de 1881, intégré au para-graphe 1er intitulé « Provocation aux crimes et dél-its » du livre IV, prévoit justement la répression del’apologie des crimes et délits, ou de sa tentative.

La négation des crimes contre l’humanité estégalement citée, tout comme les vols, atteintes à lavie d’autrui. . .

Les offenses contre la chose publique, et partic-ulièrement contre le Président de la République, sontréprimées au paragraphe 2. La diffusion de faussesnouvelles est aussi liée à la res publica.

Au paragraphe 3, l’on retrouve les injures etdiffamations.

Le paragraphe 4 protège les corps diplomatiqueset représentants de l’étranger, tandis que le 5 couvreles procédures et décisions de justice, les identités defonctionnaires et de victimes. Ces pratiques ont étéfacilitées par l’anonymat régnant sur internet.

B. L’époque postmoderne : la venue de l’In-ternet

Afin d’assurer l’essor du formidable outil decommunication dématérialisé qu’est internet, le lég-islateur a dans les faits renversé le principe, sec-tion a), en laissant par exception la responsabilitéde quelques acteurs du numérique, section b).

a) L’irresponsabilité de principeDe par la loi n° 2004-575 pour la confiance dans

l’économie numérique du 24/06/2004, et par renvoieffectué en son article 6, la loi de 1881 est applicable

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aux nouvelles technologies, notamment en termes deresponsabilité, et notamment pour Internet.

L’alinéa 2 du I de l’article 6 pose une présomp-tion d’irresponsabilité au profit des hébergeurs decontenu, hors les cas où ils auraient été avertis dela présence d’un contenu illicite et seraient restés in-ertes. Il en va de même à l’alinéa 3 au regard de leurresponsabilité pénale.

S’ils agissent promptement pour ôter le contenulitigieux, ils sont irresponsables juridiquement.

L’alinéa 7 indique par ailleurs qu’ils ne sont re-devables ni d’une obligation de surveillance, ni d’uneobligation de rechercher du contenu illicite. C’estainsi un régime très laxiste qui leur est appliqué. Onimagine l’intense travail de lobbying effectué.

L’alinéa 6 vient préciser que les hébergeurs decontenu ne sont pas réputés producteurs au sens del’article 93-3 de la loi du 29/07/1982 n° 82-652 surla communication audiovisuelle. C’est une précisionimportante en pratique.

b) Le risque du cumul des qualitésIl faut à présenter consulter l’article 93-3 de la

loi du 29/07/1982 précitée, car elle s’applique spéci-fiquement à internet. Reprenant toutefois par renvoiles infractions visées par la loi de 1881, il indiquequ’au premier chef, ce sera le directeur de la pub-lication qui sera poursuivi. À défaut, l’auteur seraresponsable et subsidiairement, le producteur.

L’on retrouve le schéma de cascade, et les in-fractions évoquées précédemment.

Le dernier alinéa de cet article concerne l’in-terdit dit participatif : les forums et autres blogs.Le directeur de publication d’un tel support est ir-responsable s’il réagit rapidement une fois informéde l’infraction perpétrée par le service qu’il gère enligne.

Néanmoins, la Cour de cassation s’est faufiléesur un détail de ce texte en définitive mal rédigé.Le 16/02/2010, la chambre criminelle, par le pourvoin° 09-81.064, a indiqué que certes le directeur de lapublication est irresponsable, mais il peut aussi êtrele producteur, et la responsabilité de ce dernier peuttout à fait être recherchée et retenue.

Le Conseil constitutionnel, saisi d’une questionprioritaire de constitutionnalité, devant les enjeuxde liberté d’expression et individuelle sur interneten particulier, rendra le 16/09/2011 une décision2011-164 de conformité assortie d’une réserve neu-tralisante.

Le principe reste alors l’irresponsabilité sauf ab-sence de réaction rapide.

En conclusion, le blogueur ne peut voir sa re-sponsabilité recherchée à ce titre que s’il laisse, mal-gré signalement, des commentaires ou propos con-damnables par le droit français. Ce dernier est pour

une fois, en cette matière spécifique, assez cohérent etconcentré en peu de textes, ce qui rend facile d’accèset d’usage ces régimes. La seule maladresse législativeà ce jour a été réparée par les juges constitutionnelspour ne pas inquiéter les particuliers. Le blogueurrestera toutefois responsable au regard du droit depropriété intellectuelle en général, et du droit d’au-teur en particulier. Les plagiats sont donc, sur sup-port papier ou électronique, toujours à proscrire.

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La mise en concurrence de professions du droit : l’acte d’avocatRudi Fievet

La concurrence a permis depuis plusieurs décen-nies d’obtenir des produits à la fois plus complexes,de meilleur qualité, et à moindre coût pour le con-sommateur. Elle est donc en général louée par cesderniers. Pour autant, il est des domaines qui a priorine devraient pas relever de cette logique. C’est le casd’un domaine qui n’est pas purement économique, lecas de deux professions du droit.

En raison du principe de bonne organisation dela justice, de l’intelligibilité du droit, voire de sa sim-plification, le droit français attribuait une tâche biendéfinie mais plus ou moins étendue à chaque profes-sion juridique. Ainsi, dans le droit des procédures col-lectives par exemple, on distingue aisément un man-dataire d’un liquidateur. On peut encore citer qu’àl’époque où l’avoué près les Cours d’appel existaitencore, il était bien dissocié de l’avocat. Les rôles etprérogatives étaient cloisonnés.

Le législateur, de par une loi n° 2011-331 du28/03/2011 dite de modernisation des professions ju-diciaires ou juridiques et certaines professions régle-mentées, a pourtant fait un choix saugrenu : fairerentrer l’avocat dans le domaine réservé du notaire.

A. La prééminence historique du notaire etde son acte authentique

Rappelons tout d’abord que l’acte juridique estune manifestation de volonté en vue de produire deseffets de droit. Depuis des décennies, l’acte notariédit acte authentique est un élément probatoire quasiincontestable, tant sa procédure d’inscription en fauxest longue, complexe et onéreuse. Il se distingue del’acte sous seing privé, qui est dressé et signé directe-ment par les parties.

C’est pourquoi dans les opérations juridiques né-cessitant une haute protection, une sécurité juridiqueélevée, comme les ventes immobilières, un acte au-thentique est requis à peine de nullité. Cela se conçoitau vu des sommes en jeu, ainsi que du fait des clausespénales ou des encours contractés auprès des ban-ques. Le formalisme solennel était donc tout indiqué,lui qui permet également une bonne information dessignataires de par les conseils avisés du notaire, con-seil juridique familial par excellence.

La loi sus-citée crée au profit des avocats unnouvel outil dans leur mission de suivi et de con-seil de leurs clients, l’acte d’avocat. Là où le notairedispose de tampons et de griffes, l’avocat dispose dé-sormais d’un sceau particulier. Là où le notaire estsynonyme d’actes graves et dangereux pour les patri-moines, l’avocat bénéficie de son image de défenseurdu client, de limitation de responsabilité.

B. Une convergence de professions ou unnouvel outil juridique distinct ?

Si les notaires s’offusquent de cette entrée remar-quée dans leur domaine privilégié, les avocats s’enréjouissent. Il est vrai qu’économiquement parlant,cela représente une réelle manne pour la profession,lorsque l’on sait que la moitié des avocats installésà titre indépendant gagnent le SMIC. Lorsque lesparties en relation contractuelle veulent une sécuritéadaptée au domaine des affaires, des contrats, elles setourneront vers leur avocat, délaissant leur notaire.Cela impliquera une protection plus abordable, maiscela se conçoit pour des actes qui ne sont ni médiocresni essentiels.

On peut voir d’un bon œil cette nouveauté dansles relations d’affaires. En effet, le notaire n’est pas leconseil premier des entreprises. Il a une vision pat-rimoniale de famille. S’il est compétent en matièrede sociétés notamment, c’est parce que les statuts decelles-ci sont souvent, voire obligatoirement, établispar acte authentique, vu l’importance des structuressociétaires. Les lobbyistes patronaux réclamaient unacte adapté au monde des affaires, par leur conseilhabituel. Ainsi, l’avocat d’affaires conserve en fin decompte sa clientèle habituelle, celle qui lui revientclassiquement. S’il est intéressant d’avoir deux sonsde cloche pour l’exemple déjà évoqué des statutsd’une société, l’avis du notaire dans d’autres do-maines industriels et commerciaux est indifférent.

Lorsque deux parties voudront sécuriser leurstransactions, elles auront désormais plus de choix,avec une spécialisation de chaque professionnel dudroit, ce qui est appréciable. On peut donc approu-ver cette réforme qui, loin de neutraliser ou de con-currencer l’acte authentique, ne fait que pallier undomaine dans lequel le notaire n’avait pas vocationà intervenir.

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Les types psychologiques selon C.G. JungSophie

La psychologie de la personnalité est un do-maine extrêmement vaste et controversé. Commenten serait-il autrement quand la notion de personnal-ité est intimement liée à celle d’identité, dont il estsi difficile de donner une définition auto-suffisanteet non-contradictoire ? En effet, au premier abord,nous pouvons considérer qu’un être humain est car-actérisé par son corps et son esprit ; cette visiongrossière peut être affinée en remarquant que l’espritest selon toute vraisemblance une propriété émer-gente de notre corps. Or ce corps est à la fois enconstante évolution et en interaction avec le mondeque nous qualifions d’extérieur, si bien que notre per-sonnalité – déjà dépendante du fonctionnement denotre corps, comme en témoignent entre autres denombreux exemples tirés de la psychiatrie – elle aussine cesse d’évoluer sous l’influence de notre environ-nement.

Ces difficultés intrinsèques rendent délicatetoute tentative de définition stricte du mot mêmede personnalité : aucun consensus n’a été atteint surce point parmi les philosophes ou psychologues. Ilest d’ailleurs instructif de rappeler ici l’origine la-tine persona du mot "personnalité" : persona, c’estle masque que porte l’acteur dans le théâtre latin,l’interface entre lui-même, son rôle et le public. Ilne s’agissait pas de cacher ou déguiser l’acteur, maisbien d’identifier le personnage qu’il incarnait et derendre prévisibles ses actions. Ce dernier point estun des enjeux actuels de la psychologie "appliquée" :c’est aussi la raison pour laquelle les tests psy-chologiques sont souvent utilisés dans le monde dutravail. Mais les buts ultimes de l’étude de la person-nalité sont bien plus vastes : il s’agit non seulementde déterminer ce qui différencie les hommes entreeux, mais aussi de comprendre la nature humaineà travers nos caractéristiques communes et d’établirune vision cohérente de l’individu et de ses processuspsychologiques.

A. Théorie du type et théorie du trait

Les théories de la personnalité se répartissenten deux catégories, selon qu’elles sont fondées surla notion de type ou celle de traits. Les théoriesdu type regroupent les personalités par catégoriesqualitativement différentes les unes des autres (lestypes), alors que les théories du trait mesurent pourchaque individu le degré auquel il possède certainsattributs (les traits). Dans toutes ces théories, ons’intéresse aux aspects censés être les plus représen-tatifs de la personnalité, fondateurs de notre identitépsychique. Evidemment, ces aspects varient d’une

théorie à l’autre, en fonction (justement !) de la per-sonnalité de l’auteur. . . Cependant, certains traitsmajeurs sont partagés par la plupart des théories :c’est le cas de l’extraversion. Dans le cadre d’unethéorie du type, un homme sera vu comme introvertiou extraverti (théorie binaire), alors que dans unethéorie du trait, on attribuera au même homme undegré d’extraversion (théorie continue).

Au vu de cet exemple, on comprend bienpourquoi les théories du trait sont actuellement re-connues comme plus crédibles et plus performantes,dès lors qu’il s’agit de comparer un individu au rested’une population, ou de prévoir son comportementdans une situation donnée. C’est pourquoi de nom-breuses théories du trait sont actuellement en vogue,dont la plus connue est sans doute la théorie des BigFive, ces cinq traits centraux de la personnalité misen évidence (de manière empirique) par la recherche :l’ouverture à l’expérience, le caractère consciencieux,l’extraversion, l’agréabilité et le neuroticisme (c’est-à-dire la tendance à éprouver facilement des émotionsdésagréables).

Malgré ces dehors prometteurs, les théories dutrait souffrent d’un défaut majeur : elles restent es-sentiellement descriptives, et n’offrent que peu d’ex-plications des mécanismes profonds du psyché et dela constitution de la personnalité. Les théories dutype, bien que présentant une part d’arbitraire etlaissant large place à la controverse, sont plus con-structives et propices à la réflexion sur l’identité psy-chique, pour peu que l’on soit prêt à trier le bon grainde l’ivraie. Pour cette raison, la suite de cet article vaporter sur les types de personnalité établis par Jung,ainsi que les théories qui s’en sont inspirées.

B. Les types psychologiques selon Jung

Le psychiatre suisse Carl Gustav Jung, un mo-ment disciple de Freud avant de s’en éloigner (caril ne partageait pas sa vision centrale de la sexual-ité dans la personnalité), a élaboré une vision glob-ale de l’individu qu’il a présentée dans son ouvrageLes types psychologiques [1], en 1921. Notre dy-namisme provenant, selon lui, d’un mouvement entredes pôles, sa théorie est basée sur des polarités.

a) Les trois axes fondateursAinsi, il a observé que l’esprit humain dispose

de quatre fonctions psychologiques de base. Deuxfonctions de perception (P) nous permettent de re-cueillir l’information, de manière complémentaire :

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l’intuition (N) 1 et la sensation (S). Deux fonctionsde jugement (J) bien différentes, la pensée (T) etle sentiment (F), traitent cette information et for-ment des conclusions. D’autre part, Jung a remar-qué que les individus pouvaient trouver leur énergiesoit dans l’environnement extérieur (expériences, ac-tivités), soit dans leur monde intérieur (idées, émo-tions) : on dira que les premiers sont extravertis (E)alors que les seconds sont introvertis (I) 2 . Ainsi,Jung a mis en avant 3 axes sur lesquels s’organisenotre personnalité : l’orientation face au monde (E-I), la perception du monde (N-S) et le jugement surle monde (T-F) 3 .

Tels quels, ces différents traits ne suffisent biensûr pas à nous caractériser, ni à nous placer dans unmoule duquel nous ne pourrions pas sortir. Bien aucontraire, la théorie de Jung est dynamique et évolu-tive : les traits ci-dessus constituent des préférencesparmi un ensemble de possibilités : notre constitu-tion et notre éducation (au sens large) ont privilégiécertaines de ces possibilités (de la même manièreque nous sommes droitier ou gaucher), mais nouspouvons aussi développer et utiliser – à des degrésdivers – les possibilités complémentaires.

b) La théorie dynamique des fonctions cognitivesA partir des deux orientations de l’énergie (ex-

traversion E, introversion I) et des quatre processusmentaux (intuition N, sensation S, pensée T, senti-ment F), Jung a identifié 8 fonctions cognitives : Ne

(intuition extravertie), Se (sensation extravertie), Te

(pensée extravertie), Fe (sentiment extraverti), ainsique les analogues introvertis.

La fonction pour laquelle nous avons unepréférence marquée, qui nous structure et qui est enquelque sorte innée, est appelée la fonction domi-nante. Dès l’enfance commence à se développer lafonction auxiliaire, nommée ainsi car elle secondela fonction dominante. Elle complémente celle-ci dedeux manières : elle agit dans le "monde" complémen-taire de la dominante (intérieur pour une dominanteextravertie, et vice-versa) et sur l’autre fonction men-tale (fonction de jugement pour une dominante per-ceptive, et réciproquement). Ainsi, chez l’extraverti,la dominante est extravertie et l’auxiliaire introver-tie, alors que c’est le contraire pour les personnalitésintroverties. Ainsi, chez un extraverti, la dominanteest assez visible, alors que chez un introverti, c’estl’auxiliaire qui l’est (puisque sa dominante est dirigéevers l’intérieur).

Remarquons qu’il y a 8 choix pour la fonctiondominante, et 2 pour la fonction auxiliaire (par ex-

emple, une dominante Ne peut donner lieu à uneauxiliaire Ti ou Fi). Ainsi, les types psychologiquesde Jung sont au nombre de 16.

Mentionnons au passage que la théorie de Jungcomprenait aussi deux autres fonctions, dites terti-aire et inférieure, entièrement déterminées par lesfonctions dominante et auxiliaire. Ces fonctions, cen-sées ne se manifester qu’à partir de l’âge adulte,correspondent aux parties les moins développées denotre personnalité, et la fonction inférieure peutd’ailleurs être source d’ennuis, soit que nous l’ig-norions totalement, soit que – conscients de notrefaiblesse – nous cherchions trop à la combler. Enraison de son caractère assez peu scientifique (voireésotérique !), nous ne développerons pas plus cet as-pect de la théorie dynamique des fonctions cogni-tives, et renvoyons le lecteur intéressé à la bibliogra-phie [3].

C. Les types psychologiques dérivés

Le modèle de Jung a eu un large succès, qui semesure en particulier au nombre des théories dontil est à l’origine. Nous en mentionnerons ici deux,largement utilisées de nos jours : celle de Myers etBriggs, très fidèle à l’idée de Jung, et dont est tiréele test MBTI (Myers–Briggs type indicator), et celledes quatre tempéraments de Keirsey, qui est une vi-sion plus synthétique.

a) L’apport de Myers et BriggsLa psychologue Isabel Briggs Myers et sa mère

Katherine Cook Briggs ont précisé l’idée de Jung (en1962), en ajoutant un quatrième axe aux trois préex-istants (orientation E ou I, perception N ou S, juge-ment T ou F) : cet axe détermine le mode d’actionpréféré d’un individu : le jugement (J) ou la percep-tion (P). Cela a plusieurs avantages, dont un évi-dent : nous avons en effet vu que, pour une fonctiondominante donnée, deux fonctions auxiliaires étaientpossibles ; avec l’axe supplémentaire, ce degré de lib-erté disparaît. Ainsi, les types psychologiques sonttoujours au nombre de 16 ; on obtient un type enchoisissant, pour chacun des axes (au nombre de 4),une des deux polarités.

Nous avons dit ci-dessus qu’à chaque type corre-spond une fonction dominante et une fonction auxil-iaire bien déterminées ; voyons comment les trouver.On regarde tout d’abord le mode d’action (jugementJ ou perception P), puis le pôle sur l’axe correspon-dant (S ou N dans le cas des perceptifs, F ou T dansle cas des jugeurs). Si la personne est extravertie, safonction dominante est simplement la fonction ainsi

1. Les lettres données ici pour chaque polarité sont tirées de l’anglais (par exemple, T pour "thinking", F pour "feeling") ; le Npour "intuition" provient du fait que le I est déjà utilisé pour "introversion".

2. Les mots introverti / extraverti ne doivent donc pas être compris dans le sens devenu commun de timide / ouvert.3. Une description des différentes polarités est proposée dans la partie "la détermination des types".

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déterminée, assortie de l’orientation extravertie. Parcontre, si la personne est introvertie, c’est sa fonctionauxiliaire que l’on obtient de la sorte. Cette différenceest basée sur l’idée que le mode d’action J ou P estle mode d’action extraverti, c’est-à-dire appliqué aumonde extérieur ; or, chez un introverti, la dominanteest forcément introvertie, si bien que la méthode ci-dessus ne donne que la fonction auxiliaire. Aprèsavoir déterminé soit la fonction dominante, soit lafonction auxiliaire, il est aisé de déduire l’autre en sesouvenant que ces deux fonctions agissent dans desmondes (intérieur ou extérieur) opposés, et sur desmodes d’action différents.

Pour clarifier un peu, prenons l’exemple d’unISTJ. La première lettre donne l’orientation de ladominante, ici l’introversion I. La dernière lettredonne le mode d’action extraverti : le jugement J.Comme la fonction de jugement préférée est la pen-sée T, on obtient la fonction Te, pensée extravertie.Puisque la dominante est introvertie, Te est la fonc-tion auxiliaire. On regarde enfin l’axe ignoré jusque-là : la perception, avec préférence à la sensation S.Ainsi, la fonction dominante est la sensation intro-vertie Si. Si par contre nous considérons un ESTJ,c’est sa fonction dominante qui est Te, et son auxili-aire Si.

b) Les quatre tempéraments de KeirseyA partir des travaux de Jung enrichis de l’apport

de Myers et Briggs, David Keirsey a identifié quatregrands tempéraments : les gardiens SJ (45% de lapopulation), les artisans SP (23%), les idéalistes NF(17%) et les rationnels NT (15%). La division simplepar tempéraments avait déjà été beaucoup utiliséeau cours de l’histoire : la plus connue est sans doutecelle de Galien (mélancoliques, sanguins, colériques,flegmatiques), mais d’autres philosophes ou médecins(au nombre desquels Platon, Aristote et Paracelse)ont aussi proposé la leur. D’ailleurs, Isabel Myersavait elle aussi avancé une division, proche de cellede Keirsey, mais basée entièrement sur les deux fonc-tions cognitives (jugement et perception) : NT, NF,ST et SF 1.

Mais c’est la vision de Keirsey qui a finalementété retenue. Cette division semble en effet plus effi-cace pour comprendre les différences fondamentalesentre certaines personnalités, et évaluer (de manièretout à fait grossière, évidemment) le comportementd’un individu. Les descriptions des différents tem-péraments seraient un peu longues pour ce brefaperçu ; c’est pourquoi nous renvoyons le lecteur in-téressé aux références (en particulier [2], [3]), ainsiqu’aux nombreux sites internet qui traitent de ce su-jet.

D. La détermination des types selon le mod-èle de Jung-Myers-Briggs

Après cet exposé assez théorique, venons-en à laquestion cruciale que vous vous posez sans doute :comment déterminer son type ? On peut bien sûrpasser par un test MBTI (voir par exemple [4], [5]),mais aussi simplement réfléchir à la façon dont nousfonctionnons. C’est dans cette optique que je décrisci-dessous quelques caractéristiques liées à chaquepolarité.

– L’orientation de l’énergie : les extravertis (E)sont naturellement actifs, sociables, expres-sifs ; stimulés par le monde extérieur, ils ai-ment parler (mais pas toujours écouter. . .) ets’expriment sur un grand nombre de sujets.Ayant besoin du contact avec les autres, ilssont à l’aise en groupe et établissent facile-ment de nouveaux contacts. Dynamiques, ilsinitient conversations et activités, au risque dese disperser ou d’agir de manière irréfléchie.Au contraire, l’énergie des introvertis (I) estconcentrée à l’intérieur d’eux-même : ils sontplutôt tranquilles et réservés (voire distants).Dotés d’une bonne concentration et orientésvers la réflexion, ils pensent avant d’agir (etmanquent parfois de réactivité). Ils préfèrentle tête-à-tête au groupe, l’écriture à la parole,et ne s’exprimeront que sur les sujets qu’ilsmaîtrisent bien. Ils ont besoin de calme etde solitude pour recharger leurs batteries, sibien qu’ils interagissent un peu moins que lesextravertis (ce qui contribue à les rendre en-nuyeux aux yeux de ces derniers).

– La perception : la sensation permet depercevoir l’information sensorielle, concrèteet tangible (données, expérience réelle, faits)alors que l’intuition est une prise de con-science de renseignements abstraits (sym-boles, concepts, sens, liens). Ainsi, les sen-sitifs (S) remarquent les faits, les détails etles réalités du monde qui les entoure, et lesintuitifs (N) perçoivent le sens, les relationsentre les choses et les possibilités. Les pre-miers sont réalistes et pratiques : ils recueil-lent rigoureusement les données, suivent desapproches connues, ont le sens de la précisionet aiment perfectionner leurs compétences. Sil’une de ces compétences est exacerbée, onpourra leur reprocher de se perdre dans lesdétails, de ne pas voir plus loin que le bout deleur nez, d’être trop ancré dans la traditionou d’avoir peur du changement. Quant auxintuitifs, ils sont imaginatifs et théoriques : ils

1. Elle avait par ailleurs remarqué qu’une autre division, à savoir ES, IS, EN, IN, avait une certaine valeur : en particulier, cettedivision serait fortement corrélée à la réussite universitaire (réussite croissante dans l’ordre mentionné).

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abordent les données dans leur totalité, n’hési-tent pas à sortir des sentiers battus, se fientà leur instinct, aiment acquérir de nouvellescompétences et sont orientés vers le futur. Onreprochera à certains de tenir un discours ab-strait et innapplicable, d’avoir la tête dansles nuages, de rechigner à passer à l’action oud’être en attente continuelle de changement.

– Le jugement : les penseurs (T) évaluent l’in-formation de manière objective et imperson-nelle, et basent leurs décisions sur la logiqueet la raison. Analysant les causes et les ef-fets, doués de recul par rapport aux événe-ments et aux personnes, privilégiant le con-tenu à la forme, ils recherchent avant tout lavérité. Dans leurs relations, ils sont francs etréservés (quitte à paraître froids et imperson-nels), critiques (certains jusqu’à l’agressivité)et sont fermes sur leurs principes. Quant àeux, les sentimentaux (F) fondent leurs choixsur leurs valeurs et leurs impressions person-nelles. Recherchant l’harmonie, ils sont em-pathiques, chaleureux, diplomates, et portésà la négociation et la persuasion plutôt qu’àl’argumentation et la démonstration (si bienqu’ils peuvent manquer de rigueur). Sensibles(et facilement blessés), ayant besoin d’être ap-préciés, ils tentent de faire plaisir à autrui.

– Le mode d’action : les jugeurs (J) sont plutôtsérieux et organisés (voire carrément mani-aques) ; ils aiment un environnement struc-turé dans lequel ils peuvent décider et plani-fier. Méthodiques et rigoureux (jusqu’à êtrerigides), ils viennent à bout de leurs en-treprises ; leur sens inné du devoir en fait despersonnes fiables. Les perceveurs (P), au con-traire, sont plutôt décontractés et spontanés(mais souvent étourdis et désordonnés) ; ilsn’aiment rien prévoir, remettent les décisionsà plus tard, et préfèrent improviser. Ce sontdes personnes ouvertes, non-conformistes, enattente continuelle de nouvelles expériences.

Alors, êtes-vous plutôt ENFP, ISTJ ou l’un des14 autres types ? Ou tout simplement inclassable ? Ilest important de rappeler ici que personne ne se situeentièrement aux pôles décrits ci-dessus : chacun d’en-tre nous présente, en général, une simple préférence(plus ou moins nette) pour l’une des deux possibil-ités sur chaque axe. Il importe aussi de comprendreque la détermination du type ne s’effectue pas parcomparaison par rapport à son entourage (qui a ten-dance à nous ressembler), ni par rapport au reste dela population.

D’ailleurs, les types ne sont absolument paségalement répartis. On estime ainsi qu’aux Etats-Unis la répartition est la suivante : 50%/50% pour

I/E, 70%/30% pour S/N, 60%/40% pour J/P (toutcela indépendamment du sexe), et la proportionde T/F serait de 70%/30% pour les hommes et40%/60% pour les femmes. Les types les pluscourants sont les ISTJ, ISFJ, ESFJ, ESTJ (typesayant en commun S et J) : ces 4 types regroupent45% de la population. D’autres types sont très peureprésentés : INTJ, INTP, INFJ, ENFJ (2 ou 3 %chacun). Mais selon les milieux que vous fréquentez,il se peut que vous connaissiez beaucoup de ces én-ergumènes : ainsi, les INTJ et INTP sont nombreuxdans la recherche scientifique.

En guise de conclusion, rappelons que les mod-èles présentés ici ne représentent qu’un pan des ap-proches de la théorie de la personnalité ; de nom-breuses théories du trait ont aussi vu le jour et sontlargement utilisées. Insistons aussi sur le fait que lesmodèles de Jung, Myers-Briggs et Keirsey sont es-sentiellement des visions, des propositions, et n’ontpas à l’heure actuelle de valeur scientifique (bienqu’ils en soient plus proches que les théories du trait,qui ne présentent pour leur part aucun caractère deréfutabilité). Ces modèles ont certes démontré leurutilité, mais toute tentative de classification des per-sonnalités présente au moins deux limitations ma-jeures : d’abord, pour un modèle donné, certains in-dividus ne rentrent pas aisément dans une catégorie(peut-être en faites-vous partie pour le modèle quenous avons présenté ?), et surtout, aucun classementne saurait saisir dans sa totalité l’essence des per-sonnalités, si bien qu’il reste des différences énormesentre individus du "même type". Ces deux diffi-cultés sont incontournables, car elles s’entretiennentmutuellement : en voulant remédier à la seconde, onpourrait penser à ajouter des sous-catégories, maisalors de plus en plus d’individus ne trouveraient plusleur place dans le modèle. Face à toutes ces limita-tions, on proposera ainsi au lecteur de ne retenir decet exposé que la moelle du modèle de Jung : lesquatre fonctions psychologiques de base (sensation,intuition, pensée, sentiment) organisées selon deuxaxes (perception et jugement), utilisées différemmentselon l’orientation introvertie ou extravertie de l’én-ergie. Mais si la dynamique des fonctions dominante,auxiliaire et autres vous laisse sceptique, n’insistezpas : vous avez probablement raison.

Références[1] Les types psychologiques, C. G. Jung (1921).[2] Please understand me II, D. W. Keirsey (1998).[3] http://www.16-types.fr/.[4] http://www.humanmetrics.com/cgi-win/

JTypes1.htm.[5] http://similarminds.com/.

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Cioran, le tourment rieurFlorian

« Pire encore que la religion, lecynisme commet l’erreur d’accorder tropd’attention à l’homme. » 1

Ah, Cioran ! Ce philosophe n’est pas partic-ulièrement l’ami des enfants. . . Ou alors, il l’est desenfants déjà tourmentés par les questions de l’ex-istence, de la douleur, de la mort, et que peut-onimaginer d’autre. Emil Cioran, ce philosophe d’orig-ine roumaine, expatrié en France, et qui a plus oumoins rejeté sa langue maternelle, est plaisammentdépeint comme le frère du suicidé, la conscience dusouffreteux, l’ami du malaise, le penseur du calvaire,bref, le cynique esprit de la désolation, de la solitude,du repli, de l’inquiétude, de l’angoisse et des affres.

Alors, forcément, avec un menu pareil, on pour-rait se demander sur quelle prescription ce bravehomme pourrait être consulté. Hélas, comme beau-coup d’âmes sensibles et souvent extrêmes, et,comme beaucoup de personnes défuntes, l’agressioncaricaturale est aisée, et le résumé de ses détours tou-jours outrageusement réduit. Lui-même, pourtant,s’est développé dans la direction de la brièveté :en connivence avec l’inachevé, Cioran a élu domiciledans l’aphorisme, le propos bref qui se veut désta-bilisant, qui exhorte à la méditation. Cela ne l’em-pêche pas de reconnaître tout le désagrément géné-tique de ses fulgurances : composant dans la douleur,l’échange ne se fera pas sans agression. Mais, à sadécharge, son style s’orne de poésie, de métaphoresprofondes, et même, de tirs ironiques, voire comiques.L’humour est aussi assumé que le déchirement, etqui n’entendrait pas quelque sourire en coin dans unjet comme « Nous sommes tous au fond d’un en-fer dont chaque instant est un miracle» 2 ? Soyonshonnête : si la vie devient insupportable, et qu’ondésire pourtant s’y maintenir, raisonnablement ounon, c’est bien que l’on s’y ménage quelque plaisir.Même si, chez Cioran, le thème de la lâcheté face à lamort revient, le mettre au rang des gens-en-désir-de-suicide serait prématuré : sans être un jouisseur in-vétéré, il a connu l’amour, la popularité, l’amitié, leséchanges, et une vie d’octogénaire. Plutôt abattu parles instants fades et les frontières immuables, se rê-vant quelque fois un animal différent pour connaîtredes états différents, Cioran est un être de passion,et donc un être curieux et actif. Certes, il lui est re-

grettable que, pour penser, il faille endurer : « Souf-frir, c’est produire de la connaissance » 3. Mais allons,ce n’est pas le seul à estimer que l’âpreté de la vieforge l’âme et le caractère, même si, en penseur, il dé-passe les conventions et annonce que « nous n’avons,pour opposer à nos frayeurs et à nos doutes, que lescertitudes et la thérapeutique du délire » 4. Puisquela peine est une donnée brute, il faut s’inventer delongs sortilèges pour s’extraire des agonies courantes.La devise est claire, même dès son premier ouvrage,Sur les cimes du désespoir : toute personne devisantsur le monde et n’ayant pas eu à soutenir la douleurn’aura qu’un discours convenu, creux, « bourgeois »,dirait-on. Mais cela n’exclut pas que, pour le rap-porter, il faut encore être inspiré, et donc, savoir ex-agérer : ainsi s’entend selon lui le lyrisme, qualitépropre au génie 5.

Mais arrêtons-nous un instant. Ne prétendonspas que l’ennemi de la joie ait une pensée unique.Du fait de son style syncopé, contradictions, préci-sions et imprécisions se mêlent furieusement. . . aumoins dans l’enceinte des ouvrages. Pour les titres,aucun équivoque : Le Crépuscule des pensées, Brévi-aire des vaincus, Précis de décomposition, Syllogismede l’amertume, La Tentation d’exister, De l’Incon-vénient d’être né. . . Difficile de faire plus désabusé.Et, avec une vitrine aussi sombre, affecter la mis-anthropie survient comme une évidence, puisque,comme homme, Cioran-misanthrope aura le goût raf-finé de se détester lui-même, ou d’haïr son voisin,comme cette patiente à la mâchoire endolorie venuese soigner, et qui fait écrire à notre rédacteur de latristesse : « Cet excès d’attention à soi de la partd’une commère décrépite me laissa tout d’abord in-décis entre l’effroi et l’écoeurement ; puis je quittail’hôpital avant que mon tour ne vînt, décidé à renon-cer pour toujours à mes douleurs. » 6 On sait com-bien la suite de ses propos lui donnera tort, maisc’est que, cultivant un agréable masochisme, il seplait à hurler contre les fléaux et à se rappeler à lui-même de s’en prémunir : « Les doctrines manquentde vigueur, les enseignements sont stupides, les con-victions ridicules, et stériles les fleurs des théories. » 7

Ne reculant devant rien, il fait des abysses un gîteagréable, et, dans un élan coquet, écrit :

« Le philosophe, revenu des systèmes

1. Syllogismes de l’amertume.2. Dernier trait du livre intitulé Le Mauvais Démiurge.3. Tiré du Mauvais Démiurge.4. La Tentation d’exister.5. Précis de décomposition.6. Ibid.7. Ibid.

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et des superstitions, mais persévérant en-core sur les chemins du monde, devraitimiter le pyrrhonisme de trottoir dontfait montre la créature la moins dog-matique : la fille publique. Détachée detout et ouverte à tout ; épousant l’humeuret les idées du client ; changeant de tonet de visage à chaque occasion ; prêteà être triste ou gaie, étant indifférente ;prodiguant les soupirs par souci commer-cial ; portant sur les ébats de son voisinsuperposé et sincère un regard éclairé etfaux, — elle propose à l’esprit un modèlede comportement qui rivalise avec celuides sages. » 1

Que peut-on ajouter ? Cioran a le propos aussi volon-tiers autotélique que possible, et se prenant commeobjet, n’est pas sans se plaire comme caricature. Maisalors, faut-il vraiment pourfendre tous ceux qui enfont le paragon du bourreau des contentements ? As-surément, si l’on tient à être probe : il y a un hu-mour incomparablement plus mordant et plus dé-cisif chez lui que chez bon nombre d’autres penseurscélèbres et reconnus, inscrits au programme et dis-séqués avec passion. Certes, tous ses ouvrages de je-unesse ne sont pas tous empreints de la même sévèrelégèreté, et, comme un cycle nycthéméral, la dépres-sion affleure aisément : « L’homme aurait dû êtren’importe quoi, sauf ce qu’il est. » 2 Mais l’associ-ation de ces élans presque « maniaco-dépressifs »avec une pensée en quête de totalité, de vivisec-tion de la « raison » et d’autopsie de l’émotion for-ment un ensemble qui cherche à représenter au mieuxl’existence quotidienne avec ses oscillations inévita-bles. Cependant, écrivant qu’il « n’[a] pas d’idées— mais des obsessions 3 », Cioran formule ici unaveu, plus qu’un anathème : chaque ouvrage estun palimpseste méticuleux du précédent. Mais lui-même, n’obtenant jamais une grande satisfaction àl’issue de ses rédactions, se déplaisait assez pouroser l’opportunité d’une nouvelle version. Or, aprèstout, l’accuser de redondances serait se méprendresur la forme philosophique : tout marginal qu’il es-saie d’être, il n’en reste pas moins confiné par leshorizons de la recherche, et même si sa méthode des« bas quartiers » et sa quête d’inspiration par ladéambulation pouvaient ajouter de l’oxygène à sonesprit, erreurs et égocentrisme restent les fondationsde son étonnement. Aussi, ses ouvrages peuvent-ilsêtre abordés comme les carnets d’une introspection,qui forcent la nôtre et se plaisent à des questionsmalgré tout atypiques : « Pourquoi je ne me sui-

cide pas ? Parce que la mort me dégoûte autant quela vie. » Et ainsi, à soucis d’ordre privé, justifica-tion hypostatique : « Face à l’existence, le vrai et lefaux ne comptent plus, mais seulement notre réactionpersonnelle. Subjectivisme, dira-t-on. Qu’importe ?L’expérience subjective ne vous élève-t-elle pas auplan d’universalité, comme l’instant à celui de l’éter-nité ? ». Bref, à lire un être « mécontent de tout »,c’est lire en une somme tout ce que l’on pourraitdésirer. Et, éminente saveur, Cioran nous offre ce metdans un style lisible et très accessible : philosopheanti-philosophe, raisonnable sentimentaliste, à dé-faut d’être toujours suivi, il mérite amplement d’êtresaisi.

Références[1] Cioran, Précis de décomposition. Tel. Gallimard,

1977.[2] Cioran, De l’inconvénient d’être né. Gallimard,

1987.[3] Cioran, Sur les cimes du désespoir. Le Livre de

Poche, 1991.[4] Cioran, Syllogismes de l’amertume. Gallimard,

1997.[5] Cioran, Le crépuscule des pensées. Le Livre de

Poche, 2011.

1. Ibid. À mettre en parallèle avec cet autre extrait, tiré du même ouvrage : « Pour me consoler des remords de la paresse,j’emprunte le chemin des bas-fonds, impatient de m’y avilir et de m’y encanailler. »

2. Sur les cîmes du désespoir.3. Ibid.

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Arts et littérature

La redécouverte de la musique ancienneCorinne de Lacroix

Depuis une cinquantaine d’années, la musiqueancienne (médiévale, Renaissance, baroque) a été,d’abord timidement puis avec un engouement crois-sant, remise au goût du jour. Elle est maintenant àl’affiche dans les plus grandes salles de spectacles.Cet article veut donner un bref aperçu de l’histoiredu renouveau de la musique ancienne, de ses objec-tifs, de ses difficultés et des moyens mis en œuvrepour reconstituer une culture musicale presque to-talement oubliée depuis le XVIIIe siècle. La diversitédes approches nécessaire à l’appréhension d’une tellevariété d’œuvres, sur une période si étendue (Moyen-Age, Renaissance, XVIIe et XVIIIe siècle) ne per-met pas de faire ici une étude exhaustive (qui faitd’ailleurs l’objet de nombreux ouvrages spécialisés).

A. Reconstituer la musique médiévale et Re-naissance

Si les groupes de musique médiévale et Renais-sance se multiplient, la reconstitution de la musiquede cette longue période s’avère difficile à cause dumanque de documents écrits. En effet, si l’on disposedès l’Antiquité de nombreux ouvrages philosophiqueset théoriques concernant la musique (sur le carac-tère des modes, les rapports mathématiques contenusdans les intervalles et leur lien avec l’harmonie dumonde...), les premiers traités techniques datent dela Renaissance. Avant, les partitions retrouvées por-tent très peu d’indications sur l’instrumentation oula technique. La musique populaire est principale-ment transmise oralement.

En outre, très peu d’instruments originaux ontété retrouvés. Pour tenter de faire revivre l’at-mosphère musicale de l’époque, les instrumentisteset les facteurs d’instruments doivent se tournervers l’iconographie : peinture, sculpture, vitraux.Ainsi, on a pu reconstituer plusieurs instrumentsd’après des statues de Saint Jacques de Compostelle(photo 10). L’iconographie nous montre quels instru-ments étaient utilisés et donne aussi des indicationssur la façon dont ils étaient joués (position des mainsdes musiciens...). Le manuscrit des Cantigas de SantaMaria (photo 11) notamment comprend, outre 427chansons, de nombreuses enluminures représentantdes instrumentistes. On trouve aussi quelques té-moignages et poèmes dans lesquels figurent les nomsdes instruments. Les musiciens s’aident aussi des in-struments encore utilisés dans les musiques tradition-nelles tant européennes qu’orientales, qui ont souvent

conservé certains traits ancestraux.

Figure 10 – Bas-relief extérieur de la cathédrale deSaint Jacques de Compostelle, vers 1120.

Figure 11 – Enluminure extraite des Cantigas deSanta Maria, XIIIe siècle.

Enfin, la salle de concert est un concept to-talement absent à cette époque. La musique s’in-scrit dans le temps d’une manière complètement dif-férente d’aujourd’hui. Le chant grégorien est ancrédans le temps liturgique. La musique populaire estquant à elle principalement destinée à accompagnerdes danses. Retrouver l’atmosphère de l’époque né-cessite aussi de réfléchir à ces questions (choix deslieux, mise en espace...).

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B. Le renouveau de la musique baroque

La musique baroque (XVIIe siècle et premièremoitié du XVIIIe) tombe dans l’oubli à la fin duXVIIIe siècle. Le pianoforte à cordes frappées rem-place le clavecin à cordes pincées et supplante sonancêtre le clavicorde, le violoncelle et le violon pren-nent la place de la viole de gambe. La révolutionfrançaise sonne le glas de ces instruments, symbolesde la noblesse de l’Ancien Régime : beaucoup serontdétruits ou transformés en pianoforte, en violon-celle, en violon ou en alto. Les clavecins confisquéslors de la Révolution et remis au Conservatoire deParis seront même brûlés pour chauffer les sallesde classe en 1816. Les derniers clavecins constru-its datent des années 1800. Si quelques passionnéscontinuent à en jouer, la plupart des instrumentsrestant sont relégués au rang d’objets de décorationpour de riches propriétaires. La musique de Bachsera ainsi presque complètement oubliée du grandpublic depuis sa mort en 1750 jusqu’en 1829, annéeoù Mendelssohn fait rejouer La Passion selon SaintMathieu. Les grands compositeurs romantiques ontcependant beaucoup étudié la musique du maître telsBrahms qui lui a emprunté le thème d’une des can-tates pour sa quatrième symphonie ou Schumann quirecommande de travailler régulièrement Le Clavierbien tempéré dans les conseils aux jeunes musiciensqui précèdent l’Album pour la jeunesse.

Après le retour de La Passion selon Saint Math-ieu, l’intérêt pour la musique ancienne s’accroît etl’on commence à rééditer les œuvres des composi-teurs baroques comme Handel, Rameau ou Couperinau milieu du XVIIIe siècle. Des tentatives, souventdésastreuses, de restauration d’instruments voient lejour (tout comme en peinture ou en architecture, cen’est que très récemment que l’on a pris consciencede l’importance de restaurer les œuvres selon leurconception originale et non selon les idées modernesdu restaurateur). Au début du XXe siècle se créentdes sociétés de musique ancienne visant à faire redé-couvrir au public les œuvres baroques et à remettreau gout du jour les instruments anciens. En 1903,Wanda Landowska commence à jouer en concert despièces de Bach au clavecin. Les facteurs de piano(Pleyel, Erard, Gaveau...) profitent de l’engouementpour fabriquer quelques clavecins. Des compositeurscomme Manuel de Falla ou Francis Poulenc com-posent des œuvres pour clavecin et orchestre. Cepen-dant, les instruments n’ont pas grand chose à voiravec ceux de l’époque baroque comme on peut le con-stater sur les photos 12 et 13. Les clavecins ressem-blent plutôt à des sortes de pianos à cordes pincéesau son très décevant.

Il faut attendre les années 50 pour que re-naisse la musique baroque telle qu’on peut l’enten-

dre aujourd’hui. Deux étudiants américains, WilliamDowd et Frank Hubbard fondent en 1949 le pre-mier atelier de facteurs d’instruments à l’ancienne. Al’opposé des fabricants d’instruments anciens mod-ernisés, ils se plongent dans les traités et font descopies d’instruments originaux. Parallèlement à l’ap-parition de cette nouvelle facture instrumentale, lesmusiciens étudient les traités et les partitions origi-nales (manuscrits, copies ou éditions d’époque) pourretrouver le son et la technique de l’époque. Ce mou-vement, dit des baroqueux, qui comporte de grandsnoms comme le regretté Gustav Leonhardt (mort le16 janvier dernier), Jordi Savall, Nikolhaus Harnon-court ou William Christie, reçoit alors de vives cri-tiques mais triomphe dans les années 70. Les tech-niques vocales de l’époque sont aussi remises au goutdu jour : Leonhardt enregistre les cantates de Bachavec des chœurs d’enfants, les contre-ténors commeAlfred Deller ou maintenant Philippe Jarousky re-montent sur scène.

Aujourd’hui, la musique baroque est reconnuesur la scène artistique. Dans les conservatoires, lesélèves apprennent le clavecin, la viole de gambe, laflûte à bec, le luth ou le violon baroque ainsi quel’histoire de cette musique.

Figure 12 – Clavecin italien, 1677.

Figure 13 – Clavecin Pleyel, 1926.

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C. Le succès de la musique ancienne

Outre la beauté, la richesse et la diversité dela musique ancienne, c’est la philosophie musicaledu renouveau qui explique l’engouement pour cettemusique depuis les dernières décennies du XXe siècle.Il y a d’abord une volonté de s’affranchir du carcande l’académisme en vigueur jusque dans les années 70qui rejoint les aspirations de ceux qui se tournent versla musique contemporaine. Dans les années 50–60,la musique ancienne est en effet un terrain libre àdéfricher. Mais le mouvement du renouveau prôneaussi une vraie éthique musicale avec une véritableaspiration à la fidélité à l’œuvre et à son composi-teur et à la contextualisation. Les musiciens se de-mandent sur quels instruments jouer quelle musique,avec quel tempérament, quel diapason, quelles for-mations orchestrales. Chaque œuvre doit être re-placée dans son contexte. Ainsi, on ne jouera pas surle même clavecin la musique anglaise de l’époque élis-abéthaine, la musique française de François Couperinou la musique italienne de Scarlatti. On s’intéresseaussi aux conditions dans lesquelles étaient jouéesles pièces : musique à danser, musique liturgique...Ces questions se posent aussi pour la musique moinsancienne, classique (Mozart, Haydn, Beethoven), ro-mantique (Chopin, Schumann...) et même du débutdu XXe siècle. Ainsi, les pianofortes de Mozart oude Schumann et même les pianos de Debussy ouRavel étaient très différents des pianos modernes.Les autres instruments d’orchestre ont égalementévolués. Pour les interprètes de ce répertoire aussile mouvement du renouveau pose des questions.

D. Musique contemporaine et instrumentsanciens

Le retour des instruments anciens a aussi prof-ité à la musique contemporaine. On trouve ainsi despièces pour clavecin, flûte à bec, viole de gambe oucornet à bouquin. Des œuvres orchestrales mêlentinstruments anciens et modernes voire même dis-positifs électroniques. La technique nécessaire à leurexécution diffère des techniques anciennes, les com-positeurs cherchant à utiliser toutes possibilités ettoute la richesse sonore des instruments (flûtes altoet soprano jouées simultanément par le même in-strumentiste, fréquents changements de registres auclavecin...).

E. Conclusion

Comme on l’a vu, la musique ancienne est unemusique riche, au multiple facettes. Son interpréta-tion pose des problèmes tant musicaux qu’historiquesou techniques. J’espère que cet article vous auradonné envie de vous plonger dans cet univers sonore

fascinant voire de vous initier à la musique contem-poraine sur instruments anciens ou modernes !

Discographie

Voici quelques idées d’écoute depuis la périodemédiévale (Obsidienne...) au XXe siècle (Piazzolla).J’ai malheureusement été brimée dans mon élan parles exigences de concision d’Harold et me suis lim-itée à des enregistrements qui m’ont particulièrementmarquée. J’ai cependant essayé de refléter dans ceschoix la grande diversité de cette musique.

– Obsidienne, L’amour de moy est si enclose.– Jordi Savall, Espana Antigua : Popular Span-ish Music 1200-1700.

– Les Witches, Bara Fostus’ Dreame : Mr Fran-cis Tregain His Choice.

– Gustav Leonhardt, Byrd, Pièces PourClavecin.

– Alfred Deller, Purcell, Music for a while.– Frans Brüggen, Handel, Sonates pour flûte àbec.

– Café Zimmermann, Avison, Concertos inSeven Parts Done From the Lessons ofDomenico Scarlatti.

– Mario Raskin et Osca Milani, Piazzolla, Tan-gos pour Deux Clavecins.

Références[1] À la recherche des sons perdus, interview de John

Wright par Alain-Claude Dessiaumes (mai 2007).[2] Rachel Meegens L’ingénierie artistique et l’ap-

prche du répertoire : le cas de la musique médié-vale.

[3] http://www.musicales.guil.net/Analyses/medievale.html

[4] http://www.musique-medievale.eu[5] http://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_

du_clavecin[6] http://fr.wikipedia.org/wiki/Clavecin[7] http://fr.wikipedia.org/wiki/

Instruments_de_musique_du_Moyen[8] http://fr.wikipedia.org/wiki/Viole_de_

gambe

Remerciements

Cet article n’est pas seulement un résumé dequelques lectures mais surtout le fruit de discussionsavec plusieurs musiciens que je tiens à remercier :Annie Kalifa (professeur de clavecin au conservatoired’Issy-les-Moulineaux), Marc Paveau (professeur deflûte à bec au conservatoire d’Issy-les-Moulineaux),Pierre Hamon (flûtiste soliste et membre de l’ensem-ble Alla francesca) et Françoise Johannel (harpiste).

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Lénore et le Sturm und DrangHarold Erbin

En 1773, Gottfried August Bürger (1747–1794)présente sa nouvelle œuvre Lénore à la société lit-téraire de Göttingen. Elle s’ouvre avec les vers suiv-ants :

« Lenore fuhr ums MorgenrotEmpor aus schweren Träumen. » 1

qui la placent d’emblée dans le domaine du rêve et dela tristesse. Le phrasé rythmé de son texte envoûtel’auditoire, qui reste suspendu à ses lèvres. Et lorsquele spectre brise le verrou du cimetière, Bürger frappele mur de la chambre, faisant sursauter et se leverceux qui l’écoutent. La réaction enthousiaste à la finde sa lecture le rassure quant à la diffusion de sonœuvre, assez éloignée des canons de l’époque.

L’histoire prend place à la fin de la Guerre deSept Ans : les soldats du roi Frédéric reviennent decampagne, mais Wilhelm — le fiancé de Lénore — nese trouve pas parmi eux. Elle maudit alors Dieu pourson injustice, tandis que sa mère la met en garde con-tre le blasphème. La nuit venue, un cavalier vient lachercher pour ses noces et, croyant reconnaitre Wil-helm, elle le suit et enfourche son cheval.

Ce dernier l’entraine dans la campagne dans unecavalcade effrénée — le temps presse ! —, ameutantà sa suite esprits et morts, avec cette remarque quirevient sans cesse, lancinante :

« Hurra ! die Toten reiten schnell ! » 2

à quoi elle lui répond de laisser les morts en paix« Ach ! Laß sie ruhn, die Toten ! »

À minuit ils franchissent les portes du cimetière et lemanteau du cavalier se désagrège, révélant la Mortqui porte une faux et un sablier. Le cheval vomit dufeu, des sphères célestes retentissent des cris et desgémissements des tombes, condamnant Lénore pourson blasphème.

Cette ballade a connu un succès international,bien plus que la plupart des œuvres de son temps :Gérard de Nerval la traduit plusieurs fois en prose eten vers, après que Mme de Staël l’ait fait connaitre enFrance, Walter Scott en Angleterre ; des traductionsvoient le jour en italien, en russe, en slovène. . . Demême que de nombreux écrivains s’en sont inspirésou y font référence, comme Bram Stocker dans sonDracula.

De nombreux peintres se sont inspirés de cetteballade pour leur tableau (voir par exemple laphoto 14), de même que plusieurs compositeurs, telsque J. Raff, H. Duparc, F. Liszt, ou encore — plusmoderne — le groupe Tristania (My lost Lenore).

Figure 14 – Die Ballade der Leonore, de Emile JeanHorace Vernet (1839).

Bürger est de même très connu pour sa versiondes Aventures du baron de Münchhausen.

Cette œuvre présente de nombreuses caractéris-tiques du Sturm und Drang — traduit par « Tempêteet Passion » — de cette seconde moitié du XVIIIe

siècle. Ce mouvement préromantique est né de lavolonté de se révolter contre la tyrannie de la raisonde l’Aufklärung (le mouvement des Lumières en Alle-magne) qui risque d’étouffer la sensibilité, la religionou l’imagination. De nombreux écrivains et poètescommencent alors à écrire en privilégiant le génie etla passion à la froide rationalité et au labeur de ceuxqui se forcent — en cela nous sommes bien loin deBoileau.

Une autre figure emblématique du Sturm undDrang est évidemment Goethe, dont les Souffrancesdu jeune Werther (Die Leiden des jungen Werthers)ont marqué durablement les esprits : le jeuneWerther— lecteur d’Homère et d’Ossian — s’éprend de Char-lotte au cours d’un bal, mais celle-ci est déjà promiseà un autre homme, ce qui ne l’empêche pas de tomberamoureuse de Werther. S’ensuit alors une terriblehistoire, où les deux protagonistes essaient tour àtour de se détacher l’un de de l’autre, jusqu’à ce queWerther emprunte la seule voie qui leur apportera lapaix à tous les deux, le suicide :

« Oui, Charlotte, pourquoi te le cacher ?Il faut que l’un de nous trois périsse, etje veux que ce soit moi. »

1. « Aux premières lueurs du matin, Lénore, fatiguée de rêves lu- gubres, s’élance de son lit. » [1].2. « Hourra, les morts vont vite ! Amie, crains-tu les morts ? » [1].

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L’hibou’k, n° 2 — Juin 2012 Arts et littérature

Cette histoire a tant marqué les esprits que l’Europeconnait une vague de suicides, chacun rejouant lascène finale. D’autres se contentèrent d’arborer lesmêmes vêtements.

Faust, l’autre œuvre majeure de Goethe(traduite aussi par Nerval), symbolise quant à ellel’abandon de la connaissance froide et rationnellepour l’expérience vivante : pour ce faire Faust, doc-teur d’une grande érudition, accepte de vendre sonâme au diable, Méphistophélès, qui s’engage à luiservir de valet pour lui faire découvrir la vie et ex-périmenter le surnaturel. Il le conduira alors dans unvoyage à travers les époques, où il tombera amoureuxde l’innocente Marguerite (Gretchen dans la versionoriginale). Méphistophélès l’aide à la séduire, maisses manigances conduisent à la mort de la famille deMarguerite et à la condamnation de cette dernièrepour meurtre. Faust ne parvient pas à la sauver, maisDieu sauve son âme. À la fin du deuxième Faust, ledocteur se souvient de Dieu lorsque sa dernière heuresonne et il reçoit le pardon de Dieu.

Goethe a travaillé plusieurs fois sur son Faust,entre autres grâce à l’impulsion de Schiller — autregrand représentant de ce mouvement et ami deGoethe. Il s’agit du personnage archétype du Sturmund Drang, passionnés et tourmentés, et dont Schillertrace le portrait dans la lettre qu’il lui adresse [4]. Al-fred de Musset, dans ses Confessions d’un enfant dusiècle (partie I, chapitre 2), résume son œuvre et lemaudit pour son legs :

« Goethe, le patriarche d’une lit-térature nouvelle, après avoir peint dansWerther la passion qui mène au suicide,avait tracé dans son Faust la plus sombrefigure humaine qui eût jamais représentéle mal et le malheur. Ses écrits com-mencèrent alors à passer d’Allemagne enFrance.

Du fond de son cabinet d’étude, en-touré de tableaux et de statues, riche,heureux et tranquille, il regardait venirà nous son œuvre de ténèbres avec unsourire paternel. (. . .) »

Finalement, de la ballade de Lénore nous pou-vons rapprocher l’Erlkönig (le Roi des Aulnes), l’undes plus magnifiques poèmes de Goethe. Dans celui-ci, un père traverse une forêt en tenant son enfant surle cheval. Le jeune garçon voit à plusieurs reprises leroi des Aulnes qui cherche à l’attirer à lui, et il sup-plie son père d’accélérer et de le protéger. Hélas, sonpère ne croit pas son fils et cherche à le convaincrequ’il ne s’agit que d’un arbre ou du brouillard, dumoins jusqu’à ce que le Roi agrippe la jambe de ce

dernier : il lance son cheval au galop pour lui échap-per mais, trop tard, l’enfant est mort dans ses bras :

« Dem Vater grauset’s, er reitetgeschwind,

Er hält in Armen das ächzende Kind,Erreicht den Hof mit Mühe und Not,In seinen Armen das Kind war tot. » 1

Le Sturm und Drang a fortement marqué les es-prits et a préparé la voie au romantisme, mais il sedémarque nettement de ce dernier. Il a fallu attendrelongtemps avant que certains poètes français ne s’eninspirent, par exemple Gérard de Nerval, qui citerapar exemple dans Pandora quelques vers adorables,sur lesquels nous finirons cet article :

« Einen Kuss von rosiger Lippe,Und ich fürchte nicht Sturm nicht

Klippe ! » 2

Références[1] Lénore, et autres ballades, Gottfried August

Bürger, traduit par Ferdinand Flocon, http://www.ebooksgratuits.com/.

[2] Lénore — Traductions comparées, GottfriedAugust Bürger, http://www.ebooksgratuits.com/.

[3] La littérature allemande du Moyen-Âge au ro-mantisme, Roland Edighoffer.

[4] Lettre de Schiller à Goethe, 23 août 1794,http://fr.wikisource.org/wiki/Lettre_de_Schiller_à_Goethe,_23_août_1794.

[5] http://fr.wikipedia.org/wiki/Sturm_und_Drang

[6] http://en.wikipedia.org/wiki/Lenore_(ballad)

1. « Le père frissonne d’horreur, il galoppe à toute vitesse, il tient dans ses bras l’enfant gémissant, il arrive dans son foyer avecfatigue et peine, dans ses bras l’enfant était mort. »

2. « Un baisser de lèvres rouges, et je ne crains ni tempête ni récif ! »

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L’hibou’k, n° 2 — Juin 2012 Lettres à Angelys

Lettres à Angelys

Harold Erbin

Lettre 2

Belle amie,

Que votre nom est beau et doux ! Vous êtes bel et bien mon ange royal. Votreprésence écarte les ténèbres qui pèsent sur mon cœur. Les démons qui habitent monesprit s’enfuient devant votre aura flamboyante. Mon âme est craintive face à lavôtre, et c’est pour cette raison que je me présente à vous avec tant de timidité.Pourtant, j’ose présenter mon amour à vos yeux terrifiants et adorables.

N’auriez-vous pas un peu de myrte à m’offrir ? J’ai un assez grand vase pourle conserver entièrement. Je le garderai à l’abri, mais je l’exposerai dans un vase decristal aux yeux de tous pour faire étal de mon bonheur. Je ferai en sorte que maflamme ne le consume pas. Je l’entourerai de caresses et de réserve de sorte qu’il nese fane pas. Et si vous trouvez que le laurier empiète excessivement le terrain que jelui ai réservé, je m’arrangerai pour arracher l’excédent, car l’on a toujours trop delaurier, et jamais assez de myrte. Tous mes gestes auront pour but l’épanouissementde cette délicate fleur, fragile mais si forte. La mienne a déjà envahi tout mon être.

Je n’attends de réponse claire, car notre relation est encore naissante, et je nevoudrais rien gâcher par précipitation. En attente de votre réponse,

Votre obligé.

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L’hibou’k, n° 2 — Juin 2012 Les auteurs

Les auteurs

Actuellement étudiant en 6e année de médecine,Adrien est plus intéressé par la compréhension ducorps humain, de l’humain et de la société, en par-ticulier des problème de santé publique, que par laprise en charge quotidienne du malade. Très porté surle manga, les jeux vidéos. Curieux de tout. Feignant.

Corinne étudie la physique à Paris 7, tout enfréquentant assidûment le conservatoire où elle ap-prend plusieurs instruments (clavecin, piano, flûte àbec).

Florian est un élève erratique, ayant rebondi,après un cursus d’anglais, vers une contemplationphilosophique, avant de trouver une spécialité plusdouce vers la philosophie des sciences, puis les sci-ences elles-mêmes, avec en tête les mathématiques etla physique. Actuellement, il s’intéresse aux matièrespubliques, et se demande déjà bien quoi faire pour lasuite !

Harold vient juste de terminer son master dephysique théorique à l’École Normale Supérieure etse dirige vers une thèse en théorie des cordes. Sesintérêts variés l’ont poussé à étudier de nombreuxdomaines.

Étudiant en Master 1 Droit des affaires à l’U-niversité Lille 2, Rudi est actuellement candidat àplusieurs Master 2 spécialité Droit fiscal à l’Univer-sité Lyon 3. Il envisage ensuite un second Master 2puis un doctorat en droit des obligations.

Cherchant à sonder les mystères de l’existence,Sophie a pour domaines de prédilection les sciences,la philosophie et les religions. Mais elle n’hésite pas àse plonger dans l’étude des langues, des civilisations,de la psychologie. . . Elle a obtenu un M1 de math-ématiques pures, et termine actuellement un M1 dephysique fondamentale.

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